Untitled - Innamoramento.net

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Sy lv i e l a n c r e n o n
Mylene farmer
Mylene Farmer
« Fragile »
pAr Sylvie Lancrenon
Par David Ramasseul
R
En chorégraphe de l’image, Sylvie Lancrenon fait
danser ses portraits. En sculptrice, elle magnifie les
corps et les visages, parvient à révéler les vérités cachées derrière les apparences. On se souvient de la
photo d’Emmanuelle Béart, Vénus nue et altière en couverture de Elle, de ses images d’Isabelle Huppert, toujours
sublime devant l’objectif de cette photographe à la fois
profonde et spontanée. Cette fois, c’est l’idole la plus secrète qui soit qu’elle entend dévoiler : Mylène Farmer n’est
pas de ces stars qui se laissent approcher aisément. Il a fal-
lu toute la patience et l’intelligence de Sylvie Lancrenon
pour parvenir à l’attirer sans contrainte dans son propre
univers à travers un livre somptueux et une exposition
magnifique, sa première, à la galerie Acte II, du 5 juin au
31 juillet 2015. Mylène Farmer y apparaît comme on ne
l’a jamais vue, en égérie « fragile » et farouche, parée de
voile, de lumière et d’argile sous l’objectif tendre et admiratif de Sylvie Lancrenon. Natalie Engelstein, à l'origine de
la rencontre, revient avec Sylvie Lancrenon sur cette prise
de vue exceptionnelle avec la star aux milliers de fans.
Mylene
se joue des
clichés
Par Aline Souliers
Mylène nous chante droit dans
les yeux des vérités singulières et
des inquiétudes qui ensorcellent.
Des mots d’amour conquérants
et des ambages qui disent autre
chose. Miracles de délicatesses
qui nous bousculent ; elle nous
connaît si bien. On la regarde
aussi. Presqu’autant qu’on l’écoute.
Comment ne pas être séduit par
ce prodige aux allures de page ?
Tantôt reine ou magicienne,
déesse corsetée de mains de
plusieurs maîtres, enveloppée de
velours, de dentelle ou d’organza,
le corps qui bouge ou qui danse.
Toujours en mouvement. Niant
les entraves. Le corps de Mylène.
Beau vivant. Animal sensuel. À la
motilité multiple. Curieusement
végétal aussi. Une liane caressante
qui peut vous enlacer n’importe
quand, vous attrapant le cœur
avec ses mots uniques et vous
laisser pantois. Une ancolie des
jardins aux cheveux cornaline.
Sirène et muse. Une fée des
temps nouveaux magistralement
séduisante. Des fleurs elle a la
beauté simple et radieuse. Mylène
est troublante parce qu’elle ne sait
pas qu’elle l’est. Elle s’éloigne de la
complaisance comme elle se méfie
des grâces cérémoniales et des
complimenteurs. Et plus encore
lorsqu’il s’agit de son image. Car
l’image peut être un leurre et de
la sienne elle ne dit rien. Elle ne
vend pas son corps au diable. Elle
préfère raconter d’autres histoires
avec lui, s’amuser avec ce que l’on
croit savoir d’elle, se jouer des
clichés dans les deux sens du terme,
distancer sa courageuse pudeur
comme celle des nymphes se
cachant derrière l’écorce des arbres
fiers, pour montrer peut-être un
peu d’elle dans des photographies
qui enchantent. Mylène en photos.
Multiple Mylène. Il y a parfois
de l’étourdissement à la voir
s’abandonner en couleurs ou en
d’autres nuances spectrales. De
la magie souvent. De la sincérité
toujours. La beauté majestueuse et
sa fragilité bouleversante en plus.
Aline Souliers est agent d'artistes
et auteure du roman Tellement belles
publié aux éditions Calmann-Lévy.
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Conversation
Sylvie lancrenon
Photo N°325,
novembre 1995.
Natalie Engelstein, à l'origine de Fragile, évoque avec la photographe
cette séance de prise de vue mémorable avec Mylène.
Natalie Engelstein :
Je retrouve Sylvie à la terrasse d’un café
parisien. Elle se souvient de la genèse du
projet Fragile. C’est en sortant du concert
Timeless que tu as formulé ton désir de photographier Mylène…
Sylvie Lancrenon. Oui. L’artiste que j’ai vue sur
scène m’a impressionnée et ce spectacle m’a
donné envie de la découvrir autrement, de capter
en elle l’invisible… Tu as saisi au vol mon désir et
tu as eu l’idée de provoquer cette rencontre.
Vous avez en commun ce mélange de force
et de fragilité, et j’ai senti que Mylène allait
pouvoir, en confiance, se livrer à toi.
Je me souviens de notre premier rendez-vous.
Je suis timide et elle aussi. Nos échanges étaient
ponctués de silences. J’ai été troublée par son
intelligence et sa douceur. Comme tu le sais, la
peau c’est mon obsession et la peau de Mylène
est transparente comme de la porcelaine. J’ai
photographié beaucoup d’actrices dans ma
carrière, peu ont une carnation comme la sienne.
Isabelle Huppert a elle aussi ce teint à la fois diaphane et lumineux. Elle n’était pas maquillée et
son visage m’a inspirée, a confirmé mon désir de
la photographier sans artifice. Le défi était lancé !
Il me fallait être à la hauteur de mon modèle.
Dès le lendemain, on s’est mises au travail !
Il fallait proposer à Mylène une histoire forte à
raconter et l’imaginer dans un décor. Tu m’as aidée, grâce à ta formation d’assistante réalisatrice
dans le cinéma, à concevoir cette séance comme
une préparation de film.
Oui, je t’ai abreuvé de repérages de hangars,
de piscines, de friches industrielles pour
finalement aboutir dans un studio parisien !
Oui, car ce sont ces décors qui m’ont ramenée
à une proposition plus intimiste, voire minimaliste. Quant au stylisme, c’est une robe comme
celle que portent les danseuses de Pina Bausch,
qui s’est imposée, comme une seconde peau.
Tu voyais Mylène comme une danseuse ?
Sa manière de bouger sur scène m’avait marquée.
Sa façon de se mouvoir m’a servi de base à mon
histoire : cette séance c’est l’histoire d’un corps !
Comment as-tu eu l’idée de mélanger ce
corps à l’argile et au talc ?
L’argile, c’est Mylène. Lors de notre deuxième
rendez-vous, elle m’a évoqué le plaisir qu’elle
avait de toucher cette matière, j’ai ensuite décliné
cette idée avec le talc et le voile.
Chaque phase de création a été partagé avec
Mylène, le choix du décor, de la robe, des
matières… Travailles-tu souvent de cette ma-
l’impression de l’avoir filmée avec une
caméra plus que de l’avoir photographiée
avec un appareil.
Oui, car je n’ai pas utilisé de pied. Mon Nikon
ne m’a pas quitté des mains ! Comme au cinéma
quand on tourne caméra à l’épaule. Quand
Mylène était derrière le voile, j’ai senti que ce
qui se passait devant mon objectif était très fort,
alors j’ai viré l’autofocus de mon appareil et je
suis restée en focus manuel jusqu’à la fin.
Sylvie Lancrenon et Natalie Engelstein avec le premier
tirage de l'exposition. Photo : Mylène Farmer
nière avec les artistes que tu photographies ?
Non, c’est la première fois mais tu sais, Mylène
est une véritable artiste et son regard est si juste.
Il me correspond, fait écho à ma sensibilité.
Quel souvenirs gardes-tu de cette séance
avec Mylène ?
Le challenge… Il était de taille, je devais en une
après-midi raconter une histoire qui deviendrait
la nôtre. Je me souviens de son arrivée. Mylène
entre sur le plateau. J’ai la vision d’une femme
aérienne, volontaire ! Tu sais, je sens immédiatement quand la personne que je photographie est
avec moi ! Il faut que ça colle entre nous deux !
Il faut que Mylène se sente bien.
Nous avons construit une loge de fortune sur
le plateau pour que Mylène soit proche de
du décor.
Oui, et j’ai eu envie de la photographier comme
une petite souris, pendant qu’elle se préparait.
J’avais besoin de l’approcher tel un animal que
l’on observe avant de l’apprivoiser !
Nous avons choisi des personnes qui travaillent aussi sur des films. Que ce soit John
Nollet (chef coiffeur) , Carole Lasnier (chef
maquilleuse) ou Michel Amathieu (chef op),
Jean-Hugues de Chatillon (chef déco), tous
connaissent la concentration extrême que
nécessitent les plateaux de cinéma.
Je ressentais que vous étiez tous à l’écoute de la
séance, dans une telle discrétion.
Je pense que Mylène a aussi ressenti cette
bienveillance qui régnait sur le plateau…
Ce qui m’a marqué c’est de découvrir Mylène si
généreuse devant mon objectif. Nous avons
travaillé de 12 heures à 18 heures sans nous
arrêter ; elle s’est abandonnée totalement. Avant
d’entamer notre séance, j’avais trois souhaits en
tant que photographe : capturer son grain de
peau au naturel, ressentir son corps et la photographier au plus près. Mes souhaits se sont réalisés… J’ai vécu cette séance comme un cadeau.
Pourquoi ?
J’ai fait mon point à la main pour être encore plus
dans l’intimité avec Mylène. Là il y a une magie,
qui arrive plus fort que lorsque le point
se fait de manière automatique. L’autofocus, c’est
une forme de sécurité.
Tu avais peut-être envie d’accompagner, à ta
manière, Mylène dans cette mise en danger
qu’a été cette séance ? Finalement, tu as
retrouvé aussi cette technique de mise au
point utilisé lors de ton premier job car tu as
démarré ta carrière comme photographe de
plateau. Je me souviens du moment où tu as
présenté la sélection de photos à Mylène…
J’appréhendais un peu son regard même si,
paradoxalement, je pressentais qu’elle allait
aimer le résultat. Nous nous sommes arrêtées sur
les mêmes photos et avons sélectionné tant de
clichés que l’idée d’en faire un livre est apparue
comme une évidence !
Mylène Farmer est la muse de ta première
exposition. Qu’est-ce qui t’a incité à franchir
le pas ?
Une photo, une seule, a servi de déclic : une
page dans le livre où Mylène est étendue sur une
bâche vu d’en haut… J’ai eu un coup de foudre
pour ce cliché ce qui m’a donné envie de le voir
en très grand tirage.
Il y a beaucoup de gros plans de ses mains, de
ses hanches, de ces pieds… au point même
que certaines photos semblent presque
abstraites…
C’est une exposition centrée certes sur Mylène
mais sur certains clichés on ne voit pas son
visage : c’est comme une sculpture. Elle reprend
les grands thèmes du livre.
Tu m’as dit à la fin de cette séance avoir eu
MYLENE FARMER
S Y L V I E
LE LIVRE
Fragile, 90 photos de Sylvie
Lancrenon, textes de
chansons, éditions Anne
Carrière, 45 €.
L'EXPOSITION
du 5 juin au 31 juillet.
Acte2galerie / la galerie d’en
face, 7, rue Pierre-Louis
Courier, Paris 7e.
www.acte2galerie.com
BY
L A N C R E N O N
041 PH OTO

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