Position de thèse - Université Paris

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Position de thèse - Université Paris
UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
PARIS IV
ÉCOLE DOCTORALE I – MONDES ANCIENS ET MÉDIÉVAUX
Laboratoire de recherche : UMR 8167 – Orient et Méditerranée
Composante Mondes Pharaoniques
THÈSE
pour l’obtention du grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
Discipline : Égyptologie
présentée et soutenue par
Nadia LICITRA
le 22 octobre 2014
Étude archéologique d’un nouveau monument de la XXVe dynastie
à Karnak : le Trésor de Chabaka
Sous la direction de
Mme Dominique VALBELLE
Professeur, Paris-Sorbonne (Paris IV)
JURY
Mr Charles BONNET
Membre de l’Institut, Académie des Inscriptions et
Belles Lettres
Mr Vincent RONDOT
Directeur de Recherches, CNRS, Directeur du
Département des Antiquités égyptiennes du Musée du
Louvre
Mr Pierre TALLET
Maître de conférences, Paris-Sorbonne (Paris IV)
Mr Christophe THIERS
Directeur de Recherches, CNRS, Directeur du CFEETK
Mme Dominique VALBELLE
Professeur, Paris-Sorbonne (Paris IV)
Étude archéologique d’un nouveau monument de la XXVe dynastie à
Karnak : le Trésor de Chabaka
L’étude archéologique que nous présentons dans cette thèse concerne le pr-ḥḏ, le
« Trésor », érigé par le roi kouchite Chabaka au nord du temple d’Amon-Rê à Karnak dans le
dernier quart du VIIIe siècle av. J.-C.
Le terme pr-ḥḏ désigne à la fois l’institution à vocation économique de l’État égyptien,
établie dès le début de l’histoire pharaonique et le bâtiment qui en était le siège.
Dans la mesure où l’organisation et les compétences de cette institution ont beaucoup
évolué au fil des siècles, il n’est pas aisé d’en donner une définition unique. De manière
générale, le Trésor était préposé à la collecte des revenus, ainsi qu’à la comptabilisation, le
stockage et la gestion de denrées précieuses ; il pouvait également présider à l’organisation
d’expéditions pour l’approvisionnement de matériaux.
Dans le Trésor étaient entreposés des biens, bruts ou manufacturés, non périssables, y
compris des produits alimentaires.
Les pr-ḥḏ identifiés archéologiquement ne sont pas nombreux. Si, au Moyen Empire,
des empreintes de sceaux attestent la présence de Trésors à l’intérieur des forteresses de la
deuxième cataracte, la localisation de ces complexes de stockage n’est pas toujours avérée.
Pour le Nouvel Empire, outre le Trésor que Thoutmosis Ier a fait ériger à Karnak-Nord,
quelques Trésors ont été identifiés parmi les annexes entourant les temples mémoriaux de la
rive occidentale thébaine. Dans ces cas, il est question de complexes de stockage
indépendants, généralement construits en brique crue, protégés par des murs épais et dotés
d’un accès unique.
L’étude du Trésor de Chabaka que nous avons menée dans le cadre de notre thèse de
doctorat s’est focalisée sur l’analyse archéologique du site en général et sur le bâtiment
kouchite en particulier. Celui-ci, de par son excellent état de conservation et sa durée
d’utilisation limitée dans le temps, représente un cas d’analyse privilégié. Les résultats
obtenus permettent aujourd’hui d’avoir une image, sans doute encore partielle mais déjà bien
définie, du bâtiment qui fut le siège du Trésor d’Amon au cours du VIIe siècle av. J.-C.
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Une importante activité de fouille a été nécessaire pour mener à bien notre recherche,
dans la mesure où la documentation préalablement disponible était extrêmement laconique et
nettement insuffisante pour permettre l’analyse du bâtiment. S’il était probable que la
colonnade et les banquettes en pierre visibles sur le site avant le début de nos investigations
soient en relation avec une pièce orientée nord-sud, rien ne pouvait être dit quant à la
localisation de son accès, à sa position à l’intérieur de l’édifice ou, de manière plus large, sur
le plan général du Trésor et sur son étendue. Il a donc fallu, avant tout, acquérir les données
archéologiques nécessaires pour parvenir à une meilleure connaissance de ce complexe de
stockage. Pour ce faire, huit campagnes de fouille ont été menées sur le site de 2008 à 2012,
ainsi que deux missions d’étude, en 2012 et en 2013.
L’ouverture de trois secteurs de fouille au nord, au sud et à l’ouest de la salle à
banquettes a permis de mettre au jour l’angle sud-est de l’édifice, où quatre espaces distincts
ont pu être localisés : une cour à portique distribuant les magasins, le sanctuaire, doté d’une
niche aménagée dans le mur du fond et d’une porte d’accès monumentale, la salle à
banquettes, ainsi que l’extrémité orientale d’une large cour située dans la partie méridionale
de l’édifice.
À l’issue de ces investigations sur le terrain, les résultats obtenus nous ont permis non
seulement de comprendre le plan du Trésor et les implications topographiques de son
implantation dans la zone au nord du temple d’Amon-Rê, mais également de suivre les
changements intervenus sur le site depuis l’abandon de ce complexe de stockage jusqu’à
l’époque ptolémaïque.
Les données acquises ont montré que le Trésor était un bâtiment indépendant, de
même orientation que le temple d’Amon-Rê, et accessible depuis l’ouest. De plan
vraisemblablement rectangulaire, il a été érigé à l’extérieur du temenos d’Amon-Rê, contre le
rempart nord du temple utilisé à la XXVe dynastie. Son étendue devait être considérable,
couvrant vraisemblablement la zone comprise entre le mur oriental de la salle à banquettes et
les abords du temenos de Ptah.
L’édifice a été érigé en brique crue ; la pierre a été employée pour certains éléments
architecturaux tels que les portes, les colonnes et les banquettes, alors que les couvertures des
salles ont été réalisées en matériaux légers. Le très bon état de conservation du bâtiment nous
a donné l’opportunité d’observer de nombreux détails de construction et de comprendre les
techniques utilisées.
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Après avoir récolté et analysé les informations essentielles pour notre étude, nous nous
sommes attachée à l’interprétation des espaces mis au jour. En l’absence d’une typologie
établie pour les Trésors, encore mal connus archéologiquement, nous avons utilisé
premièrement les données issues de la fouille pour comprendre la destination des pièces. Le
bon état de conservation de l’édifice kouchite et la richesse des découvertes faites, en effet,
ont offert un nombre considérable d’éléments archéologiques et céramologiques sur lesquels
fonder nos interprétations. La comparaison avec le plan d’autres Trésors connus et avec
quelques représentations iconographiques n’a été employée que comme critère secondaire,
afin de vérifier certaines de nos interprétations et de les appuyer.
Nous avons ainsi pu constater, en premier lieu, que, comme dans les Trésors du
Nouvel Empire, le Trésor de Chabaka présente également un espace cultuel situé sur l’axe
principal de l’édifice, contre le mur de fond du bâtiment. La stèle sur estrade attestée aux
époques plus anciennes a été remplacée, dans l’édifice kouchite, par une salle hypostyle dotée
d’une niche où était placée une statue d’Amon-Rê.
En deuxième lieu, la salle à banquettes, en relation avec le sanctuaire, était
probablement une sorte de sacristie dans laquelle étaient déposés des objets cultuels du
temple, de grande taille ou employés à des périodes spécifiques de l’année.
Une porte monumentale sépare ces deux pièces à destination rituelle, situées à
l’extrémité orientale de l’édifice, du secteur utilitaire du Trésor. Ce dernier occupe la partie
centrale du bâtiment et il est constitué d’une cour à portique distribuant vraisemblablement
deux rangées de magasins au nord et au sud. C’est dans cette cour que les activités
d’enregistrement et de comptabilisation des produits avaient lieu, avant que ceux-ci ne soient
entreposés dans les magasins.
La cour méridionale, enfin, longeant le rempart du temple d’Amon-Rê, pourrait avoir
été desservie par un accès indépendant situé dans le mur de façade du Trésor. Nous avons
supposé, pour ce vaste espace à ciel ouvert, une destination artisanale qui devra être
ultérieurement vérifiée.
Le Trésor a été utilisé pendant un siècle environ, entre le dernier quart du
e
VIII
siècle
av. J.-C. (voire la fin de ce siècle, suivant la nouvelle proposition d’inversion des règnes de
Chabaka et Chabataka), et la fin du
e
VII
, ou les premières années du
e
VI
siècle av. J.-C. Déjà
avant le début de l’exploration archéologique, il était clair que le bâtiment n’était plus utilisé
ni visible sous le règne de Psammétique II, dans la mesure où les cartouches royaux gravés
sur les colonnes de l’édifice ne montraient pas de traces de martelage. L’étude menée sur une
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partie du mobilier céramique associé à la dernière période d’utilisation du Trésor et à sa
destruction a confirmé ce terminus ante quem. Cette datation est en effet confortée par un
ensemble de poteries égyptiennes et importées mis au jour sur le sol de la cour méridionale du
bâtiment, ainsi que par la céramique issue de la couche de destruction recouvrant le sol du
sanctuaire et de la cour à portique. Dans ces contextes, il a été possible de constater la
présence de formes typiques du répertoire saïte, ainsi que de fragments d’amphores grecques
dont la diffusion en Égypte n’est attestée qu’à partir de la deuxième moitié du
e
VII
siècle
av. J.-C.
La désaffectation du Trésor a donc probablement eu lieu entre la fin du règne de
Psammétique Ier et celui de Néchao II.
Les données recueillies au cours de la fouille ont également permis d’entamer une
réflexion sur la topographie ancienne de la zone au nord du temple d’Amon-Rê durant la
XXVe dynastie. Bien que le secteur soit largement inexploré, les quelques monuments connus
et surtout les recherches actuellement menées sur les chapelles osiriennes situées le long de la
voie de Ptah et dans le temenos de Ptah nous ont permis d’avancer quelques hypothèses
concernant notamment les axes de circulation distribuant cette zone.
Les investigations archéologiques menées par le CFEETK dans le temenos de Ptah ont
montré la relation étroite existant entre celui-ci et le Trésor, l’accès à l’édifice kouchite se
faisant par deux portes en enfilade situées au sud du temple du dieu memphite. La
construction du Trésor a, en effet, fait partie d’un projet architectural de grande envergure,
réalisé au cours du règne du roi Chabaka, qui a concerné également le temenos de Ptah et,
probablement, un bâtiment en brique crue situé entre ce dernier et le rempart du temple
d’Amon-Rê. Ces trois édifices composaient vraisemblablement un secteur fermé, délimité par
des murs épais et accessible depuis l’ouest, jouxtant le temenos d’Amon-Rê.
Nous nous sommes également intéressée au parcours emprunté pour acheminer les
produits depuis le Trésor vers le temple, le long duquel Chabaka a reconstruit un Château de
l’or. En nous appuyant sur les éléments topographiques connus de la zone nord, nous avons
pu émettre l’hypothèse qu’une voie sud-ouest/nord-est, proche du tracé qu’empruntera la
« voie de Ptah » à l’époque saïte, reliait le temple d’Amon-Rê au Trésor et au temple de Ptah.
Entre la fin du règne de Psammétique Ier et celui de Néchao II, le Trésor est
abandonné. Il est encore trop tôt pour pouvoir évaluer pleinement les répercussions de cet
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événement sur le secteur, bien qu’il soit probable que le temenos de Ptah et l’édifice en brique
au sud de celui-ci aient continué à être utilisés sans modifications majeures jusqu’à l’époque
ptolémaïque.
Après sa désaffectation, une activité de récupération des matériaux de construction –
brique, pierre, bois et terre à bâtir – a conduit au démontage d’une grande partie de l’élévation
du Trésor. L’effondrement successif des murs encore en place a marqué l’abandon définitif du
bâtiment.
Un remblai a été, par la suite, déversé sur les ruines de l’édifice, probablement dans le
but de les dissimuler plutôt que de parvenir à un rehaussement uniforme du niveau de
circulation de la zone. Cette opération a, en effet, déterminé la formation d’une butte audessus de la salle de la niche et d’une pente est-ouest qui a influencé l’implantation de toutes
les constructions postérieures.
L’abandon de ce secteur est également démontré par la présence de quelques
inhumations identifiées à proximité du rempart du temple d’Amon-Rê.
Dans la partie septentrionale du site, la fouille a permis de mettre au jour plusieurs
états de construction successifs datables entre la fin de la Basse Époque et la période
ptolémaïque. La plupart des édifices découverts peuvent être mis en relation avec des
quartiers d’habitations d’époque ptolémaïque qui se sont installés sur la pente formée par le
remblai déversé sur les ruines du Trésor.
Les données que nous avons pu recueillir au cours d’une longue activité de recherche
sur le terrain sont exposées de manière détaillée dans les deux premières parties de la thèse.
Les renseignements dont nous disposions avant le début de nos recherches, ainsi que
la stratégie de la fouille adoptée, sont évoqués dans le chapitre 1.
La description archéologique des vestiges du Trésor mis au jour fait l’objet du
chapitre 2 et comprend également l’étude des inscriptions et des scènes, découvertes in situ,
gravées sur les éléments en pierre des salles, ou peintes sur les plafonds.
Les niveaux postérieurs à la destruction du Trésors sont, ensuite, présentés dans les
chapitres 3, 4 et 5.
La deuxième partie de la thèse est consacrée au mobilier archéologique associé à la
période d’occupation du Trésor et à sa destruction : le matériel céramique (chapitre 6) et les
objets (chapitre 7).
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L’interprétation des données présentées constitue la troisième partie de notre travail.
L’identification de la destination des espaces mis au jour dans le Trésor et la restitution du
plan général du bâtiment font l’objet du chapitre 8, alors que dans le chapitre 9 nous avons
essayé de comprendre comment le Trésor de Chabaka s’insérait dans la topographie ancienne
de la zone au nord du temenos d’Amon-Rê.
De nombreuses figures et planches illustrent la thèse. Les premières ont été intégrées
au texte, alors que les planches regroupant les clichés de fouille sont situées à la fin du
volume. Les plans et les coupes, enfin, sont donnés en annexe.
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