LES GÉNÉRIQUEURS FACE AU PUZZLE DE L`EUROPE

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LES GÉNÉRIQUEURS FACE AU PUZZLE DE L`EUROPE
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22 i n d u s t r i e GÉNÉRIQUES
LES
GÉNÉRIQUEURS
FACE AU PUZZLE
DE L’EUROPE
Dans l’ensemble des pays de l’Union européenne,
le générique connait depuis une dizaine d’années
une croissance régulière et progressive. Sur le grand
marché unique, les pratiques sont encore loin d’être
homogènes, même si des tendances communes
se dessinent.
——————
L
PHARMACEUTIQUES _ JUIN / JUILLET 2006
communiste : Croatie, République
Tchèque, Létonie, Lituanie, Hongrie
et Pologne.
Manne financière. « A la lecture des
pratiques en cours dans l’Union, il
apparait que les pays qui ont promu
les génériques depuis 10, voire 15 ans,
ont des marchés de produits génériques beaucoup plus matures que les
pays qui n’ont introduit des mesures
en leur faveur que récemment », expliquent les auteurs d’un récent rapport2, commandé par l’Association
Européenne des Génériqueurs (EGA)
et qui est consacré à l’avenir du générique dans l’Union. Au sein de cette
dernière, un petit groupe de sociétés
spécialisées dans les génériques se
livrent désormais une bataille sévère
pour le contrôle d’un marché qui,
sans être stratégique, suscite un intérêt croissant du fait de blockbusters
dont les brevets arrivent prochainement à échéance. Selon Merril Lynch,
la manne financière que représente
cette bascule s’élèverait d’ici 2010 à
quelque 80 milliards de dollars pour
un ensemble de 219 produits « génériquables » depuis 2005. Dans cette
compétition, quelques fabricants européens de génériques sont d’ores et
déjà sur les rangs, dont le groupe Ratiopharm (5 290 salariés, 1,493 mil-
© GETTY IMAGE
e marché du générique représente à ce jour environ
10 % des ventes mondiales de
médicaments exprimées en
prix fabricants, soit quelque 48 milliards d’euros en 20041, en progression de 8 %. Après les Etats-Unis
(20,1 milliards d’euros), l’Europe représente le 2ème marché pour les fabricants de génériques, avec 14,4 milliards d’euros, soit précisément un
tiers du chiffre d’affaires mondial.
Dans cet ensemble européen, l’Allemagne et le Royaume-Uni, avec respectivement 5,2 milliards d’euros et
2,4 milliards d’euros, derrière le Japon qui réalise à lui seul 2,9 milliards
d’euros, sont les leaders historiques
d’un marché que l’on peut subdiviser
en trois grands groupes. Le premier
rassemble les pays où le générique
pèse moins de 10 % en valeur, soit
Autriche, Belgique, Finlande, France,
Irlande, Italie, Portugal et Espagne. Le
2ème groupe comprend les pays de
l’Union où ces mêmes produits réalisent entre 10 et 40 % de parts de marché : Danemark, Estonie, Allemagne,
Pays-Bas, Suède, Slovaquie, Slovénie,
Royaume-Uni et Turquie. Enfin, le
3ème groupe comprend les pays situés
dans la zone est de l’Europe, où le générique est implanté de longue date
pour livrer les pays de l’ancien bloc
liard d’euros de chiffre d’affaires en
2004, présent dans 18 pays de
l’Union) qui vient de se faire détrôner
par le nouveau leader mondial du
secteur, Sandoz (519 millions d’euros en 2004), dont la maison mère,
Novartis, a absorbé en février 2005 un
autre Allemand, Hexal (1,3 milliard
d’euros).
Ces deux leaders sont talonnés de
près par deux autres Allemands, le
groupe Merck KGaA (613 millions
d’euros en Europe en 2004, 1,6 milliard d’euros dans le monde) et le
(1) Selon un rapport d’Accenture, paru en 2005 en
Allemagne sous le titre « L’importance de l’industrie du générique dans la prise en charge sanitaire en Allemagne »
(2) « Sustaining generic medecines markets in
Europe », Pr. Dr Steven Simoens et Sandra De
Coster, Centre de recherche en pharmaco-économie de l’Université Catholique de Louvain
(Belgique), avril 2006. (voir : http://www.egagenerics.com )
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leur en 2004), où les prix sont libres
dès leur entrée sur le marché, mais
où les médecins ont, dès 1990, été
fortement incités à prescrire ces produits (les prescriptions ont crû de
60 % en 1992 à 75 % en 2003), soutenus par le droit de substitution accordé en 2002 aux pharmaciens.
groupe Stada (603 millions d’euros),
né à Dresde en 1985, dans l’ex-Allemagne de l’Est. L’Israélien Teva
(1,3 milliard d’euros en 2004 en Europe) se situe dans ce pool de leaders,
devant le Croate Pliva (183 millions
d’euros) ou encore le Français Sanofi-Aventis (159 millions d’euros),
loin devant Ranbaxy (60 millions
d’euros) arrivé depuis peu en Europe.
Ainsi dans le concert de la concurrence interne à ce segment du marché européen, l’Allemagne, avec
quelques génériqueurs offensifs et
bien placés (trois sociétés couvrent
50 % du marché), s’est à elle seule imposée comme deuxième marché
mondial des ventes de génériques et
numéro un en Europe. Une position
qu’elle doit aussi à la forte pénétration des génériques au pays de Bismark (47 % en volume et 27 % en va-
ment économique du dossier n’est
pas, loin s’en faut, le seul à affecter
l’évolution du générique sur le vieux
continent. Car les pays qui disposent
d’un marché dit « mature » en la matière sont aussi et surtout ceux qui ont
adopté des mesures incitatives, tant
pour les médecins que pour les pharmaciens ou encore en direction des
Un marché convoité. Si l’Europe est
malades. Ainsi, aux Pays-Bas, où le géincontestablement un marché attracnérique a réalisé une des percées les
tif pour les génériqueurs, ces derniers
plus spectaculaires (avec plus de 44 %
vivent cependant dans les différents
de part de marché en valeur en 2004),
pays des situations assez variées. « La
les médecins sont encouragés à prespénétration des génériques est dacrire des génériques depuis 1995 et revantage réussie dans les pays qui auçoivent en appui des guides de prestorisent une (relative) liberté des prix
criptions et des protocoles pour
(Allemagne, Hollande, Royaume-Uni),
promouvoir « l’utilisation efficace des
contrairement aux pays qui ont
médicaments ».
adopté une régulation administrative
« Des discussions locales phardes prix (Autriche, Belgique, France,
maco-thérapeutiques se tiennent
Italie, Portugal, Espagne) », expliquent
entre communautés de médecins et
les experts du rapport de l’EGA, qui esde pharmaciens pour évaluer les
timent qu’un écart important entre les
prescriptions et dispensation de proprix élevés des médicaments princeps
duits », note le rapport des universiet les prix des génériques favorise la
taires de Louvain. « Des campagnes
pénétration des génériques sur un
d’information ont encouragé les mémarché donné. Ainsi, au regard des
decins à utiliser des noms de génépolitiques de prix adoptées en la mariques plutôt que des noms de
tière, les pratiques vamarques ». Un fond
rient sensiblement d’un
d’assurance a même
pays à l’autre, même si
récemment encouragé
L’Europe
l’écrasante majorité des
financièrement les méest un marché
membres de l’Union
decins à recourir plus
attractif
ont recours à un sysfréquemment aux
tème dit de « prix de rég é n é r i q u e s. A c e l a
férence » (seuls six pays
s’ajoute le soutien des
n’en ont pas adopté). Au sein de l’EGA,
pharmaciens, autorisés à substituer
à Bruxelles, on souligne volontiers les
avec l’accord des praticiens et des pafaiblesses du marché unique. « La
tients et invités à le faire grâce à un
maximisation de la concurrence par
système d’incitation financière atles prix pour les génériques en Europe
tractif. De même, au pays de sa très
est restreinte par l’existence de 25 sysGracieuse Majesté, où le marché du
tèmes de prix, 25 cultures de prescripgénérique a plus que doublé en une
tion et de substitution et 25 conditions
décennie (655 millions d’euros en
nationales différentes », explique Greg
1994 à 3,625 milliards d’euros en
Perry, son dg, pour qui « les coûts des
2004), les médecins prescrivent à
laboratoires de génériques sont en Eu79 % en DCI, soutenu en cela par des
rope significativement plus élevés
programmes informatiques spéciqu’aux Etats-Unis ». Mais le côté purefiques (Prodigy) mais aussi vivement RAPPORT DE L’EGA : 6 MESURES EN FAVEUR
DU GÉNÉRIQUE
1. Mettre en place une politique cohérente dans le domaine des génériques
2. Autoriser une plus grande liberté dans la tarification et soutenir la
concurrence sur les prix
3. Informer les médecins, les pharmaciens et les patients des écarts de prix
4. Rendre les médecins, les pharmaciens et les patients plus confiants
5. Inciter les médecins à prescrire des génériques
6. Supprimer les mesures financières qui incitaient les pharmaciens à ne pas
proposer de génériques
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PART DE MARCHÉ DES GÉNÉRIQUES PAR PAYS
Danemark
Allemagne
Parts de
marché
(en % du total)
(1) Système
de prix
de référence
(2) Droit de
substitution par
les pharmaciens
2004
Valeur
Volume
Valeur
Volume
Régime Prix
SPR1
DS2
39,33
61,3
29,70
69,7
Libres
1993
1991
nc
nc
27
47
Libres
1989
2002
Pays-Bas
19,9
8,5
44,3
17,7
Régulés
1991
Oui
Pologne
66,4
90,8
60,5
87,4
Régulés
Oui
Oui
Royaume-Uni
8,6
nc
20
nc
Libres
Non
Non
Autriche
5,5
9,2
8,8
15,8
Régulés
Non
Non
Belgique
0,8
2,2
4,8
8,0
Régulés
2001
1993
France
0,9
1,8
6,6
10,4
Régulés
2003
1999
Italie
0,9
1,4
2,5
4,5
Régulés
2001
2001
Portugal
0,5
0,8
8,6
7,2
Régulés
2003
2003
Espagne
1,7
2,0
5,0
8,1
Régulés
2000
2000
encouragés à le faire par leur système
de budget individuel (fundholding).
Si le droit de substitution n’y est pas
autorisé, le gouvernement s’est éloigné d’un système qui incitait les
pharmaciens à « chasser des discounts » vers un système qui détermine les remboursements en fonction des prix du marché. « La
substitution peut contribuer à l’utilisation des génériques si elle est financièrement neutre ou attractive
pour les pharmaciens », commentent
encore les auteurs de l’étude. Au Portugal ou en Espagne, la rémunération
des pharmaciens se traduit par un
pourcentage fixe du prix public et
n’encourage pas la délivrance de génériques. En Italie ou en Pologne, où
les marges sont dégressives, l’incitation n’est guère plus forte. D’autres
systèmes, plus neutres du point de
vue financier, attribuent des marges
identiques en valeur absolue, qu’il
s’agisse de génériques ou de princeps, comme la France et la Belgique.
« Ils ont pour inconvénient d’augmenter les prix des génériques relativement aux médicaments originaux
et d’inhiber le recours aux génériques », indiquent les experts.
Davantage d’efforts attendus. Plus
largement, ces derniers condamnent le système des remises ou discounts, qui, s’ils profitent aux pharmaciens, ne bénéficient pas sur le
long terme aux organismes payeurs
ou aux patients qui ne récupèrent
pas les économies potentielles que
peut dégager un marché où les sociétés sont en compétition sur les
prix. Enfin, l’Europe est encore loin
de reconnaître pleinement le rôle
que peuvent jouer les patients. Rares
sont les pays qui ont adopté des
mesures pour inciter les patients à
demander des génériques ou qui, à
l’inverse, pénalisent ces derniers
quand ils n’y ont pas recours.
Les génériqueurs représentés par
l’EGA, qui tiendra sa conférence annuelle en septembre à Budapest, ont
fait rédiger à l’attention des pays
membres de l’Union une série de recommandations. Pour la France, ses
experts préconisent d’inciter à une
compétition par les prix en réduisant
le niveau de remises que les sociétés
sont autorisées à octroyer aux officinaux. « Davantage d’efforts doivent
être déployés pour promouvoir l’acceptation professionnelle des génériques auprès des médecins », notent
encore les auteurs de l’étude précitée. Notamment en encourageant la
prescription en DCI. Une recommandation qui pourrait rapidement
s’imposer comme une règle commune à l’Union. ■
JEAN-JACQUES CRISTOFARI
J U I N /J U I L L E T 2 0 0 6 _ P H A R M A C E U T I Q U E S
SOURCE IMS
1994