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Arrêt Bodein c. France (requête n°40014/10) rendu par la Cour européenne
des droits de l’homme le 13 novembre 2014
http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-147880#{"itemid":["001-147880"]}
Le requérant allègue la violation de l’article 3 de la Convention au motif que la peine à
perpétuité à laquelle il a été condamné constitue un traitement inhumain et dégradant.
Par ailleurs, il estime que le défaut de motivation de l’arrêt de Cour d’assises
prononçant sa culpabilité, équivaut à une violation de l’article 6§1 de la Convention qui
protège le droit à un procès équitable et les droits de la défense.
Le requérant a été condamné par la Cour d’assise du Bas-Rhin le 9 février 1996 à vingt ans de
réclusion criminelle pour tentative de meurtre, vol avec port d’arme, viol commis sous la
menace d’une arme, viol, évasion d’un détenu hospitalisé, vol et violences volontaires. Le 15
mars 2004, il est placé en liberté conditionnelle. Quelques mois plus tard, suspecté d’avoir
commis trois meurtres avec viol, il est mis en examen. Dans un arrêt du 11 juillet 2007, le
requérant est condamné par la Cour d’assises du Bas-Rhin à une peine de réclusion criminelle
à perpétuité. Tout aménagement de peine au titre de l’article 132-23 du Code pénal est
expressément proscrit par l’arrêt. Le requérant a alors interjeté appel. Lors de l’audience à la
Cour d’assises du Haut-Rhin, du 9 septembre au 2 octobre 2008, 27 questions ont été posées
au jury. L’arrêt confirme la condamnation à perpétuité et, par décision spéciale l’interdiction
d’un aménagement de peine. Le requérant s’est alors pourvu en cassation, alléguant un défaut
de motivation de l’arrêt de la Cour d’assises en violation de l’article 6§1 de la Convention. Il
soulève en outre soulève une violation de l’article 3, du fait que la peine à perpétuité, sans
aménagement possible, équivaudrait à un traitement inhumain et dégradant.
Sur la recevabilité : Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité au motif que le
requérant n’aurait pas épuisé les voies de recours internes. Il n’a pas utilisé la procédure lui
permettant de contester la formulation des questions adressées au jury, procédure inscrite dans
le code de procédure pénale. La Cour constate que cette procédure n’a pas été notifiée au
requérant lorsqu’il s’est pourvu en cassation, et qu’en tout état de cause, ce recours n’est pas
susceptible de redresser les griefs soulevés par lui, puisque ce dernier ne conteste pas
uniquement la liste de questions. Partant, la Cour rejette l’exception d’irrecevabilité soulevée
par le Gouvernement.
Sur le fond – violation de l’article 6§1 : La Cour constate que la procédure criminelle
française présente un certain nombre de garanties pour les accusés, comme l’information, le
débat contradictoire ou encore l’égalité des armes. En outre, elle souligne qu’il est possible de
contester une décision de Cour d’assises, puisqu’un pourvoi en cassation est possible. Elle
examine ensuite de façon conjointe l’acte de mise en accusation, et les questions posées au
jury. La Cour prend en compte le fait que l’acte de mise en accusation a été rédigé de manière
circonstanciée, et qu’ensuite, les charges ont été débattues pendant 24 jours. Elle rappelle
l’importance des questions adressées au jury étant donné qu’il ne dispose pas du dossier de la
procédure. Elle prend note du fait qu’en raison des réponses apportées aux questions et de
l’acte d’accusation qui établissait clairement qu’il avait commis les faits reprochés, le
requérant ne pouvait pas ignorer l’issue du jugement.
Solution rendue par la Cour : La Cour estime que « le requérant a disposé de garanties
suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son
encontre. » La Cour rejette le grief du requérant fondé sur l’article 6§1.
Sur le fond – La violation de l’article 3 : La Cour se repose sur sa jurisprudence Vinter et
autres c. Royaume-Uni [GC], n°66069/09, 130/10 et 3896/10, CEDH2013. « Infliger à un
adulte une peine perpétuelle incompressible peut soulever une question sous l’angle de
l’article 3 de la Convention. » Si la peine est de jure et de facto incompressible, cela est
contraire à l’article 3. A cette obligation s’oppose le devoir de l’Etat, en vertu de la protection
du public, de maintenir en détention une personne qui constitue un danger, « empêcher un
délinquant de récidiver est l’une des « fonctions essentielles » d’une peine
d’emprisonnement ». Toute peine doit pouvoir être compressible, et pour cela il faut qu’elle
puisse être soumise à réexamen. Le condamné doit connaître, dès sa condamnation, les
« conditions d’accès à un tel réexamen ». La forme que doit prendre le réexamen et la durée
de détention à partir de laquelle il doit intervenir appartient cependant à la marge
d’appréciation des Etats. La Cour constate néanmoins, à la vue du droit comparé et du droit
international, que ce réexamen devrait se faire dans un délai de 25 ans au plus. Elle examine
alors les perspectives de réexamen dans le cas d’espèce. En vertu du code de procédure pénale
français, le requérant pourra bénéficier d’un aménagement de peine après 30 ans
d’incarcération. Pour se faire, le juge de l’aménagement des peines désigne un collège de
médecins pour évaluer son état de dangerosité. Puis, une commission de magistrats de la Cour
de cassation peut mettre fin à l’application de la décision spéciale de la Cour d’assises par
jugement. « L’article 720-4 prévoit un réexamen judiciaire de la période de sûreté perpétuelle,
ouvert au ministère public et au condamné, dans la perspective de contrôler si des motifs
légitimes justifient toujours le maintien en détention ». Alors, s’il est mis fin à la décision
spéciale de la Cour d’assises de n’accorder aucun aménagement de peine, le requérant pourra
prétendre à la liberté conditionnelle. La Cour note donc que le requérant bénéficie d’une
possibilité d’élargissement de sa peine, dont il a connaissance depuis sa condamnation. Si la
Cour constate que le délai de 30 ans est supérieur de 5 ans à la tendance internationale, elle
prend en compte le fait que la détention provisoire est comptabilisée. En l’espèce, le requérant
pourra saisir le juge de l’application des peines en demande de relèvement de la décision
spéciale, 26 ans après sa condamnation.
Solution de la Cour : En raison de la marge d’appréciation dont bénéficient les Etats en
matière d’aménagement de peine, et de l’existence d’une possibilité d’élargissement dès le
prononcé de la condamnation, il n’y a pas eu violation de l’article 3, car la peine à laquelle a
été condamné le requérant est considérée comme compressible.

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