LES DÉFIS DE LA CRISE ET DU MONDE

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LES DÉFIS DE LA CRISE ET DU MONDE
LES DÉFIS DE LA CRISE ET DU MONDE
POUR LES COMMUNAUTÉS RELIGIEUSES
Par Dominique Boisvert
Rencontre des membres de la Table de Concertation, le CPD et le SPD
de la Conférence religieuse canadienne
Le 30 octobre 2009
En espérant que ce portrait et ces propositions, brossés à grands traits,
stimuleront vos réflexions et nourriront votre prière. Et surtout, qu’ils vous
inviteront à passer à l’action.
Nous procéderons en 2 temps :
• quelle est cette crise?
• que peuvent faire les communautés religieuses pour en relever les défis?
1- Le monde et la crise
Comme toutes les dimensions (économiques, sociologiques, politiques,
psychologiques, théologiques, etc.) ne peuvent être envisagées à fond, je
m’efforcerai ici de dégager les lignes de fond, comme autant de signes des
temps qui interpellent notre foi.
La crise économique récente (et encore actuelle, sans doute pour un bon
moment, même ses manifestations peuvent changer) n’est qu’un symptôme,
comme un fusible qui saute : l’important est de chercher la ou les causes pour
que le problème ne se répète pas.
Et contrairement à ce qu’on a dit, le problème n’est pas que récent (bulle
immobilière, papiers commerciaux, crise des hypothèques aux USA, etc.). La
crise est l’aboutissement normal et logique du système capitaliste lui-même,
fondé sur le marché, la concurrence et la course au profit (voir le dernier livre
d’Hervé Kempf, Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, Seuil, 2009).
Une crise dont nous sommes autant les auteurs que les victimes (à cause
de notre complicité avec l’individualisme, la facilité et la croyance en la
croissance illimitée). Une crise dont les « petits » et les plus vulnérables sont
toujours ceux qui souffrent le plus. Une crise annoncée/dénoncée depuis
longtemps par plusieurs « prophètes » (en faisions-nous partie, nous qui
sommes appeléEs à ce prophétisme?). Une crise que la plupart cherchent
bien plus à surmonter pour l’oublier aussitôt, plutôt qu’à la comprendre pour
essayer d’en corriger radicalement (c’est-à-dire « à la racine ») les causes.
Cette crise économique n’est que l’une des manifestations d’une crise
beaucoup plus profonde : celle de l’avenir non pas de la planète (elle va
survivre!) mais de l’humanité elle-même (sa survivance dépend en grande part
de nos choix actuels et prochains).
Notre empreinte écologique (c’est-à-dire la part des ressources de la planète
que chacun de nous consomme en fonction de son niveau de vie : voir Mathis
Wackernaagel et William Rees, Notre empreinte écologique, Écosociété, 1999 et
le site pédagogique http://www.wwf.fr/s-informer/calculer-votre-empreinteecologique) est déjà trop lourde à supporter par la planète. Et malgré cela, on
continue de nous proposer d’augmenter notre richesse, notre consommation et
notre niveau de vie (croissance économique… illimitée)
Or la croissance démographique (qui va continuer au minimum jusque vers
l’année 2050 et jusqu’entre 8 et 10 milliards d’être humains) augmente
automatiquement l’empreinte écologique des humains, même si chacun
d’entre nous cessait immédiatement et complètement d’augmenter sa propre
consommation des ressources planétaire.
Notre mode de vie occidental (imité par tous les pays « en développement »)
dépend pour une très grande part des énergies fossiles (en particulier le pétrole)
qui sont des ressources non renouvelables et bientôt épuisées. Nous
préparons-nous concrètement à l’après-pétrole? Après les réfugiés politiques de
l’après-guerre, nous avons connu de plus en plus les réfugiés économiques (les
« pauvres » du Sud cherchant à venir au Nord, n’en pouvant plus de supporter
les inégalités scandaleuses entre le Nord et le Sud) et nous découvrons
maintenant les réfugiés écologiques en croissance, fuyant les catastrophes qui
sont souvent une conséquence indirecte de nos choix de pays riches
occidentaux (comme pour les changements climatiques).
Les menaces sur l’avenir de la communauté humaine se rapprochent et
s’aggravent rapidement : le débat sur les changements climatiques en témoigne.
L’humain agit comme un apprenti-sorcier : il mise toujours plus sur la
technologie, ayant trop souvent délaissé ses piliers spirituels traditionnels. Il est,
individuellement et collectivement, capable du meilleur et du pire. Dans ce
contexte, quel est notre rôle?
2- Le rôle des communautés religieuses et des groupes communautaires
D’abord, notons les connivences et les convergences entre communautés
religieuses et groupes communautaires (que beaucoup de communautés
appuient, souvent depuis longtemps, entre autres par le biais de dons
financiers).
La nature des communautés religieuses (même si la réalité n’est pas toujours
à la hauteurs de l’idéal poursuivi) est d’être témoins de l’Évangile et disciples
de Jésus. À ce titre, les communautés sont appelées à être des prophètes,
souvent fondées pour réformer l’Institution religieuse ou ecclésiale ou pour
pousser plus loin un aspect de la vie religieuse ou remplir un besoin social ou
collectif identifié comme négligé ou carrément oublié.
La nature des groupes communautaires (globalement, et là aussi au niveau
de l’idéal poursuivi) est un effort laïque de favoriser des communautés (par
opposition à l’individualisme ou au « chacun pour soi »)
• pour revendiquer des changements (fonction prophétique)
• pour offrir des services et répondre à des besoins (fonction caritative)
• pour favoriser la prise en mains/responsabilisation, pousser à devenir des
acteurs/citoyens au lieu de bénéficiaires passifs.
On peut à bon droit se demander, à plusieurs points de vue, si les groupes
communautaires ne sont pas une version laïque et contemporaine des
communautés religieuses. Quoi qu’il en soit, on ne peut que constater des
intérêts convergents et des liens communs étroits entre les deux groupes.
Nous arrivons maintenant à la partie plus « délicate » parce que plus axée sur
les décisions à prendre, l’action concrète à faire si nous voulons être cohérentEs
avec nos constatations et notre analyse. Bien sûr, il s’agit là de propositions : ce
ne sont pas les seules possibles et on ne peut souvent pas toutes les choisir en
même temps. Mais ce sont celles qui me semblent prioritaires pour l’avenir
de notre monde et celui des communautés religieuses elles-mêmes.
Les solutions véritables aux problèmes identifiés dans la 1ère partie ne vont pas
venir principalement des remèdes « techniques » de spécialistes ou d’experts,
économiques entre autres (même s’ils ont aussi leur rôle à jouer). Car la crise
repose essentiellement sur des valeurs, des postulats (ceux du capitalisme)
qu’il faut remettre en questions. Et cela ne peut venir que de visonnaires, de
prophètes ou de ce que Don Helder Camara appelait des « minorités
abrahamiques ».
Les communautés religieuses et les groupes communautaires pourraient et
devraient être aux premiers rangs de ceux-ci au nom même de l’Évangile ou
de leurs charismes, religieux ou séculiers, respectifs. Beaucoup de groupes
communautaires y sont déjà, au nom de valeurs laïques ou non explicitement
spirituelles. Cette absence de référence spirituelle explicite les éloigne-t-il pour
autant de la construction du Royaume (voir le commentaire biblique de Claude
Lacaille p.m.e. sur la crise économique basé sur Ézéquiel 34 :
www.interbible.org/interBible/source/justice/2009/bjs_090918.html).
Parmi les avenues concrètes et prioritaires, on note :
•
travailler à résister au capitalisme en priorisant le collectif (le « bien
commun ») au détriment de l’individu (les droits de la « propriété
privée »)
•
contester, chaque fois que possible, l’argent comme valeur ou critère
fondamentaux de mesure ou de choix
•
mettre au contraire l’humain (individuel et collectif) au centre comme
critère de tous nos choix individuels et collectifs
•
s’engager résolument dans la voie de la décroissance (au niveau de
nos politiques collectives) et de la simplicité volontaire ou de la sobriété
joyeuse (comme style de vie individuel et collectif) sans attendre que de
telles orientations nous soient imposées par les limites de la planète
•
réintroduire les valeurs de sens (nos valeurs communes comme
société) au centre du débat social et politique
•
replacer la préoccupation du long terme comme critère de nos choix
(penser, comme le font plusieurs nations autochtones, aux conséquences
de nos choix pour les 7 générations à venir, au lieu de ne tenir compte
que des profits possibles à court terme comme l’a fait de plus en plus
l’économie qui nous gouverne).
Au fond, les communautés religieuses actuelles, en Occident, sont
confrontées à la dure réalité de leur héritage. À court terme et selon les vues
humaines, elles s’apprêtent à mourir, du moins dans leur forme traditionnelle.
Mais comme à Sarah, l’épouse d’Abraham, qui s’apprêtait à mourir sans
descendance, Dieu peut donner des héritiers inattendus et qui défient notre
logique habituelle. Sommes-nous prêtEs à faire confiance en cette possible
descendance et quel héritage nous apprêtons-nous à leur laisser pour l’à venir?
C’est, me semble-t-il, dans ce contexte qu’il faut réfléchir la réponse des
communautés religieuses aux défis posés par la crise et notre monde. Et dans
ce contexte qu’il faut réfléchir les liens à développer entre communautés
religieuses et groupes communautaires.

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