fauré, hahn, bachelet, strauss, tosti, cimara

Transcription

fauré, hahn, bachelet, strauss, tosti, cimara
Fauré, Hahn, Bachelet, Strauss, Tosti, cimara,
Toscanini, respighi, tirendelli, zandonai
Gabriel Fauré
Paolo Tosti
Cinq mélodies de Venise
l
(1845 - 1924)
l
l
l
l
l
Mandoline
En Sourdine
Green
A Clymène
C’est l’extase langoureuse
Reynaldo Hahn
(1874 - 1947)
l
l
l
l
l
Tyndaris
Phyllis
Fumée
L’énamourée
Le printemps
Alfred Bachelet
(1864 - 1944)
l
Chère nuit
Entracte
Richard Strauss
(1864 - 1949)
l
l
l
Einerlei
Morgen
Zueignung
(1846 - 1916)
l
l
l
l
My memories
Love me !
Summer
Once More !
Love’s Way
Pietro Cimara
(1887 - 1967)
l
Scherzo Ballade
Ottorino Respighi
(1879 - 1936)
l
Nebbie
Arturo Toscanini
(1867 - 1957)
l
Nevrosi
PierAdolfo Tirendelli
(1858 - 1937)
l
Amor, Amor !
Riccardo Zandonai
(1883 - 1944)
l
« Paolo, date mi pace ! »
Anna Caterina Antonacci, soprano
Donald Sulzen, piano
Dimanche 18 janvier 2009 à 16h
1
Gabriel Fauré (1845-1924)
Cinq mélodies de Venise
Textes de Paul Verlaine (1844-1896)
Dédiés à la princesse de Polignac
Mandoline
Fêtes Galantes
Les donneurs de sérénades
Et les belles écouteuses
Echangent des propos fades
Sous les ramures chanteuses.
C’est Tircis et c’est Aminte,
Et c’est l’éternel Clitandre,
Et c’est Damis qui pour mainte
Cruelle fit maint vers tendre.
Leurs courtes vestes de soie,
Leurs longues robes à queue,
Leur élégance, leur joie
Et leurs molles ombres bleues,
Tourbillonnent dans l’extase
D’une lune rose et grise,
Et la mandoline jase
Parmi les frissons de brise.
En sourdine
Fêtes Galantes
Calmes dans le demi-jour
Que les branches hautes font,
Pénétrons bien notre amour
De ce silence profond.
Mêlons nos âmes, nos cœurs
Et nos sens extasiés,
Parmi les vagues langueurs
Des pins et des arbousiers.
Ferme tes yeux à demi,
Croise tes bras sur ton sein,
Et de ton cœur endormi
Chasse à jamais tout dessein.
2
Laissons-nous persuader
Au souffle berceur et doux
Qui vient, à tes pieds, rider
Les ondes des gazons roux.
Et quand, solennel, le soir
Des chênes noirs tombera
Voix de notre désespoir,
Le rossignol chantera.
Green
Romances sans Paroles
Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches
Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous.
Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches
Et qu’à vos yeux si beaux l’humble présent soit doux.
J’arrive tout couvert encore de rosée
Que le vent du matin vient glacer à mon front.
Souffrez que ma fatigue à vos pieds reposée
Rêve des chers instants qui la délasseront.
Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête
Toute sonore encor de vos derniers baisers ;
Laissez-la s’apaiser de la bonne tempête,
Et que je dorme un peu puisque vous reposez.
A Clymène
Fêtes Galantes
Mystiques barcarolles,
Romances sans paroles,
Chère, puisque tes yeux,
Couleur des cieux,
Puisque ta voix, étrange
Vision qui dérange
Et trouble l’horizon
De ma raison,
Puisque l’arôme insigne
De ta pâleur de cygne,
3
Et puisque la candeur
De ton odeur,
Ah ! Puisque tout ton être,
Musique qui pénètre,
Nimbes d’anges défunts,
Tons et parfums,
A, sur d’almes cadences,
En ses correspondances
Induit mon cœur subtil,
Ainsi soit-il !
C’est l’extase langoureuse
Romances sans paroles
C’est l’extase langoureuse,
C’est la fatigue amoureuse,
C’est tous les frissons des bois
Parmi l’étreinte des brises,
C’est vers les ramures grises
Le chœur des petites voix.
O le frêle et frais murmure !
Cela gazouille et sussurre,
Cela ressemble au bruit doux
Que l’herbe agitée expire...
Tu dirais sous l’eau qui vire,
Le roulis sourd des cailloux.
Cette âme qui se lamente
Et cette plainte dormante
C’est la nôtre, n’est-ce pas ?
La mienne, dis, et la tienne,
Dont s’exhale l’humble antienne
Par ce tiède soir, tout bas ?
4
Reynaldo Hahn (1874-1947)
Tyndaris
Poèmes Antiques , « Etudes Latines »
Texte de Charles-Marie-René Leconte De Lisle (1818-1894)
O blanche Tyndaris, les Dieux me sont amis :
Ils aiment les Muses Latines ;
Et l’aneth et le myrte et le thym des collines
Croissent aux prés qu’ils m’ont soumis.
Viens ! Mes ramiers chéris, aux voluptés plaintives
Ici se plaisent à gémir ;
Et sous l’épais feuillage il est doux de dormir
Au bruit des sources fugitives.
Phyllis
Poèmes Antiques, « Etudes Latines »
Texte de Charles-Marie-René Leconte de Lisle
Depuis neuf ans et plus dans l’amphore scellé
Mon vin des coteaux d’Albe a lentement mûri ;
Il faut ceindre d’acanthe et de myrte fleuri,
Phyllis, ta tresse déroulée.
L’anis brûle à l’autel, et d’un pied diligent
Tous viennent couronnés de verveine pieuse ;
Et mon humble maison étincelle, joyeuse
Aux reflets des coupes d’argent.
O Phyllis, c’est le jour de Vénus, et je t’aime !
Entends-moi ! Téléphus brûle et soupire ailleurs ;
Il t’oublie, et je t’aime, et nos jours les meilleurs
Vont rentrer dans la nuit suprême.
C’est toi qui fleuriras en mes derniers beaux jours:
Je ne changerai plus, voici la saison mûre.
Chante ! Les vers sont doux quand ta voix les murmure,
O belle fin de mes amours.
5
Fumée
Texte de Jean Moréas (1856-1910)
Le printemps
Texte de Théodore Faullin de Banville (1823-1891)
Compagne de l’éther, indolente fumée,
Je te ressemble un peu....
Ta vie est d’un instant, la mienne est consumée ;
Mais nous sortons du feu.
L’homme pour subsister, en recueillant la cendre,
Qu’il use ses genoux,
Sans plus nous soucier et sans jamais descendre,
Evanouissons-nous !
Te voilà, rire du Printemps !
Les thyrses des lilas fleurissent.
Les amantes, qui te chérissent
Délivrent leurs cheveux flottants.
L’énamourée
Texte de Théodore Faullin de Banville (1823-1891)
Ils se disent, ma colombe,
Que tu rêves, morte encore,
Sous la pierre d’une tombe :
Mais pour l’âme qui t’adore,
Tu t’éveilles ranimée,
O pensive bien-aimée !
Par les blanches nuits d’étoiles,
Dans la brise qui murmure,
Je caresse tes longs voiles,
Ta mouvante chevelure,
Et tes ailes demi-closes
Qui voltigent sur les roses.
O délices ! Je respire
Tes divines tresses blondes ;
Ta voix pure, cette lyre,
Suit la vague sur les ondes,
Et, suave, les effleure,
Comme un cygne qui pleure !
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Sous les rayons d’or éclatants
Les anciens lierres se flétrissent.
Te voilà, rire du Printemps !
Les thyrses des lilas fleurissent.
Couchons-nous au bord des étangs,
Que nos maux amers se guérissent !
Mille espoirs fabuleux nourrissent
Nos cœurs émus et palpitants.
Te voilà, rire du Printemps !
Alfred Bachelet (1864-1944)
Chère nuit
Texte de Eugène Adenis (1854-1901)
Voici l’heure bientôt. Derrière la colline
Je vois le soleil qui décline
Et cache ses rayons jaloux....
J’entends chanter l’âme des choses
Et les narcisses et les roses
M’apportent des parfums plus doux !
Chère nuit aux clartés sereines,
Toi qui ramènes le tendre amant,
Ah ! Descends et voile la terre
De ton mystère calme et charmant
Mon bonheur renaît sous ton aile
O nuit plus belle que les beaux jours :
Ah ! Lève-toi pour faire encore
Briller l’aurore de mes amours.
7
Richard Strauss (1864-1949)
Einerlei
Texte de Achim von Arnim
(1781-1831)
Uniformité
Ihr Mund ist stets derselbe,
Sein Kuß mir immer neu,
Ihr Auge noch dasselbe,
Sein freier Blick mir treu ;
O du liebes Einerlei,
Wie wird aus dir so mancherlei !
Sa bouche est toujours la même,
Son baiser m’est toujours nouveau,
Ses yeux sont toujours les mêmes
Son regard franc m’est fidèle ;
O chère Uniformité,
En toi quelle diversité !
Morgen
Texte de John Henry Mackay (1864-1933)
Demain
Und morgen wird die Sonne wieder scheinen,
Und auf dem Wege, den ich gehen werde,
Wird uns, die glücklichen, sie wieder einen
Inmitten dieser sonnenatmenden Erde...
Demain, le soleil se lèvera de nouveau,
Et sur le chemin que je suivrai,
Il saura nous réunir, bienheureux,
Sur cette terre qui respire le soleil....
Und zu dem Strand, dem weiten, wogenblauen,
Werden wir still und langsam niedersteigen,
Stumm werden wir uns in die Augen schauen,
Und auf uns sinkt des Glückes stummes Schweigen.
Et sur la plage, bordée de flots bleus,
Nous descendrons en silence, à pas lents,
Muets, nous nous regarderons dans les yeux,
Et sur nous fondra le silence tranquille de la joie.
Zueignung
Texte de Hermann von Glim zu Rosenegg (1812-1864)
Dédicace
Ja, du weißt es, teure Seele,
Daß ich fern von dir mich quäle,
Liebe macht die Herzen krank,
Habe Dank.
Oui, tu le sais, chère âme,
Que loin de toi, je me tourmente.
L’amour rend les coeurs malades,
Sois remerciée.
Einst hielt ich, der Freiheit Zecher,
Hoch den Amethysten-Becher,
Und du segnetest den Trank,
Habe Dank.
Jadis, assoiffé de liberté,
Je levai haut le gobelet d‘améthyste,
Et tu as béni le breuvage,
Sois remerciée.
Und beschworst darin die Bösen,
Bis ich, was ich nie gewesen,
Heilig, heilig an‘s Herz dir sank,
Habe Dank.
Et tu as écarté les mauvais esprits
Jusqu‘à ce que -je ne l‘avais jamais faitJe repose saintement sur ton cœur,
Sois remerciée.
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Paolo Tosti (846-1916)
My memories
Texte de Clifton Bingham (1859-1913)
Mes souvenirs
There is not of all your songs of you,
That does not speak to me of you once more ;
There is no place we two have ever seen,
That does not whisper of the might have been ;
There is no path of all that once we knew,
That does not hold some memories of you ;
Still, though they call the wild tears to mine eyes,
I would not yield them for a Paradise.
Il n’est pas une de tes chansons
Qui ne me parle encore de toi ;
Pas un seul lieu que nous ayons vu tous deux
Qui ne chuchote la force de ce qui eût pu être :
Pas de sentier autrefois connu de nous
Qui ne contienne quelque souvenir de toi ;
Même s’ils appellent à mes yeux de cruelles larmes
Je ne les donnerais pas pour un Paradis.
There is no hand clasp that you ever gave,
That does not live, though love be in its grave ;
There is no vow of all you ever made,
That does not haunt me, and will not be laid !
There is not one of all our parting tears,
That has not stayed with me for all these years ;
Memories only -stars in life’s grey skiesI would not yield them for a Paradise.
Pas une étreinte que tu n’aies donnée,
Qui ne vive, bien que l’amour soit au tombeau ;
Pas un serment que tu n’aies fait,
Qui ne me hante, et ne pourra se rompre !
Pas une seule de nos larmes d’adieu,
Qui ne soit restée en moi, toutes ces années ;
Les souvenirs mêmes -étoiles dans le ciel gris d’une vieJe ne les donnerais pas pour un Paradis.
Love me !
Texte de Githa Sowerby (1876-1970)
Aime-moi !
Love me for the day of days
When your eyes first saw me
In the happy morning time
With the world before thee.
Aime-moi pour ce grand jour
Quand tes yeux me virent pour la première fois
Dans ce matin heureux
Avec le monde devant eux.
Love me, for the golden dream
Not for the mortal living
For the little world that grieved
And the sweet forgiving.
Aime-moi pour ce rêve doré
Non pour cette vie mortelle
Pour le petit mot blessant
Et pour la douceur de l’oubli.
Love me for the empty room
That I leave behind me
Love for the face that’s gone
And the tears that blind thee
Aime-moi pour cette chambre vide
Que je laisse derrière moi ;
L’amour de ce beau visage disparu
Et les pleurs qui le voilent.
Love me for the years we knew
The sadness and the laughter
Love me with the broken heart
And the silence after.
Aime-moi pour ces années où nous avons connu
La tristesse et les rires
Aime-moi pour ce cœur brisé
Et le silence après.
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Summer
Texte de Malcolm C. Salaman (1855-1940)
Eté
Sweetheart, today the summer’s here ;
She smiles her way along the ground,
And sings her songs above ;
She wakes the passion of the year,
Her sunny hair is all unbound,
She’s calling us to love.
Ma bien-aimée, c’est aujourd’hui la saison d’été !
Elle sourit à sa guise le long du chemin,
Et y chante ses chansons ;
Elle éveille à la passion annuelle,
Sa chevelure ensoleillée est dénouée ,
Elle nous appelle à l’amour.
The sun is over hill and sea,
The quiet shadows red between,
And God is over all ;
Now summer calls to you and me
To love while yet the year is green,
Before the roses fall.
Le soleil surplombe la colline et la mer,
La tranquille ombre rouge entre les deux,
Et Dieu est au-dessus de tout ;
Maintenant, l’été nous appelle toi et moi
A aimer, pendant que l’an est encore vert,
Et avant que les roses ne tombent.
Once More !....
Texte de Githa Sowerby (1876-1970)
Encore une fois !.....
Twas summer-time when first you came,
And all the woods were ringing,
We thought the birds would never die
Nor weary of their singing Once more the happy morning shines
And sets the river gleaming On earth and skies sweet summer lies
And all the world goes dreaming.
C’était l’été quand tu vins pour la première fois,
Tous les bois résonnaient,
Nous croyions les oiseaux immortels,
Jamais lassés de leur chant Une fois de plus, un joyeux matin resplendit
Et la rivière se lève, éclatante Sur la terre et les cieux, un doux été s’étend
Et l’univers entier s’en va, rêvant.
For one day more I hold you still,
While time and youth are fleeting,
And once again, for joy or pain,
Your heart on mine is beating Remember me, when all is past,
In mem’ry’s winter weather Ah, come what way, one golden day
We’ll live and love together !
Je t’étreins pour un jour encore,
Alors que s’enfuient le temps et la jeunesse,
Et une fois encore, pour la joie ou pour la peine,
Ton coeur bat contre le mien Souviens-toi de moi, quand tout sera passé,
Dans les hivers de la mémoire Ah, viens : un jour doré
Nous verra vivre ensemble et nous aimer !
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Love’s Way
Texte de Ethel Clifford (?-1959)
Le chemin de l’amour
A little narrow pathway through the wood
There is, for one alone too wide ;
And yet so strait that only those who love
Are not too close who tread it side by side.
Il est un tout petit sentier à travers bois,
Trop large pour un solitaire ;
Et pourtant si étroit que seuls les amoureux
N’y sont pas trop serrés, cheminant côte à côte.
The way is very quiet in the wood ;
There is no sound of wind or song of bird
It is so still that only those who love
Dare break its silence with a spoken word.
Dans ce bois, le chemin est très tranquille ;
Ni bruit de vent, ni chant d’oiseau.
Il est si calme que seuls les amoureux,
En prononçant un mot, osent briser son silence.
There seems a constant twilight in the wood :
None ever goes there in the sun of noon,
But always in the dusk, when those who love
Look out between the stems and see the moon.
Le bois semble baigné d’un constant crépuscule :
Personne n’y vient jamais au soleil de midi,
Mais toujours à la brune, lorsque les amoureux
Regardent au travers des branches et voient la lune.
It is as though some magic holds the wood
And silences the birds and stills the bees.
None other walks there, only those who love
Go hand in hand beneath the watching trees.
C’est comme si une magie s’emparait du bois,
Faisant taire les oiseaux, arrêtant les abeilles.
Personne d’autre ne marche ici ; seuls ceux qui s’aiment
Vont, main dans la main, sous le regard des arbres.
Pietro Cimara (1887-1967)
Scherzo Ballade
Texte De Carlo Zangarini (1874-1943)
Scherzo Ballade
Una notte, al davanzale,
Ero sola, o pur non ero ?
Ben mi parve un soffio d’ale
Che giungesse dal sentiero
Chi la guancia mi sfiorò ?
Se fu un bacio io non lo so.
Fu la tenda, è ver, rammento,
Che la guancia mi percosse :
La carezza fu del vento,
Pur vorrei che non lo fosse...
Più ci penso e più rammento
Che fu un bacio e non il vento.
Une nuit, à la fenêtre,
Etais-je seule, ou pas ?
Le souffle d’une aile, surgissant
Du sentier, me parvint.
Qui m’effleura la joue ?
Si ce fut un baiser : je ne sais….
Ce ne fut, en vérité, que le rideau -il m’en souvientQui me toucha la joue.
La caresse était celle du vent,
Mais j’aurais voulu qu’il en fût autrement…
Plus j’y pense et plus cela me revient :
C’était un baiser et non le vent.
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Ottorino Respighi (1879-1936)
Nebbie
Texte de Ada Negri (1870-1945)
Brumes
Soffro, lontan lontano
Le nebbie sonnolente
Salgono dal tacente
Piano.
Je m’afflige, loin, très loin
Les brumes somnolentes
S’élèvent silencieusement
De la plaine.
Alto gracchiando, i corvi,
Fidati all’ali nere,
Traversan le brughiere
Torvi.
Très haut, croassant, les corbeaux,
Glissent sur leurs ailes noires
Et survolent les landes
Inexorablement.
Dell’aere ai morsi crudi
Gli addolorati tronchi
Offron, pregando, i brochi nudi.
Come ho freddo !
Son sola ;
Pel grigio ciel sospinto
Un gemito destinto
Vola ;
Les troncs endoloris
Offrent aux vents cinglants
Leurs branches dénudées.
Comme j’ai froid !
Je suis seule ;
Chassée à travers le ciel gris
Une plainte mouvante
Prend son envol ;
E mi ripete : Vieni ;
E buia la vallata.
O triste, o disamata
Vieni ! Vieni !
Et me répète : « Viens »,
La vallée est sombre
O solitaire, o mal-aimée :
Viens ! Viens !
Arturo Toscanini (1867-1957)
Nevrosi
Texte anonyme
Névrose
Cos’e’ questa melanconia che mi tormenta
E che mi opprime ogn’or,
Cos’e’ questa mestizia mia,
Questa nube di pianto e di dolor.
Ah, stringer ti vorrei sull petto ardente
Nell’impeto piu’folle del desir.
Vorrei baciarti il crine
Avidamente e poi morir,
Quelle mélancolie qui me tourmente
Et qui toujours m’oppresse !
Quelle est ma tristesse,
Cette nébuleuse de pleurs et de souffrance !
Que je voudrais te serrer contre mon cœur brûlant
Dans le plus fol enthousiasme du désir !
Je voudrais baiser tes cheveux
Passionnément et puis mourir !
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E piango e rido e nel tumulto strano
Raggio di pace non risplende a me
Come sospinto di poter arcano
Fugge l’anima mia cercando te
Stringerti vorrei sul petto ardente
Nell’impeto piu’folle del desir
Vorrei baciarti il crine
Avidamamente e poi morir.
Et je pleure et je ris, -étrange tourbillonUn rayon de paix ne m’irradie pas ;
Et je suis poussé par un mystérieux pouvoir.
En te cherchant, mon âme fuit.
Te serrer contre mon cœur brûlant, je le voudrais,
Enthousiasme fou du désir ;
Baiser tes cheveux, je le voudrais Passionnément ; et puis mourir !
PierAdolfo Tirendelli (1858-1937)
Amor, Amor !
« Canto dAprile » in Fatalità, 1892
Traduction de Mélanie Marnas Melle,
Texte de Ada Negri (1870-1945)
1896, BmL 339766
Oh, amour !
Oh Amore, amor ! Tutto
Ti sento palpitar nel sole,
Nei soffi larghi e liberi dei venti,
Nel mite alezzo trepidante e puro
Del prime viole.
Come fluido vital, caldo e feroce,
Vivi e trascorri nei nascenti steli,
Con le allodale canti,
Angelo audace, fra mille atomi d’or voli
E cospargi di luce i mondi e i cieli.
Amore, oh Amor, Tutto
Ti sento nell’esultanza
De l’april risorto.
Dai profumi a le rose ed ali al vento,
Capri la terra di raggi e di baci.
Ma nel mio cor, sei morto !
O amour, amour, Je te sens
Palpiter divinement dans le soleil,
Dans les souffles larges et libres,
Dans le doux parfum, vivant et pur
Des premières violettes.
Comme un fluide vital, chaud et fécond
Tu vis et tu circules dans les tiges naissantes
Tu chantes avec les alouettes
Ange audacieux, tu voles parmi les atomes
D’or et tu inondes de clarté les mondes et les cieux.
O amour, amour ! Je te sens tout entier
Dans la joie enivrante
D’avril ressuscité.
Tu donnes des parfums aux roses et des ailes au vent,
Tu couvres la terre de rayons et de baisers,
Mais dans mon cœur, tu es mort !
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Riccardo Zandonai (1883-1944)
« Paolo, date mi pace ! »
Tiré de de Francesca da Rimini, (1914), acte III,
Tito Ricordo (1865-1933)
« Paolo, donnez-moi la paix ! »
Paolo, date mi pace !
E’dolce cosa vivere obliando
Almeno un’ora, fuor della tempesta
Che ci affatica.
Non richiamate, prego,
L’ombra del tempo in questa fresca luce
Che alfine mi disseta.
Pace in questo mare
Che tanta era selvaggio
Ieri e oggi è come la perla.
Date, date mi pace !
Paolo, donnez-moi la paix !
Qu’il est doux de vivre en oubliant
Un moment au moins, hors de la tempête
Ce qui nous éprouve.
Ne me rappelez pas, je vous prie,
L’ombre du temps dans cette froide lumière
Qui enfin me satisfait.
La paix, en cette mer
Si sauvage encore hier,
Et qui aujourd‘hui semble une perle.
Donnez-moi la paix !
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echos de la belle époque
Introduction
La Belle Epoque.... Les deux termes n’évoquent-ils pas, juxtaposés l’un à
l’autre, une sorte de nostalgie contenue ? L’appellation même de « Belle
Epoque », née au lendemain de la Grande Guerre pour désigner la période
qui a précédé ce premier conflit mondial, se fait l’écho d’un regret profond :
celui d’une période faste faite d’insouciance et aussi de progrès culturels,
économiques, industriels, qui semblaient faciliter l’existence et donner foi
en l’avenir. Il y a dans cette expression la nostalgie d’un temps qui n’est plus
et que la guerre a rasé de façon cruelle et durable mais dont le parfum de
bonheur innocent et de raffinement flotte encore.
Il semble a priori difficile de préciser ou de synthétiser ce que serait
réellement l’art musical de la période qu’on nomme ici Belle Epoque. Il
n’y a pas un « style Belle Epoque » bien défini mais des courants, des
manières d’écrire à un moment donné de l’Histoire : ce moment-ci offre
aux compositeurs la riche liberté de s’inscrire dans l’élan du progrès et des
recherches formelles tout en ayant la possibilité d’interroger aussi, comme
on l’a fait depuis la seconde partie du XVIIIe siècle et notamment dans l’art
bourgeois, des époques et des traditions passées.
A un moment où triomphe le wagnérisme en France, où l’opéra vériste
avec Leoncavallo est à la mode en Italie, le genre de la mélodie et du
lied apparaît comme une alternative à l’opéra : il exprime tout à la fois
ce besoin de renouer avec un passé artistique (aussi bien littéraire que
pictural et musical) ou « historique », mais aussi l’avancée dans les
recherches formelles, harmoniques et expressives. Sa forme ramassée en
fait un concentré d’expression et de lyrisme. Il y a un tour aphoristique
dans ce genre : tout dire, de la manière la plus expressive et dans un temps
d’exécution très court. On est loin ici de la représentation d’opéra.... C’est
cette union du mot et du son à un moment précis de l’Histoire qui fait dire
à Vladimir Jankélévitch dans les premières lignes de son ouvrage Fauré et
ses mélodies :
« Il y a dans l’histoire de l’art des périodes émouvantes où l’on voit la poésie
et la musique fraterniser l’une avec l’autre comme par l’effet d’ une soudaine
conspiration [....] les poètes semblent écrire pour les musiciens, les musiques,
de leur côté se coulent si exactement dans les poèmes, qu’elles semblent nées
pour leur faire l’offrande de leur lyrisme et de leur ardeur. »
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Cependant entre les différents pays, Allemagne, France et Italie, la partie ne
se joue pas de manière égale et équilibrée. En Italie, qui a toujours cultivé
avec ardeur l’opéra, la mélodie n’est au demeurant qu’un genre mineur. Il
existe au XIXe siècle une tradition de la mélodie de chambre (romanze)
dont les représentants ont pour nom Bellini, Donizetti ou encore Verdi. On
y trouve à la fois des pièces d’inspiration légère ou populaire (canzonette)
mais aussi des mélodies d’un registre plus élevé, proches du genre lyrique.
Cependant, ce qui prime c’est la vocalité et l’expression dramatique que l’on
retrouve aussi bien chez Tosti que chez Respighi. Il faut néanmoins préciser
que ce ne sont pas les mélodies italiennes de Paolo Tosti qui sont données
à entendre ici mais celles écrites sur des textes anglais : le compositeur
a en effet vécu à Londres. Il serait intéressant de rappeler que d’autres
compositeurs de mélodies tels Haydn, Schubert ou Beethoven ont mis en
musique des poèmes étrangers à leur langue maternelle et notamment en
anglais.
L’Allemagne, dont la tradition nationale du lied est déjà ancienne et qui
peut s’honorer de compositeurs aussi prestigieux que Schubert, Schumann
ou Brahms, renouvelle son génie en la matière au travers de compositeurs
comme Mahler (notamment dans ses mélodies orchestrées) mais aussi
Strauss : il rentre cependant dans son « chant du cygne ». C’est Richard
Strauss qui mettra un point final à cette histoire glorieuse en 1947 avec les
Quatre derniers Lieders. Dans ses mélodies avec piano, il reste encore très
proche du style romantique et notamment de Schumann. Jankélévitch, dans
l’essai précédemment cité, affirme que le lied est « l’association organique
des mots et des sons, la stylisation la plus immédiate des sentiments, de la
simplicité la plus profonde. », ajoutant comme par ironie, à propos de Strauss
et Mahler : « C’est drôle comme ils ressemblent à Schumann. »
Parallèlement, c’est au tournant du siècle en France, que la mélodie trouve son
point d’équilibre et sa perfection. La période qui s’amorce à partir de 1870
et que Jankélévitch considère comme la renaissance de la musique française
peut s’enorgueillir de compositeurs tels que Reynaldo Hahn et surtout Gabriel
Fauré ou Claude Debussy : c’est avec eux que la mélodie, dont les premiers
représentants au XIXe siècle avaient pour nom Berlioz ou Gounod, acquiert
véritablement ses lettres de noblesse tout en se renouvelant. Voyons à présent,
par le biais d’une brève analyse croisée entre ces trois pays, quelles sont les
spécificités de cette « Belle Epoque » de la mélodie.
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De la littérature...
Thématiques et sujets
Mélodie et lied sont le résultat d’une symbiose entre un texte poétique
et une musique. Les thématiques des poèmes sont diverses et l’on peut
remarquer que certaines sont récurrentes.
En premier lieu, un regard tourné vers le passé, notamment celui de la Grèce
antique, comme en témoignent les mélodies sur les Etudes latines de Leconte
De Lisle ou l’esprit pastoral et arcadien qui parcourt « Le Printemps » de
Théodore de Banville. Les poètes n’écrivent pas l’Histoire mais tentent
de retrouver, à travers l’expression poétique, les mythes ou l’atmosphère
décrite, un idéal qui est celui de l’Antiquité gréco-latine. Ce phénomène
est particulièrement important en France : dès le milieu du XIXe siècle, le
mouvement des Parnassiens, qui avait pour porte-drapeau des poètes aussi
prestigieux que Leconte de Lisle, Heredia ou Banville s’était violemment
opposé au courant romantique, à l’expression du moi, en la croyance au
progrès : ce qui importe c’est la forme et la beauté de la forme, selon le
principe énoncé par Théophile Gautier dans « L’art » (Emaux et Camées).
Le choix par Fauré, Hahn ou Saint-Saëns de textes parnassiens place la
mélodie française dans une réaction, un certain retour au passé. La grande
époque de la mélodie coïncide également avec l’avènement du naturalisme,
de la description d’une réalité crue, sans concession, du monde. Ce sont
toutes ces raisons qui poussent Michel Faure, dans son ouvrage Histoire
et Poétique de la mélodie (p.116), à déclarer que la mélodie « ignore
pareillement les mutations politiques – instauration de la république,
conquêtes de la démocratie... ». En réalité, les compositeurs tissent un lien
avec le néo-classicisme : outre l’antiquité (que l’on retrouve aussi dans
les peintures d’un Puvis de Chavanne), c’est l’esprit du XVIIIe siècle qui
prévaut. Jankélévitch, dans son analyse des cinq mélodies de Venise de
Fauré écrit : « cinq pastels tendres et mondains évoquent plutôt Versailles que
les bruyantes folies de Venise ».
Ces références à un passé idéalisé, mythifié, propre à éveiller l’imagination
de l’esprit s’affirment surtout chez les compositeurs français, comme un
manifeste poético-musical. On trouve aussi beaucoup de textes se référant
au temps, au devenir de l’homme ou de l’amour : c’est le matin du Morgen
de Strauss, la nuit de Bachelet, mais aussi les brumes de la mélodie Nebbie
de Respighi. Cette présence du temps est l’expression la plus éloquente
d’une époque ayant foi en l’avenir mais contemplant aussi le passé : c’est
le renouveau et le retour de l’amour du Printemps de Reynaldo Hahn ; mais
c’est aussi l’amour qui se détruit et aboutit à une mort certaine. Ainsi le
poème d’Ada Negri Canto d’aprile mis en musique par Tirendelli s’achève
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t-il sur ce vers, « Ma nel mio cor, sei morto ! » : il y a une opposition franche
entre un monde qui s’éveille à la nature et rayonne et un « je » terrassé par
le destin. C’est en outre le temps du souvenir, comme dans la mélodie My
memories de Tosti. C’est enfin, le triomphe absolu de l’amour sur la mort et
le temps passé, passant et à venir, l’ivresse de l’instant présent qu’il faut
vivre immédiatement : ainsi les impératifs pressants du Love me ! de Paolo
Tosti.
Le lied, enfin, conserve encore la veine populaire qui était celle de ses
origines et que l’on retrouvera par exemple chez Gustav Mahler dans le
Knaben Wunderhorn. Ce n’est pas le cas chez Strauss qui reste encore très
proche de l’inspiration romantique d’un Schumann par exemple. Rappelons
que depuis Schubert et Schumann le genre avait suivi deux voies bien
distinctes : soit la grande ballade dont les thèmes pouvaient être issus de
légendes germaniques (comme chez Schubert ou Carl Loewe), soit ce que
Jankélévitch nomme « la confidence lyrique ». Ainsi Strauss se « moule »
dans la tradition du lied intimiste. Il recherche à la fois la forme brève du
lied et le ton de la confidence : Morgen nous décrit une ambiance ouatée et
nimbée grâce aux accords « colorés » de la main gauche et à l’atmosphère
délicate, presque en demi-teinte qui parcourt l’ensemble de la pièce.
Poésie
Un bon texte est apte à « s’habiller » de musique. Cette potentialité à
« musicaliser » un texte vient d’abord de son rythme, rythme que lui
confère la versification utilisée par le poète. On observe ainsi trois facteurs
importants. En premier lieu, un grand nombre de poèmes font usage de
vers relativement courts : ainsi le texte d’Ada Negri Nebbie. Il serait aisé
de croire que la brièveté des vers donne un tour plus jovial et plus enlevé
à la musique : la mélodie de Respighi est, bien au contraire, à la fois lente,
très intense et très expressive. L’aspect dépouillé de la musique (une
immuable et lente succession d’accords) se fond au texte, chaque strophe
alternant trois vers de six syllabes et un vers de deux ou quatre syllabes,
provoquant ainsi une « cassure » rythmique.
Par ailleurs, certains poèmes utilisent une alternance entre vers courts et
vers longs, donnant ainsi une très grande élasticité au rythme poétique et
à la musique : ceux de Leconte De Lisle Tyndaris et Phyllis, alternent des
alexandrins et des octosyllabes ; le poème de Moréas, Fumée, alexandrins
et hexasyllabes. Et ce phénomène n’est pas propre à la France : ainsi dans
l’air Paolo datemi pace ! de Francesca da Rimini, la poésie fait alterner
hendécasyllabes (vers de 11 syllabes) et heptasyllabes.
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Enfin, autre phénomène majeur, l’utilisation des vers impairs. Si les poèmes
en langue allemande et italienne les utilisent abondamment, cela semblait
moins évident en France où les vers les plus usités et les plus prestigieux
(l’alexandrin notamment) étaient pairs. C’est Paul Verlaine qui, en réaction
à la poésie parnassienne, se fit le chantre du vers impair. Ainsi dans son
« Art Poétique », (Jadis et Naguère, 1884), proclame t-il : « De la musique
avant toute chose/ Et pour cela préfère l’impair ». A cet égard, les cinq
mélodies de Venise mises en musique par Fauré sont exemplaires : si l’on fait
exception de Green (écrit en alexandrins), trois poèmes sont écrits en vers
de sept syllabes : ainsi, Mandoline, En sourdine, C’est l’extase langoureuse,
tandis que A Clymène recourt à l’hétérometrie, en alternant vers de cinq et
six syllabes.
… Et de la musique
Quelques exemples formels
Lied et mélodie trouvent leur perfection également dans la forme musicale
donnée par les compositeurs. De fait, on peut observer une souplesse et
une flexibilité de la forme. Tout d’abord la forme strophique, c’est-à-dire
une même musique – ou sensiblement la même – à chacune des strophes
que comporte le poème : c’est le cas pour L’énamourée de Reynaldo Hahn
ou pour le lied de Richard Strauss Zueignung. Cependant, la redite n’est
jamais totalement identique, autrement dit, les variantes musicales entre
chaque strophe, même les plus infimes, redessinent le contour formel et
apportent une variété certaine : tout est dans la manière de « sculpter » la
forme.
L’énamourée illustre parfaitement ces variantes de la « répétition » : c’est
par exemple une variation rythmique à la voix (apparition des triolets sur
les paroles « Ta mouvante chevelure ») ; mais c’est surtout le resserrement
ou l’allongement du contenu musical. En comparant ainsi les trois derniers
vers de la première strophe et ceux de la seconde, on remarque une
« amputation » du discours musical.
« Mais pour l’âme qui t’adore
Tu t’éveilles ranimée
[Strophe 1]
O pensive bien-aimée ! »
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Les trois vers ci-dessus se déroulent sur une marche harmonique
descendante : à la basse un intervalle de quinte, sib, lab, fa, solb et mib
entraîne une série d’emprunts (Sib mineur, Sol b majeur et Mib mineur). Or
dans la seconde strophe, la marche harmonique a été écourtée car l’emprunt
à Mib a disparu. De même, à la fin de la dernière strophe, Reynaldo Hahn
donne plus « d’élasticité » à la musique : la cadence rompue entraîne une
« cassure » harmonique et retarde la conclusion de la mélodie. Le passage
du demi-ton lab au sib (réminiscence des deux premières notes jouées par le
piano et qui ouvrent la mélodie) souligne de manière expressive le « cygne
qui se pleure ». Voici une autre variante subtile mais qui permet de ne pas
épuiser le discours musical par une reprise exacte.
En outre, les compositeurs ne renoncent pas à certaines structures propres
à la mélodie ou au lied. La forme ABA appelée traditionnellement « formelied », se décline de multiples façons. Ainsi, la première et la dernière
strophe du poème possèdent une musique identique tandis que les strophes
intermédiaires développent un commentaire musical du texte : c’est le cas
pour Nebbie de Respighi ou le Canto d’aprile de Tirendelli. Enfin, on observe
une autre variante qui s’apparente clairement à un développement de cette
forme-lied : dans My memories de Paolo Tosti (forme ABAB), le compositeur
alterne une partie A à quatre temps et une partie B à deux temps notée
« sostenuto », laquelle met en relief les deux derniers vers de chacune des
deux strophes, vers chargés de lyrisme et d’expressivité s’il en est.
Le compositeur peut également se livrer à un commentaire linéaire et
musical (commentaire que l’on nomme pour le lied Durchkomponiert)
chaque strophe formant alors une entité. En sourdine de Gabriel Fauré en
est une belle illustration : si le rythme musical et poétique alterne à la voix
entre valeurs longues et valeurs brèves, soulignant ainsi le soin de trouver la
prosodie la plus exacte, chacune des strophes est musicalement autonome, il
n’y a pas de reprise ou de redite. L’unité est apportée par l’accompagnement
du piano qui « déroule » de manière continue ses arpèges de doublescroches aux deux mains. La voix elle-même introduit certaines variantes
rythmiques : ainsi dans la troisième strophe, le triolet, figure rythmique que
la main droite du piano reprend et échange avec la voix dans un registre
aigu, tout en l’agrégeant aux « flots » de doubles-croches, donnant ainsi
naissance à une polyrythmie raffinée qui vient « briser » ce flux continu.
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Piano et voix
Le lied et la mélodie posent de manière récurrente les rapports entre le
chanteur et l’accompagnateur. A l’origine, cette opposition n’existait pas
ou était-elle à peine envisagée : les tout premiers lieders ou les romances
sont soutenus soit par un accompagnement simple qui double la mélodie
vocale, soit par un accompagnement harmonique qui supporte de manière
franche le chanteur. Le piano n’a donc qu’un rôle secondaire, le plus
important reste la voix et le texte qu’elle porte.
Cependant au cours du XIXe le piano évolue avec une telle célérité tant
sur le plan de la technique musicale que de la facture instrumentale que
les parties d’accompagnement acquièrent une importance aussi grande
que le chant : les multiples possibilités de l’instrument permettent aux
compositeurs d’écrire des parties d’accompagnement certes simples
mais surtout très élaborées d’un point de vue polyphonique comme
chez Schumann ou Brahms, ou technique et harmonique comme
chez Lizst et Fauré. Le piano à sa manière recréé parfois l’univers de
l’orchestre : n’oublions pas que Mahler orchestra douze poèmes du
Knaben Wundenhorn et qu’il en fit une transcription pour voix et piano.
Ce dernier n’est plus un simple soutien, il dialogue, complète, s’oppose
même à la voix. Ainsi au fur et à mesure du XIXe siècle un équilibre
se crée entre la partie vocale et l’accompagnement pianistique. Il n’en
reste pas moins que certains compositeurs se soucient plus de la voix
et réduisent ainsi l’accompagnement du piano à un soutien harmonique,
mélodique ou rythmique. Ce type d’écriture se retrouve par exemple, chez
les mélodistes italiens qui usent de formules arpégées en triolets comme
dans Amor, amor ! de Terendelli ou de formules en doubles-croches comme
dans Love’s way de Paolo Tosti. Ce dernier recourt également dans Love
me ! à une écriture rythmique à trois temps proche de celle d’une danse,
et plus précisément la valse : les syncopes de la main gauche ainsi que les
accords répétés (rythme de croche-noire-3 croches) assurent une assise
rythmique qui permet à la vocalité de se déployer.
Cependant, cette partie pianistique, ou orchestrale d’ailleurs, peut
véritablement fusionner avec la voix. Ce n’est plus comme dans la
mélodie un soutien à proprement parler du chant, mais une nécessité de
« faire corps » avec la voix. A cet égard l’air de Francesca da Rimini,
Paolo datemi pace dans l’opéra éponyme de Zandonai est exemplaire :
s’inscrivant dans la droite lignée des compositeurs italiens de la fin du
XIXe siècle et du début du XXe siècle (Puccini en particulier), l’orchestre
se « fond » littéralement avec la voix à l’unisson : ainsi l’expressivité se
trouve profondément accrue.
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Les compositeurs cherchent aussi à varier au maximum la partie
pianistique et le cycle des Cinq mélodies de Venise de Fauré est de ce point
de vue particulièrement intéressant et riche. L’écriture du piano est sans
cesse renouvelée et d’une très grande densité. C’est par exemple dans
Mandoline les accords alternés aux deux mains en staccato qui donne cette
allure enlevée et joyeuse ; c’est également le rythme 9/8 de barcarolle qui
se « déroule » dans A Clymène ; mais c’est surtout la polyphonie très dense
et compacte de l’accompagnement pianistique : ainsi les arpèges fluides
de En sourdine créent, grâce au jeu des pédales et des accords égrenés,
grâce aussi aux notes tenues une sorte de polyphonie « cachée » ; les
accords de Green d’abord à 4 voix, s’enrichissent progressivement, formant
ainsi des agrégats colorés ; enfin, on notera l’écriture très serrée de C’est
l’extase : raffinement de l’écriture rythmique en syncope et contretemps
« qu’entrelace » une polyphonie intérieure.
On ne pourrait enfin parler de mélodie et de lied sans évoquer la voix
elle-même. Si son rôle est de tout premier plan, qu’en est-il de son
traitement par les compositeurs ? On remarque de manière générale que
les musiciens ont le souci de porter le texte : la ligne vocale est avant
tout « déclamée-chantée ». Les compositeurs privilégient un traitement
syllabique du texte. Il s’agit de retrouver le balancement rythmique de la
poésie au travers du rythme de la musique. Sont bannies par conséquent
toute vocalise et toute démonstration technique. Cette « virtuosité » est
ailleurs : elle se trouve dans l’expressivité, la manière dont le texte est
porté par le chanteur, dans la beauté et l’ampleur de la ligne vocale. On
trouve cependant de notables exceptions comme dans Mandoline de Fauré
où un mélisme, d’ailleurs repris à la main droite du piano orne le mot
« chanteuses ». Mais il ne s’agit ici que de « petits clins d’œil vocaux »,
s’apparentant à une « couleur locale ».
Ces quelques analyses nous aurons permis d’entrevoir quelques
spécificités de la mélodie à la « Belle Epoque ». Ces échos musicaux et
littéraires se propagent entre la France, l’Italie et l’Allemagne. Chacun des
ces pays tentent de synthétiser à la fois ses traditions mais aussi de les
exploiter, ou de les renouveler. C’est aussi la question du temps qui est en
jeu : conscients d’un temps passé et d’un temps à venir, les compositeurs
ont voulu tisser un lien étroit entre ces différentes strates, cherchant dans
cette liberté qui leur était donnée, le point de perfection d’un genre et
d’une sensibilité.
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biographies
Anna Caterina Antonacci
soprano
Embrassant avec facilité les registres de soprano et de mezzo-soprano, la
vocalité exceptionnelle d’Anna Caterina Antonacci, ainsi que sa grande
maîtrise du jeu théâtral, lui ont permis de chanter dans de nombreux opéras
des XVIIe et XVIIIe siècles, tels que ceux de Monteverdi, Haendel, Glück,
Paisiello ou encore Mozart. Elle s’est également illustrée remarquablement
dans le répertoire rossinien, bouffe ou sérieux, et a obtenu tout autant de succès
dans des rôles de Bellini, Donizetti et Verdi, Bizet, Massenet ou Stravinsky.
Depuis la saison 2003/2004, son répertoire s’est concentré sur les emplois
de soprano dramatique : elle a ainsi remporté un très grand succès dans
la Cassandre des Troyens de Berlioz avec John Eliot Gardiner au Théâtre
du Châtelet, dans Electre d’Idomeneo de Mozart et dans Hans Heiling de
Marschner à Cagliari. On a pu également l’entendre dans L’Incoronazione
di Poppea de Monterverdi, dirigé par René Jacobs au Théâtre des ChampsElysées ainsi qu’au Palais Garnier à Paris. Elle a en outre chanté dans Alceste
de Gluck à Parme et au Festival de Salzbourg, Médée de Cherubini à Toulouse
et au Théâtre du Châtelet, et interprété le rôle de Vitellia de la Clemenza di
Tito de Mozart au Grand Théâtre de Genève et au Palais Garnier. En 2006, elle
a enfin donné une série de récitals en hommage à Pauline Viardot au Châtelet
et au Wigmore Hall de Londres et a chanté dans les Nuits d’Eté de Berlioz
sous la direction de Sir Colin Davis au Théâtre des Champs-Elysées.
La saison dernière, Anna Caterina Antonacci a fait ses débuts dans une nouvelle
production de Carmen au Covent Garden dirigée par Antonio Pappano. Elle
a récemment chanté dans la Mort de Cléopâtre de Berlioz sous la baguette
de John Eliot Gardiner à la Scala de Milan. Elle a également chanté le rôle
de Rachel dans la Juive de Halévy à l’Opéra de Paris et celui de Médée au
Théâtre d’Epidaure. De plus, elle a chanté les Nuits d’Eté de Berlioz à Munich
et avec le Mahler Chamber Orchestra à Ferrare sous la direction de Tugan
Sokhiev et Cassandre dans les Troyens au Grand Théâtre de Genève et avec le
Boston Symphonic Orchestra conduit par James Levine à Tangelwood.
Elle a également chanté La Damnation de Faust à l’Opéra de Marseille, Maria
Stuarda à la Scala de Milan, Alice Ford dans Falstaff au Théâtre des ChampsElysées et Médée au Teatro Regio de Turin.
On pourra prochainement l’entendre dans Carmen à l’Opéra Comique,
au Théâtre du Capitole, à la Deutsche Oper de Berlin, à Copenhague et à
Barcelone, ainsi que dans le rôle de Cassandre des Troyens au Royal Opera de
Londres sous la direction de Antonio Pappano. Elle donnera également la
Mort de Cléopâtre avec le Philharmonique de Rotterdam dirigé par Yannick
Nezet-Seguin et avec l’Ensemble Orchestral de Paris sous la baguette de
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John Nelson, et chantera également Alceste à Athènes.
Anna Caterina Antonacci va poursuivre une série de concerts tirés de
son récital d’airs baroques Era la notte et Altre Stelle, et par ailleurs
une tournée de récitals avec Donald Sulzen au piano qui les emmènera
notamment au Wigmore Hall, au Concertgebouw d’Amsterdam et à la
Fondation Gulbenkian.
Elle enregistre désormais pour le label Naïve et son premier disque, Era
la notte, a été accueilli avec grand enthousiasme.
Donald Sulzen,
Pianiste
Donald Sulzen est un des pianistes les plus recherchés pour
l’accompagnement vocal et la musique de chambre. Originaire de Citian
Kansas, il a poursuivi ses études musicales d’abord aux Etats-Unis, puis à
l’Ecole Normale de Musique de Paris (Classe de Jules Gentil) dont il reçoit
le diplôme avec les félicitations. Sous la houlette de Joseph Banowetz et
Harold Heiberg, il se perfectionne à l’University Of North, Texas (Master
en musique récompensé par des félicitations). Puis, il s’est spécialisé
dans l’accompagnement en participant à des master-classes avec Martin
Katz, Geoffrey Parsons et John Wustman.
Ses nombreux concerts l’amènent à jouer dans les salles les plus
prestigieuses d’Europe, des Etats-Unis, de l’Amérique du Sud ou encore
du Japon. Il a en outre participé à de nombreuses émissions télévisées et
radiodiffusées (Bayerisher Rundfunk, Radio France, Radio Bremen...) Il a
également enregistré plus d’une trentaine de disques pour les labels Orfeo
International, Toshiba-Emi, Koch International, Genuin, Arte Nova, CPO,
Amati. Il vient récemment d’enregistrer pour le label Genuin, les trios avec
piano de Mendelssohn et les Tangos y Canciones de Astor Piazzola.
Après plusieurs années d’enseignement au sein de la Hoschule für Musik
und darstellende Kunst « Mozarteum » de Salzbourg, il a pris ses fonctions
à la Hoschule für Musik de Munich, où il est actuellement en résidence.
Il témoigne de son intérêt pour de jeunes chanteurs à travers son activité
d’accompagnateur pour les master-classes de Astrid Varnay, Eleanor
Steber, Magda Olivero, George Shirley et Hermann Prey. Il a lui-même
donné des master-classes à la fois pour les chanteurs et les pianistes aux
Etats-Unis et en Europe.
Parmi les artistes renommés accompagnés par Donald Sulzen, on peut
citer Anna Caterina Antonacci, Laura Aikin ou David Daniels. Depuis
2001, il est pianiste titulaire du célèbre Munich Piano Trio.
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Rédaction Nathanael Eskenazy
L'Opéra national de Lyon remercie pour leur généreux soutien,
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Mécènes principaux
Les jeunes à l’Opéra
Mécène fondateur
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