Le transport dans la ville de Barcelone

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Le transport dans la ville de Barcelone
Networks and Communication Studies
NETCOM, vol. 14, n° 3-4, 2000
p. 215-235
Le transport dans la ville de Barcelone :
aperçu historique
Carme Miralles-Guasch1 & Antoni F. Tulla-Pujol2
Abstract.— This article analyses Barcelona city transport as strategic instruments of urban policy. The
analysis presents different interpretations which allow us to understand the mobility of citizens : the
street as a space for the connection of pedestrians and public and private transport. All this within a
wide time span which begins at the start of the XIXth Century and finishes at the end of XXth Century.
Keywords.— Barcelona; urban policy; transports
Resumen.— En este artículo se analizan los transportes de la ciudad de Barcelona como instrumentos
estratégicos de la política urbana. El análisis recorre diferentes líneas interpretativas que nos permiten
comprender la organización de la mobilidad de los ciudadanos : la calle como el espacio de conexión
del peatón, los transportes colectivos y los transportes privados. Todo ello dentro de una perspectiva
temporal amplia que empieza a principios de s. XIX y acaba a finales de s. XX.
Palabras claves.— Barcelona; política urbana; transportes
Barcelone, ville de la Méditerranée occidentale, avec un million et demi
d’habitants et capitale d’une région métropolitaine de plus de trois millions d’habitants, dispose d’une grande offre de transport (public et privé), résultat de tout un
processus historique, qui débuta entre le XVIIIe et le XIXe siècle.
La création des réseaux de transport urbain obéit historiquement à une
logique fondamentale : celle d’assurer le fonctionnement de la « machine » urbaine
quand celle-ci, dans le système capitaliste, débuta un processus d’expansion et de
différenciation fonctionnelle et sociale interne. Cette nouvelle structure spatiale se
base sur une séparation croissante entre le lieu de travail et le lieu de résidence et
sur une ségrégation croissante entre les groupes urbains (PRED, 1996). Le résultat
est un espace urbain déséquilibré et divisé où la mobilité des personnes apparaît
comme un mécanisme basique de rééquilibre (Vittadini, 1992) et comme une activité urbaine qui conditionne l’insertion sociale des personnes. Les politiques
1. Département de Géographie, Universitat Autònoma de Barcelona, [email protected].
2. Département de Géographie, Universitat Autònoma de Barcelona, [email protected].
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publiques et privées, qui organisent la mobilité à partir des transports urbains, sont
discriminatoires ou démocratisantes, parce qu’elles permettent à plus ou moins de
citadins d’utiliser la ville, comme une expression de ce que Lefebvre appelait le
« droit à la ville » (Lefebvre, 1974b).
Les moyens de transport, considérés comme une part de l’offre de la ville,
sont des instruments stratégiques de la politique urbaine ; par conséquent, on ne
peut pas les considérer seulement comme une série d’implantations technologiques qui permettent un déplacement plus rapide, mais aussi comme réellement
des pièces clefs de l’organisation socio-économique de la ville capitaliste.
L’analyse du transport dans la ville ne peut pas s’orienter seulement vers
l’analyse du produit final mais doit inclure les processus interactifs d’un ensemble
de facteurs (Morandi, 1989) qui donnent lieu aux politiques de transport, conçues
par les agents privés et publics qui, à chaque étape de la ville, structurent et organisent la mobilité des citadins et influencent la disposition des activités dans l’espace
urbain. Cette analyse permet de comprendre dans une même logique interprétative
la timide réforme d’une rue médiévale, la construction des grandes voies urbaines
et du réseau de chaussées, la redécouverte du piéton dans la ville actuelle ou les
politiques d’apaisement du trafic. Toutes ces réformes, ces constructions et ces
dessins ont la même finalité : créer un espace et un temps de connexion pour que
puisse se développer le mouvement des personnes dans la ville, comme une des
activités urbaines qu’impose le propre système capitaliste.
Tout cela rend nécessaire une perspective temporelle longue, puisqu’il s’agit
d’analyser un ensemble de processus qui ont des rythmes inégaux et des déphasages temporels, pour ne pas fragmenter les dynamiques qui, même si elles
demeurent dilatées dans le temps, font partie d’une même logique explicative.
À Barcelone, cette option temporelle s’élargit, s’amplifie et se dilate. Les
processus et la dynamique de décalages temporels, dans la ville, ne sont pas seulement causés par la dynamique du territoire socialement organisé, où rien n’est
instantané (Indovina, 1990), mais aussi à partir d’une caractéristique intrinsèque
propre à la ville : le manque de décision des agents publics pour la réalisation de
projets urbains. Barcelone est caractérisée historiquement (sauf pour quelques
petites périodes) par une volonté politique faible (influencée par le fait de ne pas
être capitale d’État), et dans bien des cas par une capacité économique insuffisante, ce qui a retardé ou rendu impossible la réalisation effective de beaucoup des
projets urbains.
Trois aspects constituent les parcours des dynamiques et des politiques
urbaines qui organisent la mobilité des citadins à travers les conceptions de la ville
et l’implantation des moyens de transport : la rue comme l’espace de connexion du
piéton, les transports collectifs et le transport privé, à partir de la construction de
réseaux de voies rapides.
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1. L’ESPACE DE CONNEXION :
DE LA RUE DU PIÉTON À LA RUE DE LA CONSOMMATION
La rue est une pièce fondamentale de la ville contemporaine mais, comme
tout élément urbain, elle s’est transformée avec le temps. Dans la ville pré-capitaliste,
la rue n’était pas un espace de connexion. En ce temps-là l’espace disponible
devant les maisons était un lieu ouvert, où se situaient les activités de production et
d’échange (annexe à la maison) et qui s’utilisait comme un espace de socialisation
de voisinage.
Au fur et à mesure que les fonctions urbaines deviennent plus complexes,
(incorporation de la manufacture, l’échange à plus grande échelle, transformation
des maisons, et en général pénétration des relations de production capitalistes
dans la ville), la ville incorpore de nouveaux usages qu’elle substitue aux usages
traditionnels (Lefebvre, 1974a). À partir de ce moment-là, l’espace public doit
permettre le passage de la lumière et de l’air, faciliter la promenade et la consommation, mais surtout incorporer les fonctions de mouvement, de circulation et
d’accès (Zambrini, 1960).
La typologie de la ville médiévale (étroite, tortueuse, souvent sans sortie)
n’est pas adaptée aux nouvelles fonctions urbaines : un changement morphologique sera nécessaire, qui donnera lieu à des rues à angles droits, avec des caractères uniformes, qui constituent un réseau de voies intégré. L’établissement des
rues comme espace public de connexion, face à l’occupation abusive des ateliers
d’artisans et des vendeurs ambulants, peut être considéré, comme le début de la
modernité dans les villes. Cet espace public est caractéristique de la mobilité de
l’étape préfordiste.
Les rues comme espaces de connexion, ont été construites à Barcelone à
des époques historiques qui remontent à plus d’un siècle. Les premières rénovations du tracé urbain médiéval ont surgi, de manière ponctuelle, dans la partie de
Barcelone fermée par les murailles à la fin du XVIIe siècle et se sont généralisées
au milieu du XIXe siècle. Depuis cette époque et jusqu’à la fin du XXe siècle, les
politiques urbaines ne comptent pas le piéton comme un élément essentiel de la
mobilité de la ville. Il est nécessaire de faire ce saut historique de plus de cent
ans pour comprendre le cycle complet de ces espaces de connexion et spécialement pour comprendre pourquoi cette infrastructure arrive à être une pièce clef
de la ville au début du XXIe siècle, avec déjà des caractéristiques pleinement postfordistes.
Ce processus de rénovation de l’espace médiéval des voies débute à
Barcelone, de manière ponctuelle, au XVIIe siècle, quand on fait desaparéixer no
pochs carrers estrets y inútils (disparaître un grand nombre de rues étroites et
inutiles) (Carreras Candi, 1916), mais ce n’est qu’au milieu du XVIIIe siècle, avec
les Ordenances d’Obreria (1770) et l’Ordre Reial (1788), que les agents publics
interviennent et donnent au remodelage une reconnaissance officielle. En dépit
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de quelques réformes ponctuelles dans le quartier de la Ribera et dans celui de
Sant Pere menées par des promoteurs privés, c’est avec le remodelage du Raval
et l’urbanisation de la Barceloneta au XVIIIe siècle que, pour la première fois, s’applique de forme générale cette nouvelle logique d’organisation des voies
urbaines. Plus tard, on la retrouvera dans la construction des Ramblas (18491956) et de l’axe transversal (1820-1964). C’est la première fois que des agents
publics proposent la rénovation d’une partie de la ville en relation avec la mobilité (carte 1).
Au milieu du XIXe siècle, ces deux axes (les Ramblas et l’axe transversal)
constituent le réseau modèle de voirie de la ville. Ce remodelage prétend mettre en
valeur le caractère central de ces voies, facilitant l’accessibilité et la promotion de la
consommation et des espaces de loisirs de la bourgeoisie (c’est là que s’ouvrent les
premiers cafés, les restaurants élégants, les boutiques à vitrines, l’Opéra, etc.). La
facilité de circulation s’associe ainsi à l’espace bourgeois de la ville.
Avec la construction de l’eixample (à partir de 1856) la rue sera pleinement
reconnue comme espace de connexion et Ildefons Cerdà3 prendra en considération la largeur des rues, dans ce quadrillage orthogonal qui se construira au-delà
de la ville médiévale (une fois les murailles disparues), à partir des différents
éléments qui doivent utiliser l’espace public pour circuler. Ainsi, dans son
premier projet (1855), il dessina une section de rue de 35 m de large où les
piétons, les diligences et le train pouvaient circuler, mais dans la dernière proposition, celle qu’on a fini par construire, on a réduit la largeur de la rue à 20 m
(Magrynia, 1994)4.
Tout au long du XXe siècle, la politique urbaine à Barcelone abandonne le
piéton et concentre ses efforts à organiser la mobilité à partir de moyens mécaniques. Ce ne sera que vers les années 1980, au début de l’époque postfordiste,
que les législateurs ont recommencé à projeter rues et places.
La dynamique de compétition et de sélection, dans laquelle sont insérées les
villes à l’étape actuelle, fait qu’aujourd’hui plus que jamais la zone centrale de la
ville doit posséder une haute qualité urbaine, à la différence des étapes précédentes, non seulement par rapport à l’accessibilité mais aussi à d’autres paramètres
qui, jusque-là, n’étaient pas pris en compte dans la politique urbaine : la qualité
atmosphérique, la sécurité citadine, le niveau du bruit, le design, etc. L’usage
massif de l’automobile privée représente un problème pour maintenir ces différents paramètres de qualité, ce qui impose des mesures de dissuasion dans ces
espaces urbains centraux. C’est dans cette logique que se récupèrent les rues
3. Ildefons Cerdá, ingénieur des routes, élabore trois projets consécutifs pour l’Ensanche de
Barcelone de 1855 jusqu’à 1863. L’objectif de ces conceptions était celui d’urbaniser la plaine de Barcelone, située entre la Barcelone aux murailles et les villages de la plaine (carte 2).
4. À ce moment-là, bien qu’aient existé 412 rues de 6 m de large à Barcelone (Mas Yerba, 1898)
la largeur moyenne des rues de la ville était de 4 m (Magrinya, 1994)
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PLAN 1
RÉFORMES URBAINES DANS LA BARCELONE ENSERRÉE ENTRE
SES REMPARTS ET CERTAINS DE SES QUARTIERS PÉRIPHÉRIQUES
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piétonnes et que se développe le concept d’apaisement du trafic, pour que des
moyens de locomotion variés (piétons, bicyclettes, voitures, etc.). puissent partager
un même espace public
Barcelone, depuis le premier gouvernement municipal démocratiquement
élu (1979), a opté pour une ville de qualité, ouverte au monde. En conséquence, la
politique urbaine, résumée dans le Plan Stratégique Barcelone 2000, a mis en
valeur un centre urbain dense et compact, où les activités tertiaires et la résidence
de qualité sont privilégiées5, avec une claire vocation de centre métropolitain,
réduit et très représentatif, caractérisé par une haute qualité urbaine (Montaner,
1990)6.
Cette stratégie de concentration et de sélection du modèle urbain, associée
au modèle socio-économique postfordiste, implique une réorganisation de la
mobilité des personnes dans cet espace central de la ville. Ainsi, se remodèlent les
places et les rues pour que s’y localisent des fonctions centrales (les rues commerciales des quartiers traditionnels), ainsi que quelques rues caractéristiques de
l’Eixample (comme les avenues Gaudí et Terradellas, etc.) que les piétons peuvent
utiliser. Parallèlement, et comme politique complémentaire, on essaie de baisser la
pression de l’usage du véhicule privé dans l’espace urbain, en y mélangeant des
usages divers, en y mettant en valeur l’usage de la bicyclette, en y réduisant la
vitesse, etc. Mais cette politique urbaine, comme dans tant d’autres villes, n’a pas
comme seul objectif prioritaire de faciliter la circulation au piéton mais celui de
faciliter la consommation et les loisirs (mettre en valeur la centralité). La requalification des rues se fait de forme ponctuelle et non en réseaux, qui est l’unique
forme d’assurer au citadin la possibilité d’une mobilité quotidienne facile.
En résumé, on peut dire que la rénovation des rues, qui a commencé au
siècle précédent comme lieu de circulation du piéton, s’oriente plus tard vers une
politique générale de revitalisation et de requalification de la ville. À Barcelone, ce
processus s’est spécialement déroulé dans les espaces de centralité de la ville et
dans les nouveaux quartiers. D’une part, il s’agit de dynamiser l’ensemble de la
ville en promouvant ses activités tertiaires qui aujourd’hui définissent l’attrait et la
centralité des villes ; d’autre part, il s’agit aussi de récupérer l’aspect convivial,
l’échelle humaine de la ville, bien que cela se produise d’une manière très ponctuelle et souvent sélective.
5. L’urbanisation du quartier qui fait face à la mer (la ville Olympique) en est un exemple
représentatif.
6. Quartiers qui à l’origine étaient les noyaux indépendants qui entouraient la Barcelone
médiévale.
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2. LES MOYENS DE TRANSPORT COLLECTIFS : LA DURABILITÉ DES DÉFICIENCES
L’incorporation des moyens de transport collectifs qui ont pour objectif de
modifier les temps de connexion, en augmentant la vitesse, s’est faite à Barcelone,
d’une manière lente, progressive et hautement sélective. On distingue deux étapes.
La première (1860-1940) est caractérisée par la prédominance des moyens
collectifs sur les moyens privés, par l’incorporation des innovations technologiques, par la diffusion de l’usage spatial et social de ces innovations et, finalement, par une gestion privée et par la faible incidence des pouvoirs publics. La
seconde débute dans les années 1950 ; elle est marquée par l’irruption et la diffusion du véhicule privé et par le caractère subsidiaire que vont avoir les transports
collectifs, qui durant cette période passent en gestion publique.
Cette évolution ne peut toutefois pas se comprendre pleinement si l’on ne
prend pas en compte tout ce qui a été projeté et n’a pu être réalisé. La dynamique
historique qui permet de comprendre l’évolution du transport collectif est intégrée
par des présences (tout ce qui a été implanté) et par des absences paradoxales
(tout ce qui a été projeté mais n’a pas pu être réalisé) ; présences et absences qui
sont le résultat des relations de forces entre les agents privés et publics, dans une
logique de marché.
2.1. Les présences déficientes
C’est au milieu du XIXe siècle que s’implantent dans la ville les premiers
moyens de transport mécanique avec des standards de services modernes (parcours
et arrêts fixes, régularité des horaires, tarifs fixés en fonction des parcours et admission de tous les citadins qui payent un billet) : les omnibus (traction animale) et le
chemin de fer (à vapeur). Bien que de technologie distincte (vitesse, capacité,
parcours fixes ou variables, etc.), tous deux s’adaptent aux exigences de la disposition territoriale de la structure productive et les convertissent en lignes interurbaines
centre-périphérie, reliant de manière radiale la Barcelone retranchée à l’intérieur de
ses murailles et les villages de la Plaine7 (guimbardes et omnibus tirés par des
chevaux, carte 2) ou les villes moyennes du centre de la Catalogne (chemins de fer
à vapeur, carte 3). Dans toutes celles-ci s’est développée une importante structure
industrielle locale qui impose la nécessité de se raccorder au port le plus proche
(Barcelone). Les caractéristiques de cette première implantation expliquent que, dès
sa création, on soit en présence d’un réseau très intense et complexe, et par conséquent distinct des autres agglomérations espagnoles (Alemany & Mestres, 1986).
Cependant les moyens de transport étaient très chers8 et n’étaient utilisés
que de façon sporadique par les classes aisées. Leur importance provient, non pas
7. Le premier parcours (1859) se fit entre Barcelone et l’ancienne ville de Gracia, remontant par
ce qui est aujourd’hui le Paseo de Gracia. En 1860, la liaison avec Horta est établie.
8. Pour les trajets courts (Horta, el Clot, Sants, etc.) un billet représentait 2 % du salaire hebdomadaire d’un ouvrier. Pour les parcours plus longs (Mataró, Molins de Rei, Granollers, etc.) il faut
supposer 10 % du salaire hebdomadaire.
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de leur répercussion sur le marché du travail, qui maintient des relations de voisinage9, mais du fait qu’ils donnent aux parcours un caractère radiocentrique qui
s’est maintenu jusqu’à aujourd’hui.
À la fin du XIXe siècle apparaissent les tramways, d’abord à traction animale
puis à traction électrique (carte 4). Ils supplantent les vieux omnibus sur les mêmes
parcours. Mais ce n’est qu’au début du XXe siècle qu’ils peuvent être considérés
comme des éléments urbains. Jusqu’au milieu des années 1930 ils servent essentiellement à la bourgeoisie, qui va travailler, acheter et se divertir dans le centre de
la ville (dans l’axe Ramblas, Plaza Cataluña, Paseo de Gracia) et qui peuvent
permettre de vivre à la mode du nord-est de la ville. Comme il s’agit d’un transport
géré par des entreprises privées, la logique industrielle s’efforce d’unir ces parties
de la ville qui fournissent une plus grande demande potentielle10 (Oyón, 1992).
À partir des années 1930, il y a un changement qualitatif important puisque ce
transport devient accessible à la classe ouvrière, grâce au changement énergétique qui
s’est produit dans les années précédentes11 et qui, selon certains auteurs, ne provoqua
ni une réduction significative du prix du billet, ni un accroissement social immédiat de
la demande (Monclús & Oyón, 1990). Ceci se matérialise quelques années après, au
début de la guerre civile (1936-1939), par les changements significatifs des structures
productive et urbaine. Au cours de la période républicaine (1931-1936), il y a eu une
augmentation généralisée des salaires et une diminution de la journée de travail. En
plus, l’usage de la ville, dû à l’accroissement de l’espace urbain fonctionnellement
intégré, est seulement possible par l’utilisation de moyens de transport mécaniques.
La vitesse est un élément indispensable au fonctionnement de la structure productive
et reproductive de la ville, bien que l’offre de transport collectif soit loin de répondre
aux critères que définit la sphère économique et sociale de la ville.
Parallèlement, s’incorporent à la ville deux autres moyens de transport
collectifs : le métro (1924) (carte 5)12 et le bus urbain13 (1922). Ces technologies
9. Le marché de travail à Barcelone aura une structure locative très autocentrée dans le quartier
jusqu’à la décennie des années 1930 (Miralles & Oyón, 1997).
10. Le volume des usagers des tramways est assez inégal entre 1885-1920, mais avec une
tendance claire en hausse, passant de 13,10 à 175,88 millions de passagers. Avec un accroissement per
capita de 44 à 160 voyages entre 1887 et 1915 (Monclús & Oyón, 1990).
11. En 1990 tous les tramways de Barcelone sont électriques et parcourent 125 km sur différentes lignes. Ceci amène une concentration des entreprises qui réduit à trois les compagnies de tramways : The Barcelona Company Tramways Limited, La Compagnie Générale de Tramways, La Société de
Tramways de San Andrés.
12. Le premier projet du métropolitain est de 1912, mais ce n’est qu’en 1924 qu’une compagnie
privée (Gran Metro) ouvre le premier tronçon de chemin de fer souterrain : Lesseps-Plaça Catalunya.
Une seconde compagnie (Transversale, avec une largeur de voie distincte) ouvre un second tronçon
(Plaça Catalunya-La Bordeta) en 1926.
13. Le premier service de bus apparaît dans la ville en 1906, avec un parcours central de Plaça
Catalunya-Gràcia. Mais en 1908 pressée par les entreprises de tramways la Municipalité décide de
fermer la ligne de ce nouveau moyen de transport. Ce n’est qu’en 1922 qu’il s’ouvrira pour passer sous
la tutelle des puissantes entreprises de tramways (González Masip, 1990).
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nouvelles ne signifient pas pour la ville une amélioration du service qu’offrait déjà
le tramway. Les lignes de ces deux moyens de transport seront créées dans le
centre de la ville, sur l’axe Rambla-Paseo de Gracia, doublant et parfois même
triplant, sur un même parcours l’offre de transport collectif.
Avec la Guerre Civile (1936-1939) se termine une période au cours de
laquelle les transports collectifs ont renforcé leur place dans la ville et dans la structure socio-économique, même si les déficiences chroniques, évidentes dans le
réseau de tramways très centralisé, ont subsisté. C’est ainsi que les quartiers périphériques sont encore mal reliés au centre urbain et aux autres périphéries
ouvrières et industrielles. Cette situation est une conséquence de la gestion privée
des moyens de transport, sur laquelle la sphère publique, à travers l’Administration
locale ou étatique, a très peu d’influence. Les pouvoirs publics, qui dans la
nouvelle logique d’urbanisation sont les seuls à donner aux différentes entreprises
des concessions pour de nouvelles lignes, sont affaiblis face aux privilèges des
acteurs privés du transport.
Dans le modèle théorique, et comme l’explique Trullén (1995), la dernière
phase de la ville préfordiste occidentale (première moitié du XXe siècle) est caractérisée par une forte croissance de la ville et du marché local qui engendre une
forte demande d’investissement urbain orienté vers la distribution des infrastructures de transport et de communications, absorbant ainsi une proportion significative des excédents créés par l’industrie. Mais Barcelone est une exception à ce
modèle théorique : la ville n’a pas été capable, tout au long de la première moitié
du XXe siècle, avec le mandat des industriels de la Lliga Regionalista14, de consolider des moyens de transport collectifs, susceptibles d’être pris en charge par les
excédents de leurs propres entreprises. Les transports urbains non seulement ne
se consolident pas comme services, mais ne sont pas non plus des éléments
d’économie efficaces pour un marché local toujours plus grand et plus intense,
qui s’identifie à la Gran Barcelona15. Les transports collectifs restent dans des
mains privées, comme cela a été le cas au cours du XIXe siècle. Les agents privés
fossilisent la gestion et l’intégration territoriale et économique de cette infrastructure urbaine et rendent impossible la transformation dont la ville a besoin. Ce
n’est pas seulement l’aspect urbain qui obéit à cette dynamique de privatisation,
caractéristique de la ville de Barcelone ; le marché du logement suit aussi une
tendance similaire.
14. En 1901 gagne les élections municipales de Barcelone un parti de centre-droite lié à la bourgeoisie industrielle, la Lliga Regionalista. Ce groupement politique prétend moderniser Barcelone et
avec elle toute la Catalogne et mettre l’accent dans le reste de l’Espagne pour donner une réponse à la
crise économique qui a fini par conduire à la perte des dernières colonies espagnoles. Ce parti se maintiendra au pouvoir presque trois décennies.
15. La Gran Barcelona est le nom que reçoit la ville, une fois annexées les communes de la
plaine et le terme municipal de la ville s’est accru de 15,5 à 77,2 km2 et la population passera d’un
demi-million à un million de personnes dans les années 1930.
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Mais on ne peut pas avoir la dimension exacte de cette dynamique fossilisée
de la part des agents privés si on n’analyse pas tout ce que la ville pense et projette
et qu’elle n’arrive pas à matérialiser.
Dans l’histoire de Barcelone, il y a une période exceptionnelle, mais assez
brève. Au début des années 1930, un gouvernement local, de gauche pour la
première fois, essaye de changer la dynamique séculaire de la ville. Mais une
décennie c’est peu de temps pour qu’une politique urbaine puisse avoir de l’effet
sur le territoire. À cette époque, on envisage une proposition intéressante : un plan
de raccordement ferroviaire (1933) qui prétend rationaliser le réseau ferroviaire à
l’intérieur de Barcelone pour qu’il devienne une infrastructure intégrée et pas
seulement une série de lignes indépendantes arrivant en ville.
Après la Guerre Civile et la longue période d’après-guerre, les transports
collectifs ont cessé d’être une affaire pour le secteur privé et ils deviennent publics.
Parallèlement, ils tendent à devenir des services obsolètes, face aux moyens de
transport individuels, qui deviendront hégémoniques. Les transports collectifs
(devenus publics) seront des infrastructures subsidiaires. L’administration locale
veillera à ce qu’ils n’empêchent pas la croissance de la motorisation individuelle
privée. C’est pourquoi, pour laisser plus de chaussées libres, on met en valeur le
transport public souterrain, le métro, et on ferme une partie du réseau de transport
de surface, le tramway, qui a près de cent ans de fonctionnement et une cote de
déplacement urbain de 70 % contre seulement 20 % pour le métro.
À cette étape (1960-1980), la ville réelle va bien au-delà des limites municipales de Barcelone et inclut non seulement les communes les plus proches, celle
de la première périphérie (quelques fois celles-ci sont déjà intégrées á la ville) mais
surtout, au-delà de Collserola, les communes du Maresme et du Baix Llobregat
(carte 6). Ainsi, les transports collectifs de Barcelone (le réseau des bus et le métropolitain) desservent seulement le centre (identifié à Barcelone) d’une ville pleinement métropolitaine. Dans la ville métropolitaine le réseau de transport collectif
(spécialement le réseau radial de chemin de fer, carte 3) continue à desservir un
centre en excluant une périphérie, même si maintenant avec l’accroissement de la
superficie urbaine, le centre et la périphérie ne sont plus les seuls espaces urbains
différents des années 1930, quand la ville n’était pas encore intégrée fonctionnellement dans une grande métropole. Mais même dans la ville centre, des déficits
historiques subsistent qui s’aggravent avec les décisions de l’Administration.
À la fin des années 1960, les bus de Barcelone n’arrivaient pas à l’Hospitalet.
Le métro, dans la révision du plan de 1966, était considéré seulement comme un
service strictement urbain, puisqu’il ne prétendait relier aucune des autres villes de
la conurbation de Barcelone, desservant strictement la zone centrale de la capitale.
Comme dans les années 1950, ni les quartiers périphériques de Nou Barris ni la
Zona Franca ne sont parties intégrantes de la ville nécessitant ce moyen de transport (Solans, 1971). Et ce n’est qu’avec la révision du plan du métro en 1974, et la
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conception de six lignes nouvelles, que l’on proposa que trois d’entre elles desservent des communes contiguës à la ville de Barcelona (carte 3).
C’est à partir des années 1980, avec le retour des municipalités démocratiques et la crise énergétique surmontée, qu’affleurent les limites et les coûts réels
de la mobilité basée sur le transport privé. Les acteurs publics de la ville (réunis
autour de la nouvelle municipalité) veulent mettre en valeur le transport collectif,
afin de résoudre le déficit historique qui tenaille la ville (Busquets, 1992). L’on
commence alors à penser la mobilité vus sous un autre angle politique, celui où les
transports collectifs jouent un rôle central, s’écartant de la marginalité et de la
subsidiarité… dans lesquelles ils étaient depuis la Guerre Civile : on élabore le Plan
de Métros de 1984 et on paralyse (et on arrive même à détruire) quelques infrastructures de voieries16.
Cette nouvelle option politique pour résoudre les problèmes de la mobilité
est vite abandonnée. Avec le choix de Barcelone pour les jeux Olympiques (1986),
la mobilité dans la ville s’organise de nouveau autour de la construction de voies
publiques, ce qui signifie le choix de la voiture. Le transport public ne reçoit que
2 % du total des dépenses olympiques (Herce, 1992), et l’on paralyse les différents
plans de transport collectif en gestation au cours de l’étape démocratique précédente (1980-1986) : le Plan Intermodal de Transport de la Région Métropolitaine
(PIT), avec pour finalité l’organisation d’un réseau de transport public intégré et le
plan de métro de 198417 (Dombriz, 1995). Mais le rôle que s’attribuent les transports collectifs a changé. Maintenant qu’ils ne sont plus que des transports marginaux, on leur donne un rôle et une place dans la mobilité urbaine générale : servir
le centre de Barcelone.
L’expérience des années 1960 et 1970, tant à Barcelone que dans les autres
villes européennes, a montré que dans les centres des villes denses, l’automobile
est à l’origine de beaucoup de dysfonctionnalités urbaines (pollution, bruit, occupation de l’espace public, etc.) qui affectent le niveau de la qualité urbaine.
Les moyens de transports collectifs doivent par conséquent préserver la
qualité sans diminuer les niveaux d’accessibilité. Cette logique se fait a deux
échelles urbaines : celle de l’espace central de la ville centre (Barcelone), où circulent le métro et l’autobus et celle qui rend accessible le centre aux communes
situées autour de Barcelone. Pour ce second propos se remodèlent (en rénovant le
matériel et en réorganisant le service) les lignes de chemin de fer, FCG et RENFE18
(carte 3), construites au milieu du XIXe siècle comme un réseau radial dont le centre
était Barcelone. Elles peuvent ainsi assumer parfaitement ce nouveau rôle de lignes
métropolitaines qui desservent le centre de la région métropolitaine.
16. La pression populaire dans cet objectif fut fondamentale : en 1976 se paralyse la construction d’une voie urbaine rapide (le second ceinturon) au passage par l’arrondissement de Nou Barris. Les
tronçons construits sont détruits : en 1984 le viaduc de Alfons X.
17. Ce plan de métro, qui devait se terminer en 1990, est encore aujourd’hui inachevé.
18. FCG chemin de fer relevant de la région Catalogne ; RENFE relevant de l’Etat espagnol.
LE TRANSPORT DANS LA VILLE DE BARCELONE
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Lors de cette dernière étape, en dépit du fait que les transports privés ne
cessent d’être hégémoniques dans la politique urbaine, dans le centre de Barcelone les transports collectifs jouent un rôle important et bien défini à l’intérieur de
la nouvelle organisation territoriale : éviter les économies de décongestionnement.
Dans cette logique et seulement dans l’espace restreint de la ville réelle (devenue
ville régionale) les transports collectifs sont considérés comme une alternative
réelle au transport privé.
2.2 Les absences permanentes
La dynamique historique, qui explique les causes de la persistance des déficiences du transport collectif, ne se termine pas avec l’analyse de ce qui a été
réalisé : il faut insérer tout ce qui a eu une projection théorique mais qui n’a pas pu
se réaliser. De manière parallèle à tout le processus décrit dans le chapitre antérieur, il y a eu une série de projets qui sont restés dans la pénombre historique, et
sont totalement oubliés. Pourtant, ils font partie des raisons qui expliquent la situation particulière du transport collectif dans la ville de Barcelone.
Essentiellement, les projets et les propositions urbaines se réfèrent aux
transports collectifs dans le premier tiers du XXe siècle. Ce sont des années qui,
même si elles ont été secouées par de profondes crises économiques (de portée
autant locale qu’internationale), se caractérisent par un fort dynamisme urbain et
par un intense niveau d’élaboration théorique portant sur l’environnement de la
ville et l’organisation de la société en général. Dans cette ambiance d’effervescence
sociale, la Mairie de Barcelone, qui depuis 1901 était gouvernée par un parti bourgeois et industriel (la Lliga Regionalista), veut effectuer une série de changements
pour moderniser la ville et avec elle toute la Catalogne. L’inspiration théorique
pour mener à bien cette transformation se cherche à l’étranger. La bourgeoisie
locale s’identifie spécialement au concept de Gross-Stand allemand (Grande Ville),
mais reçoit aussi les influences du City-Planning nord américain et de la ville citéjardin anglo-saxonne (Roca, 1983a).
Toutes ces théories arrivent à Barcelone sous forme de plans et de projets
que différents théoriciens de plates-formes urbaines distinctes vont élaborer pour
faire de Barcelone une grande ville. Dans ce contexte, il faut souligner la proposition de Léon Jausseley qui, en 1901, gagna le concours d’idées pour organiser la
Barcelone qui, avec les annexions des villages autour d’elle (carte 2) a quintuplé sa
surface municipale. Ce projet prétend consolider une nouvelle réalité urbaine,
circonscrite à la plaine barcelonaise, qui jusqu’alors ne formait pas un ensemble
urbain fonctionnellement intégré. L’idée fondamentale consiste à créer des relations entre les différents pôles où le perfectionnement technique des transports
(spécialement le chemin de fer) renforce la fonction de la ville comme un système
d’unités territoriales avec des rapports entre celles-ci (Torres i Capell, 1985).
Cebrià de Montoliu réalise l’autre proposition, comme directeur de la Sociedad Cívica « Cité-Jardin ». Ce projet conçoit la ville à deux échelles différentes : la
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ville globale et le tissu urbain concret. Dans les deux échelles les moyens de transports collectifs sont des éléments essentiels. Ainsi, il propose la municipalisation
des principales entreprises de transport afin de régulariser le système dans l’aire
urbaine et dans l’aire métropolitaine. Il définit les chemins de fer urbains comme le
principal moyen de vertébration de la ville. Par ailleurs les projets de l’Instituto de
Habitación Popular, créé en 1915 par la Municipalité pour résoudre la crise des
logements, soulignent l’importance des transports collectifs comme un moyen indirect mais indispensable pour rééquilibrer la ville et qui se répercute sur le marché
du logement (Roca, 1983b). Les projets élaborés dans les quinze premières années
du xxe siècle ont été les plus novateurs et les plus modernes. À partir de cette
période et jusqu’en 1931, les projets vont être des adaptations diluées de ce que
furent les propositions originales.
Dans tous ces projets, propositions et plans, les infrastructures et les moyens
de transport sont perçus comme des mécanismes d’organisation des nouvelles
unités productives métropolitaines et comme des instruments d’accroissement de
l’offre du sol, du contrôle du marché du logement et du maintien des prix (Torres i
Capell, 1987). Ils sont devenus des éléments d’économie efficace et, dans une
certaine mesure, de cohésion sociale. Les transports et la viabilité jouent un rôle
fondamental dans l’organisation de la ville et de sa nouvelle échelle urbaine. En
dépit de toutes ces considérations positives qui tournent autour des transports
comme une pièce fondamentale de l’aire métropolitaine et de Barcelone comme
ville-capitale, aucune solution pratique n’a traduit ces idées dans la réalité.
Mais le niveau d’échec n’a pas été le même pour toutes les propositions ;
après 1914, certaines de ces idées seront reformulées et, bien que cela soit beaucoup plus tard, celles qui sont relatives à la construction du réseau de voies arriveront à s’imposer. Malheureusement celles qui faisaient référence à un changement
dans l’organisation ou dans la gestion du service du transport collectif ou celles qui
impliquaient la construction de nouvelles lignes ferroviaires sont totalement
tombées dans l’oubli.
Ce niveau inégal d’implication réelle des projets indique quels sont les
projets qui s’adaptent le mieux aux aspirations et aux valeurs de la bourgeoisie, et
des acteurs privés qui construisent la ville. Au cours de ces années, les transports
collectifs ainsi que la construction de logements représentèrent une forme de s’enrichir qu’offrait la ville. Deux aspects importants pour la ville où les politiques de
caractère public échouent et donnent lieu à de graves crises urbaines.
Voilà pourquoi il est nécessaire de comprendre la persistance des déficiences d’un élément urbain, le transport collectif, à partir de l’hégémonie que
détiennent les acteurs privés pendant plus de trente ans. Les acteurs privés se
mobilisent pour freiner dans ce secteur toute initiative qui puisse diminuer leurs
privilèges. C’est pour ce motif que se consolide un réseau de transport central et
centralisé, radiocentrique. En définitive, peu efficace sur le plan économique et
comme service urbain. De toutes façons, les adjectifs d’exclusion et de sélection
LE TRANSPORT DANS LA VILLE DE BARCELONE
233
vont changer avec le temps : d’abord ils auront un référent social parce que l’offre
se dirige exclusivement à la classe moyenne-haute. Plus tard, quand Barcelone
devient une réalité métropolitaine, à partir des années 1960, ces qualifications ont
un référent territorial, puisque les infrastructures ont commencé à desservir la
partie centrale de cette ville réelle métropolitaine : le centre de la ville de Barcelone.
Tout cela devient évident à travers une histoire urbaine qui se dilate au-delà
de cent ans et qui consolide une forme d’implantation concrète et particulière à ces
moyens collectifs du transport urbain.
3. LES MOYENS DE TRANSPORT PRIVÉS : LA DURABILITÉ DES PRIVILÈGES
Dans Barcelone, l’implantation du véhicule privé comme un moyen de
transport massif et hégémonique est la culmination d’un processus diffus et peu
étudié qui débute dans les premières décennies de ce siècle. Le résultat qui atteint
son paroxysme de splendeur dans les années 1960-1970, est la conjonction de
deux dynamiques complémentaires : une plus connue et une autre plus opaque. La
première est mise en relation avec la croissance de la qualité de vie et l’adoption
progressive des valeurs et des formes de vie qui seront exportées de la société
américaine, permettant l’acquisition du véhicule privé. La seconde est liée à l’histoire de la politique urbaine barcelonaise, caractérisée par une série de présences
et d’absences qui se sont perpétuées. Une de ces présences demeure la politique
de construction de la voirie, qui signifie une impulsion définitive pour l’usage
massif du transport privé.
Pour analyser les propositions de réalisation et de construction du réseau de
voirie urbain et métropolitain de la ville de Barcelone, il est nécessaire de délimiter
un arc temporel qui commence au début de ce siècle et se dilate jusqu’à aujourd’hui. Cette longue période est indispensable parce qu’elle a constitué un processus lent (proposition-conception-réalisation), pour certaines circonstances
économiques et politiques, et qui a culminé avec succès, spécialement si l’on
accepte le référent temporel antérieurement mentionné. Ainsi, il est nécessaire de
se situer au début du XXe siècle, quand Léon Jausseley gagne le concours d’idées
lancé par la Municipalité de Barcelone avec pour objectif la structuration d’une aire
municipale qui s’était multipliée par cinq en peu d’années. Dans cette proposition
on formule, entre autres, une série de réseaux de voies routières et ferroviaires qui
seront le squelette d’une ville fonctionnellement intégrée. Le projet, en dépit du fait
qu’il gagne le concours, est suspendu jusqu’en 1917. On en fait alors une réadaptation diluée en considérant seulement la proposition de la voirie : c’est ce que l’on
connaît comme « Plan de enlaces viarios » signé par les architectes municipaux
Romeu et Porcel, qui resta en vigueur jusqu’en 1953. Cette dynamique, qui a favorisé les infrastructures des voiries urbaines, est celle qui définit la politique des
acteurs publics, dans les premières décennies de ce siècle. Mais, en plus, elle sera
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une dynamique continue des politiques publiques pour la consolidation du transport privé, qui se perpétue à travers les époques démocratiques (1901-193919 et
1979-1997) et de dictature (1939-1979).
Dans les années 1930 sont formulés deux plans généraux d’aménagement
du territoire qui, entre autres choses, réaffirment (même s’ils le font de manière
non explicite) le processus initié antérieurement. Dans le Regional Planning20 des
frères Rubió et Tudurí et dans le Plan Macià21, on mise sur un réseau de transport
qui prétend ordonner le trafic, non seulement à une échelle urbaine mais aussi à
une échelle métropolitaine et régionale. Pour la première fois, se dessinent deux
tendances qui à partir d’alors s’identifieront comme complémentaires : la croissance de la motorisation privée et le processus de métropolitisation de la région de
Barcelone. En dépit du fait qu’aucune proposition des années 1930 (quand la ville
était gouvernée par la Gauche) n’ait la possibilité de survivre, avec la dictature
implantée depuis la Guerre Civile, les idées ayant trait à la consolidation du réseau
routier régional (comme les raccordements du Vallés, du Llobregat et du Besós) en
tirent profit pour formuler des propositions de portée métropolitaine et régionale
en pleine étape « porcioliste » (1957-1973). À partir des années 1950 et prenant
comme référence les propositions présentées tout au long des cinquante dernières
années (Jausseley, le Plan de 1917, le Regional Planning, et le Plan Macià), toute
une série de projets s’élabore, tant à l’échelle strictement locale qu’à l’échelle
supramunicipale (périphérique, métropolitaine ou régionale), avec comme objectif
l’adptation de l’espace urbain aux exigences de la motorisation privée, ce qui signifie remodeler, tant le centre que la périphérie urbaine.
Cette logique finit par être appliquée quarante ans après, alors que rien ne
prévoyait sa survie. À la fin des années 1980, quand l’opinion publique s’oppose à
la construction des réseaux de voies urbaines rapides et mise sur le transport
public, le plan quinquennal (1987-1992) pour la ville de Barcelone reprend ce qui
avait été proposé tout au long de ce siècle : la construction des ceintures de Barcelone, idée qui avait surgi au début du siècle avec le plan de Léon Jausseley, en est
un exemple clair. La grande justification fut la sélection pour les jeux Olympiques
(1986), on argumentait alors que si les voies étaient bien construites (c’est-à-dire en
respectant l’environnement) et que la pression des véhicules privés dans le centre
19. En excluant le triomphe de la dictature du Général Primo de Rivera.
20. Le Regional Planning (1932) fut un essai de planification générale de l’ensemble du territoire catalan, où l’on utilisa l’idée de zonification avec l’objectif de résoudre les déséquilibres territoriaux. Barcelone ne se considère pas comme une ville stricte mais l’aire centrale de la région
métropolitaine, où améliorer la circulation, à travers la construction de réseau routier sera un objectif
principal.
21. Le Plan Macià surgit comme le résultat d’un travail réalisé par des techniciens associés dans
le GATCPAC, où participe aussi Le Corbusier (1928). Il s’agissait de transformer Barcelone en une ville
fonctionnelle, où les activités de caractères industriels et politiques auront une grande importance. Les
axes routiers seront les artères de cette nouvelle ville, arrivant à proposer la dérive de deux pâtés de
maisons de l’Eixample pour permettre le passage d’une voie rapide au milieu de la ville.
LE TRANSPORT DANS LA VILLE DE BARCELONE
235
de la ville diminue, la construction des voies serait pleinement justifiée, même si,
de manière parallèle et contradictoire, des parkings ont été construits dans le
centre de la ville. Dans l’aire métropolitaine, certains réseaux de voirie ont été
construits, ils étaient prévus depuis les années 1930 dans le Regional Planning et le
Plan Macià.
En définitive, au cours des dernières années s’est réaffirmée une tendance
qui renforce le rôle principal de la motorisation privée ; tendance qui a commencé
à se dessiner au début du siècle. L’élément nouveau qui caractérise la situation
actuelle est la volonté de mise en valeur des moyens de transport alternatifs
(publics, bicyclettes, et piétons).
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