Extrait du livre PDF
Transcription
Extrait du livre PDF
I~t 111\.1).'1 ))U)(JI~ Sociétés Africaines et Diaspora Collection dirigée par Babacar SALL Sociétés Africaines et Diaspora est une collection universitaire à vocation pluridisciplinaire orientée principalement sur l'Afrique et sa diaspora. Elle accueille également des essais et témoignages pouvant servir de matière à la recherche. Elle complète la revue du même nom et cherche à contribuer à une meilleure connaissance des réalités historiques et actuelles du continent. Elle entend également œuvrer pour une bonne visibilité de la recherche africaine tout en restant ouverte et s'appuie, de ce fait, sur des travaux individuels ou collectifs, des actes de colloque ou des thèmes qu'elle initie. Ndiassé Sambe )~I.. Illl)),JI Footballeur ))If)IJI~ et rebelle L'Harmattan «J L'HARMATTAN, 2008 5-7, rue de l'École-Polytechnique; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion [email protected] harmattan [email protected] ISBN: 978-2-296-06322-8 EAN : 9782296063228 A mes parents, mes frères. . . Remerciements À Véronique Sambe, Ally Camwath, Sylvain Ligorred, Stéphane Bitton, Iba Dia, Khadim Faye, Nicolas Joret, Ahmadou B Kassé Mamadou Gomis, Etienne Smith, Ousmane Ndiaye, Pascal Ferré, Thierry Dengerma, Sébastien Tarrago, Pape Samba Diarra, Youkhoupe Guèye, OuIy Wade, Serigne Wade, Madiambal Diagne, Mor Talla Gaye, Alioune B Fall, Vieux Diallo, Pape Massar Ndoye, Astou Bâ, Pascal Wane. Sans oublier tous ceux qui ont bien voulu témoigner dans cet ouvrage. Préface Un homme de cœur El Hadji Diouf, c'est un phénomène aussi bien en dehors que sur le terrain. Lors de notre première rencontre quelque temps après ma nomination au poste de sélectionneur national du Sénégal, nous avons sympathisé tout de suite. C'était à un moment où la Fédération l'avait suspendu parce qu'il avait privilégié son club, Lens, qui jouait le derby face à Lille, alors que sa sélection disputait un match international. Après cette sanction, El Hadji n'avait plus envie de revêtir le maillot national. J'avais donc fait la démarche pour le faire revenir. Nous avons eu un super contact, j'ai découvert en lui un homme de cœur doté d'une capacité d'écoute extraordinaire. C'était le début d'une grande aventure. Vu de l'extérieur, les gens ont tendance à lui coller une image de "bad boy". Mais derrière ses aspects charmeurs et provocateurs se cache une grande sensibilité. El Hadji est un garçon entier et spontané. Son côté intempestif démontre sa manière de s'exprimer, il est luimême, tout simplement. Il est parfois difficile de comprendre ça, cependant, dès qu'on arrive à le saisir, on découvre en lui un homme attachant et affectif. Au Sénégal, il est toujours proche de tout le monde, surtout des enfants et des personnes âgées et il a toujours un petit mot gentil pour chacun. En fait, c'est une vraie star dans son comportement et sa manière d'être. 9 Sur le terrain, El Hadji privilégie toujours le collectif et s'investit beaucoup également vis-à-vis de l'équipe. Il fait vivre ses partenaires. Lors d'un match amical avec le Sénégal, c'était l'une des rares fois où il fut absent, un grand vide pesait au sein des joueurs. C'est tout Diouf, là où il est, le silence n'est plus roi.. . Le Sénégal a de la chance d'avoir un champion comme El Hadji Diouf, c'est un joueur qui est prêt à tout pour venir jouer en sélection. Aujourd'hui, il n'a pas la carrière qu'il mérite, car il a le talent pour s'imposer dans les grands clubs. Il n'a rien à envier à Didier Drogba ou à Samuel Eto'o. Je ne désespère pas de le voir bientôt rejoindre un club qui dispute la Ligue des champions. Il a le talent, le mental et la rage, c'est quelqu'un qui ne baissera jamais le bras, ne lâchera rien. Jusqu'à la fin... Bruno Metsu I I Bruno Metsu est sélectionneur des Émirats Arabes Unis. En 2002, il mena le Sénégal jusqu'en finale de la Coupe d'Afrique des Nations et en quarts de finale de la Coupe du monde. 10 Itinéraire d'un "Vagabond" Dans le catalogue des nombreux auteurs qui se sont risqué, un jour, à qualifier le phénomène El Hadji Diouf, l'ancien sélectionneur du Sénégal, Guy Stephan a, peut-être, trouvé en un subtil résumé, l'expression qui sied le mieux à l'attaquant des Lions. En pleine Coupe d'Afrique des Nations 2004, rythmée par une énième frasque de Diouf, le technicien français à la tête des Lions avait lancé: « Diouf: le joueur est hors norme, l 'homme est hors norme. » En termes de principes, en effet, il y a longtemps qu'El Hadji Ousseynou Diouf a fini de jongler avec les règles (pré) établies. Joueur exceptionnel, certainement le plus grand que le Sénégal du foot ait connu, il est capable de gestes anthologiques sur un rectangle vert, mais également de comportements dignes d'un joueur de football "gladia2" ou d'un hooligan. Personnalité sénégalaise sûrement aussi connue dans le monde que Senghor sur le plan culturel et politique et Youssou Ndour dans le domaine artistique, Diouf ne semble pas gêné de savoir les conséquences de ses actes sur le terrain et en dehors. Voilà ce qui fait toute la complexité du personnage. Joueur déroutant, homme insaisissable, personnage fascinant et cyclothymique. Volontiers fantasque et fantastique. Dr Jekyll et Mr Hyde, ange et 2 Dérivé de gladiateur, football sans règles où (presque) tous les coups sont permis Il démon, méchant au grand cœur, etc. Les qualificatifs s'épuisent toujours pour désigner le double Ballon d'Or africain. Et la plupart de ceux qui l'ont connu et côtoyé ne manquent jamais de relever la double face du joyau de Saint-Louis. Pape Samba Mbow, qui lui a trouvé son premier club en Europe, reconnaît les grandes qualités humaines de son ancien protégé, même s'il garde une dent contre lui. « Si ce gamin (Diouf) fait pas mal de conneries, s'il a été ingrat, par la suite, à mon égard, il peut aussi faire preuve d'une grande sensibilité et d'une vraie générosité », témoigne l'agent de joueurs. La constance chez El Hadji Diouf, c'est donc cette dualité entre son talent et son caractère. Comme si l'enfant de Saint-Louis ne pouvait s'épanouir et s'affirmer que dans le conflit, la confrontation et la provocation. Une certitude, il faudra nécessairement revisiter le répertoire de Sigmund Freud, entre autres, pour pouvoir étudier avec succès les sinuosités de l'inconscient d'El Hadji Diouf. Et encore. .. Ce n'est pas à cet exercice sophistiqué que l'on s'est s'adonné, notre démarche a été tout autre. Pour essayer de comprendre El Hadji Diouf, le joueur et l'homme, nous avons marché sur ses pas de Saint-Louis à Bolton. Nous sommes retournés sur son passé, marqué par une enfance difficile sans père ni mère. Nous avons rendu visite à ceux qui l'ont connu, qui ont compté pour lui ou qui se sont trouvés sur sa route. Pour savoir comment se forge un footballeur de sa dimension. Pour percer le mystère d'un enfant terrible doublé d'un joueur d'exception. Pour reconstituer l'itinéraire d'un "Vagabond" de la balle qui, après avoir attiré la lumière grâce à son immense talent, est en train de sombrer dans l'univers du joueur ordinaire... 12 1 Le roi Lion « Bocandé est ma référence etje suis un peu sa photocopie », EL HADJ! DIOUF, Onze Mondial, mars 200!. En football, les légendes s'édifient à coups de pieds géniaux et d'exploits éclatants. Dans sa soif inextinguible de consacrer ses dieux, le monde du ballon rond est toujours friand de rêves et de mythologies. Histoire de mieux conter les exploits de ses héros d'hier et d'aujourd'hui. Pour El Hadji Diouf donc, il était une fois: un vendredi 13, veille d'un 14 juillet de révolution pour le football sénégalais... L'héritier Hôtel Ngor Diarama à Dakar. Dans une chambre au premier étage, deux hommes sont confortablement assis dans de douillets fauteuils. Ils se font face. En fond sonore, la télévision locale diffuse la telenovela du vendredi soir. Nous sommes au lieu de regroupement habituel de l'équipe nationale de football du Sénégal. Dans sa chambre, Jules François Bocandé, ancienne idole du pays, devise avec El Hadji Diouf, son héritier désigné. Quelques instants plus tôt, celui qui fait partie de 13 l'encadrement technique des Lions de la Téranga avait lancé à son cadet après le dîner: « Tu passes me voir. » L'instant se veut solennel entre l'ancien dieu rasta et le nouvel élu peroxydé, à quelques heures d'un moment qui va être historique pour le football sénégalais. Nous sommes en effet le vendredi 13 juillet 2001, le lendemain le Sénégal reçoit le Maroc pour un match comptant pour les éliminatoires de la Coupe du monde 2002. Jamais les Lions n'ont été plus près d'une qualification pour le Mondial. Une victoire sur les Marocains leaders serait (presque) synonyme de jackpot pour les protégés de Bruno Metsu, avant de jouer contre la Namibie, l'équipe la plus faible d'une poule qui comprend aussi l'Algérie et l'Egypte. Dans la touffeur du mois de juillet, le pays retient son souffle. Bocandé, une cigarette entre les doigts, se lance dans un monologue sur les enjeux de cette rencontre et surtout sur le rôle que va devoir jouer son héritier. Diouf, pour une fois, ne monopolise pas la parole et écoute religieusement celui dont il était fan quand il tapait dans ses premiers ballons. Six ans après cette discussion, l'ancien attaquant de Metz et du PSG se souvient de son passage de témoin. Dans le hall de l'Hôtel Holiday Inn non loin de l'aéroport de Roissy où les Lions se regroupent pour préparer leur périple en Tanzanie et en Mozambique pour le compte des éliminatoires de la CAN 2008, le désormais chargé de mission au ministère des Sports du Sénégal est revenu sur cette conversation. Une cigarette toujours coincée entre ses doigts, lunettes d'intello, rastas éternels, physique rattrapé par l'âge, et sûrement la bonne bouffe, l'excapitaine des Lions remonte le temps: « l'avais décidé de parler avec El Hadji parce que c'était le leader technique, le buteur de l'équipe. On pouvait vivre un moment historique avec cette qualification pour la Coupe du monde au bout de cette rencontre face au Maroc et je 14 sentais que le garçon pouvait jouer un grand rôle lors de ce match. » Bocandé, qui avait ramené le Sénégal en Coupe d'Afrique en 1986, après une absence de dix-huit ans, grâce à un mémorable hat-trick face au Zimbabwe (3-0), tient le discours suivant à son successeur: «Boy, j'ai toujours rêvé de jouer une Coupe du monde, mais je n'en ai pas eu l'occasion. C'est un des plus grands regrets de ma carrière. Aujourd'hui, tu as la possibilité de qualifier le Sénégal. Est-ce que tu te rends compte de la chance que tu as ? Demain peut être un grand jour pour toi, pour nous, pour tout le Sénégal. C'est le match que tu n'as pas le droit de rater. Il faut te concentrer, car c'est toi, et personne d'autre, qui va régler la situation. » La discussion ne dura pas longtemps mais fut symbolique et chargée d'émotion. Quelques mois plus tôt, Bocandé et Diouf avaient eu un échange quasi semblable. Après trois nuls contre l'Algérie, l'Egypte et le Maroc et avant que le Sénégal ne joue contre la Namibie, le quadragénaire avait appelé le jeune Lensois qui n'avait pas encore marqué en sélection. « Un bon attaquant marque des buts, sinon il n'est pas respecté », lui martèlet-il. Message reçu. Le lendemain, Diouf s'offrait un triplé. Entre l'ancien numéro un du football sénégalais et le nouveau, le courant se passe toujours bien comme entre deux attaquants complémentaires. Car d'une époque à l'autre, les deux ont eu des trajectoires similaires aussi bien sur le terrain qu'en dehors. « La façon de vivre d'El Hadji ressemble beaucoup à la mienne, admet l'ancien meilleur buteur de la première division française avec Metz. Moi aussi, j'aimais faire la fête et sortir en boîte, mais je donnais tout sur le terrain. » Les deux phénomènes sont ainsi aptes à cristalliser les attentions en équipe nationale dans le succès comme dans l'échec. Lors du plus grand traumatisme du football sénégalais en 1986 au Caire, Bocandé avait été désigné comme le principal responsable de l'élimination des Lions, accusé de sortir 15 pendant le tournoi et d'être l'amant de la star de la chanson congolaise Tshala Muana. En 2008 au Ghana, lors de la pire campagne du Sénégal en Coupe d'Afrique, Diouf a été ciblé comme l'homme de l'élimination pour être allé dans un bar à 48 heures du troisième match face à l'Afrique du Sud qui pouvait être décisif. Tour à tour idoles de tout un peuple, stars adulées et controversées, grandes gueules ou leaders techniques d'une génération, Diouf et Bocandé étaient donc faits pour se rencontrer et s'entendre. Et lorsque le cadet a commencé à être décisif en équipe nationale, à l'image de son aîné, il a été d'abord « le nouveau Jules» avant d'être El Hadji Diouf. Aujourd'hui, ce dernier est très respectueux de son mentor, même s'il lui arrive de le chambrer sur sa vivacité perdue ou de lui tirer les rastas. Lors de ce fameux soir précédent le match contre le Maroc, Bocandé a parlé « pour une fois comme à un fils et non comme à un ami» à Diouf. « Il m'a promis qu'il allait marquer et m'a lancé: "Grand, ne t'inquiète pas", se souvient-il. Il est allé se coucher avec ce que je venais de lui dire et je pense que cela lui a permis de mesurer l'importance de ce match. » Le lendemain matin, Diouf ira même à la mosquée prier pour la victoire en compagnie de l'entraîneur adjoint Abdoulaye Sarro La suite est marquée à jamais dans la mémoire collective de tout le Sénégal du foot. L'héritier de Bocandé tient promesse et inscrit le seul but de la rencontre face aux Lions de l'Atlas. « Diouf a marqué le but le plus important de l'histoire du football sénégalais », lancera sans hésiter son sélectionneur, Bruno Metsu. Un Lion dans l 'Histoire Les grands joueurs le sont et le restent parce qu'ils marquent une époque ou une équipe. Ou les deux. Ce Sénégal-Maroc fut ainsi le point d'orgue d'une année 16 2001 qui vit El Hadji Diouf prouver définitivement qu'il est le leader d'une génération appelée à être exceptionnelle en se qualifiant une semaine plus tard pour la première fois en Coupe du monde. Quelques mois plus tôt, Weuz (surnom tiré de son deuxième prénom, Ousseynou) avait commencé à bâtir sa légende. « Et Dieu nous donna El Hadji Diouf », s'est extasié le quotidien Le Soleil par le biais d'un de ses reporters au lendemain d'un énorme match de "l'élu"contre l'Algérie 3-0. Le journaliste n'est pas le seul à être stupéfié car tout le Sénégal du foot n'en revient pas de ce hat-trick de l'enfant de Saint-Louis. L'Algérie, bête noire des Lions depuis toujours, avait enfin trouvé son maître, et le Sénégal son génie après Jules Bocandé. Les superlatifs et les qualificatifs s'épuisent sur celui qui marquera huit des quatorze buts du Sénégal en qualifications de la Coupe du monde 2002. A coups d'exploits uniques, le fils de Boubacar Diallo, ancien international sénégalais, démontre qu'il est le meilleur joueur sénégalais de tous les temps. Il est sûr que cette affirmation reste, et restera, un sujet de débat, car certains observateurs avertis, tout comme d'autres supporters zélés, n'hésiteront pas à brandir la félinité d'un Jules Bocandé, l'élégance d'un Yatma Diouck (exMonaco), l'esthétisme d'un Oumar Guèye Sène (ex-PSG) ou encore l'efficacité d'un Henri Camara (West Ham), pour contester ce titre à El Hadji Diouf. En janvier 2006, par exemple, près de 60 % des personnes sondées par le site Internet de la première société de téléphonie mobile sénégalaise, Alizé-Orange, estimaient que le joueur de Bolton, n'était pas le meilleur footballeur sénégalais des 50 dernières années3. Mais ce 3 A la question: «A votre avis, El Hadj Diouf est-il le meilleur footballeur sénégalais des 50 dernières années? », 59,89 % des votants ont répondu par la négative, contre 34,29 %. 17 sondage faisait suite à un autre de la Confédération Africaine de Football (CAF) qui avait invité les internautes à voter pour le meilleur joueur africain de la période 1957-2007. Si le Camerounais Roger Milla a été consacré, El Hadji Diouf a été le seul Sénégalais présent dans les trente premiers. Seizième, l'ancien joueur de la Linguère de Saint-Louis du Sénégal se place juste derrière le Sud-Africain Benny McCarthy et devant le Marocain Noureddine Naybet. Si Diouf ne fait donc pas l'unanimité sportivement (et encore !) dans son pays, il n'en est pas de même au plan continental et international. En attestent sa présence dans l'équipe type de la Coupe du monde 2002 et son double Ballon d'Or africain obtenu en 2001 et 2002 qui fait de lui à ce jour le seul Sénégalais élu Joueur Africain de l'Année. Al' époque, l'attaquant de Liverpool rentrait dans le cercle fermé des joueurs ayant remporté plus d'un titre comme Roger MilIa, Abedi Pelé, George Weah ou Nwankwo Kanu. Les titres individuels parlent donc pour lui. Alors, est-il sans conteste le meilleur joueur sénégalais de tous les temps? Une chose est sûre, en matière de notoriété au Sénégal, il y a longtemps que la concurrence s'est essoufflée. Icône nationale Toutes proportions gardées, les passions qu'El Hadji Diouf déchaîne au Sénégal sont les mêmes que libère un Eto' 0 au Cameroun, un Didier Drogba en Côte d'Ivoire ou un Chevtchenko en Ukraine. Et si la cote d'amour du double Ballon d'Or auprès de ses admirateurs varie souvent en fonction de ses exploits sportifs et de ses frasques, il reste la star numéro un par excellence du football sénégalais. Il y a longtemps que le gamin de Balacoss n'est plus vu comme un simple joueur de foot, mais comme une icône fantastique (et fantasque?) 18 rassemblant jeunes et vieux, Sérères et Diolas (des ethnies locales), zélés supporters ou simples passionnés. Personne n'ose le contester quand il déclare qu'il est « la seule star de l'équipe nationale» tant son aura a fini d'éclipser ses principaux partenaires de sélection. Beaucoup se souviennent de ces images du président de la République, Abdoulaye Wade, conversant au téléphone avec Diouf en direct à la télévision nationale et à la radio en 2002. Après la victoire sur la France (1-0) en match d'ouverture du Mondial 2002, le président l'appelle en effet et échange avec lui en wolof avant de lui passer le Premier ministre, Marne Madior Baye. Les mots: «Xaral ma passela Mame Madior 4 » sont ainsi restés célèbres. Tout le monde veut s'afficher avec Diouf ou fait tout pour que son amitié avec lui soit publiquement manifeste. Il est la tendance du moment, l'effet de mode que tout le Sénégal veut adopter, qu'il soit illustre inconnu ou célébrité reconnue. N'a-t-on pas vu un secrétaire d'Etat à la Présidence de la République faire littéralement le pied de grue à l'hôtel des Lions pour pouvoir parler cinq minutes avec Diouf? Même Youssou Ndour, qui reçoit fréquemment Diouf dans sa boîte de nuit Thiossane, n'a pas échappé à l'attrait de la nouvelle star. Le Disque d'or ira jusqu'à intervenir dans une émission de radio, « Wax sa xalat » (donner son avis), pour défendre « son ami. » Aujourd'hui, El Hadji Diouf n'appartient plus aux siens qui profitent également de son prestige. Combien de dons et/ou d'argent, parfois jusqu'à trois 3 millions cfa (4500 euros), sa mère a reçu de la part de généreux donateurs? Juste pour la « remercier d'avoir mis au monde ce prodige... » Mais la vague Diouf ne fait pas que des ravages dans les sphères des "hauts d'en haut". Dans le Sénégal d'en bas, le natif de Saint-Louis fait également des 4 (( Attends, je te passe Marne Madior (Boye, le Premier ministre)>> 19 victimes. Par milliers. A travers lui, les gens prennent conscience, aujourd'hui plus qu'hier, que le football peut constituer très rapidement un ascenseur social. L'histoire de Diouf, parti de rien, fascine et fait rêver. Le gamin de Balacoss, né pauvre et qui est l'objet de toutes les attentions et convoitises, génère les fantasmes les plus fous, autorise les rêves les plus insensés. Ce phénomène est exacerbé d'abord par la méprise faite très souvent par le Sénégalais lambda entre le montant du transfert et le salaire d'un joueur. Ainsi lors de son passage de Lens à Liverpool, les 12 milliards cfa (18,5 millions d'euros) évoqués pour son transfert (le record pour un joueur sénégalais) ont été perçus comme une manne versée au joueur. Ensuite dans un pays où le salaire mensuel de la première catégorie de fonctionnaires est d'environ 47 700 cfa (un peu moins de 73 euros) et le PNB par an et par habitant de 470 $5 (environ 208 000 cfa), forcément le salaire de l'enfant terrible, publié dans la presse, fait rêver (160 millions cfa, près de 245.000 euros par mois à Bolton). La pression de la famille est donc très grande sur les footballeurs en herbe. L'avènement de Diouf et de sa bande a transformé « le regard de la société vis-à-vis du sport en général et du football en particulier », explique le professeur Wahib Kane, Docteur en STAPS, enseignant la sociologie du sport à l'INSEPS de Dakar. « Avant, on disait que le sport gâchait les études, ces dernières étant le moyen le plus sûr pour une insertion sociale. Aujourd'hui, la logique s'est inversée. Il y a des milliers d'écoles de foot désormais qui s'entraînent aux heures scolaires. Le football est devenu maintenant un phénomène de déscolarisation. » Avec la crise de l'emploi et le chômage des diplômés, « Diouf est le symbole de la réussite sociale et de la célébrité. Les gens prennent plus de risques en 5 Source: Banque Mondiale 2005 20