L`invasion de l`Irak - Département de science politique
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Cet article est disponible en ligne à l’adresse : http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=RIS&ID_NUMPUBLIE=RIS_057&ID_ARTICLE=RIS_057_0009 L'invasion de l'Irak : les dessous de la prise de décision de la présidence Bush par Charles-Philippe DAVID | Dalloz/I.R.I.S. | Revue internationale et stratégique 2005/1 - N° 57 ISSN 1287-1672 | ISBN 2247060986 | pages 9 à 20 Pour citer cet article : — David C.-P., L'invasion de l'Irak : les dessous de la prise de décision de la présidence Bush, Revue internationale et stratégique 2005/1, N° 57, p. 9-20. Distribution électronique Cairn pour Dalloz/I.R.I.S.. © Dalloz/I.R.I.S.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 99324 UWI – Revue Iris – Dalloz – Janvier 2005 R$IRIS$$$2 10-05-05 08:10:04 rappel folio : p. 8 RÉSUMÉ ABSTRACT q / Charles-Philippe David est titulaire de la chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, directeur de l’Observatoire sur les États-Unis à l’Université du Québec à Montréal. Il a récemment publié la seconde édition de Au sein de la Maison-Blanche. La formulation de la politique étrangère des États-Unis, Québec, Presses de l’Université Laval, 2004. L’auteur peut être contacté à l’adresse e-mail suivante : [email protected] L’invasion de l’Irak : les dessous de la prise de décision de la présidence Bush Dans la foulée des événements du 11 septembre, l’Administration Bush amorce une véritable révolution qui va altérer le cours de la politique étrangère américaine. L’ensemble de l’approche décisionnelle est réorienté tandis que les rivalités administratives, traditionnellement vivaces, s’atténuent considérablement. La gestion du processus décisionnel se fait moins formelle, notamment parce que le risque terroriste impose une réactivité accrue. Le « cabinet de guerre » qui se met en place réunit les principaux décideurs du Conseil de sécurité nationale (NSC) et prend une série de décisions qui vont marquer le cours des relations internationales. Dans le même temps, le processus décisionnel marqué par la guerre en Afghanistan évolue, tandis que derrière l’émergence d’une véritable pensée unique, se profile déjà l’invasion de l’Irak. The Invasion of Iraq : Behind President Bush’s Decision Making Process In the aftermath of the September 11 terrorist attacks, the Bush administration initiated a revolution altering the course of American foreign policy. The entire decision making process was re-orientated while traditional administrative rivalries faded considerably. Decision making management became less formal primarily because the terrorist threat required an increased reactivity. The « War Cabinet » that was set up gathered the main decision makers of the National Security Council (NSC) and took a series of decisions that were to change the course of international relations. At the same time, the decision making process evolved, marked by the war in Afghanistan, while the invasion of Iraq emerged in the shadow of a one-sided vision of the international system’s construction. 99324 UWI – Revue Iris – Dalloz – Janvier 2005 R$IRIS$$$2 10-05-05 08:10:04 rappel folio : p. 9 ÉCLAIRAGES L’invasion de l’Irak : les dessous de la prise de décision de la présidence Bush / Charles-Philippe David Directeur de l’Observatoire sur les États-Unis à l’Université du Québec La revue internationale et stratégique, n° 57, printemps 2005 Le choc des attentats du 11 septembre 2001 va amorcer la « révolution Bush », modifiant le cours de la politique étrangère américaine, et réorientant l’approche décisionnelle. Les rivalités départementales et personnelles vont s’atténuer. De plus, l’organisation hiérarchique de la Maison-Blanche va faire place à un mode de fonctionnement moins formel et plus spontané en raison de la nécessité d’une grande réactivité face aux attentats. Le « cabinet de guerre » qui se met alors en place réunit les principaux décideurs du Conseil de sécurité nationale — National Security Council (NSC) — avec, à sa tête, le président George W. Bush qui s’engage résolument dans la prise de décision et exprime la volonté de répliquer à l’attaque terroriste : la décision d’intervenir en Afghanistan pour renverser le régime des talibans (qui protège Oussama Ben Laden) est alors prise rapidement. Entre le 7 octobre, date du début de l’intervention américaine, et le 7 décembre 2001, moment où les talibans abandonnent leur fief de Kandahar (chef-lieu religieux du sud de l’Afghanistan), l’opération militaire américaine a pratiquement accompli son objectif : malgré l’échec de la capture de O. Ben Laden et de ses lieutenants, le régime des talibans est tombé et un gouvernement de transition, proaméricain, est installé à Kaboul. À la fin de l’année 2001, plusieurs éléments de la prise de décision sont marquants et vont influencer irrémédiablement les choix et le fonctionnement de l’Administration Bush. Ces nouveaux aspects de la prise de décision apparaissent avec la guerre en Afghanistan, et ils marquent l’amorce de la construction d’une véritable pensée groupale, qui mène directement à l’invasion de l’Irak. D’ailleurs, le secrétaire adjoint à la Défense, Paul Wolfowitz, qui participe régulièrement aux délibérations du forum décisionnel du NSC, va très vite tisser le lien entre l’Irak et Al-Qaïda, et insister — dès l’automne 2001 — sur la nécessité d’utiliser la force contre Saddam Hussein. Bien que ses idées ne trouvent pas une traduction immédiate dans les décisions gouvernementales, l’influence de P. Wolfowitz se fait déjà sentir dans les rouages gouvernementaux. D’ailleurs, l’Administration Bush se focalise très vite sur la question irakienne plutôt que de se concentrer sur la reconstruction et le développement de l’Afghanistan qui ne l’intéressent pas, une négligence qui se répétera en Irak. Il est vrai que les principaux décideurs de l’équipe Bush partagent le point de vue de Condoleezza Rice qui, en octobre 2000, affirmait que le travail « du 82e corps aéroporté n’était 99324 UWI – Revue Iris – Dalloz – Janvier 2005 R$IRIS$$$2 10-05-05 08:10:04 rappel folio : p. 10 10 ÉCLAIRAGES pas d’accompagner les enfants à la garderie » 1. Les néoconservateurs, chantres de « l’impérialisme démocratique », s’opposent à la perception de C. Rice et considèrent que la reconstruction des États — le nation-building — est une des clés de la sécurité des ÉtatsUnis. Cependant, ils y renoncent pour se rallier aux décideurs car le « changement de régime » à Bagdad leur paraît plus important que la démocratisation du régime de Kaboul. Pour les néoconservateurs, l’Afghanistan constituait une étape obligée mais ne correspondait pas à l’objectif ultime de la lutte contre le terrorisme. Néanmoins, avec l’Irak, l’équation décisionnelle allait s’inverser. Le chemin (néoconservateur) de la guerre en Irak La nature des décisions de l’équipe Bush change radicalement avec les attentats du 11 septembre. Partagée tout au long des huit premiers mois entre la volonté d’endiguer l’Irak en instaurant un régime de « sanctions intelligentes » (position promue par Colin Powell) et la détermination de mener des actions plus décisives pour faire tomber S. Hussein (position défendue par Richard Cheney et Donald Rumsfeld), la politique américaine à l’égard de l’Irak empruntera résolument le chemin de la guerre après le 11 septembre. Contrairement à ce qui a parfois été dit, le sort de l’Irak est scellé rapidement : dès les jours qui suivent les attentats du 11 septembre (soit un an et demi avant le lancement de l’opération « Liberté en Irak »), le président et plusieurs de ses proches conseillers affichent — en privé — leur intention de procéder à un « changement de régime » à Bagdad. À compter de ce moment, tout sera mis en œuvre pour rassembler l’ensemble du gouvernement américain, le Congrès, l’opinion publique et l’Organisation des Nations unies (ONU) autour de l’idée d’une invasion. Au départ, le contexte décisionnel y est hostile : « la bureaucratie était bien moins enthousiaste à l’idée de la guerre qu’on a été porté à le croire » 2. Pourtant, le ralliement autour du choix du président et de ses principaux décideurs aura bien lieu, et celui-ci peut s’expliquer par un ensemble de facteurs cognitifs et organisationnels. En premier lieu, la pensée groupale aura un effet ravageur : les rares réserves des décideurs ou des conseillers céderont face aux arguments des « faucons », et les sceptiques (parmi lesquels C. Powell) feront finalement des concessions et se rangeront à l’idée de la guerre. En second lieu, la bureaucratie — et, au premier plan, l’organisation du NSC — sera contournée lorsque viendra le temps de rassembler des informations sur l’existence d’armes de destruction massive (ADM) pour justifier l’usage de la force. Les suites de l’invasion de l’Irak occasionneront une grave crise de crédibilité pour l’Administration Bush, qui devra s’expliquer sur le fait qu’aucune ADM n’a été retrouvée en Irak, tandis que l’opinion publique apprend que la décision de faire tomber le régime de 1. Cité par Ivo Daalder, James Lindsay, America Unbound. The Bush Revolution in Foreign Policy, Washington, Brookings Institution Press, 2003, p. 112. Le 82e est l’une des plus grandes divisions parachutistes de l’armée américaine. Il est considéré comme un corps d’élite et doit pouvoir en tout temps, et partout dans le monde, se déployer efficacement et combattre. 2. Nicholas Lemann, « How it Came to War », The New Yorker, 31 mars 2003. 99324 UWI – Revue Iris – Dalloz – Janvier 2005 R$IRIS$$$2 10-05-05 08:10:04 rappel folio : p. 11 L’invasion de l’Irak : les dessous de la prise de décision... / Charles-Philippe David 11 Bagdad était arrêtée avant même que les inspecteurs ne retournent en Irak (notamment pour vérifier la véracité des accusations de l’équipe Bush). Les néoconservateurs profitent du conformisme engendré par les attentats du 11 septembre pour mobiliser l’action du gouvernement et réaliser enfin la guerre qu’ils préconisaient depuis plusieurs années. Le contexte décisionnel Plusieurs ouvrages de langue française proposent le récit et la chronologie des principaux tournants politiques et diplomatiques de la période précédant l’invasion de l’Irak 1. Sans revenir sur le détail des événements, il est possible de distinguer des étapes cruciales dans la prise de décision par l’Administration Bush. La revue internationale et stratégique, n° 57, printemps 2005 Premièrement, en janvier 2002, G. W. Bush désigne officiellement l’Irak comme l’un des piliers de l’« axe du Mal ». De l’avis de nombreux observateurs, le président affiche clairement ses intentions et son projet d’envahir l’Irak en mars 2002 lorsqu’il entre dans le bureau de C. Rice et déclare, devant les sénateurs présents, « tant pis pour Saddam, nous allons le chasser » 2. G. W. Bush énonce deux doctrines, celle du « changement de régime » visant directement Bagdad, en avril, et celle de la guerre préventive (preemptive war) justifiant l’intervention américaine, en juin. La question n’est plus de savoir si l’Administration désire la chute de S. Hussein, mais quand et comment elle le fera tomber. En août, après d’importantes rencontres avec ses conseillers ainsi qu’avec C. Powell, le président arrête définitivement sa stratégie et donne son aval au plan d’action militaire et diplomatique destiné à déposer S. Hussein. Il autorise même des opérations de bombardement dans le sud de l’Irak, pour ouvrir la voie à une éventuelle invasion. La deuxième étape est amorcée fin août, lorsque R. Cheney établit, pour la première fois publiquement, un lien entre l’Irak, les ADM et Al-Qaïda, et ce, avant même que la communauté du renseignement se soit prononcée. « La guerre, dit-il, est inévitable » 3. Au cours de l’automne, l’Administration tentera de convaincre le Congrès, l’opinion publique et le Conseil de sécurité de l’ONU de la présence d’ADM en Irak. Elle obtiendra l’appui de la communauté internationale pour rétablir les inspections en Irak mais désavouera ensuite le travail des inspecteurs. Dès lors, l’équipe Bush tentera de démontrer — notamment par une présentation spectaculaire de C. Powell aux Nations unies, le 5 février 2003 — les progrès inquiétants des programmes d’armement irakiens et les efforts de dissimulation déployés par Bagdad. Incapables de faire adopter, par le Conseil de sécurité de l’ONU, une résolution sur le recours à la force, les États-Unis déclencheront unilatéralement, le 19 mars, l’attaque contre l’Irak : le régime de S. Hussein tombera en trois semaines. 1. Éric Laurent, La guerre des Bush, Paris, Plon, 2003 ; Barthélémy Courmont, L’empire blessé, Washington à l’épreuve de l’asymétrie, Montréal, Presses de l’Université du Québec, 2005 (à paraître) ; Gérard Chaliand, D’une guerre d’Irak à l’autre, Paris, Éditions Métailié, 2004. 2. Cité par Dilip Hiro, Secrets And Lies. Operation « Iraqi Freedom » and After, New York, Nation Books, 2004, p. 31. 3. Ibid., p. 46. 99324 UWI – Revue Iris – Dalloz – Janvier 2005 R$IRIS$$$2 10-05-05 08:10:04 rappel folio : p. 12 12 ÉCLAIRAGES Les délibérations du Conseil de sécurité nationale Entre septembre 2001 et septembre 2002, les discussions de haut niveau sont orientées de façon obsessionnelle sur l’Irak. Tout le système du NSC est mis à contribution pour étayer le bien-fondé de l’invasion. Si l’opinion publique ne prend conscience qu’au cours de l’automne 2002 de la détermination de l’équipe Bush à partir en guerre, il reste qu’une partie de l’Administration a, en réalité, imaginé cette guerre dès le lendemain du 11 septembre. Dès le 12 septembre, D. Rumsfeld soulèvera la question de l’Irak tandis que le président demandera directement à Richard Clarke, responsable de la lutte antiterroriste à la Maison-Blanche, d’étudier les liens possibles entre Al-Qaïda et l’Irak. Lorsque R. Clarke rétorquera que toutes ses recherches jusque-là n’ont pu établir de relations entre les deux, G. W. Bush lui demandera de vérifier de nouveau. Le 15 septembre, à Camp David, P. Wolfowitz abonde dans ce sens et mentionne également l’Irak, tandis que C. Powell et le secrétaire au Trésor, Paul O’Neill — notamment — restent médusés devant cette intervention du secrétaire adjoint à la Défense. De tous les conseillers, P. Wolfowitz était certainement le plus déterminé à en finir avec S. Hussein, comme pour venger « l’échec » de 1991 : C. Powell avait, à ses yeux, recommandé alors prématurément l’arrêt des combats. Selon lui, Al-Qaïda ne pouvait avoir agi seule, sans l’appui de l’Irak. Le 17 septembre, lors d’une réunion du NSC, G. W. Bush met toutefois fin aux délibérations : « Je crois que l’Irak est impliqué [dans les attentats] mais je ne veux pas l’attaquer maintenant », déclare-t-il ; le 19 septembre, il redira : « S’agissant de l’Irak, nous devons être patients » 1. Pour le moment, l’attention est tournée vers l’Afghanistan. Le 21 novembre 2001, avec D. Rumsfeld, G. W. Bush se penche pour la première fois sur l’éventail des options concernant l’Irak ; C. Rice en est informée. Dans le même temps, R. Cheney souhaite la remise en cause des sanctions que C. Powell veut maintenir. De son côté, P. Wolfowitz se démène « comme un tambour qui ne s’arrête jamais » 2 pour mobiliser les hauts fonctionnaires du NSC et promouvoir le plan d’attaque de l’Irak. C. Powell, durant l’automne, s’oppose formellement à une intervention. Le forum décisionnel du NSC se range à cet avis et approuve le président lorsqu’il écarte cette option tant et aussi longtemps que l’Administration sera accaparée par l’Afghanistan. Le 4 décembre 2001, le général Tommy Franks montre à D. Rumsfeld une ébauche de plan militaire, qu’il présentera formellement au président le 28 décembre. G. W. Bush manifeste des réserves. Un plan révisé lui est soumis le 7 février 2002. L’intervention prend alors véritablement forme : 225 jours de guerre sont prévus, dont 90 pour les préparatifs, 45 pour les bombardements et 90 pour l’offensive au sol (le plan n’inclut toutefois aucune disposition concernant l’après-guerre). Le président considère que c’est encore trop long. G. W. Bush informe le Premier ministre Tony Blair, le 6 avril 2002, de son intention de chasser S. Hussein du pouvoir. À trois reprises, le 20 avril, le 11 mai, 1. Bob Woodward, Bush at War, New York, Simon & Schuster, 2002, p. 99 et 107. 2. Bob Woodward, Plan of Attack, New York, Simon & Schuster, 2004, p. 22. 99324 UWI – Revue Iris – Dalloz – Janvier 2005 R$IRIS$$$2 10-05-05 08:10:04 rappel folio : p. 13 L’invasion de l’Irak : les dessous de la prise de décision... / Charles-Philippe David 13 La revue internationale et stratégique, n° 57, printemps 2005 puis le 19 juin, T. Franks présente, à G. W. Bush et à ses conseillers, le plan militaire entièrement revu et corrigé. Compte tenu des directives qui lui sont données, le général réduit les délais accordés aux préparatifs afin de donner au président la faculté d’ordonner une intervention quand il le souhaitera. Le plan est de nouveau discuté le 5 août 2002, à l’occasion d’une réunion formelle du NSC où T. Franks présente les différentes phases du déroulement de la guerre. Le 14 août, C. Rice et les principaux décideurs s’entendent sur une directive présidentielle qui lance les préparatifs nécessaires pour le déclenchement d’une opération militaire. Lorsque Richard Haass, responsable au département d’État, rend visite à C. Rice pour lui demander si l’Irak devait être vu comme une priorité, elle lui répondra de ne pas perdre son temps, que la décision était prise. Parce qu’il ne peut pas évoquer aisément ses préoccupations dans le cadre du forum du NSC, C. Powell choisit de rencontrer G. W. Bush en tête-à-tête pour lui faire part de ses réserves concernant une attaque unilatérale de l’Irak. Il fait accepter par G. W. Bush la nécessité d’une stratégie multilatérale et cette option est retenue par les décideurs du NSC, le 16 août 2002. Cependant, le secrétaire d’État et le vice-président sont à couteaux tirés. R. Cheney prononcera un discours public percutant, le 26 août, sur la menace des armes nucléaires que détiendrait S. Hussein. Les alliés de R. Cheney, notamment P. Wolfowitz, Stephen Hadley (adjoint de C. Rice au NSC) et Lewis Libby (secrétaire général du vice-président), se mobilisent et mettent sur pied un groupe politique de haut niveau à la Maison-Blanche, pour organiser et centraliser, sous la direction de Andy Card, chef d’état-major de la Maison-Blanche, les communications publiques de l’Administration. Le 6 septembre et le 4 octobre 2002, deux réunions du forum décisionnel du NSC formalisent le plan de guerre qui est ainsi opérationnel à tout moment : le calendrier militaire n’attendra plus que la conclusion des démarches diplomatiques. Durant les six mois qui suivent, l’Administration, particulièrement C. Powell, tente de convaincre les alliés des États-Unis et l’ONU d’appuyer la position américaine. Les pressions de R. Cheney se font de plus en plus vives sur le secrétaire d’État et sur le directeur de la Communauté du renseignement, George Tenet, ce qui donnera lieu à d’autres affrontements entre C. Powell et R. Cheney. Fin décembre, G. W. Bush testera à quelques reprises, avec C. Rice, le bien-fondé de sa décision de déclencher la guerre. Le secrétaire d’État tentera, en janvier 2003, un dernier plaidoyer auprès du président, en soulignant les responsabilités qui incomberont aux États-Unis une fois sur place. En vain, G. W. Bush restera inébranlable. Malgré certains désaccords exprimés dans le forum du NSC, la décision du président paraît prise depuis déjà longtemps et s’appuie sur des conseillers influents et déterminés. Le NSC, et surtout son administration, se trouve cantonné dans un rôle d’exécutant. Il paraît assez clair, en l’état actuel des connaissances, que C. Rice ne s’est pas présentée comme un conseiller qui transmet au plus haut niveau les perspectives développées par les bureaucraties. Supplanté par l’organisation de R. Cheney, débordé par une idéologie qui ne correspond pas à son optique traditionnelle, le NSC joue un rôle subalterne : les décideurs sont ailleurs. 99324 UWI – Revue Iris – Dalloz – Janvier 2005 R$IRIS$$$2 10-05-05 08:10:04 rappel folio : p. 14 14 ÉCLAIRAGES Les dérives du processus décisionnel Les distorsions décisionnelles qui conduisent l’Administration Bush à exagérer l’urgence d’envahir l’Irak et à mentir sur l’imminence du danger que posent les ADM trouvent deux explications principales : la pensée groupale et la manipulation de la bureaucratie. La toxicité de la pensée groupale « Ce qui est remarquable à propos de cette crise, observe Thomas Powers, c’est l’intensité avec laquelle elle a été alimentée par un corpus d’idées » 1. Les néoconservateurs de l’Administration fourniront les informations (sur la menace présumée des ADM et sur les liens entre l’Irak et Al-Qaïda) et les arguments (notamment les bénéfices de l’exportation de la démocratie) pour justifier l’invasion. Les options qu’ils promeuvent s’accompagneront constamment d’une grande rigidité idéologique et d’un véritable processus d’enflure cognitive. Ainsi, tout au long de 2002, les faucons et les néoconservateurs de l’Administration seront en mesure d’influencer G. W. Bush et d’obtenir le ralliement de C. Powell, George Tenet — directeur de la Central Intelligence Agency (CIA) — et les chefs militaires, et ce, autant par conviction que par souci de loyauté pour le président. Comme il l’avait fait en 1990, à la veille de la guerre du Golfe, C. Powell s’inclinera devant R. Cheney. Il aurait de loin préféré maintenir le statu quo et poursuivre la stratégie d’endiguement. Son seul réconfort viendra de quelques personnalités connues (Brent Scowcroft, James Baker, Lawrence Eagleburger, Norman Schwartzkopf), associées à l’Administration George. H. W. Bush, qui s’opposeront publiquement aux desseins des néoconservateurs. Sans doute C. Powell croyait-il que la guerre pouvait être évitée après son extraordinaire travail diplomatique et l’obtention de la résolution unanime du Conseil de sécurité des Nations unies en novembre 2002. Mais les autres conseillers de l’équipe Bush étaient peu convaincus du mérite de cette approche diplomatique : dans le mois qui suit sa fameuse présentation des « preuves » du 5 février 2003 devant le Conseil de sécurité, C. Powell réalise que les néoconservateurs et les « faucons » ont imposé leur calendrier et que rien ni personne ne ferait changer d’idée le président. Le secrétaire au Trésor, P. O’Neill, qui participe aux réunions du forum décisionnel du NSC, constate lui aussi très vite la progression de cette pensée unique. Seulement dix jours après l’arrivée de G. W. Bush à la Maison-Blanche, l’Irak fait déjà l’objet de discussions. P. O’Neill croit même déceler l’émergence d’une pression groupale pour rallier les décideurs indécis (dont lui-même) ainsi que ceux qui y sont opposés (comme C. Powell). Cette pression s’accentuera tout au long de l’année 2001. Selon lui, le prési- 1. Thomas Powers, Intelligence Wars. American Secret History from Hitler to Al-Qaïda, New York, New York Review Book, 2004, p. 438. 99324 UWI – Revue Iris – Dalloz – Janvier 2005 R$IRIS$$$2 10-05-05 08:10:04 rappel folio : p. 15 L’invasion de l’Irak : les dessous de la prise de décision... / Charles-Philippe David 15 dent était peu informé, aisément manipulable et dirigeait ses réunions du NSC « comme un aveugle dans une salle remplie de sourds » 1. La revue internationale et stratégique, n° 57, printemps 2005 Même si aucun lien n’est établi entre S. Hussein et Al-Qaïda, les conseillers de G. W. Bush persistent dans la « politique de la canonnière ». Le successeur de R. Clarke au NSC, Randy Beers (futur conseiller pour la Sécurité nationale du candidat démocrate John F. Kerry aux élections présidentielles de 2004), s’opposera aux projets de l’Administration : il démissionnera de son poste en août 2002. Le consensus était tel qu’il n’était pas envisageable de mettre en doute le choix du président selon lequel la lutte contre le terrorisme devait passer par l’Irak : on est alors au cœur de la pensée groupale. Et ce conformisme intellectuel prend ses aspects les plus nocifs : « Il y avait là une idée fixe, une croyance inébranlable, produit d’une connaissance innée, une décision déjà prise et contre laquelle aucun fait, aucun événement ne pourrait rien. [...] [Il fallait] adresser un signal au pays et à l’étranger pour dire : “Ne touchez pas au Texas, ne touchez pas à l’Amérique” » 2. L’entêtement du président est tel qu’il s’est sans doute privé de certaines options — notamment diplomatiques — qui auraient renforcé la position des États-Unis dans le monde plutôt que de la décrédibiliser. La force du groupe, le poids d’une idéologie dominante et ce conformisme écrasant ont exercé une véritable torsion sur le processus décisionnel : la décision d’envahir l’Irak a été précipitée, l’éventail d’options disponibles n’a pas été envisagé ni formellement révisé, les conséquences de l’invasion n’ont pas été réfléchies. Parce que l’idée était portée par quelques conseillers influents et parce que le plan d’invasion a toujours été pensé en vase clos, il ne s’est trouvé aucun conseiller — même C. Powell — suffisamment influent pour résister à cette lame de fond : entre ceux qui étaient convaincus depuis longtemps de la nécessité d’envahir l’Irak, ceux qui se sont laissés persuader et ceux, enfin, qui n’ont pu s’y opposer, il n’y avait plus guère de place pour un contradicteur ou un avocat du diable. Même la conseillère pour la Sécurité nationale n’a pas joué son rôle d’honnête courtier et s’est contentée d’être complaisante. La pensée groupale avait fait son œuvre. La manipulation de la bureaucratie En octobre 2001, G. Tenet présente au président un exposé sur la menace des ADM et les possibles liens entre l’Irak et Al-Qaïda. Le président se saisit de ces présomptions et y recourt pour justifier, dans son discours sur l’état de l’Union de janvier 2003, l’usage de la force contre l’Irak. Or, à l’issue de la guerre, la réalité est tout autre. Le premier rapport de la Commission du Sénat sur le renseignement, rendu public en juillet 2004 3, accuse la CIA d’avoir considérablement exagéré la menace des ADM. P. Wolfowitz admet 1. Ron Suskind, The Price of Loyalty. George W. Bush, the White House, and the Education of Paul O’Neill, New York, Simon & Schuster, 2004, p. 149. 2. Richard Clarke, Against All Enemies. Inside America’s War on Terror, New York, Free Press, p. 265-266. 3. Commission sénatoriale sur le renseignement, Report on the US Intelligence Community’s Prewar Intelligence Assessments on Iraq, Washington DC, US Government Printing Office, 7 juillet 2004. 99324 UWI – Revue Iris – Dalloz – Janvier 2005 R$IRIS$$$2 10-05-05 08:10:04 rappel folio : p. 16 16 ÉCLAIRAGES d’ailleurs, en juillet 2003, que leur existence ne constituait pas véritablement la raison première de la guerre (l’impérialisme démocratique était pour lui le véritable motif de l’invasion). Brandir l’épouvantail des ADM a plutôt servi, selon le secrétaire adjoint à la Défense, à fédérer les intérêts bureaucratiques. Compte tenu des informations dont nous disposons actuellement, l’étude de la prise de décision paraît indiquer qu’il y a eu une véritable manipulation de la bureaucratie. « Pour des raisons bureaucratiques nous nous sommes entendus sur un enjeu, les armes de destruction massive, car c’était là la seule raison sur laquelle tout le monde pouvait s’entendre » 1. Ce que P. Wolfowitz ne dit pas, c’est qu’il n’y avait pas de consensus dans la bureaucratie — et dans la communauté du renseignement tout particulièrement — autour de l’existence des ADM. Le poids de la pensée unique et de la pression groupale a sans doute poussé une partie de la communauté du renseignement à vouloir satisfaire les décideurs en mettant l’accent sur des éléments d’information qui allaient dans leur sens. Il semble que plusieurs personnes, au sein de la communauté du renseignement, aient légitimement cru à l’existence de ces armes. Toutefois, l’information disponible n’était pas aussi probante que G. W. Bush et ses conseillers l’affirmèrent. C’est d’ailleurs en contredisant certains de ses analystes que G. Tenet affirmera, le 21 décembre 2002 devant G. W. Bush, R. Cheney et C. Rice, que les preuves sur les ADM en Irak étaient en « béton » 2. Pourtant les données qui ont été dispensées au public étaient biaisées sinon erronées : de toute évidence, il fallait gonfler la menace pour légitimer la guerre. Il n’y avait pas, en effet, d’ADM en Irak comme l’ont prétendu à maintes reprises le président et les principaux décideurs. Deux questions se posent alors. La bureaucratie s’est-elle trompée ? A-t-elle été manipulée ? En août 2002, les décideurs du Pentagone mettent sur pied une cellule dédiée uniquement à la collecte, à l’analyse et à la présentation d’informations qui soient utiles aux décideurs et qui servent surtout les objectifs qu’ils se sont définis. Cette cellule, appelée Office of Special Plans, est conçue par Douglas J. Feith et est coordonnée par Abram Shulsky, un proche également néoconservateur. Ce groupe gravite dans l’ombre de R. Cheney et de son conseiller Lewis Libby. Le bureau de A. Shulsky sera omniprésent et contrôlera l’ensemble des informations transmises par la communauté du renseignement. Il recourra à la stratégie du « stovepiping » 3, qui correspond à l’emploi de méthodes de tri de l’information selon qu’elle corrobore ou non les objectifs des décideurs, en écartant les traditionnels filtres institutionnels. À ce stade, en effet, « le but est non seulement de combattre S. Hussein mais également le NSC, le département d’État et la communauté du renseignement » 4. Les néoconservateurs privilégieront donc les informations émanant de certaines sources israéliennes et de dissidents irakiens en exil, comme Ahmed Chalabi (chef du Congrès national irakien). Ce dernier parvient à convaincre l’Office of Special Plans de la véracité 1. Cité par Sam Tanenhaus, « Bush’s Brain Trust », Vanity Fair, juillet 2003, p. 169. 2. B. Woodward, op. cit., 2004, p. 249. 3. Seymour Hersh, « The Stovepipe », The New Yorker, 27 octobre 2003, p. 77-87. 4. James Bamford, A Pretext for War. 9/11, Iraq, and the Abuse of America’s Intelligence Agencies, New York, Doubleday, 2004, p. 317. 99324 UWI – Revue Iris – Dalloz – Janvier 2005 R$IRIS$$$2 10-05-05 08:10:04 rappel folio : p. 17 L’invasion de l’Irak : les dessous de la prise de décision... / Charles-Philippe David 17 des informations — que l’on estime maintenant avoir été fabriquées de toutes pièces — selon lesquelles il y aurait des ADM en Irak. En fait, « la conviction que S. Hussein possédait des armes de destruction massive était tellement ancrée [dans les esprits], que n’importe quel document, peu importe son origine et sa fiabilité, était considéré comme une preuve irréfutable » 1. La revue internationale et stratégique, n° 57, printemps 2005 Certaines bureaucraties traditionnelles de la communauté du renseignement seront contournées ou même ignorées. Fin septembre 2002, G. Tenet transmet aux présidents des commissions parlementaires sur le renseignement un rapport confidentiel de 92 pages : le National Intelligence Estimate. Ce rapport, en apparence précis, a en réalité été conçu à la hâte (en quinze jours) et contient des informations dépassées, douteuses et controversées, sinon détournées, sur la menace des ADM. Au Pentagone, la Défense Intelligence Agency (DIA) contestera certaines conclusions de cette évaluation, notamment celle concernant les armes chimiques. Le renseignement militaire de la branche de l’armée de l’air niera la possibilité, pourtant avancée dans ce rapport, de l’utilisation par l’Irak de drones dotés d’armes biologiques. Au département d’État, le Bureau of Intelligence and Research (INR) ira dans le même sens, appuyant les analyses de la DIA et des services de l’armée de l’air, et il contredira plusieurs des assertions du président, de G. Tenet et de John Bolton (sous-secrétaire au Contrôle des armements, au département d’État). La section du renseignement nucléaire au département de l’Énergie (DOE) fera la même analyse. Dès lors, les décideurs écarteront les documents critiques de l’INR, de la DIA et de la DOE ; C. Rice dira même ne pas les avoir lus (alors qu’ils étaient pourtant annexés au rapport confidentiel de G. Tenet). De toute évidence, et contrairement à la façade affichée par l’Administration Bush, il n’existait pas, avant la guerre, de vision consensuelle de la bureaucratie sur l’état précis des programmes irakiens d’ADM. Au contraire, la communauté du renseignement paraît avoir été marginalisée dans le cadre d’une opération politiquement et idéologiquement téléguidée. R. Cheney et L. Libby exerceront, durant l’automne 2002, d’intenses pressions sur la CIA pour que les analyses transmises à la Maison-Blanche, au NSC et au Congrès soient compatibles avec celles fournies par le groupe de A. Shulsky. Le vice-président et son adjoint se rendront — à plusieurs reprises, ce qui est inusité — au quartier général de la CIA pour rencontrer G. Tenet et ses adjoints. Ces visites ont sans doute exercé une pression supplémentaire sur les analystes qui préfèrent, après le choc du 11 septembre, surestimer la menace plutôt que de se tromper à nouveau. Aussi, G. Tenet dépose-t-il au Congrès, le 1er octobre 2002, un Livre blanc, public, dérivé du National Intelligence Estimate (non déclassifié) ; il ne comprend que 25 pages et n’inclut pas les réserves émises par l’INR, la DIA et le DOE. Certaines questions litigieuses et les incertitudes soulevées dans le rapport confidentiel sont remplacées, dans le Livre blanc, par des affirmations et des certitudes. Pourtant, les présidents des Commissions parlementaires, qui ont eu connaissance du rapport confidentiel, sont insatisfaits par le Livre blanc : G. Tenet rendra alors public un avis (écrit au mois d’août) dans lequel il reconnaît que « Bagdad n’avait 1. I. Daalder et J. Lindsay, op. cit., p. 166. 99324 UWI – Revue Iris – Dalloz – Janvier 2005 R$IRIS$$$2 10-05-05 08:10:04 rappel folio : p. 18 18 ÉCLAIRAGES aucune raison de provoquer Washington et d’aider les terroristes à attaquer les ÉtatsUnis » 1. Bien qu’ils aient connaissance de certaines de ces contradictions, dont celles de G. Tenet lui-même, les membres du Congrès se fonderont sur le Livre blanc (un document bien différent du rapport confidentiel dont il est issu) lorsqu’ils sont appelés, les 10 et 11 octobre 2002, à se prononcer sur une résolution avalisant le recours éventuel à la force. L. Libby tentera, sans succès, d’influencer la préparation de la présentation de C. Powell devant le Conseil de sécurité, prévue pour le 5 février 2003. Le secrétaire d’État se méfie de ce qui émane du bureau du vice-président et écarte certains des arguments qui lui sont présentés. Néanmoins, il ne parviendra pas à se soustraire à la force centripète de la pensée groupale et il présentera un exposé partial et controversé du rapport confidentiel soumis par G. Tenet quatre mois plus tôt. À l’issue de la guerre, et alors qu’aucune ADM n’a été découverte, « C. Powell n’a [toujours pas] expliqué une seule de ses déclarations » 2. En tentant d’influencer directement les inspections de l’ONU dans leur déroulement et leurs conclusions, la conseillère C. Rice a joué un rôle opérationnel tout à fait nouveau pour un conseiller pour la Sécurité nationale. À cet égard, elle rencontre Hans Blix (le directeur du programme d’inspections de l’ONU) à son initiative et à trois reprises durant l’hiver 2003. Au début du mois de janvier 2003, Stephen Hadley, l’adjoint de C. Rice, omettra de transmettre au bureau de la Maison-Blanche la recommandation de G. Tenet de ne pas utiliser certaines informations britanniques sur le présumé commerce d’uranium entre le Niger et l’Irak, car la CIA met en doute leur véracité. Il apparaît que S. Hadley et son assistant Robert Joseph obéiront plutôt aux directives de R. Cheney pour trouver le moyen d’inclure cette information dans le discours important de l’état de l’Union (ce qu’ils parviendront à faire) que G. W. Bush prononce fin janvier. C. Rice niera avoir eu connaissance de cette omission. « Si elle a raison, conclut James Pfiffner, et que personne ne lui a communiqué les doutes [du directeur de la CIA] sur un enjeu aussi crucial que celui des armes nucléaires et de l’Irak, le président était vraiment bien mal servi » 3. Les remous bureaucratiques de l’après-guerre L’opération militaire « Liberté en Irak » se déroulera de manière expéditive, infirmant les pronostics pessimistes, mais il en ira tout autrement de l’après-guerre. C. Powell avait prévenu G. W. Bush : « Ce que vous cassez est à vous », sous-entendant qu’il lui faudrait en assumer les conséquences. Le choix de n’envoyer que des effectifs réduits s’avérera problématique dans les mois qui suivront l’invasion. L’insuffisance du nombre de soldats 1. Cité par D. Hiro, op. cit., p. 83. 2. John Dean, Worse than Watergate. The Secret Presidency of George W. Bush, New York, Little, Brown and Company, 2004, p. 145. 3. James Pfiffner, « Did President Bush Mislead the Country in His Arguments for War in Iraq ? », Presidential Studies Quarterly, vol. 34, no 1, mars 2004, p. 33. 99324 UWI – Revue Iris – Dalloz – Janvier 2005 R$IRIS$$$2 10-05-05 08:10:04 rappel folio : p. 19 L’invasion de l’Irak : les dessous de la prise de décision... / Charles-Philippe David 19 déployés en Irak avait été, préalablement à l’invasion, soulevée devant le Congrès, notamment par le chef d’état-major de l’armée de terre, aussitôt vivement rabroué par le secrétaire adjoint à la Défense. Les plans conçus par le Pentagone, une fois S. Hussein parti, se révéleront inadaptés et bâclés, suscitant des affrontements entre le Pentagone et le département d’État, et d’âpres discussions s’engageront sur les compétences, les objectifs et les ressources attribuées à l’autorité de transition américaine. Il y a eu trop peu de réunions de haut niveau pour préparer l’après-Irak (la première réunion ne se déroulant que le 21 février 2003). Encore une fois, C. Rice a fait preuve du même effacement, incapable de rétablir une unité gouvernementale. Tandis que s’organisent des guérillas en Irak (contredisant les néoconservateurs qui prévoyaient une libération dans l’allégresse) et qu’apparaissent des doutes quant au bien-fondé de cette invasion qui, en réalité, renforcerait la mouvance Al-Qaïda, l’équipe G. W. Bush révise en profondeur sa stratégie. Le président donnera à C. Rice et à son assistant Robert Blackwill, en octobre 2003, l’autorité de coordonner la politique américaine en Irak. Le changement est d’importance : dans l’organisation de la transition et de la reconstruction en Irak, les départements d’État et de la Défense sont désormais sous le contrôle de l’administration du NSC. La revue internationale et stratégique, n° 57, printemps 2005 Malgré son inexpérience dans le domaine des affaires internationales, G. W. Bush s’est révélé déterminé à recourir à la puissance militaire si besoin était. Ainsi redéfinie par ses conseillers, l’hégémonie américaine a, en quelque trois ans, pris une nouvelle forme, s’appuyant sur une doctrine nouvelle et une véritable révolution interne. Une singulière combinaison de nationalisme, voire d’exceptionnalisme, et d’impérialisme détermine dès lors les actions et réactions de cette Administration, mettant en cause la plupart des principes qui avaient défini le cadre de la politique étrangère au cours des cinquante dernières années. Dans un cadre idéologique renouvelé, une nouvelle phase de l’histoire décisionnelle et de la formulation de la politique étrangère américaine s’amorce. Il y a, entre les suites des attentats du 11 septembre et la conduite de la guerre en Irak, une étrange continuité : la révolution Bush n’est peut-être pas tout à fait achevée.