Don Giovanni

Transcription

Don Giovanni
Don Giovanni
Il dissoluto punito ossia il Don Giovanni
Opéra (dramma giocoso) en deux actes
Musique de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Livret de Lorenzo Da Ponte
Créé au Théâtre du Comte Nostitz (actuel Théâtre des Etats)
À Prague, le 29 octobre 1787
Mais qui est Don Juan? Un vulgaire agresseur, un psychopathe
obsédé par le sexe? Ou un joueur raffiné qui prend plus de plaisir
à la séduction qu’à l’acte charnel qui la couronne? Assaille-t-il
les corps ou les cœurs? Don Giovanni, le jeu du libertinage, de la
soif de gloire et d’avancée sociale, ne cessera jamais de nous
étonner avec son jeu subtil entre fidélité et compromission, où
se confondent l’image et l’être.
Les Jeunes au cœur du Grand Théâtre
Programme pédagogique, Grand Théâtre de Genève
avec le soutien de la Fondation de bienfaisance de la Banque Pictet
et de la République et canton de Genève
Dossier pédagogique réalisé par Christopher Park
Septembre-octobre 2009
1
Table des matières
Introduction
p. 3
L'ESSENTIEL POUR TOUT LE MONDE
Les rôles et la distribution de la production du Grand Théâtre
p. 5
Qu'est-ce qui se passe dans l'opéra ?
p. 6
Qui sont les principaux personnages?
Quels sont leurs types de voix?
p. 10
Stylé Mozart
Wolfgang: sa vie
Amadeus: sa musique
Mozart: son temps
p. 17
p. 18
p. 21
UN PEU PLUS LOIN
Mais qui est Lorenzo Da Ponte ?
p. 25
Mais qui est Marthe Keller ?
p. 27
Don Giovanni : l’histoire d’un opéra
p.28
Don Juan par lui-même
p. 30
ANNEXES
CD d’accompagnement : liste du contenu
Textes italiens des extraits de l'œuvre et traduction française
Questionnaires d’évaluation pour les élèves et l’enseignant
p. 38
p. 39
p. 47
2
Introduction
Ce dossier pédagogique est destiné aux enseignants qui participent au parcours
pédagogique proposé autour du programme de l’opéra Don Giovanni, dans le cadre du
programme « Les jeunes au cœur du Grand Théâtre ».
Ce dossier préparé à l’attention des enseignants du primaire, du cycle d’orientation
et de l’enseignement post-obligatoire, contient suffisamment d’informations pour
leur permettre d’assurer une bonne préparation des élèves au spectacle.
Ce dossier comprend deux parties.
L’ESSENTIEL POUR TOUT LE MONDE présente les aspects indispensables de l’œuvre à
intégrer en amont du parcours pédagogique et du spectacle. En fonction du niveau
des élèves ou du temps à disposition pour aborder la matière. Les enseignants
peuvent se limiter à utiliser cette partie du dossier pour familiariser leur classe avec
l’argument
les personnages et les voix
les moments-clé musicaux et dramatiques en lien avec ces voix ()
la figure du compositeur
Une bonne connaissance de ces trois aspects garantira un maximum de profit et de
plaisir pour les élèves prenant part aux ateliers du programme et venant au Grand
Théâtre pour assister à la représentation de Don Giovanni.
UN PEU PLUS LOIN permet d'aller au-delà de l'essentiel dans la découverte de l'œuvre.
Elle aborde l’œuvre en situant son contexte historique, géographique et culturel et
offre des perspectives sur la mise en scène de la production du Grand Théâtre que
découvriront les élèves.
En annexe de ce dossier vous trouverez des questionnaires d’évaluation à votre
intention ainsi qu’à celle de vos élèves. Merci de bien vouloir les photocopier et d’en
remettre un exemplaire à chaque jeune ayant participé au parcours pédagogique, et
de nous les renvoyer remplis accompagnés du vôtre. Cela nous permettra d’évaluer
l’intérêt et la pertinence de nos propositions. Il sera également possible de nous
déplacer dans les classes afin de renforcer le travail préparatoire, ou de répondre aux
questions des élèves dans leur établissement, à l’issue du spectacle si l’enseignant le
souhaite.
Nous vous remercions pour votre collaboration et vous souhaitons, à vos classes et à
vous-mêmes, un parcours pédagogique inoubliable au cœur du Grand Théâtre.
Les animateurs du programme pédagogique
Kathereen Abhervé
Christopher Park
[email protected]
[email protected]
022 418 31 72
022 418 31 88
3
L'ESSENTIEL POUR TOUT LE MONDE
Les rôles et la distribution de la production du Grand Théâtre
Qu'est-ce qui se passe dans l'opéra ?
Qui sont les principaux personnages?
Quels sont leurs types de voix?
Stylé Mozart
Wolfgang: sa vie
Amadeus: sa musique
Mozart: son temps
4
Les rôles et la distribution de la production au Grand Théâtre
L’action se passe dans une ville en Espagne
Don Giovanni
Jeune gentilhommme extrêmement licencieux
Baryton
Pietro Spagnoli
Il Commendatore Don Pedro (Le
Commandeur)
Père de Donna Anna
Basse
Fjodor
Kuznetsov
Donna Anna
Fille du Commandeur, fiancée à Don Ottavio
Soprano
Diana Damrau
Don Ottavio
Ténor
Christoph
Strehl
Donna Elvira
Dame de Burgos abandonnée par Don Giovanni
Soprano
Serena
Farnocchia
Leporello
Valet de Don Giovanni
Baryton
José Fardilha
Masetto
Un paysan
Basse
Nicolas Testé
Zerlina
Paysanne, fiancée à Masetto
Soprano
Raffaella
Milanesi
Chœur de paysans, de domestiques, de
jeunes filles, d’esprits infernaux
Musiciens en scène
Chœur du Grand Théâtre
Direction: Ching-lien Wu
Orchestre de la Suisse romande
Direction musicale: Kenneth Montgomery
Mise en scène: Marthe Keller
Décors: Michael Yeargan
Costumes: Christine Rabot –Pinson
Lumières: Jean Kalman
Répétition générale Grand Théâtre de Genève
Jeudi 10 décembre 2009
5
Qu'est-ce qui se passe dans l'opéra ?
Don Giovanni, un jeune gentilhomme espagnol expert en séduction de
femmes, sera défait par ses trois dernières tentatives de conquête. D’abord
Donna Elvira, qu’il a abandonnée mais qui le poursuit toujours. Ensuite,
Donna Anna : Don Giovanni tente de la violer, mais son père, le Commandeur,
vient la défendre. Le Commandeur est tué au cours du duel, et Don Giovanni
se sauve. Don Ottavio, le fiancé de Donna Anna, venu à son secours, doit
retarder leur mariage. Enfin, Zerlina, une paysanne innocente que Don
Giovanni essaie de détourner de son fiancé Masetto. Tous jurent de se venger
du séducteur et de Leporello, son valet harassé. Seule Donna Elvira faiblit dans
son désir de vengeance et tente une réconciliation avec Don Giovanni dans
l’espoir de le voir changer de vie. Don Giovanni payera enfin pour ses crimes
après avoir accepté une invitation à dîner de la part de la statue sur le tombeau
du Commandeur, qui scellera le destin du séducteur en l’entraînant dans les
flammes de l’Enfer.
L’intrigue en détail
Acte I
Le jardin du Commandeur
Leporello monte la garde sous les fenêtres de Donna Anna. Son maître, Don Giovanni,
s’est introduit dans la maison afin de séduire Donna Anna. Celle-ci survient,
poursuivie par Don Giovanni, masqué. Elle veut savoir qui il est et appelle à l’aide. Le
Commandeur, père de Donna Anna, vient à son secours et provoque Don Giovanni en
duel, tandis que Donna Anna va chercher du renfort. Le Commandeur est blessé à
mort et Don Giovanni se sauve sans avoir été reconnu. Donna Anna revient sur scène
avec Don Ottavio, son fiancé, et découvre avec horreur le corps sans vie de son père.
Don Ottavio jure de venger le père de sa promise.
Une place publique à l’extérieur du palais de Don Giovanni
Don Giovanni et Leporello arrivent et entendent les lamentations d’une femme (c’est
Donna Elvira, qu’il ne reconnaît d’abord pas) récemment abandonnée par son amant
et voulant se venger de lui (4 DONNA ELVIRA
Ah, chi mi dice mai ). Don Giovanni essaie de flirter avec elle, mais se rend vite compte
qu’il s’agit d’une de ses anciennes conquêtes. Il pousse Leporello à sa place et lui
ordonne de dire la vérité à Donna Elvira, puis disparaît.
Leporello tente alors de consoler Donna Elvira. Il lui fait la liste des conquêtes de Don
Giovanni à travers le monde : 640 en Italie, 231 en Allemagne, 100 en France, 91 en
Turquie et 1'003 en Espagne (3 LEPORELLO Madamina, il catalogo è questo / « Air du
Catalogue »). Elvira, mortifiée, jure de se venger.
Elvira quitte la scène alors qu’une joyeuse compagnie de paysannes et de paysans fait
son entrée. C’est la noce de Masetto et Zerlina. Don Giovanni est immédiatement
séduit par la jolie paysanne et il essaie de se débarrasser de l’encombrant Masetto en
offrant son palais pour y tenir le banquet de noces. Masetto se rend alors compte que
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Don Giovanni veut garder Zerlina auprès de lui et quitte les lieux, en colère. Don
Giovanni et Zerlina sont enfin seuls et, dans un célèbre duo (Là ci darem la mano), il
commence à déployer son arsenal de séducteur. Mais Donna Elvira interrompt son
petit jeu et encourage Zerlina à « fuir le traître » et sort. Surviennent alors Donna
Anna et Don Ottavio, occupés à leur projet de vengeance contre le meurtrier
mystérieux du père de celle-ci. Donna Anna, ignorant qu’elle parle à l’assassin de son
père, implore l’aide de Don Giovanni, qui la lui promet bien volontiers, lui
demandant, avec une immense sollicitude, quel monstre oserait troubler le calme de
son existence (visiblement, il croit qu’il a encore une chance de séduire Donna
Anna…) ? Donna Elvira revient sur les lieux, et confond Don Giovanni en révélant à
Donna Anna et Don Ottavio l’hypocrisie de Don Giovanni. « La pauvre fille a perdu la
raison… » dit-il et quitte précipitamment les lieux. C’est alors que Donna Anna
reconnaît subitement la voix et l’accent de l’homme qui voulut la violer et tua son
père. (5 DONNA ANNA Or sai chi l’onore )
Leporello hésite encore à quitter le service de son coquin de maître. Il informe Don
Giovanni que toute la noce paysanne est en son palais. Leporello a réussi à distraire
Masetto de son humeur jalouse, mais le retour de Zerlina, accompagnée de Donna
Elvira, a mis tout en désordre. Don Giovanni, sans perdre son aplomb, ordonne à
Leporello d’organiser une grande fête pour profiter du contingent inespéré de belles
paysannes en son palais (2 DON GIOVANNI Fin ch’han dal vino « Air du Champagne »)
et part en se frottant les mains.
Le jardin de Don Giovanni avec deux portes fermées à clef de l’extérieur. Deux niches.
Zerlina, pendant ce temps, tente de calmer la jalousie de Masetto, en lui demandant
s’il a le cœur de battre une jeune fille innocente. Il est prêt à céder, quand la voix de
Don Giovanni fait sursauter Zerlina et la confiance de Masetto s’évapore en un
instant. Il se cache pour voir comment elle réagira en présence du gentilhomme. Elle
refuse péniblement ses avances jusqu’à ce que Masetto émerge de sa cachette. Don
Giovanni dissimule son trouble avec une pirouette : Zerline était si affligée du départ
de Masetto qu’il la lui rend pour un moment. Il les conduit tous deux vers la chambre
nuptiale, richement parée. Leporello invite également à la noce trois mystérieux
convives masqués (Donna Elvira, Donna Anna et Don Ottavio, déguisés) qui espèrent
prendre Don Giovanni en flagrant délit.
Un salon illuminé et préparé pour un grand bal
Les festivités battent leur plein, Don Giovanni proclame sa libéralité à haute voix,
tout en essayant de détourner Zerlina pendant que Leporello distrait Masetto. On
entend soudain Zerlina crier à l’aide, Leporello file prévenir son patron que
l’ambiance se gâte. Don Giovanni réapparaît, tirant son valet par l’oreille et l’épée à la
main, et l’accuse d’avoir tenté de séduire Zerlina. Donna Anna, Don Ottavio et Donna
Elvira se démasquent et déclarent savoir tout sur le séducteur. Les convives se jettent
sur Don Giovanni mais il s’échappe de la mêlée et prend la fuite.
Acte II
La route devant une auberge
Leporello est exaspéré et veut démissionner. Son patron va l’amadouer avec de
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l’argent. Don Giovanni lui annonce alors son prochain projet de séduction : la femme
de chambre de Donna Elvira, et pour cela il se propose de lui conter fleurette sous le
manteau et le chapeau de Leporello. Donna Elvira apparaît à la fenêtre, Don Giovanni
se cache et envoie Leporello sous la fenêtre à sa place vêtu de ses propres habits.
Donna Elvira tombe dans le panneau et descend dans la rue, convaincue qu’elle à
affaire à son ancien amant. Leporello l’emmène à l’écart pendant que Don Giovanni
commence son opération de séduction en chantant la sérénade à la belle camériste en
s’accompagnant à la mandoline.
Avant que Don Giovanni ne puisse arriver à ses fins, Masetto et ses amis ,
surviennent, à sa recherche. Don Giovanni, toujours habillé en Leporello, convainc la
troupe qu’il veut aussi la peau du gredin et se joint à eux. Il sépare la bande de
Masetto en deux, reste seul avec ce dernier, s’empare par ruse de ses armes et lui
administre une raclée avec le plat de son épée, avant de filer avec un immense éclat de
rire. Zerlina survient et offre à son Masetto blessé le plus efficace des soins : la
tendresse.
Un parterre obscur avec un porche à trois portes devant la maison de Donna Anna
Leporello abandonne Donna Elvira dans l’obscurité et tente de s’échapper. Au même
moment arrive Don Ottavio accompagné de Donna Anna, toujours aux prises avec sa
douleur. Leporello cherche la porte en vain, au moment où il la trouve, elle s’ouvre.
Surviennent Zerlina et Masetto : Leporello, toujours travesti en Don Giovanni, est
pris au piège. Donna Anna et Don Ottavio se joignent au cercle menaçant qui se
forme autour du pauvre valet. Donna Elvira s’interpose pour demander grâce pour
celui qu’elle déclare être son mari. Leporello dévoile sa véritable identité, et dans la
confusion qui s’ensuit, réussit à prendre la fuite. Au vu des circonstances, Don
Ottavio est désormais convaincu de la culpabilité de Don Giovanni et jure de se
venger. Il dépêche ses serviteurs d’aller consoler Donna Anna dans l’intervalle. (6
DON OTTAVIO Il mio tesoro intanto )
Un lieu fermé en forme de sépulcre. Plusieurs statues équestres parmi lesquelles celle du Commandeur.
Leporello retrouve son patron et lui raconte ses mésaventures. Don Giovanni le
provoque avec le récit de sa quasi-séduction d’une belle qui l’avait pris pour…
Leporello ! Ce dernier n’apprécie guère la farce : la belle aurait pu être sa femme…
Don Giovanni part d’un grand éclat de rire, mais la voix du Commandeur, venue
d’outre-tombe, l’avertit que ses rires finiront avant l’aurore. Sur l’ordre de son
maître, Leporello déchiffre aux rayons de la lune l’inscription sur le socle de la statue
du Commandeur : « J’attends ici d’être vengé du gredin qui m’a assassiné ». Don
Giovanni ordonne alors à son valet d’inviter la statue à dîner. Leporello, mort de peur,
n’arrive pas à articuler l’invitation. Don Giovanni scelle alors son destin en invitant
lui-même le convive de pierre, qui accepte l’invitation d’un signe de tête.
Une chambre sombre dans la maison de Donna Anna
Don Ottavio met la pression sur Donna Anna pour conclure leur mariage, mais elle
trouve cela inconvenant, si tôt après le décès de son père. Il l’accuse d’être cruelle ;
elle s’en défend, l’assurant de son amour et de sa fidélité.
8
Une salle chez Don Giovanni. Une table dressée pour le repas
Don Giovanni se paie le luxe d’un excellent repas en musique (pendant lequel, des
musiciens de scène jouent des grands succès de la fin du XVIIIe siècle, parmi lesquels
un extrait des Noces de Figaro de Mozart lui-même !). Leporello, affamé, est au service
et se permet de goûter à la nourriture de son maître, qui le prend sur le fait. Donna
Elvira fait une dernière apparition : elle déclare ne plus sentir de haine pour Don
Giovanni, seulement de la pitié, et l’implore désespérément de changer de vie. Don
Giovanni se moque d’elle et ignore sa supplique, en levant son verre aux femmes et au
bon vin « Soutien et gloire de l’humanité ! ». Outragée, blessée, Donna Elvira quitte
les lieux. On l’entend hurler en coulisse et elle reparaît sur la scène pour s’enfuir de
l’autre côté. Don Giovanni ordonne à Leporello de voir ce qui a pu l’épouvanter de la
sorte. Le valet jette un coup d’œil dehors, pousse un cri, et revient avec la nouvelle
que la statue s’est présentée au dîner, comme elle l’avait promis. La statue frappe à la
porte ; Leporello, immobilisé par la peur, n’arrive pas à lui ouvrir. Don Giovanni se
lève et ouvre la porte à la statue du Commandeur. (8  IL COMMENDATORE, DON
GIOVANNI, LEPORELLO Don Giovanni ! A cenar teco ) Celle-ci exhorte le méchant libertin
à se repentir de sa mauvaise vie, mais Don Giovanni refuse catégoriquement. La
statue lui tend une main, qu’il n’arrive plus à lâcher et elle s’enfonce dans le sol,
tirant avec elle Don Giovanni, tandis que les flammes de l’Enfer et les démons
rugissent autour de lui. Don Giovanni pousse un grand cri et disparaît.
Donna Anna, Don Ottavio, Donna Elvira, Zerlina et Masetto surviennent, à la
recherche du criminel. Ils ne trouvent que Leporello, caché sous la table, tremblant
comme une feuille après avoir été le témoin de tant d’horreurs. Don Ottavio tente,
une dernière fois de presser Donna Anna au mariage, mais il devra attendre encore
un an que son deuil soit terminé avant de convoler. Donna Elvira, quant à elle, ira
finir ses jours dans un couvent. Zerlina et Masetto rentrent chez eux souper et
Leporello part chercher un nouveau patron à l’auberge. L’ensemble final livre la
morale de cette histoire : « Ainsi périssent ceux qui font le mal, la mort des perfides
est toujours à l’image de leur vie. »
9
Qui sont les principaux personnages ?
Quels sont leurs types de voix ?
Don Giovanni (baryton)
La civilité « Don » ou, au féminin « Donna », est utilisée en Italie, avant le prénom, pour les
personnes d’un certain rang social ou ayant une certaine fonction dans la société (p.ex. les
prêtres catholiques, comme le célèbre personnage, incarné au cinéma par Fernandel, Don
Camillo). En Espagne, il n’est pas rare de voir de nos jours les préfixes de Don ou Doña devant
les noms de personnes nobles (« L’infante Doña Cristina »).
Le « jeune gentilhomme extrêmement licencieux », qui donne son nom à
l’opéra, est un anti-héros, qu’on adore détester. Il est un goujat préoccupé
par son seul plaisir, un maître tyrannique, un insolent et incapable
d’éprouver de la compassion pour le malheur des autres. Et pourtant, il a du
charme à revendre, il est généreux avec son argent et avant tout, il incarne
un principe qui voit le jour avec le XVIIIe siècle : la passion pour la liberté
individuelle, au mépris des conventions et du bon usage. Une liberté qui, au
fond, flirte toujours avec le libertinage, mais qui donnera naissance à un
courant politique et philosophique important, encore bien vivant de nos
jours, le libéralisme.
Mozart choisit de faire chanter Don Giovanni par un baryton, une voix grave
et « virile » mais le chanteur doit posséder des notes aiguës claires et
soutenues pour pouvoir jouer le séducteur amoureux (par exemple, lorsqu’il
chante la sérénade à la camériste de Donna Elvira). Dans l’extrait que nous
présentons ici, l’ « Air du Champagne », Don Giovanni est à son plus
« pétillant », il dresse en quelques lignes le plan de sa fête et les
divertissements étourdissants qu’il prépare pour ses convives et lui-même.
PISTE 2 DON GIOVANNI Fin ch’han dal vino « Air du Champagne »
10
Il Commendatore Don Pedro/Le Commandeur (basse)
Le père de Donna Anna, qui ne chante qu’au début et à la fin de l’opéra,
est néanmoins présent tout du long. Sa fille ne peut chasser de son esprit
l’image horrible du corps ensanglanté de son père. Le fiancé de Donna Anna
est poussé sans répit à venger son futur beau-père. Dans un décor qui insiste
sur l’obscurité, son ombre est tapie, silencieuse, dans les nombreux recoins
sombres prévus par Lorenzo Da Ponte. La rencontre entre le gentilhommevoyou et le fantôme de l’autorité paternelle pour un règlement de compte
final est inévitable. En fin de compte, ce Commandeur, dont l’opéra ne dira
jamais le « vrai nom », ne pourrait-il pas aussi être le « père » d’un Don Juan,
pesant sur la démesure des désirs d’éternel adolescent de son « fils » avec tout
le poids de la statue de marbre de la morale et des bienséances sociales ?
Une basse profonde, la plus grave de toutes les voix d’opéra est nécessaire
pour incarner le Commandeur. Elle doit refléter l’âge et la maturité du
personnage vivant, et, lorsqu’il reparaît comme fantôme pour chercher sa
vengeance, elle doit résonner comme si elle venait des plus profondes
cavernes de l’Enfer.
PISTE 8  IL COMMENDATORE, DON GIOVANNI, LEPORELLO
Don Giovanni ! A cenar teco
11
Donna Anna (soprano)
Cette jeune femme de bonne famille, fille du Commendatore, est la
première proie de Don Giovanni au cours de l’opéra. Lorsqu’elle fait son
entrée, poursuivie par le séducteur masqué, elle vient à peine d’échapper à
une tentative de viol. Donna Anna est fiancée à Don Ottavio, à qui elle n’a de
cesse de rappeler le devoir (venger l’atteinte faite à son honneur et le
meurtre de son père) et les bienséances (attendre au moins une année de
deuil avant de contracter mariage). Donna Anna, intransigeante sur les
principes et capable de résister héroïquement aux pires assauts est le genre
de femme auquel Don Giovanni eut sans doute mieux fait de ne pas se frotter.
Mais comme il n’y a rien qui enchante plus ce dernier qu’un défi de taille…
Le rôle de Donna Anna est confié à une soprano, la plus aiguë des voix
féminines, réservée généralement aux personnages de femmes plutôt jeunes,
et aux premiers rôles féminins. Le timbre recherché pour Donna Anna est
celui d’une soprano lyrico-dramatique, capable de donner une couleur
tragique plus « lourde » à sa voix que les sopranos lyriques légers souvent
employés dans des rôles de jeune femme ou de soubrette. Le rôle de Donna
Anna est connu pour ses moments de haute intensité vocale et dramatique,
comme lorsqu’elle enjoint Don Ottavio : « Je te demande la vengeance, et ton
cœur aussi te la demande. »
PISTE 5  DONNA ANNA Or sai chi l’onore
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Don Ottavio (ténor)
Le fiancé de Donna Anna est un gentilhomme un peu dépassé par les
événements… Il met du temps à se rendre compte de l’hypocrisie du
séducteur. De nos jours, on dirait qu’il ne sait pas faire preuve d’initiative et
qu’il ne fait que réagir à ce qui se passe autour de lui. Sa raison d’être dans
l’opéra, c’est évidemment Donna Anna. Malgré tous les malheurs qui
affligent sa belle, Don Ottavio n’a de cesse de la presser de conclure leur
mariage… Mais ce n’est jamais le moment : soit c’est l’émotion qui la
submerge, soit ce sont les convenances qu’il ne faut pas enfreindre… Est-ce
que Don Ottavio n’est pas simplement le faire-valoir de Don Giovanni, la
mollesse et la médiocrité de l’un contrastant avec l’hyperactivité et le
constant dépassement de soi de l’autre?
Pour parfaire le contraste entre les deux rivaux dans l’opéra, il fallait que
Mozart choisisse une autre voix pour Don Ottavio. Ottavio, l’amoureux fidèle
et pas spécialement très viril, est le rôle tout indiqué pour un ténor, la plus
haute des voix naturelles de l’homme. Et si le personnage de Don Ottavio
ne brille pas par ses prouesses amoureuses, Mozart l’a choyé musicalement
en écrivant pour lui un de ses airs les plus beaux, les plus difficiles et les plus
physiquement exigeants, qui est au répertoire des ténors ce que le triple
axel est au patinage artistique :
PISTE 6 DON OTTAVIO Il mio tesoro intanto
13
Donna Elvira (mezzo-soprano)
On sait d’elle qu’elle est une dame de Burgos, ville de Castille en Espagne,
célèbre pour ses institutions (écoles, couvents, palais, églises) réservées à
l’aristocratie. Elle représente les conquêtes passées de Don Giovanni qui
reviennent le hanter. Ce dernier, pour arriver à ses fins, l’a épousée, puis
abandonnée. Mais Donna Elvira ne se déclare pas vaincue pour autant. Elle
traque le goujat avec une ténacité telle que le spectateur peut se demander si
Don Giovanni n’a pas tort quant il explique à Donna Anna et Don Ottavio que
« la pauvre fille a perdu la raison ». Toujours est-il que la folie de Donna
Elvira, c’est la folie de l’amour. Malgré tous les outrages que Don Giovanni
lui a fait subir, jusqu’au dernier moment, elle se montre prête à les lui
pardonner et espère raviver la flamme de l’amour entre eux.
Donna Elvira est chanté le plus souvent par une mezzo-soprano, un registre
légèrement plus grave que celui de Donna Anna. Parfois, on confie le rôle à
une soprano aussi, car Donna Elvira a un ton tout aussi dramatique que chez
Donna Anna. Une bonne technique de la vocalise et un excellent sens du
pathétique sont important pour communiquer la noblesse de cette âme
amoureuse bafouée…
PISTE 4 DONNA ELVIRA Ah chi mi dice mai
14
Leporello (baryton)
Leporello (« Le gros lièvre » ) est le valet, homme-à-tout-faire et souffredouleur de Don Giovanni. Il est le témoin de toutes ses aventures et doit le
plus souvent lui servir de complice dans ses opérations de séduction.
Leporello est aussi – pour son malheur – la conscience de Don Giovanni, le
seul qui lui fait à l’occasion des critiques constructives sur sa mauvaise vie,
que son maître ignore avec insouciance, ou qui provoquent sa colère et sa
violence. Don Giovanni semble même prendre un plaisir sadique à
tourmenter son valet.
Le rôle de Leporello est prévu pour une basse, mais pas la même sorte de
basse que le rôle du Commendatore. Il s’agit ici d’une basse comique, au ton
plus léger, capable de « bavarder » en chantant comme lorsqu’il fait le
décompte des conquêtes de Don Giovanni devant une Donna Elvira horrifiée.
La voix de Leporello doit être, en fait, assez similaire à celle de Don Giovanni,
à cause de la confusion de leurs identités dans le deuxième acte. D’ailleurs, la
basse Ildebrando D’Arcangelo qui chante le rôle de Leporello sur le CD
d’accompagnement chantera le rôle de Don Giovanni à Genève le 14 et le 19
décembre 2009.
PISTE 3  LEPORELLO Madamina, il catalogo è questo
15
Zerlina (soprano) Masetto (basse) & le Choeur
La ravissante paysanne, surprise par Don Giovanni le jour de ses noces,
devient son projet de séduction au cours de l’opéra. Elle est jeune, fraîche,
charmante, un peu ingénue. Et son fiancé est un balourd, une bonne pâte
mais pas spécialement très malin, qui ne posera pas d’obstacle signifiant aux
desseins de Don Giovanni. Mais l’amour fidèle de Zerlina triomphera des
pulsions du séducteur et de la méfiance de Masetto, à qui elle donnera le plus
charmant des cours de premiers soins…
Zerlina est chantée par une soprano, pour souligner sa jeunesse et son
caractère enjoué. Masetto, bien qu’aussi un jeune homme, est chanté par
une basse : l’effet recherché est la simplicité bourrue du personnage, un
paysan aux mœurs peu raffinées.
Le Chœur n’est pas très présent dans Don Giovanni. Trois scènes seulement,
et ce ne sont pas des morceaux très exigeants à l’exécution. Il en est ainsi
dans les trois opéras co-signés par Mozart et Da Ponte : ce dernier écrivait ses
livrets et concevait sa dramaturgie dans l’esprit de l’opera seria italienne, où
tout est fait pour mettre en valeur les solistes et leurs talents vocaux, et où
les chœurs ne jouent qu’un rôle de « figuration vocale ».
PISTE 7  ZERLINA, MASETTO & CHOEUR Giovinette che fatte all’amore
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Stylé Mozart
Wolfgang: Sa vie
Wolfgang Amadeus Mozart (27 janvier 1756 – 5 décembre 1791)
Sans doute le compositeur classique le plus connu et le plus aimé de toute l’histoire
de la musique, Mozart a composé, en 36 années d’existence, plus de 600 œuvres de
tous les genres musicaux pratiqués à son époque, et dans lesquels il a excellé :
musique symphonique, concertos, musique de chambre, pour clavier, musique
chorale et, bien sûr, de nombreux opéras.
Depuis son enfance à Salzbourg, Mozart fit preuve d’un talent musical prodigieux. Il
se mit à composer à l’âge de cinq ans, et se produisit comme virtuose du clavier et
du violon devant les cours royales et princières de toute l’Europe. A 17 ans, il fut
engagé comme musicien au service du Prince-Archevêque de Salzbourg, mais son
désir de liberté artistique le poussa vers une carrière indépendante. En 1781, il
s’établit à Vienne, la capitale de l’Empire autrichien, et se marie l’année suivante. Il
y connut une certaine célébrité de son vivant, mais il ne fit jamais fortune. Ses
compositions les plus appréciées datent de la fin de ses années viennoises, où il
enchanta la cour impériale et le public des grandes villes avec ses symphonies
(Jupiter, Prague), ses concertos (pour des instruments encore relativement nouveaux
comme le piano et la clarinette), ses opéras (Les Noces de Figaro, Don Giovanni et La Flûte
enchantée) et le Requiem, une messe pour les défunts qu’il laissa inachevée. Mort très
jeune, dans des circonstances devenues presque mythologiques, grâce au théâtre et
au cinéma (Amadeus de Peter Shaffer, porté à écran par Milos Forman en 1984). Il
laisse derrière lui sa femme Constanze et deux jeunes fils.
Excellent élève et imitateur surdoué, Mozart sut néanmoins trouver un style tout à
lui, brillant, léger, gracieux mais aussi, avec la maturité, sombre et passionné,
caractérisé par sa vision optimiste et confiante que l’art peut réconcilier
l’humanité avec la nature et l’absolu. Il a eu une influence considérable sur toute
la musique occidentale qui vint après lui, sur des compositieurs comme Beethoven,
Schubert et même sur des ses aînés, comme Joseph Haydn, qui lui survécurent.
17
Amadeus: Sa musique
Le style
La musique de Mozart est l’exemple idéal de ce qu’on appelle le style
classique. Avant lui, la musique était souvent complexe (« baroque »),
mettant l’accent sur la prouesse technique des musiciens plutôt que sur
l’émotion ou leurs sentiments. Mozart fait le contraire : au lieu de demander
à ses interprètes d’être de simples virtuoses, sa musique les force à chercher
une nouvelle sincérité et une vérité lumineuse au fond d’eux-mêmes. Dans
ses œuvres de jeunesse, il se montre un imitateur intelligent et original des
compositeurs de son temps, dont il fit la connaissance au cours de ses
tournées européennes. Sa brève période de maturité annonce la sensibilité
romantique qui allait culminer quelques années après sa mort avec Beethoven
et Schubert.
Les formes
Mozart a composé pour toutes les formes de musique pratiquées à son
époque : pour instrument solo (surtout le clavier), pour petits ensembles
(musique de chambre, divertissements musicaux), pour orchestre solo ou
accompagné par un instrument (concerto). Il a été aussi un compositeur
passionné par la voix humaine. Musique chorale pour l’église catholique,
chansons profanes et lieder, airs de concert et, bien entendu, des opéras qui
vont de la comédie musicale populaire viennoise avec dialogues parlés
(L’Enlèvement au sérail, La Flûte enchantée) à des opéras sérieux ou bouffes dans le
style italien (Idomeneo ou Don Giovanni et Così fan tutte).
18
L’opéra selon Amadeus
A l’époque de Mozart, l’opéra était considéré comme la forme la plus aboutie
du théâtre. Raconter une histoire en scène, pas simplement avec des mots,
mais en y rajoutant les couleurs et l’émotion de la musique, a assuré la
popularité de l’opéra auprès de tous les publics, jusqu’à l’invention du cinéma,
et même au-delà.
Mais avant de vous asseoir en salle pour assister à Don Giovanni, il faut savoir
une ou deux choses :
Si parla italiano !
L’Italie est le berceau de l’opéra : les premiers opéras ont été joués dans les palais du
Nord de l’Italie au tout début du XVIIe siècle. Plus tard, même les compositeurs qui
n’étaient pas italiens, comme Mozart, choisissaient d’écrire sur des textes en
italien, tant on identifiait l’opéra au théâtre italien. Nous savons, au Grand Théâtre,
que tous nos spectateurs ne comprennent pas l’italien. C’est pour cela que depuis
toutes les places de la salle, on peut voir, au-dessus et sur les côtés de la scène, des
écrans de surtitres qui permettent de suivre ce que disent les chanteurs, traduit en
français et en anglais.
Récitatifs-Arias : un moteur à haute performance musicale
Dans les opéras italiens de Mozart, tout n’est pas chanté de bout en bout comme
une longue chanson sans interruption. Il y a des parties « parlées en musique » et
des parties « chantées ». L’histoire progresse grâce à des récitatifs, véritables
dialogues en musique, qui suivent le rythme de la conversation parlée, accompagnés
par seulement quelques instruments (clavier, violoncelle) pour mieux entendre ce
que racontent les personnages. De temps en temps, dans les moments de forte
intensité dramatique ou d’émotion, le rythme change. Soit les personnages
chantent un air en solo (en italien : Aria) ou ils chantent des ensembles à plusieurs
(p. ex. 8  Il COMMENDATORE, LEPORELLO et DON GIOVANNI Don Giovanni, a cenar
teco.) où le texte est plus difficile à suivre mais où la musique prend la relève pour
expliquer ce qui se passe.
Partition autographe de l'ouverture de Don Giovanni
19
Récitatifs et arias dans Don Giovanni
Pour comprendre un peu mieux ces explications, nous vous recommandons
avant de venir au Grand Théâtre d’écouter comment les récitatifs combinent
le rythme de la phrase parlée avec une mélodie simple, mais pleine de vivacité
avant d’enchaîner avec l’aria. Pas besoin de comprendre l’italien pour savoir
que dans l’extrait 9 DON GIOVANNI, LEPORELLO et DONNA ELVIRA Orsù,
spicciati presto… cosa vuoi ?, Don Giovanni s’acharne, encore une fois, sur le
malheureux Leporello,… Mais le texte vous est proposé en annexe de ce
dossier, si vous voulez suivre le dialogue.
Un bon exemple d’aria est 6  DON OTTAVIO Il mio tesoro intanto que nous
avons mis en entier sur le CD d’accompagnement. C’est un air en trois
parties : après un premier motif, le chanteur change pour un deuxième, plus
introspectif, puis reprend le premier motif dans la troisième partie, parfois en
y ajoutant une ornementation de son cru. Cette manière de reprendre depuis
le début jusqu’à la fin de la première partie, (en italien : da capo alla fine) donne
son nom d’aria da capo, à cette manière de chanter.
Don Ottavio (à droite) se prépare à consoler Donna Anna
Production du Staatsoper Berlin Unter den Linden, 2007
Dir. Daniel Barenboim
20
Mozart : son époque
Pour mieux comprendre Don Giovanni, regardons un peu les grands
changements autour de Mozart dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.
Viva la libertà! : Liberté et Lumières au tournant
Don Giovanni est un libertin : il revendique la liberté de faire tout ce qu’il veut, sans
rendre de comptes à un Dieu ou à un maître, même si son comportement peut choquer
autrui. Ce genre d'attitude n’est devenu possible qu’à l’époque des philosophes des
Lumières qui revendiquent la liberté de conscience et la morale « naturelle » plutôt que
la morale religieuse. L’époque de Mozart est aussi celle des révolutions !
1762 : Mozart a 6 ans
Le philosophe genevois Jean-Jacques Rousseau publie son essai Du Contrat social.
Renoncer à la liberté
« c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité, même à ses devoirs. »
1776 : Mozart a 20 ans
Révolution des colonies de la Nouvelle-Angleterre contre le Royaume-Uni et
Déclaration de l’indépendance des Etats-Unis:
« Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ;
ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté
et la recherche du bonheur. »
1781 : Mozart a 25 ans
L’empereur d’Autriche Joseph II publie l’Edit de tolérance religieuse:
Les juifs, les protestants et les orthodoxes obtiennent la liberté de culte dans l’Empire
catholique des Habsbourg.
1788 : Mozart a 32 ans
Le philosophe allemand Emmanuel Kant publie sa Critique de la raison pratique:
« Deux choses remplissent l’âme d’une admiration toujours plus grande : le ciel étoilé au-dessus de ma
tête et la loi morale dans mon cœur. »
1789 : Mozart a 33 ans
Prise de la Bastille a Paris le 14 juillet et début de la Révolution française:
« De ce moment, nous pouvons considérer la France comme un pays libre »
(Le Duc de Dorset, Ambassadeur anglais en France en 1789)
1791 : Mozart a 35 ans
Olympe de Gouges écrit dans sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne:
« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions mêmes fondamentales, la femme a le droit de monter sur
l'échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune. »
Frontispice du Contrat social, Facsimilé de
la Déclaration d'indépendance et Prise
de la Bastille
21
Progrès de la science
Le XVIIIe siècle connaît un grand nombre d’avancées scientifiques et
techniques dont Mozart est le contemporain.
1764 : Mozart a 8 ans
L’Anglais James Hargreaves invente la machine à filer dite « Spinning Jenny » qui rend
les rouets obsolètes. C’est le début de la Révolution industrielle.
1765 : Mozart a 9 ans
Premiers efforts de vaccination contre la variole en Angleterre. Mozart est atteint et
marqué à vie par cette maladie à l’âge de 11 ans, un patient sur trois en meurt à
l’époque.
1771 : Mozart a 15 ans
Antoine Parmentier fait monter une garde (légère) autour d’un champ de pommes de
terre, donnant ainsi l'impression aux riverains qu'il s'agit d'une culture rare et
chère, destinée au seul usage des nobles. Certains volent des tubercules, les cuisinent
et les apprécient. Le roi Louis XVI le félicite en ces termes : « La France vous remerciera un
jour d'avoir inventé le pain des pauvres »
1778 : Mozart a 22 ans
Le physicien et chimiste français Antoine Lavoisier découvre l’oxygène.
1780 : Mozart a 24 ans
Le physicien genevois Aimé Argand invente une lampe à huile qui éclaire 10 fois plus
qu’une bougie ; les horaires de travail nocturne sont désormais possibles.
1781 : Mozart a 25 ans
L’astronome anglais William Herschel découvre la planète Uranus.
1783 : Mozart a 27 ans
Premier vol en montgolfière à Paris.
Le médecin anglais Edward Jenner vaccinant
en 1798, la lampe Argand et le premier vol libre
en montgolfière.
22
Du classique au romantique
Enfin, du vivant de Mozart, une autre révolution se prépare dans la littérature
et les arts. Philosophique, elle exprime la compassion et l’humanisme qui
annoncent l’égalité des êtres humains. Artistique, elle vise la simplicité,
l’authenticité des émotions, et considère que la passion peut être une force
créatrice aussi noble que la raison.
1759 : Mozart a 3 ans. Voltaire publie sa satire philosophique Candide
« Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ;
quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans les deux cas. C'est à ce
prix que vous mangez du sucre en Europe. »
1762 : Mozart a 6 ans. Le compositeur allemand Christoph-Willibald Gluck
compose son opéra Orphée et Eurydice
Les intrigues mythologiques compliquées et la musique de virtuose typique du
baroque cèdent pour la première fois devant une « noble simplicité » dans la musique et
dans le drame.
1774 : Mozart a 18 ans. L’écrivain et penseur allemand J.W. von Goethe écrit Les
souffrances du jeune Werther
Plus d’une fois, je me suis laissé aller à l’ivresse, mes passions n’ont jamais été très loin de la folie, et je ne
me repens ni de l’un ni de l’autre : car, à ma propre façon, j’ai appris que tous les êtres exceptionnels, qui
ont accompli des choses grandes et incroyables, ont toujours été qualifiés par le monde de fous ou
d’ivrognes.
1789 : Mozart a 33 ans. Le poète et graveur anglais William Blake écrit et
illustre son recueil Songs of Innocence, où ses poèmes décrivent l’innocence et la
joie du monde naturel, proclament l’amour libre et le rapport intime avec
Dieu.
Candide, Pangloss et le Nègre du
Surinam
C.W. Gluck au clavier
Frontispiece de Songs of
Innocence par William Blake
23
UN PEU PLUS LOIN
Mais qui est Lorenzo Da Ponte ?
Mais qui est Marthe Keller ?
Don Giovanni : l’histoire d’un opéra
Don Juan par lui-même
24
Mais qui est Lorenzo Da Ponte ?
Lorenzo da Ponte (1749-1838), prêtre catholique, poète, librettiste,
dramaturge, enseignant, épicier et aventurier, d'origine italienne puis
naturalisé américain. Célèbre pour sa collaboration avec Mozart, lui
fournissant les textes pour Les Noces de Figaro, Così fan tutte et Don Giovanni.
Il naît à Ceneda (l'actuelle Vittorio Veneto) dans la République de Venise, sous le nom
d'Emanuele Conegliano, dans une famille juive. En 1754, à la mort de sa mère, son
père Geremia se convertit à la religion catholique pour épouser une femme à peine
plus âgée qu'Emanuele. Ses trois fils se convertissent avec lui. Emanuele, qui a 14
ans, prend le nom de l'évêque de Ceneda qui le baptise: Lorenzo Da Ponte. Il fait des
études classiques et sera ordonné prêtre. Devenu curé de la paroisse de San Luca à
Venise, il passe son temps à boire et jouer et devient l'amant d'une femme mariée,
Anzoletta Bellaudi, à qui il fait un enfant... et qu'il aidera à accoucher (« Le genre
d'incident qui se passe tous les jours », écrira-t-il plus tard dans ses mémoires). Sa carrière
de prêtre ainsi compromise, Anzoletta et lui ouvriront un bordel... jusqu'à ce que les
autorités vénitiennes lui imposent un bannissement de 15 ans pour « détournement de
femme honnête et concubinage public ».
Da Ponte se rend alors à Vienne, et se porte candidat pour le poste de Poète des
Théâtres Impériaux. Joseph II lui demande combien de pièces il a écrit. « Aucune, Sire. »
« Fort bien, fort bien, » répond l'Empereur, « nous aurons donc une Muse vierge. » Devenu le
librettiste officiel de la Cour, il écrit des pièces en français, en allemand, en espagnol
et en italien. C'est de cette période que date sa collaboration avec Mozart et d'autres
compositeurs comme Antonio Salieri et Vicente Martin i Soler. En 1790, à la mort de
Joseph II, victime d'une intrigue et des suites de sa liaison avec la chanteuse Ferrarese
del Bene (la première Fiordiligi de Così), il perd son poste et doit quitter Vienne pour
Trieste.
C'est là qu'il rencontre la fille d'un pharmacien anglais, Ann Celestine Grahl dite
Nancy, de vingt ans sa cadette, qui deviendra sa compagne et la mère de ses quatre
enfants. Ils veulent s'installer à Paris, mais la Révolution qui bat son plein les en
empêche. Ils vont à Londres où Da Ponte tente sa chance comme producteur d'opéras
au Théâtre du Haymarket. Il fait assez vite faillite. Nancy et les enfants
s'embarquent pour New York en 1804, huit mois plus tard, Da Ponte les rejoint, et
25
après 56 jours de voyage pénible, où il perd au jeu l'argent qu'il lui reste, il arrive à
Philadelphie où il ouvre une boutique d'épicier qui ne sera pas non plus une réussite
financière.
Il s'installe à New York comme libraire et professeur d'italien. Naturalisé citoyen des
Etats-Unis en 1811, il déménage à Sunbury, petite ville de Pennsylvanie, où vivait sa
belle-famille. Il ouvre à nouveau une épicerie et un commerce de produits frais
amenés par carriole à Philadelphie (où son camion « L. Da Ponty's Wagon » est resté
célèbre). Mais il s'ennuie à la campagne et en 1819, revient à Manhattan, reprend son
commerce de libraire, traduit les poèmes de Byron en italien et, grâce à son amitié
avec Clement Clarke Moore, professeur de grec et d'hébreu à l'Université Columbia, il
devient à 76 ans le premier professeur d'italien de la plus vieille université de la ville
de New York (il en est aussi le premier professeur d'origine juive et le premier
professeur a avoir été ordonné prêtre catholique).
Da Ponte n'avait pourtant pas renoncé à ses ambitions de producteur d'opéras, ce
qui était un pari audacieux car l'opéra italien était quasiment inconnu aux Etats-Unis
et il n'y avait pour ainsi dire aucun orchestre professionnel à New York. Un riche
marchand de vins, amateur d'art lyrique, finança la venue aux Etats-Unis du célèbre
ténor espagnol Manuel Garcia et sa troupe familiale, dont sa fille Maria, qui
deviendra plus tard la grande cantatrice connue sous le nom de La Malibran. Ils
montent Le Barbier de Séville de Rossini à New York en 1825 et l'année suivante, 40 ans
après la première, le Don Giovanni que Da Ponte avait écrit avec Mozart. En 1832, avec
l'aide d'un imprésario français, il met en scène La Cenerentola de Rossini, le premier
opéra avec un orchestre complet entendu aux Etats-Unis.
Da Ponte ne réussit jamais de son vivant à devenir riche en produisant des opéras,
même s'il réussit à financer la construction du premier théâtre d'opéra de New York
en 1833. A sa mort en 1838, presque 50 ans après Mozart dont il était de sept ans
l'aîné, il eut droit à de grandioses funérailles dans la cathédrale catholique de New
York. C'est à cause de Mozart qu'on se souvient aujourd'hui de Da Ponte, un peu
injustement. Il fut un grand esprit, et un ambassadeur important de la culture
européenne en Amérique du Nord. De tous ses livrets, seuls Così (écrit pour Mozart) et
L'Arbore di Diana (écrit pour Martin i Soler) étaient des compositions originales mais la
grande qualité de son écriture et son sens aigu de l'action dramatique ont donné une
vivacité supplémentaire aux intrigues qu'il « recyclait ».
Le personnage de Don Giovanni, notamment, a certainement été inspiré par les
rencontres à Prague et à Vienne, entre Da Ponte et l'aventurier libertin Casanova. La
complicité entre les deux hommes et leur amour pour les femmes, le bon vin et la vie
aventureuse se retrouve dans le personnage de Don Giovanni: Viva la libertà!
26
Mais qui est Marthe Keller?
Marthe Keller (née le 28 janvier 1945, à Bâle) est une actrice et metteur en
scène d'origine suisse, vivant aux Etats-Unis.
Après des études de ballet pendant sa jeunesse,un accident de ski la pousse à changer
d'orientation et elle se tourne vers le théâtre. Elle part travailler à Berlin avec le
Schiller-Theater et le Berliner Ensemble. Sa carrière au cinéma débute dans les
années 1970 avec une série de films réalisés en Allemagne et en France, dont La raison
du plus fou (1973) et Toute une vie (1974). Elle est remarquée aux Etats-Unis et invitée à
tourner avec Dustin Hoffmann dans le film Marathon Man (1976) de John Schlesinger,
qui lui vaut une nomination aux prix Golden Globe. Elle a également tourné pour le
grand réalisateur germano-américain Billy Wilder (Fedora, 1978) et pour le Russe
Nikita Mikhalkov (Les yeux noirs, 1987). Sur scène, sa prestation dans l'adaptation pour
Broadway de la pièce d'Abby Mann Jugement à Nuremberg, en 2001, lui a valu un prix
Tony. Elle tournera bientôt pour l'acteur et réalisateur Clint Eastwood dans son
prochain film Hereafter.
En parallèle avec son travail à la scène et à l'écran, Marthe Keller est également active
dans le domaine de la musique classique comme récitante et comme metteur en
scène. Elle a joué le rôle parlé de Jeanne d'Arc dans Jeanne d'Arc au bûcher d'Arthur
Honegger, pour les chefs Seiji Ozawa et Kurt Masur. Pour le compositeur genevois
Michael Jarrell, elle a joué le rôle-titre dans son mélodrame Cassandre en 1994. Ses
productions lyriques comprennent un Dialogue des Carmélites à Strasbourg en 1999, une
Lucia di Lammermoor à Washington et Los Angeles en 2002 et Don Giovanni en 2004 pour le
Metropolitan Opera de New York, production reprise par le Grand Théâtre pour sa
saison 2009-2010.
27
Don Giovanni, l’histoire d’un opéra: avant
En janvier 1787, le principal théâtre de Prague passe une commande au duo Da PonteMozart, dont l'opéra comique Les Noces de Figaro avait eu un immense succès sur sa
scène l'année précédente. Le sujet choisi est, comme Figaro, tiré du répertoire
théâtral. Entre 1630, date de la création de El burlador de Sevilla de Tirso de Molina, la
première pièce de théâtre où figure Don Juan Tenorio. et 1787, on compte au moins 14
œuvres mettant en scène le personnage: en français (Molière, Dom Juan), en anglais
(Thomas Shadwell, The Libertine), en italien (Carlo Goldoni, Don Giovanni Tenorio), et
même un ballet (composé par Gluck et Angiolini en 1761). Mais le fruit de leur
collaboration est sans doute la version la plus connue, aimée et fascinante des
incarnations de l'histoire de Don Juan, celle que Richard Wagner, pourtant avare de
compliments quand il ne s'agissait pas de ses propres œuvres, n'hésita pas à qualifier
d' « opéra des opéras ».
Comme prévu, la création de Don Giovanni, le 29 octobre 1787 à Prague, fut un succès.
Dans cette ville de grande culture musicale, Mozart savait qu'on y appréciait son
travail: « Meine Prager verstehen mich » (« Mes Praguois me comprennent »), aurait-il
dit. La presse locale fut, en tout cas, pleine de compliments après avoir entendu Don
Giovanni. On put lire dans le Prager Oberamtzeitung: « Les experts et les musiciens disent
qu'on n'a jamais rien entendu de pareil à Prague et que l'opéra... est très difficile à
exécuter ». Les Provincialnachrichten de Vienne rapportent que « Herr Mozart dirigea
l'œuvre en personne et le public nombreux l'a accueillie avec des transports de
jubilation. »
L'actuel Théâtre des Etats (Stavovské divadlo) à Prague, qui vit cette première, est
d'ailleurs le seul théâtre encore existant où Mozart fit jouer ses œuvres. On y conserve
aussi l'assemblage scénique d'origine de l'opéra. Une anecdote subsiste au sujet de la
création. Mozart et sa femme, la veille de la création, faisaient la fête avec leurs hôtes
praguois lorsque l'un d'entre eux remarqua que l'opéra n'avait toujours pas
d'ouverture. Mozart se retire dans sa chambre et compose l'ouverture en trois
heures, pendant que Constanze lui raconte des histoires pour l'empêcher de
s'endormir. L'histoire n'est peut-être pas authentique mais elle est en tout cas
conforme au mythe d'un Mozart capable de passer de la nonchalance festive à des
phases de travail d'une rare intensité où il déchaîne son génie.
L'opéra est présenté au Burgtheater de Vienne l'année suivante, avec quelques
modifications. Mozart supprime, par exemple, l'aria de Don Ottavio Il mio tesoro (CD
piste 9), pour écrire un air plus facile à exécuter: Dalla sua pace. De nos jours, on
produit le plus souvent une synthèse des deux versions, de Prague et de Vienne, ce
qui sera le cas en 2009 au Grand Théâtre de Genève. Malgré les changements, le
public de la capitale est moins enthousiaste qu'en province. Seulement 14
représentations et l'oeuvre est retirée de l'affiche. L'intendant de la musique
impériale, le Comte Rosenberg, écrivit à son sujet « La musique de Mozart est trop
difficile pour le chant. » L'opéra sera interprété, du vivant de Mozart, à Francfort,
Hambourg, Varsovie et Berlin. Depuis, il figure sans interruption, à l'affiche de
toutes les salles d'opéra du monde entier: par exemple, entre 1834 et 1874, l'Opéra
de Paris le fera jouer 209 fois.
28
Don Giovanni, l’histoire d’un opéra: après
Avec Faust (qui est né dans l'imagination de Goethe presque en même temps que Don
Giovanni s'incarnait sous les plumes de Mozart et Da Ponte), Don Juan est l'exemple
parfait d'un mythe moderne. Le libertin assoiffé de plaisir, égoïste, cynique, athée,
matérialiste, mais aussi amoureux transi, en quête d'absolu, sans compromis, est un
héros tout trouvé pour les romantiques, qui ne se laissent pas impressionner par sa
fin horrible. Les adaptations du mythe continuent encore à notre époque.
En ce qui concerne l'opéra de Mozart, son succès en scène n'a jamais tari. Le
compositeur français du XIXe Charles Gounod parle d'une « œuvre sans faille, d'une
perfection ininterrompue ». L'opéra figure au palmarès des 10 opéras les plus joués
au monde (en Amérique du Nord, il occupe la 7e place). Sa popularité se reflète dans
les nombreux hommages que lui ont rendu musiciens et artistes depuis sa création.
Le plus célèbre est sans doute les Réminiscences de Don Juan du compositeur et pianiste
du XIXe Franz Liszt, grande fantaisie lyrique pour piano qui reprend de nombreux airs
de l'opéra. Un contemporain de Liszt, Genevois de naissance, Sigismond Thalberg,
écrivit une Grande fantaisie sur la sérénade et le menuet de Don Juan pour le piano. Le célèbre
duo entre Don Giovanni et Zerlina Là ci darem la mano figurera aussi dans des variations
pour piano de Beethoven et Chopin. Le compositeur russe Pierre Illych Tchaïkovsky
eut une expérience quasi-mystique lorsqu'il vit le manuscrit original de l'opéra à Paris
en 1886. Lors du centenaire de la création de Don Giovanni, l'année suivante,
Tchaïkovsky composa sa Suite pour orchestre « Mozartiana » où curieusement ne figure
aucune référence musicale à l'opéra. Enfin, dans la comédie musicale d'Andrew Lloyd
Webber Le Fantôme de l'Opéra (1986), la légende est racontée dans un opéra imaginaire,
Le Triomphe de Don Juan, du point de vue du séducteur.
Au cinéma, le plus bel hommage reste la version filmée de l'opéra Don Giovanni (1979)
par Joseph Losey, tournée dans les villas de Palladio et le Teatro Olimpico à Vicence,
non loin de Venise, jouée par des chanteurs lyriques qui font preuve d'un grand talent
à l'écran. L'opéra occupe une place de choix dans la biographie de Mozart tournée par
Milos Forman, Amadeus (1984) où la figure du Commandeur s'y amalgame à celle du
père de Mozart qui décéda l'année de la création de l'opéra. On entend aussi d'autres
citations de Don Giovanni dans Le Bûcher des vanités de Brian de Palma (1990), avec Tom
Hanks et Bruce Willis, et dans le film danois de Gabriel Axel Le Festin de Babette (1987),
où Là ci darem la mano est interprété presque intégralement par deux des acteurs.
29
Don Juan par lui-même
Je m'appelle Juan Tenorio, et je suis un gentilhomme de Séville, la capitale de
l'Andalousie. Vous qui n'avez certainement pas mon rang ni ma naissance,
vous pouvez m'appeler Don Juan. Il paraît que je ne suis qu'un mythe, une
figure symbolique du séducteur éternellement insatisfait, un macho ridicule,
immature, narcissique et probablement homosexuel. On a même nommé une
pathologie du sexe après moi, le donjuanisme. Mais je vous assure, j'ai bel et
bien existé, et malgré la fin infernale qu'on me prête, je serai encore
longtemps avec vous, dans les livres, en musique, au cinéma, et tous les
samedis soirs dans votre bar préféré. D'ailleurs, je peux vous offrir un verre?
On m'a remarqué pour la première fois dans la Chronique de Séville, au début du
XVIe siècle, selon laquelle j'aurais eu une aventure avec la fille de Pedro Ulloa,
commandeur militaire de la place, qui m'a provoqué en combat singulier.
Evidemment, j'ai trucidé le vieux bouffon, mais les moines du couvent où il
fut enterré, outrés de mon acte, m'ont tué dans une embuscade et ont fait
disparaître mon cadavre, racontant au tout Séville que le Ciel m'avait foudroyé
pour mes crimes et entraîné en enfer, méchant mécréant sans repentir que
j'étais.
Ma famille a véritablement existé à Séville, même si on prétend que notre
nom n'est qu'un jeu de mots éloquent sur le verbe espagnol tener (avoir,
posséder). Si ce n'est pas vrai, c'est en tout cas bien trouvé car, croyez-moi, on
a la séduction dans le sang. Mon parent, Don Cristóbal Tenorio, avait
déshonoré la fille du célèbre poète et dramaturge Lope de Vega. Lui aussi a
voulu se venger en duel; il s'en est tiré vivant, mais Cristóbal l'a vilainement
égratigné.
Lope de Vega fut d'ailleurs ami du moine mercédaire Gabriel Téllez, aussi
poète et homme de théâtre à ses heures, sous le pseudonyme de Tirso de
Molina. En 1630, sa pièce Le Trompeur de Séville et le convive de pierre fut la première
à me mentionner par mon nom et à raconter mes frasques... Ce ne fut pas la
dernière fois qu'on parla de moi. Vous allez entendre sur scène au Grand
Théâtre de Genève ce que ce curé défroqué et lubrique de Da Ponte a fait de
mon histoire avec son complice, un petit obsédé sexuel autrichien du nom de
Mozart... Pour en apprendre plus sur moi, je vous propose donc également de
lire quelques uns de mes propos tirés du Burlador de Sevilla, suivis de morceaux
choisis dans le plagiat (génial, mais plagiat néanmoins) de cette pièce par
Monsieur Molière en 1665. Puisque vous êtes Genevois, je pourrais aussi vous
proposer d'amples extraits des 17 chants du très long poème que Lord Byron,
un célèbre hôte de votre cité et un grand admirateur de mon art de séducteur,
intitula en mon honneur. Mais je crois que ça risque de vous gaver. Je vais
donc laisser le dernier mot à ce vieil Irlandais cynique nommé George Bernard
Shaw, qui en 1903, proposa au public théâtral de Londres sa pièce Don Juan en
Enfer, où il me fait dialoguer avec le Diable. Allez, bonne lecture, je dois vous
quitter, il me semble que je sens une délicieuse odeur de femme pas loin
d'ici...
30
El Burlador de Sevilla, Tirso de Molina
Première leçon: Comment draguer une innocente paysanne...
D. JUAN
DON JUAN
Aminta, escucha y sabrás,
Ecoute, Aminta, et tu sauras,
si quieres que te lo diga,
Si tu veux que je te dise
la verdad; que las mujeres
La vérité; car vous les femmes
sois de verdades amigas.
Vous êtes amies de la vérité.
Yo soy noble caballero,
Je suis un noble chevalier,
cabeza de la familia
Le chef de la famille
de los Tenorios antiguos,
Ancienne des Tenorios,
ganadores de Sevilla.
Eleveurs de bétail à Séville.
Mi padre, después del rey,
Mon père est second seulement au roi,
se reverencia y estima,
En révérence et en estime,
y en la corte, de sus labios
Et à la cour, un mot de sa bouche
pende la muerte o la vida.
Suffit pour donner la vie ou la mort.
Corriendo el camino acaso,
Par le hasard de ces chemins,
llegué a verte, que amor guía
Je t'ai vue, car l'amour dispose
tal vez las cosas, de suerte
Souvent les choses, par bonheur,
que él mismo dellas se admira.
Lorsque ce sont des choses qu'il aime.
Vite, adoréte, abraséme,
Je t'ai vue, adorée, je me suis enflammé
tanto que tu amor me obliga
Pour toi à tel point que l'amour
a que contigo me case;
M'oblige à t'épouser;
mira qué acción tan precisa.
Vois comme il a visé juste!
Y aunque lo mormure el re[ino],
Et même si le royaume murmure,
y aunque el rey lo contradiga,
Et même si le roi me contredit,
y aunque mi padre enojado
Et même si mon père irrité
con amenazas lo impida,
Menace de me l'interdire,
tu esposo tengo de ser.
Je dois être ton époux.
¿Qué dices?
Qu'en dis-tu?
31
Mon but dans la vie. Ma philosophie. Mon code (im)moral...
DON JUAN
DON JUAN
¿No parece encantamento
Ne dirait-on pas que c'est de la magie,
esto que agora ha pasado?
Ce qui vient de ce passer?
A mí el papel ha llegado
Ce billet doux m'est arrivé
por la estafeta del viento.
Sur les ailes de la brise.
Sin duda que es de la dama
Il vient certainement de la dame
que el marqués me ha encarecido.
Que le marquis m'a abandonné.
Venturoso en esto he sido.
Quelle chance j'ai eu en cette entreprise!
Sevilla a voces me llama
Tout Séville m'appelle, à grands cris,
el Burlador, y el mayor
Le Trompeur, et le plus grand
gusto que en mí puede haber
Plaisir que je puisse connaître,
es burlar una mujer
C'est de tromper une femme
y dejalla sin honor.
Et la laisser sans honneur.
Je vous présente mon valet, qui en Espagne s'appelle Catalinón... Il a la mauvaise habitude de
me faire la morale et d'oublier qui est le maître, et qui est le serviteur...
CATALINÓN
CATALINÓN
¿Al fin pretendes gozar
Mais enfin, tu prétends prendre ton plaisir
a Tisbea?
Avec Tisbea?
D. JUAN
D. JUAN
Si burlar
Bien sûr, car tromper
es hábito antiguo mío,
Est une de mes vieilles habitudes.
¿qué me preguntas, sabiendo
Pourquoi me poses tu la question,
mi condición?
Puisque tu connais ma nature?
CATALINÓN
CATALINÓN
Ya sé que eres
Je sais déjà que tu es
castigo de las mujeres.
Le fléau du sexe féminin.
D. JUAN
D. JUAN
Por Tisbea estoy muriendo,
Et je meurs de désir pour Tisbea
que es buena moza.
Qui est une si belle fille.
CATALINÓN
CATALINÓN
¡Buen pago
C'est une manière charmante
a su hospedaje desea!
De lui payer son hospitalité!
32
D. JUAN
D. JUAN
Necio, lo mismo hizo Eneas
Ignorant! Enée a fait de même
con la reina de Cartago.
Avec la reine de Carthage.
CATALINÓN
CATALINÓN
Los que fingís y engañáis
A force de mentir et de tromper
las mujeres desa suerte,
Les femmes de la sorte,
lo pagaréis en la muerte.
Vous le payerez après la mort!
(...)
(...)
No lo apruebo.
Non je n'approuve pas cela.
Tú pretendes que escapemos
Tu prétends, ô mon maître, que nous
una vez, señor, burlados;
Nous tirerons sans peine de nos tromperies
que el que vive de burlar
Mais celui qui vit de tromperies
burlado habrá de escapar
S'en tirera lui-même trompé,
[pagando tantos pecados]
Et il paierai tous ses péchés
de una vez.
En un seul coup.
D. JUAN
D. JUAN
¿Predicador
Est-tu devenu prêcheur,
te vuelves, impertinente?
Espèce d'impertinent?
CATALINÓN
CATALINÓN
La razón hace al valiente.
La raison fait les vaillants.
D. JUAN
D. JUAN
Y al cobarde hace el temor.
Et la crainte les prend peureux!
El que se pone a servir,
Celui qui se met à servir,
voluntad no ha de tener,
N'a pas besoin de volonté.
y todo ha de ser hacer,
Il doit se contenter de faire
y nada ha de ser decir.
Et s'abstenir de commentaires.
Sirviendo, jugando estás,
Quand on sert, c'est comme au jeu,
y si quieres ganar luego,
Si on veut gagner gros,
haz siempre, porque en el juego
Il faut faire ce qu'on nous dit: au jeu,
quien más hace gana más.
Plus on fait de mises et plus on gagne.
33
Dom Juan, Molière
On me dit incapable d'aimer... C'est faux! En fait mon problème, c'est que j'aime trop l'amour!
Laissez-moi vous expliquer ce qui se passe quand on a séduit une femme...
Dom Juan
Mais lorsqu’on en est maître une fois, il n’y a plus rien à dire ni rien à souhaiter ;
tout le beau de la passion est fini, et nous nous endormons dans la tranquillité d’un
tel amour, si quelque objet nouveau ne vient réveiller nos désirs, et présenter à notre
cœur les charmes attrayants d’une conquête à faire. Enfin il n’est rien de si doux que
de triompher de la résistance d’une belle personne, et j’ai sur ce sujet l’ambition des
conquérants, qui volent perpétuellement de victoire en victoire, et ne peuvent se
résoudre à borner leurs souhaits. Il n’est rien qui puisse arrêter l’impétuosité de mes
désirs : je me sens un cœur à aimer toute la terre ; et comme Alexandre, je
souhaiterais qu’il y eût d’autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes
amoureuses.
Encore mon valet (Molière l'appelle Sganarelle) qui me reproche de manquer de respect envers
les liens sacrés du mariage. C'est l'occasion de lui rappeler que mon rapport avec Dieu ne
regarde que moi.
Sganarelle
Mais, Monsieur, cela serait-il de la permission que vous m’avez donnée, si je vous
disais que je suis tant soit peu scandalisé de la vie que vous menez ?
Dom Juan
Comment ? quelle vie est-ce que je mène ?
Sganarelle
Fort bonne. Mais, par exemple, de vous voir tous les mois vous marier comme vous
faites…
Dom Juan
Y a-t-il rien de plus agréable ?
Sganarelle
Il est vrai, je conçois que cela est fort agréable et fort divertissant, et je m’en
accommoderais assez, moi, s’il n’y avait point de mal ; mais, Monsieur, se jouer
ainsi d’un mystère sacré, et…
Dom Juan
Va, va, c’est une affaire entre le Ciel et moi, et nous la démêlerons bien ensemble,
sans que tu t’en mettes en peine.
Sganarelle
Ma foi ! Monsieur, j’ai toujours ouï dire que c’est une méchante raillerie que de se
railler du Ciel, et que les libertins ne font jamais une bonne fin.
34
Dom Juan
Holà ! maître sot, vous savez que je vous ai dit que je n’aime pas les faiseurs de
remontrances.
En chemin, Sganarelle et moi avons rencontré un mendiant qui m'a demandé l'aumône pour
l'amour de Dieu. Et puis quoi encore? Il n'y a rien qui m'énerve plus que l'injustice, comme vous
pouvez voir, mais il ne faut pas me demander d'être généreux pour des raisons religieuses. Il n'y
a que la compassion pour le sort d'un être humain qui puisse m'émouvoir. Un libertin, au fond,
c'est toujours un humaniste. Le contraire est-il aussi vrai?
Dom Juan
Tu te moques : un homme qui prie le Ciel tout le jour, ne peut pas manquer d’être
bien dans ses affaires.
Le Pauvre
Je vous assure, Monsieur, que le plus souvent je n’ai pas un morceau de pain à
mettre sous les dents.
Dom Juan
Voilà qui est étrange, et tu es bien mal reconnu de tes soins. Ah ! ah ! je m’en vais te
donner un louis d’or tout à l’heure, pourvu que tu veuilles jurer.
Le Pauvre
Ah ! Monsieur, voudriez-vous que je commisse un tel péché ?
Dom Juan
Tu n’as qu’à voir si tu veux gagner un louis d’or ou non. En voici un que je te donne,
si tu jures ; tiens, il faut jurer.
Le Pauvre
Monsieur !
Dom Juan
À moins de cela, tu ne l’auras pas.
Sganarelle
Va, va, jure un peu, il n’y a pas de mal.
Dom Juan
Prends, le voilà ; prends, te dis-je, mais jure donc.
Le Pauvre
Non, Monsieur, j’aime mieux mourir de faim.
Dom Juan
Va, va, je te le donne pour l’amour de l’humanité. Mais que vois-je là ? Un homme
attaqué par trois autres ? La partie est trop inégale, et je ne dois pas souffrir cette
lâcheté.
Un autre qui m'a pas mal énervé , c'est mon père, Dom Louis. Un jour, je lui ai dit ses quatre
35
vérités:
Dom Juan
Eh ! mourez le plus tôt que vous pourrez, c’est le mieux que vous puissiez faire. Il
faut que chacun ait son tour, et j’enrage de voir des pères qui vivent autant que leurs
fils.
Bon, après je l'ai regretté, parce que le vieux avait le moyen de me tirer d'une sale affaire. J'ai
donc fait mon poing dans la poche et je lui ai joué le jeu du fils prodigue, que je serais sage à
l'avenir, etcétéra... Hypocrite? Moi?
Dom Juan
Il y a bien quelque chose là-dedans que je ne comprends pas ; mais quoi que ce puisse
être, cela n’est pas capable ni de convaincre mon esprit, ni d’ébranler mon âme ; et
si j’ai dit que je voulais corriger ma conduite et me jeter dans un train de vie
exemplaire, c’est un dessein que j’ai formé par pure politique, un stratagème utile,
une grimace nécessaire où je veux me contraindre, pour ménager un père dont j’ai
besoin, et me mettre à couvert, du côté des hommes, de cent fâcheuses aventures
qui pourraient m’arriver.
Don Juan in Hell, G.B. Shaw
Ils m'ont tous fait finir en Enfer, ces artistes qui ont exploité mon histoire. Mais c'est là que j'ai
finalement rencontré un interlocuteur intéressant: Satan, lui-même!
Don Juan
Don Juan
You may remember that on Earth-though of course we never confessed it-the death of anyone we knew, even those
we liked best, was always mingled with a
certain satisfaction at being finally done
with them.
Peut-être vous rappelez-vous que, du
temps que nous étions sur Terre, bien que
nous ne l'ayons jamais reconnu
ouvertement, la mort d'une personne de
notre connaissance, même quelqu'un que
nous aimions bien, était toujours mêlée
d'une certaine satisfaction d'en avoir
enfin fini avec eux.
Don Juan
Don Juan
The confusion of marriage with morality
has done more to destroy the conscience
of the human race than any other single
error.
La confusion du mariage avec la morale a
plus fait pour détruire la conscience de
l'espèce humaine qu'aucune autre erreur.
Don Juan
Don Juan
Those who talk most about the blessings
of marriage and the constancy of its vows
are the very people who declare that if
the chain were broken and the prisoners
left free to choose, the whole social fabric
Ceux qui parlent du bonheur du mariage
et de la fidélité de ses promesses sont
exactement les mêmes qui déclarent que
si l'on rompt la chaîne du prisonnier pour
le laisser libre du choix de s'enfuir, alors
36
would fly asunder. You cannot have the
argument both ways. If the prisoner is
happy, why lock him in? If he is not, why
pretend that he is?
c'est tout le tissu social qui s'effrite. La
question ne s'articule pas dans un sens
comme dans l'autre. Si le prisonnier est
heureux, pourquoi l'enchaîner? S'il n'est
pas heureux, pourquoi faire semblant
qu'il l'est?
37
ANNEXES
CD d’accompagnement : liste du contenu
1. L’OUVERTURE
LES VOIX
2. DON GIOVANNI
Fin ch’han dal vino (Air du Champagne)
3. LEPORELLO
Madamina, il catalogo è questo (Air du Catalogue)
4. DONNA ELVIRA
Ah, chi mi dice mai
5. DONNA ANNA
Or sai chi l’onore
6.  DON OTTAVIO
Il mio tesoro intanto
7. ZERLINA, MASETTO et CHOEUR
Giovinette, che fatte all’amore
8.  Il COMMENDATORE, LEPORELLO et DON GIOVANNI
Don Giovanni, a cenar teco.
RECITATIF ET ARIA
9.  DON GIOVANNI, LEPORELLO et DONNA ELVIRA
Orsù, spicciati presto… cosa vuoi ?
Tous les extraits de Don Giovanni utilisés dans les exemples sont tirés de
l’enregistrement dirigé en 1995 par Sir John Eliot Gardiner avec Rodney Gilfrey
(Don Giovanni), Andrea Silvestrelli (Il Commendatore), Luba Orgonasova
(Donna Anna), Christoph Prégardien (Don Ottavio), Charlotte Margiono
(Donna Elvira), Ildebrando D’Arcangelo (Leporello), Julian Clarkson (Masetto),
Eirian James (Zerlina), le chœur du Monteverdi Choir et les English Baroque
Soloists (Deutsche Grammophon Archiv 445870-2)
38
DON GIOVANNI : Textes italiens et
traductions françaises des extraits musicaux
2. DON GIOVANNI
Fin ch’han dal vino
Calda la testa,
Una gran festa
Fa’ preparar.
2. DON GIOVANNI
Jusqu’à ce que le vin
échauffe et fasse rougir leurs minois,
je veux leur donner
une grande fête.
Se trovi in piazza
Qualche ragazza,
Teco ancor quella
Cerca menar.
Si tu trouves encore sur la place
quelques jeunes filles,
dis-leur de venir,
viens avec elles.
Senza alcun ordine
La danza sia,
Chi ‘l minuetto
Chi la follia,
Chi l’alemanna
Farai ballar.
Que l’on danse
sans ordre :
Ici un menuet,
là une folle ronde,
la une allemande,
tu surveilleras la musique.
Ed io frattanto
Dall’altro canto
Con questa e quella
Vo’amoreggiar.
Moi, je chanterai
mes chansons à moi,
à celle-ci et puis à celle-là,
avant de les lutiner.
Ah la mia lista
Doman mattina
D’una decina
Devi aumentar.
Ah ! Demain matin,
ma liste
devra en compter
une dizaine de plus.
3. LEPORELLO
3. LEPORELLO
Madamina, il catalogo è questo
Madame, ce catalogue
Delle belle che amò il padron mio, contient les amours de mon maître.
Un catalogo egli è che ho fatt’io, C’est un catalogue bien tenu.
Osservate, leggete con me.
Regardez et lisez avec moi.
In Italia seicento e quaranta,
In Almagna duecento e trent’una
Cento in Francia, in Turchia
novant’una
Ma in Ispagna son già mille e tre.
En Italie six-cent-quarante,
en Allemagne deux-cent-trente et
une, cent en France et quatre-vingtonze en Turquie,
Mais en Espagne déjà mille et trois
V’han fra queste contadine,
Parmi elles, il y a des paysannes,
39
Cameriere, cittadine,
V’han contesse, baronesse,
Marchesine, principesse,
E v’han donne d’ogni grado,
D’ogni forma, d’ogni età.
des servantes, des bourgeoises,
des comtesses, des baronnes,
des marquises, des princesses,
des dames de tout état,
de toutes formes et de tous les âges.
4. DONNA ELVIRA
Ah chi mi dice mai
Quel barbaro dov’è,
Che per mio scorno amai,
Che mi mancò di fé ?
4. DONNA ELVIRA
Ah ! qui peut me dire
où je trouverai le barbare
que pour ma grande honte j’aimai
et qui m’a trahie?
Ah se ritrovo l’empio,
E a me non torna ancor,
Vo’ farne orrendo scempio,
Gli vo’ cavare il cor.
Ah ! si je trouve ce méchant
et qu’il ne revient pas à moi,
j’en ferai un affreux carnage
et je lui arracherai le cœur.
DON GIOVANNI
(a Leporello)
Udisti ! qualche bella
Dal vago abbandonata. Poverina !
Cerchiam di consolare il suo
tormento.
DON GIOVANNI
(a Leporello)
Entends-tu! Une beauté est ici
abandonnée par son amant… La
pauvre…Il me faut la consoler de son
chagrin
LEPORELLO
(Così ne consolò mille e
ottocento.)
LEPORELLO
(Il en a déjà consolé mille huit cent
comme cela.)
DON GIOVANNI
Signorina !
DON GIOVANNI
Mademoiselle…
5. DONNA ANNA
Or sai chi l’onore
Rapire a me volse,
Chi fu il traditore
Che il padre mi tolse ;
Vendetta ti chiedo,
La chiede il tuo cor.
5. DONNA ANNA
Tu sais maintenant,
qui en voulait à mon honneur,
qui était le traître,
qui a tué mon père.
J’ai soif de vengeance.
Et ton cœur te l’exige.
Rammenta la piaga
Del misero seno,
Rimira di sangue
Coperto il terreno,
Se l’ira in te langue
Pense à la plaie
dans le corps transpercé,
Pense à la mare de sang
Qui couvrait le sol,
si jamais la colère en toi
40
D’un giusto furor.
et la juste fureur languissent.
6. DON OTTAVIO
Il mio tesoro intanto
Andate a consolar,
E del bel ciglio il pianto
Cercate di asciugar.
6. DON OTTAVIO
En attendant, allez
consoler mon trésor,
essayez d’essuyer les larmes
de ses beaux yeux.
Ditele che i suoi torti
A vendicar io vado :
Che sol di stragi e morti
Nunzio vogl’io tornar.
Dites-lui que je vais la venger.
Et quand je reviendrai,
ce sera pour annoncer
la mort de l’impie !
(Partono)
(Ils sortent.)
7. ZERLINA, MASETTO e CORO
7. ZERLINA, MASETTO et CHŒUR
ZERLINA
Giovinette che fate all’amore,
Non lasciate che passi l’età :
Se nel seno vi bulica il core,
Il rimedio vedetelo qua.
Che piacer, che piacer che sarà !
ZERLINA
Jeunes filles, faites pour aimer,
ne laissez point passer les jours ;
si vous sentez brûler votre cœur,
voici le remède à prendre.
Quelle joie ! quelle joie ce sera !
CORO DI CONTADINE
Ah !
Che piacer, che piacer che sarà,
La la la ra la, la la la ra la !
CHŒUR DES PAYSANNES
Ah !
Quelle joie ! quelle joie ce sera !
La la la ra la, la la la ra la !
MASETTO
Giovinetti leggieri di testa,
Non andate girando qua e là.
Poco dura de’matti la festa,
Ma per me cominciato non ha.
Che piacer, che piacer che sarà !
MASETTO
Jeunes gens, à la tête légère ;
arrêtez de tourner de ça, de là ;
pour les insensés, la fête est courte,
et pour moi, elle n’a pas encore
commencé.
Quelle joie ! quelle joie ce sera !
CORO DI CONTADINI
Ah !
Che piacer, che piacer che sarà,
La la la ra la, la la la ra la !
CHŒUR DES PAYSANS
Ah !
Quelle joie ! quelle joie ce sera !
La la la ra la, la la la ra la !
ZERLINA e MASETTO
Vieni, vieni, carino/ carina, e
godiamo,
ZERLINA et MASETTO
Viens, viens mon/ma chéri/e,
réjouissons-nous,
41
E cantiamo e balliamo e
saltiamo ;
Vieni, vieni carino/carina, e
godiamo,
Che piacer, che piacer che sarà !
Ah ! Che piacer, che piacer sarà !
Chantons, dansons et jouons !
Viens, viens, mon ami(e),
réjouissons-nous, quelle joie, quelle
joie ce sera !
Ah !
Quelle joie, quelle joie ce sera !
CORO
Ah !
Che piacer, che piacer sarà,
La la la ra la, la la la ra la !
CHŒUR
Ah !
Quelle joie, quelle joie ce sera !
La la la ra la, la la la ra la !
8. IL COMMENDATORE,
LEPORELLO e DON GIOVANNI
Il COMMENDATORE
Don Giovanni, a cenar teco
M’invitasti, e son venuto.
8. LE COMMANDEUR, LEPORELLO et
DON GIOVANNI
LE COMMANDEUR
Don Giovanni, tu m’as invité à dîner !
Me voici, je suis venu.
DON GIOVANNI
Non l’avrei giammai creduto,
Ma farò quel che potrò !
Leporello, un’altra cena
Fa’ che subito si porti !
DON GIOVANNI
Je ne l’aurais pas cru :
mais je vais faire ce que je peux.
Leporello, vite, fais venir un autre
dîner.
LEPORELLO
LEPORELLO
(mezzo fuori col capo dalla mensa) (se montrant de dessous la table)
Ah, padron, siam tutti morti !
Ah, patron!… nous sommes tous
morts…
DON GIOVANNI
Vanne, dico…
DON GIOVANNI
Vite, te dis-je !
(Leporello con molti atti di paura (Leporello, très effrayé, sort et
esce e va per partire.)
s’apprête à partir.)
IL COMMENDATORE
Ferma un po’.
Non si pasce di cibo mortale
Chi si pasce cibo celeste.
Altre cure più gravi di queste.
Altra brama quaggiù mi guidò !
LE COMMANDEUR
Reste donc ici.
Ne se nourrit plus de choses
terrestres,
qui goûte aux nourritures célestes.
Ce sont d’autres soucis, de plus
graves, qui me ramènent ici-bas.
LEPORELLO
LEPORELLO
42
La terzana d’avere mi sembra,
E le membra fermar più non so.
Je crois que j’ai un accès de fièvre…
comme je grelotte tout à coup !
DON GIOVANNI
Parla dunque : che chiedi, che
vuoi ?
DON GIOVANNI
Parlons donc : Quelles sont tes
intentions ?
Il COMMENDATORE
LE COMMANDEUR
Parlo, ascolta, più tempo non ho. Moi, je parle ; toi, écoute ; je n’ai
guère de temps.
DON GIOVANNI
Parla, parla, ascoltando ti sto.
DON GIOVANNI
Parle, parle, je t’écoute.
IL COMMENDATORE
Tu m’invitasti a cena,
Il tuo dover or sai ;
Rispondimi : verrai
Tu a cenar meco ?
LE COMMANDEUR
Tu m’as invité à dîner,
tu connais ton devoir.
Répond-moi : viens-tu
dîner avec moi ?
9. DON GIOVANNI, LEPORELLO E 9. DON GIOVANNI, LEPORELLO et
DONNA ELVIRA
DONNA ELVIRA
DON GIOVANNI
DON GIOVANNI
Orsù, spicciati presto… cosa vuoi ? Vite, dépêche-toi ; que veux-tu ?
LEPORELLO
L’affar di cui si tratta
È importante.
LEPORELLO
L’affaire dont il s’agit
est d’importance.
DON GIOVANNI
Lo credo.
DON GIOVANNI
Je le crois.
LEPORELLO
È importantissimo
LEPORELLO
C’est la plus importante qui soit.
DON GIOVANNI
Meglio ancora : finiscila.
DON GIOVANNI
Tant mieux ! Finissons…
LEPORELLO
Giurate
Di non andar in collera.
LEPORELLO
Jurez-moi
de ne pas vous mettre en colère.
DON GIOVANNI
Lo giuro sul mio onore,
DON GIOVANNI
Je le jure sur mon honneur,
43
Purché non parli del
Commendatore.
à moins que tu ne parles du
Commandeur.
LEPORELLO
Siamo soli.
LEPORELLO
Sommes-nous seuls ?
DON GIOVANNI
Lo vedo.
DON GIOVANNI
Tu le vois.
LEPORELLO
Nessun ci sente.
LEPORELLO
Personne ne nous guette ?
DON GIOVANNI
Via.
DON GIOVANNI
Vas-y !
LEPORELLO
Vi posso dire
Tutto liberamente.
LEPORELLO
Je peux vous parler
ouvertement ?
DON GIOVANNI
Sì.
DON GIOVANNI
Oui.
LEPORELLO
Dunque quando è così :
Caro signor padrone,
La vita che menate
(all’orecchio, ma forte)
è da briccone.
LEPORELLO
Eh bien, puisque c’est ainsi,
mon cher patron,
vous menez une vie
(à l’oreille, mais fort)
de coquin.
DON GIOVANNI
Temerario ! – in tal guisa-
DON GIOVANNI
Téméraire ! Des mots pareils…
LEPORELLO
E il giuramento !…
LEPORELLO
Et votre serment ?
DON GIOVANNI
Non so di giuramenti… taci… o
ch’io…
DON GIOVANNI
Je ne sais rien d’un serment. Tais-toi,
ou je te …
LEPORELLO
LEPORELLO
Non parlo più, non fiato, o padron Je ne parle plus, ni ne respire,
mio.
Monsieur mon Maître.
DON GIOVANNI
Così saremo amici ; or odi un
DON GIOVANNI
Nous voici de nouveau des amis.
44
poco,
Sai tu perché son qui ?
Ecoute un peu :
Sais-tu pourquoi je suis ici ?
LEPORELLO
Non ne so nulla :
Ma essendo l’alba chiara… non
sarebbe
Qualche nuova conquista ?
Io lo devo saper per porla in lista.
LEPORELLO
Non, je n’en sais rien.
Mais, vu l’aube claire, il s’agit sans
doute de
quelque nouvelle conquête ?
Il faut que je le sache, pour la porter
sur la liste.
DON GIOVANNI
DON GIOVANNI
Va’ là, che se’ il grand’uom ! Sappi Regarde-moi ce grand homme ! Sache
ch’io sono
que moi,
Innamorato d’una bella dama,
Je suis amoureux d’une belle dame.
E son certo che m’ama.
Et je suis certain qu’elle m’aime.
La vidi…le parlai…meco al casino Je l’ai vue, je lui ai parlé.
Questa notte verrà…Zitto : mi
Elle viendra cette nuit dans mon
pare
château. Silence : je sens une douce
Sentire odor di femmina…
odeur de femme…
LEPORELLO
(Cospetto !
Che odorato perfetto !)
LEPORELLO
(Sacrebleu !
Quelle finesse d’odorat !)
DON GIOVANNI
All’aria mi par bella.
DON GIOVANNI
Ce qu’elle est belle !
LEPORELLO
(E che occhio, dico !)
LEPORELLO
(Et quels yeux, que je dis.)
DON GIOVANNI
Ritiriamoci un poco,
E scopriamo terren.
DON GIOVANNI
Retirons-nous un peu
et sondons le terrain.
LEPORELLO
(Già prese foco)
LEPORELLO
(Il a déjà pris feu.)
45
Les jeunes au cœur du Grand Théâtre
Programme pédagogique réalisé avec le soutien de la
Fondation de bienfaisance de la Banque Pictet
et de la République et Canton de Genève
Genève, octobre 2009
Madame, Monsieur,
Nous avons le plaisir de vous transmettre en annexe deux questionnaires
élaborés à votre intention et à celles de vos élèves.
Nous vous remercions de bien vouloir remettre ce document à chacun de vos
élèves et de nous les renvoyer remplis accompagnés du vôtre, à l’issue du
parcours pédagogique que vous aurez suivi.
Ceci nous permettra d’évaluer l’intérêt et la pertinence de nos propositions et
de savoir si, grâce à ce programme, les jeunes ont éprouvé du plaisir à entrer
dans le monde de l’opéra.
Nous vous remercions pour cette ultime participation et espérons avoir le
plaisir de vous revoir lors d’une prochaine saison.
Kathereen Abhervé
022.418.31.72
e.mail : [email protected]
Christopher Park
022.418.31.88
e.mail : [email protected]
46
Questionnaire pour l’enseignant(e)
·
Quelle matière enseignez-vous ?
·
Quel est le degré de votre classe ?
·
Est-ce la première fois que vous participez à un programme pédagogique
du Grand Théâtre ?
Oui
Non (2ème, 3ème, …)
·
De manière générale, êtes-vous satisfait(e) de votre expérience au Grand
Théâtre ?
(veuillez indiquer votre degré de satisfaction sur une échelle de 1 à 5, 1 : insatisfait – 5 : très
satisfait)

1
·

3
2

5
4
Le programme pédagogique comporte plusieurs étapes:

1
2

3
4

5
Ateliers
Visites
(théâtre,
ateliers)
Répétition
générale
·
Que proposeriez-vous comme autres activités? Remarques, suggestions
·
Souhaiteriez-vous soumettre un projet pédagogique en rapport avec le
Grand Théâtre, choisi avec votre classe ou votre école, qui serait développé
avec la collaboration du Grand Théâtre ?
47
Dossier pédagogique
·
Le dossier pédagogique qui vous a été remis correspondait-il à vos
attentes ?

1
2

3
4

5
·
Pensez-vous que le dossier pédagogique soit un outil pertinent et complet
pour préparer votre enseignement?

1
2

3
4

5
Comment avez-vous utilisé le dossier pédagogique en classe ?
Oui
Non
Oui
Non
Ecoute du CD
Lecture du livret ou des passages du dossier
Utilisation des pistes d’enseignement ou activités proposées
Pour préparer votre propre enseignement sur l’oeuvre
Autre (préciser)
Etait-il en adéquation avec le niveau et l’âge de vos élèves ?
Quels ont été les activités ou travaux réalisés en classe avant et après le
parcours pédagogique ?
48
Questionnaire pour les élèves
Oui Non
Savais-tu ce qu’était l’opéra ou le ballet avant de venir au Grand
Théâtre ?
Quelle a été ta première réaction lorsque ton enseignant t’a proposé d’aller
voir un opéra ?
(indique ton degré de satisfaction sur une échelle de 1 à 5, 1 : insatisfait – 5 : très satisfait)

1
·
2

3
4

5
Comment as-tu trouvé :

1

3
2
4

5
le spectacle en général
les voix/la danse
la musique
les décors
les costumes
la durée du spectacle
·
As-tu aimé les visites :

1
2

3
4

5
du Grand
Théâtre/BFM
des Ateliers
·
Quelle activité as-tu préférée ?
·
Est-ce que la préparation en classe t’a aidé(e) à comprendre le spectacle ?

1

2

3
4
5
Oui
Est-ce que tu aimerais revenir au Grand Théâtre?
49
Non
50