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ACTES DE LA JOURNEE DE FORMATION
DU 6 FEVRIER 2016
Maison diocésaine, 45 rue de Brest, 35000 RENNES
PARTIE I : Perspectives des pays les plus démunis face aux
changements climatiques
PARTIE II : Sommes-nous en guerre aujourd’hui ?
Objectifs de la journée
L’assemblée générale de rentrée a décidé du premier thème. Il s’agissait de voir comment
les partenaires du CCFD Terre solidaire sont engagés dans la lutte contre les effets de
l’évolution du climat avec quelques clés de compréhension de changements.
Les attentats de novembre ont imposé le deuxième sujet. En effet, beaucoup de membres de
l’association sont mal à l’aise avec le langage guerrier qui s’est développé depuis. Il
s’agissait de cerner la réalité derrière les mots employés.
Les intervenants invités (par ordre d’intervention)
Ahmed Aïdoud, ingénieur CNRS Rennes 1, Observatoire du Sahara et du Sahel à
Biskra.
Guy Fontenelle, enseignant-chercheur INRA, Rennes.
Jacques Le Goff, enseignant-chercheur UBO, Brest et président des Amis d’Emmanuel
Mounier.
Hugues de Courtivron, officier général de l’armée française.
Roland Nivet, vice-président du Mouvement de la Paix.
Marie-Noëlle Maury, Pax-Christi Rennes.
Intervention de Roland Nivet
Juste quelques mots sur le Mouvement de la Paix. Ce mouvement est écrit après seconde guerre mondiale
par différents courants de la résistance au nazisme en France. Les statuts de ce mouvement furent déposés la
préfecture de Paris par Lucie Aubrac avec comme premier nom les partisans de liberté.
Nous avons été créé par des personnes qui ont su prendre leurs responsabilités par rapport
à la lutte contre le nazisme.
Ensuite je soulignerai l’importance des lectures sur la question car la situation est grave et complexe.
Quelques livres :
 Alain Chouet « au coeur des services spéciaux »
 Georges Corm « pour une lecture profane des conflits »
 M. Trévidic « terroristes »
 Luisard CNRS « Le piège Daesh »
Première interrogation : pourquoi cet empressement à dire que nous sommes en guerre et ce dès septembre
aux Nations Unies.
Ce discours nous rappelle bien entendu ceux du président des États-Unis après les attentats
de septembre 2001.
Pourtant nous qui luttons pour une déclaration de paix entre la France et l’Algérie, cette déclaration n’est pas
possible nous dit-on parce qu’en Algérie il n’y a pas eu de guerre.
Quel est le constat après 15 ans de guerre contre le terrorisme ? Echec total partout.
Au vu de ce constat et s'il faut avoir des références en matière d'analyse, je me suis bien retrouvé dans les
propos d’'analyse de Dominique de Villepin :
« Le piège qui nous est tendu, c'est l'idée que nous sommes en guerre et que nous devons
faire la guerre ». De Villepin
« Depuis 10 ans, les choses n'ont jamais cessé de s'aggraver et nous n'avons jamais gagné
aucune de ces guerres. Cette approche-là, de guerre contre le terrorisme, n'est pas la
bonne »
« Alors que Daech cherche méthodiquement à créer les conditions d’un conflit généralisé,
répondre par les armes équivaut à éteindre un incendie au lance-flammes .La guerre ne
nous rend pas plus forts, elle nous rend vulnérables »
Et de ce point de vue la France est en insécurité croissante. Pour notre part depuis 2003 le Mouvement de la
Paix ne cesse de le répéter, il faut d’autres solutions.
Par contre pour une solution politique il faut prendre en compte la stratégie de l’adversaire à savoir Daech.
Cette stratégie est double « Elle est double et il faut savoir la prendre au sérieux pour la combattre.
Premièrement, les hommes de Daech cherchent à susciter la guerre civile en France et en Europe, à monter
les populations contre les musulmans, français, immigrés ou réfugiés. Deuxièmement, Daech cherche
méthodiquement à créer les conditions de la guerre généralisée au Moyen Orient. Notre force, c’est notre
Etat de droit et c’est la fidélité à nos principes, et une dynamique diplomatique si nous le voulons. Qu’il
faille des mesures exceptionnelles pour faire face à l’urgence, je le crois. Mais méfions-nous de l’état
d’urgence permanent et de la surenchère sécuritaire » De Villepin.
Lecture d’extraits du communiqué du Mouvement de la paix le 14 Novembre : « L’heure est à la
réaffirmation de notre attachement aux valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité, de dignité, de solidarité et
de notre aspiration commune à un monde de justice et de paix.
La sécurité humaine doit être assurée sans repli sécuritaire qui amoindrirait la vie démocratique,
associative et citoyenne car la démocratie est la meilleure manière de s’opposer à la stratégie de la peur, de
la terreur et de l’obscurantisme.
C’est dans ce cadre et avec ces valeurs que doit se conduire le débat démocratique sur l’analyse des causes
et des processus ayant conduit à la situation actuelle. Ce débat est nécessaire pour éviter tout amalgame
qui dresserait une partie de la population vivant en France contre une autre.
Ce débat est indispensable pour promouvoir sans tarder l’engagement de toutes et tous pour élaborer les
solutions de nature à préserver la paix à travers la construction d’une culture de la paix et de la nonviolence. »
« Après vingt ans d’échec des opérations de paix des Nations unies, après dix ans d’interventions militaires
occidentales désastreuses, la clé, c’est d’inventer une nouvelle forme d’intervention de paix, articulant
d’une façon inédite outils militaires et instruments diplomatiques, au service d’objectifs précis avec des
moyens de coordination efficaces » De Villepin.
On a avancé dans ce sens avec la discussion avec la Russie et l’Iran et avec les dernières résolutions des
Nations Unies mais pourquoi avoir attendu si longtemps alors que les textes sur la transition démocratique
en Syrie ont été adoptés il y a déjà 2 ans à l’unanimité au conseil de sécurité.
Comme le dit De Villepin « Dire que la solution est politique, cela ne signifie pas que la lutte ne doive pas
être sans merci. Cela veut dire qu’elle doit être efficace. Les militaires sont les premiers à le dire : une
guerre sans stratégie politique, c’est au mieux un coup d’épée dans l’eau ».
Dès le début De Villepin a proposé des alternatives à la guerre :
a- « L’argent en s’attaquant en priorité aux transferts financiers par la coopération
bancaire et fiscale, aux ressources propres en frappant les puits de pétrole
b- Couper les canaux diffusant l’idéologie jihadiste, c’est agir sur la propagande en
mettant tous les moyens nécessaires pour agir contre le cyberjihad
c- Couper l’alimentation en hommes, en sécurisant la frontière syrienne, pour étouffer
les territoires de Daech notamment aux abords de la Turquie »
Ensemble, réfléchir pour comprendre et agir
Une question nous taraude : comment de jeunes français d’une trentaine d’années ont-ils pu être conduits à
commettre des crimes aussi abjects que ceux que notre pays a connus en janvier et en novembre ?
La meilleure manière de s’opposer à la stratégie de la peur, de la terreur et de l’obscurantisme c’est de
conduire le débat démocratique sereinement sur l’analyse des causes et des processus ayant conduit à
la situation actuelle. Ce débat est nécessaire pour faire face au danger des certitudes officielles, aux dérives
autoritaires, aux matraquages répétitifs des slogans et des images qui tournent en boucle, à l’inculcation de
la violence et de la guerre comme réponse unique à la violence et aux meurtres et enfin pour éviter tout
amalgame qui dresserait une partie de la population vivant en France contre une autre.
La rencontre de deux logiques
Les causes de la situation actuelle et des monstruosités auxquelles nous devons faire face ne résultent t’elles
pas de la rencontre de deux logiques, une logique guerrière et une logique de violences sociales exacerbées ?
Les logiques guerrières
Tout a commencé en Afghanistan par la réplique guerrière des USA aux attentats de New York de 2001. A
partir de là ce sont 15 ans de guerres ininterrompues. En 2003 l’invasion illégale de l’Irak par une coalition
dirigée par les Etats Unis et la Grande Bretagne a été lancée, sans mandat de l’ONU, après le mensonge
éhonté, le 5 février 2003 du secrétaire d’Etat américain Colin Powell brandissant à la tribune de l’ONU sa
fiole censée démontrer l’existence d’armes de destruction massive en Irak. Le bilan c’est près d’1 million de
morts en Irak, un pays détruit, un Etat déstructuré et des populations livrées à la misère et à des violences
extrêmes, des centaines milliards de dollars dépensés et le chaos qui a favorisé le développement de Al
Quaïda et l’émergence de Daesh. Plus récemment la guerre en Libye, conduite en particulier par la France,
en violation de la résolution des Nations Unies a livré la Libye et la région subsaharienne dont le Mali aux
hordes terroristes. En Syrie, l’incapacité des puissances en présence à s’engager dans la construction d’une
solution politique impliquant tous les Etats concernés a conduit au désastre actuel. S’ajoute à ce tableau
l’incapacité des grandes puissances à régler la question palestinienne dans le respect du droit international.
Le résultat c’est un Moyen Orient à feu et à sang depuis plus de 15 ans, entrainé dans un cycle infernal de
violences, de bombardements, d’attentats et de dé-structucturation des Etats. Ce chaos a eu pour effet de
renforcer Al Quaïda et de permettre l’émergence de Daesh. Comme le dit Dominique De Villepin : « L’État
Islamique, c’est l’enfant monstrueux de la politique occidentale. A chaque fois qu’on fait une guerre il s’agit
d’en recommencer une autre pour réparer notre incompétence et notre incapacité à régler les problèmes»
Le pétrole et les ventes d’armes
Si les puissances économiques et militaires à l’œuvre au Moyen-Orient ont été incapables de générer un
processus de paix pour cette région n’est- ce pas tout simplement parce qu’ils n’en ont pas la volonté car
leur stratégie du chaos à travers la déstructuration de certains Etats, leur permet de mieux dominer cette
région riche en pétrole ? Le GRAND MOYEN-ORIENT.
On trouve parmi ces puissances les principaux producteurs et vendeurs d’armes au monde. Or les principaux
financeurs directs ou indirects d’une grande partie des armes de Al Quaida et Daesh 5richard Labevière) que
sont l’Arabie Saoudite et le Qatar sont membres ou alliés de l’OTAN et figurent parmi les principaux clients
des USA et de la France. Qu’ils fassent régner dans leur pays le fondamentalisme le plus rétrograde
(décapitations, lapidations etc.) ne dérange pas nos dirigeants puisque la France et d’autres Etats leur
vendent des armes.
Enfin La Turquie (OTAN) a laissé Daesh exporter son pétrole à travers sa frontière dans une indifférence
complice.
Le Pape François :
"Beaucoup des puissants ne veulent pas de la paix car ils vivent de la guerre. Quelques puissants tirent leurs
ressources de la production d'armes. C'est l'industrie de la mort ».
Un commerce des armes irresponsable
Il est important de rappeler que les dépenses militaires ont doublé en 12 ans passant de 900 milliards en
2002 à 1800 milliards en 2014. Les ventes d’armes françaises ont augmenté de 43 % en 2013 avec une vente
totale d’armes chiffrée à 6,8 milliards d’euros. Au cours des deux dernières années, 30 à 40 % des
commandes françaises viennent des pays du golfe persique qui financent le terrorisme Djihadiste que nous
prétendons combattre. Pendant ce temps en trois ans le cours de l’action Dassault à la bourse de Paris a
grimpé de 61 %, celui de Thalès de 70 %.
Les logiques financières
Le terrorisme se développe sur le terrain du sous-développement, de la misère, des inégalités, des injustices,
des violences, de l’ignorance, de l’obscurantisme, du manque de démocratie et de l’absence de perspectives
politiques. Il se nourrit de la déstructuration des sociétés et des Etats résultant des guerres. Mais sont aussi
en cause les logiques financières et spéculatives qui caractérisent la mondialisation des économies car en
favorisant la recherche de profits immédiats elles condamnent des pans entiers des sociétés, y compris en
France, à vivre dans la misère et des jeunes à vivre sans perspective. Tous ces facteurs créent des
frustrations, des humiliations, des rancoeurs, des haines qui alimentent partout dans le monde les idéologies
fascisantes et le terrorisme.
C’est cette décomposition sociale grave qui fournit sa clientèle de criminels à Daesh et aux autres
organisations terroristes. Ainsi nous sommes face à une nouvelle conflictualité internationale qui mêle le
social et le politique sur un fond d’affrontement géopolitique des puissances pour le contrôle des parties du
monde riches en ressources.
Le résultat : une insécurité croissante des peuples et de la France
Cette situation a conduit à une insécurité croissante des peuples y inclus en France car les politiques
conduites par la France, en s’alignant au Moyen Orient et dans les relations avec le Monde arabe sur celles
des USA et de l’Otan, ont contribué à aggraver l’insécurité du monde et à mettre en danger la sécurité de la
France sans apporter aucune solution au problème du terrorisme.
Quelles solutions ?
C’est l’ensemble des politiques nationales (éducation, politique de la ville, jeunesse, vie associative et
citoyenne, services publics etc.) qui doivent être revues pour faire face à cette situation car, comme le dit
Alain Chouet, (1) pour assécher le vivier du terrorisme il faut « des mesures sociales, économiques,
éducatives, culturelles, politiques et diplomatiques d’envergure ».
La tâche est difficile mais il faut à la fois protéger les populations civiles et avancer vers des solutions
politiques.
Beaucoup de militaires et de professionnels de la lutte antiterroriste s’accordent pour dire que les
bombardements massifs n’aboutiront qu’à fabriquer de nouveaux terroristes. Par contre il est urgent
d’assécher les finances de Daesh, de stopper son commerce pétrolier et son approvisionnement en armes, de
revoir nos relations avec les pays qui le soutiennent et de trouver des issues politiques pour un processus de
paix au Moyen-Orient.
Au plan national les éléments d’analyse ci-dessus montrent que les solutions sont d’abord politiques et qu’il
convient donc de s’opposer aux dérives sécuritaires alimentées par la peur.
L’heure est à l’action pour des solutions de justice, de fraternité et de Paix.
Roland NIVET
Intervention à partir d’un article écrit dans « Planète Paix » le mensuel du Mouvement de la
Paix