Deuil de soignants€: une souffrance à€ penser

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Deuil de soignants€: une souffrance à€ penser
Deuil de soignants : une souffrance à penser
Extrait du site de la Fondation OEuvre de la Croix Saint-Simon
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Deuil de soignants : une
souffrance à penser
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Deuil de soignants : une souffrance à penser
« Tous les accompagnants vivent un deuil et ne peuvent échapper à la nécessité du travail de deuil, ce sont les
deuils des accompagnants » M Hanus (1998)
Introduction
Mort et deuil : un rapport ambigu
Confrontés de manière récurrente à la mort des patients, les soignants souffrent (Goldenberg, E., (1998)). Ils
peuvent souffrir de la séparation, il s'agit là de la douleur du deuil. Ils peuvent également être touchés des effets de
la mort. En effet comme l'indique Freud (1917), notre rapport à la mort manque de franchise : « A nous entendre,
nous étions naturellement prêts à soutenir que la mort est l'issue nécessaire de toute vie, que chacun d'entre nous
est en dette d'une mort envers la nature et doit être préparé à payer cette dette, bref que la mort est naturelle,
inéluctable et inévitable. En réalité nous avions coutume de nous comporter comme s'il en était autrement. Nous
avons manifesté la tendance évidente à mettre la mort de côté. Nous avons tenté de la tuer par notre silence,... ne
possédons-nous pas le proverbe : on pense à cela comme à la mort ? Comme à sa propre mort bien sûr. C'est que
la mort-propre est irreprésentable et aussi souvent que nous en faisons la tentative, nous pouvons remarquer qu'à
vrai dire nous continuons à être là en tant que spectateur,... personne au fond ne croit à sa propre mort ou, ce qui
revient au même : dans l'inconscient chacun de nous est convaincu de son immortalité ».
Nombreux sont les écrits qui traitent de la souffrance des soignants.
Cette synthèse a pour objet de cerner celle spécifique au(x) deuil(s) à faire, à vivre pour des soignants qui sont
auprès de personnes qui vont mourir et/ou qui viennent de mourir.
Nous verrons qu'il peut être pertinent de penser le deuil comme général et singulier mais également comme celui de
la souffrance de la séparation et/ou comme celle de la perte d'un idéal. Il n'y a donc pas un deuil mais des deuils.
Des facteurs qui majorent la difficulté à vivre la mort d'un patient sont identifiés, pour autant le(s) deuil(s)des
soignants restent peu voire pas reconnus et acceptés. Or il y aurait des bénéfices à ne pas/plus les dénier.
Si penser le deuil des soignants devient possible comment peut-on « panser » la douleur qui l'accompagne ?
I.Le deuil, les deuils : des souffrances à penser comme fréquentes, singulières, plurielles
1.Le deuil comme tristesse liée à la séparation :
Le sentiment de tristesse lié à la séparation voire celui de la souffrance est très proportionnel à l'intensité des liens
affectifs créés lors de l'accompagnement.
Autrement dit toute mort n'entraà®ne pas ipso facto un deuil : il faut pour ce faire que l'être perdu ait de l'importance
pour celui ou ceux qui le perdent et qu'ils aient les uns et les autres des liens d'attachement serrés. L'essentiel du
deuil est bien dans l'attachement et la perte (Tripiana, J., Lei, J., (1995)). L'accompagnement de personnes en fin de
vie, a fortiori des enfants, peut engendrer un investissement affectif intense et par conséquent une grande tristesse
lors de leur mort (Lachambre, V., Marquenet, C., (2008)).
2.Le deuil des soignants : points communs et différences entre infirmiers, aides-soignants et médecins :
Le deuil est un processus que l'on considère souvent chez les familles et les amis des défunts. Mais qu'en est-il des
personnes qui y sont confrontées dans leurs professions, sans pour autant bénéficier d'un statut de proche ? Les
infirmiers, les aides-soignants, les médecins vivent-ils des deuils similaires ? Si tous les soignants sont susceptibles
d'être en deuil après le décès d'un patient, leurs fonctions, leurs soins engendrent des liens particuliers et par
conséquent des deuils à la fois comparables et différents. Pour le médecin, faire le deuil réside notamment dans la
reconnaissance de son impuissance. Sa durée et son intensité seront au prorata de l'investissement mis dans la
guérison (Herman, B., (1998)). G Lemaignan (1999) postule, elle aussi, des particularités dans la gestion des deuils
des médecins, la culpabilité pouvant être très importante vu le degré des responsabilités qui incombe à ces
professionnels. Le deuil des infirmiers et des aides-soignants pourrait être plus proche de celui de l'entourage, la
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relation affective au patient, faite de proximité, étant parfois importante (Herman, B., (1998)), (Stryckmans, C.,
(2005)).
3.Le deuil comme perte d'un idéal, celui de la guérison :
Lorsque les soins curatifs deviennent inefficaces et qu'il faut changer l'objectif des soins, l'idéal de la guérison doit
être abandonné. Ce n'est pas chose facile. C'est également un deuil (Poliart, H. ( 1998)). Cela peut être vécu comme
un échec (Lachambre, V., Marquenet, C., (2008)).
II.Qu'est ce qui peut amplifier la difficulté à « faire avec » la mort d'un patient ?
Si toutes les morts de patients n'entrainent pas une souffrance des soignants, plusieurs facteurs rentrent en jeu pour
venir parfois engendrer une réelle difficulté.
1.La première rencontre avec la mort
La première confrontation avec la mort d'un patient laisse des souvenirs importants et durables (Tripiana, J., Lei, J.,
(1995)). Sur le plan émotionnel des difficultés sont rencontrées : angoisse, impuissance, tristesse.
2.La brutalité
Un autre facteur rendant le deuil plus difficile est la brutalité du décès (Lemaignan G. (1999)). Qu'il s'agisse d'une
mort inattendue, d'une mort violente (accident de la route, etc.), d'une mort par suicide, l'absence de possibilité
d'anticipation vient bousculer plus ou moins profondément les soignants.
3.L'âge de la personne
En général, les décès de patients jeunes marquent plus. Ceci étant tout âge quel qu'il soit peut renvoyer à l'histoire
personnelle des soignants et par la même toucher plus ou moins fortement (Lemaignan G. (1999)).
4.Le sentiment d'avoir mal fait son travail : la culpabilité
La question de la compétence et de la culpabilité qui en découle est une des sources de souffrance majeure dans le
deuil. Ai-je fait tout ce qui était possible ? N'ai-je pas été inefficace à soulager la douleur là o๠d'autres l'auraient
été ? (Lemaignan G. (1999)).
5.L'identification
Se reconnaitre inconsciemment dans la personne malade et/ou dans l'un des membres de l'entourage va également
compliquer le processus de deuil (Lemaignan G. (1999)).
6.Le cumul
Etre confronté régulièrement et fréquemment à la mort est aussi repéré comme cause de souffrance psychique
(Goldenberg, E., (1998)), (Baussant M., Bercovitz A. (2008)).
III.Le deuil : encore faut-il oser y penser et en parler
Goldenberg citant Millerd parle des soignants comme des « survivants de deuils multiples » (Goldenberg, E., (1998)),
pour autant il apparait que la souffrance du deuil est peu dite par les médecins (Lemaignan G. (1999)), mais aussi
par les soignants infirmiers et/ou aides-soignants (Poliart, H. (1998)). La crainte du jugement social en général
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(Kaplan, LJ . , (2000)) : il n'est pas socialement correct d'être triste et du jugement de ses confrères et consÅ“urs en
particulier : « vais-je paraitre fragile, pas assez forte, pas assez maà®tre de mes émotions... dans un métier qui
demande contrôle de soi et maitrise » (Poliart, H.) rend difficile la possibilité d'exprimer voire de reconnaitre pour soi
cette potentielle souffrance.
IV.Les bienfaits de cette reconnaissance : diminuer l'épuisement professionnel
Pouvoir reconnaitre pour soi la souffrance du deuil aurait des bénéfices positifs non négligeables. Notamment cette
prise en compte et l'expression de ce qui est vécu, permettraient de diminuer de manière très importante
« l'épuisement professionnel » (Lachambre, V., Marquenet, C., (2008)), les pratiques et le gout du travail seraient
retrouvées et améliorées (Kaplan, LJ ., (2000)).
V.Comment peut-on « mieux » se séparer ?
Penser (à ) cette souffrance spécifique c'est se donner les moyens de la panser.
1.Avant le décès : les conditions de l'accompagnement
Selon les conditions dans lesquelles les accompagnements de fin de vie ont lieu, ils peuvent avoir des répercussions
sur la façon dont les soignants vivent la séparation et le deuil (Baussant M., Bercovitz A. (2008)), (Foulon M.,
(2000)).
- Le travail en interdisciplinarité, en binôme, le soutien des cadres de santé (Foulon M., (2000)) ainsi que celui des
collègues, le recours à des ressources internes et/ou externes susceptibles d'apporter des réponses spécifiques ou
un soutien psychologique dans les situations complexes peuvent permettre un accompagnement plus serein
(Baussant M., Bercovitz A. (2008)).
- L'organisation du service et du travail avec des espaces et des temps prévus pour parler de la mort à venir, des
soins spécifiques à faire aident à mieux vivre les situations de fin de vie et la séparation. (Baussant M., Bercovitz A.
(2008)).
- Le sentiment d'avoir été utile, d'avoir pu faire son travail correctement permet de se séparer plus facilement (Jenny,
P., (2007)).
- Enfin, même si toutes les morts ne sont pas douloureuses, l'acceptation de la mort serait facilitée par l'absence de
souffrance physique (Jenny, P., (2007)).
2.Lors du décès : les rituels
Pouvoir dire « au revoir » via des rituels apparait important. Des services de célébration ont été créés dans certains
établissements (Harpwood B., Unwin M., (2009)). De plus, la possibilité de faire la toilette mortuaire, pour les
soignants jusque là impliqués dans les soins, apparait comme un moment clef (Tripiana, J., Lei, J., (1995)). C'est
une façon de clore la relation en ayant le sentiment « d'aller jusqu'au bout » des soins. Cela permet, aussi, d'avoir un
temps pour réaliser ce qui a eu lieu : la mort de la personne ((Baussant M., Bercovitz A. (2008)).
3.Après le décès :
Pouvoir parler, de ce qui a été vécu pendant la prise en soins, lors de l'aggravation puis au moment du décès est
très aidant pour « panser » la douleur du deuil (Baussant M., Bercovitz A. (2008)), (Lemaignan G. (1999)), (Kaplan,
LJ ., (2000)).
Par ailleurs, les formations, les réflexions théoriques et éthiques aident au travail de deuil (Baussant M., Bercovitz A.
(2008)), (Lemaignan G. (1999)), (Tripiana, J., Lei, J., (1995)).
Conclusion :
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Penser que des soignants peuvent être en deuil permet à ceux-ci et à leur « hiérarchie » de panser la souffrance
qui l'accompagne. Autrement dit : penser et panser les difficultés que la mort et les deuils engendrent revient à
prendre soin des soignants. Des moyens sont d'ores et déjà mis en Å“uvre, repérés, dans certains lieux de soins :
travail en équipe et en interdisciplinarité, temps pour parler de la mort à venir et de celle qui est advenue, possibilité
de se former, etc. Peut être y en aurait-il d'autres à inventer ?
Marielle Maubon, psychologue clinicienne
CDRN FXB, Centre De Ressources National soins palliatifs François-Xavier-Bagnoud
HAD CSS, Hospitalisation A Domicile Croix-Saint-Simon
Avril 2011
Références bibliographiques
1)Baussant M., Bercovitz, A., (2008), Accompagner le deuil : des repères pour les soignants.
2)Foulon M., (2000) Le cadre face aux rites de passages des soignants. Recherche en soins infirmiers, 63,
52-72.
3)Freud S., (1917) Deuil et mélancolie, OEuvres complètes, tome XIII, PUF, Paris, 1998.
4)Goldenberg, E., (1998), Comment aider des soignants en souffrance ? Soins infirmiers, 5, p. 11-15.
5)Hanus, M., (1998), Les deuils des accompagnants, Congrès de Vivre son deuil, 28p.
6)Harpwood B., Unwin M., (2009), End of life care, 3, 2, p. 52-55.
7)Herman, B., (1998), Les deuils des accompagnants, Congrès de Vivre son deuil, p13-15.
8)Jenny, P., (2007) La gestion du deuil des soignants confrontés quotidiennement à la mort : recherche
dans une unité de soins palliatifs, Info Kara revue francophone de soins palliatifs, 22, 1, p3-11.
9)Kaplan, LJ ., (2000) Toward a model caregiver grief : nurses' experiences of treating dying children,
Omega : journal of death and dying, 41,3, p.187-206.
10)La chambre, V., Marquenet, C., (2008), Le travail de deuil du soignant en oncologie pédiatrique, 50p.
11)Lemaignan G. (1999), Le deuil des médecins. Etudes sur la mort thanatologie, 116, p. 33-49.
12)Poliart, H. (1998), Le deuil des soignants, Ethica Clinica, 9, p. 29-30.
13)Stryckmans, C., (2005), Quand les parents et les soignants pleurent ensemble le décès d'un enfant, Ethica
Clinica, 38, p. 7-9.
14)Tripiana, J., Lei, J., (1995) , Les soignants face à la mort, Soins infirmiers, 6, p. 8-14.
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