Enquête au Service central d`état civil

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Enquête au Service central d`état civil
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Enquête au Service central d’état civil
le 23 septembre 2013
ADMINISTRATIF | Collectivité territoriale
CIVIL | Famille - Personne
Service « décentralisé » du ministère des affaires étrangères, le Service central d’état civil (SCEC)
est une administration atypique aussi bien dans son fonctionnement et son organisation que dans
son histoire et sa situation géographique. Chargé de centraliser les actes d’état civil des
ressortissants français relatifs à des événements survenus à l’étranger, il est aujourd’hui « la plus
grande mairie de France ».
Une administration « entre deux mondes »
« Complexe » est sans doute le mot qui ressort le plus du discours des agents du service central
d’état civil (SCEC) quand on les interroge sur le fonctionnement de l’institution, quel que soit le
département dans lequel ils travaillent. Et pour cause, cette administration est loin de fonctionner
comme un simple service d’état civil d’une mairie française. Tout d’abord parce qu’il dépend très
symboliquement du ministère des affaires étrangères. « En 1963, 1964, après la guerre d’Algérie,
nous avons cherché un endroit où placer tous les registres de la France coloniale », explique
François Pujolas, sous-directeur de l’état civil et de la nationalité, chef du SCEC depuis septembre
2012. À l’époque, des centaines de milliers de registres d’état civil de Français jusque là établis en
Tunisie, au Maroc, dans les anciens départements d’Algérie et, de manière générale, dans les
anciennes colonies d’Afrique, d’Asie et de l’Océan Indien, sont rapatriés en France. Et c’est à
Nantes qu’il a été décidé de transférer ce service aujourd’hui constitué de trois cent soixante-dix
agents dont une grande partie, à l’époque, a été engagée dans cette région.
En face de l’un des bureaux chargés de la délivrance des actes d’état civil, le visiteur autorisé
pourra ainsi découvrir le témoignage de cette période coloniale à travers les vieux registres parfois
composés de cahiers d’écoliers, où des milliers d’actes d’état civil ont été enregistrés dans une
écriture à la plume, parfaitement soignée. À l’issue de la décolonisation, la France a ainsi pu
récupérer selon les cas des triplicatas de registres ou des microfilms. Tout ce qui concernait les
Français de l’étranger n’a pas été rapatrié, tous les pays ont ainsi conservé les registres primatas et
duplicatas. Aujourd’hui, explique Laurence Bourdeau, chef d’un des trois bureaux du département
exploitation, « on retrouve parfois dans ces registres certaines énonciations prohibées comme la
race ou la religion. Bien entendu, nous gommons tout ce qui est désormais interdit par la législation
française lors de la délivrance de l’acte ».
Au total, « environ un tiers de l’administration centrale du ministère des affaires étrangères est
délocalisé à Nantes, un exemple quasi-unique dans l’administration française », estime François
Pujolas, pour qui l’une des grandes originalités du SCEC délocalisé est d’être à mi-chemin entre les
administrations. « Nous appartenons pleinement au ministère des affaires étrangères, mais notre
partenaire principal est le ministère de la justice et l’autorité de tutelle de nos agents, c’est le
parquet », explique-t-il. De surcroît, les procédures du SCEC lui sont propres pour intégrer la
dimension d’extranéité des dossiers, ce qui les distingue de celles des communes de France. «
C’est une situation particulière qu’il faut savoir gérer, nous sommes vraiment entre deux mondes »,
conclut François Pujolas.
Au SCEC, une magistrate est détachée auprès du sous-directeur. « Je suis en liaison permanente
avec le service civil du parquet de Nantes et avec le ministère de la justice », précise Elisabeth
Pichon. Son rôle au sein de ce service d’administration centrale est de veiller à la régularité des
dossiers qui passent entre les mains des agents. En l’occurrence, les motifs de poursuite judiciaire
sont variés, et si certains contentieux concernent peu de dossiers, les enjeux peuvent en être
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considérables. « La GPA (gestation pour autrui, NDLR), nous a beaucoup occupé l’an dernier »,
assure la magistrate. Le service a ainsi pu détecter quelques cas où les parents sont partis à
l’étranger, et notamment aux États-Unis, en Ukraine ou en Inde, où la législation en matière de
procréation pour autrui est soit plus libérale, soit suffisamment floue pour permettre de la
pratiquer. Aussi, lorsque les doutes sont très forts sur l’origine de la naissance d’un enfant à
l’étranger, le poste consulaire compétent saisit directement le parquet. Aujourd’hui, le cas français
de deux jumelles, nées aux États-Unis de mère porteuse, est toujours à l’étude par la Cour
européenne des droits de l’homme. Les deux sœurs n’ont pas d’actes de naissance français. « Ce
type de contentieux est toutefois plutôt en phase de ralentissement depuis un an », nuance
Elisabeth Pichon.
Les fraudes documentaires ou la lutte contre les mariages forcés ou de complaisance sont parmi les
dossiers les plus nombreux qui mobilisent les agents du SCEC comme certains postes consulaires,
depuis plusieurs années. « Environ 50 000 mariages de Français devant des autorités locales
étrangères sont recensés chaque année », souligne la magistrate. Les autorités consulaires du lieu
de célébration du mariage sont chargées à cette occasion de contrôler la validité de celui-ci, en se
renseignant sur la présence des deux parties au mariage, l’âge du Français, l’absence de bigamie,
la liberté du consentement, etc. Par ailleurs, la magistrate est également très régulièrement
sollicitée sur les grandes réformes (textes d’application, décrets, circulaires…) : « nous avons des
questions parlementaires sur les sujets d’actualité. C’est une mission très lourde pour nous ». Ainsi,
le débat sur le mariage pour tous a fortement mobilisé la magistrate, et notamment sur des
questions aussi pointues que l’opposabilité du mariage célébré entre deux personnes de même
sexe, avant l’adoption de la loi française. « On ne prendra jamais de décision seuls, mais lorsque la
matière touche notre domaine d’action, il y aura nécessairement une discussion avec nous »,
conclut-elle.
La plus grande mairie de France
Aujourd’hui, le SCEC détient quelques quinze millions d’actes d’état civil pour cinq millions
d’usagers vivants, dont quatre millions vivant en France. Cela fait de lui « la plus grande mairie de
France ». L’origine de ces actes est diverse. Certains proviennent logiquement des pays
anciennement sous souveraineté française : huit millions d’actes de Français nés dans ces
territoires. Ces actes, étant donné qu’ils datent d’avant 1963, vont générer avec le temps de moins
en moins de demandes de mise à jour, de délivrance de copies et d’extraits. Les archives devenues
centenaires sont d’ailleurs systématiquement transférées au département des archives historiques
du ministère des affaires étrangères, pour l’état civil consulaire et les protectorats du Maroc et de
Tunisie, et aux archives nationales d’outre-mer pour l’état civil de l’Indochine (coloniale), l’Afrique
équatoriale française et l’Afrique occidentale française, l’Algérie et la section outre-mer. Il faut
également compter les actes d’état civil transmis chaque année par ce que les agents du ministère
des affaires étrangères appellent entre eux « les postes », à savoir les cent cinquante ambassades
et consulats de France à l’étranger, ce qui représente pas moins de quatre millions d’actes.
Viennent enfin les actes d’état civil des Français par « acquisition », c’est-à-dire des étrangers qui
deviennent français soit par déclaration, principalement à la suite d’un mariage avec un
ressortissant français, soit par naturalisation. Cela représente aujourd’hui trois millions d’actes.
80 % de l’ensemble de ces actes ont été numérisés et rassemblés dans une base de données. « Si
tous les outils nécessaires à la création du registre d’état civil électronique existent à présent, il
appartient au ministère des affaires étrangères d’en négocier prochainement le cadre juridique et
les modalités techniques complémentaires (signature électronique, notamment) avec le ministère
de la justice », explique M. François Pujolas.
L’établissement des actes est une des missions principales du SCEC. Les actes des nouveaux
Français, par acquisition, y sont établis : par décret de naturalisation (missions du bureau R2), par
déclaration à la suite d’un mariage avec un ressortissant français (bureau R1). À la suite d’une
nouvelle organisation du service, un département établissant des actes vient d’être créé. Il
regroupe ces bureaux et c’est Bernard Gendronneau qui s’est vu confier la responsabilité de
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superviser ces deux activités dont le point commun est d’établir des actes d’état civil pour les
personnes qui deviennent françaises par acquisition, en application d’une loi de 1978. Chaque
semaine, des dossiers ainsi que les données informatiques correspondantes sont transmises par la
sous-direction de l’accès à la nationalité française (SDANF), service qui relève du ministère de
l’intérieur. « Ce sont en moyenne plus de 75 000 actes qui sont ainsi créés chaque année par les
quelques soixante officiers d’état civil de ces deux bureaux de rédaction », déclare M.
Gendronneau.
À noter que le bureau R1 a également la charge de transcrire des décisions judiciaires concernant
des adoptions, des jugements déclaratifs ou supplétifs de naissance rendus par des juridictions
françaises ainsi que les décès survenus dans le cadre d’opérations militaires. Aussi, il lui revient la
mission de « reconstituer » l’état civil des personnes de nationalité française nées dans des
territoires anciennement sous la souveraineté de la France.
Enfin, l’activité du SCEC, celle qui fait de lui « le plus gros service » du ministère des affaires
étrangères, est constituée par les bureaux chargés de la délivrance des actes : chaque année, c’est
plus de 1 800 000 copies et extraits d’actes de naissance qui sont délivrés aux citoyens français,
soit 7 000 documents par jour ! Il faut aussi compter les demandes d’apposition de mentions, les
demandes de rectification, de suivi, d’informations. Dans cette grande machine à fabriquer des
extraits et des copies d’actes, à apposer des mentions sur les actes d’état civil et mettre à jour les
livrets de familles, les agents du SCEC ont une grande responsabilité. Tout d’abord, celle de rester
toujours vigilants : à la confidentialité des informations, aux homonymies, aux tentatives de
fraudes, à l’efficace gestion des appels téléphoniques (10 000 à 12 000 par mois), voire à la
délivrance d’informations susceptibles de heurter les usagers. « On peut arriver dans le très intime
», souligne Laurence Bourdeau, qui raconte le cas d’une femme assez âgée qui cherchait à
comprendre une mention sur son acte quand les agents du SCEC avaient compris qu’il s’agissait
d’une adoption plénière, manifestement ignorée par l’intéressée.
Côté délivrance de copies, les agents des bureaux travaillent par lots. Laurence Bourdeau précise :
« chaque fois que nous arrivons à cinquante documents, nous recevons un signal informatique qui
nous indique de passer au lot suivant. Et celui qui est terminé part en impression centralisée. Tout
cela est traité par des vacataires qui gèrent les expéditions ». En effet, pour des raisons de
sécurité, les envois se font, à la demande du parquet, par courrier. A l’étage supérieur, au bureau
de l’accueil et, une petite chaîne de vacataires (des étudiants en été) employés par le SCEC est
ainsi mobilisée autour d’une immense table, à faire le tri de tout ce courrier à expédier.
Qu’il s’agisse de l’exploitation ou de l’établissement des actes, le SCEC est engagé aujourd’hui dans
un vaste mouvement de modernisation qui vise à aboutir à une dématérialisation complète de
l’ensemble de l’état civil. Vérification sécurisée des données d’état civil entre administrations,
échanges dématérialisés d’avis de mention avec les communes et bien sûr registre d’état civil
électronique sont les nouvelles frontières de cette « révolution technologique » en marche. « Nous
passons aujourd’hui bien plus de temps sur les ordinateurs que dans les registres », conclut
Laurence Bourdeau. Une preuve de l’utilisation de moins en moins fréquente de toute la
documentation issue des anciennes colonies françaises, celle-là même qui avait justifié la création
du SCEC voilà près de cinquante ans…
par Anaïs Coignac
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