Modèle de format 11x17cm

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Modèle de format 11x17cm
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ISBN : 978-2-7466-3704-7
Tous droits réservés – Fabrice Moreau 2011
http://www.fabricemoreau.fr
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Fabrice Moreau
LA MENACE INVISIBLE
Roman
Imprimé en France par http://www.thebookedition.com
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PROLOGUE
En sortant de son chalet en bois, l’homme d’une cinquantaine d’années
voulait profiter de l’heure matinale pour faire une randonnée. La forêt
de sapins entourant sa cabane était un lieu privilégié pour se réveiller en
douceur, et ainsi bénéficier de la nature généreuse qui s’offrait à lui.
Malgré un logement très rustique, sans eau ni électricité, l’endroit était
un véritable havre de paix. Niché sur les hauteurs suisses, en bordure du
lac Léman, il était suffisamment isolé pour ne pas être agressé par la
civilisation moderne. Plusieurs animaux familiers de cette région
montagneuse vaquaient à leurs occupations. Dans les airs, un rapace
décrivait des cercles à la recherche de nourriture fraîche. Quelques
écureuils rapportaient leurs butins dans leurs tanières, tandis que les
petits rongeurs tentaient d’échapper au regard perçant des aigles royaux.
Les seuls bruits audibles de si bonne heure provenaient de la nature ellemême. L’homme appréciait d’autant plus ce calme matinal, qu’un dur
labeur l’attendait en cette journée.
Cette promenade anodine cachait en réalité une inspection détaillée du
parc naturel dans lequel il avait élu domicile, quelques mois
auparavant. Cette décision mûrement réfléchie n’était ni l’œuvre d’un
excentrique, ni d’un ermite. Un choix bien étrange dans un monde
informatisé à tout va, que beaucoup ne comprenaient pas.
CHAPITRE 1
À quelques millions de kilomètres de là…
- Houston, ici Shepard ! À vous !
- On vous reçoit Sam, où en êtes-vous ?
- Martin et moi sommes prêts pour cette dernière mission. On vient
juste de passer en revue notre check-list, tout est OK ! On sort dans
deux minutes.
- Très bien, Sam ! De notre côté, la vidéo est correcte, les magnétos
fonctionnent... Bon courage, Messieurs !
Le Capitaine Samuel Shepard et le lieutenant Martin Mattews avaient été
recrutés deux ans plus tôt par la NASA. Les missions spatiales ne
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s’étaient jamais enchainées à un tel rythme depuis la création du centre
américain, obligeant le recrutement et la formation de nombreux
astronautes en un temps extrêmement réduit. Pour réussir une pareille
intégration, la NASA engageait principalement d’anciens militaires,
formés dans les meilleures écoles mondiales. Ce melting-pot humain
avait fini par transformer ses installations en une véritable tour de
Babel.
Dans ce monde en perpétuelle évolution, le programme spatial avait
connu un regain d’intérêt chez les politiciens, grâce au président des
États-Unis nouvellement élu. Ce dernier, petit-fils d’industriel, avait
parfaitement compris que le pouvoir et l’argent se trouvaient à
Washington. Il avait vu son propre grand-père atteindre des sommets à
la fin de la Seconde Guerre mondiale. Son entreprise avait prospéré
d’une façon aussi fulgurante qu’inattendue. La spécialité de la maison :
la construction de fuselages d’avions. N’étant plus en âge de combattre
au début de la guerre, il avait investi ses économies dans une usine
délabrée. À force de sueur, d’acharnement, et de coups de gueule, il
avait fini par sortir les premières pièces composant la carlingue des
fameux Corsair, Mustang et autres B-17. À la fin des années 50, il
fournissait la quasi-totalité du marché américain. L’apogée arriva durant
le conflit au Vietnam. Les machines tournaient à plein régime, jour et
nuit, de nouveaux entrepôts sortaient du sol tous les trois mois, la
fortune de la famille était faite. Le père de l’actuel président assura la
pérennité de l’entreprise familiale comme il le put, mais les affaires
devenaient de plus en plus difficiles. Les licenciements et fermetures
d’usines étaient monnaie courante.
Le jeune Jeffrey voyant son père se tuer à la tâche pour un maigre
revenu comprit très vite que la meilleure volonté du monde ne suffisait
pas lorsque les choix politiques du pays n’allaient pas dans le même
sens. La compétitivité des usines Jefferson déclinait au fil des années.
Au moment de prendre sa retraite, son paternel préféra léguer les rênes
de l’entreprise familiale à son fils cadet, car son ainé avait favorisé sa
carrière en politique. « Offrir plus de justice à son pays », c’était ce qu’il
souhaitait avant tout, mais également ce qu’il se disait pour avoir bonne
conscience. De simple député à sénateur, puis gouverneur de Californie,
l’ambitieux Jeffrey Jefferson, que sa mère appelait toujours « Jeje »
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même après avoir été élu président du pays le plus puissant au monde,
sut mobiliser l’attention de tous pour relancer le programme spatial. Il
décrocha en ce sens un budget conséquent, qui fit grandement les
affaires de son frère cadet. Pas un seul panneau des nouvelles fusées ne
sortait d’une autre entreprise que celle de la famille Jefferson, faisant
ainsi fructifier ses actions au passage. Il maitrisait à la perfection l’art
d’obtenir le beurre et l’argent du beurre.
La mission confiée à Shepard et Mattews était d'une importance vitale
pour la suite des évènements. Ils devaient finir l'assemblage des
différents panneaux solaires de la toute nouvelle station internationale,
affectueusement appelée « Maman » par les astronautes. L'ancienne
station, qui datait d'une trentaine d'années, servait de lieu de stockage en
matières premières, vivres et carburants. C’était devenu une sorte
d’entrepôt haut de gamme, flottant quelque part de l’autre côté de la
Lune. Pour aller sur Mars, l’ultime but de cette actuelle conquête
spatiale, il fallait un tremplin beaucoup plus éloigné de l'orbite terrestre.
« Maman » avait été conçue relativement simplement, malgré la très
haute technologie embarquée. De simples modules, extrêmement faciles
à assembler, étaient préparés sur Terre, envoyés dans l’espace par de
puissants lanceurs européens, puis mis en orbite à proximité de la future
station en attendant leur montage par les différentes équipes de la
NASA. Le concours d’une multitude de pays avait permis cette
entreprise hors-norme. La différence majeure avec ce qui avait été
réalisé auparavant était la taille de chaque module. Tout avait été
construit plus grand… beaucoup plus grand. La technologie des
nouveaux moteurs des fusées avait autorisé l’augmentation des charges
à emporter, ainsi que leurs dimensions. À raison d'un lancement tous les
quinze jours, la station spatiale avait été assemblée en un temps record.
Seulement, un élément primordial manquait encore : l'énergie.
- Sam, pour moi c'est bon, annonça Martin Mattews. Le collecteur
principal est branché et le panneau secondaire est opérationnel.
- Je suis en train de finir le montage du tableau de commande, dit
Shepard, mais j'ai un boulon récalcitrant !
En prononçant ce dernier mot, Mattews comprit que son ami avait de
réelles difficultés à assembler cette ultime pièce. Sa voix trahissait
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l'effort fourni, mais aucune résignation n’était permise. Il allait finir par
le visser ce maudit boulon !
- Nom de Dieu... jura Shepard, alors qu'il venait de lâcher-prise, sa clé à
molette virevoltant dans le vide intersidéral à une cinquantaine de
centimètres de sa main gantée.
Avec un geste lent, mais précis, il tendit le bras vers l'outil et l'agrippa
aussi fort que possible. Il leur était interdit de laisser flotter la moindre
pièce risquant de se transformer en un projectile tueur. Il n’était pas rare
qu’un boulon ou même une vis finissent par disparaître dans
l’immensité de l’espace, qui était devenu depuis de nombreuses années
un véritable champ de cailloux flottant. Plusieurs millions d’objets
avaient déjà été répertoriés dans une base de données depuis trois
décennies. Tout ce qu’ils utilisaient lors de leurs sorties extérieures, de la
clé à molette en passant par de simples écrous, était soit aimanté, soit
attaché par de banals élastiques. Mattews, qui avait entendu son ami
s'énerver après ce panneau, venait de se laisser glisser le long de la
coque du module principal de la station. S'approchant de son supérieur,
il fit un quart de tour pour se positionner directement face à lui. À cet
instant, un curieux phénomène le stoppa.
- Regarde, Sam !
- Qu'est ce qu'il y a ? demanda Shepard.
- Là-bas, reprit Martin en montrant au loin une sorte de gaz en
suspension. On dirait une queue de comète !
- Houston, ici Shepard ! Vous voyez ça ?
Au centre de contrôle de la NASA, la scène filmée par les caméras
embarquées dans leurs casques leur arrivait, mais sa définition n'était pas
suffisante pour permettre une quelconque interprétation. Une première
séquence d'images fut enregistrée. Le service d'analyse commença sans
tarder à filtrer la vidéo, en essayant de zoomer au maximum sur le
phénomène, tout en évitant une trop grande déperdition de sa netteté.
- Ici Houston, nous sommes en train d'étudier ce phénomène, mais la
définition de l'image nous bride un peu. Nous tentons une prise de vue
avec le satellite le plus proche puis on vous recontacte. Terminé !
Le chef de mission demanda à son analyste de contacter le service
d’observation, afin qu'il collecte le plus d'informations sur cette masse
gazeuse. Ce spectacle était d'autant plus étrange qu'aucune comète
n’avait été signalée dans cette région de l'espace avant plusieurs années.
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Le mystère devait être élucidé rapidement, car ce genre de surprise
pouvait mettre en péril le projet actuel.
CHAPITRE 2
Le bureau d'analyse spatiale était en pleine effervescence. Le
signalement de cette « chose » avait mis en alerte tous les plus grands
spécialistes au monde. En moins de quinze minutes, des dizaines de
photos hautes définitions arrivèrent sur les serveurs de stockage de la
NASA, où les premiers traitements informatiques allaient débuter. Les
yeux rivés à leurs écrans respectifs, les astronomes tentaient de définir la
nature de ce phénomène. Plusieurs rapports d'analyse furent aussitôt
envoyés au centre de contrôle de la NASA. Après en avoir pris
connaissance, le responsable de la mission prit la parole.
- Messieurs, s'il vous plait, écoutez-moi ! Les rapports préliminaires
nous indiquent qu'il s'agit probablement de poussière de comète ou d'un
résidu gazeux provenant d'une collision de météorite avec une planète.
- C'est impossible, cria un des ingénieurs présents. Aucune comète ne
doit traverser notre univers avant 800 ans.
- Laissez-moi finir, trancha le chef à son supérieur. Les premières
analyses montrent que la masse de cet amas gazeux est extrêmement
faible, voire négligeable et ne présente aucun danger, même à cette
distance de notre station. Donc, aucune inquiétude à avoir. Merci !
Pendant ce temps, les astronautes terminaient les derniers tests de mise
en route du système électrique. Les panneaux solaires étaient sur le
point de se déployer pour emmagasiner l'énergie nécessaire dans les
batteries de stockage. Après avoir vérifié une troisième fois, leur checklist, Shepard et Mattews avertirent le centre de contrôle, ainsi que leurs
deux collègues restés dans la navette, qu'ils allaient maintenant faire
« naître » Maman !
- À tous, ici Shepard ! Nous allons alimenter le circuit de charge des
batteries principales dans... trois, deux, un !
À cet instant, le Capitaine de la mission pressa le bouton de mise en
route, une sorte de gros champignon rouge qu'il ne pouvait pas louper,
même avec les gants inconfortables de sa combinaison. Pendant une
dizaine de secondes, rien ne se produisit, puis un grondement émergea
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du fond de la station, de plus en plus fort. Quelques vibrations
accompagnèrent ce bruit sourd. Martin Mattews s'était placé de l'autre
côté du module de stockage, juste devant une jauge extérieure qui devait
indiquer la charge des batteries. Un voyant vert s'alluma, signifiant que
le système était opérationnel.
- Sam ! appela le lieutenant. Ici, tout est OK ! Les batteries sont prêtes à
se recharger. Tu peux lancer le déploiement des panneaux.
- Bien reçu, Martin ! Houston, comment ça se présente de votre côté ?
Du nouveau concernant notre phénomène ?
Le chef du centre avait laissé les deux hommes finir leurs préparatifs
avant de les mettre au courant des dernières informations à leur
disposition.
- Ici Houston, tout va bien. Les premières analyses de cette étrangeté
montrent qu’il s’agit d’un résidu gazeux, la conséquence probable d'un
impact de météorite. Aucun danger de ce côté-là. Vous pouvez
poursuivre votre mission.
L'instant de vérité était arrivé. Après vingt mois d'assemblage, la station
allait enfin être mise en service. Les différentes missions scientifiques
qui étaient programmées depuis de nombreux mois devaient
commencer la semaine suivante, car il fallait bien quelques jours aux
batteries pour atteindre leur charge maximale et rendre fonctionnels
tous les instruments de bord, ainsi que le chauffage et l'éclairage. Tandis
que Shepard enfonçait une série d’interrupteurs les uns après les autres,
deux énormes ailes se déployèrent lentement. Chaque ensemble était
composé de plusieurs panneaux de trente mètres carrés chacun, serré en
une sorte d’accordéon gigantesque. La surface de cette structure était
recouverte de millier de capteurs solaires photovoltaïques, qui
convertissaient les rayons du soleil en courant électrique. Les calculs
effectués, ainsi que l'expérience acquise sur l'ancienne station, avaient
permis d'optimiser ce système d'énergie pour que Maman puisse
fonctionner à plein régime vingt-quatre heures sur vingt-quatre, pendant
une dizaine d’années. Le renouvellement des batteries et un entretien
des panneaux solaires devaient pousser cette estimation à trente ou
quarante ans sans trop de difficulté.
L’ensemble se déploya sans à-coup, avec une douceur presque féérique
rappelant le battement d’aile d’une chauve-souris. Lorsque le système
s’enclencha, les moteurs stoppèrent leur rotation. Cette manœuvre avait
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fini par puiser les dernières ressources d’énergie emmagasinée
jusqu’alors dans les réserves de la station. Le calcul précis, accompagné
de tests effectués en laboratoire, avait cette fois encore donné le résultat
escompté. Il était maintenant primordial que le système de charge
fonctionne correctement, sans quoi cette station orbitale serait mortnée.
Les vérifications d'usage étant réalisées, les astronautes rentrèrent à bord
de leur navette pour un repas bien mérité. Cette ultime sortie de plus de
quatre heures marquait la fin de cette mission. Leur retour sur Terre
était prévu huit heures plus tard. Le centre de contrôle commença à
recevoir les premières données en provenance de Maman deux heures
après la mise en service des panneaux solaires, indiquant par la même
occasion que la mission était un franc succès. Le véritable programme
spatial allait enfin pouvoir débuter. Toute l’équipe était pleinement
satisfaite du travail accompli. Cela achevait une course contre la montre
engagée un an et demi auparavant. Il avait fallu se battre pour que les
hommes et le matériel soient opérationnels en temps et en heure. Au
final, la station orbitale d’un tout nouveau genre était prête à accueillir
ses premiers hôtes.
CHAPITRE 3
D’un point de vue politique, Jeffrey Jefferson avait réussi un coup de
maître : faire voter un budget astronomique pour la recherche spatiale.
Les campagnes de publicité martelaient sans cesse les différents médias
de tous pays. L’Europe, la Russie et la Chine avaient également pris des
engagements dans ce sens. Le projet de station orbitale était devenu
international à tous les niveaux : humain, industriel et financier. Chaque
entreprise présente dans cet incroyable chantier y trouvait son compte,
et celle du président américain sûrement un peu plus que les autres.
Les quatre astronautes venaient de passer six jours en apesanteur, une
période relativement courte comparée à certaines missions russes de la
fin du 20e siècle. Pourtant, la fatigue physique et nerveuse qu'ils avaient
endurée leur donnait l'impression d'être partis depuis plusieurs
semaines. Ils savaient que cette étape était primordiale pour la suite des
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évènements. La pression accumulée depuis tous ces mois de
préparations était en train de s’évacuer. L'ultime rêve de l'homme allait
enfin devenir réalité, à savoir la découverte de la planète Mars et tous
ses mystères. Y avait-il encore de l'eau et même de la vie bactérienne
dans son sous-sol, toutes les hypothèses restaient entières. Et des
Martiens ! Depuis le temps que la science-fiction voulait nous faire
croire à leur existence, à une invasion future, à la dévastation de la Terre
par une horde de petits hommes verts ou gris. Il fallait en avoir la
preuve scientifique pour qu'enfin, le monde sache que ces histoires
n'avaient aucun fondement sérieux, et n'étaient finalement que le fruit
d'une imagination débordante d'écrivains de tous horizons. La science
était désormais capable de répondre à toutes les interrogations, et allait
le démontrer une bonne fois pour toutes.
- Houston, ici Mattews. Nous sommes prêts pour le désarrimage de la
navette.
- Bien reçu ! annonça le chef du centre des opérations. Vous avez le feu
vert.
Les astronautes étaient à leur poste respectif, attentif au moindre signal
lumineux émis sur le tableau de bord. Le décrochage de la navette
n'était plus une opération compliquée depuis les dernières innovations
technologiques apportées au système d'arrimage, mais un simple petit
grain de sable dans les rouages de cette machine bien huilée pouvait
entraîner une catastrophe. Le lieutenant Mattews, qui était le pilote de
l'équipage, savait qu'il devenait maintenant le seul maître à bord. Jusqu'à
l'atterrissage final, il était aux commandes de cet engin de plusieurs
centaines de tonnes de métal, contenant une quantité suffisante de
carburant explosif pour les envoyer voir Dieu le père en un quart de
seconde. C'était pendant ses instants de haute tension nerveuse qu'il se
révélait être un homme en qui l’on pouvait avoir pleinement confiance.
Son aptitude à gérer le stress était sa grande force, et avait fini par lui
faire grimper les échelons de l'aéronautique bien plus vite que n'importe
quels pilotes de l'armée de l'air. Malgré un crash spectaculaire survenu
lors d'un entraînement de routine, Martin Mattews qui était alors qu'un
cadet à Miramar avait finalement réussi a affronté ses démons. Son
acharnement au travail avait fait de lui un candidat parfait pour les
futures missions de la NASA.
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- Attention Messieurs, trois, deux, un. C'est parti, avait-il lancé alors qu'il
venait de se séparer de la station. Le retour sur Terre est annoncé !
Le décrochage s’était réalisé tout en douceur. La suite allait être
légèrement plus sportive ! Une fois leur engin libéré de Maman, le
moteur principal devait être activé. Même en apesanteur, les astronautes
ressentiraient la formidable poussée de la fusée. L’espace ne faisait
aucun cadeau aux hommes et femmes n’ayant pas une excellente
condition physique. Les vibrations des moteurs, accompagnées d’un
vacarme à vous crever les tympans, étaient l’annonce officielle du retour
sur Terre. Depuis un satellite d’observation qui aurait filmé la scène, la
navette donnait l’impression de prendre doucement son envol, mais
pour ses occupants, la sensation de recevoir un violent coup de pied au
cul était bien réelle. La machine n’avait aucun mal à martyriser un
organisme aussi fragile que celui de l’homme, tellement sa puissance
était phénoménale. Après quelques minutes seulement, Maman n’était
déjà plus qu’un gros point lumineux dans le vide intersidéral, agrémenté
d’une paire d’ailes monstrueusement grotesques à une telle distance.
Le voyage durant le retour sur notre bonne vieille planète était toujours
un moment privilégié pour les techniciens de la NASA. Les données
collectées depuis le décollage étaient sauvegardées avant d’être
transmises au service de traitement et d’analyse du centre spatial. Cette
procédure avait été instaurée à la suite du problème survenu lors de la
première mission de cette génération de navette spatiale. Personne
n’avait oublié qu’elle avait failli exploser durant de son entrée dans
l'atmosphère terrestre. Une défaillance thermique d’un des panneaux du
revêtement du fuselage avait entraîné une surchauffe anormale de la
carlingue. Heureusement, le pire avait été évité in extremis.
Les transmetteurs de la navette inondaient les antennes de réceptions de
la NASA de données informatiques. Malgré un calme apparent,
l’équipage tentait de prendre un peu de repos tout en conservant une
oreille attentive au moindre bruit suspect. Le voyage de retour avait une
petite particularité concernant les réserves de combustibles. Le
carburant était calculé au plus juste pour éviter une surcharge inutile,
mais également pour minimiser les coûts astronomiques de chaque
mission. Ceci obligeait l'équipage à faire une excursion autour de la
Lune, afin d'utiliser son attraction comme second moteur. L'économie
d’énergie ainsi réalisée leur donnait une marge de sécurité utilisable en
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cas de problème, lors de la phase finale du vol. Malheureusement, aucun
satellite n'était encore capable d'assurer une liaison radio avec la Terre
durant le passage du côté obscur de l’astre.
Martin Mattews annonça qu'ils allaient entamer ce qu'il appelait le « saut
à l'élastique ».
- Houston, ici Martin !
- On vous reçoit Martin ! répondit le centre de contrôle.
- Nous allons amorcer la rotation autour de la Lune dans deux minutes.
- Bien reçu ! On vous retrouve juste après. Terminé.
- Accrochez-vous ! cria Mattews à ses coéquipiers dans un moment
d'excitation. Ça va décoiffer !
L'accélération fut progressive. Au fur et à mesure qu'ils contournaient
notre satellite, la sensation de vitesse augmentait, jusqu'au point où leur
engin perdrait ce lien invisible qui les retenait en orbite. Mattews avait
déjà deux rotations de Lune à son actif, et chaque fois il pensait au
dessin animé de sa jeunesse : Bip-Bip et le Coyote. Il avait l’impression
d’être le coyote, attaché à un élastique géant, prenant son élan en sens
opposé jusqu’au moment où le point de tension serait trop fort et
finirait par le propulser avec une force décuplée vers son ennemi de
toujours. Sa seule hantise était, comme pour le coyote, de prendre trop
d’élan et dépasser son objectif. Ici pas de risque d’effectuer un vol plané
au-dessus d’un précipice, mais bien d’entrer dans l’atmosphère terrestre
trop rapidement, ou avec un angle inadapté qui les catapulterait hors
zone.
Tandis qu'ils entamaient la phase finale de leur prise d’élan, comme
prisonnier d'un tunnel dans lequel aucune manœuvre n'était possible ni
envisageable, le lieutenant Mattews remarqua à nouveau la poussière
gazeuse droit devant eux. La distance restait importante, mais il n'avait
pas le souvenir de l'avoir aperçue dans cette direction la première fois.
- Que faire ? pensa-t-il tout haut. Il est impossible de changer de cap
pour le moment, sans quoi nous risquons de louper notre approche vers
la Terre. De toute façon, à la fin de notre rotation autour de la Lune,
nous aurons cette chose dans le dos.
Shepard avait senti le visage de son pilote se fermer, ce qui montrait
l'extrême concentration de l'homme, mais aussi une pointe d'inquiétude
inhabituelle chez lui.
- Quelque chose ne va pas, Martin ?
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- Ça roule, mon Capitaine ! reprit ce dernier en scrutant du coin de l’œil
son supérieur. C'est juste qu'il y a quelques secondes, j'ai vu ce
phénomène gazeux dans notre ligne de mire.
- Comment est-ce possible ? Si c'est vraiment de la poussière de comète
comme le pense le centre de contrôle, ça n'aurait jamais dû se trouver à
cet endroit. Cela devrait plutôt se situer derrière nous, ajouta-t-il en
montrant l’exacte position dans laquelle le gaz aurait dû être visible,
d’après ses calculs.
- Tout juste, répliqua Mattews, c'est exactement ce que j'étais en train de
me dire. Cependant, nous n’avons aucune crainte à avoir, car dans
quelques minutes, nous aurons fini notre rotation lunaire et cette chose
sera derrière nous.
- Il va quand même falloir surveiller ça de très près pour ne pas
compromettre les plans de vol des prochaines missions.
Le contact avec la Terre n'étant pas encore opérationnel, les hommes
d'équipage mirent en service tous les systèmes vidéo, pour enregistrer le
plus d'images possible de ce phénomène. Plusieurs capteurs furent
détournés de leurs fonctions principales pour analyser et tenter de
quantifier plus précisément cette poussière. Les premières données
confirmaient en tous points les dires de la NASA. Soudain, un des
astronautes remarqua une chose curieuse.
- Capitaine, on dirait que ça se rapproche de nous.
- Quoi, cria Shepard !!! C’est impossible, on vient de changer de cap de
près de quinze degrés par rapport à la première observation. Montrezmoi les mesures que nous avons enregistrées.
Samuel Shepard regarda les différents chiffres que lui tendait son
collègue, réfléchit de longues secondes en silence avant de questionner
son pilote.
- Martin, peut-on continuer en manuel ?
- C’est impossible tant que nous n’avons pas fini notre rotation, lui
confirma son lieutenant. Et même si ça reste théoriquement réalisable,
vous savez aussi bien que moi qu’il est extrêmement difficile de piloter
cette génération de navette sans l’aide des instruments de bord qui
adaptent en permanence le cap et la vitesse pour économiser au mieux
le carburant. En clair, cela signifie que nous ne pouvons rien faire de
plus que de nous laisser conduire vers notre point d’entrée dans
l’atmosphère terrestre, pour le moment en tout cas.
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- C’est malheureusement ce que je craignais, renchérit Shepard. Mettez
tous les détecteurs en action. Au moins, si cette chose croise notre
trajectoire, nous le serons suffisamment rapidement. Dès que le contact
avec Houston est rétabli, faites-le-moi savoir.
Les minutes qui suivirent se passèrent dans un silence studieux. Chaque
membre d’équipage réalisait les vérifications nécessaires afin que rien
d’autre ne vienne perturber le vol.
À plusieurs millions de kilomètres de là, le centre de Houston attendait
avec nervosité le retour de la fusée sur les radars. Ces fameuses
rotations étaient très pointues, et le moindre écart de trajectoire pouvait
être désastreux. La première fois qu’une navette avait utilisé cette
méthode de propulsion, un facteur avait été omis par le calculateur de la
NASA. La chaleur produite lors de l’entrée dans l’atmosphère n’avait
pas été absorbée aussi efficacement que prévu par le fuselage de l’engin,
ce qui l’avait fait « rebondir » sur la stratosphère. Les options étant
restreintes, le pilote avait alors exécuté une révolution supplémentaire
de notre planète, avant de pouvoir enfin atterrir. Malgré le faible niveau
de combustible restant dans les réservoirs, la décision parmi les
membres d’équipage avait été unanime : il était hors de question pour
les astronautes de s’éjecter au-dessus d’un océan. Cette prise de risque
avait été extrêmement controversée au sein de la direction de la NASA.
Le destin voulut qu’ils s’en sortent miraculeusement sans dommage. Un
protocole fut mis en place pour éviter que ce genre de mésaventure se
renouvelle à nouveau : « Le commandant de bord aurait toujours le
dernier mot lors d’une situation de crise concernant sa navette et ses
hommes ».
- Monsieur ! lança l’analyste radar du centre de contrôle, la navette vient
de réapparaître sur les écrans. La liaison sera opérationnelle dans moins
de quinze secondes.
- Houston, ici Shepard !
- Content de vous entendre à nouveau capitaine, lança le chef de
mission. Votre vitesse est bonne, par contre il va falloir effectuer un
ajustement de direction pour réduire la surchauffe de la carlingue lors de
l’entrée en atmosphère.
- Ici Martin, bien compris. Envoyez-nous les corrections à faire.
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Alors que le pilote s’affairait sur son ordinateur de bord pour modifier
certaines valeurs et corriger certains réglages, Samuel Shepard reprit la
parole.
- Houston, où en êtes-vous avec l’analyse de notre poussière de
comète ?
- Rien de nouveau, répondit le chef de mission. Pourquoi cette
question ? Y aurait-il des éléments que nous devrions connaître ?
- Effectivement, nous avons constaté que cette chose se rapprochait de
nous, et nos derniers relevés nous laissent penser que ça arrive très vite.
- Pardon !!! Ça parait assez improbable, ajouta le responsable du centre
de contrôle, qui venait justement de s’entretenir avec les techniciens de
la NASA. Envoyez-nous vos dernières données s’il vous plaît.
- C’est en cours...
Pour la trentaine de personnes présentes dans la salle des opérations,
l’atmosphère devint de plus en plus tendue au fur et à mesure que les
informations arrivaient sur les différents écrans de visualisation. Une
photo prise par le télescope embarqué de la navette montrait beaucoup
plus clairement cet amas gazeux. Il ressemblait à une queue de comète.
Seulement, un point ne collait pas : malgré une masse négligeable, ce qui
signifiait qu’il n’y avait pas d’astéroïde au milieu de ce brouillard, le radar
indiquait qu’une forte charge électrostatique émanait de cette chose. La
seule pensée que ces données soient correctes faisait planer toute une
série de questionnements sur la suite des évènements, aussi bien pour la
mission en elle-même que sur l’étude des phénomènes spatiaux. Aucune
observation n’avait montré auparavant la possibilité que cela puisse se
produire en dehors de l’orbite d’un soleil.
CHAPITRE 4
Quelques minutes avaient suffi pour que les analystes sur Terre
décryptent avec précision les données fournies par l’équipage. Les
dernières informations transmises par les différents télescopes, qui
obtenaient des images de bien meilleure qualité depuis quelques
minutes, confirmaient l’approche rapide du phénomène. Il était clair que
cette poussière parcourait l’espace à une vitesse incroyable. L’attraction
lunaire qui n’aurait pourtant pas dû influencer une masse si faible avait
bel et bien permis son changement de direction. Et par comble de
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malchance, elle se dirigeait précisément en direction de la navette
rentrant sur Terre. Pour le chef de mission, l’affaire prenait une
tournure inquiétante, mais la NASA avait déjà connu de bien pires
évènements.
À bord de la fusée, la tension montait chaque seconde. Le radar venait
de confirmer avec certitude le contact avec cette chose si aucune
donnée n’était modifiée.
- Capitaine, lança le pilote ! Si nous ne faisons rien, ce truc sera sur nous
dans moins d’une demi-heure, à peu de chose près.
- Houston, ici Shepard. D’après nos calculs, la rencontre avec cette
poussière devrait avoir lieu dans trente minutes environ. Avez-vous les
mêmes estimations de votre côté ?
- Sam, nous venons d’obtenir un résultat similaire. Nous étudions
actuellement toutes les solutions envisageables pour éviter d’en arriver
là.
- Ici Mattews. Contrôle, est-ce que le Major Boone est dans les parages ?
Si je dois piloter en manuel, j’aurais bien besoin de ses conseils avisés.
Le chef de mission ordonna immédiatement qu’on fasse venir Bernard
Boone. C’était le pilote le plus expérimenté de la NASA qui était encore
en service. Même s’il approchait d’une retraite amplement méritée, son
expérience en cas de crise était la bienvenue. Désormais affecté à un
poste de supervision des essais sur les navettes, il avait été pendant de
longues années un pilote-essayeur hors pair. L’Histoire n’avait pas
retenu les nombreux appareils qu’il avait fini par pulvériser sur le
tarmac. Le public préférait savourer le fait que son héros s’en soit
toujours sorti vivant. D’un pas décidé, le major arriva au centre de
contrôle quelques minutes plus tard. Par chance, il était encore dans le
complexe de la NASA, pour terminer un rapport sur les derniers tests
du système de pilotage automatique. Selon lui, même si cette aide était
extrêmement fiable et efficace, rien ne valait l’expérience humaine.
- Où en sont-ils ? cria-t-il en s’approchant des écrans montrant une
représentation approximative de la fusée, la Terre et le nuage de
poussière céleste.
- La navette suit son plan de vol, lui annonça le chef de mission. Tout se
passait normalement jusqu’à ce qu’on remarque cette « chose ». Nous
n’avons aucune idée sur la nature de ce phénomène, mais ça avance
dans leur direction. Cependant, depuis une dizaine de minutes, les
évènements ont pris une tournure inquiétante, car ça les rattrape.
- 18 -
D’après nos estimations, le contact devrait avoir lieu dans vingt
minutes.
- Mattews, c’est vous là-dedans ? demanda Boone.
- Heureux de vous entendre, monsieur, lui retourna le lieutenant. On
vous a mis au courant de notre situation ?
- Oui mon garçon ! Ne vous en faites pas, on va vous sortir de là.
Le major avait toujours eu des relations paternelles avec Martin
Mattews. Il avait été son instructeur durant de longs mois, et avait suivi
sa carrière avec fierté. Il le considérait comme son second fils. Son
propre rejeton n’avait jamais voulu entrer dans l’armée, mais avait tout
de même été contaminé par le virus aéronautique. Il avait préféré
l’aviation civile et était devenu pilote de ligne pour une grande
compagnie aérienne.
Après une brève réunion regroupant les principaux chefs de service, ils
avaient convenu de laisser le capitaine Shepard prendre l’ultime
décision. Malgré des avis très divergents sur le moyen d’éviter une
collision, Bernard Boone avait fait remarquer que dans une situation où
la vie d’hommes était en jeu, seuls les intéressés étaient décisionnaires.
L’Histoire lui avait d’ailleurs montré que les militaires les plus aguerris
pouvaient désobéir aux ordres lorsque leur peau était en danger.
L’instinct de survie surclassait tous les autres. Le capitaine Katarina
Kovalevski, qui devait commander l’expédition suivante, acquiesça cette
recommandation. En plein entrainement au centre spatial avec son
équipe, elle avait été alertée par les problèmes rencontrés par la mission
actuelle. Tous les astronautes présents sur le site avaient fini par se
retrouver dans la salle de contrôle, suivant avec inquiétude l’avancement
des évènements.
- Shepard, ici Houston. Nous venons de faire le point sur votre
situation et nous allons appliquer la procédure standard.
- Bien reçu, répondit le capitaine.
Il savait parfaitement ce que ça signifiait. Il devrait décider lui-même s’il
devait continuer la mission telle qu’elle avait été définie, ou prendre le
risque de modifier le cap de la navette en espérant pouvoir se poser sans
encombre un peu plus tard. D’un regard, il interrogea les trois hommes
d’équipage. Une réelle appréhension commençait à se lire sur les
visages. Le pilote demeura les yeux fermés quelques instants pour mieux
se concentrer. Il se remémora intérieurement plusieurs séances
- 19 -
d’entraînement passées dans le simulateur de vol où les pires épreuves
leur étaient réservées. Il tria parmi ses pensées celles qui étaient les plus
adaptées à cette situation précise, mais le souvenir qu’il était mort, une
fois de plus dans cette réalité virtuelle imposée par la machine ne le
rassura pas vraiment. Il prit enfin la parole.
- Capitaine, d’après mes souvenirs, une telle manœuvre n’a jamais été
réalisée avec succès sur le simulateur. Personne n’a réussi à faire atterrir
une navette sans dommage avec si faible niveau de carburant. Il n’y a
aucune marge d’erreur sur l’angle et la direction d’entrée en atmosphère.
Autant dire que c’est du suicide avec cet engin !
- Si je résume la situation, reprit Shepard, la chose qui nous fonce
dessus n’est, d’après les données, que de la poussière de comète. Même
si un contact se produit, il y a peu de chance pour que le fuselage soit
endommagé. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais il me semble
plus prudent de continuer notre plan de vol tel qu’il a été défini. Si nous
devions tout de même croiser ce phénomène, que pourrait-il nous
arriver de pire ? Nous retrouver aveuglés quelques instants dans cette
purée, perdre les instruments de navigation et éteindre nos moteurs ?
Dans ces conditions extrêmes, nous aurons toujours recours au pilotage
manuel.
Le lieutenant Mattews ainsi que les deux autres hommes d’équipage
approuvèrent leur supérieur. Au centre de contrôle, les paroles du
capitaine résonnaient encore, lorsque le major Boone lui lança :
- Bien parler capitaine ! Martin, quand le moment sera venu, si vous
avez besoin de moi, je serais là pour vous aider. Bonne chance les gars !
Katarina Kovalevski, une grande amie de Sam Shepard, lui assura à son
tour de son soutien, technique ou moral.
CHAPITRE 5
La mission continua comme prévu, mais l’extrême tension provoquée
par cette situation ne favorisait pas une bonne concentration. À
plusieurs reprises, l’équipage réalisa des contrôles sur les instruments de
bords, corrigea certaines valeurs pour se rendre compte quelques
instants plus tard qu’ils commettaient une erreur de calcul, et finalement
revenait sur les chiffres originaux. Le nuage de poussière poursuivait sa
course dans la même direction, mais à une vitesse dix fois supérieure de
- 20 -
celle de la navette. Les radars n’enregistraient aucun changement depuis
plusieurs minutes, le contact était imminent. Soudain, une alarme
retentit dans le cockpit. Les astronomes sursautèrent à l’unisson,
sachant pourtant que cela devait se produire. Les cœurs s’emballèrent
un peu plus, le souffle devenait plus court et plus rapide. Une voix
sortie de nulle part asséna le coup de grâce.
- Les gars, c’est Boone qui vous parle ! Comment ça va ? Le contact
semble imminent d’après ce qu’on peut voir ici.
Reprenant ses esprits le premier, c’est Shepard qui lui répondit.
- On vous reçoit Houston. Nos radars de collision viennent de retentir à
l’instant. Je pense que nous allons vite être fixés sur notre sort.
- Les derniers relevés nous indiquent que l’impact est maintenant
inévitable, continua le chef de mission. Il vous reste moins de quatrevingt-dix secondes. Préparez-vous à désactiver le pilotage automatique
le cas échéant.
- Nous venons de revoir la procédure en détail, répliqua le lieutenant
Martin Mattews, juste au cas où !
- Martin, reprit le Major Boone. Si la collision endommage quelque
chose, dites-le-moi tout de suite pour qu’on puisse vous aider au mieux.
- Compris, lança le pilote.
L’alarme se faisait de plus en plus rapide. Le nuage de poussière n’était
qu’à une vingtaine de secondes derrière eux. Un des astronautes, l’œil
rivé sur les instruments de télémesure, égraina les secondes. Dix, neuf,
huit, sept, six, cinq, quatre, trois, deux, un… contact !
La navette s’embruma durant une seconde dans une sorte de brouillard.
Hormis cela, aucun autre phénomène n’avait été constaté. L’équipage
n’avait ressenti aucun impact, pas le moindre bruit suspect indiquant un
quelconque problème. Cette chose les avait dépassés à la vitesse de la
lumière, comme si leur engin faisait du surplace. Les hommes virent le
nuage les doubler puis disparaître en quelques secondes. L’extrême
tension retomba d’un seul coup de leurs épaules en constatant que le
danger s’éloignait aussi vite qu’il était apparu. Ils se regardèrent, un
sourire de soulagement sur les lèvres.
- Houston, ici Shepard ! À l’instant précis où le capitaine avait prononcé
cette phrase, une étincelle jaillit du tableau de bord. Puis, tous les
instruments furent parcourus par un champ d’électricité statique qui fit
lâcher les commandes de pilotage à Martin Mattews.
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- Merde ! jura-t-il. Qu’est-ce que c’est que ça ? Je viens de me prendre
une décharge électrique.
- Vous avez vu ça, cria Shepard ! On dirait que toute la console centrale
vient de subir une surcharge électrostatique. Faites-moi immédiatement
un rapport d’avaries !
Après avoir énoncé chacun des instruments de bords, propulseurs,
radars, systèmes de survie, carburants, rien ne semblait avoir été
endommagé par ce contact quelque peu inhabituel. Sur Terre, dans la
salle de contrôle de la NASA, tout le monde avait suivi l’affaire avec
angoisse. Lors de la rencontre avec le nuage électrostatique, la liaison
avec la navette avait été interrompue durant une poignée de secondes,
puis la télétransmission des données avait repris comme si de rien
n’était. Toutefois, la radio restait inopérante.
- Shepard, vous me recevez ? demanda le chef de mission. Sam,
répondez s’il vous plait !
Durant une interminable minute, les haut-parleurs ne crachèrent que de
la friture. La télémétrie concernant la fusée arrivait bien sur les écrans,
montrant que tout fonctionnait correctement à bord de l’engin, mais il
fallait absolument que le signal radio passe pour qu’ils puissent aider
l’équipage en cas d’avarie.
- Houston, ici Martin Mattews. Nous venons de faire un diagnostic
complet des différents systèmes et tout semble normal.
Tout le personnel présent sur Terre lâcha un « ouf » de soulagement en
entendant le pilote. Il était hors de question pour la NASA de perdre
une autre navette en ce jour. Quelques poignées de main s'échangèrent,
quelques tapes dans le dos furent données et c'est avec un sourire
affiché sur tous les visages que le chef de mission reprit la parole.
- Heureux de vous entendre à nouveau, Martin ! Vous nous avez fait
une belle frayeur pendant quelques secondes ? Pouvez-vous nous
envoyer le rapport d'avarie ?
- Sam est en train de revoir la check-list pour la deuxième fois, continua
le pilote, mais pour l'instant, je vous confirme que nous n'avons
constaté aucun problème hormis cette coupure radio.
« Une chance pareille doit être un don de Dieu », médita le capitaine
Shepard. « Si l'on s’en sort sans dommage, il faut absolument que j’aille
mettre un cierge ! » Cette pensée était légitime, car chaque fois qu'un
impact, aussi minime soit-il, avait été confirmé sur une navette, le
- 22 -
résultat avait eu des conséquences désastreuses. Le personnel de la
NASA gardait précieusement en mémoire le courage de l'équipage
d'Apollo 13 qui avait risqué sa vie à cause d’un incident de ce genre.
L'effet papillon dans toute sa splendeur. Comment un minuscule débris
projeté sur les réserves d'air d'une fusée avait-il pu entraîner une telle
série de casses tête à résoudre pour sauver les hommes à bord ?
Quelques heures plus tard, la navette s'était posée sans encombre sur le
tarmac. Les quatre astronautes, fatigués nerveusement, avaient dû passer
les examens de routine avant de subir un débriefing en règle. En se
basant sur les données enregistrées pendant la mission, tout avait été
analysé, décortiqué et revérifié par différents services. Mis à part une
surcharge électrostatique qui avait bloqué les instruments de bord
durant une petite seconde, la NASA ajoutait un succès supplémentaire à
sa liste. Katarina étreignit son ami, le capitaine Samuel Shepard à son
arrivée. Elle était heureuse que l’aventure se soit bien terminée, et lui
soulagé de fouler le plancher des vaches en un seul morceau.
Lorsque son téléphone portable retentit, l’homme se leva de son lit de
camp pour voir ce que pouvait être cette sonnerie qui le tirait de ses
rêves. En ouvrant l’appareil, qui ressemblait plus à un mini-ordinateur
qu’à un simple mobile, il reconnut tout de suite le signal d’alarme
affiché sur l’écran à cristaux liquides : « Autonomie – 12 h ». Sortant de
son chalet, il ferma la porte à clé, même s’il savait qu’il n’y avait rien à
voler dans sa cabane. Il se dirigea vers l’entrée de la propriété où était
garé son véhicule, une jeep à l’allure militaire, capable de circuler dans
ces régions montagneuses où les chemins étaient souvent difficiles. En
mettant le contact, il jeta un dernier coup d’œil derrière lui, puis
s’engagea par l’unique route qui lui permettait de rejoindre la
civilisation. Son itinéraire ne variait jamais, il s’arrêtait tout d’abord faire
quelques courses à l’épicerie du coin puis passait récupérer un camionciterne remplie de fuel domestique qui l’attendait comme chaque
semaine à la station-service la plus proche.
CHAPITRE 6
Dans son bureau relégué au premier sous-sol de la NASA, Kevin Klein
s'ennuyait à mourir. Étant responsable de la sécurité informatique du
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centre, il en arrivait à regretter que le système qu'il avait mis en place au
fur et à mesure des années soit si fiable. La quarantaine naissante, cet
homme avait eu une vie extraordinairement inhabituelle.
Depuis tout petit, Kevin était un enfant turbulent. Il n'était pas
méchant, mais avait le besoin vital de bouger. Il avait dû faire toutes les
bêtises qu'un gamin de son âge se doit de faire, ce qui avait contraint ses
parents à tenter toutes sortes d'approche. Les visites chez différents
psychologues n'avaient rien arrangé, il ne tenait pas en place ! Lorsqu'il
entra au collège, relativement difficilement vu les notes et le peu de
volonté qu'il mettait à travailler, un professeur un peu plus attentif avait
remarqué que cet enfant était d'une très grande intelligence,
contrairement à ce qu’en pensait la majorité des gens. Seulement, il
s'ennuyait extrêmement vite, faute de cours suffisamment stimulants.
L'informatique de loisir commençait à se démocratiser. Ce professeur
conseilla à ses parents de lui acheter un ordinateur, pour qu'il puisse se
divertir avec un outil innovant, qui le motiverait enfin. Tout d'abord
sceptiques à l'idée de faire un cadeau aussi cher à un gamin qui ne le
méritait absolument pas, ils finirent par se résigner. Le premier contact
avec l'appareil ne fut pas ce qu'ils espéraient. Kevin s'était juré qu'il ne
tomberait pas dans le piège qu'on lui tendait et ne voulait même pas en
entendre parler. Un après-midi de printemps, alors que son ordinateur
traînait dans sa chambre depuis quelques jours sans qu'il ait pris la peine
de le mettre en marche, il vit son jeune frère, véritablement hypnotisé
par l’écran cathodique. Il s’amusait avec un jeu nommé PacMan, qu'un
camarade d'école lui avait prêté. Furieux de constater qu'on utilisait son
jouet sans sa permission, Kevin avait piqué une colère et mis tout le
monde dehors, le frangin aussi bien que le jeu. Allongé sur son lit, ses
pensées perdues dans le néant, son regard fut attiré par un caractère
clignotant sur le moniteur : C:\>. Le temps commençait à s’assombrir,
quelques gouttes d’eau tombèrent lentement, avant de s’abattre avec
frénésie sur les toitures. Le moral au plus bas, le jeune Kevin se dit que
ça n'était vraiment pas un bon jour, il était bloqué à la maison, et
s’ennuyait à mourir. Il se leva de son lit pour éteindre ce fichu
ordinateur qui le narguait, et dans un ultime accès de colère, tapa
frénétiquement plusieurs touches sur le clavier. L'écran lui renvoya un
message qu'il ne comprit pas tout de suite, mais le simple fait d'obtenir
une réaction de la machine l'incita à approfondir ce mystère.
- 24 -
En quelques minutes, la vie de Kevin bascula dans un monde
insoupçonné. L'attrait grandissant pour cette boite métallique ne cessa
de croître, au point où ses parents ne le reconnaissaient plus. Il ne
sortait pratiquement plus de sa chambre, sauf pour aller au collège et
manger. Il passa ses examens pour entrer au lycée avec une facilité
déconcertante, ce qui augmentait la rancœur chez ses camarades de
classe qui devaient travailler dur pour obtenir un résultat souvent
inférieur. À l'approche des vacances scolaires, il s'était tellement isolé
des autres élèves qu'il resta l’été entier, enfermé chez lui à analyser puis
décortiquer le langage machine, jusqu’à finir par développer son propre
système d'exploitation.
Son entrée au lycée fut moins difficile émotionnellement parlant, car il
rencontra un camarade mordu d'informatique comme lui, un certain
Frank Fratelli. De souche italienne, il lui laissa entrevoir une formidable
occasion de se faire de l'argent extrêmement facilement avec son
ordinateur. Le petit Franky était un fils de riche industriel. Il avait tout
ce dont il désirait et plus particulièrement du matériel dernier cri
accompagné d’une liaison téléphonique par modem. Il avait très vite
réalisé que cette connexion avec le monde pouvait lui ouvrir toutes les
portes, et en particulier celle du serveur informatique de son
établissement scolaire, qu'il pirata aisément pour modifier ses notes. Il
passa ainsi d'un élève très moyen à un bon élève. Pour masquer son fait
d'armes, il en avait profité pour se venger en baissant les notes des
premiers de la classe, et en augmentant la moyenne générale. Il gratifia
une certaine Jenny qui lui plaisait fortement d’un excellent bulletin
scolaire. Cependant, la subtilité n'ayant jamais été son point fort, Franky
fut très vite identifié puis expulsé du lycée sans autre forme de procès.
Kevin, qui idolâtrait son camarade, se retrouva seul dans un
établissement qu'il détestait. Après avoir cassé les pieds à ses parents
pendant plusieurs semaines pour avoir lui aussi une connexion par
modem, il finit par obtenir gain de cause et passa la plupart de ses
soirées à dialoguer avec Franky, via leur ordinateur respectif. Très vite,
une sorte de compétition s'installa entre les deux adolescents pour
savoir lequel réussirait à s'introduire dans le réseau informatique le plus
sécurisé. Après avoir atteint des cibles de second plan, Franky parvint
du haut de ses seize ans à pirater le fichier des contraventions de police
de sa ville. En moins de temps qu'il en faut pour le dire, il était devenu
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un criminel activement recherché par les services gouvernementaux.
Arrêté quelques mois plus tard, il se retrouva en maison de correction
sans la moindre chance de toucher à nouveau un ordinateur avant
plusieurs années.
Kevin quant à lui continuait ses activités, mais en faisant preuve d'une
grande discrétion pour éviter de subir le même sort que son ami. Alors
qu'il venait à peine d'atteindre la majorité, il avait déjà un tableau de
chasse impressionnant. Aucun site industriel ou gouvernemental n'avait
réussi à lui résister. Sa technique d'intrusion fantôme était tellement en
avance sur son temps qu'aucune des institutions qu’il avait piratées ne se
rendait compte de l'attaque. Sa méthode était simple : il ne détruisait
rien, ne volait aucun fichier, ne laissait aucune trace. Son but était
uniquement de pénétrer un site censé être inviolable et prouver le jour
venu de l'inefficacité des systèmes en place.
Après des études brillantes où il obtint un diplôme d'ingénieur en
informatique, il fut engagé par une société d'import-export pour
développer leur réseau. En contrepartie d'un travail ennuyeux, il
continuait à jouer avec le feu sur ce qui devait devenir le Web :
l'Internet actuel. Durant ses premiers congés, il profita d’une visite
guidée au Pentagone pour introduire un mouchard sur un terminal
susceptible de lui donner un accès au serveur sécurisé, le Saint Graal de
tout bon pirate informatique. Ça devait être l’apothéose de sa carrière.
Seulement, cette consécration fut surtout son tombeau. Dès que le
service de sécurité du site constata l’intrusion, une chasse à l’homme
sans merci fut mise en place. Kevin Klein, après avoir passé plusieurs
mois en cavale, fût arrêté bêtement à la suite d’un contrôle de routine.
Pensant être filé par une patrouille de polices quelques jours plus tôt, il
avait cassé le feu arrière gauche de sa camionnette en faisant une
manœuvre dans une ruelle. Un motard ayant remarqué la nonconformité au niveau de la sécurité l’avait arrêté pour lui signaler de
faire les réparations au plus vite. C’est en contrôlant les papiers du
véhicule pour vérifier s’il n’avait pas été volé ou n’avait pas d’infraction
impayée que le central l’informa que son client était activement
recherché par les agents fédéraux. Kevin n’avait que vingt-quatre ans et
déjà un lourd passé de « criminel » informatique.
- 26 -
Il disparut de la surface de la Terre pendant plus de dix ans. Ce fut
probablement une dès très rares personnes à ne jamais avoir eu de
procès malgré une incarcération bien réelle. Il passa une année complète
à être interrogé par des agents du gouvernement qui voulaient connaître
sa technique d’intrusion, à décortiquer la moindre de ses paroles, et à
exploiter ses connaissances. Après plusieurs tentatives avortées, les
choses n’étaient pas aussi faciles qu’elles semblaient l’être, les fédéraux
s’aperçurent qu’une grande dose de savoir-faire et beaucoup d’intuition
étaient nécessaires pour de telles opérations. Kevin Klein passa ensuite
plusieurs années à travailler pour diverses administrations fédérales en
tant qu’expert informatique sans toutefois être libre de ses mouvements.
Son statut de « fantôme » permettait de lui faire faire du piratage
industriel et politique dans l’incognito le plus total. Le gouvernement
américain avait dès lors un accès à un très grand nombre de sites
sensibles, dans une impunité absolue.
Pour Kevin, cette période fut très difficile à gérer moralement, car il
passait sans cesse de l’excitation dès qu’une mission était organisée, à sa
cellule de verre où il n’avait ni ordinateur, ni téléphone, ni même une
montre. Avec un tel traitement, n’importe quel être humain aurait pu
tomber dans une paranoïa ou une folie irréversible. Mais Kevin gardait
l’espoir qu’un jour, quelqu’un se souviendrait de lui, retrouverait sa trace
et finirait par le faire sortir de cet enfer. Contre toute attente, c’est de
son jeune frère qu’arriva son salut. Ayant fait des études de droit, il avait
passé l’examen du barreau dans un seul but : comprendre ce qu’il était
advenu de son aîné et lui permettre de recouvrer sa liberté. Le chemin
fut semé d’embûches, mais grâce à quelques anciens camarades de
facultés, ils réussirent à faire parler de Kevin dans la presse, devenant
ainsi un martyre des temps modernes. Sous la pression politique de
quelques élus locaux, le gouverneur de l’État finit par ouvrir un procès à
l’encontre de Kevin Klein, premier pirate informatique de l’histoire des
États-Unis. Il fut reconnu coupable de toutes les charges dont il était
accusé. La très longue période d’incarcération préventive qu’il avait déjà
effectuée couvrant sa condamnation, il fut remis en liberté la veille de
ses trente-cinq ans. Seulement les apparences pouvaient être trompeuses
!
- 27 -
Il savait qu’il ne pourrait pas retrouver une vie normale dès sa libération.
Même si son implication dans les différentes activités qu’il avait
commises n’avait été que secondaire, ses anciens employeurs ne
permettraient pas qu’un homme tel que lui se fasse embaucher par la
concurrence. Kevin obtint un entretien assez facilement par le biais d’un
ami de son frère. Il ignorait que ce soi-disant ami était en réalité un
agent infiltré, qui avait pour mission de le surveiller discrètement et
même d’orienter sa future carrière. Il était évident que Klein n’opterait
jamais de lui-même pour un poste au sein du gouvernement. Il fut
décidé en haut lieu qu’il lui serait proposé un emploi dans une société
annexe où ils avaient leurs entrées. Kevin Klein se retrouva à la NASA,
engagé en tant qu’expert réseau. De simple technicien, il gravit très vite
les échelons et obtint une promotion en moins d’un an. Parachuté à la
tête du service de sécurité informatique, ses capacités et son expérience
dans ce domaine permirent une sécurisation des informations du centre
spatial, que même la NSA n’aurait pas reniées.
CHAPITRE 7
En ce beau matin, Kevin Klein et son assistant Anthony Alessandro
n’avaient pas une journée très chargée malgré la forte activité de
l’agence spatiale. Le planning annonçait une augmentation de la capacité
de stockage des serveurs de messageries, ce qui ne représentait qu’une
petite heure de travail en tout et pour tout. Kevin, relativement fatigué
de sa nuit passée à écumer les bars de la ville, avait envoyé son jeune
collègue faire cette basse besogne. Le brave Tony, Italien d’origine qui
s’avérait l’exact opposé de son patron à tous les niveaux, s’était mis à la
tâche et profitait des longs traitements d’analyse de l’espace disque pour
rêver à son futur week-end. L’homme d’à peine vingt-cinq ans n’avait
rien de l’informaticien classique. Il entretenait une forme olympique, qui
ne laissait pas insensible les femmes des différents services qu’il côtoyait
durant ses interventions au sein de la NASA. Contrairement à son
activité professionnelle qui lui demandait de la rigueur et de la
concentration, il passait le plus clair de son temps à se défouler sur une
planche de surf l’été et sur des skis l’hiver. Un bronzage parfait tout au
long de l’année, associé à une musculature généreuse, faisait de lui le
parfait petit ami pour bon nombre de jeunes filles de son entourage.
- 28 -
Mais il n’était pas encore prêt à se ranger et voulait profiter de sa
jeunesse au maximum.
Installé dans le « bocal », une pièce ultra sécurisée au deuxième sous-sol
de l’agence qui renfermait les serveurs informatiques les plus sensibles,
il avait commencé par connecter le nouveau disque dur sur un système
secondaire pour tester sa fiabilité. Il devait ensuite le réinitialiser et le
préparer en vue de la connexion au serveur central de messagerie. Le
premier test appelé « test de surface » était long, interminable même
pour un disque de capacité réduite. Tony profita de ce temps d’inactivité
pour aller prendre un chocolat. Il en avait pour plusieurs minutes avant
que ce soit fini. Cependant, pour ce genre d’opération il préférait suivre
l’évolution de la procédure, au cas où quelque chose d’anormal
arriverait. De retour de la salle de pause, il retourna au bocal après avoir
à nouveau passé son badge d’identification dans la fente adéquat, et saisi
son code secret. C’était la seule entrée qui permettait d’accéder à la pièce
sécurisée et filmée par de multiples caméras installées dans le couloir.
Un système de pression au sol détectait l’arrivée d’un visiteur et
déclenchait l’enregistrement des images.
En retournant sur le terminal de test, Tony s’aperçut immédiatement
qu’un message d’erreur était affiché : « Vérification après RAZ
échouée ! »
- Étrange pensa-t-il, car il ne s’attendait pas à obtenir un tel résultat.
Habituellement, l’erreur la plus fréquente était un dysfonctionnement
matériel qui nécessitait un simple remplacement du disque, mais ici le
test physique et le formatage s’étaient parfaitement accomplis. L’ultime
procédure était une mise à zéro des secteurs de stockage. C’était cette
fonction qui avait renvoyé un message d’alerte. Sortant son téléphone
portable de la poche extérieure de sa veste, il composa le numéro de
son service.
- Patron, c’est Tony. J’ai un drôle de message d’erreur en préparant le
nouveau disque dur. Vous devriez venir voir !
- J’arrive, grommela Kevin Klein pas très enthousiasmé d’aller faire un
tour dans cette salle peu accueillante, très bruyante, réfrigérée à seize
degrés tout au long de l’année, et affublée d’un éclairage artificiel trop
vif à son goût.
- 29 -
Prenant son badge, son beeper et son téléphone portable, Klein partit
d’un pied lourd vers le niveau inférieur. En entrant dans le bocal, il
remarqua Tony à quatre pattes en train de vérifier la connectique du
serveur de test. L’ouverture de la porte le surprit et en sursautant, il se
fracassa le crâne sur le coin de la tablette, juste au-dessus de lui.
- Merde !!! Je vais avoir une bosse maintenant, gueula-t-il !
- Avec ta tronche de playboy, lui lança Klein un brin moqueur, je ne
m’en ferais pas trop pour ça à ta place ! Alors, qu'est-ce qu’il se passe ?
- Je viens de vérifier la connectique, le problème n’est pas lié au
matériel, aucun faux contact ou nappe défectueuse. Voilà le rapport de
test, ajouta-t-il en tendant un listing à son patron.
Kevin, en prenant la feuille que son jeune collègue lui montrait,
remarqua immédiatement que Tony avait eu un très bon flair en
l’alertant rapidement. Il ne pouvait s’agir que d’un problème logiciel ou
système, ce qui n’était pas plus enviable. Tony, en se frottant le haut du
crâne pour faire passer la douleur lui demanda ce qu’il comptait faire.
- Ça n’est pas très engageant cette histoire, lui répondit-il. On dirait un
bug du logiciel de test, même si ça me semble très improbable. J’ai
l’impression qu’on a un plantage système ou pire un virus. Remonte au
bureau et lance un examen complet des serveurs de stockage, des
différents antivirus et des pare-feux. Appelle-moi dès que tu auras les
résultats.
À peine Kevin Klein avait-il eu le temps de finir sa dernière phrase que
Tony Alessandro était déjà en train de refermer la porte du bocal. Il
retourna à son bureau au pas de course en évitant l’ascenseur, avalant
les marches des escaliers quatre à quatre. Arrivé à l’entrée du service de
sécurité, il remarqua que leur grand patron était dans les parages. Il
devait faire son tour habituel des installations pour garder un contact
avec toutes les entités de centre spatial. Cette proximité lui avait
d’ailleurs permis de conserver une vision globale de l’agence, ce qui était
nécessaire pour son bon fonctionnement en cette période de faste
activité. Tony ralentit sa course et entra dans son bureau avec
discrétion. Tout en s’asseyant sur son fauteuil, il tapa une série de
commande sur son clavier d’ordinateur. Le premier test à exécuter était
un simple contrôle du journal d’évènements, pour voir s’il n’avait pas
laissé passer un message d’erreur. Seulement, ce genre de fichier étant
constitué d’un nombre impressionnant de données toutes plus pénibles
à lire les unes que les autres, il passa directement par une méthode
- 30 -
nettement plus efficace et moins fastidieuse : une recherche par mots
clés. Après quelques secondes, son terminal émit un signal annonçant
un résultat. Tony, le cœur battant un peu plus fort qu’à l’accoutumée,
ouvrit le fichier à la ligne indiquée et constata avec désarrois que le
programme avait signalé un message datant de plusieurs jours que son
patron avait déjà traité. Rien de ce côté-là.
Le second test qu’il devait exécuter était un contrôle des systèmes
antivirus et du pare-feu logiciel qui protégeait les accès internet. Il devait
également vérifier les différentes transmissions de données, réalisées par
les prestataires extérieurs qui utilisaient une liaison sécurisée, que Klein
avait lui-même mise en place lors de son arrivée à son poste. Tony lança
plusieurs commandes. Après quelques minutes de traitement, le résultat
s’avéra encore une fois négatif. Il en déduit que l’intégrité du réseau
informatique de l’agence n’avait pas été altérée de l’extérieur,
essentiellement grâce aux multiples logiciels anti-intrusions qui étaient
d’une efficacité à toute épreuve.
- Patron ! appela Tony. Je viens d’effectuer tous les tests d’intégrité de
nos systèmes. De mon côté, il n’y a rien à signaler !
- J’espère que tu n’avais rien prévu ce soir, car j’ai le sentiment que nous
ne sommes pas sortis de l’auberge ! Exécute un redémarrage des
serveurs de messagerie. Quant à moi, j’ai une ultime vérification à faire
et je te rejoins.
Kevin Klein avait du flair en ce qui concerne les pannes informatiques,
mais dans ce cas précis, il était véritablement déstabilisé. Le phénomène
était inconcevable pour son esprit pragmatique qui tournait à plein
régime, afin d’établir une procédure de dépannage. Seulement, dans
cette situation qui dépassait toute logique, les règles de base semblaient
être inopérantes. En remontant à la rencontre de Tony, Kevin marchait
d’un air distrait aux yeux des employés qui le croisaient. Il mettait toute
son énergie à chercher un semblant de solution sans se soucier de ses
fonctions motrices, ce qui lui valut de renverser une poubelle
involontairement, de se cogner avec une assistante chargée de
documents, et de louper son bureau. L’homme distrait dans toute sa
splendeur. Tony qui l’avait entraperçu au travers de la porte d’entrée de
la pièce fût surpris de le voir continuer son chemin au lieu de rentrer
dans son antre. Se levant pour comprendre ce que son chef fabriquait, il
- 31 -
tomba nez à nez avec Kevin qui avait finalement fait demi-tour, dans un
instant de lucidité.
- Désolé patron ! J’ai cru que vous alliez…
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase, Kevin lui lança :
- Viens voir ça !
S’asseyant derrière son bureau, Klein tapa une commande qui exécutait
un test de sécurité de son ordinateur. C’était un petit programme de sa
conception qui vérifiait la mise à zéro des zones vierges du disque dur.
Ce simple contrôle en apparence était en réalité primordial pour éviter
une récupération malheureuse de données, chose qu’un pirate
informatique aurait pu réaliser aisément. Le résultat ne se fit pas
attendre : « Erreur sur zone vide ! »
- Va faire un tour discrètement dans l’aile Est du bâtiment, ordonna
Klein à son assistant, et exécute ce programme sur quelques machines.
Je vais en faire de même de l’autre côté des bureaux.
- Si l'on me demande ce que je fais, s’interrogea Tony, qu’est ce que je
réponds pour l’instant ?
- Dis simplement que tu vérifies un paramétrage de sécurité, sans
rentrer dans les détails. Tiens-moi informé de tes résultats.
Les deux hommes partirent chacun de leur côté des locaux, saluant au
passage quelques collègues et profitant des sollicitations diverses pour
lancer leurs tests discrètement. Il était assez fréquent qu’à leur
rencontre, les employés de l’agence leur demandent de regarder un soidisant problème sur leur ordinateur, ce qui énervait quelque peu Kevin
qui n’était pas là pour ça. Il s’était résigné au fil des années et effectuait
ses tests sans que son interlocuteur ressente sa contrariété. Il trouvait la
solution en trois clics de souris, au nez et à la barbe des utilisateurs les
plus aguerris. C’était d’ailleurs une des grandes facultés qu’il avait
améliorées en travaillant pour le gouvernement durant son
incarcération : lancer des tâches sur un ordinateur à l’insu des personnes
qui l’entouraient. Il avait une telle connaissance des systèmes sur
lesquels il évoluait qu’il était capable de saisir de multiples combinaisons
de touches et masquer un programme très rapidement, pour que
l’affichage de ses commandes n’apparaisse pas à l’écran. L’art du
camouflage dans toute sa splendeur. À l’autre bout du centre spatial,
Tony n’avait pas encore la dextérité de son patron, mais savait jouer de
son charme et de son bagout naturel pour détourner l’attention de ses
collègues, en particulier lorsqu’il s’agissait de charmantes demoiselles.
- 32 -
Malgré leur différence de styles, les deux hommes formaient un tandem
homogène et efficace.
Après avoir beaucoup discuté, et réussi à tester une vingtaine
d’ordinateurs répartis dans plusieurs services, Tony décida qu’il était
temps d’arrêter les frais. Il appela son chef.
- Patron, c’est Tony.
- Alors, c’est aussi merdique de ton côté ?
- J’en ai bien peur. J’ai testé plusieurs machines dans tous les services et
ils m’ont tous retourné la même erreur !
- Reviens au bureau, lui répondit Kevin après quelques secondes de
réflexion. Nous allons avoir une lourde tâche à accomplir mon garçon.
Il va falloir avertir le directeur que nous allons être obligés de
réinitialiser tout le système puis effectuer une batterie de tests qui
risquent de stopper l’activité de l’agence pendant quelques heures. Je te
parie qu’il ne va pas apprécier, et j’aurai besoin de ton soutien sur ce
coup-là !
CHAPITRE 8
Les deux hommes retournèrent dans leur bureau high-tech, regroupant
une dizaine d’écrans plats reliés sur différents systèmes. Devant eux, il
avait également un prototype de moniteur tactile gigantesque, affichant
en temps réel une multitude d’informations sur différents serveurs, l’état
des liaisons informatiques sortantes, certaines vues de caméras de
surveillance du bocal et un diagramme indiquant les tentatives
d’intrusion par des pirates en mal de reconnaissance. Ce bijou de
technologie, en phase de conception selon son fabricant, avait atterri à
la NASA, car le directeur de l’entreprise qui les concevait avait conservé
l’espoir qu’un jour, il pourrait embarquer sur une navette, en tant que
touriste de l’espace. Les cadeaux de ce genre étaient réguliers et très
appréciés par certains dirigeants de sociétés qui ne voyaient pas cela
comme des pots de vin, mais simplement comme un autre moyen de
renouveler du matériel obsolète à moindres frais.
Klein en profita pour se changer. Un petit vestiaire contenait en
permanence des vêtements propres, un ensemble veste et pantalon de
bonne coupe et une paire de mocassins. Enlevant sa chemise à fleurs
- 33 -
hawaïenne et ses chaussures de sport qui risqueraient à coup sûr de le
faire passer pour un étudiant attardé aux yeux des responsables de
l’agence, Kevin cherchait le meilleur moyen d’annoncer cette nouvelle,
sachant qu’il n’avait aucune preuve concrète pour appuyer ses dires.
Une fois habillé et repeigné, il regarda son reflet dans le miroir pour y
voir un homme vieilli, mais pas encore abattu. L’auto-motivation
commença à faire son effet. Il était remonté comme un pantin prêt à
sortir de sa boîte lorsqu’il appela Tony. Ce dernier l’attendait assis à son
bureau, le regard fixant le plafond avec intensité, se demandant
comment ils allaient bien pouvoir résoudre ce problème assez
inhabituel.
- Prêt à entrer dans l’arène ? lui lança Kevin.
- Vous savez, ici je ne suis qu’un assistant et je ne suis même pas sûr que
les grands patrons remarquent ma présence, lui rétorqua Tony qui
s’amusait de voir son chef endimanché. Avec le costume, vous avez tout
de suite l’air… il hésita… de quelqu’un qui n’est pas là pour raconter la
dernière blague à la mode.
Un clin d’œil vint appuyer gentiment son approbation.
- Oui bien, en attendant, est-ce que tu as prévenu la secrétaire du
directeur qu’on désirait un entretien ?
- Euh ! Je le fais à l’instant, répliqua Tony, tout penaud d’avoir oublié la
seule chose importante qu’il avait finalement à faire.
Quelques instants plus tard, ils arrivèrent tous les deux devant le bureau
de monsieur Johnson, directeur de l’agence depuis un peu plus de dix
ans. Sa secrétaire leur fit signe d’entrer immédiatement. L’expérience de
ce dernier lui avait appris que lorsque le chef de la sécurité informatique
lui demandait un rendez-vous en urgence, ça n’envisageait rien de bon.
Il valait mieux plonger dans le vif du sujet au plus tôt, et tenter
d’enrayer un problème avant qu’il ne prenne des proportions trop
importantes.
- Entrer Messieurs, leur lança-t-il en les voyant ouvrir la porte. Je n’ai
pas beaucoup de temps à vous accorder, car j’ai une réunion dans dix
minutes, alors ne tournons pas autour du pot et dites-moi ce qui vous
amène.
- Bonjour Monsieur le Directeur, commença Kevin. Nous venons de
constater un problème informatique sérieux sur le réseau interne de
l’agence, qui va nous obliger à stopper tous les serveurs et effectuer une
analyse complète du système.
- 34 -
- Rien que ça, ajouta le Jack Johnson en se rasseyant lourdement sur son
fauteuil. Et dites-moi, vous en avez pour combien de temps ? Quelques
minutes… une heure ?
- Et bien, dans l’état actuel des choses, il vaut mieux s’attendre à une
coupure globale du réseau informatique durant quatre ou cinq heures
environ, pour qu’on puisse identifier précisément le problème et trouver
une parade.
- Voyons monsieur Klein, vous plaisantez, j’espère ! Savez-vous que
nous avons un lancement de prévu dans moins de dix jours et qu’il nous
est impossible de perdre, ne serait-ce qu’une heure. Si nous coupons les
serveurs, en moins de cinq minutes je vais voir débarquer dans mon
bureau tous les chefs de service en hurlant, parce que rien ne sera fini à
temps. Vous n’êtes pas sans savoir qu’en ce moment les plannings sont
très serrés. Il suffit de bloquer un service pendant une ou deux heures
pour que la prochaine fusée ne puisse être lancée à la date prévue. La
programmation des ordinateurs de bord de la navette va prendre une
bonne semaine, sans compter la phase de vérification. Si les astronautes
ne peuvent pas répéter leur mission, autant l’annuler, car ils n’auront pas
le temps matériel de la réaliser une fois là haut. Je ne vous parle pas de
la préparation des moteurs, de la finalisation de la mise au point du
satellite qu’on doit mettre en orbite durant cette mission et j’en passe !
Pour quel motif devrait-on retarder tout ça, dites-moi ?
- Nous pensons avoir subi une attaque d’un virus tout à fait inédit, qui
ne ressemble en rien à ce que nous connaissons actuellement. Après
une première vérification rapide, tous les ordinateurs de l’agence
semblent infectés.
- Non de Dieu, lâcha le directeur ! Comment cela a-t-il pu arriver avec
tout l’attirail que vous avez dans votre bocal ?
- C’est bien là qu’est le problème, reprit Kevin toujours aussi
calmement. Nous n’en avons aucune idée. Au point où nous en
sommes, nous ne savons même pas s’il s’agit réellement d’un virus et ce
qu’il peut provoquer.
- Qu’avez-vous constaté exactement ?
Kevin Klein se demanda comment expliquer le phénomène rencontré à
quelqu’un qui n’avait pas de connaissances techniques très poussées sur
la gestion d’unité de stockage. Il jeta un regard furtif vers son assistant
puis se lança :
- 35 -
- C’est assez complexe, monsieur le directeur, mais pour faire simple,
disons que les zones vierges des disques durs des serveurs et des
ordinateurs de l’agence contiennent des données que nous ne pouvons
pas identifier. En temps normal, pour contrer les éventuelles
récupérations par des pirates informatiques, ces zones sont mises à zéro
par un petit programme qui fait partie intégrante des différents systèmes
d’exploitation que nous avons à la NASA. Le plus troublant dans ce
phénomène provient du fait que nous n’avons rien dans les rapports
d’activité des différents serveurs. Absolument aucune entrée n’indique
comment ça s’est passé, et quand !
- Donc, reprit le directeur, dans l’état actuel des choses, vous ne savez
pas à quoi nous avons à faire face, ni comment ça s’est produit !
Messieurs, il est peu rassurant de constater que les personnes qui
s’occupent de notre sécurité informatique n’en savent pas plus ! Laissezmoi avertir les différents responsables de services avec qui je dois
m’entretenir dans… il regarda sa montre… et bien maintenant ! En
attendant, essayer d’en apprendre un peu plus sur ce virus. Je passe vous
voir dès la fin de ma réunion. Merci Messieurs.
CHAPITRE 9
En quittant le bureau du directeur Johnson, Tony qui n’avait pas dit un
mot essaya de débrider l’ambiance pesante qu’il avait ressentie quelques
instants auparavant !
- Finalement patron, ça c’est plutôt bien passé !
- Ne rigole pas trop vite, gamin. C’est maintenant que tout va se
compliquer. En gros, on a une petite heure pour comprendre ce qui
arrive pour trouver le moyen de résoudre ce merdier.
- Par quoi commence-t-on ? demande Tony.
- Première chose à faire, il faut absolument qu’on détermine comment
ce virus a pu se transmettre aussi rapidement, car tous les serveurs ont
un traitement de nuit qui teste les zones libres, et nous n’avons pas eu
de rapport d’erreurs ce matin. Commence par vérifier ce point s'il te
plait.
De retour à leur bureau, Tony commença la consultation des listings des
différents systèmes et constata immédiatement que certaines analyses
avaient été reprogrammées pour se réaliser qu’une fois par semaine au
- 36 -
lieu d’une fois par jour. Le manque de chance voulut que le fameux
programme qui les intéressait plus particulièrement ne se lançait que le
week-end.
- On a un problème patron… un de plus !
- Qu’y a-t-il encore ? demanda Kevin, qui commençait à perdre son
sang froid !
- La planification du test des zones vides a été modifiée. Elle ne
s’exécute que le week-end, et d’après ce que je vois, le changement ne
date pas d’hier !
Klein se rappela soudainement que le directeur lui avait fait parvenir
une demande à ce sujet, quelques mois auparavant. L’activité de l’agence
étant en pleine augmentation, beaucoup de services devaient travailler
vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour que les plannings de
lancement soient respectés. Par conséquent, il avait imposé à Kevin une
modification des traitements de nuit, pour ne pas pénaliser le travail
nocturne.
- J’avais complètement oublié ça, dit Kevin en se prenant la tête à deux
mains. Le directeur m’avait demandé de réduire la périodicité de
certains traitements de nuit, car ils utilisaient trop de ressources…
Donc, si je comprends bien, la dernière fois qu’il a tourné, c’était
dimanche soir ?
- Exactement ! Et si j’en crois le rapport, il n’y avait aucune erreur, ce
qui veut dire que notre problème c’est produit entre lundi matin et cette
nuit.
- On est jeudi, réfléchit Kevin. Cela signifie que ce virus, car je pense de
plus en plus que c’en est un, a mis moins de trois jours pour se propager
à travers tout le réseau de l’agence malgré nos différents logiciels
antivirus. Mais comment ? Ça, c’est la question ! Viens avec moi dans le
bocal et prend ton portable. J'ai quelque chose à te montrer qui va
pouvoir nous éclairer sur son mode de propagation.
Les deux hommes attrapèrent chacun leur ordinateur portable sous le
bras. Arrivés dans leur bunker rempli de matériels informatiques, ils
installèrent leurs micro-ordinateurs sur une petite table. Au moment où
Tony voulut le connecter au réseau, Kevin l’en empêcha.
- Attends ! Ne le branche pas tout de suite. J’ai quelque chose à te
montrer. Mon portable a été connecté au réseau qu'en WiFi. Je me suis
rendu compte tout à l'heure, juste avant la réunion avec le chef, qu'il
- 37 -
n'était pas contaminé. Est-ce que tu as utilisé une connexion filaire sur
le tien depuis le week-end dernier ?
- Je n'en jurerais pas, reprit Tony qui réfléchissait à voix haute. Lundi, je
l'avais laissé chez moi. Mardi, je me souviens avoir consulté certains
rapports, mais sans le brancher au réseau. Hier, j'avoue ne plus être très
sûr, car je m’en suis servi pour vérifier un transfert de fichiers chez un
sous-traitant. Je me suis forcément connecté au réseau, après en Wifi ou
filaire... je ne sais plus. Et aujourd'hui, je ne l’ai pas encore allumé !
- Le seul moyen pour en être sûr, c'est de lancer le programme que j'ai
mis sur ce CD-ROM, lui dit Kevin. Essaie-le ! Pendant ce temps, je vais
commencer la préparation des différents tests qu'on va devoir réaliser.
Alors que Tony exécutait le fameux programme de vérification des
zones vierges sur son disque dur, Kevin revenait au bocal avec trois
ordinateurs neufs qui devaient être installés dans le courant de la
semaine, en remplacement de vieux terminaux. Lorsque le logiciel
renvoya la confirmation que son portable était sain, celui-ci montra le
résultat à son supérieur avec une pointe de fierté !
- Très bien, lui lança Kevin. Maintenant, branche-le sur le réseau filaire,
fais un tour sur ta messagerie par exemple et relance le programme de
test.
Aussitôt dit, aussitôt fait ! Tony connecta son ordinateur avec le câble
adéquat. Rien de remarquable ne se passa ou ne se fit entendre, ni à
l'écran, ni au niveau des accès au disque dur. Tony relança le test. Il
constata avec stupeur que son appareil était désormais infecté, tout
comme le reste des ordinateurs de la NASA.
- C'est incroyable, dit-il, surpris par le résultat pour le moins surprenant.
Vous avez vu patron ! Je viens tout juste de le connecter au réseau et le
virus est déjà passé ! Comment est-ce possible un truc pareil ?
- Oui, c'est vraiment très fort, reprit Kevin ! Ça confirme bien ce que je
craignais et ce n'est pas très rassurant pour la suite des évènements ! Il
faut qu'on en ait le cœur net. J'ai ramené trois machines neuves. La
première est préparée avec la panoplie standard de logiciels qu'on
installe habituellement. La seconde n'a pas encore de système
d'exploitation. Pour la troisième, je viens de lui mettre un bon vieux
MS-DOS qui doit dater d'une vingtaine d'années... Branche la première
sur le réseau et fait à nouveau le test. Moi je m'occupe des deux autres.
- 38 -
Quelques minutes plus tard, le verdict s'avéra tout aussi fatidique. Les
trois ordinateurs venaient d’être contaminés dès leur connexion au
réseau.
- Et bien là, pensa tout haut Tony, on est vraiment mal barré !
- Tu imagines la puissance de ce truc, dit Kevin. Un virus capable de se
propager sans avoir besoin d'un logiciel particulier ni même de système
d'exploitation... il prit une grande inspiration avant d’ajouter « c'est
incroyable un truc pareil ». Le type qui a programmé ça a des années
d'avance sur la technologie actuelle, c'est... les mots lui manquaient...
cela semble impossible et pourtant on vient d'en avoir la preuve sous les
yeux !
Les deux hommes, tellement impressionnés par ce qu'ils venaient de
découvrir, se laissèrent tomber chacun sur une chaise, pour tenter de
digérer une telle information.
- Maintenant que l'on connaît le potentiel de ce virus, pensa Kevin, il
faut qu'on s'assure de l'étendue de l'infection. Tony, tu vas avoir le droit
d'aller te promener cet après-midi. Fais le tour de plusieurs cybercafés
de la ville et quelques magasins de vente de matériels pour voir si nous
sommes les seuls à avoir attrapé ce virus. Pendant ce temps, je vais
prendre contact avec d'autres administrations pour essayer de jauger le
terrain.
- OK patron ! Je vous appelle dès que j'ai réussi à faire quelques tests.
- Tony ! héla Kevin au moment où ce dernier allait sortir de la pièce. Tu
nous joues ça le plus discrètement possible et n'en profites pas pour
draguer les petites minettes ! J'ai besoin de toi ici au plus vite !
- Patron, vous me connaissez depuis le temps, reprit Tony avec un oeil
malicieux. Le boulot passe avant tout le reste !
Les deux hommes se séparèrent à l'heure du déjeuner. C'était le meilleur
moment pour que Tony puisse faire quelques tests incognito, parmi la
foule d'étudiants qui venaient régulièrement squatter les ordinateurs des
cybercafés pour jouer en réseau ou tout simplement consulter leur
messagerie. Après être passé chez lui pour se changer et se fondre dans
la masse des jeans-tee-shirts qui fréquentaient ce genre d'endroit, Tony
avait eu la désagréable surprise de voir que son ordinateur personnel
était lui aussi infecté. Il eut rapidement un mauvais pressentiment à
l’encontre de toute cette histoire. Après avoir écumé plusieurs lieux bien
connus des moins de vingt-cinq ans, bu quelques cafés avec des
- 39 -
universitaires, récupéré quelques numéros de téléphone de jolies
étudiantes et réalisé ces fameux tests, il en conclut que l'ensemble du
réseau était touché par le phénomène.
Kevin, de son côté, n'avait pas chômé non plus. Même si le principe de
précaution était toujours d'actualité, il avait contacté plusieurs personnes
qu'il connaissait de longue date, dont une ancienne collègue qui
travaillait désormais pour la NSA. Ce professeur d'université l'avait aidé
pour son retour à la vie civile après son incarcération. Il appela
également quelques autres amis évoluant aussi bien dans des entreprises
privées que dans d’autres administrations. En pleine réflexion, il fut
ramené à la réalité lorsque son téléphone portable sonna.
- Patron, c'est Tony !
- Quoi de neuf de ton côté, demanda-t-il tout en doutant de la réponse
de son collègue ?
- Ce n'est pas bon, pas bon du tout ! Tous les endroits de la ville que j'ai
testés sont infectés, à l'exception des ordinateurs qui ont des
connexions sans fil.
- Même résultat de mon côté, reprit Kevin. Je ne sais vraiment pas
comment on va pouvoir se débarrasser de ce problème étant donné
l'ampleur du phénomène. Je vais aller avertir le directeur et en attendant,
reviens ici au plus vite.
- OK ! J'arrive.
Klein, en se rendant à nouveau au bureau de Jack Johnson, essayait de
cacher son anxiété, mais il était évident pour tous ceux qui le
connaissaient bien qu'il n'était pas dans son assiette. Habituellement
assez détendu avec le personnel du centre, il traversa les couloirs sans
un mot, la tête basse à ruminer ce qu'il allait dire à son supérieur. En
l'apercevant, la secrétaire du directeur le regarda d'un air inquiet et lui
proposa d'entrer sans attendre. Deux visites dans la même journée, il se
passait quelque chose, car ce n'était jamais arrivé auparavant. Kevin
avança finalement d’un pas assuré. Il n’avait pas le temps de tourner
autour du pot, son temps était précieux. Il fallait agir très vite dans la
prise de décision sur la façon de gérer un tel problème. En détaillant les
tests réalisés et les différentes conclusions qu'il en avait tirées, il sentit le
directeur se raidir, son visage vira de l’exaspération à l'inquiétude en
quelques secondes. Lorsque Kevin Klein eut fini son exposé des faits,
Jack Johnson se leva de son piège de ministre pour faire quelques pas, le
- 40 -
regard absent, emporté vers les nuages au travers de la fenêtre. Après
une bonne minute de réflexion, il énonça à son expert en sécurité la
marche à suivre.
- D'après ce que vous m'avez dit, on ne sait toujours pas quelle est la
finalité de ce virus, par contre sa propagation est extraordinairement
rapide et efficace, et contourne tous les moyens de sécurité existants...
C'est trop gros Kevin, même pour nous. Il faut qu'on prévienne le FBI
pour qu'ils ouvrent une enquête et mettent les meilleurs spécialistes sur
l’affaire. Je vais m'en occuper. En attendant, essayez d’analyser ces
données pour tenter de trouver une quelconque information pouvant
nous aider à comprendre d'où il vient, et quel est son objectif.
- Comme bon vous plaira monsieur, dit Kevin pas vraiment à l'aise à
l'idée d'avoir à faire une nouvelle fois avec les autorités fédérales.
Laissez-moi simplement vous rappeler que la discrétion est primordiale
dans ce genre d'affaires, pour réussir à remonter jusqu'à l'auteur de ce
virus. Je ne voudrais pas que le FBI ameute la cavalerie avant qu'on ait
eu une chance d'éradiquer cette saloperie.
- Ne vous inquiétez pas, lui lança le directeur Johnson, j'ai gardé de
bonnes relations avec le responsable du comté. Je suis sûr qu'ils vont
nous envoyer leurs meilleurs agents.
En pestant intérieurement, Kevin retourna à son bureau où devait
l'attendre Tony. Il doutait que le directeur lui fasse entièrement
confiance. Penser que le FBI était plus à même que lui pour résoudre ce
problème n’était pas de très bon augure. C'en était même insensé, tout
compte fait ! Son statut d’expert venait de subir un revers inconcevable
qui le mettait dans un état de stress qu'il n'avait plus connu depuis bien
des années.
CHAPITRE 10
Dans son bureau mal éclairé, l'agent spécial Sarah Spader remplissait
depuis le début de matinée une série de rapports d'enquêtes traitant de
divers vols de matériels informatiques. Cela faisait deux ans qu'elle était
entrée au FBI et durant ces longs mois, elle n’avait jamais eu
l’opportunité d’enquêter sur un dossier important. Les affaires de
premier plan étaient continuellement données à ses collègues masculins,
certes plus expérimentés, mais tout de même. Elle avait l'impression
- 41 -
d'hériter des chiens écrasés et tout ce qui avait peu d’intérêt. Lorsque
son téléphone sonna et qu'elle constata sur le cadran que l'appel venait
de son supérieur, elle décrocha aussitôt.
- Spader !
- Sarah, j'ai une enquête à te confier.
Elle laissa volontairement un silence s’installer.
- Il faut que tu prennes contact avec le directeur de la NASA. Il s’agit de
Jack Johnson, continua son chef après s’être demandé si elle était
toujours en ligne. Il a un problème qui mérite toute notre attention. Je
n'ai pas de précision, mais je le connais depuis longtemps et je peux
t'assurer qu'il ne me contacte jamais pour une broutille.
- C'est un ami, demanda Sarah ?
- De longue date, oui !
- Très bien, je l'appelle tout de suite.
Il lui transmit ses coordonnées et lui spécifia de le tenir au courant de
l’avancement des choses. Sarah avait une sainte horreur des enquêtes de
copinage. Même pour faire plaisir à une relation personnelle, on ne
pouvait pas déranger des agents spéciaux chargés d'affaires bien plus
sérieuses. Cependant, si son chef lui demandait de s'en occuper, il avait
sûrement une bonne raison et elle espérait secrètement enfin tomber sur
quelque chose d’un peu plus intéressant que tout ce qu'elle avait eu à
traiter jusqu'ici. Si elle réussissait à mener à bien ce qui semblait être,
avant tout, un service de son supérieur à un ami plutôt qu'une véritable
investigation, ça lui donnerait des arguments supplémentaires lors des
prochaines missions. Elle composa le numéro de son interlocuteur et
après quelques secondes de musique d'attente, la secrétaire du directeur
de la NASA décrocha.
- Bureau du directeur Johnson, que puis-je pour vous ?
- Bonjour, ici l'agent spécial Spader du bureau du FBI. Puis-je avoir
monsieur Johnson s'il vous plaît ?
- C'est à quel sujet ?
- Pour affaire personnelle, reprit Sarah un rien énervée par le ton
condescendant de cette secrétaire un peu trop zélée à son goût.
- Veuillez patienter !
Quelques instants plus tard, après avoir eu droit à un fameux boléro de
Ravel d’une qualité exécrable, la communication émit un claquement
suivi d’un petit bip et quelqu'un parla.
- 42 -
- Ici Jack Johnson, à qui ai-je l'honneur ?
- Agent spécial Sarah Spader du bureau de FBI de Houston. Monsieur
Fitzgerald m'a demandé de vous contacter...
- Agent Spader, vous avez fait vite ! renchérit le directeur Johnson. J'ai
un problème qui mérite toute votre attention.
- Je vous écoute, Monsieur, reprit poliment Sarah qui souhaitait
également qu'on en vienne au fait le plus rapidement possible.
- Et bien, c'est techniquement assez compliqué à expliquer, mais pour
faire simple, nous avons constaté que la majorité de nos ordinateurs ici
à la Nasa ont été infectés par ce qui semble être un virus d'une toute
nouvelle génération. Il se propage sur tous types de machines. À l'heure
actuelle, nous ne savons pas encore quel est le but de ce virus, si ce n'est
de se multiplier à une vitesse peu commune. De plus, nous avons
remarqué après une enquête rapide qu'un nombre conséquent de villes
américaines sont touchées par ce problème. Cela ne m’étonnerait pas
que votre infrastructure soit également contaminée.
- Excusez-moi de vous couper, Monsieur Johnson, reprit Sarah, mais si
nous avions été infectés, nos différents services de sécurité
informatiques l'auraient vu !
- N'en croyez rien, car si nous n'avions pas un système de contrôle très
pointu, nous n'aurions rien détecté nous non plus ! D'ailleurs, c'est très
récent. Mon expert m'a affirmé que l'infection est apparue entre lundi
matin et cette nuit.
Sarah laissa passer quelques secondes de silence, pour analyser ces
informations et prendre la meilleure décision.
- Je pense qu'il serait souhaitable qu'on se rencontre pour que vous
m'expliquiez plus précisément le problème. Mieux que cela, avez-vous la
possibilité de me montrer ce que vous avez constaté ?
- Le plus tôt sera le mieux, car dans l'état actuel des choses, je suis dans
l’incapacité de déterminer avec précision les implications concernant le
lancement de la prochaine navette. Je demanderai à mon expert
informatique de vous expliquer tout ça.
- Je vais m'arranger avec monsieur Fitzgerald pour qu'il me libère des
enquêtes en cours et passer en fin d'après-midi.
- Ce sera parfait, reprit Jack Johnson soulagé que sa demande soit traitée
en priorité. Merci agent Spader.
- 43 -
Tout en réécoutant l'appel que Sarah avait enregistré, une habitude
qu'elle avait prise pour éviter tout conflit ou mauvaise interprétation,
elle n'en croyait toujours pas ses oreilles. Ce directeur était bien sûr de
lui en disant que le FBI était probablement infecté par ce virus.
Comment pouvait-il oser annoncer de telles choses alors qu'il ne
connaissait sûrement pas l'architecture ultra sécurisée que le bureau
fédéral avait mise en place. Elle qui travaillait régulièrement avec les
experts que le FBI avait recrutés, ou certains consultants extérieurs,
savait qu’ils étaient tous d'accord pour dire que la sécurisation du réseau
de l'agence était ce qu'il y avait de plus pointu dans le domaine.
Cependant, un point restait à éclaircir : si la NASA avait fait sa propre
enquête auprès d'autres instituts américains, et que ceux-ci avaient
réellement détecté la présence du même symptôme, il fallait approfondir
le sujet sans tarder. Une ultime question lui traversa l’esprit : comment
avait-il pu se propager aussi vite sans que personne ne s’en aperçoive.
Malgré ses connaissances limitées en informatique, cela lui paraissait
parfaitement impossible. Elle n'avait jamais entendu parler ou lu un
rapport montrant une telle vitesse de propagation. « Le mieux pour
l'instant, c'est de rencontrer ces individus et d’écouter ce qu'ils ont à
raconter », pensa-t-elle.
En se dirigeant vers le bureau de son supérieur, Sarah se demandait si
son vœu avait finalement été exaucé plus vite que prévu. Cette affaire
pouvait déboucher sur la plus grande attaque virale jamais rencontrée
dans le monde informatique, comme elle pouvait faire chou blanc si
c’était une blague d’étudiants en mal de reconnaissance. C’était quitte ou
double.
- Francis ! appela-t-elle en frappant à la porte entre-ouverte ?
En se retournant sur son siège, son téléphone portable collé à l'oreille
gauche, le directeur du bureau fédéral de Houston lui fit un signe de tête
lui proposant d'entrer. Après avoir lâché quelques « oui », « non » et
trois ou quatre « mmmh ! », ce dernier raccrocha et lui suggéra de
s’assoir sur une chaise libre. Sarah obéit et commença à détailler son
entretien téléphonique. Francis Fitzgerald fut soudainement inquiet par
l'ampleur que cette affaire risquait de prendre. Il hésita un instant à
laisser l'agent Spader sur le coup. Mais, comme elle semblait avoir eu un
bon contact avec son ami, pourquoi ne pas lui permettre d’aller au bout
de ses investigations. De toute façon, il pourrait toujours lui adjoindre
- 44 -
d'autres éléments si cela devenait utile. Il finit par l’autoriser à suspendre
ses affaires courantes pour se pencher en priorité sur celle-ci.
CHAPITRE 11
Dans leur bureau, Kevin et Tony s’activaient comme des damnés pour
effectuer le plus de tests et d’analyse possible. Le directeur de la NASA
leur avait donné deux heures pour définir un protocole d’éradication de
ce virus. S’ils réussissaient à contrer le problème et remettre en service
les différents serveurs du centre, le blocage de l’activité serait réduit à un
minimum acceptable, ce qui leur laisserait le temps de purifier tout le
reste du réseau ultérieurement. Dans le cas contraire, ils seraient
contraints de décaler les futures missions, ce qui risquait d’engendrer
une perte financière colossale. À terme, le risque de perdre une partie
des contrats en cours n’était pas à prendre à la légère, même pendant
cette période faste. Les Russes et les Chinois n’attendaient que ce type
d’évènement pour montrer au monde entier qu’ils avaient les épaules
aussi solides que les Américains, et étaient capables d’honorer de tels
contrats. Le directeur Johnson en avait pleinement conscience et
souhaitait que Kevin Klein soit à la hauteur de la tache qu’on lui avait
assignée.
Dans le bocal, les principaux serveurs du site avaient été déconnectés du
réseau interne pour un rechargement complet des systèmes
d’exploitation. À partir de sources fiables et non infectées, mais surtout
à l’aide d’un matériel de sauvegarde et de restauration optique ultra
performant, la remise en service du cœur informatique de la NASA
n’avait pas été très longue. Moins d’une heure après être sorti du bureau
de Jack Johnson, Kevin Klein avait réussi ce qui pouvait ressembler à
un miracle aux yeux d’un profane en informatique. L’avantage de ce
type d’architecture, totalement isolé du reste du centre spatial, prenait
tout son sens. Il fallait maintenant qu’il trouve le moyen de séparer
quelques machines du réseau global de la NASA, et de les connecter
directement aux serveurs du bocal. Alors qu’il réfléchissait à cette mise
en œuvre, Kevin fut demandé par le directeur Johnson.
- 45 -
En arrivant devant son bureau, il remarqua par la porte
inhabituellement entrouverte que ce dernier était en grande
conversation avec deux personnes. En le voyant apparaître, Jack
Johnson s’interrompit et le présenta aux deux inconnus.
- Agent Spader et Dalton, je vous présente monsieur Klein, notre expert
informatique.
- Enchanté, lui dit la jeune femme en lui tendant la main. Je suis l’agent
spécial Sarah Spader du bureau du FBI et voici l’agent spécial Donald
Dalton.
- Bonjour, reprit Kevin un rien dérouté par la présence de cette
charmante demoiselle, qui ne ressemblait absolument pas aux agents du
gouvernement qu’il avait côtoyés quelques années auparavant.
- Pouvez-vous nous expliquer plus en détails ce qui se passe, Monsieur
Klein, demanda Sarah sans détour ?
- Il serait judicieux que vous alliez dans votre bureau Kevin, annonça le
directeur Johnson. Vous serez plus au calme qu’ici. Je vous laisse entre
ses mains, dit-il à l’intention des deux fédéraux. Revenez me voir avant
de repartir s’il vous plaît.
- Très bien monsieur Johnson, reprit poliment Sarah, merci et à tout à
l’heure.
Kevin fit demi-tour, en indiquant aux deux agents du FBI de le suivre.
Tout en marchant d’un bon pas, il se demandait comment il allait bien
pouvoir expliquer un phénomène aussi technique à des personnes qui
devaient avoir un niveau très limité en informatique. À y réfléchir, il
n’avait d’ailleurs aucune envie de faire un effort particulier, le FBI
pouvait bien lui envoyer des hommes compétents en sécurité
informatique, s’il considérait que le problème était suffisamment
sérieux.
- C’est ici, dit-il en montrant la porte de son bureau où Tony l’attendait
avec impatience.
Il n’avait jamais eu à faire au FBI et cette rencontre avec les autorités
gouvernementales était pour lui une véritable source de curiosité. Les
agents fédéraux étaient-ils aussi spéciaux que le cinéma nous le montrait
à longueur de journée ? Telle était la question…
- Bonjour, leur lança-t-il tout excité ! Je suis Antony Alessandro, le
collègue de monsieur Klein.
- Agent spécial Spader et Dalton, lui répondit Sarah.
- 46 -
Tony remarqua aussitôt que cet agent féminin dégageait une prestance
et un charme qui ne laissait personne insensible. Ces cheveux ondulés
couleur d’ébène lui arrivant au-dessus des épaules gommaient le côté
sérieux que son visage renvoyait. Mais ce qui frappa Tony avant toute
chose, c’était sa bouche. Ses lèvres pulpeuses étaient comme un aimant.
À la première seconde où son regard croisa ce visage, son esprit prit le
dessus et lui montra, en pensée, comment il pourrait l’embrasser
tendrement. Une décharge électrique lui traversa le corps ce qui le
ramena à la réalité instantanément.
- Enchanté, dit Tony après avoir retrouvé son sang-froid partiellement.
- Pouvez-vous nous expliquer ce qui se passe ? reprit Dalton, las de voir
jour après jour comment les hommes semblaient perdre leur moyen en
présence de sa jeune collègue.
En temps normal, il comprenait l’attrait que sa jolie coéquipière
procurait aux hommes. À l’approche de la soixantaine, il considérait
désormais Sarah comme la fille qu’il n’avait jamais eue.
- Et bien, pour être tout à fait honnête, leur lança Kevin toujours aussi
énervé de l’intrusion du FBI dans ses affaires, c’est assez compliqué.
Avez-vous des connaissances sur les systèmes de sauvegardes de
données, et pour être plus précis, sur la manière dont les informations
sont enregistrées sur un support ?
- Monsieur Klein, reprit Sarah pour éviter tout malentendu, nous avons
de bonnes connaissances informatiques, mais pour être honnête à notre
tour, le côté technique de la chose ne nous est pas vraiment familier.
Nous espérons que vous pourrez nous éclairer sur ce point.
Kevin se doutant de recevoir une réponse de ce genre, n’avait pas la
moindre envie de s’abaisser techniquement. Il se lança dans une
explication précise du phénomène constaté, ce qui après quelques
instants, conforta Sarah et Don dans leurs premières impressions : cet
homme-là ne les appréciait pas ! Voyant une tension s’installer entre les
différents protagonistes, Tony vint à la rescousse des agents fédéraux.
- Patron, si vous le permettez, je peux essayer d’éclairer la lanterne de
nos amis qui, semble-t-il, sont légèrement perdus dans ce jargon
technique… sans vouloir vous offenser, ajouta-t-il à l’attention des
fédéraux.
Le regard compatissant envers les deux agents les encouragea à penser
qu’au moins un des deux experts de la NASA était de leur côté, ce qui
pouvait s’avérer précieux le moment opportun.
- 47 -
- Je vous en prie, lui répondit Sarah qui avait bien besoin
d’éclaircissement sur les explications qu’on venait de lui balancer.
- Pour faire une analogie simple, reprit Tony qui voyait en cet instant un
bon moyen de rompre la glace, considérez un disque dur ou tout autre
système de stockage de données comme un immeuble. Cet immeuble
est composé de plusieurs étages, chacun divisé en plusieurs
appartements. Dans chaque appartement, il y a un habitant. Cet
habitant est en quelque sorte notre donnée informatique constituant les
fichiers que nous utilisons tous les jours sur nos ordinateurs.
Maintenant, lorsque nous voulons enregistrer un nouveau fichier, que se
passe-t-il ? Sans contrôle, ce serait un beau merdier si vous me
pardonnez l’expression. Dans notre exemple précis, c’est le gardien de
l’immeuble qui joue ce rôle. Il garde une trace des appartements vides et
de ceux qui sont habités. Dans la réalité, le gardien est ce qu’on appelle
la table d’allocation de fichiers. Grâce à cette table, on sait quels sont les
emplacements libres ou non sur le disque dur.
Kevin, qui voyait l’effort que Tony réalisait pour vulgariser au
maximum son discours, restait assez admiratif. Son jeune camarade de
jeu mettait une vraie volonté pour expliquer aussi clairement que
possible un aspect très technique qu’aucun utilisateur, même éclairé, ne
connaissait. À part les concepteurs travaillant sur les systèmes de
stockage, et un groupe restreint de techniciens spécialisés, personne ne
s’attardait à comprendre le fonctionnement presque mécanique de ces
appareils.
- Le problème que nous avons rencontré, reprit Tony, est situé sur les
zones libres des disques durs. Cela remonte au début de l’informatique.
Pour gagner du temps au niveau des accès en lecture-écriture, qui
étaient à cette époque extrêmement lente, la suppression d’un fichier
était en réalité une simple modification de la table d’allocation. Pour
revenir à notre analogie, c’est comme si vous disiez à notre gardien
d’immeuble que l’habitant de l’appartement X de l’étage Y n’était plus
là. Il mettrait à jour sa liste sans forcément vérifier si les lieux étaient
réellement désertés. Ce système de gestion existe toujours et pose
depuis de nombreuses années de véritables problèmes de sécurité.
- En effet, lança Kevin qui ne voulait pas rester de côté trop longtemps.
Il est impératif qu’un fichier que l’on supprime le soit physiquement.
Dans la pratique, les données ne sont plus accessibles directement, mais
- 48 -
avec un programme spécifique, il est tout à fait possible de les
récupérer. C’est d’ailleurs ce que fait une vieille commande MS-DOS
appelée UNFORMAT. Elle rétablit le lien entre les fichiers d’un disque
dur reformaté et la table d’allocation, permettant ainsi de recouvrer vos
informations comme si de rien n’était. Dans notre cas précis, nous
avons installé un programme réalisant un effacement physique des
données lorsqu’un fichier est supprimé par un utilisateur. De la même
façon, chaque fois que nous ajoutons un disque sur un serveur, il est
physiquement vierge de toute donnée.
- Merci pour cette leçon technique fort intéressante, reprit Sarah un rien
désabusée par ce qu’on venait de lui enseigner malgré elle, mais quel est
le rapport avec votre virus ?
- J’y arrive, dit Kevin d’un regard sombre qui masquait à peine son
agacement. Tout d’abord, il ne s’agit pas de « notre » virus, mais « d’un »
virus que nous avons effectivement découvert ! Ce que nous avons
constaté, c’est que toutes les zones vierges de tous les systèmes de
stockage du centre ne sont plus vides ! Nous avons remarqué ce matin
que nos disques durs étaient remplis d’une multitude de données
incompréhensibles.
- Et vous pensez que c’est un virus qui a fait ça ? demanda Dalton qui
avait lâché le fil de la conversation depuis longtemps.
- A priori, ça ne ressemble pas à un virus classique, leur annonça Tony,
heureux de revenir dans l’arène. Ceux que nous rencontrons
habituellement sont des programmes ou simplement des fichiers qui
s’exécutent sur un système ou au travers d’un logiciel bien précis. Je ne
vous apprendrais rien en vous parlant des nombreux virus qui se
propagent par les logiciels de messagerie, ou ceux qui s’appuient sur des
failles de sécurité de logiciels ou d’un environnement. Ici, nous avons
constaté lors de nos premiers tests, que ce virus, si c’en est un, est
parfaitement autonome. Il n’a besoin ni de système, ni de logiciel. Un
simple disque vierge ou même une clé USB suffit à sa propagation. En
fait, à partir du moment où nous avons un lien physique avec un
ordinateur infecté via le réseau par exemple, il se propage.
L’homme arriva à l’entrée de sa propriété, au volant du camion-citerne
qu’il avait récupéré quelques minutes plus tôt. Son allure était nettement
plus modeste qu’avec sa jeep tout terrain. La route étant assez étroite
par endroits, il prenait le maximum de précaution pour ne pas décapiter
- 49 -
un des deux rétroviseurs de l’engin contre un tronc d’arbre. En
s’approchant de son chalet, il jeta un rapide coup d’œil aux alentours et
ne vit rien d’anormal. Le chemin de terre, qui semblait s’arrêter au
niveau de la porte d’entrée, continuait à droite pour disparaitre dans une
longue pente descendante jusqu’en bordure de forêt, masquant une
falaise rocheuse. L’homme stoppa le camion en bout de piste où une
cabane était plantée. Le temps avait fait son œuvre et c’est avec
délicatesse qu’il ouvrit la porte à moitié délabrée. À l’intérieur du bâti,
un véritable capharnaüm de vieux outils, de bidons de peinture rouillés
et bien d’autres pièces détachées de plomberie et de menuiserie qui
n’avaient plus servi depuis des années, se présentait à lui. Seul le milieu
de la pièce restait dégagé. En s’approchant du côté droit, l’homme tira
sur une poignée qui libéra un accès au fond de la cabane. Laissant
apparaître un embout d’un tuyau provenant du sol, il dévissa le bouton
protecteur et retourna au véhicule. Se munissant de la tuyauterie
installée sur l’arrière de la citerne, il relia l’embouchure plastique sortant
de la trappe au système de pompage du camion. Il abaissa un levier pour
lancer le transfert du liquide visqueux dans sa réserve souterraine. Après
plusieurs minutes d’attente, il rangea tout le matériel, remonta dans
l’engin afin de le rapporter à la station et récupérer sa jeep. Il avait
désormais un mois d’autonomie en fuel.
CHAPITRE 12
Le rapport que venaient de leur faire les deux experts informatiques de
la NASA n’avait pas complètement convaincu Dalton, qui ne voyait en
cela qu’une perte de temps. Si ce « virus » n’en était pas réellement un,
pourquoi les avait-on appelés pour enquêter. En se tournant vers Sarah
qui semblait analyser intérieurement les informations qu’on lui avait
présentées, il lui adressa un léger signe de tête qu’elle comprit
parfaitement. Il lui paraissait évident que Don voulait abréger cette
enquête au plus vite, et retourner à des affaires autrement plus
importantes. Pourtant, une chose la chagrinait plus que tout : son
supérieur ! Pourquoi diable lui avait-il demandé de s’occuper de cette
affaire en urgence, alors que les explications qu’on venait de leur donner
n’étaient pas particulièrement convaincantes.
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- Qu’est ce que vous en pensez ? demanda Sarah aux deux
informaticiens.
- Pour être tout à fait honnête, reprit Kevin, quel que soit ce
phénomène que je continue de considérer comme un virus tant que je
n’ai pas la preuve du contraire, sa programmation a des années d’avance
sur tout ce qu’on connaît dans ce domaine. Celui qui a développé ce
code est un génie de l’informatique.
- C’est une bonne nouvelle, lança Dalton qui voyait enfin une piste de
départ. Cela veut dire que les suspects vont se compter sur les doigts
d’une main ! Est-ce que je me trompe ?
- En effet ! pensa Kevin tout haut.
- Nous allons orienter nos recherches de ce côté-là dans un premier
temps, ajouta Sarah. Je vous remercie pour vos explications et votre
temps. Nous vous recontacterons si besoin.
Kevin leur fit un signe de tête aimable, tout en sachant que cette
rencontre était totalement inutile. Il était fort improbable que ces deux
agents aussi inexpérimentés en informatique lui résolvent son problème.
Tony leur serra la main en les assurant de sa sympathie, et en espérant
secrètement revoir rapidement la charmante Sarah Spader. Les fédéraux
firent un détour par le bureau du directeur Johnson comme promis,
puis quittèrent le complexe de la NASA pour rentrer faire leur rapport à
leur supérieur. Pendant le trajet, Sarah restait silencieuse, chose
inhabituelle chez elle dans de telles circonstances. D’ordinaire, elle
aimait réfléchir tout haut, partager des idées avec son collègue, qui avait
une approche bien différente vu son ancienneté. Cette fois-ci, il y avait
beaucoup trop d’inconnus, à commencer par le fait qu’elle ne
comprenait toujours pas pourquoi son patron lui avait demandé de
s’occuper de cette affaire en priorité. Ce n’est qu’après de longues
minutes qu’elle rompit le silence.
- Quelque chose ne colle pas ! Si je résume rapidement la situation, on a
donc un virus informatique qui n’en ait peut-être pas un, selon ce
charmant monsieur Klein, dit-elle sur un ton ironique. De plus, le chef
est très pressé qu’on clôture cette enquête…
- Un peu trop à mon goût, reprit Dalton qui était pleinement d’accord
avec Sarah sur ce point. Jamais en trente ans de carrière on ne m’a
demandé de lâcher toutes mes affaires en cours pour une histoire aussi
ridicule. Je ne sais pas quels sont les intérêts de la maison dans cette
- 51 -
histoire, mais ça sent les dessous de table et autres profits personnels à
plein nez.
- Je n’irais pas jusque-là, songea Sarah tout haut. Je reste tout de même
intriguée par le fait que ce monsieur Klein nous a lancés sur la piste du
« génie de l’informatique ». Dès qu’on arrive, je vais faire quelques
recherches sur cet homme et j’ai l’impression qu’on risque d’avoir des
surprises !
- En tout cas, le jeunot en pince pour toi, lui lança Dalton, un large
sourire aux lèvres. Ça peut servir plus tard !
- Ne raconte pas d’idiotie Don, souffla Sarah les joues rougissantes.
- Je rêve !!! Il te plaît ma parole, reprit-il en la regardant de côté. Tu me
diras, il n’y a pas de mal à ça, c’est un gamin assez bien fichu… enfin, je
dis ça… je suppose qu’il doit plaire aux filles !
- Bon, ça va maintenant. On peut revenir à notre sujet !
- Ah ! Tu sais bien que je suis un vieux con, continua-t-il en voyant que
le terrain devenait miné et qu’il ne devait pas trop lourdement insister.
De toute façon, ces deux zouaves sont les suspects numéros un à mes
yeux ! Qui aurait le plus de facilité à faire ce genre de virus si ce n’est un
expert informatique ? Il va falloir qu’on regarde si l’un des deux n’aurait
pas des problèmes financiers, ou des contacts avec des entreprises
concurrentes.
- De mon côté, je vais consulter les fichiers sur les petits génies de
l’informatique et autres pirates de haut vol connus de nos services. Qui
sait où ça peut nous mener…
- Charmante, l’agent Spader, fit remarquer Tony à son chef.
- Les fédéraux et moi ne sommes pas vraiment copains, lui répondit
Kevin, même si intérieurement, une petite voix lui disait que cette fois la
tendance pouvait s’inverser. De toute façon, il ne faut pas compter sur
eux pour résoudre notre problème. Tu as vu le niveau qu’ils ont en
informatique ? Je suis sûr qu’ils pensent encore que le lecteur de DVD
est un porte-gobelet, ironisa-t-il !
- Oui… effectivement, ce ne sont pas des experts, mais ils ont
probablement d’autres qualités qui peuvent être grandement utiles !
- En attendant, nous avons intérêt à remettre en service le plus grand
nombre de machines avant que le directeur nous tombe dessus.
D’ailleurs, ça m’étonne qu’il ne soit pas déjà venu nous voir, pensa
Kevin à haute voix.
- 52 -
Du côté de la Suisse, l’homme qui se faisait appeler Henri Durand
revenait de sa tournée. Le plein de fuel était fait, il avait acheté quelques
outillages qui lui faisaient défaut, et il s’était arrêté dans une épicerie
pour récupérer quelques provisions. N’ayant pas l’électricité dans son
chalet, il devait se contenter de produits non périssables nécessaires en
cas d’urgence. Il avait l’habitude de prendre ses repas dans un petit
restaurant tout proche de son domaine, mais comme une tempête
subite pouvait l’isoler quelques heures, il avait toujours de quoi
subsister. Henri vivait seul depuis une dizaine d’années, non pas que ce
choix soit délibéré, mais simplement parce que la vie ne lui avait pas
laissé d’autre alternative. Il passait la plupart de son temps en voyage
aux quatre coins du monde pour le compte de la fondation qu’il avait
créée. Il revendiquait haut et fort un retour aux sources, en bannissant
au maximum la technologie moderne qu’il jugeait inutile. Lui qui avait
été un brillant ingénieur en informatique, à l’origine d’un réseau militaire
et universitaire qui allait devenir l’internet d’aujourd’hui, avait exécuté
un remarquable changement de cap avec cette organisation. Désormais
président d’honneur de la très médiatique fondation « Avenir Propre »,
il devait retourner aux États-Unis le lendemain matin pour une
conférence très importante sur le réchauffement de planète.
De retour dans leur bureau au siège du FBI, Sarah fit un compte rendu
rapide à son supérieur et commença à pianoter sur son ordinateur pour
rechercher les principaux pirates informatiques recensés dans leur base
de données. Très rapidement, une liste d’une centaine de noms apparut.
Après avoir ajouté quelques filtres sur sa recherche pour ôter les
hommes décédés, ceux incarcérés ou en cour de jugement et celui
interné pour paranoïa, elle était descendue à une soixantaine d’individus.
En scrutant plus attentivement les fiches signalétiques de chaque
personne, elle eut la surprise de retrouver son interlocuteur de la NASA,
l’ingénieur en chef Kevin Klein. Très intriguée de voir son nom sur
cette liste de pirates informatiques tous plus ou moins recherchés, Sarah
se demanda pour quelles raisons il pouvait bien être fiché dans leur
base. En lisant rapidement son curriculum vitae, elle comprit
immédiatement que l’honnête citoyen qu’elle pensait avoir rencontré
quelques heures auparavant n’avait rien d’un ange. Son lourd passé se
révélait à elle, en lui faisant prendre conscience que son contact avait
bien caché son jeu et le mettait en position de suspect numéro un. Son
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profil atypique, associé à une rancœur envers les autorités, était un
véritable mobile à ces yeux. Sarah poursuivit l’examen de son listing
attentivement, puis finit par réduire le nombre à moins de dix
personnes. Il y avait parmi eux un étudiant chinois qui avait infesté les
messageries du monde entier en quelques jours, avec un virus qui aurait
pu être dévastateur si l’alerte n’avait pas été donnée suffisamment tôt.
On retrouvait également un ancien programmeur de la NSA qui avait
été licencié pour faute grave et était depuis lors fiché comme un
individu potentiellement dangereux. Sarah remarqua un homme sans
passé notable qui s’était fait connaître des autorités lors d’une affaire de
vols industriels que le FBI avait eu à traiter. Puis, elle découvrit les
noms familiers de deux fondateurs de la plus grosse compagnie de
software du monde. Ces derniers étaient sans aucun doute hors de
cause. Cependant, leurs statuts particuliers les mettant en tête de liste vu
les connaissances extraordinaires qu’ils avaient dans ce domaine. Le
dernier client était un illuminé qui avait fondé un groupuscule
anarchiste. Il prônait le chaos le plus total. Les compétences de ce
groupe semblaient assez limitées, mais Sarah classa leur fiche en haut de
sa pile. Au total, Sarah avait sept personnes potentiellement susceptibles
d’avoir commandité ou réalisé cette attaque virale.
Prenant son dossier sous bras, elle se dirigea vers le bureau de son
camarade de jeu. Don n’avait pas perdu son temps, même si les
recherches qu’il avait effectuées sur Kevin Klein et Anthony Alessandro
n’avaient pas été à la hauteur de ces espérances. Le jeune Tony était
blanc comme neige. Il n’avait pas de casier judiciaire, pas la moindre
infraction ni contravention. Ce gamin était un saint pour les autorités.
Les premiers résultats montraient qu’il avait un train de vie en parfaite
adéquation avec son salaire, qu’il fréquentait un club nautique depuis
des années. Il avait presque failli être sélectionné pour les Jeux
olympiques comme nageur. L’équipe étant très compétitive cette annéelà, il s’était contenté d’une place de remplaçant. Il était locataire d’un
petit appartement dans un quartier calme. Son seul luxe apparent était
un cabriolet flambant neuf de la marque Corvette. Il venait de se l’offrir
quelques semaines plus tôt. Le dossier de Kevin Klein avait été, quant à
lui, nettement plus intéressant. Il retraçait pratiquement toute sa carrière
de pirate informatique et tout ce qu’il avait fait après son incarcération.
Par contre, il manquait toute une période classée top secret. Don n’avait
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pas un niveau d’accréditation suffisant pour accéder à ses informations,
mais il était persuadé que son supérieur pourrait lui ouvrir toutes les
portes. Voyant arriver Sarah, un dossier sous le bras, il prit ses notes
ainsi que plusieurs documents qu’il venait d’imprimer.
- Qu’est ce que ça donne de ton côté ? demanda Don.
- J’ai quelques pistes à creuser, répondit Sarah, mais il y a un candidat
qui m’intéresse plus particulièrement. Il s’agit d’un certain « Federico
Fernandez », qui se fait également appelé Roswell. Le type se prend
pour le descendant d’un extra-terrestre.
- Du côté de la NASA, les deux informaticiens sont relativement
propres, mais il me manque une dizaine d’années de la vie de ce cher
monsieur Klein. Son dossier est classé et je n’ai pas les autorisations
pour y accéder. À mon avis, il a bossé pour la CIA ou quelques choses
de ce genre.
- Allons voir ce que le chef en pense, reprit finalement Sarah.
Leur visite au bureau de Francis Fitzgerald coupa court après deux
minutes. Ce dernier venait d’avoir un appel urgent qui l’obligeait à
s’absenter quelques heures.
- Laissez-moi votre rapport, lança-t-il aux deux agents. J’y jetterais un
œil dès mon retour.
De plus en plus perplexes, Sarah et Don ne savaient vraiment plus à
quels saints se vouer. L’enquête semblait être très importante dans un
premier temps, puis le directeur les laissait en plan sans autre forme de
procès, sans justification ni même un semblant d’explication.
- C’est bien joli tout ça, mais on fait quoi maintenant ? s’interrogea Don.
- On va taper notre rapport et ensuite on verra ce que le chef pense de
tout ça ! En tout cas, cette affaire prend une drôle de tournure, ajouta-telle. Quelle mouche a bien pu le piquer pour qu’il parte aussi vite ?
- Je ne sais pas, mais je déteste quand il fait ça et nous laisse comme
deux ronds de flan !!! On tape ce foutu rapport en vitesse pour aller
boire une bière. On a assez trimé pour aujourd’hui !
- Pas ce soir, Don. J’ai déjà quelque chose de prévu.
Donald Dalton passa l’heure suivante à questionner Sarah sur cette soidisant « chose de prévue », sans résultat. Elle ne tenait pas à entendre les
railleries de son collègue, parce qu’elle avait un rendez-vous arrangé par
sa sœur qui désespérait de la voir seule à longueur d’année. Sarah avait
pourtant refusé, mais elle avait fini par capituler, par charité chrétienne !
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Une simple sortie dans un troquet du coin lui avait-elle dit, prendre un
verre et jouer au billard, c’était tout ce qu’elle lui demandait. La soirée
approchant, Sarah traînait des pieds jusqu’au moment où elle sentit que
ça ne serait pas correct de sa part de poser un lapin à ce « nouvel ami ».
À l’instant précis où elle franchissait la porte de son bureau, son
téléphone portable sonna.
- Sarah !!!! Qu'est-ce que tu fais ? On t’attend depuis une heure, lui lança
sa sœur sur le ton de la colère. Tu m’avais promis de venir.
- J’arrive ! Ne t’énerve pas et commencez sans moi !
La soirée se passa gentiment. Sarah rentra chez elle, seule. Son chevalier
servant n’ayant pas été à la hauteur de ses espérances, une fois de
plus…
CHAPITRE 13
Les premiers rayons de soleil apparaissaient timidement sur un lac
Léman, recouvert d’une fine brume matinale. Henri Durand finissait ses
valises pour se rendre à l’aéroport. Son avion pour Washington décollait
de très bonne heure et devait lui permettre, grâce au décalage horaire,
d’arriver en milieu d’après-midi pour préparer la conférence prévue le
soir même. En fermant la porte de son chalet à clé, il pianota sur son
téléphone portable une série de touches, puis attendit qu’un signal de
confirmation s’affiche sur l’écran. Il pouvait partir sereinement, ses
systèmes de surveillance étaient opérationnels. Il chargea ses bagages
dans sa jeep, démarra le moteur et s’engagea tranquillement sur le
chemin qui rejoignait la route vers l’aéroport de Lausanne, qu’il
connaissait par cœur. Il faisait ce trajet toutes les semaines depuis
plusieurs années.
Son vol ne fut pas trop désagréable, mais il avait hâte d’arriver à son
hôtel pour pouvoir se rafraîchir. Une limousine l’attendait à son
atterrissage, comme c’était le cas chaque fois qu’il se déplaçait. Sa
fondation ne lésinait pas sur les moyens, un chauffeur était toujours à sa
disposition, des réservations à son nom étaient effectuées dans les
établissements de charme. Ses voyages étaient réglés comme du papier à
musique. Sa secrétaire personnelle lui programmait ses déplacements
dans les meilleures conditions, sans aucune fausse note. Bien que
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réfractaire à la technologie, elle savait que son patron appréciait les
petites attentions qu’elle lui témoignait. Il préférait les hôtels de
caractères aux chaînes d’hôtellerie luxueuse, mais ne rechignait pas sur
la limousine confortable…
Sa fondation comptait une poignée d’investisseurs qui croyaient dur
comme fer que la technologie moderne n’était pas aussi bénéfique pour
l’homme que ce qu’on pensait. Ils ne plaidaient pas pour un retour à
l’âge de pierre, mais s’évertuaient à trouver de nouvelles solutions pour
remplacer les énergies pétrolières, produire de l’électricité propre ou
encore réduire les émissions d’ondes radio néfastes qui bombardaient
chaque jour notre planète… La conférence du soir, axée sur le
réchauffement planétaire, devait présenter en bouquet final, les avancées
d’un projet de longue date. Bien des années auparavant, un savant
chinois complètement farfelu avait émis la théorie selon laquelle il était
possible de contrôler la température de l’air en pulvérisant un gaz
suffisamment opaque pour filtrer temporairement les rayons solaires
nocifs. Presque tout le monde avait crié à l’hérésie qu’il était grand
temps d’interner ce savant d’opérette. Seulement, une petite poignée
d’écologistes avait laissé passer la tempête médiatique que cette annonce
avait suscitée, et avait commencé à travailler sur ce projet.
Peu avant que la conférence ne débute, les quelques journalistes
présents qui interviewaient Henri Durand remarquèrent que l’homme
semblait soucieux. Il ne répondait que brièvement aux questions et mit
fin à ses séances de torture très rapidement, ce qui n’était pas dans ces
habitudes. Il se dirigea d’un pas rapide vers un homme qui n’avait pas
arrêté de le regarder depuis le début de son interview. Ils échangèrent
quelques paroles, puis Henri passa par une porte dérobée qui
débouchait sur un long couloir sombre. La tête baissée, il marchait
mécaniquement, car ses pensées étaient ailleurs. Il ressassait ce que
venait de lui apprendre son contact, et se demandait comment utiliser
cette information au mieux. Devant l’entrée des artistes, un vigile
montait la garde. En le reconnaissant, il lui ouvrit la porte en lui
souhaitant du courage.
- Bonne conférence Monsieur, lui dit-il poliment.
- Merci, lui répondit Henri d’un air distrait, sans même le regarder.
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Son discours prononcé avec enthousiasme et professionnalisme ravit la
plupart des convives présents. Seulement, ce genre de manifestation
attirait fatalement des réfractaires qui n’avaient qu’une envie : diaboliser
l’image de marque de la fondation en faisant passer ses membres pour
des fanatiques incapables de comprendre les enjeux actuels. Quelques
invectives furent lancées, mais le service de sécurité intervint
rapidement et plusieurs personnes furent expulsées de la salle avant
même d’avoir réussi à formuler de quelconques objections. Le bouquet
final tant attendu tourna court lorsqu’une coupure de courant plongea
l’amphithéâtre dans un noir total. Les expulsés du début de conférence
avaient finalement trouvé le moyen de faire taire ce qu’il considérait
comme une abomination. Il avait volé un véhicule et l’avait projeté
contre l’arrivée électrique du bâtiment. Une gerbe d’étincelles avait
aussitôt embrasé la voiture, avant que cette dernière n’explose et plonge
le quartier dans l’obscurité. La surcharge provoquée avait eu raison des
différents disjoncteurs, qui avaient fondu.
L’allocution avortée avant l’heure, Henri décida de rentrer à son hôtel.
Son chauffeur, qui l’attendait avec une pointe d’anxiété, n’eut que très
peu d’explications. Henri n’était décidément pas d’humeur prolixe en
cette soirée. Sur le trajet de retour, il pianota sur son téléphone portable
un SMS qu’il envoya à son contact d’avant conférence : « rdv-hôtel dans
1 h ». Moins d’une minute plus tard, il reçut un accusé de réception, qui
lui signifiait un accord tacite pour ce rendez-vous.
- Il y en a marre de ces fichues missions de la NASA, lança Élisabeth
McCarthy à son entourage. C’est toujours la même chose, ça décolle, ça
fait des loopings et ça atterrit. On ne pourrait pas ouvrir le journal sur
autre sujet pour une fois ?
Élisabeth McCarthy était devenue en quelques années la présentatrice
vedette du journal télévisé le plus regardé aux États-Unis. Cette
ancienne playmate avait eu un parcours hors-norme, qui lui posait
encore quelques difficultés. Cette fille de fermier d’origine texane rêvait
de gloire, de reconnaissance et de paillettes depuis sa plus tendre
enfance. Aussi loin qu’elle s’en souvenait, son ultime but était d’être une
star, peu importe de quelle façon elle s’y prendrait pour atteindre son
objectif. Malgré les brimades continuelles de ses frères qui la
considéraient comme la godiche de la famille, elle compensait une allure
- 58 -
chétive par un tempérament de feu. Elle n’hésitait jamais à donner des
coups de pieds lorsqu’un de ses frangins la taquinait sur ces cheveux
trop raides, sur son manque de forme, ou encore sur ses genoux
cagneux. Élevé dans un ranch avec trois frères plus âgés qu’elle, tous
aussi bourrins que leurs montures, lui avait dès le plus jeune âge donné
envie d’aller voir ailleurs ce qu’il s’y passait. Las Vegas l’a fascinait au
plus haut point, la ville qui ne dort jamais, une ville de lumière où l'on se
marie plus vite que son ombre, où l’argent coulant à flots ; le rêve
absolu pour cette frêle fillette.
À une heure de l’antenne, Élisabeth que ses collègues appelaient Liz, en
avait assez des mêmes informations encore et toujours. Cela faisait des
mois que la NASA accaparait son journal. Au début, les interviews en
direct étaient sympathiques, les astronautes jouaient le jeu, le public
appréciait. Seulement, voir virevolter dans l’espace quelques privilégiés
avait fini par lasser les spectateurs avides de spectacles plus trash. Liz
l’avait fait remarquer à son rédacteur en chef. Seulement, son statut de
présentatrice vedette ne lui donnait toujours pas accès aux choix
rédactionnels, ce qu’elle espérait bien changer.
Au début de sa carrière, elle aurait quitté avec perte et fracas un tel
poste, où vous êtes relégué au rôle de pantin. Mais son exceptionnelle
notoriété ne lui permettait plus ce type d’accès de colère. Son arrivée
dans le milieu journalistique avait été particulièrement épique.
Fraichement débarquée de la région de Dallas, elle s’était fait remarquer
dans une discothèque par un producteur de films. La majorité à peine
atteinte, elle s’était mariée, avant tout pour avoir une situation
confortable que par amour. Son premier mari produisait des films à
tendance fortement érotique et avait voulu en faire sa star, la reine du
porno. Seulement, après deux ou trois participations dans ce genre à
part, Lizzie avait senti que tout cela n’était pas pour elle, et qu’il risquait
de l’éloigner de son objectif. Elle divorça quelques mois plus tard, avec
en poche une pension alimentaire non négligeable. De nouveau
célibataire, mais avec une situation plus confortable cette fois, elle
décida de tenter sa chance à Hollywood. Certains amis de son ex-mari,
qui étaient dans le milieu du cinéma traditionnel, lui permirent de
décrocher quelques seconds rôles, mais la gloire se faisait attendre. Elle
rencontra son deuxième mari lors d’une fête organisée pour la
promotion du dernier film dans lequel elle figurait. Elle passa la bague
- 59 -
au doigt de l’acteur principal au désespoir de toute une génération de
jeunes filles. Lizzie devint très vite la pire ennemie des adolescentes
américaines, en brisant leurs rêves. Ce mariage lui apporta la
reconnaissance, mais certainement pas la joie de vivre. Le penchant de
son homme pour les soirées très arrosées, les expériences
extraconjugales et les drogues en tout genre finit par la plongée, petit à
petit, dans une déprime. Après avoir écumé les psychanalystes, elle
demanda le divorce pour se remarier quelques semaines plus tard avec
son thérapeute. Sa vie se stabilisa pendant quelques années, elle fut
engagée par une chaîne de télévision locale et fit ses premières armes en
tant que présentatrice de jeux, puis animatrice de talk-show, pour
achever son parcours au sein de la rédaction journalistique du groupe.
Tout aurait été parfait si son indécrottable besoin de reconnaissance ne
l’avait pas titillé à nouveau. L’ennui et l’inactivité dans son couple
n’aidèrent en rien le passage délicat de la quarantaine. Elle commença à
découcher et tromper son troisième mari, qui ne vit rien venir, malgré
son aptitude à gérer ce genre de chose avec ses patients.
Élisabeth Édimbourg, de son nom de jeune fille, changea une énième
fois de patronyme. Après avoir réalisé quelques apparitions dans le
cinéma érotique sous le nom d’Ève Toussaint, elle prit celui de son
premier mari et devint officiellement Liz Toussaint, cela avant son
vingtième anniversaire. Pour son second mariage, elle réalisa un ajout
patronymique pour se faire appeler Élisabeth Toussaint-Ambrosio.
Pour embrasser sa carrière naissante dans le septième art, elle choisit le
pseudonyme glamour de Liz Monroe, en hommage à son idole de
toujours. Cependant, son talent d’actrice ne faisant pas l’unanimité dans
le milieu, elle préféra conserver le nom de son troisième mari. Élisabeth
Scott garda cette identité pendant une quinzaine d’années. Lorsqu’elle
divorça une nouvelle fois, sous la pression de ce dernier qui l’avait
découvert dans le lit d’un bellâtre, elle reprit le temps d’une danse son
nom de jeune fille. Elle se remaria quelques mois plus tard avec un riche
homme d’affaires, producteur d’émissions de télévision à ses heures
perdues. Élisabeth McCarthy, grâce aux relations de son récent époux,
finit par se faire engagée comme reporter spéciale par la rédaction la
plus importante des États-Unis. Ses interventions, souvent en direct, lui
valurent la sympathie du public. Un soupçon de naïveté associé à un
physique de plus en plus avenant, fit d’elle une star du petit écran. La
- 60 -
quarantaine passée lui allait comme un gant. Elle avait traversé les
années en se bonifiant : de jolie jeune fille un peu maigre à une pulpeuse
créature, à force d’opérations aussi subtiles que le nez au milieu de la
figure. Son mariage en cour battait de l’aile, mais le couple avait décidé
de vivre une vie sans contrainte. Leurs différentes demeures ne restaient
jamais à l’abandon bien longtemps. Ils logeaient le plus souvent chacun
de leur côté, et ne paraissaient ensemble que pour les grandes occasions.
CHAPITRE 14
À la NASA, la journée n’avait pas été de tout repos pour Kevin Klein et
Antony Alessandro. Après avoir passé une partie de la nuit à remettre
en service le plus grand nombre d’ordinateurs possible, ils avaient fini
par s’endormir, chacun affalé sur leur bureau respectif. Au petit matin,
ils avaient réussi à isoler les serveurs les plus importants du centre. Ils
ne leur restaient plus qu’à paramétrer une liaison WiFi performante
pour permettre aux utilisateurs d’accéder à leur messagerie et internet.
C’était l’unique moyen qu’ils avaient trouvé pour éviter une réinfection
immédiate de leur réseau qui aurait réduit en une seconde tout le travail
accompli depuis la veille. Toute remise en place de leur système filaire
classique était à abroger dans ses conditions particulières.
Durant la matinée, Kevin avait commencé le développement d’un
antivirus maison. Avec l’aide de Tony, il s’était aperçu que les zones
infectées contenaient des données totalement incohérentes et pouvaient
être réinitialisées assez simplement par une double action : un
effacement physique des valeurs et une mise à plat de la table des
fichiers. Ceci devait être réalisé à partir d’un support non contaminé, tel
qu’un cd-rom. Le programme de Kevin accédait directement aux
secteurs incriminés, sans passer par les commandes du système
d’exploitation. Après plusieurs tests positifs, les deux hommes
conclurent que cette méthode était la plus facile à mettre en place, mais
elle nécessitait néanmoins une rigueur à toute épreuve. La moindre
erreur pouvait être catastrophique et anéantir leurs efforts, et leur moral
par la même occasion.
- 61 -
Après avoir eu une réunion de crises avec les différents chefs de service
de la NASA, un plan d’action avait été établi pour ramener le centre
spatial à des conditions de travail satisfaisantes. Tout le personnel avait
été informé officiellement du problème, et chacun avait une
méthodologie stricte à suivre pour remettre en route l’activité de
l’agence dans les meilleurs délais. Seuls les accès internet allaient être
perturbés pendant quelques jours, le temps que les informaticiens
trouvent une parade au virus. Kevin et Tony avaient profité de la fin
d’après-midi pour rentrer chez eux se rafraichir et manger un peu plus
convenablement que ce qu’ils avaient fait depuis plusieurs heures. Une
nouvelle nuit de labeur les attendait. À leur retour au centre spatial en
début de soirée, tout semblait avoir repris son cours normal. Un
message du directeur Johnson leur demandant de passer le voir au plus
vite fit frémir Kevin. Un mauvais pressentiment l’envahit soudainement,
lui rappelant ses années scolaires lorsqu’il était convoqué par le
directeur pour se faire tirer les oreilles. Les deux hommes se rejoignirent
devant son bureau, inquiet d’avoir à affronter une nouvelle épreuve.
- Messieurs, leur annonça Jack Johnson, je tiens à vous remercier pour
votre efficacité dans ces heures difficiles auxquelles nous sommes
confrontés. Seulement, il semble que nous ne soyons pas au bout de
nos peines. Regarder ce que je viens de recevoir par un coursier.
Le texte était clair et sans équivoque :
« Monsieur, vous venez de faire l’objet d’une contamination virale sans précédent. Si
vous désirez l’antidote à ce virus, veuillez stopper immédiatement vos activités
spatiales. La phase de contamination étant désormais terminée, la période de
destruction va débuter si vous ne suivez pas nos indications à la lettre. Vous avez 24
h pour faire un communiqué officiel et annoncer l’arrêt de vos activités spatiales.
Nous vous recontacterons ultérieurement. »
- Qu’en pensez-vous ? leur demanda le directeur. Est-il possible que ce
virus, qui semblait assez inoffensif, prenne une tout autre ampleur dans
les heures qui viennent ?
- Rien n’est impossible monsieur, lui répondit Kevin qui avait du mal à
cacher sa stupeur. Tout ce que je peux vous assurer, c’est qu’à l’heure
actuelle, les derniers ordinateurs sont en train d’être nettoyés. J’ai
- 62 -
demandé aux chefs de service de me faire un compte rendu de la
situation, ce qui ne devrait plus tarder.
- Y a-t-il une possibilité pour que ce virus ait muté et s’active plus tard ?
- Tony et moi avons passé tout ce qui se fait de mieux sur le marché en
matière d’antivirus, mais il est clair que nous n’avons pas à faire à un
programme classique, et je ne peux absolument pas vous garantir que
nous ne subirons pas un retour de flamme dans un avenir plus ou
moins proche.
- Si un fichier est infecté par un virus inconnu à ce jour, reprit Tony,
mais que personne ne l’active, il peut rester sous une forme dormante
dans l’immédiat. Comme nos antivirus ne le détectent pas, personne ne
peut nous assurer qu’à une date bien précise nous n’allons pas être
contaminés. C’est comme quelqu’un qui a un cancer. Tant qu’aucun
symptôme n’apparait, il n’a aucune raison de penser qu’il est malade.
Mais à un moment donné, quelque chose mute ou est activé par une
source externe par exemple, et c’est la catastrophe.
- C’est pour cette raison qu’à mon avis, continua Kevin, il vaut mieux ne
pas prendre ce message à la légère.
- Merci Messieurs. Faites-moi un rapport lorsque toutes les machines du
centre seront désinfectées. En attendant, je vais recontacter le FBI.
Le directeur Johnson avait déjà eu à gérer toutes sortes de pressions
extérieures, mais également en interne. Cette fois-ci, son habituel sangfroid ainsi que sa capacité à analyser et appréhender les problèmes ne
pouvaient rien faire pour lui. Il se sentait totalement démuni.
CHAPITRE 15
Au siège du FBI, les téléphones ne cessaient de sonner. Lorsque Jack
Johnson eut enfin son ami Francis Fitzgerald, celui-ci ne fut pas surpris
par son appel.
- Francis, c’est Jack ! Il faut vraiment qu’on se voie. Je viens de recevoir
une lettre anonyme qui revendique notre attaque virale.
- Salut Jack, je me doutais que tu allais appeler. Tu ne devineras jamais
l’ampleur qu’est en train de prendre cette affaire. Notre standard a reçu
une bonne quinzaine de coups de fil similaires. Vous n’êtes pas les seuls
à avoir été contaminés. Nous aussi, parait-il !
- 63 -
- C’est impossible ! reprit Johnson qui tombait des nues.
- Pratiquement toutes les agences gouvernementales nous ont contactés
depuis l’heure qui vient de s’écouler. Elles ont toutes reçu des menaces
équivalentes, et finissent également par le même ultimatum fixé demain
à 20 h.
- Vous avez une piste pour débusquer ces pirates ?
- Pas vraiment, tous les messages ont été adressés par un service de
livraison. Rien ne permet d’identifier l’auteur. L’enveloppe et le papier
utilisé sont tout ce qu’il y a de plus commun. Le livreur n’a aucune
indication concernant le commanditaire, nous sommes dans le noir le
plus total.
- C’est impensable ! lança Johnson de plus en plus furieux. C’est une
véritable attaque terroriste ma parole !
- Tu ne crois pas si bien dire, reprit Francis. Tous nos agents sont sur
cette affaire depuis une heure. Je vais d’ailleurs demander à Sarah
Spader de retourner vous voir pour vérifier si les auteurs de ce chantage
auraient commis une erreur de votre côté, mais j’en doute fortement.
De toute façon, on reste en contact !
- Merci pour ton aide Francis et à bientôt.
Sarah et Don arrivèrent à la NASA à la tombée de la nuit. Pour eux
aussi, la soirée allait être longue. L’examen de la lettre ne leur donna rien
de plus que celles des autres sites. Elle était évidemment anonyme, sans
aucune information susceptible de leur permettre de remonter jusqu’au
fabricant. À croire que ces lettres étaient de conception artisanale. Les
empreintes devaient être étudiées à la loupe, mais il ne faisait aucun
doute que le laboratoire d’analyse confirmerait qu’il s’agirait des
employés de la NASA. Rien d’exploitable de ce côté-là. L’adresse du
destinataire n’était pas manuscrite, mais imprimée. La police de
caractères utilisée était l’une des plus communes des logiciels
bureautiques. Sarah et Don en profitèrent pour poser quelques
questions supplémentaires aux deux informaticiens du centre, en
particulier sur la façon dont ils voyaient évoluer les choses. Ils eurent
droit aux mêmes réponses que celles qu’ils avaient données à leur
directeur un peu plus tôt : « On ne peut rien confirmer à l’heure
actuelle, car nous sommes dans le flou intégral ! ».
- 64 -
Sur le retour, Sarah demanda à son collègue comment il comptait
appréhender les choses.
- Et bien, à ma connaissance c’est la première fois que nous avons à
faire à une attaque informatique de ce genre. Autant dire qu’il n’y a pas
vraiment de marche à suivre dans ces cas-là ! Il faut surtout faire
confiance à son expérience et son instinct.
- Et le mien me dit qu’on devrait poursuivre nos investigations sur cet
hurluberlu qui se fait appeler Roswell.
- Rappelle-moi le parcours de ce garçon ? lui demanda Don.
- D’après son dossier, qui soit dit en passant est assez chargé, il est le
chef d’un groupe anarchiste qui se nomme « Dead Zone ». Ils ont
revendiqué une bonne vingtaine d’actions plus ou moins importantes,
qui visent la plupart du temps des institutions gouvernementales. On a
commencé à entendre parler de ce groupuscule il y a environ quatre ans,
lorsqu’ils ont fait exploser plusieurs transformateurs électriques
simultanément. Cette attaque avait eu pour résultat une coupure totale
sur plusieurs États, durant une grosse demi-journée.
- Oui !!! Je me souviens de ça ! Par contre, il me semblait que cette
coupure avait été provoquée par un malheureux accident !
- Officiellement, lui répondit Sarah. Mais en faisant mes recherches, je
suis tombé sur une note confidentielle qui n’avait jamais été ébruitée. Ce
groupe avait revendiqué haut et fort cet acte terroriste, mais le
gouvernement n’a jamais voulu leur accorder ce crédit pour éviter de
créer une panique. Des terroristes américains frappant leur propre pays,
c’était à l’époque une chose inconcevable. On avait suffisamment à faire
avec le Moyen-Orient. Pour en revenir avec Roswell, je vais essayer de
contacter l’agent qui avait enquêté sur cette affaire pour en savoir un
peu plus.
- Et qu’ont-ils fait d’autre, hormis cela ?
- Plusieurs attentats matériels, des vitrines brisées, des lignes
téléphoniques coupées, des blocus sur les voies de chemin de fer et tout
un tas d'annonces plus ou moins sérieuses. Je pense qu’il pourrait être
impliqué, car on retrouve la même méthode de communication : la
lettre anonyme. Ça peut paraître paradoxal avec leurs effets
spectaculaires habituels, mais cette fois-ci, il s’agit d’un très gros coup
qui dépasse en ampleur tout ce qu’ils ont revendiqué jusqu’à présent. Ils
veulent peut-être brouiller les pistes pour avoir le temps de faire aboutir
leur projet sans être inquiétés.
- 65 -
- On va les surveiller de près, ajouta Don après quelques secondes de
réflexion.
CHAPITRE 16
Henri Durand venait de rencontrer son mystérieux contact au bar de
son hôtel. La discussion avait été courte et très secrète. Le serveur, qui
avait pourtant vu tant de choses dans sa carrière, n’avait pas très bien
compris ce qui s’était passé entre les deux hommes. Quelques messes
basses, un échange de documents à l’abri des regards indiscrets, puis les
deux comparses étaient revenus au comptoir pour vider une bière en
parlant de la pluie et du beau temps comme si de rien n’était. Ils
s’étaient séparés juste avant minuit. Henri était retourné dans sa
chambre tandis que son ami repartait par où il était venu.
Le lendemain matin, Henri prit un petit déjeuner tardif puis quitta
l’hôtel en fin de matinée. En se rendant vers l’aéroport Ronald Reagan,
au cœur de Washington, le chauffeur d’Henri coupa à travers le quartier
d’Arlington. Des souvenirs douloureux remontèrent à la surface. À la
période la plus sombre de sa vie, il avait vécu quelques mois dans un
appartement délabré de la capitale américaine. Lorsque sa famille avait
péri dans cet horrible accident de la circulation, Henri n’avait plus été
que l’ombre de lui-même. Il avait fini par quitter son emploi, avant
qu’un licenciement pour faute professionnelle ne lui tombe dessus. Son
absentéisme répété avait été repéré et lassait ses plus proches
collaborateurs ; sa fin était inéluctable. Après plusieurs semaines
d’errance dans sa propre villa, les souvenirs étant trop présents, il avait
décidé de laisser derrière lui tout ce qui pouvait le rattacher à sa vie
passée. En emménageant à plusieurs centaines de kilomètres dans un
quartier modeste d’une ville qu’il ne connaissait pas, il espérait tourner
la page en changeant d’existence. Seulement, il se rendit compte très
rapidement qu’un environnement nouveau ne supprimait pas ses
douleurs morales. Son seul salut était une amnésie ou une lobotomie.
Malgré ses efforts pour lutter contre ce terrible mal-être, aucune des
deux solutions ne lui paraissait réalisable. Il survécut dans cette torpeur
maladive durant quelques semaines. Sa vie était devenue une mécanique
à la limite de la rupture. Il se levait lorsque les cauchemars le quittaient
- 66 -
temporairement, avalait une gorgée de café froid, et faisait un brin de
toilette un jour sur trois.
Ce matin-là, le réveil fut plus brutal que d’habitude. Henri se retrouva
sur son divan, en sueur, complètement désorienté. Le cerveau
comprimé dans un étau, il avait la sensation qu’un forgeron lui sculptait
le crâne à coup de marteau. La douleur s’estompa quelques minutes plus
tard, après avoir ingurgité un cocktail médicamenteux capable d’abrutir
un cheval. Il se rallongea sur son canapé puis finit par s’évanouir.
Lorsqu’il reprit connaissance, il resta de longues minutes à se demander
pourquoi il continuait à subir cette souffrance. La bouche pâteuse, il alla
dans la salle de bain se brosser les dents. Le miroir placé en face de lui
renvoyait une image qu’il ne reconnut pas. Comment pouvait-il avoir
une mine aussi défaite, le teint cireux, et cette barbe de plusieurs jours ?
Cela ne lui ressemblait pas. Il resta de longues minutes à regarder son
reflet sans le voir. Par flashs successifs, son cerveau passa de sa fille
jouant sur le bord d’une plage à sa femme allongée à côté de lui,
endormie profondément. Soudain, une image d’horreur vint remplacer
cette idyllique vision. Un visage calciné, une peau noircie et cloquée, des
yeux exorbités gorgés de sang, des cheveux effilochés se détachant par
poignée du crâne. L’odeur de chairs brûlées lui monta aux narines.
Henri fit un bond en arrière en chassant toute rêverie de son esprit. Ses
cauchemars avaient fini par le rattraper en pleine journée. À la mort de
sa famille, les autorités lui avaient demandé d’aller à la morgue pour
identifier les objets extirpés des flammes. Dans un accès de colère, il
avait exigé de voir une dernière fois le visage de sa femme et sa fille. Le
médecin légiste avait tenté de le raisonner, en lui expliquant que cette
idée malsaine risquait de le hanter pendant un bon moment. Rien ne le
fit changer d’avis. Avec le recul, il s’en voulait terriblement, car cette
ultime vision était en train de le rendre fou. Il conserverait jusqu’à la fin
de sa misérable vie cette image digne d’un film d’horreur. Ces deux
anges avaient été emportés par Satan, et leurs grimaces post-mortem en
témoignaient. C’en était trop, il ne pouvait plus supporter ce mal-être
une minute de plus. Sans réfléchir à ses actes, il se dirigea vers l’unique
meuble du salon, ouvrit un tiroir et en sortit une boîte. Elle était plus
lourde que dans ses souvenirs. Il déverrouilla les deux fixations puis
souleva le couvercle très doucement. Un magnifique colt étincelant,
fabriqué au tout début du vingtième siècle lui renvoya des éclats de
- 67 -
soleil. Il le saisit par la crosse, libéra le barillet et vérifia la présence de
balles. Il remit en place le petit carrousel d’un geste sec et pointa le
canon de l’arme sur sa tempe droite. « Tu ne réfléchis pas, tu tires »,
pensa-t-il trois fois de suite. Seulement, l’engin une fois chargé pesait
plus d’un kilogramme et son poids devint très rapidement un handicap
dans cette position. Une douleur dans le poignet commença à se faire
ressentir. Henri saisit la crosse à deux mains et mordit l’embout du
pistolet. Un goût métallique lui donna une subite nausée. « Pas moyen
de tirer en paix, il faut toujours que ce putain de cerveau me détourne
de mon objectif », continua-t-il en pensée. Il n’avait aucun moyen
d’échapper à ses instincts les plus primaires. Il décida de pointer l’arme
sous son menton, en appuyant suffisamment fort pour que le métal ne
le chatouille pas.
Henri recula le chien, ferma les yeux, puis se concentra sur ce doigt qui
devait déclencher le tir. Il se souvint subitement d’un reportage qu’il
avait vu quelques années auparavant à la télévision. Il fallait presser sur
la détente d’une manière linéaire, sans à-coup et aussi doucement que
possible. Cela éviterait que l’arme ne bouge au moment de la
déflagration. Le recul du pistolet pouvait lui faire louper sa cible, car des
tremblements commençaient à parcourir ses avant-bras. Il était hors de
question qu’il rate son coup, les conséquences seraient bien pires pour
lui. Il se concentra une dernière fois, ferma les yeux, l’esprit dégagé de
toute pensée et s’appliqua sur cet ultime acte...
Dringggg !!!!
La sonnerie de la porte d’entrée lui fit l’effet d’un électrochoc. Il fut
tellement surpris par ce bruit incongru qu’il en lâcha le révolver, de peur
de se faire repérer. L’arme glissa de ses mains. En voulant le rattraper au
vol, ses doigts frappèrent la crosse, accélérant par la même occasion sa
chute au sol. Un mouvement de rotation la fit basculer sens dessus
dessous. En touchant le meuble, la tension sur le ressort maintenant le
chien en place se libéra. Le coup partit dans un vacarme assourdissant.
Henri jura dans sa barbe. À coup sûr, tous les voisins avaient entendu la
déflagration. Il tourna la tête en direction de la porte, espérant que son
visiteur n’insiste pas. Une soudaine décharge électrique lui traversa le
corps, fulgurante, incompréhensible, et terriblement douloureuse. Il
s’affaissa de tout son poids à terre, comme un château de cartes soufflé
par un vent violent. Sur le point de perdre connaissance, il décolla le
- 68 -
crâne du sol dans un ultime effort et réussit à entr’apercevoir une flaque
rouge au niveau de son genou droit. « Je ne suis même pas capable de
me foutre en l’air correctement », finit-il par penser avant de sombrer
dans le néant.
En passant devant cet immeuble, Henri demanda à son chauffeur de
ralentir. Il voulait revoir le bâtiment où tout avait basculé. Il se souvint
s’être réveillé deux jours plus tard après cet évènement, dans un hôpital
de la ville. Sa jambe droite était totalement bloquée dans un moule en
plâtre maintenu par des tiges d’acier. Le médecin qui l’avait opéré lui
avait annoncé qu’on lui avait retiré la rotule en attendant mieux. Il était
trop faible physiquement pour subir une deuxième intervention
chirurgicale. Son docteur lui avait montré ses radiographies. Son genou
était dans un sale état. Il n’y avait pas trente-six solutions. Soit il lui
bloquait la jambe définitivement, ce qui le handicaperait dans le
moindre de ses mouvements, soit il tentait une réparation à l’aide d’une
prothèse sur mesure. La souffrance physique prit le pas sur sa
souffrance morale. À demi-comateux à cause des drogues qu’on lui
administrait, il avait fini par donner son accord pour lancer la
fabrication d’une rotule de synthèse, chose qu’il n’avait jamais regrettée
par la suite.
Le visiteur qui avait eu la peur de sa vie en entendant le coup de feu
retentir au moment où il avait sonné chez Henri, vint le voir quelques
jours avant sa sortie de l’hôpital. Cette jeune étudiante avait alerté les
autorités, juste après avoir compris qu’un corps était tombé dans
l’appartement voisin. Pensant avoir assisté à un meurtre, elle s’était
enfuie aussi vite que ses jambes le lui avaient permis, tremblant comme
une feuille. Lorsque la police arriva sur les lieux, ils consignèrent son
témoignage avant de la laisser repartir. Par curiosité, elle traina quelques
minutes et découvrit que l’homme avait simplement tenté de se suicider.
Il n’y avait rien de morbide, juste une situation d’une détresse qui la
toucha plus qu’elle l’aurait désiré. Elle avait suivi les résultats de
l’intervention chirurgicale en se faisant passer pour une amie d’Henri.
Lors de sa visite, ils restèrent une bonne heure à discuter de leur vie
respective. Son discours sur l’environnement marqua l’homme plus qu’il
ne le pensa sur le moment. En regagnant son domicile quelques jours
plus tard, Henri avait pris une décision qui changerait sa vision de
- 69 -
l’avenir : s’il devait continuer à vivre, il œuvrerait pour le bien de
l’humanité. Cette jeune femme, qui aurait pu être sa propre fille avec
une dizaine d’années en plus, lui avait insufflé son enthousiasme et sa
détermination pour lutter contre les méfaits de l’Homme envers la
nature.
Six mois après cet évènement, il fondait « Avenir Propre » après avoir
pris soin d’effacer toutes les traces permettant de faire le rapprochement
entre Harold Hutchinson et Henri Durand. Un homme neuf, dans un
corps meurtri.
Henri rentrait chez lui, dans son chalet alpin en Suisse. Il devait faire
une escale à Paris où il rencontra quelques membres de son association
pour débattre des actions engagées. Il attrapa finalement un TGV pour
rejoindre Lausanne où il récupéra sa Jeep. En arrivant dans sa modeste
propriété, il laissa sa valise au pied de son lit, sans prendre le temps de
ranger ses affaires. Un travail plus important l’attendait. Il se dirigea
directement au fond du parc et s’arrêta devant sa cabane de jardin. Il
pianota sur son téléphone portable une série de touches qui eût pour
résultat l’affichage du message « Système désactivé ». Il pénétra dans la
remise à outils, referma soigneusement la porte et se tourna sur sa
droite. Il saisit un petit levier et le tira vers le bas. Un cliquetis se fit
entendre. Henri dégagea quelques planches de bois recouvrant une
partie du sol. Un passage donnant sur un escalier souterrain étroit
apparut à ses pieds. Il pressa l’interrupteur présent à l’entrée de cette
crypte. Une douce lumière commença à bercer les lieux, imprégnant
l’endroit d’une ambiance fantomatique. Au bout du tunnel d’une dizaine
de mètres, une porte en métal se dressait devant lui. En passant cette
issue, il arriva dans une pièce circulaire sans autre ouverture, où une
armada d’ordinateurs était alignée tout le long des murs. De l’intérieur
de la salle, on distinguait un maillage métallique qui captait toutes les
ondes magnétiques et électrostatiques qui risquaient de s’échapper de
tout cet attirail. Un amas de câbles parfaitement ficelés courait sous les
tables. Seule l’entrée restait relativement dégagée, avec un interrupteur
en forme de champignon rouge qui permettait de couper en urgence
l’électricité du lieu.
- 70 -
Henri alluma tous les moniteurs présents devant lui. Les images qu’ils
affichèrent étaient assez variées. Certaines montraient des vues du parc
forestier où il vivait, d'autres l’entrée de sa propriété, plus loin un écran
affichait un statut d’activité de son installation, avec différentes
indications telles que « caméra X active » ou « capteur Y : OK ». Il
parcourut rapidement ses différents emails et effaça tous ceux qui ne lui
étaient pas directement destinés. Puis, son attention fut attirée par un
message clignotant en rouge, indiquant qu’un fait anormal s’était
produit. Il constata immédiatement un manque d’information en
provenance de bon nombre de serveurs. Habituellement, le listing
fourni était long et varié, mais depuis quelques heures, les fichiers
renvoyaient inévitablement une erreur d’inaccessibilité. Pour Henri, la
raison en était simple : les machines avaient été déconnectées du réseau
internet, car aucune autre explication ne pouvait tenir la route. Tous les
ordinateurs auxquels il était raccordé ne pouvaient pas être tombés en
panne ou s’être arrêtés en même temps, c’était statistiquement
impossible. Cela confirmait définitivement ce que l’homme de l’hôtel lui
avait signalé quelques heures plus tôt. Ses sources avaient été très
efficaces sur cette affaire, ce qui s’avérait primordial pour la suite des
évènements. Henri lut en détail tous les rapports pour tenter d’établir
une chronologie précise des faits. Désormais, il savait que la NASA
avait été la première agence à se rendre compte du problème, suivi
quelques heures plus tard par toutes les autres structures
gouvernementales. La lettre anonyme avait fait son effet.
Henri téléphona via une ligne sécurisée à son contact aux États-Unis. Il
l’informa que les choses n’avaient pas énormément évolué depuis son
départ. Toutes les institutions s’étaient coupées du monde numérique
pour tenter d’éviter le désastre. Le virus avait atteint tout le parc
informatique du pays en moins de vingt-quatre heures. C’était un
véritable don du ciel pour toutes les fondations, associations, et autres
groupuscules qui bannissaient la technologie moderne, et du pain béni
pour « Avenir Propre ». La deuxième phase allait pouvoir débuter très
prochainement. Henri rédigea un texte qu’il ferait parvenir aux
différents journaux américains. Le chaos médiatique inévitable qui
suivrait serait son apothéose, la consécration suprême qu’il n’avait
jamais espérée, même dans ses rêves les plus fous !
- 71 -
CHAPITRE 17
Une réunion de crises venait d’avoir lieu dans les différentes agences des
États-Unis : F.B.I, C.I.A, N.S.A, NASA, dans différents corps d’armée
et les quelques entreprises également inquiétées par cette menace. La
Maison Blanche avait rarement eu autant de directeurs, généraux et
autres députés dans ses murs en même temps. La sécurité avait d’ailleurs
été considérablement augmentée. Le président des États-Unis dirigeait
en personne cette assemblée extraordinaire. La tension étant extrême, la
rencontre dura juste le temps nécessaire pour que chacun prenne
connaissance des objectifs à atteindre. Le jeu des questions-réponses
était maintenant hors de propos, il fallait agir vite pour anéantir les
terroristes qui avaient perpétré cette attaque à l’encontre du pays le plus
puissant au monde. Tous les réseaux d’informations allaient être mis à
rude épreuve. Le moindre soupçon ou la moindre allusion même
indirecte devait être vérifié puis disséqué et répertorié par les agents du
gouvernement. Plusieurs directeurs d’agences gouvernementales avaient
promis au président des arrestations dans la journée. Avec une telle
débauche de moyens, les résultats ne tardèrent pas à arriver. La plupart
des voyous fichés, des extrémistes connus et des délinquants de bas
étage furent appréhendés et enfermés pour un interrogatoire en règle.
Malheureusement pour ces derniers, tous les effectifs étant partis à la
chasse à l’homme, les gardes à vue allaient s’éterniser plus que
nécessaire.
Sarah et Don avaient eux aussi été réquisitionnés pour cette mission
ultra prioritaire, mais ils avaient réussi à la faire coïncider avec leur
objectif premier : la traque de Federico Fernandez. Le gourou du
groupe anarchiste « Dead Zone » était un être très étrange, un
ressentiment qu’il cultivait avec ardeur. Il s’était affublé du surnom de la
ville « Roswell », car il pensait être le descendant direct d’un des extraterrestres censés s’être crashés au Nouveau-Mexique dans les années
cinquante. À force d’auto-persuasion, il n’avait plus aucun doute sur cet
état de fait et tentait par tous les moyens de développer des pouvoirs
psychiques qui auraient démontré sa suprématie à la race humaine.
Malheureusement pour lui, au lieu d’être extraordinairement supérieur
aux autres, il était petit, rachitique et avait une très mauvaise vue qui
l’obligeait à porter de véritables loupes en guise de lunettes. Malgré cette
- 72 -
piteuse apparence, Roswell faisait preuve d’un certain charisme.
Lorsqu’il avait entrepris ses activités à la limite de la légalité, il
s’arrangeait toujours pour que les chaines de télévision les plus
importantes soient averties et dépêche un reporter pour l’interviewer.
Mais les choses n’allaient pas assez vite ni assez loin à son goût. Son
groupe finit par passer du côté obscur de la loi sans aucun remords, en
réalisant des actions de plus en plus destructrices. Les autorités mirent
fin à leurs actes quelques mois plus tard et ils échouèrent devant
plusieurs tribunaux pour répondre de leurs crimes. Les « Robin des
Bois » des temps modernes s’étaient métamorphosés en terroristes
confirmés, et furent condamnés à de la prison ferme pour la plupart.
Lorsqu’il retrouva la liberté, il se jura de ne plus retourner en cage. Il
avait enduré trop de choses inavouables durant ces quelques mois
passés enfermé entre quatre murs pour replonger. Une nouvelle ère
commença pour les « Dead Zone » : celui de la clandestinité.
Sarah savait que Roswell ne serait pas très difficile à localiser. Sa liberté
conditionnelle ne lui laissait pas vraiment d’alternative. Lorsque les deux
agents arrivèrent à Albuquerque où Federico était censé travailler, son
contrôleur judiciaire admit péniblement qu’il ne l’avait pas revu une
seule fois depuis sa sortie de prison. Roswell l’avait grassement payé
pour qu’il oublie son dossier ; une chose qu’il n’aurait jamais acceptée
en temps normal. Seulement, les coïncidences de la vie en avaient
décidé autrement. L’homme venait de divorcer, avait perdu la garde de
ses deux filles, et avait été obligé de laisser sa maison et même son
chien à son ex-femme ! Dans de telles circonstances, n’importe qui
aurait succombé comme il l’avait fait. Ce n’était pas quelques billets
verts qui allaient empirer sa situation… Don, qui comprenait assez
aisément la faiblesse humaine, aurait voulu ne pas trop accabler ce
pauvre bougre, mais Sarah lui avait fait clairement remarquer que ce
manque de rigueur aurait de graves conséquences pour sa carrière.
L’heure de rendre des comptes sonnerait plus vite que prévu.
- Qu’est ce qu’on fait maintenant ? demanda Don. As-tu vu dans son
dossier un élément qui pourrait nous guider ?
- J’avais lu que Fernandez avait de la famille près de Santa Fe, mais cela
m’étonnerait fortement qu’il soit aussi stupide.
- 73 -
- Je vais appeler le bureau le plus proche pour qu’ils envoient un agent
jeter un œil dans les parages.
Pendant que Don téléphonait à ses collègues, Sarah s’était replongée
dans la lecture du dossier de Roswell. Rien de très intéressant n’avait
attiré son attention jusqu’à présent.
- J’ai réussi à avoir l’agent qui était chargé de l’affaire. Depuis que
Fernandez est sorti de prison, sa famille reste sous surveillance discrète.
À sa connaissance, le bonhomme n’est jamais réapparu dans la région.
- C’est bien notre veine, reprit Sarah quelque peu désabusée. En tout
cas, cela confirme que ce Roswell n’est pas blanc comme neige. Il se
pourrait qu’il soit plus impliqué qu’on ne le pense.
- Il n’y a rien d’autre d’utilisable là-dedans ? demanda-t-il en pointant
du doigt les papiers que Sarah tentait de ranger.
- La seule adresse présente est celle de la boîte postale de son
groupuscule. Mais elle date de plusieurs années. Je doute qu’on y trouve
encore la moindre trace.
- Et c’est où ?
- À San Antonio.
- Je prends le volant, lança Don avec une lueur d’espoir dans les yeux.
On a de la route à faire !
Au centre spatial à Houston, Kevin et Tony avaient fini le plus gros de
leur travail. Tous les systèmes informatiques étaient à nouveau
fonctionnels. La seule différence notable avec le fonctionnement
habituel venait des connexions internet qu’ils avaient volontairement
bridées, pour n’utiliser que des liaisons sans fil qu’ils avaient
paramétrées pour parer à l’urgence de la situation. Ils devaient
désormais s’attaquer à un ultime problème : définir la dangerosité de ce
virus. Il devait établir avec précision ce qu’il était censé provoquer et
s’ils avaient véritablement réussi à l’éradiquer de leur réseau. Pendant
que Tony finissait ses dernières remises en route de machine, Kevin
avait commencé à décortiquer les données qu’ils avaient conservées.
L’ordinateur sur lequel il travaillait était isolé du reste du centre. Il se
situait dans un local totalement autonome. En cas d’attaque nucléaire,
de bombardement électrostatique ou toute autre catastrophe du même
acabit, c’était le seul endroit qui continuerait à fonctionner
normalement. L’unique sas y donnant accès était sécurisé par un
- 74 -
système de reconnaissance biométrique : détection de l’iris de l’œil,
d’empreinte digitale et vocale. Kevin avait également une clé
magnétique qui lui permettait de déverrouiller la porte en cas d’absolue
nécessité. Hormis le directeur, aucune personne ne pouvait y pénétrer
sans lui.
- Patron, c’est Tony ! Je viens de finir la remise en service des derniers
postes. Qu’est-ce que vous voulez que je fasse maintenant ?
- Attends moi, je n’en ai plus que pour quelques minutes. Je termine
l’impression du code contenu dans le virus. J’arrive, car il va falloir
intégrer tout cela dans un programme d’analyse.
- OK, je vais me prendre un rafraîchissement ! Vous voulez que je vous
rapporte quelque chose ?
Kevin se souvint soudainement qu’il n’avait pas eu sa dose quotidienne
et cela lui manquait terriblement.
- Tu serais trop aimable de me prendre un café, mon garçon !
- C’est parti pour un « long bien sucré » !
Kevin réapparut dans son bureau dix minutes plus tard avec une liasse
de feuillets imprimés.
- Tu vois ce qui nous attend Tony. Il faut qu’on numérise tout ça avant
de pouvoir lancer diverses analyses.
- Et bien, vous ne faites pas dans la dentelle quand vous vous y mettez !
On en a pour des heures !!!
- Pas de panique, tu n’as pas encore vu le nouveau photocopieur de la
direction. Viens avec moi, je vais te montrer le high-tech des copieurs.
Celui-là est toujours en phase de développement. Je ne sais pas
comment le patron a fait pour obtenir ce petit bijou... C’est le prototype
d’un modèle qui devrait sortir prochainement. Il intègre comme tout
bon photocopieur un bac de numérisation multi-feuilles, mais sa
spécificité, c’est le logiciel de reconnaissance de caractères qu’il
embarque qui est d’une efficacité exceptionnelle. Même sur des lettres
manuscrites, il s’en sort à merveille. En plus, il contient un disque dur
capable de stocker des milliers de copies. En moins de cinq minutes, il
va nous numériser tout ce listing, puis créer un fichier texte qu’on va
pouvoir récupérer par le réseau…
Kevin s’arrêta net dans son explication ! Une pensée lui traversa l’esprit,
immédiatement suivie par un frisson lui remontant l’échine.
- 75 -
- Nom de Dieu ! cria-t-il alors qu’il venait de se rendre compte qu’il
avait failli faire une énorme erreur. J’espère qu’il n’est pas encore
connecté au réseau ? se demande-t-il à haute voix en jetant un œil aux
câbles de l’appareil.
- Oh, la boulette ! reprit Tony, qui avait également compris qu’ils
avaient oublié de tester toute une gamme de matériels. Vous avez dit
que ces engins avaient un disque dur ?
- Celui là, oui ! Les anciens photocopieurs n’en avaient pas, du moins
ceux qu’on a ici.
Pour éviter de céder à la panique, Tony réfléchit quelques secondes et
ajouta :
- Patron, si le copieur était contaminé et connecté au réseau, on aurait
subi une contamination immédiate comme pour les autres machines ?
- J’espère bien que tu as raison !
Les deux hommes arrivèrent à la direction du centre, essoufflés par le
sprint qu’il venait de faire. En voyant que l’appareil était éteint et
déconnecté, ils ressentirent un profond soulagement. Le mal avait été
évité de justesse !
- Savez-vous qui a débranché le photocopieur ? demanda Kevin à la
secrétaire qui était juste à côté d’eux.
- C’est moi, pourquoi ? ajouta-t-elle sur un ton méfiant.
- Vous êtes bénie, chère Madame !
- Et bien, Monsieur Klein, c’est sûrement la première fois que vous me
faites un compliment, reprit la femme qui n’en revenait pas d’une telle
déclaration. D’habitude, je n’ai droit qu’à des reproches, continua-t-elle
en direction de Tony, avec un clin d’œil furtif pour appuyer son
sarcasme.
- Voyons !!! Je ne suis pas comme ça ? Vous savez que je n’ai pas
toujours le loisir de parler de la pluie et du beau temps lorsque je viens
dans votre secteur ! Je peux vous demander pourquoi il a été
débranché ?
- Simplement parce que cet engin ne fonctionne pas. Il nous avale une
copie sur deux. J’ai appelé le dépanneur qui m’a conseillé de l’arrêter en
attendant son passage. J’ai bien fait au moins ?
- C’est une excellente initiative, répondit Kevin !
- Mais qui a remplacé l’ancien Kevin Klein ? vociféra-t-elle en regardant
Tony. Il deviendrait presque sympathique !
- C’est bon, reprit-il. J’ai compris le message…
- 76 -
Tout en continuant leur gentil dialogue moqueur, Kevin connecta son
ordinateur portable au photocopieur et lança une analyse complète de
l’engin. Il en profita pour reformater le disque dur embarqué et exécuta
un ultime test avant de le brancher au réseau.
Il effectua ensuite la numérisation de ses feuilles. Le logiciel de
reconnaissance d’écriture intégré convertit le document en un fichier
lisible réutilisable avec un traitement de texte classique. Kevin le
récupéra sur son portable et ajouta :
- Il fonctionne parfaitement ce copieur. Il vous faudrait peut-être une
formation pour comprendre son fonctionnement, mais sûrement pas un
réparateur !
- Je vous retrouve bien, répondit la secrétaire. Toujours pince sans rire !
- On l’a échappé belle, lança Tony alors qu’ils repartaient en compagnie
de Kevin vers leur bureau.
- Tu l’as dit, mon gars ! J’espère qu’on n’a rien laissé passer d’autre, car
dans le cas contraire, on risque d’avoir un très gros problème si la
menace que le chef a reçue s’avère bien réelle !
CHAPITRE 18
Sarah et Don arrivèrent finalement dans la banlieue de San Antonio. Ils
devaient tout d'abord rencontrer les autorités locales afin de prendre la
température concernant ce groupe. Le shérif du coin n’avait pas eu de
contact avec eux depuis plusieurs mois, et il n’était même pas sûr que
leurs activités soient toujours d’actualité.
À l’approche du bâtiment où les « Dead Zone » avaient jadis leur siège
social, les lieux semblaient désertés. L’unique porte d’entrée avait subi
une tentative d’effraction, mais sa solidité avait eu raison des vandales.
Les deux agents, après avoir fureté aux alentours, en conclurent que
l’édifice avait été vidé depuis plusieurs semaines. Au travers des vitres
recouvertes de poussière, ils avaient réussi à entrapercevoir que les
locaux étaient vides de tout occupant, hormis une armada d’araignées et
autres cafards. Ils se trouvèrent à nouveau dans une impasse.
Décidément, ce Roswell commençait à leur taper sur les nerfs. Pour un
- 77 -
homme en liberté surveillée, sa disparition ne semblait pas être le fruit
du hasard.
De retour au bureau du shérif qui ne parut pas plus surpris par la
déclaration des deux agents. Sarah décida de lancer un mandat d’arrêt
contre cet énergumène de Federico Fernandez. « Avait-il finalement fini
par se faire enlever par des extraterrestres ??? » se demanda-t-elle
intérieurement. Si l’affaire n’avait pas été aussi sensible, elle en aurait
rigolé. Seulement, cette disparition arrivait à un bien mauvais moment.
Elle savait pertinemment qu’aucun agent ne serait disponible pour les
aider dans cette traque au suspect. L’espérance qu’il soit repéré par un
des nombreux représentants de l’autorité qui circulait sur les routes lui
redonna un peu d’espoir. La chance que cela se produise était très faible,
mais certains grands criminels s’étaient parfois fait arrêter à cause d’un
simple contrôle de routine.
- Nous n’avons plus qu’à rentrer et reprendre les recherches, annonça
Don aussi désappointé que sa collègue.
- Le problème est que nous n’avons plus aucune piste à suivre. Sa
dernière apparition date de sa sortie de prison et depuis, c’est l’homme
invisible.
- Je pense que je vais passer un nouvel appel à l’agent que j’ai eu tout à
l’heure, en espérant qu’il puisse m’en apprendre un peu plus sur les
activités de notre gaillard.
Pendant que Don s’entretenait à nouveau avec son contact au bureau
du FBI local, Sarah réfléchissait à la suite possible des évènements.
Fallait-il qu’ils informent leur directeur que la recherche du fugitif allait
être plus compliquée que prévue ? Elle se méfiait de ce genre
d'information qui risquait de les renvoyer sur une autre affaire, sans
avoir eu le temps d’approfondir ce sujet. Son instinct lui disait qu’elle
devait continuer sur sa lancée, et il ne la trompait pas souvent pour tout
ce qui concernait son travail. Seulement, leur nouvel ami « Roswell »
avait réussi trop facilement à disparaître pour ne pas avoir été aidé par
quelqu’un de très influent. Et cela la perturbait au plus haut point.
- Bonne nouvelle, lança Don après avoir raccroché. Notre bonhomme a
été vu en début de semaine à Miami. D’après l’informateur de l’agent
que je viens d’avoir, il passerait ses soirées dans une boîte de nuit qui
- 78 -
s’appelle « le CroBar ». Avec un peu de chance, on pourrait bien le
coincer ce soir !
- La chance… Vu comment tournent les choses depuis que nous
sommes à sa recherche, je n’y compte plus trop.
- Allons, ne sois pas si pessimiste ! C’est ton rancard de l’autre jour qui
t’a mis le moral à zéro ?
- Ne soit pas si bête Donald Dalton, lui lança-t-elle avec un regard qui
en disait long sur ce genre de réflexion qu’elle n’appréciait que très
moyennement. Et puis de toute façon, ça ne te regarde pas !
- Eh bien, eh bien !!! C’est devenu un sujet sensible ma parole. D’après
mon expérience, ça signifie deux choses : soit le type est complètement
idiot et il n’arrête pas de te harceler depuis cette soirée, soit il te plaît,
mais ce n’est pas réciproque. Quoi qu’il en soit, tu te retrouves encore
coincée !
- Tu sais que tu m’énerves sérieusement quand tu t’immisces dans ma
vie privée, reprit-elle de moins en moins calme. Ma vie privée… tu
enregistres ? J’aimerais bien que ça le reste !
- Ouh là ! Désolé si je t’ai froissée. Mais tu sais que je ne veux que ton
bonheur, lui répondit-il sur un ton d’apaisement. Depuis le temps que
tu vis seule, ce serait bien que tu trouves enfin l’âme sœur !
- Et tu crois que c’est facile avec le boulot qu’on fait ? Bon, on peut
revenir à notre affaire, reprit-elle après quelques secondes de silence.
- On file à Miami ?
- Tu conduis, lui lança-t-elle. Il faut que je passe quelques coups de fil.
- Ici Liz McCarthy, qui est-ce ?
- C’est Pablo ! J’ai un scoop pour toi. Rendez-vous comme d’habitude à
midi.
- Écoute, mon petit Pablo. Si c’est un tuyau crevé comme la dernière
fois, inutile de me déranger.
- Ne prends pas la mouche, chérie ! Cette fois-ci, c’est du béton, tu peux
me faire confiance.
- Tu n’as pas intérêt à te foutre de moi. Depuis le temps, je sais
comment tu fonctionnes. Tu n’auras pas un sou de ma part.
- Je t’assure, je tiens une information de premier plan, c’est garanti sur
facture.
- Bon, très bien, si tu insistes… On se voit tout à l’heure à l’endroit
habituel.
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Pablo était un indicateur que Liz payait grassement pour lui fournir des
tuyaux sur les affaires criminelles en cour. Elle offrait même de temps à
autres de sa personne, car Pablo lui plaisait physiquement. Il était
d’origine hispanique, peut être cubain. Elle ne le lui avait jamais
demandé franchement. Tout ce qui l’intéressait se résumait à son
aptitude à danser le tango vertical. Du moins, il était nettement plus
doué que son mari dans ce domaine. En dehors de ça et de leurs
conversations concernant le travail, ils ne parlaient pas beaucoup.
L’action plutôt que le dialogue, tel était le credo de Pablo. Cet ancien
flic était devenu détective pour le secteur privé à la suite d’une bavure
de trop ; une qu’il n’avait pas réussie à cacher aux enquêteurs du FBI. Il
s’était fait viré sans ménagement, et avait dû exercer des petits boulots
pas très recommandables pour subvenir à ses besoins, avant de
décrocher cet emploi. Sa connaissance du milieu lui avait permis de
conserver des contacts importants, dont Liz McCarthy faisait partie.
Lorsque Pablo avait des informations pour elle, il avait l’habitude de se
retrouver au bar d’un hôtel bon marché. Si l’affaire était concluante, il
arrivait qu’ils prennent une chambre pour une heure. Ils retournaient
ensuite à leur occupation respective.
De retour sur les routes du pays, les deux agents restèrent silencieux un
moment. Sarah relisait pour la dixième fois le rapport sur Roswell,
espérant trouver un indice qu’il lui aurait échappé. Malheureusement, la
conclusion était toujours identique. Elle ne voyait rien qui puisse leur
permettre de faire le lien entre l’homme, son groupuscule terroriste, et
cette attaque virale à grande échelle.
Elle appela son directeur et lui expliqua la situation, en tentant de lui
faire comprendre l’importance de ce dossier. Francis Fitzgerald lui laissa
encore une journée, après quoi les deux agents devraient passer à autre
chose. Lorsque Sarah annonça à son collègue l’ultimatum que leur
patron leur avait donné, celui-ci n’eut plus le cœur à la plaisanterie. Il
lâcha une bordée de jurons, agrippa le volant de la voiture à pleines
mains et appuya sur le champignon en mettant la sirène en marche. Il
n’avait plus de temps à perdre. Ils devaient être à Miami avant le début
de soirée, pour coffrer cet individu et lui faire subir un interrogatoire
dans les règles de l’art.
- 80 -
CHAPITRE 19
- Liz, j’ai effectué les recherches que tu m’as demandé, lança George
Goranovic.
D’origine serbe, l’homme faisait office d’assistant personnel, de
secrétaire, de caméraman, preneur de son, monteur et accessoirement
confident. En réalité, il était l’esclave de Liz, prêt à tous les sacrifices
pour sa reine.
- Et ???
- Il semble que ton contact a vu juste cette fois-ci. La NASA nous cache
des choses. Depuis deux jours, leur service de sécurité est sur le pied de
guerre. Je n’ai pas eu d’information très précise, mais on m’a fait
comprendre qu’ils auraient été les premières victimes de ce virus
terroriste. La première lettre anonyme semble être fondée.
- Continue, tu m’intéresses, reprit-elle sur un ton cassant.
- Je n’ai pas eu de confirmation, mais la NASA aurait demandé au FBI
d’enquêter sur cette affaire. Il s’agirait en fait de piratage de données
informatiques sensibles, mais je n’en sais pas plus.
- C’est maigre tout ça, annonça la journaliste. Je suppose qu’on n’a
aucune preuve solide sur laquelle s’appuyer ?
- Je travaille là-dessus. Ton contact a probablement mis la main sur
quelque chose de sérieux, au vu des réticences que j’ai rencontrées pour
obtenir des informations du service de presse de la NASA.
Officiellement, ils n’ont rien à déclarer, mais officieusement, j’ai réussi à
faire cracher le morceau à leur chargé en communication. D’ailleurs, ça
va me coûter un diner. J’espère que je pourrais le passer dans mes frais
professionnels ?
- Et puis quoi encore ? Depuis le temps que tu veux sortir avec cette
pimbêche…
- Je suis marié, je te signale ! Bon, on en reparlera plus tard, car je disais
qu’officieusement, la NASA a procédé à une vérification complète de
leur système informatique. Leurs ingénieurs cherchent à comprendre
comment le virus a réussi à infiltrer leur réseau « ultra sécurisé », dixit ta
pimbêche.
- Continue à fouiller de ce côté-là, ajouta Liz. Il y a quelques personnes
qui me doivent des services, et je pense qu’il est temps qu’on me
renvoie l’ascenseur. Je ne tiens pas à rester sur la touche dans cette
affaire.
- 81 -
En moins d’une demi-journée, Henri Durand avait fait parvenir par
livreurs spécialisés une lettre à tous les plus grands quotidiens
américains. Les rédactions des chaînes de télévision n’avaient pas été
oubliées. Sans revendiquer le moins du monde la paternité du projet,
cette lettre était néanmoins un avertissement que tous prirent très au
sérieux.
« Messieurs,
L’Amérique vient de subir une attaque terroriste sans précédent, bien que totalement
invisible, contrairement aux évènements du 11 septembre 2001. Depuis maintenant
48h, tout le réseau informatique du pays a été contaminé par un virus qu’aucun
logiciel ou matériel n’est capable de supprimer, ni même détecter. Cette affirmation
peut sembler saugrenue, mais il en existe des preuves que le FBI, la C.I.A et
N.S.A peuvent fournir. Demandez-vous simplement pourquoi depuis deux jours, la
N.A.S.A a temporairement stoppé son programme de lancement ! Demandez-vous
pourquoi depuis hier, le F.B.I et la C.I.A ont mis tous leurs enquêteurs sur cette
affaire ! Et enfin, demandez-vous pourquoi la plupart des serveurs internet, et
particulièrement ceux des agences gouvernementales, ne sont plus accessibles !
La réponse est simple, un groupe de pirates informatiques a développé en secret un
tout nouveau virus pour le compte de terroristes internationaux qui veulent faire
tomber l’Amérique dans le chaos le plus total. D’ici vingt-quatre heures, ce virus va
entrer dans sa phase de destruction, et aucun matériel n’y échappera. Les réseaux
électriques et téléphoniques vont être désactivés. Tous les transports vont être anéantis.
Les systèmes de défense du pays vont être détruits. Le blackout sera total et
irréversible !
Pour éviter cela, il existe une seule et unique solution que le gouvernement a en sa
possession. Mais voudra-t-il satisfaire les exigences demandées ? L’avenir de
l’Amérique est entre leurs mains ! »
Cette lettre qui n’était ni signée, ni datée avait fait le tour du pays en
quelques minutes. La plupart des journalistes avaient eu le même type
de réaction : « Mais qu’est-ce que c’est que ces ??? Encore un fou qui
n’est pas interné ! » Cependant, certains avaient eu la curiosité de faire
quelques recherches sur le WEB et la coïncidence était trop parfaite
pour n’être qu’un simple coup de chance. Les sites internet du
gouvernement, mais également tous les accès des plus grandes
industries du pays étaient temporairement inaccessibles. Les premiers
flashs d’information étaient apparus en fin d’après-midi. La majorité des
- 82 -
médias voyait dans cette lettre anonyme un scoop de premier ordre :
peut-être même LE scoop de toute une vie de journaliste ! Dès que les
premières annonces furent rendues publiques, aucune chaîne de
télévision n’y échappa. Le soir même, les journaux n’avaient qu’un seul
sujet à traiter : « l’Amérique sous le choc : deuxième attaque terroriste
d’envergure ». Les professionnels de l’informatique furent conviés pour
expliquer au peuple américain ce qui se passait réellement. Seulement, la
majorité d’entre eux n’en avait aucune idée ! Certains illuminés en
profitaient pour terroriser l’Américain moyen, en racontant comment ce
virus allait prendre le contrôle des systèmes nucléaires, et déclencher
une offensive qui aboutirait à la fin du monde. D’autres encore voyaient
en cela le moyen de purger définitivement le réseau internet qui était
pollué par une multitude de perversités en tout genre depuis tellement
longtemps. En fin de soirée, une chose était désormais acquise dans
l’esprit des Américains : il se passait quelque chose de grave, mais
personne n’était en mesure de connaître avec exactitude le fin mot de
l’histoire !
Liz n’en croyait pas ses oreilles. Elle avait eu entre ses mains le scoop de
sa vie, mais cette fichue lettre, envoyée par on ne sait qui, venait de lui
réduire ses espoirs à néant. La prudence avait eu raison d’elle, et elle
s’en mordait les doigts. Maintenant que le mal était fait, elle devait
annoncer du concret au journal du soir, et non pas le même tissu
d’idiotie qu’elle entendait sur toutes les chaînes depuis le milieu d’aprèsmidi.
Sarah et Don avaient écouté les mêmes informations qui tournaient en
boucle sur toutes les radios. Sachant pertinemment que l’affaire serait
révélée tôt ou tard, l’acharnement médiatique qui se profilait sous leurs
yeux allait sérieusement compliquer leur enquête. Il y avait fort à parier
que ces annonces alarmistes déclencheraient une sorte d’hystérie
collective parmi la population moyenne. Le directeur Fitzgerald venait
d’appeler Sarah pour faire un point sur leur avancement. Il s’en était
fallu de peu pour qu’ils soient obligés d’abandonner cette piste au
bénéfice du service d’investigation national que le bureau avait mis en
place.
- Écoutez-moi bien, avait lancé Francis Fitzgerald à Sarah, si la
recherche de ce Federico Fernandez n’aboutit pas ce soir, vous serez
- 83 -
tous les deux réaffectés. Je n’ai actuellement pas les moyens de laisser
traîner deux agents sur les routes !
- Je comprends monsieur, avait-elle repris, mais je pense… nous
pensons avec l’agent Dalton que c’est un suspect potentiel. Il pourrait
être l’un des instigateurs de ce virus, bien que son profil nous indique
qu’il n’en a pas les compétences. Par contre, le groupe qu’il a créé
pourrait contenir des individus capables de réaliser ce genre de chose.
En plus, notre homme a littéralement disparu de la circulation depuis sa
sortie de prison.
- Je vous laisse jusqu’à demain matin. Ensuite, vous serez réaffecté avec
les autres agents du bureau.
- Très bien, monsieur !
Quoiqu’il puisse se passer le soir même à Miami, Sarah savait désormais
que c’était leur dernière chance de faire avancer cette enquête. Si la
conclusion n’était pas heureuse, elle et Don intégreraient une cellule
nationale du F.B.I, et n’auraient plus aucun contrôle, ni pouvoir
décisionnaire. Ils deviendraient de bons petits soldats. Pour toutes ces
raisons, elle avait volontairement omis quelques détails importants, qui
pouvaient changer la face de leurs investigations. S’ils réussissaient leur
coup, ils allaient passer pour les héros de l’Amérique, dans le cas
contraire, il était inutile d’en parler.
Ils arrivèrent à Miami en début de soirée. Ils avaient tout juste eu le
temps d’avaler un sandwich sur le pouce et de rincer tout ça avec une
grande dose de caféine. Ils étaient devant l’entrée du CroBar, une boite
de nuit branchée où se retrouvaient les accros de techno, house et dance
music en tout genre… Les vigiles, en voyant leurs badges du F.B.I et
sachant tout ce qui s’était passé depuis la demi-journée, les laissèrent
entrer sans broncher. « Ça doit sûrement être une visite de routine »,
pensèrent-ils. Don, qui n’avait plus l’habitude de fréquenter ce genre
d’endroit assourdissant, préférant les bars tranquilles où il pouvait se
détendre en tapant quelques boules de billard, eut une soudaine nausée.
La musique, toujours trop forte, associée aux jeux de lumière
technoïdes, lui flanqua une migraine immédiatement. Il fit signe à Sarah
qu’il allait se diriger vers le bar pour tenter de reprendre ses esprits. Son
costume bon chic bon genre ne collait pas avec l’ambiance générale de
la soirée, où les jeunes gens ne portaient plus qu’un jean et un t-shirt,
voire seulement le jean pour certains, tout en se déhanchant au rythme
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des basses. Les néons multicolores se reflétaient sur des rubans
phosphorescents qui avaient été distribués à l’entrée. Chaque danseur en
avait disposé à sa guise : autour du cou, de la taille ou des poignets.
Sarah tentait de se frayer un chemin au travers de la piste de danse, en
scrutant au mieux chaque visage qu’elle rencontrait. Roswell ne semblait
pas être arrivé. Après avoir refusé plusieurs invitations de jeunes gens
déchaînés, elle alla rejoindre son collègue au bar. D’un simple regard, ils
comprirent qu’aucun d’entre eux n’avait aperçu leur bonhomme. Don
avait entamé un soda sans alcool, dans lequel il avait glissé un comprimé
contre les migraines qui devenaient de plus en plus fréquentes avec
l’âge. Sarah commanda une boisson caféinée pour pouvoir tenir une
partie de la nuit s’il le fallait. La soirée battait son plein, mais Roswell
n’avait pas encore montré le bout de son nez. Les deux agents
commençaient à s’impatienter, se demandant s’ils ne s’étaient pas fait
avoir encore une fois par leur contact. Plus l’heure avançait, plus ils
désespéraient d’arriver à appréhender l’homme en question. N’y tenant
plus, Don décida de prendre l’air quelques minutes pour inspecter les
environs de la boîte de nuit. La soirée devait être réservée aux V.I.P, car
le parking regorgeait de voitures haut de gamme, de gros 4x4 en passant
par de petites sportives européennes et autres limousines. Toute la jetset de Miami devait être réunie dans ce lieu pour faire la fête. Le tour du
pâté de maisons lui fit le plus grand bien. L’air vivifiant associé à son
remontant médical lui avait redonné un véritable coup de fouet. Adossé
contre la portière de son véhicule gouvernemental, il regardait à la fois
l’entrée du CroBar, le parking autour de lui et les divers couche-tard qui
déambulaient à la recherche de plaisirs nettement plus artificiels. Un
homme s’approcha et lui demanda du feu en lui montrant sa cigarette.
S’étant désintoxiqué depuis plusieurs années, Don avait pourtant gardé
l’habitude d’avoir en permanence un vieux briquet Zippo qui lui
permettait parfois d’engager une conversation plus facilement.
L’individu le remercia et poursuivit son chemin. L’instinct affûté par
plusieurs années d’expérience, l’agent Dalton avait tout de suite
remarqué que son fumeur avait un fort accent mexicain, et qu’il aurait
très bien pu être le petit frère de Roswell. Le suivant du regard, il
constata qu’il allait à la rencontre de plusieurs personnes qui venaient de
se garer quelques instants plus tôt. Le groupe qui discutait bruyamment
et rigolait à gorge déployée tout en se dirigeant vers l’entrée du nightclub. Lorsqu’ils arrivèrent à sa hauteur, Don reconnu Roswell. Il s’était
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rasé le crâne, ce qui l’avait fait douter au premier coup d’œil, mais c’était
bien lui. Il décida de les suivre à bonne distance, tout en ayant au
préalable envoyé un message à Sarah sur son portable, lui indiquant
l’arrivée de leur client. Lorsqu’elle sentit une vibration dans la poche
intérieure de sa veste, elle en tira son téléphone discrètement et lut le
SMS : « Roswell arrive ». Un message simple, mais efficace. Elle vida sa
tasse de café d’une traite, quitta le bar pour s’approcher de l’entrée. Les
videurs étaient en pleine discussion avec le groupe qu’ils semblaient
bien connaître. Les poignées de main échangées, ils s’apprêtaient à
entrer. Sarah qui arrivait au même moment aperçut derrière
l’attroupement son collègue lui faisant un signe pour désigner un
homme en particulier. En quelques secondes, Roswell était convié par
les deux agents à ressortir, sous les yeux ébahis de ses amis qui ne
comprenaient pas ce qui se passait. Des noms d’oiseaux volèrent
jusqu'au moment où Sarah montra sa plaque et dévoila délibérément le
haut de son arme, histoire de calmer les ardeurs des plus entreprenants.
Tout ce petit monde reprit son calme. Roswell leur conseilla d’aller
prendre du bon temps. Tout irait bien pour lui, car cela ne pouvait être
qu’une erreur sur la personne.
CHAPITRE 20
Au centre de la NASA, Kevin et Tony venaient de passer une journée
éprouvante. Le directeur Johnson leur avait demandé de travailler sur le
code du virus, pour tenter de connaître sa dangerosité potentielle.
Malheureusement, après avoir effectué une série d’analyses en tout
genre, le diagnostic était le même qu’en début de matinée : ils n’en
savaient absolument rien !
- Reprenons, commença Kevin qui sentait que cette histoire lui
échappait. Nous avons fait une analyse primaire du code. Cela n’a
aucune ressemblance, même éloignée, avec les standards habituels tels
que les documents texte, les bases de données, de la vidéo ou de la
musique. Nous avons également vérifié s’il n’y avait pas une
compression ou un cryptage connu, sans résultat. Je sèche, avoua
Kevin. Qu’est-ce qu’on aurait bien pu encore oublier ?
- Je ne sais pas, reprit Tony qui s’étirait sur sa chaise. On devrait peutêtre solliciter un coup de main de l’extérieur ?
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- Et à qui penses-tu ? lui demanda Kevin sur un ton ironique. Je ne vois
pas qui pourrait être plus calé que nous dans ce domaine ?
- Des spécialistes en cryptographie de la NSA ou des chercheurs en
réseaux neuronaux, des biologistes moléculaires, des spécialistes en
astronomie et pourquoi pas des médecins !
N’importe qui ayant une approche différente de la nôtre qui pourrait
nous ouvrir des portes et nous faire avancer.
- Et pourquoi pas le président des États-Unis, tant que tu y es !!!
L’informatique est une science exacte, binaire. Il n’y a pas trente-six
solutions. Soit ça colle à un format connu, soit ça ne colle pas.
- Je réfléchissais tout haut, se défendit Tony. Mais au point où nous en
sommes, je ne crois pas qu’on prenne un très grand risque à demander
l’avis d’autres corps de métiers.
- Mouaih !!!! Je serais curieux de voir ça, reprit Kevin très sceptique.
C’est vrai que les pistes que nous avons étudiées n'ont rien donné. Mais
de là à ameuter tous les scientifiques du pays, il y a quand même une
marge !
- Laissons le chef prendre la décision. Il connait peut-être des personnes
qui seront susceptibles de nous aider.
Kevin composa le numéro direct du directeur presque à contrecœur. La
secrétaire particulière de Jack Johnson lui transféra l’appel, en précisant
à Kevin que ce dernier n’était pas de bonne humeur en cette fin de
journée.
- Monsieur, nous avons analysé le code comme vous nous l’aviez
demandé, mais nous n’avons rien trouvé de très probant.
- Comment ça ? cria Jack Johnson à la limite de l’ulcère. Vous voulez
dire que vous venez de passer huit heures à plancher sur ce problème
sans avoir déniché la moindre information intéressante ?
- En réalité, le fait de ne pas avoir de résultat nous apprend tout de
même pas mal de choses. Nous savons qu’il ne s’agit en aucun cas d’un
format de fichiers classiques. Aucun morceau de code n’est clairement
identifiable comme c’est le cas pour tout ce qui touche à l’informatique.
Par conséquent, je peux vous affirmer que ce virus n’est pas la source de
destruction qu’on nous a annoncée. C’est matériellement impossible !
- En êtes-vous bien sûr ? Mettriez-vous votre carrière en jeu sur cette
supposition, Monsieur Klein ?
Kevin regarda Tony, réfléchit quelques secondes avant de répondre. Il
tenta en un temps record de soupeser les données du problème : les
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choses dont il était absolument persuadé, celles dont il doutait encore,
et celles qui le laissaient dans un scepticisme absolu.
- Je ne peux pas vous garantir à 100% que nous ayons raison, qui le
pourrait dans de telles conditions ? Par contre, d’après ce que nous
connaissons des virus informatiques actuels, je suis sûr que ce n’en est
pas un…
- Si je décrypte ce que vous venez de me dire, c’est que vous n’en savez
pas plus qu’hier, lui lança Johnson qui mettait ainsi en doute les
capacités de son ingénieur.
- Monsieur, je vous rappelle qu’aucune des personnes informées sur
cette affaire n’a encore trouvé quoi que ce soit sur le sujet. Nous ne
sommes pas en présence d’un virus créé par un étudiant quelconque,
mais d’une véritable prouesse technologique à la limite d’un
comportement biologique.
En prononçant cette dernière phrase, Kevin eut soudain une idée.
L’analogie qu’il venait d’énoncer dans le feu de l’action lui offrait une
alternative. Il continua sur sa lancée.
- Connaissez-vous des scientifiques qui travaillent dans ce domaine ?
- Oui, répondit le directeur, mais je ne vois pas bien le rapport avec ce
virus informatique !
- Justement si ! Ce n’est pas une coïncidence si ce terme de « virus » est
utilisé en informatique. Les programmeurs se sont inspirés de la nature
pour créer ces programmes dévastateurs. Ils copient le comportement
animal. La façon de s’adapter au milieu, de le contaminer et de se
reproduire est typique des virus biologiques.
- Très bien… très bien, vous m’avez convaincu ! Au point où nous en
sommes, qu’est-ce qu’on risque ? Contacter Barbara Brandenberger,
c’est une des meilleures biologistes que je connaisse. Quant à moi, je
vais appeler un vieil ami d’enfance qui travaille au département de
cryptographie de la NSA.
De retour à leur bureau, les deux informaticiens étaient en désaccord
sur la manière d’appréhender la suite des évènements. Kevin ne voulait
en aucun cas dévoiler les recherches qu’ils avaient effectuées depuis
deux jours sur ce virus, alors que Tony continuait de clamer haut et fort
qu’ils ne s’en sortiraient pas sans un sérieux coup de main de l’extérieur.
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- OK Tony ! Après tout c’est ton idée, alors tu vas appeler cette
biologiste et tenter de lui expliquer pourquoi nous sommes censés avoir
besoin de quelqu’un comme elle !
- Je m’en occupe patron, reprit ce dernier au comble de la satisfaction.
La tension entre les deux hommes était montée d’un cran, car la fierté
de Kevin avait été égratignée par son subalterne. En proposant cette
idée, Tony avait souligné ses limites de compétence et il admettait de
moins en moins ce genre de chose. Malgré sa jeunesse et son manque
d’expérience, son jeune collègue savait qu’une bonne équipe était
indispensable pour accomplir un travail difficile. Dans ses sports
collectifs préférés comme le basket-ball, il attachait finalement assez peu
d’importance au résultat final. Ce qui comptait avant tout était le plaisir
du jeu avec ses camarades, une bande de copains capables d’affronter
n’importe quel adversaire sans appréhension.
Tony contacta Barbara Brandenberger et lui expliqua en détail la raison
de son appel. Pour éviter tous risques de contamination par un logiciel
de messagerie, il lui indiqua qu’un CD-ROM contenant une partie du
code du virus sur laquelle ils avaient travaillé allait lui être envoyé le jour
même. Quelques minutes plus tard, le directeur Johnson débarqua dans
leur bureau. Il avait téléphoné à son ami de la NSA et à un chercheur en
cryptographie de sa connaissance, qui développait un tout nouveau
programme d’encodage de données pour une société privée. Les deux
informaticiens furent surpris de le voir arpenter les couloirs, ce qui ne
lui arrivait qu’exceptionnellement.
- Écoutez… vous avez fait du bon travail depuis le début de cette
histoire, alors prenez votre soirée, détendez-vous et je vous revois
demain matin.
- Merci, reprirent en cœur Kevin et Tony, stupéfaits par ce changement
d’humeur radical.
- Bon, disons que… enfin, j’ai passé quelques coups de fil et il semble
que nous en sachions plus sur ce virus que la plupart des experts du
pays. Profitez-en, car demain risque d’être une longue journée si ce qui
est revendiqué dans cette lettre se réalise.
Liz McCarthy était devenue en quelques années une journaliste adorée
du public, mais elle ne faisait pas l’unanimité dans la profession. Même
si ses débuts comme starlette de cinéma érotique faisaient partie du
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passé, cela continuait à lui pourrir la vie de temps à temps. Son
quatrième et dernier mari en date avait pourtant fait le ménage à coup
de milliers de dollars. Malgré l’énergie qu’il avait dépensée, il circulait
toujours sur internet des extraits de ses films qu’elle voulait voir
disparaître à tout jamais. Régulièrement, les prétendantes à son poste
convoité de présentatrice du journal du soir n’hésitaient pas à la
comparer à une prostituée qui avait couché pour réussir, ce qui n’était
pas faux, mais politiquement incorrect. Pour conserver son statut de
star du petit écran, Liz attaquait en justice pour diffamation tous ceux
qui avaient eu le malheur de s’en prendre à sa vertu. Comme l’argent
n’était pas un problème, elle avait engagé un avocat à temps complet
pour veiller sur ses intérêts moraux. L’affaire était même devenue
rentable à la longue. Chaque violation de sa vie privée ou photo volée
faisait l’objet d’une plainte en bonne et due forme devant les tribunaux.
Étant assez bon dans son travail, son avocat finissait souvent par
toucher des dommages et intérêts conséquents. Un véritable métier
d’avenir…
- L’antenne dans dix minutes Liz, lança un technicien de la chaîne.
La présentatrice était en plein maquillage et coiffage. Entourée d’une
maquilleuse et d’un coiffeur virevoltant autour d’elle en tentant de la
rendre visuellement agréable, elle relisait les grandes lignes qu’elle devait
présenter pour le journal du soir. Quelqu’un frappa à nouveau à sa
porte. Son assistant George Goranovic entra avec une feuille à la main.
Il lui tendit en affichant un sourire éclatant.
- J’ai réussi, finit-il par dire en lui montrant le morceau de papier.
Regarde ça !
D’un abord détaché, elle s’attarda sur un passage en particulier.
- C’est vérifiable ? demanda-t-elle.
- Pas dans l’immédiat, mais je suis garant de ma source. Cette fois-ci, ce
n’est pas un simple piratage comme on en a déjà vu. D’après mon
contact, ce virus est en train de se propager à la vitesse de la lumière sur
toutes les infrastructures informatiques du pays.
- Attends ! Tu veux dire qu’en ce moment même, la plupart des
ordinateurs sont infectés et qu’une poignée de personnes seulement
sont au courant ? Ça sent le canular à plein nez ton histoire. Il est hors
de question que je me lance dans une telle enquête sans preuve tangible.
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Réfléchi un peu, continua-t-elle sous l’effet de l’énervement, penses-tu
un instant qu’une attaque de cette envergure passerait inaperçue ?
- Je ne suis pas un spécialiste, répondit George irrité par l’attitude
négative de sa patronne chaque fois qu’il voulait lui proposer un sujet.
Tout ce que je sais, c’est que le FBI est sur le coup et ils n’ont pas
vraiment l’habitude d’engager des investigations pour des broutilles.
- Qui est ton contact ? demanda sèchement Liz. Ça ne serait pas un de
tes dégénérés de cousins, j’espère ?
- C’est bon maintenant, tu ne vas pas encore ramener cette vieille
histoire sur le tapis. Je m’excuse à nouveau pour ce qui s’était passé. On
peut clore le sujet ?
- Ne t’énerve pas mon biquet, répondit Liz qui avait la capacité
incroyable d’appuyer là où ça fait mal. Je voulais être sûre, c’est tout.
- Mon beau-frère avait fait une erreur de jugement. Cette fois-ci,
l’information m’a été fournie par un flic qui travaille sur l’affaire. Il n’a
pas pu me fournir beaucoup de détails, mais il semble que la NASA soit
impliquée d’une manière ou d’une autre. Il faut juste qu’on découvre si
le problème a été identifié chez eux parce qu’ils sont les premiers à
l’avoir détecté, ou parce que ça vient réellement de chez eux.
- Fais des recherches sur le personnel de la NASA, et essaye de
m’établir la liste des ingénieurs et techniciens qui ont des connaissances
techniques suffisantes pour concevoir ce type de virus. Moi, j’ai une
dette à me faire rembourser par leur directeur, et je pense qu’il va être
temps qu’il passe à la caisse, ce cher Jack !
Après ces bonnes paroles, Liz endossa son costume de journaliste et
débita les mêmes informations que ses collègues des chaînes
concurrentes… Aucun d’entre d’eux ne savait ce qui était en train de se
produire. Mais la concurrence étant rude, personne ne voulait rester en
retrait.
CHAPITRE 21
Dans la voiture qui les ramenait à leur bureau, Sarah et Don n’avaient
pas pu placer une seule parole tellement Federico Fernandez était
volubile. Ce dernier désirait avant toute chose savoir pourquoi le FBI
l’avait arrêté.
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- Si je ne suis pas en état d’arrestation, qu’est-ce que je fous ici ?
- On vous emmène pour interrogatoire, avait repris Don.
- Un interrogatoire !!! Et vous étiez obligés d’employer les grands
moyens pour ça ? Devant mes amis en plus, vous n’avez aucun sens
moral ma parole.
- Et c’est un taulard qui nous dit ça, reprit Don ! Mais mon pauvre ami,
si nous le voulions, nous pourrions vous jeter en tôle rien que pour
avoir délibérément coupé les ponts avec votre contrôleur judiciaire.
- Quoi ??? Vous vous foutez de moi ! Je suis passé le voir à ma sortie de
prison pour lui expliquer que j’avais trouvé du travail ici à Miami, et il
devait transférer mon dossier. Il se fout de moi ce gratte-papier.
- Du calme, amigo. On résoudra ce problème plus tard. Pour le
moment, nous avons des questions nettement plus urgente à vous
poser.
- Rien à foutre, je ne dirais rien de plus si je n’ai pas un avocat.
- Mais vous êtes bouché ma parole ! gueula Don qui n’y tenait plus.
Vous n’êtes pas en état d’arrestation… enfin pour le moment parce que
si vous continuez à nous chauffer comme ça, on va rapidement changer
de ton. Vous n’avez pas besoin d’avocat, on va juste avoir une petite
discussion entre gens civilisés. OK ?
- On dit ça et à la première occasion, je vais me retrouver au trou pour
terrorisme international ou je ne sais quelles conneries que vous aurez
inventées.
- Ça suffit maintenant, cria Sarah qui avait tenté de garder son calme
jusqu’à leur arrivée. Fermez-la ou je vous inculpe pour outrage à agent
gouvernemental, et avec votre passé, vous replongeriez en un rien de
temps.
Roswell prit un air renfrogné tout en continuant à marmonner des
insultes dans sa barbe et à leur faire des gestes obscènes à découvert.
Don l’observait discrètement en jetant un coup d’œil dans son
rétroviseur intérieur. Il le vit faire, mais conserva le silence pour ne pas
énerver Sarah. Il avait hâte d’arriver au bureau du FBI de Miami pour
en terminer avec lui. Aucun d’entre eux ne put profiter de cette chaude
nuit étoilée qui tombait sur la Floride.
Sarah avait annoncé leur arrivée à leurs collègues de la ville. Malgré
l’heure tardive, leur annonce ne gêna quasiment personne. Les seuls
plantons encore présents dans les locaux étaient les gardiens de nuit et
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deux inspecteurs qui planchaient sur une grosse affaire de drogue.
Roswell fut immédiatement emmené dans une salle d’interrogatoire.
Sarah prit les taureaux par les cornes d’entrée de jeu.
- Nous savons que vous faites partie du groupe anarchiste appelé
« Dead Zone » qui a juré d’anéantir le gouvernement américain. Vous
êtes notre principal suspect dans l’attaque virale informatique qui a eu
lieu il y a deux jours.
- Quoi !!! C’est une blague ? Vous m’avez arrêté pour ça ? Je n’y connais
rien en ordinateur ! ajouta-t-il en ricanant.
- C’est ce qu’on dit… Le fait est que vos déclarations antérieures vous
ont fait passer en tête de liste des personnes à interroger.
- Hé ! attendez ma petite dame, ce que j’ai fait dans le passé, je l’ai payé
en allant en prison pendant près de dix ans. Maintenant, je me suis
rangé, j’ai même trouvé un travail.
- Et vous faites quoi ?
- Je travaille pour un ami, dans la restauration.
- Mais encore, il m’en faut quand même un peu plus pour que je puisse
vous croire.
- Le night-club dans laquelle vous m’avez coffré tout à l’heure, je bosse
dans un des restaurants du patron.
- Ne me mentez pas, Monsieur Fernandez, car nous allons vérifier.
- Je le jure sur la vierge Marie !
- Vous voulez bien laisser les évangiles et toute la Sainte Famille en
dehors de ça… ce n’est vraiment pas le moment. Alors, vous déclarez
ne plus faire partie des « Dead Zone » ?
- NON !!! Enfin, je voulais dire oui, je ne fais plus partie de ce groupe.
- Alors, c’est oui ou non ?
- Ah ! Vous m’embrouillez la tête avec vos questions. Tout ce que je
peux vous dire, c’est qu’à ma connaissance, ce groupe n’existe plus
depuis plusieurs années. Il n’a pas survécu à mon arrestation. Si vous
aviez lu mon dossier, vous sauriez que le financement des opérations
était réalisé par un ami qui a été arrêté et emprisonné en même temps
que moi.
- Admettons que ce soit la vérité, que pouvez-vous nous dire sur le
virus que vous avez propagé sur le réseau informatique du pays ?
- Vous êtes vraiment bouchée, je vous dis que je n’ai rien à voir avec ça.
Je n’ai jamais touché à un ordinateur de ma vie ! Chaque fois que je
m’approche d’un de ces trucs, il tombe en panne.
- 93 -
- Intéressant tout ça. Cela sous-entend que vous avez réussi à
contaminer les ordinateurs uniquement par la force de la pensée ?
- Merde ! Vous me faites chier ! Je veux mon avocat.
- Du calme mon gars, reprit Don qui voyait que les choses
commençaient à s’envenimer entre Sarah et Roswell. On cherche
simplement à savoir si quelqu’un dans votre situation peut être impliqué
dans cette affaire.
- Je vous l’ai dit cent fois, je me suis rangé.
- Vous affirmez que lorsque vous approchez d’un ordinateur, il tombe
en panne. Vous pouvez être plus précis ? demanda Sarah d’une voix
moins agressive, mais tout aussi ironique.
- Je n’en sais rien. À chaque fois que j’ai voulu toucher à un de ces
machins, tout s’arrête ! On m’a dit que c’était une histoire d’électricité
statique ou un truc comme ça ! Vous pouvez demander à la prison où
j’étais coffré, j’avais été banni des endroits ou il y avait des ordinateurs.
- On vérifiera ça aussi.
Don et Sarah échangèrent quelques paroles à voix basse. La nuit étant
bien avancée, ils décidèrent de laisser Roswell en détention provisoire
jusqu’au lendemain matin. Cela leur donnerait le temps nécessaire pour
évaluer les différentes déclarations du prévenu. Et puis, le fait de passer
quelques heures à l’ombre aux frais de la princesse ne lui ferait pas de
mal. Cela compenserait son attitude négative durant le trajet, faute de
l’impressionner. Ce genre d’individu, grand habitué des us et coutumes
policiers, pouvait parfois craquer alors qu’on ne s’y attendait pas.
- Jack, ici Liz McCarthy !
- Quelle bonne surprise ! grommela le directeur de la NASA qui sentait
le vent tourner en orage destructeur. Qu’est-ce que je peux faire pour
ma journaliste préférée à une heure aussi avancée de la nuit ?
- Oh, pas grand-chose ! J’appelais simplement pour prendre des
nouvelles. Ça fait longtemps, n’est-ce pas ?
- Pour être tout à fait honnête, pas assez à mon goût ! Écoute, je n’ai
pas vraiment le temps de discuter, j’ai énormément de travail, alors
venons-en au fait tu veux bien ?
- Toujours aussi direct ce bon vieux Jack ! OK, je ne vais pas tourner
autour du pot. Tu me dois une faveur, tu te rappelles ?
- Et comment oublier ça ? murmura-t-il presque pour lui-même.
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- C’est le moment de me renvoyer l’ascenseur. J’aimerais savoir ce qu’il
se passe à la NASA en ce moment ?
- La routine, on prépare le prochain lancement, et si tu veux un scoop,
on aura un équipage entièrement féminin cette fois-ci !
- Ne me prends pas pour une idiote, je sais de source sûre que vous êtes
empêtrés dans cette histoire de virus informatique…
Le directeur ne réagit pas sur l’instant. Il réfléchit une petite seconde
pour tenter d’analyser au mieux la situation. S’il niait tout en bloc, ça
risquait d’aiguiser les soupçons de la journaliste et empirer les choses. Il
savait par expérience qu’elle pouvait être aussi tenace qu’une tique sur
un chien. Alors jusqu’où pouvait-il aller ? Elle lui avait sauvé la mise à
son arrivée au poste de directeur de la NASA. Cette histoire de
prostituée aurait pu ruiner sa carrière, mais elle avait préféré oublier
« temporairement » tout ça jusqu’à ce jour. Il joua cartes sur table.
- On a effectivement un problème informatique comme la plupart des
agences du pays. Le FBI travaille avec mes meilleurs ingénieurs sur
l’affaire. Pour le moment, je n’ai aucune autre information sur ce qu’il se
passe.
- Sais-tu d’où ça vient ? D’un État émergeant ? D’un groupe terroriste ?
- Aucune idée, annonça-t-il laconiquement. Nous n’avons aucune piste
sérieuse pour l’instant.
- Et qu’est-ce que ça implique ? C’est du vol de données informatiques,
un virus, c’est quoi ?
- Encore une fois, je n’en sais absolument rien. Tout le monde planche
sur le problème sans vraiment comprendre ce qu’il se passe. Et Liz, s’il
te plait, garde ça pour toi pour le moment. Je ne tiens pas à voir
débarquer toute la presse aux portes du centre spatial. Nous
rencontrons assez de difficultés comme ça.
- Tu me connais, voyons.
- Justement…
- Et en plus, tu m’insultes ! Ça n’est pas bien Jack, tu me fais vraiment
de la peine.
- Je t’en prie Liz, laisse ça au chaud encore quelques heures. Je te
promets de te tenir informée personnellement dès qu’on en saura plus.
- Tu as plutôt intérêt mon biquet ! Ma patience a des limites…
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CHAPITRE 22
De retour en Suisse, Henri Durand avait passé sa matinée à scruter ses
moniteurs de contrôle enfouis dans sa cachette souterraine. Il avait
également poursuivi son travail sur le code du virus. Le décalage horaire
lui avait donné une bonne journée d’avance sur l’ultimatum lancé aux
Américains. Ses différents contacts ne lui avaient rien appris de
nouveau. Aucun des services gouvernementaux américains n’avait fait
de déclaration publique, ce qui laissait penser que personne ne savait
comment stopper ce virus. Henri jubilait dans son bunker aménagé en
bureau high-tech. L’heure de la revanche allait enfin sonner. Lui qui
avait été un des pionniers du développement informatique dans les
années 80 et qui était désormais délaissé par les membres de sa propre
fondation, avait ainsi une occasion unique de montrer de quoi il était
encore capable. Son passé n’avait pourtant rien d’extraordinaire, même
s’il avait connu les périodes les plus intéressantes de l’informatique. Son
premier emploi avait été un véritable tremplin pour sa carrière.
Travaillant sur la conception d’un système d’exploitation, il avait très
vite grimpé les échelons de son entreprise pour devenir chef de projet.
La firme qui l’avait embauché avait fait de lui un des meilleurs dans son
domaine, aussi bien au niveau de la réalisation de logiciels, du
management d’équipe qu’au niveau financier. Il maîtrisait parfaitement
tous les rouages d’une telle entreprise, dont il prit les fonctions de
directeur du développement quelques années plus tard. À l'approche du
vingt et unième siècle, son statut faisait beaucoup d’envieux, ce qui
l’irritait passablement. Lui qui avait travaillé toute sa vie comme un
forcené pour obtenir ce poste avait un seuil de tolérance limité envers
ces gens. Il n’était pas dupe et savait comment certains collègues de
travail le considéraient, le critiquaient et le démolissaient derrière son
dos. Il retrouva la sérénité et découvrit le vrai bonheur lorsque sa
femme lui donna leur premier enfant : une petite fille. Il décida de
déléguer un maximum de tâches pour profiter de sa paternité toute
fraiche. Les années filèrent à une vitesse sans qu’il s’en rende compte.
Pour le huitième anniversaire de sa princesse, il prit deux semaines de
congé bien mérité. Ils passèrent tout leur temps dans des parcs
d’attractions, allèrent au cinéma et rendirent visite à leurs familles
respectives. Après ses quinze jours de pur bonheur, il reprit sa routine
- 96 -
habituelle, en se jurant de recommencer aussi souvent que possible de
telles escapades.
Malheureusement, la vie lui joua un tour imprévu. Par un matin
pluvieux, sa femme conduisit sa fille à l’école, comme elle le faisait tous
les jours de la semaine. Au détour d’un virage serré, la route détrempée
par une fine pluie tombée toute la nuit fit perdre le contrôle à un
chauffeur de camion-citerne. Les roues de l’engin glissèrent sur le
bitume jusqu’à se bloquer contre le trottoir. L’ensemble bascula
lourdement et se coucha en travers de la chaussée. Le liquide
inflammable qu’il transportait se répandit très rapidement. Arrivant sur
zone, la voiture de madame Hutchinson commença à déraper sur cette
mare d’huile devenue aussi glissante que du verglas. Après une tentative
désespérée pour redresser son véhicule, elle finit par percuter la citerne
allongée sur le bas côté. La femme d’Henri étant d’une prudence
extrême au volant, la faible vitesse de son automobile permit d’atténuer
le choc final. Malheureusement pour elles, le système de fermeture
automatique des portes refusa de se déverrouiller, les condamnant dans
l’habitacle. Les deux occupantes, coincées dans leur cercueil d’acier et
de verre, tentèrent de s’extraire de leur voiture pendant plusieurs
secondes avant que le moteur finisse par s’enflammer. Plusieurs autres
automobilistes vécurent le même calvaire et vinrent emboutir l’amas de
tôle déjà en place. Le feu commençait à attaquer la citerne, l’explosion
était imminente. Malgré l’aide de quelques passants qui accouraient pour
essayer de les secourir, l’inévitable arriva. Le camion-citerne finit par
exploser, ne laissant aucune chance aux deux femmes. Une boule de feu
grimpa vers le ciel, accompagnée d’une vague de chaleur insupportable
pour un être humain. En moins de temps qu’il en faut pour le dire, le
brasier avait atteint des températures extrêmes. Les pompiers arrivant
toute sirène hurlante ne purent s’approcher à moins d’une cinquantaine
de mètres du carnage.
Lorsqu’Henri fut prévenu par le chef de la police du comté, sa vie
s’arrêta dans la seconde. L’homme dynamique, débordant de créativité
et d’une intelligence remarquable, se transforma en un véritable mortvivant. Il fut incapable de surmonter ce drame dans un premier temps,
sombrant dans une dépression qui devait lui être fatale. Pourtant, son
esprit cartésien reprit le dessus au fur et à mesure du temps. Dans ses
- 97 -
heures moins sombres, il voulait comprendre pourquoi sa femme et sa
fille n’avaient pas pu être évacuées de cette maudite voiture, qu’il avait
lui-même achetée. L’obsession devint plus forte que tout le reste. Il ne
recommença jamais à travailler, préférant passer ses jours et ses nuits à
étudier le déroulement de l’accident. Il devait trouver la raison pour
laquelle le circuit électrique avait bloqué les portes. Il lui fallait des
réponses, mais surtout un coupable à punir.
CHAPITRE 23
Sarah et Don venaient de passer une partie de la nuit à recouper les
informations recueillies lors de l’interrogatoire de Roswell. Les
nouvelles n’étaient pas réjouissantes, car tout ce qu’il leur avait dit
concordait parfaitement avec les témoignages des différents
interlocuteurs qu’ils avaient réussi à contacter. Que ce soit le directeur
de la prison, qui leur confirma qu’il avait dû faire réparer trois
ordinateurs lorsque l’homme avait voulu s’initier à l’informatique, ou les
personnes qui affirmèrent qu’il travaillait bien dans un restaurant chic
du centre de Miami, Roswell semblait s’être rangé. Son agent de
probation avait retrouvé la mémoire comme par miracle et leur indiqua
qu’il avait bel et bien accordé son transfert à un collègue à Miami. Les
deux fédéraux furent obligés de le laisser partir, faute de preuve, mais ils
s’arrangèrent pour garder un œil sur lui. Une patrouille le suivrait
discrètement pendant quelques jours. Sarah essaya de contacter le
directeur Fitzgerald pour faire un point sur l’affaire. Malgré l’heure
matinale, elle réussit à le joindre à sa première tentative. À croire que
son patron ne dormait jamais ! Plus rien ne l’étonnait le concernant. Il
lui demanda de rentrer à Houston en urgence pour faire un débriefing
avant l’ultimatum imposé sur la lettre anonyme.
Après plus de cinq heures de vol, ils arrivèrent dans le bureau de leur
directeur vers onze heures trente. La réunion tourna court, car l’heure
avançant à grande enjambée, ce dernier devait participer à une
conférence téléphonique avec les autres services gouvernementaux.
Francis Fitzgerald ordonna aux deux agents de retourner à la source de
l’affaire, c'est-à-dire la NASA. De son côté, il se rendit dans la salle de
vidéoconférence ou l’attendait, placardé sur les différents écrans, le
- 98 -
visage de ses homologues. Le président des États-Unis, à travers son
chargé de communication, fit passer un message clair et précis : « le
gouvernement américain ne se pliera jamais au chantage. Les terroristes
seront poursuivis, arrêtés et jugés avec la plus grande sévérité ». Les
directeurs des agences avaient désormais l’obligation de protéger au
mieux les ressources du pays, et mettre en œuvre tous les moyens
disponibles pour contrer cette attaque. L’heure n’était plus aux demimesures, il fallait contre-attaquer très fort pour anéantir cette menace.
En arrivant à la NASA, les deux agents fédéraux furent accueillis par le
Jack Johnson, qui les convia à rejoindre le bureau des ingénieurs Kevin
Klein et Anthony Alessandro. Il ne restait plus qu’une poignée de
minutes avant le déclenchement des hostilités. Les salutations faites,
Sarah engagea la conversation.
- Avez-vous réussi à déterminer la dangerosité de ce virus ?
- Pas précisément, répondit Tony qui était ravi de revoir Sarah. On sait
ce qu’il ne peut pas faire, par comparaison avec ce qui existe déjà.
Seulement, il est tellement différent dans sa façon de se propager que
tout cela n’est que supposition.
- Et d’après vous, que va-t-il se passer ?
- S’il est aussi évolué qu’on le pense, continua Kevin, je suppose que ça
ne devrait pas traîner. Nous avons deux options. Soit il ne va rien
arriver, car nous avons réussi à exterminer la source du problème, soit il
va tout détruire si on en croit la lettre que nous avons reçue. Toute
l’infrastructure informatique du pays va s’arrêter. Nous risquons
d’assister à un chaos total en somme… Dans la première optique, les
réseaux publics devront être décontaminés, dans la seconde, je vous
laisse imaginer les conséquences.
- Ce n’est pas rassurant, reprit Don qui sentait la tension montée.
- En tout état de cause, dit Tony, nos ordinateurs portables n’ont jamais
été contaminés, ce qui nous laisse une chance de plus d’arrêter le
désastre si besoin est…
- Quelle heure est-il ? demanda le directeur Johnson.
- Plus que trois minutes monsieur, lui répondit Tony qui conservait un
œil rivé sur sa montre.
L’ultimatum imposé par le courrier de revendication arrivait à son
terme. Tous les services gouvernementaux étaient sur le pied de guerre.
- 99 -
L’armée avait été alertée et avait déployé plusieurs contingents dans les
grandes villes américaines. Il fallait limiter la panique en cas de réelle
attaque terroriste, même si cette présence massive était elle-même une
source de trouble. L’information concernant les lettres anonymes
n’avait pas filtré jusqu’aux médias du pays. Une fois n’était pas coutume,
un secret d’État n’avait pas été divulgué. Pourtant, ce déploiement de
force inquiétait les Américains et faisait les choux gras de la presse.
Chacun y allait de son commentaire, exprimait un point de vue parfois
totalement surréaliste. Liz McCarthy, qui ne voulait pas rester sur la
touche, ordonna à son assistant de sortir pour prendre la température
dans la rue, là où les militaires se déployaient, là où le public s’affolait.
En Suisse, Henri Durand attendait avec impatience le décompte final. Il
scrutait avec angoisse les différents écrans allumés devant lui. Il savait
qu’il vivait un grand moment, mais doutait encore de la suite des
évènements. L’anxiété le gagnait au fil des minutes. Il avait réglé ses
ordinateurs et sa montre sur l’horloge atomique, base de temps terrestre
unique. Il était presque midi aux États-Unis, 17 h 59 min 55 s, 56s, 57s,
58s, 59s… 18 h en Europe !
À Houston, les pendules affichaient douze heures. Les cœurs battaient à
tout rompre, le souffle court, les bouches entre ouvertes en apnée, les
différents acteurs présents dans le bureau de Kevin et Tony n’y
croyaient pas. Trente secondes venaient de s’écouler, puis une minute et
rien… absolument rien ne s’était produit ! Kevin commença à pianoter
sur le clavier de son ordinateur, faisant les premières vérifications qui
s’imposaient.
- C’est incroyable, dit-il avec une excitation certaine. Il ne s’est rien
passé ! En tout cas ici, reprit-il plus sereinement.
- Je file vérifier dans d’autres services, lui lança Tony en se précipitant
vers la porte.
- Qu’est-ce que ça signifie exactement ? demanda Sarah qui n’en
revenait pas de voir Kevin, aussi excité que s’il venait de recevoir un
prix Nobel !
- Je veux dire qu’il ne s’est absolument rien produit, comme je l’avais
espéré par ailleurs ! Regardez par vous-même, tous les serveurs du site
fonctionnent, c’est incroyable.
- Bien joué, lui lança le directeur Johnson en lui serrant la main
chaleureusement.
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- Merci monsieur, mais restons calmes. Rien ne nous indique que tous
les problèmes soient entièrement résolus, rajouta-t-il le regard pétillant.
Il faut qu’on analyse tout cela très attentivement.
Jack Johnson s’empressa de dégainer son téléphone portable et appela
successivement ses principaux contacts dans les autres agences. Le fait
d’avoir le réseau était en soi une preuve de plus de l’inefficacité du virus.
Les uns après les autres, ses interlocuteurs lui annoncèrent le même
résultat. L’antivirus de fortune que Kevin Klein avait programmé avait
fait des miracles. Aucun problème particulier n’avait été constaté. Le
directeur Johnson resta encore quelques minutes à contempler avec
bonheur les écrans informatiques affichant des choses auxquelles il ne
comprenait rien, puis sortit du bureau où régnait une ambiance
d’exaltation. Il ajouta un mot à l’intension de son ingénieur.
- Kevin, nous avons du pain sur la planche pour combler le retard
accumulé depuis deux jours. Je reviendrais prendre la température à la
fin de la journée. Agent Spader, agent Dalton, merci de vos efforts en
ces circonstances bien particulières.
Il sortait du bureau juste au moment où Tony, accourant au pas de
course, faillit le percuter de plein fouet.
- Je suis désolé, monsieur !
- Il n’y a pas de mal mon garçon, alors qu’elles sont les nouvelles ?
- Tout est OK, monsieur ! Je viens de faire quelques tests avec les
différents chefs de service, et le virus a bel et bien été éradiqué de notre
réseau.
- Parfait, continuez !
CHAPITRE 24
De l’autre côté de l’Atlantique, Henri n’en revenait pas. Lui qui croyait
tenir sa revanche sur le monde civilisé, allait de déception en déception.
Il constatait que le virus était toujours présent sur le réseau américain,
mais que l’attaque annoncée n’avait pas eu lieu. Il pensait avoir dompté
la bête afin d’obtenir une destruction complète des systèmes
informatiques américains, et même planétaires. Ce revers inattendu le
laissa perplexe, et une pointe d’angoisse commença à l’envahir. Il
n’arrivait pas à trouver un début d’explication à ce qui venait de se
- 101 -
produire. Il avait travaillé des heures d'affilée pour déchiffrer le code et
le modifier à sa guise, mais voyait en cet instant son labeur anéanti.
Ne comprenant ni le pourquoi, ni le comment de ce fiasco, il décida de
sortir de son cachot souterrain pour prendre l’air et réfléchir aux
prochains évènements. Après avoir passé plusieurs heures enfermées
dans son bunker, la douceur de cette fin d’après-midi lui fit le plus
grand bien. Le gazouillis des oiseaux le tira de sa rêverie. Il se dirigea à
l’arrière de sa cabane où une vue extraordinaire sur le lac Léman lui
rappela que la nature n’avait rien à envier à l’homme, à ses constructions
hideuses, à ses machines de destructions en tout genre et à son attitude
désinvolte envers cette magnifique planète. Un rapace dessinait des
cercles au-dessus de la cime des arbres, à la recherche de nourriture.
Soudain, il piqua vers le sol sans un bruit, puis réapparu quelques
secondes plus tard avec un petit rongeur planté entre ses griffes acérées.
Il alerta sa nichée de cette prise en poussant des cris aigus de victoire. À
la vue de ce prédateur des airs, Henri eut une illumination. Il avait fait
fausse route depuis le début, et commençait à entrevoir une solution
possible à son problème. Il retourna à grandes enjambées dans son
terrier, vérifia quelques données présentes sur un moniteur, puis se
replongea dans le code du virus. La nuit était déjà bien avancée lorsqu’il
décida d’appeler son contact aux États-Unis.
- Allo ! C’est Henri.
- Tu nous as raconté des foutaises mon vieux ? Je croyais que ton virus
devait anéantir le réseau !
- C’est beaucoup plus compliqué que ce que nous avions pensé.
- Peut-être, mais en attendant, on vient de se prendre une raclée et je
doute que le conseil d’administration soit emballé par toute cette
mauvaise publicité que la presse nous a fait subir. En plus, si le FBI
nous tombe dessus, on risque de passer un sale quart d’heure.
- Pas de panique, car j’ai trouvé une solution pour le stopper.
Seulement, d’après mes dernières expérimentations, il est impossible à
éradiquer, ni à contrôler, et ce, pour une très bonne raison…
- Je ne veux rien savoir, coupa son interlocuteur. Je me suis
personnellement impliqué dans cette affaire et si ça me retombe dessus,
je ne serais pas le seul à en faire les frais. De toute façon, j’arrête les
opérations ce soir même et je vais faire un gros nettoyage pour ne
laisser aucune trace. Je te conseille d’en faire autant, et tout de suite.
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- Laisse-moi le temps d’y réfléchir, reprit Henri contrarié par la lâcheté
flagrante de son contact.
Il coupa la communication sans autre forme de politesse. Il ne pouvait
plus faire confiance à personne, même à cette personne qu’il considérait
aujourd’hui comme son seul véritable ami. Ce projet opportuniste qu’il
avait mis en place à la suite d’une découverte sur le réseau de la NASA
prenait l’eau de toute part. Il ne faisait aucun doute que ses principaux
collaborateurs suivraient les directives de l’équipe dirigeante. Sans en
prendre réellement conscience, Henri était sur le point d’être écarté
définitivement de la fondation qu’il avait créée. Les membres influents
n’allaient pas couler avec lui. La débâcle qu’ils venaient d’encaisser lui
serait attribuée, justifiant ainsi la raison de son éviction du poste de
présidence. Il serait bien entendu remercié avec les honneurs dus à son
engagement depuis de si longues années. Néanmoins, sa fin était
proche. Ses idées novatrices avaient fait leur temps, et l’argent amassé
au fil des années avait fini par faire des envieux de toute part. Le
business avait pris le pas sur les concepts de protection de la nature, de
l’environnement et du bien-être. Henri faisait figure de dinosaure parmi
les siens.
L’agent Spader venait d’avoir son directeur au téléphone. Il lui avait
confirmé que les différents rapports qui venaient d’arriver au FBI
annonçaient tous le même état de fait : la destruction du réseau
informatique américain n’avait pas eu lieu. Les vérifications préconisées
par les ingénieurs de la NASA montraient que le virus était toujours
présent sur les sites qui n’avaient pas encore été sécurisés et sur le
réseau public, mais il restait aussi inactif qu’auparavant. Hormis sa
propagation fulgurante, rien ne laissait penser qu’il évoluerait dans un
sens ou dans un autre. Kevin et Tony étaient ravis de cette évolution
des choses, et extrêmement soulagés. Tony songeait déjà prendre
quelques jours de repos bien mérités, sur les bords d’une plage du
Nouveau-Mexique, à surfer, bronzer et pourquoi pas faire des
rencontres opportunes. Kevin ne sentait pas les choses tourner dans ce
sens. Pour lui, le problème était loin d’être réglé, et il ne voyait pas une
fin particulièrement heureuse dans cette affaire. Le phénomène de
contamination des machines restait son plus gros défi. Il n’arrivait pas à
comprendre, ni même entrevoir un début de solution à ce mystère.
Alors qu’autour de lui tout le monde fêtait avec excitation le
- 103 -
dénouement favorable de cette soi-disant attaque informatique, il
conservait une concentration extrême. La migraine ne tarderait d’ailleurs
pas à le rattraper, il la sentait venir insidieusement. Au moment où il
s’apprêtait à sortir du bureau pour aller chercher de quoi calmer le
martèlement qu’il commençait à ressentir au niveau des tempes, Sarah et
Don en profitèrent pour les remercier de leur aide précieuse et
quittèrent l’agence spatiale.
Leur tâche allait s’avérer beaucoup plus compliquée maintenant qu’ils
devaient recommencer leur enquête depuis le début. Leur principale
piste, qui les avait amenés à arrêter le dénommé Roswell, s’était
terminée en cul-de-sac. Ils espéraient pouvoir continuer à travailler sur
cette affaire en tant qu’enquêteurs décisionnaires, mais au vu des
évènements survenus en cette fin de matinée, leur patron allait
certainement les détacher auprès d’un agent beaucoup plus expérimenté.
En arrivant au siège du FBI, Sarah se dirigea directement vers le bureau
de Francis Fitzgerald. Il était en pleine conversation téléphonique avec
le directeur de la NSA, qui venait de lui indiquer une nouvelle fois ses
interrogations envers cette histoire. Il était persuadé que le groupe
terroriste qui avait émis l’ultimatum ne pouvait pas être les auteurs de ce
virus. Il lui semblait impensable, s’ils avaient vraiment été maîtres du
jeu, qu’un fiasco pareil puisse survenir après l’affolement général qu’ils
avaient déclenché à travers la presse. Les entités qui mettaient au point
ce genre d’opérations quasi militaires ne rataient jamais leur coup s’ils
n’étaient pas interrompus par les autorités. Les exemples dans le passé
avaient montré ce qu’ils étaient capables d’accomplir. Il raccrocha enfin
et ajouta à l’attention de Sarah :
- Agent Spader. J’ai lu votre rapport sur l’arrestation du dénommé
Federico Fernandez. Dans vos conclusions, vous indiquez qu’il est
probablement innocent, du moins pour l’affaire actuelle.
- Effectivement monsieur le directeur. Nos recherches nous avaient
laissé penser qu’il était toujours à la tête du groupe qui se faisait appelé
« Dead Zone », mais les dernières vérifications que nous avons faites
après l’avoir interrogé, nous montre que ce groupe a été dissous il y a
plusieurs mois.
- Alors, pourquoi avoir émis un doute dans vos conclusions ?
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- Je ne saurais l’expliquer clairement. Disons que mon instinct
m’indique qu’il reste une part d’ombre chez ce personnage que nous
n’avons pas encore réussie à éclaircir.
- De toute manière, reprit le directeur en s’adressant à Sarah et Don qui
venait de les rejoindre dans le bureau, j’ai eu des recommandations à
suivre provenant de Très-Haut, et je dois affecter tous mes agents
disponibles à cette unique affaire. Je suis obligé de vous transférer
pendant quelques jours à Washington.
La messe était dite pour les deux fédéraux qui s’attendaient à une
décision de ce genre. Leur petite escapade à la recherche de Roswell
n’ayant pas donné les résultats escomptés, ils ne pouvaient rien espérer
de plus. L’ampleur grandissante de cette histoire de virus leur avait joué
un bien mauvais tour. Ils allaient devoir se mettre au service d’un agent
« senior », alors qu’ils pensaient tous les deux en avoir fini avec les
corvées des débutants.
CHAPITRE 25
Au lendemain du jour où l’Amérique aurait dû sombrer dans le chaos,
Sarah Spader et Don Dalton se présentèrent au siège du FBI à
Washington. Leur arrivée passa presque inaperçue parmi la centaine
d’agents arrivant en renfort de tous les coins du pays. Au total, plus de
deux cents hommes et femmes allaient travailler sur cette affaire. Pour
manager cette équipe hors-norme, la personne qui avait été mise à la
tête de cette armada aurait probablement dû être à la retraite depuis
longtemps. Il s’appelait Herbert Hoover, comme le trente et unième
président des États-Unis. La soixantaine passée depuis quelque temps
déjà, il restait un infatigable travailleur. Le repos, qu’il avait bien mérité
après de nombreuses années à œuvrer au sein du gouvernement
américain, n’était plus d’actualité. Hoover avait pourtant fêté dignement
son départ du service actif, à la suite de l’insistance acharnée de sa
femme qui voulait profiter de leur bonne santé respective pour faire des
voyages. Seulement, lorsqu’on a été le directeur général du FBI, puis
conseiller technique auprès de plusieurs présidents des États-Unis, il est
relativement difficile de tout plaquer du jour au lendemain. Il avait
néanmoins fait des efforts pour lâcher ce milieu, mais ces contacts
privilégiés avec les hommes les plus influents du pays l’avaient rattrapé
- 105 -
plus vite que prévu. De simples appels téléphoniques en visites de
courtoisie, ses anciens collègues venaient régulièrement lui demander
son avis sur des sujets d’actualité.
L’affaire du virus, ayant fortement ébranlé le gouvernement aux yeux de
l’opinion publique, n’avait guère laissé d’option au chef de l’État. Il
fallait mettre un homme d’expérience sur le coup, et lui donner les
moyens techniques et humains de résoudre le problème rapidement et
efficacement. La veille de ce qui devait être le jour « J », Herbert Hoover
avait été contacté en urgence par le directeur actuel du FBI. Il avait dans
un premier temps refusé de prendre part à l’enquête, même en tant que
simple consultant. Mais sur les insistances du président des États-Unis,
il avait fini par capituler et donner son accord juste avant l’heure « H » !
Une réunion de crises venait d’avoir lieu. Tous les agents avaient reçu
des directives très précises sur les investigations à entreprendre pour les
jours à venir. Une base de données des personnes et groupes
susceptibles d’avoir programmé un tel virus avait été établie et une liste
de noms à vérifier avait été attribuée à chaque agent. La réunion finie,
Herbert Hoover demanda à Sarah Spader de rester quelques instants,
alors qu’elle s’apprêtait à sortir de la salle avec ses collègues. Elle fut
agréablement surprise qu’il la connaisse, mais s’interrogea tout de même
sur la raison qui le poussait à la faire patienter. Lorsqu’ils furent seuls,
Hoover se lança.
- Agent Spader, j’ai regardé les premiers résultats d’enquêtes qui ont été
menées depuis le début de cette affaire et j’ai remarqué que c’est vous
qui avez été la première sur le coup.
- Effectivement monsieur. À la demande du directeur Fitzgerald qui est
un ami du directeur de la NASA, j’ai pris contact avec les deux
informaticiens du centre spatial qui ont été les premiers à détecter ce
virus.
- Dans votre rapport, vous indiquez qu’un certain Kevin Klein a été
votre premier suspect. Avez-vous creusé la question ?
- Tout semble montrer qu’il pourrait être l’auteur de ce virus. Il en a les
connaissances en tout cas, mais je n’ai pas eu accès à l’ensemble de son
dossier qui est classé « Top secret » pour des raisons que j’ignore.
- Venez avec moi dans mon bureau s’il vous plaît. J’ai peut-être les
réponses à vos questions.
- 106 -
Après avoir salué plusieurs personnes qui sortaient de la salle de
conférence, Sarah et Herbert se dirigèrent vers une pièce à l’extrémité
du bâtiment. L’endroit était spacieux, meublé d’éléments modernes de
façon assez spartiate, en totale contradiction avec l’image qu’elle se
faisait de ce type de bureau. Partout où elle était passée, les directeurs
d’agence avaient des meubles anciens, de grande valeur. Herbert
Hoover ne mangeait pas de ce pain-là. Malgré ses soixante ans bien
tassés, il avait le goût du design épuré. Sa chaise en était un flagrant
exemple ; le cuir noir de qualité venait épouser un bois d’ébène sculpté à
la main, masquant astucieusement toutes visseries et tous autres
systèmes de fixations composant ses différentes parties. Sa table et son
armoire, mélange de bois vernis et de verre dépoli, rendaient l’ensemble
très reposant. C’était le modèle même du lieu où il fait bon travailler
sereinement, toute l’année. En voyant Sarah scruter avec attention la
pièce, Herbert sourit intérieurement.
- Joli bureau, n’est-ce pas ?
- Tout à fait à mon goût, monsieur.
- Malheureusement, ce n’est pas le mien. D’ailleurs, je n’en ai pas
vraiment besoin dans ces locaux, étant donné que je suis à la retraite,
reprit Hoover en laissant échapper un clin d’œil malicieux. Cela ne
m’empêche pas de l’apprécier malgré tout. Regarder ceci, ajouta-t-il en
montrant un dossier.
Le document portant la mention « Top Secret ». Il le déposa sur la table
en direction de Sarah. Elle s’approcha pour y jeter un œil. Hoover lui fit
signe de s’asseoir. En feuilletant rapidement les quelques pages
présentes dans la chemise cartonnée, elle comprit immédiatement
pourquoi elle avait été bloquée dans ses recherches. Kevin Klein avait
été exploité par le FBI pendant plusieurs années, dans des conditions
assez douteuses, et personne ne souhaitait revoir cette vieille affaire
refaire surface. Le passé ne devait pas toujours être déterré. Klein luimême n’avait pas désiré faire de vague sur ces dix années passées dans
la clandestinité du gouvernement. Sarah en déduit qu’il n’avait pas de
rancune particulière envers les autorités.
- Vous comprenez maintenant pourquoi le gouvernement ne veut pas
ébruiter l’incarcération de cet homme, ajouta Hoover après un moment
de silence.
- Si je comprends bien, les connaissances de monsieur Klein ont été
utilisées contre son gré, et ceci pendant plus de dix années.
- 107 -
- Le plus extraordinaire dans cette affaire, c’est qu’il a été jugé seulement
au bout de ces dix années. Cet homme, pour sa famille et ses amis, a
purement et simplement disparu de la surface de la Terre pendant une
décennie.
- Il n’y a pas eu de plainte, ni demande de dommages et intérêts lorsqu’il
a été libéré.
- Je ne peux pas tout vous dire, car certains éléments de l’équation ne
sont connus que de deux ou trois personnes dont je ne fais pas partie.
Par contre, je sais que sa réhabilitation a été largement subventionnée
par l’État, pour éviter un scandale potentiel. Vous rappelez-vous les
manifestations que ces proches avaient organisées peu avant son
procès ? Le porte-parole du gouvernement de l’époque avait été obligé
de faire des excuses publiques pour apaiser la colère naissante d’un large
public. Il faut dire que lorsque la famille de Klein avait eu vent que
l’homme était toujours vivant, et gardé prisonnier sans même avoir été
jugé, l’affaire avait fait couler beaucoup d’encre. La presse avait
d’ailleurs largement contribué à en faire un martyr des temps modernes.
Au final, le président avait préféré accorder sa grâce à ce détenu
atypique.
- Je n’ose même pas imaginer ce qu’il a dû ressentir à sa libération, reprit
Sarah perplexe par ce qu’elle venait d’entendre. Je dois avouer qu’au vu
de ces nouveaux éléments, je suppose qu’on peut aisément comprendre
la rancune qu’il a pu conserver envers le FBI. Cela explique son attitude
froide et négative lorsque nous l’avons rencontré la première fois.
- Pour être tout à fait franc avec vous, lorsque j’ai été alerté par le
problème qui nous occupe, j’ai lu les différents rapports concernant
cette affaire et quelques noms ont retenu mon attention. Kevin Klein,
même s’il en fait assurément partie, à prouver depuis plusieurs années
qu’il avait tourné la page sur ces activités d’antan. À mon avis, faitesvous-en un allié plutôt qu’un ennemi. Ses connaissances pointues dans
le monde de l’informatique vous seront d’une aide précieuse, et vous
garderez ainsi un œil sur lui en toute discrétion.
- Que suggérez-vous, Monsieur, que je lui demande d’être consultant
spécial au FBI ?
- Pourquoi pas ! Je suis sûr que vous trouverez le moyen de le
convaincre de vous aider le moment venu.
- Parfait, si vous pensez qu’il est la meilleure option que nous ayons, je
ferais appel à lui.
- 108 -
- Agent Spader,
- Oui, monsieur.
- Tenez-moi personnellement au courant de l’avancement de votre
enquête.
- Très bien monsieur.
CHAPITRE 26
Henri Durand venait de passer deux jours à étudier le code du virus. Ses
dernières expérimentations l’avaient amené à une solution qui lui
permettait de stopper la contamination. Pourtant, il n’avait trouvé aucun
moyen de le contrôler contrairement à ce qu’il avait cru réussir quelques
heures plus tôt. L’ultime discussion qu’il avait eue avec ses contacts aux
États-Unis l’ayant refroidi, il décida de faire cavalier seul dans cette
lutte.
Son portable sonna pour la première fois depuis plusieurs heures.
- Allo !
- Bonjour Henri. Comme je n’ai plus de nouvelles, je voulais savoir
comment tu allais.
- Très bien, mais j’avoue que je suis étonné que tu me rappelles, vu la
tournure de notre dernière conversation.
- Je suis désolé, reprit l’homme. Je m’étais un peu emporté à la suite du
fiasco que nous avons tous constaté. Il faut dire que les principaux
commanditaires de l’association m’avaient passé un savon juste avant
que je t’appelle, mais j’espère que c’est oublié, car j’ai besoin de ton aide.
- C’est oublié !!! C’est vite dit. Ça va faire deux jours que je travaille sur
le code du virus en sachant que je n’aurais plus de soutien d’aucune
part. Tu peux comprendre aisément que je ne sois plus très chaud pour
partager mes informations à ce tarif-là !
- Je suis désolé pour ce qui s’est passé, et j’espère sincèrement que cela
ne va pas contrarier notre projet initial. J’aurais bien aimé venir t’aider
dans tes recherches, mais je ne peux pas m’absenter en ce moment.
Mon patron ne me le permettra jamais.
- De toute façon, lança Henri un rien enorgueilli, je ne pense pas qu’on
puisse faire grand-chose de plus. Je ne peux rien te dire par téléphone,
mais il me semble désormais évident que le virus est hors de contrôle.
- 109 -
- Très bien, je te fais confiance sur ce point. Je te rappellerai un peu plus
tard.
À Washington, Sarah et Don avaient repris leurs investigations. Noyés
parmi la centaine d’agents travaillant sur cette affaire, ils avaient tout de
même été affectés à des tâches plus intéressantes que leurs collègues qui
étaient contraints d’effectuer des recherches administratives. Les
différentes bases de données tournaient à plein régime et les téléphones
chauffaient dans tous les bureaux. Les deux fédéraux de Houston
faisaient partie du peloton de tête et avaient rejoint l’équipe dirigée par
Herbert Hoover en personne. Leurs assistants collectaient les
informations recueillies par les enquêteurs, analysaient les données, et
établissaient un ordre de priorité. Sarah, Don et une poignée d’autres
agents étaient chargés d’aller sur le terrain pour définir la dangerosité
potentielle des suspects, et le cas échéant, procédaient aux arrestations
pour un interrogatoire en règle.
Après trois jours passés à sillonner les routes, les interpellations avaient
été nombreuses. Plusieurs criminels en puissance furent arrêtés,
quelques groupuscules de toute sorte furent démantelés, mais rien ne fit
réellement avancer l’enquête. Hoover convoqua une nouvelle fois tous
les agents fédéraux et fit un point précis de la situation. La majorité des
personnes fichées dans les dossiers gouvernementaux avait été
contrôlée, sans retour positif pour l’affaire en cour. Les esprits
commençaient à s’échauffer, Hoover en tête de liste. Les moyens
importants mis à sa disposition avaient certes donné des résultats sur la
baisse de la criminalité du pays, mais n’avaient en aucun cas permis de
trouver le ou les responsables de ce virus. La presse ajoutait une
pression supplémentaire. Le rabattage quotidien finissait par énerver les
agents fédéraux, qui se démenaient comme des diables pour apporter
une réponse aux nombreuses questions que le public se posait.
L’incompétence, comme certains journalistes peu scrupuleux
l’annonçaient, n’était pas le problème. Rien dans cette histoire n’était
habituel !
- Mesdames, Messieurs ! Voilà trois jours que nous travaillons d’arrachepied pour trouver les auteurs de ce virus. Les investigations ont permis
de démanteler plusieurs groupes terroristes et d’arrêter quelques
- 110 -
criminels recherchés, mais en ce qui concerne notre affaire, il semble
bien que nous ayons fait fausse route. Je ne vois pas trente-six solutions
à ce problème : nous ne cherchons pas là où il faut ! J’ai demandé ce
matin l’aide des différents pays avec lesquels nous avons des
partenariats. La plupart d’entre eux ont déjà commencé à enquêter et
m’ont fait parvenir des dossiers et des noms. À compter d’aujourd’hui,
vous allez m’éplucher tout ça à la loupe. Je veux tout savoir sur ces
personnes, leur enfance, leur parcours, leurs relations… etc. Demain à
la même heure, nous referons un point de la situation. Merci.
Tout le monde reprit le chemin des bureaux et s’attela à la tâche. Les
investigations ne donnaient rien de très intéressant et Hoover ne voulait
pas voir débarquer dans son antre divers hauts représentants du
gouvernement. Pour cette affaire en particulier, il avait le feu vert du
président, mais l’opinion publique, échauffée par une presse
omniprésente, ne lui faisait aucun cadeau. Il fallait trouver le coupable
très rapidement.
Liz McCarthy n’était pas le genre de femme à se laisser marcher sur les
pieds. Elle ne devait son statut de superstar du petit écran qu’à ellemême, du moins c’est l’intime conviction qu’elle en avait. Ses différents
maris, de par leurs relations, lui avaient apporté une aide précieuse.
Seulement, dès que le divorce était prononcé, elle s’arrangeait pour tout
oublier. Cela faisait deux jours qu’elle avait eu une conversation avec le
directeur de la NASA, et malgré la promesse qu’il lui avait faite, elle
n’avait plus de nouvelle de sa part. La patience n’étant vraiment pas son
fort, elle s’impatientait et sa contrariété naissante la rendait encore plus
désagréable. Elle avait aiguisé son instinct de journaliste dans des
enquêtes tordues à souhait, qui demandait de nombreuses relations des
deux côtés de la loi ; gangsters et policiers. Son expérience de la nature
humaine lui conférait également un excellent flair en la matière. Elle
sentait venir les pires coups fourrés, et par conséquent flairait le scoop
avant tout le monde. Cette histoire de pirates informatiques était louche,
trop louche pour n’être que ce à quoi ça ressemblait. Elle en était
intimement persuadée, il se tramait une affaire juteuse derrière tout ça.
Son assistant George Goranovic avait beau faire des pieds et des mains,
ses informations restaient trop superficielles pour être exploitables. Il
fallait qu’elle s’en charge elle-même.
- 111 -
Son journal de la mi-journée achevé, George la félicita comme il avait
l’habitude de le faire depuis qu’il était à son service, puis lui apporta un
dossier en guise de récompense du jour.
- Qu’est ce que c’est, demanda-t-elle ? Encore une de tes enquêtes
bidon ?
- Toujours le mot pour rire, finit-il par répondre en lui intimant l’ordre
de jeter un œil. Cette fois-ci, c’est du solide.
Liz feuilleta rapidement plusieurs pages, avant de refermer le document
en question. Des images défilaient dans sa tête à une allure inimaginable.
Elle avait souvent tendance à s’emballer lorsqu’un scoop lui pendait au
nez, mais son brave assistant servait de tampon à son tempérament de
feu. Il savait trouver les mots pour la freiner. Elle finit par lâcher un
sifflement de stupéfaction.
- Pas mal du tout ! Organise-moi une réunion avec le staff demain. Je
veux que ça fasse l’ouverture du journal dès que possible.
- Ça manque de faits vérifiables, ajouta-t-il. Il serait peut-être judicieux
d’approfondir le sujet avant de se lancer comme des morts de faim sur
un biscuit gouleyant !
Liz éclata de rire… George avait encore du mal à intégrer les
expressions typiquement américaines et finissait indéniablement par
sortir un mélange de termes venus de son imagination fertile. Cela lui
donnait malgré tout un certain charme, le genre beau gosse timide, mais
gaffeur.
- Je vais m’en occuper de ton biscuit, lui répondit-elle avec tous les
sous-entendus qu’elle pouvait faire passer. Bon, j’ai vu un nom qui me
parait intéressant dans ce papier, un certain Klein… Kevin Klein !
Marrant, avec un nom pareil il aurait dû faire du prêt-à-porter.
Tous deux rirent de bon cœur, même si George ne comprenait pas
vraiment l’allusion qui le dépassait totalement, l’important était de
participer !
- Je crois que ça va être compliqué, continua-t-il. Mon contact m’a dit
qu’il venait d’être intégré à l’enquête, et qu’il collaborait activement avec
le FBI.
- Dommage, son profil me paraissait intéressant. Et son jeune collègue,
un certain Anthony Alessandro, qu’est ce qu’on a sur lui ?
- Rien, répondit George. C’est le parfait stéréotype du boyscout sans
histoire ! De brillante étude en informatique, c’est un grand sportif, belle
- 112 -
gueule d’après la gent féminine, il travaille à la NASA depuis près de
trois ans. C’est ce que tu appelles le « parfait célibataire ».
- Effectivement, dit-elle en voyant la photo de Tony présente dans le
dossier. Un vrai petit ange ! Avec lui, ce sera du tout cuit…
CHAPITRE 27
Le lendemain, la réunion à Washington annonça la fin d’une étape
cruciale. Hormis quelques cas isolés qu’il fallait encore vérifiés, le
ratissage organisé par les agences gouvernementales avait porté ses
fruits. Plus un seul pirate informatique ne leur était désormais inconnu.
Ils avaient été identifiés, fichés et certains commençaient à être
étroitement surveillés. Hoover mit sur pied une rencontre entre les
responsables du gouvernement impliqués dans l’enquête et les différents
acteurs de ces investigations. Ils en conclurent que l’unique option qu’il
leur restait à ce jour était de centrer leurs recherches sur les ingénieurs
des sociétés spécialisées dans la haute technologie et les anciens
programmeurs de haut vol. Une chasse aux sorcières fut mise en place
dans la plupart des pays industrialisés. Comme le continent américain
était pour le moment le seul touché par ce virus, certains
gouvernements ne leur accordèrent qu’une aide timide. Cependant, les
spéculations allant bon train, les Européens avaient décidé d’offrir leur
entière collaboration, par crainte d’être contaminés à leurs tours. La
presse américaine s’acharnait sur toutes les nations qui émettaient des
réserves, de l’Europe de l’Est, à la Russie en passant par la Chine. Les
pays du Golfe furent également soupçonnés d’être les auteurs de cette
attaque. Les principaux journaux ressortaient de vieilles affaires pour
étayer les thèses les plus farfelues. L’Amérique était en crise et les
étrangers en étaient forcément la cause. Le summum avait été atteint
quelques heures avant la fin du monde annoncée, lorsque les
publications titraient à grand renfort de slogans-chocs : « L’Amérique à
nouveau en guerre », « Le monde contre les Américains »… etc. Au
moment où les Canadiens déclarèrent avoir également été contaminés
deux jours plus tard, suivi par l’Argentine et le Mexique, les esprits se
calmèrent et le soutien des différentes communautés mondiales fit taire
les mauvaises langues pour de bon.
- 113 -
Hoover provoqua en fin de journée une ultime réunion. Il donna à
chacun des participants une liste très précise d’individus à contrôler, et
demanda un rapport d’investigation pour le lendemain midi. Des fax
furent envoyés un peu partout dans le monde ; les bonnes vieilles
télécopies qu’on croyait enterrées par la messagerie électronique avaient
encore de beaux restes. Chaque groupe d’enquêteurs avait été assigné à
une entreprise bien particulière et devait effectuer des recherches sur
leurs différents employés. L’industrie informatique mondiale allait
passer à la moulinette, du simple programmeur à l’ingénieur système, en
passant par le patron de start-up au président de multinationale. Parmi
le lot conséquent de personnes, une infime partie seulement posa des
problèmes aux agents fédéraux, dont un en particulier, un certain
Harold Hutchinson qui semblait avoir disparu de la circulation.
Originaire d’Allemagne, cet homme avait travaillé pour une très grande
firme de développement de logiciels aux États-Unis pendant près de
vingt ans. L’enquêteur qui avait la charge de cette firme n’avait rien vu
de particulier dans le dossier de cet ingénieur, hormis le fait qu’il avait
quitté son entreprise du jour au lendemain sans laisser aucune trace. Les
départs de personnel dans ce genre de sociétés étaient monnaie
courante, car la concurrence était rude. Pourtant, rien n’indiquait dans
ce cas précis que Hutchinson avait été débauché, ou s’était mis à son
compte. Il fut donc classé parmi les personnes à rechercher en priorité.
C’est à Sarah et Don que fut confiée cette mission. Les deux compères
commencèrent leur investigation avec un optimisme très relatif. Les
quelques heures passées à Washington leur avaient apporté déception
sur déception. L’enquête piétinait malgré les moyens déployés, et ils ne
voyaient pas comment la faire avancer. Le contact avec d’autres agents
chevronnés avait pourtant installé une ferveur bénéfique dans le groupe,
mais les jours s’égrenant sans aucun résultat probant dégradaient le
moral des troupes. Don fit appel à un interprète allemand pour tenter
de retrouver la trace de ce monsieur Hutchinson. Sarah avait commencé
à établir le parcours de l’homme depuis son arrivée aux États-Unis.
Harold Hutchinson avait débarqué sur le nouveau continent à la fin des
années quatre-vingt, juste après avoir décroché son diplôme d’ingénieur
en informatique. Les différents projets qu’il avait développés durant ses
études ayant été remarqués par de nombreuses sociétés, il n’avait eu que
l’embarras du choix quant à son avenir. Il avait fini par choisir
- 114 -
l’Amérique, espérant secrètement voir son rêve se concrétiser.
Embauché dans la principale firme de développement de logiciels, il
avait gravi les échelons très rapidement. Il occupait un poste clé avant
de quitter cette société. En feuilletant son état civil, Sarah découvrit
pourquoi il avait abandonné ses fonctions du jour au lendemain : le
décès de sa femme et sa fille. Noté en congé à durée indéterminée par
son employeur pendant plusieurs mois, il avait fini par être licencié. Sa
maison avait été vendue au même moment et ses comptes bancaires
fermés quelques jours plus tard. L’homme avait purement et
simplement disparu. Don reçu très peu d’informations dans un premier
temps. Les services de police allemande lui ayant fourni que des
banalités administratives classiques, il s’était rabattu sur la mairie de sa
ville natale. Bon an mal an, il finit par retrouver sa trace à l’aide d’un ami
de sa famille. Il lui avait raconté qu’Harold Hutchinson était réapparu
pour le mariage de sa jeune sœur. La piste étant trop belle pour la laisser
échapper, il demanda un coup de pouce aux autorités locales, qui lui
rapportèrent qu’aux dernières nouvelles, il avait quitté le pays pour
s’installer quelque part en Suisse.
Dans les locaux de la NASA, Kevin Klein et Anthony Alessandro
avaient brillamment rempli leurs fonctions. Le programme spatial avait
été remis sur les rails beaucoup plus vite que ce qu’ils avaient cru. Le
virus informatique n’ayant pas produit le résultat escompté par son
auteur, les deux informaticiens avaient réussi à éliminer toute trace de
leur réseau interne. Des précautions spécifiques avaient été prises et
tout était rentré dans l’ordre. Tony en avait profité pour demander
quelques journées de congé qu’il pensait avoir amplement méritées.
Kevin lui aussi aurait aimé décompresser après ces jours de tension
extrême, mais le directeur Johnson avait préféré miser sur la plus grande
prudence et désirait voir ses effectifs pleinement opérationnels jusqu’au
prochain lancement de navette, prévu deux semaines plus tard.
Le rythme de travail avait repris de plus belle à l’agence, et les deux
informaticiens retrouvaient doucement le calme et la sérénité d’avant.
Le centre spatial fourmillait d’allées et venues dans les différents
secteurs d’activité. Les hommes et femmes se démenaient, car le retard
occasionné par ce contretemps devait être réduit au maximum. Kevin
restait malgré tout extrêmement perplexe au sujet de ce virus. L’étude
- 115 -
approfondie ne lui avait rien appris de nouveau, ce qui l’irritait au plus
haut point. Aucun code informatique ne lui avait résisté jusqu’alors. Le
manque de temps était son seul ennemi. Pourtant, dans ce cas précis, il
séchait littéralement. Le code binaire lui paraissait trop simple et trop
répétitif pour pouvoir faire ce qu’il avait constaté de ses propres yeux. Il
sentait qu’une chose lui échappait sans en comprendre la raison. Tony
avait tenté de le rassurer, en lui disant de laisser couler, que ce n’était
finalement pas si important de connaître le fin mot de l’histoire, mais
rien n’y faisait. Son amour propre et sa fierté en pâtissaient. Plongé dans
ses pensées, Kevin fut soudainement ramené à la réalité par la sonnerie
de son téléphone portable.
- Allo !
- Bonjour monsieur Klein, ici Sarah Spader du FBI. Comment allezvous ?
- Bien, reprit Kevin surpris par cet appel et cette question quelque peu
familière dans la bouche d’un agent gouvernemental.
- Je vous contacte, car nous avons besoin de vos conseils en tant
qu’expert en informatique. Nous aimerions que vous nous
accompagniez demain matin. Nous avons de bonnes raisons de penser
que nous avons déniché l’auteur du virus.
La flatterie avait fait son effet sur Kevin qui voyait en cette demande la
chance de connaître enfin le dénouement de cette histoire. « L’expert en
informatique » qu’il laissait transparaître aux yeux du FBI et surtout de
la charmante Sarah Spader venait de lui redonner du baume au cœur. Il
hésita pour la forme, en faisant comprendre que cette proposition
devait tout d’abord être approuvée par son directeur, mais donna son
accord de principe si toutes les conditions étaient remplies.
- Ne vous en faites pas, monsieur Johnson est déjà au courant et nous a
accordé votre détachement auprès de nos services. Nous passerons
vous chercher demain matin, et penser à prendre quelques affaires de
rechange, car nous ne reviendrons peut-être pas le soir même, mais plus
certainement le lendemain dans la matinée.
- Très bien, fit Kevin qui s’en trouvait d’autant plus intrigué.
- Et une dernière chose monsieur Klein, n’oubliez pas votre passeport.
- Mon passeport, mais où diable voulez vous m’emmener ?
- Je ne peux rien vous dire de plus aujourd’hui pour ne pas
compromettre notre mission. Je vous saurais gré de ne pas en parler,
même à vos collègues, amis ou familles. Bonne fin de journée.
- 116 -
- OK, à demain lâcha-t-il finalement l’esprit embrouillé par tant de
cachotteries.
En réalité, Jack Johnson avait piqué une grosse colère lorsque son ami
d’enfance, le directeur du FBI Francis Fitzgerald, lui avait littéralement
ordonné de lui laisser son meilleur informaticien pour quelques jours.
La discussion avait tourné court quand il avait appris que l’ordre venait
de Très-Haut, et qu’aucun d’entre eux n’avait la possibilité de décliner
cette demande. Ce que Fitzgerald ne savait pas, c’était que Herbert
Hoover avait fait appuyer sa requête par le président des États-Unis en
personne, pour être sûr que l’affaire aboutisse dans les plus brefs délais.
- Est-ce que j’ai bien compris, demanda Tony à son collègue ? Je n’ai
pas le droit de prendre quelques jours de congé après tout ce qu’on
vient de vivre et vous, vous partez en voyage ?
- Ce n’est pas aussi simple que ça, mon garçon. Je ne pars pas en
voyage, je suis convoqué par le FBI, il y a une très grosse différence.
- Vous avez des choses à vous reprochez ou quoi ?
- Mais non, enfin ! Et puis, je pense avoir assez donné dans ma
jeunesse. D’après ce que j’ai compris, ils ont demandé mon assistance
pour leur affaire en cours… mais je ne sais rien de plus.
- Et vous partez pour combien de temps ?
- Je n’en sais strictement rien, mentit Kevin qui ne voulait pas que
l’interrogatoire dure trop longtemps.
- Vous savez où vous allez au moins ?
- Même si je le savais, je ne peux rien te dire. On m’a demandé la plus
grande discrétion.
- Allons, chef, c’est moi, Tony !
Il regarda Kevin avec l’air le plus suppliant qu’il pouvait donner, mais
voyant que la manœuvre ne fonctionnait pas, il reprit :
- Et comment se fait-il que le FBI ne m’ait pas demandé de venir pour
vous accompagner ?
- Il faudra que tu leur poses la question toi-même.
- Pourtant, je pensais que j’avais un bon feeling avec l’agent Spader.
Il rangea quelques papiers, pianota sur son clavier d’ordinateur avant de
reprendre :
- Vous penserez à moi au moins !
- Je t’enverrai une carte postale, finit par répondre Kevin sur un ton
claquant.
- 117 -
Les jérémiades de son jeune collègue commençaient à l’excéder. Tony
était un garçon très sympathique, mais lorsqu’il se sentait délaissé, il
devenait très collant !
CHAPITRE 28
Le lendemain matin, juste après le lever du soleil, Sarah et Don
passèrent chercher Kevin à son domicile. Sur le chemin qui les
conduisait à l’aéroport, la conversation fut réduite au minimum. Chacun
essayait de se réveiller doucement, mais le bruit sourd du véhicule,
associé à la radio diffusant les informations du jour sur un ton
monocorde, laissait les occupants dans une torpeur brumeuse. Don,
assis du côté passager, commençait à ronfler joyeusement lorsque la
voiture s’immobilisa devant un hangar privé du complexe aéroportuaire
Georges Bush. Herbert Hoover, ayant carte blanche pour cette affaire,
avait bien prévu les choses, car l’avion les attendait, fin prêt pour le
décollage. Le pilote et son copilote, tous les deux militaires de carrière
avaient l’habitude de ce genre de mission « diplomatique » comme ils
aiment les appeler. Accompagnées par deux hôtesses civiles, ces balades
en jet étaient un véritable bonheur, comparé aux transports de troupes
et de matériels qu’ils réalisaient en règle générale.
Kevin fut agréablement surpris par la qualité du service. Pour des
militaires, ils avaient mis les petits plats dans les grands : accueil des
passagers, présentation de l’équipage, consignes de sécurité… Tout était
fait pour que le voyage se passe dans les meilleures conditions. Un petit
déjeuner avait même été prévu, ce qui permettrait aux trois acolytes
d’appréhender la longue journée avec sérénité.
- Maintenant que nous sommes à bord, pouvez-vous m’en dire un peu
plus sur ce qui nous attend aujourd’hui ? demanda Kevin légèrement
inquiet.
- Je crois en effet que nous vous devons quelques explications,
commença Sarah. Depuis notre dernière rencontre à la NASA, les
choses ont beaucoup évolué. Je ne vous cacherai pas que durant la
première phase de l’enquête, vous avez été un suspect potentiel, au vu
de votre parcours quelque peu chaotique et de vos compétences dans le
domaine qui nous intéresse.
- 118 -
- Ça fait toujours plaisir à entendre, marmonna Kevin.
- J’en suis désolée, mais nous ne devions écarter aucune piste.
- Et juste pour mon information personnelle, comment suis-je passé de
suspect à… consultant ? finit-il par demander.
- J’y viens, mais permettez-moi de reprendre l’histoire depuis le début,
voulez-vous ? Au commencement de l’enquête, nous nous sommes
restreints aux personnes déjà fichées ayant les compétences suffisantes
pour programmer ce virus. Le fait que votre agence ait été la première à
découvrir le problème nous a laissé un drôle d’arrière-goût. La
coïncidence était trop évidente pour ne pas faire le lien avec vous. Je
pense que vous le comprenez aisément. Nous avons donc enquêté sur
un panel d’une quinzaine d’individus dans un premier temps. Un
homme s’est naturellement retrouvé en tête de liste à cause des actions
terroristes qu’il avait pu commettre dans le passé. Après des recherches
plus compliquées que prévu, nous avons enfin réussi à mettre la main
dessus. Malheureusement, l’interrogatoire a confirmé qu’il n’avait rien à
voir avec tout ça.
- Pour faire suite aux lettres anonymes, nous avons été détachés à
Washington, lança Don.
- En effet, poursuit Sarah. L’enquête a pris une nouvelle dimension à
partir de ce moment-là. Comme vous avez dû le remarquer, l’opinion
publique a joué un rôle non négligeable dans cette affaire. Les pressions
de toute part ont obligé le gouvernement à mettre de nombreux agents
sur cette enquête. Elle a d’ailleurs été confiée à un homme d’expérience,
Monsieur Hoover.
- Ce nom me dit quelque chose, reprit Kevin !
- Durant vos années passées à travailler pour le FBI, il en était le
directeur.
- « Travailler pour le FBI ! », vous avez une jolie façon d’appeler les
choses... agent Spader.
- Appeler moi Sarah, voulez-vous ?
- À condition que vous m’appeliez Kevin.
- Ce sera « agent Dalton » pour moi, lança Don avant d’éclater de rire en
voyant ses deux camarades le regarder d’un air curieux.
- Je disais donc, reprit Sarah, qu’à la suite de ça, l’équipe de Monsieur
Hoover a épluché en détail les dossiers de plusieurs milliers de
personnes, du simple étudiant en informatique, au président de
multinationale, en passant par les techniciens et autres ingénieurs. Tout
- 119 -
ce petit monde a été contrôlé, les antécédents, relations, impôts, compte
bancaire, absolument tout ce qui est susceptible de nous intéresser.
- Plusieurs jours de paperasses pour arriver à une poignée de candidats,
murmura Don.
- Effectivement, nous avons réussi à circonscrire le cercle des pirates
potentiels à quatre individus. Pour éviter toute fuite ou débâcle, les
hauts responsables ont décidé de planifier les interventions à la même
heure GMT. C’est d’ailleurs pour cela que nous sommes partis de
bonne heure ce matin, car nous allons interpeller le suspect le plus
prometteur. Il habite en Suisse.
- En Suisse ! s’exclama Kevin. Il fait quel temps là-bas actuellement ?
- Ne vous inquiétez pas de la météo, nous n’aurons pas le loisir de faire
du tourisme.
- En effet Don, reprit Sarah. Notre mission est très précise. Nous
devons intercepter l’homme à 16 h heure locale, ceci le plus sereinement
possible pour vous permettre de contrôler les installations
informatiques en place. Les trois autres équipes ont les mêmes
consignes. Si nous nous sommes trompés et que votre présence est
requise sur un des trois autres sites, cet avion est à votre disposition.
- Et où sont les autres groupes ? demanda Kevin.
- La première équipe est aux États-Unis, à New York pour être précis, la
seconde à Montréal au Canada et la troisième à Londres en Angleterre.
Nous, nous allons à Lausanne, du moins dans la campagne avoisinante.
- Qu’est ce que vous pouvez me dire sur l’homme que nous devons
rencontrer ?
- Vous le connaissez peut-être sous le nom d’Henri Durand, le
président de la fondation « Avenir Propre »…
- Quoi ??? Henri Durand ? Vous parlez que je le connais. Je l’ai même
rencontré lors d’une de ces conférences. C’est incroyable tout de même,
vous ne pensez pas sérieusement qu’il est dans le coup ?
- Et comment ! lança Don. Notre bonhomme s’appelle en réalité
Harold Hutchinson, émigré d’Allemagne aux États-Unis où il a fait une
carrière en tant que concepteur de logiciels.
- Un système d’exploitation, pour être tout à fait correct, reprit Sarah. Il
est un de ceux qui ont développé l’antique DOS, utilisé chez IBM au
début des années quatre-vingts. Il a, par la suite, travaillé sur différents
projets qui ont véritablement changé la face du monde, en proposant
des outils toujours plus fiables, plus puissants et plus intuitifs.
- 120 -
- Il y a quelques années, il a tout plaqué du jour au lendemain et a
littéralement disparu de la surface de la Terre. Nous avons réussi à faire
le lien avec Durand seulement hier, c’est vous dire.
- Nous avons découvert, reprit Sarah, qu’à la suite d’un accident de
voiture où il a perdu sa femme et sa fille, il a fait une grosse dépression.
Il réapparait quelques mois plus tard sous un nom d’emprunt, qui n’était
en fait que le nom de jeune fille de sa femme, une Française émigrée
comme lui aux États-Unis. Pour son nouveau prénom « Henri », on
suppose que ça faisait plus « français » qu’Harold.
- Il y a peut-être une autre explication, lança Don. La fondation qu’il a
créée était à l’origine basée à Paris. S’il avait pris un nom étranger, les
Français ne l’auraient sûrement pas accueilli aussi chaleureusement. Son
succès vient avant tout de cette époque. C’est seulement après avoir
réussi quelques coups médiatiques qu’on a commencé à en entendre
parler hors de l’Europe. Par la suite, un conglomérat de riches
partenaires répartis sur toute la planète a allègrement permis l’expansion
qu’on connait. D’ailleurs, j’ai lu dans son dossier que Hutchinson, enfin
je devrais dire Durand, n’avait plus de pouvoir décisionnaire. En gros, il
est devenu une sorte de pantin !
- Excusez-moi si je pose une question idiote, renchérit Kevin, mais
comment s’est-il transformé en ennemi public numéro un aux yeux du
FBI ?
- Parce qu’il a la gueule de l’emploi, gloussa Don, le sourire en coin.
- Lorsque nous avons retrouvé sa trace en Allemagne, continua Sarah, il
n’avait rien du suspect idéal. Les recherches faites par les autorités
locales nous ont permis de le pister jusqu’en Suisse où il vit
actuellement. Depuis hier midi, une surveillance discrète a été mise en
place. Nous avons capté une transmission téléphonique qui nous laisse
penser qu’il est loin d’être blanc comme neige.
À ce moment-là, le petit déjeuner fut servi. Les trois compères en
profitèrent pour se rassasier. Sarah indiqua à Kevin comment la journée
allait se dérouler, puis chacun d’entre eux exploita les quelques heures
d’avion restantes avant l’atterrissage pour se reposer.
- 121 -
CHAPITRE 29
À l’atterrissage, une équipe locale attendait Sarah, Don et Kevin. Ils
furent conduits jusqu’au quartier général où un briefing fut donné. Les
photos de surveillance de l’entrée du parc où habitait Durand étaient
étalées sur une table, ainsi que des vues satellite de l’endroit. Le dossier
complet de l’homme fut présenté, agrémenté d’un portrait qui venait
d’être pris au téléobjectif quelques heures plus tôt. Henri Durand,
comme à son habitude, avait eu la mauvaise idée de faire un tour
d’inspection de son lieu de vie.
Au même instant, à Londres, Montréal et New York, les trois autres
unités d’assaut tenaient une réunion similaire. Vers quatorze heures,
heure locale à Lausanne, les quatre équipes furent mises en relation avec
Herbert Hoover, qui allait superviser les arrestations depuis
Washington. Il donna une nouvelle fois les consignes à respecter. Il
voulait que cette action soit menée avec un professionnalisme sans
faille. La priorité était d’attraper chacun des « clients » sain et sauf. Les
interrogatoires qui suivraient étaient absolument primordiaux pour
l’avancement de l’enquête. La vidéoconférence terminée, il ne restait
plus qu’une heure aux agents de terrain pour se mettre en place sur leurs
sites respectifs. Des guetteurs étaient postés en observation pour
s’assurer que les personnes à interpeller étaient bien chez elle, et que
rien ne viendrait perturber les arrestations.
La tension montait au fur et à mesure que l’heure H approchait.
Soudain, un agent fédéral glissa un mot à l’oreille d’Herbert Hoover.
- Merde ! jura-t-il. Appelez-moi l’équipe de Londres.
- Monsieur le Directeur, j’ai le chef d’équipe en ligne.
- Agent Smith, ici Hoover. On m’informe que votre client a de la visite.
D’après les agents en place, deux personnes viennent d’arriver chez lui,
un homme et une femme.
- C’est exact monsieur, ils sont entrés il y a moins de deux minutes.
Quels sont les ordres ?
- Mettez-vous en position pour le moment et ne bougez pas. Je vous
indiquerai la marche à suivre lorsque nous aurons établi une nouvelle
stratégie.
« C’était trop beau pour être vrai », pensa Hoover. Jusque-là, tout s’était
déroulé comme prévu. Les quatre hommes à interpeller étaient chez
- 122 -
eux. Ils étaient seuls : le scénario idéal en somme. Cette arrivée
impromptue risquait de compliquer les choses.
- Heu ! Monsieur !
- Qu’y a-t-il encore ? grogna Hoover.
- New York a également un problème, je vous passe l’équipe sur place.
- Ici Hoover, qu’y a-t-il de votre côté ?
- Monsieur, nous avons un sérieux problème ici. Notre homme vient de
sortir de chez lui.
- Quoi ??? Ne me dites pas que vous l’avez laissé filer !
- Bien sûr que non Monsieur. Pour le moment, il discute avec un voisin
sur le palier de sa porte d’entrée.
- Écoutez-moi bien, cette mission est primordiale. Vous allez le suivre
sans vous faire repérer jusqu’à ce que je vous donne le feu vert pour
l’arrestation.
- Bien reçu !
La pression venait de grimper en flèche et Hoover savait pertinemment
que le stress, associé à la fatigue accumulée par bon nombres d’agents,
risquait de faire capoter toute cette opération. Cette multitude de
variables imprévisibles compliquait considérablement leur tâche. Sur les
bords du lac Léman, l’équipe était désormais en place. La surveillance
n’avait rien donné de particulier depuis le petit matin. Henri Durand
était resté dans sa cabane toute la matinée, puis avait coupé du bois
après le déjeuner. L’imagerie thermique fournie par les satellites
montrait qu’il était seul. Quelques animaux traversaient de temps en
temps le périmètre d’observation, mais rien ne venait perturber cette
nature paisible, hormis les coups de hache de Durand. À Montréal, le
suspect était dans son appartement, visiblement immobile. Il devait
probablement dormir. Les minutes s’égrenaient doucement, mais
sûrement. Hoover tentait de maîtriser son anxiété au mieux, mais il
s’impatientait de lancer toute l’opération. Il savait que plus aucune
modification du plan d’action n’était envisageable, pourtant il avait un
mauvais pressentiment. Il respira profondément pour calmer ses
angoisses, regarda la trotteuse de sa montre à aiguilles courir sous le
cadran avant de s’asseoir. Plus que quelques minutes à patienter.
À New York, l’homme continuait sa discussion avec son voisin, ils
riaient fort et fumaient cigarette sur cigarette. L’équipe de surveillance
retrouvait un semblant de sérénité en voyant ce spectacle, car leur client
- 123 -
n’avait pas forcément l’intention de partir plus loin. Ce sentiment
s’accentua fortement lorsque des gamins du quartier se mirent à jouer
au basket-ball dans la ruelle déserte, sous les yeux amusés des deux
spectateurs qui commentaient allègrement les exploits des jeunes
prodiges.
L’équipe de Londres eut beaucoup plus de difficulté. Les deux visiteurs
ne restèrent que quelques minutes chez l’homme, avant de repartir d’où
ils étaient venus. Quelques minutes plus tard, le suspect sortit de son
immeuble en poussant un vélo. Hoover fut aussitôt averti et ordonna
une filature discrète. En plein après-midi, la circulation restait
suffisamment fluide pour que les différents véhicules de l’équipe
d’intervention puissent suivre le cycliste sans se faire repérer. Après
quelques minutes, l’homme s’arrêta près d’un supermarché de quartier,
attacha sa bicyclette à un lampadaire et entra dans le magasin. Deux
agents en civil le filèrent discrètement pour éviter toute surprise, comme
une tentative de fuite par l’arrière de la boutique. Un périmètre de
sécurité fut installé, en attendant l’ordre d’arrestation qui devait arriver
d’une minute à l’autre.
CHAPITRE 30
Henri Durand finissait de couper du bois lorsque son téléphone
portable vibra dans sa poche.
- Allo !
- Salut Henri, comment ça va chez toi ?
- Pas mal pourquoi ? Y aurait-il des changements de plan depuis notre
dernière conversation ?
- Non, non ! Ne t’en fais pas, on doit toujours se rencontrer la semaine
prochaine. Je t’appelle juste pour te prévenir de rester sur tes gardes. Je
ne sais pas vraiment ce qui se passe, mais ici les choses bougent. J’ai
l’impression que les fédéraux nous préparent une offensive.
- Tu as des informations précises pour appuyer ce genre d’affirmation ?
- En fait, c’est plus un sentiment qu’autre chose, mais j’ai réussi à
décrypter des messages entre le FBI et les gouvernements de plusieurs
pays étrangers, dont la Suisse. Cela me laisse penser que tu n’es peutêtre plus en sécurité.
- 124 -
- C’est impossible ! reprit Henri en avalant un juron. Personne ne me
connaît dans la région !
- Tu sais, ici c’est la guerre ! Les autorités ont mis d’énormes moyens
pour trouver les responsables de cette attaque informatique, et ça ne
m’étonnerait pas qu’ils aient élargi leur recherche à tous ceux qui ont, un
jour ou l’autre, eu un poste important dans la conception de logiciels. Je
te conseille fortement de quitter ton petit nid douillet, au moins pendant
quelques jours.
- Je dois finir quelques tests avant de retourner en Amérique, mais si tu
penses qu’il vaut mieux que je parte me mettre au vert, j’ai toujours une
valise de prête au cas où ! J’ai avant tout quelques traces à nettoyer et
j’abandonne les lieux dès ce soir.
- Très bien, je te recontacte plus tard.
Henri n’avait pas prévu de quitter si tôt sa tanière. Il voulait finaliser
quelques expériences pour montrer à ses amis américains ce dont il était
encore capable. C’était probablement sa dernière occasion de prouver
ses compétences et recouvrer son statut d’antan. Pourtant, il prenait très
au sérieux cet avertissement, car son contact était toujours parfaitement
informé. Il connaissait un très bon hôtel à Lausanne où il avait séjourné
à son arrivée dans la région. Il savait qu’à cette époque de l’année, il
pouvait y aller sans réservation. Après une courte réflexion, la hache à la
main, écoutant les bruits de la forêt, le regard perdu en direction de
l’entrée du parc, il tenta de faire un point précis sur ce qu’il devait faire
disparaître avant de partir. Certains programmes de son cru ne posaient
aucun problème, il pouvait les effacer sans en faire de sauvegarde. Le
cas échéant, il savait très facilement les récupérer ou même les
reprogrammer. Par contre, le code source du virus était plus embêtant.
D’une part, cela prouvait indéniablement qu’il était lié à cette histoire,
car il était probablement le seul en Europe à avoir ce type de fichier en
sa possession. D’autre part, une analyse précise de son installation
informatique montrait sans l’ombre d’un doute son implication.
D’un geste brusque, comme s’il revenait soudainement à la réalité,
Henri balança sa hache contre le tas de bois fraîchement coupé, puis à
grandes enjambées, se dirigea vers la cabane au fond du domaine. Il
rassembla quelques outils, une caisse contenant un bric-à-brac de
composants électroniques, de câbles et autres gadgets qu’il avait
conservés. Dans un premier temps, il effectua quelques sauvegardes sur
- 125 -
des disques, en s’assurant d’activer un logiciel de cryptage leur conférant
une confidentialité absolue, même si elles tombaient entre de mauvaises
mains. Pendant cette phase, longue, mais indispensable, il commença à
souder plusieurs éléments ensemble. Il n’aurait jamais pensé avant ce
jour que son service militaire passé dans le génie civil lui serait utile.
Pourtant, les cours sur les explosifs l’avaient marqué à jamais. Il était
resté fasciné, mais également effrayé par la puissance de destruction
d’une aussi petite chose qu’était une bombe. Dans la précipitation du
moment, il se rendit compte qu’il n’avait absolument pas les matériaux
nécessaires pour réaliser un tel engin. Il confectionna un simple
détonateur et le plaça à un endroit stratégique. Il pouvait toujours faire
exploser la citerne contenant le fuel domestique qui lui fournissait de
l’électricité grâce à un groupe électrogène.
Après quelques minutes passées à élaborer un système de mise à feu
élémentaire, néanmoins efficace, il le mit en place avec une certaine
appréhension. Il ne fallait pas qu’il se déclenche inopinément. Ses
sauvegardes étant effectuées, il en profita pour supprimer toutes traces
informatiques de ses activités illégales. Tout ce qui prouvait qu’il avait
eu accès aux différents sites sensibles américains, européens et même
asiatiques fut effacé irrémédiablement. L’espionnage industriel, même
s’il ne le pratiquait pas pour nuire, pouvait à lui seul l’envoyer en prison
pour de très longues années. Alors qu’il finissait son nettoyage
numérique, une alarme retentit sur son téléphone portable. En ouvrant
l’appareil pour visualiser le cadran d’affichage, il lut un message qui lui
glaça le sang : « Alerte intrusion ! ». Se concentrant au maximum sur ce
minuscule ordinateur de poche, il lança quelques commandes
successives qui lui permirent d’obtenir un accès à ses caméras de
surveillance, cachées dans les branchages des arbres du domaine. Il
sélectionna celle installée à l’entrée du parc : rien d’anormal à première
vue. En effectuant un panoramique lent, il constata une ombre en
bordure du chemin qui lui sembla suspecte. Il tapota à plusieurs reprises
sur une touche de son téléphone pour zoomer sur un point précis. Il fit
faire un déplacement de droite à gauche à sa minicaméra motorisée. Il
stoppa le mouvement en voyant au travers des feuilles des arbres un
morceau de la plaque minéralogique d’un véhicule. La panique l’envahit
aussitôt en reconnaissant l’immatriculation de la police suisse.
- 126 -
Il sentit soudain ses jambes fléchir, un frisson le traversa de la pointe
des cheveux jusqu’aux orteils. Comment pouvait-il se retrouver dans
une situation aussi inconcevable en si peu de temps ? Se ressaisissant, il
frappa brutalement un champignon rouge à l’entrée de son blockhaus,
ce qui eut pour effet de couper subitement l’électricité des lieux. En
quelques enjambées rapides, il arriva au bas de l’escalier, en profita pour
mettre en route le gadget qu’il venait de confectionner, puis sortit à l’air
libre où il prit soin de camoufler au mieux l’accès de sa tanière. Après
avoir étalé du pied de la terre au niveau du passage, il sortit en
quatrième vitesse et monta dans son véhicule tout terrain. En mettant le
contact, il jeta un œil sur l’écran de son téléphone. L’affichage montrait
toujours l’image capturée par la caméra située à l’entrée du parc.
Soudain, Henri vit la voiture avancer doucement, avec à son bord
plusieurs hommes, dont un chauffeur portant l’uniforme de la police. Il
essaya de réfléchir à la situation, mais sa lucidité lui faisait défaut en cet
instant de stress intense. Il n’y avait qu’un seul moyen de quitter sa
propriété et cette voiture lui barrait la route. En enclenchant la première
vitesse pour démarrer, il vit un deuxième véhicule passé puis un
troisième. Henri était piégé dans sa propre demeure.
CHAPITRE 31
À 16 h, précise, heure de Greenwich, Hoover avait donné le feu vert
aux quatre équipes. Les arrestations allaient débuter. Seulement, les
ordres étaient très clairs : prendre les clients vivants, et surtout mettre la
main sur le matériel informatique avant que les suspects n’aient le temps
de détruire d’éventuelles preuves. Pour cela, la surprise était l’arme
absolue !
À Montréal, les choses se déroulèrent sans problème majeur. Les
policiers bénéficièrent d’une coïncidence extraordinaire. Ce matin-là,
des agents des services d’électricité devaient inspecter l’immeuble dans
lequel l’homme habitait. Lorsque leur camion s’arrêta devant la porte
d’entrée, le responsable de l’équipe fédéral prit l’initiative de remplacer
les agents de maintenance par deux de ses collaborateurs. L’illusion fut
parfaite quand ils sonnèrent pour s’annoncer, avec la panoplie du parfait
petit électricien à la ceinture et le révolver caché dans leur dos.
- 127 -
L’homme, encore endormi d’avoir passé une nuit entière les yeux rivés à
ses écrans d’ordinateur, ouvrit après avoir jeté un œil au travers du
judas. Il n’était nullement inquiet ou stressé par ce réveil matinal, car
l’annonce de la visite du service d’entretien avait été faite quelques jours
plus tôt. Après une vérification d’usage sur l’identité de la personne, les
agents l’arrêtèrent dans le calme en lui récitant ses droits. En quelques
minutes seulement, l’histoire était bouclée ! Le suspect fut maîtrisé et
ses différents ordinateurs furent débranchés et emballés avec précaution
pour être analysés par des experts. Quelques agents canadiens restèrent
pour une fouille minutieuse de l’appartement, à la recherche d’indices
pouvant aider les enquêteurs lors de l’interrogatoire.
À New York, lorsque l’ordre d’arrestation fut lancé, l’approche discrète
du client posa le plus gros problème aux fédéraux. D’un côté, six
gamins jouaient au basket-ball sur un panneau de fortune. Le trois
contre trois n’était pas très équitable, car les plus grands s’étaient
rassemblés dans la même équipe. Seulement, les joueurs adverses
faisaient preuve d’une vitalité et d’une adresse incroyable. Le score
n’était pas clairement compté, mais aux yeux des deux spectateurs
enthousiastes, il leur semblait bien que les « plus petits » tiraient
nettement leur épingle du jeu. Fumant les cigarettes les unes à la suite
des autres, le suspect n’aperçut pas les deux agents arrivant dans son
dos, de l’autre côté de la ruelle. Il vit un homme passablement inoffensif
se diriger dans sa direction, sur le trottoir opposé. Il avait une capuche
sur la tête, les mains enfoncées dans ses poches de pantalon, et marchait
à vive allure, le regard fixé sur ses chaussures pour ne pas attirer
l’attention. Le petit meneur de jeu venait de récupérer le ballon, dribbla
un puis deux joueurs adversaires dans un tour de passe-passe où l’objet
fait de cuir semblait flotté dans les airs. Il effectua une passe à son
camarade qui s’était démarqué. En deux pas-de-géant, il bondit vers le
panier et marqua en poussant un cri de joie. Les deux spectateurs
applaudirent en cœur devant la prouesse des jeunes sportifs. À ce
moment précis, les trois agents se précipitèrent sur les deux hommes,
braquant leur revolver discrètement pour calmer toute tentative de leur
part. La surprise fut totale, le suspect visiblement habitué à ce genre de
spectacle leva les mains aussitôt, tandis que son compagnon en fit
tomber sa cigarette, à force de rester la bouche ouverte de stupeur ! Il
voulut se défendre en demandant pourquoi on l’arrêtait, mais les forces
- 128 -
de l’ordre arrivées à la rescousse le prirent à part pour l’emmener dans
une fourgonnette qui déboula à pleine vitesse. Quelques crissements de
pneus plus tard, l’affaire était faite. Le voisin fut rapidement interrogé
puis relâché, n’intéressant aucunement les enquêteurs. L’homme
suspecté dans cette affaire eut droit à une visite des locaux du FBI, où il
allait subir un interrogatoire en règle. Le spécialiste en informatique
détaché auprès de cette équipe eut tout le loisir d’analyser le matériel
récupéré dans son appartement.
Au même instant en Suisse, les agents passèrent prudemment l’entrée
du parc où vivait Harold Hutchinson, alias Henri Durand. Le chemin de
terre était relativement étroit, bordé de chênes et de sapins. L’herbe ne
poussait plus depuis longtemps par manque de clarté, mais surtout à
cause des épines recouvrant le sol une bonne partie de l’année. Les uns
à la suite des autres, les véhicules avançaient le plus discrètement
possible. La route de terre montait légèrement sur toute cette partie et
finissait sur une butte où la cabane d’Henri avait été construite. Une
bande de gravillons avait été aménagée devant la maison de fortune,
permettant aux voitures de faire demi-tour. Don, qui était en tête du
convoi, ordonna à ces poursuivants de rester en retrait. Sarah, Kevin et
lui, allait tenter une approche furtive dans un premier temps. Ils se
feraient passer pour des touristes à la recherche de verdure le cas
échéant, tout en s’assurant de masquer au mieux leur tenue tatouée d’un
« FBI » dans le dos. Don gara son véhicule devant la cabane. Sarah
demanda à Kevin de ne pas bouger avant qu’elle lui donne son accord.
Elle vérifia son revolver, l’arma et mit la sécurité. Don en fit de même,
d’un geste expert. Il regarda sa collègue, puis d’un signe de tête
annonçant qu’il était prêt, il descendit de voiture en laissant sa portière
ouverte. Ce geste anodin pourrait affirmer au propriétaire des lieux que
ses visiteurs n’avaient pas l’intention de rester longtemps, et ainsi le
rendre moins nerveux. Les deux agents montèrent les quelques marches
en bois donnant à la terrasse. Sarah cogna trois coups contre le
chambranle.
- Aucun signe de vie là-dedans, lança Don en jetant un œil par une
fenêtre.
Il collait les mains sur la vitre pour éviter les faux jours et s’approcha au
maximum. Personne à l’horizon !
- Où est-il passé cet animal ? jura Don en frappant comme un sourd sur
la porte d’entrée qui refusait obstinément de s’ouvrir.
- 129 -
Sarah le regarda avec un signe interrogateur dans le regard. Les derniers
relevés satellite avaient montré qu’il était encore là quelques minutes
auparavant. Ils décidèrent d’inspecter l’arrière de la maison en passant
chacun de leur côté. Au moment où ils descendaient de la terrasse, un
véhicule surgit brusquement du fond du parc. La butte sur laquelle ils
étaient perchés ne leur avait pas permis de la voir, ni de l’entendre
arriver. Le puissant 4X4 les dépassa en trombe en soulevant un nuage
de poussière. Sarah, mieux placée que Don, eut juste le temps
d’apercevoir Henri Durand au volant. Le souffle coupé par la tournure
que prenaient les choses, elle hurla dans son talkie-walkie. Elle ordonna
aux agents restés en arrière d’arrêter le véhicule qui s’approchait d’eux.
La surprise fut totale et aucun d’entre eux ne comprit ce qu’elle venait
de leur crier, avant de voir pointer le bolide du suspect.
CHAPITRE 32
Pour l’équipe de Londres, les choses n’évoluaient pas dans des
conditions optimums. Lorsque Herbert Hoover avait donné le top
départ, le suspect était dans un supermarché de quartier. Le responsable
de mission avait décidé, vu l’infrastructure du bâtiment, qu’il était
préférable d’attendre que l’homme sorte du magasin avant d’agir.
Plusieurs agents contrôlaient l’entrée, deux autres avaient été se poster
près de la zone de stockage de marchandises, à l’arrière du commerce.
Quant à lui, il s’était faufilé entre les rayons avec une collègue, se faisant
passer pour un couple venu faire quelques courses. Le suspect en avait
pratiquement fini avec ses corvées et se rendit vers les caisses pour
régler ses achats. Soudain, il se baissa pour refaire un lacet de chaussure.
L’homme jeta un regard discret aux alentours et ne tarda pas à
remarquer que quelque chose d’anormal était en train de se produire.
Son habitude des lieux, associée à un grand sens de l’observation qu’il
avait développé en même temps qu’une paranoïa légitime au vu de ses
activités, lui permit de constater qu’une filature était en cours. Il vit
aussitôt les agents en planque à l’entrée du magasin, et se douta que le
couple qui venait d’entrer dans la boutique quelques minutes auparavant
était vraiment trop indécis dans ses achats pour être de vrais clients. De
plus, ils ne cessaient de regarder dans sa direction l’un après l’autre.
- 130 -
Pour avoir déjà connu les tribunaux à quelques reprises, l’homme avait
appris à être méfiant envers son entourage, à tout moment. Ses délires
avaient failli avoir raison de son intégrité mentale à une époque, ce qui
lui avait permis d’éviter la prison pour des séjours en hôpital
psychiatrique. À la suite de cette mésaventure, il était devenu très
discret, et passait sa vie dans un monde virtuel où il avait un contrôle
total sur les évènements. Cette réalité alternative hantée par des millions
de joueurs connectés via Internet lui donnait l’occasion de s’épanouir
dans un rôle beaucoup plus existant. Tandis qu’il était toujours accroupi
à refaire un soi-disant lacet, incitant par la même occasion la curiosité
des agents qui le surveillaient, il fit quelques pas maladroits pour se
rapprocher de l’entrée. Lorsqu’un client entra enfin, il bondit comme un
lion hors de sa cage. L’ouverture de la porte automatique lui permit de
sortir du magasin avant même que le FBI ne s’en aperçoive. Prenant ses
jambes à son cou, l’homme âgé d’une trentaine d’années surprit tout
son monde. Il avait déjà plusieurs mètres d’avance au moment où les
deux plantons restés devant le bâtiment réagirent. Le suspect sprinta
sans se retourner pour demander son reste. Furieux de s’être fait avoir
comme des bleus, le chef d’équipe et sa collègue lui emboîtèrent le pas,
l’arme à la main. Regardant leur client s’enfuir à toute allure, il cria à ses
subordonnés l’ordre d’engager la poursuite. Une course d’endurance
urbaine venait de s’offrir à eux, et ils n’avaient pas le droit à l’échec. Un
appel général fut lancé. Les agents qui gardaient l’arrière des lieux
arrivèrent essoufflés en même temps que le premier véhicule. Le patron
du groupe prit le volant. Le pied au plancher, il démarra en faisant
fumer les pneus dans un crissement assourdissant.
- Il n’a aucune chance de nous échapper, pensa-t-il à haute voix en
maîtrisant un contre-braquage pour redresser son engin au croisement
de la rue.
Il rattrapa rapidement deux de ses subalternes qui s’étaient lancés dans
le sprint de leur vie. L’homme était en vue, une cinquantaine de mètres
devant eux. Il montrait une magnifique allure de sportif accompli ; la
cadence était régulière et rapide, la tête haute, le regard alerte pour
anticiper au maximum sa fuite. Au moment où le véhicule du FBI arriva
à son niveau, il changea soudainement de direction et s’engagea dans
une ruelle perpendiculaire à la rue principale. L’étroitesse du chemin qui
s’ouvrait à lui obligea les fédéraux à descendre de voiture pour le
regarder s’enfuir, impuissants. Le geste rageur, le chef de mission reprit
- 131 -
le volant, puis redémarra pour tenter de trouver une autre voie qui lui
permettrait de le stopper. Le téléphone portable à l’oreille, il appela le
soutien logistique pour obtenir un plan du quartier.
Après avoir passé deux croisements de routes successifs, il tourna à
gauche une première fois, ce qui le ramena à la parallèle de la ruelle. Au
centre de contrôle, la tension était extrême et plusieurs techniciens
s’activaient pour pouvoir se connecter au réseau de surveillance urbain.
Lorsque la liaison fut enfin opérationnelle, l’opérateur appela les
hommes sur le terrain pour les informer de l’emplacement exact du
fugitif. Avec un visuel sur les rues londoniennes, le suspect n’avait plus
aucune chance de leur échapper. Les véhicules gouvernementaux, après
avoir suivi les indications de leur guide à la logistique, arrivèrent à
nouveau à la hauteur du fuyard. Voyant que son avance fondait comme
neige au soleil, il s’engagea sur une route beaucoup plus fréquentée qui
ralentirait ses poursuivants motorisés. Il n’était aucunement essoufflé
grâce à l’entrainement quotidien qu’il réalisait sur son vélo. À droite,
une entrée de métro s’offrait à lui. Il s’y engouffra à pleine vitesse en
esquivant les quelques piétons qui en sortaient. Les véhicules lancés à sa
poursuite stoppèrent leur course juste devant l’arche indiquant l’accès
au transport en commun souterrain.
CHAPITRE 33
Henri Durand dépassa les véhicules de police, dans un nuage de
poussière. Le chemin étant très étroit, le rétroviseur du côté passager
vola en éclat au contact d’un arbre. Il braqua le volant de son engin tout
terrain d’un coup sec pour en reprendre le contrôle. L’arrière chassait
dangereusement, l’impact semblait inéluctable. Heureusement pour lui,
sa voiture ayant un équipement à toute épreuve, il réussit à maîtriser la
glissade en contre-braquant. Les agents restés en arrière pensèrent, à
l’unanimité, qu’il venait d’avoir une chance peu commune. Un
conducteur ordinaire serait sans aucun doute parti dans le décor ou se
serait tout simplement fracassé contre un tronc d’arbre !
Une fois la surprise passée, tout le monde remonta en voiture.
Seulement, un demi-tour était quasiment infaisable à cet endroit vu
- 132 -
l’étroitesse du chemin. Le chauffeur en tête de file décida de se rendre
jusqu’à la cabane du fugitif pour rejoindre Sarah et Don, effectuer sa
manœuvre pour repartir dans le bon sens. Don, qui comprit qu’une
poursuite dangereuse allait avoir lieu, venait de demander à Kevin Klein
de descendre et d’attendre leur retour. L’informaticien s’était résigné,
malgré une pointe de contrariété d’être abandonné de la sorte. Le
chauffeur présent dans la voiture de queue de peloton pensa qu’il serait
plus facile pour lui de faire marche arrière jusqu’à l’entrée du parc. Don
s’était lancé à la poursuite d’Henri à pleine vitesse. Il évita de justesse un
carambolage avec ses collègues, se jurant qu’ils entendraient parler du
pays s’il s’en sortait indemne. La poussière réduisant la visibilité au
minimum, il serra à droite au maximum pour limiter les froissements de
tôle. Tout se passa très vite, les rétroviseurs se frôlèrent, quelques
feuilles des arbres plantés sur le côté furent décapitées, mais la
carrosserie resta intacte. Seulement, lorsqu’il arriva à la hauteur de la
dernière voiture, embrumé dans un nuage opaque, il faillit la percuter de
plein fouet. Son conducteur, en pleine manœuvre, ne l’avait pas vu
surgir devant lui. Il eut instant de panique en entendant le crissement
des pneus sur la terre. Constatant qu’il bloquait le chemin plus qu’autre
chose, il décida de se garer sur le côté en donnant un violent coup de
volant. La roue arrière droite commença à perdre de l’adhérence, puis ce
fut le tour de celle de devant. Finalement, sa voiture devenue
incontrôlable finit par s’abimer contre un tronc d’arbre, qui n’en garda
que très peu de traces contrairement à son assaillant mécanique. Les
deux hommes, encore sonnés par le choc, virent Sarah et Don passer à
côté d’eux. Leurs regards se croisèrent mutuellement. Don appuya sur
l’accélérateur de plus belle en voyant qu’ils allaient bien malgré le coup
qu’ils venaient d'encaisser. Il ne voulait pas se faire distancer par Henri
Durand, qui avait déjà rejoint la route principale, et filait à pleine vitesse
en direction du lac Léman.
En approchant de l’entrée du parc, Sarah qui avait pris contact avec le
centre des opérations de Washington lui indiqua la direction à suivre.
Un satellite d’observation avait été réquisitionné spécialement pour cette
opération. L’image thermique montrait clairement les différents
véhicules engagés dans la poursuite. Don sut qu’il était sur la bonne voie
lorsqu’il remarqua des traces de dérapages qui tournaient vers la gauche.
- 133 -
Durand avait dû avoir une belle frayeur, car son quatre-quatre avait
méchamment frôlé le fossé en sortie de virage.
- Deux cents mètres droit devant, annonça Sarah.
- Ne t’inquiète pas, il n’est pas né celui qui me distancera, avait répondu
Don, plus concentré que jamais.
En retrait derrière eux, les autres agents arrivaient à toute allure. Hormis
la voiture accidentée qui avait du mal à repartir, les autres restaient en
liaison radio avec Sarah qui servait de guide pour toute la meute. Henri
Durand, concentré dans sa conduite sur ces petites routes sinueuses,
profita d’une portion rectiligne pour prendre son téléphone portable. Il
pianota tant bien que mal sur quelques touches et obtint l’image de la
première caméra de surveillance de son domaine. Il passa à la deuxième
et ainsi de suite jusqu’à la dernière. Il remarqua, entre deux coups de
volant pour rectifier sa direction, qu’un véhicule était resté sur place.
Deux agents étaient sortis et remontaient le chemin jusqu’à sa cabane.
Henri ne réfléchit pas plus longtemps. Sa retraite avait été découverte et
il fallait qu’il détruise coûte que coûte toutes les preuves de son
implication dans cette histoire de virus. Il pianota à nouveau sur son
portable, puis valida une fonction qu’il venait de programmer quelques
minutes plus tôt. Un signal fut envoyé à son ordinateur principal, caché
dans le bunker souterrain au fond du parc. Le petit mécanisme
rudimentaire qu’il avait installé juste avant sa fuite allait faire son œuvre.
Un petit relais électrique se déclencha puis activa le fonctionnement
d’un moteur. Sa rotation entraîna l’enroulement d’un fil de pêche.
L’extrémité de ce filin était fixée à la gâchette d’un pistolet à clous.
Lorsque la pression fut trop forte, un projectile fut expulsé du canon et
vint transpercer le tuyau d’arrivée de la cuve à fuel. Le liquide
commença à se répandre sur le sol, doucement, mais sûrement. La
petite flaque grossissait chaque seconde et approchait dangereusement
d’une prise. Quelques secondes suffirent pour que le gasoil vienne
lécher l’installation électrique. La réaction en chaîne prévue par Henri
eut lieu au-delà de ses espérances. Le court-circuit produisit une
étincelle qui enflamma la mare qui s’écoulait à terre. Les flammes
remontèrent en un clin d’œil jusqu’à la citerne enterrée, qui explosa en
crachant une gigantesque boule de feu à plusieurs dizaines de mètres du
sol. La cabane de jardin vola en éclat, projetant tout le bric-à-brac
qu’elle contenait aux alentours.
- 134 -
Les deux agents restés sur place plongèrent pour se mettre à l’abri, en se
protégeant la tête tant bien que mal avec les mains. À plus d’une
centaine de mètres de l’explosion, ils ressentirent la vague de chaleur
leur lécher le visage avec envie. Des morceaux de bois volèrent tout
autour d’eux, accompagnés de quelques clous rouillés et autres
projectiles assassins dans de telles circonstances. Lorsque l’accalmie fut
enfin revenue, les fédéraux se relevèrent en constatant les dégâts
occasionnés. Un des deux hommes remarqua juste derrière lui un pic de
pioche planté dans un arbre. Sans ce réflexe instinctif qui l’avait fait se
coucher au sol, il serait passé de vie à trépas. Il sentit un frisson
d’horreur le parcourir en prenant conscience qu’il venait d’échapper à
une mort certaine. Son estomac ne fit qu’un tour et une contraction
éclair lui fit presque régurgiter son déjeuner.
- Ça va ? Tu n’as rien, lui lança son collègue inquiet en le voyant affalé
par terre, le visage extrêmement blême.
- Rien de cassé, mais il faut que je m’assoie quelques secondes.
- Tu l’as échappé belle mon ami !
Il avait à peine eu le temps de terminer sa phrase qu’il vit son
compagnon se retourner pour vomir tripes et boyaux.
- Ne t’inquiète pas, c’est normal la première fois. Quand tu te seras fait
tirer dessus à de multiples reprises, et que tu sortiras indemne de ce
genre de péripétie, ça deviendra la routine !
Le jeune agent reprit ses esprits puis se releva. C’est à ce moment-là
qu’ils prirent conscience que Sarah criait dans la radio pour obtenir de
leurs nouvelles.
Au moment de l’explosion, tous les occupants des véhicules aux
alentours sursautèrent en voyant cette boule de feu monter au-dessus de
la forêt, accompagnée par un bruit assourdissant pourtant étouffé par
les arbres. Sarah et Don furent pris d’une soudaine angoisse en réalisant
que la catastrophe provenait du parc de Durand. Que s’était-il passé ?
Mais surtout, les agents restés sur le terrain avaient-ils été touchés ? Et
Kevin ?
- Ici l’agent Smith !
- Smith, c’est Sarah ! Est-ce que l’explosion vient de chez vous ? Vous
êtes blessés ? Et monsieur Klein ? Et…
- Tout va bien ici, la rassura-t-il, mais on l’a échappé belle. Je ne sais pas
ce qui s’est passé, nous remontions le chemin jusqu’à la cabane du
- 135 -
suspect pour rejoindre monsieur Klein lorsqu’une formidable explosion
a eu lieu au fond du parc. Je l’aperçois d’ici et il ne semble pas avoir été
touché.
- Dès que c’est possible, je veux que vous alliez inspecter le sinistre,
mais ne faites rien avant qu’on ne revienne. Tenez-moi informée de ce
que vous verrez sur place.
- Compris ! Je vais laisser quelques minutes à mon jeune collègue pour
reprendre ses esprits et nous partons.
CHAPITRE 34
- Bureau du directeur Johnson !
- Bonjour Madame, ici Barbara Brandenberger. Je cherchais à joindre
monsieur Johnson.
- Un instant s’il vous plaît, je vais voir s’il est disponible…
La secrétaire mit son interlocutrice en attente quelques secondes puis
reprit la communication.
- Madame Brandenberger, je suis désolé, mais il est en réunion et je ne
peux pas le déranger.
- Ce n’est pas très grave, je le rappellerais plus tard.
- Très bien, bonne journée.
- Ah ! Euh ! S’il vous plait ! En fait, c’est quelqu’un de votre service
informatique qui m’avait contacté pour une affaire urgente, alors peutêtre pourrais-je m’entretenir avec lui.
- Je vais essayer de vous transférer vers le service, reprit la secrétaire du
directeur, irritée de servir de standardiste de bas étage.
- Tony Alessandro ! annonça le jeune homme.
- Bonjour Monsieur, je suis Barbara Brandenderger.
- Ah ! Oui ! Bonjour Madame.
- J’ai fait quelques recherches sur votre virus informatique et j’aimerais
vous rencontrer pour vous présenter mes résultats.
- Ça serait avec plaisir. Seulement, mon responsable qui est Monsieur
Klein n’est pas disponible actuellement. Pour être honnête, je
préfèrerais qu’il soit là pour écouter ce que vous avez à nous dire.
- Je comprends. En plus, si je me souviens bien de notre première
conversation, il me semble que vous m’aviez dit qu’il était plutôt
sceptique sur ce que je pourrais trouver.
- 136 -
- Effectivement, répliqua Tony content de voir que son interlocutrice
avait un très bon souvenir de leur entretien téléphonique passé quelques
jours plus auparavant. Mon chef n’a, comment dire ça en restant le plus
courtois possible, disons qu’il a une très grande confiance en ses qualités
d’informaticien et ne pense pas que vous pourriez nous apprendre
quelque chose qu’on ne sache déjà !
- Il risque d’être surpris par ce que j’ai découvert, mais il faut que je
vous le montre et vous explique tout cela de vive voix.
- Très bien, dès qu’il sera de retour de voyage, je vous contacte pour
fixer un rendez-vous.
- Parfait ! Bonne journée Monsieur !
Tony raccrocha à son tour, en se demandant s’il n’avait pas fait une
erreur. Une occasion de la sorte ne se représenterait peut-être pas avant
longtemps. Si cette biologiste avait réellement trouvé quelque chose
d’intéressant, cela pourrait lui servir dans son ascension au sein de la
NASA. Il reprit le combiné, puis finalement se ravisa avant d’avoir fini
de composer le numéro de sa correspondante.
CHAPITRE 35
Herbert Hoover fulminait intérieurement ! Au centre des opérations de
Washington, les différents écrans montraient des vues satellites des
évènements de Londres et de la Suisse. À l’aide du réseau de
surveillance mis en place dans les rues de la capitale anglaise, ils avaient
réussi à voir la poursuite pratiquement dans son intégralité. La qualité de
l’image n’était pas extraordinaire, mais couplée aux systèmes de
communications des agents, il avait compris que les choses venaient de
prendre une mauvaise tournure au moment où le fugitif avait franchi
l’escalier donnant accès au métro.
- Il entre dans le métro ! hurla-t-il. Basculer sur leur réseau de caméras.
- Monsieur, il y a un problème. Nous n’avons pas accès à ce réseau. Il
est sécurisé.
- Même si vous devez le pirater, je veux avoir un visuel de cette station
immédiatement !
- OK ! Je vais voir ce que je peux faire, reprit un technicien.
Pianotant sur son clavier d’ordinateur aussi vite qu’il le pouvait,
l’homme saisit une série de commandes déverrouillant les pare-feux
- 137 -
logiciels, puis lança des programmes de contournement de mot de
passe. En quelques secondes, il était entré dans le système de
vidéosurveillance des transports en commun londoniens.
- Voilà, Monsieur ! Le suspect est là ! dit-il en montrant du doigt un
personnage à l’écran qui courait parmi les quelques passagers attendant
leur train. Je dois quand même vous prévenir que ce que je viens de
faire est illégal…
- Ne vous en faites pas mon garçon. Pour cette opération, j’ai carte
blanche de la part du président des États-Unis. Si jamais on vous pose
des questions, vous avez simplement exécuté mes ordres.
Alors que le suspect descendait quatre à quatre les marches de l’escalier
l’amenant à la station de métro, il avait jeté un coup d’œil rapide pardessus son épaule. Il constata que les voitures de police venaient de
s’arrêter à quelques mètres de lui. Redoublant d’effort, il avait accéléré
sa course tout en essayant de ne pas s’asphyxier et en évitant de justesse
les passagers qui attendaient sur le quai. L’air pollué n’aidant pas, le
souffle de plus en plus court, il ralentit quelques secondes pour réfléchir
à ses différentes options. Ne voyant pas de train arriver de son côté de
la voie, il tenta sa chance en coupant à travers les rails. Au moment où il
sauta dans le tunnel, il aperçut les phares d’un métro l’éblouir au détour
d’un virage. Il se figea un quart de seconde, comme un lapin prit dans
l’éclairage d’une voiture. Des cris de stupeur fusèrent de tout côté. En
trois enjambées, il passa sur la voie d’en face et se hissa maladroitement
sur le quai, aidé par deux personnes qui pensaient sauver un pauvre
homme du suicide. Le conducteur avait écrasé la commande de frein en
voyant un individu sur les rails, élevant dans les airs un crissement
suraigu d’une force inouïe. Le faux suicidé remercia ses deux
bienfaiteurs du coup de main, puis se releva juste à temps pour voir
arriver trois agents fédéraux de l’autre côté du quai. D’un geste rageur,
le chef du groupe ordonna aux voitures de se rendre immédiatement à
la station suivante, mais le bruit assourdissant du train en plein freinage
lui ôta tout espoir de se faire comprendre. Lorsque le métro finit enfin
par s’arrêter, les portes s’ouvrirent et une masse compacte de
Londoniens se croisèrent. Le suspect réussit à se glisser incognito dans
la rame. Après s’être assuré de n’avoir écrasé personne, le conducteur
redémarra quelques secondes plus tard. Les agents restèrent plantés sur
le quai d’en face, scrutant tant bien que mal les passagers qui
s’éloignaient. Les deux sorties de cette station de métro furent
- 138 -
contrôlées sans succès. L’homme avait obligatoirement attrapé cette
rame, car il n’y avait aucune autre issue.
Plusieurs véhicules foncèrent à une centaine de mètres plus loin, faisant
preuve d’une très grande imprudence. Les automobilistes qu’ils
croisèrent n’avaient aucune alternative, ils devaient faire place nette
devant cette armada de fou du volant. Ils arrivèrent justes avant que la
trame ne rentre en gare. Durant les trois minutes qui s’étaient écoulées,
un appel passé à un haut responsable de Scotland Yard donna aux
policiers une chance supplémentaire d’arrêter le fugitif. Hoover avait
fait jouer ses relations pour obtenir un arrêt des trains, au moment
même où l’homme avait franchi l’entrée de la station. Son nom avait
suffi pour qu’on lui offre la collaboration immédiatement des services
de police londonienne. Mais pour des raisons de sécurité évidente, il
fallait attendre que les voitures soient en gare pour les stopper. Lorsque
le train concerné arriva à quai, le conducteur reçut l’ordre d’immobiliser
son engin. En quelques secondes, une horde de policiers débarqua de
nulle part, au milieu d’une foule médusée par cette nuée d’uniformes. Le
contrôle d’identité de chaque passager ne donna rien de probant. Les
différentes rames du métro subirent une fouille minutieuse sans succès.
Le fugitif avait rempli sa mission haut la main : il avait disparu !
« Les accès étant limités, le suspect n’avait pas pu aller bien loin », pensa
le chef de groupe. Pour lui, il était forcément dans le tunnel, caché
quelque part en attendant que l’affaire se calme. Hoover ordonna aux
agents et policiers sur site de fouiller de fond en comble les deux
stations et de remonter le tunnel les reliant. Une battue urbaine se mit
en place, avec l’aide des services de sécurité du métro et de maîtres
chiens. Le tronçon était verrouillé de toute part, il était impossible d’y
entrer et il fallait passer un contrôle d’identification pour pouvoir en
sortir. Lorsque la foule de passagers fut enfin libérée, les deux gares ne
contenaient plus que les forces de l’ordre. Deux groupes d’agents
décidèrent d’explorer le tunnel, en partant chacun de leur côté pour se
rejoindre au milieu. Balayant l’obscurité à l’aide de lampes-torche, ils
scrutèrent le moindre recoin. L’atmosphère était humide et chaude. Les
murs étaient recouverts d’une sorte de suie noire qui atténuait l’éclairage
des lampes de poche. Après avoir marché pendant un demi-kilomètre,
les deux équipes se rencontrèrent à mi-chemin, avec un sentiment
- 139 -
d’incompréhension. Le fugitif avait disparu, et personne ne comprenait
comment il avait bien pu s’y prendre.
Au moment où chacun d’entre eux faisait demi-tour, un agent remarqua
au détour du faisceau de sa torche, des barreaux montant vers le
plafond. Ceux-là étaient parfaitement identiques à ceux disposés tous les
cent mètres, si ce n’est qu’ils paraissaient plus propres. Ces sorties de
secours permettaient, lorsqu’une rame tombait en panne dans un
tunnel, d’évacuer les passagers le plus rapidement possible. La plupart
donnaient sur une bouche d’aération en pleine rue. Des traces
indiquaient clairement que quelqu’un était passé par là récemment. Le
chef d’équipe prit l’initiative de suivre cette piste, grimpa la vingtaine de
barreaux avant d’arriver en haut de l’échelle, le nez collé à une plaque de
fonte. Le mécanisme d’ouverture rudimentaire montrait les mêmes
signes de passage. Le doute commençait doucement à s’évanouir dans
les esprits, le suspect avait réussi à leur fausser compagnie. L’agent
assura sa position et puis poussa de toutes ses forces la trappe vers le
haut. D’ordinaire difficile à ouvrir, celle-ci vint beaucoup plus
facilement que prévu, ce qui surprit le policier qui faillit tomber par le
déséquilibre imprévu. Il s’agrippa in extremis du bout des doigts à un
barreau, reprit son souffle puis refoula la bouche d’égout sur le côté. Il
passa la tête à l’air libre, pour constater avec désappointement que le
fugitif devait être bien loin. Quelques piétons s’approchèrent, curieux de
voir cet individu sortir des entrailles de la Terre.
Le centre de contrôle des opérations à Washington avait beau scruter
les images provenant des caméras de surveillance de la ville, ils ne
réussirent pas à retrouver la trace de leur suspect. Un visionnage
ultérieur des enregistrements montrait l’homme s’extraire de la bouche
d’aération, la remettre en place puis disparaître parmi la foule. La messe
était dite !
CHAPITRE 36
Sur les bords du lac Léman, l’explosion provoquée par Henri Durand
avait désorienté tout le monde. Henri lui-même avait sursauté au
moment de la déflagration. Son ampleur particulièrement importante
- 140 -
s’était vue et entendue à plus d’une centaine de mètres. Du côté français
du lac, plusieurs témoins avaient remarqué une boule de feu jaillir audessus de la forêt, suivie d’une colonne de fumée épaisse quelques
secondes plus tard. Ce spectacle catastrophique ahurissant donna l’alerte
parmi les volatiles de la région qui s’envolèrent de tous côtés. Après
avoir pris contact avec ses deux collègues restés sur les lieux, Sarah
sentit venir une angoisse profonde. Elle détestait percevoir cette
sensation, mais ses efforts pour tenter de se contrôler furent vains. La
conduite sportive, néanmoins prudente de Don accentuait d’autant plus
son malaise. Le bruit de la déflagration lui avait fait resurgir de
douloureux souvenirs. Au début de sa carrière, alors qu’elle était agent
stagiaire de police, elle avait été confrontée à l’incendie d’un petit
immeuble. Elle était présente pour aider les services de pompiers dans
leur tâche. Un brasier s’était déclenché dans un appartement. Il avait
pratiquement été maîtrisé par les soldats du feu lorsqu’une conduite de
gaz s’était soudainement rompue. Une explosion destructrice provoqua
l’effondrement du bâtiment. En moins d’une minute, la ville avait perdu
plusieurs pompiers. La vue de ces hommes en feu, tentant de courir se
mettre à l’abri en hurlant de douleur, l’avait marquée à jamais.
Henri Durand avançait à vive allure dans son véhicule quatre roues
motrices. Dérapant régulièrement sur le bas-côté de la route, il
contrôlait son engin tant bien que mal, en évitant les voitures arrivant
en face de lui et en doublant celles qui le retardaient. Les chemins
sinueux longeant le lac Léman offraient un spectacle magnifique
qu’aucun d’entre eux n’avait le temps d’admirer. Don, qui avait une
solide expérience de pilotage, était concentré comme jamais dans ces
circonstances périlleuses. Il anticipait au maximum, klaxonnant à tout va
pour que les quelques véhicules présents lui dégagent la voie. Le
gyrophare et la sirène en action, il se rapprochait un peu plus de Durand
à chaque virage. Celui-ci, voyant qu’il perdait du terrain, prenait tous les
risques. À de multiples reprises, sa voiture tout terrain le sauva d’une
glissade aux fossés. Les pneus fortement crantés, prévus pour adhérer à
la route quelle que soit la nature du revêtement, lui permettait de
conserver la maîtrise de son engin sur la terre, l’herbe où les gravillons
qui bordaient les voies.
- 141 -
Après deux virages serrés, que Don réussit à passer miraculeusement
sans freiner ni déraper, les deux véhicules se retrouvèrent à quelques
mètres l’un de l’autre. Sarah pouvait enfin distinguer l’homme au volant.
Elle constata également qu’il était seul dans sa voiture, ce qui la rassura
sur l’éventualité d’une arrestation musclée. Plusieurs questions la
laissaient perplexe : pourquoi cet homme avait-il pris la fuite de la
sorte ? Et surtout pourquoi avait-il fait exploser sa cabane, à moins que
ce ne soit qu’un simple accident ? Sa conduite reflétait assurément un
sentiment de culpabilité. Entre deux embardées, Sarah réussit à
contacter le quartier général à Washington. Hoover et son équipe
suivaient avec angoisse cette poursuite grâce aux images satellite.
- Monsieur, nous sommes juste derrière notre suspect.
- Nous avons le visuel, agent Spader. Je vous rappelle qu’il est impératif
de le capturer vivant.
- Nous faisons notre maximum, Monsieur. Avez-vous vu ce qui s’est
passé sur le lieu d’habitation de Durand ?
- Négatif ! Le satellite vous suit depuis le début. Qu’est-ce que nous
avons loupé ?
- Il y a eu une terrible explosion, mais ne vous inquiétez pas, j’ai réussi à
avoir un de nos agents restés sur place. Ils vont bien.
Aussitôt, Hoover ordonna un basculement de l’image sur le parc de
Durand. L’affichage se stabilisa avec difficulté.
- Que se passe-t-il ? demanda Hoover.
- Nous sommes aux bonnes coordonnées, répondit le technicien, mais
le sol est caché par ce qui semble être un nuage très dense.
- Pouvez-vous basculer en mode thermique ?
- Tout de suite, monsieur.
L’écran affichait trois points lumineux en mouvement, représentant les
deux agents et Kevin, qui avançaient vers une énorme masse blanche.
Son diamètre était approximativement d’une trentaine de mètres.
- Bon Dieu, murmura Hoover. Mais qu'est-ce qui s’est passé là-bas.
- Il semble qu’il y ait une forte source de chaleur à cet endroit, reprit le
technicien en montrant la tache claire. La température doit avoisiner les
mille degrés Celsius au centre du foyer. Je ne vois qu’un incendie lié à
du combustible pour générer une telle chaleur en pleine forêt !
- Vous ne croyez pas si bien dire mon garçon, continua Hoover qui était
toujours en contact avec Sarah. Les agents sur place m’informent qu’il y
a eu une explosion au fond du parc où habitait notre suspect. Agent
- 142 -
Spader, contactez les hommes qui sont restés sur le terrain et faites-moi
un rapport le plus rapidement possible. En attendant, veuillez
repositionner le satellite sur la poursuite, ordonna-t-il au technicien.
Hoover donna ensuite des ordres pour l’équipe de Londres, qui avait
perdu son client. Malgré ce demi-échec, il gardait la tête froide. Il
demanda qu’une fouille complète et minutieuse de l’appartement du
fugitif soit réalisée. Une surveillance plus active des membres de sa
famille et une mise sur écoute serait leur priorité. Si l’homme
réapparaissait quelque part, son compte était bon !
Lorsque le technicien recadra enfin le satellite sur la voiture de Durand,
celui-ci zigzaguait allègrement entre les véhicules lui barrant la route. Au
détour d’un virage sans arbre, Henri découvrit le lac Léman dans toute
sa splendeur. Les reflets du soleil sur les eaux paisibles étaient un
enchantement pour un touriste de passage, mais perturbèrent la vision
des conducteurs en les éblouissant avec violence. Le faible vent
provoquant une légère ondulation à la surface n’arrangeait rien. Les
mille lumières au raz des flots semblaient vivre à l’unisson dans cette
nature joueuse.
Lorsque Durand découvrit ce spectacle, son regard fut
irrémédiablement attiré par tant de beauté. Seulement, cette demiseconde lui coûta cher ! Son esprit commençait déjà à voyager parmi le
Soleil et les étoiles quand son cerveau prit conscience d’une sortie de
route imminente. Pendant cet instant d’égarement virtuel, son véhicule
vint fleureter dangereusement avec le parapet. D’instinct, il donna un
méchant coup de volant pour rétablir cette situation. Ce réflexe de
survie lui permit d’éviter le contact direct du muret, mais l’arrière droit
de sa voiture percuta violemment la pierre avant de le réexpédier au
milieu de la chaussée. Le mur avait tenu bon, mais son 4x4 avait
salement dégusté. Le côté passager avait subi l’agression de la roche.
Sarah et Don voyant le coup se faire, avaient crié en cœur un « NON »
de détresse, espérant par quelques forces obscures aider Durand à
rétablir la situation. Lorsqu’il braqua pour reprendre le contrôle de sa
trajectoire, Sarah retrouva son souffle après ces secondes de tension en
apnée, tandis que Don pensa à l’attention du cascadeur amateur qu’il
avait une veine de cocu ! Son pouls revenant à la normale, Sarah croisa
furtivement le regard de son collègue. Sans avoir besoin de prononcer
- 143 -
un mot, elle savait ce qu’il avait en tête. Cette course-poursuite risquait
de très mal finir si rien n’était fait pour arrêter le fugitif. Après avoir
frappé le muret, le véhicule de Durand fut catapulté au milieu de la
route, tel le rebond d’une boule de billard sur une bande. Le temps de
reprendre le contrôle de son engin, Henri se retrouva face à un poids
lourd. Don, qui savait anticiper les problèmes sur ce genre de poursuite,
vit le camion bien avant Henri. Il lâcha un juron d’inquiétude en
imaginant la suite des évènements.
- Merde ! Il va se prendre le bahut s’il ne redresse pas ! Regarde devant
toi ! cria-t-il dans l’espoir vain que Durand puisse l’entendre.
Au détour d’un ultime virage, le chauffeur du poids lourd qui venait
d’apercevoir le 4x4 en face de lui déclencha la corne de brume qui lui
servait de klaxon. Voyant la voiture arrivée bien trop vite pour éviter un
contact, il appuya sur la pédale de frein aussi fort que possible.
Malheureusement, ce genre de semi-remorque ne s’arrêtant pas aussi
facilement qu’un véhicule léger, l’arrière de la citerne commença à
glisser sur le côté pour venir se mettre en travers de la chaussée. Henri
sentit la panique l’envahir en réalisant dans quel guet-apens il venait de
se fourrer. En face de lui, un camion lui barrait littéralement la route. Il
roulait trop vite pour réussir à stopper sa voiture à temps. Entre la
remarque en plein dérapage et le mur de protection, moins de deux
mètres d’espace libre environ s’offraient à lui. L’étroit passage était
malheureusement le seul disponible. De ce côté, le muret le séparait de
la falaise donnant sur le lac, une quinzaine de mètres plus bas. De l’autre
côté, la tête du camion frôlait dangereusement la paroi rocheuse pour
dégager la voie au mieux.
Henri Durand n’eut pas le temps de réfléchir, l’instinct prit le dessus, il
braqua au maximum à droite pour tenter de passer entre l’arrière de la
citerne qui continuait de glisser au travers de la route et le muret.
L’espace n’était sans doute pas suffisant, mais c’était le seul endroit
envisageable. Dans un instant d’extrême lucidité provoquée par une
poussée d’adrénaline, il ajusta la tête de sa voiture au millimètre prêt
dans l’intervalle disponible. L’aile déjà abîmée frotta à nouveau contre le
mur. Don, qui avait ralenti en sentant venir la catastrophe, regarda
Sarah paniquer. « Il va se tuer » eurent-ils à la bouche à l’unisson. Au
centre des opérations, les personnes suivant avec inquiétude la scène sur
leurs écrans eurent le même sentiment. À cette échelle, le passage était
encore plus restreint. Le choc était inévitable.
- 144 -
Durand n’eut pas le temps de freiner, l’avant de sa voiture s’engouffra
dans la brèche. Une gerbe d’étincelles jaillit au contact du mur. L’aile
avant droite venait à nouveau de frotter contre la pierre. L’impact fut
sévère, mais relativement raisonnable comparé à ce qui allait se passer.
L’arrière du véhicule, qui était resté sur l’intérieur de la route, n’eut pas
le même succès. Le coup de volant que Durand avait donné pour éviter
la catastrophe, n’avait pas permis à son engin de se mettre parfaitement
parallèle au parapet. L’aile gauche de son 4x4 percuta la citerne qui finit
par se stopper dans un nuage de fumée. Le pot de fer eut raison du pot
de terre. Ce second choc fut d’une extrême violence. La vitesse
excessive associée à la force centrifuge réussit à soulever brutalement la
voiture du sol au moment de l’impact. L’effet de rotation l’envoya
glisser sur le haut du muret, avant de l’éjecter par-dessus le parapet.
L’espace d’un instant, le 4x4 tourbillonna dans les airs comme suspendu
par le temps. Il effectua deux tonneaux puis disparut de la vue des
spectateurs tétanisés.
Les deux secondes de sustentation dans le vide durèrent une éternité
pour Henri Durand. La cabriole aérienne de son véhicule l’avait bien
sonné, mais pas suffisamment pour lui faire perdre connaissance.
Instinctivement, il avait fermé les yeux au moment où sa voiture avait
basculé par-dessus le muret. À cet instant, une seule pensée était venue
masquer l’effroyable réalité de la situation : sa femme et sa fille. À une
période de sa vie où le courage lui manquait, il aurait apprécié cette
situation lui permettant d’en finir pour retrouver les personnes qu’il
aimait. Mais à ce moment précis, il avait le sentiment de ne pas avoir
achevé son œuvre, et se surprit à ressentir un tel désir de vivre. Lorsque
le véhicule tout terrain vint s’écraser avec force sur la surface de l’eau, le
choc brutal lui fit perdre connaissance. Sa ceinture de sécurité lui avait
évité d’être éjecté de l’habitacle, mais au moment de l’impact, sa tête
joua les pushing-ball. Il se cogna violemment le front contre le volant
puis la nuque contre l’appui-tête, ceci en une demi-seconde.
L’évanouissement fut instantané. Cette catégorie de voitures
relativement lourdes mit quelques secondes seulement à couler pour
disparaître totalement sous les eaux bouillonnantes du lac.
- 145 -
CHAPITRE 37
Le chauffeur du poids lourd, après avoir appuyé sur la pédale de frein
aussi fort qu’il le pût, réussit à stopper son engin en plein milieu de la
route. Il avait eu la frayeur de sa vie, mais s’en sortait indemne. Une
odeur de caoutchouc brûlé embaumait l’atmosphère. En voyant que sa
citerne bloquait entièrement la voie, il enclencha une vitesse pour se
garer plus convenablement sur le bas-côté. En face de lui, à une
cinquantaine de mètres, Don s’était arrêté juste avant le virage. Il
s’avança vers le lieu où Durand avait basculé dans le vide après avoir
laissé le chauffeur du poids lourd immobiliser son engin. Sarah restait
prostrée sur son siège, blême au possible, la gorge serrée et l’estomac
complètement noué. Son expérience du terrain ne lui avait pas encore
permis de surmonter les émotions extrêmes. Son cerveau désirait
ardemment reprendre le contrôle, mais ses membres refusaient toutes
actions. Don la regarda intensément avant de lui parler.
- Sarah, ça va ? Tu n’as pas l’air très bien !
- Ça va, répondit-elle encore sous le choc.
- Appelle les secours, je vais voir si je peux faire quelque chose.
Don sortit de sa voiture sans refermer la portière, pensant qu’un peu
d’air frais ferait du bien à sa coéquipière. Il jeta un coup d’œil vers le
chauffeur du camion qui venait de descendre lui aussi de sa cabine,
avant de s’élancer vers le muret où Durand avait basculé dans le vide.
Les deux mains appuyées sur le haut de la pierre, il se pencha en avant
pour embrasser la vue dans son ensemble, du pied de la falaise jusqu’à
l’autre rive du lac. Quelques secondes plus tard, il lui aurait été
impossible de savoir qu’un véhicule avait plongé dans ses eaux opaques.
Hormis quelques remous encore visibles, plus rien n’indiquait l’endroit
de l’impact. La voiture avait été totalement engloutie. Don s’arrêta une
seconde pour réfléchir aux options qui s’offraient à lui : sauter pour
tenter un sauvetage de fortune ou attendre les renforts. À cette époque
de l’année, la température de l’eau ne lui aurait laissé que quelques
secondes avant l’hypothermie. Et ne sachant pas à quelle profondeur
s’était enfoncé le véhicule, l’aventure d’un plongeon d’une quinzaine de
mètres ne le tentait pas plus que ça. Il retourna voir Sarah qui
commençait à retrouver ses esprits.
- Tu as réussi à avoir les secours ?
- Oui, une ambulance arrive.
- 146 -
- Oh, j’ai bien peur que ça ne soit trop tard pour une ambulance. Il
vaudrait mieux appeler les pompiers. Ils doivent sûrement avoir un
service de sauvetage en mer dans cette région.
- Que s’est-il passé là-bas ? demanda-t-elle en désignant du regard le
point de chute de Durand.
- Le lac est à une quinzaine de mètres en dessous du niveau de la route,
et c’est visiblement assez profond à cet endroit. Si Durand ne s’est pas
tué lors du choc contre le camion, il s’est noyé à coup sûr.
- Tu sais qu’une personne peut rester en hypothermie pendant plusieurs
minutes, il est peut-être toujours vivant, coincé là-dessous !
- C’est une éventualité, mais en attendant, je ne vais pas me jeter à la
flotte pour tenter de repêcher un cadavre. Les secours arrivent, ils ont
l’équipement nécessaire pour ce genre de sauvetage.
Un instant plus tard, le regard vide essayant désespérément de revenir à
la réalité, il ajouta comme pour lui-même :
- Il faut que je sécurise tout ce merdier.
Pendant ce temps, les autres agents venaient de les rejoindre. Don lança
ses ordres avec autorité. Il était impératif d’éviter un nouvel accident. À
plusieurs kilomètres au dessus de leurs têtes, le satellite de surveillance
n’en loupait pas une miette. Les personnes présentes au centre de
contrôle étaient encore sous le choc. Vu au travers d’un écran de
télévision, l’accident pouvait être confondu avec un simple
divertissement télévisuel ou cinématographique. Seulement les enjeux et
les conséquences de celui-ci faisaient que l’ambiance globale était
extrêmement tendue. Hoover lui-même s’était affalé de tout sous poids
sur sa chaise. L’extrême tension qu’il avait sur les épaules depuis
quelques heures venant de s’évanouir d’un seul coup. L’abattement avait
eu raison de cet homme dynamique au moment où la voiture de
Durand avait disparu dans les profondeurs du lac Léman. Comment
une telle débâcle avait-elle bien pu survenir, alors que tout avait été
parfaitement planifié depuis plusieurs jours ? L’inconcevable réalité leur
avait joué un drôle de tour ! Il fallait absolument réagir dans l’instant
pour freiner l’hémorragie. Il attrapa son micro-casque et appuya sur une
des touches pré enregistrées.
- Sarah !
- Oui monsieur, répondit-elle en reconnaissant la voix d’Herbert
Hoover.
- 147 -
- Est-ce que vous allez bien ?
- Choquée, mais ça va !
- Je vais vous demander d’être forte et prendre personnellement les
choses en main. Il faut que vous supervisiez la remontée de l’épave du
véhicule pour l’inspecter en détail. Je vais contacter les agents restés
dans le parc de Durand pour qu’ils sécurisent les lieux en attendant que
vous reveniez pour effectuer une fouille minutieuse du site.
- Une équipe de secours est en route pour tenter de repêcher monsieur
Durand. Cependant, le remorquage de sa voiture risque d’être beaucoup
plus long, car il semble que le lac soit relativement profond à cet
endroit.
- Dans ces conditions, lorsque les plongeurs seront arrivés, demandezleur de récupérer tous les objets qu’ils trouveront pour réaliser une
analyse rapide. Je vais prendre contact avec le médecin légiste de la
région pour m’assurer qu’on puisse participer à l’autopsie. Ensuite,
retournez chez Durand.
- Parfait. Je vous laisse monsieur le directeur, car j’entends déjà les
sirènes des pompiers. À plus tard.
- Tenez-moi au courant de l’avancement des investigations, voulezvous ?
Ils raccrochèrent simultanément, sans autre forme de politesse.
Une cavalerie de véhicules de secours arrivait en contrebas. Sarah
pouvait suivre les lumières des gyrophares serpenter la petite route
qu’elle avait empruntée quelques minutes plus tôt. Des reflets rouge et
bleu vacillant sur l’eau redevenue calme donnaient un peu de gaieté au
lac. Plusieurs camions d’intervention arrivèrent, dans un assourdissant
bruit de sirène deux tons. Très vite, le chef des pompiers fit un point
précis de la situation avec Don qui était resté appuyé au muret. Il
scrutait avec angoisse la surface du lac, à la recherche d’une quelconque
activité pouvant montrer qu’Henri Durand était toujours en vie.
CHAPITRE 38
À la suite du fiasco à Londres, Herbert Hoover avait donné des
directives précises aux hommes sur place. Le suspect étant introuvable,
il fallait d’urgence fouiller son appartement pour soit trouver des
- 148 -
preuves de son implication dans le projet, soit le disculper
définitivement. Le chef d’équipe avait indiqué aux différents agents les
opérations à effectuer. Deux d’entre eux continuaient la surveillance de
la station de métro, aidés des services de la police locale. Deux autres
devaient retourner au magasin de quartier pour questionner les
employés et quelques clients sur l’homme en question. Toutes
informations seraient bonnes à prendre. Quant au reste de l’équipe, ils
s’étaient dirigés vers l’habitation du fugitif pour une perquisition en
règle.
Accompagné d’un expert en informatique, comme pour les différentes
équipes aux États-Unis, Canada et Suisse, les investigations pouvaient
avoir lieu plus sereinement, sans aucune pression liée à la destruction de
preuves numériques. Seulement, l’explosion qui venait de se produire de
l’autre côté de la Manche avait fortement ralenti l’élan des plus
téméraires. Le responsable londonien voulait éviter une catastrophe en
plein centre-ville. Il fallait sécuriser le bâtiment avant toute chose. Une
équipe de déminage spécialement entraînée dans ce type de mission
arriva en urgence. Un robot renifleur fut lancé à l’assaut de
l’appartement du suspect. Malgré une lenteur d’action évidente pour ce
genre d’engin, les caméras embarquées étaient d’une précision
remarquable. Elles offraient à l’opérateur une vue des lieux en couleur.
Un micro captait le moindre bruit extérieur et une batterie de capteurs
détectait les traces d’explosifs présents dans l’air.
Une fois l’entrée sécurisée, le robot fit une visite complète de
l’appartement. Après avoir analysé les informations retournées par le
chien mécanique, le technicien donna son aval pour la phase suivante.
Tout semblait parfaitement normal, il n’y avait rien de particulier à
signaler. L’endroit était propre, visiblement bien entretenu malgré une
multitude incroyable de matériels informatiques entassés dans ce qui
devait servir de salon. L’homme était un collectionneur acharné. Il avait
emmagasiné de l’équipement de toutes les époques de l’informatique de
loisir. De très vieilles consoles se partageaient la vedette avec les
premiers PC familiaux. Dans un coin plus sombre était installé un
bureau, sur lequel posait fièrement un écran plat de très grande taille,
relié à un concentrateur permettant d’afficher au choix l’un des trois
systèmes d’exploitation présents sur un Apple dernier cri, et deux PC
haut de gamme.
- 149 -
Sur les deux PC tournaient des applications de décompilation de
programmes, une routine servant à cracker des mots de passe, ainsi
qu’une multitude de filtres anti-hacker les protégeant de toutes
intrusions extérieures. L’ordinateur Apple était visiblement dédié au
loisir. Son disque dur contenait une collection de films et de musiques
impressionnantes. Un logiciel de montage vidéo était en train de
compiler une vidéo amateur. Lorsque l’informaticien présent sur le site
regarda plus en détail les plans qui défilaient, il comprit immédiatement
pourquoi le suspect avait fui de la sorte. Non content d’être un hacker
talentueux, le fugitif s’était diversifié pour devenir un escroc de grande
envergure. Le film en question montrait un homme politique
britannique dans une position bien délicate pour quelqu’un de son rang.
Ses ébats amoureux avec une call-girl étaient sans équivoque. Le
montage vidéo était minimaliste. Le traitement numérique floutait le
visage de la demoiselle pour lui assurer l’anonymat, mais il était évident
qu’il ne s’agissait en aucun cas de la femme du politicien.
Après cette découverte pour le moins embarrassante, un mandat d’arrêt
international fut établi envers le suspect, mais pour des motifs bien
différents de ceux qui avaient conduit les enquêteurs chez lui. En plus
d’escroquer les politiciens et hommes d’affaires influents, il exerçait une
activité tout aussi répressive : le piratage de sites internet et de logiciels.
Cependant, après une analyse rapide des lieux, rien n’indiquait sa
quelconque implication dans la fabrication du fameux virus.
L’appartement du fugitif eut droit à une fouille en règle. Tout ce qu’il
pouvait contenir d’intéressant fut répertorié, étiqueté et emballé pour
subir un examen ultérieur. Une fois les investigations effectuées, deux
agents restèrent en surveillance au cas où le suspect pointerait le bout de
son nez ; ce qui semblait très improbable dans l’immédiat. Mais comme
il arrivait souvent que les esprits prétendus supérieurs fassent des
erreurs idiotes, le chef d’équipe espérait un petit miracle pour
compenser la débâcle de la journée.
Sur les bords du lac Léman, deux plongeurs des sapeurs-pompiers
s’étaient jetés à l’eau, avec comme directive de remonter le cadavre en
priorité, ainsi que toutes les affaires présentes dans l’habitacle du
véhicule. Leur première descente fut assez rapide, car la voiture n’était
- 150 -
qu’à une dizaine de mètres seulement sous la surface du lac. Malgré la
noirceur ambiante à cette profondeur, le faisceau de leurs torches leur
montra un corps inanimé sur le siège du conducteur, toujours attaché
par sa ceinture de sécurité. La difficulté était de réussir à ouvrir une
porte sans que les objets à l’intérieur de l’habitacle s’évanouissent dans
les abysses. Après s’être énervé sur les poignées d’ouverture sans succès,
l’un des deux plongeurs cassa une vitre avec un petit marteau
métallique. L’eau envahit entièrement la voiture en chassant les
dernières poches d’air qui étaient restées prisonnières sous la tôle. Le
bouillonnement fut visible à la surface, indiquant aux spectateurs
l’avancement des opérations. Le corps d’Henri Durand fut remonté au
sec quelques minutes plus tard.
Sarah qui venait de rejoindre son coéquipier observa avec attention
l’homme étendu sur la civière de fortune.
- L’autopsie le confirmera, mais j’ai l’impression que le bonhomme était
mort avant d’atteindre le fond du lac, lança Don en scrutant
attentivement le crâne du cadavre. Regarde les marques sur son front et
sa nuque. Il a dû s’assommer et se faire le coup du lapin.
- Oui, il a une sacrée entaille sur l’arcade sourcilière gauche, reprit Sarah.
Le choc a dû être suffisamment violent pour lui faire perdre
connaissance. Ensuite, il s’est sûrement cogné dans tous les sens
pendant la série de tonneaux, juste avant que sa voiture ne plonge dans
l’eau.
- Regarde, lui lança Don qui était en train de fouiller les poches du mort.
Je pense que ça peut être intéressant.
Il venait de trouver le portefeuille d’Henri Durand, ainsi que des cartes
de crédit au nom de sa fondation, quelques papiers et un trousseau de
clés. En feuilletant les différents documents avec le plus grand soin, il
remarqua qu’aucun n’était au nom d’Harold Hutchinson.
- Il avait vraiment bien fait les choses lorsqu’il a changé d’identité. Tous
ses papiers sont au nom d’Henri Durand, domicilié en Suisse. C’est à
croire qu’Harold Hutchinson n’existe plus. Pas étonnant qu’on ait eu
autant de mal à le retrouver.
- La perte de sa famille l’avait tellement anéanti qu’il a fini par
disparaître au profit d’une nouvelle vie, sans douleur ni chagrin, reprit
Sarah sentant une grande tristesse l’envahir au regard du corps du
- 151 -
malheureux. Tu as vu son visage, on dirait qu’il a supporté toute la
misère du monde.
- Il est clair qu’il ne transpire pas la joie de vivre ! Les épreuves et le
temps n’ont sans doute rien arrangé à l’affaire. Cela dit, ça ne nous
explique en rien pourquoi il a fui de la sorte et pourquoi il a pris de tels
risques pour nous échapper !
- J’ai le sentiment qu’il était préparé depuis des années à mourir, lâcha
Sarah dans un profond soupir. Sans le vouloir réellement, sa conduite
ressemble plus à celle d’un suicidaire qu’autre chose.
- En attendant, la mission est un fiasco total ! Entre la mort
d’Hutchinson et le fait qu’il a probablement fait disparaître toutes les
preuves dans l’explosion de sa cabane, je me demande comment le chef
va prendre la chose.
- On ne peut plus rien faire pour lui, reprit Sarah. Maintenant, c’est au
médecin légiste de faire le reste. Hoover m’a ordonné de superviser la
fouille du parc où il vivait. Il vaut mieux ne pas traîner. Je ne voudrais
pas voir nos dernières chances d’en savoir un peu plus s’évaporer dans
les flammes.
Don livra ses ultimes recommandations aux agents qui restaient sur
place. La collecte des objets encore présents dans le véhicule était une
priorité. Les plongeurs n’avaient pas pu examiner dans son intégralité
l’intérieur de l’habitacle, à cause d’une visibilité réduite au fond des eaux
opaques. Il n’espérait pas trouver une explication ou un remède au
virus, mais ça valait le coup d’essayer. Il retourna à la voiture où Sarah
l’attendait déjà. Elle venait de prendre des nouvelles des agents restés
chez Durand, et de Kevin qui semblait s’impatienter après ces moments
de frayeur. Smith lui annonça qu’ils avaient découvert une sorte de
blockhaus situé sous le lieu de l’explosion, mais des gravats en
empêchaient l’accès. Cette nouvelle redonna un peu d’espoir à Sarah,
qui partagea immédiatement cette information avec son coéquipier. La
route du retour parut étonnamment plus longue qu’à l’aller, la vitesse
n’y étant pas étrangère. Sarah prit le temps de contempler la nature
avoisinante offrant par endroits une vue magnifique sur le lac Léman.
En d’autres occasions, elle aurait adoré faire du tourisme dans cette
région montagneuse, dont le climat tempéré était propice à une
végétation verdoyante. Elle se disait qu’en pleine saison, lorsqu’une
chaleur douce envahit l’air et réchauffe l’eau, l’endroit devait être
- 152 -
paradisiaque. Le regard rêveur sur la route qui défilait au rythme des
lacets, elle se souvenait de vacances passées sur les bords de différents
lacs américains et canadiens. Les étés familiaux de son enfance restaient
assurément les plus belles périodes de sa vie. La nostalgie du pays l’a
prise soudainement, alors qu’elle n’en était partie que depuis quelques
heures. Était-ce les émotions fortes qu’elle venait de subir qui
insinuaient ce sentiment de morosité ? Ce dont elle était sûre, c’est
qu’elle désirait rentrer chez elle au plus vite.
- On arrive, lui lança Don d’un air joyeux.
- Qu’on en finisse, marmonna-t-elle !
CHAPITRE 39
À Washington, les résultats des premières investigations commençaient
à tomber. L’arrestation à Montréal n’avait rien apporté d’intéressant. Le
suspect était effectivement un pirate informatique d’envergure
international, avec quelques coups fumants à son actif, mais rien de
probant dans l’affaire du virus. L’homme avait été interrogé par les
agents sur place, tandis qu’une deuxième équipe fouillait de fond en
comble son appartement. L’espoir d’y découvrir une preuve de son
implication s’était amenuisé de minute en minute. Il avait du matériel de
pointe, mais semblait passer le plus clair de son temps sur des
messageries instantanées, des forums et autres groupes de discussion.
La liste de ces contacts retrouvée sur l’un de ses appareils allait
permettre le démantèlement d’un réseau de pirates informatiques qui
n’avaient qu’un seul objectif : être les plus rapides à cracker les accès des
sites sensibles, des jeux vidéo et programmes à peine commercialisés.
C’était devenu une véritable guerre de suprématie, où la reconnaissance
des concurrents importait plus que le piratage en lui-même. Malgré une
nette déception concernant l’enquête en cours, ce coup de filet fut
extraordinairement bénéfique pour les sociétés de développement. Le
FBI éradiqua une structure mafieuse parfaitement organisée, où
transitaient des sommes d’argent colossales. Elle utilisait des étudiants
dans le besoin à des fins bien malhonnêtes. En contrepartie de matériels
de pointe et de liquidité facilement gagnée, ils oeuvraient dans l’illégalité
la plus totale, sans pour autant savoir qui tirait réellement les ficelles.
- 153 -
Le groupe qui avait été mis en place au sein du FBI pour cette mission
spécifique eut une deuxième vie inattendue. Hoover lui-même resta
quelque temps à sa tête avant de prendre définitivement sa retraite. Les
différentes enquêtes éradiquèrent la plus grosse partie de l’iceberg
représentant les petits pirates à la solde d’un ou plusieurs mafieux. Une
multitude de gouvernements détacha leurs meilleurs éléments sur le
coup, et les procès pour piratage et vols de biens industriels fleurirent
partout dans le monde. La tête pensante du réseau ne fut jamais
inquiétée, mais sans main d’œuvre, le résultat était tout de même très
satisfaisant.
À New York, le suspect fut également interrogé de longues heures.
Après avoir effectué toutes les vérifications possibles et inimaginables, il
paraissait évident qu’il y avait eu une erreur sur la personne. La fouille
de son appartement ne donna rien. Les enquêteurs retrouvèrent un vieil
ordinateur des années quatre-vingt qui traînait sur une table au fond
d’une pièce miteuse, mais son contenu ne renfermait aucun secret. Une
série de jeux largement dépassés technologiquement se disputait la place
avec des logiciels bureautiques de première génération. L’examen du
disque dur montra que l’homme ne se servait plus de cette antiquité
depuis plusieurs mois. L’interrogatoire apprit aux enquêteurs que le
suspect avait hérité de l’appartement de son frère, ainsi que des biens
qu’il contenait. Ledit frère ayant disparu corps et biens quelques
semaines auparavant, ils se retrouvèrent à nouveau dans une impasse.
L’investigation qui en découla affirma que la personne qui était
effectivement recherchée était un ancien technicien de maintenance en
informatique. Il avait travaillé pour le gouvernement, avant d’être
embauché par une société privée, moyennant un complément de salaires
conséquent. Seulement, ses employeurs avaient omis de lui dire que ce
travail comportait des risques pour sa santé. Œuvrant dans le domaine
du nucléaire, l’homme avait pour mission d’entretenir les installations
informatiques d’une centrale, jusqu’au jour où un accident intervint à
son insu. La négligence des responsables du site envers la sécurité lui
avait été fatale. Mortellement irradié, il fut licencié sans ménagement
lorsque les premiers symptômes apparurent. Avec une plainte sur le dos
pour tentative de destruction de matériels sensibles, il préféra quitter le
pays pour finir ses jours dans un paradis tropical. Léguant ses biens à sa
- 154 -
famille, il disparut en laissant derrière lui un vieil appartement rempli de
quelques babioles, que son nouvel occupant n’avait pas eu le temps de
jeter. Les enquêteurs ne retrouvèrent nulle trace de son décès, mais le
dernier bilan médical effectué avant son départ montrait clairement que
ses jours étaient comptés. « Il ne vous reste plus qu’un mois, deux tout
au plus » lui avait annoncé son médecin lors de son suivi hebdomadaire.
Après avoir accusé le coup, il décida de s’enfuir vers un paradis terrestre
pour tenter de profiter de ses ultimes instants de vie.
À Washington, Herbert Hoover refaisait le point avec son service sur
les évènements de la journée. Rien ne s’était déroulé comme prévu,
hormis à Montréal. La suite des investigations allait certainement
permettre de démanteler un réseau international de pirates
informatiques, seulement dans l’affaire actuelle, les éléments nouveaux
étaient très peu concluants. Il informa son ami, le président des ÉtatsUnis, des quelques informations qu’il avait pu recueillir. Il lui demanda
également une rallonge de quelques jours, pour pouvoir suivre
l’évolution de l’enquête jusqu’à son terme. Son vieux complice la lui
accorda avec plaisir, sachant pourtant qu’il devrait faire face à la colère
de la femme d’Hoover qui désirait plus que tout au monde profiter de
leur retraite. Leur amitié de longue date n’en serait pas atteinte, mais cet
intermède dans leurs vies paisibles de nouveau retraité lui reviendrait tôt
ou tard aux oreilles.
Don et Sarah remontèrent le chemin de terre, de l’entrée de la propriété
de Durand jusqu’à sa cabane où Kevin et les deux agents les attendaient.
Leurs impatiences étaient visibles, Kevin faisait les cent pas, se
demandant encore pourquoi il avait accepté de venir dans cette galère.
Les deux fédéraux fumaient cigarette sur cigarette avec nervosité. À leur
arrivée, les trois impatients allèrent à leur rencontre avec un
soulagement non dissimulé.
- Qu’avez-vous constaté jusqu’à présent, lança Don à l’agent Smith ?
- Nous avons fait un premier état des lieux. La cabane derrière nous ne
contient absolument rien, pas même l’électricité. Le seul luxe est une
cheminée pour se chauffer et une arrivée d’eau dans le fond de la pièce.
Durand devait vraiment aimer vivre à la dure !
- Avez-vous retrouvé un téléphone portable, un agenda électronique ou
mieux un micro-ordinateur ?
- 155 -
- Négatif. Par contre, il semble y avoir une sorte de blockhaus enfoui
sous les gravats de l’autre côté du parc. Nous avons déniché des traces
d’une installation électrique.
- Allons voir ça de plus près. Agent… désolé, mais j’ai oublié votre
nom. Vous allez attendre ici et indiquer aux enquêteurs locaux qui
doivent arriver où nous sommes. Merci.
- Bien monsieur, répondit le jeune fonctionnaire de l’État, déçu de se
retrouver dans le rôle du planton une fois de plus.
Il risquait de louper l’évènement le plus intéressant dans cette journée :
la fouille du repère du suspect. Don, accompagné de l’agent Smith, avait
pris les devants. Sarah avait attendu Kevin pour pouvoir lui parler plus
discrètement.
- Comment allez-vous ?
- Ça va, mais j’ai eu une sacrée frayeur quand tout le bazar a explosé !
J’ai bien cru que ma dernière heure avait sonné. Lorsque les outils ont
commencé à voler dans tous les sens et que la pioche est venue se
planter dans cet arbre, en passant à quelques centimètres de la tête de
votre jeune collègue, je me suis mis à prier pour mon salut. Ce qui ne
m’était jamais arrivé jusqu’ici !
- Vous savez, j’ai déjà connu de tels moments et le mieux est de ne pas
ressasser le passé, cela n’apporte rien de bon. Il faut simplement se dire
qu’on l’a échappé belle, remercier qui vous voulez pour ça, et ne plus y
penser.
- C’est plus facile à dire qu’à faire ! Pourtant, j’en ai vu et fait des choses
dans ma vie, mais je n’avais jamais approché la mort d’aussi prêt.
Tout en marchant vers le fond du parc, ils constatèrent au fil des mètres
l’ampleur des dégâts. Les arbres avaient des stigmates d’objets venus
s’écraser violemment sur leurs troncs. Les feuilles avaient noirci par la
chaleur des flammes et la fumée dégagée. À l’approche du lieu d’où
l’enfer s’était déchaîné, les sapins qui n’étaient pas brisés à terre
n’avaient plus une aiguille, et conservaient uniquement les branches les
plus solides. Tout le reste avait brûlé ! Le cratère formé par l’explosion
était impressionnant. Il devait faire une quinzaine de mètres de diamètre
et mesurer près de deux mètres de profondeur en son centre. La cabane
de jardin avait été anéantie, ainsi que la citerne de fioul et tout ce qui
était présent aux alentours. Un bloc de béton avait été mis à jour en
bordure de la cavité, redonnant de l’espoir à ses observateurs. L’agent
- 156 -
Smith avait dégagé quelques gravats pour tenter de comprendre ce
qu’était cet amas. En découvrant la partie haute, il comprit très vite qu’il
s’agissait d’une entrée ou d’un couloir donnant probablement accès à
une pièce souterraine secrète. À ce moment précis, son enthousiasme
avait été freiné par son jeune collègue qui lui avait rappelé sa
conversation avec Sarah quelques minutes plus tôt : « ne toucher à rien
avant qu’on ne revienne ».
Il s’était simplement concentré sur les débris environnants. Un mélange
étrange de terre, de pierre, de bois, de feuilles et de morceaux de métal
provenant des ustensiles stocké dans la cabane, ainsi que des bouts de
tuyaux déchiquetés, de plastiques et autres gaines électriques, se
partageait le champ de ruine résultant. Don arriva le premier sur les
lieux. Après un rapide tour d’horizon, il en conclut que rien de ce qui
restait par terre n’avait un réel intérêt. Les plus gros fragments ne
faisaient que quelques centimètres de long, et étaient beaucoup trop
brûlés pour pouvoir se faire une idée sur leur origine. Lorsque Sarah et
Kevin approchèrent à leur tour, Don était déjà en plein déblaiement des
pierres obstruant l’entrée du bunker. Une torche lui permit de distinguer
l’intérieur des lieux, au travers d’un trou. Un couloir d’une dizaine de
mètres, tout au plus, était terminé par une porte. Seulement, l’explosion
avait amené énormément de gravats dans le tunnel, et seule la partie
haute restait dégagée. En voyant l’étroitesse du passage, il prit en main
les opérations. Il demanda à l’agent Smith d’aller chercher des outils
pour extraire le maximum de cailloux et accéder à la pièce du fond.
Pendant ce temps, les manches de chemises remontées, il entama
l’extraction des plus grosses pierres, avec l’aide de Sarah et Kevin.
Smith revint quelques minutes plus tard, accompagné de son jeune
collègue et des services de police suisse qui venaient d’entrer dans le
parc. L’exercice dura plusieurs minutes, et chacun des protagonistes
tomba la veste pour être plus à l’aise. La douceur de cette fin d’aprèsmidi prenait des allures cauchemardesques pour les hommes coincés au
fond du trou. La chaleur de l’explosion encore présente rendait
l’opération assez désagréable. Don fut le premier à se glisser dans la
pièce une fois la dernière porte ouverte. Elle était partiellement
recouverte de terre et de cailloux. Il balaya minutieusement l’endroit
avec sa torche. Il remarqua immédiatement les différents écrans plats
- 157 -
accrochés au mur, dont les matrices cassées par la projection de gravats
reflétaient par endroits le rayon lumineux de sa lampe. Plus bas, sur ce
qui semblait être un plan de travail, quelques touches de claviers
d’ordinateurs apparaissaient malgré la poussière fine qui s’était déposée
sur toute la surface.
Un examen plus minutieux lui permit d’apercevoir l’infrastructure
informatique présente. Des milliers de particules flottaient toujours dans
l’air ambiant, donnant un aspect fantomatique à la pièce. L’endroit
renvoyait l’image d’un véritable centre de gestion et de commande pour
son propriétaire. Henri Durand, président d’une fondation qui luttait
contre l’abus de la technologie moderne, avait une façon bien étrange de
prêcher sa foi. Les apparences austères de la cabane en bois, remplie de
vieux outils rouillés, cachaient une grotte remplie d’objets high-tech que
n’aurait renié aucun geek.
Don ressorti de sa tanière, en demandant aux agents qui s’activaient
pour dégager l’entrée, de faire extrêmement attention aux matériels
informatiques. Il fallait tenter de rattraper la débâcle de la journée à tout
prix. La solution pour éradiquer définitivement ce virus était peut-être
sous cette couche de poussière, et aucune erreur ne serait plus admise.
CHAPITRE 40
Le déblaiement des gravats dura une partie de la soirée. Sarah profita du
trajet l’amenant à la morgue où le corps d’Henri Durand avait été
déposé, pour faire son rapport à Herbert Hoover. Elle était
accompagnée de l’agent Smith, qui s’était généreusement proposé de la
conduire. Kevin était resté avec Don qui supervisait l’avancement du
chantier. Il commençait à ressentir les méfaits du décalage horaire.
L’inactivité n’aidant pas, il regrettait d’avoir accepté cette mission si
ennuyeuse, alors qu’il avait tant de choses à faire à la NASA. Le charme
de l’agent Spader avait certainement joué dans cette prise de décision,
même inconsciemment, mais cette journée n’avait pas été aussi
bénéfique qu’il l’avait espéré. Passer à un cheveu de la mort avait
définitivement gâché son envie de rendre service. Il attendait avec
impatience de pouvoir faire ce pour quoi il avait été convié : l’analyse du
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matériel informatique retrouvé sur place. Le reste lui était désormais
totalement indifférent.
Sarah arriva chez le médecin légiste, pas très enthousiasmée par le
spectacle qu’on allait lui offrir. Elle avait réussi à se faire à la vue d’un
corps sans vie. Seulement, le charcutage pratiqué pour les autopsies,
avec une vue directe sur les organes internes, lui donnait des sueurs
froides. Un film d’horreur grandeur nature ! L’agent Smith, désireux de
ne pas empiéter sur les plates-bandes de sa supérieure hiérarchique,
mains néanmoins collègue, lui fournit une excuse peu crédible pour
pouvoir l’attendre dans la voiture. En réalité, il détestait tout autant que
Sarah devoir assister au spectacle qu’offre une morgue. Et puis, cette
attente lui permit de griller quelques cigarettes et d’assouvir ce vice
commun à bon nombre d’entre eux.
Sarah fut accueillie par le médecin légiste en chef. À cette heure avancée
de la soirée, il était le seul locataire encore vivant des lieux. Les
secrétaires et autres employés de laboratoires étaient rentrés chez eux
depuis longtemps. C’était sa semaine de corvée de nuit, pour pallier
l’éventualité d’une extrême urgence. Les ambulanciers lui avaient
apporté le corps depuis une trentaine de minutes. Sur l’insistance plus
que présente du chef de la police locale, il s’était mis aussitôt au travail.
En une demi-heure, il n’avait pas eu le temps d’approfondir
véritablement son diagnostic, mais en avait fait une bonne évaluation.
Après les présentations d’usage, il débita d’une façon mécanique ses
résultats à la jeune femme.
- Le sujet présente plusieurs contusions assez importantes sur le crâne,
présageant une perte de connaissance probable avant le coup de grâce :
la mort par noyade. Les poumons du patient sont remplis d’eau douce.
Il ne porte aucun autre signe particulier à ce stade de l’autopsie. J’ai
effectué des prélèvements, mais nous n’aurons les premiers résultats
toxicologiques que demain dans la journée.
- Avez-vous remarqué des signes de maladies, d’opérations ou de
vieilles fractures qui permettraient d’identifier avec certitude l’individu ?
- Les radios dentaires ont été envoyées au service concerné, mais il est
fermé à cette heure tardive. J’ai toutefois constaté que l’homme avait
subi une opération d’un genou. La cicatrice est pratiquement invisible,
mais venez voir cela…
- 159 -
Il emmena Sarah vers un tableau lumineux où étaient fixées plusieurs
radiographies, dont une de la jambe droite.
- Regardez ici, on remarque aisément une réparation de la rotule. Sans
rentrer dans les détails, je pense que votre client devait avoir un
problème qui a dû le handicaper durant de nombreuses années. Lorsque
la chirurgie l’a permis, il s’est fait opérer de son genou défaillant.
- C’est intéressant, reprit Sarah, car je n’ai pas le souvenir d’avoir
entendu parler de ça. Aucun des documents que nous avons en notre
possession n’indique qu’il avait subi une quelconque opération ou qu’il
boitait.
- Et pourtant, même si la chirurgie réparatrice n’est pas ma spécialité, je
peux vous assurer qu’il devait avoir un gros handicap à ce niveau-là.
Voyez comme l’os a été sculpté pour permettre la mise en place
correcte de la rotule de synthèse, dit-il en pointant un endroit précis de
l’image avec son stylo. À mon avis, avant cette opération, il ne pouvait
probablement pas plier le genou correctement.
- Très bien… Concernant ses effets personnels, avez-vous trouvé
quelque chose d’intéressant que nous aurions loupé ?
- Rien de très probant, reprit le légiste. Mis à part ses vêtements, il
n‘avait strictement rien sur lui. Je suppose que vous aviez déjà effectué
une fouille approfondie avant de me l’amener ?
- Effectivement, mais sait on jamais, dans une doublure de veste, ou un
revers de pantalon…
- Je vous avouerai que je n’ai pas encore eu le temps d’aller jusque-là.
- Est-ce que ça vous poserait un problème si nous nous en occupions ?
- Absolument pas, reprit le médecin, finalement heureux d’avoir un peu
d’aide. J’ai tout mis sous scellés, ça n’attend plus que vous. Et pour être
honnête, ce genre de choses n’est pas vraiment mon rayon. Je me
contente des corps, et il y a déjà de quoi faire !
- Parfait ! Pouvez-vous nous transmettre votre rapport d’autopsie le
plus rapidement possible ? Merci encore pour votre disponibilité.
- Je vous en prie, balbutia l’homme assez flatté. Ce fut un plaisir, lâchat-il le sourire en coin, comme pour lancer une invitation.
Kevin Klein attendait sagement que les choses progressent. Adossé au
pied d’un arbre, le regard dans le vide, il songeait aux vacances qu’il
avait passées dans sa jeunesse. Les végétaux n’étaient pas les mêmes,
mais cette forêt avec ses odeurs de sapins, d’écorce fraîchement
- 160 -
arrachée par des animaux, d’humus et de terre, lui rappelait les jours
heureux où il faisait du camping en famille dans les Rocheuses. Le bruit
du vent était également une chose qu’il n’avait pas oubliée, malgré des
années de vie citadine. À l’écart du groupe d’agents qui s’activaient pour
déblayer le repère de Durand, fermant les yeux pour tenter de se
projeter trente ans en arrière, il affichait un sourire que Donald Dalton
prit pour lui dans un premier temps. En s’approchant de lui
discrètement, il ne s’était pas réellement rendu compte de l’allure qu’il
dégageait. Une bonne demi-heure coincé dans ce bunker, à extraire des
pierres à mains nues et à soulever de la poussière, il avait l’air d’un
travailleur de chantier public qui n’aurait pas eu le temps d’enfiler sa
combinaison. La chemise par-dessus le pantalon, les manches
retroussées au-dessus des coudes, la tignasse recouverte d’un film
grisâtre, l’agent du FBI trempé de sueur habituellement tiré à quatre
épingles n’était plus que l’ombre de lui-même.
- Et bien mon vieux, vous en avez une allure, lui lança Kevin en le
voyant s’approcher.
- Il faut savoir donner de sa personne, reprit Don qui en profita pour se
secouer énergiquement les cheveux, laissant flotter par la même
occasion un nuage de particules dans l’air. Comment ça va pour vous ?
- Pas trop mal, je me remets de mes émotions !
- Tant mieux, parce que je vais avoir besoin de vous. Nous avons
dégagé suffisamment le terrain pour que vous puissiez entrer dans la
pièce où est entreposé le matériel informatique. Et j’aime autant vous
dire qu’il cachait bien son jeu l’animal ! Sous cet extérieur des plus
rustiques est planqué un véritable arsenal technologique, presque mieux
que votre repère à la NASA d’après les premières constatations !
- Allons voir ça de plus près, reprit Kevin, heureux d’avoir enfin une
activité à réaliser.
Un brouillard de poussière planait encore dans le bunker. L’ouverture
n’étant pas suffisamment importante pour que la circulation de l’air se
fasse correctement, malgré le va-et-vient incessant des hommes qui
déblayaient les gravats de la pièce principale. En un temps record, ils
avaient réussi à rendre à l’endroit une allure acceptable. Les agents en
profitaient pour se désaltérer et s’éponger du mieux qu’ils le pouvaient
lorsque les deux compères arrivèrent. Don ouvrait la marche, suivi par
Kevin très attentif à l’endroit où il posait les pieds. Ils traversèrent le
- 161 -
couloir puis stoppèrent à l’entrée de la salle principale. Les plus gros
cailloux avaient été transportés à l’extérieur en utilisant la bonne vieille
méthode de la chaine humaine. Les hommes placés tous les mètres se
passaient la caillasse à la chaîne, leur écorchant les mains peu habituées
à ce genre de tâche. Un des policiers locaux avait trouvé dans la cabane
de Durand un balai et une brosse à vêtements dont il fit bon usage en
ces lieux. Le déplacement de poussière, pour redonner aux ordinateurs
leur couleur d’origine, avait malheureusement pollué l’atmosphère,
rendant la respiration difficile.
Kevin fut d’abord surpris par le nombre de machines présentes dans un
espace aussi restreint. Malgré tout, la pièce n’avait rien d’un capharnaüm
d’électronique en tout genre. Ce qui était remarquable c’est que tout
était parfaitement rangé. L’amas de câbles obligatoires dans ce genre
d’installation était soigneusement ficelé, rien ne dépassait. Le bureau
idéal pour quiconque aimant l’ordre, songea-t-il. Le sien était bien loin
de cet idéal sans vie et il l’appréciait d’autant plus ainsi.
- S’il n’y avait pas eu une explosion, lança Kevin en embrassant la pièce
du regard, on aurait l’impression d’être dans un bloc chirurgical.
- Ce n’est pas faux, reprit Don.
- Regardez-moi ça et imaginez que tout est en parfait état de marche…
Ce type devait être un maniaque de l’ordre pour avoir mis en place une
telle structure… Non, mais regardez…
- J’ai vu, répondit Don qui ne comprenait pas vraiment l’enthousiasme
de Kevin.
- Voyez-moi ça, lança Kevin pour lui-même. Il n’y a pas moins de trois
serveurs ici, et deux ordinateurs de dernière génération dans ce coin.
C’est vraiment dommage que les écrans plats n’aient pas supporté le
choc, car j’aurais sûrement réussi à en faire fonctionner un.
- Vous croyez ? questionna Don très sceptique. Je ne sais pas si vous
avez remarqué, mais l’arrivée électrique a grillé, et je suppose que c’est
remonté jusqu’aux machines…
- Effectivement, reprit Kevin, en humant l’arrière de l’ordinateur le plus
proche. Ça sent le cramé là-dedans ! Dans ces conditions, il va falloir
récupérer tout le matériel présent pour que je puisse le tester en atelier.
- Je vous propose une chose, lança Don. Vous débranchez ce qui vous
semble intéressant, et on le rapatrie dans nos laboratoires. Tout le reste
attendra l’expertise complémentaire des autorités locales.
- 162 -
- OK ! Il faut prendre en priorité toutes les unités centrales, le rack de
sauvegarde ainsi que toutes les cartouches et tous les DVD qu’on
pourra trouver. Les écrans et accessoires comme claviers et souris sont
inutiles, d’autant plus qu’ils doivent tous être hors d’usage.
- Qu’est ce que vous appelez un « rack de sauvegarde » ? demanda Don,
un peu ennuyé par son manque de connaissance informatique.
- C’est la boîte à vos pieds, lui répondit Kevin dans un sourire qui en
disait long sur son état d’excitation.
En moins de vingt minutes, tout le matériel avait été démonté et
soigneusement emballé pour pouvoir être transporté sans dommage
jusqu’à l’aéroport. Le chargement était sur le point de se terminer au
moment où Sarah revint de sa visite chez le médecin légiste.
CHAPITRE 41
- Quoi de neuf ? demanda Don qui tentait de remettre sa chemise dans
son pantalon, histoire d’être un peu plus présentable.
- Rien de vraiment intéressant pour le moment, reprit Sarah. J’ai
récupéré les affaires de Durand pour une analyse plus approfondie, mais
je doute fortement du résultat. Par contre, j’ai obtenu une information
assez contradictoire. Te souviens-tu avoir lu dans un dossier qu’il ait eu
un accident au genou ?
- Pas à ma connaissance, lâcha Don qui continuait de s’éponger tant
bien que mal. Pourquoi ?
- Et bien, le légiste m’a montré des radios où l’on voit qu’il avait une
rotule de synthèse.
- On le vérifiera parce qu’il ne faudrait pas qu’on soit à nouveau sur une
fausse piste. Je crois que le chef ne nous le pardonnerait pas deux fois !
En tout cas, on finit d’emballer tout ce bric-à-brac et on repart dès ce
soir. L’avion nous attend déjà.
- Et bien, le patron est pressé de nous revoir, ajouta Sarah, pas si
mécontente dans le fond. De ton côté, est-ce que vous avez avancé ?
- Tu ne crois tout de même pas que j’ai mouillé la chemise pour des
prunes, ma belle !!!
Sarah le regarda sans rien dire, mais la moue de dégout qu’elle lui afficha
signifiait beaucoup. Une bonne douche ne serait pas un luxe.
- 163 -
- Et bien merci pour le soutien, lui retourna-t-il en finissant de lisser ses
cheveux collant de sueur. Pendant que mademoiselle va draguer les
médecins, il y en a qui trime comme des esclaves. Et tout ça, pour des
clous !
- Comment ça des clous ? Tu veux dire que tu t’es mis dans cet état
lamentable pour rien ?
- Merci, ça fait toujours plaisir à entendre ! Bon trêve de plaisanterie,
notre ami monsieur Klein est resté sur sa faim. L’explosion qui a eu lieu
cet après-midi a grillé tous les ordinateurs qu’on a trouvés dans le
bunker. Il espère réussir à récupérer les disques durs pour les analyser.
Honnêtement, vu l’odeur de brûlé qui s’en dégage, je ne suis pas aussi
optimiste que lui.
Les premiers véhicules étaient déjà partis depuis quelques minutes,
lorsque Sarah, Don et Kevin quittèrent le parc. Ils laissaient derrière eux
quelques agents locaux pour finaliser les fouilles du site. Kevin, assis à
l’arrière de la voiture, n’avait pratiquement rien dit depuis qu’il était
ressorti du terrier de Durand. Il avait le sentiment qu’un détail
d’importance lui échappait. Plus il réfléchissait, plus il avait la sensation
de louper quelque chose de primordial. Arrivée devant la cabane de
Durand, Sarah lança un regard à Don pour connaître son opinion.
- Ça a donné quelque chose ? lui demanda-t-elle en sachant
pertinemment que la réponse serait négative.
- Que dalle ! Rien d’intéressant pour nous en tout cas. Cette baraque n’a
même pas l’électricité, à peine l’eau courante.
- Rentrons chez nous, finit-elle par ajouter. Nous n’avons plus rien à
faire ici.
Sur ces bonnes paroles, Don continua sa route vers l’entrée du parc. La
nuit tombante donnait une vision sinistre à cette allée, enfermée entre
deux rangées d’arbres masquant toute luminosité. Quelques rayons de
lumière lunaire arrivaient tout de même à percer au travers de ce tunnel
naturel. Kevin regardait d’un œil distrait les végétaux qui défilaient sur le
côté, lorsqu’il vit un reflet apparaitre.
- Stop, cria-t-il ! Arrêtez-vous, s’il vous plait ?
- Qu’est ce qu’il y a encore ? grommela Don.
- J’ai vu quelque chose dans les arbres.
- 164 -
- Il est tard, nous sommes tous fatigués. Très honnêtement, j’ai envie de
rentrer chez moi. Alors, on ne va pas perdre du temps pour ce qui est
sans doute qu’un oiseau nocturne.
- Vous pensez vraiment que je vous demanderais de vous arrêter pour
une broutille ?
- C’est bon Don, lança Sarah. On prend deux minutes pour vérifier et
on repart. Le pilote de l’avion ne s’en ira pas sans nous. C’est un
militaire, je te signale, et il a l’ordre de nous reconduire à Washington.
- Bon, OK !
Don stoppa son véhicule à contrecœur. Les trois compères
descendirent pour aller examiner un arbre en particulier. Kevin se
dirigea d’un pas assuré vers l’endroit où il avait vu ce reflet. Don n’ayant
pas arrêté la voiture immédiatement, il n’était plus très sûr de la distance
à parcourir. Après quelques hésitations, il scruta les feuillages avec
attention, puis se retourna vers les deux agents fédéraux qui
approchaient timidement.
- Il fait trop sombre pour distinguer quoi que ce soit, auriez-vous une
lampe par hasard ?
Don lâcha une bordée de jurons lorsque Sarah lui désigna l’automobile
à une trentaine de mètres d’eux. Faire les basses besognes d’un bizut, à
son âge, il n’y avait vraiment plus de respect ! Il traîna les pieds jusqu’au
coffre du véhicule puis revint avec deux lampes torches. Il en donna
une à Kevin puis l’autre à Sarah.
- Tiens, amuse-toi avec monsieur le petit génie. Moi j’en ai plein les
bottes de ses conneries !
- Trop aimable, lui répondit-elle en lui arrachant des mains l’engin.
Kevin était déjà une dizaine de mètres devant eux, scrutant les arbres du
mieux qu’il le pouvait. Il avait un sérieux doute sur l’emplacement exact
de la chose qui avait émis ce reflet lumineux. Sarah, arrivant à sa
hauteur, lui demanda précisément ce qu’il cherchait.
- Tout à l’heure, dans la voiture, les phares se sont reflétés sur une
surface métallique ou en verre, je ne sais pas trop. Je pense qu’il y a un
objet quelque part dans ses arbres et je suis pratiquement certain qu’il
s’agit d’une caméra de surveillance ou quelque chose comme ça.
- C’est une intuition ? demanda Sarah très intriguée.
- Pas vraiment ! J’ai repéré des restes de minicaméras ultraperfectionnées parmi les détritus que nous avons retrouvés dans la pièce
souterraine. Par contre, nous n’en avons étrangement découvert aucune
- 165 -
jusqu’à présent. Alors soit monsieur Durand fournissait du matériel de
surveillance à d’autres personnes, soit il en avait truffé son domaine, et
nous n’avons rien remarqué.
- Intéressant. Ça expliquerait la façon dont il a réussi à apprendre notre
arrivée.
Don s’impatientait. Appuyé contre le coffre de la voiture, il fulminait
intérieurement en pensant que ses deux acolytes perdaient leur temps, et
lui faisait perdre le sien par la même occasion. Le déblaiement du
bunker l’avait éreinté, et il ne désirait plus que deux choses : prendre
une bonne douche et dormir. Il regardait d’un œil distrait Sarah et
Kevin arroser les arbres en bordure du chemin avec leurs lampes. Étant
allés nettement plus loin que ce qu’ils avaient prévu, ils revenaient sur
leurs pas en espérant ne pas louper l’objet recherché.
- Peut-être faudrait-il refaire un passage en voiture, car je me demande si
nos torches sont suffisamment puissantes, songea Kevin.
- Là, cria Sarah faisant sursauter son compagnon qui était plongé dans
ses pensées !!! Je crois avoir vu quelque chose dans cet arbre.
Les deux faisceaux lumineux braquèrent dans la même direction,
laissant refléter un léger éclat brillant. Sarah pressa le pas pour récupérer
l’objet. Après avoir grimpé sur quelques branches basses, lui rappelant
ses activités d’enfance, elle finit par atteindre ce qui s’avéra être une
minicaméra haute définition, reliée à une batterie et un autre module
que Kevin identifia aussitôt.
- Regardez, dit-il avec enthousiasme à Sarah qui venait de lui tendre
l’appareil. C’est incroyable, ici il y a une caméra numérique de dernière
génération. C’est le summum de la technologie actuelle. Ensuite, nous
avons un module de transmission WiFi qui transmet les images sur un
serveur. Tout ceci est alimenté par batterie ultra légère de très longue
durée. L’ensemble intègre un capteur de mouvement, dissimulé sous
l’objectif. Il y a une étiquette avec le numéro 4, ajouta-t-il en manipulant
l’objet. Cela signifie que nous en avons sûrement loupé d’autres.
- Vous avez raison. Durand nous avait vus arriver bien avant qu’on
atteigne sa cabane. Venez, retournons à la voiture pour examiner cet
engin de plus prêt.
Lorsque Kevin approcha de Don, un sourire éclatant sur le visage, il lui
montra leur trouvaille en lui expliquant les implications à comprendre.
- 166 -
- Ceci signifie qu’il y a ici dans ces bois un système de vidéosurveillance
ultra-perfectionné qui nous a totalement échappé, répondit Don.
- Maintenant, il est impératif que nous trouvions les enregistrements
vidéo, ajouta Sarah. Si Durand conservait plusieurs jours de sauvegarde,
nous aurions peut-être une chance d’en apprendre un peu plus sur ces
activités.
- À mon avis, dit Kevin, elles sont toutes sur un des disques durs de
serveurs que nous avons récupérés. Ces petits bijoux transmettent en
numérique, et je ne me souviens pas avoir vu un quelconque
magnétoscope, ni même une simple télévision dans les parages.
- D’après vous, quelle est la distance maximum d’émission de ces
appareils, lui demanda Sarah ?
- Je ne sais pas précisément, il faudrait que je puisse examiner en détail
les composants intégrés dans le module de transmission. Cependant, je
dirais une centaine de mètres au maximum sur un terrain plat, à moins
qu’il n’y ait des relais amplificateurs, ce qui pourrait porter le signal un
peu plus loin.
- De toute façon, reprit Don, nous avons des choses plus importantes à
faire que de passer au crible tout ce parc. Je vais prévenir l’agent Smith
pour qu’il organise une fouille minutieuse des lieux. Nous, nous avons
un avion qui nous attend.
Les trois compères remontèrent en voiture pour rejoindre l’aéroport où
patientaient les pilotes du jet privé qui leur avait été affecté. Les
différents véhicules de la police locale étaient déjà arrivés, avec leur
chargement d’ordinateurs à moitié détruits. L’ensemble du matériel avait
été soigneusement stocké pour éviter tout problème supplémentaire lié
au transport. Une fois à bord, Don en profita pour faire un brin de
toilette du mieux qu’il le put. Des plateaux-repas leur avaient été livrés
et furent accueillis avec envie. Les sandwichs furent engloutis en un
éclair. Le vol se déroula sans encombre pour les deux agents fédéraux
qui tombaient de fatigue. Kevin prit du temps pour examiner la caméra
qu’ils avaient récupérée. La curiosité était trop forte et il voulait
absolument savoir de quoi était fait l’appareil, avant de se laisser glisser
dans les bras de Morphée. À l’aide d’un petit tournevis de poche, il
commença à démonter plusieurs modules, constata avec résignation que
les composants étaient tous estampillés « Made in China », mais
remarqua également que l’interconnexion des différents éléments était
- 167 -
de fabrication manuelle. Cela signifiait que Durand avait probablement
fabriqué lui-même son système de surveillance. Ce mauvais présage
annonçait une difficulté supplémentaire pour décrypter les informations
contenues sur ses ordinateurs.
Après une grosse demi-heure de manipulations en tout genre, la fatigue
le rattrapa et il finit par s’endormir lui aussi.
CHAPITRE 42
Tony était assis à la terrasse d’un café, en train de siroter un cocktail
non alcoolisé. La journée avait été chargée, et pour se relaxer avant de
rentrer chez lui, il avait l’habitude de se rafraîchir dans cet établissement
situé au bord de la plage. Le soleil disparaissait doucement aux confins
des vagues, amorçant une douce nuit étoilée, mais la chaleur ambiante
n’avait pas faibli. Il regardait l’océan brillant de mille feux, attendant
avec impatience le petit matin pour pouvoir surfer quelques vagues
avant d’aller travailler. En ce début de soirée, la faune locale
commençait à se regrouper autour des points d’eau arrosé d’alcool.
Tony examinait d’un regard distrait les passants, parfois amusé par
l’attitude grotesque de certains d’entre eux, parfois subjugué par des
gazelles parcourant les remblais dans des vêtements de sport moulants.
L’heure était à la détente, intellectuelle en particulier. Il pensait à la pizza
qu’il allait acheter avant de rentrer chez lui et au choix du film qu’il
visionnerait. Il hésitait entre une comédie, un film d’action ou encore un
de ses films de science-fiction qu’il adorait tant ! Du coin de l’œil, il
remarqua une créature à l’autre bout du bar, dégustant ce qu’il semblait
être un vin blanc. Discrètement, il changea de position pour avoir une
vue plus adéquate sur la demoiselle. Vêtue d’une robe légère, d’un
chapeau ample lui cachant ses cheveux blonds mi-longs, une paire de
lunettes lui masquant une partie du visage, elle paraissait s’ennuyer
fermement. Sans véritable raison, il commanda un deuxième cocktail et
s’arrangea pour se rapprocher suffisamment de la femme afin d’engager
la conversation. Il la salua et demanda au serveur de lui remettre la
même chose. Elle accepta sans lui jeter un regard, ce qui le perturba
encore plus et l’incita à lui proposer de venir s’asseoir à une table. Le
barman les ayant servis, elle le remercia et finit par le rejoindre. Elle se
- 168 -
plaça en face de Tony, à l’ombre d’un parasol estampillé d’une
quelconque marque de boisson gazeuse. Tony se présenta.
- Enchanté, je suis Élisabeth McCarthy, répondit la femme lui faisant
face.
- Liz McCarthy ! faillit-il cracher dans son verre.
La stupeur passée, il préféra s’étrangler en silence, s’époumona le plus
discrètement possible avant d’avaler sa rasade pour reprendre son
souffle.
- Ça alors, si on m’avait dit que vous fréquentiez ce genre d’endroit, je
ne l’aurais pas cru, ajouta-t-il.
Elle lui sourit, tout en sachant exactement ce qu’il devait ressentir à cet
instant. Elle avait connu dans son jeune temps l’hystérie que peut
procurer la rencontre d’une personnalité. Depuis qu’elle faisait partie de
ce monde, ce sentiment lui était passé. Elle pouvait compter sur les
doigts d’une main les stars qui continuaient à l’impressionner. Même
pour celles-là, leurs fréquentations finiraient par aboutir au même
résultat, la déception. Elle scrutait le visage de Tony et devinait ses
pensées comme s’il les exprimait à haute voix. Il devait se demander
comment lui, un homme anonyme avait réussi à ferrer une célébrité
comme elle. Pourtant, elle n’était pas là par hasard, contrairement aux
apparences.
- Qu’est-ce que vous faites dans la vie Anthony ? le questionna-t-elle
innocemment.
- Je travaille à la NASA, répondit-il fièrement. Je m’occupe de
l’infrastructure informatique.
- C’est très intéressant ça… la NASA, l’espace, la découverte d’univers
inconnu. Je suppose que vous devez envier les astronautes ?
- Vous savez, ce sont des gens comme vous et moi, lança-t-il pour
minimiser la sensation de super héros qui leur collait à la peau. C’est un
métier comme un autre !
- Vous oubliez les séances de torture dans les énormes centrifugeuses,
les heures interminables passées dans un bassin à répéter les mêmes
gestes et que sais-je encore ?
- C’est vrai, répondit Tony, ce sont de véritables masochistes en fait ! Il
faut être bien atteint pour endurer ça à longueur de journée, durant
plusieurs années avant d’espérer faire partie d’une mission.
- Mais vous, qu'elle est votre fonction à la NASA ?
- 169 -
- Je gère l’informatique du centre. Je suis, comme qui dirait, un docteur
d’ordinateurs. Dès qu’il y a un problème, je le règle. Je m’occupe
également de l’entretien de l’infrastructure informatique.
Ils continuèrent leur conversation durant une vingtaine de minutes, le
genre de discussion qu’on ne peut avoir qu’autour d’un verre en fin de
journée. Ils discutèrent de la pluie et du beau temps, de tout et de rien.
Finalement, Liz prétexta un rendez-vous professionnel et quitta les lieux
incognito. Tony resta encore quelques minutes assis, finissant son
troisième cocktail. Avant de rentrer chez lui, il voulut s’assurer d’une
chose.
- Savez-vous qui c’était ? demanda-t-il au barman qui venait récupérer
les verres vides.
- Je ne l’avais jamais vu auparavant. En général, je me souviens de ce
genre de créature, ajouta-t-il d’un air non équivoque.
- C’était Élisabeth McCarthy !
- À d’autres, lança le patron du bar. Ça m’étonnerait que la présentatrice
vedette du journal vienne dans mon troquet pour siffler un verre avec
un inconnu, sans vouloir vous offenser !
Il n’avait pas tort, et Tony s’interrogea une demi-seconde sur le fait
qu’elle s’était contentée d’une seule consommation. Il préféra laisser
courir et rentra chez lui. Une question lui trottait tout de même dans la
tête : « Cette rencontre était-elle vraiment un pur hasard ? »
À leur retour aux États-Unis en début de soirée, Sarah, Don et Kevin
venaient d’endurer une journée d’une trentaine d’heures. Le décalage
horaire aidant, cette longue et périlleuse virée européenne touchait à sa
fin. Tous les trois étaient éreintés malgré les quelques heures de
sommeil qu’ils avaient réussi à accumuler dans l’avion. Ils décidèrent de
se retrouver le lendemain matin pour commencer l’analyse des
informations récupérées en Suisse. Les deux agents firent un petit
détour pour déposer Kevin à son domicile.
- Je viens vous chercher à 8 h, déclara Don à Kevin qui les saluait en
descendant de voiture.
- Et pour mon boulot… Je ne suis pas sûr que mon directeur soit
d’accord pour me laisser encore plusieurs jours avec vous !
- Ne vous inquiétez pas pour ça, votre patron est déjà au courant de la
situation, lui répondit Sarah. Avant notre départ, j’ai fait un rapport à
- 170 -
nos supérieurs qui ont averti monsieur Johnson de votre détachement
temporaire dans nos services.
- Il a dû être enchanté, lança Kevin sur un ton ironique.
- Reposez-vous, car demain, nous avons du pain sur la planche, dit Don
en regardant Kevin pénétrer dans l’immeuble où il logeait.
En entrant sa clé dans la serrure, Kevin songeait à la journée qu’il venait
de passer. Même si cela s’était avéré exténuant, il avait finalement bien
aimé ce petit intermède dans sa vie monotone. En refermant sa porte, il
ne pouvait s’empêcher de penser qu’il avait oublié quelque chose. Sans
réussir à mettre la main dessus, cette sensation le perturba plus qu’il ne
l’aurait souhaité. Il n’arrivait pas à sortir cette idée tenace de la tête. Il
finit par récupérer une bière au réfrigérateur, s’allongea sur le divan en
allumant la télévision. Qu’avait-il bien pu se passer durant cette coupure
d’une trentaine d’heures, où il avait été exclu de toute actualité ?
Zappant de chaîne en chaîne, les programmes étaient le plus souvent
soporifiques, n’ayant aucun intérêt pour lui. En sirotant par petites
gorgées un de ses breuvages préférés, il contemplait son plafond, les
yeux rivés sur le lustre qui pendait de tout son poids, les pensées
perdues dans le néant. Revenant soudainement sur Terre, il décida qu’il
était temps de prendre une bonne douche avant d’aller se coucher. En
posant sa bouteille de bière machinalement sur la table du salon, son
regard capta une lumière clignotante. Son répondeur lui indiquait qu’un
interlocuteur avait laissé un message. Il appuya sur la touche d’écoute.
Un vendeur à la noix lui vantait les mérites d’un nouveau téléphone
portable digne des meilleurs films d’anticipation. Un grognement
injurieux accompagna la fin de la bande sonore. Kevin effaça
l’enregistrement en se demandant quand ces démarcheurs l’oublieraient
définitivement, puis se dirigea vers la salle de bain. Subitement, il
visualisa mentalement son propre mobile !
- Mince alors ! C’est ça ce qui me turlupine depuis tout à l’heure ! Je ne
l’ai pas entendu sonner une seule fois de la journée !!!
Il se remémora aussitôt sa discussion du matin avec Don lorsqu’il était
venu le chercher : « Pour des raisons de sécurité, je vous demande de ne
pas prendre votre téléphone portable. Si vous avez besoin de passer un
coup de fil, demandez-moi le mien. Il est connecté sur un réseau
sécurisé ». La conversation lui revint aussi clairement que si elle avait eu
lieu quelques minutes auparavant. Seulement après ça, qu’avait-il bien
- 171 -
pu faire de son téléphone ? Il regarda à droite puis à gauche, aucun
appareil à l’horizon. Il était forcément quelque part, près de la porte
d’entrée. Plutôt que de passer de longues minutes à le chercher, ce dont
il n’avait aucune envie vu son état de fatigue, il l’appela à partir de son
poste fixe. La localisation fut immédiate : la poche intérieure de sa veste
qu’il avait également laissée sur un porte-manteau. Il saisit l’objet et
remarqua trois messages en attente.
« Message 1 : aujourd’hui à 9 h 14. Bonjour patron, c’est Tony. Désolé
de vous déranger, mais j’aurais besoin de vos lumières sur un point que
le directeur m’a demandé de regarder. Rappelez-moi lorsque vous le
pourrez. »
- Ah, ce Tony ! Perdu lorsqu’il n’a plus son chef !!! pensa-t-il.
« Message 2 : aujourd’hui à 13 h 46. C’est encore Tony, je viens d’avoir
la biologiste Barbara Brandenberger. Elle désire nous voir le plus
rapidement possible concernant une trouvaille qu’elle aurait faite sur le
virus. Je dois la rappeler pour lui confirmer une date, alors rappelezmoi. »
« Message 3 : aujourd’hui à 18 h 23. C’est toujours Tony. La journée
s’achève et je n’ai pas eu de vos nouvelles, en plus le directeur m’a averti
que vous alliez être pris quelques jours avec le FBI. Rappelez-moi
quand vous rentrerez ».
Kevin regarda l’heure, trop tard pour déranger les gens chez eux, même
ce brave Tony. De plus, il était vraiment trop fatigué pour passer de
longues minutes au téléphone avec son jeune collègue.
- Ça attendra demain, songea-t-il.
Sa nuit fut agitée. Comme souvent dans ces mêmes conditions, il avait
eu beaucoup de mal à s’endormir et s’était réveillé très tôt. Son esprit
était en hyperactivité, réfléchissant aux tests à effectuer sur le matériel
qu’ils avaient rapporté, à la meilleure façon de les exécuter pour ne rien
louper… Et cette biologiste dont parlait Tony sur son message,
qu’avait-elle trouvé de si important nécessitant une réunion en urgence ?
Finalement, la fatigue le rattrapa peu de temps avant d’être obligé de se
lever, ce qui n’était jamais très bon pour conserver toutes ses facultés et
une forme olympique.
- 172 -
CHAPITRE 43
Don passa chercher Kevin à 8 h, comme prévu. Ils retrouvèrent Sarah
au bureau du FBI de Houston quelques minutes plus tard. Le
laboratoire avait été temporairement réaménagé pour leur permettre de
travailler dans les meilleures conditions possibles. Herbert Hoover avait
également fait le déplacement de Washington pour superviser les
analyses et coller au plus prêt de l’enquête. Il voulait être au cœur de
l’affaire afin de prendre les bonnes décisions le moment venu. Sur le
chemin, Kevin en avait profité pour passer un coup de fil à Tony,
histoire de le rassurer sur les questionnements qu’il avait émis la veille. Il
tomba sur sa messagerie. En cette belle matinée ensoleillée, Tony devait
probablement se rendre sur son lieu de travail en vélo. Il lui était
impossible d’entendre la sonnerie de son téléphone portable au milieu
du vacarme assourdissant des klaxons des voitures. Cet entraînement lui
permettait de garder la forme lorsqu’il n’avait pas eu le loisir de faire
suffisamment de sport durant son week-end. Le deuxième point non
négligeable était le gain de temps par rapport à un trajet classique. Il ne
mettait que quinze minutes pour venir à la NASA à la force de mollets,
tandis qu’un transport en bus ou automobile lui prenait au mieux
quarante minutes pendant les heures de pointe. Accessoirement, ça
peaufinait son bronzage parfait tout au long de l’année. Les écouteurs
dans les oreilles, son baladeur diffusait la musique pop-rock qu’il
appréciait avant d’entamer une dure journée de labeur. Ça lui donnait
également du tonus pour pédaler et slalomer entre les files de véhicules
entassés les uns derrière les autres. Après une grosse demi-heure passée
sur sa planche de surf à batailler contre les vagues, et une quinzaine de
minutes de vélo, il se sentait prêt à affronter sereinement n’importe quel
problème.
Lorsqu’il arriva à bon port, un message l’attendait sur son écran
d’ordinateur. « Venez me voir dès votre arrivée. » signé du directeur
Johnson. Tony se concentra quelques secondes, espérant ne pas avoir
commis d’erreur. En embrassant la pièce du regard, il pensait avoir fait
du bon boulot pendant l’absence de son chef. Il avait peut-être une
chance d’obtenir une promotion, et de voir sa carrière évoluer
positivement. En songeant à son supérieur direct, une pensée l’envahit
subitement.
- 173 -
- Kevin !!! Je l’avais presque oublié ! Il ne m’a pas rappelé depuis son
départ.
Il regarda le cadrant de son téléphone portable et se rendit compte qu’il
avait loupé l’appel de Kevin à deux minutes prêt.
- Le directeur passe en priorité, je le contacterai plus tard.
D’un pas sûr et énergique, il se dirigea vers le bureau de Jack Johnson.
En approchant de la porte, il fit un petit signe de tête à la secrétaire qui
lui annonça d’un hochement de menton qu’il pouvait entrer.
- Bonjour Monsieur le Directeur.
- Ah ! Tony ! Bonjour. Je vous en prie, asseyez-vous. Je ne sais pas si
vous avez eu des nouvelles de Monsieur Klein, mais le FBI m’a
demandé… je devrais même dire imposé son détachement quelques
jours de plus ?
- Il m’a laissé un message ce matin avant mon arrivée, mais je n’ai pas
encore eu le temps de le rappeler, Monsieur.
- Malgré mes objections, nous n’avons pas le choix. Ce n’est pas que je
ne vous fasse pas confiance, mais le départ de la prochaine navette
approche à grands pas et j’aurais aimé que tous nos effectifs soient au
complet. Et puis, depuis qu’il est à ce poste, c’est toujours Kevin qui a
supervisé le fonctionnement du programme de navigation.
- J’ai une check-list très précise concernant ce programme, Monsieur.
Ça ne me posera aucun problème de reprendre les validations à sa place.
- C’est tout à votre honneur de prendre des initiatives, continua Jack
Johnson. Seulement, aucune erreur et aucun oubli ne sont admis sur ce
point. Les vies des astronautes sont en jeu.
- J’ai parfaitement compris l’enjeu de ces contrôles, Monsieur. Vous
pouvez compter sur moi.
- Très bien. Nous aurons une réunion demain matin avec les différents
responsables de services. Je veux que vous y participiez.
- J’y serais, Monsieur.
Tony s’éclipsa de la pièce et reprit le chemin de son bureau, fort ravi de
son entretien. En quelques mots, il avait réussi à lui montrer sa
détermination et son professionnalisme. La journée commençait plutôt
bien finalement. Il lança des « bonjour » à toutes les personnes qu’il
croisait, en profita même pour échanger quelques paroles avec certaines
collègues féminines qu’il appréciait particulièrement. Arrivant à la porte
de son antre, il souffla un bon coup en pensant au travail qui l’attendait.
- 174 -
Cette situation était nouvelle pour lui. Pour la première fois depuis qu’il
avait été engagé à la NASA, il était maître de ses actes. En temps
normal, Kevin lui dictait ses actions quotidiennement. Aujourd'hui, il
avait un réel pouvoir de décision. Ce sentiment le gonfla d’orgueil. Il
était pendant quelques jours le seul maître à bord !
Soudain, son téléphone portable sonna.
- Comment ça va patron ? lança-t-il à son interlocuteur en voyant le
nom s’afficher sur le cadran.
- Salut Tony ! Bien, dis-moi, tu es difficile à contacter en ce moment.
J’ai essayé d’appeler au bureau à plusieurs reprises, mais en vain !
- J’étais avec le directeur. Étant donné que vous nous avez lâchement
abandonnés pour aller draguer les agents du gouvernement…
- Si seulement ça pouvait être aussi simple, le coupa Kevin. Je
préfèrerais être à mon poste en train de faire mon boulot plutôt que
d’être ici à faire le Guignol, lui dit-il en faisant un énorme clin d’œil à
Don qui se tenait juste à ses côtés.
- Et où êtes-vous ?
- Pas très loin. Je suis dans les bureaux du FBI pour encore deux ou
trois jours. Nous avons des… analyses à terminer.
Don venait de lui faire comprendre qu’il ne devait surtout pas en dire
trop, même à Tony. La confidentialité de leur enquête restait de rigueur.
- Bon, je dois te laisser. Si tu as des problèmes, cette fois-ci je serais
joignable facilement.
- Parfait, je vous rappellerai sûrement pour la finalisation des contrôles
avant le lancement de la navette.
- Sans soucis ! À plus tard.
Don et Kevin entrèrent dans le laboratoire qui allait les accueillir
pendant ces quelques jours. Malgré une ventilation continuelle, une
odeur de brûlé flottait dans l’air. Le matériel informatique avait été
soigneusement installé sur les différents plans de travail durant la nuit.
Les deux techniciens qui devaient prêter main-forte à Kevin étaient
arrivés très tôt pour préparer les lieux.
- Oh ! Ça sent encore le cramé là-dedans, lança Don qui se frottait le
nez pour tenter de faire passer les effluves désagréables.
- C’est une odeur tenace qui risque de perdurer un bon moment, reprit
Kevin.
- 175 -
- Bon, je crois que vous avez du pain sur la planche mon ami, alors je
vous laisse quelques instants. J’ai une réunion avec notre directeur. Si
vous avez besoin de quelque chose, nos deux rats de laboratoire Tom et
Jerry sont à votre disposition.
Kevin lança à Don un regard interrogateur… Tom et Jerry ???
- Notre duo de techniciens peut vous sembler être une blague, mais je
vous assure qu’ils sont tout à fait capables. Quoi que ! Laissez-moi vous
présenter Tomas Tate et Jerry Jones.
Les deux compères approchèrent pour saluer l’ingénieur de la NASA.
En réalité, il avait plus de choses en commun avec « Laurel et Hardy »
qu’avec les animaux de Disney. Tom était le stéréotype parfait de
l’informaticien : un amateur de bière et pizza bien en chair, qui arborait
une paire de lunettes à double foyer. Extrêmement bavard, il adorait
taquiner son collègue Jerry qui restait de marbre aux blagues potaches
de son envahissant binôme. Contrairement à lui, Jerry était grand, mince
à la limite du squelettique, et très discret.
- Pour le moment, je vais effectuer un inventaire rapide de ce que nous
avons récupéré, leur dit Kevin. Ensuite, nous pourrons entrer dans le
vif du sujet et toutes les bonnes volontés seront bienvenues.
Kevin entreprit sa tâche de façon précise et méthodique. Il lista le
matériel et annota des informations sur l’état visuel des différents
composants. Les disques durs et autres supports de sauvegarde
l’intéressaient plus particulièrement. Lorsque son tour d’horizon fut
terminé, il donna ses indications aux deux techniciens.
- Nous allons procéder par ordre, leur lança-t-il. Nous commencerons
par analyser les médias de stockage des machines que j’ai repérées. On
les démonte et on leur passe tous les logiciels de tests qui sont présents
sur le serveur du fond. En premier lieu, une analyse physique du disque
va être effectuée. Ensuite, une copie complète est faite pour éviter toute
perte de données, involontaire ou pas. Nous finirons cette première
étape avec une batterie de trois d’antivirus et antispywares. Si tout va
bien après tout cela, nous brancherons le disque sur le deuxième serveur
pour un contrôle des fichiers susceptibles de nous intéresser. Messieurs,
au travail !
À l’autre bout de la ville, Tony relisait pour la trois ou quatrièmes fois la
check-list qu’il devait vérifier, en vue du prochain lancement de navette.
- 176 -
La pression se faisait de plus en plus forte. Il essayait toutefois d’afficher
un sentiment de sérénité que Kevin aurait apprécié en pareilles
circonstances. Mais la date de départ approchant à grands pas, il se
sentait de moins en moins à l’aise. Tous les tests montraient que les
différents systèmes informatiques étaient sains, mais une petite voix
intérieure lui rappelait sans cesse que rien n’était joué d’avance. Une
mission était toujours un enjeu technologique et humain, qui demandait
la plus grande concentration et une rigueur sans faille. Aussi, les
évènements de la semaine passée n’ayant pas encore été élucidés, il
commençait à stresser.
Sarah et Don venaient d’avoir une réunion avec le directeur Fitzgerald.
Plusieurs points avaient été évoqués, mais il était clair pour tous les
protagonistes que le résultat des analyses du matériel ayant appartenu à
Durand était primordial pour la poursuite de l’enquête. Toutes les autres
pistes détaillées au cours de cet entretien devraient être approfondies le
moment opportun. Mais en cet instant, les recherches de Kevin Klein
restaient leur principal atout dans cette affaire.
- J’ai sondé Anthony Alessandro hier soir, dit Liz à son assistant. Je
pense qu’on peut en tirer quelque chose. Débrouille-toi pour en savoir
un maximum sur lui, sa famille, ses habitudes, ses hobbies, tout !
- C’est comme si c’était fait, promit Georges Goranovic.
Élisabeth McCarthy avait un flair infaillible dans ce genre de situation.
Depuis sa rencontre avec Tony quelques heures auparavant, elle sentait
qu’il avait des choses à lui apprendre, qu’il n’avait pas été franc avec elle.
Sa proie enfin trouvée, elle allait s’arranger pour ne pas la laisser
s’échapper. Le jeune homme ne serait pas à la fête lorsqu’elle en aurait
fini avec lui.
Au cours de la journée, Klein accompagné de ses deux acolytes était sur
une bonne piste. Les premiers tests montrèrent que certains disques
durs avaient bien résisté à l’explosion et aux courts-circuits. Le virus
n’avait été détecté que sur un seul d’entre eux, ce qui laissa penser que
Durand avait trouvé le moyen de le canaliser, ou qu’il en était l’auteur et
savait parfaitement comment s’y prendre pour sécuriser le reste de son
matériel. L’optimisme était de rigueur dans le laboratoire, ce qui n’avait
pas débridé Jerry Jones, contrairement à son collègue Tom Tates
- 177 -
devenu hilare. Les blagues à deux sous fusaient sans discontinuer, du
plus soft au plus graveleux. Kevin qui n’était pas habitué à travailler
sous ce régime, appréciait malgré tout cette humeur joyeuse et
agrémentait le monologue de Tates comme il le pouvait en lançant des
réparties piquantes entre deux rires.
En début de soirée, la première phase était terminée et la suite des
évènements s’annonçait prometteuse. Le jour suivant serait décisif pour
leurs investigations. Ils allaient enfin rentrer dans le vif du sujet, à savoir
l’étude des fichiers à proprement parler. Kevin était très excité par ce
qui l’attendait. Sa vie, somme toute monotone, venait de s’agrémenter
d’un peu de piquant. Il avait le sentiment de revivre des émotions
connues durant son passé. Il n’avait pas encore de montée d’adrénaline
fulgurante comme il en avait vécue pendant certaines missions
effectuées pour le FBI, mais l’enjeu était suffisamment important pour
le maintenir dans un état d’excitation permanente. Bien qu’il n’ait pas
une grande envie de quitter les lieux, Sarah réussit à le faire changer
d’avis.
- Kevin, vous êtes encore là ?
- Oui, j’aimerai finaliser quelques tests avant de partir.
- Vous savez que vous n’êtes pas obligé de faire des journées de vingt
heures. Notre directeur ne vous en tiendra pas rigueur si vous rentrez
chez vous, lui lança-t-elle avec un large sourire.
- Vous savez ce que c’est… Lorsqu’on est pris dans un travail
intéressant, il est parfois difficile de s’arrêter avant d’avoir atteint son
but.
- Allez, venez. Vos machines seront encore là demain. Nous allons
boire un verre avec Don, accompagnez-nous ! Ça vous changera les
idées.
Kevin n’hésita pas vraiment longtemps. Même si la compagnie des deux
énergumènes qui l’avait épaulé durant cette journée était vivifiante, une
présence féminine lui ferait le plus grand bien. Il voyait cela comme une
purge de l’esprit pour contrebalancer les blagues machistes de Tom.
Sarah fut ravie de cette décision. Depuis leur virée en Europe, un
sentiment d’amitié grandissait à son encontre. Elle s’était également
rendue compte que la froideur qu’il dégageait à la première impression
était toute relative.
- 178 -
CHAPITRE 44
La soirée était déjà bien avancée lorsque Sarah et Don arrivèrent dans
leur repère habituel. Ce bar à flics était fréquenté par une horde de
représentants de la loi de tous horizons. Kevin les rejoignait juste au
moment où ils entrèrent dans la place. Don leur annonça la couleur dès
leur arrivée : « Une bière et basta. On a du boulot demain ! » Seulement,
une chose en entraînant une autre, il retrouva quelques vieux camarades
et finit par délaisser totalement Sarah et Kevin pour fêter la promotion
d’un de ses anciens collègues. L’ambiance était festive, bon-enfant
comme souvent dans ces circonstances, mais surtout particulièrement
bruyante.
Sarah et Kevin, toujours accoudés au bar, décidèrent de s’installer à
l’écart et dînèrent sous les chants déchaînés des convives présents.
- Vous avez fait des découvertes intéressantes aujourd’hui ? lui
demanda-t-elle lorsque le volume sonore retomba l’espace d’une
seconde.
- Pas à proprement parler. Je veux prendre le maximum de précaution
pour éviter de perdre irrémédiablement des données importantes. On a
tout d’abord mis l’accent sur l’analyse des médias de stockage ainsi que
sur les sauvegardes. Seulement, ces opérations sont relativement
longues.
- Et demain, vous entrez dans le vif du sujet ?
- Exactement. Les Laurel et Hardy que vous m’avez assignés…
Sarah faillit étouffer de rire en entendant Kevin les appeler ainsi. Elle
avala de travers, se mit à tousser, et tousser encore. Kevin qui n’était pas
un boute-en-train né se sentit gêné de la mettre dans une telle situation.
- Ça va Sarah ? Je suis désolé, je ne voulais pas…
- Ça va, lui répondit-elle dans un effort pour ne pas s’étrangler.
Les larmes aux yeux, elle finit par retrouver son calme juste au moment
où Don, qui avait suivi discrètement la soirée des deux tourtereaux,
arriva à leur table.
- Et bien mon vieux, vous avez le chic pour faire plaisir aux femmes.
Regarder cette pauvre Sarah, elle pleure comme une Madeleine !
- Lâche-nous ! lui lança-t-elle à nouveau d’attaque.
- Je suis désolé Sarah, reprit Kevin qui était finalement très heureux de
son effet.
Il venait de briser la glace d’une façon très inattendue.
- 179 -
- Tout va bien, j’ai seulement avalé de travers. Et toi, retourne picoler
avec tes potes de régiment !
- Oh là ! Mademoiselle a retrouvé la grande forme.
Aussitôt dit, aussitôt fait, Don fit demi-tour en titubant et en hurlant un
tonitruant « à boire ».
- Il en a un sérieux coup dans le nez, ajouta Sarah en le regardant se
diriger vers le bar ! Quand il est comme ça, il est intenable.
- Qu’est ce qu’ils fêtent ?
- La promotion du tout nouveau capitaine de police. Ils ont fait leurs
classes ensemble. D’ailleurs, ils seraient sûrement dans la même brigade
si Don n’avait pas été recruté par le FBI il y a quelques années. De vrais
frères de sang, ces deux-là ! Mais que vouliez-vous me dire à propos de
Tomas et Jerry ?
- Ah oui ! Nous avons bien avancé aujourd’hui. La phase de préparation
est finie et nous allons pouvoir commencer l’analyse des fichiers. J’ai
bon espoir de trouver le chaînon manquant qui nous permettra
d’éradiquer définitivement le virus.
- Vous êtes optimiste ?
- Plutôt réaliste, répondit Kevin, car une chose m’a frappé cet aprèsmidi. Une seule machine parmi toutes celles que nous avons récupérées
est infectée par le virus. Pourtant, l’ensemble du matériel était en réseau.
Cela me laisse penser que Durand savait parfaitement le contrôler. Du
moins, il avait réussi à le contenir sur cet unique PC, chose que nous
sommes incapables de faire pour le moment.
- Cela signifie que l’analyse approfondie de ces fichiers permettrait de
déterminer si oui ou non, Henri Durand était bien dans le coup, et
même d’en trouver un remède ?
- J’ai bon espoir, répondit-il d’un air pensif.
La fête battait son plein à l’autre bout du bar. La troupe de personnes
présentes faisait plus de bruit qu’un stade de football un jour de grand
match. Les chants de bidasses couvraient les échos des journaux
télévisés, retransmis en continu sur un écran plat dans un coin de la
salle. Don n’était pas le dernier dans cette histoire. Il s’était pourtant
juré de rester raisonnable, mais il ne fêtait pas tous les jours un tel
évènement. Son copain de chambrée, un frère à ses yeux avec qui il
avait supporté le pire de l’entraînement pour devenir policier, était
aujourd’hui promu « Capitaine » ! Lui avait conservé son statut d’agent
- 180 -
spécial au FBI, mais il ne regrettait rien. Son existence avait été
beaucoup plus intéressante professionnellement parlant. Les voyages au
travers du pays, les rencontres opportunes et cette vie d’éternel
célibataire lui convenaient parfaitement. Même après toutes ces années,
il n’avait finalement aucun regret. À une époque, il avait pourtant failli
se marier, et avait songé à fonder une famille. Et puis, son métier avait
eu raison de ses belles illusions, comme beaucoup de ses collègues.
- Liz, j’ai du nouveau concernant ton italien, lança Georges à sa
patronne. Je pense que ça va t’intéresser au plus haut point. Ton gamin
est très copain avec le fondateur « d’Avenir Propre ».
- Comment sais-tu ça toi ?
- Des relations, ma chère… En tout état de cause, notre bonhomme a
connu Henri Durand lorsqu’il était gamin. D’après ce qu’on m’a dit, il
était souvent fourré avec sa fille pendant leurs jeunes années. Ensuite, il
a fait de brillantes études subventionnées par qui ? Je te le donne en
mille… la même fondation.
- Qu’est ce que cette fondation d’écolo à deux sous vient faire dans
toute cette histoire ? demanda Liz.
- Attends, je t’ai gardé le meilleur pour la fin ! Je n’ai pas encore eu de
confirmation officielle, mais il semble que le FBI ait dans sa ligne de
mire son président : le bien nommé Henri Durand.
- Le bien nommé Henri Durand ! répéta Liz pour se moquer des
expressions désuètes employées par son assistant. Qu’est qu’il a fait ce
bien nommé Henri Durand ?
- Quoi ? Il y a une loi qui empêche de dire cette expression aux ÉtatsUnis ? demanda-t-il énervé. Je croyais que c’était le pays des libertés…
- C’est bon, abrège ! lâcha-t-elle.
- Pour revenir à notre mouton, c’était un petit génie de l’informatique
dans son jeune temps. Et puis, il a tout plaqué du jour au lendemain
pour s’occuper de cette fondation.
- Alors comme ça, notre beau Tony serait le protégé d’un as de
l’informatique… intéressant tout ça. Il va falloir creuser la question. Je
veux tout savoir sur leur relation : professionnelle, amicale et même
financière.
- Tu as vu qu’il est déjà plus de vingt-deux heures, reprit Georges qui ne
désirait qu’une chose : rentrer chez lui pour retrouver sa famille. Mes
heures supplémentaires vont finir par te coûter très cher…
- 181 -
- Ne t’en fais pas pour mon portefeuille. Bon OK, casse-toi, mais on
reprend tout cela demain matin dès huit heures.
- Va pour neuf ?
- Ces maudits étrangers, tous des tires-aux-flancs, lui souffla-t-elle. Huit
heures et pas une minute de retard sinon je te vire.
CHAPITRE 45
Au petit matin, Kevin eut du mal à se lever malgré le rappel incessant de
son réveil. Après l’avoir sauvagement frappé pour qu’il stoppe cette
alarme d’apocalypse, il réussit dans un ultime effort à se tirer du lit. Le
manque de sommeil n’avait jamais été un problème pour lui, mais cette
fois-ci, il avait dû somnoler une heure ou deux, tout au plus. Son
cerveau était en pleine ébullition. Il ressassait cette excellente soirée avec
Sarah, ce qui l’attendait le lendemain... tout et n’importe quoi ! À croire
que quelqu’un contrôlait ses pensées pour l’empêcher de dormir !
Il se tira de sa torpeur avec difficulté, puis fila sous la douche. Sur le
coup, l’eau tiède lui remit les idées en place. Un rapide petit déjeuner
plus tard, il quitta son appartement pour se rendre au bureau du FBI.
Cette fois, il savait que Don ne serait pas là pour venir le chercher, vu
son état d’ébriété bien avancé quelques heures plus tôt. Il s’apprêtait à
monter dans son véhicule garé sur le bord de la route, lorsqu’un klaxon
de voiture le fit sursauter. Don l’attendait, comme la veille, à la même
place. Il sirotait un café, tranquillement. Kevin le salua en le fixant
intensément. Il était frais comme un gardon !
- Vous avez l’air en pleine forme ?
- Oui pourquoi ?
- Et bien, après la soirée arrosée d’hier, j’aurais cru que…
- Ça !!! Une petite fête entre amis, rien de bien méchant, le coupa Don.
- Vous avez une sacrée santé mon vieux !
- Vous savez ce qu’on dit, il vaut mieux profiter de la vie tant qu’on le
peut encore.
Don démarra, la radio était branchée sur les informations nationales.
Les nouvelles étaient toujours aussi alarmistes. C’était une mode dans le
milieu du journalisme, il fallait faire pleurer dans les chaumières, de la
catastrophe en cascade, du scoop et une pointe de dépravation. Kevin,
qui sentait l’effet tonifiant de la douche s’estomper, finit par retomber
- 182 -
dans un état de fatigue léthargique. Il avait hâte d’arriver pour pouvoir
se mettre au travail, ce qui lui redonnerait un coup de fouet salvateur.
Dès leur arrivée au siège du FBI, Herbert Hoover les invita à le suivre
dans la salle de réunion. Sarah était déjà sur place et épluchait un
dossier. Plusieurs responsables du bureau fédéral étaient également de la
partie. Jerry, fidèle à lui-même, faisait une tête d’enterrement. Ce qui
frappa Kevin au premier regard, c’est la mine déconfite de Tom, le
trublion de service. Il arborait un visage de marbre, sans vie ni émotion.
- Installez-vous, leur intima Hoover. Cette nuit, nous avons été victimes
d’un sabotage au sein même de ces locaux, lança-t-il sans attendre. La
situation est extrêmement grave, car nous avons perdu tout ce que nous
avions récupéré sur les lieux d’enquête depuis ces derniers jours.
Des chuchotements se firent entendre dans la pièce. Tous les
protagonistes comprirent l’importance de l’annonce d’Herbert Hoover.
Les investigations en cours étaient purement et simplement réduites à
néant.
- Dans ces circonstances, j’ai été obligé de faire appel à des enquêteurs
extérieurs au service, reprit-il. Bien entendu, je vous demande votre
pleine et entière collaboration. Vous allez tous être entendus ce matin,
et en fonction de leur rapport, nous aviserons de la suite des
évènements en début d’après-midi.
- Quelle est l’ampleur du sabotage ? chuchota Kevin à l’encontre de
Sarah.
- Le laboratoire dans lequel vous avez travaillé toute la journée d’hier a
brûlé. Les alarmes anti incendies se sont déclenchées vers quatre heures,
mais il était déjà trop tard. La plus grande partie du matériel était partie
en fumée.
- C’est bizarre, je pensais que les systèmes d’extraction d’air qui ont été
installés dans ce laboratoire étaient d’une efficacité redoutable !
- C’est justement pour cette raison que nous sommes sûrs qu’il s’agit
d’un sabotage. L’alarme s’est déclenchée plusieurs minutes après le
début de l’incendie et rien n’a résisté.
- Puis-je voir les dégâts ? demanda Kevin. On ne sait jamais, tout n’est
peut-être pas perdu.
- Je suis désolé, Monsieur Klein, lui lança Hoover qui les rejoignait au
même instant, mais avant de faire quoi que ce soit, vous devrez
répondre à nos enquêteurs.
- 183 -
- Je comprends, mais j’aimerais en finir au plus vite avec eux pour savoir
si je suis encore utile ici. S’il n’y a plus rien à tirer des restes du matériel,
je rentre à la NASA, car j’ai du travail qui m’attend.
- Parfait, vous passerez en priorité.
Le service d’investigation, dépêché en urgence pour cette enquête, était
composé de trois personnes : un agent spécial du bureau, qui était
appelé pour résoudre les affaires les plus délicates, un enquêteur
spécialisé dans la sécurité informatique et un profileur. Hoover suivait
les interrogatoires depuis une pièce voisine, à l’abri derrière une glace
sans tain. Après une demi-journée d’entretien, tout le personnel ayant
accès au laboratoire fut entendu. Une seule chose en découla : le FBI
était envahi d’alcoolique notoire ! Sarah, Kevin et Don avaient passé
une partie de la nuit dans ce bar à faire la fête. La médaille du mérite
revenait à l’agent Dalton, qui n’était même pas rentré chez lui que pour
se changer. Tom était resté à son domicile pour surfer sur Internet et
discuter sur des forums de rencontre. Un rapide contrôle montra qu’il
avait été parfaitement honnête, malgré la gêne évidente d’étaler à des
inconnus sa minable vie sociale. Jerry n’avait pas d’alibi pour la soirée,
mais les réponses qu’il donna semblèrent satisfaire le psychologue
présent. Il ne mentait pas, d’ailleurs il n’en avait aucun intérêt. Il s’était
endormi devant une ultime rediffusion d’un épisode de la guerre des
étoiles. Le résultat fut négatif pour les autres personnes ayant accès aux
locaux. À la suite des entretiens, Hoover fit un point avec les trois
agents spéciaux fraîchement débarqués. Ils avaient acquis la quasicertitude qu’aucun des membres du personnel interrogé n’était impliqué
dans l’incendie de la nuit précédente.
Kevin eut l’autorisation de retourner dans le laboratoire en début
d’après-midi. Pendant la matinée, les lieux avaient été examinés sous
toutes les coutures, des relevées d’empreintes avaient été effectuées et
de multiples photos avaient été prises pour tenter de comprendre
l’origine du sinistre. Lorsqu’il arriva enfin devant l’entrée de la pièce, il
s’attendait à trouver des traces de suie un peu partout, et sentir une
odeur ocre planant dans l’air ; une sorte de déjà-vu avec ce qu’il avait
constaté dans la caverne de Durand en Suisse. Bizarrement, rien ne
semblait avoir souffert du feu dans cette pièce. Son étonnement fut
- 184 -
atténué quand Sarah lui expliqua ce qui s’était réellement passé cette
nuit.
- J’ai vu les images des caméras de surveillance. Aucune intrusion n’a été
remarquée avant le déclenchement de l’alarme incendie.
- J’avoue ne pas bien vous suivre !
- Lorsqu’on regarde le laboratoire dans son ensemble, il n’y a rien
d’apparent. Seulement en y regardant de plus près, on constate que
l’intérieur des ordinateurs s’est littéralement consumé ! En fait, sans
cette alarme incendie, je ne suis pas sûr que nous l’aurions vu quoique
ce soit avant votre retour.
- Et vous êtes certaine que personne n’est entrée dans la pièce depuis
notre départ hier soir ?
- Il n’y a eu que l’homme d’entretien qui est passé vers vingt heures
trente.
- Et vous avez confiance en lui ? demanda Kevin soudainement
intéressé.
- Il travaille ici depuis de nombreuses années… C’est un vétéran du FBI
si je puis dire.
- Pourrais-je voir la vidéo s'il vous plait ?
- Je ne pense pas que ce soit un problème, reprit Sarah. Suivez-moi.
Ils sortirent du laboratoire d’un pas rapide. Sarah ralentit la cadence
pour laisser Kevin arriver à sa hauteur. Elle ne voulait pas se l’avouer,
mais son compagnon d’un jour l’intriguait. Il semblait avoir une
longueur d’avance sur ces propres réflexions concernant cet incendie.
Elle finit par lui demander :
- Je me trompe ou vous avez une idée derrière la tête ?
- À vrai dire, je n’en sais encore rien, mais il y a quelque chose qui ne
tourne pas rond. N’importe qui pourrait vous dire que ça n’est pas un
feu normal qui s’est produit cette nuit. Vous avez constaté que les
extérieurs des ordinateurs n’ont quasiment aucune trace. De plus, ce
genre de matériel dégage une odeur très particulière lorsqu’il
brûle. D’après ce que j’ai entrevu, ça ressemble à une dissolution à
l’acide, ou quelque chose d’avoisinant. Il va falloir que j’examine ça au
microscope, à moins que vous n’ayez un laborantin qui sache utiliser
l’attirail du parfait petit chimiste ? En tout cas, s’il y a bien une chose
dont je suis sûr, c’est que ce type de réaction chimique n’arrive pas
spontanément. Quelqu’un a obligatoirement déposé une substance sur
les disques pour obtenir un tel résultat.
- 185 -
- Et vous pensez réellement que notre homme d’entretien, qui fait
pratiquement partie des murs, y est pour quelque chose ? Allons, ça
n’est pas sérieux !
- Je n’ai pas dit ça, répliqua Kevin sur la défensive. Ce que je veux vous
expliquer, c’est qu’un appareil électronique, quel qu’il soit, ne se
consume pas tout seul. Hier soir avant de quitter le laboratoire, j’ai
volontairement débranché les machines des réseaux électriques et
informatiques, pour éviter tout risque inutile. Vous comprenez ma
surprise de ce matin et surtout mon interrogation concernant une
intrusion possible.
- Monsieur est un petit cachotier, lui lança Sarah, un sourire aux coins
des lèvres. Vous ne nous faites pas confiance ?
- Il y a de quoi, non ? Après ce qui vient de se passer, vous admettrez
aisément que je suis loin de faire de la paranoïa. Par contre, j’espère que
vous, vous avez enfin confiance en mes capacités et mon jugement pour
réaliser ce travail ?
- Oh, mais vous l’avez toujours eu, lui murmura Sarah très
sensuellement. Je ne dis pas qu’au premier abord, vous paraissiez être le
suspect idéal, mais depuis notre voyage en Suisse, les choses ont changé,
n’est-ce pas ?
- Nous sommes d’accord, répliqua Kevin qui sentit un frisson lui
traverser le corps.
Cela faisait très longtemps qu’il n’avait pas ressenti une telle sensation.
La soirée passée en tête à tête avec l’agent spécial lui avait été
particulièrement agréable, et cette journée s’avérait, sur le plan
relationnel, de plus en plus forte en émotion. Malgré l’interrogatoire
qu’il avait subi en début de matinée, accompagné par son lot de
frustration, de tension voire de stress, la complicité qui était en train de
s’établir avec Sarah lui tournait la tête.
- Avant d’aller plus loin, je dois vous faire un aveu, ajouta-t-il.
Elle le regarda fixement de ses grands yeux verts. Une attention qui
faillit le faire bafouiller lorsqu’il voulut continuer sur sa lancée.
- Hier soir, j’ai conservé avec moi le téléphone portable de Durand.
- Ah ! Et pourquoi ?
- Une vieille habitude prise quand j’étais « employé » par le
gouvernement, il y a quelques années.
- Toujours ce problème de confiance envers les autorités ?
- 186 -
- Probablement, reprit Kevin, désolé de casser une ambiance si
prometteuse.
- Pourquoi ne m’avoir rien dit ?
- J’allais le faire au moment où je vous ai rejoint dans ce bar.
Finalement, la soirée était tellement agréable que je n’y ai plus pensé.
C’est seulement ce matin en fermant ma porte à clé que je l’ai senti dans
la poche de ma veste.
- Je croyais qu’après son séjour dans le lac Léman, il était définitivement
fichu ?
- La carte électronique a grillé, mais la mémoire est probablement
intacte. Ça nous laisse une ultime chance…
Sans s’en rendre compte, l’informaticien de la NASA venait de
redonner espoir à Sarah. Ils se dirigèrent d’un bon pas vers le bureau de
la sécurité.
En arrivant devant la porte vitrée, Sarah salua le vigile présent. Il les fit
entrer avec méfiance. L’agent Spader lui transmit la requête de Kevin.
L’homme s’exécuta sans faire d’histoire. Il chargea une vidéo sur un des
moniteurs.
- Voilà, dit-il. L’enregistrement correspondant à la caméra du couloir qui
filme l’entrée du laboratoire. Ça couvre la plage horaire de 20 h à 8 h le
lendemain matin. Sarah le remercia, et les deux compères se mirent à
visionner un film soporifique à souhait, à vitesse normale dans un
premier temps, puis en accéléré. Une fois la vidéo entièrement
visualisée, Kevin recala l’image sur la première scène où il y avait du
mouvement. On y voyait l’homme d’entretien passer la serpillère
comme tous les soirs. Il ne semblait pas en très grande forme, mais le
pauvre lascar n’était plus tout jeune, rendant ses gestes péniblement
lents. Il était présent durant neuf minutes, puis on retrouvait à nouveau
un couloir vide. Le reste du film montrait le passage des vigiles faisant
leurs rondes, rien de plus.
- Une piste à l’eau, lança Sarah.
Kevin ne répondit rien, il était presque déçu de ne pas voir un
personnage crocheter la serrure, faire son affaire dans le laboratoire,
puis repartir en courant.
- Vous êtes sûr que les fenêtres ne s’ouvrent pas ? finit-il par demander.
- Absolument. Elles ont été scellées lorsque le système de climatisation
a été mis en place. La seule entrée possible est cette porte, affirma
- 187 -
l’agent de sécurité en montrant l’image renvoyée par le moniteur devant
leurs yeux.
- Peut-on revoir au ralenti le passage où l’homme d’entretien est dans le
couloir ?
Sarah recala le film, puis relança la lecture de la vidéo à la moitié de sa
vitesse réelle. Le technicien de surface avait une attitude pataude,
presque comique.
- Et bien, il n’avait pas l’air dans son assiette votre bonhomme, lança
Kevin. On dirait un film de Buster Keaton.
- Ne vous moquez pas de nos anciens, répliqua Sarah, qui pouffait de
rire. On ne sait pas dans quel état on sera à son âge. Bon, je reprends en
vitesse normale parce qu’à ce train-là, nous y serons encore demain.
- STOP, cria Kevin faisant sursauter sa compagne, mais également le
vigile qui faillit dégainer son arme de service !!!
- Vous êtes timbré de gueuler comme ça, lui lança-t-il !
- Désolé… Sarah, vous pourriez revenir en arrière au ralenti s’il vous
plait.
Elle le regarda d’un œil sévère, l’air de dire « ne me faites plus un coup
comme ça », puis s’exécuta.
- C’est ici, vous avez vu ?
- Non, quoi ? reprit-elle.
Le vigile curieux s’était approché, mais n’avait rien remarqué non plus,
malgré son expérience en visionnage de vidéo de surveillance.
- Mais si, revenez en avant, doucement… doucement, voilà !
- Rien vu, grogna le vigile.
- Nettoyer vos lunettes, bon sang ! C’est là que ça se passe, reprit Kevin
en montrant le bas de l’écran, à l’endroit où défilait le compteur de
temps. On passe de 20 h 26 min 34 s à 20 h 28 min 34 s. Je vous
accorde qu'avec la police d’écriture utilisée qui, ressemble à un afficheur
digital des années 80, on voit à peine le changement. Il y a juste une
barre en plus sur l’unité des minutes. Néanmoins, il manque bien deux
minutes sur cette vidéo !
- Nom de Dieu, jura le vigile, mais c’est vrai !!! Et comme par hasard,
c’est juste le moment où notre bonhomme est hors du champ.
- 188 -
CHAPITRE 46
- Est-ce que vous avez des sauvegardes de ses enregistrements ?
demanda Kevin.
- On conserve un doublon d’une semaine sur un deuxième serveur,
répondit Sarah très au fait de la sécurité du bâtiment. L’accès est
sécurisé, et seules quelques personnes ont les autorisations, dont le
directeur.
Sarah passa un coup de fil rapide à Francis Fitzgerald et lui expliqua en
deux mots ce qu’ils venaient de découvrir. Elle avait tout juste eu le
temps de finir son explication, qu’il lui annonçait qu’il arrivait sur-lechamp. Moins d’une minute plus tard, Sarah le vit débarquer au pas de
course. Il était au bord de l’évanouissement, essoufflé par le manque
d’activité physique, mais surtout à cause des innombrables cigarettes
qu’il avait fumées durant toute sa vie. Lorsqu’il parvint enfin à
reprendre son souffle, il regarda avec attention la vidéo en question,
grommela quelques onomatopées incompréhensibles puis se posta
derrière le clavier de l’ordinateur. Il navigua à travers les dédales du
réseau informatique du FBI, tel un prophète à la recherche de
l’illumination, avant d’atteindre son but. Il entra une série de code
d’accès, puis s’identifia à l’aide un capteur digital présent sur le côté du
clavier. Plus besoin de retenir une multitude de mots de passe avec ce
système, il suffisait d’une empreinte pour déverrouiller le programme. Il
chargea la copie de sauvegarde contenant la vidéo du jour en question.
Il indiqua l’heure qui les intéressait particulièrement. Cette fois-ci, le
compteur ne subit pas de saut temporel… Trois ou quatre secondes
après 20 h 26 min 34 s, l’image montra l’homme d’entretien couper le
champ de la caméra de surveillance en quatrième vitesse. Il se dirigea
directement devant la porte du laboratoire, puis finit par l’ouvrir au bout
d’une dizaine de secondes.
- Comment il a pu rentrer là-dedans ? interrogea le vigile. Ils n’ont pas
les clés et doivent être accompagnés d’un de nos gars pour y faire le
ménage.
- Il a probablement dû récupérer un passe quelque part, marmonna le
directeur.
L’homme venait d’entrer dans une des rares pièces à ne pas avoir de
caméra de surveillance. Au bout d’une minute trente environ, il
ressortait toujours au pas de course. La porte se referma toute seule
- 189 -
grâce au système pneumatique automatisé, puis il disparut par où il était
arrivé.
- Si nous résumons, annonça Francis Fitzgerald, nous avons ici notre
suspect principal. De toute évidence, il se fait passer pour un homme
d’entretien, avec sa casquette sur la tête, probablement une fausse barbe
et des lunettes à double foyer. Autant dire qu’il sera difficilement
identifiable avec ce que nous avons là. Ensuite, il entre on ne sait
comment dans le laboratoire, y reste quatre-vingt-dix secondes, et
reprend son travail normalement pour ne pas attirer l’attention. Il en a
quand même profité pour faire un petit tour dans ce local technique, le
temps de trafiquer la vidéo, et est reparti chez lui, ni vu ni connu. Une
question me brûle particulièrement les lèvres. Comment a-t-il réussi à
accéder à ce pupitre sans qu’aucun gardien ne s’en aperçoive ? lança-t-il
à l’intention du vigile.
Ce dernier, visiblement mal à l’aise d’être ainsi accusé de manquement à
son devoir, essaya de défendre les siens.
- Monsieur le Directeur, je ne sais pas précisément ce qui s’est passé hier
soir lorsque mes collègues étaient de faction, mais une des premières
choses qu’on nous apprend quand on arrive ici, c’est de ne jamais laisser
le poste de garde sans surveillance. Je vais jeter un œil au rapport de la
nuit.
- Faites donc ça !
L’homme farfouilla un dossier épais comme une encyclopédie
universelle d’avant l’ère informatique, puis finit par trouver le jour
concerné.
- Voilà ! 18 h… fin de mon service… 20 h… première ronde de nuit,
rien à signaler… 20 h 11… Ah ! Une alarme incendie dans le bâtiment
D… 20 h 18, encore une autre… C’est bien simple, il y a eu sept
alarmes, à l’opposé du laboratoire en moins de trente minutes.
- Qu’est ce que c’est que ce bordel ? gueula le directeur. Montrez-moi
ça !
- À 20 h 24, les pompiers sont arrivés sur site et ne sont repartis que
vingt minutes plus tard environ.
- C’est la procédure, reprit le vigile. Lorsqu’une alarme se déclenche, les
pompiers sont aussitôt avertis et les vigiles de faction doivent les
accompagner tout le temps de leur intervention. Ce qui est bizarre, c’est
que le rapport ne mentionne aucun feu. En fait, ils sont venus et ont dû
faire un tour dans les différents bâtiments concernés sans rien constater.
- 190 -
- Bon, c’est bien joli tout ça, mais ça ne nous explique pas comment la
vidéo a été trafiquée ! reprit le directeur.
- Si je peux me permettre, continua Kevin, il est toujours possible
qu’elle ait été piratée de l’extérieur. Les systèmes de sécurité ne sont
jamais fiables à cent pour cent.
- Ne sommes-nous pas protégés contre ce genre d’intrusion ? demandat-il à Sarah.
- En théorie, oui. Cela dit, je ne suis pas expert comme monsieur Klein,
mais avec les bons outils et les bons mots de passe, je suppose tout est
envisageable.
- Avez-vous eu une intervention sur votre ordinateur récemment ?
ajouta Kevin.
- Il y a quelques semaines… Un type de la maintenance est venu
changer le clavier parce que… comment dire… un collègue a
involontairement renversé du café dessus, répondit l’agent de sécurité
très mal à l’aise.
- Ne cherchez pas plus loin.
Kevin débrancha le clavier en question, demanda un petit tournevis au
vigile qui s’exécuta sans broncher. Une dizaine de vis plus tard, l’objet
éventré montra un joli mouchard miniature de très haute technologie.
- Voilà votre coupable. Le pirate a profité de cette occasion pour
planquer un module qui mémorise toutes les touches frappées, et envoie
un fichier probablement crypté vers une messagerie quelconque. Après,
le bonhomme n’a plus qu’à analyser ce fichier pour récupérer les noms
d’utilisateurs et mots de passe donnant accès à votre ordinateur.
- Qu’est ce qui se passe ici ? grogna le directeur Fitzgerald. On est dans
un James Bond où quoi ? Comment ce bidule a-t-il pu atterrir dans ce
clavier ? Qui est-ce qui est venu vous le mettre en place ?
- Euh ! Ça remonte à pas mal de temps, Monsieur, répondit le vigile. Si
mes souvenirs sont exacts, il me semble que c’était le grand tout maigre.
- Jerry, reprit Sarah.
- Amenez-le-moi dans mon bureau illico, lança le directeur. Je veux tout
savoir sur ce clavier : qui nous l’a livré et quand, où il a été fabriqué…
absolument toute son histoire. Et une dernière chose, il va sans dire que
s’il faisait partit d’un lot, il faut me vérifier tous les autres.
- Très bien, monsieur. On s’en charge, dit Don qui était resté
relativement muet jusqu’à présent.
- 191 -
- Kevin, vous allez décortiquer ce machin, reprit Don avant de quitter le
bureau du vigile avec Sarah. Nous devons impérativement savoir où le
mouchard envoie ses données. Sarah et moi, on ramène notre bon ami
Jerry chez le directeur, puis on va contrôler les autres claviers
susceptibles de contenir la même merde, ajouta-t-il en lançant le petit
module électronique à Kevin. Dès que vous avez du nouveau, bipeznous !
« Bipez-nous ! » Il en a de bien bonnes, songea Kevin.
- On va faire ça, reprit-il. Je serais au laboratoire avec Tom pour
analyser « votre » merde comme vous dite.
- Pas de mauvais esprit Monsieur le génie, lui rendit Don. Vous devriez
savoir mieux que quiconque qu’on ne rigole pas avec l’espionnage de
sites gouvernementaux ! Au travail maintenant.
Ils arrivèrent ensemble aux portes de la salle technique où Tom et Jerry
attendaient tranquillement qu’on veuille leur expliquer ce qu’il se passait.
Le local donnait l’impression à un visiteur non habitué de pénétrer dans
un véritable dépotoir. Une multitude de pièces détachées d’ordinateurs
et d’imprimantes jonchaient les différents plans de travail. Dans un coin
à part, les bureaux des deux techniciens ne valaient guère mieux. Entre
les documents, les piles de DVD, les clés USB et autres disques
externes, il n’y avait pas un centimètre carré de libre. En voyant leurs
collègues arriver, Tom ne put retenir son agacement plus longtemps.
- Ah ! Quand même !!! On se souvient enfin qu’on existe.
- Jerry, le directeur désire t’interroger, dit Sarah en guise d’introduction.
- Moi ?
- C’est urgent, merci.
Il s’exécuta malgré une pointe d’appréhension naissante. Lorsqu’il fut
sorti, Tom se lança :
- Qu'est-ce qui se passe, nom d’un chien ? Après avoir eu droit à un
interrogatoire digne de la Gestapo pendant près d’une heure ce matin,
on nous laisse poireauter comme des cons ! Maintenant, tu nous dis
qu’on est convoqué chez le directeur ! C’est quoi le problème ? On est
soupçonné d’avoir délibérément détruit des preuves ou quoi ?
- Pas « on », seulement Jerry, répondit Don.
- Qu’est ce qu’on lui reproche ? Écouter, c’est probablement mon
meilleur ami. S’il était impliqué dans quoi que ce soit, je le saurais…
- 192 -
- Pour être brefs, nous avons découvert un mouchard dans le clavier
qu’il a changé dans le bureau des vigiles il y a quelques semaines, reprit
Don. Il faut que tu nous aides à connaître sa provenance et qu’on sache
s’il y en a d’autres dans la boutique.
- C’est impossible ! continua Tom qui n’admettait pas cette idée
farfelue. Le réseau est entièrement sécurisé. Si on avait été piraté, on
l’aurait obligatoirement constaté.
- Kevin Klein est sur le coup, il est en train d’étudier le mouchard. En
attendant, fouille dans tes listings et dis-nous toute l’histoire de ce
clavier.
Tom s’exécuta, la rage au ventre. S’il y avait trahison de la part de Jerry,
il ne s’en remettrait jamais. Pris par un élan de justice, il assembla les
premières informations assez rapidement. Il lui fallut enfreindre
quelques règles pour accéder aux sites des différents revendeurs. Francis
Fitzgerald avait sous-entendu que cette affaire était une question de
sécurité nationale et qu’il avait carte blanche dans ses investigations. Il
ne s’en fit pas prier.
- Écoutez, lança Tom aux deux agents, ce clavier fait partit d’un lot que
nous avons acheté il y a presque trois mois. Il s’agit de claviers de
grandes marques qui ne peuvent pas avoir été bricolés durant la phase
d’assemblage. Tout est automatisé. Le moindre grain de poussière dans
la chaîne de montage et c’est le drame dans ce genre d’usine. D’après ce
que j’ai réussi à voir, le stockage est rigoureusement contrôlé. Le
transport est la seule faille du maillon à mon avis. J’ai retrouvé le bon de
livraison de notre colis, et vous avez l’itinéraire complet et le nom du
chauffeur sur la feuille que je viens de vous imprimer. Chez nous, le
matériel est immédiatement stocké dans notre local technique. Jerry et
moi sommes les seuls à avoir le code et la clé.
- Est-ce que tu as l’emploi du temps exact du livreur ? demanda Sarah.
Il faut qu’on sache où il a été, à quelle heure, ces temps de repos… etc.
- Le voyage a duré deux jours en camion, avec une halte pendant la nuit
dans un motel. J’ai réussi à accéder à la comptabilité du transporteur, ça
m’a permis de retrouver ses fiches de frais, reprit Tom assez fier de lui.
Voilà comment je vois la chose. Imaginez que vous surveillez les
transports qui partent d’une usine de fabrication d’appareils
informatique. Vous en suivez un qui a une plaque d’un autre État pour
être sûr qu’il ne va pas livrer chez le voisin du coin. Pendant la nuit,
vous crochetez la serrure de la remorque, faites votre petite affaire et le
- 193 -
tour est joué. Avec un peu de chance, ça file directement sur un site
intéressant qui peut rapporter gros : piratage industriel, chantage, secrets
gouvernementaux, tout est possible !
- Autrement dit, tu penses qu’on est tombé sur une bande organisée qui
pratique l’espionnage à grande échelle, lança Don. Il va falloir enquêter
sur ce chauffeur, voir dans quel milieu il a l’habitude d’évoluer. On
pourrait avoir des surprises…
- Un dernier point reprit Tom qui était en train d’éplucher un listing
différent. Trois autres claviers du même lot ont été mis en place, dont
un… il pointa la ligne pour ne pas faire d’erreurs… chez le directeur !
- Et bien bravo, lança Don qui venait de comprendre le pourquoi du
comment ! Nous avons trouvé notre faille ! Voilà comment notre
bonhomme a réussi à s’infiltrer aussi facilement. S’il a récupéré les accès
du chef, autant dire que la boutique lui était grande ouverte.
- J’y cours, cria Tom, comme si sa vie en dépendait.
Sarah et Don se regardèrent d’un air interrogateur sur la précipitation de
leur collègue. En fait, Tom avait une arrière-pensée et ne voulait pas se
faire souffler la place. Il désirait avant tout voir comment s’en sortait
son camarade Jerry, et espérait intervenir en sa faveur auprès du
directeur, le cas échéant.
Lorsqu’il arriva devant le bureau gardé par sa secrétaire zélée, elle lui fit
un signe de tête qui signifiait « Pas maintenant ! ». Elle raccrocha le
combiné de téléphone quelques instants plus tard, après avoir aligné une
série de « Oui monsieur » et « Non monsieur », indiquant que son
interlocuteur était une pointure.
- Que désirez-vous, mon cher Tom ? lui demanda-t-elle.
- Est-ce que le directeur est là ?
- Il est en réunion et ne veut pas être dérangé pour le moment.
- Il est impératif que je le voie tout de suite…
- « Ne pas déranger », ça ne signifie peut-être pas grand-chose dans le
petit monde des informaticiens, mais dans les hautes sphères du
pouvoir, il vaut mieux obéir !
- Mais c’est une question de sécurité, lança Tom dans un élan de
supplication. L’ordinateur du directeur a été piraté et il faut d’urgence
que je le déconnecte du réseau.
- Ce n’est pas une ruse, dites-moi ?
- 194 -
- Absolument pas, et de toute façon, je rentre avec ou sans votre
approbation.
- Et bien, jeune homme, reprit la secrétaire qui appréciait moyennement
qu’on passe par-dessus son autorité, il y a des règles de bonnes
conduites que vous avez dû oublier, à force de traîner avec des
machines…
Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase, Tom avait frappé trois petits
coups sur la porte du bureau du directeur, pour la forme, et l’avait
ouverte sans attendre son invitation à entrer. Il s’engagea dans
l’entrebâillement, puis commença à s’excuser :
- Monsieur, je suis désolé de m’inviter de la sorte, mais il est impératif
que je déconnecte votre ordinateur du réseau.
- Et pourquoi, je vous prie ?
- Votre clavier fait partie du même lot que ceux qui ont été piratés.
- Quoi ??? Mais qu'est-ce que c’est que ce bordel à la fin ?
Le directeur Fitzgerald n’était pas particulièrement grossier en temps
normal, mais une bordée de jurons vola dans tous les sens pendant une
petite minute. Jerry, qui était interrogé depuis quelques instants se sentit
encore plus mal à l’aise par l’ambiance malsaine qui régnait dans la
pièce. Il se retourna finalement vers Tom, un regard interrogateur sur le
visage.
- Il faut que je vous change votre clavier, dit Tom alors que son
supérieur reprenait son souffle entre deux phrases.
- Faites, au lieu de rester là les bras ballants !
Tom s’exécuta. Il fit un test de fonctionnement rapide puis repartit en
s’excusant une nouvelle fois. Au lieu d’être remercié comme il se devait
pour son initiative, il avait eu droit à la colère de son patron,
probablement justifiée, mais pas à son encontre. Une deuxième volée de
bois vert l’attendait à sa sortie du bureau. La secrétaire du directeur,
comme un fidèle chien de garde, n’avait pas apprécié l’irrespect de ce
technicien de bas étage. Il en prit pour son grade, mais tout cela lui
passa au-dessus de la tête. Il savait qu’à un moment donné, on le
remercierait d’avoir agi de la sorte. Il fallait juste que l’orage se dissipe !
- 195 -
CHAPITRE 47
Pendant ce temps, Sarah et Don avaient récupéré les quelques
mouchards trouvés parmi le lot de claviers infectés. En revenant au
laboratoire où Kevin travaillait, ils le retrouvèrent affublé d’une paire de
lunettes grossissante qui lui déforma le visage lorsqu’il se retourna pour
les regarder entrer. Avec ses deux yeux énormes, entourés d’une
minuscule bouche en bas, et une touffe de cheveux en haut, il avait l’air
d’un insecte malfaisant. Sarah faillit éclater de rire en le voyant ainsi,
Don lui ne put s’empêcher de lui balancer une remarque bien sentie.
- Vous avez une bonne tête d’ahuri avec ça sur le nez ! J’espère que ce
n’est pas contagieux ?
- Très drôle, reprit Kevin. J’essaye de lire l’inscription marquée sur le
circuit imprimé du mouchard, mais elle a pratiquement été effacée, d’où
cette paire de lunettes atypique ! On distingue un logo gravé sur le
module, mais, même avec ces loupes, je n’arrive pas à le voir
correctement. Il me faudrait un microscope électronique pour bien
faire, vous n’auriez pas ça par hasard ?
- Euh ! Don chercha dans ses poches, désolé pas sur moi. Mais si vous
me laissez quelques secondes, je vais en sortir un de mon chapeau !
- Il y a tout ce qu’il faut au laboratoire d’analyse, reprit Sarah sur un ton
beaucoup plus professionnel. Je vous y emmène si vous me racontez ce
que vous avez découvert jusqu’à présent.
- Eh là… les deux tourtereaux, lança Don ! Et moi, je fais une sieste en
vous attendant ! Pas de ça avec moi, je vous accompagne aussi.
Les trois compères sortirent du bureau et se dirigèrent d’un pas rapide à
l’autre bout du bâtiment.
- Voilà ce que j’ai trouvé, continua Kevin. Le mouchard collecte les
touches frappées sur le clavier. Une fois par jour et de manière aléatoire,
le programme interne génère un fichier crypté qui rassemble ses
informations et utilise la messagerie de l’ordinateur pour l’envoyer vers
une adresse anonyme.
- Et concrètement, à quoi ça sert ? demanda Don.
- Avec le logiciel de décryptage adéquat et une analyse du listing, on
récupère les suites de caractères récurrents. La plupart des gens ont
l’habitude de déconnecter leur session dès qu’ils s’absentent pour des
raisons de sécurité. Lors de la reconnexion, ils sont forcés de retaper
leur mot de passe. On retrouve donc ces données de manière régulière
- 196 -
dans le fichier en question. Une fois ces différentes informations
identifiées, la prise de contrôle d’un poste est un jeu d’enfant. Vous
pouvez ensuite implanter un mouchard encore plus virulent, au nez et à
la barbe de tout le monde.
- Mais nos antivirus et nos pare-feux ne devraient-ils pas bloquer ce
genre d’intrusion ? demanda Sarah.
- Justement non, parce qu’avec ce type de procédé, l’attaque ne vient
plus de l’extérieur. Tout se passe comme si l’utilisateur réalisait luimême ses actions. Dans ce cas-ci, le pirate a surtout eu la chance inouïe
d’atterrir sur le poste d’un haut responsable, qui a un accès illimité au
réseau complet du FBI.
- C’est sûrement grâce à ça que notre homme de ménage factice a réussi
à s’introduire aussi facilement, sans éveiller aucun soupçon, reprit Sarah.
Concrètement, comment pouvons-nous stopper cela ?
- Il faut tout d’abord changer les mots de passe de toutes vos sessions,
puis exécuter une analyse détaillée du réseau. Ensuite, il serait judicieux
d’effectuer un diagnostic complet du trafic entrant et sortant pour
s’assurer qu’aucun programme pirate ne traîne quelque part.
- Charmante perspective, lança Don ! On a eu un blackout total il y a
quelques mois, lors d’un contrôle-surprise des
services de
renseignements. On a mis une semaine à s’en remettre ! Si on doit
revivre la même chose, ça va être la fête !!!
À leur arrivée au laboratoire scientifique, plusieurs personnes
travaillaient sur divers échantillons provenant de scènes de crime, ceci
dans un silence religieux. L’entrée des trois protagonistes fit l’effet d’un
ouragan traversant la pièce. Don en profita pour leur souhaiter un
bonjour tonitruant :
- Salut les morts !!!
Quelques-uns levèrent la tête, histoire de jeter un œil à cet énergumène
qui venait les déranger en plein travail. D’autres, un peu plus habitués à
l’extravagance de leur collègue, n’y prêtèrent même pas attention. Kevin
s’installa derrière un bureau inoccupé, posa la carte électronique sous
l’œilleton d’un microscope, régla le focus et scruta attentivement à
travers les lentilles.
- C’est du beau boulot, lança-t-il. Le logo est celui d’une grande firme de
fabrication de composants. Il a été à moitié effacé, mais reste facilement
reconnaissable. Par contre, l’identification de la puce a été parfaitement
- 197 -
limée. Autant vous dire qu’un suivi de la conception jusqu’à la vente est
impossible sans cette information.
- Merde, jura Don. Encore un coup dans l’eau.
- Je pense qu’il serait judicieux de faire un point avec le directeur, lança
Sarah. Ça commence à partir dans tous les sens, et il est impératif de
recentrer nos recherches sur les points essentiels de cette affaire.
Don et Kevin acquiescèrent en silence, et tous repartirent en file
indienne vers le bureau de Francis Fitzgerald, laissant les laborantins
retrouver une certaine sérénité dans leur travail.
Ils rencontrèrent Tom en pleine discussion avec la secrétaire du
directeur. Pour être exact, il s’agissait plus d’un monologue qu’autre
chose. Le pauvre Tom en prenait pour son grade, mais cela ne semblait
pas l’affecter outre mesure.
- Alors, on se fait remonter les bretelles par une faible femme, lança
Don à l’attention du technicien.
- Vous, ça va ! répliqua la secrétaire entre deux phrases. Vous ne valez
pas mieux que lui.
- Désolé ma belle, mais on doit voir le chef et Tom vient avec nous. Il
est toujours avec Jerry ?
- Oui, mais… eh ! Vous ne pouvez pas entrer comme ça, répondit-elle
de plus en plus énervée.
Don avait déjà frappé à la porte, pour la forme, et l’avait ouverte avant
d’en attendre l’ordre.
- Chef, on peut vous voir ? demanda-t-il.
- Vous savez ce qu’on dit, fit le directeur légèrement irrité, plus on est
de fous…
Ils entrèrent dans le bureau, et Don s’assura de refermer la porte au nez
de la secrétaire qui voulait s’excuser auprès de son patron d’un tel
comportement. « C’est un comble tout de même », songea-t-elle avant
de retourner à son poste en pestant intérieurement après ces malotrus.
À cet instant, Herbert Hoover arriva et lui fit signe qu’il était attendu.
Elle n’eut même pas le courage, ni l’envie de dire quoi que ce soit. Un
simple geste de dépit lui montra qu’il pouvait y aller.
- 198 -
CHAPITRE 48
- Laissez-moi résumer la situation, annonça Herbert Hoover à
l’attention de son assemblée, composée de Francis Fitzgerald, Sarah
Spader, Donald Dalton, Kevin Klein, Tom Tates et Jerry Jones. La
NASA détecte il y a quelques jours un virus informatique sur leurs
serveurs. Une première vérification montre que le problème n’est pas
seulement local, mais inclut tout le réseau national. Après un travail
d’investigation conséquent, nous établissons une liste de plusieurs noms
de pirates potentiels, dont notre ami ici, ajouta-t-il en désignant Kevin.
- Ça fait toujours plaisir à entendre, marmonna ce dernier.
- Si, si ! reprit Hoover. Vous ne pouvez pas nier que vous avez les
compétences pour faire ce genre de chose. Mais continuons… Nous
organisons une arrestation conjointe des quatre principaux suspects,
non sans mal il faut le reconnaitre, qui se solde finalement par un joli
fiasco. On a un pirate de bas étage arrêté qui n’a rien à voir avec
l’affaire, un autre qui a littéralement disparu de la surface de la planète et
est probablement mort à l’heure qui l’est, un troisième qui s’est enfui
s’en laisser de trace, et un dernier qui s’est tué lors de son interpellation.
Au final, seul ce dernier semble faire partie du complot, mais comme les
morts ne témoignent jamais... vous comprenez où je veux en venir.
Enfin, nous récupérons son matériel, et comme par hasard, il est détruit
cette nuit par un faux homme d’entretien, qui a réussi à s’infiltrer on ne
sait comment.
- En fait, on pense avoir trouvé une piste sérieuse, reprit Sarah. Nous
venons de nous rendre compte qu’un lot de claviers d’ordinateurs a été
trafiqué et a servi de mouchard. Nous en avons déjà identifié quelquesuns ici, au sein même du FBI, mais nous continuons nos recherches
pour connaître leur origine et retrouver la trace du lot complet.
- Ce qui explique la façon dont le pirate s’est infiltré dans notre réseau
aussi facilement, ajouta le directeur Fitzgerald.
- Pour revenir à notre affaire, reprit Hoover, nous ne sommes
finalement pas plus avancés qu’au début de cette enquête ! On ne sait
toujours pas comment le virus fonctionne, s’il est encore présent sur
nos infrastructures, même sous une forme dormante. Alors, je vous le
demande à vous les experts : comment pouvons-nous mettre un terme à
tout ça ?
- 199 -
Chacun d’entre eux regardait ses chaussures, tête baissée, presque
honteux de ne pas pouvoir répondre à cette simple question. Après cinq
ou six secondes de silence, les têtes commencèrent à se relever, chacun
scrutant son voisin pour voir s’il n’avait pas une idée géniale à proposer.
- Si je suis considéré comme un suspect, finit par trancher Kevin, autant
que je retourne à mon boulot. Ici, je ne vous suis d'aucune utilité !
- Ne le prenez pas mal, continua Hoover, mais vous êtes le seul à avoir
eu une longueur d’avance sur tout le monde dans cette affaire. Chaque
fois que l’enquête a connu une avancée significative, vous en étiez le
principal auteur d’après les rapports que j’ai pu lire.
- Ce qui fait de moi le suspect idéal… Bravo pour ce raisonnement
limpide.
- Je suppose qu’on peut effectivement vous libérer de vos devoirs de
bon citoyen, lança Hoover, à moins que quelqu’un n’ait encore besoin
de vos services ici ?
Comme personne ne répondit à cette question, Kevin décida qu’il était
temps de rentrer à la NASA ou un travail aussi important l’attendait.
- Vous savez, dit-il à l’intention d’Hoover tout en quittant la pièce,
l’informatique n’est pas un ennemi. Il faut sortir de votre caverne mon
Capitaine et œuvrer avec les moyens actuels pour contrer ce genre
d'attaque.
Don et Tom faillirent éclater de rire en entendant Kevin faire référence
au fameux Capitaine Caverne, ce vieux dessin animé montrant un héros
hirsute, affublé d’un gourdin en guise d’arme. Tom s’imagina Hoover
durant la période hippie, cheveux et barbe longue, en tenue colorée à
fleurs. Il eut énormément de difficulté à contenir un rire nerveux qui se
transforma en un mélange de toux, d’éternuement et de râle pour
masquer son hilarité. Le chef Fitzgerald le regarda d’un air interrogateur,
ne comprenant pas ce qui pouvait être drôle dans cette histoire. Kevin
sortit, mais au moment où il allait refermer la porte, il entendit Hoover
lui dire :
- Resté disponible monsieur Klein, on ne sait jamais.
Le groupe se sépara, à l’exception de Sarah et Don qu’Hoover voulait
entretenir en privé. Il avait plusieurs informations toutes fraîches à leur
transmettre. Francis Fitzgerald étant déjà au courant préféra se
concentrer sur les fameux claviers piratés. Tom et Jerry retournèrent à
leur laboratoire, sans savoir ce qu’on attendait d’eux au final.
- 200 -
- Maintenant que nous sommes seuls, continua Hoover, il est important
que je vous dise pourquoi j’ai congédié monsieur Klein de la sorte. Ne
croyez pas que je n’ai aucune reconnaissance envers l’aide qu’il nous a
apportée, mais de nouvelles informations me sont parvenues. Il nous
sera beaucoup plus utile à son poste habituel qu’ici. Je veux que vous
gardiez le contact avec lui durant quelques jours. Je ne parle pas de
surveillance vingt-quatre heures sur vingt-quatre, mais d’un suivi
relationnel si l’on peut appeler ça ainsi. Essayez d’être compatissant,
invitez-le à boire un verre le soir par exemple. En somme, faites ce qu’il
faut pour tout savoir sur son travail, ses collègues… etc.
- Vous voulez qu’on l’espionne ? demanda Sarah, assez mal à l’aise avec
cette idée.
- En quelque sorte oui. S’il n’est pas idiot, je pense qu’il va trouver la
solution à cette histoire sans qu’on l’oblige à la chercher.
Sarah et Don quittèrent la salle de réunion avec le sentiment qu’on
cachait des choses. Ni l’un ni l’autre ne comprenait le but de la
manœuvre, mais comme ils étaient tous les deux de bons soldats, ils
obéiraient.
Hoover retrouva Fitzgerald dans son bureau pour mettre au point
quelques détails.
- Vous avez un contact à la NASA ? demanda-t-il.
- Effectivement, le directeur Johnson est un vieil ami.
- Pourriez-vous le tenir informé de nos investigations, en restant le plus
évasif possible. Il n’y a pas besoin d’alerter toute la cavalerie.
Cependant, il faudrait qu’il active une surveillance discrète de ces
bonshommes.
- Je m’en occupe.
Fitzgerald appela son copain d’enfance. Après les banalités d’usages, il
rentra dans le vif du sujet.
- Quoi !!! Mais comment veux-tu que je fasse un truc pareil ? répliqua le
directeur de la NASA. Tu te rends compte que tu me demandes
d’espionner mon responsable de l’infrastructure informatique ! Il va
remarquer qu’une surveillance a été activée avant même qu’elle soit
opérationnelle.
- Essaye simplement d’être le plus discret possible. S’il constate quelque
chose, au moins on pourra voir sa réaction.
- 201 -
- Je ne te garantis rien, car nous ne sommes pas équipés pour ce genre
de chose ici ! Si je demande à la société de vidéo surveillance de me
mettre en place de nouvelles caméras, elles apparaîtront forcément sur
les moniteurs et sur les rapports quotidiens. Il ne faudra pas longtemps
pour qu’un gardien un peu zélé nous questionne à ce sujet, et Klein en
aura indubitablement des échos.
- Si tu veux, je t’envoie un de nos spécialistes. Il t’installe ça au petit
oignon. Ensuite, tu le mets en relation avec ton chef de la sécurité pour
un raccordement aux installations existantes. Ni vu ni connu. Rassuremoi d’une chose, tu as toute confiance en ton service sécurité ?
- Le chef est un ancien major des Marins, il traîne ses godasses ici
depuis près de douze ans, et je ne connais personne de plus
professionnel que lui.
Après une mise au point des derniers détails, la surveillance du bureau
de Klein allait être opérationnelle dans la nuit. Un agent du FBI devait
fournir des microcaméras dernier cri. Fitzgerald superviserait lui-même
l’installation du système. En toute fin de soirée, son ordinateur sera le
seul paramétré pour accéder aux vidéos. Malgré tout, il savait que cela
serait un jeu d’enfant pour Kevin de détecter le trafic d’informations
généré à travers le réseau, et de remonter jusqu’à la source.
Cette fin de journée n’avait pas été dénuée d’intérêt pour Sarah et Don.
Ayant suivi la piste des claviers piratés, leurs efforts avaient été
récompensés lorsqu’ils retrouvèrent la trace du chauffeur de poids
lourds ayant convoyé le lot en question. Ce père de famille, bien sous
tout rapport, permit d’avancer dans leur enquête à vitesse grand « V ».
L’homme se souvenait parfaitement que la porte de sa remorque avait
été forcée quand il dînait. Après un examen complet de sa cargaison, il
n’avait constaté aucun vol. Étant un habitué du snack dans lequel il
s’était arrêté, son premier reflexe avait été de regarder les vidéos de
surveillance avec le patron du restaurant. La qualité des images n’était
pas excellente, mais il distinguait correctement la silhouette des deux
voleurs qui avaient fait le coup. Tout de noir vêtu, une capuche leur
masquant le visage rendant une identification impossible, il avait tout de
même réussi à lire la plaque minéralogique d’un véhicule pickup sur la
vidéo tirée de la caméra à l’entrée du parking. C’était la seule voiture
suspecte parmi tout un tas de camions. Le chauffeur, sympathique, mais
- 202 -
revanchard, avait gardé en mémoire ses informations au cas où il
rencontrerait à nouveau ces fauteurs de troubles, histoire de leur
apprendre les bonnes manières.
Pour un agent du FBI, les recoupements d’informations ne traînèrent
pas. Le pickup appartenait à une association qui ne leur était pas
inconnue : la fondation « Avenir Propre » d’Henri Durand. Un seul
problème de taille venait contrecarrer leur plan : une centaine de
personnes avaient accès à ces véhicules. L’étau se resserrait
indubitablement autour de cette fondation de moins en moins
« propre ».
Don quitta le bureau en début de soirée, histoire d’arpenter le bar
habituellement fréquenté par Klein. Sarah continua ses recherches
encore quelques minutes. Elle avait le sentiment de passer tout prêt
d’une chose importante, sans arriver à mettre le doigt dessus. Quelque
chose lui échappait et elle détestait cette idée. Elle avait beau essayer
toutes les techniques de concentration qu’elle connaissait, rien n’y
faisait. Elle finit par se résigner et rentra chez elle. En quittant le
bâtiment, elle croisa un autre agent, pendu à son téléphone portable.
Elle lui fit un signe de tête pour lui souhaiter le bonsoir, qu’il lui rendit
d’un geste de la main. À cet instant, le déclic tant attendu survint. La
vue de ce téléphone dernier cri la frappa comme un éclair. Elle entendit
en pensée Kevin Klein lui avouer qu’il avait conservé le mini-ordinateur
de Durand. Personne n’y avait plus pensé lorsqu’il avait quitté le bureau,
malgré l’importance de l’objet. Elle composa le numéro de son collègue
en quatrième vitesse.
- Don, où es-tu ?
- Chez les alcooliques anonymes, répondit-il, la voix à peine audible à
cause du vacarme ambiant dans le bar.
- Est-ce que Kevin est dans les parages ?
- Pas ce soir, me semble-t-il. En tout cas, je ne l’ai pas encore croisé.
- Il faut absolument qu’on le retrouve…
- Ça peut attendre demain, non ! Je suis en pleine conversation avec ma
charmante voisine de comptoir, reprit-il en regardant la femme assise à
côté de lui.
- Arrête de jouer les Casanova, papy ! Notre cher monsieur Klein a
conservé le téléphone portable de Durand.
- 203 -
- Quoi !!! hurla Don qui faillit s’étouffer en entendant ça.
- Je t’expliquerais plus tard, mais il est primordial qu’on le retrouve.
C’est peut-être notre dernier espoir de trouver enfin les réponses à toute
cette affaire.
- Rejoins-moi ici, continua Don. Comme ça, s’il pointe le bout de son
nez, je vais pouvoir le retenir. Sinon, nous sommes tout près de chez lui
et on pourra toujours y faire un saut.
CHAPITRE 49
Kevin Klein n’avait pas vu l’après-midi passé. Son retour à la NASA
avait été mouvementé. Son fidèle assistant Tony avait voulu lui
condenser tout ce qui était arrivé durant son absence en quelques
minutes seulement. Son débit de paroles était bien trop rapide pour que
Kevin comprenne le monologue en détails. Lorsqu’il fit une pause d’une
demi-seconde pour reprendre son souffle, Kevin en profita pour le
stopper dans son élan.
- On va d’abord gérer les urgences, déclara-t-il. Où en est la préparation
du lancement ?
- C’est contrôlé, répondit Tony, presque déçu de ne pas pouvoir
continuer son histoire. En tout cas, on est dans les temps. Pour
l’instant, tout va bien. Aucune réapparition du virus constaté, les
simulations ont toutes fonctionné correctement. Et vous, qu’est ce que
vous avez fait pendant ces quelques jours ?
- Plus tard Tony ! Il faut que j’aille voir le directeur.
- Allez, chef ! Racontez-moi…
Kevin ne répondit pas. L’acharnement de son collègue l’exaspérait
quelque peu. Il savait qu’il devait reprendre les choses en main, mais la
motivation l’avait abandonnée. En réalité, il pensait à ces dernières
heures passées au FBI, et à Sarah plus particulièrement. Il se demandait
ce qu’elle faisait, où elle pouvait être, si elle songeait à lui. Sans s’en
rendre compte, il commençait à ressentir des émotions envers cette
femme. Des sentiments qu’il avait failli oublier depuis un bon nombre
d’années. Le travail était devenu sa vie dès lors qu’il fut engagé à la
NASA. Il s’y était plongé corps et âme. Malgré quelques tentatives
avortées, il avait fini par faire un trait sur l’amour.
- 204 -
En se dirigeant vers le bureau de Jack Johnson, son esprit vagabondait
vers la Suisse. Il revoyait les images de son escapade, le sourire aux
lèvres. Finalement, ce changement d’air lui avait fait le plus grand bien.
Le souvenir de Sarah, endormie dans le jet qui les avait ramenés aux
États-Unis, se superposa à la réalité. Elle était si belle, si paisible, qu’il
faillit en perdre l’équilibre en fauchant une branche d’un arbuste
d’intérieur. En arrivant devant le bureau du directeur, la secrétaire le
salua puis l’annonça à son supérieur.
Jack Johnson ne savait pas trop comment se comporter vis-à-vis de son
subalterne. En tant que directeur du centre depuis quelques années, il
avait pourtant l’habitude de gérer les conflits de toutes sortes. Mais cette
fois-ci, on lui avait ouvertement demandé de surveiller son spécialiste en
informatique, quelqu’un qu’il avait fini par considérer comme un ami. Il
était tiraillé par deux options : devait-il lui parler de cette surveillance ?
Devait-il au contraire se taire ? Dans la confusion du moment, il préféra
garder le profil bas comme lui avait conseillé Francis Fitzgerald et faire
comme si de rien n’était. Kevin voulut savoir comment Tony s’en était
sorti durant son absence et où en était l’avancement du prochain
lancement. Jack lui répondit sans entrer dans les détails. En réalité, il
désirait seulement que Kevin reprenne les choses en main. Son
professionnalisme et son expérience le rassuraient en ces temps de
doute. Coupable ou innocent, il en aurait la preuve une bonne fois pour
toutes avec cette surveillance.
L’après-midi s’était achevé tranquillement. Kevin avait repris son
rythme habituel et retrouvé ses marques sans difficulté. Tony avait fait
de l’excellent travail durant son absence, même pour quelqu’un d’aussi
pointilleux que lui. Il n’avait rien trouvé à redire. Il aurait mérité des
félicitations, mais Kevin n’était pas de ce genre là. Il ponctua
simplement au détour de la conversation quelques « Bien », « Parfait » et
autres mots de la même veine. La journée s’achevant, Kevin resta tard
pour préparer le planning du lendemain. Du moins, c’est le discours
officiel qu’il tint à Tony. En réalité, il désirait plus que tout utiliser le
matériel à sa disposition pour tenter d’accéder aux informations
contenues dans le téléphone portable d’Henri Durand. Ce fameux
ordinateur de poche, car c’en était réellement un, que le FBI avait oublié
- 205 -
d’archiver, était peut-être sur le point de révéler le secret du virus du
siècle !
De leur côté, Sarah et Don avaient mis en place une surveillance des
endroits stratégiques. Des agents avaient été postés à proximité des
domiciles des différents protagonistes susceptibles d’être impliqués dans
cette affaire de piratage de claviers d’ordinateurs. En début de soirée,
l’enquête n’avait pas évolué. Les résultats se faisaient attendre, mettant
un coup au moral des troupes. Ce n’est qu’au moment où Sarah eut la
vision du téléphone manquant que tout s’accéléra. Après l’appel passé à
son collègue, ils se retrouvèrent finalement devant l’immeuble de Kevin.
Don arriva le premier, et en profita pour obtenir le rapport des agents
en planque. Tony était rentré chez lui comme à son habitude. Kevin
était encore à la NASA, du moins personne ne l’avait vu quitter le
centre spatial. Il appela le directeur Johnson pour une confirmation
visuelle, ce que ce dernier fit à contrecœur. Il se dirigea vers la guérite
des vigiles, trouva l’homme de garde en pleine conversation avec ses
collègues effectuant leur patrouille de service. Il pianota une série de
commandes, entra un mot de passe et obtint les images des caméras du
bureau de Kevin. Il était effectivement à son poste habituel, accoudé sur
le plan de travail qui lui servait de laboratoire. Jack ne pouvait pas voir
ce qu’il faisait précisément, car la prise de vue n’était pas optimale. Il
avait cependant l’air très occupé. Il se déconnecta du système, quitta la
pièce pour pouvoir téléphoner à l’abri des oreilles indiscrètes, et
confirma à Don ce qu’il venait de constater.
Sarah rejoignit Don dans son véhicule, garé non loin de la porte
d’entrée du domicile de Kevin. Soudain, son téléphone sonna. L’agent
en planque devant chez Tony l’appelait.
- Notre bonhomme vient de se faire livrer une pizza.
- OK, répondit Sarah perplexe.
- Mais ça n’a pas l’air de bien se passer, je vais m’approcher
discrètement, je vous garde en ligne.
Sarah entendit la portière de la voiture se refermer doucement, puis le
bruit de quelques pas, et enfin ce qui semblait être un briquet allumant
une cigarette. Une conversation animée devenait de plus en plus claire
au fur et à mesure que l’homme arrivait sur le lieu de trouble.
- 206 -
Don lui lança un léger coup de coude dans les côtes pour lui demander
ce qui se passait, ce qu’elle détestait au plus haut point. Elle mit son
téléphone en fonction « mains libres » pour qu’il puisse participer à
l’écoute. Des voix se firent enfin entendre au loin.
- Je sais que c’est toi le salopiot qui ne paye pas ses pizzas.
- Mais je vous dis que non, balbutia Tony.
- Tu me prends pour le crétin des Alpes ma parole. Tu crois que je
n’allais pas me rendre compte de ton petit manège avec Carla. Monsieur
commande une pizza tard le soir et seulement le jour où ma seule
livreuse féminine est de service. Résultat, elle met trois fois plus de
temps que la normale pour faire sa livraison, et revient tout le temps
avec une excuse bidon comme quoi elle est arrivée hors délai, où que la
pizza était froide et j’en passe…
Tony ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit. Le patron de la
pizzéria était venu en personne le voir, histoire de lui montrer à qui il
avait à faire.
- Carla, c’est qui pour toi ? Une petite amie, un bon coup de temps en
temps ?
- C’est une excellente amie, répondit Tony croyant réparer un peu sa
faute.
- Amie ou pas, tu ne t’approches plus de ma nièce ou je te fais passer
l’envie de vivre ! Capito ? Et désormais, si tu désires commander une
pizza, c’est moi qui viendrai te livrer et sache que je ne fais pas crédit
encore moins à ceux qui en ont les moyens !
- Comment ça ? Vous avez enquêté sur moi, ma parole ?
- Mon beau-frère travaille dans la police et tu ne t’imagines pas ce qu’on
peut apprendre sur un citoyen lambda grâce à leurs fichiers, lâcha le
commerçant.
Tony ne savait plus trop comment réagir. Le pizzaiolo d’origine
italienne arborait une carrure de catcheur, bien qu’un peu ventripotent.
Tout de même, la taille de ses biceps et la surface de ses mains avaient
de quoi faire frémir n’importe qui. Une simple gifle pouvait vous mettre
K.O.
- Bon, alors tu la veux toujours cette pizza ?
- Combien est-ce que je vous dois ? demanda Tony, un peu à
contrecœur.
- 207 -
La conversation redevint trop lointaine pour que Sarah et Don puissent
comprendre la suite. L’agent en filature avait fini par s’éloigner des deux
individus.
- Vous avez entendu ça ? demanda-t-il à Sarah.
- Parfaitement.
- Eh, le gaillard avait trouvé une superbe combine pour manger à l’œil,
répondit Don. Il commande une pizza, s’envoie en l’air avec la livreuse
et ne paye pas grâce à un prétexte bidon. C’est un sacré numéro celuilà !
- Tu parles d’un chaud lapin, le gamin ! continua l’agent. Bon, je
retourne à mon poste. S’il y a du nouveau, je vous recontacte.
CHAPITRE 50
En fin d’après-midi, Tony profita du retour de Kevin dans les locaux de
la NASA pour quitter le bureau plus tôt. Il avait besoin de se détendre
après ces quelques jours passés aux commandes du service. Il
commençait à ressentir la pression exercée par la direction et ses
collègues. Tout le monde voulait savoir où ils en étaient dans
l'avancement de leur programme, en lui rappelant en permanence
l’importance de la mission que rien ne devait venir troubler… Il n’était
pas né de la dernière pluie et était au fait de toutes ces choses. Il
n’arrivait pas à comprendre pourquoi les gens s’acharnaient à lui
rebattre les oreilles jour après jour sur ce point. Le sentiment de passer
pour le fiston du chef ayant endossé un costume trop grand pour lui
finissait par l’exaspérer. Il fallait qu’il décompresse et son bar favori était
là pour ça. Il enfourcha son vélo, mit son lecteur MP3 en marche et se
lança sur les routes côtières. La musique entraînante l’aidait à pédaler, et
lui permettait de s’évader mentalement. Il arriva un quart d’heure plus
tard près du bâtiment en bois sur le bord d’une des plages de la ville. Il
attacha son VTT sur le parking réservé et s’approcha du bar. Le serveur
le salua et lui fit un clin d’œil en direction d’une femme assise à une
table à l’écart. De l’endroit où il se tenait, il ne pouvait contempler
qu’une robe blanche et un chapeau ample cachant des cheveux blonds.
Il récupéra son jus de fruit favori et questionna le serveur sur son
identité.
- C’est la même femme que l’autre jour, lui répondit-il.
- 208 -
Tony se demanda si c’était une coïncidence, ou un coup monté. Quoi
qu'il en soit, ses bonnes manières lui ordonnèrent de la saluer, même si
son dernier entretien avec elle lui avait laissé un arrière-goût déplaisant.
Il s’approcha à pas feutrés, se pencha pour contempler le visage de la
présentatrice de télévision.
- Heureux de vous revoir ici, finit-il par dire.
- Ne vous inquiétez pas, ça ne deviendra pas une habitude. Ça n’est pas
vraiment le genre d’endroit que j’affectionne, lui répondit-elle. Pour être
franche, je voulais vous voir, avoua-t-elle.
Tony s’invita à sa table et prit une chaise en face d’elle. Le soleil
couchant jetait ses derniers rayons lumineux, éclairant le visage hâlé à
l’excès de sa partenaire. Malgré une paire de lunettes grand format,
Tony arrivait à distinguer ses yeux. Il constata qu’elle le dévisageait sans
aucune gêne, ce qui le mit en confiance. Le décolleté profond de sa robe
légère n’avait pourtant rien de relaxant. Il décocha de multiples regards
le plus discrètement possible. Ses formes avantageusement refaites par
plusieurs opérations de chirurgie esthétique finirent par lui donner des
palpitations. Il sentit quelques gouttes de sueur glisser le long de ses
tempes et bredouilla une banalité sur la chaleur associée au sport qu’il
venait de faire, histoire de noyer le poisson.
- Je vois que vous êtes un adepte des déplacements à la force du mollet,
lui dit-elle en désignant son vélo attaché sur le côté du bâtiment.
- Il n’y a rien de tel pour conserver la forme.
- Trop fatiguant pour moi, répondit-elle. Je préfère ces gadgets
électroniques qui musclent sans effort. C’est idéal pour garder le ventre
plat, finit-elle par ajouter en plaquant sa robe contre ses abdominaux, ce
qui fit ressortir sa poitrine généreuse.
- Que puis-je faire pour vous ? demanda finalement Tony.
- Je ne devrais pas vous en parler, mais je suis en train de préparer un
reportage sur la NASA et vous feriez le parfait candidat pour ce que
nous voulons montrer au public.
- Vous me flattez, mais les vrais héros sont les astronautes.
- Justement, toutes les presses n’ont d’yeux que pour eux. L’objectif de
ce reportage est d’éclairer l’envers du décor, faire comprendre aux
téléspectateurs que ces missions prestigieuses seraient impossibles sans
les hommes et femmes qui travaillent d’arrache-pied au centre spatial.
- 209 -
La pommade venait de faire son effet sur Tony, exactement comme Liz
l’avait prévu. Elle commençait par aguicher le candidat, puis le flattait,
avant d’envoyer le coup de grâce.
- Et que voulez-vous montrer précisément ? demanda Tony de plus en
plus excité de jouer les playboys pour la télévision.
- C’est justement pour ça que j’ai besoin de vous. Je dois cibler ce qui
sera le plus intéressant pour le public, parce que si je ne parle que de
livraison de pièces ou fournitures de bureau, mon producteur va me
virer illico presto. En fait, j’aimerais savoir comment vous travaillez au
service informatique, comment vous protégez vos installations. Je veux
exposer aux gens les moyens mis en œuvre pour assurer la protection
des secrets industriels du pays… ce genre de chose.
- Je peux vous être utile pour vous montrer quelques tuyaux, mais vous
comprendrez que certains domaines de recherches sont ultrasecrets et
ne pourront pas être filmés, ni divulgués à l’antenne.
- Évidemment, reprit Liz sur un ton de complaisance. Je ne voudrais
pas mettre la NASA en difficulté vis-à-vis de la concurrence.
Quelques secondes passèrent avant que Liz reprenne la parole. Elle
désirait faire paraître son malaise à Tony pour aborder le sujet principal,
sans trop le bousculer. Elle regarda autour d’elle, les plagistes fermaient
leurs boutiques, les touristes quittaient le sable chaud pour d’autres
activités, le soleil venait lécher le bord de l’océan et illuminait sa surface
de mille feux.
- À propos de sécurité, comment avez-vous géré cette affaire de virus
qui a éclaté au grand jour ? demanda Liz.
Tony réfléchit à son tour avant de répondre, ne voulant pas paraître
trop prétentieux, même s’il en avait très envie.
- Savez-vous que nous sommes les premiers à avoir détecté ce virus ?
- J’ai entendu dire que le FBI avait reçu des menaces terroristes
annonçant une attaque massive des infrastructures du pays si une
rançon n’était pas versée.
Tony essaya de ne pas réagir. Elle n’était pas censée savoir ce genre de
chose. D’un autre côté, elle était journaliste, et sûrement très talentueuse
si elle avait eu des échos de cette menace.
- Comment avez-vous découvert le virus ? continua-t-elle.
- C’est compliqué… mais pour faire simple, les systèmes de protection
que nous avons mis en place à la NASA nous ont permis de détecter et
- 210 -
d’éradiquer le virus avant même que les lettres ne soient envoyées aux
différents services concernés.
- Des lettres avez-vous dit ?
Tony avait parlé trop vite et avait fait sa première gaffe. Cet élément
impliquait qu’il en savait plus qu’il ne voulait le montrer, et elle n’allait
pas s’arrêter en si bon chemin.
- Oui… enfin… je voulais dire la lettre, reprit Tony en bafouillant.
- Ne me prenez pas pour une idiote, vous avez dit « les lettres ». Qu'estce que vous me cachez, mon cher Anthony ?
Son arrogance venait de le piéger et il devait lâcher le morceau pour
tenter de réduire les dégâts.
- La presse n’a eu vent que de la lettre envoyée au FBI, mais en réalité il
y en a eu plusieurs identiques envoyées aux différentes institutions de ce
pays.
- Ce qui signifie que c’est une véritable attaque terroriste, reprit Liz tout
excitée par le scoop qui commençait à se profiler à l’horizon. Je m’en
doutais, mais personne n’a voulu m’écouter. J’avais dit à mon rédacteur
en chef que cette histoire était beaucoup plus importante que ce qu’on
voulait nous faire croire. Est-ce que vous les avez lues ? Que disaientelles ?
- La NASA en a reçu une et j’ai effectivement pu y jeter un œil.
C’était du charabia de terroriste sans aucun intérêt. En fait, ça ne nous a
rien appris de vraiment utile, mentit-il.
- Quelles étaient leurs revendications ?
- Vous savez, c’est toujours le même couplet, reprit Tony, entre la
religion, le fanatisme, le pouvoir, l’argent…
- Lors de la conférence de presse, le porte-parole du FBI a fait allusion à
un groupe religieux qui veut à tout prix éradiquer la technologie
moderne.
- Je ne suis pas dans le secret des Dieux.
- Est-ce qu’il y avait une signature sur la lettre, un nom, un sigle,
quoique ce soit qui pourrait identifier son auteur ?
- Absolument rien, le FBI a joué franc-jeu sur ce coup-là.
Liz voulut enchaîner sur une autre question, mais Tony la coupa.
- Je suis désolé, mais je ne peux vraiment rien vous dire de plus sur cette
affaire, ou je risque d’avoir des problèmes avec les autorités fédérales.
Liz le laissa mariner quelques secondes avant d’entamer l’attaque finale.
- 211 -
- Je pense au contraire que vous allez me dire tout ce que je veux savoir.
N’est-il pas vrai que vous avez les connaissances nécessaires pour
réaliser ce genre de virus ?
Tony ne répondit pas. À choisir entre l’indignation, la colère ou encore
le mépris, il préféra le silence. Cela valait sûrement mieux ainsi.
- Très bien, je vois que j’ai fait mouche ! Maintenant, si je vous dis que
vos relations privilégiées avec le président de la fondation « Avenir
Propre » jouent fortement en votre défaveur… Qu’est-ce que vous
répondez à cela ?
Tony sentit un courant glacial le traverser de part en part. Comment
cette journaliste pouvait en savoir autant sur lui, alors que le FBI n’avait
rien découvert ! Il commençait à la trouver de moins en moins attirante
finalement. L’air supérieur qu’elle lui lançait en plein visage avait fini par
renverser la tendance « j’aime – je déteste » pour la dernière option. La
versatilité des humeurs humaines dans toute sa splendeur. Quelques
minutes plus tôt, Tony reluquait son décolleté avec envie. À cet instant
précis, il avait plutôt l’intention de lui coller une paire de gifles, même si
cela n’était pas dans ses gènes. Il considérait les belles femmes comme
des déesses intouchables, mais lorsque l’une d’entre elles lui faisait un
coup pareil, sa rancune était tenace. Il se leva et lui annonça :
- Je pense que nous n’avons plus rien à nous dire. Bonjour chez vous !
Liz resta encore quelques minutes à sa table. Quand Tony fut hors de
vue, elle sortit le petit magnétophone de son sac et vérifia que
l’enregistrement était de bonne qualité. Une fois satisfaite du résultat,
elle régla sa consommation au barman qui lui affichait un sourire niais.
Elle quitta finalement le bar, pas mécontente de sa prestation. Tony
avait enfourché son vélo et s’était jeté comme un mort de faim sur le
chemin bitumé qui le ramenait chez lui. Après avoir fait une centaine de
mètres à vive allure, slalomant entre les piétons et les rollers, il réfléchit
à ce qui venait de se passer et s’arrêta tout net. Il s’était fait piéger
comme un débutant, et était devenu le suspect numéro un pour cette
journaliste. Son attitude n’avait sûrement rien arrangé. Il décida de faire
demi-tour pour l’empêcher de le lyncher sur la place publique des
médias. Alors qu’il se rapprochait du bar, il aperçut Liz, un
magnétophone collé à l’oreille. Il comprit aussitôt que toute tentative
aurait eu l’air désespérée et la conforterait dans son idée. Il était fait
comme un rat. Son impétuosité et sa jeunesse avaient joué en sa
défaveur. Il se détesta pour ça, juste le temps de reprendre le contrôle
- 212 -
de ses émotions. Que lui avait-il appris finalement ? À bien y réfléchir,
pas grand-chose. Il avait simplement vendu la mèche pour les autres
lettres adressées aux institutions du pays. Elle l’aurait probablement
découvert rapidement, d’une manière ou l’autre. Le seul véritable
problème était le risque qu’elle tire des conclusions hâtives. Sa relation
avec le président de la fondation « Avenir Propre » ne prouvait
absolument rien, mais la presse avait vite fait de juger quelqu’un
coupable pour obtenir un scoop. Il faisait un coupable idéal dans toute
cette affaire.
- Georges, est-ce que tu as du neuf sur Anthony Alessandro ? demanda
Liz qui était toujours au bureau malgré l’heure avancée.
- Je suis rentré chez moi, je te signale ! J’ai une vie de famille en dehors
du travail moi, répondit-il sur un ton sec.
- Tu ne vas pas me rejouer ce refrain. Tu veux garder ta place ? Alors,
accouche !
Georges Goranovic pesta intérieurement. Il détestait cette façon que sa
chef avait de l’utiliser comme elle le souhaitait. De jour comme de nuit,
dès qu’un scoop pointait à l’horizon, plus rien ne comptait pour la
journaliste, ni famille, ni ami, juste le boulot. C’était dans son caractère,
l’ivresse d’une exclusivité la gagnait et personne ne pouvait l’arrêter.
- Rien de vraiment intéressant, finit-il par répondre en essayant de se
remettre mentalement dans ses recherches. Notre bonhomme vient
d’acheter une voiture de sport, mais avec le salaire qu’il se fait à
la NASA, ça n’a rien d’anormal.
- De quel genre ?
- Une Corvette cabriolet. Je n’ai pas le modèle en tête, mais je te donne
ça demain matin.
- A-t-il eu des mouvements bancaires importants depuis quelques
semaines ?
- Comment je pourrais savoir ça ? demanda Georges. Au cas où tu
l’aurais oublié, je ne travaille pas au FBI !
- Mmmm, grommela-t-elle !!! Je réfléchissais tout haut. On en reparle
demain.
Elle raccrocha avant que son assistant n’eût le loisir d’ajouter quoi que
ce soit d’autre. Il en avait l’habitude depuis le temps et ne s’arrêtait plus
de vivre pour si peu de chose. « Demain sera un autre jour », telle était
sa devise depuis qu’il travaillait pour Élisabeth McCarthy.
- 213 -
CHAPITRE 51
La nuit s‘avançait doucement, et toujours pas de Kevin en vu. Don
dormait comme un bienheureux, en apparence seulement, car ses sens
restaient en éveil. Au moindre passage de voiture ou à l’approche d’un
piéton, il entrouvrait une paupière. Sarah faisait le gué, enfoncée dans
son siège. Elle scrutait les allées et venues dans la rue. Lorsque
l’ingénieur apparut enfin, elle alerta son partenaire. Ils se demandaient
encore comment il allait gérer cette situation. Fallait-il l’aborder de but
en blanc ou bien tenter le coup d’une petite visite à l’improviste ? À
cette heure tardive, la surprise serait réelle, mais le résultat escompté ne
serait probablement pas atteint. Pendant que Kevin s’engouffrait dans le
parking privé à l’arrière du bâtiment, Sarah décida de jouer la carte de la
séduction jusqu‘au bout. Elle sortit de la voiture en quatrième vitesse et
se dirigea devant l’entrée de l’immeuble. Assise sur les marches, elle était
sûre que sa présence inattendue allait faire son effet. Elle espérait juste
qu’il n’y ait pas de porte arrière par laquelle Kevin pouvait entrer, sans
quoi toute la soirée risquait de se transformer en un véritable fiasco.
Don suivait la scène avec attention. Lorsqu’il vit Kevin déboucher à
l’angle de la rue, jouant avec les clés qu’il tenait dans la main droite, il
comprit que c’était gagné.
Les lampadaires éclairant la route étaient suffisamment puissants pour
que Kevin puisse entrevoir une paire de jambes dépassées de l’entrée de
son immeuble. Il aurait probablement été sur ses gardes s’il avait vu des
rangers, très à la mode chez les jeunes délinquants. Mais en approchant,
il constata qu’il s’agissait en réalité de bottines en cuir noir. Ces
chaussures ne lui étaient pas totalement inconnues, mais il n’arrivait pas
à se souvenir où il les avait déjà contemplés. Son allure ralentit pour
laisser à son cerveau le temps de la réflexion. Il ne lui restait plus qu’une
dizaine de mètres à faire lorsque le déclic survint. Il se remémora Sarah
endormie dans l’avion qui les ramenait de Suisse, les pieds posés sur le
siège en face d’elle, avec ses mêmes chaussures juste à côté d’elle.
Soudain, son pouls s’accéléra. En voyant Sarah assise sur les marches du
porche d’entrée, il fut agréablement surpris de cette rencontre. Un
sentiment tout de même agrémenté d’une pointe d’inquiétude.
- Quelle merveilleuse surprise de vous voir ici ! J’espère que cette visite
tardive n’est pas uniquement professionnelle ?
- 214 -
- Bonsoir Kevin ! Pouvons-nous entrer ? J’ai quelques points à éclaircir
avec vous.
- Bien sûr, reprit-il déçu par le ton qu’elle arborait.
Il ouvrit la porte de l’immeuble et la laissa galamment passer. Il fit la
même chose pour son appartement.
- Je vous en prie, ne soyez pas trop regardant sur le désordre, je n’ai pas
eu le temps de faire le ménage depuis notre retour de Suisse.
L’entrée donnait directement dans le salon. La cuisine était au fond de la
pièce, séparée par un muret qui avait dû être un passe-plat à une autre
époque. Les derniers propriétaires l’avaient agrandi pour éclaircir le plan
de travail abritant tout le nécessaire d’une cuisine moderne. L’endroit
était néanmoins impeccable, la partie salon était relativement dépouillée.
Les meubles habituels étaient présents, mais aucun bibelot, tableau ou
même plante ne venait enrichir la vue d’ensemble. Kevin avait pensé
aménager plus chaleureusement son intérieur, mais comme il passait
très peu de temps chez lui et qu’il n’était pas un adepte de la décoration,
il avait remis cette besogne à plus tard.
- Qu’est-ce que ça doit être lorsque vous faites le ménage, admira Sarah
qui s’attendait à voir un véritable capharnaüm.
- Ne vous fiez pas aux apparences, répondit Kevin en fermant une
porte pour cacher au mieux le champ de bataille. Je ne suis presque
jamais chez moi. De ce fait, cette pièce de l’appartement reste
relativement propre, mais pour mon bureau qui me sert également de
chambre, c’est une autre histoire. Comme j’ai un sommeil léger, j’y
passe la majeure partie de mes nuits à travailler.
- Je suis quand même impressionnée, reprit Sarah.
- Avez-vous dîné ? demanda soudainement Kevin.
Sarah eut une demi-seconde pour réfléchir à la meilleure réponse à
apporter. Si elle répondait par l’affirmative, elle risquait de faire avorter
sa stratégie.
- J’ai seulement grignoté au bureau avant de venir, mais…
- Chinois ! Ça vous dit ?
- Pourquoi pas !
- Il y a un restaurant au coin de la rue. Nous pouvons être livrés en dix
minutes.
Il sortit la carte d’un tiroir de la cuisine et la tendit à Sarah.
- Vous avez même leur menu ?
- 215 -
- Je suis probablement un de leurs meilleurs clients, répondit-il. Pour
être franc, je déteste cuisinier. Du coup, j’ai mes habitudes dans le
quartier.
Kevin passa sa commande et lui annonça une attente d’une dizaine de
minutes environ.
- Que voulez-vous boire en attendant le dîner ? J’ai du vin, de la bière et
quelques boissons gazeuses, dit-il en ouvrant le réfrigérateur qui était
littéralement rempli de bouteilles en tout genre.
- Un verre de vin, s’il vous plait.
Sarah ne savait pas trop comment aborder le sujet, mais comme elle
détestait tourner autour du pot, elle préféra une approche directe.
- Si je suis venu vous voir ce soir, c’est pour une chose bien précise et je
suis sûre que vous devez vous douter que quoi il s’agit !
- Je suis tout ouïe !
- Le portable d’Henri Durand, reprit Sarah pour éviter toute théorie
maladroite de la part de Kevin. Je sais que vous l’avez conservé. Je n’ai
pas voulu en parler à mon supérieur ce midi, car je suis persuadée que
vous arriverez plus facilement à en soutirer des informations que
n’importe lequel de nos spécialistes.
Kevin se souvint alors qu’il lui en avait discuté précédemment. Ça
n’était pas le moment de jouer les innocents.
- Honnêtement, reprit-il, je ne l’ai pas conservé volontairement, mais la
façon dont s’est passée l’entrevue avec vos supérieurs m’a légèrement
perturbé. Du coup, j’ai complètement oublié que j’avais l’objet en ma
possession.
- Est-ce que vous avez eu le temps d’analyser les dossiers qu’il
contient ?
- Le séjour dans le lac a été relativement destructeur pour l’appareil, car
tous les circuits ont grillé. Heureusement pour nous, les informations
étaient stockées sur une carte mémoire indépendante qui n’a pas subi de
dommage. Après un séchage complet, j’ai réussi à accéder à son
contenu. C’est là-dessus que j’ai concentré mes recherches ce soir.
Seulement, vous vous doutez bien qu’Henri Durand avait crypté ses
données.
- En d’autres termes, pour le moment vous êtes bloqué par ce cryptage
et n’avez pas pu avancer sur ce sujet ?
- À vrai dire, ce n’est pas tout à fait exact. J’ai mis un programme de
décryptage à tourner après avoir réussi à faire une copie du contenu de
- 216 -
la carte. Le code utilisé pour l’encodage des informations n’est pas à la
portée du premier venu. Sans un coup de main des services spécialisés
dans ce domaine comme la NSA, il me faudra sûrement plusieurs
semaines pour en arriver à bout.
- Je vérifierai dans les dossiers que nous avons établis avant son
interpellation, mais cela m’étonnerait fortement que nous trouvions le
mot de passe d’accès à ses données.
Don commençait à se demander ce qu’il devait faire. Sarah ne lui avait
pas donné de consigne en quittant précipitamment la voiture. Cela
faisait une dizaine de minutes qu’il attendait le moindre signe de vie de
sa part, mais rien ne semblait bouger chez Klein. Il composa le numéro
du téléphone portable de Sarah, puis se ravisa pour la deuxième fois.
Après tout, elle avait choisi délibérément d’aller à la rencontre de Kevin.
Elle était majeure et vaccinée, le reste ne le regardait pas. Il décida
finalement de rentrer chez lui. Au moment où il voulait tourner la clé de
contact, il vit arriver un individu au coin de la rue. Les bras chargés de
paquets, il comprit très vite qu’il s’agissait d’un livreur. Il scruta
l’homme du coin de l’œil. Lorsqu’il entra dans l’immeuble, Don n’hésita
plus une seconde. Il n’avait plus aucune raison de rester en place, Sarah
avait les choses en main. Il sourit intérieurement en démarrant et finit
par rentrer chez lui.
Kevin remercia son chinois favori et invita Sarah à s’asseoir pour dîner.
- Est-ce que vous avez découvert autre chose sur le portable de
Durand ?
- Comme les puces électroniques du téléphone ont grillé, on ne peut
rien faire de plus. Le décryptage de la mémoire interne est le seul espoir
que nous ayons.
- Et vous pensez en venir à bout ?
- Je l’espère… Le cryptage utilisé est basé sur un logiciel grand public
qui emploie une clé de codage sur…
Kevin s’interrompit en voyant qu’il allait se lancer dans une explication
très technique. Sarah aurait bien du mal à suivre. Il préféra éviter de
l’embrouiller plus que nécessaire.
- Disons qu’avec l’aide de la NSA, nous pourrions en venir à bout en
quelques heures seulement, à moins que vous ne trouviez le mot de
passe dans les affaires de Durand ?
- 217 -
- Ça serait vraiment trop facile, vous ne pensez pas ?
- Effectivement, répondit Kevin. Cet homme avait l’air très informé
question sécurité informatique. Je suis sûr qu’il conservait ce genre de
chose uniquement ancré dans un coin de sa tête. J’ai pourtant remarqué
que les utilisateurs, aussi chevronnés soient-ils, ont tendance à utiliser
un mot de passe facile à retenir, comme un prénom d’enfant, une date
d’anniversaire… etc.
- Je vérifierai demain dans les informations que nous avons sur lui.
Une heure plus tard, Sarah s’éclipsa aux toilettes pendant que Kevin
commença à débarrasser la table. Elle en profita pour envoyer un
message à Don : « GO NASA – BUR. KLEIN ». Elle désirait garder le
maximum de discrétion et ne voulait pas ouvertement téléphoner à son
collègue pour l’informer de ses découvertes. Don s’était arrêté pour
manger un morceau dans un fastfood en quittant sa planque. Il arrivait
chez lui au moment où son téléphone vibra dans sa poche. Il lâcha un
juron et se dit que ça attendrait bien le lendemain matin. Mais, sa
conscience professionnelle n’était pas encore en sommeil, et il prit sur
lui pour jeter un œil sur le message. Il regarda l’écran du portable et vit
le texte quelque peu obscur que Sarah venait de lui envoyer. Un
deuxième juron plus tard, il referma sa porte d’entrée à clé, avec le
sentiment qu’il était parti pour passer une nouvelle nuit blanche. En
démarrant sa voiture, il décida d’appeler le directeur de la NASA. Il était
son seul contact au centre spatial à être au courant de l’enquête en
cours. En arrivant seul en pleine nuit au poste de garde, il n’avait aucune
chance de rentrer sans l’aval du patron des lieux. Francis Fitzgerald était
chez lui depuis deux bonnes heures et s’apprêtait à aller se coucher.
Lorsqu’il vit le mot FBI s’afficher sur le cadran de son téléphone
portable, son pouls s’accéléra et il lui vint immédiatement des pensées
négatives concernant l’affaire. Un appel à une heure aussi tardive n’était
jamais anodin, où alors le FBI avait un sens de l’humour qu’il ne
comprendrait jamais !
- Fitzgerald, dit-il en décrochant.
- Agent Dalton, reprit Don. Monsieur, êtes-vous toujours à la NASA ?
- Non, agent Dalton. Même les directeurs de centre tel que la NASA
ont une vie privée ! Je suis chez moi et je m’apprêtais à me coucher !
- Désolé de vous importuner à une heure pareille, mais je viens d’avoir
un message de l’agent Spader qui me demande d’aller d’urgence au
- 218 -
laboratoire de monsieur Klein. Je voulais être sûr que si je m’aventure
jusqu’à la NASA, je pourrais entrer et inspecter les bureaux en question.
- Je vais contacter le chef des vigiles. C’est un homme en qui j’ai
entièrement confiance. Il vous fera visiter personnellement tout ce que
vous désirez.
- Merci Monsieur. Dans ce cas, j’y serais d’ici une dizaine de minutes.
Bonsoir.
CHAPITRE 52
Lorsque Don arriva au poste de garde du centre spatial, le vigile de
faction le toisa du regard en s’assurant de lui envoyer le faisceau de sa
lampe torche en plein dans les yeux.
- Le complexe est fermé la nuit, s’empressa-t-il de dire avant toute autre
forme de politesse.
- Bonsoir également, répliqua Don qui lui montra sa plaque d’agent
fédéral.
- Attendez ici, reprit le gardien sur un ton sec.
Il retourna dans sa guérite après avoir minutieusement noté le nom de
l’inspecteur sur son calepin. Il discuta quelques secondes avec ses deux
collègues présents. Le premier décrocha le téléphone. Il s’ensuivit une
discussion d’une bonne minute. L’homme ressortit en renvoyant la
lumière de sa lampe au visage de Don, qui pensa que ça devait être leur
moyen d’intimidation. Il en fallait bien un !
- Monsieur Dalton, vous devez laisser votre véhicule en dehors du
centre, ce sont les ordres de nuit. Garez-vous sur le parking juste
derrière vous, et je vais vous accompagner jusqu’aux bureaux où mon
chef vous attend.
L’agent fédéral s’exécuta malgré une envie primaire d’expédier ce vigile
de pacotille chez sa mère. L’attitude hautement supérieure qu’il prenait
l’irritait au plus haut point. Ce freluquet à peine prépubère semblait
nager littéralement dans son uniforme. L’heure tardive eut raison de sa
mauvaise humeur, et il préféra se taire et suivre son nouveau garde du
corps avec résignation.
Le trajet jusqu’au bureau se fit dans un silence absolu. Le centre était
désert la nuit, hormis certains entrepôts où les services de maintenance
- 219 -
œuvraient vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le vigile le conduisit au
poste de surveillance principal dans une voiturette comme celles que
l’on trouve sur les terrains de golf. Le chef de la sécurité l’attendait.
- Bonsoir agent Dalton. Monsieur Fitzgerald m’a prévenu de votre
visite. Vous pouvez retourner dans votre vigie, dit-il à son subordonné.
Je m’occupe de notre hôte.
- Bonsoir, répondit Don.
- Que puis-je faire pour vous ? lui demanda le gardien.
- À vrai dire, je n’en sais rien. Il faudrait simplement que je jette un œil
dans les bureaux de votre service informatique.
- Vous cherchez quelque chose en particulier ?
- Disons que c’est une intuition de ma coéquipière qui est actuellement
avec monsieur Klein.
L’homme pianota sur le clavier d’ordinateur positionné devant lui. Les
écrans affichèrent une vue générale du bâtiment, une sorte de plan de
coupe avec des petits ronds verts placés à différents endroits. Il cliqua à
l’aide de sa souris sur l’un d’entre eux. Les images des quatre moniteurs
basculèrent pour montrer ce que les caméras de surveillance
enregistraient.
- Regardez, dit le chef de la sécurité en désignant une porte en
particulier, nous voyons ici le bureau de monsieur Klein. Les images
actuelles dévoilent tous les accès possibles vers cet endroit. Tout est
absolument normal. Aucun détecteur ne s’est déclenché ce soir et notre
ronde habituelle n’a signalé aucun comportement suspect.
- Est-ce que vous pouvez me montrer l’intérieur du bureau ? demanda
Don.
- Impossible ! Il n’y a pas de vidéo surveillance à l’intérieur de leur
laboratoire. De toute façon, cette porte est le seul accès et les fenêtres
sont condamnées.
- Il faudrait quand même que je jette un coup d’œil !
- Très bien, allons-y.
Don, accompagné par le chef de la sécurité, arriva au service dirigé par
Kevin Klein. Une inspection minutieuse des différentes pièces ne donna
pas le résultat escompté. Tout était parfaitement normal, les
équipements fonctionnaient correctement, sans erreur visible sur les
moniteurs. Don tenta d’appeler Sarah pour avoir quelques explications
supplémentaires, mais il tomba sur sa messagerie une nouvelle fois.
- 220 -
Sarah était toujours chez Kevin. Ils venaient de finir de dîner lorsqu’elle
sentit son téléphone portable vibrer dans la poche de sa veste. Elle
s’excusa auprès de son hôte pour prendre l’appel, mais décrocha trop
tard. Au moment où elle écouta son message et comprit que Don
n’avait rien trouvé de bien convaincant, deux options s’offraient à elle.
Soit elle était parfaitement honnête avec Kevin en lui disant qu’il était
surveillé de près, soit elle lui cachait encore quelque temps les faits. Elle
choisit la deuxième solution à contrecœur. Tant qu’elle n’avait pas
l’accord de son supérieur, elle devait conserver la plus grande discrétion
sur les investigations en cours.
- Je suis désolé Kevin, dit-elle finalement en revenant dans le salon,
mais il faut que je parte. Don vient de me contacter et il a besoin de
renfort en urgence. Je vous rappellerai demain matin.
- Dommage, car la soirée avait pourtant bien commencé, ajouta-t-il
quelque peu dépité par la tournure que prenaient les évènements.
Sarah enfila sa veste et s’apprêtait à sortir de l’appartement lorsqu’elle se
retourna vers son hôte.
- Nous pourrions déjeuner ensemble demain midi et vous me direz ce
que vous avez découvert…
- Volontiers, reprit-il. Bonne soirée.
- Bonne nuit.
Kevin regarda Sarah quitter son habitat, heureux de cette nouvelle
soirée passée avec elle, mais également terriblement déçu que ça ne soit
pas allé plus loin. « Je n’ai plus qu’à prendre une bonne douche froide »,
songea-t-il. Finalement, la déception fit place à un sentiment bien plus
glorieux : l’amour ! Il sentait le vent tourné vers des cieux de plus en
plus propices. Cupidon était en train de frapper fort, alors qu’il ne
l’attendait plus depuis plusieurs années. Il eut un mal infini à trouver le
sommeil ce soir-là. Allongé dans son lit, les yeux grands ouverts, il
pencha lentement la tête, mais la réalité le rattrapa, car il ne vit personne
à ses côtés. Finalement, en désespoir de cause, il préféra se lever et aller
travailler. Au moins, sa nuit blanche ne serait pas totalement vaine.
Il arriva vers cinq heures trente à la NASA et trouva les vigiles du poste
de garde au bord de l’endormissement. L’approche du petit matin était
la pire phase à passer pour chacun d’entre eux. La nuit approchait de
son terme et le flux de travailleurs, livreurs et autres visiteurs allait
bientôt débuter. Tout cela rendait les dernières heures très pénibles à
- 221 -
supporter. Le plus jeune vigile avança vers la voiture de Kevin et
reconnut immédiatement son conducteur.
- Bonjour Monsieur Klein, vous êtes sacrément matinal aujourd’hui ?
- Salut fiston ! Que veux-tu, les problèmes de sommeil surviennent avec
le grand âge.
- On dirait, reprit le jeune homme. Par contre, je suis désolé, mais nous
sommes encore en horaire de nuit et vous devez laisser votre véhicule à
l’extérieur du centre. Ce sont les ordres du chef, dit-il finalement avec
regret.
- Depuis le temps que je te connais, continua Kevin, tu sais bien qu’ici
je fais partie des meubles. Et puis ça fait une trotte jusqu’à mon bureau
à pied.
Le jeune gardien était partagé entre son amitié avec Kevin et le
règlement. Seulement, les ordres étaient clairs et il ne voulait pas perdre
son emploi pour négligence. Il demanda conseil à ses deux collègues qui
ronflaient joyeusement dans la guérite surchauffée. Il finit par revenir
vers Kevin le sourire aux lèvres.
- Voilà ce que je vous propose, dit-il très fier de lui. Laissez votre
voiture sur le parking juste derrière vous et je vous emmène à votre
bureau. Ensuite, dans la matinée avant de terminer ma garde, je vous la
ramène à votre place habituelle et vous pourrez me payer un café.
- C’est bien parce que c’est toi, souffla Kevin.
Il s’exécuta, gara son véhicule et revint vers la voiturette où l’attendait
son jeune ami. Il lui donna ses clés.
- Fais attention en me ramenant ma voiture, elle a certainement plus de
puissance que ta vieille Chevrolet.
- Pas de soucis. J’en prendrai le plus grand soin.
- Sinon, comment va la famille ? demanda Kevin qui les avait eus
comme ancien voisin.
- Mon père approche de la retraite à grands pas et ma mère trime
toujours dans ce restaurant minable. Sinon ça ne va pas trop mal. Mon
jeune frère a décroché une place dans une école d’informatique.
- À continuellement traîner chez moi lorsqu’il était gamin, lança Kevin,
il fallait que ça arrive. Je l’aimais bien quand il était petit, c’était un gentil
garçon… comme toi d’ailleurs.
- Vous devriez venir nous rendre visite un de ces jours, vous seriez
surpris de voir à quel point il a changé. C’est devenu un taré de
- 222 -
première à force de rester enfermé à pianoter sur son ordinateur… sans
vouloir vous offenser !
- Ne t’en fais pas pour lui, c’est un passage obligé pour tout bon
informaticien. Et toi, le boulot te plait ?
- Ça va, c’est cool et chiant à la fois. La plupart du temps, c’est assez
mortel comme job, à part des nuits comme celle-ci par exemple.
- Pourquoi ? demanda Kevin. Il s’est passé des trucs intéressants cette
nuit ?
- Je n’irais pas jusque-là, mais on a eu de la visite hier soir, et vous ce
matin. Ça n’est pas aussi mouvementé d’habitude.
- Qui est-ce que vous avez vu hier soir ? Le grand méchant loup ?
se moqua Kevin.
- Très drôle, reprit l’autre hilare. C’est le chef qui l’a accompagné.
Apparemment, c’était un agent fédéral ou un truc du genre.
- Ah, oui !!! Intéressant ça.
- Son Altesse est arrivée, lança le vigile.
- N’oublie pas ma voiture.
- Aucune chance, ça fait tellement longtemps que j’ai envie de monter
dedans. Je vous la ramène avec le plus grand plaisir, finit-il par dire un
sourire jusqu’aux oreilles.
Kevin arriva finalement à son bureau. Il se dirigea directement vers
l’ordinateur qui tentait de décrypter les informations contenues sur le
portable d’Henri Durand. Il regarda l’avancement du travail. Une série
de codes défilaient à grande vitesse sur le moniteur. Kevin vit tout de
suite que cette méthode ne donnerait rien avant des jours, voire des
semaines si le code d’accès utilisé dépassait cinq ou six caractères.
Malgré la puissance de calculs mise à sa disposition, il n’arriverait pas à
craquer ce mot de passe de cette façon. Il se remémora la conversation
qu’il avait eue avec Sarah quelques heures plus tôt. Si seulement la NSA
pouvait leur prêter main-forte, tout irait surement plus vite.
CHAPITRE 53
Kevin était arrivé depuis une bonne demi-heure à son bureau. L’endroit
était étrangement calme. Ce fameux calme avant la tempête ! L’arrivée
massive du personnel allait commencer dans les minutes suivantes. Il en
- 223 -
avait profité pour consulter ses messages et effectuer les quelques
vérifications d’usage sur l’état des serveurs du centre. C’est à ce moment
précis que le sommeil le rattrapa. Il était assis derrière son bureau, les
doigts sur son clavier d’ordinateur, le regard vide. L’esprit déjà en
hibernation, les yeux mi-clos, il se sentait partir dans les bras de
Morphée. Un bâillement à s’en décrocher la mâchoire le tira de cette
torpeur. Un frisson le traversa, il se frotta les yeux énergiquement quand
soudain, une chose lui revint en mémoire : « C’était un agent fédéral ou
un truc du genre » avait dit le jeune vigile.
Kevin tapa quelques lignes de codes, entra deux ou trois mots de passe
qu’il n’était pas supposé connaître, et accéda au programme de
vidéosurveillance du centre spatial. Le logiciel chargea une mosaïque
d’images provenant des caméras et des boutons de gestion des bandes,
façon magnétoscope. Il saisit la date désirée et l’heure approximative qui
l’intéressait plus particulièrement dans une zone de recherche. Après
une seconde de chargement, il fit défiler la vidéo en avance rapide
jusqu’à obtenir du mouvement à l’écran. Il vit d’abord deux hommes de
dos, marcher le long du couloir, puis un des deux personnages glissa sa
carte magnétique dans la fente prévue à cet effet. La porte du bureau
s’ouvrit. Au moment où le deuxième homme pénétra dans la pièce,
Kevin reconnut parfaitement l’agent Donald Dalton. Il nota l’heure
exacte indiquée au bas de l’image, accéléra la vidéo et stoppa lorsque les
deux visiteurs quittaient les lieux. Il s’était passé un peu plus de cinq
minutes. Qu’avaient-ils bien pu faire pendant ce laps de temps ? En
repensant à sa soirée avec Sarah, Kevin se demanda si tout cela n’avait
pas été planifié à l’avance. Elle s’invitait chez lui à l’improviste, puis
s’arrangeait pour suffisamment le distraire pour qu’il n’ait pas envie de
sortir. Pendant ce temps-là, son complice fouillait son bureau en toute
sécurité. Cela signifiait que le directeur de la NASA approuvait cette
démarche, mais également qu’il restait un suspect potentiel, voire le
suspect principal de toute cette affaire. Comment réagir face à ça ?
Kevin tourna la question dans tous les sens. Il n’était pas censé savoir
qu’on avait visité son lieu de travail. D’un autre côté, s’il ne crevait pas
l’abcès immédiatement, le doute allait l’envahir sur sa relation naissante
avec Sarah. Cela impliquait également que son directeur était de mèche
avec les fédéraux. À la moindre incartade de sa part, il risquait de servir
de bouc émissaire au fiasco des jours passés. Décidément, cette affaire
- 224 -
prenait une mauvaise tournure pour lui et il ne voyait pas comment tirer
tout ça au clair sans mettre les pieds dans le plat. Il se rappela
finalement qu’il devait déjeuner avec Sarah, ce qui lui donnerait une
bonne occasion de clarifier les choses une bonne fois pour toutes.
Sarah arriva au siège du FBI en début de matinée. Don était déjà à son
bureau la regarda d’un œil interrogateur lorsqu’elle entra. Qu’avait-il
bien pu se passer pour elle la nuit dernière ? Sa curiosité fut plus forte
que le reste.
- Rien de très intéressant, répondit-elle assez froidement.
- Tu peux au moins me dire pourquoi tu m’as fait aller à la NASA en
pleine nuit, alors qu’il n’y avait absolument rien à voir !
Elle décida de ne rien lui cacher. Après tout, c’était son partenaire
depuis pas mal de temps, et ils étaient devenus amis au fil des mois. Elle
aurait presque pu le considérer comme un deuxième père, ou du moins
comme un frère beaucoup plus vieux. Elle lui détailla sa soirée, d'un
point de vue professionnel uniquement, et lui raconta comment Kevin
avait conservé puis analysé le portable d’Henri Durand. Elle lui expliqua
qu’elle l’avait envoyé au centre spatial à cette heure tardive, pour
s’assurer qu’aucun individu mal intentionné ne vienne voler ou détruire
ce précieux objet. Les évènements qui s’étaient produits quelques
heures plus tôt dans les bureaux du FBI lui avaient laissé un arrière-goût
amer. Elle ne voulait pas subir une nouvelle fois le même revers. Ces
informations étaient capitales, et pour préserver au minimum sa
couverture, elle avait eu recours à ce message succinct lorsque Kevin
avait le dos tourné. L’enquête n’ayant pas encore été élucidée, elle devait
conserver un maximum de réserve à son encontre.
- Et maintenant, on fait quoi ?
- On va suivre cette histoire de claviers piratés, répondit Sarah à son
collègue.
- Pas la peine, reprit Don. Le chef a mis une autre équipe sur le coup, et
pour l’instant, ils ont fait chou blanc.
- Comment ça ? demanda Sarah. Encore une piste qui n’a pas abouti ?
- Rien, que dalle, nada, niente…
- C’est bon, j’ai compris, lui lança-t-elle d’un air dépité.
Elle réfléchit quelques instants en silence, tout en lisant ces messages
électroniques.
- 225 -
- Ceci inclut également l’identification des deux voleurs sur le parking
du restaurant routier ?
- Le chat est sur l’affaire. Je dois passer le voir tout à l’heure, tu veux
venir ?
- Le chat ???
- Mais oui, notre bon vieux Tom, répondit Don qui ne comprenait
toujours pas pourquoi elle refusait obstinément d’appeler ses collègues
de travail par leur surnom. Tom est le chat et Jerry la souris, voyons !
Tout se perd avec cette jeunesse… Il a commencé l’analyse de la bande
vidéo qu’on a récupérée.
- Pourquoi attendre ? demanda Sarah. On n’a rien de mieux à faire, alors
allons-y.
- OK ! C’est parti.
Les deux agents se rendirent au laboratoire scientifique situé à
l’extrémité des bureaux du FBI. Tom Tates était à son poste, les yeux
rougis par le manque de sommeil et d’une humeur morose, ce qui était
rare chez lui. Il regardait fixement une image fortement pixélisée sur son
écran, qui semblait subir des mutations à chaque passage d’un petit
carré blanc. Il sursauta lorsque la porte claqua. Se retournant
nerveusement, il demeura immobile une bonne seconde en voyant
Sarah et Don arriver, tel un lapin pris dans les phares d’une voiture en
pleine nuit. Soudain, une connexion dans son cerveau se remit en
marche, et il réussit à grommeler un « Ah ! C’est vous… » avant de
replonger vers son écran.
- Et bien mon vieux, tu as une sale gueule ce matin, lui lança Don en lui
tapant dans le dos comme l’aurait fait un pote de régiment.
- Ne m’en parle pas, j’ai passé la nuit là-dessus, dit-il en montrant
l’image devant lui. Pour le moment, ça ne donne absolument rien. Ce
logiciel d’analyse est pourtant réputé pour être ce qui se fait de mieux en
la matière, mais je n’arrive pas à obtenir une photo suffisamment nette
du gaillard.
- Qu’est ce qu’on est censé voir ? demanda Sarah timidement pour ne
pas froisser son collègue.
- C’est la seule image où l’on aperçoit le visage d’un des pirates de
claviers. Je suis en train de faire tourner un filtre numérique pour
améliorer sa qualité, mais la vidéo de base est tellement mauvaise que je
- 226 -
doute arriver à un résultat satisfaisant. En tout cas, rien qui vous
permettra une identification précise.
- Est-ce qu’on peut revoir le film original ? demanda Sarah.
Tom s’exécuta. Le passage en question durait un petit quart d’heure. On
y voyait une voiture se garer près d’un semi-remorque. Un homme
sortait du côté passager, la tête baissée, et se dirigeait sur la porte arrière
du camion pour y crocheter la serrure. Il disparaissait ensuite dans la
remorque durant une bonne dizaine de minutes. Le second personnage
faisait le guet pendant ce temps-là, adossé à son véhicule. Tom fit
avancer les images en accéléré jusqu’à un moment précis.
- Là, regardez ! dit-il. Ce couillon va faire une erreur digne d’un
débutant.
Le deuxième homme en question n’avait jusque-là pas bougé d’un
pouce, hormis la tête qui faisait des allers et retours sur son axe dès qu’il
y avait du mouvement aux alentours. Les minutes défilant trop
lentement. L’énervement dû à l’attente interminable avait fini par
l’envahir. La seule chose qu’il lui était venu à l’esprit était d’allumer une
cigarette. Au moment où il approcha son briquet pour enflammer sa
sèche, une flamme jaunâtre éclaira furtivement son visage.
- Vous voyez, cria Tom très fier de lui. C’est là, l’unique moment où nos
deux gaillards ont fait une erreur. Après ça, il n’y a rien à en tirer. Ce
gaillard fume sa clope pendant une petite minute, puis l’autre revient, ils
montent en voiture, redémarre et basta ! Les plaques de la bagnole sont
illisibles, surement pleines de terre où un truc dans le genre. De plus, vu
la qualité médiocre de la vidéo, nous n’avons aucun reflet exploitable.
- Parfait, compléta Don.
- Pourquoi le logiciel n’arrive pas à filtrer l’image ? demanda Sarah. On a
pourtant réussi à obtenir des résultats bien meilleurs auparavant…
- Je n’en sais rien, reprit Tom. J’ai essayé tous les filtres qu’on utilise
habituellement, mais ça ne donne absolument rien de probant. Pour être
honnête, c’est davantage le domaine de Jerry !
- Et il est où notre rat de laboratoire ? questionna Don.
- Aucune idée. Je ne l’ai pas vu depuis sa réunion avec le chef hier et il
n’a pas appelé.
- 227 -
CHAPITRE 54
Au petit matin, Tony arriva au bureau, frais comme un gardon. Sa
séance de vélo matinale lui permettait d’être en pleine forme tout au
long de l’année. Il fut surpris de voir Kevin présent à son poste de si
bon matin, ce qui n’était pas dans ses habitudes. Être le chef de service
n’avait pas que des avantages, mais il pouvait gérer ses heures de travail
à sa guise. Il pouvait même s’absenter en pleine journée s’il le désirait.
En contrepartie, il devait être joignable à n’importe quelle heure, jour et
nuit. Tony n’avait pas ces contraintes, du moins pas encore. Il s’installa
à son poste après avoir salué son supérieur, jeta un œil à ses messages
avant de regarder le planning du jour. Le programme était bien chargé
une fois de plus, chose normale à l’approche d’un lancement de navette.
La journée s’annonçait chaude en émotion et en stress. La fusée devait
décoller en fin d’après-midi. Les journaux télévisés du matin montraient
déjà les centaines de curieux qui s’amassaient sur les espaces réservés,
aux alentours du pas de tir. Certains avaient même campé sur le site
pour être sûrs d’avoir une bonne place. Les décollages étaient devenus
une véritable attraction touristique et les astronautes, de vraies stars
populaires adulées autant par les gamins que leurs grand-mères. Les
médias y étaient pour beaucoup.
Kevin vint voir Tony pour lui donner les directives du jour. Ce dernier
l’arrêta tout net : il savait ce qu’il avait à faire. Pendant l’absence de son
supérieur, il avait pris des initiatives et s’était jeté à corps perdu dans son
travail : une nouvelle conscience professionnelle en quelque sorte. Tout
cela était de bon augure pour Kevin, il allait pouvoir plancher sur le
déchiffrage des fichiers contenus sur le portable d’Henri Durand, tout
en continuant ses activités. Son rôle de mentor envers son jeune
subalterne était désormais révolu. L’oisillon volait enfin de ses propres
ailes.
Tous deux travaillèrent d’arrache-pied durant deux heures, avant de
faire une pause café bien méritée. Kevin en profita pour jeter un œil sur
les programmes de décryptage qui tournaient depuis la veille au soir. Le
résultat était désolant. Casser un code avec la méthode dite « de force
brute » risquait de durée une éternité. Il fit un rapide calcul mental : si le
mot de passe contenait plus de six caractères, il lui faudrait des jours
pour le trouver de cette manière. Contrairement à un codage basé
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uniquement sur les lettres de l’alphabet, les mots de passe informatique
étaient codés sur 256 valeurs : les chiffres, les lettres, plus une panoplie
de données semi-graphiques. Un mot de passe composé de seulement
trois caractères offrait déjà 16.777.216 possibilités à tester. Pour être
raisonnablement efficace, celui-ci devait avoir sept ou huit caractères. Le
calcul du nombre de valeurs possibles en devenait inimaginable pour le
cerveau humain. La probabilité de gagner au loto était nettement plus
élevée que celle de casser ce cryptage. Kevin réfléchit quelques minutes,
retourna le problème dans tous les sens pour en déduire qu’aucune
solution n’était envisageable de cette façon. Même si Henri Durand
avait utilisé un mot de passe relativement simple composé de sept ou
huit valeurs, cette méthode montrait ses limites. Il devait s’en remettre
aux approches beaucoup plus traditionnelles. Il avait déjà testé tout ce
qui fonctionnait habituellement : les noms et prénoms de la famille, les
dates de naissance, puis un mélange de tout un tas de choses dans le
même style sans succès.
Il reprit son travail, mais son esprit restait obnubilé par l’idée de passer à
côté de quelque chose d’essentiel. Il garda un œil rivé sur ses écrans de
contrôle tout en feuilletant le dossier d’Henri Durand, que le FBI lui
avait fourni lors de son voyage en Suisse. Il relut pour la troisième fois
le rapport sans obtenir l’étincelle de génie qui lui permettrait de casser le
mot de passe. Cependant, un nom lui sauta aux yeux. L’homme avait
travaillé pendant quelques mois chez un petit éditeur de logiciel qui
avait depuis fait fortune en brevetant un système de compression de
données. Quelques recherches sur internet lui apprirent, au détour de
nombreuses pages de publicités purement commerciales, que Durand
était l’un des concepteurs de l’algorithme qui avait servi de base à ce
logiciel. Désormais passé dans le domaine public, le code source était
disponible à qui savait chercher. Internet était devenu un monde
merveilleux où tout était accessible lorsqu’on maîtrisait parfaitement les
différents moteurs de recherche. Kevin téléchargea tout ce qu’il trouva
sur le sujet et commença la lecture de lignes de codes machines
relativement barbares pour le commun des mortels. Les algorithmes
qu’il avait sous les yeux étaient des versions modernes, allégées et
nettement plus performantes que celui d’origine. Il semblait que cette
fois encore, son instinct lui faisait défaut. En désespoir de cause, il se
mit en quête du programme original, en souhaitant qu’un miracle se
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produise. Les investigations furent beaucoup moins évidentes que ce
qu’il pensait. Internet, cette base de données phénoménale, avait fini par
montrer ses limites pour tout ce qui lui était antérieur. Les liens
obsolètes se mêlèrent aux sites publicitaires et pornographiques qui
s’insinuaient partout sur le réseau, et à tout un tas d’autres choses sans
aucun intérêt. Soudain, au bas d’une page que son traducteur
automatique eut du mal à retranscrire correctement, un lien attira son
attention. Le brevet original avait été piraté il y a bien des années, et le
code utilisé dans le logiciel de compression était disponible sur un site
de l’ex-Allemagne de l’Est. Kevin vit immédiatement de grosses
différences avec les algorithmes actuels. Vers la fin du fichier, quelques
lignes lui sautèrent aux yeux. Les programmeurs de l’époque avaient
laissé en commentaire quelques annotations pour le débogage, ainsi que
quelques messages pour la postérité. Ils indiquaient entre autres qui
avait participé au projet. Kevin ne reconnut aucun des noms inscrits,
mais un message attira son attention : « À Maria, la femme de ma vie et
à mon futur enfant. »
« À mon futur enfant »… Kevin avait vu dans le dossier de Durand que
sa femme s’appelait Maria et sa fille Éléonore. Il était sur la bonne voix,
il le sentait. Il avait bien testé ces charmants prénoms, avec ou sans
majuscule, de toutes les manières possibles, ils ne fonctionnaient pas.
Pourtant, il était intimement persuadé qu’il approchait du but. Que
Durand laisse une telle note dans le programme source qui avait fait sa
renommée dans le monde des programmeurs n’était pas anodin. Le
regard concentré sur le prénom de sa fille affiché à l’écran, son esprit
tournait à plein régime lorsque Tony le tira de sa rêverie. Il devait
s’absenter quelques minutes. Un problème de réseau avait été détecté au
service des pièces détachées, empêchant les techniciens de finaliser le
chargement de la navette. Une urgence absolue à gérer pour éviter un
retard sur l’horaire de lancement.
Liz McCarthy fulminait intérieurement. Elle savait qu’elle touchait du
doigt la solution de l’énigme du virus, mais elle n’avait que des soupçons
et rien de concret à présenter aux responsables de la chaîne. Son
assistant Georges Goranovic en faisait les frais. Sa mauvaise humeur
était palpable aussi bien en coulisse que sur le plateau du journal du
midi. L’actualité tournait essentiellement sur le lancement de la navette,
- 230 -
prévu en milieu d’après-midi. Liz devait faire bonne figure malgré une
antipathie profonde pour ce genre de journalisme-spectacle. Ce qu’elle
voulait, c’était du scoop, de l’affaire juteuse où les cadavres ne sont
jamais loin. Malheureusement, le rédacteur en chef lui avait rédigé des
dépêches mielleuses, de la star en veux-tu en voilà, tout ce qu’elle
détestait. Devant les caméras, elle réalisa une véritable performance
d’acteur, bien que ça ne soit pas son fort. L’image de marque avant
tout : elle avait travaillé trop dur pour tout gâcher en quelques minutes
d’antenne.
Aussitôt le journal terminé, elle retourna dans sa loge comme une furie,
ne voulant parler à personne. Georges tenta une première approche
avant qu’elle ne s’enferme, mais sentit que ça n’était vraiment pas le
moment de venir la chatouiller. Un quart d’heure plus tard, il frappa à sa
porte. En attendant qu’elle l’invite à entrer, il colla une oreille contre le
bois. Aucun bruit ne filtrait, ce qui n’était pas dans les habitudes de Liz.
Il hésita un instant, puis entrouvrit aussi doucement que possible pour
jeter un coup d’œil à l’intérieur. À sa grande surprise, il découvrit Liz,
son téléphone portable scotché contre sa joue. Elle ne parlait
pratiquement pas, ce qui était encore une fois assez étrange pour
quelqu’un de son tempérament. Lorsqu’elle prit conscience que
quelqu’un était en train d’entrer, elle lâcha une phrase d’excuse à son
interlocuteur et raccrocha.
- Tu tombes bien, lui dit-elle. Je veux… non j’exige des excuses du
patron pour m’avoir obligé à présenter ce torchon indigne d’une vraie
journaliste.
- Euh !!! Oui… enfin, je vais essayer d’arranger les choses, finit-il par
bredouiller.
- Cette fois-ci, il est allé trop loin. Que va penser le public de ce genre
d’actualité ? Il n’y avait rien, que du blabla, de la starlette à deux sous qui
vient se montrer parce qu’elle est en promotion, les mêmes têtes encore
et toujours. Si ce soir il ne redresse pas la barre, je quitte le navire !
Georges ne dit rien de plus, mais n’en pensa pas moins. Elle lui avait
déjà fait le coup à plusieurs reprises, mais une coucherie plus tard,
l’affaire était oubliée. Le chef de la rédaction et elle avaient un passif qui
lui permettait ce genre de réaction. Georges le savait, comme tout le
monde d’ailleurs.
- Et cette fois-ci, c’est du sérieux, reprit-elle alors qu’il sortait de la loge.
Je viens encore d’avoir une offre à l’instant même, tu peux lui dire.
- 231 -
- Oui madame, répondit-il en pensant toute autre chose !
CHAPITRE 55
Kevin se retrouva seul, avec ses nombreux ordinateurs qui lui étaient
totalement inutiles dans ce cas précis. Son esprit restait son arme
suprême pour triompher de ce mot de passe. Il effectua de nouveaux
essais en désespoir de cause, malheureusement sans succès. Le vibreur
de son téléphone portable le tira de son intense réflexion.
- Bonjour Kevin, c’est Sarah !
- Bonjour, bien dormi ?
- Je suis désolé d’être parti si vite hier soir, reprit-elle sans prendre la
peine de répondre à sa question, mais vous savez ce que c’est. Il n’y a
aucun répit lorsqu’on est un agent fédéral. Il faut tout de même qu’on
remette cette soirée rapidement, je serais navré que nous n’ayons pas
une seconde chance.
Kevin ne sut pas trop quoi ajouter. D'un côté, il était enthousiasmé par
ce début d’aventure, mais parallèlement il restait méfiant. Son
expérience passée lui avait appris à se méfier des organismes
gouvernementaux. Sa confiance étant une chose qu’ils n’avaient pas
méritée jusqu’à présent. Mais son attirance certaine pour Sarah lui
enlevait toute capacité de réflexion.
- On se voit ce midi, finit-il par dire.
- C’est moi qui invite, répondit-elle. Et il n’est pas question que vous
refusiez. On se rejoint au restaurant sur le bord de plage dont nous
avions parlé.
- Va pour treize heures !
- Parfait.
Ils raccrochèrent chacun de leur côté. Kevin remit son téléphone en
poche lorsqu’une idée lui vint à l’esprit. Sarah lui avait raconté l’histoire
d’Henri Durand pendant le voyage qui les avait emmenés en Suisse, et
une phrase lui revint en mémoire. Elle lui avait décrit la carrière de
l’homme, en insistant sur le fait que tout avait commencé grâce à un
algorithme de compression très en avance sur son époque. Cette
technique révolutionnaire permit de faire un bond de géant dans
plusieurs domaines, dont celui de l’échange de fichiers par modem. Un
esprit aussi brillant devait probablement lire à travers les 0 et 1 du
- 232 -
langage binaire informatique. « Et si Durand avait codé le mot de passe
avec son propre algorithme de compression », pensa soudainement
Kevin. Cela ne coûtait rien d’essayer, même si l’idée quelque peu
saugrenue avait peu de chance d’aboutir. Seulement, compresser un
texte est facile, compresser un unique mot l’est moins. Il chargea le code
du programme original qu’il avait récupéré, fit quelques modifications
pour ses besoins et testa à nouveau les noms et dates qu’il jugeait
intéressants. Le prénom de la défunte fille de Durand attira son
attention, car il comportait trois « e » et deux « o » : Eleonore. Le
candidat idéal pour une compression de données. Il passa à la
moulinette le mot pour en obtenir un code plus court que l’original,
totalement dénué de sens pour n’importe quel littéraire. Il entra le terme
trouvé et le miracle s’accomplit en un centième de seconde. Le listing
des fichiers présents sur le portable de Durand s’afficha en toutes
lettres, parfaitement lisible. Kevin poussa un cri de joie étouffé, en
levant les bras au Ciel. Son rythme cardiaque avait fait un bond en
constatant son triomphe sur la machine et de son défunt adversaire.
Casser un mot de passe était devenu un jeu digne des échecs au fil des
années. Il fallait être audacieux, plein de ressources, suivre une ligne de
conduite précise et foncer. Un combat de l’esprit entre deux gentlemen,
ni plus ni moins.
Il survola les milliers de fichiers présents dans la mémoire du portable,
et fut surpris par l’espace disponible pour un tel appareil. « Durand était
vraiment un génie dans son domaine », pensa-t-il. Il avait réussi, grâce
aux dernières avancées technologiques, à multiplier par quatre la
quantité de données stockables. Kevin se demanda comment il avait pu
avoir accès à un prototype en cour de développement chez le
constructeur, qui devait être classé « confidentiel ». Il lui était évident
que le piratage industriel était une chose à la portée d’un tel homme,
mais de là à en récupérer un prototype, il y avait une marge non
négligeable. Le listing qu’il visualisa lui confirma son intuition : tout était
parfaitement structuré, chaque fichier avait un nom parlant, était placé
dans un répertoire précis, lui-même dans un dossier bien défini…
Malgré cela, le nombre de documents à lire était impressionnant et cela
lui prendrait des jours avant d’en venir à bout. Il lança une recherche
sur des termes particuliers, comme « virus » ou « NASA ». Le résultat
obtenu indiquait encore une bonne centaine de textes. Il les lista par
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date et s’intéressa à ceux datant du jour de la découverte du virus. Il
s’agissait d’une sorte de journal de bord où Durand relatait tout ce qui
se passait d’inhabituel ou d’intéressant sur différents sites qu’il
espionnait. La NASA en faisait partie, ce qui étonna Kevin qui était
persuadé d’avoir mis en place un système hautement sécurisé.
Néanmoins, il lui apparaissait très clairement qu’un mouchard était
présent sur son réseau, car Durand avait des rapports très précis des
activités de l’agence. Il avait découvert le virus au même moment que lui
selon les dates indiquées. Il continua sa lecture, tout en observant du
coin de l’œil les informations affichées sur les serveurs du centre. Tony
n’était pas encore revenu, ce qui en cas normal l’aurait probablement
inquiété. Mais son brave collaborateur lui avait fait comprendre qu’il
connaissait son boulot. « Pas de problème » se dit Kevin, on va voir s’il
maîtrise le système aussi bien qu’il le croit !
La fin de matinée passa à la vitesse de l’éclair pour l’ingénieur de la
NASA qui était littéralement plongé dans une incroyable odyssée. Henri
Durand avait écrit un véritable roman d’espionnage, en y indiquant le
moindre de ses faits et gestes de piraterie. Aucun nom n’était
explicitement noté, mais il était évident qu’il avait de très bons contacts
dans les plus importantes structures du pays. Que ce soit chez les
militaires, au gouvernement ou encore dans les industries publiques et
privées, rien ne lui avait échappé. Lorsque la pause déjeuner arriva,
Kevin en conclut que l’homme était certainement le plus grand pirate
informatique de tous les temps, mais il n’en tirait étrangement aucun
bénéfice. Il n’avait trouvé aucune trace de transactions bancaires, ou
d’échanges d’informations sensibles pouvant prouver un
enrichissement. Il semblait faire de l’espionnage uniquement pour le
challenge. Une sorte d’admiration commençait à naître dans son esprit,
même si la situation de Durand n’avait rien d’enviable de son vivant.
Une alarme le tira de sa lecture, le rendez-vous avec Sarah était arrivé.
Au moment où il allait quitter son bureau, une pensée le frappa de plein
fouet. Il n’avait même pas songé à tester le portable pour déterminer s’il
était vérolé ! Une grave erreur de débutant qui pouvait être fatale dans
ce cas précis. Si le virus était présent dans la mémoire de l’appareil, il
venait à nouveau de contaminer tout le réseau informatique de la
NASA. Son sang se glaça dans ses veines, un frisson lui traversa le corps
de la racine des cheveux à la pointe des orteils. Il débrancha violemment
- 234 -
le téléphone de Durand pour le connecter directement sur un
ordinateur autonome qui contenait son programme de détection. Puis il
lança l’analyse avec angoisse… Il regarda sa montre à plusieurs reprises.
Il allait finir par être en retard à son rendez-vous, cependant l’enjeu était
crucial. Il serait incapable d’avaler une seule bouchée s’il n’avait pas
auparavant la certitude que tout était sous contrôle. Après quelques
secondes qui lui semblèrent une éternité, le programme retourna un
message qui le vida de ses forces. Il s’avachit sur un siège, les bras
ballants en soufflant de soulagement : tout était OK !
Sarah était déjà arrivée lorsque Kevin apparut à l’entrée du restaurant,
une situation contraire aux habitudes voulant que la femme fasse
patienter l’homme. L’endroit sortait de l’ordinaire. C’était une sorte de
paillote mordant sur la plage qui offrait un service de restauration de
grande qualité. Le bâtiment de brique et de bois avait une architecture
méditerranéenne. Les cuisines étaient cachées en limite de rochers,
tandis que la salle de réception, agrémentée d’une vaste terrasse,
surplombait le sable fin. Ce cadre privilégié tenu par un Italien de pure
souche, maniant la pâte à pizza comme personne, était bondé aux
heures d’affluence. C’était devenu en quelques années le repère des
traders et autres jeunes loups qui n’hésitaient pas à sortir la Porsche
pour aller déjeuner à la pizzeria Bella Napoli. Kevin eut quelques
difficultés à reconnaître l’agent fédéral caché sous des vêtements
estivaux. Sarah s’était changée avant de quitter le bureau. Elle avait
passé une robe à fleurs, dénoué ses cheveux et arborait une paire de
lunettes de soleil très à la mode. Son entrée fit son effet et quelques
sifflements à l’italienne se firent entendre en signe d’approbation devant
tant de beauté. Elle avait dû repousser les avances de trois golden boys à
la cravate desserrée en attendant l’arrivée de Kevin. Une vague de
jalousie envahit la pièce lorsque l’informaticien arriva et qu’ils allèrent
s’installer en terrasse, pour profiter de l’ensoleillement généreux de la
mi-journée.
- Vous êtes splendide, lui lança-t-il en lui poussant sa chaise comme le
ferait un partait gentleman. C’est la nouvelle tenue des agents de
terrain ?
- Ne soyez pas idiot, répondit-elle en affichant un sourire à faire craquer
un moine. Je voulais simplement profiter de cette magnifique journée,
histoire de prendre le soleil une petite heure.
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Sarah commanda une salade composée, Kevin une bonne grosse pizza
qu’il était sûr de ne pas arriver à finir, aussi délicieuse soit-elle. Le tout
fut agrémenté d’un cocktail sans alcool pour les deux convives. Ni l’un
ni l’autre ne savait comment aborder le sujet qui les intéressait
particulièrement. Kevin avait tourné le problème dans tous les sens, il
hésitait toujours entre divulguer sa formidable découverte et garder les
choses secrètes encore quelque temps. En y réfléchissant avec plus
d’attention, il n’avait pas eu le loisir d’approfondir ses recherches et
n’avait rien appris de vraiment intéressant pour l’enquête en cours.
Mais, l’attitude détachée de Sarah avait fait tomber son système
d’autodéfense naturelle. Cette femme avait un réel pouvoir sur lui, et il
finit par craquer. Il fallait qu’il lui montre qu’il était plus qu’un simple
informaticien, qu’il avait l’étoffe d’un véritable enquêteur.
- Vous avez avancé sur l’enquête ce matin, lança-t-il entre deux
bouchées qu’il tentait de ne pas avaler d’une traite, pour masquer sa
gloutonnerie.
- Pas vraiment, il y a encore quelques pistes que nous devons creuser,
mais rien de bien excitant. Et vous ?
- Et bien, disons que nous n’aurons pas besoin de la NSA pour
décrypter le code d’accès des dossiers de Durand.
- Vous avez trouvé le mot de passe ? demanda Sarah en affichant une
réelle surprise.
- Un coup de chance, répondit-il modestement.
- Laissez-moi en douter. La chance est rarement du bon côté dans ce
domaine. Comment avez-vous fait ?
- Lorsque les moyens informatiques usuels ne fonctionnent pas, il faut
parfois revenir aux investigations plus conventionnelles. J’ai épluché son
dossier de long en large, et une chose que je n’avais pas vue auparavant
m’a soudainement frappé. Durand avait breveté un système de cryptage
de données au tout début de sa carrière. En étudiant le code, j’ai lu une
note qui m’a mis la puce à l’oreille. Après ce n’était qu’une question de
pure logique et voilà, le tour est joué !
Sarah tentait de simuler la surprise absolue. En réalité, la télésurveillance
que le FBI avait mise en place leur avait montré tout ce que Kevin avait
fait pendant sa matinée. Ce dernier avait été beaucoup trop absorbé par
ses recherches pour remarquer les minicaméras, cachées aux extrémités
de son bureau. Même si elle n’avait pas une vision très précise de la
- 236 -
pièce, Sarah avait constaté que Kevin avait dévoilé des signes de
réjouissance bien réelle, ce qu’il ne faisait jamais habituellement.
Quelque chose d’important avait eu lieu dans ce bureau, et Sarah savait
qu’elle devait jouer de prudence et ne pas l’agresser si elle voulait lui
soutirer des informations en douceur. Malgré l’attirance qu’elle
ressentait, un homme tel que lui risquait de se renfermer au moindre
faux pas de sa part. La robe légère et la discussion anodine faisaient
partie de son plan, qui avait parfaitement fonctionné pour le moment. Il
fallait désormais passer aux choses sérieuses. Kevin lui raconta tout en
détail, ce qu’il avait découvert, le fait que cela représentait une quantité
impressionnante de documents à lire. Sarah acquiesçait volontiers, ne
posant que de très brèves questions. Lorsqu’il eut fini son histoire, elle
le félicita, le remercia pour sa collaboration et se lança.
- C’est de l’excellent travail Kevin, mais à ce point de l’enquête, je pense
qu’il serait préférable que nous prenions en charge l’analyse des fichiers.
Et puis, je suis sûr que vous avez d'autres choses à faire aujourd’hui,
avec le décollage de la navette…
- Pour être franc, mon collègue s’en sort plutôt bien, ce qui me laisse
plus de disponibilité qu’auparavant. J’aimerais vraiment continuer à
vous aider sur cette affaire.
- Je ne pense pas que ça dépende de l’un d’entre nous, lui répondit
Sarah, mais je vais en faire part à mon chef.
Elle s’excusa un instant et alla téléphoner à l’écart du restaurant, un peu
plus loin sur la plage. Le soleil jouait magnifiquement à travers sa robe,
lui donnant une transparence qui fut très remarquée par les personnes
présentes dans l’établissement. Son appel fut de courte durée. Elle resta
quelques secondes immobile, le regard perdu vers l’océan. Son
téléphone portable vibra, elle décrocha et écouta son interlocuteur. Ce
second appel fut encore plus rapide que le premier. Elle revint à la table
où Kevin l’attendait. L’addition était réglée, les couverts débarrassés.
Son compagnon lui avait commandé un café glacé, le parfait remontant
pour tenir un après-midi de plus.
- Je suis désolé, lui dit-elle, mais monsieur Johnson a, semble-t-il, besoin
de vous.
- Pour être honnête, je m’en doutais. Même si les heures qui précèdent
un décollage sont primordiales, tout ce que j’avais à faire est terminé
depuis longtemps. Mais c’est l’imprévisible que redoute mon chef, et
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dans de telles circonstances, il est souhaitable que je sois disponible
dans la minute.
- Nous pouvons rester en contact, reprit Sarah en le regardant droit
dans les yeux.
- Faisons ça, répondit-il en essayant de masquer sa déception au
maximum.
- Par contre, il va falloir que je vous accompagne pour récupérer le
portable de Durand.
- Pas la peine, ajouta-t-il en sortant de sa poche un petit objet. J’avais
prévu le coup et je vous ai transféré la totalité des données sur cette clé.
Je l’ai testé, il n’y a pas de virus.
- Merci, je vous appelle si nous avons besoin de vos services…
- Même si vous n’avez pas besoin de mes services, ça sera avec plaisir,
répondit-il.
Tous deux retournèrent à leur bureau respectif. Sarah avait fait un sansfaute, la robe, les cheveux aux vents et le sourire avenant y étant pour
beaucoup. Son chef lui avait montré la vidéo de surveillance filmant
Kevin durant la matinée. Elle savait qu’il avait trouvé quelque chose
d’intéressant, mais cela restait à déterminer. Par contre, elle avait
parfaitement vu qu’il avait fait une copie des fichiers sur une clé USB, et
c’était l’objectif que lui avait transmis le directeur Fitzgerald. Elle
n’aimait pas ce double jeu, surtout envers quelqu’un qu’elle commençait
à apprécier. Seulement dans son domaine, les sacrifices étaient souvent
nécessaires. Kevin n’avait finalement rien dit concernant la visite de
Don dans son bureau, la nuit passée. Le charme féminin de Sarah
l’ayant envahi, son cerveau avait occulté ce point de détail, mais il
n’avait pas abdiqué pour autant.
CHAPITRE 56
Lorsque Kevin revint à son bureau, Tony le questionna gentiment sur
son absence inhabituelle. Ce dernier évita cette conversation habilement
en lui parlant du travail restant à effectuer avant l’heure fatidique du
décollage. Il ne désirait pas étaler ses aventures aux yeux de son
collègue, de peur de faire capoter l’affaire. Tony ayant un physique
- 238 -
avantageux, il ne voulait surtout pas être mis hors course par un jeune
blanc-bec.
De son côté, Sarah s’était changé pour revêtir sa tenue d’agent fédéral :
un ensemble veste et pantalon très masculin. Elle était dans le
laboratoire du FBI avec le directeur, son partenaire, et les deux
techniciens Tom et Jerry. Ce dernier avait été pleinement disculpé dans
l’histoire des claviers piratés. Tom avait pris les choses en main.
L’analyse préliminaire des documents montrait ce que Kevin avait
déclaré à Sarah. Henri Durand était très prolifique et écrivait tout ce qui
lui arrivait. La somme des textes à lire était impressionnante, même
pour un groupe de quelques personnes. Don suggéra de se contenter
des articles datant de la semaine en cour, dans un premier temps. Si les
besoins s’en faisaient ressentir, ils approfondiraient plus tard la lecture
du reste des dossiers. Tom exécuta une commande pour sélectionner au
mieux les fichiers, puis les imprima et les mit à disposition de chaque
agent. C’était parti pour un après-midi des plus pénibles, surtout pour
Don qui appréciait moyennement la paperasserie. Ils se donnèrent
rendez-vous au laboratoire vers seize heures pour faire un premier bilan
de leurs trouvailles.
Tony était revenu à la charge. Leur travail au sein du centre spatial
n’était pas très prenant en temps normal, mais les jours de départ de
navettes leur offraient un repos très relatif. Ils étaient d’astreinte, mais
n’avaient rien de bien particulier à faire, car le plus gros du boulot avait
déjà été effectué. Kevin passait ses heures dans la salle de contrôle des
opérations. La tension était palpable durant les minutes qui précédaient
le décollage, puis une première délivrance arrivait lorsque la fusée
s’élevait de Terre sans encombre. Kevin aimait ressentir les émotions de
toute l’équipe au même moment qu’eux, mais surtout au plus près
d’eux. Les mois de dur labeur devenaient moins pénibles à encaisser
quand les astronautes quittaient le plancher des vaches en un seul
morceau. Tony allait encore plus loin dans la dévotion. Il avait toujours
eu l’autorisation de se rendre sur le pas de tir, jusqu’à présent. Il assistait
aux ultimes préparatifs des spationautes, au pied de la navette. Il était en
quelque sorte l’homme de terrain pendant que Kevin surveillait à
distance : le fantassin sur le champ de bataille et son lieutenant en
observation en retrait !
- 239 -
Tony ayant résolu les problèmes rencontrés en fin de matinée, il eut
comme d’habitude l’accord de ses supérieurs. Il ne se fit pas prier et
partit dès le début d’après-midi. Kevin avait encore quelques heures à
tuer avant la grand-messe. Il en profita pour retourner étudier les
fichiers d’Henri Durand.
Au FBI, les yeux commençaient à piquer sérieusement. La lecture
intensive de documents assez peu excitants était une véritable corvée.
Tom et Jerry s’en sortaient beaucoup mieux, car ils découvraient au
détour d’innombrables pages, des choses qu’ils pensaient irréalisables.
Henri Durand avait été le plus grand pirate de toute l’histoire de
l’informatique, ils en étaient maintenant intimement persuadés. Le fait
qu’il n’en avait jamais réellement profité personnellement lui donnait
une dimension de vengeur masqué. En tout cas, il n’en faisait pas état
dans les documents qu’ils avaient sous les yeux. Au fil des pages, ils
comprenaient beaucoup mieux comment l’association, dont il avait été
le fondateur, avait réussi à mettre à jour certains faits et gestes
d’industriels indélicats. Une partie du mystère lié à cette fondation se
dévoilait au fur et à mesure de la lecture. Cependant, Don commençait à
se poser des questions sur l’efficacité de ce type de recherche. Il
attendait la pause avec impatience pour donner son opinion à ses
camarades. Dans les fichiers qu’il avait vérifiés, il était quand même
tombé sur un schéma montrant un appareil que Durand avait construit
quelques jours avant son décès. Il n’avait pas encore trouvé de lien avec
le reste de l’affaire, mais cela semblait suffisamment intrigant pour qu’il
le mette de côté en vue d’une étude plus approfondie. Sarah avait pris
cette corvée d’une façon différente. Elle n’essayait pas de comprendre
les explications décrites par Durand, mais plutôt d’y dénicher de
nouveaux indices, ce qui s’avérait assez peu concluant pour le moment.
Tom s’éclatait comme un fou. Il venait de lire un rapport mentionnant
une technique révolutionnaire d’intrusion dans un système informatique
sécurisé. Le côté technique de la chose était hallucinant d’ingéniosité, et
il avait hâte de la tester en personne. Tout au long de sa lecture, il avait
émis des sons marquant sa surprise et son admiration, ce qui
commençait à énerver sérieusement Jerry. Il n’y avait rien de pire que
d’entendre son collègue s’esclaffer à longueur de temps, alors que lui
sombrait dans le néant au fil des pages. Hormis un schéma qui
l’intriguait, le reste n’avait que très peu d’intérêt.
- 240 -
Peu avant leur réunion du milieu d’après-midi, Sarah tomba sur un
aparté énigmatique qu’elle ne comprit pas immédiatement. Cela faisait
référence au virus découvert quelques jours plus tôt, et indiquait
seulement un renvoi à un fichier tiers. Elle regarda plus attentivement
les entêtes des documents qu’elle venait de survoler, mais cela ne
correspondait à rien. Il semblait y avoir une logique qui lui échappait
encore.
Don fut le premier à capituler. Un peu avant seize heures, il décida qu’il
en avait assez et qu’il allait prendre un petit café avant la pause officielle
qui leur servirait de réunion.
Sur le pas de tir, l’effervescence était à son comble. Les astronautes
finissaient de se préparer. Les techniciens lançaient les ultimes tests
pour valider le décollage. Le centre de contrôle était sur le pied de
guerre. La télévision émettait des flashs d’information chaque demiheure, montrant tout ce qui se passait au pied de la fusée, avant
l’évacuation. Le personnel de la NASA s’amusait de cette débauche
médiatique, ce qui n’avait pas toujours été le cas. Quelques années
auparavant, le public s’était totalement désintéressé d’une des entités les
plus gourmandes du pays, financièrement parlant. Mais, le
gouvernement avait réussi, par un matraquage publicitaire subtilement
organisé, à faire changer l’opinion publique en quelques mois. La NASA
était redevenue une entreprise dans le vent, qui avait des objectifs
ambitieux et un soutien international sans faille. L’Europe, la Russie et
la Chine étaient impliquées dans le projet, et on commençait déjà à
entrevoir la possibilité d’installer une colonie sur Mars. La décennie à
venir devait supplanter les années soixante-dix et la conquête de la Lune
dans le cœur de millions de terriens.
De son côté, Kevin Klein faisait des allées et venues entre son bureau et
le centre de contrôle de la NASA. D’un côté, il continuait ses
recherches sur les fichiers d’Henri Durand, de l’autre il faisait acte de
présence, au cas où un incident surviendrait. Une agitation sereine se
faisait sentir au fil des minutes. Il en profita pour regagner une nouvelle
fois son laboratoire pour vérifier l’état d’avancement de ses analyses. La
lecture de centaines de documents l’ayant quelque peu freiné, il avait
décidé de filtrer les textes en fonction de critères de plus en plus précis.
Il espérait trouver un écrit expliquant comment le virus fonctionnait,
- 241 -
mais surtout comment l’anéantir. Bien évidemment, un homme aussi
prudent que l’était Durand n’avait pas laissé ses informations à la
disposition du premier venu. Kevin était intimement persuadé que la
solution se cachait quelque part dans cette masse de fichiers. Il avait
découvert plusieurs choses qui le confortaient dans son idée. Le premier
point et pas des moindres était qu’il n’avait pas détecté de trace du virus
sur les différentes machines qu’ils avaient récupéré en Suisse. Avant la
destruction des appareils dans les bureaux du FBI, tout ce qu’il avait pu
examiner était parfaitement sain. Il n’y avait que deux raisons possibles
à cela : soit Durand avait fabriqué le virus et savait donc comment le
contrôler, soit il avait trouvé le moyen de l’empêcher de se propager sur
ses propres installations. En second lieu, il avait découvert des
documents démontrant que la NASA était le patient zéro de cette
infection, et la manière dont elle s’était étendue au reste du pays. Une
question le taraudait : « Comment avait-il pu remonter aussi facilement
la piste du virus s’il n’en était pas l’auteur ? » Cela l’amenait à une
nouvelle interrogation : « Comment avait-il réussi à avoir accès au
réseau de la NASA ? » Personne de l’extérieur du centre n’avait les
autorisations pour contourner les différents systèmes de protection,
hormis le directeur Johnson, Tony et lui-même. Kevin ne connaissait
pas assez intimement Jack Johnson pour pouvoir tirer la moindre
conclusion à son sujet. Cependant, il était convaincu que Tony ne
pouvait pas être mêlé à tout cela. C’était tout bonnement impensable !
Pour finir, la technologie utilisée était extrêmement pointue, beaucoup
trop pour le commun des mortels. Un nombre limité de personnes était
capable de l’appréhender. Lui inclus, il devait se compter sur les doigts
d’une main, pensa-t-il modestement.
Tout en continuant son va-et-vient entre son bureau et le centre de
contrôle, une pensée commençait à s’insinuer dans son esprit : « Ne
faisait-il pas fausse route depuis le début ? » Rien dans ce qu’il avait pu
lire n’indiquait que Durand n’était pas l'auteur de ce virus. Avait-il les
compétences pour réaliser ce qui semblait être un miracle de
technologie moderne ? Un doute raisonnable l’envahissait au fil des
heures et il doutait même de la faisabilité d’un tel programme.
Au FBI, l’enquête était sur le point de connaître un rebondissement
notoire. La réunion du milieu d’après-midi venait de commencer. Tous
les protagonistes étaient assis autour d’une table et présentaient les
- 242 -
informations qu’ils avaient découvertes. Don, croyant ne rien avoir
trouvé d’intéressant, se lança le premier.
- Tout ce que j’ai pu lire n’est que du baratin d’informaticien, sans
vouloir vous vexer, ajouta-t-il à l’encontre de Tom et Jerry. Il n’y a
vraiment rien de bon à en tirer, hormis peut-être le schéma d’un
appareil que j’ai déniché. Mais honnêtement, on dirait plus une sorte de
filtre d’antenne TV qu’autre chose. Le bonhomme devait avoir des
problèmes de réception dans sa cahute en Suisse !
- Montrez-moi ça, reprit Tom un rien vexé par la remarque qu’il venait
d’entendre.
Il prit le dessin, le tourna dans tous les sens avant de s’en absorber
totalement. Il commença à griffonner quelques notes pour tenter d’en
percer le mystère.
- Je viens d’avoir quelques informations intéressantes concernant le
piratage des claviers d’ordinateurs, enchaîna le directeur Fitzgerald. La
vidéo que nous avons récupérée étant de trop mauvaise qualité pour
que nous puissions identifier le moindre individu, j’ai demandé un coup
de main à un contact spécialisé dans ce genre de chose. On m’a apporté
le premier résultat il y a quelques minutes.
Il jeta sur la table cinq photos d’hommes pouvant correspondre au
fameux visage à moitié éclairé par la flamme d’un briquet.
- Nous avons cinq suspects potentiels, reprit-il. Mais l’un d’entre eux a
attiré mon attention plus particulièrement. Il s’agit d’un certain Mauricio
Moretti. C’est un ancien délinquant juvénile qui a touché à tout : le vol,
l’extorsion, le trafic de stupéfiants et j’en passe. Il a fait plusieurs séjours
en prison entre dix-huit et vingt-cinq ans, mais semble s’être calmé
depuis quelques mois.
- Et pourquoi est-il plus suspect que les autres ? demanda Sarah.
- Pour deux raisons. La première, c’est qu’il a été engagé par la
fondation « Avenir Propre » il y a un peu plus d’un an. Ce n’est peutêtre qu’une simple coïncidence, mais je suis persuadé qu’il faut
continuer à chercher dans ce sens. La seconde est que notre homme a
un lien de parenté direct avec un autre suspect potentiel : monsieur
Antony Alessandro. Ils sont cousins.
- Le petit fumier ! grogna Don qui ne put s’empêcher de faire éclater sa
colère soudaine. Il nous a bien roulé celui-là avec ses airs de jeune
playboy.
- 243 -
- Oh là ! N’allons pas trop vite en besogne, reprit Sarah. Ça n’est pas
parce qu’ils ont des liens de sang que ça prouve quoi que ce soit. Dans
ces conditions, tout le monde a un parent plus ou moins éloigné qui a
quelque chose à se reprocher.
- Ces stéréotypes bon marché ne valent absolument rien devant un
tribunal, continua le directeur. Mais la présomption d’innocence est tout
de même assez dure à avaler avec ce genre d’individu. Je veux une
enquête complète sur ces activités depuis un an.
Chacun nota deux ou trois mots sur son calepin, avant que Tom ne
prenne la parole.
- Jerry et moi avons trouvé plusieurs points intéressants dans les
documents que nous avons lus. Il n’y a rien d’écrit noir sur blanc, mais il
nous parait évident que Durand n’était pas l’auteur de ce virus, du
moins pas intentionnellement. Pourquoi ? me demanderez-vous. C’est
de la logique pure et dure. Depuis sa découverte, il a passé tout son
temps à tenter de l’anéantir, et je pense qu’il avait réussi…
- Qu'est-ce qui vous fait dire ça ? le questionna le directeur.
- Il y a deux raisons en fait. La première, c’est qu’il n’y avait aucune
trace du virus sur les machines que vous avez récupérées dans sa
tanière. Et la deuxième, mais là vous me prenez un peu de cours, c’est
ce schéma que Don a trouvé.
- Ah ! Je le savais que ce machin était important, lança Don très fier de
lui.
- À première vue, on dirait une sorte de filtre électronique, mais les
raccordements ne collent pas avec ceux qu’on devrait avoir pour ce type
d’appareil. Ce système, quoi qu’il soit, vient s’interposer entre
l’ordinateur et le câble réseau sur lequel il est connecté. Kevin Klein
nous a parlé des tests qu’il avait effectués lorsqu’il a découvert le virus à
la NASA. Le seul fait de brancher un appareil sur le réseau filaire
contaminait la machine, quel que soit le modèle ou l’environnement
logiciel installé. On peut sincèrement se demander si nous n’avons pas
fait fausse route en essayant d’identifier un virus purement
informatique.
- Qu’est ce que vous êtes en train d’insinuer au juste ? reprit Don qui
n’y comprenait vraiment plus rien. On aurait à faire à quoi selon vous,
les petits génies ?
- Nous n’en savons strictement rien, lâcha Jerry qui répondait à la place
de Tom. Il nous faut plus de temps pour étudier ces nouvelles données.
- 244 -
- Je pense que l’aide de Kevin Klein ne serait pas un luxe, suggéra Tom.
Ça dépasse vraiment tout ce que nous connaissons actuellement.
Un silence émergea dans la pièce. Les esprits étaient en pleine réflexion
et tentaient d’emmagasiner les informations qui venaient d’être
entendues. Le directeur Fitzgerald regarda les membres de son équipe
avant de faire un signe de tête à Sarah en guise de passage de témoin.
Elle se lança à son tour.
- D’après ce que j’ai lu, Henri Durand était probablement un des
meilleurs informaticiens de son époque. Ses fichiers montrent
clairement qu’il avait accès à toutes les plus grandes infrastructures
informatiques, tous pays confondus. Que ce soit des entreprises
publiques, militaires ou gouvernementales, on trouve par centaine des
rapports d’activités provenant de ces entités.
Elle marqua une pause pour réfléchir à ce qu’elle allait ajouter.
- Je suis d’accord avec Tom sur un point : Durand n’était probablement
pas le concepteur de ce virus. Ça ne colle pas avec sa personnalité, ni les
ambitions de sa fondation, du moins lorsqu’il l’a créée. J’ai étudié son
histoire de long en large. Il voulait la quitter parce qu’il était contre
l’orientation que ses membres directeurs désiraient prendre. Sa véritable
motivation n’a jamais été de faire régresser l’humanité en détruisant
toutes les nouvelles technologies, mais au contraire de s’assurer qu’elles
étaient utilisées à bon escient. Les médias nous ont toujours montré les
coups d’éclat, mais dans l’ombre, « Avenir Propre » a œuvré dans le bon
sens.
Elle marqua à nouveau une pause le temps de chercher un document
bien particulier parmi le paquet de feuilles qu’elle avait devant elle.
- Pour en revenir au schéma que Don a trouvé, j’ai lu une chose qui
peut être intéressante. Ah, voilà, finit-elle par dire en montrant un
imprimé. Écouter cela : « Au vu des différents tests effectués, le système
semble beaucoup plus efficace que ce que j’avais espéré. Ceci me
conforte dans l’idée que nous n’avons pas affaire à un virus
informatique, mais bien à une sorte de phénomène électrique
inhabituel. » Lorsque j’ai lu ce passage parmi une multitude d’autres du
même genre, j’ai cru que Durand avait perdu l’esprit, une sorte de
schizophrénie qui lui faisait voir des choses totalement irréelles. J’ai tout
de suite pensé au fameux fantôme dans la machine que les écrivains de
sciences-fictions adorent tellement. Mais je commence à me demander
s’il n’était pas justement bien plus lucide que la plupart d’entre nous…
- 245 -
- Est-ce qu’il pourrait y avoir une part de vérité dans tout cela ?
questionna le directeur.
- Tout est possible en ce bas monde, lança ironiquement Tom. Le
mieux serait de tester l’appareil en question.
- Très bien, au travail, reprit Francis Fitzgerald.
CHAPITRE 57
Tony était excité comme jamais. C’était la première fois qu’il avait
l’opportunité de suivre de l’intérieur, la préparation des astronautes.
Quelques jours plus tôt, le directeur Johnson lui avait autorisé l’accès à
la totalité des sites du complexe spatial. Il devait être en mesure d’aller
et venir à sa guise sans encombre. Kevin étant revenu à son poste, ses
autorisations spéciales auraient dû lui être retirées, mais Jack Johnson
était loyal envers ses meilleurs collaborateurs. Tony ayant fait un travail
remarquable en l’absence de son supérieur, il lui avait fait ce petit
cadeau. Malgré les réticences du FBI à son encontre, les soupçons et
autres conjectures n’avaient pas leur place au sein d’une telle
organisation. Johnson devait accorder sa confiance à ses subalternes s’il
ne voulait pas tomber dans la paranoïa. Tony était comme un gosse au
pied d’un sapin de Noël, le regard pétillant devant les nombreux
paquets entassés. Il vivait par procuration son rêve d’espace, en
discutant avec les astronautes sur le point de s’envoler vers les cieux. Il
leur posa un nombre incalculable de questions sur leur quotidien en
apesanteur, et sur les sensations que l’on pouvait ressentir. Le chef de
mission lui promit qu’à leur retour, dès que le moment se présenterait, il
lui ferait faire un tour dans un avion conçu pour recréer cette sensation
durant quelques secondes. Tony avait souvent entendu parler de ce
phénomène parabolique, mais seuls les astronautes et scientifiques
avaient la possibilité de participer à ces missions très onéreuses. Le
cinéma avait parfois recours à ce principe, mais les effets spéciaux bon
marché avaient raison des budgets limités des productions. Tony quitta
le pas de tir avec des étoiles plein les yeux, heureux comme un gamin
des instants privilégiés qu’il venait de passer.
Kevin de son côté n’était pas dans le même état d’excitation. La stupeur
commençait à prendre le pas sur l’étonnement. Il était tombé sur un des
- 246 -
fichiers où Henri Durand expliquait comment il avait découvert le virus,
mais également les moyens qu’il avait mis en œuvre pour tenter de
l’éradiquer. Au début de sa lecture, rien ne semblait différer de ses
propres tests, mais au fil des pages, Henri Durand s’aventurait dans des
contrées qui le laissèrent perplexe. Il y parlait d’électricité, de
magnétisme, de physique des matériaux et de beaucoup d’autres choses
qu’il avait du mal à comprendre. Cet homme était un touche-à-tout
incroyablement talentueux, une sorte d’éponge à connaissance. Lorsqu’il
tomba sur le schéma que Don avait découvert quelques minutes plus tôt
au siège du FBI, son esprit refusa cette solution. Ça ne pouvait pas être
exact, Durand s’était obligatoirement trompé. Les théories qu’il émettait
et les conclusions qu’il en tirait ne pouvaient pas fonctionner, c’était
inconcevable. Il prit quelques instants pour réfléchir calmement, et
tenter de s’ouvrir aux hypothèses qu’Henri Durand avait échafaudées,
mais elles étaient trop pointues pour lui. Il décréta qu’il lui fallait l’avis
d’un expert en électronique pour clarifier certains points. Le moment
était très mal choisi, mais il devait en avoir le cœur net. Il imprima le
schéma en question et alla trainer du côté du centre de contrôle des
opérations, à la recherche d’ingénieurs électroniciens. Les différents
chefs de service présents lui indiquèrent tous la même personne :
Ronald Richardson dit Dick pour les intimes.
Il le trouva finalement le fer à souder à la main, dans son laboratoire. Il
était le genre d’homme à n’avoir confiance qu’en lui. De taille moyenne,
la vue masquée par une paire de lunettes grossissante lui donnant
l’aspect d’un insecte monstrueux, il établissait un prototype d’outil
électronique spécifiquement conçu pour fonctionner dans des
conditions extrêmes. Comme l’étude ne lui suffisait pas, il réalisait luimême les maquettes et rédigeait les différents processus de fabrication,
limitant ainsi toute erreur. Kevin frappa à la porte entrouverte, mais
l’homme plongé dans sa réalisation ne l’entendit pas. Il se racla la gorge
tout en avançant à pas de loup. Richardson se retourna brusquement et
fixa l’individu qui venait l’interrompre. L’informaticien eut un
mouvement de recul bien légitime en voyant une paire d’yeux globuleux
le déshabiller de la tête aux pieds, puis se lança.
- Bonjour Monsieur Richardson, je suis Kevin Klein du service
informatique…
- 247 -
- Je vous connais, reprit l’ingénieur sans autre forme de politesse. Que
voulez-vous ?
- En fait, finit-il par déglutir, j’aimerais avoir votre avis sur une
réalisation que je suis en train d’étudier.
Il lui présenta le schéma en question et lui laissa quelques instants de
réflexion avant de se lancer.
- Qu’est ce que ça peut être d’après vous ?
- C’est un système de filtrage, répondit-il sans plus d’explication.
- OK, souffla Kevin, mais encore… Savez-vous à quoi ça peut servir ?
- Si vous me disiez ce que vous cherchez exactement au lieu de tourner
autour du pot !
L’homme était antipathique au possible. Kevin se demanda s’il fallait
vraiment avoir une discussion avec lui, ou aller pêcher des réponses
ailleurs. Seulement, il était aux dires des responsables de la NASA, le
plus qualifié dans son domaine. Il préféra jouer franc-jeu et lui expliqua
la situation sans pour autant rentrer dans tous les détails.
- Je vois, ajouta simplement Dick. En gros, vous voudriez que je vous
fabrique ce truc-là pour faire des expérimentations.
Kevin s’attendait à se faire envoyer promener en bonne et due forme, et
commençait déjà à prévoir de plates excuses pour le dérangement. Il
n’eut qu’à acquiescer.
- Revenez dans une heure, lui lança tout naturellement Dick avant de
rechausser ses lunettes à quadruples foyers et retourner à ses soudures.
- Merci… balbutia Kevin. Je vous laisse le plan sur la table. À tout à
l’heure.
Il quitta la pièce dans l’indifférence totale de son occupant.
« Eh bien, c’est un sacré phénomène celui-là », pensa-t-il en rentrant
dans son bureau.
En cette fin d’après-midi, Liz McCarthy avait eu le temps de digérer sa
contrariété du midi. Elle était sortie faire quelques emplettes, ce qui lui
avait redonné le moral. Elle n’avait cependant pas oublié sa discussion
avec le chef de rédaction. Elle n’oubliait jamais ce genre de chose.
Avant de quitter les locaux de la chaîne de télévision, ils avaient eu une
conversation plus que houleuse sur son avenir en tant que journaliste.
Elle voulait offrir au public des nouvelles beaucoup plus pointues et
professionnelles pour concurrencer les meilleures rédactions
d’information du pays. Ce dernier lui avait fait comprendre qu’elle avait
- 248 -
acquis cette popularité justement parce qu’elle présentait un journal
différent de ses concurrents. Le star-system, la jet-set et autres tabloïds
du même acabit étaient leur plus grande source d’audience. Elle avait
menacé de quitter le navire si aucun effort rédactionnel n’était fait dans
son sens, ce qui avait beaucoup fait rigoler son supérieur. Il la
connaissait par cœur depuis le temps qu’il travaillait et couchait
accessoirement ensemble. Elle s’était ruée sur les boutiques de prêt-àporter de luxe pour tenter de calmer cette montée de colère naissance.
L’essayage de vêtements lui permettait de se propulser vers l’avenir. Elle
se voyait déjà présenter le journal du soir sur une chaine comme CNN,
avec le tailleur qu’elle était en train d’essayer. En sortant du magasin, sa
décision était prise. Elle allait secouer le cocotier et bousculer les
dinosaures qui dirigeaient la rédaction, même si cela entraînait une
suspension d’antenne, voire son licenciement. Quoi qu’il se passe, elle
accepterait la proposition de poste pour lequel elle venait d’être relancée
une ultime fois. Ça n’était pas encore le summum du journalisme, mais
ça en approchait.
CHAPITRE 58
Sarah et Don avaient quitté le bureau pour aller interroger le cousin de
Tony. Il avait en premier lieu tenté de le joindre chez lui, mais personne
n’avait répondu, ce qui n’était pas anormal en plein après-midi. Ils
contactèrent la fondation « Avenir Propre » basée dans la banlieue de
Houston. L’hôtesse d’accueil leur stipula sur un ton courtois, mais direct
qu’elle ne pouvait pas leur donner des informations de la sorte. Elle leur
proposa de venir à leurs bureaux pour qu’elle puisse certifier qu’ils
étaient bien du FBI et accéder à leur requête. Même si cela restait
compréhensible, Don fulmina encore plus. Il était remonté comme un
diable attendant l’ouverture de la boîte pour expulser sa colère. Sarah le
regardait du coin de l’œil tout en conduisant. Il avait une sorte de tic
nerveux révélateur de son énervement : il battait la mesure de ses dix
doigts sur ses genoux, comme s’il désirait entretenir sa souplesse en vue
d’un concert de piano.
Lorsqu’ils arrivèrent devant les locaux de la fondation, Don reconnut la
voix de la femme qu’il avait eue quelques minutes plus tôt au téléphone.
- 249 -
Le bâtiment ne payait pas de mine de l’extérieur, mais était
agréablement agencé. L’intérieur donnait l’impression d’entrer dans une
société immobilière, où les plantes vertes masquaient des tableaux
représentant des œuvres d’architectes. Sans aucune forme de politesse,
Don brandit sa plaque d’agent fédéral sous le nez de la femme en
ajoutant « Ça vous va comme ça ! ». L’hôtesse composa un numéro sur
son clavier de téléphone, annonça les deux agents du FBI à son
interlocuteur, puis raccrocha en leur demandant de patienter quelques
secondes.
Un homme au costume impeccable arriva quelques instants plus tard,
puis les salua en se présentant. Il était le responsable du site et désirait
savoir ce que le FBI pouvait bien vouloir à un de ses employés. Comme
il s’y attendait, la réponse que Don lui donnait tenait plus du « Ça ne te
regarde pas mon pote ! » qu’autre chose. Il s’en doutait, mais il devait
tout de même poser la question pour la forme. Il n’opposa pas de
résistance et les conduisit vers l’endroit où travaillait Mauricio Moretti.
Ce dernier faisait de la manutention pour la fondation, une sorte
d’homme à tout faire. Sa surprise fut réelle et Sarah eut soudain un
doute quant à son implication dans l’affaire. Sa réaction n’avait pas été
celle du suspect typique qui tente de s’enfuir à la vue des forces de
l’ordre. Les présentations d’usage effectuées, les deux agents décidèrent
qu’il était plus sage de l’amener au poste pour un interrogatoire en règle,
avec enregistrement et tout le toutim ! Moretti resta étrangement
silencieux durant le voyage. Il connaissait la musique pour l’avoir
entendu à maintes reprises dans sa jeunesse. Don choisit avec l’accord
de Sarah de s’en occuper lui-même. Elle n’interviendrait qu’en tant que
« bon flic » si la manière forte ne donnait rien, ce qui avait toutes les
chances de se produire vu le pédigree du client.
- Depuis combien de temps travaillez-vous pour la fondation « Avenir
Propre » ? demanda-t-il.
- Je ne sais plus trop, un an, peut-être plus.
- OK, souffla Don qui décida d’attaquer de front. Et comment un petit
délinquant comme vous a bien pu être embauché par ce genre de boîte ?
- Va te faire voir, gueula l’autre. Si c’est pour me cracher dessus que
vous m’avez amené ici, je n’ai rien d’autre à vous dire.
- Du calme, mon gars, reprit Don pour calmer le jeu en posant une
liasse de documents relativement épaisse sur la table. J’ai lu ton dossier
- 250 -
avec attention, et le moins qu’on puisse dire, c’est que tu n’es pas un
enfant de chœur. Vol à l’étalage avant même d’avoir du poil au menton,
tu as été arrêté pour trafic de stupéfiants et tentative de meurtre sur un
revendeur de drogue avant même ta majorité.
- Des erreurs de jeunesse ! lança Mauricio d'un air dédaigneux.
- Après plusieurs maisons de correction, tu as été condamné à trois
reprises pour différents actes commis avec ton gang, ce qui t’a valu un
cumul d’une quarantaine de mois de prison au total.
- Ça se voit que vous n’avez pas grandi dans mon quartier… Si vous me
disiez pourquoi je suis là ! Je suppose que ce n’est pas pour discourir sur
mon curriculum vitae.
- Et bien, pouffa Don. Le fait de bosser avec des gens cultivés t’a donné
du vocabulaire. Bon, si tu commençais par me dire comment un type
comme toi a réussi à se faire embaucher par cette fondation bien propre
sur elle ?
- J’ai passé un entretien, comme n’importe qui.
- Ne te fous pas de moi, s’il te plait. Avec le passif que tu traînes, tu
n’avais aucune chance sans être pistonné.
- Il faut croire que j’ai fait bonne impression, reprit Mauricio en
arborant un sourire forcé.
- Est-ce que ton cousin Anthony Alessandro y est pour quelque chose ?
- Quoi ? Mais pourquoi me parlez-vous de mon cousin ? Il n’a rien à
voir là-dedans. Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais il bosse à la
NASA lui ! C’est une grosse tête, pas comme vous !
- Écoute-moi bien mon bonhomme, gueula Don en s’approchant à
quelques centimètres du visage de son client pour l’impressionner au
maximum. Si tu continues à te foutre de ma gueule, tu n’es pas prêt de
revoir la lumière du jour. Avec les antécédents que tu traînes, ce serait
d’une simplicité enfantine de te recoller au trou pour quelques années.
Pour l’instant, tu ne m’intéresses absolument pas, mais il se pourrait que
ton dossier se retrouve sur mon bureau très prochainement. Alors,
réponds à la question !
- Euh… laquelle déjà ?
- Est-ce que ton cousin t’a pistonné pour trouver ce job ? hurla Don qui
perdait définitivement son calme.
- Je veux mon avocat, dit Mauricio le plus calmement possible.
- Je n’ai pas de temps à perdre avec un branleur de ton genre.
- 251 -
Pour l’instant, tu n’es accusé de rien, mais si tu continues à jouer les
guignols, tu auras effectivement besoin d’un avocat pour entrave à une
enquête fédérale.
- Si je ne suis pas accusé, je peux me barrer ?
Don fit quelques pas dans la petite pièce, le temps de se calmer et
réfléchir à la meilleure tactique à adopter. En fixant son reflet dans la
glace sans tain, il tenta de faire passer un message à Sarah qui se tenait
de l’autre côté du mur. Elle comprit aussitôt que son tour était arrivé,
car Don avait suffisamment asticoté leur client pour qu’elle endosse le
rôle du gentil flic. Il se retourna soudainement, cloua Moretti du regard
quelques secondes avant de lancer son ultime tirade.
- Comme tu veux, bonhomme. Je t’ai laissé une chance de t’en sortir
sans encombre, maintenant ça va être une autre paire de manches. Ma
collègue est nettement moins amusante que moi, et je te conseille
vraiment de coopérer.
Don reprit son dossier, puis quitta la pièce.
« Le coup du bon flic, méchant flic », se dit Mauricio… « Ils me
prennent vraiment pour un amateur ».
Sarah prit tout son temps, referma la porte avec douceur puis vint
s’assoir en face de Moretti. Elle le fixa intensément, ce qui lui parut une
éternité, avant de lui demander de sa voix la plus douce :
- Alors ?
Il la regarda à son tour quelques instants, quelque peu décontenancé par
cette approche. Il s’attendait à des menaces et autres monologues de la
pire espèce, mais pas à ça.
- Alors… quoi ? osa-t-il presque timidement.
- Est-ce que votre cousin travaille pour la fondation ?
- Non, pas à ma connaissance. En tout cas, je ne l’ai jamais vu dans nos
locaux. Et puis, je pense qu’il a suffisamment à faire à la NASA.
Comme je viens de le dire à l’autre lourdaud, Tony n’a rien à voir avec
tout ça.
- Avec tout ça ? questionna Sarah.
- Bien oui, quoi… avec « Avenir Propre ».
- Comment avez-vous eu ce job Mauricio ?
- Je l’ai déjà dit, bon sang. J’ai passé un entretien.
- 252 -
- OK, mais comment avez-vous su qu’ils recherchaient quelqu’un ayant
vos « compétences » ? finit-elle par demander en mimant les guillemets
tout en prononçant ce dernier mot.
- C’est… à vrai dire, je ne me souviens plus trop, répondit-il après
quelques secondes d’intense réflexion.
Sarah voyait qu’il faisait un réel effort pour se rappeler les détails, mais
son penchant pour l’alcool et les drogues n’avait pas dû arranger ses
facultés de mémorisation. Elle le laissa ainsi, prit entre ses souvenirs et
une incroyable envie de tout envoyer balader. Mais, comme elle s’en
doutait, son charme naturel avait commencé à faire son effet. Elle
n’avait jusqu’alors vu que deux types de comportement masculin à son
égard, ceux qui n’avait aucun respect pour les femmes et la traitait de
poufiasse à chaque phrase en jurant de lui faire sa fête dès qu’ils en
auraient l’occasion, et les autres qui étaient troublés, charmés
assurément, et qui se sentaient comme des petits garçons devant une
maîtresse d’école dont ils se seraient amourachés.
- Je crois que c’est la mère de Tony qui avait dû en parler à ma mère,
finit-il par dire dans un soulagement.
- Vous vous souvenez de la façon dont ça s’est passé ?
- J’étais sorti de tôle depuis quelques semaines, et comme cet enfoiré
d’officier de probation ne faisait rien pour moi, j’ai renoué avec
quelques anciens contacts. Ma mère était furax de me revoir traîner avec
les potes qui, selon elle, m’avaient envoyé derrière les barreaux. Un soir,
elle m’a annoncé de but en blanc qu’elle m’avait décroché un entretien
d’embauche, et que j’avais intérêt à ne pas le foirer sinon elle me foutait
à la porte. Je suis tombé sur un type, genre mercenaire, qui m’a posé des
questions complètement débiles sur mon enfance, si j’avais déjà torturé
des insectes, si j’avais fait des fugues, enfin que des conneries. À la fin, il
m’a simplement dit qu’on me rappellerait. Sur le coup, j’avais cru que
c’était loupé, parce que des entretiens d’embauche, j’en ai connus
quelques-uns, mais celui-là était vraiment trop bizarre et je n’avais pas
trop envie de bosser pour ce type. Et puis, deux ou trois jours plus tard,
ma mère a répondu à un appel téléphonique. Elle m’a annoncé la
nouvelle lorsque je suis rentré le soir. Je me souviens qu’elle a
marmonné un truc sur le fait que je devrais remercier tante Ida, c’est la
mère de Tony.
- Savez-vous quelles sont les relations de votre tante avec la fondation ?
- 253 -
- Aucune idée. Je suppose que ses parents ont gardé des relations avec
certains de leurs anciens employeurs qui travaillent maintenant avec
nous.
Sarah réfléchit quelques instants, essayant en vain de se remémorer le
dossier de Tony. Elle l’avait lu de long en large plus d’une fois, pourtant
cette partie de sa vie restait un mystère. Pouvait-elle croire les racontars
de cet énergumène au passé plus que douteux. Il avait probablement
amélioré sa technique de défense au fil du temps, sachant exactement
quoi répondre pour être disculpé, du moins pour ne pas se mettre dans
le pétrin.
Quelqu’un frappa à la porte. Sarah sortit quelques instants avant de
réapparaître pour demander à Mauricio Moretti d’attendre quelques
minutes supplémentaires. Don avait suivi la conversation d’une oreille,
l’autre étant rivé à son téléphone. La façon dont le suspect avait
détourné l’interrogatoire sur une autre personne était typique chez ce
genre d’individu. Pourtant, son choix porté sur sa tante était étrange. En
théorie, il aurait dû balancer Tony ou toute autre personne de la
fondation pour être tranquille. En ligne avec Tomas Tate qui était en
pleine étude du dossier de la famille Alessandro, il lui indiquait les pistes
à creuser en temps réel, au fur et à mesure de l’interrogatoire. Au
moment où Mauricio parla des éventuels contacts hauts placés, Don
dirigea la recherche sur les emplois du couple Alessandro. La surprise
fut de taille et il n’hésita pas une seconde à déranger Sarah.
- On tient quelque chose, lui murmura-t-il alors qu’elle sortait de la salle
d’interrogatoire. Tu ne vas pas en croire tes oreilles, mais les parents de
Tony ont travaillé tous les deux durant une dizaine d’années comme
personnel d’entretien pour un syndic immobilier. D’après ce que Tom a
trouvé, il s’agissait d’un complexe créé une vingtaine d’années
auparavant et qui regroupait les gens influant de l’époque, une sorte de
parc à grosses légumes comme l’a si bien dit le rital ! En fait, ils étaient
les gardiens de ce lotissement haut de gamme.
- OK, murmura Sarah à son tour, et où veux-tu en venir au juste ?
- Tiens-toi bien, fillette : Henri Durand y a habité durant quelques
années.
Elle retourna vers Moretti avec une idée en tête.
- Monsieur Moretti, savez-vous ce que faisaient les parents de Tony il y
a quelques années ?
- 254 -
- Euh ! Je ne sais plus trop, on n’habitait pas dans le coin à l’époque et
on ne se voyait pratiquement jamais.
- Merci d’avoir pris le temps de nous répondre. Un agent va vous
raccompagner dans quelques instants.
- Comme si j’avais eu le choix, grogna l’autre !
Sarah quitta la salle et se dirigea vers le bureau du directeur,
accompagné de Don. Comment avaient-ils pu passer à côté de ça ? se
demandèrent-ils presque en cœur. Anthony Alessandro connaissait
obligatoirement Henri Durand. Francis Fitzgerald était déjà au courant
de cette stupéfiante révélation, car Tom venait de lui en parler quelques
instants plus tôt. Sans hésiter une seconde, il ordonna à ses deux agents
de lui ramener le cher Tony pour un interrogatoire en règle. Ils
quittèrent les bâtiments du FBI sans ajouter un mot. Don ruminait
intérieurement. Comment avait-il pu se tromper à ce point. Depuis le
début de l’affaire, ils avaient concentré leur effort sur Kevin Klein. Son
passé, quelque peu obscur, lui donnait le statut de suspect idéal. Ils
avaient vérifié de fond en comble la moindre piste le concernant. A
contrario, Tony n’avait rien d’intéressant pour eux. Certes, il avait fait
de brillantes études, ce qui était une belle réussite pour quelqu’un de son
milieu, mais n’avait jamais eu de problèmes avec les autorités, ni même
avec le fisc. Un cassier vierge de toute infraction, voilà leur seule vraie
trouvaille. Pourtant, depuis quelques minutes, des indices à son
encontre venaient d’apparaître. Cela restait hypothétique, mais un cumul
de petites choses commençait à peser lourd dans la balance de la
culpabilité.
Liz McCarthy se préparait pour le journal du soir, dans son bureau. En
lisant les différents articles qu’elle devait présenter, sa colère reprit le
dessus. « C’est la même merde que ce midi », pensa-t-elle. « C’en était
trop, quitte à me faire virer, autant aller jusqu’au bout ! » Georges lui
apporta un café, espérant qu’elle lui parle de ses projets, au cas
improbable où elle finisse quand même par quitter le navire. Elle
apprécia le geste de son assistant juste le temps de le gouter, et lui dire
qu’il était infect, comme d’habitude.
- Quelle est la suite des évènements ? demanda-t-il.
- Je vais passer un petit coup de fil à ce cher Anthony Alessandro,
histoire de lui secouer le cocotier. De toute façon, je n’ai plus rien à
- 255 -
perdre. Si j’ai le sentiment qu’il me cache quelque chose, je vais lui
mettre la pression pour qu’il crache le morceau, et crois-moi il va parler
l’animal, il va même chanter !
- C’est bien beau, mais le patron ne te laissera jamais aborder cette
affaire avant qu’on puisse prouver quoi que ce soit. La dernière fois qu’il
y a eu diffamation, ça nous a coûté sacrément cher, et les dirigeants ne
te le pardonneront pas.
- Rien à foutre, grogna-t-elle. De toute façon, je me barre de cette
maison. Je ne voulais pas t’en parler avant d’avoir pris ma décision, mais
j’y ai réfléchi toute la journée, c’est fini. Je pars.
- Et moi ? demanda Georges.
- Quoi, toi ? Tu es mon assistant ou pas ?
- Ben… oui, marmonna-t-il.
- Tu viens avec moi, quelle question !
- Euh ! J’ai peut-être le droit de donner mon avis.
- Ah d’accord ! Tu veux me lâcher toi aussi…
- Mais non, ça n’est pas ce que j’ai voulu dire.
- Alors quoi ? Qu’est-ce que tu veux Georges ? lui demanda-t-elle en le
fixant d’une manière qui finit presque par le mettre mal à l’aise.
- Ça paye mieux ? lança-t-il avec désinvolture.
- Je te reconnais bien là. Ça payera plus, beaucoup plus… enfin pour
moi, ajouta-t-elle un sourire en coin. Bon, en attendant, laisse-moi
tranquille cinq minutes, j’ai ce coup de fil à passer.
CHAPITRE 59
Sur le chemin qui les emmenait à la NASA, Sarah décida d’appeler
Kevin.
- Est-ce que vous savez où est Tony ? lui demanda-t-elle de but en
blanc.
- Oui, enfin je pense qu’il doit être en train de revenir ici, pourquoi ?
- Nous avons quelques questions à lui poser.
Kevin resta silencieux quelques secondes, essayant de comprendre
pourquoi le FBI avait soudainement besoin d’interroger son jeune
collègue. Les agents gouvernementaux étaient des êtres à part, versatiles
au possible. Un jour, vous êtes le suspect numéro un, le lendemain c’est
votre voisin ! Il risqua tout de même une question.
- 256 -
- Vous pensez qu’il a quelque chose à voir avec tout ça ?
- Nous devons éclaircir quelques points, rien de bien méchant,
répondit-elle pour noyer le poisson.
- Je peux le contacter pour lui dire de venir à votre rencontre, si vous
voulez…
- Non, ce ne sera pas la peine, nous arrivons à la NASA dans quelques
minutes.
- Très bien. Est-ce que je peux vous être utile pour autre chose ?
- Pas pour le moment. Je passerais vous voir tout à l’heure, ajouta-t-elle
dans un murmure. Au revoir.
Elle raccrocha et remis son téléphone portable dans une poche de sa
veste. Elle se doutait que Don avait parfaitement compris ce qui se
tramait entre eux. Concentré sur sa conduite, il conserva le silence, ce
qui lui sembla encore plus étrange. Habituellement, il n’était pas en reste
pour la titiller sur sa vie privée, sur le fait qu’il ne l’avait jamais vu
entretenir une relation stable avec quelqu’un. Leur métier n’arrangeait
rien, mais il connaissait bon nombre de collègues qui alliaient vie
professionnelle et privée sans trop de problèmes. En réalité, Don
n’avait rien écouté de la conversation de sa partenaire. Il naviguait en
pilotage automatique. Une partie de son esprit conduisait la voiture,
mais ses pensées étaient bien ailleurs. Il se remémorait la première fois
qu’il avait vu Tony. Leur première rencontre avec les informaticiens de
la NASA lui avait donné une drôle d’impression. Tony était affable,
peut-être un peu trop d’ailleurs, alors que Kevin avait été d’une froideur
absolue. « Méfie-toi des apparences », une phrase qu’il avait entendue à
maintes reprises lorsqu’il n’était qu’un jeune agent débutant. Son
mentor de l’époque, un policier chevronné en passe de prendre sa
retraite, lui avait appris toutes les ficelles du métier. Pourtant, il s’était
fait avoir comme un bleu dans cette histoire. Kevin Klein étant le
suspect parfait, et ils avaient tous focalisé leur attention sur lui en
oubliant le b.a.-ba du parfait agent fédéral : tout vérifier, ne rien laisser
de côté.
Ils arrivèrent au poste de garde de la NASA. L’entrée des visiteurs était
submergée de véhicules en tout genre. Ça allait des cars scolaires qui
venaient faire suivre aux plus jeunes une mission spatiale de l’intérieur,
aux touristes triés sur le volet en passant par les différents invités de
marque de tout horizon. L’entrée du personnel n’était pas en reste non
- 257 -
plus. Le décollage ayant eu lieu une poignée de minutes plus tôt, les
techniciens qui s’étaient rendus sur le site de lancement revenaient à leur
poste. Parmi eux, Tony attendait son tour pour passer la barrière de
sécurité. Au volant de sa Corvette décapotée, il écoutait de la musique,
les cheveux au vent et les lunettes de soleil sur le nez. Cette saison était
sa préférée, avant la canicule estivale, la température restait agréable,
chaude, mais souvent agrémentée d’une légère brise rafraîchissante. La
mer donnait de belles vagues qui ravissaient les surfeurs de la région,
incroyablement matinaux pour en profiter pleinement. Tony faisait
partie d’un groupe qui avait des habitudes établies. Ils se retrouvaient
vers six heures tous les matins, surfaient pendant une heure, une heure
trente avant d’attaquer leur journée de travail. Il faisait cela chaque fois
que la météo le permettait. À cette époque de l’année, la houle restait
raisonnable, mais bien suffisante pour pouvoir surfer sereinement. Il
songeait surtout à l’après-midi particulièrement exaltant qu’il venait de
vivre, à sa rencontre avec les astronautes qui avaient quitté le plancher
des vaches quelques instants auparavant, à sa planche de surf qu’il
devait farter en rentrant dans la soirée pour profiter d’une nouvelle
matinée de glisse, et un tas d’autres petites choses lorsque son téléphone
portable sonna. Il regarda l’écran qui affichait un appel inconnu. Il
décrocha tout de même, pensant que ça pouvait être important. La
discussion tourna très vite vers des propos relativement désagréables et
il finit par raccrocher sans demander son reste. Cette fouineuse de
journaliste allait lui apporter des ennuis. Il regretta amèrement de l’avoir
trouvé à son goût lors de sa première entrevue.
Au moment où il s’apprêtait à jeter son portable sur le siège passager,
un second appel l’arrêta dans son élan. Cette fois-ci, il s’agissait de son
chef.
- Oui patron ?
- Tony, où es-tu ?
- J’arrive, je suis en train de passer le poste de garde. Pourquoi ?
- Rien de spécial… Je viens d’avoir le FBI, ils désirent te poser quelques
questions. Il faudrait que tu ailles au bureau du directeur lorsque tu seras
là. Ils t’y attendront.
- Le FBI ? Mais… qu’est-ce qu’ils me veulent ? demanda-t-il subitement
inquiet.
- Je ne sais pas, l’agent Spader ne m’a rien dit de particulier. Je suppose
que c’est un interrogatoire de routine. Rien de bien méchant j’imagine.
- 258 -
- OK, j’arrive, finit-il par conclure avec difficulté.
Soudainement, les pensées de Tony prirent une tournure tout autre. Il
n’était plus question de planche de surf, de plage ni de bikini, la réalité le
rattrapait à vitesse grand V. Était-il possible que le FBI ait trouvé
quelque chose le reliant à toute cette histoire ? Il voulait croire le
contraire, mais un doute commençait à s’insinuer dans son esprit. Il
coupa la musique d’un geste nerveux pour réfléchir à la situation. Il ôta
ses lunettes de soleil, se regarda longuement dans le rétroviseur
intérieur, mais ne vit rien d’autre que sa propre décomposition. C’était
impossible, il n’avait rien laissé qui puisse le rapprocher de toute cette
affaire. Soudain, il aperçut un véhicule familier dans la colonne des
visiteurs, une dizaine de voitures derrière lui. En se retournant sur son
siège pour en avoir le cœur net, il remarqua Don en pleine discussion
avec Sarah. Son pouls se stoppa net durant une seconde, il se remit en
position de conduite pour mieux se cacher des agents du FBI. Il scruta à
nouveau dans son rétroviseur et vit parfaitement Don regarder dans sa
direction. D’un geste de la main, il montrait son véhicule à Sarah qui
s’était penchée pour mieux l’observer. La panique l’envahit
soudainement. Il enclencha la première vitesse et au lieu d’avancer
doucement pour enfin passer le poste de garde, braqua sur la droite en
faisant crisser les pneus. Il fit demi-tour et croisa les deux agents
gouvernementaux sans les regarder. Son démarrage brutal ayant attiré
l’attention de tous, Don comprit aussitôt que l’informaticien s’enfuyait.
Il essaya à son tour de déboîter de la colonne de voitures pour lui filer le
train. Il mit le gyrophare et la sirène en route pour alerter les véhicules
devant et derrière lui qu’il allait sortir de la file. Quelques secondes
s’égrainèrent avant qu’il réussisse sa manœuvre. Lorsqu’il s’extirpa enfin
de son emplacement, Tony était déjà au croisement de la route une
cinquantaine de mètres plus loin. Il partait sur la gauche en direction de
la plage. Don jeta un regard à Sarah qui se cramponnait tant bien que
mal. Ils n’eurent pas besoin de dire un seul mot pour savoir ce que
l’autre ressentait. Leurs expériences leur avaient appris qu’un suspect qui
tente de fuir une arrestation, même de routine, n’est plus suspect très
longtemps. Aucun être de bonne foi n’ayant rien à se reprocher ne
s’enfuit devant les autorités. « Lorsqu’on est innocent, il est rare que la
machine à broyer judiciaire s’empare de vous, même si les bavures
restent inévitables ». Une pensée que les deux agents voulaient croire.
- 259 -
Tony n’avait aucun plan en tête, il fuyait sans réellement savoir
pourquoi. Son instinct avait pris le pas sur sa raison et il avait détalé à
toutes jambes. À cet instant, il fut heureux de son acquisition récente,
une magnifique Corvette C6 cabriolet. Sa puissance allait être un atout
indéniable. Roulant à grande vitesse sur l’autoroute, zigzaguant entre les
véhicules, il finit par reprendre ses esprits. Maintenant que la poursuite
était engagée, il n’avait plus la possibilité de faire machine arrière. Les
explications qu’il faudrait livrer auraient un son de cloche bien
incriminable. Cependant, son échappée était une alternative illusoire. Au
moment où Don lui avait emboîté le pas en comprenant de quoi il
retournait, Sarah avait saisi son téléphone portable pour donner l’alerte
aux différents services de police de la ville. Une dizaine de véhicules
allait bientôt être à ses trousses. Avec une bonne centaine de mètres de
retard, Don ne chômait pas au volant. Il s’agitait comme un diable en
cage, engueulant avec rage les automobilistes qui le gênaient, klaxonnant
de plus belle. Malgré les sirènes, certains chauffeurs habitués à ce genre
de rodéo sauvage ne changeaient rien à leur conduite, bloquant les
agents du gouvernement dans leur lancée. Don aurait voulu avoir un
lance-missile pour les expulser sur Mars. Sa fureur était telle qu’il en
devenait dangereux pour sa coéquipière qui s’accrochait tant bien que
mal à son siège. Ballottée de tout côté, Sarah n’arrivait même plus à
parler au téléphone. Elle désirait guider les forces de l’ordre venant à
leur rescousse, mais son portable ne cessait de lui claquer la joue au
moindre changement de direction de la voiture. Après quelques
secondes, elle abandonna cette idée, réussit comme elle put à le basculer
en main libre, et cria ses instructions pour couvrir les bruits ambiants.
Tony continuait à prendre de la distance. Sur l’autoroute, le pied au
plancher, il était impossible à rejoindre. Il essayait de réfléchir à la
meilleure façon de disparaître, mais n’y parvenait pas. Sa concentration
était entièrement axée sur sa conduite. Pourtant, à un moment il se
laissa distraire par un car scolaire. Le vieux bus jaune ramenait des
enfants à leur domicile, après la journée de classe. Lorsqu’il arriva à vive
allure derrière ce véhicule monstrueusement lent, il faillit s’encastrer
sous les essieux arrière. Un semi-remorque sur la gauche l’empêcha de
doubler. Il freina aussi fort que possible, ce qui fit crisser ses pneus dans
un effroyable vacarme apocalyptique. La plupart des bambins, assis à
l’arrière de l’autocar, se retournèrent pour dévisager le chauffard. Avec
- 260 -
des gestes explicites, un des garnements lui fit comprendre qu’il était
complètement cinglé de rouler à une telle allure, ce qui déclencha
l’hilarité chez ses petits camarades qui se moquèrent en cœur du pilote
du dimanche. Tony reprit ses esprits et réussit enfin à doubler le
pachyderme polluant, en subissant les railleries des têtes blondes.
Cet évènement permit à Don de gagner un peu de terrain. Plusieurs
véhicules de police l’avaient rejoint. Ce n’était plus une, mais cinq ou six
voitures qui étaient désormais à la poursuite de la Corvette.
CHAPITRE 60
Quelques heures plus tôt à la NASA, le centre de contrôle avait connu
une effervescence inhabituelle. Les évènements qui s’étaient déroulés les
jours précédents avaient engendré un doute dans l’esprit de tous. Les
différents travaux avaient tous été effectués dans les règles, contrôlés et
testés à plusieurs reprises, mais ce virus improbable avait semé
l’incertitude sur bien des points. Le directeur du programme spatial
avait tenté de rassurer la population à force d’arguments et de
persuasion, mais l’opinion publique étant difficile à réconforter, son
action avait eu un effet quelque peu mitigé. Dans cette optique de
catastrophe potentielle, l’affluence aux abords de la zone de lancement
avait connu un nouveau record. Une foule incalculable s’était amassée
pour voir décoller la navette. Les demandes de visite du centre avaient
explosé cette dernière semaine.
Loin de toute cette agitation, Kevin continuait sa lecture dans son
bureau. Il allait de surprise en déception. Chaque fois qu’il pensait
trouver un document important, contenant des informations précises
sur le phénomène, Durand ne donnait aucune explication. Il s’était
rendu maître dans l’art de décrire un fait sans en dévoiler les tenants et
aboutissants. Il fut ramené à la réalité lorsque son téléphone portable
sonna. Sarah tentait de le contacter entre deux virages pris à grande
vitesse.
- Où êtes-vous ? demanda-t-il surpris d’entendre un tel vacarme
ambiant.
- Avez-vous appelé Tony il y a quelques minutes ?
- 261 -
- Euh ! Oui, pourquoi ?
- Et que lui avez-vous dit exactement ?
- Pas grand-chose, répondit-il après une courte réflexion. Il m’a
seulement précisé qu’il arrivait, alors je lui ai demandé d’aller voir le
directeur pour vous rencontrer.
- Votre petit protégé s’est fait la malle, reprit-elle comme un reproche.
Je ne sais pas ce qui lui a pris, mais il est parti comme une furie en nous
apercevant.
- Ça n’est pas possible… Pas mon Tony !
Kevin n’en revenait pas. La seule et unique raison qu’il entrevoyait pour
justifier son comportement était on ne peut plus claire à ses yeux : Tony
était coupable !!! Son collègue et ami, qu’il connaissait depuis plus de
trois ans, avec qui il avait d’excellentes relations, avait en réalité une
double vie. Il espionnait la NASA sous son nez. La colère commença à
l’envahir, malgré une pointe de scepticisme.
- Qu'est-ce qui s’est passé, exactement ? finit-il par demander à Sarah.
- Je n’en sais rien. Lorsqu’il nous a vus, il a déguerpi sans explication.
Nous sommes actuellement à sa poursuite et venons de quitter
l’autoroute. Vous ne savez pas où il pourrait bien essayer de se
réfugier ?
- Il y a une minute, je vous aurais dit qu’il devait sûrement être à la
plage, ou chez lui, mais maintenant j’avoue ne plus savoir… Je n’arrive
pas à y croire, finit-il par ajouter.
- Écouter, continua Sarah, il serait peut-être bon de revérifier son travail
ou même d’annuler la mission, étant donné l’état actuel des choses.
Nous n’avons aucune idée des dégâts potentiels qu’il a pu provoquer.
- Ça n’est pas si facile que ça. Beaucoup de gens ont travaillé dur cette
dernière semaine pour que tout se passe bien. Alors sans preuve
indiscutable de sabotage, je ne vois pas comment je peux demander une
telle chose.
- J’en suis parfaitement consciente, lança Sarah quelque peu contrariée
par cette remarque, mais comprenez que dans le doute, vous devez au
moins en parler à votre directeur. Après, il pourra prendre sa décision
en ayant toutes les cartes en main.
Kevin regarda l’heure, il ne restait qu’une trentaine de minutes avant
que la navette arrive à proximité de la station spatiale et entreprenne sa
véritable mission. À ce moment précis, il reçut un signal d’appel lui
indiquant qu’un autre interlocuteur tentait de le joindre.
- 262 -
- Je vois ce que je peux faire, ajouta-t-il, et je vous tiens au courant.
Il bascula sur sa deuxième ligne en appuyant sur un bouton de son
téléphone.
- Ici Richardson ! J’ai fini de fabriquer votre filtre depuis un moment.
- Ah, Monsieur Richardson, reprit Kevin sur un air enjoué pour contrer
la froideur de son collègue. C’est une excellente nouvelle ! J’arrive tout
de suite.
Dick Richardson raccrocha sèchement, sans autre forme de politesse.
L’homme n’avait certes pas de temps à perdre, mais était surtout affublé
d’un caractère d’une rudesse incroyable. Kevin se demanda par quoi
commencer : aller voir le directeur Johnson ou récupérer le filtre que ce
bon vieux Dick lui avait fabriqué. Il décida en son âme et conscience
que les allégations du FBI, malgré toutes leurs bonnes volontés, étaient
bien maigres. Seulement, il ne pouvait pas les occulter complètement.
La navette poursuivait sa route s’en encombre, mais il ne fallait rien
négliger. Comme il devait passer devant le centre de contrôle pour se
rendre au bureau de Dick Richardson, il en profiterait pour en toucher
deux mots à son supérieur.
Quelques instants plus tard, il trouva Jack Johnson en pleine
conversation avec un groupe d’ingénieurs. Le directeur le héla pour qu’il
se joigne à eux. Le conflit semblait animé, certains des individus
présents émettaient la possibilité que les instruments informatiques de la
navette soient défectueux, alors que d’autres ne démordaient pas du fait
que toutes les vérifications d’usage avaient été effectuées avec le plus
grand soin.
- Quel est votre avis, Kevin ? lui demanda le directeur.
Il n’avait pas assisté au début des discussions et ne savait pas vraiment
de quoi ils étaient en train de parler. Aussi, le groupe eut droit à une
phrase digne d’un politicien : « Je ne sais rien, mais je vous dirais tout ! »
- En ce qui concerne ce problème précis, commença-t-il, si les tests de
conformités ont été effectués et vérifiés avec succès, il n’y a aucune
raison de s’alarmer. Les systèmes sont calibrés toutes les semaines. À
moins d’une défaillance humaine, il ne faut pas paniquer messieurs
inutilement.
Des avis divergents se firent entendre de plus belle. Les « et si… » et
« oui, mais… » fusèrent de toutes parts. Kevin fit un signe à son
supérieur pour lui demander de s’écarter du groupe.
- 263 -
- Monsieur le Directeur, je viens d’avoir le FBI il y a quelques secondes
et je pense que nous avons un problème plus important que des
capteurs électroniques mal réglés. Il semble que Tony ne soit pas aussi
honnête qu’il a bien voulu nous le faire croire, bien que nous n’ayons
aucune preuve à cette heure précise.
- Comment ça ?
- Les agents Spader et Dalton devaient l’interroger. Je ne sais pas ce qui
lui a pris, mais lorsque je lui ai demandé de se rendre à votre bureau
dans ce but, il s’est enfui. Le FBI est à ses trousses en ce moment
même.
- Vous ont-ils déclaré quoique ce soit qui remettrait en cause son
travail ?
- Justement non, c’est bien pour ça que j’émets de sérieux doutes sur
leur jugement. Je connais Tony depuis trois ans, et je ne peux pas
imaginer qu’il soit mêlé à toute cette affaire.
- Et que voulait le FBI au juste ? demanda finalement le directeur.
- Rien de moins que de reporter la mission.
Jack Johnson prit un moment de réflexion avant d’entériner sa
décision : « Sans preuve concrète, on continue comme ça ». Kevin
s’excusa, car il avait promis à Richardson de passer récupérer l’appareil
qu’il avait construit. Comme il désirait être de retour en salle de contrôle
avant l’arrimage de la navette, il devait faire vite.
Le bureau de l’antipathique Dick Richardson était de l’autre côté du
bâtiment, ce qui obligea Kevin à accélérer le pas. L’avantage d’être dans
un service comme le sien est qu’il avait un accès illimité partout dans le
complexe. La plupart des gens travaillant à la NASA étaient restreints à
leur zone d’activité, mais pas Kevin. Il devait pouvoir se rendre
n’importe où en cas de problème, à toute heure de jour comme de nuit.
Il coupa à travers des laboratoires sécurisés pour gagner du temps, et
déboucha tout prêt de la salle de conférence. Il se retrouva nez à nez
avec un groupe scolaire guidé par la chargée des relations publiques. En
le voyant, la femme l’interpella.
- Les enfants, je voudrais vous présenter l’homme qui s’occupe de toute
notre informatique.
Pris entre deux feux, Kevin salua les têtes blondes. Aussitôt, les
remarques fusèrent de la part d’un petit garnement plus déluré que ces
copains.
- 264 -
- Ouaih, ben… chez moi aussi j’ai un PC. C’est facile comme truc, il n’y
a rien à faire, ça marche tout seul ces machins-là !
- C’est un peu plus compliqué qu’un ordinateur familial, répondit Kevin
dans l’hilarité générale. Je suis désolé, mais je n’ai pas le temps de vous
parler pour le moment. Si vous le voulez, je repasse vous voir plus tard,
d’accord ?
- Oh ! Oui, lança leur guide touristique du jour. Les enfants, ça serait
génial si Monsieur Klein nous expliquait comment fonctionne le
système informatique.
Les réponses furent mitigées, l’enthousiasme de certains d’entre eux
était masqué par la fatigue de ceux qui ne désiraient plus qu’un bon
goûter pour se remettre d’aplomb. Kevin promit de revenir leur parler
puis repartit de plus belle.
En arrivant devant le laboratoire de Richardson, il le trouva dans la
même position qu’à sa première rencontre. À croire que l’homme
n’avait pas bougé d’un pouce depuis plus d’une heure. Il s’excusa
machinalement, même s’il n’avait aucun compte à lui rendre. L’appareil
était juste à côté de lui ; une plaque électronique garnie de composants
de formes et tailles différentes, reliés entre eux par des fils de cuivre de
couleurs et longueurs diverses. L’ensemble était un paradoxe ambulant.
Les composants étaient tous bien alignés et harmonieusement rangés
tandis que du côté soudure se présentait une véritable forêt de fils
électrique.
- C’est là, dit simplement Dick en montrant l’appareil à sa droite.
- Merci d’avoir fait si vite, répondit Kevin en prenant le petit module.
Subitement, Dick lui saisit le bras pour l’empêcher de récupérer son
engin, ce qui surprit Kevin.
- Je peux savoir à quoi ça va vous servir ? demanda-t-il sans pour autant
bouger la tête.
- Je peux vous expliquer plus tard, j’aimerais être présent en salle de
contrôle pour l’arrimage de la navette qui doit avoir lieu dans quelques
minutes.
- Je pense que je mérite au moins une petite explication, continua Dick
toujours aussi froidement.
- Très bien. Vous avez entendu parler des problèmes de sécurité
informatique qu’on a subits depuis une semaine ? Des virus pour être
plus précis. Et bien, j’ai été détaché au service du FBI durant trois jours
- 265 -
pour les aider. Et pour être bref, disons que nous avons trouvé le
schéma de cet engin chez l’un des pirates potentiels.
- Et le FBI n’a aucune idée de sa fonction, pas vrai ? demanda
judicieusement Dick.
- L’homme qui l’a conçu est mort pendant son arrestation.
- Ah !!! hurla Dick Richardson en laissant tomber ses outils sur son
bureau. Encore une preuve flagrante de leur incompétence. Je tire et
après j’interroge ! Une sacrée devise, tu ne trouve pas camarade ?
- Euh, oui, peut-être, bafouilla Kevin qui ne savait plus trop sur quel
pied danser. Bon, je suis désolé, mais il faut vraiment que j’y aille. Je suis
déjà très en retard.
- Tu ne seras jamais au centre de contrôle en moins de… trois minutes,
camarade ! ajouta-t-il en regardant sa montre. Viens avec moi !
« Ca y est, nous sommes copain comme cochon » pensa Kevin. Il saisit
l’appareil, le mit dans sa poche et suivit son guide. Après avoir verrouillé
la porte de son laboratoire, Dick prit à droite alors que l’informaticien
voulait aller à gauche.
- Par là, camarade !
- Le centre de contrôle est de ce côté, reprit Kevin.
- Par là, je te dis. C’est plus rapide.
Lorsqu’il vit que Kevin était doublement sceptique, il lui fit un signe de
tête montrant l’autre côté, comme il l’aurait fait avec son chien pour
qu’il le suive. Il ne manquait plus qu’il claque de la langue pour combler
le tableau.
Résigné, Kevin se laissa guider par l’ingénieur. Ils prirent à droite,
longeant un long couloir avant de s’arrêter devant une porte à serrure
codée. Dick inséra sa carte magnétique, et tapa le code d’accès. Le
passage donnait sur une vaste pièce, sorte de laboratoire d’assemblage
d’avion. Les lumières se déclenchèrent dès leur entrée dans l’entrepôt.
Dick, plutôt fier de son œuvre, fit entrer Kevin en lui annonçant qu’il
pénétrait dans son fief. Il lui désigna un petit véhicule garé sur le côté, le
style voiturette de golf.
- Vous voulez prendre cet engin ? demanda Kevin. Mais on n’y sera
jamais à temps avec cette carriole. Ça n’avance à rien ces trucs-là !
- Monte, camarade et accroche-toi.
Ils s’installèrent. Dick saisit une télécommande qui traînait près du siège
et appuya sur un bouton. Une lourde porte coulissa sur le mur d’en
face, laissant entrer les rayons de soleil. Il démarra le véhicule. Le bruit
- 266 -
électrique du moteur ronronna. Il accéléra gentiment dans un premier
temps pour sortir du bâtiment et se retrouver sur le parking extérieur. Il
appuya à nouveau sur sa télécommande, les lumières du hangar
s’éteignirent et la porte coulissante se referma. Il désigna à Kevin la
barre de maintien juste devant lui.
- Je te conseille de t’accrocher des deux mains !
Kevin obtempéra malgré ses doutes légitimes. Les voiturettes mises à
disposition dans le complexe de la NASA n’avaient rien
d’extraordinaire. Elles servaient principalement pour les déplacements
des V.I.P et autres hautes personnalités du centre. Toutefois, pour des
raisons de sécurité, leur vitesse était fortement limitée et ne dépassait
pas la petite foulée d’entrainement d’un sportif. Pourtant, lorsque Dick
redémarra, Kevin eut l’impression de recevoir un coup de pied au cul
tellement l’accélération fut fulgurante. Les mains crispées sur la barre
métallique, les bras tendus au maximum, il ne comprit pas ce qui lui
arrivait. Le véhicule n’avait pas de compteur kilométrique, mais la
sensation ressentie lui faisait penser qu’ils avaient atteint les cent
kilomètres à l’heure en une poignée de secondes. Les yeux exorbités, il
jeta un regard vers Dick qui arborait un sourire jusqu’aux oreilles. Le
parking était long et peu fréquenté à cette heure de l’après-midi, mais il
dut effectuer deux ou trois coups de volant pour éviter quelques
obstacles. La voiturette tenait exceptionnellement bien la route pour un
tel engin ; une sorte de karting à la sauce Richardson. Kevin crut mourir
lorsqu’au bout de l’allée, il fallut tourner à droite. Dick ne ralentit qu’au
dernier moment, un coup de frein puissant qui le fit presque décoller de
son siège. Il stoppa son bolide quelques mètres plus loin, au niveau de
l’entrée réservée au personnel.
Kevin descendit avec difficulté, le teint verdâtre, avec une envie de
vomir qui lui remontait à la gorge. Dick regarda sa montre et annonça
triomphalement :
- Une minute et quinze secondes d’avance ! Alors qu’est-ce qu’on dit,
camarade ?
- Merci, grommela Kevin qui commençait sérieusement à en avoir
marre de son nouveau copain de chambrée qui se croyait revenu à la
grande époque russe, au temps de la guerre froide, en lui lançant du
« camarade » à longueur de phrases. Mais qu’est-ce que c’est que cet
engin ? finit-il par lui demander.
- 267 -
- Oh, ça ! Une petite modification maison. Toutefois, ne crois pas que
cette voiture est à usage libre. Ce modèle est ma propriété exclusive. J’ai
monté un moteur de mon invention, changé les pneus, les suspensions,
le système de freinage et j’en passe. Un vrai bolide, n’est-ce pas
camarade ? Si seulement j’avais les moyens de breveter cette beauté, je
deviendrais riche comme Crésus !
- C’est un véritable engin de mort, répondit-il en tentant de reprendre
des couleurs. Merci encore pour la balade, mais je dois y aller.
CHAPITRE 61
Kevin glissa son badge devant le capteur de la porte d’entrée qui se
déverrouilla. Il se dirigea tant bien que mal vers le centre de contrôle.
Au moment où il franchissait le passage, son téléphone portable sonna.
Son arrivée ne passa pas inaperçue. L’allure maladive ne l’ayant pas
encore quittée, il décrocha rapidement pour ne pas gêner ses collègues.
Il planait dans l’air une tension palpable. Les écrans géants montraient la
navette en approche finale, avec en surimpression un compteur de
temps affichant moins d’une minute.
- Alors, demanda Sarah. Est-ce que vous avez réussi à stopper la
mission ?
- J’ai transmis vos indications à mon directeur. Il a pris sa décision. Tant
que nous n’avons pas de preuve concrète de sabotage, la mission suit
son cours.
Sarah coupa la communication sans autre forme de procès, ce qui
surprit d’autant plus Kevin. Elle ne lui avait jamais raccroché au nez de
la sorte. Une pointe de colère lui transperça le cœur, suivit une montée
d’adrénaline qui lui redonna un coup de fouet. Son rodéo avec
Richardson était définitivement digéré. Il avait même réussi à conserver
son déjeuner, son estomac ayant tenu le choc. Il vit le directeur lui faire
un signe. L’afficheur indiquait désormais une trentaine de secondes.
Kevin alla à ses côtés tout en scrutant le décompte sans en louper une
seconde. Les caméras embarquées montraient différentes vues de la
station, affublée d’un insecte métallique géant qui tentait de s’en
approcher. Le décollage, l’arrimage et l’atterrissage étaient les trois
points stratégiques d’une telle mission. Chacun de ses instants pouvait
mal tourner à la moindre erreur. La tension était palpable sur Terre
- 268 -
comme à bord de la navette. Malgré les nombreux calculateurs et
systèmes informatisés qui géraient ses étapes, un grain de sable au
mauvais endroit pouvait s’avérer catastrophique.
- Contact ! Pressurisation du sas ! Arrimage réussi !
À l’écoute de ses quelques mots, les applaudissements laissèrent place à
une ambiance studieuse au centre de contrôle. Les techniciens suivaient
attentivement l’avancement de la mission. Des dizaines de chiffres
défilaient sur les écrans, renseignant sur l’état de la navette. Rien à
signaler. Tout se déroulait comme prévu. Le directeur Johnson, après
avoir discuté avec quelques contrôleurs, quitta la salle en faisant un clin
d’œil à Kevin. Sa décision s’avérait judicieuse jusqu’à présent.
Quelques minutes plus tôt, sur les routes en bordure de plage, un
étrange cortège circulait à vive allure. Tony en tête du cortège, suivi des
agents Spader et Dalton, ainsi que trois autres véhicules de police. Les
circonstances étaient exceptionnelles, car en temps normal, le cher Tony
aurait eu une bonne quinzaine de voitures à ses trousses, associées à des
hélicoptères de chaînes de télévision qui adoraient retransmettre en
direct ce genre d’épopée. Cependant, la NASA attirait toute l’attention
en cette fin d’après-midi. Tous les agents de sécurité de la ville avaient
été affectés à des missions d’encadrement du public nombreux venu
voir l’évènement. Les médias diffusaient également les images de la
station, dans le but inavoué de filmer une catastrophe qui leur aurait
donné du grain à moudre pendant plusieurs jours. Tony se retrouvait
relégué au trois ou quatrième rang de l’information non-stop. Une
gentille course poursuite, qui au final n’avait rien de bien excitant pour
le spectateur. Il avait d’ailleurs ralenti son allure, ne sachant pas trop
comment se sortir de ce pétrin. Don avait réussi à rattraper son retard, il
avait même été tenté de lui tamponner l’arrière du véhicule pour
l’obliger à s’arrêter, mais Sarah avait eu raison de son impatience. Le
fugitif avait fortement diminué sa vitesse depuis le départ de la NASA.
Il semblait désormais vouloir les balader au lieu d’essayer de s’enfuir. Au
moment où la fusée s’arrima, Tony eut un déclic en entendant les
nouvelles à la radio. Sa fuite était une erreur, il n’avait aucune chance de
s’en sortir indemne s’il continuait sur cette voie. En plus, il n’avait rien
fait de grave à proprement parler. C’était cette emmerdeuse de
journaliste qui l’avait fait douter. Si elle avait déballé ses soi-disant
preuves au FBI, il devenait le coupable idéal jusqu’à ce qu’il puisse
- 269 -
prouver sa bonne foi. Mais l’opinion publique avait vite fait de
transformer un individu arrêté pour interrogatoire en un criminel
convaincu. La justice expéditive du peuple dans toute sa splendeur. Il
prit la première sortie et fit demi-tour. Cette fois-ci, il se mit à rouler à la
vitesse réglementaire, ce qui surprit Don qui ne s’y attendait pas. Il faillit
lui rentrer dedans, mais s’écarta au dernier moment. Arrivée à sa
hauteur, Sarah le fixa longuement avant de lui faire signe de se garer.
Tony, concentré sur sa conduite, continuait son petit bonhomme de
chemin comme si de rien n’était. Il avait décidé de retourner à la NASA
où il pourrait expliquer son geste, et se défendre plus facilement que
dans une salle d’interrogatoire du FBI. Cependant, Don plus qu’irrité
par son comportement finit par le dépasser et stopper sa voiture juste
devant lui. Avec les autres policiers qui lui collaient au train, il n’avait
plus aucune possibilité de fuite. Tony obtempéra, même s’il détestait
l’idée de laisser sa Corvette en pleine rue.
Sarah se jeta hors du véhicule et braqua son arme sur le pauvre Tony,
qui leva aussitôt les bras en signe de capitulation.
- Couper le contact, cria-t-elle.
Il s’exécuta pendant que Don prenait position en couverture, à l’arrière
droit de la Corvette. Une main sur la crosse de son pistolet, il était prêt à
dégainer et faire feu au moindre geste suspect. Tony finit par descendre
de voiture. Sarah l’empoigna à deux mains, puis lui passa les menottes.
Elle lui indiqua ses droits comme le voulait la procédure, puis le jeta
dans leur véhicule. Don était plutôt satisfait de la tournure des
évènements. Cette fois-ci, il n’y avait pas eu de mort, ni même de blessé,
juste quelques tôles froissées pour certains conducteurs qui avaient eu le
malheur de les croiser.
- Fini la rigolade, mon bonhomme ! lança Don en redémarrant.
Maintenant, il va falloir nous fournir quelques explications.
Tony ne répondit rien. Il avait vu bon nombre de films policiers pour
savoir qu’il était en droit de demander un avocat avant de dire quoi que
ce soit. Sarah appela son patron, pour lui faire part des nouvelles. Elle
lui indiqua qu’ils seraient au bureau quelques minutes plus tard. Même si
rien n’était encore joué, Francis Fitzgerald souffla de soulagement,
sentant enfin le vent tourner en leur faveur. Il en profita pour contacter
son ami Jack Johnson et faire un point sur les évènements qui venaient
de se passer. Toujours aussi perplexe, le directeur de la NASA demanda
- 270 -
s’il pouvait assister à l’interrogatoire. Il reçut un refus poli pour des
raisons de légalité. Il lui donna quand même la possibilité de suivre les
hostilités depuis l’extérieur de la salle, à titre exceptionnel.
Kevin fut mis au courant de la situation de son jeune collègue.
L’incompréhension était bien réelle pour lui. Il avait une grande
considération pour Tony, sa moralité, son travail et même sa façon de
vivre qui n’avait rien à voir avec la sienne. Il ne pouvait pas croire une
seconde qu’il y soit pour quelque chose. Ne comprenant pas comment
le virus avait été réalisé, il imaginait difficilement Tony développer un
code qu’il considérait comme de la véritable science-fiction. Le mieux
qu’il pouvait faire à cet instant était de replonger dans les fichiers de
Durand pour tenter de découvrir une information le disculpant une
bonne fois pour toutes. Kevin retourna à son bureau avec la ferme
intention de faire la lumière sur toute cette affaire. Plongé dans ses
pensées, il passa devant la salle de conférence sans s’en rendre compte.
Une voix haute perchée le héla !
- Monsieur Klein ! Monsieur Klein !
« Misère de misère » se dit-il, j’avais complètement oublié ce groupe de
gamins.
- Excusez-moi, mais je ne peux pas vous consacrer plus de temps
aujourd’hui. J’ai des choses urgentes qui ne peuvent vraiment pas
attendre.
- Oh ! C’est dommage, reprit la chargée des relations publiques. Les
enfants vont être déçus de ne pas pouvoir vous parler.
- De toute façon, je n’ai rien de bien intéressant à leur raconter, ajouta-til.
- Tant pis, ça sera pour une prochaine fois.
Soudain, des braillements surgirent de la salle. Un garnement turbulent
lui lançait des vannes, le traitant de poule mouillée ayant un boulot des
plus nuls, ce qui fit rigoler ses camarades de classe.
- Vous voyez, renchérit Kevin tout bas, vos monstres en culottes
courtes se moquent complètement de ceux qu’ils vont rencontrer. Vous
devriez les emmener visiter le laboratoire de monsieur Richardson. Il y a
plein de choses intéressantes là-bas.
- Ah bon ! Je croyais que son laboratoire était interdit au public… Vous
savez, les secrets industriels !
- 271 -
- Ne vous en faites pas, il sera ravi de discuter avec ces chères têtes
blondes, lança Kevin qui était plutôt fier d’avoir trouvé un moyen de lui
rendre la monnaie de sa pièce.
- Merci pour le conseil, Monsieur Klein. Au revoir.
Kevin salua toute la troupe, même l’insupportable chenapan, puis
retourna à son bureau.
CHAPITRE 62
En arrivant au bureau du FBI, Tony passa directement dans la salle
d’interrogatoire ! Deux agents l’escortèrent sans ménagement
particulier. Il fallait battre le fer tant qu’il était chaud. Après une telle
épopée, Tony devait être dans un état de stress avancé, ce qui pouvait
faciliter les choses pour les enquêteurs. La tactique adoptée pour ce jeu
de questions-réponses allait être identique à celle qu’ils employaient
habituellement. Don lancerait les débats en jouant au méchant flic, ce
qui ne le gênait absolument pas. Sarah prendrait le relais en fonction de
la tournure des évènements. En temps normal, ils auraient laissé mijoter
le suspect pendant deux ou trois heures. Seulement la mission spatiale
entrant dans sa phase critique, il fallait impérativement qu’ils découvrent
si les astronautes étaient en danger. Don pénétra dans la salle comme
une furie, en fermant la porte bruyamment, puis il vint s’asseoir en face
d’un Tony plutôt détendu en fin de compte.
- Pourquoi vous êtes-vous enfui en nous voyant tout à l'heure ?
Tony regarda l’agent droit dans les yeux, sans rien répondre.
- OK, monsieur veut jouer les caïds ! Alors, voilà comment ça se passe
en règle générale. Je pose une question, vous répondez. Si vous
répondez juste, vous avez encore une chance de vous en sortir sans trop
de dégâts. Si vous préférez garder le silence, cela sera considéré comme
d’une obstruction à une enquête fédérale et sera ajouté aux chefs
d’inculpation. Je répète donc la question : pourquoi vous êtes-vous
enfui ?
- Je veux voir mon avocat, finit-il par répliquer.
- Écoute, mon gars, lança Don en se rapprochant à quelques
centimètres du visage de Tony. Si tu ne veux pas coopérer, c’est ton
droit. Dans ton intérêt, je te conseille fortement de répondre à mes
questions avant que ça n’aille plus loin. Si tu veux attendre ton avocat,
- 272 -
pas de problème. Je t’emmène visiter nos cellules pendant quarante-huit
heures, avec tous les drogués, les violeurs et autres racailles qu’on
ramasse à longueur de journée. Je suis sûr que tu vas te faire plein de
copains avec ta tronche de playboy. C’est toi qui vois !
Don fit une pause lorsqu'il constata que son opposant était sujet à une
intense réflexion. Il sortit de la pièce pour rejoindre Sarah qui avait
observé la scène derrière le miroir sans tain. Il la dévisagea d’un air
renfrogné, comme pour l’interroger sur la meilleure façon d’ouvrir les
hostilités. Sans quitter Tony du regard, elle lui annonça la stratégie
qu’elle emploierait.
- Regarde-le, il est en train de peser le pour et le contre. Il ne faut
surtout pas le braquer, mais plutôt miser sur son intelligence. Dès qu’on
aura trouvé la faille, il va tout nous déballer. Essaye de lui parler de ses
parents, reprit-elle après quelques secondes. D’après son dossier, il est
resté très proche d’eux. Ce sont de braves personnes et je suis sûre que
la déception qu’il risque de leur affliger sera pire que sa propre
désillusion.
Don laissa Tony encore quelques instants, seul face à son destin. Il
attendait qu’on lui apporte les documents relatifs à l’affaire. Le classeur
était suffisamment épais pour impressionner n’importe quel voleur à la
petite semaine. Même si les neuf dixièmes n’avaient aucune relation
avec le client en question, ça suffisait pour affecter les plus fragiles et
leur mettre une pression supplémentaire. Don entra dans la pièce et
posa son fardeau avec douceur sur la table. Il s’assied, commença à lire
les premières pages sans regarder le moins du monde Tony. Il savait que
ce genre de numéro avait peu de chance de fonctionner, mais avait un
impact notoire sur n’importe quel suspect. Il agrémentait sa lecture de
petits sons révélateurs, montrant que tout ce qu’il voyait n’était pas bon,
pas bon du tout. Sarah entra à son tour, mais resta en retrait près de la
porte. Les bras croisés, elle attendait que Don lance les hostilités, ce
qu’il fit après avoir refermé le dossier qu’il lisait. Son ton était redevenu
plus courtois.
- Au vu des documents qu’on a à votre encontre, je pense que vous
avez tout intérêt à coopérer. Après il sera trop tard. Alors, si on
recommençait par le début. Comment peut-on éradiquer le virus ?
Don avait repris le vouvoiement, histoire de déstabiliser son client.
Même s’il avait envie de lui faire cracher le morceau, il tentait la stratégie
de Sarah.
- 273 -
- Je n’en sais rien, finit-il par répondre d’une voix éteinte.
- Y a-t-il un moyen de l’éliminer ?
- Je n’en sais absolument rien, répondit Tony d’une façon beaucoup
plus claire cette fois-ci. Pour vous éviter de perdre du temps, je vous
affirme que je n’ai rien à voir avec toute cette histoire.
- Attendez, reprit Don. Vous croyez vraiment qu’on vous a arrêté pour
le plaisir ! Nous avons réuni une multitude de preuves vous reliant à
cette affaire. Alors, ne venez pas nous jouer le coup du brave citoyen
qui est blanc comme neige. Pour la dernière fois, avez-vous oui ou non
participé de près ou de loin à la conception de ce virus ?
- Je vous le répète également une ultime fois, je n’ai rien à voir avec ça.
Comment dois-je vous le dire pour que vous compreniez ?
Sarah, qui avait senti le vent tourner, s’était approchée de Don et lui
posa une main sur l’épaule pour intervenir.
- Je pense que nous ne sommes pas partis du bon pied. On va reprendre
les choses calmement, ajouta-t-elle en direction de Don qui bouillait
intérieurement.
Elle savait que sa patience avait des limites extrêmement vite atteintes.
Même si son statut de fonctionnaire de l’État ne lui permettait aucun
débordement, il pouvait être très intimidant lorsqu’il était énervé, ce que
Sarah voulait éviter à tout prix. Si Tony se renfermait sur lui-même, ils
n’en sortiraient rien. L’affaire serait mort-née.
- Comment avez-vous connu Henri Durand ? lâcha-t-elle sans
préambule.
- Qui ? demanda Tony surpris par la question.
- Henri Durand ? À moins que vous le connaissiez sous le nom
d’Harold Hutchinson ?
- Harold ??? Pourquoi me parlez-vous de lui ? répliqua Tony de plus en
plus intrigué.
- C’est nous qui posons les questions, coupa Don. Alors, répondez à
l’agent Spader s’il vous plait.
- Je le connais depuis que je suis gamin.
- Mais encore… renchérit Sarah.
Tony souffla pour évacuer toutes les tensions qui le tiraillaient. « Autant
être honnête sur ce point-là » pensa-t-il.
- 274 -
- Lorsque j’étais enfant, mes parents ont trouvé un boulot de concierge
et homme à tout faire dans un de ces quartiers pour personnes
fortunées. C’était à la mode en ce temps-là. Mon père s’occupait de
l’entretien des espaces verts, du bricolage pour les résidents, enfin tout
ce qu’il y avait à faire. Ma mère était chargée de la garderie entre autres
choses. C’est comme ça que j’ai connu Éléonore Hutchinson, la fille
d’Harold. Je devais avoir cinq ou six ans à l’époque. Au fil du temps,
Éléonore est devenue ma meilleure amie. Lorsque nous avons été un
peu plus âgés, on passait toutes nos fins d’après-midi chez ses parents
ou les miens. Je voyais son père seulement les week-ends, parce qu’il
travaillait énormément en semaine. Comme nous ne partions pas en
vacances, madame Hutchinson m’avait invité plusieurs fois à aller
camper avec eux. Ils étaient ma deuxième famille en quelque sorte.
Éléonore étant fille unique, j’étais un peu son grand frère d’adoption.
- C’est à cette période-là que vous avez commencé à vous intéresser à
l’informatique ? demanda Sarah pour aiguiller la discussion sur le sujet
brûlant.
- Vous auriez dû voir ça, lança Tony, c’était incroyable. Harold avait
aménagé dans leur maison une sorte de caverne d’Ali Baba
informatique. Il y avait un coin spécialement pour nous. Il nous
rapportait des prototypes de consoles de jeux que nous devions tester
pour lui, et un tas d’autres gadgets. Je crois que ce fut une des périodes
les plus heureuses de ma vie, finit-il par dire dans un regret.
- Et que s’est-il passé ensuite ?
- Un terrible accident, murmura Tony. Elles sont mortes toutes les
deux, Éléonore et sa mère. Harold n’a plus jamais été le même. Après
l’enterrement, il avait bien essayé de recommencer à travailler, mais
n’avait plus le goût de vivre. Quelques semaines plus tard, il a quitté la
ville et je ne l’ai pas revu pendant près de dix ans. Je crois qu’il était
reparti en Europe pour se ressourcer. La première fois que j’ai de
nouveau entendu parler de lui, je commençais mes études supérieures.
J’avais réussi à obtenir une bourse financée par une fondation privée
que je ne connaissais pas. Après quelques recherches, j’ai découvert qu’il
en était le président. Je suppose qu’il l’a su, car il m’a appelé quelques
jours plus tard pour me féliciter. Nous nous sommes rencontrés à
plusieurs reprises durant cette période, lorsqu’il venait en conférence
dans la région. En fait, sa fondation s’était chargée de tout, du
financement au problème bien plus matériel comme de me trouver un
- 275 -
logement, me décrocher des stages… etc. À un moment, tout cela m’a
fait un peu peur. J’avais l’impression d’être acheté, mais Harold m’a
toujours rassuré. Il me répétait qu’il me considérait comme le fils qu’il
n’avait jamais eu, et qu’il faisait tout ça en mémoire de sa fille.
- Après avoir fini vos études, est-ce que c’est lui qui vous a poussé vers
la NASA ? demanda Sarah.
- Oui et non. Sa fondation avait réussi à me trouver un stage au centre
spatial, la première année où ils se sont occupés de moi. Le courant est
bien passé avec les différentes personnes que j’ai côtoyées. Du coup, j’y
suis retourné régulièrement. Lorsque j’ai eu mon diplôme en poche, je
n’ai même pas eu à chercher un emploi, ma place m’attendait depuis
longtemps.
- C’est très joli tout ça, remarqua Don qui commençait à s’impatienter,
mais ça n’explique rien ! Ça n’explique surtout pas comment vous vous
êtes retrouvé dans ce merdier !
- Pendant une année, tout était idyllique, reprit-il sans faire attention à la
remarque de Don. Le boulot était génial, l’ambiance plutôt bonne,
même si je vous accorde que Kevin Klein a tendance à être un peu
lourd de temps en temps, ajouta-t-il en mimant les guillemets pour
appuyer sa dernière réflexion. Et puis, tout a changé le jour où j’ai voulu
aider mon cousin à se réinsérer. Je pense que je devais culpabiliser vis-àvis de sa famille. J’avais eu une chance incroyable avec cette fondation.
Ils m’avaient soutenu sans rien demander en retour. Mauricio n’a pu
compter que sur lui-même pour s’en sortir, avec pour seul résultat la
prison. Je l’ai pistonné auprès d’Harold pour qu’il lui trouve un emploi,
ce qu’il a fait sans poser de question. Ça n’est que quelques mois plus
tard que j’ai commencé à comprendre ce qui s’y faisait réellement. Il est
venu me voir à plusieurs reprises pour solliciter mon aide. Au départ,
c’était totalement anodin, des petits boulots sans grand intérêt. Je lui
servais de chauffeur la plupart du temps. Mais un jour, il y a eu un
imprévu. Je l’attendais tranquillement dans la voiture lorsqu’il est arrivé
en courant, en criant qu’il fallait partir sur-le-champ. J’ai tout de suite
compris qu’il ne plaisantait pas quand j’ai vu deux vigiles accourir l’arme
au poing. Nous avons déguerpi sans demander notre reste. Après avoir
harcelé mon cousin de questions, il a fini par m’avouer que son travail
pour la fondation n’était pas ce que je croyais. Après avoir fait ses
preuves, il était très vite devenu l’homme de l’ombre, à qui l’on confiait
les missions les plus discutables.
- 276 -
- De quel genre ? demanda Don.
- Il n’est pas rentré dans les détails, et pour être honnête, je ne voulais
pas en savoir davantage. Après ça, il a compris qu’il était hors de
question que je renouvelle ce genre d’opération. Et puis j’ai été rattrapé
par cette journaliste qui a essayé de me faire du chantage. Au début, je
l’ai envoyé balader, mais aujourd’hui elle m’a montré des photos qui
peuvent prêter à confusion, même si je suis certain qu’elles sont
truquées. Je ne sais pas comment elle a réussi à dénicher ces clichés,
mais on me voit avec Mauricio dans des endroits où nous n’aurions pas
dû nous trouver. Et le hasard faisant parfois mal les choses, pour
chaque photo datée il y a une plainte pour vol de documents ou
d’objets. J’étais coincé, même si je suis persuadé que ce ne sont que de
vulgaires montages numériques. Quand Kevin m’a appelé tout à l’heure
en me disant que vous vouliez m’interroger, j’ai paniqué !
- Pour un homme dans votre position au sein de la NASA, je trouve
que vous perdez votre sang-froid bien rapidement, ajouta Sarah.
Cependant, cela n’est pas le problème le plus préoccupant à l’heure
actuelle. Si vous nous racontiez ce que vous savez sur le virus.
- Comme je vous l’ai déjà dit, rien… enfin presque rien. Harold m’en a
parlé il y a une semaine. Il avait constaté qu’un nouveau type de virus
était en train de s’implanter sur le réseau américain. Avec Kevin, on
venait tout juste de le découvrir sur nos machines. Je n’y ai pas prêté
attention sur le coup, mais quelque chose ne collait pas. Après avoir
effectué quelques recherches, on a vite compris qu’on avait affaire à
quelque chose d’incroyablement complexe. J’en ai beaucoup parlé avec
Harold, on s’est échangé de nombreux emails, on comparait nos
résultats pour réussir à cibler le problème et trouver un moyen de
l’éradiquer. Depuis quelques jours, je n’ai plus aucune nouvelle de lui.
- Est-ce que vous l’avez vu lorsqu’il est venu donner une conférence
aux États-Unis il y a quelques jours ? demanda Sarah.
- Euh ! Non, répondit-il surpris. Je ne savais même pas qu’il avait un
voyage de prévu de ce côté de l’Atlantique. C’est bizarre parce
qu’habituellement, il passe me saluer chaque fois qu’il est aux ÉtatsUnis.
- Une dernière chose, continua Don, notre système de surveillance a
enregistré une intrusion dans notre laboratoire avant-hier. Notre visiteur
ignorait que nous avions mis en place un jeu de caméras parallèle à
l’existant, bluffa-t-il. Avez-vous des révélations à nous faire à ce sujet ?
- 277 -
- Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire, grogna Tony qui se sentait
réellement menacé pour la première fois. Vous voulez me mettre toutes
les misères du monde sur le dos ? Je ne vois absolument pas de quoi
vous parlez.
Don regarda Sarah du coin de l’œil. Soit le jeune homme était sincère,
soit il avait flairé l’embrouille et s’en était admirablement bien sorti. Le
doute était entier et partagé par les deux agents fédéraux. Le coup du
système de surveillance fantôme marchait pourtant à chaque fois. Le
suspect se sentant pris au piège finissait par avouer la totalité de ses
fautes.
CHAPITRE 63
Kevin était de retour dans son bureau, à nouveau plongé dans les
différents documents qu’Harold Hutchinson, alias Henri Durand avait
laissés derrière lui. Avant de se lancer dans l’expérimentation du petit
appareil que Ronald Richardson lui avait fabriqué, il voulait être sûr de
ne rien négliger. Il suivait d’un œil distrait tout ce qui se passait au
centre de contrôle, histoire de se tenir au courant en cas de problème.
En toute fin d’après-midi, les visiteurs d’un jour étant repartis, la NASA
retrouvait son train-train quotidien. Kevin décida qu’il était temps de
faire parler la science. Il avait conservé un disque dur contenant le virus,
pour un moment comme celui-ci. Il alluma deux ordinateurs puis
s’assura qu’ils étaient parfaitement sains. L’heure de vérité avait sonné.
Est-ce que Henri Durand avait trouvé un moyen d’éradiquer le virus ou
simplement de le brider, Kevin allait enfin le savoir. Après une ultime
vérification, il brancha le média de stockage infecté sur la première
machine. Son outil de dépistage signala immédiatement la propagation
du virus sur le disque intégré à l’appareil. Il réalisa le même test sur le
deuxième ordinateur en s’assurant que le module fabriqué par
Richardson servait d’interface entre les deux. Ce qui semblait
inconcevable se déroula sous ses yeux ébahis : le boîtier offrait un
bouclier d’une efficacité redoutable. Kevin poussa un cri de victoire et
s’étala de tout son poids sur son siège. Même s’il n’en était pas l’auteur,
il était particulièrement heureux de ce petit exploit. Son cerveau se mit
immédiatement en action pour comprendre comment cela pouvait
fonctionner. Il imaginait déjà les hypothèses les plus farfelues
- 278 -
lorsqu’une pensée lui traversa l’esprit : « Et si l’appareil de Durand ne
faisait que ralentir la propagation du virus ! » Un frisson le parcourut de
la tête au pied. Avant de crier victoire, il devait être sûr de s’assurer
d’avoir réalisé tous les contrôles possibles et inimaginables. Il reprit la
batterie de tests qu’il avait mise en place lors de la découverte du virus,
pour en arriver à une conclusion définitivement positive sur l’efficacité
de l’appareil de Durand. L’homme n’était pas simplement un surdoué
en informatique, il brillait également en électronique. Kevin en eut
presque le souffle coupé. À cet instant, il regretta amèrement de ne pas
l’avoir connu.
Le début de soirée approchait à grands pas. Kevin était entièrement
plongé dans ses expérimentations, lorsque son téléphone sonna. À cette
heure avancée de la journée, le standard téléphonique étant fermé, il
réalisa que ce ne pouvait être qu’une ligne directe. Il décrocha dans
l’espoir secret qu’un certain agent féminin du FBI l’appelle, même si
leur dernière conversation avait été assez tendue.
- Allo !
- Bonsoir, dit la femme au bout du fil. Je souhaiterais parler à monsieur
Alessandro ou monsieur Klein s’il vous plait.
- Ici Kevin Klein, que puis-je faire pour vous ?
- Ah ! Monsieur Klein, depuis le temps que j’essaye de vous contacter.
Je suis le professeur Brandenberger, la biologiste à qui vous avez
demandé un coup de main pour une histoire de virus.
- Oui, je me souviens maintenant, mentit Kevin qui ne se rappelait
absolument pas cette personne.
- Votre collègue, Monsieur Alessandro, m’avait demandé de jeter un œil
sur le décryptage d’un code. Je ne sais pas où vous en êtes à ce sujet,
mais je pense avoir trouvé quelque chose qui risque de vous intéresser !
- Nous avons bien avancé, répondit Kevin qui avait enfin retrouvé la
mémoire. Plusieurs points restent encore à éclaircir, car c’est une affaire
beaucoup plus complexe que ce que l’on imaginait…
- Il faut qu’on se voie, le coupa Barbara Brandenberger. Je ne peux pas
vous présenter mes découvertes au téléphone, ça n’aurait aucun sens.
Kevin fut intrigué par sa correspondante. Après ce qu’il venait de
découvrir quelques minutes plus tôt, qu’est ce qu’une biologiste pouvait
- 279 -
bien avoir trouvé de si extraordinaire ? Sa curiosité fut plus forte que le
reste.
- Quand êtes-vous disponible ? lui demanda-t-il.
- Je ne peux pas me libérer les jours qui viennent bien que j’apprécierai
de pouvoir profiter de votre soleil. Par contre, nous pourrions organiser
une vidéoconférence si ça vous convient.
- Demain en fin de matinée si vous voulez, finit-il par répondre après
avoir consulté son planning de la semaine. Je m’arrange pour avoir la
salle de réunion à disposition et vous recontacte pour les détails
techniques.
- Parfait, on fait ainsi ! ajouta-t-elle en lui souhaitant le bonsoir.
Ce petit intermède lui fit prendre conscience qu’il n’avait pas eu de
nouvelle de Tony depuis le milieu d’après-midi. Après l’appel de Sarah,
il s’était douté que quelque chose n’avait pas tourné favorablement en sa
faveur. Il tenta de le contacter sur son téléphone portable, mais tomba
sur sa messagerie. Tout cela ne lui disait rien qui vaille. Il retenterait le
coup un peu plus tard dans la soirée, histoire de se rassurer.
Dans les bureaux du FBI, Tony était resté dans la salle d’interrogatoire
depuis son arrestation. Sarah et Don avaient fait une pause pour digérer
les informations qu’il venait de leur donner, mais avant tout pour faire
les vérifications d’usage avant d’enchaîner sur une deuxième salve de
questions. Ils demeuraient perplexes quant à sa culpabilité. Don
commençait à douter qu’il soit impliqué dans toute cette histoire. La
façon dont il avait réagi lorsqu’il lui avait annoncé qu’il détenait des
vidéos montrant l’individu ayant détruit des pièces à conviction dans
leurs bureaux, avait été bien trop spontanée pour être préméditée. Tony
Alessandro était trop jeune, trop naïf pour avoir évité ce genre de piège,
il en était intimement persuadé. Après tout, ce n’était qu’un gamin qui
s’était laissé embarquer dans des histoires louches par un cousin
débrouillard, qui avait su tirer sur le fil de la fraternité. Sarah désirait
tout de même éclaircir les derniers points d’ombre qui planait sur cette
affaire. Ils retournèrent en salle d’interrogatoire où Tony les attendait,
les mains sur le visage en désespoir de cause.
- Nous avons encore deux ou trois points à clarifier, dit Sarah en
refermant la porte derrière elle.
- 280 -
Elle prit place en face de Tony, qui était à nouveau pleinement attentif.
Don s’était posté en retrait, au fond de la pièce, l’œil rivé sur le futur exsuspect.
- Vous nous avez parlé tout à l’heure de services que vous rendiez à
votre cousin. Que faisiez-vous exactement ?
- J’étais son chauffeur, ni plus ni moins. Il a eu quelques difficultés à
récupérer son permis de conduire, alors je lui filais un coup de main de
temps à autre.
- Mais que faisiez-vous concrètement ?
- Comme je viens de vous le dire, je passais le chercher à son boulot ou
chez lui, ça dépendait de l’heure. Ensuite, je le conduisais où il désirait
aller. Il faisait sa petite affaire et on rentrait chez nous.
- Et vous ne l’avez jamais accompagné sur ces lieux de rendez-vous ?
- Non, d’ailleurs il ne me l’a jamais demandé. Et puis, vu la façon dont
ça s’est terminé la dernière fois, je suppose qu’il fallait mieux que je ne
sois au courant de rien.
- Justement, pouvez-vous nous dire ce qui s’est passé ?
- Tout roulait comme d’habitude. J’attendais dans la voiture depuis dix
ou quinze minutes lorsque je l’ai vu revenir en courant. Il m’a dit de
mettre les voiles aussi vite que possible. En faisant demi-tour, j’ai aperçu
dans mes rétroviseurs des vigiles accourir dans notre direction. C’est à
ce moment-là que j’ai su qu’il se passait quelque chose d’anormal. On
s’est arrêté quelques kilomètres plus tard et je l’ai harcelé pour qu’il
m’avoue ce qu’il faisait. Après quelques explications qui ne m’ont
absolument pas convaincu, je l’ai raccompagné chez lui en lui faisant
comprendre qu’il fallait qu’il se débrouille tout seul désormais.
- Et qu’est-ce qu’il vous a raconté pour justifier ses actes ? demanda
Don soudainement intrigué.
- Pas grand-chose au final. Il m’a dit qu’il faisait des livraisons pour le
compte de sa fondation. Parfois, c’était de simple invitation à une
conférence qui devait être remise en main propre, parfois il avait un
colis à déposer, ou à récupérer.
- Et comment a-t-il expliqué cette histoire avec les vigiles ?
- Ce jour-là, il devait remettre un paquet au responsable informatique
d’une société de vente de matériels. Il semblerait que son contact n’ait
pas apprécié la livraison et lui a envoyé le service de sécurité aux fesses.
- 281 -
Don grogna dans son coin, l’explication plus que fumeuse dudit
Mauricio n’était absolument pas crédible, même son cousin ne l’avait
pas encaissé.
- Une dernière chose, ajouta Sarah. Comme Henri Durand était le
président de cette fondation, je suppose qu’il vous en avait parlé, peutêtre avait-il même essayé de vous engager ?
- En fait, avant que je ne sois recruté à la NASA, la fondation n’avait
pas encore la réputation et le financement qu’elle a aujourd’hui. Tout a
changé il y a deux ans. Évidemment, Harold m’en a parlé à plusieurs
reprises, mais je m’étais impliqué dans mon boulot corps et âme et ne
voulais pas m’éparpiller. Harold l’avait parfaitement compris d’ailleurs et
n’a jamais insisté sur ce point.
Sarah se laissa quelques secondes de réflexion, reprit son dossier et
quitta la pièce. Don avait déjà son opinion depuis quelques minutes. Il
allait suivre sa collègue lorsque Tony tenta une question.
- Et maintenant, qu’est-ce qui va se passer ? Je peux partir ?
- Oh ! Mais bien évidemment, répondit Don sur un ton enjoué. Vous
allez pouvoir visiter notre prison, sans passer par la case départ et sans
toucher les vingt mille francs.
- Mais pourquoi ? Je n’ai rien à voir avec cette affaire de virus, je n’ai
rien fait de mal.
- On se laisse encore un peu de temps pour en juger. Toutefois, une
chose est sûre, dans votre précipitation tout à l’heure vous n’avez
certainement pas fait d’excès de vitesse, ni mis en danger la vie d’autrui
avec votre conduite plus que sportive, ni réalisé de délit de fuite…
- Mince, je n’avais pas pensé à ça, murmura Tony dans son coin.
- Profiter de l’hospitalité légendaire du FBI, lança Don. Ce soir et
probablement cette nuit aussi, vous êtes notre invité !
Sarah retourna à son bureau avec un sentiment d’échec. L’histoire que
Tony leur avait racontée ne lui avait pas apporté les réponses qu’elle
attendait. Certes, l’enquête avançait petit à petit, mais rien ne le reliait
véritablement à cette attaque terroriste informatique. Au mieux, il avait
éventuellement participé à un trafic d’influence, mais ceci restait à
prouver. Il était temps d’approfondir les investigations sur ce fameux
cousin. Don la retrouva quelques instants plus tard en pleine réflexion.
- Tu sais que ton pote Kevin a laissé un message sur le portable de son
collègue tout à l’heure. Il a l’air d’être inquiet pour son petit protégé.
- 282 -
Kevin !!! Sarah l’avait complètement oublié. Elle se sentit soudainement
gênée par la façon dont elle avait coupé la communication durant le
rodéo sur les autoroutes de la ville. Il fallait qu’elle s’excuse pour cette
injustice, mais désirait un peu d’intimité pour le faire. Elle se dirigea vers
les toilettes qui étaient désertes à cette heure avancée de la soirée et
décida de se confesser.
- Allo, Kevin. Je suis vraiment désolée pour tout à l’heure. Nous étions
en pleine poursuite et mon téléphone est tombé et a coupé la
communication. Je n’ai pas eu l'occasion de rappeler pour m’excuser
d’avoir raccroché de la sorte.
- Ce n’est rien, je comprends, dit-il. J’ai quand même cru un instant que
vous étiez en colère pour une raison que j’ignorais.
- Mon collègue m’a averti que vous aviez essayé de contacter Tony ?
- Oui, répondit Kevin ? Comment le savez-vous ?
- Pour faire court, disons qu’il a fini par se rendre. Nous venons de
l’interroger sur son éventuelle participation dans toute cette affaire, mais
je ne peux rien ajouter pour le moment. Il va passer la nuit au poste,
puis un juge fixera sa caution demain matin.
- J’en reste sans voix, reprit Kevin. Mon Tony, impliqué dans cette
histoire, c’est tellement irréel ! Je pensais bien le connaître… C’est tout
bonnement inconcevable.
- Ce sont des choses qui arrivent tous les jours, lança Sarah blasée par la
médiocrité de la nature humaine.
CHAPITRE 64
Au lever du jour suivant, rien n’avait évolué. Tony venait de passer la
pire nuit de sa vie, une nuit sans sommeil à ruminer sur les heures les
plus sombres qu’il avait eues à vivre. La façon dont toute cette histoire
prenait tournure n’avait rien d’idéal, mais sa mise en examen rapide
devait lui permettre de sortir dans la journée. Pour son fameux coup de
fil prévu par la loi, il avait contacté un avocat qu’il avait connu quelques
années auparavant. L’homme habitait dans le quartier huppé de son
enfance. Tony en avait conservé un excellent souvenir, un grand type
raide comme la justice, qui cachait très bien son jeu. Sous des allures de
dandy du barreau se dissimulait un véritable serpent au sang-froid.
Quelles que soient les charges, il savait que l’avocat réussirait sans
- 283 -
difficulté à le faire sortir contre une caution. Et pour payer la somme en
question, il ne voyait qu’une seule personne : son cousin Mauricio, aidé
par la fondation « Avenir Propre ». Il lui était redevable sur bien des
choses, même s’il l’avait un peu égratigné durant son interrogatoire.
Mais ce n’était pas nécessaire que ce dernier soit au courant.
Sarah et Don arrivèrent en début de matinée aux bureaux du FBI. Une
rude journée les attendait, une fois de plus ! Ils allaient devoir s’occuper
du cousin de Tony et étudier une nouvelle fois son dossier. Il était peutêtre le lien qui leur manquait pour comprendre les tenants et
aboutissants de toute cette affaire. Sarah aurait bien voulu garder
Antony Alessandro à disposition, mais son avocat en avait décidé
autrement. Dès les premières lueurs du jour, il avait débarqué d’on ne
sait où et avait demandé sa libération sous caution, ce qu’il avait obtenu
un peu trop facilement au goût de certains. Il était loin d’être un avocat
commis d’office sans prétention, et il avait le bras long dans la
profession.
Dans les laboratoires de la NASA, Kevin était dans un état désespérant.
Il venait de passer la nuit à travailler sur ces dernières découvertes, et
avait fini par s’endormir sur son clavier d’ordinateur. Aussi
inconfortable que pût être un bureau en bois, il avait succombé à la
fatigue malgré l’excitation des ultimes tests réalisés sur le virus. Il se
réveilla péniblement lorsque l’équipe de jour arrivait pour prendre la
relève. Il lui fallait une douche bien chaude pour se remettre d’aplomb
et un solide petit déjeuner pour entamer une journée chargée. Au lieu de
ça, il fit un brin de toilette dans la salle de bain réservée habituellement
au personnel d’entretien, et récupéra quelques vêtements propres qu’il
conservait dans un placard pour des occasions comme celles-ci. Il
s’arrêta devant la machine à café en pensant à Sarah, puis Tony, et enfin
à son nouvel ami Ronald Richardson lorsqu’il le vit traverser le parking
comme une furie sur son engin de mort. « Un sacré phénomène, celuilà » songea-t-il en se détournant de la vitre pour qu’il ne le remarque
pas. « Il va quand même falloir qu’il m’explique comment fonctionne sa
petite bombe sur roulettes ! » continua-t-il en pensée. Le bonhomme lui
avait tout de même permis de faire un bond de géant dans toute cette
affaire. Tous les tests qu’il avait effectués avec l’appareil de Durand
s’étaient avérés concluants. Kevin en était arrivé à la conclusion que
- 284 -
l’engin empêchait la propagation du virus sans néanmoins le supprimer.
Il ne comprenait pas encore son fonctionnement, mais c’était une
avancée déterminante pour la suite des évènements.
Lorsque son avocat pénétra dans les bureaux du FBI, Tony ne
s’attendait pas à rencontrer une telle personne. Son vieil ami n’ayant pas
pu se libérer, il lui avait envoyé une jeune recrue de son cabinet. Jessica
Jones-Smith arriva en milieu de matinée. Vêtue d’un tailleur noir très
chic se mariant à merveille avec ses escarpins, elle affichait, pour le
travail, un chignon strict cachant ses longs cheveux couleur de jais. Son
allure très coincée en apparence laissait place à un tempérament de feu.
Malgré son jeune âge, Jessica avait remporté plusieurs affaires
retentissantes, ce qui lui avait valu les honneurs de la presse, et à
postériori un emploi dans un des meilleurs cabinets d’avocats de la ville.
Lorsqu’elle eut son entretien avec Tony, la première chose qu’elle
remarqua fut son apparence générale. Quelque chose de magnétique
transpirait chez cet homme. Le lieu froid et impersonnel ne l’avait pas
complètement abattu. La rencontre fut tout aussi brutale pour Tony. Il
eut un premier choc en voyant cette femme se présenter comme son
avocate, puis un deuxième quand il lui serra la main. Son pouls
s’accéléra au contact de sa peau lisse et douce, dorée à souhait par le
soleil permanent dans cette partie du globe. En captant le regard de
cette charmante créature, le vert émeraude de ses pupilles l’hypnotisa
une demi-seconde. Il se concentra sur sa bouche au moment où elle se
présentait, mais ses lèvres délicatement marquées de rouge lui
donnèrent le coup de grâce. Elle l’invita à s’asseoir, ce qu’il fit sans
rechigner pour éviter que ses jambes ne défaillissent. Tony n’entendit
que d’une oreille très distraite les premières paroles de Jessica. Cette
femme avait quelque chose d’hypnotique qui venait de le mettre dans
un état second. Son esprit l’imaginait sur une plage, en bikini, les
cheveux flottant au vent… jusqu’au moment où il perçut au fin fond de
son subconscient « Monsieur Alessandro, vous m’écoutez ? »
- Oui, excusez-moi. J’ai passé une très mauvaise nuit comme vous
pouvez l’imaginer. J’ai du mal à me concentrer ! mentit-il.
- Je disais donc que votre caution a été versée ce matin, mais je dois
encore régler quelques détails avant de pouvoir vous faire sortir. Est-ce
que vous avez besoin de quelque chose en attendant ?
- Ça ira si je ne reste pas trop longtemps ici.
- 285 -
- Si le FBI ne nous met pas trop de bâtons dans les roues, ce midi vous
devriez être libre. Par contre, nous allons devoir faire un point précis
sur votre affaire.
- Aucun problème, vous savez où me trouver.
En fin de matinée, Kevin devait avoir une visioconférence avec le
professeur Brandenberger. Il avait organisé cet entretien au dernier
moment, dans la précipitation. La biologiste voulait lui montrer le
résultat de ses recherches sur le virus. Les réticences du début avaient
fait place à un réel désir d’apprendre ce que la biologiste avait bien pu
découvrir de si extraordinaire. Kevin désirait emmagasiner un maximum
d’informations, car ses expérimentations de la nuit passée lui avaient
laissé un arrière-goût d’incompréhension. Quelque chose lui échappait
et il sentait qu’il n’arriverait pas à trouver tout seul la solution. Lorsqu’il
pénétra dans la salle de conférence, l’écran mural au fond de la pièce
affichait l’image d’un laboratoire d’analyses. Au premier plan, un bureau
recouvert d’un amoncellement de papiers, livres, stylos et autres
babioles. La qualité de la vidéo n’était pas excellente, mais bien
suffisante pour ce qu’il allait en faire. Tout à coup, une femme d’une
cinquantaine d’années entra dans le champ de l’objectif. Elle s’installa
derrière son bureau. En voyant le retour d’image affichée sur son écran
d’ordinateur, elle salua son interlocuteur.
- Bonjour, je suppose que vous êtes monsieur Klein ?
- Et vous le professeur Brandenberger ?
- Je suis désolée pour cette installation archaïque, reprit Barbara, mais je
n’ai pas réussi à libérer notre salle de conférence habituelle. Il faudra
vous contenter de cette webcam pour aujourd’hui, ajouta-t-elle en
approchant un doigt qui apparut anormalement disproportionné sur
écran. Vous m’entendez bien ? demanda-t-elle en tapotant le microcravate qu’elle avait attaché à sa blouse.
- Je suis tout ouïe, répondit Kevin avec amusement. Alors, qu’avez-vous
pour moi ?
- Avant de vous présenter le résultat de mes recherches, j’aurais une
question à vous poser… Avez-vous une quelconque idée sur la
provenance de votre virus ?
- Pour être tout à fait honnête avec vous, j’ai été en contact avec le FBI
sur cette affaire et nous pensions avoir trouvé l’auteur de ce virus. Après
- 286 -
avoir effectué toute une batterie de tests depuis hier soir, je suis de plus
en plus sceptique.
La biologiste tapota sur son clavier d’ordinateur pour afficher une image
représentant une série de schémas tous plus abstraits les uns que les
autres. Elle les transféra à son correspondant grâce à son logiciel de
vidéoconférence.
- Comme je suppose que vous avez fait toutes les vérifications possibles
et inimaginables sur les données que vous m’avez envoyées, je me suis
concentrée sur mon domaine : la biologie. Le premier schéma que vous
devez voir représente une structure moléculaire d’atomes tout ce qu’il y
a de plus classique. Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais pour faire
simple, en appliquant ces données à ce genre de représentation, voilà ce
que ça pourrait donner.
Elle cliqua sur le schéma suivant représentant un agglomérat incroyable
de boules rouges, bleues et quelques blanches plus petites.
- Malgré mon expérience dans ce domaine, je peux vous certifier que ce
que vous avez à l’écran ne représente absolument rien de connu sur
Terre. En voilà un autre exemple, puis un troisième…
- OK, siffla Kevin qui ne voyait pas où cela allait l’emmener. Qu’est-ce
que je dois comprendre ? finit-il par demander.
- Ne soyez pas impatient, reprit Barbara. J’ai travaillé de longues heures
pour arriver au résultat que je vais vous présenter, alors laissez-moi le
temps de vous exposer ma démarche…
Elle réfléchit une seconde, chargea un nouveau schéma à l’écran,
marmonna une parole puis afficha finalement un tableau bicolore.
- Bon, comme vous m’avez contrariée, on va tâcher d’en finir au plus
vite.
- Non, non ! lança Kevin gêné d’avoir égratigné la sensibilité de la
biologiste. Ça n’était pas mon intention, mais vous m’excuserez d’être
parfois un peu direct, car je n’ai pas beaucoup de temps à vous
accorder. J’ai une réunion dans quelques minutes et je ne voudrais pas
être obligé de reporter à nouveau cet entretien.
- De toute façon, j’ai également beaucoup de travail. Alors, voilà où j’en
suis arrivé à la suite de multiples tests. Le seul moyen pertinent de voir
si les données que vous m’avez envoyées sont du domaine de la biologie
était de les injecter dans nos différents logiciels d’analyse. Que ce soit de
la biologie standard, biologie moléculaire, biochimie, bactériologie et
j’en passe, le résultat a été identique à chaque tentative : possible, mais
- 287 -
étrange !!! En conséquence, même si votre virus reste théoriquement
plausible, il est inconcevable qu’il s’agisse d’un élément naturel terrestre.
- Vous voulez dire qu’une fois injectées dans vos programmes, les
séquences de codes vous donnent tout de même des résultats ?
- Oui, répondit Barbara, à condition que vous soyez prêt à
révolutionner la nature elle-même. Regardez ce dernier tableau, il nous
représente un séquençage ADN. C’est en quelque sorte la carte
d’identité de tout être animal, végétal, viral ou bactérien. Pour l’homme
par exemple, cela correspond à une encyclopédie de 400000 pages de
codes. Maintenant, si je me focalise sur un brin en particulier, son
codage informatique nous montre des séquences répétitives bien
définies. C’est cela que nous appelons l’ADN.
- J’avais vu ça, répondit Kevin, sans vraiment en comprendre la raison.
Ce qui est étrange dans notre cas, c’est que nous retrouvons cinq
valeurs au lieu de quatre.
- C’est ce qui m’a posé quelques difficultés, reprit la biologiste.
Effectivement, l’ADN est codé sur quatre valeurs : A, C, G et T. Ici
nous avons les chiffres 1, 3, 5, 9, 11. Je pense que vous avez constaté
qu’il s’agit des cinq plus petits nombres premiers ?
- Tout juste ! J’ai même fait des tests pour voir s’il y avait un rapport
avec les suites mathématiques les plus connues, sans résultat, répondit
Kevin.
- Après avoir tâtonné, fait quelques approximations à cause de ce
format atypique, j’en suis arrivé à ceci.
Barbara afficha un nouveau schéma représentant des hexagones avec
des lettres à chaque sommet.
- Autant vous le dire tout de suite, ça n’a rien de commun avec ce qu’on
trouve sur Terre. Je reste toutefois fortement intriguée par l’étrange
ressemblance que l’on constate avec des organismes bactériologiques
remontant à la préhistoire. La conclusion que je tire de tout cela est que
votre virus n’en est pas un. Je pense qu’il s’agit d’une sorte de trace
informatique d’un organisme inconnu qui pourrait provenir de l’espace !
- Vous me faites marcher ? demanda Kevin avec un soupçon de
méfiance.
- Vous vouliez mon avis, je vous le donne, répondit Barbara. Avez-vous
eu un problème avec une des navettes ces jours-ci ?
- 288 -
- Je ne sais pas, bredouilla-t-il. Je ne m’occupe pas des checkups d’après
mission. On ne m’a pas sollicité pour en contrôler une en particulier.
Pourquoi cette question ?
- Une intuition. Imaginez qu’une de vos navettes rentre en contact avec
un fragment de météorite contenant un organisme bactériologique ultra
résistant. Les bactéries s’accrochent à la carlingue, et finissent par se
retrouver sur les combinaisons des astronautes, ou sur les gants d’un
technicien qui inspecte l’état du fuselage.
- Nous avons des procédures de décontamination strictes, coupa Kevin
qui comprenait où elle voulait en venir.
- Je m’en doute et ça paraît assez surréaliste qu’une telle chose puisse
arriver. Rien que l’entrée en atmosphère grille la plupart des organismes
vivants. Ce que vous avez là est peut-être le fantôme informatique d’une
entité inconnue. Imaginez un champ électrostatique ou magnétique qui
rentrerait en contact avec une de vos fusées. Des particules se déposent
sur les instruments et reviennent tranquillement sur Terre lors de
l’atterrissage. Mieux encore, continua Barbara prise sur sa lancée, un
organisme évolué composé de particules électriques est attiré par une
navette et trouve tout un réseau de câbles et d’appareils qui l’empêchent
de mourir dans l’espace intersidéral. À la place d’un tel phénomène,
vous feriez quoi ? Vous vous accrocheriez à ce qui vous permettrait de
survivre dans de meilleures conditions. C’est ce que font tous les
organismes vivants. Vous vous dénichez un petit cocon le plus douillet
possible jusqu’à ce qu’une porte s’ouvre et vous donne accès à un lieu
plus confortable.
- Vous avancez que le virus informatique auquel nous avons affaire
depuis quelques jours serait en réalité un organisme plus ou moins
électrique venu de l’espace ? Vous plaisantez, ma parole ?
- C’est la seule explication plausible que je vois, répondit la biologiste
qui se rendait compte de l’absurdité de son postulat. Ça peut vous
sembler être de la démence, mais sachez que ce genre de chose est déjà
arrivé. Nous avons récupéré à plusieurs reprises des bactéries vivantes
extra-terrestres. Par malchance, aucun spécimen n’a encore réussi à
traverser l’atmosphère sans dommage irrémédiable. D’ailleurs, une
théorie qui est partagée par plusieurs scientifiques de renom indique que
la vie sur Terre vient de l’espace. Lorsque la surface de la planète s’est
suffisamment refroidie après le big-bang initial, les premières cellules
bactériennes seraient apparues avec les multiples météorites qui se sont
- 289 -
écrasées sur le globe. Tout cela se passe sur des millions d’années, mais
toute cette soupe d’organismes se serait acclimatée aux conditions de
l’époque pour évoluer et devenir des êtres unicellulaires. Cette fois-ci,
nous sommes confrontés à quelque chose d’inédit, une sorte d’entité
électrique évoluée. Le but primaire de tout organisme est sa survie puis
sa reproduction. Imaginez tout un réseau de câblages de cuivre à
conquérir. Que feriez-vous à la place de cette chose ? Vous en
profiteriez juste qu’au nirvana absolu !
Kevin réfléchit quelques secondes pour tenter d’ingérer cette théorie
saugrenue. Il remercia la biologiste et lui promit de la recontacter s’il
avait des questions supplémentaires. En réalité, il ne savait pas quoi
penser de cette femme. Était-elle sérieuse ? Croyait-elle vraiment en ces
spéculations scientifiquement très discutables ou encore n’était-elle pas
complètement aliénée ? Il avait réellement de quoi s’interroger.
CHAPITRE 65
Élisabeth McCarthy présenta une ultime fois sa requête au rédacteur en
chef du journal. Avec le support des photos compromettant Anthony
Alessandro, elle était persuadée que son histoire tenait la route et qu’elle
obtiendrait le scoop de sa vie : à savoir l’inculpation du terroriste
présumé dans cette affaire de virus informatique. Son chef prit les deux
clichés qu’elle lui tendait, les examina longuement en vérifiant à de
multiples reprises certains détails. Après s’être collé le nez sur le papier,
il lui rejeta les feuilles d’un air dégoûté.
- Tu t’es fait berner ma vieille ! Ce sont des photomontages grossiers.
N’importe quels spécialistes te le diraient du premier coup d’œil.
- Tu te fous de moi ! Je sais que ce sont des photos de caméras de
surveillance et que la qualité n’est pas extraordinaire, mais quand
même…
- Rapporte-moi les films montrant ton gaillard en action et là, je balance
ton scoop dans les gros titres du jour.
Sur ces bonnes paroles, il quitta la journaliste qui n’en revenait toujours
pas de l’habitude négative de son patron. « Plus frileux que lui, tu
meurs », pensa-t-elle.
- 290 -
La matinée touchait à sa fin lorsque Jessica Jones-Smith arriva avec un
gardien devant la cellule de Tony. L’homme de loi ouvrit la porte et lui
fit signe de déguerpir. L’avocate l’attendait dans le couloir, le regard
absorbé par le dossier qu’elle parcourait. Tony s’approcha et lui posa la
seule question qui l’angoissait depuis quelques heures.
- Merci d’avoir fait si vite. Que va-t-il se passer maintenant ?
- Vous allez être jugé pour les faits qui vous sont reprochés dans deux
ou trois jours. Dans cette attente, je vous conseille de vous mettre au
vert.
- Vous pensez que je vais pouvoir retourner travailler ? demanda-t-il
d’un air innocent.
- Je serais étonné que votre employeur soit d’accord, du moins tant que
vous n’avez pas été pleinement acquitté, ce dont nous allons nous
occuper dès cet après-midi. Pour le moment, rentrez chez vous, prenez
une douche et reposez-vous. Nous nous retrouverons à nos bureaux
vers seize heures.
- Très bien, merci encore Madame…
- C’est Mademoiselle, mais appelez-moi Jessica, ce sera plus simple lui
répondit-elle d’un air malicieux.
- Moi, c’est Anthony ou Tony pour les intimes, reprit-il un sourire
éclatant sur le visage.
- J’écoute, annonça Kevin à son interlocuteur !
- Monsieur Klein, ici c’est le centre de contrôle. Nous faisons face à un
problème qui requiert votre présence immédiatement.
- Qu’est ce qu’il y a ? demanda Kevin d’un air renfrogné.
- Venez s’il vous plait.
L’homme raccrocha sans plus de détails. Kevin aurait probablement
traîné les pieds si la voix du chef de mission n’avait pas trahi une réelle
angoisse. Il sécurisa son laboratoire avant de le quitter, une habitude
qu’il avait gardée et qui ne le lâcherait sûrement plus. La peur
d’intrusions diverses, de piratages informatiques et bien d’autres choses
encore le hantaient depuis les années où il avait travaillé pour le
gouvernement. En arrivant au centre de contrôle, il constata une
effervescence inhabituelle. Le directeur Johnson était également dans la
place, en pleine conversation avec les différents responsables de
services. Lorsqu’il vit Kevin pénétrer dans la salle, il lui fit signe de les
rejoindre.
- 291 -
- Nous avons un problème, lui dit-il de but en blanc. Lors de la dernière
mission, nous avons détecté sur les radars une espèce de forme gazeuse
assez insolite. Cela s’est produit juste avant l’entrée de la navette en
atmosphère. Nous ne savons pas comment c’est arrivé, mais cet amas
de poussière est entré en contact avec notre fusée. Par la suite, nous
avons passé au crible l’ensemble des appareils sans rien trouver. Il y a
une dizaine de minutes environ, nos radars ont à nouveau découvert le
même phénomène.
- Permettez monsieur le directeur, le coupa le capitaine Shepard. Je
faisais partie de la mission précédente et je peux vous raconter avec
exactitude ce que nous avons vécu. Lorsque nous avons détecté la
présence de cet étrange phénomène, nous n’y avons pas prêté plus
d’attention dans un premier temps. Au bout de quelques heures, nous
avons remarqué que cette chose se rapprochait de nous à très grande
vitesse. Après un changement de cap qui devait nous éviter tout
contact, nous avons constaté avec angoisse que le phénomène nous
poursuivait littéralement, comme attiré par la chaleur de nos réacteurs
ou quelque chose dans le genre. Quand l’impact a eu lieu, je vous avoue
que j’ai bien cru ma dernière heure arrivée. Seulement, il ne s’est rien
passé.
- Comment ça ? demanda Kevin.
- C’est comme si vous étiez en avion et aviez traversé une couche
nuageuse.
- Vous voulez dire que vous avez « traversé » cet amas gazeux et fin de
l’histoire ? Vous n’avez constaté aucune réaction de quelque nature que
ce soit ?
- Il y a tout de même un détail qui peut avoir son importance dans de
telles circonstances, reprit Shepard. Nous avons eu droit à un courant
d’électricité statique qui a parcouru le tableau de bord un bref instant.
Nous avons aussitôt fait un check-up complet des systèmes, mais tout
était correct.
Un silence s’installa entre les convives, laissant à Kevin le temps
d’emmagasiner ces nouvelles informations. Les minutes étant comptées,
le directeur coupa cet instant solennel.
- Que doit-on faire cette fois-ci ?
- Je ne sais pas, répondit Shepard. La situation n’est pas tout à fait
identique pour le moment, mais j’ai vu comment cette chose réagit, et il
vaut mieux tout prévoir.
- 292 -
- Qu’est ce que vous sous-entendez ? demanda Kevin qui ne
comprenait plus ce qui se passait. Vous venez de dire que vous avez
détecté le même phénomène, et maintenant vous annoncez que c’est
différent !
- Nous avons repéré cette poche de gaz bien plus loin cette fois-ci,
répondit un responsable des transmissions arborant une allure militaire.
Nous avons une série de télescopes d’observation qui scrutent à la
loupe notre espace voisin. Mais cela n’est pas censé se savoir, avoua-t-il
à demi-mot. C’est classé « Secret Défense » et vous n’êtes pas autorisés à
en parler à l’extérieur de ces murs ! Durant la mission du capitaine
Shepard, ce phénomène était suffisamment proche de nous pour être
détecté par nos satellites habituels. On ne sait toujours pas d’où il
venait, mais nous pensons que c’était quelque part derrière la face
cachée de la Lune. C’est peut-être une collision d’un astéroïde avec une
planète qui a engendré cette poche gazeuse, nous ne sommes sûrs de
rien. Quoi qu'il en soit, aujourd’hui, c’est l’un de nos satellites relais en
orbite autour de Mars qui nous a renvoyé des images similaires.
- Mais autant vous le dire tout de suite, ajouta Shepard, les choses
peuvent évoluer très rapidement si nous avons à faire au même
phénomène !
À cet instant, un technicien excité appela le chef de mission. Il faisait de
grands gestes en indiquant un écran en particulier. Le groupe se dirigea
vers l’homme qui continuait de montrer une représentation spatiale des
objets présents dans notre système solaire. Le capitaine Shepard ne put
se retenir et lâcha un juron. Ça recommence...
- Regardez, fit-il à l’attention de ses collègues, ça nous fonce droit
dessus ! Il se passe exactement la même chose qu’à la dernière mission.
- C’est incroyable, ajouta le technicien surexcité, nous venons de
positionner un satellite d’observation sur cette anomalie. Les premières
analyses que nous recevons depuis quelques minutes montrent que nous
avons à faire au même phénomène.
Soudain, la « chose » disparut des écrans de contrôle. Elle s’était
volatilisée comme par magie. Les ingénieurs s’affairèrent à leurs pupitres
pour retrouver la trace de la couche gazeuse. Après quelques longues
secondes, l’un d’eux indiqua son incompréhension totale.
- Kevin ! continua le directeur, j’aimerais que vous effectuiez un checkup complet des systèmes informatiques de la navette de la précédente
- 293 -
mission. Je veux savoir ce qui s’est passé pour déterminer à quels
risques nous nous exposons.
- Très bien, répondit l’informaticien. Mais tenez-moi au courant pour
cette histoire, ajouta-t-il en montrant l’écran. Je ne peux pas vous
l’expliquer en deux mots, mais j’ai le pressentiment que tout cela est
peut-être lié avec notre affaire de virus.
Il sortit de la salle de contrôle avec une idée saugrenue en tête. Il
n’arrivait pas à imaginer qu’il pensait qu’une telle chose soit possible, et
pourtant… Après avoir pris la biologiste pour une illuminée, adepte des
petits hommes verts, sa raison se battait contre la réalité. « Et si elle
avait vu juste ? se demanda-t-il intérieurement. Si c’était une sorte de
phénomène électrique ou magnétique qui était capable de ressentir son
entourage ! Une sorte de virus que l’instinct de survie attirait
inexorablement vers la proie la plus proche ! » Plutôt que de fomenter
des théories abracadabrantes, il préféra se concentrer sur l’action à
mener : à savoir contrôler la navette de fond en comble. Il quitta les
bureaux de la NASA en voiture pour se rendre près du pas de tir, à
quelques kilomètres de là. Il faisait encore très chaud en cette fin de
matinée, et en longeant les marais de Houston, il pensa à Sarah. La radio
diffusait les vieux classiques qu’il adorait et qui lui rappelaient son
adolescence, les plus belles années de sa vie. Durant quelques minutes, il
conduisit à l’instinct, l’esprit bloqué sur les Seventies. Ce n’est que
lorsque la musique laissa la place à une publicité des plus ridicules qu’il
recentra sa concentration sur sa conduite. Il débarqua près des hangars
spécialement aménagés par la NASA pour la remise en service des
navettes. Le gardien le regarda sous toutes les coutures, ne comprenant
pas comment quelqu’un de son statut pouvait avoir un badge lui laissant
un accès total au complexe. Après une petite minute d’attente, Kevin
eut le feu vert et se dirigea vers l’entrée de l’immense bâtiment. Un
deuxième homme de surveillance vérifia la validité de ses accès avant de
lui permettre de pénétrer dans les lieux. La NASA ne plaisantait pas
avec la sécurité, ce qui le rassura malgré une pointe d’énervement
naissante !
Tony avait quitté les locaux du FBI peu avant l’heure du déjeuner. Son
avocate Jessica Jones-Smith avait fait de l’excellent travail, et elle désirait
ardemment continuer sur sa lancée en minimisant au maximum les faits
- 294 -
qu’on lui reprochait. Le lien personnel que son client entretenait avec
son chef pouvaient lui ouvrir les portes d’une éventuelle promotion au
sein du cabinet. « Sortir un ami du patron des griffes de la justice, c’est
ce qu’il y a de mieux pour ma carrière », pensa-t-elle. Tony récupéra sa
Corvette sur le parking du FBI, où un agent pas mécontent de sa prise
l’avait garée, non sans en avoir profité au passage. Il rentra chez lui avec
une seule et unique pensée en tête : retourner au travail pour expliquer
le malentendu à son patron. Il déjeuna rapidement, prit une longue
douche pour effacer les traces physiques et morales de sa nuit en cellule,
se changea en se demandant s’il devait laver ses vêtements sales ou les
détruire à jamais.
En fin d’après-midi, le retour à son poste ne se passa pas comme prévu.
Il avait eu le temps de mettre au point un discours à l’intention du
directeur Johnson et de Kevin, mais ni l’un ni l’autre n’était dans leur
bureau respectif. Tony effectua une rapide vérification des systèmes,
regarda le planning général pour voir s’il n’avait pas loupé un
évènement quelconque, puis lu ses messages. Après quelques minutes
de solitude, il eut l’étrange pressentiment qu’il se passait une chose
inhabituelle au centre. Au travers les vitres extérieures de la pièce, il
remarqua plusieurs véhicules militaires banalisés qui étaient trahis par
les plaques d’immatriculation spécifiques. La visite d’officiels de l’armée
n’était plus aussi fréquente qu’à une certaine époque, ce qui lui mit la
puce à l’oreille. Il prit le parti de jouer les touristes et se promena dans
les différents services du complexe, jusqu’à avoir des échos de ce qui se
tramait en salle de contrôle. Il pénétra dans la pièce sans se faire
remarquer, les personnes présentes étant trop occupées à gérer la crise.
Tony resta à l’écoute pendant quelques instants, scrutant les écrans en
essayant de comprendre ce qui pouvait attirer autant de hauts gradés.
Lorsque le directeur le repéra enfin, il lui fit un signe annonçant qu’il
désirait s’entretenir avec lui. Tony alla le rejoindre dans un coin plus
tranquille de la salle. Il commença par s’excuser pour leur avoir fait faux
bond depuis quelques heures, en jurant tous les Dieux que le FBI avait
commis une erreur sur son compte. Jack Johnson le regarda
longuement, pesant le pour et le contre, puis se lança :
- Je ne sais pas ce que les fédéraux vous veulent et pour l’instant ce n’est
pas important. Ce qui compte, ce sont nos hommes là-haut, dit-il en
désignant du doigt un écran montrant la trajectoire de la navette. Nous
avons une situation de crise ici, et il est hors de question que nous
- 295 -
perdions un autre équipage, pas tant que je serai aux commandes de la
NASA.
Le discours était solennel, empli de bonne volonté, mais Tony reconnut
avant tout de la peur dans sa voix. Le directeur Johnson avait jusqu’à
présent mené sa barque avec succès, il avait réussi à redorer le blason
d’un centre spatial en pleine déconfiture vis-à-vis du public. Les
missions échouant les unes après les autres, les millions de dollars
gaspillés en pure perte, avaient fini par dégouter les contribuables. Jack
Johnson avait été engagé pour endiguer cela. Il en avait eu les moyens,
et avait parfaitement rempli sa tâche. Mais un petit grain de sable
pouvait tout remettre en question. Le public pardonnait volontiers
certains échecs, mais avalait difficilement la pilule lorsqu’il fallait mettre
la main à la poche. L’argent était toujours le nerf de cette guerre.
Tony acquiesça ces bonnes paroles et demanda comment il pouvait se
rendre utile dans ces circonstances.
- Il faut que vous vous replongiez dans les enregistrements de la
dernière mission. Vérifiez toutes les données, tout ce qui pourrait nous
servir pour éviter de revivre cela. Et fait vite s’il vous plait.
- Je suis déjà parti, reprit Tony un rien espiègle.
Sarah et Don avaient de leur côté un rendez-vous improvisé avec le
fameux cousin de Tony : Mauricio Moretti. La standardiste leur avait
admis qu’il était présent dans les locaux de la fondation, au moins pour
la journée en cour. Les deux agents le trouvèrent effectivement à son
poste d’homme à tout faire, mais furent surpris de le voir en costume
trois-pièces, au lieu d’un bleu de travail. Les questions fusèrent de toutes
parts, mais Mauricio avait retenu les leçons de ses précédentes
arrestations. Il ne dirait rien sans la présence de son avocat, c’était la
règle de ses employeurs dans de pareilles circonstances et il comptait
bien l’observer. L’entretien improvisé fut tendu, mais courtois. Sarah
employa toutes les méthodes d’interrogatoire qu’elle connaissait, mais il
restait de marbre. Il répondait évasivement aux questions sans intérêt et
sortait son couplet sur sa demande d’avocat pour le reste. Les deux
agents avaient eu carte blanche de la part d’Herbert Hoover sur cette
affaire, mais le système judiciaire finirait tôt ou tard par refaire surface.
Ils ne désiraient pour rien au monde qu’un coupable présumé s’en sorte
à cause d’un vice de procédure. Le cousin ne leur apprit absolument
rien d’intéressant, et comme ils n’avaient pas suffisamment de preuves
- 296 -
pour le mettre en garde à vue, ils abdiquèrent et rentrèrent bredouilles.
Don fulminait intérieurement. Son côté « rentre-dedans » l’avait
démangé durant l’interrogatoire. Sarah avait préféré prendre le volant en
voyant l’état d’excitation de son collègue. Elle non plus n’était pas
satisfaite de l’entrevue, mais ils n’avaient pas le choix. Si Mauricio
Moretti était lié de près ou de loin à une quelconque affaire, elle
réussirait à le prouver et le coffrer.
CHAPITRE 66
Dans le hangar réservé à la maintenance des navettes, Kevin s’activait
pour finaliser ses tests. Le directeur de la NASA l’avait déjà contacté à
deux reprises depuis son arrivée sur les lieux. Le chef de mission était de
plus en plus nerveux concernant son équipage arrimé à bord de la
station orbitale internationale. Il ne savait pas comment gérer la
situation et quelles décisions prendre avec aussi peu d’éléments
concrets. Tous les satellites disponibles étaient focalisés sur le
phénomène gazeux, repéré quelques heures plus tôt. Les dernières
informations n’étaient pas rassurantes, la chose se rapprochait des
astronautes à une vitesse vertigineuse. Kevin sentit une fois de plus son
téléphone portable vibrer dans sa poche. Malheureusement pour lui, le
signal capté dans l’entrepôt n’était pas assez puissant pour être audible.
Il devait à chaque appel sortir du cockpit de la navette qu’il était en train
de contrôler, puis faire quelques pas en direction de l’ouverture la plus
proche. Ce petit cinéma commençait à l’agacer sérieusement. Dérangé
toutes les dix minutes, il n’arrivait pas à réaliser ses tests dans de bonnes
conditions. Un groupe de techniciens finissait son inspection de l’engin
avant de donner son accord pour la mission suivante. Lorsqu’ils virent
Kevin descendre de la fusée pour la énième fois, les plaisanteries
fusèrent à nouveau. À leurs yeux, il avait la parfaite attitude du mari
soumis aux ordres d’une femme ultra possessive qui désirait connaître
les moindres faits et gestes de son homme. Ses responsabilités étant
bien supérieures aux leurs, il était dans l’obligation de répondre à
chaque appel, au cas une urgence prioritaire se présenterait. Le directeur
Johnson s’excusa à demi-mot de le déranger une nouvelle fois, mais la
situation qu’il rencontrait au centre spatial exigeait une prise de décision
immédiate. Malgré les pressions exercées sur le moment, il ne pouvait
- 297 -
négliger aucune donnée susceptible d’orienter les choix qui s’offraient à
lui.
- Avez-vous fini vos tests ? demanda-t-il sur un ton nerveux.
- Il me reste plus que la console principale à vérifier, Monsieur, mais je
n’arriverais jamais à finaliser mes analyses si vous ne me laissez pas le
temps physique de les réaliser !
- Je suis désolé, mais c’est la guerre ici !!! Avez-vous trouvé quoi que ce
soit d’intéressant pour le moment ?
- Absolument rien. Comme je vous le disais il y a une demi-heure, la
navette a été décontaminée à son retour sur Terre, comme le reste des
équipements. Ensuite, les systèmes ont été purifiés en même temps que
notre réseau informatique lorsqu’on a découvert le virus. Jusqu’à
présent, tout est normal. J’en aurais terminé dans une vingtaine de
minutes.
Kevin entendit soudain un technicien l’appeler. La tête passée au travers
de la porte d’accès à la fusée, il essayait tant bien que mal d’attirer son
attention.
- Excusez-moi, Monsieur, mais il semble qu’un des techniciens veut me
dire quelque chose.
Kevin fit un signe d’interrogation en direction de l’homme en blouse
blanche.
- Il y a un gros message rouge qui clignote sur votre ordinateur.
- Ça dit quoi ?
- « Appuyer sur une touche pour finaliser l’analyse » ou un truc dans le
genre, il faut faire quoi ?
- « Devine gros malin », pensa Kevin pour lui-même. Et bien, il me
semble qu’il serait judicieux d’appuyer sur une touche mon ami, fit-il
ironiquement.
- C’est ce que j’ai fait, mais la phrase revient automatiquement.
Kevin réfléchit une seconde, visualisant mentalement le code du
programme qu’il avait écrit quelques jours plus tôt pour déterminer
dans quel cas ce message pouvait apparaître.
- C’est normal, répondit-il. La connexion à la console ne doit pas être
active. Branchez le câble réseau au petit boîtier à côté de mon portable
et réessayez à nouveau.
- OK, lança l’autre sans réelle motivation.
- 298 -
- Désolé Monsieur le Directeur, reprit Kevin. J’ai demandé un peu
d’aide aux techniciens présents sur le site, car tout seul, j’y serais encore
dans une semaine. Si seulement Tony était là, ça irait plus vite.
- Il est revenu, coupa son supérieur, mais je lui ai confié une autre tâche
à accomplir. Je ne peux pas vous l’envoyer pour l’instant. Et puis, tant
que cette affaire avec la justice n’est pas totalement réglée, je préfère
l’avoir à l’œil.
- Voyons Monsieur, c’est de Tony que nous parlons. Je ne peux pas
imaginer une seconde qu’il soit impliqué dans tout ça, d’une manière ou
d’une autre.
- Moi non plus ! renchérit Jack Johnson. Dans le doute, je ne veux
prendre aucun risque. Bon, je vous laisse terminer, mais essayez de
revenir aussi vite que possible.
Kevin raccrocha puis remonta à bord de la navette avec une pression
supplémentaire sur les épaules. Il devait finaliser son diagnostic en
quatrième vitesse, puis retourner au centre de contrôle pour aider ses
collègues à gérer la crise qui s’amorçait. Il grimpa quatre à quatre les
marches de l’escalier d’accès au cockpit, et se faufila tant bien que mal
jusqu’à la console principale contenant les équipements informatiques
les plus importants. Il avait gardé le plus compliqué pour la fin, ce qu’il
commençait à regretter vu les évènements. Il jeta un regard sur l’écran
de son ordinateur portable, le test de dépistage du virus était
pratiquement terminé. Soudain, un frisson glacial le traversa de part en
part. Il faillit sentir ses jambes se dérober sous son poids. Le technicien
avait branché la console directement à son portable, sans passer par le
boîtier de filtrage que Ronald Richardson lui avait fabriqué. Il vit un
cataclysme s’abattre sur lui en un centième de seconde. Comment avaitil pu faire une telle erreur ? Il s’entendit à nouveau dire au type de
connecter la console au boitier et non pas à son portable. Il finit par
hurler son désarroi, ne voyant pas comment se sortir de cette situation
simplement. Si le tableau de bord de la navette était infecté par le virus,
il était assuré d’avoir contaminé tout le complexe au travers de la
connexion de son ordinateur. Pour pouvoir accéder aux données
présentes sur les serveurs de la NASA, il avait été contraint de relier son
PC via un câble filaire. N’ayant pas de liaison sans fil à disposition,
c’était l’unique solution qu’il disposait. Ses multiples interruptions
téléphoniques avaient fini par lui faire oublier ce détail, au combien
insignifiant dans d’autres circonstances. Kevin retrouva son sang-froid
- 299 -
en tentant de se rassurer sur le fait que la navette avait été analysée de
fond en comble à son retour de mission, et que rien n’avait été détecté.
Mais cela n’incluait probablement pas le test de ce fichu virus qu’il avait
programmé ultérieurement. Le doute l’envahit à nouveau, il finit par
arracher de fureur le câble de connexion. Il hurla après le technicien
pour le faire venir à lui. L’homme se montra quelques secondes plus
tard en se demandant ce que Monsieur l’ingénieur en chef lui voulait
encore ! Le mépris commençait à s’afficher sur son visage lorsqu’il
arriva au poste de pilotage.
- Quoi ?
Kevin désigna le boîtier sans rien ajouter.
- Ah, c’était ça ! Il fallait le dire.
Voyant la mauvaise foi dans le regard vide de son interlocuteur,
l’informaticien finit par laisser tomber la tirade bien sentie qu’il lui
réservait, et lui annonça simplement qu’il n’aurait désormais plus besoin
de ses services. Le technicien s’en retourna sans demander son reste.
Après tout, ce n’était pas son boulot et il n’avait rien à y gagner, sinon
des ennuis supplémentaires. Une sonnerie retentit subitement, ce qui
ramena Kevin à la réalité de l’instant. Son ordinateur venait de terminer
l’analyse d’une partie des instruments de la console de bord. Le résultat
lui coupa les jambes une nouvelle fois. Son logiciel avait détecté la
présence du virus ! Kevin se laissa presque tomber au sol. Tout cela
prenait une tournure cauchemardesque. Son esprit galopait à grande
vitesse, lui montrant inconsciemment tout ce qui découlait d’une telle
erreur. Il allait avoir du travail pour plusieurs jours pour décontaminer
le réseau de cet entrepôt, puis vérifier quelles conséquences cela pouvait
avoir sur le reste des installations de la NASA. Avec un peu de chance,
le phénomène resterait local, mais son intuition lui criait le contraire. Un
profond découragement l’envahit, il se figea durant une bonne minute,
le regard dans le vide et le cerveau en pause. Les vibrations de son
téléphone portable eurent l’effet d’un électrochoc. Il regarda le cadran
d’affichage. C’était à nouveau le centre de contrôle qui l’appelait. Il
appuya sur un bouton qui bascula automatiquement l’appel sur la
messagerie. Il n’avait pas le cœur à répondre, il fallait tout d’abord qu’il
évalue les dégâts. Quelques instants plus tard, une sonnerie
caractéristique fut émise, indiquant que l’interlocuteur avait laissé un
message. Sa conscience professionnelle fut plus forte que son
découragement. Il ressortit une ultime fois de la navette pour l’écouter.
- 300 -
Tony lui faisait savoir qu’il était à nouveau dans la partie et prêt à lui
donner un coup de main, le cas échéant. « Enfin du renfort » pensa
Kevin. Il le recontacterait le moment venu. Dans un premier temps, il
devait assainir son ordinateur portable pour pouvoir recommencer ses
analyses. Il exécuta le programme miracle à partir d’un CD-ROM de sa
conception et patienta quelques instants. L’attente était insoutenable, le
pourcentage d’avancement semblait extrêmement lent, comme souvent
dans ces conditions. Kevin n’avait aucune illusion quant à la suite des
évènements, et se préparait mentalement aux actions à mener. Lorsque
l’écran afficha enfin les 100%, le résultat stupéfia une nouvelle fois
l’informaticien. Décidément, il n’avait pas affaire à un virus classique,
car le test s’avéra négatif. Il s’affaissa de tout son poids sur le siège du
pilote, complètement dépassé par la réalité des choses. Cette affaire
allait finir par lui faire perdre son latin. Tout ce qu’il savait et pensait
immuable sur le fonctionnement d’un ordinateur, sur les réseaux ou la
téléphonie, était en train de sombrer dans le néant. C’était totalement
impossible, son PC ne pouvait pas être sain. Les tests qu’il avait
effectués au début de cette affaire avaient tous montré le même résultat,
quelle que soit la manière dont ils avaient été exécutés. Dès qu’un
matériel de stockage était connecté physiquement à un autre contaminé,
la propagation était immédiate. Il pratiqua une ultime vérification avant
de remballer tout son attirail et quitter les lieux. Il sortit de la navette en
ayant un geste d’adieux aux techniciens qui le regardèrent s’en aller
comme il était venu. La collaboration avait été compliquée entre eux.
Kevin avait pourtant réalisé de gros efforts pour paraître leur égal, mais
il représentait le haut du panier à la NASA et cela suffisait pour que les
mécaniciens limitent au maximum leur aide. « Adios les débilos » pensa
Kevin qui n’était finalement pas malheureux de partir. Les hangars de
maintenance des fusées étaient des zones qu’ils n’appréciaient
décidément pas. Malgré la haute technicité des engins, cela restait un
garage à navettes où grouillaient des techniciens de tout niveau. Cette
fois-ci, Kevin avait eu droit à une belle brochette d’incompétents.
Sur le chemin du retour, il en profita pour appeler son jeune collègue.
Les explications furent brèves, car Tony se contenta de lui dire que
toute cette histoire n’était qu’une regrettable erreur judiciaire et qu’il
était innocent des faits reprochés. Kevin lui expliqua rapidement ce qu’il
venait d’observer et lui demanda des nouvelles du centre de contrôle. La
- 301 -
situation n’était pas encore critique, mais prenait une tournure qui
inquiétait tout le personnel présent. En prime, le directeur lui avait
assigné la mission de décortiquer les enregistrements du vol précédent.
Jusqu’à présent, il n’avait rien trouvé d’anormal et doutait d’obtenir un
quelconque résultat.
CHAPITRE 67
- Sarah, il faut qu’on se voie, annonça Kevin au moment où il
franchissait la barrière de sécurité de la NASA. J’ai de nouvelles
informations qui pourraient faire avancer l’enquête. Seulement avant
cela, j’ai un coup de fil à passer pour éclaircir certaines choses.
- OK, répondit-elle sans avoir le temps d’ajouter quoi que ce soit.
- Je vous rappelle tout à l’heure.
- Don ! Je viens d’avoir Kevin Klein, annonça Sarah. Il semble avoir du
nouveau sur l’affaire. En attendant, il serait peut-être bon que nous
fassions un point précis sur toute l’enquête, parce qu’elle commence à
prendre une drôle de tournure.
- J’organise ça, répondit son coéquipier.
Quelques minutes plus tard, les deux agents se regroupèrent dans la
salle de réunion, avec leur chef Francis Fitzgerald, le responsable du
dossier Herbert Hoover, et les deux techniciens de l’agence : Tom Tates
et Jerry Jones.
- Voilà ce que nous avons jusqu’à présent, commença Sarah. Il y a une
semaine, le directeur de la NASA nous demande d’enquêter sur une
contamination informatique par un virus inconnu. On se rend compte
assez rapidement que nous avons affaire à du terrorisme industriel, car
deux jours plus tard, des communiqués confirmant cette hypothèse sont
parvenus aux plus grandes agences gouvernementales. On nous
annonce un black-out total si l’État ne s’acquitte pas d’une somme
d’argent assez conséquente.
- Cette information est restée confidentielle, ajouta Don. Pour le grand
public, ça n’est qu’une histoire de terrorisme industriel.
- Dans le cas contraire, continua Sarah, la lettre indique que toutes les
infrastructures informatiques du pays vont être détruites par ce virus.
- 302 -
Elle ne nous apprend absolument rien sur leurs auteurs. Cependant,
avec l’aide de Kevin Klein, informaticien de la NASA qui a été le
premier à découvrir l’infection, nous arrivons à déterminer qu’une
poignée restreinte de pirates peuvent en être les instigateurs. En tête de
liste, un certain Harold Hutchinson, alias Henri Durand, semble être le
plus apte dans ce domaine. Une opération exceptionnelle est exécutée
conjointement entre plusieurs pays pour arrêter ces terroristes d’une
nouvelle ère. New York, Londres et Montréal n’ont rien apporté à notre
affaire. Par contre, cela nous a permis de mettre un terme à une
entreprise de piratage industriel de grande envergure. Même si cette
action n’est que temporaire, il faudra quelques mois avant que cette
faction refasse surface et retrouve son activité illégale. La quatrième
arrestation à Genève a été plus compliquée. Henri Durand, pour une
raison que nous ne connaîtrons jamais, s’est enfui lors de notre arrivée
et s’est tué dans un accident peu de temps après avoir fait exploser son
laboratoire. Malgré une importante déflagration, nous avons été en
mesure de récupérer une partie de son matériel informatique. Après une
seule journée d’analyse, l’équipement entreposé dans nos locaux a été
détruit par un saboteur, toujours inconnu à ce jour. Cependant, cette
personne ignorait que monsieur Klein, qui continuait à nous donner un
coup de pouce sur cette affaire, avait conservé le téléphone portable
d’Henri Durand. Cela nous a permis de découvrir qu’il n’était
probablement pas l’auteur de ce virus, mais avait travaillé d'arrache-pied
pour trouver le moyen de le contrôler ou l’éradiquer. Ayant tous ces
atouts en main, il est envisageable que sa fondation ait voulu bénéficier
de cette trouvaille pour frapper un grand coup, et marquer l’opinion
publique. Même si nous n’avons à l’heure actuelle aucune preuve
concrète de leur implication, ce virus une fois introduit sur le réseau
national était une aubaine pour cette fondation qui milite contre
l’utilisation abusive de la technologie. Heureusement pour nous, le
résultat attendu par ce groupe n’a pas été à la hauteur et le chaos
annoncé ne s’est jamais produit. L’enquête sur l’intrusion dans nos
bureaux nous a fait découvrir un trafic de claviers d’ordinateurs piratés.
Là encore, nous n’avons aucune preuve concrète, mais nos
investigations nous ont permis d’identifier Mauricio Moretti, homme à
tout faire d’« Avenir Propre ». Nous pensons qu’il faisait le guet lors
d’un détournement de marchandises, mais notre entrevue n’a pas eu le
résultat escompté. Il faut dire que la fondation emploie un service
- 303 -
juridique plutôt efficace qui nous laisse très peu de marge de manœuvre.
Un dernier point qui reste troublant dans cette histoire, l’implication
d’un technicien de la NASA, Monsieur Anthony Alessandro. Cet
homme connaissait Harold Hutchinson depuis son enfance. Même s’il
n’avait, à priori, actuellement aucun lien avec cette fondation, il pourrait
être le maillon manquant dans cette affaire. Il a été arrêté hier soir, mais
son interpellation nous a seulement appris qu’il s’était fait embarquer
comme chauffeur par son cousin lors de missions douteuses. On n’en
sait pas vraiment plus, et il vient d’être libéré sous caution. Son avocat
est un des ténors du barreau et il sera difficile d’en apprendre plus avec
les méthodes habituelles. Pour pouvoir avancer dans cette affaire, il va
nous falloir un sérieux coup pouce du destin. Faute de preuve, on ne
peut simplement dire que nous sommes dans une impasse.
- Qu’a donné l’étude des fichiers d’Henri Durand ? demanda Herbert
Hoover.
- Je dois rencontrer Kevin Klein à ce sujet en fin d’après-midi, annonça
Sarah.
- Ce dont nous sommes persuadés pour le moment, continua Don, c’est
qu’il avait découvert le moyen d’endiguer la propagation de ce virus, à
moins bien entendu qu’il en soit l’auteur. Monsieur Klein devrait
pouvoir nous éclairer à ce sujet. De plus, l’étude de ses dossiers ne nous
a rien appris de vraiment intéressant, hormis le fait que notre homme
avait mis en place un véritable réseau de surveillance des entreprises les
plus influentes de la planète. À l’exception des sites militaires les plus
sensibles, il avait des accès dans toutes les structures publiques et
privées. Nous ne saurons probablement jamais comment il s’y prenait,
mais c’est sûrement le plus grand pirate de l’histoire.
- Est-ce qu’on peut faire un lien entre ce piratage de claviers
d’ordinateurs, la fondation « Avenir Propre » et Henri Durand ?
demanda à nouveau Herbert Hoover.
- Pas directement, répondit Sarah. Nous n’avons aucune preuve pour
étayer cette théorie, mais il est plus que probable qu’Henri Durand se
soit servi de Mauricio Moretti ou d’un autre membre de sa fondation
pour détourner des claviers destinés au marché mondial. Les mouchards
infiltrés lui donnaient ensuite des accès illimités aux réseaux des
entreprises où ils étaient installés.
- Nous pensons, avec nos techniciens, reprit Don en montrant Tom et
Jerry qui acquiescèrent d’avance, que Durand vérifiait les ventes
- 304 -
d’ordinateurs pour cibler ses intrusions. J’imagine aisément qu’un
homme ayant ses connaissances, pouvait parfaitement savoir par les
bons de commandes et de transports, qui achetait quoi et comment
c’était livré. Il ne lui restait plus qu’à faire intervenir sa petite bande de
voleurs, pour effectuer les échanges de claviers au moment adéquat.
Une fois ses mouchards en place, cela lui ouvrait toutes les portes.
- Le plan parfait, suggéra le directeur Fitzgerald. Et qu’en est-il de
l’intrusion dont nous avons été victimes ? Avez-vous réussi à identifier
la personne ?
- Là encore, Monsieur, répondit Sarah, nous sommes dans une impasse.
Cela dit, si Durand était la tête pensante de toute cette entreprise, cela
prouve qu’il n’était pas le seul impliqué. Ses complices ont pris de gros
risques pour faire disparaître d’éventuels indices que nous aurions eus
en notre possession. Il est désormais évident que notre propre réseau
avait été infiltré à l’aide du mouchard retrouvé dans le clavier de
monsieur Fitzgerald. Cela a permis à notre suspect d’avoir toutes les
informations nécessaires pour venir tranquillement faire son ménage,
passez-moi l’expression, et de détruire tout ce qui aurait pu l’impliquer.
Henri Durand étant décédé la veille, cela nous laisse au moins un
complice à appréhender. L’intrus a usurpé l’identité d’un de nos
hommes d’entretien pour pénétrer dans le bâtiment, puis a pris soin de
supprimer les vidéos pouvant l’incriminer. Tout ce qu’on sait, c’est qu’il
s’agit d’un homme blanc, devant faire 1m80 et peser 80 kg environ.
- Autant dire la majorité de la population masculine américaine, conclut
le directeur. Pour résumer, nous avons notre suspect principal qui ne
pourra jamais s'expliquer, relié à une fondation qui sait très bien
protéger ses arrières, et probablement des complices inconnus à ce jour,
mais aucune preuve pour étayer quoi que ce soit ?
- En résumé, c’est cela, lâcha Don en guise de conclusion.
- Quelles sont les autres options que nous n’avons pas encore étudiées ?
demanda Herbert Hoover.
- Malheureusement, nous avons fait le tour de la question, répondit
Don. Nous sommes bloqués par les avocats de cette foutue fondation,
ce qui nous empêche d’approfondir nos investigations. Pour le reste,
nous pouvons mettre en place une surveillance rapprochée de deux ou
trois personnes, comme nos amis Anthony Alessandro et son cousin,
mais je doute que cela aboutisse à un résultat concluant. Après leur
interrogatoire, ils vont être d’une méfiance extrême.
- 305 -
Kevin rentrait au centre spatial avec une certaine appréhension. Non
pas qu’il redoutait de retourner à son travail, mais toute cette affaire lui
avait insinué un sentiment de malaise, même de désespoir. Toutes ses
belles croyances étaient en train de voler en éclat. « Si l'on ne peut plus
se fier à la rigueur informatique maintenant ! » pensa-t-il en pestant
intérieurement. La radio fonctionnait depuis qu’il avait pris le volant,
mais son cerveau avait fait abstraction de toute pollution sonore, il
carburait à plein régime. Sa conduite était mécanique, et lorsqu’il arriva à
l’entrée du poste de garde de la NASA, il n’eut aucun souvenir du
chemin qu’il venait d’effectuer. Il se gara sur la place qui lui était
attribuée, et fonça quatre à quatre au centre de contrôle des opérations.
L’effervescence atteignait son apogée, ça courait dans tous les sens,
parlait fort pour se faire entendre à l’autre bout de la salle, suait à
grosses gouttes pour certains d’entre eux ; un vrai champ de bataille !
Kevin remarqua avant tout l’écran géant affichant un schéma
approximatif de la navette, de la Lune et du phénomène gazeux. Les
échelles n’étaient pas respectées, mais il constata au premier coup d’œil
que cette chose s’était incroyablement rapprochée depuis son départ. La
station spatiale n’était pas représentée, ce qui signifiait que l’équipage
avait réduit sa mission et était déjà de retour vers la Terre. Une main
amicale se posa sur son épaule. Le directeur Johnson se tenait derrière
lui, le visage mêlant inquiétude et interrogation.
- Quelles sont les nouvelles ? demanda-t-il.
- Monsieur, j’ai bien peur de ne pas être le sauveur que vous attendiez.
Au début, tout se passait bien. Mes analyses étaient négatives, il n’y avait
aucune trace du virus. Et puis, à la suite d’un malentendu avec un des
techniciens, il a branché la console centrale de la navette directement
sur mon portable, sans placer le filtre que notre ami Richardson a
construit. Pour des raisons que je n’arrive pas à m’expliquer, le virus
n’était présent qu’à cet endroit dans la fusée. Bizarrement, il ne s’est pas
propagé, ni sur mon ordinateur, ni même sur le réseau du bâtiment.
C’est comme si nous avions affaire à une version mutante devenue
totalement inoffensive. Il y a une semaine, le simple fait de brancher
une unité de stockage sur un poste infecté l’aurait contaminé dans la
seconde. Aujourd’hui, il ne se passe plus rien.
- Vous affirmez donc que le virus aurait muté ?
- 306 -
- Je ne vois pas d’autre explication pour le moment. On dirait qu’il s’est
désactivé. En tout cas, sa faculté d’expansion semble être totalement
anéantie !
Le directeur resta silencieux quelques secondes, soumis à une intense
réflexion. Même si ce n’était pas son domaine de prédilection, il
mesurait les implications de ce qu’il venait d’entendre. Pourtant, une
chose l’intriguait au plus haut point.
- Et pour ça ? demanda-t-il en montrant le nuage de poussière à l’écran.
Est-ce que vous avez trouvé des traces du contact avec ce phénomène,
des circuits grillés ou des programmes endommagés ?
- Absolument rien d’anormal à mon niveau. Tous les systèmes sont
opérationnels et je n’ai rien vu sur les feuilles de maintenance qui puisse
affirmer qu’il se soit passé quoi que ce soit d’inhabituel. Rien n’a été
changé, reprogrammé ou modifié à cause de cela. J’ai simplement
effectué une remise à zéro de la console centrale pour éliminer tout
problème. À part ça, tous les systèmes sont opérationnels pour la
prochaine mission.
- Très bien, reprit le directeur. Ça n’arrange pas nos affaires, mais c’est
important de savoir que cette chose n’a pas provoqué d’autres dégâts.
Jack Johnson se dirigea vers le chef de mission et lui détailla les
dernières informations en date. Cela permettait d’appréhender la
situation d’un œil nouveau. Au lieu de faire prendre des risques
inconsidérés à l’équipage de la navette, il pouvait laisser faire les choses.
Si un contact avec ce phénomène était inévitable, il pouvait espérer un
résultat identique à la mission précédente. Le chef fit une annonce à
l’intention des astronautes, mais également pour le personnel présent en
salle de contrôle. Comme le voulait le règlement, le commandant de
bord aurait de toute façon le fin mot de l’histoire, et prendrait en toute
connaissance de cause les décisions qui s’imposaient. À l’heure actuelle,
il ne pouvait qu’attendre, et voir comment évoluerait la situation.
CHAPITRE 68
L’après-midi avançait lentement pour les techniciens qui scrutaient avec
attention les écrans de contrôle de la NASA. Tous les satellites
disponibles avaient été déroutés temporairement de leur mission
- 307 -
d’observation, pour tenter de suivre au plus près ce qui se passait dans
l’espace. Les militaires avaient reçu l’ordre de fournir à la NASA toute
l’aide matérielle et technique à leur disposition, afin d’obtenir les
meilleures images possible du phénomène gazeux. Lorsque les
premières photos arrivèrent sur les écrans, ils furent stupéfaits par leur
qualité tout bonnement incroyable. La majorité d’entre eux savaient que
le budget de l’armée leur permettait d’effectuer des recherches
technologiques très pointues, mais ce qu’ils voyaient avait une telle
avance qu'ils en restèrent bouche bée. À plusieurs millions de kilomètres
de distance, ces petits satellites, anodins pour la plupart renvoyaient des
images qu’on aurait cru prises par une navette d’observation. Le nuage
de poussière était beaucoup moins net que la station orbitale, mais au fil
des minutes, il semblait grossir sur les écrans. Dans un premier temps,
le satellite avait effectué plusieurs balayages de la zone sans rien trouver
de très probant. Les coordonnées du phénomène étaient pourtant
clairement définies, mais l’image ne donnait rien de bien concluant. Au
bout d’un temps qui parut une éternité, un point grisâtre apparut à
l’écran, grossissant indéniablement. Ils avaient trouvé leur cible. La
vitesse de déplacement du nuage de poussière était un réel handicap
pour obtenir une netteté irréprochable. Les calculateurs travaillaient
sans relâche pour déterminer la célérité ainsi que la direction de la
chose. Les résultats ne se contredisaient malheureusement pas : la
navette était le point de mire de ce phénomène, comme pour la mission
précédente. L’équipage était informé en temps réel des évènements. Le
Capitaine Shepard s’était longuement entretenu avec le commandant de
bord, son amie le Major Katarina Kovalevski. Considérée comme le
meilleur pilote de chasse de sa génération, elle avait très vite été recrutée
au centre spatial. Après quelques années et plusieurs missions remplies
avec succès, elle avait gagné ses galons de major avec une facilité
déconcertante, et était pressentie pour une promotion dès son retour.
Shepard lui avait expliqué comment cet amas gazeux avait littéralement
traversé la navette, provoquant une légère surcharge électrique au
niveau des instruments de bord. Il restait serein, même si ce genre de
manifestation n’avait rien de plaisant. Pourtant, il conseilla à Katarina de
tenter une manœuvre d’évitement si le besoin s’en faisait sentir.
À de multiples reprises, une vague d’inquiétude avait envahi les
membres du centre de contrôle. Les satellites n’étaient pas prévus pour
- 308 -
ce genre de filature, ce qui obligeait les techniciens à compenser sans
arrêt les écarts de trajectoire. Au bout d’une demi-heure, un responsable
militaire alla trouver le directeur Johnson.
- Monsieur, nous vous avons accordé l’utilisation de notre satellite dans
le but d’aider l’équipage de la navette, mais nous sommes obligés d’en
reprendre les rênes.
- Ah non ! Vous n’allez pas revenir sur notre accord, Colonel. J’ai eu
l’assurance de votre entière collaboration, tant que les astronautes ne
sont pas sains et saufs.
- Comprenez-moi bien, notre satellite n’a pas été prévu pour ce genre
de tache. L’utilisation des moteurs de poussée doit être exceptionnelle.
À la vitesse où vos ingénieurs les malmènent, les batteries seront à vide
dans moins de dix minutes. Je suis désolé, mais je ne peux pas vous
laisser continuer.
À cet instant, il fit signe à son sergent de reprendre en main le système
de contrôle du satellite. Le technicien de la NASA, habitué à ce genre
d’ingérence, ne formula aucune plainte.
- Nous vous avons laissé utiliser un objet de plusieurs millions de
dollars, continua le colonel. Je ne pense pas que le contribuable vous
pardonnera d’avoir dilapidé son argent, même pour une cause aussi
juste que celle-là.
- Mais enfin, reprit Jack Johnson, vous ne pouvez pas nous retirer le
seul moyen que nous ayons à notre disposition pour aider les femmes et
hommes qui sont là-haut. Si c’était vos soldats qui étaient dans cette
navette, continua-t-il la colère naissante, je suis sûr que vous feriez tout
ce qui est en votre pouvoir pour les sortir de là.
- La décision a été prise en toute connaissance de cause par le haut
commandement, finit-il par répondre. Je suis désolé, mais pour le
moment, nous devons déployer les panneaux solaires et repositionner le
satellite pour que les batteries se rechargent. Je ne peux rien de plus
pour vous.
- Dans combien de temps pourrons-nous y avoir à nouveau accès ?
demanda Johnson.
Le colonel fit un signe de tête en direction de son sergent qui répondit
quelque chose ressemblant à deux heures.
- Dans deux heures, l’équipage sera peut-être mort, exagéra Johnson
pour mettre un maximum de pression sur le dos des militaires. Il faut
- 309 -
que je garde un œil sur la navette tant que cette chose n’a pas disparu de
notre système solaire. Trouvez-moi une solution, Colonel.
- Demandez une augmentation de vos budgets et commandez votre
propre satellite d’observation, lui rendit-il.
- Très drôle, siffla Johnson. C’est hilarant d’entendre ça dans la bouche
d’un militaire. Quand je pense que l’armée nous a monopolisé une
partie des finances du pays pendant plusieurs années pour une guerre
totalement inutile, et maintenant vous venez jouer la carte de la
mesquinerie, vous ne manquez pas de souffle… Colonel !!!
Johnson préféra abandonner la partie avant que cela ne dégénère. Même
s’il méprisait royalement le système de commandement militaire, il ne
pouvait nier que leur aide matérielle pouvait lui être indispensable par la
suite. Il n’était pas à l’abri d’un retour de fortune et ne pouvait pas se
voiler la face. Il se dirigea vers le technicien qui était en contact avec
l’équipage et lui demanda de lui établir une liaison. Il passa un microcasque et leur expliqua que désormais, ils seraient seuls aux commandes
de leur destin. La NASA n’aurait temporairement plus de visuel de leur
situation, mais continuerait la surveillance de l’espace au travers des
radars conventionnels. Le capitaine Shepard avait été témoin du vif
échange entre les deux hommes, comme toutes les personnes présentes
dans la salle de contrôle. Il en profita pour assurer Katarina Kovalevski
de son entière collaboration, tant qu’ils ne seraient pas tous de retour
sur Terre. Ils discutèrent quelques instants sur les manœuvres possibles,
puis firent le point sur les procédures à suivre au cas où ils devraient
désactiver le pilotage automatique. Shepard savait que sa collègue
maîtrisait parfaitement toutes ces techniques, mais une navette ne se
dirigeait pas aussi facilement qu’un avion de chasse. C’était une sorte de
cargo des airs, aux réactions très lentes et incertaines. Une poussée de la
manette des gaz un dixième de seconde trop longue pouvait les envoyer
à plusieurs milliers de kilomètres de leur objectif. De plus, le carburant
limité était un véritable problème. Une marge suffisante était prévue
pour pallier les écarts de direction qui pouvaient survenir, mais des
changements de cap incessants risquaient d’épuiser leurs réserves
prématurément. À cause des évènements qui avaient précipité les
choses, l’équipage avait eu le temps de décharger une partie des
réservoirs en utilisant beaucoup plus intensément les bras mécaniques
de la soute. Cela avait bien entendu influé sur leur consommation de
- 310 -
carburant. Même si la mission était un semi-échec, il avait été primordial
de finir cette tâche avant de repartir. La suivante serait remaniée pour
que les astronautes aient le temps de combler les manquements
observés. Leur objectif était précis : ils devaient mettre en service les
différents éléments que le capitaine Shepard et son équipe avaient
assemblés quelques jours plus tôt. Pour cela, un ultime module de
gestion de l’électricité, du chauffage et de l’oxygène devait être installé.
Ils avaient seulement eu le temps de le charger à bord de la station.
Tony avait fini par rejoindre Kevin à leur bureau. Ni l’un ni l’autre ne
savait comment appréhender le problème que leur directeur venait de
leur confier. Ils devaient coûte que coûte récupérer l’accès au satellite
militaire. Les vies qui étaient en jeu rendaient le challenge autrement
plus compliqué. Si la navette n’avait été qu’un tas de ferraille, sa perte
n’aurait eu qu’un impact financier. Évidemment, la NASA encaissait
difficilement les échecs qui réduisaient passablement ses budgets d’une
année sur l’autre, mais depuis que Jack Johnson était aux commandes,
les choses s’amélioraient sensiblement. Les investisseurs lui faisaient
confiance et c’était certainement le plus beau succès qu’il avait récolté
jusqu’à présent.
- Qu’est ce qu’on fait maintenant ? demanda Tony.
- Je n’en sais strictement rien. À moins de réussir à pirater la commande
du satellite, je ne vois pas comment on pourrait aider l’équipage.
Kevin avait dit ça sur le ton du désespoir, mais Tony le prit au pied de la
lettre.
- Et pourquoi pas !
- Ne sois pas stupide jeune Jedi, lui répondit Kevin. Il me semble que tu
n’étais pas en très bonne posture il y a quelques heures. Je disais ça en
désespoir de cause, car je suppose que tu ne tiens pas plus que moi à
retourner en prison.
- Cela va de soi, mais on peut creuser l’idée juste au cas où ! L’accès à
leur système de contrôle est relativement facile à pirater…
- N’y pense même pas, le coupa Kevin. De toute manière, Johnson ne
nous le permettra pas. Il doit y avoir un autre moyen, à nous de le
trouver.
Ils restèrent silencieux quelques secondes, puis Kevin se lança dans une
réflexion à voix haute.
- 311 -
- Qu’est ce que nous savons exactement sur ce phénomène. Il est
apparu de nulle part lors de la mission précédente. Pour des raisons
qu’on ignore, cette chose semble comme « attirée » par la navette.
- Et si c’était la chaleur des réacteurs qui justement attirait ce truc
comme un aimant ? lança Tony.
- Possible. La chaleur, la lumière, l’électricité, le magnétisme… va
savoir. Pour en être sur, il faudrait couper tous les systèmes
suffisamment longtemps pour voir la réaction de cette chose.
- Oui, mais on en revient à notre premier problème, si nous n’avons
aucun visuel sur ce qui se passe, ça ne servira à rien de désactiver les
systèmes de la navette. Nous n’aurons aucun moyen de communication,
donc aucune indication sur la réussite ou l’échec de la procédure.
- Ce n’est pas faux, reprit Kevin. On sait également que, lors de la
mission précédente, cette chose a traversé la navette en provoquant une
sorte d’électricité statique, principalement au niveau du tableau de bord.
Est-ce que c’est à cause de la concentration de matériels électroniques à
cet endroit ? Est-ce qu’on a ce retour d’informations uniquement parce
que l’équipage était dans le cockpit et pas ailleurs ? Tout ça reste un
mystère. Quoi qu'il en soit, d’après ce que j’ai constaté tout à l’heure, ce
phénomène n’a endommagé aucun système. J’ai simplement trouvé une
trace inerte du virus sur la console principale.
- Ah oui ! répliqua Tony étonné par cette information nouvelle pour lui.
Vous voulez dire que le virus était présent sur les ordinateurs de bord
de la navette dans une version mutante ?
- C’est bizarre, n’est-ce pas ? Il y a tout de même une chose que je ne
m’explique pas. Lorsqu’on a détecté ce virus, il se propageait à la
moindre connexion de machines. Pourtant, je commence à penser que
la navette est la source du problème.
Tony fixa Kevin sans comprendre où il voulait en venir.
- Sans rentrer dans les détails, continua-t-il, c’est ta biologiste qui m’a
aiguillé dans cette direction. Elle a découvert que la série de code qui
remplit les espaces vierges, et qu’on prenait pour un programme
malfaisant, ressemble à s’y méprendre au système d’identification de
l’ADN. Imagine un instant que ce qu’on croyait être une attaque virale
de haut vol soit en fait quelque chose de totalement différent. Si nous
avions à faire face à une sorte d’entité électrique…
Tony arborait un sourire d’une oreille à l’autre, pensant que son chef
était resté trop longtemps au soleil, mais Kevin paraissait extrêmement
- 312 -
sérieux. Il se reprit aussi discrètement que possible pour ne pas froisser
trop ouvertement son supérieur. Il leur arrivait régulièrement de se
chamailler sur des broutilles comme deux bons collègues de bureau,
mais il lui devait un minimum de respect. Rien que pour la différence
d’âge, il ne pouvait se permettre de se moquer de lui gratuitement.
- Admettons cette hypothèse assez farfelue, lui lança-t-il. Même si nous
n’avons jamais entendu parler d’une telle chose, partons du principe que
ce truc soit un phénomène électrique intelligent. Qu’est ce que ça
implique ?
- Au lieu de te foutre de moi, réfléchis un peu, continua Kevin irrité par
l’attitude négative de son collaborateur. D’habitude, tu es le premier à
croire à ce genre de chose, alors pourquoi ça te paraît si inconcevable ?
Imagine que tu es un être de pure énergie, perdu dans l’immensité de
l’espace pour une raison quelconque. Le but de tout être vivant est la
survie, et la multiplication. Tu découvres un endroit capable d’assurer ta
survie, en l’occurrence une navette, qu’est ce que tu fais ? Tu fonces,
aussi vite que tu le peux pour y prendre un peu repos et de force. Par
miracle, la fusée rentre sur Terre et est connectée sur un réseau
immense. Pour toi, c’est une véritable orgie. Tu te multiplies à la vitesse
de l’éclair au travers de ton nouvel espace de jeu. Seulement, on
commence à te mettre des bâtons dans les roues. Petit à petit, ta
capacité de survie s’estompe à nouveau. Tu as la sensation qu’on en
veut à ta peau, alors tu essayes de t’enfuir, mais le piège se resserre
autour de toi. Qu’est ce que tu fais ?
- C’est une question ? demanda Tony après deux secondes de silence.
- Je réfléchis tout haut, renchérit Kevin. À la place de cette chose, où
est-ce que tu irais dans de telles conditions ? Tu sens que ton espace de
survie se réduit à une vitesse phénoménale, qu’est ce que tu peux faire ?
- C’est bien joli cette histoire, mais vous n’y croyez pas réellement… pas
vous ?
- Pas vraiment, pourtant c’est une explication qui tient la route,
contrairement à tout ce qu’on a entendu jusqu’à présent.
- Chef, vous déconnez à plein tube, cria Tony ! Vade Retro, toi la vile
créature qui a pris possession de ce corps !
Kevin lança un regard mauvais à son collègue, comme s’il le voyait sous
son vrai jour pour la première fois. Il était habitué à ses plaisanteries
douteuses, mais aujourd’hui, il dépassait les bornes. Sa théorie, aussi
- 313 -
farfelue fût-elle, était pourtant à ses yeux la seule explication valable à
toute cette affaire. Il ne lui restait plus que deux choses à faire avant
d’en être complètement persuadé : relancer ses analyses pour voir si le
virus avait conservé sa capacité de propagation ou s’il était devenu
inerte comme la version présente sur la navette qu’il venait de contrôler.
Mais le point le plus important demeurait une véritable énigme : trouver
l’endroit où cette « entité » s’était cachée.
CHAPITRE 69
Liz McCarthy regarda l’afficheur de son téléphone portable lorsque
celui-ci se mit à vibrer dans sa poche. En voyant le nom de son
interlocuteur, elle décrocha prestement.
- Salut Liz… Il y a un problème avec la mission en cours.
- Que se passe-t-il ? demanda-t-elle sans plus de cérémonie.
- Elle vient d’être largement écourtée. La navette est déjà repartie et
rentre sur Terre. L’équipage n’a eu le temps que de décharger le matériel
dans la station orbitale. Ils n’ont rien fait de ce qui était prévu.
- Quel est le problème au juste ?
- Je ne t’en avais pas parlé avant pour ne pas attirer l’attention, mais la
mission précédente a eu très chaud aux fesses. Lors de son retour sur
Terre, la navette est entrée en contact avec une sorte de poussière
cosmique.
- Génial, ajouta-t-elle ironiquement. Et ???
- Et le phénomène est de retour. La première fois, on a eu de la chance,
tout le monde est rentré à bon port sans encombre, mais tu sais ce
qu’on dit « la foudre ne frappe jamais deux fois au même endroit ».
- Où veux-tu en venir au juste ?
- Bonjour l’accueil ! répliqua son interlocuteur. Je veux simplement
t’alerter du danger potentiel que court notre équipage. Ce n’est pas la
peine d’en faire la « Une » de ton vingt heures, mais le public doit être
mis au courant de ce qui se passe ici.
- Ton bon cœur te perdra mon ami, lui répondit Liz pour ne pas trop
contrarier son contact. Seulement, il m’en faudrait un peu plus. Je ne
peux pas lancer un truc comme ça sans preuve, sans témoignage. Tu
comprends ?
- Je vais voir ce que je peux faire, finit par conclure son interlocuteur.
- 314 -
La tension monta d’un cran dans la salle de contrôle, lorsque Katarina
Kovalevski, commandant de la navette, lança un appel à l’aide.
- Ici, Kate. Houston, répondez !
- On vous écoute commandant, annonça le technicien qui était
responsable des transmissions.
- Le phénomène est en train de se rapprocher à très grande vitesse. On
arriverait presque à le distinguer avec des jumelles. Avez-vous des
informations complémentaires à nous fournir avant d’entamer une
procédure d’évitement ?
- Rien de nouveau, répondit-il laconiquement.
- Bravo, c’est vraiment génial de vous sentir concerné par ce qui nous
arrive. Qu’est ce que vous foutez sur Terre, bon sang ? Comment se
fait-il que vos satellites ne nous aient pas alertés plus tôt. Il faut qu’on
prenne une décision dans les minutes qui suivent, après quoi cette chose
sera sur nous.
- Veuillez patienter, s’il vous plait.
Katarina n’en revenait pas, on venait de lui demander de patienter alors
que leur vie était en danger. Elle avait l’impression d’avoir à faire à une
vulgaire hot-line, qui se contentait de suivre une procédure préétablie.
Les Américains avaient parfois le don de l’irriter, par leur attitude
détachée de toute émotion. Dans son pays, à la grande époque, on
aurait juré par tous les dieux, but une rasade de vodka pour se donner
du courage et affronter les problèmes en face. Ici, on lui demandait de
patienter, comme à un guichet de poste !
Dans la cabine de pilotage de la navette, les esprits s’échauffaient.
Katarina prit la décision de tout faire pour éviter un contact. En
l’absence d’indication du centre spatiale, elle se fierait à son instinct. Elle
demanda à son pilote d’enclencher les commandes manuelles, malgré
tout ce que cela impliquait. Les paroles de Sam Shepard ne cessaient de
lui revenir en mémoire. Elle avait suivi leur déboire quelques jours plus
tôt et savait que le passage de ce nuage de poussière électromagnétique
n’avait pas endommagé leur fusée. Seulement, la coïncidence était trop
parfaite pour que la même chose survienne deux fois de suite. Son
optimisme naturel fuyait à toutes jambes, lui insinuant que la tournure
des événements ne serait peut-être pas aussi favorable. Dans de telles
conditions, elle prenait ses responsabilités de commandant de bord. Elle
avait été entraînée pour ça. Son équipage n’avait d’ailleurs jamais discuté
- 315 -
ses ordres, même lorsqu’ils n’étaient pas judicieux. Le pilote s’exécuta
sans protester, mais lui demanda ce qu’elle comptait faire.
- Étant donné qu’en bas on ne nous donne aucune indication, on va
jouer la partie à la Russe : ça passe ou ça casse ! On se décale de la
trajectoire, on coupe les gaz et on attend. Lorsque ce machin sera tout
proche, on remet les moteurs à pleine puissance, et on pratique une
manœuvre d’évitement, comme dans les simulateurs. Simple et efficace !
- Le timing va être serré, répondit le pilote. Sans les radars de la NASA,
on va devoir se contenter de ceux de la navette. Lorsque nous aurons la
chose en vue, la moindre hésitation risque d’être fatale.
- Contrôle, répondez nom d’un chien !
- On vous reçoit commandant, je vous passe le directeur.
- Ici Jack Johnson. Désolé pour le silence momentané, nous essayons de
récupérer le satellite militaire pour pouvoir vous guider au mieux. Quoi
que nous décidions, je vous conseille dans un premier temps de
désactiver le pilotage automatique et de vous préparer pour toute
éventualité.
- Nous ne vous avons pas attendu Monsieur, lança Katarina sur un ton
mordant. Il faut absolument que vous réussissiez à nous dire avec
exactitude à quel moment nous devons changer de direction. Si nous
avons vu juste, je pense que cette chose ne pourra pas modifier son cap
aussi facilement que ça, étant donné la vitesse à laquelle elle se déplace.
C’est pourquoi il faut que le timing soit le plus précis possible.
- Nous comprenons Katarina et faisons tout ce qui est en notre pouvoir
pour récupérer l’accès au satellite… Un instant s’il vous plait.
Le directeur Johnson regarda le colonel en mimant des gestes
d’énervement voulant dire « Mais qu’est-ce que vous foutez à la
fin ??? ». Le militaire se retourna vers son sergent occupé à pianoter sur
le clavier d’un ordinateur. Après ce qu’il sembla une éternité, il lui
donna un chiffre.
- Dans 30 secondes, cria le colonel au directeur. Vous aurez deux
minutes d’autonomie, après quoi il vous faudra patienter une dizaine
d’heures avant de pouvoir vous resservir du satellite. C’est le mieux que
je puisse faire pour l’instant.
- Ça suffira pour le moment, pensa Jack qui acquiesça de la tête et
transmit la nouvelle aux astronautes.
Un technicien de la NASA reprit les commandes de l’engin dès que le
compte à rebours fut terminé. Une trentaine de secondes
- 316 -
supplémentaires passèrent avant que le satellite ne pointe à nouveau sur
la navette et ne renvoie des images. L’affichage sur l’écran mural jeta un
froid parmi l’assistance. Durant un bref instant, un silence de mort
plana dans le centre de contrôle. On pouvait parfaitement distinguer la
navette, vue de trois quarts arrière, et en haut de l’image une forme
lumineuse grossissant presque a vu d’œil.
- Combien de temps avons-nous ? hurla Johnson.
Aucune réponse ne vint. Les techniciens présents étaient à la fois
abasourdis et pétrifiés par le spectacle qui se jouait devant eux. Lors de
la mission précédente, seul l’équipage de la navette avait vu le
phénomène. Au centre de contrôle, on avait simplement aperçu un pixel
se déplacer sur un schéma représentatif. Cette fois-ci, ils avaient droit à
la version « live ». Soudain, une femme au fond de la salle se leva et cria
quelque chose qui ressemblait à cinquante secondes à l’attention de Jack
Johnson. Il demanda le silence et la fit répéter.
- Quarante-cinq secondes, Monsieur, quarante-quatre, quarante-trois…
- Katarina, ici c’est Jack. Préparez-vous à exécuter la manœuvre dans
une trentaine de secondes.
- Nous sommes parés, répondit-elle dans un soulagement.
Sam Shepard avait pris un micro-casque pour pouvoir aider sa collègue
en cas de problème durant la procédure d’évitement. Il en profita pour
lui souhaiter bonne chance. Un technicien égrena les dernières secondes
à voix haute, autant pour donner le top au pilote de la navette que pour
lui-même. L’afficheur de temps avait été incrusté sur l’image renvoyée
par le satellite militaire, dont l’autonomie fondait comme neige au soleil.
Le sergent qui chronométrait la durée d’utilisation en profita pour
rajouter un peu de tension, en annonçant qu’il reprenait le contrôle dans
moins de dix secondes.
Lorsque le temps fut écoulé, le pilote de la fusée poussa les moteurs à
plaine puissante et amorça un changement de cap. Sur l’écran mural de
la NASA, on vit jaillir deux boules de feux des réacteurs. Le vaisseau
resta immobile avant d’entamer une accélération lente. La poussée des
moteurs avait de la difficulté à mouvoir ces tonnes d’acier, même en
apesanteur. L’engin commença enfin à prendre de la vitesse par rapport
à son observateur. La tension était à son comble parmi les techniciens,
certains transpiraient à grosses gouttes, d’autres marmonnaient dans
leur barbe pour encourager l’équipage à distance. Le phénomène
- 317 -
lumineux envahissait de plus en plus l’écran, indiquant un contact
imminent. La navette finit par s’écarter doucement de sa position.
L’équipage était tendu à l’extrême. Le pilote scruta ses instruments de
bord et annonça à son commandant dans un déchirement que ce serait
trop juste. La NASA les avait fait attendre trop longtemps avant
d’entamer la procédure. La mise en route des propulseurs n’était pas
aussi immédiate qu’ils le pensaient.
- Contrôle, ici Kate hurla-t-elle. L’impact est imminent. Vous nous avez
fait attendre trop longtemps. Je ne sais pas si on va pouvoir éviter ce
truc. C’est incroyable, il arrive à une vitesse inimaginable.
- Pas de panique Katarina, lança Sam Shepard. Dès que les propulseurs
atteindront leur température de combustion maximale, vous allez très
rapidement être envoyés à plusieurs centaines de mètres du nuage de
poussière.
Soudain, ils entendirent un cri de douleur à travers les haut-parleurs de
la salle. Les personnes présentes se regardèrent avec angoisse, pensant
déjà au pire.
- Effectivement Sam, répondit Katarina. On vient de se prendre un
véritable coup de pied au cul. On commence à dévier. La chose est en
train de passer sur la gauche des hublots. J’espère que ça suffira pour
l’éviter.
Soudain, l’image disparut de l’écran mural pour laisser place à de la
neige numérique.
- Désolé Monsieur le Directeur, annonça le colonel, mais vos deux
minutes sont largement écoulées. Je ne peux pas vous laisser les
commandes du satellite plus longtemps.
- Vous êtes dingue ma parole, lui balança Johnson. C’est vraiment le
pire moment pour nous couper la liaison. Kate, vous nous recevez
toujours ?
- C’est…côté…voyez…
- Kate ? On ne vous reçoit plus et nous venons de perdre l’image.
Qu’est ce qui se passe ?
Le directeur regarda le technicien chargé des communications. Ce
dernier fit un geste montrant son incompréhension et son impuissance
à rétablir la liaison.
- 318 -
- Ça ne vient pas de chez nous monsieur. Nous avons perdu la radio et
la télémétrie en même temps. C’est comme si quelqu’un avait coupé le
courant dans la navette.
- Essayez de les contacter par tous les moyens possibles. COLONEL !!!
Jack Johnson cria le grade du militaire en le cherchant du regard.
Lorsqu’il le vit, penché près du pupitre de contrôle du satellite, il
s’approcha à grandes enjambées et vint se placer à quelques centimètres
de l’officier.
- Réactivez-moi la liaison tout de suite !
- Je suis désolé, Monsieur le Directeur, mais je vous avais donné un
timing très précis. Je comprends votre inquiétude pour votre équipage,
mais il est hors de question que nous perdions définitivement le
contrôle du satellite parce que vous aurez consommé toute l’énergie des
batteries. Si nous sommes dans l’incapacité de les recharger à distance,
nous dilapidons un investissement de plusieurs milliers de dollars, et
retardons le programme de surveillance de l’espace de plusieurs années.
Ceci n’arrivera pas tant que je serai à ce poste.
- Dans ces conditions, vous ne m’êtes plus d'aucune utilité. Je vais vous
demander de quitter le centre de contrôle.
- Comme vous voudrez Monsieur, répondit le militaire le plus poliment
du monde.
Il fit un signe de tête à son sergent. Ce dernier pianota quelques
commandes avant de sortir lui aussi de la salle.
- Nous allons prendre un café, dit finalement le colonel à l’attention du
directeur Johnson. Nous resterons dans les parages au cas où vous
auriez quand même besoin de nos compétences dans les minutes qui
suivent.
Dès qu’ils furent sortis, Jack Johnson prit à partie le meilleur technicien
qu’il avait sous la main.
- Piratez-moi cette liaison par n’importe quel moyen, lui dit-il à mi-voix.
Il faut absolument qu’on récupère l’image pour voir si la navette est
intacte.
- Vous êtes sûr ? Je veux dire, même si j’y arrive, ce qui n’est pas gagné
d’avance, vous n’aurez pas de problème à cause de ça ?
- J’en prends l’entière responsabilité, répondit-il gravement.
Quelques visages virèrent dans les couleurs rougeâtres au fil des
secondes qui s’écoulaient. La sueur perlait sur les fronts. La nervosité et
l’angoisse commençaient à peser sur l’assistance. Un bruit de fond
- 319 -
récurrent revenait toutes les quinze secondes : « Navette, ici Houston,
répondez ! » Les techniciens essayaient par tous les moyens de
reprendre contact avec l’équipage, sans succès.
À bord de la navette, personne n’avait rien vu venir. Lorsque l’amas
gazeux arriva à proximité d’eux, ils avaient réussi à prendre
suffisamment de la vitesse et commençaient à s’écarter de la trajectoire
de cette chose. Les visages crispés, ils regardèrent avec angoisse ce
phénomène leur fondre dessus. La vision qu’ils eurent à cet instant fut
étrange. Leur vue fut masquée par une sorte de brouillard lumineux qui
les frôla, avant de disparaître totalement. Cela ne dura qu'une poignée
de secondes, mais elles leur parurent une éternité. En apnée réflexe
pendant cet intervalle de temps, ils soufflèrent en cœur lorsque le nez de
la navette retrouva le vide intersidéral.
- Tout va bien ? demanda Katarina à ses collègues. Il n’y a pas de casse.
- Nous sommes toujours entiers, répondit le pilote en regardant ses
instruments de bord. Aucune alerte à signaler. Nous sommes passés à
côté, semble-t-il !
Un soulagement de joie s’afficha sur les visages des astronautes lorsque
tous les appareils s’éteignirent soudainement. Que ce soit la lumière
intérieure de la cabine, les appareils de contrôle, le système de recyclage
de l’air ou le chauffage, tout s’arrêta en un instant en un clin d’œil. La
joie laissa la place à une panique en une fraction de seconde.
- Qu’est ce qui s’est passé ? demanda le pilote en regardant tout autour
de lui. Est-ce que l’un d’entre vous a vu quelque chose ?
- Contrôle, répondez ! lança Katarina qui avala la dernière syllabe en se
rendant compte de l’inutilité de la chose. « Nous n’avons plus d’énergie
nulle part sur la navette, comment pourrais-je communiquer avec la
Terre dans ces conditions ? » pensa-t-elle…
L’incompréhension frappait les visages un à un. Qu’avait-il bien pu se
passer ? Il avait réussi à éviter le phénomène, seul un résidu brumeux les
avait frôlés. Mais le plus inquiétant était devant eux, à savoir remettre en
route les systèmes pour ne pas mourir dans ce cercueil volant, perdu au
milieu de nulle part.
Un observateur externe à la scène aurait compris ce qui s’était produit.
Le nuage de gaz magnétique arrivant à très grande vitesse était en train
de dépasser la navette. Au moment précis où la chose atteignit la
- 320 -
hauteur de la carlingue métallique, un phénomène d’aspiration eut lieu,
tel un aimant géant collant les deux entités. Le nuage de gaz ayant à
peine dépassé la fusée, l’équipage avait eu l’impression que l’orage s’était
envolé. En réalité, le brouillard magnétique avait été attiré sur la partie
arrière de la navette, étouffant par la même occasion les moteurs. Une
réaction en chaîne imprévisible était alors survenue : un court-circuit
avait grillé tout le système de gestion d’énergie. Et qui dit plus d’énergie
dit forcément plus d’instruments, de lumière, chauffage ou oxygène.
Une mort assurée à court terme pour l’ensemble des passagers.
- Les combinaisons de survie, cria Katarina à son équipage éparpillé
dans les différents modules de la fusée.
Aussitôt, les astronautes s’exécutèrent. S’ensuivit un lent et méticuleux
ballet aérien, où chacun réalisait les gestes longuement répétés à
l’entraînement. Étant sur la même galère, les collègues s’entraidèrent
pour s’équiper. Ils vérifièrent l’étanchéité de chaque combinaison,
l’arrivée et le recyclage de l’oxygène, et s’assurèrent qu’aucun d’entre eux
ne risquait une dépressurisation malheureuse. Le pilote effectua un test
des radios intégrées à leur casque, pour valider le fait de pouvoir
communiquer malgré leur harnachement. Chacun d’entre eux avait
désormais deux heures d’autonomie, grâce à leur module de survie
individuel.
- Je veux une check-list complète des équipements, annonça le
commandant à ses hommes. Il faut qu’on sache ce qui se passe pour
rétablir très vite la situation. Je n’ai pas besoin de vous dire que nos
scaphandres ont une durée de vie très limitée. En plus, nous allons être
beaucoup plus lents dans nos actions, donc il n’y a pas de temps à
perdre. Prochain contact radio dans dix minutes. C’est parti !
- Navette, ici Houston, répondez !
Le technicien radio de la NASA continuait son appel, en vain. Depuis le
début de la construction de la station orbitale, aucun vaisseau n’avait
disparu des ondes plus de quelques minutes. L’exercice était fréquent
lors d’une rotation autour de la Lune, mais cela ne durait jamais très
longtemps. La situation était bien différente cette fois-ci. Après un quart
d’heure de silence radio, l’équipe au sol était dans un état d’énervement
et d’angoisse inimaginable. Chacun s’attendait au pire tout en espérant
un dénouement heureux. Le directeur Johnson faisait les cent pas, allant
- 321 -
d’un pupitre à l’autre, posant encore et toujours les mêmes questions :
« Qu’est ce que ça donne ? » Au final, il retournait inexorablement vers
son homme de main personnel qui tentait par tous les moyens de
pirater la liaison radio du satellite militaire. Le technicien ayant sans
arrêt le directeur dans son dos n’arrivait plus à réfléchir sereinement.
Son niveau de stress allait exploser le plafond. L’affaire n’était pas une
partie de plaisir, et malgré ses nombreux talents, il finit par s’avouer
vaincu. Les militaires avaient parfaitement protégé leur système de toute
tentative de piratage.
CHAPITRE 70
- Allo !
- Kevin, c’est Sarah. Est-ce qu’on peut se voir en soirée ?
- Euh ! Ça dépend, c’est personnel ou professionnel ? demanda-t-il le
sourire en coin.
- Les deux mon Capitaine !
- Dans ces conditions, rendez-vous vers vingt heures au restaurant de la
plage, mais c’est vous qui invitez !
- Je vois que la galanterie masculine a encore beaucoup d’efforts à faire !
C’est d'accord, car c’est important.
- Et je suppose que vous ferez une fiche de frais professionnel ? lança
Kevin de plus en plus moqueur.
- À tout à l’heure, répondit Sarah pour éviter de relever le pic verbal de
son interlocuteur.
Sarah voulait obtenir des certitudes. Cette affaire était en train de
tourner au vinaigre et elle ne comprenait pas comment ils en étaient
arrivés là. Avec les énormes moyens humains qui avaient été mis à leur
disposition durant le début de l’enquête, comment avaient-ils pu subir
un tel fiasco ? Les présomptions menant à un ou des coupables ne
manquaient pas, mais les indices réels, tangibles et palpables se faisaient
rares. Elle devait convaincre Kevin de faire un travail totalement illégal
pour elle : pirater le système de sécurité de la fondation « Avenir
Propre ». Elle était persuadée que son collègue Jerry avait tenté le coup
à la demande d’Herbert Hoover, même si cela était resté confidentiel.
Malheureusement, l’opération n’avait pas abouti positivement. Durant la
- 322 -
réunion de l’après-midi, personne n’en avait parlé, même pas une
allusion. Elle se doutait bien dans ces conditions, que l’affaire n’était pas
une partie de plaisir, et que seul un informaticien de très haut vol
pourrait atteindre cet objectif. Elle devait jouer le coup tout en finesse,
en charmant au maximum Kevin si cela était encore nécessaire. Elle
s’était posée la question des limites qu’elle ne voulait pas franchir à
plusieurs reprises, mais son attirance de plus en plus marquée pour
l’homme n’en serait finalement pas une, s’il acceptait de l’aider. Dans
d’autres circonstances, si elle avait rencontré Kevin à la terrasse d’un
café ou dans un bar, elle se serait probablement laissée embarquer sur la
vague de la passion amoureuse sans aucune arrière-pensée. Depuis le
temps qu’elle était seule, elle avait gagné son droit au bonheur.
- Faites venir Kevin Klein, ordonna le directeur Johnson.
Il fallait impérativement qu’ils récupèrent une liaison avec la navette, de
quelques manières que ce soit. Plus les minutes passaient, plus
l’affolement prenait de l’ampleur à la NASA. Chacun pensait déjà au
pire sans l’avouer aux autres pour ne pas sombrer dans une vague de
désespoir. Les vérifications des instruments avaient été effectuées pour
la troisième fois en vingt minutes, confirmant que le problème
provenait obligatoirement de la navette. Le phénomène gazeux qui les
avait frôlés avait probablement causé des dégâts au niveau de la radio,
du moins c’était ce qu’ils espéraient tous sans réellement y croire.
Pourtant, les évènements de la mission précédente laissaient présager un
dénouement heureux.
Kevin arriva au centre de contrôle au pas de course, suivi d’un Tony
aucunement essoufflé par ce galop improvisé. En les voyant entrer dans
la salle, le directeur Johnson leur fit signe de venir auprès du pupitre de
commande du satellite. Le technicien lui indiqua en quelques mots les
tentatives qu’il avait effectuées pour pirater la liaison. Kevin l’écouta
très attentivement et analysa en pensée les actions qui avaient été
menées. Il ne pouvait se permettre de perdre du temps en renouvelant
les mêmes procédures. Lorsqu’il eut terminé son explication,
l’informaticien du centre laissa volontiers sa place. Kevin se retourna
vers Jack Johnson avant de continuer. Il voulait être sûr que ses actions
seraient couvertes en cas de poursuites judiciaires par les militaires.
- 323 -
- J’en prends l’entière responsabilité, répliqua le directeur
solennellement. Ne vous inquiétez pas de cela, pour l’assistance ici
présente, vous n’avez jamais approché ce pupitre.
- Je voulais être sûr que nous étions sur la même longueur d’onde,
continua Kevin. Parce qu’avec mon passé, je ne peux pas me permettre
le moindre écart.
Le technicien et Tony se regardèrent incrédules. De quoi pouvait-il bien
parler ? Le responsable informatique de la NASA avait eu des déboires
avec la justice ! « Voilà une information qui méritera quelques
explications lorsque l’orage sera passé », se dit Tony en oubliant ses
propres ennuis. Kevin pianotait déjà comme un diable sur le clavier de
l’ordinateur. À le regarder attentivement, il donnait l’impression d’avoir
plusieurs cerveaux aux commandes de son corps. Le premier qui
dirigeait ses mains agiles, où chaque doigt semblait indépendant de ses
voisins, un second gérant ses autres fonctions motrices comme ses
yeux, qui n’arrêtaient pas de faire des va-et-vient entre les différents
écrans qui lui faisaient face malgré une tête pratiquement immobile, et
enfin un dernier tournant à plein régime, analysant l’ensemble des
données emmagasinées et chapeautant tout le reste. À cet instant, Kevin
était une mécanique parfaitement huilée, au meilleur de sa forme. Les
spectateurs étaient partagés entre admiration et incompréhension. En
voyant les actions que Kevin réalisait, Tony ne cessait d’acquiescer
inconsciemment. Cela flattait son égo de savoir qu’il aurait fait les
mêmes choses. Pourtant, il lui arrivait de rester bouche bée devant
certaines manœuvres qui lui paraissaient ahurissantes d’ingéniosité. Le
technicien de la NASA, un peu frustré de ne pas avoir réussi sa mission,
tentait lui aussi de comprendre ce qui se passait sur les écrans, mais il
avait l’honnêteté d’esprit de s’admettre complètement dépassé.
Du côté spatial, tous les membres d’équipage de la navette avaient
revêtu leur combinaison. L’oxygène de l’habitacle commençait à se
raréfier, laissant place à une mixture mortelle pour l’humain. Tant que le
système de recyclage n’était pas remis en fonction, leur chance de survie
approchait du néant à court terme. La température avait également
chuté d’une manière impressionnante. Sans leur scaphandre, l’équipage
aurait sombré dans une torpeur mortelle en quelques minutes. Lorsque
tout le monde fut en sécurité, Katarina donna ses ordres grâce à la
liaison radio intégrée dans leur casque.
- 324 -
- Nous avons environ deux heures d’autonomie dans ces combinaisons.
Il est primordial d’exploiter au mieux ce temps. L’objectif principal est
de remettre en service les équipements. Il faut absolument qu’on relance
le générateur de bord pour avoir de l’électricité, du chauffage et un cycle
d’oxygène viable. Une fois qu’on aura rétabli les systèmes de survie,
nous pourrons sûrement contacter la NASA et faire un diagnostic précis
de ce qui est endommagé. Chacun sait ce qu’il a à faire, alors au boulot.
On ne fait un point par radio que tous les quarts d’heure pour
économiser nos batteries.
Après ces bonnes paroles du commandant de bord, l’équipage se
sachant en sursis n’avait qu’une obsession : remettre le moulin en
route ! La tâche n’était pas aisée, surtout avec l’accoutrement qu’ils
avaient sur le dos. Les combinaisons spatiales étaient très difficiles à
mouvoir, même en absence de pesanteur. Chaque geste demandait un
effort épuisant pour chacun d’entre eux. Les manipulations d’objets
étaient encore plus compliquées. Certains astronautes avaient le
sentiment d’être dans la peau d’un boxeur, avec ses gants rembourrés de
multiples couches protectrices. L’obligation d’utiliser des instruments
nécessitant une dextérité qu’ils ne pouvaient avoir dans ces conditions
rendant la tâche extrêmement pénible. Les tournevis, pinces de tout
genre ou même une simple lampe torche s’avérait incroyablement
complexe à manier. Ce qui leur aurait demandé une minute sur terre
prenait trois à quatre fois plus de temps dans l’espace.
Malheureusement, le temps était ce qui leur faisait cruellement défaut à
cet instant.
Pour cette course contre la montre, ils travaillaient en duo. Katarina
faisait équipe avec son pilote. Ayant d’excellentes connaissances sur la
mécanique des navettes, il était également très calé en informatique et
pouvait contourner des processus automatiques si le besoin s’en faisait
sentir. Ils avaient conservé la mission la plus importante : remettre en
service le générateur de bord. Le problème n’était malheureusement pas
aussi simple qu’une poignée à abaisser. Il y avait avant toute autre chose
de multiples vérifications à faire. Ils devaient jauger la charge des
batteries, tester un éventuel court-circuit qui aurait été catastrophique
dans ces conditions, contrôler l’état général des systèmes de survie et
bien d’autres points… Chaque binôme avait un travail à faire et
l’ultimatum imposé par la trotteuse de leur montre accentuait leur stress.
- 325 -
L’habitacle intérieur fut examiné de fond en comble, sans trouver de
trace d’un quelconque problème expliquant cette défaillance.
- C’est comme si le contact avait été coupé, avait lancé le pilote.
- Ce n’est pas bon signe, vraiment pas bon signe du tout, continua
Katarina. Si on ne trouve pas d’où vient le problème, ce sera délicat de
tenter quoi que ce soit. Mais d’un autre côté, qu’est ce qu’on risque ? De
mourir ?
- Nous sommes déjà des cadavres ambulants, avait repris le pilote sans
vouloir faire du pessimisme outre mesure.
- On continue nos vérifications, annonça Katarina à tout l’équipage par
radio. On se garde une marge d’une heure d’autonomie. Passé ce délai,
si tout parait normal, on tente un redémarrage des systèmes. Si le
générateur repart correctement, on aura suffisamment de temps pour ré
oxygéner et réchauffer l’habitacle. Après on pourra lancer une check-list
complète des instruments et voir comment remettre les moteurs en
marche.
Tous les membres d’équipage approuvèrent cette proposition, qui n’en
était finalement pas une, mais bien un ordre direct. Cela leur donnait
une poignée de minutes supplémentaires d’analyses et de contrôles en
tous genres.
Katarina tenta d’échanger un regard avec son pilote, mais à travers le
verre de leur casque respectif, il lui était difficile de savoir ce que
ressentait son collègue. Était-il aussi effrayé qu’elle ? Pensait-il vraiment
qu’il n’avait aucune chance de s’en sortir ? Le mystère restait entier. Elle
sentit soudainement quelque chose lui glisser le long du dos, une
sensation froide et humide. Elle regarda la jauge de sa combinaison, la
pression était bonne, le taux d’oxygène aussi, mais la température
interne venait de dépasser les trente degrés. Elle transpirait à grosses
gouttes dans cette boîte de conserve sur mesure. Un spasme la traversa
de part en part, une réaction du corps face à un esprit trop fertile qui lui
avait insinué son pire cauchemar : une araignée se promenant entre ces
omoplates. Elle baissa le thermostat de sa combinaison, essaya de se
frotter le dos comme elle put, puis elle retourna près de son pilote pour
continuer leurs tests.
Depuis plusieurs minutes, le centre de contrôle de la NASA s’était
désertifié. Le silence avait envahi la salle. Il ne restait plus qu’une
poignée de techniciens, attentifs aux directives de Jack Johnson. Cela
- 326 -
faisait pratiquement une heure qu’ils avaient perdu le contact avec la
navette. Après l’affolement général, chacun des services s’était regroupé
pour une réunion de crise. Les relations publiques rédigeaient déjà
plusieurs communiqués de presse annonçant tous les cas de figure
possibles. Le responsable du centre donnait une conférence relatant les
évènements de l’heure passée. C’était la première fois depuis plusieurs
mois que la NASA devait faire face à un problème d’une telle gravité, ce
qui attisait indéniablement la curiosité des journalistes. Même si le
service de presse du centre n’était pas rentré dans les détails et avait
éludé toutes les questions embarrassantes, le public ne fut pas dupe. Le
groupe de techniciens spécialisés dans les télécommunications étudiait
tous les moyens possibles et inimaginables pour tenter de reprendre
contact avec la navette. Les satellites en étaient un, mais les ingénieurs
présents discutaient de tout ce qui était susceptible de fonctionner, du
plus réalisable au plus farfelu. Plusieurs miliaires parlementaient dans un
coin pour savoir s’ils devaient dévoiler un projet qui était en phase de
test. Une nouvelle génération d’appareils de surveillance du territoire
venait d’être mise en orbite dans le plus grand secret. Il avait la
particularité d’allier le son à l’image, une véritable révolution
technologique dans le monde de l’espionnage. Lorsque le directeur
Johnson entra dans la salle pour leur demander une dernière fois
l’autorisation d’accéder au satellite que Kevin tentait de pirater dans
l’ombre, la réponse fut encore négative. Il les avait questionnés pour en
avoir le cœur net, mais le visage fermé du colonel lui suffisait pour
savoir qu’il n’avait pas changé d’avis. Cela n’entravait en rien sa
détermination : « Si les militaires ne veulent pas nous redonner l’accès,
on va passer outre leur approbation ». Malheureusement, les choses
n’avançaient pas assez vite à son goût, ce qui avait le don de le mettre
hors de lui. Au moment où Jack quittait la pièce, furieux d’accuser un
nouveau refus et pestant contre la rigidité militaire, un général trois
étoiles s’approcha de lui.
- Monsieur le Directeur, nous avons peut-être une alternative à vous
proposer, mais cela fait partie d’un projet hautement confidentiel. De
plus, nous ne sommes pas convaincus de son succès.
- Mais Bon Dieu, accouchez Général ! cria Johnson à la limite de la crise
cardiaque.
- Ça n’est pas si simple, Monsieur le Directeur, reprit le colonel qui lui
avait coupé l’accès au satellite. Nous parlons ici d’un projet militaire
- 327 -
connu d’une poignée de personnes, qui va révolutionner notre façon
d’appréhender la surveillance du territoire. Le général est le seul habilité
à vous donner accès à cette technologie, ajouta-t-il en regardant son
supérieur.
- Notre « projet », reprit ce dernier, est destiné à la surveillance terrestre
et non pas spatiale. Nous ne savons absolument pas s’il peut être d’une
quelconque efficacité dans ce cas. Si nous vous en donnons l’accès, il est
impératif que l’information reste secrète. Une seule personne sera
habilitée à y prendre part, et cela se fera sous contrôle militaire.
- Des hommes sont sûrement en train de mourir là haut, lança Jack
Johnson en levant un doigt au ciel. Il faut qu’on sache où en est leur
situation le plus vite possible pour mettre en œuvre les moyens de
sauvetage adéquats. Je ne vois qu’une seule personne qui ait les
compétences nécessaires et en qui j’ai entièrement confiance. Il s’agit de
mon ingénieur en sécurité informatique : monsieur Klein. Il connaît
parfaitement toutes nos infrastructures. Je vais le chercher.
- Monsieur le Directeur reprit le colonel. Il nous faut également une
pièce à l’abri des regards.
- Je m’en occupe, attendez-moi ici.
CHAPITRE 71
Georges entra à pas de loup dans la loge de sa patronne. Il ne voulait
pas qu’on le voie enfreindre les règles qu’elle avait établies depuis
plusieurs mois. Personne ne devait la déranger les minutes précédant la
prise d’antenne. Le journal de vingt heures était le plus regardé du pays,
et sa prestation devait être irréprochable. Liz avait besoin de se
concentrer et répéter les textes qu’elle devait lire devant quelques
millions de téléspectateurs. Georges avait eu droit à sa colère comme
beaucoup d’autres avant lui, lorsqu’il avait eu le malheur de déroger à
cette règle sacrée. Mais cette fois-ci, c’est Liz qui lui avait demandé de
passer dans sa loge. Quand elle le vit pointer le bout de son nez au
travers de l’entrebâillement de la porte, elle lui fit signe de s’approcher.
Gorges s’assura que personne ne l’avait vu pénétrer dans l’antre de la
journaliste. Il referma derrière lui en songeant à ce qu’un témoin de
cette scène peu coutumière pourrait penser. Un sourire se dessina sur
- 328 -
son visage en réalisant qu’on risquait de les prendre pour des amants.
« Tout sauf ça ! » conclut-il.
- Alors ? demanda Liz dans un murmure.
- Je viens d’avoir la confirmation. Ton bonhomme a bien passé la nuit
au FBI.
Liz leva les bras au ciel en signe de victoire. Elle l’avait senti, son cher
Anthony Alessandro était le suspect idéal dans toute cette affaire.
- Seulement, reprit Georges, il a été relâché ce midi sous caution.
- Laisse-moi deviner ? Ce blanc-bec a réussi à se dégoter un ténor du
barreau…
- Bingo ! Et tu ne sais pas le meilleur ? Il s’agit du cabinet qui gère la
succession d’Henri Durand et qui s’occupe également de sa fondation.
- On le tient, siffla Liz. Donne ça à Freddy et demande-lui de l’intégrer
en ouverture.
Georges prit le morceau de papier que Liz lui tendait et jeta un œil
rapide sur le texte.
- Bob va en faire une jaunisse, ricana-t-il. Je dois quand même te dire
que tu risques très gros, sur ce coup-là !
- Tu penses vraiment que je n’ai pas un plan de secours !!! Si Bob
m’avait écouté dès le début, ce scoop aurait été révélé il y a vingt-quatre
heures. Au lieu de ça, notre bon vieux rédacteur en chef a comme
toujours préféré jouer la sécurité, au nom de l’intégrité journalistique de
la chaîne. Je t’en foutrais moi ! Cette rédaction ne vaut pas un clou et
notre journal suit le mouvement.
- Si on se fait virer, demanda Georges, tu me gardes avec toi ?
- Tu oublies une chose Georgio, je sais pertinemment qu’après ça, je
vais être virée. À toi de voir si tu veux suivre le mouvement ou pas !
Maintenant, dépêche-toi, sinon le prompteur ne sera jamais modifié à
temps.
Georges quitta la loge après s’être assuré que personne ne rôdait dans
les parages. Il traversa les couloirs en rasant les murs, pour se rendre au
bureau de saisie. Freddy était un assistant très débrouillard. Il savait que
son contrat ne serait pas renouvelé et en avait profité pour approcher
les chaînes concurrentes. Au hasard d’un entretien d’embauche, il avait
eu la chance de croiser Liz. Au lieu de jouir de cette situation
malheureuse pour la journaliste qui ne voulait surtout pas qu’on sache
qu’elle désirait changer de crémerie, il lui avait proposé un pacte amical
d’entraide. Le moment de sceller ce traité était arrivé. Il se saisit du texte
- 329 -
que Georges lui glissa discrètement dans la main, puis commença à
taper les modifications sur le prompteur.
- L’antenne dans trois, deux, un…
Le technicien venait de donner le top départ aux deux journalistes. Liz
attendait avec une pointe d’excitation que son binôme lui passe la
parole. Elle savait que son sabotage allait faire des vagues auprès du
chef de rédaction : Bob. Elle espérait simplement qu’on ne lui coupe
pas l’antenne prématurément, ce qui était toujours possible. Seulement,
l’effet de surprise jouait en sa faveur. Le temps que la production
réagisse, elle aurait balancé son scoop. Le reste était secondaire.
- Bonjour, je suis Élisabeth McCarthy, commença-t-elle comme à son
habitude. Dans l’actualité du jour, la NASA a écourté la mission de la
navette « Liberty » pour des raisons techniques. Le porte-parole du
centre spatial a simplement indiqué que tout s’était déroulé
normalement, mais des problèmes mineurs les obligeaient à rentrer sur
Terre plus vite que prévu. Notre enquête nous a permis d’en apprendre
un peu plus à ce sujet…
- Qu’est-ce qu’elle fout ? grogna Bob dans un coin du studio. Ce n’est
pas dans le script ???
- Je ne sais pas, répondit un assistant. Visiblement, elle lit ce qu’il y a
d’écrit sur son prompteur.
Robert Reedman, que tout le monde appelait Bob, sa vieille mère
incluse, scruta l’écran de contrôle du télésouffleur en ajustant ses
lunettes. La journaliste lisait effectivement le texte qui défilait devant ses
yeux. Seulement, son discours n’était absolument pas celui qui avait été
préparé, et qu’il avait supervisé. Cela faisait trente ans qu’il était dans le
métier et son instinct était infaillible. Il avait affaire à une imposture,
purement et simplement. Une poussée d’adrénaline lui fit monter le
sang à la tête en un éclair. Il devint aussi rouge qu’une tomate bien
mûre. Les autres journalistes présents à l’antenne comprenaient petit à
petit ce qui se passait, et commençaient à se décomposer physiquement.
Le binôme de Liz voulut reprendre la parole pour tenter de la ramener
dans le droit chemin. Elle l’envoya carrément promener devant
plusieurs millions de téléspectateurs. L’homme ajusta un sourire de
circonstance bien crispé. Bob s’agitait en coulisse pour stopper par
n’importe quels moyens l’hémorragie.
- 330 -
- La police a interrogé Anthony Alessandro toute la nuit, continua la
journaliste. Nous avons appris qu’il était suspecté dans cette affaire de
terrorisme informatique qui a défrayé la chronique il y a quelques jours.
Ce technicien de la NASA pourrait également être impliqué dans un
vaste programme de sabotage au sein même du centre spatial…
- Mais arrêtez la non de Dieu ! gueula Bob en coulisse. Elle est en train
de nous discréditer aux yeux de tous, et je ne vous parle pas du procès
qu’on va se prendre ! Demain, nous sommes tous au chômage à cause
de cette folle !
L’ambiance dans le studio de montage était tendue à l’extrême.
Personne n’avait jusqu’alors eu à gérer une telle situation. Bob finit par
prendre le taureau par les cornes. Il éjecta de son siège un des
techniciens et poussa lentement une manette de bas en haut. Les écrans
basculèrent dans un fondu du plus bel effet sur une page de publicité de
la chaîne.
- Que personne ne touche plus à rien, hurla-t-il en sortant de la pièce.
Il se dirigea vers le plateau du direct à grandes enjambées.
- Toi, tu es virée, cria-t-il en pointant Liz du doigt.
La stupeur envahit soudainement les quelques personnes présentes, qui
ne savaient pas qu’ils n’étaient plus à l’antenne.
- Fous-moi le camp de ce plateau, je ne veux plus te voir dans mon
studio. Nom de Dieu de nom de Dieu !!! Tu es complètement folle, ma
pauvre vieille. Tu voulais te suicider professionnellement ou quoi ?
Liz arbora un sourire conspirateur et partit en coulisse sans ajouter un
mot. Le staff technique n’en revenait pas. Tous les gens présents avaient
travaillé pendant des années avec la journaliste, et ils venaient de se
rendre compte qu'aucun d’entre eux ne la connaissait finalement. Bob
enrageait d’autant plus qu’il était responsable de sa renommée actuelle.
Sans lui, Liz serait restée une présentatrice de météo ou de jeux plus
idiots les uns que les autres. Se prendre un retour de flamme de cette
façon était au-delà de ce qu’il pouvait supporter. Il baissa les bras avec
un geste de dégoût.
CHAPITRE 72
- Kate, on vient de dépasser le délai, lança le pilote de la navette.
- 331 -
Elle regarda son ordinateur de poche, intégré sur la manche gauche de
sa combinaison. Il lui indiquait une autonomie de cinquante-huit
minutes.
- Message à tous, annonça-t-elle par radio. On se regroupe dans le
cockpit. Tim va relancer le générateur dans deux minutes.
Cent vingt secondes, une durée très courte en théorie, mais suffisante
pour un équipage bien entraîné. Les dédales de sas et autres passages
étroits de la navette n’avaient plus de secret pour eux. Malgré leurs
combinaisons encombrantes, ils pouvaient se rassembler en moins
d’une minute. De cet endroit, ils pourraient relancer les instruments de
bord de la fusée et tenter un redémarrage des moteurs. Lorsqu’ils furent
tous à leur poste, Katarina annonça à son pilote qu’il pouvait entamer la
procédure.
- Tim, on est prêt !
- C’est parti, répondit-il en appuyant sur le bouton de mise en marche
du générateur.
Il hésita tout de même un instant, juste avant de sentir le plastique
s’enfoncer des quelques millimètres sous ses gants. Un scintillement
apparu sur le tableau de bord de la fusée, puis plus rien.
- Qu’est-ce qui se passe, Tim ? demanda Katarina.
- Je ne sais pas, répondit le pilote. J’ai remis le générateur en route, mais
tout s’est coupé une seconde plus tard. On a dû passer à côté de
quelque chose !
- Ce n’est pas possible ! On a tout vérifié à deux reprises.
Katarina se retourna tant bien que mal pour voir ses collègues et tenter
d’avoir leur avis, mais également leur sentiment face à ce coup du
destin. L’incompréhension se lisait sur leur visage. Aucun d’entre eux
n’avait la moindre idée leur permettant de sortir de ce pétrin.
- Réfléchissons, se dit Tim. Qu’est ce qu’on a loupé ?
Sur Terre, le directeur Johnson accompagné de Kevin revenait dans la
salle sécurisée, à l’écart de l’agitation. Un ordinateur portable avait été
installé sur une petite table au milieu de la pièce.
- Messieurs, annonça le général à l’attention des deux hommes de la
NASA, avant toute chose, vous devez lire et signer ce document.
Il leur tendit un dossier noir estampillé d’un « Top Secret » rouge sang.
- 332 -
- Ce que vous allez voir ici est d’une extrême confidentialité. Toute
atteinte à ce protocole sera considérée comme un acte d’espionnage
passible de la peine capitale.
- Vous avez le chic pour mettre de l’ambiance, répondit Jack Johnson
en lui prenant le dossier des mains. Ne perdons pas plus de temps, s’il
vous plait.
Les deux hommes apposèrent un gribouillis à l’endroit indiqué sans en
lire une seule ligne. L’urgence de la situation leur faisait oublier les règles
les plus élémentaires.
- Je vous trouve bien peu raisonnables messieurs, ajouta le colonel.
Vous venez de signer un document « Top Secret » sans en avoir
parcouru la moindre page !
- Le temps est une chose qu’il nous manque cruellement à l’heure
actuelle, dit Jack.
Un jeune lieutenant à l’écart du groupe s’approcha à la demande du
colonel, et s’assied derrière l’ordinateur.
- Quels protocoles pouvons-nous utiliser pour nous connecter au
réseau ? questionna-t-il.
Kevin lui indiqua les données à saisir et les mots de passe qu’il
s’empresserait de modifier une fois cette affaire terminée. Le général en
profita pour rappeler une dernière fois que la technologie qu’il allait voir
à l’œuvre était révolutionnaire dans le monde de la surveillance et de
l’espionnage. La moindre fuite serait passible de sanction extrêmement
sévère.
Après quelques manipulations, le lieutenant aidé de Kevin annonça à ses
supérieurs que la liaison avec leur satellite était opérationnelle.
- Que voulez-vous que nous fassions ? demanda-t-il.
- Monsieur le Directeur, ajouta le général, il est à vous.
Kevin donna les dernières coordonnées connues de la navette au jeune
militaire, sur l’ordre de Jack. La hiérarchie était respectée à la lettre,
chacun restant à sa place dans cette atmosphère tendue. L’importance
de l’enjeu ne faisait pas oublier les bonnes règles de conduite.
L’affichage sur l’écran de l’ordinateur était divisé en deux parties, une
contenant une multitude de zones de saisie et de chiffres divers, une
seconde montrant l’image obtenue par la caméra du satellite. Le
lieutenant effectua quelques corrections pour cibler un point lumineux
qui semblait intéressant. Il zooma au maximum et se rendit compte qu’il
pointait sur une étoile.
- 333 -
- Ça va être sacrément compliqué de retrouver votre navette avec ce
satellite, finit-il par annoncer. Il n’est absolument pas prévu pour ça.
- Pouvez-vous activer les radars sonores ? demanda le colonel. Si les
moteurs de la fusée fonctionnent, nous aurons plus de chance de les
entendre que de la voir.
Le lieutenant enclencha les capteurs révolutionnaires de ce satellite
géostationnaire. Les enceintes crachèrent un bruit de fond sourd et
régulier. Kevin lui indiqua une cible potentielle. L’oiseau commença à
pivoter pour s’orienter vers l’emplacement choisi, sans plus de succès.
Plusieurs essais infructueux se succédèrent au désespoir du directeur
Johnson. Pourtant, les hommes eurent une montée d’adrénaline en
entendant un bourdonnement régulier, mais l’image montra qu’il venait
de cibler le satellite que Kevin avait tenté de pirater.
- Voilà notre seul moyen de voir ce qui leur arrive, annonça Jack en
désignant l’objet à l’écran. Votre super satellite est beaucoup trop
éloigné de nos astronautes pour qu’on puisse en tirer quoi que ce soit.
Quand aurons-nous la possibilité de l’utiliser à nouveau ?
- En théorie, vous pourriez y accéder dès à présent, répondit le colonel.
Seulement, le cycle de charge des batteries n’étant pas terminé, il est
techniquement peu judicieux de vous autoriser à en reprendre le
contrôle.
Il questionna du regard le lieutenant, qui annonça un chiffre, après avoir
pianoté quelques commandes.
- Il faut encore attendre une cinquantaine de minutes pour que les
batteries soient à cent pour cent. Si vous réactivez les moteurs avant
cette durée, vous n’aurez qu’une poignée de minutes d’autonomie.
- Comment se fait-il qu’après plus d’une heure, nous n’ayons pas plus
de quelques minutes d’utilisation ? demanda Jack Johnson.
- Sans entrer dans les détails, répondit le lieutenant, la gestion des
batteries de ce modèle est assez ancienne. Pour ne pas avoir un engin de
plusieurs tonnes, les ingénieurs avaient développé un système de charge
lente, très efficace lorsqu’il va jusqu’à son terme. Pour l’utilisation que
nous en avons, cela correspond parfaitement à nos besoins. Le satellite
est maniable, léger et par conséquent peu gourmand en énergie.
Seulement, lorsqu’il est fortement sollicité comme aujourd’hui, et qu’on
puise pratiquement toutes les réserves des batteries, le cycle de charge
est beaucoup plus long et ne doit pas être interrompu sous peine de
réduire irrémédiablement leur capacité.
- 334 -
- Cela signifie, reprit le colonel, que si vous l’utilisez avant cinquante
minutes, vous allez diminuer leur durée de vie. Autant vous dire que le
contribuable ne va pas apprécier d’avoir à débourser plusieurs autres
millions de dollars dans un nouveau satellite parce que vous n’avez pas
eu la patience d’attendre quelques minutes de plus.
- Vous croyez que la formation de quatre astronautes ne coûte rien ?
lança Jack qui sentait la colère lui monter au nez. Si la navette est
opérationnelle et que nous sommes incapables de la récupérer parce que
nous n’aurons pas pris la bonne décision, ce ne sera pas quelques
millions de dollars perdus, mais plusieurs milliards ! Je me fous de la
technique, il faut que je sache ce qu’est devenu mon équipage.
Les militaires se regardèrent quelques instants dans le blanc des yeux.
Une sorte de télépathie émanait d’eux. Soudain, le général annonça le
verdict.
- OK pour trois minutes d’utilisation, mais pas une de plus.
- On retourne en salle de contrôle, répliqua le directeur à Kevin et au
lieutenant.
- Messieurs, ajouta le militaire, n’oubliez pas ce que vous avez signé.
Motus et bouche cousue comme on dit !
Les hommes sortirent au pas de course. Leur entrée jeta un froid parmi
les techniciens présents, qui se demandaient ce qui se tramait. La
plupart d’entre eux étaient revenus de réunion depuis quelques minutes,
sans savoir où était le directeur, et par conséquent incapable de faire un
point sur la situation. Sans prononcer un mot à l’assemblée, qui
s’interrogeait légitimement sur les évènements, Jack, Kevin et le
lieutenant se dirigèrent vers le pupitre de commande du satellite où
Tony était installé. En voyant arriver son supérieur avec un militaire, il
ferma toutes les applications ouvertes sur l’ordinateur, pour ne laisser
aucune trace de leur tentative de piratage. Il leur céda la place,
comprenant que le directeur avait probablement eu un sursis. Le
lieutenant exécuta une série de commandes le plus rapidement possible,
pour masquer au mieux les manipulations à effectuer afin de reprendre
le contrôle du satellite. Malgré une concentration extrême, Kevin et
Tony se regardèrent avec le même regret : la manipulation avait été trop
rapide malgré leur aptitude. Il n’avait pas réussi à mémoriser tous les
accès et mots de passe que le militaire venait d’utiliser. « Ce petit
lieutenant est décidément très doué », pensa Kevin. Si seulement il
- 335 -
oubliait d’effacer le journal d’évènements du poste, il aurait peut-être un
moyen de retracer ses actions.
Le contrôle du satellite était maintenant opérationnel, le lieutenant
bascula l’image renvoyée par la caméra sur l’écran mural de la salle. Un
tableau noir apparut, constellé de petits points blancs plus ou moins
lumineux. Il ne pointait plus sur la navette. Voyant le regard angoissé et
interrogateur du directeur Johnson, le colonel s’empressa de le rassurer.
- C’est tout à fait normal, Messieurs. Nous avons été obligés d’orienter
les panneaux du satellite vers le soleil pour qu’il puisse se recharger plus
efficacement. Il faut simplement que nous réalignions la caméra sur
notre objectif.
Le lieutenant continuait de pianoter sur son clavier, puis au bout d’une
vingtaine de secondes, l’image commença à se déplacer de gauche à
droite, doucement, mais sûrement. L’inclinaison verticale évolua
également. Après une petite minute, la cible était atteinte. Un ridicule
point lumineux apparut au milieu de nulle part. Le militaire zooma vers
l’objectif en effectuant des corrections d’orientation. L’image devient
floue et tremblotante, jusqu’au moment où le grossissement maximum
fut obtenu.
- Qu’est-ce qu’on est idiot, lança le pilote de la navette à l’équipage.
Lorsqu’on a vérifié le générateur principal, on a oublié de réenclencher
un fusible. Je viens de le voir à l’instant.
- Ça n’est vraiment pas très professionnel, commenta Katarina
ironiquement, sachant pertinemment que c’était eux qui avaient effectué
cette manipulation. Allez Tim, on a plus de temps à perdre.
- C’est reparti, cria-t-il dans sa radio en appuyant à nouveau sur le
bouton rouge de mise en route.
Un frémissement électrique se fit sentir dans la navette, le générateur
bourdonna une seconde. Soudain, les lumières s’allumèrent en vacillant.
Les indicateurs du tableau de bord commencèrent à reprendre vie.
- Excellent, cria Katarina tout soufflant de soulagement. On va pouvoir
relancer les systèmes de survie et quitter nos combinaisons dans une
dizaine de minutes. Tim, rien d’anormal au niveau du générateur ?
demanda-t-elle.
- Tous les voyants sont au vert. Je réactive le recyclage de l’air et je vous
rejoins.
- 336 -
- Nous t’attendons mon ami, répondit-elle.
L’espoir venait de renaître parmi les membres d’équipage. Dans une
vingtaine de minutes, ils pourraient reprendre leur plan de vol, à moins
que les moteurs ne posent problème. Quoi qu'il en soit, la situation de
crise s’assainissait, augmentant leurs chances de survie.
Le pilote changea de compartiment pour passer près des réserves
d’oxygène. Il regarda si la jauge fonctionnait et ce qu’elle indiquait. La
bonne nouvelle le ravit, aucune fuite n’avait eu lieu et ils avaient de quoi
revenir sur Terre sans encombre. En se penchant légèrement pour
admirer les étoiles à travers un des hublots latéraux, Tim remarqua une
chose inattendue. En y regardant plus attentivement, il voyait le nez de
la fusée très nettement, par contre l’arrière semblait baigner dans une
sorte de brouillard.
- Kate, il y a un truc bizarre ici.
- Je t’écoute.
- On dirait qu’on a une importante fuite d’oxygène à l’arrière de la
navette.
- Qu’est-ce que tu vois ?
- Je ne comprends pas, car les jauges sont pourtant normales.
Cependant, la queue de la fusée est entourée par un gaz blanchâtre. Je
ne sais pas d’où il vient, mais il semble qu’on perde quelque chose.
Katarina réfléchit un instant sans comprendre ce que cela pouvait être.
Elle se remémora soudainement ce qui s’était passé lors de la mission
précédente. Le commandant de bord et ami Samuel Shepard lui avait
raconté qu’il avait vu la même chose.
- Pas de panique, finit-elle par annoncer. L’équipage de la mission
précédente avait constaté un phénomène identique.
- Peut être, répondit le pilote, mais il semble me rappeler que ce truc ne
leur était pas resté collé aux baskets. Il les avait frôlés puis avait disparu !
- De toute façon, on ne peut rien faire de plus pour le moment, reprit
Katarina. On continue notre mise en route. Tim enclenche les systèmes
à oxygène.
Le pilote s’exécuta.
Au centre de contrôle de la NASA, l’image renvoyée par le satellite était
désormais focalisée sur la navette, un résidu flou subsistait sur toute la
partie arrière, sans que personne ne comprenne vraiment pourquoi. Le
- 337 -
soulagement de la voir encore entière fut accompagné
d’applaudissements et de cris de joie.
- Ils sont toujours en vie, annonça un technicien. Regardez, les hublots
avant sont éclairés.
- Mais qu’est-ce que c’est que cette poche de gaz à l’arrière de la navette,
demanda quelqu’un dans l’assistance ? J’espère que ça ne vient pas d’une
fuite sur les réservoirs d’oxygène…
Il avait à peine eu le temps de terminer sa phrase qu’une énorme boule
de feu jaillit des moteurs, pour se propager vers l’avant de l’engin. Le
spectacle était hallucinant. Les flammes englobèrent la fusée en moins
d’une seconde, pour finir par une explosion gigantesque. Sans le son,
cela donnait l’impression d’assister à un vulgaire montage numérique et
non à la réalité. Tout le personnel fut soufflé de stupeur par ce qu’ils
avaient devant les yeux. La seconde précédente, tout le monde se
félicitait d’avoir retrouvé la navette entière, et qui plus est avec
l’équipage probablement en vie, l’instant d’après, une boule de feu d’un
blanc immaculé venait d’emplir l’image affichée sur l’écran mural. Le
spectacle ne dura qu’une poignée de secondes avant de disparaître
définitivement. L’explosion avait tout pulvérisé sur son passage, il ne
restait absolument rien, hormis quelques débris virevoltant dans le vide
intersidéral. Le choc fut impossible à encaisser pour la plupart du
personnel présent dans la salle de contrôle. Le directeur Johnson sentit
pour la première fois depuis bien des années ses jambes se dérober sous
son poids, ce qui l’obligea à s’asseoir lourdement sur un fauteuil. Il resta
ainsi, les mains autour du visage pour tenter de reprendre ses esprits et
se concentrer sur la suite des évènements. Kevin et Tony étaient
debout, les yeux rivés sur l’écran géant affichant la catastrophe. C’était la
première fois qu’ils assistaient à une pareille épreuve. Après de longues
secondes passées dans un silence de mort, ils se regardèrent avec le
même sentiment d’incompréhension. Qu’avait-il bien pu se produire ?
Lorsque le pilote de la navette enclencha la mise en route du système de
gestion de l’oxygène, le processus se remit en service normalement. Le
gaz carbonique accumulé durant l’arrêt des extracteurs fut filtré avant
d’être remplacé par du dioxygène. Une chose inouïe et impossible à
prévoir survint à cet instant. Le rejet de cette émanation néfaste pour
l’homme vint altérer la chimie du phénomène présent autour de la
navette, le transformant en un mélange hautement inflammable.
- 338 -
- Kate, tout va bien ! annonça Tim. Dans moins de dix minutes, nous
pourrons enlever nos combinaisons.
- Excellent, mais nous avons déjà perdu assez de temps comme ça. Il
faut que nous repartions au plus vite pour rétablir le contact avec la
Terre. Il semble qu’un champ électromagnétique nous bloque les
signaux radios.
Katarina décompta les secondes avant la mise en marche des moteurs.
- Cinq, quatre, trois, deux, un… et elle appuya sur le bouton qui allait
les conduire à la mort.
L’allumage des propulseurs eut le même effet qu’une allumette craquée
dans une pièce remplie de gaz. L’explosion fut immédiate, en
commençant par l’arrière de la fusée et se propageant très rapidement à
toute la navette. Les réserves d’oxygène amplifièrent la catastrophe en
servant de catalyseur. En une poignée de secondes, les membres
d’équipage passèrent de vie à trépas sans avoir eu le temps de
comprendre ce qu’il leur arrivait.
CHAPITRE 73
Une semaine plus tard, après un déchaînement médiatique sans
précédent, des têtes tombaient. Les tensions extrêmes entre les
politiciens, les militaires et le conseil directoire de la NASA avaient eu
raison de plusieurs hauts responsables. Jack Johnson avait déjà présenté
sa démission, prenant cette catastrophe comme un échec personnel.
Kevin et Tony avaient travaillé sans relâche, analysant les données
récupérées avant l’explosion, en vain. Leurs conclusions exposées au
sein d’une réunion extraordinaire n’apportaient aucune réponse
acceptable pour quiconque. L’affaire du virus avait été reléguée au
second rang par le FBI, et totalement oubliée par l’opinion publique.
L’explosion d’une navette restait un évènement majeur, qui alimenterait
l’actualité durant plusieurs semaines. Sarah et Don avaient fini par
rendre un rapport détaillé à leur direction. Le groupe d’enquêteurs mené
par Herber Hoover avait été officiellement dissous trois jours après la
catastrophe. Sarah et Don étaient les seuls rescapés et avaient continué
leurs investigations. Leur directeur Francis Fitzgerald leur avait laissé
quelques jours supplémentaires pour finaliser leur dossier, mais le
résultat restait identique : « Nous avons plusieurs suspects, mais aucune
- 339 -
preuve pour étayer une quelconque procédure judiciaire ». Dans ses
conditions, le gouvernement ne pouvait pas se permettre de dépenser
des milliers de dollars complémentaires pour une action en justice qui
n’aboutirait sûrement jamais, sans compter que plus personne n’avait eu
vent du fameux virus depuis plusieurs jours. Le programme concocté
par Kevin avait été stocké gratuitement sur internet, en libre accès sur
de très nombreux sites. Les médias avaient matraqué l’opinion publique
d’annonces-chocs durant quelques jours. Tous les possesseurs
d’ordinateurs devaient télécharger et utiliser le logiciel de dépistage.
Aucun retour positif n’avait été déclaré depuis sa mise en ligne.
Harold Hutchinson, alias Henri Durand, avait été inhumé dans son pays
d’adoption à la fin de cette folle semaine. Tony et son cousin avaient
fait le déplacement jusqu’en Suisse pour rendre un dernier hommage à
leur ami disparu. Quelques dirigeants européens de la fondation
« Avenir Propre » étaient présents lors de la sépulture, plus par
obligation que par respect envers l’homme qu’ils voulaient destituer de
son statut de président quelques jours auparavant. Malheureusement
pour eux, un loup était entré dans la bergerie d’une manière inattendue.
Henri Durand avait fait modifier des clauses dans le règlement interne
de la fondation. Une d’entre elles concernait sa succession en cas de
disparition tragique. Il nommait expressément son remplaçant, le tout
validé par son cabinet d’avocats. C’est ainsi que Tony se retrouva à la
tête du groupe bien plus tôt qu’il ne l’avait envisagé.
Avant de repartir pour les États-Unis, il désirait se rendre sur le lieu
d’habitation de Durand, pour voir une dernière fois sa cabane au fond
des bois. Il avait demandé à son cousin Mauricio de s’occuper de la
gestion de leur voyage de retour, pendant qu’il réalisait cette escapade.
En franchissant la barrière à l’entrée du domaine, il se remémora la
dernière fois qu’il était venu en ces lieux, quelques mois auparavant.
Henri l’avait invité à passer une dizaine de jours sur les bords du lac
Léman, pour lui expliquer ce qu’il attendait de lui. Il lui avait fait
découvrir sa tanière souterraine au fond du parc, avec son entrée secrète
dans sa cabane à outils. Tony avait été impressionné par le matériel
High-Tech amassé dans ce local. Malgré une superbe vue sur le lac
Léman au travers de petits carreaux de verre, fournissant une lumière
tamisée même en plein jour, l’endroit n’était pas fait pour les gens
claustrophobes. Henri lui expliqua le fonctionnement de chaque
- 340 -
appareil et lui promit qu’il lui procurerait les mots de passe et les clés de
décryptage le moment venu. Tony avait le sentiment de découvrir le
Saint Graal sans pouvoir réellement s’en approprier. Son monde
informatique sécurisé commençait à prendre du plomb dans l’aile.
- Tu vois ce listing, expliqua Henri, c’est le nom des institutions où j’ai
accès.
La liste était impressionnante. Toutes les structures publiques et privées
étaient inscrites sur un ensemble de feuillets. Il y en avait pour tous les
goûts et tous les pays, de l’entreprise de pointe en passant par les firmes
gouvernementales, pour finir par des sociétés privées de tous horizons.
- Toutes ces enseignes, continua Henri, ont techniquement parlant un
intérêt pour moi. Certaines d’entre elles, qui te paraissent anodines au
premier regard, développent en secret de nouvelles technologies.
D’autres sont axées sur l’armement, certaines sur la robotique et même
la nanotechnologie, d’autres encore sur la mise au point de
médicaments, et j’en passe... Cela me permet de connaître au jour le jour
l’avancée technologique mondiale et de faire des prévisions sur l’avenir.
- Tu veux dire que grâce à ces accès, tu collectes des renseignements
susceptibles de faire évoluer dans un sens précis certaines recherches ?
questionna Tony très impressionné ?
- Exactement, confirma Henri. Il m’est arrivé d’influencer certaines
découvertes ou même d’en saboter lorsque cela s’avérait nécessaire.
- Comme quoi ?
- Sous le couvert de l’anonymat, j’ai mis en relation plusieurs chercheurs
pour qu’ils parviennent à débloquer des situations purement
administratives. Au lieu de réaliser deux fois les mêmes travaux par des
sociétés concurrentes, des fuites savamment orchestrées ont permis de
réaliser des avancées significatives en un temps record. Il m’est
également arrivé de saboter des recherches sur de nouvelles armes, en
détruisant des fichiers informatiques hautement sécurisés. Tu t’imagines
bien que ces entreprises ne portent jamais plainte tellement l’enjeu est
important.
- C’est incroyable, marmonna Tony. Mais comment arrives-tu à pirater
ces sites sans te faire remarquer ?
- De l’astuce, mon garçon, du feeling et parfois de la chance. Je te
montrerai tout ça plus en détail, mais pour l’instant, je veux que tu
comprennes parfaitement le potentiel de ce lieu. Je l’ai mis en place
- 341 -
uniquement dans un but humanitaire, et avant de t’en donner les clés, tu
dois faire tes preuves.
- Aucun problème, continua Tony. Dis-moi ce que je dois faire…
- En fait, il y a un site qui manque cruellement sur cette liste.
Tony regarda plus en détail les quatre ou cinq pages, sans deviner quel
était l'absent.
- La NASA Tony, ta boîte ! À cause de ton chef, je n’ai jamais réussi à
obtenir des accès sur vos serveurs. C’est ça ton rite de passage. Il faut
que tu me trouves le moyen de m’introduire dans vos systèmes, sans
que ton supérieur s’en aperçoive.
- Tu me demandes de trahir mon employeur en quelque sorte ?
- Si tu y réfléchis un instant, aujourd’hui tu es à la NASA, mais sais-tu
où tu seras demain ? Ta boite est une plate-forme stratégique qui pourra
m’ouvrir les portes d’un secteur en plein essor. Je pense qu’une poignée
de militaires travaillent en étroite collaboration avec la NASA sur le
développement d’armes laser, mais également sur du matériel de
surveillance embarquée dans des satellites. Si c’est le cas, il faut que je le
sache.
- Très bien, je verrais ce que je peux faire, répliqua Tony.
- Parfait. En attendant, comme tu es là encore quelques heures, tu vas te
rendre utile. J’ai une caisse de mouchards à tester.
- Qu’est ce que je dois faire ? demanda Tony.
- Tu vois ces petits circuits imprimés, ce sont des modules qui
enregistrent les saisies sur un clavier. Il faut les initialiser en indiquant
l’adresse d’envoi des fichiers collectés.
Tony fut tiré de sa rêverie par l’arrivée de son cousin qui revenait le
chercher pour se rendre à l’aéroport. Sur le chemin du retour, ils
discutèrent de tout et de rien avant que la conversation ne se focalise
sur l’avenir de la fondation. Mauricio était inquiet pour son poste. Il
était l’homme de main de Durand, son protégé en quelque sorte.
Depuis son décès, sa fonction risquait de prendre une tournure tout
autre.
- Henri m’a nommé « président par intérim », annonça Tony. Le poste
est intéressant, mais j’ai des envies bien différentes. Je vais m’arranger
pour faire promouvoir quelqu’un de confiance que tu pourras surveiller
pour moi, juste au cas où.
- C’est génial ça Tony, tu es un frère !
- 342 -
Ce dernier n’ajouta rien, mais ses pensées n’étaient pas aussi pures qu’il
le montrait. Durant le trajet, il se remémorait la façon dont il avait dévié
les soupçons du FBI sur son cousin : le pauvre Mauricio qui croyait
toujours agir pour le bien de la fondation. Il était le candidat idéal pour
cette fonction. En cas d’arrestation, il ne savait rien des véritables
enjeux qui animaient les têtes pensantes de la fondation. Par
conséquent, il ne pouvait rien divulguer. Cette fameuse nuit où ils
avaient remplacé les claviers informatiques sur ce parking d’un bar
routier, Tony s’était occupé de la mise en place des puces électroniques,
mais c’est Mauricio qui l’avait conduit, avait crocheté la remorque du
camion et avait fait le guet. C’est également lui qui s’était introduit dans
les locaux du FBI et avait détruit les ordinateurs récupérés en Suisse. En
liaison radio avec Tony qui le guidait à distance, il avait pris tous les
risques. Tony avait simplement supervisé son action à distance, en le
suivant à l’aide du système de surveillance. Il avait également effacé les
traces pouvant compromettre son cousin.
La seule erreur qu’il avait réalisée et qu’il ne pouvait pas mettre sur le
dos de Mauricio était sa fuite en voiture, lors de son arrivée à la NASA,
peu avant l’explosion de la navette. Cette journaliste, Liz McCarthy,
avait réussi à lui insinuer un doute sérieux et l’avait affolé. Un
égarement qu’il ne commettrait pas une seconde fois. Le sang froid était
une chose qu’il maîtrisait parfaitement, sauf en présence d’une personne
ayant une telle aura. Le magnétisme qu’elle dégageait lui avait fait perdre
une partie de ses moyens. Il avait douté et s'était enfui comme un petit
truand de seconde zone avant de reprendre le contrôle de ses émotions.
En analysant toutes les options qui s’offraient à lui, il avait préféré jouer
la carte du jeune homme naïf. Il s’était arrangé pour que le FBI ne
puisse lui reprocher que son délit de fuite. Un écran de fumée devant les
yeux des fédéraux. Cela avait égratigné son cousin au passage, mais
c’était le prix à payer. Pourtant, il en était ressorti plus fort mentalement
et psychologiquement, et avait fait une rencontre aussi imprévue
qu’excitante en la personne de Jessica Jones-Smith, son avocate toute
dévouée.
Même s’il lui était impossible de reprendre les activités cachées de son
mentor, il n’envisageait pas de devenir le président d’une fondation
d’une telle envergure. Il n’était pas encore prêt pour plonger dans la
- 343 -
fosse aux requins. La politique ne l’intéressait nullement. Malgré le fait
que le savoir-faire de Durand avait bel et bien disparu avec lui, le
pouvoir dont il avait joui pendant toutes ces années commençait à lui
faire envie. Poursuivre ses activités cachées était le meilleur moyen de
lui rendre hommage.
CHAPITRE 74
- Allo Kevin ?
- Bonjour Sarah, répondit-il.
- Comment ça va après tout ce qui s’est passé ?
- L’ambiance est morose à la NASA, même si le travail reprend ses
droits, comme toujours.
- J’ai lu que le directeur Johnson avait posé sa démission…
- Exact ! J’ai entendu dire qu’elle allait prendre effet dès la semaine
prochaine. J’avoue que cette situation me fait un peu peur. J’avais appris
à le connaître après toutes ces années. Je savais comment il réagissait, la
façon dont il gérait les crises… En clair, il va nous manquer ici et je
crois qu’on perd un grand homme.
- Est-ce que vous avez tout de même le droit de prendre votre weekend ? demanda-t-elle comme si de rien n’était.
- Il ne manquerait plus que ça ! balança-t-il. Après la semaine de folie
que je viens de passer, j’ai même envie de partir plusieurs jours en
congés. Je les ai bien mérités !
- Est-ce que ça vous dirait qu’on se fasse un restaurant ce soir ?
- J’en serai ravi. Je ne vois que du vieux schnock à longueur de journée,
alors vous me changerez les idées. On dit vingt heures, au restaurant de
la plage ?
- C’est parfait, finit-elle par répondre en souriant de toutes ses dents.
Kevin avait travaillé comme un fou furieux durant plus d’une semaine,
restant la plupart des nuits au bureau. L’explosion de la navette avait
apporté un vent de morosité sur le complexe spatial. La disparition
tragique d’astronautes n’était pas une chose facile à encaisser. Le
directeur Johnson en avait fait les frais le premier en posant sa
démission, même si cela lui fendait le cœur. Il aurait tellement voulu que
le projet de station orbitale aboutisse pendant qu’il était aux
- 344 -
commandes. Lui qui l’avait porté à bout de bras depuis toutes ces
années devait se résigner devant la fatalité. Il prenait une retraite
anticipée à contrecœur. Pourtant, l’analyse des informations récupérées
avant la perte de contact avec la fusée n’avait rien donné. Kevin, aidé de
son acolyte Tony, mais également d’autres techniciens du centre, avait
conclu qu’il n’avait plus aucun moyen matériel pour connaître la vérité
sur ce drame. C’était la version officielle qu’il avait présentée lors de la
réunion exceptionnelle qui avait eu lieu cinq jours plus tard. La navette
ayant été entièrement détruite par l’explosion, il était inenvisageable
dans ces circonstances d’envoyer un nouvel équipage pour collecter les
débris. Les satellites de surveillance effectuèrent plusieurs rotations
autour du lieu de l’accident sans répertorier le moindre indice. Le
phénomène gazeux n’était pas réapparu dans notre système solaire.
Plusieurs spécialistes en avaient conclu qu’il avait disparu en même
temps que la fusée.
Kevin sourit également en raccrochant son téléphone. Ce dîner en tête à
tête avec Sarah lui ferait le plus grand bien. Il décida de quitter son
travail plus tôt qu’à l’accoutumée. Le week-end arrivait à point nommé.
Son appartement ayant besoin d’un bon coup de balai et de chiffon.
Même s’il n’y avait pas mis les pieds depuis plus de quatre jours, la
poussière ne l’avait pas attendu. « On ne sait jamais comment cette
soirée peut finir », pensa-t-il. Il vaut mieux être prêt à toute éventualité.
Il quitta le centre spatial très fatigué, mais d’une humeur excellente. Un
sentiment qu’il n’avait pas ressenti depuis bien longtemps.
Il arriva au restaurant à l’heure prévue, ni trop en avance pour montrer
son impatience, ni trop en retard par courtoisie et savoir-vivre. Sarah
apparut une minute plus tard, ce qui lui confirma qu’ils étaient sur la
même longueur d’onde. Le soleil rougeoyant descendait doucement sur
l’océan, une légère brise rafraîchissait l’atmosphère torride de la journée.
Le cocktail aux fruits fut une véritable bénédiction, exaltant le corps et
l’âme des deux convives. La discussion était volontairement anodine
malgré une orientation inéluctable vers leur travail respectif. Sarah finit
par aborder l’ultime sujet.
- Quelles conclusions la NASA va-t-elle donner à toute cette histoire ?
- Le communiqué officiel ne sera annoncé que durant le week-end.
Cependant, j’ai une bonne idée sur ce qui va être déclaré. La perte de
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l’équipage est une tragédie, mais aucun rapport n’a été établi entre ce qui
s’est passé, et le virus informatique. Ils ne parleront pas de sabotage ni
même de terrorisme. Le centre spatial conservera une attitude digne et
nous poursuivrons la mission.
- Et en coulisse, qu’est ce qu’il se dit ?
- Pas grand-chose, en fait. Malgré toutes les recherches qu’on a pu faire
depuis la découverte du virus, je pense que personne n’a d’idée précise
sur ce qui est réellement arrivé.
- Vous n’allez tout de même pas me faire croire que vous n’avez pas
votre petite idée sur la question ?
- Pour être tout à fait honnête, j’ai effectivement une théorie, répondit
Kevin. Seulement, si je vous en parle, vous allez me prendre pour un
dingue.
- Ce n’est vraiment pas mon genre, répliqua Sarah le sourire aux lèvres
par malice.
- Permettez-moi d'en douter, répondit-il d’un air taquin ! Très bien,
voilà comment je vois les choses. Lors de la précédente mission, la
navette a rencontré un problème avant sa rentrée dans l’atmosphère.
Elle a traversé, si on peut dire, une sorte de poussière électrostatique.
On ne sait même pas si un réel contact a bien eu lieu. Hormis une
coupure de communication de quelques secondes, il n’y a eu aucun
autre symptôme. Trois jours plus tard, on découvre ce virus d’un
nouveau genre, aux antipodes de ce qu’on rencontre actuellement sur
les réseaux informatiques habituels. Le FBI rentre en scène, et vous
connaissez la suite. Cependant, les recherches que j’ai effectuées m’ont
amené, bien malgré moi je dois l’avouer, à prendre contact avec une
biologiste. C’est peut-être de la pure folie, mais je pense que nous avons
eu affaire à une forme de vie extraterrestre !
Sarah faillit s’étrangler en entendant ça. Une lampée de son cocktail
venait de prendre le mauvais chemin.
- Désolé, continuez !
- Laissez-moi finir avant de vous payer ma tête, déclara Kevin en guise
de chamaillerie. Imaginez que vous êtes un organisme vivant, pas
forcément pensant, mais ayant tout de même l’instinct de survie. Vous
vous retrouvez bloqué dans une boîte de conserve, la première navette
en l’occurrence, et soudain un miracle s’accomplit. La fusée est
connectée au réseau terrestre pour effectuer les analyses usuelles et vous
découvrez avec un terrain de jeu infini. Que ferait tout organisme dans
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ces conditions ? Il se multiplierait jusqu’à la saturation de son espace
vital. C’est la loi de la nature : la survie, puis la multiplication. Voilà
pourquoi ils nous étaient impossible de comprendre le fonctionnement
de ce soi-disant virus lors des premiers tests. Dès qu’on reliait un
ordinateur infecté, l’organisme tentait de se propager quel que soit
l'environnement dans lequel il évoluait. Notre biologiste a d’ailleurs
analysé le code récupéré après le passage du phénomène. Elle a conclu
qu’il s’agissait d’une sorte de codage ADN. Cela n’avait rien de terrestre,
mais était suffisamment proche de ce que nous connaissons pour en
être intimement persuadés.
- De l’ADN ? demanda Sarah.
- Ça n’a rien d’animal, ni même de végétal, car les différences sont
marquantes, mais on peut l’associer à un organisme unicellulaire tel que
les virus. Non informatique, j’entends !
- Si je comprends bien, vous voulez dire que Durand n’aurait rien à voir
là-dedans ?
- Je pense qu’il a simplement eu un coup de chance, ou plus
précisément un coup de génie, à vous de choisir. Il a détecté l’organisme
et a trouvé une solution pour le contenir. J'en ai la preuve. Qui sait s’il
ne travaillait pas sur un moyen de communiquer avec cette chose ! Lui
seul aurait pu nous le dire. En tout état de cause, quelque chose a muté
chez cet organisme, car peu avant l’explosion de la dernière navette, j’ai
effectué des tests complémentaires. J’ai eu l’incroyable surprise de
constater que notre fameux virus était devenu totalement inerte.
- Vous avez trop travaillé cette semaine, je ne vois pas d’autres
explications. Où est passé votre esprit scientifique, cartésien, terre-àterre ?
- Je me doutais que vous n’adhéreriez pas à cette théorie, confirma
Kevin. C’est trop « surnaturel » pour le FBI ! Il est bien connu que vous
n’avez aucun dossier concernant des petits hommes verts dans vos
tiroirs, agent Scully !!!
- C’est hilarant ! Mais pour être précis, c’est l’agent Mulder qui croit,
Scully est la sceptique.
- Admettons. Il y a quand même un point qui n’est pas à négliger : le
virus n’a fait aucun dégât, aucune destruction de données, aucun
système n’a été mis hors service, absolument rien. Il a simplement
rempli les cases vides de nos médias de stockage. Ça donne à réfléchir !
- Effectivement, vu sous cet angle…
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- Je ne pourrai rien prouver, mais je pense que cet organisme, après
avoir exploré notre réseau informatique terrestre, a dû comprendre qu’il
ne pourrait jamais s’y acclimater. Il s’est réfugié dans la seconde navette
et est reparti dans l’espace, en attendant que « sa communauté »
revienne le chercher.
- Vous croyez que l’explosion de la fusée est liée à tout ça ?
- Aucune idée, répondit-il. Était-ce un simple accident ou une
vengeance ? Désormais, le seul moyen d’avancer est de remettre la main
sur ce phénomène, mais il semble avoir disparu de la Voie lactée.
- Alors, on fait quoi maintenant ? On enterre définitivement l’affaire ?
- Nous sommes peut-être passés à côté d’une rencontre du troisième
type sans le savoir, et notre technologie nous a purement et simplement
induits en erreur. Nous n’avons pas pris le temps d’analyser en
profondeur le phénomène et nous l’avons éradiqué par ignorance.
Kevin fit une pause pour laisser Sarah emmagasiner ces informations
insolites.
- Je ne sais pas pour vous, mais j’ai grand besoin de prendre quelques
jours de vacances maintenant.
- Je crois que le FBI a encore le jet que nous avons utilisé pour aller en
Suisse, répliqua Sarah. Ça vous dirait une petite virée dans le sud de la
France ?
- Chiche, répondit-il en se penchant vers elle, son regard braqué sur ses
beaux yeux verts.
Un courant électrique les traversa de part en part, puis leurs lèvres se
rejoignirent pour la première fois.
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Remerciements
Je tiens à remercier mes proches qui m’ont soutenu et encouragé pour
la publication de ce roman. Merci également aux lecteurs qui auront pris
le temps d’apprécier mon premier ouvrage.
Tous les personnages dépeints dans ses lignes sont purement fictifs.
Certains d’entre eux sont toutefois inspirés par diverses sources (
lecture, cinéma, série TV… ), mais restent de l’ordre de l’imaginaire.
Vous pourrez suivre l’évolution de ce roman sur le site internet
http://www.fabricemoreau.fr
Note personnelle : Inutile de vous jeter sur votre clavier d’ordinateur
pour vérifier si un mouchard n’a pas été inséré à votre insu… Ce type
de contrôle est dépassé depuis bien longtemps ! Les pirates modernes
disposent de moyens bien plus subtils désormais 
Achevé d'imprimer en septembre 2011
par TheBookEdition.com
à Lille (Nord-Pas-de-Calais)
Imprimé en France
Dépôt légal : Octobre 2011
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