le comte de valmont ou les égarements de la raison histoire d`un

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le comte de valmont ou les égarements de la raison histoire d`un
LIBRAIRIE ANCIENNE
ROGER SIBLOT
LE COMTE DE VALMONT
OU LES ÉGAREMENTS DE LA RAISON
HISTOIRE D’UN PHENOMÈNE ÉDITORIAL
Un phénomène éditorial (N. Brucker, Une
réception chrétienne des Lumières. Le Comte de
Valmont de l’Abbé Gérard, Honoré Champion,
2006, p. 12). Le mot apparaît peut-être
anachronique au XVIIIe siècle. Il n’empêche
qu’il n’y a pas d’autre expression pour qualifier
cette œuvre inclassable de l’abbé Gérard.
Entre la première édition, publiée chez
Moutard en 1774 et celle publiée chez J.-P.
Migne, il y en eût une trentaine chez les éditeurs
les plus divers : Van den Berghen,
Bassompierre, Bossance, Méquignon ou encore
Ardant, parmi bien d’autres (N. Bruckard ;
Quérard, t. 3, p. 325).
C’est deux d’entre elles que la librairie propose,
parmi les meilleures : un exemplaire de la
douzième édition, publiée en 6 volumes chez
Bossange, Masson et Besson, en 1807,
encore du vivant de l’auteur, puis un
exemplaire de la quinzième édition,
également publiée en 6 volume chez Masson,
en 1827. C’est Masson qui s’occupera de la
réédition de l’ouvrage à compter de 1801 y
ajoutant le sixième tomes. En effets, ces deux
ouvrages, bien complet du sixième tome
intitulé la Théorie du Bonheur, ou l’art de se rendre
heureux, mis à la portée de tous les hommes (étant
entendu que ce tome, souvent réunis au roman,
n’en fait pas partie, stricto sensu), sont tous deux
ici dans de belles reliures plein veau d’époque,
bien décorées dans l’air du temps avec dos à
faux nerfs, ornés et dorés (pour une description
complète, cf. infra) et joliment illustrés de
gravures.
Pourquoi ce roman, à l’époque considéré
comme
moral,
aujourd’hui
comme
apologétique, a-t-il connu un tel succès
d’édition, succès qui, par la suite, à compter de
la deuxième moitié du XIXe siècle, a semble-t-il
été oublié ?
En effet, la réception fut très louangeuse,
dès 1774, à part peut-être pour Grimm. Ainsi,
le Journal des Beaux-Arts et des Sciences y voit « un
grand fond de tendresse et de sensibilité ». L’Année
Littéraire est tout aussi enthousiasmée, comme
le Mercure de France qui en vante les qualités
pédagogiques.
L’abbé Louis-Philippe Gérard
La personnalité de l’auteur a sans doute
contribué pour beaucoup dans ce succès. En
effet, l’abbé Louis-Philippe Gérard (1737 (la
date est contestée) -1813) connut un parcours
des plus atypique et intéressant. Tout
commença dès son enfance. Le futur chanoine
nait dans une famille peu aisée et échappa de
peu à un kidnapping. Une mendiante tenta de
s’emparer du jeune enfant alors qu’il avait été
laissé sans surveillance, seul dans une allée
obscure, afin de l’utiliser pour faire la manche
et attirer la pitié des passants. Passé cet épisode
qui aurait pu se révéler tragique, le jeune LouisPhilippe Gérard fit ensuite ses études au
Collège Louis Legrand, chez les Jésuites. Son
père le destinait à la carrière d’avocat, et son
avenir paraissait tout tracé lorsque le destin
frappa à nouveau en privant l’abbé Gérard de
son père, mort prématurément. Au sortir du
collège, le jeune homme innocent se retrouva
donc livré à lui même, sans repère, sans guide.
C’est alors qu’il succomba à toutes les
tentations qui se présentèrent à lui. Il alla
même jusqu’à renier sa foi, tombant ainsi dans
l’incrédulité. Il semblerait que ce soit justement
cette partie de sa vie, mouvementée, qui lui
inspira cet ouvrage décrivant « les écarts d’un
jeune homme entraîné par ses passions et par des sociétés
pernicieuses » (Quérard, t. 3, p. 325). Cependant,
l’abbé Gérard fit une rencontre qui allait
bouleverser sa vie et lui faire prendre une
tournure radicalement opposée aux égarements
de sa jeunesse. En effet, il fit la connaissance de
l’abbé Legros, alors chanoine de la SainteChapelle et doyen de Saint-Louis du Louvre qui
ramena Gérard sur le chemin de la vertu et de
la foi. L’abbé Gérard devint alors « aussi pieux
qu’il avait été indévôt » (Michaud, t. 16, p. 283). Il
entre alors au séminaire de Saint-Nicolas
du Chardonnet où il prit le sous-diaconat. Il
accompagna ensuite le bailli de Fleury à Malte
où il se fit ordonner prêtre. De retour à Paris, il
est vicaire de Saint-Méry et se consacre
entièrement à la prédiction et à la « direction des
consciences ». En récompense de ses efforts, il
devint chanoine de Saint-Louis du Louvre et
l’assemblée du clergé de 1775 lui décerna des
honneurs et des encouragements. Il se lance
alors dans la carrière des lettres et publie le
Comte de Valmont. Puis vint la Révolution et à
l’instar de nombreux ecclésiastiques, Gérard fut
persécuté, arrêté en 1794 et emprisonné
pendant un certain temps. Une fois libéré, il se
retira du monde afin de consacrer entièrement
à la culture des lettres et des pratiques pieuses,
avant de s’éteindre en 1813.
Le Comte de Valmont
Le Comte de Valmont ou les égarements de la raison,
publié entre 1774 (date de publication des trois
premiers volumes) et 1776 est certainement l’un
des succès les plus connus de l’abbé Gérard. Le
roman, par ses accents moralistes,
apologétiques et d’éducation, correspond
bien à l’époque quelque peu désorientée par la
diffusion des idées des Lumières. La forme
épistolaire du roman se prête bien aux
longues dissertations sur les mouvements
philosophiques du temps, avec toujours cet
esprit de conversion au christianisme.
La trame du roman
s’articule autour du
personnage
du
comte de Valmont. À
la suite d’une cabale
fomentée contre lui à
la Cour, son père, le
marquis de Valmont,
est contraint de s’exiler
sur ses terres où il
paraît s’épanouir en
revenant aux choses
essentielles. Son fils, le
comte de Valmont n’est, au début, pas
forcément de cet avis, et s’intéresse aux idées
subversives du baron de Lausane. Délaissant sa
femme Émilie, il se rapproche du baron, malgré
les conseils de son père. À la suite de divers
quiproquos, le comte tombe d’accord avec le
marquis et se convertit au christianisme. La
disparition du baron de Lausane n’empêche pas
ses idées de prospérer. Mais le comte réussit à
convertir le jeune frère du baron, avant d’être
commandant du premier corps d’armée, puis
nommé ambassadeur auprès d’un jeune
monarque qu’il conseillera.
Assurément, le Comte de Valmont est plus
qu’un
roman
d’éducation
et
d’apprentissage ; il s’agit d’un récit de
conversion, illustré par les longues
conversations et dissertations dans lesquelles le
marquis, puis le comte expose leurs idées.
Comme l’a exposé N. Brucker, il s’agit d’ « une
réception chrétienne des Lumières » ; « par un tour de
passe-passe, les Lumières étaient décrétées chrétiennes »
(p. 11). On comprend rapidement pourquoi ce
livre fut si souvent offert comme prix aux
meilleurs élèves des écoles de l’époque. Le
Mercure qualifiait l’ouvrage de l’abbé Valmont
d’un « code de principes pour toutes sortes de personnes,
un manuel propre à tous les états, à tous les âges, et
principalement à la jeunesse » (juill. 1774). Tout en
expliquant les idées nouvelles, il prône un
retour à la foi.
Un ouvrage illustré
C’est aussi tout l’intérêt de nos deux éditions
que d’être illustrées. Masson orne ses éditions
d’un portrait de l’auteur, que l’on retrouve
dans notre douzième édition (1807), dessiné par
Jauffret et gravé par Gaucher. Cette édition de
1807, la dernière dont s’occupe l’auteur, est
superbement gravée. La plupart des gravures
sont dessinées par Monnet et gravées par
Louis le Grand et Dambrun. Quant à
l’édition de 1827, la quinzième, les frontispices
sont dessinés par Jean-Michel Moreau (17411814), élève de Lorrain et Lebas. Dessinateur
du cabinet du roi, Moreau fut agréée à
l’Académie royale de peinture en 1780.
Académicien en 1789, il devint professeur à
l’académie des Beaux-Arts de SaintPétersbourg. Médaillé de première classe, il
expose souvent au salon, illustrant de
nombreux ouvrages tels que ceux d’Ovide,
Molière ou La Fontaine. Gravés pour certains
par Rémi-Henri-Joseph Delvaux (1748-1823)
ou par de Ghendt, ces dessins illustrent à
merveille cet art si caractéristique du XVIIIe
siècle.
LE COMTE DE VALMONT OU LES ÉGAREMENTS DE LA RAISON(L.-Ph. Gérard)
Paris, chez Bossange, Masson et Besson, 1807 (12e edition)
Prix : 160 € - Réf. 000424
6 vols. in-12, reliure plein veau d’époque. Dos lisses ornés de fleurons et filets dorés. Champs ornés et dorés. Pièces de titre
en cuir rouge et pièces de tomaison en cuir noir. Coiffes de queue un peu abîmées aux t.1 – 2 et 4. Léger manque à la
coiffe de tête du t.5. Coins légèrement émoussés. Pièce de titre du t.6 légèrement décollée. Intérieur frais avec un frontispice
et des gravures dans chacun des volumes. Très bel exemplaire bien complet du t.6 intitulé : « La théorie du bonheur, ou
l’art de se rendre heureux, mis à la portée de tous les hommes ».
LE COMTE DE VALMONT OU LES ÉGAREMENTS DE LA RAISON(L.-Ph. Gérard)
Paris, Masson et Fils, 1827 (15e edition)
Prix : 150 € - Réf. 000507
6 vols in-12. Exemplaire bien complet du sixième volume intitulé La Théorie du Bonheur, ou l’art de se rendre heureux,
mis à la portée de tous les hommes. Très belle reliure plein veau d’époque. Dos à 6 faux nerfs, dorés et ornés de fleurons et
filets. Pièces de titre en cuir rouge et tomaisons en cuir noir. Plats ornés d’un cadre doré à motifs et blason doré de
l’Institution Hallays-Dabot. Coiffes légèrement abîmées par endroits, léger manque à la coiffe de queue du tome I. Coins
émoussés. Signet à tous les tomes. Mors fendus et manque au niveau du blason au tome II. Quelques rousseurs à
l’intérieur. Très agréable à la lecture. Très bel exemplaire comprenant le 6e volume.