Accidents de la route chez des patients alcoolodépendants : étude
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Accidents de la route chez des patients alcoolodépendants : étude
.JTFTBVQPJOU U J O T . FTBV QPJ Accidents de la route chez des patients alcoolodépendants : étude rétrospective Road accidents among patients with alcohol dependence: a retrospective study questionnaire que nous avons pu élaborer à partir des premiers constats de cette étude rétrospective. Les principaux résultats Tableau I. Caractéristiques socio-démographiques du groupe (n = 128) : L. Romo*, J. Djordjian*, C. Aubry*, J. Adès** Mots-clés : Accident de la route, Alcoolodépendance. Key words: Road accident, alcoholic disease. En France, chaque jour, plus de quatre personnes sont tuées dans un accident avec implication de l’alcool. En dehors des statistiques établies chaque année, on trouve peu d’études sur l’impact des accidents de la route en relation avec les conduites alcooliques et vice versa. Nous avons effectué une étude rétrospective sur 128 patients alcooliques, consultants ou ayant été suivis à l’hôpital Louis-Mourier, afin d’évaluer la fréquence des accidents ou arrestations en état d’ivresse et d’examiner les variables entrant en jeu de façon répétée (dépression, anxiété, prise de risque…). Nous présentons ici les résultats préliminaires qui nous ont permis d’élaborer un questionnaire spécifique sur les accidents de la route, et ainsi de poursuivre actuellement cette étude plus finement. On sait, de manière générale, que la consommation d’alcool est impliquée de façon massive dans le phénomène alarmant des accidents de la route (voir encadré “Les données de la littérature”). Mais qu’en estil plus précisément dans une population particulière telle que celle de patients suivis pour une dépendance à l’alcool ? ne étude rétrospective : U 128 patients alcoolodépendants Les objectifs de cette étude y étaient d’évaluer la fréquence des accidents de la route chez des patients alcoolodépendants, et celle des arrestations pour conduite en état d’ivresse ; d’examiner le lien entre des variables psychologiques (dépression, anxiété, impulsivité…) et le fait d’avoir un accident de voiture avec alcool ; de voir si l’accident de la route peut avoir un impact * Psychologues cliniciennes, hôpital Louis-Mourier, 178, rue des Renouillers, 92701 Colombes Cedex. Université Paris-X-Nanterre, laboratoire de psychologie clinique des faits culturels. ** Professeur de psychiatrie, chef de service, hôpital Louis-Mourier, Colombes. dans l’évolution de la maladie alcoolique et comment. La méthodologie : nous avons décidé d’effectuer une étude rétrospective sur 128 patients alcooliques, consultants ou ayant été suivis à l’hôpital Louis-Mourier. Pour cela, nous avons repris les dossiers de ces patients et avons relevé toutes les informations concernant d’éventuels accidents de la route, infraction au code de la route, condamnations… Nous avons également repris les différents questionnaires remplis par ces patients afin d’examiner si certaines variables étaient particulièrement présentes chez les personnes ayant eu un accident de la route suite à une consommation d’alcool : dépression (MADRS, échelle de dépression de Beck) ; anxiété : (échelle d’anxiété d’Hamilton ; inventaire d’anxiété trait-état de Spielberger) ; dépendance à l’alcool (MAST) ; affirmation de soi (échelle Rathus). Cette manière rétrospective de procéder avait pour but de nous apporter une estimation de la prévalence des accidents de la route et des variables psychologiques en jeu chez ce type de patients. À plus long terme, nous espérons recueillir des données plus importantes et plus précises à l’aide d’un Le Courrier des addictions (9) – n° 1 – janvier-février-mars 2007 10 Âge moyen 43 ans Activité professionnelle (travaillant actuellement) 47,3 % Mariés 49,4 % Nombre moyen d’hospitalisations 3 Nombre moyen de tentatives de suicide 2 La prévalence des accidents de la route : 6,4 % des patients avaient été victimes d’un accident de la route dans l’enfance et 10,9 % de ces patients ont eu un accident de la route dans lequel ils étaient conducteurs. Parmi ces accidents : 28,6 % des patients avaient consommé de l’alcool, 15,4 % n’en avaient pas consommé. Pour plus de la moitié de nos patients, nous n’avons pas d’information sur la consommation d’alcool. Dans cette population, les conséquences de ces accidents ont été : la mort d’un proche (7,7 %). Parmi les séquelles qu’ils ont eues : le coma (23,1 %), un handicap (7,7 %), un traumatisme (15,4 %) et des blessures diverses (53,8 %). Sur les 128 patients, 6,5 % ont eu un retrait de permis suite à un accident de voiture avec alcool et 16,4 % avaient déjà été arrêtés pour conduite en état d’ivresse. Ces mêmes patients ont également été arrêtés pour état d’ivresse. Il n’y a pas de différence socio-démographique significative entre les patients ayant eu un accident de la route avec alcool et les autres patients. Les variables psychologiques Rappelons que notre échantillon se divise donc en deux groupes : le groupe A, composé des patients ayant eu un accident de la route avec alcool (n = 14), et le groupe B, de celui des patients sans accident de la route avec alcool (n = 114). En ce qui concerne la dépression : les patients du groupe A (moyenne : 15,4 ; moyenne : 13,9) présentent en moyenne un score de dépression plus élevé que le groupe B (moyenne : 12,9 ; moyenne : 11,7), et ce à la fois pour la MADRS et l’échelle de dépression de Beck. L’anxiété : les patients du groupe A .JTFTBVQPJOU .JTFT BVQPJOU (moyenne : 15,1) présentent en moyenne un score d’anxiété plus élevé à l’échelle d’anxiété d’Hamilton que le groupe B (moyenne : 12,4). Au questionnaire STAI A, le groupe B (moyenne : 44,2) présente une anxiété supérieure au groupe A (moyenne : 43,7). Au STAI B, le groupe B (moyenne : 53,3) présente une anxiété supérieure au groupe A (moyenne : 51,5). La dépendance à l’alcool : les patients du groupe A (moyenne : 31,1) présentent en moyenne un score de dépendance plus élevé à l’échelle MAST que le groupe B (moyenne : 28,8). L’affirmation de soi : les patients du groupe B (moyenne : 100,7) présentent en moyenne un score d’affirmation de soi plus élevé à l’échelle Rathus que le groupe A (moyenne : 91,5). Afin de comparer les deux groupes, nous avons analysé les différents questionnaires à l’aide du test t de Student (tableau II). Malgré les différences annoncées précédemment, on ne trouve pas de différences significatives entre le groupe A et le groupe B, à l’exception de l’échelle d’affirmation de soi, où le groupe B (sans accident) se montre plus affirmé que le groupe A (accident avec alcool). Tableau II. Récapitulatif. Groupe A Groupe B (moyenne) (moyenne) Scores comparatifs MADRS 15,4 12,9 < 15 Beck 13,9 11,7 10 à 18 dépendance modérée Hamilton 15,1 12,4 6 à 14 anxiété modérée STAI-A 43,7 44,2 46 à 55 anxiété modérée STAI-B 51,5 53,3 46 à 55 anxiété modérée MAST 31,1 28,8 <5 Rathus 91,5 100,7 * < 125 Significativité (p < 0,05) * E n illustration clinique : le cas de Monsieur F. Nous terminerons la présentation de cette recherche par une illustration clinique qui montre bien l’impact que peut avoir un accident de la route sur l’évolution de la maladie alcoolique. Les données de la littérature Dans de nombreux pays où la consommation d’alcool fait partie intégrante du quotidien, il a été constaté que la conduite en état d’ébriété était à l’origine d’à peu près la moitié du nombre de morts et de blessés graves dans les accidents de la route. D’après les enquêtes de la sécurité routière française, l’alcool intervient comme la deuxième cause d’accident de la route (après la vitesse). En 2001, on a dénombré pas moins de 9 646 accidents corporels avec alcool, dont 1 349 mortels. Ces chiffres sont sous-estimés étant donné la difficulté à dépister une consommation d’alcool dans certains accidents. Ainsi, pour 16,5 % des accidents corporels et 37,5 % des accidents mortels, on ne sait pas si l’accident était avec ou sans alcool (ONISR, 2001). Les chiffres de 2001 montrent que conduire avec un taux d’alcoolémie supérieur au taux maximum autorisé augmente la gravité des accidents, puisque le risque d’avoir un accident mortel est alors multiplié par 3,5. En 2005, le nombre de dépistages positifs d’alcool a été de 359 226, avec une progression de contrôles de 13 %, mais on s’aperçoit que le nombre des tués est passé à 5 318 et celui des blessés à 10 200 : plus de 4 personnes sont tuées quotidiennement dans un accident impliquant l’alcool, plus de 9 sont gravement blessées, et 27 légèrement. La progression des délits au volant a augmenté de 12 %, dont 35 % avec une alcoolémie positive, et une augmentation de l’usage de stupéfiants. Dans de nombreux pays, les statistiques montrent une prévalence de l’alcool dans les accidents graves de la route. Une étude canadienne de 1996, réalisée sur 1 436 conducteurs décédés, a montré que 41,6 % d’entre eux avaient consommé de l’alcool, et que 34,9 % d’entre eux avaient des facultés affaiblies. Une étude similaire, réalisée en Espagne en 2000, a montré que plus de 50 % des conducteurs décédés avaient consommé de l’alcool. Selon une étude anglaise de Albery et al. (2000), 85,9 % des personnes, suivies pour un sevrage d’alcool, d’héroïne, de stimulants, etc. ont conduit après avoir bu de l’alcool. 23,8 % de ces personnes étaient dépendantes à l’alcool. Une étude italienne de Fabbri et al. (2001) montre que sur 446 personnes ayant eu un accident de la route impliquant une consommation d’alcool, 9,4 % sont alcooliques. Monsieur F. est un patient de 37 ans, présentant un problème d’alcool depuis 1993. Sans emploi à l’époque, il s’est occupé de son petit garçon pendant que sa femme travaillait. À ce moment, il consommait de l’alcool le midi (apéritif, vin à table), l’après-midi (bière), et le soir (apéritif, vin à table). En 1994, il part en Provence avec sa femme et ses deux enfants où il exerce la profession de représentant de commerce. À ce moment, on assiste à des consommations d’alcool avec ivresses. En 1996, il rompt tout contact avec sa famille (augmentation importante de la consommation d’alcool). Sa maison brûle en 1997, ce qui va être un choc important pour le patient. Puis il rencontre une nouvelle femme, qu’il épouse en 2000. Le patient est alors sans emploi et sa consommation d’alcool augmente. Il est alors pris en charge en alcoologie et devient abstinent. En 2001: départ de sa femme, rechute al- 11 coolique et licenciement. Le patient a déjà eu des retraits de permis auparavant suite à deux arrestations en état d’ivresse (1995 et 1997). En 2002, il est victime d’un grave accident de la route dû à l’alcool : 4,30 g d’alcool dans le sang et pas de sanction ! C’est à ce moment qu’il vient consulter dans le service de psychiatrie (hôpital Louis-Mourier). Lors des entretiens avec la psychologue, le patient parle beaucoup de son accident. Au fil des entretiens, il va évoluer davantage dans sa prise de conscience par rapport à la maladie. Visant dans un premier temps la consommation contrôlée (à laquelle il parvient un temps), il va se donner pour objectif l’abstinence totale à la suite d’une rechute après laquelle il va luimême faire une demande d’hospitalisation pour sevrage. Aujourd’hui, il a retrouvé du travail et s’est rapproché de ses enfants. Il vit actuellement chez sa mère qui participe depuis un an au Le Courrier des addictions (9) – n° 1 – janvier-février-mars 2007 .JTFTBVQPJOU U J O T . FTBV QPJ “groupe des familles de patients alcoolodépendants” et tente de régler ses problèmes financiers. Monsieur F. peut désormais anticiper l’avenir et s’en tient essentiellement à des projets positifs. Il semble que son accident de la route ait joué un rôle important. En effet, depuis lors, son état d’esprit a changé dans le sens d’une prise de conscience des risques de l’alcoolodépendance. Il a pu depuis abordé des thèmes faisant référence à la mort. D’ailleurs, au bout de quelques entretiens, Monsieur F. admettra qu’il s’agissait là peut-être d’une tentative de suicide : “j’ai pris la décision de me soigner sérieusement après l’accident ; c’était peut-être une tentative de suicide : je roulais avec 4,30 g, sans ceinture et à 160 km/h” disait-il. D’où l’importance selon nous d’intégrer le thème de la conduite à nos outils de prévention et de travail psychologique. Conclusion Quelques grandes lignes ressortent de cette étude. En effet, nous avons pu constater que l’accident de voiture est un événement traumatique, que l’on ait été victime, spectateur ou à l’origine d’un accident, que celui-ci arrive suite à une consommation d’alcool ou non. Pour la majorité de nos patients qui ont eu un accident en tant que conducteur, nous ne savons pas s’ils avaient consommé de l’alcool avant car le fait d’avoir eu un accident renforce la culpabilité. Au niveau des conséquences pénales, mais aussi des accidents de la route, on peut supposer que les chiffres observés dans notre échantillon sont sous-estimés, compte tenu de notre méthodologie. À travers les différents tests, que nos patients avaient pu passer, nous ne trouvons pas de différence significative entre les variables psychologiques, en dehors de l’affirmation de soi. Mais nous pouvons toutefois noter une tendance à la dépression plus importante chez les patients ayant eu un accident de voiture avec alcool. Cette recherche nous a permis de commencer à étudier les accidents de la route chez des patients alcooliques. C’est le début d’une étude spécifique sur ce sujet (comprenant la passation de questionnaires sur les accidents de la route, le nombre de kilomètres parcouru par an, la liste des accidents, des sanctions pénales suite à l’usage d’alcool au volant…) au sein de cette population. Mais la limite essentielle de ce travail est l’existence d’un groupe contrôle, et pour cela nous avons tenu compte dans nos chiffres des résultats de l’observatoire interministériel de sécurité routière. Nous espérons que cette recherche permettra d’affiner la connaissance des facteurs psychologiques impliqués chez les personnes alcoolodépendantes et d’inclure des stratégies de prévention dans le programme de prévention Le Groupe Santé et Médecine en prison Brèves Les rapports se suivent, et leurs conclusions sont toujours aussi sombres : la prison, “dégradation de l’être”, comme le disait récemment un avis du Comité national consultatif d’éthique, pose des questions récurrentes sur “la protection de la santé et l’accès aux soins”. Les derniers chiffres (2005) font état de 85 000 personnes incarcérées dont 3 500 femmes, avec un pourcentage très important des prévenus de 18-24 ans et des toxicomanes qui représentent 33 % des entrants. 5 % sont des sans-abri, 10 % vivent dans des domiciles de fortune, 15 % sont illettrés, 25 % ont quitté l’école avant 16 ans… Si 17 % bénéficient de la CMU, 13 % n’ont aucune protection sociale. Enfin, 120 personnes sont mortes en 2005 de vieillissement ou de maladie dans leur cellule. Chaque année, 122 détenus se suicident (surtout au mitard) et, en 2003, plus de 5 000 prisonniers avaient un handicap… Comme le soulignait le dernier rapport de l’Inspection générale des services judiciaires, “la prison est devenue un lieu de prise en charge de ceux que la société peine de plus en plus à intégrer”. Mais dans quelles conditions ! Le Comité national d’éthique en appelle donc au “droit d’ingérence des soignants en prison”. Il a constitué en son sein un groupe de travail Santé et médecine en prison de 11 personnes avec, pour rapporteurs, Chantal Deschamps (infirmière) et Jean-Claude Le Courrier des addictions (9) – n° 1 – janvier-février-mars 2007 12 des rechutes ou de soutien pour les personnes alcooliques. n Références bibliographiques 1. Alcool, Santé, “Alcool et conduite”, www.alcoweb.com, 2002. 2. Bouvard M, Cottraux J. 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Une augmentation sensible du nombre des interventions depuis 1993 mais qui ne rend pas compte “de la faiblesse majeure de l’investissement humain dans cette activité”, puisque le total de l’intervention alcoologique réalisée par des professionnels dans l’ensemble des établissements pénitentiaires ne représente que 13 équivalents temps plein. Rapporté aux besoins des 20 000 personnes qui entrent chaque année en prison avec un problème d’alcool (un entrant en maison d’arrêt sur cinq est dépendant de l’alcool !), c’est… dérisoire ! Fédération des acteurs de l’alcoologie et de l’addictologie, 154, rue Legendre, 75017 Paris.Tél. : 01 42 28 65 02. E-mail : [email protected] Internet : www.alcoologie.org