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-1- ISBN : 978-2-7466-3704-7 Tous droits réservés – Fabrice Moreau 2011 http://www.fabricemoreau.fr -2- Fabrice Moreau LA MENACE INVISIBLE Roman Imprimé en France par http://www.thebookedition.com -3- -4- PROLOGUE En sortant de son chalet en bois, l’homme d’une cinquantaine d’années voulait profiter de l’heure matinale pour faire une randonnée. La forêt de sapins entourant sa cabane était un lieu privilégié pour se réveiller en douceur, et ainsi bénéficier de la nature généreuse qui s’offrait à lui. Malgré un logement très rustique, sans eau ni électricité, l’endroit était un véritable havre de paix. Niché sur les hauteurs suisses, en bordure du lac Léman, il était suffisamment isolé pour ne pas être agressé par la civilisation moderne. Plusieurs animaux familiers de cette région montagneuse vaquaient à leurs occupations. Dans les airs, un rapace décrivait des cercles à la recherche de nourriture fraîche. Quelques écureuils rapportaient leurs butins dans leurs tanières, tandis que les petits rongeurs tentaient d’échapper au regard perçant des aigles royaux. Les seuls bruits audibles de si bonne heure provenaient de la nature ellemême. L’homme appréciait d’autant plus ce calme matinal, qu’un dur labeur l’attendait en cette journée. Cette promenade anodine cachait en réalité une inspection détaillée du parc naturel dans lequel il avait élu domicile, quelques mois auparavant. Cette décision mûrement réfléchie n’était ni l’œuvre d’un excentrique, ni d’un ermite. Un choix bien étrange dans un monde informatisé à tout va, que beaucoup ne comprenaient pas. CHAPITRE 1 À quelques millions de kilomètres de là… - Houston, ici Shepard ! À vous ! - On vous reçoit Sam, où en êtes-vous ? - Martin et moi sommes prêts pour cette dernière mission. On vient juste de passer en revue notre check-list, tout est OK ! On sort dans deux minutes. - Très bien, Sam ! De notre côté, la vidéo est correcte, les magnétos fonctionnent... Bon courage, Messieurs ! Le Capitaine Samuel Shepard et le lieutenant Martin Mattews avaient été recrutés deux ans plus tôt par la NASA. Les missions spatiales ne -5- s’étaient jamais enchainées à un tel rythme depuis la création du centre américain, obligeant le recrutement et la formation de nombreux astronautes en un temps extrêmement réduit. Pour réussir une pareille intégration, la NASA engageait principalement d’anciens militaires, formés dans les meilleures écoles mondiales. Ce melting-pot humain avait fini par transformer ses installations en une véritable tour de Babel. Dans ce monde en perpétuelle évolution, le programme spatial avait connu un regain d’intérêt chez les politiciens, grâce au président des États-Unis nouvellement élu. Ce dernier, petit-fils d’industriel, avait parfaitement compris que le pouvoir et l’argent se trouvaient à Washington. Il avait vu son propre grand-père atteindre des sommets à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Son entreprise avait prospéré d’une façon aussi fulgurante qu’inattendue. La spécialité de la maison : la construction de fuselages d’avions. N’étant plus en âge de combattre au début de la guerre, il avait investi ses économies dans une usine délabrée. À force de sueur, d’acharnement, et de coups de gueule, il avait fini par sortir les premières pièces composant la carlingue des fameux Corsair, Mustang et autres B-17. À la fin des années 50, il fournissait la quasi-totalité du marché américain. L’apogée arriva durant le conflit au Vietnam. Les machines tournaient à plein régime, jour et nuit, de nouveaux entrepôts sortaient du sol tous les trois mois, la fortune de la famille était faite. Le père de l’actuel président assura la pérennité de l’entreprise familiale comme il le put, mais les affaires devenaient de plus en plus difficiles. Les licenciements et fermetures d’usines étaient monnaie courante. Le jeune Jeffrey voyant son père se tuer à la tâche pour un maigre revenu comprit très vite que la meilleure volonté du monde ne suffisait pas lorsque les choix politiques du pays n’allaient pas dans le même sens. La compétitivité des usines Jefferson déclinait au fil des années. Au moment de prendre sa retraite, son paternel préféra léguer les rênes de l’entreprise familiale à son fils cadet, car son ainé avait favorisé sa carrière en politique. « Offrir plus de justice à son pays », c’était ce qu’il souhaitait avant tout, mais également ce qu’il se disait pour avoir bonne conscience. De simple député à sénateur, puis gouverneur de Californie, l’ambitieux Jeffrey Jefferson, que sa mère appelait toujours « Jeje » -6- même après avoir été élu président du pays le plus puissant au monde, sut mobiliser l’attention de tous pour relancer le programme spatial. Il décrocha en ce sens un budget conséquent, qui fit grandement les affaires de son frère cadet. Pas un seul panneau des nouvelles fusées ne sortait d’une autre entreprise que celle de la famille Jefferson, faisant ainsi fructifier ses actions au passage. Il maitrisait à la perfection l’art d’obtenir le beurre et l’argent du beurre. La mission confiée à Shepard et Mattews était d'une importance vitale pour la suite des évènements. Ils devaient finir l'assemblage des différents panneaux solaires de la toute nouvelle station internationale, affectueusement appelée « Maman » par les astronautes. L'ancienne station, qui datait d'une trentaine d'années, servait de lieu de stockage en matières premières, vivres et carburants. C’était devenu une sorte d’entrepôt haut de gamme, flottant quelque part de l’autre côté de la Lune. Pour aller sur Mars, l’ultime but de cette actuelle conquête spatiale, il fallait un tremplin beaucoup plus éloigné de l'orbite terrestre. « Maman » avait été conçue relativement simplement, malgré la très haute technologie embarquée. De simples modules, extrêmement faciles à assembler, étaient préparés sur Terre, envoyés dans l’espace par de puissants lanceurs européens, puis mis en orbite à proximité de la future station en attendant leur montage par les différentes équipes de la NASA. Le concours d’une multitude de pays avait permis cette entreprise hors-norme. La différence majeure avec ce qui avait été réalisé auparavant était la taille de chaque module. Tout avait été construit plus grand… beaucoup plus grand. La technologie des nouveaux moteurs des fusées avait autorisé l’augmentation des charges à emporter, ainsi que leurs dimensions. À raison d'un lancement tous les quinze jours, la station spatiale avait été assemblée en un temps record. Seulement, un élément primordial manquait encore : l'énergie. - Sam, pour moi c'est bon, annonça Martin Mattews. Le collecteur principal est branché et le panneau secondaire est opérationnel. - Je suis en train de finir le montage du tableau de commande, dit Shepard, mais j'ai un boulon récalcitrant ! En prononçant ce dernier mot, Mattews comprit que son ami avait de réelles difficultés à assembler cette ultime pièce. Sa voix trahissait -7- l'effort fourni, mais aucune résignation n’était permise. Il allait finir par le visser ce maudit boulon ! - Nom de Dieu... jura Shepard, alors qu'il venait de lâcher-prise, sa clé à molette virevoltant dans le vide intersidéral à une cinquantaine de centimètres de sa main gantée. Avec un geste lent, mais précis, il tendit le bras vers l'outil et l'agrippa aussi fort que possible. Il leur était interdit de laisser flotter la moindre pièce risquant de se transformer en un projectile tueur. Il n’était pas rare qu’un boulon ou même une vis finissent par disparaître dans l’immensité de l’espace, qui était devenu depuis de nombreuses années un véritable champ de cailloux flottant. Plusieurs millions d’objets avaient déjà été répertoriés dans une base de données depuis trois décennies. Tout ce qu’ils utilisaient lors de leurs sorties extérieures, de la clé à molette en passant par de simples écrous, était soit aimanté, soit attaché par de banals élastiques. Mattews, qui avait entendu son ami s'énerver après ce panneau, venait de se laisser glisser le long de la coque du module principal de la station. S'approchant de son supérieur, il fit un quart de tour pour se positionner directement face à lui. À cet instant, un curieux phénomène le stoppa. - Regarde, Sam ! - Qu'est ce qu'il y a ? demanda Shepard. - Là-bas, reprit Martin en montrant au loin une sorte de gaz en suspension. On dirait une queue de comète ! - Houston, ici Shepard ! Vous voyez ça ? Au centre de contrôle de la NASA, la scène filmée par les caméras embarquées dans leurs casques leur arrivait, mais sa définition n'était pas suffisante pour permettre une quelconque interprétation. Une première séquence d'images fut enregistrée. Le service d'analyse commença sans tarder à filtrer la vidéo, en essayant de zoomer au maximum sur le phénomène, tout en évitant une trop grande déperdition de sa netteté. - Ici Houston, nous sommes en train d'étudier ce phénomène, mais la définition de l'image nous bride un peu. Nous tentons une prise de vue avec le satellite le plus proche puis on vous recontacte. Terminé ! Le chef de mission demanda à son analyste de contacter le service d’observation, afin qu'il collecte le plus d'informations sur cette masse gazeuse. Ce spectacle était d'autant plus étrange qu'aucune comète n’avait été signalée dans cette région de l'espace avant plusieurs années. -8- Le mystère devait être élucidé rapidement, car ce genre de surprise pouvait mettre en péril le projet actuel. CHAPITRE 2 Le bureau d'analyse spatiale était en pleine effervescence. Le signalement de cette « chose » avait mis en alerte tous les plus grands spécialistes au monde. En moins de quinze minutes, des dizaines de photos hautes définitions arrivèrent sur les serveurs de stockage de la NASA, où les premiers traitements informatiques allaient débuter. Les yeux rivés à leurs écrans respectifs, les astronomes tentaient de définir la nature de ce phénomène. Plusieurs rapports d'analyse furent aussitôt envoyés au centre de contrôle de la NASA. Après en avoir pris connaissance, le responsable de la mission prit la parole. - Messieurs, s'il vous plait, écoutez-moi ! Les rapports préliminaires nous indiquent qu'il s'agit probablement de poussière de comète ou d'un résidu gazeux provenant d'une collision de météorite avec une planète. - C'est impossible, cria un des ingénieurs présents. Aucune comète ne doit traverser notre univers avant 800 ans. - Laissez-moi finir, trancha le chef à son supérieur. Les premières analyses montrent que la masse de cet amas gazeux est extrêmement faible, voire négligeable et ne présente aucun danger, même à cette distance de notre station. Donc, aucune inquiétude à avoir. Merci ! Pendant ce temps, les astronautes terminaient les derniers tests de mise en route du système électrique. Les panneaux solaires étaient sur le point de se déployer pour emmagasiner l'énergie nécessaire dans les batteries de stockage. Après avoir vérifié une troisième fois, leur checklist, Shepard et Mattews avertirent le centre de contrôle, ainsi que leurs deux collègues restés dans la navette, qu'ils allaient maintenant faire « naître » Maman ! - À tous, ici Shepard ! Nous allons alimenter le circuit de charge des batteries principales dans... trois, deux, un ! À cet instant, le Capitaine de la mission pressa le bouton de mise en route, une sorte de gros champignon rouge qu'il ne pouvait pas louper, même avec les gants inconfortables de sa combinaison. Pendant une dizaine de secondes, rien ne se produisit, puis un grondement émergea -9- du fond de la station, de plus en plus fort. Quelques vibrations accompagnèrent ce bruit sourd. Martin Mattews s'était placé de l'autre côté du module de stockage, juste devant une jauge extérieure qui devait indiquer la charge des batteries. Un voyant vert s'alluma, signifiant que le système était opérationnel. - Sam ! appela le lieutenant. Ici, tout est OK ! Les batteries sont prêtes à se recharger. Tu peux lancer le déploiement des panneaux. - Bien reçu, Martin ! Houston, comment ça se présente de votre côté ? Du nouveau concernant notre phénomène ? Le chef du centre avait laissé les deux hommes finir leurs préparatifs avant de les mettre au courant des dernières informations à leur disposition. - Ici Houston, tout va bien. Les premières analyses de cette étrangeté montrent qu’il s’agit d’un résidu gazeux, la conséquence probable d'un impact de météorite. Aucun danger de ce côté-là. Vous pouvez poursuivre votre mission. L'instant de vérité était arrivé. Après vingt mois d'assemblage, la station allait enfin être mise en service. Les différentes missions scientifiques qui étaient programmées depuis de nombreux mois devaient commencer la semaine suivante, car il fallait bien quelques jours aux batteries pour atteindre leur charge maximale et rendre fonctionnels tous les instruments de bord, ainsi que le chauffage et l'éclairage. Tandis que Shepard enfonçait une série d’interrupteurs les uns après les autres, deux énormes ailes se déployèrent lentement. Chaque ensemble était composé de plusieurs panneaux de trente mètres carrés chacun, serré en une sorte d’accordéon gigantesque. La surface de cette structure était recouverte de millier de capteurs solaires photovoltaïques, qui convertissaient les rayons du soleil en courant électrique. Les calculs effectués, ainsi que l'expérience acquise sur l'ancienne station, avaient permis d'optimiser ce système d'énergie pour que Maman puisse fonctionner à plein régime vingt-quatre heures sur vingt-quatre, pendant une dizaine d’années. Le renouvellement des batteries et un entretien des panneaux solaires devaient pousser cette estimation à trente ou quarante ans sans trop de difficulté. L’ensemble se déploya sans à-coup, avec une douceur presque féérique rappelant le battement d’aile d’une chauve-souris. Lorsque le système s’enclencha, les moteurs stoppèrent leur rotation. Cette manœuvre avait - 10 - fini par puiser les dernières ressources d’énergie emmagasinée jusqu’alors dans les réserves de la station. Le calcul précis, accompagné de tests effectués en laboratoire, avait cette fois encore donné le résultat escompté. Il était maintenant primordial que le système de charge fonctionne correctement, sans quoi cette station orbitale serait mortnée. Les vérifications d'usage étant réalisées, les astronautes rentrèrent à bord de leur navette pour un repas bien mérité. Cette ultime sortie de plus de quatre heures marquait la fin de cette mission. Leur retour sur Terre était prévu huit heures plus tard. Le centre de contrôle commença à recevoir les premières données en provenance de Maman deux heures après la mise en service des panneaux solaires, indiquant par la même occasion que la mission était un franc succès. Le véritable programme spatial allait enfin pouvoir débuter. Toute l’équipe était pleinement satisfaite du travail accompli. Cela achevait une course contre la montre engagée un an et demi auparavant. Il avait fallu se battre pour que les hommes et le matériel soient opérationnels en temps et en heure. Au final, la station orbitale d’un tout nouveau genre était prête à accueillir ses premiers hôtes. CHAPITRE 3 D’un point de vue politique, Jeffrey Jefferson avait réussi un coup de maître : faire voter un budget astronomique pour la recherche spatiale. Les campagnes de publicité martelaient sans cesse les différents médias de tous pays. L’Europe, la Russie et la Chine avaient également pris des engagements dans ce sens. Le projet de station orbitale était devenu international à tous les niveaux : humain, industriel et financier. Chaque entreprise présente dans cet incroyable chantier y trouvait son compte, et celle du président américain sûrement un peu plus que les autres. Les quatre astronautes venaient de passer six jours en apesanteur, une période relativement courte comparée à certaines missions russes de la fin du 20e siècle. Pourtant, la fatigue physique et nerveuse qu'ils avaient endurée leur donnait l'impression d'être partis depuis plusieurs semaines. Ils savaient que cette étape était primordiale pour la suite des - 11 - évènements. La pression accumulée depuis tous ces mois de préparations était en train de s’évacuer. L'ultime rêve de l'homme allait enfin devenir réalité, à savoir la découverte de la planète Mars et tous ses mystères. Y avait-il encore de l'eau et même de la vie bactérienne dans son sous-sol, toutes les hypothèses restaient entières. Et des Martiens ! Depuis le temps que la science-fiction voulait nous faire croire à leur existence, à une invasion future, à la dévastation de la Terre par une horde de petits hommes verts ou gris. Il fallait en avoir la preuve scientifique pour qu'enfin, le monde sache que ces histoires n'avaient aucun fondement sérieux, et n'étaient finalement que le fruit d'une imagination débordante d'écrivains de tous horizons. La science était désormais capable de répondre à toutes les interrogations, et allait le démontrer une bonne fois pour toutes. - Houston, ici Mattews. Nous sommes prêts pour le désarrimage de la navette. - Bien reçu ! annonça le chef du centre des opérations. Vous avez le feu vert. Les astronautes étaient à leur poste respectif, attentif au moindre signal lumineux émis sur le tableau de bord. Le décrochage de la navette n'était plus une opération compliquée depuis les dernières innovations technologiques apportées au système d'arrimage, mais un simple petit grain de sable dans les rouages de cette machine bien huilée pouvait entraîner une catastrophe. Le lieutenant Mattews, qui était le pilote de l'équipage, savait qu'il devenait maintenant le seul maître à bord. Jusqu'à l'atterrissage final, il était aux commandes de cet engin de plusieurs centaines de tonnes de métal, contenant une quantité suffisante de carburant explosif pour les envoyer voir Dieu le père en un quart de seconde. C'était pendant ses instants de haute tension nerveuse qu'il se révélait être un homme en qui l’on pouvait avoir pleinement confiance. Son aptitude à gérer le stress était sa grande force, et avait fini par lui faire grimper les échelons de l'aéronautique bien plus vite que n'importe quels pilotes de l'armée de l'air. Malgré un crash spectaculaire survenu lors d'un entraînement de routine, Martin Mattews qui était alors qu'un cadet à Miramar avait finalement réussi a affronté ses démons. Son acharnement au travail avait fait de lui un candidat parfait pour les futures missions de la NASA. - 12 - - Attention Messieurs, trois, deux, un. C'est parti, avait-il lancé alors qu'il venait de se séparer de la station. Le retour sur Terre est annoncé ! Le décrochage s’était réalisé tout en douceur. La suite allait être légèrement plus sportive ! Une fois leur engin libéré de Maman, le moteur principal devait être activé. Même en apesanteur, les astronautes ressentiraient la formidable poussée de la fusée. L’espace ne faisait aucun cadeau aux hommes et femmes n’ayant pas une excellente condition physique. Les vibrations des moteurs, accompagnées d’un vacarme à vous crever les tympans, étaient l’annonce officielle du retour sur Terre. Depuis un satellite d’observation qui aurait filmé la scène, la navette donnait l’impression de prendre doucement son envol, mais pour ses occupants, la sensation de recevoir un violent coup de pied au cul était bien réelle. La machine n’avait aucun mal à martyriser un organisme aussi fragile que celui de l’homme, tellement sa puissance était phénoménale. Après quelques minutes seulement, Maman n’était déjà plus qu’un gros point lumineux dans le vide intersidéral, agrémenté d’une paire d’ailes monstrueusement grotesques à une telle distance. Le voyage durant le retour sur notre bonne vieille planète était toujours un moment privilégié pour les techniciens de la NASA. Les données collectées depuis le décollage étaient sauvegardées avant d’être transmises au service de traitement et d’analyse du centre spatial. Cette procédure avait été instaurée à la suite du problème survenu lors de la première mission de cette génération de navette spatiale. Personne n’avait oublié qu’elle avait failli exploser durant de son entrée dans l'atmosphère terrestre. Une défaillance thermique d’un des panneaux du revêtement du fuselage avait entraîné une surchauffe anormale de la carlingue. Heureusement, le pire avait été évité in extremis. Les transmetteurs de la navette inondaient les antennes de réceptions de la NASA de données informatiques. Malgré un calme apparent, l’équipage tentait de prendre un peu de repos tout en conservant une oreille attentive au moindre bruit suspect. Le voyage de retour avait une petite particularité concernant les réserves de combustibles. Le carburant était calculé au plus juste pour éviter une surcharge inutile, mais également pour minimiser les coûts astronomiques de chaque mission. Ceci obligeait l'équipage à faire une excursion autour de la Lune, afin d'utiliser son attraction comme second moteur. L'économie d’énergie ainsi réalisée leur donnait une marge de sécurité utilisable en - 13 - cas de problème, lors de la phase finale du vol. Malheureusement, aucun satellite n'était encore capable d'assurer une liaison radio avec la Terre durant le passage du côté obscur de l’astre. Martin Mattews annonça qu'ils allaient entamer ce qu'il appelait le « saut à l'élastique ». - Houston, ici Martin ! - On vous reçoit Martin ! répondit le centre de contrôle. - Nous allons amorcer la rotation autour de la Lune dans deux minutes. - Bien reçu ! On vous retrouve juste après. Terminé. - Accrochez-vous ! cria Mattews à ses coéquipiers dans un moment d'excitation. Ça va décoiffer ! L'accélération fut progressive. Au fur et à mesure qu'ils contournaient notre satellite, la sensation de vitesse augmentait, jusqu'au point où leur engin perdrait ce lien invisible qui les retenait en orbite. Mattews avait déjà deux rotations de Lune à son actif, et chaque fois il pensait au dessin animé de sa jeunesse : Bip-Bip et le Coyote. Il avait l’impression d’être le coyote, attaché à un élastique géant, prenant son élan en sens opposé jusqu’au moment où le point de tension serait trop fort et finirait par le propulser avec une force décuplée vers son ennemi de toujours. Sa seule hantise était, comme pour le coyote, de prendre trop d’élan et dépasser son objectif. Ici pas de risque d’effectuer un vol plané au-dessus d’un précipice, mais bien d’entrer dans l’atmosphère terrestre trop rapidement, ou avec un angle inadapté qui les catapulterait hors zone. Tandis qu'ils entamaient la phase finale de leur prise d’élan, comme prisonnier d'un tunnel dans lequel aucune manœuvre n'était possible ni envisageable, le lieutenant Mattews remarqua à nouveau la poussière gazeuse droit devant eux. La distance restait importante, mais il n'avait pas le souvenir de l'avoir aperçue dans cette direction la première fois. - Que faire ? pensa-t-il tout haut. Il est impossible de changer de cap pour le moment, sans quoi nous risquons de louper notre approche vers la Terre. De toute façon, à la fin de notre rotation autour de la Lune, nous aurons cette chose dans le dos. Shepard avait senti le visage de son pilote se fermer, ce qui montrait l'extrême concentration de l'homme, mais aussi une pointe d'inquiétude inhabituelle chez lui. - Quelque chose ne va pas, Martin ? - 14 - - Ça roule, mon Capitaine ! reprit ce dernier en scrutant du coin de l’œil son supérieur. C'est juste qu'il y a quelques secondes, j'ai vu ce phénomène gazeux dans notre ligne de mire. - Comment est-ce possible ? Si c'est vraiment de la poussière de comète comme le pense le centre de contrôle, ça n'aurait jamais dû se trouver à cet endroit. Cela devrait plutôt se situer derrière nous, ajouta-t-il en montrant l’exacte position dans laquelle le gaz aurait dû être visible, d’après ses calculs. - Tout juste, répliqua Mattews, c'est exactement ce que j'étais en train de me dire. Cependant, nous n’avons aucune crainte à avoir, car dans quelques minutes, nous aurons fini notre rotation lunaire et cette chose sera derrière nous. - Il va quand même falloir surveiller ça de très près pour ne pas compromettre les plans de vol des prochaines missions. Le contact avec la Terre n'étant pas encore opérationnel, les hommes d'équipage mirent en service tous les systèmes vidéo, pour enregistrer le plus d'images possible de ce phénomène. Plusieurs capteurs furent détournés de leurs fonctions principales pour analyser et tenter de quantifier plus précisément cette poussière. Les premières données confirmaient en tous points les dires de la NASA. Soudain, un des astronautes remarqua une chose curieuse. - Capitaine, on dirait que ça se rapproche de nous. - Quoi, cria Shepard !!! C’est impossible, on vient de changer de cap de près de quinze degrés par rapport à la première observation. Montrezmoi les mesures que nous avons enregistrées. Samuel Shepard regarda les différents chiffres que lui tendait son collègue, réfléchit de longues secondes en silence avant de questionner son pilote. - Martin, peut-on continuer en manuel ? - C’est impossible tant que nous n’avons pas fini notre rotation, lui confirma son lieutenant. Et même si ça reste théoriquement réalisable, vous savez aussi bien que moi qu’il est extrêmement difficile de piloter cette génération de navette sans l’aide des instruments de bord qui adaptent en permanence le cap et la vitesse pour économiser au mieux le carburant. En clair, cela signifie que nous ne pouvons rien faire de plus que de nous laisser conduire vers notre point d’entrée dans l’atmosphère terrestre, pour le moment en tout cas. - 15 - - C’est malheureusement ce que je craignais, renchérit Shepard. Mettez tous les détecteurs en action. Au moins, si cette chose croise notre trajectoire, nous le serons suffisamment rapidement. Dès que le contact avec Houston est rétabli, faites-le-moi savoir. Les minutes qui suivirent se passèrent dans un silence studieux. Chaque membre d’équipage réalisait les vérifications nécessaires afin que rien d’autre ne vienne perturber le vol. À plusieurs millions de kilomètres de là, le centre de Houston attendait avec nervosité le retour de la fusée sur les radars. Ces fameuses rotations étaient très pointues, et le moindre écart de trajectoire pouvait être désastreux. La première fois qu’une navette avait utilisé cette méthode de propulsion, un facteur avait été omis par le calculateur de la NASA. La chaleur produite lors de l’entrée dans l’atmosphère n’avait pas été absorbée aussi efficacement que prévu par le fuselage de l’engin, ce qui l’avait fait « rebondir » sur la stratosphère. Les options étant restreintes, le pilote avait alors exécuté une révolution supplémentaire de notre planète, avant de pouvoir enfin atterrir. Malgré le faible niveau de combustible restant dans les réservoirs, la décision parmi les membres d’équipage avait été unanime : il était hors de question pour les astronautes de s’éjecter au-dessus d’un océan. Cette prise de risque avait été extrêmement controversée au sein de la direction de la NASA. Le destin voulut qu’ils s’en sortent miraculeusement sans dommage. Un protocole fut mis en place pour éviter que ce genre de mésaventure se renouvelle à nouveau : « Le commandant de bord aurait toujours le dernier mot lors d’une situation de crise concernant sa navette et ses hommes ». - Monsieur ! lança l’analyste radar du centre de contrôle, la navette vient de réapparaître sur les écrans. La liaison sera opérationnelle dans moins de quinze secondes. - Houston, ici Shepard ! - Content de vous entendre à nouveau capitaine, lança le chef de mission. Votre vitesse est bonne, par contre il va falloir effectuer un ajustement de direction pour réduire la surchauffe de la carlingue lors de l’entrée en atmosphère. - Ici Martin, bien compris. Envoyez-nous les corrections à faire. - 16 - Alors que le pilote s’affairait sur son ordinateur de bord pour modifier certaines valeurs et corriger certains réglages, Samuel Shepard reprit la parole. - Houston, où en êtes-vous avec l’analyse de notre poussière de comète ? - Rien de nouveau, répondit le chef de mission. Pourquoi cette question ? Y aurait-il des éléments que nous devrions connaître ? - Effectivement, nous avons constaté que cette chose se rapprochait de nous, et nos derniers relevés nous laissent penser que ça arrive très vite. - Pardon !!! Ça parait assez improbable, ajouta le responsable du centre de contrôle, qui venait justement de s’entretenir avec les techniciens de la NASA. Envoyez-nous vos dernières données s’il vous plaît. - C’est en cours... Pour la trentaine de personnes présentes dans la salle des opérations, l’atmosphère devint de plus en plus tendue au fur et à mesure que les informations arrivaient sur les différents écrans de visualisation. Une photo prise par le télescope embarqué de la navette montrait beaucoup plus clairement cet amas gazeux. Il ressemblait à une queue de comète. Seulement, un point ne collait pas : malgré une masse négligeable, ce qui signifiait qu’il n’y avait pas d’astéroïde au milieu de ce brouillard, le radar indiquait qu’une forte charge électrostatique émanait de cette chose. La seule pensée que ces données soient correctes faisait planer toute une série de questionnements sur la suite des évènements, aussi bien pour la mission en elle-même que sur l’étude des phénomènes spatiaux. Aucune observation n’avait montré auparavant la possibilité que cela puisse se produire en dehors de l’orbite d’un soleil. CHAPITRE 4 Quelques minutes avaient suffi pour que les analystes sur Terre décryptent avec précision les données fournies par l’équipage. Les dernières informations transmises par les différents télescopes, qui obtenaient des images de bien meilleure qualité depuis quelques minutes, confirmaient l’approche rapide du phénomène. Il était clair que cette poussière parcourait l’espace à une vitesse incroyable. L’attraction lunaire qui n’aurait pourtant pas dû influencer une masse si faible avait bel et bien permis son changement de direction. Et par comble de - 17 - malchance, elle se dirigeait précisément en direction de la navette rentrant sur Terre. Pour le chef de mission, l’affaire prenait une tournure inquiétante, mais la NASA avait déjà connu de bien pires évènements. À bord de la fusée, la tension montait chaque seconde. Le radar venait de confirmer avec certitude le contact avec cette chose si aucune donnée n’était modifiée. - Capitaine, lança le pilote ! Si nous ne faisons rien, ce truc sera sur nous dans moins d’une demi-heure, à peu de chose près. - Houston, ici Shepard. D’après nos calculs, la rencontre avec cette poussière devrait avoir lieu dans trente minutes environ. Avez-vous les mêmes estimations de votre côté ? - Sam, nous venons d’obtenir un résultat similaire. Nous étudions actuellement toutes les solutions envisageables pour éviter d’en arriver là. - Ici Mattews. Contrôle, est-ce que le Major Boone est dans les parages ? Si je dois piloter en manuel, j’aurais bien besoin de ses conseils avisés. Le chef de mission ordonna immédiatement qu’on fasse venir Bernard Boone. C’était le pilote le plus expérimenté de la NASA qui était encore en service. Même s’il approchait d’une retraite amplement méritée, son expérience en cas de crise était la bienvenue. Désormais affecté à un poste de supervision des essais sur les navettes, il avait été pendant de longues années un pilote-essayeur hors pair. L’Histoire n’avait pas retenu les nombreux appareils qu’il avait fini par pulvériser sur le tarmac. Le public préférait savourer le fait que son héros s’en soit toujours sorti vivant. D’un pas décidé, le major arriva au centre de contrôle quelques minutes plus tard. Par chance, il était encore dans le complexe de la NASA, pour terminer un rapport sur les derniers tests du système de pilotage automatique. Selon lui, même si cette aide était extrêmement fiable et efficace, rien ne valait l’expérience humaine. - Où en sont-ils ? cria-t-il en s’approchant des écrans montrant une représentation approximative de la fusée, la Terre et le nuage de poussière céleste. - La navette suit son plan de vol, lui annonça le chef de mission. Tout se passait normalement jusqu’à ce qu’on remarque cette « chose ». Nous n’avons aucune idée sur la nature de ce phénomène, mais ça avance dans leur direction. Cependant, depuis une dizaine de minutes, les évènements ont pris une tournure inquiétante, car ça les rattrape. - 18 - D’après nos estimations, le contact devrait avoir lieu dans vingt minutes. - Mattews, c’est vous là-dedans ? demanda Boone. - Heureux de vous entendre, monsieur, lui retourna le lieutenant. On vous a mis au courant de notre situation ? - Oui mon garçon ! Ne vous en faites pas, on va vous sortir de là. Le major avait toujours eu des relations paternelles avec Martin Mattews. Il avait été son instructeur durant de longs mois, et avait suivi sa carrière avec fierté. Il le considérait comme son second fils. Son propre rejeton n’avait jamais voulu entrer dans l’armée, mais avait tout de même été contaminé par le virus aéronautique. Il avait préféré l’aviation civile et était devenu pilote de ligne pour une grande compagnie aérienne. Après une brève réunion regroupant les principaux chefs de service, ils avaient convenu de laisser le capitaine Shepard prendre l’ultime décision. Malgré des avis très divergents sur le moyen d’éviter une collision, Bernard Boone avait fait remarquer que dans une situation où la vie d’hommes était en jeu, seuls les intéressés étaient décisionnaires. L’Histoire lui avait d’ailleurs montré que les militaires les plus aguerris pouvaient désobéir aux ordres lorsque leur peau était en danger. L’instinct de survie surclassait tous les autres. Le capitaine Katarina Kovalevski, qui devait commander l’expédition suivante, acquiesça cette recommandation. En plein entrainement au centre spatial avec son équipe, elle avait été alertée par les problèmes rencontrés par la mission actuelle. Tous les astronautes présents sur le site avaient fini par se retrouver dans la salle de contrôle, suivant avec inquiétude l’avancement des évènements. - Shepard, ici Houston. Nous venons de faire le point sur votre situation et nous allons appliquer la procédure standard. - Bien reçu, répondit le capitaine. Il savait parfaitement ce que ça signifiait. Il devrait décider lui-même s’il devait continuer la mission telle qu’elle avait été définie, ou prendre le risque de modifier le cap de la navette en espérant pouvoir se poser sans encombre un peu plus tard. D’un regard, il interrogea les trois hommes d’équipage. Une réelle appréhension commençait à se lire sur les visages. Le pilote demeura les yeux fermés quelques instants pour mieux se concentrer. Il se remémora intérieurement plusieurs séances - 19 - d’entraînement passées dans le simulateur de vol où les pires épreuves leur étaient réservées. Il tria parmi ses pensées celles qui étaient les plus adaptées à cette situation précise, mais le souvenir qu’il était mort, une fois de plus dans cette réalité virtuelle imposée par la machine ne le rassura pas vraiment. Il prit enfin la parole. - Capitaine, d’après mes souvenirs, une telle manœuvre n’a jamais été réalisée avec succès sur le simulateur. Personne n’a réussi à faire atterrir une navette sans dommage avec si faible niveau de carburant. Il n’y a aucune marge d’erreur sur l’angle et la direction d’entrée en atmosphère. Autant dire que c’est du suicide avec cet engin ! - Si je résume la situation, reprit Shepard, la chose qui nous fonce dessus n’est, d’après les données, que de la poussière de comète. Même si un contact se produit, il y a peu de chance pour que le fuselage soit endommagé. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais il me semble plus prudent de continuer notre plan de vol tel qu’il a été défini. Si nous devions tout de même croiser ce phénomène, que pourrait-il nous arriver de pire ? Nous retrouver aveuglés quelques instants dans cette purée, perdre les instruments de navigation et éteindre nos moteurs ? Dans ces conditions extrêmes, nous aurons toujours recours au pilotage manuel. Le lieutenant Mattews ainsi que les deux autres hommes d’équipage approuvèrent leur supérieur. Au centre de contrôle, les paroles du capitaine résonnaient encore, lorsque le major Boone lui lança : - Bien parler capitaine ! Martin, quand le moment sera venu, si vous avez besoin de moi, je serais là pour vous aider. Bonne chance les gars ! Katarina Kovalevski, une grande amie de Sam Shepard, lui assura à son tour de son soutien, technique ou moral. CHAPITRE 5 La mission continua comme prévu, mais l’extrême tension provoquée par cette situation ne favorisait pas une bonne concentration. À plusieurs reprises, l’équipage réalisa des contrôles sur les instruments de bords, corrigea certaines valeurs pour se rendre compte quelques instants plus tard qu’ils commettaient une erreur de calcul, et finalement revenait sur les chiffres originaux. Le nuage de poussière poursuivait sa course dans la même direction, mais à une vitesse dix fois supérieure de - 20 - celle de la navette. Les radars n’enregistraient aucun changement depuis plusieurs minutes, le contact était imminent. Soudain, une alarme retentit dans le cockpit. Les astronomes sursautèrent à l’unisson, sachant pourtant que cela devait se produire. Les cœurs s’emballèrent un peu plus, le souffle devenait plus court et plus rapide. Une voix sortie de nulle part asséna le coup de grâce. - Les gars, c’est Boone qui vous parle ! Comment ça va ? Le contact semble imminent d’après ce qu’on peut voir ici. Reprenant ses esprits le premier, c’est Shepard qui lui répondit. - On vous reçoit Houston. Nos radars de collision viennent de retentir à l’instant. Je pense que nous allons vite être fixés sur notre sort. - Les derniers relevés nous indiquent que l’impact est maintenant inévitable, continua le chef de mission. Il vous reste moins de quatrevingt-dix secondes. Préparez-vous à désactiver le pilotage automatique le cas échéant. - Nous venons de revoir la procédure en détail, répliqua le lieutenant Martin Mattews, juste au cas où ! - Martin, reprit le Major Boone. Si la collision endommage quelque chose, dites-le-moi tout de suite pour qu’on puisse vous aider au mieux. - Compris, lança le pilote. L’alarme se faisait de plus en plus rapide. Le nuage de poussière n’était qu’à une vingtaine de secondes derrière eux. Un des astronautes, l’œil rivé sur les instruments de télémesure, égraina les secondes. Dix, neuf, huit, sept, six, cinq, quatre, trois, deux, un… contact ! La navette s’embruma durant une seconde dans une sorte de brouillard. Hormis cela, aucun autre phénomène n’avait été constaté. L’équipage n’avait ressenti aucun impact, pas le moindre bruit suspect indiquant un quelconque problème. Cette chose les avait dépassés à la vitesse de la lumière, comme si leur engin faisait du surplace. Les hommes virent le nuage les doubler puis disparaître en quelques secondes. L’extrême tension retomba d’un seul coup de leurs épaules en constatant que le danger s’éloignait aussi vite qu’il était apparu. Ils se regardèrent, un sourire de soulagement sur les lèvres. - Houston, ici Shepard ! À l’instant précis où le capitaine avait prononcé cette phrase, une étincelle jaillit du tableau de bord. Puis, tous les instruments furent parcourus par un champ d’électricité statique qui fit lâcher les commandes de pilotage à Martin Mattews. - 21 - - Merde ! jura-t-il. Qu’est-ce que c’est que ça ? Je viens de me prendre une décharge électrique. - Vous avez vu ça, cria Shepard ! On dirait que toute la console centrale vient de subir une surcharge électrostatique. Faites-moi immédiatement un rapport d’avaries ! Après avoir énoncé chacun des instruments de bords, propulseurs, radars, systèmes de survie, carburants, rien ne semblait avoir été endommagé par ce contact quelque peu inhabituel. Sur Terre, dans la salle de contrôle de la NASA, tout le monde avait suivi l’affaire avec angoisse. Lors de la rencontre avec le nuage électrostatique, la liaison avec la navette avait été interrompue durant une poignée de secondes, puis la télétransmission des données avait repris comme si de rien n’était. Toutefois, la radio restait inopérante. - Shepard, vous me recevez ? demanda le chef de mission. Sam, répondez s’il vous plait ! Durant une interminable minute, les haut-parleurs ne crachèrent que de la friture. La télémétrie concernant la fusée arrivait bien sur les écrans, montrant que tout fonctionnait correctement à bord de l’engin, mais il fallait absolument que le signal radio passe pour qu’ils puissent aider l’équipage en cas d’avarie. - Houston, ici Martin Mattews. Nous venons de faire un diagnostic complet des différents systèmes et tout semble normal. Tout le personnel présent sur Terre lâcha un « ouf » de soulagement en entendant le pilote. Il était hors de question pour la NASA de perdre une autre navette en ce jour. Quelques poignées de main s'échangèrent, quelques tapes dans le dos furent données et c'est avec un sourire affiché sur tous les visages que le chef de mission reprit la parole. - Heureux de vous entendre à nouveau, Martin ! Vous nous avez fait une belle frayeur pendant quelques secondes ? Pouvez-vous nous envoyer le rapport d'avarie ? - Sam est en train de revoir la check-list pour la deuxième fois, continua le pilote, mais pour l'instant, je vous confirme que nous n'avons constaté aucun problème hormis cette coupure radio. « Une chance pareille doit être un don de Dieu », médita le capitaine Shepard. « Si l'on s’en sort sans dommage, il faut absolument que j’aille mettre un cierge ! » Cette pensée était légitime, car chaque fois qu'un impact, aussi minime soit-il, avait été confirmé sur une navette, le - 22 - résultat avait eu des conséquences désastreuses. Le personnel de la NASA gardait précieusement en mémoire le courage de l'équipage d'Apollo 13 qui avait risqué sa vie à cause d’un incident de ce genre. L'effet papillon dans toute sa splendeur. Comment un minuscule débris projeté sur les réserves d'air d'une fusée avait-il pu entraîner une telle série de casses tête à résoudre pour sauver les hommes à bord ? Quelques heures plus tard, la navette s'était posée sans encombre sur le tarmac. Les quatre astronautes, fatigués nerveusement, avaient dû passer les examens de routine avant de subir un débriefing en règle. En se basant sur les données enregistrées pendant la mission, tout avait été analysé, décortiqué et revérifié par différents services. Mis à part une surcharge électrostatique qui avait bloqué les instruments de bord durant une petite seconde, la NASA ajoutait un succès supplémentaire à sa liste. Katarina étreignit son ami, le capitaine Samuel Shepard à son arrivée. Elle était heureuse que l’aventure se soit bien terminée, et lui soulagé de fouler le plancher des vaches en un seul morceau. Lorsque son téléphone portable retentit, l’homme se leva de son lit de camp pour voir ce que pouvait être cette sonnerie qui le tirait de ses rêves. En ouvrant l’appareil, qui ressemblait plus à un mini-ordinateur qu’à un simple mobile, il reconnut tout de suite le signal d’alarme affiché sur l’écran à cristaux liquides : « Autonomie – 12 h ». Sortant de son chalet, il ferma la porte à clé, même s’il savait qu’il n’y avait rien à voler dans sa cabane. Il se dirigea vers l’entrée de la propriété où était garé son véhicule, une jeep à l’allure militaire, capable de circuler dans ces régions montagneuses où les chemins étaient souvent difficiles. En mettant le contact, il jeta un dernier coup d’œil derrière lui, puis s’engagea par l’unique route qui lui permettait de rejoindre la civilisation. Son itinéraire ne variait jamais, il s’arrêtait tout d’abord faire quelques courses à l’épicerie du coin puis passait récupérer un camionciterne remplie de fuel domestique qui l’attendait comme chaque semaine à la station-service la plus proche. CHAPITRE 6 Dans son bureau relégué au premier sous-sol de la NASA, Kevin Klein s'ennuyait à mourir. Étant responsable de la sécurité informatique du - 23 - centre, il en arrivait à regretter que le système qu'il avait mis en place au fur et à mesure des années soit si fiable. La quarantaine naissante, cet homme avait eu une vie extraordinairement inhabituelle. Depuis tout petit, Kevin était un enfant turbulent. Il n'était pas méchant, mais avait le besoin vital de bouger. Il avait dû faire toutes les bêtises qu'un gamin de son âge se doit de faire, ce qui avait contraint ses parents à tenter toutes sortes d'approche. Les visites chez différents psychologues n'avaient rien arrangé, il ne tenait pas en place ! Lorsqu'il entra au collège, relativement difficilement vu les notes et le peu de volonté qu'il mettait à travailler, un professeur un peu plus attentif avait remarqué que cet enfant était d'une très grande intelligence, contrairement à ce qu’en pensait la majorité des gens. Seulement, il s'ennuyait extrêmement vite, faute de cours suffisamment stimulants. L'informatique de loisir commençait à se démocratiser. Ce professeur conseilla à ses parents de lui acheter un ordinateur, pour qu'il puisse se divertir avec un outil innovant, qui le motiverait enfin. Tout d'abord sceptiques à l'idée de faire un cadeau aussi cher à un gamin qui ne le méritait absolument pas, ils finirent par se résigner. Le premier contact avec l'appareil ne fut pas ce qu'ils espéraient. Kevin s'était juré qu'il ne tomberait pas dans le piège qu'on lui tendait et ne voulait même pas en entendre parler. Un après-midi de printemps, alors que son ordinateur traînait dans sa chambre depuis quelques jours sans qu'il ait pris la peine de le mettre en marche, il vit son jeune frère, véritablement hypnotisé par l’écran cathodique. Il s’amusait avec un jeu nommé PacMan, qu'un camarade d'école lui avait prêté. Furieux de constater qu'on utilisait son jouet sans sa permission, Kevin avait piqué une colère et mis tout le monde dehors, le frangin aussi bien que le jeu. Allongé sur son lit, ses pensées perdues dans le néant, son regard fut attiré par un caractère clignotant sur le moniteur : C:\>. Le temps commençait à s’assombrir, quelques gouttes d’eau tombèrent lentement, avant de s’abattre avec frénésie sur les toitures. Le moral au plus bas, le jeune Kevin se dit que ça n'était vraiment pas un bon jour, il était bloqué à la maison, et s’ennuyait à mourir. Il se leva de son lit pour éteindre ce fichu ordinateur qui le narguait, et dans un ultime accès de colère, tapa frénétiquement plusieurs touches sur le clavier. L'écran lui renvoya un message qu'il ne comprit pas tout de suite, mais le simple fait d'obtenir une réaction de la machine l'incita à approfondir ce mystère. - 24 - En quelques minutes, la vie de Kevin bascula dans un monde insoupçonné. L'attrait grandissant pour cette boite métallique ne cessa de croître, au point où ses parents ne le reconnaissaient plus. Il ne sortait pratiquement plus de sa chambre, sauf pour aller au collège et manger. Il passa ses examens pour entrer au lycée avec une facilité déconcertante, ce qui augmentait la rancœur chez ses camarades de classe qui devaient travailler dur pour obtenir un résultat souvent inférieur. À l'approche des vacances scolaires, il s'était tellement isolé des autres élèves qu'il resta l’été entier, enfermé chez lui à analyser puis décortiquer le langage machine, jusqu’à finir par développer son propre système d'exploitation. Son entrée au lycée fut moins difficile émotionnellement parlant, car il rencontra un camarade mordu d'informatique comme lui, un certain Frank Fratelli. De souche italienne, il lui laissa entrevoir une formidable occasion de se faire de l'argent extrêmement facilement avec son ordinateur. Le petit Franky était un fils de riche industriel. Il avait tout ce dont il désirait et plus particulièrement du matériel dernier cri accompagné d’une liaison téléphonique par modem. Il avait très vite réalisé que cette connexion avec le monde pouvait lui ouvrir toutes les portes, et en particulier celle du serveur informatique de son établissement scolaire, qu'il pirata aisément pour modifier ses notes. Il passa ainsi d'un élève très moyen à un bon élève. Pour masquer son fait d'armes, il en avait profité pour se venger en baissant les notes des premiers de la classe, et en augmentant la moyenne générale. Il gratifia une certaine Jenny qui lui plaisait fortement d’un excellent bulletin scolaire. Cependant, la subtilité n'ayant jamais été son point fort, Franky fut très vite identifié puis expulsé du lycée sans autre forme de procès. Kevin, qui idolâtrait son camarade, se retrouva seul dans un établissement qu'il détestait. Après avoir cassé les pieds à ses parents pendant plusieurs semaines pour avoir lui aussi une connexion par modem, il finit par obtenir gain de cause et passa la plupart de ses soirées à dialoguer avec Franky, via leur ordinateur respectif. Très vite, une sorte de compétition s'installa entre les deux adolescents pour savoir lequel réussirait à s'introduire dans le réseau informatique le plus sécurisé. Après avoir atteint des cibles de second plan, Franky parvint du haut de ses seize ans à pirater le fichier des contraventions de police de sa ville. En moins de temps qu'il en faut pour le dire, il était devenu - 25 - un criminel activement recherché par les services gouvernementaux. Arrêté quelques mois plus tard, il se retrouva en maison de correction sans la moindre chance de toucher à nouveau un ordinateur avant plusieurs années. Kevin quant à lui continuait ses activités, mais en faisant preuve d'une grande discrétion pour éviter de subir le même sort que son ami. Alors qu'il venait à peine d'atteindre la majorité, il avait déjà un tableau de chasse impressionnant. Aucun site industriel ou gouvernemental n'avait réussi à lui résister. Sa technique d'intrusion fantôme était tellement en avance sur son temps qu'aucune des institutions qu’il avait piratées ne se rendait compte de l'attaque. Sa méthode était simple : il ne détruisait rien, ne volait aucun fichier, ne laissait aucune trace. Son but était uniquement de pénétrer un site censé être inviolable et prouver le jour venu de l'inefficacité des systèmes en place. Après des études brillantes où il obtint un diplôme d'ingénieur en informatique, il fut engagé par une société d'import-export pour développer leur réseau. En contrepartie d'un travail ennuyeux, il continuait à jouer avec le feu sur ce qui devait devenir le Web : l'Internet actuel. Durant ses premiers congés, il profita d’une visite guidée au Pentagone pour introduire un mouchard sur un terminal susceptible de lui donner un accès au serveur sécurisé, le Saint Graal de tout bon pirate informatique. Ça devait être l’apothéose de sa carrière. Seulement, cette consécration fut surtout son tombeau. Dès que le service de sécurité du site constata l’intrusion, une chasse à l’homme sans merci fut mise en place. Kevin Klein, après avoir passé plusieurs mois en cavale, fût arrêté bêtement à la suite d’un contrôle de routine. Pensant être filé par une patrouille de polices quelques jours plus tôt, il avait cassé le feu arrière gauche de sa camionnette en faisant une manœuvre dans une ruelle. Un motard ayant remarqué la nonconformité au niveau de la sécurité l’avait arrêté pour lui signaler de faire les réparations au plus vite. C’est en contrôlant les papiers du véhicule pour vérifier s’il n’avait pas été volé ou n’avait pas d’infraction impayée que le central l’informa que son client était activement recherché par les agents fédéraux. Kevin n’avait que vingt-quatre ans et déjà un lourd passé de « criminel » informatique. - 26 - Il disparut de la surface de la Terre pendant plus de dix ans. Ce fut probablement une dès très rares personnes à ne jamais avoir eu de procès malgré une incarcération bien réelle. Il passa une année complète à être interrogé par des agents du gouvernement qui voulaient connaître sa technique d’intrusion, à décortiquer la moindre de ses paroles, et à exploiter ses connaissances. Après plusieurs tentatives avortées, les choses n’étaient pas aussi faciles qu’elles semblaient l’être, les fédéraux s’aperçurent qu’une grande dose de savoir-faire et beaucoup d’intuition étaient nécessaires pour de telles opérations. Kevin Klein passa ensuite plusieurs années à travailler pour diverses administrations fédérales en tant qu’expert informatique sans toutefois être libre de ses mouvements. Son statut de « fantôme » permettait de lui faire faire du piratage industriel et politique dans l’incognito le plus total. Le gouvernement américain avait dès lors un accès à un très grand nombre de sites sensibles, dans une impunité absolue. Pour Kevin, cette période fut très difficile à gérer moralement, car il passait sans cesse de l’excitation dès qu’une mission était organisée, à sa cellule de verre où il n’avait ni ordinateur, ni téléphone, ni même une montre. Avec un tel traitement, n’importe quel être humain aurait pu tomber dans une paranoïa ou une folie irréversible. Mais Kevin gardait l’espoir qu’un jour, quelqu’un se souviendrait de lui, retrouverait sa trace et finirait par le faire sortir de cet enfer. Contre toute attente, c’est de son jeune frère qu’arriva son salut. Ayant fait des études de droit, il avait passé l’examen du barreau dans un seul but : comprendre ce qu’il était advenu de son aîné et lui permettre de recouvrer sa liberté. Le chemin fut semé d’embûches, mais grâce à quelques anciens camarades de facultés, ils réussirent à faire parler de Kevin dans la presse, devenant ainsi un martyre des temps modernes. Sous la pression politique de quelques élus locaux, le gouverneur de l’État finit par ouvrir un procès à l’encontre de Kevin Klein, premier pirate informatique de l’histoire des États-Unis. Il fut reconnu coupable de toutes les charges dont il était accusé. La très longue période d’incarcération préventive qu’il avait déjà effectuée couvrant sa condamnation, il fut remis en liberté la veille de ses trente-cinq ans. Seulement les apparences pouvaient être trompeuses ! - 27 - Il savait qu’il ne pourrait pas retrouver une vie normale dès sa libération. Même si son implication dans les différentes activités qu’il avait commises n’avait été que secondaire, ses anciens employeurs ne permettraient pas qu’un homme tel que lui se fasse embaucher par la concurrence. Kevin obtint un entretien assez facilement par le biais d’un ami de son frère. Il ignorait que ce soi-disant ami était en réalité un agent infiltré, qui avait pour mission de le surveiller discrètement et même d’orienter sa future carrière. Il était évident que Klein n’opterait jamais de lui-même pour un poste au sein du gouvernement. Il fut décidé en haut lieu qu’il lui serait proposé un emploi dans une société annexe où ils avaient leurs entrées. Kevin Klein se retrouva à la NASA, engagé en tant qu’expert réseau. De simple technicien, il gravit très vite les échelons et obtint une promotion en moins d’un an. Parachuté à la tête du service de sécurité informatique, ses capacités et son expérience dans ce domaine permirent une sécurisation des informations du centre spatial, que même la NSA n’aurait pas reniées. CHAPITRE 7 En ce beau matin, Kevin Klein et son assistant Anthony Alessandro n’avaient pas une journée très chargée malgré la forte activité de l’agence spatiale. Le planning annonçait une augmentation de la capacité de stockage des serveurs de messageries, ce qui ne représentait qu’une petite heure de travail en tout et pour tout. Kevin, relativement fatigué de sa nuit passée à écumer les bars de la ville, avait envoyé son jeune collègue faire cette basse besogne. Le brave Tony, Italien d’origine qui s’avérait l’exact opposé de son patron à tous les niveaux, s’était mis à la tâche et profitait des longs traitements d’analyse de l’espace disque pour rêver à son futur week-end. L’homme d’à peine vingt-cinq ans n’avait rien de l’informaticien classique. Il entretenait une forme olympique, qui ne laissait pas insensible les femmes des différents services qu’il côtoyait durant ses interventions au sein de la NASA. Contrairement à son activité professionnelle qui lui demandait de la rigueur et de la concentration, il passait le plus clair de son temps à se défouler sur une planche de surf l’été et sur des skis l’hiver. Un bronzage parfait tout au long de l’année, associé à une musculature généreuse, faisait de lui le parfait petit ami pour bon nombre de jeunes filles de son entourage. - 28 - Mais il n’était pas encore prêt à se ranger et voulait profiter de sa jeunesse au maximum. Installé dans le « bocal », une pièce ultra sécurisée au deuxième sous-sol de l’agence qui renfermait les serveurs informatiques les plus sensibles, il avait commencé par connecter le nouveau disque dur sur un système secondaire pour tester sa fiabilité. Il devait ensuite le réinitialiser et le préparer en vue de la connexion au serveur central de messagerie. Le premier test appelé « test de surface » était long, interminable même pour un disque de capacité réduite. Tony profita de ce temps d’inactivité pour aller prendre un chocolat. Il en avait pour plusieurs minutes avant que ce soit fini. Cependant, pour ce genre d’opération il préférait suivre l’évolution de la procédure, au cas où quelque chose d’anormal arriverait. De retour de la salle de pause, il retourna au bocal après avoir à nouveau passé son badge d’identification dans la fente adéquat, et saisi son code secret. C’était la seule entrée qui permettait d’accéder à la pièce sécurisée et filmée par de multiples caméras installées dans le couloir. Un système de pression au sol détectait l’arrivée d’un visiteur et déclenchait l’enregistrement des images. En retournant sur le terminal de test, Tony s’aperçut immédiatement qu’un message d’erreur était affiché : « Vérification après RAZ échouée ! » - Étrange pensa-t-il, car il ne s’attendait pas à obtenir un tel résultat. Habituellement, l’erreur la plus fréquente était un dysfonctionnement matériel qui nécessitait un simple remplacement du disque, mais ici le test physique et le formatage s’étaient parfaitement accomplis. L’ultime procédure était une mise à zéro des secteurs de stockage. C’était cette fonction qui avait renvoyé un message d’alerte. Sortant son téléphone portable de la poche extérieure de sa veste, il composa le numéro de son service. - Patron, c’est Tony. J’ai un drôle de message d’erreur en préparant le nouveau disque dur. Vous devriez venir voir ! - J’arrive, grommela Kevin Klein pas très enthousiasmé d’aller faire un tour dans cette salle peu accueillante, très bruyante, réfrigérée à seize degrés tout au long de l’année, et affublée d’un éclairage artificiel trop vif à son goût. - 29 - Prenant son badge, son beeper et son téléphone portable, Klein partit d’un pied lourd vers le niveau inférieur. En entrant dans le bocal, il remarqua Tony à quatre pattes en train de vérifier la connectique du serveur de test. L’ouverture de la porte le surprit et en sursautant, il se fracassa le crâne sur le coin de la tablette, juste au-dessus de lui. - Merde !!! Je vais avoir une bosse maintenant, gueula-t-il ! - Avec ta tronche de playboy, lui lança Klein un brin moqueur, je ne m’en ferais pas trop pour ça à ta place ! Alors, qu'est-ce qu’il se passe ? - Je viens de vérifier la connectique, le problème n’est pas lié au matériel, aucun faux contact ou nappe défectueuse. Voilà le rapport de test, ajouta-t-il en tendant un listing à son patron. Kevin, en prenant la feuille que son jeune collègue lui montrait, remarqua immédiatement que Tony avait eu un très bon flair en l’alertant rapidement. Il ne pouvait s’agir que d’un problème logiciel ou système, ce qui n’était pas plus enviable. Tony, en se frottant le haut du crâne pour faire passer la douleur lui demanda ce qu’il comptait faire. - Ça n’est pas très engageant cette histoire, lui répondit-il. On dirait un bug du logiciel de test, même si ça me semble très improbable. J’ai l’impression qu’on a un plantage système ou pire un virus. Remonte au bureau et lance un examen complet des serveurs de stockage, des différents antivirus et des pare-feux. Appelle-moi dès que tu auras les résultats. À peine Kevin Klein avait-il eu le temps de finir sa dernière phrase que Tony Alessandro était déjà en train de refermer la porte du bocal. Il retourna à son bureau au pas de course en évitant l’ascenseur, avalant les marches des escaliers quatre à quatre. Arrivé à l’entrée du service de sécurité, il remarqua que leur grand patron était dans les parages. Il devait faire son tour habituel des installations pour garder un contact avec toutes les entités de centre spatial. Cette proximité lui avait d’ailleurs permis de conserver une vision globale de l’agence, ce qui était nécessaire pour son bon fonctionnement en cette période de faste activité. Tony ralentit sa course et entra dans son bureau avec discrétion. Tout en s’asseyant sur son fauteuil, il tapa une série de commande sur son clavier d’ordinateur. Le premier test à exécuter était un simple contrôle du journal d’évènements, pour voir s’il n’avait pas laissé passer un message d’erreur. Seulement, ce genre de fichier étant constitué d’un nombre impressionnant de données toutes plus pénibles à lire les unes que les autres, il passa directement par une méthode - 30 - nettement plus efficace et moins fastidieuse : une recherche par mots clés. Après quelques secondes, son terminal émit un signal annonçant un résultat. Tony, le cœur battant un peu plus fort qu’à l’accoutumée, ouvrit le fichier à la ligne indiquée et constata avec désarrois que le programme avait signalé un message datant de plusieurs jours que son patron avait déjà traité. Rien de ce côté-là. Le second test qu’il devait exécuter était un contrôle des systèmes antivirus et du pare-feu logiciel qui protégeait les accès internet. Il devait également vérifier les différentes transmissions de données, réalisées par les prestataires extérieurs qui utilisaient une liaison sécurisée, que Klein avait lui-même mise en place lors de son arrivée à son poste. Tony lança plusieurs commandes. Après quelques minutes de traitement, le résultat s’avéra encore une fois négatif. Il en déduit que l’intégrité du réseau informatique de l’agence n’avait pas été altérée de l’extérieur, essentiellement grâce aux multiples logiciels anti-intrusions qui étaient d’une efficacité à toute épreuve. - Patron ! appela Tony. Je viens d’effectuer tous les tests d’intégrité de nos systèmes. De mon côté, il n’y a rien à signaler ! - J’espère que tu n’avais rien prévu ce soir, car j’ai le sentiment que nous ne sommes pas sortis de l’auberge ! Exécute un redémarrage des serveurs de messagerie. Quant à moi, j’ai une ultime vérification à faire et je te rejoins. Kevin Klein avait du flair en ce qui concerne les pannes informatiques, mais dans ce cas précis, il était véritablement déstabilisé. Le phénomène était inconcevable pour son esprit pragmatique qui tournait à plein régime, afin d’établir une procédure de dépannage. Seulement, dans cette situation qui dépassait toute logique, les règles de base semblaient être inopérantes. En remontant à la rencontre de Tony, Kevin marchait d’un air distrait aux yeux des employés qui le croisaient. Il mettait toute son énergie à chercher un semblant de solution sans se soucier de ses fonctions motrices, ce qui lui valut de renverser une poubelle involontairement, de se cogner avec une assistante chargée de documents, et de louper son bureau. L’homme distrait dans toute sa splendeur. Tony qui l’avait entraperçu au travers de la porte d’entrée de la pièce fût surpris de le voir continuer son chemin au lieu de rentrer dans son antre. Se levant pour comprendre ce que son chef fabriquait, il - 31 - tomba nez à nez avec Kevin qui avait finalement fait demi-tour, dans un instant de lucidité. - Désolé patron ! J’ai cru que vous alliez… Il n’eut pas le temps de finir sa phrase, Kevin lui lança : - Viens voir ça ! S’asseyant derrière son bureau, Klein tapa une commande qui exécutait un test de sécurité de son ordinateur. C’était un petit programme de sa conception qui vérifiait la mise à zéro des zones vierges du disque dur. Ce simple contrôle en apparence était en réalité primordial pour éviter une récupération malheureuse de données, chose qu’un pirate informatique aurait pu réaliser aisément. Le résultat ne se fit pas attendre : « Erreur sur zone vide ! » - Va faire un tour discrètement dans l’aile Est du bâtiment, ordonna Klein à son assistant, et exécute ce programme sur quelques machines. Je vais en faire de même de l’autre côté des bureaux. - Si l'on me demande ce que je fais, s’interrogea Tony, qu’est ce que je réponds pour l’instant ? - Dis simplement que tu vérifies un paramétrage de sécurité, sans rentrer dans les détails. Tiens-moi informé de tes résultats. Les deux hommes partirent chacun de leur côté des locaux, saluant au passage quelques collègues et profitant des sollicitations diverses pour lancer leurs tests discrètement. Il était assez fréquent qu’à leur rencontre, les employés de l’agence leur demandent de regarder un soidisant problème sur leur ordinateur, ce qui énervait quelque peu Kevin qui n’était pas là pour ça. Il s’était résigné au fil des années et effectuait ses tests sans que son interlocuteur ressente sa contrariété. Il trouvait la solution en trois clics de souris, au nez et à la barbe des utilisateurs les plus aguerris. C’était d’ailleurs une des grandes facultés qu’il avait améliorées en travaillant pour le gouvernement durant son incarcération : lancer des tâches sur un ordinateur à l’insu des personnes qui l’entouraient. Il avait une telle connaissance des systèmes sur lesquels il évoluait qu’il était capable de saisir de multiples combinaisons de touches et masquer un programme très rapidement, pour que l’affichage de ses commandes n’apparaisse pas à l’écran. L’art du camouflage dans toute sa splendeur. À l’autre bout du centre spatial, Tony n’avait pas encore la dextérité de son patron, mais savait jouer de son charme et de son bagout naturel pour détourner l’attention de ses collègues, en particulier lorsqu’il s’agissait de charmantes demoiselles. - 32 - Malgré leur différence de styles, les deux hommes formaient un tandem homogène et efficace. Après avoir beaucoup discuté, et réussi à tester une vingtaine d’ordinateurs répartis dans plusieurs services, Tony décida qu’il était temps d’arrêter les frais. Il appela son chef. - Patron, c’est Tony. - Alors, c’est aussi merdique de ton côté ? - J’en ai bien peur. J’ai testé plusieurs machines dans tous les services et ils m’ont tous retourné la même erreur ! - Reviens au bureau, lui répondit Kevin après quelques secondes de réflexion. Nous allons avoir une lourde tâche à accomplir mon garçon. Il va falloir avertir le directeur que nous allons être obligés de réinitialiser tout le système puis effectuer une batterie de tests qui risquent de stopper l’activité de l’agence pendant quelques heures. Je te parie qu’il ne va pas apprécier, et j’aurai besoin de ton soutien sur ce coup-là ! CHAPITRE 8 Les deux hommes retournèrent dans leur bureau high-tech, regroupant une dizaine d’écrans plats reliés sur différents systèmes. Devant eux, il avait également un prototype de moniteur tactile gigantesque, affichant en temps réel une multitude d’informations sur différents serveurs, l’état des liaisons informatiques sortantes, certaines vues de caméras de surveillance du bocal et un diagramme indiquant les tentatives d’intrusion par des pirates en mal de reconnaissance. Ce bijou de technologie, en phase de conception selon son fabricant, avait atterri à la NASA, car le directeur de l’entreprise qui les concevait avait conservé l’espoir qu’un jour, il pourrait embarquer sur une navette, en tant que touriste de l’espace. Les cadeaux de ce genre étaient réguliers et très appréciés par certains dirigeants de sociétés qui ne voyaient pas cela comme des pots de vin, mais simplement comme un autre moyen de renouveler du matériel obsolète à moindres frais. Klein en profita pour se changer. Un petit vestiaire contenait en permanence des vêtements propres, un ensemble veste et pantalon de bonne coupe et une paire de mocassins. Enlevant sa chemise à fleurs - 33 - hawaïenne et ses chaussures de sport qui risqueraient à coup sûr de le faire passer pour un étudiant attardé aux yeux des responsables de l’agence, Kevin cherchait le meilleur moyen d’annoncer cette nouvelle, sachant qu’il n’avait aucune preuve concrète pour appuyer ses dires. Une fois habillé et repeigné, il regarda son reflet dans le miroir pour y voir un homme vieilli, mais pas encore abattu. L’auto-motivation commença à faire son effet. Il était remonté comme un pantin prêt à sortir de sa boîte lorsqu’il appela Tony. Ce dernier l’attendait assis à son bureau, le regard fixant le plafond avec intensité, se demandant comment ils allaient bien pouvoir résoudre ce problème assez inhabituel. - Prêt à entrer dans l’arène ? lui lança Kevin. - Vous savez, ici je ne suis qu’un assistant et je ne suis même pas sûr que les grands patrons remarquent ma présence, lui rétorqua Tony qui s’amusait de voir son chef endimanché. Avec le costume, vous avez tout de suite l’air… il hésita… de quelqu’un qui n’est pas là pour raconter la dernière blague à la mode. Un clin d’œil vint appuyer gentiment son approbation. - Oui bien, en attendant, est-ce que tu as prévenu la secrétaire du directeur qu’on désirait un entretien ? - Euh ! Je le fais à l’instant, répliqua Tony, tout penaud d’avoir oublié la seule chose importante qu’il avait finalement à faire. Quelques instants plus tard, ils arrivèrent tous les deux devant le bureau de monsieur Johnson, directeur de l’agence depuis un peu plus de dix ans. Sa secrétaire leur fit signe d’entrer immédiatement. L’expérience de ce dernier lui avait appris que lorsque le chef de la sécurité informatique lui demandait un rendez-vous en urgence, ça n’envisageait rien de bon. Il valait mieux plonger dans le vif du sujet au plus tôt, et tenter d’enrayer un problème avant qu’il ne prenne des proportions trop importantes. - Entrer Messieurs, leur lança-t-il en les voyant ouvrir la porte. Je n’ai pas beaucoup de temps à vous accorder, car j’ai une réunion dans dix minutes, alors ne tournons pas autour du pot et dites-moi ce qui vous amène. - Bonjour Monsieur le Directeur, commença Kevin. Nous venons de constater un problème informatique sérieux sur le réseau interne de l’agence, qui va nous obliger à stopper tous les serveurs et effectuer une analyse complète du système. - 34 - - Rien que ça, ajouta le Jack Johnson en se rasseyant lourdement sur son fauteuil. Et dites-moi, vous en avez pour combien de temps ? Quelques minutes… une heure ? - Et bien, dans l’état actuel des choses, il vaut mieux s’attendre à une coupure globale du réseau informatique durant quatre ou cinq heures environ, pour qu’on puisse identifier précisément le problème et trouver une parade. - Voyons monsieur Klein, vous plaisantez, j’espère ! Savez-vous que nous avons un lancement de prévu dans moins de dix jours et qu’il nous est impossible de perdre, ne serait-ce qu’une heure. Si nous coupons les serveurs, en moins de cinq minutes je vais voir débarquer dans mon bureau tous les chefs de service en hurlant, parce que rien ne sera fini à temps. Vous n’êtes pas sans savoir qu’en ce moment les plannings sont très serrés. Il suffit de bloquer un service pendant une ou deux heures pour que la prochaine fusée ne puisse être lancée à la date prévue. La programmation des ordinateurs de bord de la navette va prendre une bonne semaine, sans compter la phase de vérification. Si les astronautes ne peuvent pas répéter leur mission, autant l’annuler, car ils n’auront pas le temps matériel de la réaliser une fois là haut. Je ne vous parle pas de la préparation des moteurs, de la finalisation de la mise au point du satellite qu’on doit mettre en orbite durant cette mission et j’en passe ! Pour quel motif devrait-on retarder tout ça, dites-moi ? - Nous pensons avoir subi une attaque d’un virus tout à fait inédit, qui ne ressemble en rien à ce que nous connaissons actuellement. Après une première vérification rapide, tous les ordinateurs de l’agence semblent infectés. - Non de Dieu, lâcha le directeur ! Comment cela a-t-il pu arriver avec tout l’attirail que vous avez dans votre bocal ? - C’est bien là qu’est le problème, reprit Kevin toujours aussi calmement. Nous n’en avons aucune idée. Au point où nous en sommes, nous ne savons même pas s’il s’agit réellement d’un virus et ce qu’il peut provoquer. - Qu’avez-vous constaté exactement ? Kevin Klein se demanda comment expliquer le phénomène rencontré à quelqu’un qui n’avait pas de connaissances techniques très poussées sur la gestion d’unité de stockage. Il jeta un regard furtif vers son assistant puis se lança : - 35 - - C’est assez complexe, monsieur le directeur, mais pour faire simple, disons que les zones vierges des disques durs des serveurs et des ordinateurs de l’agence contiennent des données que nous ne pouvons pas identifier. En temps normal, pour contrer les éventuelles récupérations par des pirates informatiques, ces zones sont mises à zéro par un petit programme qui fait partie intégrante des différents systèmes d’exploitation que nous avons à la NASA. Le plus troublant dans ce phénomène provient du fait que nous n’avons rien dans les rapports d’activité des différents serveurs. Absolument aucune entrée n’indique comment ça s’est passé, et quand ! - Donc, reprit le directeur, dans l’état actuel des choses, vous ne savez pas à quoi nous avons à faire face, ni comment ça s’est produit ! Messieurs, il est peu rassurant de constater que les personnes qui s’occupent de notre sécurité informatique n’en savent pas plus ! Laissezmoi avertir les différents responsables de services avec qui je dois m’entretenir dans… il regarda sa montre… et bien maintenant ! En attendant, essayer d’en apprendre un peu plus sur ce virus. Je passe vous voir dès la fin de ma réunion. Merci Messieurs. CHAPITRE 9 En quittant le bureau du directeur Johnson, Tony qui n’avait pas dit un mot essaya de débrider l’ambiance pesante qu’il avait ressentie quelques instants auparavant ! - Finalement patron, ça c’est plutôt bien passé ! - Ne rigole pas trop vite, gamin. C’est maintenant que tout va se compliquer. En gros, on a une petite heure pour comprendre ce qui arrive pour trouver le moyen de résoudre ce merdier. - Par quoi commence-t-on ? demande Tony. - Première chose à faire, il faut absolument qu’on détermine comment ce virus a pu se transmettre aussi rapidement, car tous les serveurs ont un traitement de nuit qui teste les zones libres, et nous n’avons pas eu de rapport d’erreurs ce matin. Commence par vérifier ce point s'il te plait. De retour à leur bureau, Tony commença la consultation des listings des différents systèmes et constata immédiatement que certaines analyses avaient été reprogrammées pour se réaliser qu’une fois par semaine au - 36 - lieu d’une fois par jour. Le manque de chance voulut que le fameux programme qui les intéressait plus particulièrement ne se lançait que le week-end. - On a un problème patron… un de plus ! - Qu’y a-t-il encore ? demanda Kevin, qui commençait à perdre son sang froid ! - La planification du test des zones vides a été modifiée. Elle ne s’exécute que le week-end, et d’après ce que je vois, le changement ne date pas d’hier ! Klein se rappela soudainement que le directeur lui avait fait parvenir une demande à ce sujet, quelques mois auparavant. L’activité de l’agence étant en pleine augmentation, beaucoup de services devaient travailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour que les plannings de lancement soient respectés. Par conséquent, il avait imposé à Kevin une modification des traitements de nuit, pour ne pas pénaliser le travail nocturne. - J’avais complètement oublié ça, dit Kevin en se prenant la tête à deux mains. Le directeur m’avait demandé de réduire la périodicité de certains traitements de nuit, car ils utilisaient trop de ressources… Donc, si je comprends bien, la dernière fois qu’il a tourné, c’était dimanche soir ? - Exactement ! Et si j’en crois le rapport, il n’y avait aucune erreur, ce qui veut dire que notre problème c’est produit entre lundi matin et cette nuit. - On est jeudi, réfléchit Kevin. Cela signifie que ce virus, car je pense de plus en plus que c’en est un, a mis moins de trois jours pour se propager à travers tout le réseau de l’agence malgré nos différents logiciels antivirus. Mais comment ? Ça, c’est la question ! Viens avec moi dans le bocal et prend ton portable. J'ai quelque chose à te montrer qui va pouvoir nous éclairer sur son mode de propagation. Les deux hommes attrapèrent chacun leur ordinateur portable sous le bras. Arrivés dans leur bunker rempli de matériels informatiques, ils installèrent leurs micro-ordinateurs sur une petite table. Au moment où Tony voulut le connecter au réseau, Kevin l’en empêcha. - Attends ! Ne le branche pas tout de suite. J’ai quelque chose à te montrer. Mon portable a été connecté au réseau qu'en WiFi. Je me suis rendu compte tout à l'heure, juste avant la réunion avec le chef, qu'il - 37 - n'était pas contaminé. Est-ce que tu as utilisé une connexion filaire sur le tien depuis le week-end dernier ? - Je n'en jurerais pas, reprit Tony qui réfléchissait à voix haute. Lundi, je l'avais laissé chez moi. Mardi, je me souviens avoir consulté certains rapports, mais sans le brancher au réseau. Hier, j'avoue ne plus être très sûr, car je m’en suis servi pour vérifier un transfert de fichiers chez un sous-traitant. Je me suis forcément connecté au réseau, après en Wifi ou filaire... je ne sais plus. Et aujourd'hui, je ne l’ai pas encore allumé ! - Le seul moyen pour en être sûr, c'est de lancer le programme que j'ai mis sur ce CD-ROM, lui dit Kevin. Essaie-le ! Pendant ce temps, je vais commencer la préparation des différents tests qu'on va devoir réaliser. Alors que Tony exécutait le fameux programme de vérification des zones vierges sur son disque dur, Kevin revenait au bocal avec trois ordinateurs neufs qui devaient être installés dans le courant de la semaine, en remplacement de vieux terminaux. Lorsque le logiciel renvoya la confirmation que son portable était sain, celui-ci montra le résultat à son supérieur avec une pointe de fierté ! - Très bien, lui lança Kevin. Maintenant, branche-le sur le réseau filaire, fais un tour sur ta messagerie par exemple et relance le programme de test. Aussitôt dit, aussitôt fait ! Tony connecta son ordinateur avec le câble adéquat. Rien de remarquable ne se passa ou ne se fit entendre, ni à l'écran, ni au niveau des accès au disque dur. Tony relança le test. Il constata avec stupeur que son appareil était désormais infecté, tout comme le reste des ordinateurs de la NASA. - C'est incroyable, dit-il, surpris par le résultat pour le moins surprenant. Vous avez vu patron ! Je viens tout juste de le connecter au réseau et le virus est déjà passé ! Comment est-ce possible un truc pareil ? - Oui, c'est vraiment très fort, reprit Kevin ! Ça confirme bien ce que je craignais et ce n'est pas très rassurant pour la suite des évènements ! Il faut qu'on en ait le cœur net. J'ai ramené trois machines neuves. La première est préparée avec la panoplie standard de logiciels qu'on installe habituellement. La seconde n'a pas encore de système d'exploitation. Pour la troisième, je viens de lui mettre un bon vieux MS-DOS qui doit dater d'une vingtaine d'années... Branche la première sur le réseau et fait à nouveau le test. Moi je m'occupe des deux autres. - 38 - Quelques minutes plus tard, le verdict s'avéra tout aussi fatidique. Les trois ordinateurs venaient d’être contaminés dès leur connexion au réseau. - Et bien là, pensa tout haut Tony, on est vraiment mal barré ! - Tu imagines la puissance de ce truc, dit Kevin. Un virus capable de se propager sans avoir besoin d'un logiciel particulier ni même de système d'exploitation... il prit une grande inspiration avant d’ajouter « c'est incroyable un truc pareil ». Le type qui a programmé ça a des années d'avance sur la technologie actuelle, c'est... les mots lui manquaient... cela semble impossible et pourtant on vient d'en avoir la preuve sous les yeux ! Les deux hommes, tellement impressionnés par ce qu'ils venaient de découvrir, se laissèrent tomber chacun sur une chaise, pour tenter de digérer une telle information. - Maintenant que l'on connaît le potentiel de ce virus, pensa Kevin, il faut qu'on s'assure de l'étendue de l'infection. Tony, tu vas avoir le droit d'aller te promener cet après-midi. Fais le tour de plusieurs cybercafés de la ville et quelques magasins de vente de matériels pour voir si nous sommes les seuls à avoir attrapé ce virus. Pendant ce temps, je vais prendre contact avec d'autres administrations pour essayer de jauger le terrain. - OK patron ! Je vous appelle dès que j'ai réussi à faire quelques tests. - Tony ! héla Kevin au moment où ce dernier allait sortir de la pièce. Tu nous joues ça le plus discrètement possible et n'en profites pas pour draguer les petites minettes ! J'ai besoin de toi ici au plus vite ! - Patron, vous me connaissez depuis le temps, reprit Tony avec un oeil malicieux. Le boulot passe avant tout le reste ! Les deux hommes se séparèrent à l'heure du déjeuner. C'était le meilleur moment pour que Tony puisse faire quelques tests incognito, parmi la foule d'étudiants qui venaient régulièrement squatter les ordinateurs des cybercafés pour jouer en réseau ou tout simplement consulter leur messagerie. Après être passé chez lui pour se changer et se fondre dans la masse des jeans-tee-shirts qui fréquentaient ce genre d'endroit, Tony avait eu la désagréable surprise de voir que son ordinateur personnel était lui aussi infecté. Il eut rapidement un mauvais pressentiment à l’encontre de toute cette histoire. Après avoir écumé plusieurs lieux bien connus des moins de vingt-cinq ans, bu quelques cafés avec des - 39 - universitaires, récupéré quelques numéros de téléphone de jolies étudiantes et réalisé ces fameux tests, il en conclut que l'ensemble du réseau était touché par le phénomène. Kevin, de son côté, n'avait pas chômé non plus. Même si le principe de précaution était toujours d'actualité, il avait contacté plusieurs personnes qu'il connaissait de longue date, dont une ancienne collègue qui travaillait désormais pour la NSA. Ce professeur d'université l'avait aidé pour son retour à la vie civile après son incarcération. Il appela également quelques autres amis évoluant aussi bien dans des entreprises privées que dans d’autres administrations. En pleine réflexion, il fut ramené à la réalité lorsque son téléphone portable sonna. - Patron, c'est Tony ! - Quoi de neuf de ton côté, demanda-t-il tout en doutant de la réponse de son collègue ? - Ce n'est pas bon, pas bon du tout ! Tous les endroits de la ville que j'ai testés sont infectés, à l'exception des ordinateurs qui ont des connexions sans fil. - Même résultat de mon côté, reprit Kevin. Je ne sais vraiment pas comment on va pouvoir se débarrasser de ce problème étant donné l'ampleur du phénomène. Je vais aller avertir le directeur et en attendant, reviens ici au plus vite. - OK ! J'arrive. Klein, en se rendant à nouveau au bureau de Jack Johnson, essayait de cacher son anxiété, mais il était évident pour tous ceux qui le connaissaient bien qu'il n'était pas dans son assiette. Habituellement assez détendu avec le personnel du centre, il traversa les couloirs sans un mot, la tête basse à ruminer ce qu'il allait dire à son supérieur. En l'apercevant, la secrétaire du directeur le regarda d'un air inquiet et lui proposa d'entrer sans attendre. Deux visites dans la même journée, il se passait quelque chose, car ce n'était jamais arrivé auparavant. Kevin avança finalement d’un pas assuré. Il n’avait pas le temps de tourner autour du pot, son temps était précieux. Il fallait agir très vite dans la prise de décision sur la façon de gérer un tel problème. En détaillant les tests réalisés et les différentes conclusions qu'il en avait tirées, il sentit le directeur se raidir, son visage vira de l’exaspération à l'inquiétude en quelques secondes. Lorsque Kevin Klein eut fini son exposé des faits, Jack Johnson se leva de son piège de ministre pour faire quelques pas, le - 40 - regard absent, emporté vers les nuages au travers de la fenêtre. Après une bonne minute de réflexion, il énonça à son expert en sécurité la marche à suivre. - D'après ce que vous m'avez dit, on ne sait toujours pas quelle est la finalité de ce virus, par contre sa propagation est extraordinairement rapide et efficace, et contourne tous les moyens de sécurité existants... C'est trop gros Kevin, même pour nous. Il faut qu'on prévienne le FBI pour qu'ils ouvrent une enquête et mettent les meilleurs spécialistes sur l’affaire. Je vais m'en occuper. En attendant, essayez d’analyser ces données pour tenter de trouver une quelconque information pouvant nous aider à comprendre d'où il vient, et quel est son objectif. - Comme bon vous plaira monsieur, dit Kevin pas vraiment à l'aise à l'idée d'avoir à faire une nouvelle fois avec les autorités fédérales. Laissez-moi simplement vous rappeler que la discrétion est primordiale dans ce genre d'affaires, pour réussir à remonter jusqu'à l'auteur de ce virus. Je ne voudrais pas que le FBI ameute la cavalerie avant qu'on ait eu une chance d'éradiquer cette saloperie. - Ne vous inquiétez pas, lui lança le directeur Johnson, j'ai gardé de bonnes relations avec le responsable du comté. Je suis sûr qu'ils vont nous envoyer leurs meilleurs agents. En pestant intérieurement, Kevin retourna à son bureau où devait l'attendre Tony. Il doutait que le directeur lui fasse entièrement confiance. Penser que le FBI était plus à même que lui pour résoudre ce problème n’était pas de très bon augure. C'en était même insensé, tout compte fait ! Son statut d’expert venait de subir un revers inconcevable qui le mettait dans un état de stress qu'il n'avait plus connu depuis bien des années. CHAPITRE 10 Dans son bureau mal éclairé, l'agent spécial Sarah Spader remplissait depuis le début de matinée une série de rapports d'enquêtes traitant de divers vols de matériels informatiques. Cela faisait deux ans qu'elle était entrée au FBI et durant ces longs mois, elle n’avait jamais eu l’opportunité d’enquêter sur un dossier important. Les affaires de premier plan étaient continuellement données à ses collègues masculins, certes plus expérimentés, mais tout de même. Elle avait l'impression - 41 - d'hériter des chiens écrasés et tout ce qui avait peu d’intérêt. Lorsque son téléphone sonna et qu'elle constata sur le cadran que l'appel venait de son supérieur, elle décrocha aussitôt. - Spader ! - Sarah, j'ai une enquête à te confier. Elle laissa volontairement un silence s’installer. - Il faut que tu prennes contact avec le directeur de la NASA. Il s’agit de Jack Johnson, continua son chef après s’être demandé si elle était toujours en ligne. Il a un problème qui mérite toute notre attention. Je n'ai pas de précision, mais je le connais depuis longtemps et je peux t'assurer qu'il ne me contacte jamais pour une broutille. - C'est un ami, demanda Sarah ? - De longue date, oui ! - Très bien, je l'appelle tout de suite. Il lui transmit ses coordonnées et lui spécifia de le tenir au courant de l’avancement des choses. Sarah avait une sainte horreur des enquêtes de copinage. Même pour faire plaisir à une relation personnelle, on ne pouvait pas déranger des agents spéciaux chargés d'affaires bien plus sérieuses. Cependant, si son chef lui demandait de s'en occuper, il avait sûrement une bonne raison et elle espérait secrètement enfin tomber sur quelque chose d’un peu plus intéressant que tout ce qu'elle avait eu à traiter jusqu'ici. Si elle réussissait à mener à bien ce qui semblait être, avant tout, un service de son supérieur à un ami plutôt qu'une véritable investigation, ça lui donnerait des arguments supplémentaires lors des prochaines missions. Elle composa le numéro de son interlocuteur et après quelques secondes de musique d'attente, la secrétaire du directeur de la NASA décrocha. - Bureau du directeur Johnson, que puis-je pour vous ? - Bonjour, ici l'agent spécial Spader du bureau du FBI. Puis-je avoir monsieur Johnson s'il vous plaît ? - C'est à quel sujet ? - Pour affaire personnelle, reprit Sarah un rien énervée par le ton condescendant de cette secrétaire un peu trop zélée à son goût. - Veuillez patienter ! Quelques instants plus tard, après avoir eu droit à un fameux boléro de Ravel d’une qualité exécrable, la communication émit un claquement suivi d’un petit bip et quelqu'un parla. - 42 - - Ici Jack Johnson, à qui ai-je l'honneur ? - Agent spécial Sarah Spader du bureau de FBI de Houston. Monsieur Fitzgerald m'a demandé de vous contacter... - Agent Spader, vous avez fait vite ! renchérit le directeur Johnson. J'ai un problème qui mérite toute votre attention. - Je vous écoute, Monsieur, reprit poliment Sarah qui souhaitait également qu'on en vienne au fait le plus rapidement possible. - Et bien, c'est techniquement assez compliqué à expliquer, mais pour faire simple, nous avons constaté que la majorité de nos ordinateurs ici à la Nasa ont été infectés par ce qui semble être un virus d'une toute nouvelle génération. Il se propage sur tous types de machines. À l'heure actuelle, nous ne savons pas encore quel est le but de ce virus, si ce n'est de se multiplier à une vitesse peu commune. De plus, nous avons remarqué après une enquête rapide qu'un nombre conséquent de villes américaines sont touchées par ce problème. Cela ne m’étonnerait pas que votre infrastructure soit également contaminée. - Excusez-moi de vous couper, Monsieur Johnson, reprit Sarah, mais si nous avions été infectés, nos différents services de sécurité informatiques l'auraient vu ! - N'en croyez rien, car si nous n'avions pas un système de contrôle très pointu, nous n'aurions rien détecté nous non plus ! D'ailleurs, c'est très récent. Mon expert m'a affirmé que l'infection est apparue entre lundi matin et cette nuit. Sarah laissa passer quelques secondes de silence, pour analyser ces informations et prendre la meilleure décision. - Je pense qu'il serait souhaitable qu'on se rencontre pour que vous m'expliquiez plus précisément le problème. Mieux que cela, avez-vous la possibilité de me montrer ce que vous avez constaté ? - Le plus tôt sera le mieux, car dans l'état actuel des choses, je suis dans l’incapacité de déterminer avec précision les implications concernant le lancement de la prochaine navette. Je demanderai à mon expert informatique de vous expliquer tout ça. - Je vais m'arranger avec monsieur Fitzgerald pour qu'il me libère des enquêtes en cours et passer en fin d'après-midi. - Ce sera parfait, reprit Jack Johnson soulagé que sa demande soit traitée en priorité. Merci agent Spader. - 43 - Tout en réécoutant l'appel que Sarah avait enregistré, une habitude qu'elle avait prise pour éviter tout conflit ou mauvaise interprétation, elle n'en croyait toujours pas ses oreilles. Ce directeur était bien sûr de lui en disant que le FBI était probablement infecté par ce virus. Comment pouvait-il oser annoncer de telles choses alors qu'il ne connaissait sûrement pas l'architecture ultra sécurisée que le bureau fédéral avait mise en place. Elle qui travaillait régulièrement avec les experts que le FBI avait recrutés, ou certains consultants extérieurs, savait qu’ils étaient tous d'accord pour dire que la sécurisation du réseau de l'agence était ce qu'il y avait de plus pointu dans le domaine. Cependant, un point restait à éclaircir : si la NASA avait fait sa propre enquête auprès d'autres instituts américains, et que ceux-ci avaient réellement détecté la présence du même symptôme, il fallait approfondir le sujet sans tarder. Une ultime question lui traversa l’esprit : comment avait-il pu se propager aussi vite sans que personne ne s’en aperçoive. Malgré ses connaissances limitées en informatique, cela lui paraissait parfaitement impossible. Elle n'avait jamais entendu parler ou lu un rapport montrant une telle vitesse de propagation. « Le mieux pour l'instant, c'est de rencontrer ces individus et d’écouter ce qu'ils ont à raconter », pensa-t-elle. En se dirigeant vers le bureau de son supérieur, Sarah se demandait si son vœu avait finalement été exaucé plus vite que prévu. Cette affaire pouvait déboucher sur la plus grande attaque virale jamais rencontrée dans le monde informatique, comme elle pouvait faire chou blanc si c’était une blague d’étudiants en mal de reconnaissance. C’était quitte ou double. - Francis ! appela-t-elle en frappant à la porte entre-ouverte ? En se retournant sur son siège, son téléphone portable collé à l'oreille gauche, le directeur du bureau fédéral de Houston lui fit un signe de tête lui proposant d'entrer. Après avoir lâché quelques « oui », « non » et trois ou quatre « mmmh ! », ce dernier raccrocha et lui suggéra de s’assoir sur une chaise libre. Sarah obéit et commença à détailler son entretien téléphonique. Francis Fitzgerald fut soudainement inquiet par l'ampleur que cette affaire risquait de prendre. Il hésita un instant à laisser l'agent Spader sur le coup. Mais, comme elle semblait avoir eu un bon contact avec son ami, pourquoi ne pas lui permettre d’aller au bout de ses investigations. De toute façon, il pourrait toujours lui adjoindre - 44 - d'autres éléments si cela devenait utile. Il finit par l’autoriser à suspendre ses affaires courantes pour se pencher en priorité sur celle-ci. CHAPITRE 11 Dans leur bureau, Kevin et Tony s’activaient comme des damnés pour effectuer le plus de tests et d’analyse possible. Le directeur de la NASA leur avait donné deux heures pour définir un protocole d’éradication de ce virus. S’ils réussissaient à contrer le problème et remettre en service les différents serveurs du centre, le blocage de l’activité serait réduit à un minimum acceptable, ce qui leur laisserait le temps de purifier tout le reste du réseau ultérieurement. Dans le cas contraire, ils seraient contraints de décaler les futures missions, ce qui risquait d’engendrer une perte financière colossale. À terme, le risque de perdre une partie des contrats en cours n’était pas à prendre à la légère, même pendant cette période faste. Les Russes et les Chinois n’attendaient que ce type d’évènement pour montrer au monde entier qu’ils avaient les épaules aussi solides que les Américains, et étaient capables d’honorer de tels contrats. Le directeur Johnson en avait pleinement conscience et souhaitait que Kevin Klein soit à la hauteur de la tache qu’on lui avait assignée. Dans le bocal, les principaux serveurs du site avaient été déconnectés du réseau interne pour un rechargement complet des systèmes d’exploitation. À partir de sources fiables et non infectées, mais surtout à l’aide d’un matériel de sauvegarde et de restauration optique ultra performant, la remise en service du cœur informatique de la NASA n’avait pas été très longue. Moins d’une heure après être sorti du bureau de Jack Johnson, Kevin Klein avait réussi ce qui pouvait ressembler à un miracle aux yeux d’un profane en informatique. L’avantage de ce type d’architecture, totalement isolé du reste du centre spatial, prenait tout son sens. Il fallait maintenant qu’il trouve le moyen de séparer quelques machines du réseau global de la NASA, et de les connecter directement aux serveurs du bocal. Alors qu’il réfléchissait à cette mise en œuvre, Kevin fut demandé par le directeur Johnson. - 45 - En arrivant devant son bureau, il remarqua par la porte inhabituellement entrouverte que ce dernier était en grande conversation avec deux personnes. En le voyant apparaître, Jack Johnson s’interrompit et le présenta aux deux inconnus. - Agent Spader et Dalton, je vous présente monsieur Klein, notre expert informatique. - Enchanté, lui dit la jeune femme en lui tendant la main. Je suis l’agent spécial Sarah Spader du bureau du FBI et voici l’agent spécial Donald Dalton. - Bonjour, reprit Kevin un rien dérouté par la présence de cette charmante demoiselle, qui ne ressemblait absolument pas aux agents du gouvernement qu’il avait côtoyés quelques années auparavant. - Pouvez-vous nous expliquer plus en détails ce qui se passe, Monsieur Klein, demanda Sarah sans détour ? - Il serait judicieux que vous alliez dans votre bureau Kevin, annonça le directeur Johnson. Vous serez plus au calme qu’ici. Je vous laisse entre ses mains, dit-il à l’intention des deux fédéraux. Revenez me voir avant de repartir s’il vous plaît. - Très bien monsieur Johnson, reprit poliment Sarah, merci et à tout à l’heure. Kevin fit demi-tour, en indiquant aux deux agents du FBI de le suivre. Tout en marchant d’un bon pas, il se demandait comment il allait bien pouvoir expliquer un phénomène aussi technique à des personnes qui devaient avoir un niveau très limité en informatique. À y réfléchir, il n’avait d’ailleurs aucune envie de faire un effort particulier, le FBI pouvait bien lui envoyer des hommes compétents en sécurité informatique, s’il considérait que le problème était suffisamment sérieux. - C’est ici, dit-il en montrant la porte de son bureau où Tony l’attendait avec impatience. Il n’avait jamais eu à faire au FBI et cette rencontre avec les autorités gouvernementales était pour lui une véritable source de curiosité. Les agents fédéraux étaient-ils aussi spéciaux que le cinéma nous le montrait à longueur de journée ? Telle était la question… - Bonjour, leur lança-t-il tout excité ! Je suis Antony Alessandro, le collègue de monsieur Klein. - Agent spécial Spader et Dalton, lui répondit Sarah. - 46 - Tony remarqua aussitôt que cet agent féminin dégageait une prestance et un charme qui ne laissait personne insensible. Ces cheveux ondulés couleur d’ébène lui arrivant au-dessus des épaules gommaient le côté sérieux que son visage renvoyait. Mais ce qui frappa Tony avant toute chose, c’était sa bouche. Ses lèvres pulpeuses étaient comme un aimant. À la première seconde où son regard croisa ce visage, son esprit prit le dessus et lui montra, en pensée, comment il pourrait l’embrasser tendrement. Une décharge électrique lui traversa le corps ce qui le ramena à la réalité instantanément. - Enchanté, dit Tony après avoir retrouvé son sang-froid partiellement. - Pouvez-vous nous expliquer ce qui se passe ? reprit Dalton, las de voir jour après jour comment les hommes semblaient perdre leur moyen en présence de sa jeune collègue. En temps normal, il comprenait l’attrait que sa jolie coéquipière procurait aux hommes. À l’approche de la soixantaine, il considérait désormais Sarah comme la fille qu’il n’avait jamais eue. - Et bien, pour être tout à fait honnête, leur lança Kevin toujours aussi énervé de l’intrusion du FBI dans ses affaires, c’est assez compliqué. Avez-vous des connaissances sur les systèmes de sauvegardes de données, et pour être plus précis, sur la manière dont les informations sont enregistrées sur un support ? - Monsieur Klein, reprit Sarah pour éviter tout malentendu, nous avons de bonnes connaissances informatiques, mais pour être honnête à notre tour, le côté technique de la chose ne nous est pas vraiment familier. Nous espérons que vous pourrez nous éclairer sur ce point. Kevin se doutant de recevoir une réponse de ce genre, n’avait pas la moindre envie de s’abaisser techniquement. Il se lança dans une explication précise du phénomène constaté, ce qui après quelques instants, conforta Sarah et Don dans leurs premières impressions : cet homme-là ne les appréciait pas ! Voyant une tension s’installer entre les différents protagonistes, Tony vint à la rescousse des agents fédéraux. - Patron, si vous le permettez, je peux essayer d’éclairer la lanterne de nos amis qui, semble-t-il, sont légèrement perdus dans ce jargon technique… sans vouloir vous offenser, ajouta-t-il à l’attention des fédéraux. Le regard compatissant envers les deux agents les encouragea à penser qu’au moins un des deux experts de la NASA était de leur côté, ce qui pouvait s’avérer précieux le moment opportun. - 47 - - Je vous en prie, lui répondit Sarah qui avait bien besoin d’éclaircissement sur les explications qu’on venait de lui balancer. - Pour faire une analogie simple, reprit Tony qui voyait en cet instant un bon moyen de rompre la glace, considérez un disque dur ou tout autre système de stockage de données comme un immeuble. Cet immeuble est composé de plusieurs étages, chacun divisé en plusieurs appartements. Dans chaque appartement, il y a un habitant. Cet habitant est en quelque sorte notre donnée informatique constituant les fichiers que nous utilisons tous les jours sur nos ordinateurs. Maintenant, lorsque nous voulons enregistrer un nouveau fichier, que se passe-t-il ? Sans contrôle, ce serait un beau merdier si vous me pardonnez l’expression. Dans notre exemple précis, c’est le gardien de l’immeuble qui joue ce rôle. Il garde une trace des appartements vides et de ceux qui sont habités. Dans la réalité, le gardien est ce qu’on appelle la table d’allocation de fichiers. Grâce à cette table, on sait quels sont les emplacements libres ou non sur le disque dur. Kevin, qui voyait l’effort que Tony réalisait pour vulgariser au maximum son discours, restait assez admiratif. Son jeune camarade de jeu mettait une vraie volonté pour expliquer aussi clairement que possible un aspect très technique qu’aucun utilisateur, même éclairé, ne connaissait. À part les concepteurs travaillant sur les systèmes de stockage, et un groupe restreint de techniciens spécialisés, personne ne s’attardait à comprendre le fonctionnement presque mécanique de ces appareils. - Le problème que nous avons rencontré, reprit Tony, est situé sur les zones libres des disques durs. Cela remonte au début de l’informatique. Pour gagner du temps au niveau des accès en lecture-écriture, qui étaient à cette époque extrêmement lente, la suppression d’un fichier était en réalité une simple modification de la table d’allocation. Pour revenir à notre analogie, c’est comme si vous disiez à notre gardien d’immeuble que l’habitant de l’appartement X de l’étage Y n’était plus là. Il mettrait à jour sa liste sans forcément vérifier si les lieux étaient réellement désertés. Ce système de gestion existe toujours et pose depuis de nombreuses années de véritables problèmes de sécurité. - En effet, lança Kevin qui ne voulait pas rester de côté trop longtemps. Il est impératif qu’un fichier que l’on supprime le soit physiquement. Dans la pratique, les données ne sont plus accessibles directement, mais - 48 - avec un programme spécifique, il est tout à fait possible de les récupérer. C’est d’ailleurs ce que fait une vieille commande MS-DOS appelée UNFORMAT. Elle rétablit le lien entre les fichiers d’un disque dur reformaté et la table d’allocation, permettant ainsi de recouvrer vos informations comme si de rien n’était. Dans notre cas précis, nous avons installé un programme réalisant un effacement physique des données lorsqu’un fichier est supprimé par un utilisateur. De la même façon, chaque fois que nous ajoutons un disque sur un serveur, il est physiquement vierge de toute donnée. - Merci pour cette leçon technique fort intéressante, reprit Sarah un rien désabusée par ce qu’on venait de lui enseigner malgré elle, mais quel est le rapport avec votre virus ? - J’y arrive, dit Kevin d’un regard sombre qui masquait à peine son agacement. Tout d’abord, il ne s’agit pas de « notre » virus, mais « d’un » virus que nous avons effectivement découvert ! Ce que nous avons constaté, c’est que toutes les zones vierges de tous les systèmes de stockage du centre ne sont plus vides ! Nous avons remarqué ce matin que nos disques durs étaient remplis d’une multitude de données incompréhensibles. - Et vous pensez que c’est un virus qui a fait ça ? demanda Dalton qui avait lâché le fil de la conversation depuis longtemps. - A priori, ça ne ressemble pas à un virus classique, leur annonça Tony, heureux de revenir dans l’arène. Ceux que nous rencontrons habituellement sont des programmes ou simplement des fichiers qui s’exécutent sur un système ou au travers d’un logiciel bien précis. Je ne vous apprendrais rien en vous parlant des nombreux virus qui se propagent par les logiciels de messagerie, ou ceux qui s’appuient sur des failles de sécurité de logiciels ou d’un environnement. Ici, nous avons constaté lors de nos premiers tests, que ce virus, si c’en est un, est parfaitement autonome. Il n’a besoin ni de système, ni de logiciel. Un simple disque vierge ou même une clé USB suffit à sa propagation. En fait, à partir du moment où nous avons un lien physique avec un ordinateur infecté via le réseau par exemple, il se propage. L’homme arriva à l’entrée de sa propriété, au volant du camion-citerne qu’il avait récupéré quelques minutes plus tôt. Son allure était nettement plus modeste qu’avec sa jeep tout terrain. La route étant assez étroite par endroits, il prenait le maximum de précaution pour ne pas décapiter - 49 - un des deux rétroviseurs de l’engin contre un tronc d’arbre. En s’approchant de son chalet, il jeta un rapide coup d’œil aux alentours et ne vit rien d’anormal. Le chemin de terre, qui semblait s’arrêter au niveau de la porte d’entrée, continuait à droite pour disparaitre dans une longue pente descendante jusqu’en bordure de forêt, masquant une falaise rocheuse. L’homme stoppa le camion en bout de piste où une cabane était plantée. Le temps avait fait son œuvre et c’est avec délicatesse qu’il ouvrit la porte à moitié délabrée. À l’intérieur du bâti, un véritable capharnaüm de vieux outils, de bidons de peinture rouillés et bien d’autres pièces détachées de plomberie et de menuiserie qui n’avaient plus servi depuis des années, se présentait à lui. Seul le milieu de la pièce restait dégagé. En s’approchant du côté droit, l’homme tira sur une poignée qui libéra un accès au fond de la cabane. Laissant apparaître un embout d’un tuyau provenant du sol, il dévissa le bouton protecteur et retourna au véhicule. Se munissant de la tuyauterie installée sur l’arrière de la citerne, il relia l’embouchure plastique sortant de la trappe au système de pompage du camion. Il abaissa un levier pour lancer le transfert du liquide visqueux dans sa réserve souterraine. Après plusieurs minutes d’attente, il rangea tout le matériel, remonta dans l’engin afin de le rapporter à la station et récupérer sa jeep. Il avait désormais un mois d’autonomie en fuel. CHAPITRE 12 Le rapport que venaient de leur faire les deux experts informatiques de la NASA n’avait pas complètement convaincu Dalton, qui ne voyait en cela qu’une perte de temps. Si ce « virus » n’en était pas réellement un, pourquoi les avait-on appelés pour enquêter. En se tournant vers Sarah qui semblait analyser intérieurement les informations qu’on lui avait présentées, il lui adressa un léger signe de tête qu’elle comprit parfaitement. Il lui paraissait évident que Don voulait abréger cette enquête au plus vite, et retourner à des affaires autrement plus importantes. Pourtant, une chose la chagrinait plus que tout : son supérieur ! Pourquoi diable lui avait-il demandé de s’occuper de cette affaire en urgence, alors que les explications qu’on venait de leur donner n’étaient pas particulièrement convaincantes. - 50 - - Qu’est ce que vous en pensez ? demanda Sarah aux deux informaticiens. - Pour être tout à fait honnête, reprit Kevin, quel que soit ce phénomène que je continue de considérer comme un virus tant que je n’ai pas la preuve du contraire, sa programmation a des années d’avance sur tout ce qu’on connaît dans ce domaine. Celui qui a développé ce code est un génie de l’informatique. - C’est une bonne nouvelle, lança Dalton qui voyait enfin une piste de départ. Cela veut dire que les suspects vont se compter sur les doigts d’une main ! Est-ce que je me trompe ? - En effet ! pensa Kevin tout haut. - Nous allons orienter nos recherches de ce côté-là dans un premier temps, ajouta Sarah. Je vous remercie pour vos explications et votre temps. Nous vous recontacterons si besoin. Kevin leur fit un signe de tête aimable, tout en sachant que cette rencontre était totalement inutile. Il était fort improbable que ces deux agents aussi inexpérimentés en informatique lui résolvent son problème. Tony leur serra la main en les assurant de sa sympathie, et en espérant secrètement revoir rapidement la charmante Sarah Spader. Les fédéraux firent un détour par le bureau du directeur Johnson comme promis, puis quittèrent le complexe de la NASA pour rentrer faire leur rapport à leur supérieur. Pendant le trajet, Sarah restait silencieuse, chose inhabituelle chez elle dans de telles circonstances. D’ordinaire, elle aimait réfléchir tout haut, partager des idées avec son collègue, qui avait une approche bien différente vu son ancienneté. Cette fois-ci, il y avait beaucoup trop d’inconnus, à commencer par le fait qu’elle ne comprenait toujours pas pourquoi son patron lui avait demandé de s’occuper de cette affaire en priorité. Ce n’est qu’après de longues minutes qu’elle rompit le silence. - Quelque chose ne colle pas ! Si je résume rapidement la situation, on a donc un virus informatique qui n’en ait peut-être pas un, selon ce charmant monsieur Klein, dit-elle sur un ton ironique. De plus, le chef est très pressé qu’on clôture cette enquête… - Un peu trop à mon goût, reprit Dalton qui était pleinement d’accord avec Sarah sur ce point. Jamais en trente ans de carrière on ne m’a demandé de lâcher toutes mes affaires en cours pour une histoire aussi ridicule. Je ne sais pas quels sont les intérêts de la maison dans cette - 51 - histoire, mais ça sent les dessous de table et autres profits personnels à plein nez. - Je n’irais pas jusque-là, songea Sarah tout haut. Je reste tout de même intriguée par le fait que ce monsieur Klein nous a lancés sur la piste du « génie de l’informatique ». Dès qu’on arrive, je vais faire quelques recherches sur cet homme et j’ai l’impression qu’on risque d’avoir des surprises ! - En tout cas, le jeunot en pince pour toi, lui lança Dalton, un large sourire aux lèvres. Ça peut servir plus tard ! - Ne raconte pas d’idiotie Don, souffla Sarah les joues rougissantes. - Je rêve !!! Il te plaît ma parole, reprit-il en la regardant de côté. Tu me diras, il n’y a pas de mal à ça, c’est un gamin assez bien fichu… enfin, je dis ça… je suppose qu’il doit plaire aux filles ! - Bon, ça va maintenant. On peut revenir à notre sujet ! - Ah ! Tu sais bien que je suis un vieux con, continua-t-il en voyant que le terrain devenait miné et qu’il ne devait pas trop lourdement insister. De toute façon, ces deux zouaves sont les suspects numéros un à mes yeux ! Qui aurait le plus de facilité à faire ce genre de virus si ce n’est un expert informatique ? Il va falloir qu’on regarde si l’un des deux n’aurait pas des problèmes financiers, ou des contacts avec des entreprises concurrentes. - De mon côté, je vais consulter les fichiers sur les petits génies de l’informatique et autres pirates de haut vol connus de nos services. Qui sait où ça peut nous mener… - Charmante, l’agent Spader, fit remarquer Tony à son chef. - Les fédéraux et moi ne sommes pas vraiment copains, lui répondit Kevin, même si intérieurement, une petite voix lui disait que cette fois la tendance pouvait s’inverser. De toute façon, il ne faut pas compter sur eux pour résoudre notre problème. Tu as vu le niveau qu’ils ont en informatique ? Je suis sûr qu’ils pensent encore que le lecteur de DVD est un porte-gobelet, ironisa-t-il ! - Oui… effectivement, ce ne sont pas des experts, mais ils ont probablement d’autres qualités qui peuvent être grandement utiles ! - En attendant, nous avons intérêt à remettre en service le plus grand nombre de machines avant que le directeur nous tombe dessus. D’ailleurs, ça m’étonne qu’il ne soit pas déjà venu nous voir, pensa Kevin à haute voix. - 52 - Du côté de la Suisse, l’homme qui se faisait appeler Henri Durand revenait de sa tournée. Le plein de fuel était fait, il avait acheté quelques outillages qui lui faisaient défaut, et il s’était arrêté dans une épicerie pour récupérer quelques provisions. N’ayant pas l’électricité dans son chalet, il devait se contenter de produits non périssables nécessaires en cas d’urgence. Il avait l’habitude de prendre ses repas dans un petit restaurant tout proche de son domaine, mais comme une tempête subite pouvait l’isoler quelques heures, il avait toujours de quoi subsister. Henri vivait seul depuis une dizaine d’années, non pas que ce choix soit délibéré, mais simplement parce que la vie ne lui avait pas laissé d’autre alternative. Il passait la plupart de son temps en voyage aux quatre coins du monde pour le compte de la fondation qu’il avait créée. Il revendiquait haut et fort un retour aux sources, en bannissant au maximum la technologie moderne qu’il jugeait inutile. Lui qui avait été un brillant ingénieur en informatique, à l’origine d’un réseau militaire et universitaire qui allait devenir l’internet d’aujourd’hui, avait exécuté un remarquable changement de cap avec cette organisation. Désormais président d’honneur de la très médiatique fondation « Avenir Propre », il devait retourner aux États-Unis le lendemain matin pour une conférence très importante sur le réchauffement de planète. De retour dans leur bureau au siège du FBI, Sarah fit un compte rendu rapide à son supérieur et commença à pianoter sur son ordinateur pour rechercher les principaux pirates informatiques recensés dans leur base de données. Très rapidement, une liste d’une centaine de noms apparut. Après avoir ajouté quelques filtres sur sa recherche pour ôter les hommes décédés, ceux incarcérés ou en cour de jugement et celui interné pour paranoïa, elle était descendue à une soixantaine d’individus. En scrutant plus attentivement les fiches signalétiques de chaque personne, elle eut la surprise de retrouver son interlocuteur de la NASA, l’ingénieur en chef Kevin Klein. Très intriguée de voir son nom sur cette liste de pirates informatiques tous plus ou moins recherchés, Sarah se demanda pour quelles raisons il pouvait bien être fiché dans leur base. En lisant rapidement son curriculum vitae, elle comprit immédiatement que l’honnête citoyen qu’elle pensait avoir rencontré quelques heures auparavant n’avait rien d’un ange. Son lourd passé se révélait à elle, en lui faisant prendre conscience que son contact avait bien caché son jeu et le mettait en position de suspect numéro un. Son - 53 - profil atypique, associé à une rancœur envers les autorités, était un véritable mobile à ces yeux. Sarah poursuivit l’examen de son listing attentivement, puis finit par réduire le nombre à moins de dix personnes. Il y avait parmi eux un étudiant chinois qui avait infesté les messageries du monde entier en quelques jours, avec un virus qui aurait pu être dévastateur si l’alerte n’avait pas été donnée suffisamment tôt. On retrouvait également un ancien programmeur de la NSA qui avait été licencié pour faute grave et était depuis lors fiché comme un individu potentiellement dangereux. Sarah remarqua un homme sans passé notable qui s’était fait connaître des autorités lors d’une affaire de vols industriels que le FBI avait eu à traiter. Puis, elle découvrit les noms familiers de deux fondateurs de la plus grosse compagnie de software du monde. Ces derniers étaient sans aucun doute hors de cause. Cependant, leurs statuts particuliers les mettant en tête de liste vu les connaissances extraordinaires qu’ils avaient dans ce domaine. Le dernier client était un illuminé qui avait fondé un groupuscule anarchiste. Il prônait le chaos le plus total. Les compétences de ce groupe semblaient assez limitées, mais Sarah classa leur fiche en haut de sa pile. Au total, Sarah avait sept personnes potentiellement susceptibles d’avoir commandité ou réalisé cette attaque virale. Prenant son dossier sous bras, elle se dirigea vers le bureau de son camarade de jeu. Don n’avait pas perdu son temps, même si les recherches qu’il avait effectuées sur Kevin Klein et Anthony Alessandro n’avaient pas été à la hauteur de ces espérances. Le jeune Tony était blanc comme neige. Il n’avait pas de casier judiciaire, pas la moindre infraction ni contravention. Ce gamin était un saint pour les autorités. Les premiers résultats montraient qu’il avait un train de vie en parfaite adéquation avec son salaire, qu’il fréquentait un club nautique depuis des années. Il avait presque failli être sélectionné pour les Jeux olympiques comme nageur. L’équipe étant très compétitive cette annéelà, il s’était contenté d’une place de remplaçant. Il était locataire d’un petit appartement dans un quartier calme. Son seul luxe apparent était un cabriolet flambant neuf de la marque Corvette. Il venait de se l’offrir quelques semaines plus tôt. Le dossier de Kevin Klein avait été, quant à lui, nettement plus intéressant. Il retraçait pratiquement toute sa carrière de pirate informatique et tout ce qu’il avait fait après son incarcération. Par contre, il manquait toute une période classée top secret. Don n’avait - 54 - pas un niveau d’accréditation suffisant pour accéder à ses informations, mais il était persuadé que son supérieur pourrait lui ouvrir toutes les portes. Voyant arriver Sarah, un dossier sous le bras, il prit ses notes ainsi que plusieurs documents qu’il venait d’imprimer. - Qu’est ce que ça donne de ton côté ? demanda Don. - J’ai quelques pistes à creuser, répondit Sarah, mais il y a un candidat qui m’intéresse plus particulièrement. Il s’agit d’un certain « Federico Fernandez », qui se fait également appelé Roswell. Le type se prend pour le descendant d’un extra-terrestre. - Du côté de la NASA, les deux informaticiens sont relativement propres, mais il me manque une dizaine d’années de la vie de ce cher monsieur Klein. Son dossier est classé et je n’ai pas les autorisations pour y accéder. À mon avis, il a bossé pour la CIA ou quelques choses de ce genre. - Allons voir ce que le chef en pense, reprit finalement Sarah. Leur visite au bureau de Francis Fitzgerald coupa court après deux minutes. Ce dernier venait d’avoir un appel urgent qui l’obligeait à s’absenter quelques heures. - Laissez-moi votre rapport, lança-t-il aux deux agents. J’y jetterais un œil dès mon retour. De plus en plus perplexes, Sarah et Don ne savaient vraiment plus à quels saints se vouer. L’enquête semblait être très importante dans un premier temps, puis le directeur les laissait en plan sans autre forme de procès, sans justification ni même un semblant d’explication. - C’est bien joli tout ça, mais on fait quoi maintenant ? s’interrogea Don. - On va taper notre rapport et ensuite on verra ce que le chef pense de tout ça ! En tout cas, cette affaire prend une drôle de tournure, ajouta-telle. Quelle mouche a bien pu le piquer pour qu’il parte aussi vite ? - Je ne sais pas, mais je déteste quand il fait ça et nous laisse comme deux ronds de flan !!! On tape ce foutu rapport en vitesse pour aller boire une bière. On a assez trimé pour aujourd’hui ! - Pas ce soir, Don. J’ai déjà quelque chose de prévu. Donald Dalton passa l’heure suivante à questionner Sarah sur cette soidisant « chose de prévue », sans résultat. Elle ne tenait pas à entendre les railleries de son collègue, parce qu’elle avait un rendez-vous arrangé par sa sœur qui désespérait de la voir seule à longueur d’année. Sarah avait pourtant refusé, mais elle avait fini par capituler, par charité chrétienne ! - 55 - Une simple sortie dans un troquet du coin lui avait-elle dit, prendre un verre et jouer au billard, c’était tout ce qu’elle lui demandait. La soirée approchant, Sarah traînait des pieds jusqu’au moment où elle sentit que ça ne serait pas correct de sa part de poser un lapin à ce « nouvel ami ». À l’instant précis où elle franchissait la porte de son bureau, son téléphone portable sonna. - Sarah !!!! Qu'est-ce que tu fais ? On t’attend depuis une heure, lui lança sa sœur sur le ton de la colère. Tu m’avais promis de venir. - J’arrive ! Ne t’énerve pas et commencez sans moi ! La soirée se passa gentiment. Sarah rentra chez elle, seule. Son chevalier servant n’ayant pas été à la hauteur de ses espérances, une fois de plus… CHAPITRE 13 Les premiers rayons de soleil apparaissaient timidement sur un lac Léman, recouvert d’une fine brume matinale. Henri Durand finissait ses valises pour se rendre à l’aéroport. Son avion pour Washington décollait de très bonne heure et devait lui permettre, grâce au décalage horaire, d’arriver en milieu d’après-midi pour préparer la conférence prévue le soir même. En fermant la porte de son chalet à clé, il pianota sur son téléphone portable une série de touches, puis attendit qu’un signal de confirmation s’affiche sur l’écran. Il pouvait partir sereinement, ses systèmes de surveillance étaient opérationnels. Il chargea ses bagages dans sa jeep, démarra le moteur et s’engagea tranquillement sur le chemin qui rejoignait la route vers l’aéroport de Lausanne, qu’il connaissait par cœur. Il faisait ce trajet toutes les semaines depuis plusieurs années. Son vol ne fut pas trop désagréable, mais il avait hâte d’arriver à son hôtel pour pouvoir se rafraîchir. Une limousine l’attendait à son atterrissage, comme c’était le cas chaque fois qu’il se déplaçait. Sa fondation ne lésinait pas sur les moyens, un chauffeur était toujours à sa disposition, des réservations à son nom étaient effectuées dans les établissements de charme. Ses voyages étaient réglés comme du papier à musique. Sa secrétaire personnelle lui programmait ses déplacements dans les meilleures conditions, sans aucune fausse note. Bien que - 56 - réfractaire à la technologie, elle savait que son patron appréciait les petites attentions qu’elle lui témoignait. Il préférait les hôtels de caractères aux chaînes d’hôtellerie luxueuse, mais ne rechignait pas sur la limousine confortable… Sa fondation comptait une poignée d’investisseurs qui croyaient dur comme fer que la technologie moderne n’était pas aussi bénéfique pour l’homme que ce qu’on pensait. Ils ne plaidaient pas pour un retour à l’âge de pierre, mais s’évertuaient à trouver de nouvelles solutions pour remplacer les énergies pétrolières, produire de l’électricité propre ou encore réduire les émissions d’ondes radio néfastes qui bombardaient chaque jour notre planète… La conférence du soir, axée sur le réchauffement planétaire, devait présenter en bouquet final, les avancées d’un projet de longue date. Bien des années auparavant, un savant chinois complètement farfelu avait émis la théorie selon laquelle il était possible de contrôler la température de l’air en pulvérisant un gaz suffisamment opaque pour filtrer temporairement les rayons solaires nocifs. Presque tout le monde avait crié à l’hérésie qu’il était grand temps d’interner ce savant d’opérette. Seulement, une petite poignée d’écologistes avait laissé passer la tempête médiatique que cette annonce avait suscitée, et avait commencé à travailler sur ce projet. Peu avant que la conférence ne débute, les quelques journalistes présents qui interviewaient Henri Durand remarquèrent que l’homme semblait soucieux. Il ne répondait que brièvement aux questions et mit fin à ses séances de torture très rapidement, ce qui n’était pas dans ces habitudes. Il se dirigea d’un pas rapide vers un homme qui n’avait pas arrêté de le regarder depuis le début de son interview. Ils échangèrent quelques paroles, puis Henri passa par une porte dérobée qui débouchait sur un long couloir sombre. La tête baissée, il marchait mécaniquement, car ses pensées étaient ailleurs. Il ressassait ce que venait de lui apprendre son contact, et se demandait comment utiliser cette information au mieux. Devant l’entrée des artistes, un vigile montait la garde. En le reconnaissant, il lui ouvrit la porte en lui souhaitant du courage. - Bonne conférence Monsieur, lui dit-il poliment. - Merci, lui répondit Henri d’un air distrait, sans même le regarder. - 57 - Son discours prononcé avec enthousiasme et professionnalisme ravit la plupart des convives présents. Seulement, ce genre de manifestation attirait fatalement des réfractaires qui n’avaient qu’une envie : diaboliser l’image de marque de la fondation en faisant passer ses membres pour des fanatiques incapables de comprendre les enjeux actuels. Quelques invectives furent lancées, mais le service de sécurité intervint rapidement et plusieurs personnes furent expulsées de la salle avant même d’avoir réussi à formuler de quelconques objections. Le bouquet final tant attendu tourna court lorsqu’une coupure de courant plongea l’amphithéâtre dans un noir total. Les expulsés du début de conférence avaient finalement trouvé le moyen de faire taire ce qu’il considérait comme une abomination. Il avait volé un véhicule et l’avait projeté contre l’arrivée électrique du bâtiment. Une gerbe d’étincelles avait aussitôt embrasé la voiture, avant que cette dernière n’explose et plonge le quartier dans l’obscurité. La surcharge provoquée avait eu raison des différents disjoncteurs, qui avaient fondu. L’allocution avortée avant l’heure, Henri décida de rentrer à son hôtel. Son chauffeur, qui l’attendait avec une pointe d’anxiété, n’eut que très peu d’explications. Henri n’était décidément pas d’humeur prolixe en cette soirée. Sur le trajet de retour, il pianota sur son téléphone portable un SMS qu’il envoya à son contact d’avant conférence : « rdv-hôtel dans 1 h ». Moins d’une minute plus tard, il reçut un accusé de réception, qui lui signifiait un accord tacite pour ce rendez-vous. - Il y en a marre de ces fichues missions de la NASA, lança Élisabeth McCarthy à son entourage. C’est toujours la même chose, ça décolle, ça fait des loopings et ça atterrit. On ne pourrait pas ouvrir le journal sur autre sujet pour une fois ? Élisabeth McCarthy était devenue en quelques années la présentatrice vedette du journal télévisé le plus regardé aux États-Unis. Cette ancienne playmate avait eu un parcours hors-norme, qui lui posait encore quelques difficultés. Cette fille de fermier d’origine texane rêvait de gloire, de reconnaissance et de paillettes depuis sa plus tendre enfance. Aussi loin qu’elle s’en souvenait, son ultime but était d’être une star, peu importe de quelle façon elle s’y prendrait pour atteindre son objectif. Malgré les brimades continuelles de ses frères qui la considéraient comme la godiche de la famille, elle compensait une allure - 58 - chétive par un tempérament de feu. Elle n’hésitait jamais à donner des coups de pieds lorsqu’un de ses frangins la taquinait sur ces cheveux trop raides, sur son manque de forme, ou encore sur ses genoux cagneux. Élevé dans un ranch avec trois frères plus âgés qu’elle, tous aussi bourrins que leurs montures, lui avait dès le plus jeune âge donné envie d’aller voir ailleurs ce qu’il s’y passait. Las Vegas l’a fascinait au plus haut point, la ville qui ne dort jamais, une ville de lumière où l'on se marie plus vite que son ombre, où l’argent coulant à flots ; le rêve absolu pour cette frêle fillette. À une heure de l’antenne, Élisabeth que ses collègues appelaient Liz, en avait assez des mêmes informations encore et toujours. Cela faisait des mois que la NASA accaparait son journal. Au début, les interviews en direct étaient sympathiques, les astronautes jouaient le jeu, le public appréciait. Seulement, voir virevolter dans l’espace quelques privilégiés avait fini par lasser les spectateurs avides de spectacles plus trash. Liz l’avait fait remarquer à son rédacteur en chef. Seulement, son statut de présentatrice vedette ne lui donnait toujours pas accès aux choix rédactionnels, ce qu’elle espérait bien changer. Au début de sa carrière, elle aurait quitté avec perte et fracas un tel poste, où vous êtes relégué au rôle de pantin. Mais son exceptionnelle notoriété ne lui permettait plus ce type d’accès de colère. Son arrivée dans le milieu journalistique avait été particulièrement épique. Fraichement débarquée de la région de Dallas, elle s’était fait remarquer dans une discothèque par un producteur de films. La majorité à peine atteinte, elle s’était mariée, avant tout pour avoir une situation confortable que par amour. Son premier mari produisait des films à tendance fortement érotique et avait voulu en faire sa star, la reine du porno. Seulement, après deux ou trois participations dans ce genre à part, Lizzie avait senti que tout cela n’était pas pour elle, et qu’il risquait de l’éloigner de son objectif. Elle divorça quelques mois plus tard, avec en poche une pension alimentaire non négligeable. De nouveau célibataire, mais avec une situation plus confortable cette fois, elle décida de tenter sa chance à Hollywood. Certains amis de son ex-mari, qui étaient dans le milieu du cinéma traditionnel, lui permirent de décrocher quelques seconds rôles, mais la gloire se faisait attendre. Elle rencontra son deuxième mari lors d’une fête organisée pour la promotion du dernier film dans lequel elle figurait. Elle passa la bague - 59 - au doigt de l’acteur principal au désespoir de toute une génération de jeunes filles. Lizzie devint très vite la pire ennemie des adolescentes américaines, en brisant leurs rêves. Ce mariage lui apporta la reconnaissance, mais certainement pas la joie de vivre. Le penchant de son homme pour les soirées très arrosées, les expériences extraconjugales et les drogues en tout genre finit par la plongée, petit à petit, dans une déprime. Après avoir écumé les psychanalystes, elle demanda le divorce pour se remarier quelques semaines plus tard avec son thérapeute. Sa vie se stabilisa pendant quelques années, elle fut engagée par une chaîne de télévision locale et fit ses premières armes en tant que présentatrice de jeux, puis animatrice de talk-show, pour achever son parcours au sein de la rédaction journalistique du groupe. Tout aurait été parfait si son indécrottable besoin de reconnaissance ne l’avait pas titillé à nouveau. L’ennui et l’inactivité dans son couple n’aidèrent en rien le passage délicat de la quarantaine. Elle commença à découcher et tromper son troisième mari, qui ne vit rien venir, malgré son aptitude à gérer ce genre de chose avec ses patients. Élisabeth Édimbourg, de son nom de jeune fille, changea une énième fois de patronyme. Après avoir réalisé quelques apparitions dans le cinéma érotique sous le nom d’Ève Toussaint, elle prit celui de son premier mari et devint officiellement Liz Toussaint, cela avant son vingtième anniversaire. Pour son second mariage, elle réalisa un ajout patronymique pour se faire appeler Élisabeth Toussaint-Ambrosio. Pour embrasser sa carrière naissante dans le septième art, elle choisit le pseudonyme glamour de Liz Monroe, en hommage à son idole de toujours. Cependant, son talent d’actrice ne faisant pas l’unanimité dans le milieu, elle préféra conserver le nom de son troisième mari. Élisabeth Scott garda cette identité pendant une quinzaine d’années. Lorsqu’elle divorça une nouvelle fois, sous la pression de ce dernier qui l’avait découvert dans le lit d’un bellâtre, elle reprit le temps d’une danse son nom de jeune fille. Elle se remaria quelques mois plus tard avec un riche homme d’affaires, producteur d’émissions de télévision à ses heures perdues. Élisabeth McCarthy, grâce aux relations de son récent époux, finit par se faire engagée comme reporter spéciale par la rédaction la plus importante des États-Unis. Ses interventions, souvent en direct, lui valurent la sympathie du public. Un soupçon de naïveté associé à un physique de plus en plus avenant, fit d’elle une star du petit écran. La - 60 - quarantaine passée lui allait comme un gant. Elle avait traversé les années en se bonifiant : de jolie jeune fille un peu maigre à une pulpeuse créature, à force d’opérations aussi subtiles que le nez au milieu de la figure. Son mariage en cour battait de l’aile, mais le couple avait décidé de vivre une vie sans contrainte. Leurs différentes demeures ne restaient jamais à l’abandon bien longtemps. Ils logeaient le plus souvent chacun de leur côté, et ne paraissaient ensemble que pour les grandes occasions. CHAPITRE 14 À la NASA, la journée n’avait pas été de tout repos pour Kevin Klein et Antony Alessandro. Après avoir passé une partie de la nuit à remettre en service le plus grand nombre d’ordinateurs possible, ils avaient fini par s’endormir, chacun affalé sur leur bureau respectif. Au petit matin, ils avaient réussi à isoler les serveurs les plus importants du centre. Ils ne leur restaient plus qu’à paramétrer une liaison WiFi performante pour permettre aux utilisateurs d’accéder à leur messagerie et internet. C’était l’unique moyen qu’ils avaient trouvé pour éviter une réinfection immédiate de leur réseau qui aurait réduit en une seconde tout le travail accompli depuis la veille. Toute remise en place de leur système filaire classique était à abroger dans ses conditions particulières. Durant la matinée, Kevin avait commencé le développement d’un antivirus maison. Avec l’aide de Tony, il s’était aperçu que les zones infectées contenaient des données totalement incohérentes et pouvaient être réinitialisées assez simplement par une double action : un effacement physique des valeurs et une mise à plat de la table des fichiers. Ceci devait être réalisé à partir d’un support non contaminé, tel qu’un cd-rom. Le programme de Kevin accédait directement aux secteurs incriminés, sans passer par les commandes du système d’exploitation. Après plusieurs tests positifs, les deux hommes conclurent que cette méthode était la plus facile à mettre en place, mais elle nécessitait néanmoins une rigueur à toute épreuve. La moindre erreur pouvait être catastrophique et anéantir leurs efforts, et leur moral par la même occasion. - 61 - Après avoir eu une réunion de crises avec les différents chefs de service de la NASA, un plan d’action avait été établi pour ramener le centre spatial à des conditions de travail satisfaisantes. Tout le personnel avait été informé officiellement du problème, et chacun avait une méthodologie stricte à suivre pour remettre en route l’activité de l’agence dans les meilleurs délais. Seuls les accès internet allaient être perturbés pendant quelques jours, le temps que les informaticiens trouvent une parade au virus. Kevin et Tony avaient profité de la fin d’après-midi pour rentrer chez eux se rafraichir et manger un peu plus convenablement que ce qu’ils avaient fait depuis plusieurs heures. Une nouvelle nuit de labeur les attendait. À leur retour au centre spatial en début de soirée, tout semblait avoir repris son cours normal. Un message du directeur Johnson leur demandant de passer le voir au plus vite fit frémir Kevin. Un mauvais pressentiment l’envahit soudainement, lui rappelant ses années scolaires lorsqu’il était convoqué par le directeur pour se faire tirer les oreilles. Les deux hommes se rejoignirent devant son bureau, inquiet d’avoir à affronter une nouvelle épreuve. - Messieurs, leur annonça Jack Johnson, je tiens à vous remercier pour votre efficacité dans ces heures difficiles auxquelles nous sommes confrontés. Seulement, il semble que nous ne soyons pas au bout de nos peines. Regarder ce que je viens de recevoir par un coursier. Le texte était clair et sans équivoque : « Monsieur, vous venez de faire l’objet d’une contamination virale sans précédent. Si vous désirez l’antidote à ce virus, veuillez stopper immédiatement vos activités spatiales. La phase de contamination étant désormais terminée, la période de destruction va débuter si vous ne suivez pas nos indications à la lettre. Vous avez 24 h pour faire un communiqué officiel et annoncer l’arrêt de vos activités spatiales. Nous vous recontacterons ultérieurement. » - Qu’en pensez-vous ? leur demanda le directeur. Est-il possible que ce virus, qui semblait assez inoffensif, prenne une tout autre ampleur dans les heures qui viennent ? - Rien n’est impossible monsieur, lui répondit Kevin qui avait du mal à cacher sa stupeur. Tout ce que je peux vous assurer, c’est qu’à l’heure actuelle, les derniers ordinateurs sont en train d’être nettoyés. J’ai - 62 - demandé aux chefs de service de me faire un compte rendu de la situation, ce qui ne devrait plus tarder. - Y a-t-il une possibilité pour que ce virus ait muté et s’active plus tard ? - Tony et moi avons passé tout ce qui se fait de mieux sur le marché en matière d’antivirus, mais il est clair que nous n’avons pas à faire à un programme classique, et je ne peux absolument pas vous garantir que nous ne subirons pas un retour de flamme dans un avenir plus ou moins proche. - Si un fichier est infecté par un virus inconnu à ce jour, reprit Tony, mais que personne ne l’active, il peut rester sous une forme dormante dans l’immédiat. Comme nos antivirus ne le détectent pas, personne ne peut nous assurer qu’à une date bien précise nous n’allons pas être contaminés. C’est comme quelqu’un qui a un cancer. Tant qu’aucun symptôme n’apparait, il n’a aucune raison de penser qu’il est malade. Mais à un moment donné, quelque chose mute ou est activé par une source externe par exemple, et c’est la catastrophe. - C’est pour cette raison qu’à mon avis, continua Kevin, il vaut mieux ne pas prendre ce message à la légère. - Merci Messieurs. Faites-moi un rapport lorsque toutes les machines du centre seront désinfectées. En attendant, je vais recontacter le FBI. Le directeur Johnson avait déjà eu à gérer toutes sortes de pressions extérieures, mais également en interne. Cette fois-ci, son habituel sangfroid ainsi que sa capacité à analyser et appréhender les problèmes ne pouvaient rien faire pour lui. Il se sentait totalement démuni. CHAPITRE 15 Au siège du FBI, les téléphones ne cessaient de sonner. Lorsque Jack Johnson eut enfin son ami Francis Fitzgerald, celui-ci ne fut pas surpris par son appel. - Francis, c’est Jack ! Il faut vraiment qu’on se voie. Je viens de recevoir une lettre anonyme qui revendique notre attaque virale. - Salut Jack, je me doutais que tu allais appeler. Tu ne devineras jamais l’ampleur qu’est en train de prendre cette affaire. Notre standard a reçu une bonne quinzaine de coups de fil similaires. Vous n’êtes pas les seuls à avoir été contaminés. Nous aussi, parait-il ! - 63 - - C’est impossible ! reprit Johnson qui tombait des nues. - Pratiquement toutes les agences gouvernementales nous ont contactés depuis l’heure qui vient de s’écouler. Elles ont toutes reçu des menaces équivalentes, et finissent également par le même ultimatum fixé demain à 20 h. - Vous avez une piste pour débusquer ces pirates ? - Pas vraiment, tous les messages ont été adressés par un service de livraison. Rien ne permet d’identifier l’auteur. L’enveloppe et le papier utilisé sont tout ce qu’il y a de plus commun. Le livreur n’a aucune indication concernant le commanditaire, nous sommes dans le noir le plus total. - C’est impensable ! lança Johnson de plus en plus furieux. C’est une véritable attaque terroriste ma parole ! - Tu ne crois pas si bien dire, reprit Francis. Tous nos agents sont sur cette affaire depuis une heure. Je vais d’ailleurs demander à Sarah Spader de retourner vous voir pour vérifier si les auteurs de ce chantage auraient commis une erreur de votre côté, mais j’en doute fortement. De toute façon, on reste en contact ! - Merci pour ton aide Francis et à bientôt. Sarah et Don arrivèrent à la NASA à la tombée de la nuit. Pour eux aussi, la soirée allait être longue. L’examen de la lettre ne leur donna rien de plus que celles des autres sites. Elle était évidemment anonyme, sans aucune information susceptible de leur permettre de remonter jusqu’au fabricant. À croire que ces lettres étaient de conception artisanale. Les empreintes devaient être étudiées à la loupe, mais il ne faisait aucun doute que le laboratoire d’analyse confirmerait qu’il s’agirait des employés de la NASA. Rien d’exploitable de ce côté-là. L’adresse du destinataire n’était pas manuscrite, mais imprimée. La police de caractères utilisée était l’une des plus communes des logiciels bureautiques. Sarah et Don en profitèrent pour poser quelques questions supplémentaires aux deux informaticiens du centre, en particulier sur la façon dont ils voyaient évoluer les choses. Ils eurent droit aux mêmes réponses que celles qu’ils avaient données à leur directeur un peu plus tôt : « On ne peut rien confirmer à l’heure actuelle, car nous sommes dans le flou intégral ! ». - 64 - Sur le retour, Sarah demanda à son collègue comment il comptait appréhender les choses. - Et bien, à ma connaissance c’est la première fois que nous avons à faire à une attaque informatique de ce genre. Autant dire qu’il n’y a pas vraiment de marche à suivre dans ces cas-là ! Il faut surtout faire confiance à son expérience et son instinct. - Et le mien me dit qu’on devrait poursuivre nos investigations sur cet hurluberlu qui se fait appeler Roswell. - Rappelle-moi le parcours de ce garçon ? lui demanda Don. - D’après son dossier, qui soit dit en passant est assez chargé, il est le chef d’un groupe anarchiste qui se nomme « Dead Zone ». Ils ont revendiqué une bonne vingtaine d’actions plus ou moins importantes, qui visent la plupart du temps des institutions gouvernementales. On a commencé à entendre parler de ce groupuscule il y a environ quatre ans, lorsqu’ils ont fait exploser plusieurs transformateurs électriques simultanément. Cette attaque avait eu pour résultat une coupure totale sur plusieurs États, durant une grosse demi-journée. - Oui !!! Je me souviens de ça ! Par contre, il me semblait que cette coupure avait été provoquée par un malheureux accident ! - Officiellement, lui répondit Sarah. Mais en faisant mes recherches, je suis tombé sur une note confidentielle qui n’avait jamais été ébruitée. Ce groupe avait revendiqué haut et fort cet acte terroriste, mais le gouvernement n’a jamais voulu leur accorder ce crédit pour éviter de créer une panique. Des terroristes américains frappant leur propre pays, c’était à l’époque une chose inconcevable. On avait suffisamment à faire avec le Moyen-Orient. Pour en revenir avec Roswell, je vais essayer de contacter l’agent qui avait enquêté sur cette affaire pour en savoir un peu plus. - Et qu’ont-ils fait d’autre, hormis cela ? - Plusieurs attentats matériels, des vitrines brisées, des lignes téléphoniques coupées, des blocus sur les voies de chemin de fer et tout un tas d'annonces plus ou moins sérieuses. Je pense qu’il pourrait être impliqué, car on retrouve la même méthode de communication : la lettre anonyme. Ça peut paraître paradoxal avec leurs effets spectaculaires habituels, mais cette fois-ci, il s’agit d’un très gros coup qui dépasse en ampleur tout ce qu’ils ont revendiqué jusqu’à présent. Ils veulent peut-être brouiller les pistes pour avoir le temps de faire aboutir leur projet sans être inquiétés. - 65 - - On va les surveiller de près, ajouta Don après quelques secondes de réflexion. CHAPITRE 16 Henri Durand venait de rencontrer son mystérieux contact au bar de son hôtel. La discussion avait été courte et très secrète. Le serveur, qui avait pourtant vu tant de choses dans sa carrière, n’avait pas très bien compris ce qui s’était passé entre les deux hommes. Quelques messes basses, un échange de documents à l’abri des regards indiscrets, puis les deux comparses étaient revenus au comptoir pour vider une bière en parlant de la pluie et du beau temps comme si de rien n’était. Ils s’étaient séparés juste avant minuit. Henri était retourné dans sa chambre tandis que son ami repartait par où il était venu. Le lendemain matin, Henri prit un petit déjeuner tardif puis quitta l’hôtel en fin de matinée. En se rendant vers l’aéroport Ronald Reagan, au cœur de Washington, le chauffeur d’Henri coupa à travers le quartier d’Arlington. Des souvenirs douloureux remontèrent à la surface. À la période la plus sombre de sa vie, il avait vécu quelques mois dans un appartement délabré de la capitale américaine. Lorsque sa famille avait péri dans cet horrible accident de la circulation, Henri n’avait plus été que l’ombre de lui-même. Il avait fini par quitter son emploi, avant qu’un licenciement pour faute professionnelle ne lui tombe dessus. Son absentéisme répété avait été repéré et lassait ses plus proches collaborateurs ; sa fin était inéluctable. Après plusieurs semaines d’errance dans sa propre villa, les souvenirs étant trop présents, il avait décidé de laisser derrière lui tout ce qui pouvait le rattacher à sa vie passée. En emménageant à plusieurs centaines de kilomètres dans un quartier modeste d’une ville qu’il ne connaissait pas, il espérait tourner la page en changeant d’existence. Seulement, il se rendit compte très rapidement qu’un environnement nouveau ne supprimait pas ses douleurs morales. Son seul salut était une amnésie ou une lobotomie. Malgré ses efforts pour lutter contre ce terrible mal-être, aucune des deux solutions ne lui paraissait réalisable. Il survécut dans cette torpeur maladive durant quelques semaines. Sa vie était devenue une mécanique à la limite de la rupture. Il se levait lorsque les cauchemars le quittaient - 66 - temporairement, avalait une gorgée de café froid, et faisait un brin de toilette un jour sur trois. Ce matin-là, le réveil fut plus brutal que d’habitude. Henri se retrouva sur son divan, en sueur, complètement désorienté. Le cerveau comprimé dans un étau, il avait la sensation qu’un forgeron lui sculptait le crâne à coup de marteau. La douleur s’estompa quelques minutes plus tard, après avoir ingurgité un cocktail médicamenteux capable d’abrutir un cheval. Il se rallongea sur son canapé puis finit par s’évanouir. Lorsqu’il reprit connaissance, il resta de longues minutes à se demander pourquoi il continuait à subir cette souffrance. La bouche pâteuse, il alla dans la salle de bain se brosser les dents. Le miroir placé en face de lui renvoyait une image qu’il ne reconnut pas. Comment pouvait-il avoir une mine aussi défaite, le teint cireux, et cette barbe de plusieurs jours ? Cela ne lui ressemblait pas. Il resta de longues minutes à regarder son reflet sans le voir. Par flashs successifs, son cerveau passa de sa fille jouant sur le bord d’une plage à sa femme allongée à côté de lui, endormie profondément. Soudain, une image d’horreur vint remplacer cette idyllique vision. Un visage calciné, une peau noircie et cloquée, des yeux exorbités gorgés de sang, des cheveux effilochés se détachant par poignée du crâne. L’odeur de chairs brûlées lui monta aux narines. Henri fit un bond en arrière en chassant toute rêverie de son esprit. Ses cauchemars avaient fini par le rattraper en pleine journée. À la mort de sa famille, les autorités lui avaient demandé d’aller à la morgue pour identifier les objets extirpés des flammes. Dans un accès de colère, il avait exigé de voir une dernière fois le visage de sa femme et sa fille. Le médecin légiste avait tenté de le raisonner, en lui expliquant que cette idée malsaine risquait de le hanter pendant un bon moment. Rien ne le fit changer d’avis. Avec le recul, il s’en voulait terriblement, car cette ultime vision était en train de le rendre fou. Il conserverait jusqu’à la fin de sa misérable vie cette image digne d’un film d’horreur. Ces deux anges avaient été emportés par Satan, et leurs grimaces post-mortem en témoignaient. C’en était trop, il ne pouvait plus supporter ce mal-être une minute de plus. Sans réfléchir à ses actes, il se dirigea vers l’unique meuble du salon, ouvrit un tiroir et en sortit une boîte. Elle était plus lourde que dans ses souvenirs. Il déverrouilla les deux fixations puis souleva le couvercle très doucement. Un magnifique colt étincelant, fabriqué au tout début du vingtième siècle lui renvoya des éclats de - 67 - soleil. Il le saisit par la crosse, libéra le barillet et vérifia la présence de balles. Il remit en place le petit carrousel d’un geste sec et pointa le canon de l’arme sur sa tempe droite. « Tu ne réfléchis pas, tu tires », pensa-t-il trois fois de suite. Seulement, l’engin une fois chargé pesait plus d’un kilogramme et son poids devint très rapidement un handicap dans cette position. Une douleur dans le poignet commença à se faire ressentir. Henri saisit la crosse à deux mains et mordit l’embout du pistolet. Un goût métallique lui donna une subite nausée. « Pas moyen de tirer en paix, il faut toujours que ce putain de cerveau me détourne de mon objectif », continua-t-il en pensée. Il n’avait aucun moyen d’échapper à ses instincts les plus primaires. Il décida de pointer l’arme sous son menton, en appuyant suffisamment fort pour que le métal ne le chatouille pas. Henri recula le chien, ferma les yeux, puis se concentra sur ce doigt qui devait déclencher le tir. Il se souvint subitement d’un reportage qu’il avait vu quelques années auparavant à la télévision. Il fallait presser sur la détente d’une manière linéaire, sans à-coup et aussi doucement que possible. Cela éviterait que l’arme ne bouge au moment de la déflagration. Le recul du pistolet pouvait lui faire louper sa cible, car des tremblements commençaient à parcourir ses avant-bras. Il était hors de question qu’il rate son coup, les conséquences seraient bien pires pour lui. Il se concentra une dernière fois, ferma les yeux, l’esprit dégagé de toute pensée et s’appliqua sur cet ultime acte... Dringggg !!!! La sonnerie de la porte d’entrée lui fit l’effet d’un électrochoc. Il fut tellement surpris par ce bruit incongru qu’il en lâcha le révolver, de peur de se faire repérer. L’arme glissa de ses mains. En voulant le rattraper au vol, ses doigts frappèrent la crosse, accélérant par la même occasion sa chute au sol. Un mouvement de rotation la fit basculer sens dessus dessous. En touchant le meuble, la tension sur le ressort maintenant le chien en place se libéra. Le coup partit dans un vacarme assourdissant. Henri jura dans sa barbe. À coup sûr, tous les voisins avaient entendu la déflagration. Il tourna la tête en direction de la porte, espérant que son visiteur n’insiste pas. Une soudaine décharge électrique lui traversa le corps, fulgurante, incompréhensible, et terriblement douloureuse. Il s’affaissa de tout son poids à terre, comme un château de cartes soufflé par un vent violent. Sur le point de perdre connaissance, il décolla le - 68 - crâne du sol dans un ultime effort et réussit à entr’apercevoir une flaque rouge au niveau de son genou droit. « Je ne suis même pas capable de me foutre en l’air correctement », finit-il par penser avant de sombrer dans le néant. En passant devant cet immeuble, Henri demanda à son chauffeur de ralentir. Il voulait revoir le bâtiment où tout avait basculé. Il se souvint s’être réveillé deux jours plus tard après cet évènement, dans un hôpital de la ville. Sa jambe droite était totalement bloquée dans un moule en plâtre maintenu par des tiges d’acier. Le médecin qui l’avait opéré lui avait annoncé qu’on lui avait retiré la rotule en attendant mieux. Il était trop faible physiquement pour subir une deuxième intervention chirurgicale. Son docteur lui avait montré ses radiographies. Son genou était dans un sale état. Il n’y avait pas trente-six solutions. Soit il lui bloquait la jambe définitivement, ce qui le handicaperait dans le moindre de ses mouvements, soit il tentait une réparation à l’aide d’une prothèse sur mesure. La souffrance physique prit le pas sur sa souffrance morale. À demi-comateux à cause des drogues qu’on lui administrait, il avait fini par donner son accord pour lancer la fabrication d’une rotule de synthèse, chose qu’il n’avait jamais regrettée par la suite. Le visiteur qui avait eu la peur de sa vie en entendant le coup de feu retentir au moment où il avait sonné chez Henri, vint le voir quelques jours avant sa sortie de l’hôpital. Cette jeune étudiante avait alerté les autorités, juste après avoir compris qu’un corps était tombé dans l’appartement voisin. Pensant avoir assisté à un meurtre, elle s’était enfuie aussi vite que ses jambes le lui avaient permis, tremblant comme une feuille. Lorsque la police arriva sur les lieux, ils consignèrent son témoignage avant de la laisser repartir. Par curiosité, elle traina quelques minutes et découvrit que l’homme avait simplement tenté de se suicider. Il n’y avait rien de morbide, juste une situation d’une détresse qui la toucha plus qu’elle l’aurait désiré. Elle avait suivi les résultats de l’intervention chirurgicale en se faisant passer pour une amie d’Henri. Lors de sa visite, ils restèrent une bonne heure à discuter de leur vie respective. Son discours sur l’environnement marqua l’homme plus qu’il ne le pensa sur le moment. En regagnant son domicile quelques jours plus tard, Henri avait pris une décision qui changerait sa vision de - 69 - l’avenir : s’il devait continuer à vivre, il œuvrerait pour le bien de l’humanité. Cette jeune femme, qui aurait pu être sa propre fille avec une dizaine d’années en plus, lui avait insufflé son enthousiasme et sa détermination pour lutter contre les méfaits de l’Homme envers la nature. Six mois après cet évènement, il fondait « Avenir Propre » après avoir pris soin d’effacer toutes les traces permettant de faire le rapprochement entre Harold Hutchinson et Henri Durand. Un homme neuf, dans un corps meurtri. Henri rentrait chez lui, dans son chalet alpin en Suisse. Il devait faire une escale à Paris où il rencontra quelques membres de son association pour débattre des actions engagées. Il attrapa finalement un TGV pour rejoindre Lausanne où il récupéra sa Jeep. En arrivant dans sa modeste propriété, il laissa sa valise au pied de son lit, sans prendre le temps de ranger ses affaires. Un travail plus important l’attendait. Il se dirigea directement au fond du parc et s’arrêta devant sa cabane de jardin. Il pianota sur son téléphone portable une série de touches qui eût pour résultat l’affichage du message « Système désactivé ». Il pénétra dans la remise à outils, referma soigneusement la porte et se tourna sur sa droite. Il saisit un petit levier et le tira vers le bas. Un cliquetis se fit entendre. Henri dégagea quelques planches de bois recouvrant une partie du sol. Un passage donnant sur un escalier souterrain étroit apparut à ses pieds. Il pressa l’interrupteur présent à l’entrée de cette crypte. Une douce lumière commença à bercer les lieux, imprégnant l’endroit d’une ambiance fantomatique. Au bout du tunnel d’une dizaine de mètres, une porte en métal se dressait devant lui. En passant cette issue, il arriva dans une pièce circulaire sans autre ouverture, où une armada d’ordinateurs était alignée tout le long des murs. De l’intérieur de la salle, on distinguait un maillage métallique qui captait toutes les ondes magnétiques et électrostatiques qui risquaient de s’échapper de tout cet attirail. Un amas de câbles parfaitement ficelés courait sous les tables. Seule l’entrée restait relativement dégagée, avec un interrupteur en forme de champignon rouge qui permettait de couper en urgence l’électricité du lieu. - 70 - Henri alluma tous les moniteurs présents devant lui. Les images qu’ils affichèrent étaient assez variées. Certaines montraient des vues du parc forestier où il vivait, d'autres l’entrée de sa propriété, plus loin un écran affichait un statut d’activité de son installation, avec différentes indications telles que « caméra X active » ou « capteur Y : OK ». Il parcourut rapidement ses différents emails et effaça tous ceux qui ne lui étaient pas directement destinés. Puis, son attention fut attirée par un message clignotant en rouge, indiquant qu’un fait anormal s’était produit. Il constata immédiatement un manque d’information en provenance de bon nombre de serveurs. Habituellement, le listing fourni était long et varié, mais depuis quelques heures, les fichiers renvoyaient inévitablement une erreur d’inaccessibilité. Pour Henri, la raison en était simple : les machines avaient été déconnectées du réseau internet, car aucune autre explication ne pouvait tenir la route. Tous les ordinateurs auxquels il était raccordé ne pouvaient pas être tombés en panne ou s’être arrêtés en même temps, c’était statistiquement impossible. Cela confirmait définitivement ce que l’homme de l’hôtel lui avait signalé quelques heures plus tôt. Ses sources avaient été très efficaces sur cette affaire, ce qui s’avérait primordial pour la suite des évènements. Henri lut en détail tous les rapports pour tenter d’établir une chronologie précise des faits. Désormais, il savait que la NASA avait été la première agence à se rendre compte du problème, suivi quelques heures plus tard par toutes les autres structures gouvernementales. La lettre anonyme avait fait son effet. Henri téléphona via une ligne sécurisée à son contact aux États-Unis. Il l’informa que les choses n’avaient pas énormément évolué depuis son départ. Toutes les institutions s’étaient coupées du monde numérique pour tenter d’éviter le désastre. Le virus avait atteint tout le parc informatique du pays en moins de vingt-quatre heures. C’était un véritable don du ciel pour toutes les fondations, associations, et autres groupuscules qui bannissaient la technologie moderne, et du pain béni pour « Avenir Propre ». La deuxième phase allait pouvoir débuter très prochainement. Henri rédigea un texte qu’il ferait parvenir aux différents journaux américains. Le chaos médiatique inévitable qui suivrait serait son apothéose, la consécration suprême qu’il n’avait jamais espérée, même dans ses rêves les plus fous ! - 71 - CHAPITRE 17 Une réunion de crises venait d’avoir lieu dans les différentes agences des États-Unis : F.B.I, C.I.A, N.S.A, NASA, dans différents corps d’armée et les quelques entreprises également inquiétées par cette menace. La Maison Blanche avait rarement eu autant de directeurs, généraux et autres députés dans ses murs en même temps. La sécurité avait d’ailleurs été considérablement augmentée. Le président des États-Unis dirigeait en personne cette assemblée extraordinaire. La tension étant extrême, la rencontre dura juste le temps nécessaire pour que chacun prenne connaissance des objectifs à atteindre. Le jeu des questions-réponses était maintenant hors de propos, il fallait agir vite pour anéantir les terroristes qui avaient perpétré cette attaque à l’encontre du pays le plus puissant au monde. Tous les réseaux d’informations allaient être mis à rude épreuve. Le moindre soupçon ou la moindre allusion même indirecte devait être vérifié puis disséqué et répertorié par les agents du gouvernement. Plusieurs directeurs d’agences gouvernementales avaient promis au président des arrestations dans la journée. Avec une telle débauche de moyens, les résultats ne tardèrent pas à arriver. La plupart des voyous fichés, des extrémistes connus et des délinquants de bas étage furent appréhendés et enfermés pour un interrogatoire en règle. Malheureusement pour ces derniers, tous les effectifs étant partis à la chasse à l’homme, les gardes à vue allaient s’éterniser plus que nécessaire. Sarah et Don avaient eux aussi été réquisitionnés pour cette mission ultra prioritaire, mais ils avaient réussi à la faire coïncider avec leur objectif premier : la traque de Federico Fernandez. Le gourou du groupe anarchiste « Dead Zone » était un être très étrange, un ressentiment qu’il cultivait avec ardeur. Il s’était affublé du surnom de la ville « Roswell », car il pensait être le descendant direct d’un des extraterrestres censés s’être crashés au Nouveau-Mexique dans les années cinquante. À force d’auto-persuasion, il n’avait plus aucun doute sur cet état de fait et tentait par tous les moyens de développer des pouvoirs psychiques qui auraient démontré sa suprématie à la race humaine. Malheureusement pour lui, au lieu d’être extraordinairement supérieur aux autres, il était petit, rachitique et avait une très mauvaise vue qui l’obligeait à porter de véritables loupes en guise de lunettes. Malgré cette - 72 - piteuse apparence, Roswell faisait preuve d’un certain charisme. Lorsqu’il avait entrepris ses activités à la limite de la légalité, il s’arrangeait toujours pour que les chaines de télévision les plus importantes soient averties et dépêche un reporter pour l’interviewer. Mais les choses n’allaient pas assez vite ni assez loin à son goût. Son groupe finit par passer du côté obscur de la loi sans aucun remords, en réalisant des actions de plus en plus destructrices. Les autorités mirent fin à leurs actes quelques mois plus tard et ils échouèrent devant plusieurs tribunaux pour répondre de leurs crimes. Les « Robin des Bois » des temps modernes s’étaient métamorphosés en terroristes confirmés, et furent condamnés à de la prison ferme pour la plupart. Lorsqu’il retrouva la liberté, il se jura de ne plus retourner en cage. Il avait enduré trop de choses inavouables durant ces quelques mois passés enfermé entre quatre murs pour replonger. Une nouvelle ère commença pour les « Dead Zone » : celui de la clandestinité. Sarah savait que Roswell ne serait pas très difficile à localiser. Sa liberté conditionnelle ne lui laissait pas vraiment d’alternative. Lorsque les deux agents arrivèrent à Albuquerque où Federico était censé travailler, son contrôleur judiciaire admit péniblement qu’il ne l’avait pas revu une seule fois depuis sa sortie de prison. Roswell l’avait grassement payé pour qu’il oublie son dossier ; une chose qu’il n’aurait jamais acceptée en temps normal. Seulement, les coïncidences de la vie en avaient décidé autrement. L’homme venait de divorcer, avait perdu la garde de ses deux filles, et avait été obligé de laisser sa maison et même son chien à son ex-femme ! Dans de telles circonstances, n’importe qui aurait succombé comme il l’avait fait. Ce n’était pas quelques billets verts qui allaient empirer sa situation… Don, qui comprenait assez aisément la faiblesse humaine, aurait voulu ne pas trop accabler ce pauvre bougre, mais Sarah lui avait fait clairement remarquer que ce manque de rigueur aurait de graves conséquences pour sa carrière. L’heure de rendre des comptes sonnerait plus vite que prévu. - Qu’est ce qu’on fait maintenant ? demanda Don. As-tu vu dans son dossier un élément qui pourrait nous guider ? - J’avais lu que Fernandez avait de la famille près de Santa Fe, mais cela m’étonnerait fortement qu’il soit aussi stupide. - 73 - - Je vais appeler le bureau le plus proche pour qu’ils envoient un agent jeter un œil dans les parages. Pendant que Don téléphonait à ses collègues, Sarah s’était replongée dans la lecture du dossier de Roswell. Rien de très intéressant n’avait attiré son attention jusqu’à présent. - J’ai réussi à avoir l’agent qui était chargé de l’affaire. Depuis que Fernandez est sorti de prison, sa famille reste sous surveillance discrète. À sa connaissance, le bonhomme n’est jamais réapparu dans la région. - C’est bien notre veine, reprit Sarah quelque peu désabusée. En tout cas, cela confirme que ce Roswell n’est pas blanc comme neige. Il se pourrait qu’il soit plus impliqué qu’on ne le pense. - Il n’y a rien d’autre d’utilisable là-dedans ? demanda-t-il en pointant du doigt les papiers que Sarah tentait de ranger. - La seule adresse présente est celle de la boîte postale de son groupuscule. Mais elle date de plusieurs années. Je doute qu’on y trouve encore la moindre trace. - Et c’est où ? - À San Antonio. - Je prends le volant, lança Don avec une lueur d’espoir dans les yeux. On a de la route à faire ! Au centre spatial à Houston, Kevin et Tony avaient fini le plus gros de leur travail. Tous les systèmes informatiques étaient à nouveau fonctionnels. La seule différence notable avec le fonctionnement habituel venait des connexions internet qu’ils avaient volontairement bridées, pour n’utiliser que des liaisons sans fil qu’ils avaient paramétrées pour parer à l’urgence de la situation. Ils devaient désormais s’attaquer à un ultime problème : définir la dangerosité de ce virus. Il devait établir avec précision ce qu’il était censé provoquer et s’ils avaient véritablement réussi à l’éradiquer de leur réseau. Pendant que Tony finissait ses dernières remises en route de machine, Kevin avait commencé à décortiquer les données qu’ils avaient conservées. L’ordinateur sur lequel il travaillait était isolé du reste du centre. Il se situait dans un local totalement autonome. En cas d’attaque nucléaire, de bombardement électrostatique ou toute autre catastrophe du même acabit, c’était le seul endroit qui continuerait à fonctionner normalement. L’unique sas y donnant accès était sécurisé par un - 74 - système de reconnaissance biométrique : détection de l’iris de l’œil, d’empreinte digitale et vocale. Kevin avait également une clé magnétique qui lui permettait de déverrouiller la porte en cas d’absolue nécessité. Hormis le directeur, aucune personne ne pouvait y pénétrer sans lui. - Patron, c’est Tony ! Je viens de finir la remise en service des derniers postes. Qu’est-ce que vous voulez que je fasse maintenant ? - Attends moi, je n’en ai plus que pour quelques minutes. Je termine l’impression du code contenu dans le virus. J’arrive, car il va falloir intégrer tout cela dans un programme d’analyse. - OK, je vais me prendre un rafraîchissement ! Vous voulez que je vous rapporte quelque chose ? Kevin se souvint soudainement qu’il n’avait pas eu sa dose quotidienne et cela lui manquait terriblement. - Tu serais trop aimable de me prendre un café, mon garçon ! - C’est parti pour un « long bien sucré » ! Kevin réapparut dans son bureau dix minutes plus tard avec une liasse de feuillets imprimés. - Tu vois ce qui nous attend Tony. Il faut qu’on numérise tout ça avant de pouvoir lancer diverses analyses. - Et bien, vous ne faites pas dans la dentelle quand vous vous y mettez ! On en a pour des heures !!! - Pas de panique, tu n’as pas encore vu le nouveau photocopieur de la direction. Viens avec moi, je vais te montrer le high-tech des copieurs. Celui-là est toujours en phase de développement. Je ne sais pas comment le patron a fait pour obtenir ce petit bijou... C’est le prototype d’un modèle qui devrait sortir prochainement. Il intègre comme tout bon photocopieur un bac de numérisation multi-feuilles, mais sa spécificité, c’est le logiciel de reconnaissance de caractères qu’il embarque qui est d’une efficacité exceptionnelle. Même sur des lettres manuscrites, il s’en sort à merveille. En plus, il contient un disque dur capable de stocker des milliers de copies. En moins de cinq minutes, il va nous numériser tout ce listing, puis créer un fichier texte qu’on va pouvoir récupérer par le réseau… Kevin s’arrêta net dans son explication ! Une pensée lui traversa l’esprit, immédiatement suivie par un frisson lui remontant l’échine. - 75 - - Nom de Dieu ! cria-t-il alors qu’il venait de se rendre compte qu’il avait failli faire une énorme erreur. J’espère qu’il n’est pas encore connecté au réseau ? se demande-t-il à haute voix en jetant un œil aux câbles de l’appareil. - Oh, la boulette ! reprit Tony, qui avait également compris qu’ils avaient oublié de tester toute une gamme de matériels. Vous avez dit que ces engins avaient un disque dur ? - Celui là, oui ! Les anciens photocopieurs n’en avaient pas, du moins ceux qu’on a ici. Pour éviter de céder à la panique, Tony réfléchit quelques secondes et ajouta : - Patron, si le copieur était contaminé et connecté au réseau, on aurait subi une contamination immédiate comme pour les autres machines ? - J’espère bien que tu as raison ! Les deux hommes arrivèrent à la direction du centre, essoufflés par le sprint qu’il venait de faire. En voyant que l’appareil était éteint et déconnecté, ils ressentirent un profond soulagement. Le mal avait été évité de justesse ! - Savez-vous qui a débranché le photocopieur ? demanda Kevin à la secrétaire qui était juste à côté d’eux. - C’est moi, pourquoi ? ajouta-t-elle sur un ton méfiant. - Vous êtes bénie, chère Madame ! - Et bien, Monsieur Klein, c’est sûrement la première fois que vous me faites un compliment, reprit la femme qui n’en revenait pas d’une telle déclaration. D’habitude, je n’ai droit qu’à des reproches, continua-t-elle en direction de Tony, avec un clin d’œil furtif pour appuyer son sarcasme. - Voyons !!! Je ne suis pas comme ça ? Vous savez que je n’ai pas toujours le loisir de parler de la pluie et du beau temps lorsque je viens dans votre secteur ! Je peux vous demander pourquoi il a été débranché ? - Simplement parce que cet engin ne fonctionne pas. Il nous avale une copie sur deux. J’ai appelé le dépanneur qui m’a conseillé de l’arrêter en attendant son passage. J’ai bien fait au moins ? - C’est une excellente initiative, répondit Kevin ! - Mais qui a remplacé l’ancien Kevin Klein ? vociféra-t-elle en regardant Tony. Il deviendrait presque sympathique ! - C’est bon, reprit-il. J’ai compris le message… - 76 - Tout en continuant leur gentil dialogue moqueur, Kevin connecta son ordinateur portable au photocopieur et lança une analyse complète de l’engin. Il en profita pour reformater le disque dur embarqué et exécuta un ultime test avant de le brancher au réseau. Il effectua ensuite la numérisation de ses feuilles. Le logiciel de reconnaissance d’écriture intégré convertit le document en un fichier lisible réutilisable avec un traitement de texte classique. Kevin le récupéra sur son portable et ajouta : - Il fonctionne parfaitement ce copieur. Il vous faudrait peut-être une formation pour comprendre son fonctionnement, mais sûrement pas un réparateur ! - Je vous retrouve bien, répondit la secrétaire. Toujours pince sans rire ! - On l’a échappé belle, lança Tony alors qu’ils repartaient en compagnie de Kevin vers leur bureau. - Tu l’as dit, mon gars ! J’espère qu’on n’a rien laissé passer d’autre, car dans le cas contraire, on risque d’avoir un très gros problème si la menace que le chef a reçue s’avère bien réelle ! CHAPITRE 18 Sarah et Don arrivèrent finalement dans la banlieue de San Antonio. Ils devaient tout d'abord rencontrer les autorités locales afin de prendre la température concernant ce groupe. Le shérif du coin n’avait pas eu de contact avec eux depuis plusieurs mois, et il n’était même pas sûr que leurs activités soient toujours d’actualité. À l’approche du bâtiment où les « Dead Zone » avaient jadis leur siège social, les lieux semblaient désertés. L’unique porte d’entrée avait subi une tentative d’effraction, mais sa solidité avait eu raison des vandales. Les deux agents, après avoir fureté aux alentours, en conclurent que l’édifice avait été vidé depuis plusieurs semaines. Au travers des vitres recouvertes de poussière, ils avaient réussi à entrapercevoir que les locaux étaient vides de tout occupant, hormis une armada d’araignées et autres cafards. Ils se trouvèrent à nouveau dans une impasse. Décidément, ce Roswell commençait à leur taper sur les nerfs. Pour un - 77 - homme en liberté surveillée, sa disparition ne semblait pas être le fruit du hasard. De retour au bureau du shérif qui ne parut pas plus surpris par la déclaration des deux agents. Sarah décida de lancer un mandat d’arrêt contre cet énergumène de Federico Fernandez. « Avait-il finalement fini par se faire enlever par des extraterrestres ??? » se demanda-t-elle intérieurement. Si l’affaire n’avait pas été aussi sensible, elle en aurait rigolé. Seulement, cette disparition arrivait à un bien mauvais moment. Elle savait pertinemment qu’aucun agent ne serait disponible pour les aider dans cette traque au suspect. L’espérance qu’il soit repéré par un des nombreux représentants de l’autorité qui circulait sur les routes lui redonna un peu d’espoir. La chance que cela se produise était très faible, mais certains grands criminels s’étaient parfois fait arrêter à cause d’un simple contrôle de routine. - Nous n’avons plus qu’à rentrer et reprendre les recherches, annonça Don aussi désappointé que sa collègue. - Le problème est que nous n’avons plus aucune piste à suivre. Sa dernière apparition date de sa sortie de prison et depuis, c’est l’homme invisible. - Je pense que je vais passer un nouvel appel à l’agent que j’ai eu tout à l’heure, en espérant qu’il puisse m’en apprendre un peu plus sur les activités de notre gaillard. Pendant que Don s’entretenait à nouveau avec son contact au bureau du FBI local, Sarah réfléchissait à la suite possible des évènements. Fallait-il qu’ils informent leur directeur que la recherche du fugitif allait être plus compliquée que prévue ? Elle se méfiait de ce genre d'information qui risquait de les renvoyer sur une autre affaire, sans avoir eu le temps d’approfondir ce sujet. Son instinct lui disait qu’elle devait continuer sur sa lancée, et il ne la trompait pas souvent pour tout ce qui concernait son travail. Seulement, leur nouvel ami « Roswell » avait réussi trop facilement à disparaître pour ne pas avoir été aidé par quelqu’un de très influent. Et cela la perturbait au plus haut point. - Bonne nouvelle, lança Don après avoir raccroché. Notre bonhomme a été vu en début de semaine à Miami. D’après l’informateur de l’agent que je viens d’avoir, il passerait ses soirées dans une boîte de nuit qui - 78 - s’appelle « le CroBar ». Avec un peu de chance, on pourrait bien le coincer ce soir ! - La chance… Vu comment tournent les choses depuis que nous sommes à sa recherche, je n’y compte plus trop. - Allons, ne sois pas si pessimiste ! C’est ton rancard de l’autre jour qui t’a mis le moral à zéro ? - Ne soit pas si bête Donald Dalton, lui lança-t-elle avec un regard qui en disait long sur ce genre de réflexion qu’elle n’appréciait que très moyennement. Et puis de toute façon, ça ne te regarde pas ! - Eh bien, eh bien !!! C’est devenu un sujet sensible ma parole. D’après mon expérience, ça signifie deux choses : soit le type est complètement idiot et il n’arrête pas de te harceler depuis cette soirée, soit il te plaît, mais ce n’est pas réciproque. Quoi qu’il en soit, tu te retrouves encore coincée ! - Tu sais que tu m’énerves sérieusement quand tu t’immisces dans ma vie privée, reprit-elle de moins en moins calme. Ma vie privée… tu enregistres ? J’aimerais bien que ça le reste ! - Ouh là ! Désolé si je t’ai froissée. Mais tu sais que je ne veux que ton bonheur, lui répondit-il sur un ton d’apaisement. Depuis le temps que tu vis seule, ce serait bien que tu trouves enfin l’âme sœur ! - Et tu crois que c’est facile avec le boulot qu’on fait ? Bon, on peut revenir à notre affaire, reprit-elle après quelques secondes de silence. - On file à Miami ? - Tu conduis, lui lança-t-elle. Il faut que je passe quelques coups de fil. - Ici Liz McCarthy, qui est-ce ? - C’est Pablo ! J’ai un scoop pour toi. Rendez-vous comme d’habitude à midi. - Écoute, mon petit Pablo. Si c’est un tuyau crevé comme la dernière fois, inutile de me déranger. - Ne prends pas la mouche, chérie ! Cette fois-ci, c’est du béton, tu peux me faire confiance. - Tu n’as pas intérêt à te foutre de moi. Depuis le temps, je sais comment tu fonctionnes. Tu n’auras pas un sou de ma part. - Je t’assure, je tiens une information de premier plan, c’est garanti sur facture. - Bon, très bien, si tu insistes… On se voit tout à l’heure à l’endroit habituel. - 79 - Pablo était un indicateur que Liz payait grassement pour lui fournir des tuyaux sur les affaires criminelles en cour. Elle offrait même de temps à autres de sa personne, car Pablo lui plaisait physiquement. Il était d’origine hispanique, peut être cubain. Elle ne le lui avait jamais demandé franchement. Tout ce qui l’intéressait se résumait à son aptitude à danser le tango vertical. Du moins, il était nettement plus doué que son mari dans ce domaine. En dehors de ça et de leurs conversations concernant le travail, ils ne parlaient pas beaucoup. L’action plutôt que le dialogue, tel était le credo de Pablo. Cet ancien flic était devenu détective pour le secteur privé à la suite d’une bavure de trop ; une qu’il n’avait pas réussie à cacher aux enquêteurs du FBI. Il s’était fait viré sans ménagement, et avait dû exercer des petits boulots pas très recommandables pour subvenir à ses besoins, avant de décrocher cet emploi. Sa connaissance du milieu lui avait permis de conserver des contacts importants, dont Liz McCarthy faisait partie. Lorsque Pablo avait des informations pour elle, il avait l’habitude de se retrouver au bar d’un hôtel bon marché. Si l’affaire était concluante, il arrivait qu’ils prennent une chambre pour une heure. Ils retournaient ensuite à leur occupation respective. De retour sur les routes du pays, les deux agents restèrent silencieux un moment. Sarah relisait pour la dixième fois le rapport sur Roswell, espérant trouver un indice qu’il lui aurait échappé. Malheureusement, la conclusion était toujours identique. Elle ne voyait rien qui puisse leur permettre de faire le lien entre l’homme, son groupuscule terroriste, et cette attaque virale à grande échelle. Elle appela son directeur et lui expliqua la situation, en tentant de lui faire comprendre l’importance de ce dossier. Francis Fitzgerald lui laissa encore une journée, après quoi les deux agents devraient passer à autre chose. Lorsque Sarah annonça à son collègue l’ultimatum que leur patron leur avait donné, celui-ci n’eut plus le cœur à la plaisanterie. Il lâcha une bordée de jurons, agrippa le volant de la voiture à pleines mains et appuya sur le champignon en mettant la sirène en marche. Il n’avait plus de temps à perdre. Ils devaient être à Miami avant le début de soirée, pour coffrer cet individu et lui faire subir un interrogatoire dans les règles de l’art. - 80 - CHAPITRE 19 - Liz, j’ai effectué les recherches que tu m’as demandé, lança George Goranovic. D’origine serbe, l’homme faisait office d’assistant personnel, de secrétaire, de caméraman, preneur de son, monteur et accessoirement confident. En réalité, il était l’esclave de Liz, prêt à tous les sacrifices pour sa reine. - Et ??? - Il semble que ton contact a vu juste cette fois-ci. La NASA nous cache des choses. Depuis deux jours, leur service de sécurité est sur le pied de guerre. Je n’ai pas eu d’information très précise, mais on m’a fait comprendre qu’ils auraient été les premières victimes de ce virus terroriste. La première lettre anonyme semble être fondée. - Continue, tu m’intéresses, reprit-elle sur un ton cassant. - Je n’ai pas eu de confirmation, mais la NASA aurait demandé au FBI d’enquêter sur cette affaire. Il s’agirait en fait de piratage de données informatiques sensibles, mais je n’en sais pas plus. - C’est maigre tout ça, annonça la journaliste. Je suppose qu’on n’a aucune preuve solide sur laquelle s’appuyer ? - Je travaille là-dessus. Ton contact a probablement mis la main sur quelque chose de sérieux, au vu des réticences que j’ai rencontrées pour obtenir des informations du service de presse de la NASA. Officiellement, ils n’ont rien à déclarer, mais officieusement, j’ai réussi à faire cracher le morceau à leur chargé en communication. D’ailleurs, ça va me coûter un diner. J’espère que je pourrais le passer dans mes frais professionnels ? - Et puis quoi encore ? Depuis le temps que tu veux sortir avec cette pimbêche… - Je suis marié, je te signale ! Bon, on en reparlera plus tard, car je disais qu’officieusement, la NASA a procédé à une vérification complète de leur système informatique. Leurs ingénieurs cherchent à comprendre comment le virus a réussi à infiltrer leur réseau « ultra sécurisé », dixit ta pimbêche. - Continue à fouiller de ce côté-là, ajouta Liz. Il y a quelques personnes qui me doivent des services, et je pense qu’il est temps qu’on me renvoie l’ascenseur. Je ne tiens pas à rester sur la touche dans cette affaire. - 81 - En moins d’une demi-journée, Henri Durand avait fait parvenir par livreurs spécialisés une lettre à tous les plus grands quotidiens américains. Les rédactions des chaînes de télévision n’avaient pas été oubliées. Sans revendiquer le moins du monde la paternité du projet, cette lettre était néanmoins un avertissement que tous prirent très au sérieux. « Messieurs, L’Amérique vient de subir une attaque terroriste sans précédent, bien que totalement invisible, contrairement aux évènements du 11 septembre 2001. Depuis maintenant 48h, tout le réseau informatique du pays a été contaminé par un virus qu’aucun logiciel ou matériel n’est capable de supprimer, ni même détecter. Cette affirmation peut sembler saugrenue, mais il en existe des preuves que le FBI, la C.I.A et N.S.A peuvent fournir. Demandez-vous simplement pourquoi depuis deux jours, la N.A.S.A a temporairement stoppé son programme de lancement ! Demandez-vous pourquoi depuis hier, le F.B.I et la C.I.A ont mis tous leurs enquêteurs sur cette affaire ! Et enfin, demandez-vous pourquoi la plupart des serveurs internet, et particulièrement ceux des agences gouvernementales, ne sont plus accessibles ! La réponse est simple, un groupe de pirates informatiques a développé en secret un tout nouveau virus pour le compte de terroristes internationaux qui veulent faire tomber l’Amérique dans le chaos le plus total. D’ici vingt-quatre heures, ce virus va entrer dans sa phase de destruction, et aucun matériel n’y échappera. Les réseaux électriques et téléphoniques vont être désactivés. Tous les transports vont être anéantis. Les systèmes de défense du pays vont être détruits. Le blackout sera total et irréversible ! Pour éviter cela, il existe une seule et unique solution que le gouvernement a en sa possession. Mais voudra-t-il satisfaire les exigences demandées ? L’avenir de l’Amérique est entre leurs mains ! » Cette lettre qui n’était ni signée, ni datée avait fait le tour du pays en quelques minutes. La plupart des journalistes avaient eu le même type de réaction : « Mais qu’est-ce que c’est que ces ??? Encore un fou qui n’est pas interné ! » Cependant, certains avaient eu la curiosité de faire quelques recherches sur le WEB et la coïncidence était trop parfaite pour n’être qu’un simple coup de chance. Les sites internet du gouvernement, mais également tous les accès des plus grandes industries du pays étaient temporairement inaccessibles. Les premiers flashs d’information étaient apparus en fin d’après-midi. La majorité des - 82 - médias voyait dans cette lettre anonyme un scoop de premier ordre : peut-être même LE scoop de toute une vie de journaliste ! Dès que les premières annonces furent rendues publiques, aucune chaîne de télévision n’y échappa. Le soir même, les journaux n’avaient qu’un seul sujet à traiter : « l’Amérique sous le choc : deuxième attaque terroriste d’envergure ». Les professionnels de l’informatique furent conviés pour expliquer au peuple américain ce qui se passait réellement. Seulement, la majorité d’entre eux n’en avait aucune idée ! Certains illuminés en profitaient pour terroriser l’Américain moyen, en racontant comment ce virus allait prendre le contrôle des systèmes nucléaires, et déclencher une offensive qui aboutirait à la fin du monde. D’autres encore voyaient en cela le moyen de purger définitivement le réseau internet qui était pollué par une multitude de perversités en tout genre depuis tellement longtemps. En fin de soirée, une chose était désormais acquise dans l’esprit des Américains : il se passait quelque chose de grave, mais personne n’était en mesure de connaître avec exactitude le fin mot de l’histoire ! Liz n’en croyait pas ses oreilles. Elle avait eu entre ses mains le scoop de sa vie, mais cette fichue lettre, envoyée par on ne sait qui, venait de lui réduire ses espoirs à néant. La prudence avait eu raison d’elle, et elle s’en mordait les doigts. Maintenant que le mal était fait, elle devait annoncer du concret au journal du soir, et non pas le même tissu d’idiotie qu’elle entendait sur toutes les chaînes depuis le milieu d’aprèsmidi. Sarah et Don avaient écouté les mêmes informations qui tournaient en boucle sur toutes les radios. Sachant pertinemment que l’affaire serait révélée tôt ou tard, l’acharnement médiatique qui se profilait sous leurs yeux allait sérieusement compliquer leur enquête. Il y avait fort à parier que ces annonces alarmistes déclencheraient une sorte d’hystérie collective parmi la population moyenne. Le directeur Fitzgerald venait d’appeler Sarah pour faire un point sur leur avancement. Il s’en était fallu de peu pour qu’ils soient obligés d’abandonner cette piste au bénéfice du service d’investigation national que le bureau avait mis en place. - Écoutez-moi bien, avait lancé Francis Fitzgerald à Sarah, si la recherche de ce Federico Fernandez n’aboutit pas ce soir, vous serez - 83 - tous les deux réaffectés. Je n’ai actuellement pas les moyens de laisser traîner deux agents sur les routes ! - Je comprends monsieur, avait-elle repris, mais je pense… nous pensons avec l’agent Dalton que c’est un suspect potentiel. Il pourrait être l’un des instigateurs de ce virus, bien que son profil nous indique qu’il n’en a pas les compétences. Par contre, le groupe qu’il a créé pourrait contenir des individus capables de réaliser ce genre de chose. En plus, notre homme a littéralement disparu de la circulation depuis sa sortie de prison. - Je vous laisse jusqu’à demain matin. Ensuite, vous serez réaffecté avec les autres agents du bureau. - Très bien, monsieur ! Quoiqu’il puisse se passer le soir même à Miami, Sarah savait désormais que c’était leur dernière chance de faire avancer cette enquête. Si la conclusion n’était pas heureuse, elle et Don intégreraient une cellule nationale du F.B.I, et n’auraient plus aucun contrôle, ni pouvoir décisionnaire. Ils deviendraient de bons petits soldats. Pour toutes ces raisons, elle avait volontairement omis quelques détails importants, qui pouvaient changer la face de leurs investigations. S’ils réussissaient leur coup, ils allaient passer pour les héros de l’Amérique, dans le cas contraire, il était inutile d’en parler. Ils arrivèrent à Miami en début de soirée. Ils avaient tout juste eu le temps d’avaler un sandwich sur le pouce et de rincer tout ça avec une grande dose de caféine. Ils étaient devant l’entrée du CroBar, une boite de nuit branchée où se retrouvaient les accros de techno, house et dance music en tout genre… Les vigiles, en voyant leurs badges du F.B.I et sachant tout ce qui s’était passé depuis la demi-journée, les laissèrent entrer sans broncher. « Ça doit sûrement être une visite de routine », pensèrent-ils. Don, qui n’avait plus l’habitude de fréquenter ce genre d’endroit assourdissant, préférant les bars tranquilles où il pouvait se détendre en tapant quelques boules de billard, eut une soudaine nausée. La musique, toujours trop forte, associée aux jeux de lumière technoïdes, lui flanqua une migraine immédiatement. Il fit signe à Sarah qu’il allait se diriger vers le bar pour tenter de reprendre ses esprits. Son costume bon chic bon genre ne collait pas avec l’ambiance générale de la soirée, où les jeunes gens ne portaient plus qu’un jean et un t-shirt, voire seulement le jean pour certains, tout en se déhanchant au rythme - 84 - des basses. Les néons multicolores se reflétaient sur des rubans phosphorescents qui avaient été distribués à l’entrée. Chaque danseur en avait disposé à sa guise : autour du cou, de la taille ou des poignets. Sarah tentait de se frayer un chemin au travers de la piste de danse, en scrutant au mieux chaque visage qu’elle rencontrait. Roswell ne semblait pas être arrivé. Après avoir refusé plusieurs invitations de jeunes gens déchaînés, elle alla rejoindre son collègue au bar. D’un simple regard, ils comprirent qu’aucun d’entre eux n’avait aperçu leur bonhomme. Don avait entamé un soda sans alcool, dans lequel il avait glissé un comprimé contre les migraines qui devenaient de plus en plus fréquentes avec l’âge. Sarah commanda une boisson caféinée pour pouvoir tenir une partie de la nuit s’il le fallait. La soirée battait son plein, mais Roswell n’avait pas encore montré le bout de son nez. Les deux agents commençaient à s’impatienter, se demandant s’ils ne s’étaient pas fait avoir encore une fois par leur contact. Plus l’heure avançait, plus ils désespéraient d’arriver à appréhender l’homme en question. N’y tenant plus, Don décida de prendre l’air quelques minutes pour inspecter les environs de la boîte de nuit. La soirée devait être réservée aux V.I.P, car le parking regorgeait de voitures haut de gamme, de gros 4x4 en passant par de petites sportives européennes et autres limousines. Toute la jetset de Miami devait être réunie dans ce lieu pour faire la fête. Le tour du pâté de maisons lui fit le plus grand bien. L’air vivifiant associé à son remontant médical lui avait redonné un véritable coup de fouet. Adossé contre la portière de son véhicule gouvernemental, il regardait à la fois l’entrée du CroBar, le parking autour de lui et les divers couche-tard qui déambulaient à la recherche de plaisirs nettement plus artificiels. Un homme s’approcha et lui demanda du feu en lui montrant sa cigarette. S’étant désintoxiqué depuis plusieurs années, Don avait pourtant gardé l’habitude d’avoir en permanence un vieux briquet Zippo qui lui permettait parfois d’engager une conversation plus facilement. L’individu le remercia et poursuivit son chemin. L’instinct affûté par plusieurs années d’expérience, l’agent Dalton avait tout de suite remarqué que son fumeur avait un fort accent mexicain, et qu’il aurait très bien pu être le petit frère de Roswell. Le suivant du regard, il constata qu’il allait à la rencontre de plusieurs personnes qui venaient de se garer quelques instants plus tôt. Le groupe qui discutait bruyamment et rigolait à gorge déployée tout en se dirigeant vers l’entrée du nightclub. Lorsqu’ils arrivèrent à sa hauteur, Don reconnu Roswell. Il s’était - 85 - rasé le crâne, ce qui l’avait fait douter au premier coup d’œil, mais c’était bien lui. Il décida de les suivre à bonne distance, tout en ayant au préalable envoyé un message à Sarah sur son portable, lui indiquant l’arrivée de leur client. Lorsqu’elle sentit une vibration dans la poche intérieure de sa veste, elle en tira son téléphone discrètement et lut le SMS : « Roswell arrive ». Un message simple, mais efficace. Elle vida sa tasse de café d’une traite, quitta le bar pour s’approcher de l’entrée. Les videurs étaient en pleine discussion avec le groupe qu’ils semblaient bien connaître. Les poignées de main échangées, ils s’apprêtaient à entrer. Sarah qui arrivait au même moment aperçut derrière l’attroupement son collègue lui faisant un signe pour désigner un homme en particulier. En quelques secondes, Roswell était convié par les deux agents à ressortir, sous les yeux ébahis de ses amis qui ne comprenaient pas ce qui se passait. Des noms d’oiseaux volèrent jusqu'au moment où Sarah montra sa plaque et dévoila délibérément le haut de son arme, histoire de calmer les ardeurs des plus entreprenants. Tout ce petit monde reprit son calme. Roswell leur conseilla d’aller prendre du bon temps. Tout irait bien pour lui, car cela ne pouvait être qu’une erreur sur la personne. CHAPITRE 20 Au centre de la NASA, Kevin et Tony venaient de passer une journée éprouvante. Le directeur Johnson leur avait demandé de travailler sur le code du virus, pour tenter de connaître sa dangerosité potentielle. Malheureusement, après avoir effectué une série d’analyses en tout genre, le diagnostic était le même qu’en début de matinée : ils n’en savaient absolument rien ! - Reprenons, commença Kevin qui sentait que cette histoire lui échappait. Nous avons fait une analyse primaire du code. Cela n’a aucune ressemblance, même éloignée, avec les standards habituels tels que les documents texte, les bases de données, de la vidéo ou de la musique. Nous avons également vérifié s’il n’y avait pas une compression ou un cryptage connu, sans résultat. Je sèche, avoua Kevin. Qu’est-ce qu’on aurait bien pu encore oublier ? - Je ne sais pas, reprit Tony qui s’étirait sur sa chaise. On devrait peutêtre solliciter un coup de main de l’extérieur ? - 86 - - Et à qui penses-tu ? lui demanda Kevin sur un ton ironique. Je ne vois pas qui pourrait être plus calé que nous dans ce domaine ? - Des spécialistes en cryptographie de la NSA ou des chercheurs en réseaux neuronaux, des biologistes moléculaires, des spécialistes en astronomie et pourquoi pas des médecins ! N’importe qui ayant une approche différente de la nôtre qui pourrait nous ouvrir des portes et nous faire avancer. - Et pourquoi pas le président des États-Unis, tant que tu y es !!! L’informatique est une science exacte, binaire. Il n’y a pas trente-six solutions. Soit ça colle à un format connu, soit ça ne colle pas. - Je réfléchissais tout haut, se défendit Tony. Mais au point où nous en sommes, je ne crois pas qu’on prenne un très grand risque à demander l’avis d’autres corps de métiers. - Mouaih !!!! Je serais curieux de voir ça, reprit Kevin très sceptique. C’est vrai que les pistes que nous avons étudiées n'ont rien donné. Mais de là à ameuter tous les scientifiques du pays, il y a quand même une marge ! - Laissons le chef prendre la décision. Il connait peut-être des personnes qui seront susceptibles de nous aider. Kevin composa le numéro direct du directeur presque à contrecœur. La secrétaire particulière de Jack Johnson lui transféra l’appel, en précisant à Kevin que ce dernier n’était pas de bonne humeur en cette fin de journée. - Monsieur, nous avons analysé le code comme vous nous l’aviez demandé, mais nous n’avons rien trouvé de très probant. - Comment ça ? cria Jack Johnson à la limite de l’ulcère. Vous voulez dire que vous venez de passer huit heures à plancher sur ce problème sans avoir déniché la moindre information intéressante ? - En réalité, le fait de ne pas avoir de résultat nous apprend tout de même pas mal de choses. Nous savons qu’il ne s’agit en aucun cas d’un format de fichiers classiques. Aucun morceau de code n’est clairement identifiable comme c’est le cas pour tout ce qui touche à l’informatique. Par conséquent, je peux vous affirmer que ce virus n’est pas la source de destruction qu’on nous a annoncée. C’est matériellement impossible ! - En êtes-vous bien sûr ? Mettriez-vous votre carrière en jeu sur cette supposition, Monsieur Klein ? Kevin regarda Tony, réfléchit quelques secondes avant de répondre. Il tenta en un temps record de soupeser les données du problème : les - 87 - choses dont il était absolument persuadé, celles dont il doutait encore, et celles qui le laissaient dans un scepticisme absolu. - Je ne peux pas vous garantir à 100% que nous ayons raison, qui le pourrait dans de telles conditions ? Par contre, d’après ce que nous connaissons des virus informatiques actuels, je suis sûr que ce n’en est pas un… - Si je décrypte ce que vous venez de me dire, c’est que vous n’en savez pas plus qu’hier, lui lança Johnson qui mettait ainsi en doute les capacités de son ingénieur. - Monsieur, je vous rappelle qu’aucune des personnes informées sur cette affaire n’a encore trouvé quoi que ce soit sur le sujet. Nous ne sommes pas en présence d’un virus créé par un étudiant quelconque, mais d’une véritable prouesse technologique à la limite d’un comportement biologique. En prononçant cette dernière phrase, Kevin eut soudain une idée. L’analogie qu’il venait d’énoncer dans le feu de l’action lui offrait une alternative. Il continua sur sa lancée. - Connaissez-vous des scientifiques qui travaillent dans ce domaine ? - Oui, répondit le directeur, mais je ne vois pas bien le rapport avec ce virus informatique ! - Justement si ! Ce n’est pas une coïncidence si ce terme de « virus » est utilisé en informatique. Les programmeurs se sont inspirés de la nature pour créer ces programmes dévastateurs. Ils copient le comportement animal. La façon de s’adapter au milieu, de le contaminer et de se reproduire est typique des virus biologiques. - Très bien… très bien, vous m’avez convaincu ! Au point où nous en sommes, qu’est-ce qu’on risque ? Contacter Barbara Brandenberger, c’est une des meilleures biologistes que je connaisse. Quant à moi, je vais appeler un vieil ami d’enfance qui travaille au département de cryptographie de la NSA. De retour à leur bureau, les deux informaticiens étaient en désaccord sur la manière d’appréhender la suite des évènements. Kevin ne voulait en aucun cas dévoiler les recherches qu’ils avaient effectuées depuis deux jours sur ce virus, alors que Tony continuait de clamer haut et fort qu’ils ne s’en sortiraient pas sans un sérieux coup de main de l’extérieur. - 88 - - OK Tony ! Après tout c’est ton idée, alors tu vas appeler cette biologiste et tenter de lui expliquer pourquoi nous sommes censés avoir besoin de quelqu’un comme elle ! - Je m’en occupe patron, reprit ce dernier au comble de la satisfaction. La tension entre les deux hommes était montée d’un cran, car la fierté de Kevin avait été égratignée par son subalterne. En proposant cette idée, Tony avait souligné ses limites de compétence et il admettait de moins en moins ce genre de chose. Malgré sa jeunesse et son manque d’expérience, son jeune collègue savait qu’une bonne équipe était indispensable pour accomplir un travail difficile. Dans ses sports collectifs préférés comme le basket-ball, il attachait finalement assez peu d’importance au résultat final. Ce qui comptait avant tout était le plaisir du jeu avec ses camarades, une bande de copains capables d’affronter n’importe quel adversaire sans appréhension. Tony contacta Barbara Brandenberger et lui expliqua en détail la raison de son appel. Pour éviter tous risques de contamination par un logiciel de messagerie, il lui indiqua qu’un CD-ROM contenant une partie du code du virus sur laquelle ils avaient travaillé allait lui être envoyé le jour même. Quelques minutes plus tard, le directeur Johnson débarqua dans leur bureau. Il avait téléphoné à son ami de la NSA et à un chercheur en cryptographie de sa connaissance, qui développait un tout nouveau programme d’encodage de données pour une société privée. Les deux informaticiens furent surpris de le voir arpenter les couloirs, ce qui ne lui arrivait qu’exceptionnellement. - Écoutez… vous avez fait du bon travail depuis le début de cette histoire, alors prenez votre soirée, détendez-vous et je vous revois demain matin. - Merci, reprirent en cœur Kevin et Tony, stupéfaits par ce changement d’humeur radical. - Bon, disons que… enfin, j’ai passé quelques coups de fil et il semble que nous en sachions plus sur ce virus que la plupart des experts du pays. Profitez-en, car demain risque d’être une longue journée si ce qui est revendiqué dans cette lettre se réalise. Liz McCarthy était devenue en quelques années une journaliste adorée du public, mais elle ne faisait pas l’unanimité dans la profession. Même si ses débuts comme starlette de cinéma érotique faisaient partie du - 89 - passé, cela continuait à lui pourrir la vie de temps à temps. Son quatrième et dernier mari en date avait pourtant fait le ménage à coup de milliers de dollars. Malgré l’énergie qu’il avait dépensée, il circulait toujours sur internet des extraits de ses films qu’elle voulait voir disparaître à tout jamais. Régulièrement, les prétendantes à son poste convoité de présentatrice du journal du soir n’hésitaient pas à la comparer à une prostituée qui avait couché pour réussir, ce qui n’était pas faux, mais politiquement incorrect. Pour conserver son statut de star du petit écran, Liz attaquait en justice pour diffamation tous ceux qui avaient eu le malheur de s’en prendre à sa vertu. Comme l’argent n’était pas un problème, elle avait engagé un avocat à temps complet pour veiller sur ses intérêts moraux. L’affaire était même devenue rentable à la longue. Chaque violation de sa vie privée ou photo volée faisait l’objet d’une plainte en bonne et due forme devant les tribunaux. Étant assez bon dans son travail, son avocat finissait souvent par toucher des dommages et intérêts conséquents. Un véritable métier d’avenir… - L’antenne dans dix minutes Liz, lança un technicien de la chaîne. La présentatrice était en plein maquillage et coiffage. Entourée d’une maquilleuse et d’un coiffeur virevoltant autour d’elle en tentant de la rendre visuellement agréable, elle relisait les grandes lignes qu’elle devait présenter pour le journal du soir. Quelqu’un frappa à nouveau à sa porte. Son assistant George Goranovic entra avec une feuille à la main. Il lui tendit en affichant un sourire éclatant. - J’ai réussi, finit-il par dire en lui montrant le morceau de papier. Regarde ça ! D’un abord détaché, elle s’attarda sur un passage en particulier. - C’est vérifiable ? demanda-t-elle. - Pas dans l’immédiat, mais je suis garant de ma source. Cette fois-ci, ce n’est pas un simple piratage comme on en a déjà vu. D’après mon contact, ce virus est en train de se propager à la vitesse de la lumière sur toutes les infrastructures informatiques du pays. - Attends ! Tu veux dire qu’en ce moment même, la plupart des ordinateurs sont infectés et qu’une poignée de personnes seulement sont au courant ? Ça sent le canular à plein nez ton histoire. Il est hors de question que je me lance dans une telle enquête sans preuve tangible. - 90 - Réfléchi un peu, continua-t-elle sous l’effet de l’énervement, penses-tu un instant qu’une attaque de cette envergure passerait inaperçue ? - Je ne suis pas un spécialiste, répondit George irrité par l’attitude négative de sa patronne chaque fois qu’il voulait lui proposer un sujet. Tout ce que je sais, c’est que le FBI est sur le coup et ils n’ont pas vraiment l’habitude d’engager des investigations pour des broutilles. - Qui est ton contact ? demanda sèchement Liz. Ça ne serait pas un de tes dégénérés de cousins, j’espère ? - C’est bon maintenant, tu ne vas pas encore ramener cette vieille histoire sur le tapis. Je m’excuse à nouveau pour ce qui s’était passé. On peut clore le sujet ? - Ne t’énerve pas mon biquet, répondit Liz qui avait la capacité incroyable d’appuyer là où ça fait mal. Je voulais être sûre, c’est tout. - Mon beau-frère avait fait une erreur de jugement. Cette fois-ci, l’information m’a été fournie par un flic qui travaille sur l’affaire. Il n’a pas pu me fournir beaucoup de détails, mais il semble que la NASA soit impliquée d’une manière ou d’une autre. Il faut juste qu’on découvre si le problème a été identifié chez eux parce qu’ils sont les premiers à l’avoir détecté, ou parce que ça vient réellement de chez eux. - Fais des recherches sur le personnel de la NASA, et essaye de m’établir la liste des ingénieurs et techniciens qui ont des connaissances techniques suffisantes pour concevoir ce type de virus. Moi, j’ai une dette à me faire rembourser par leur directeur, et je pense qu’il va être temps qu’il passe à la caisse, ce cher Jack ! Après ces bonnes paroles, Liz endossa son costume de journaliste et débita les mêmes informations que ses collègues des chaînes concurrentes… Aucun d’entre d’eux ne savait ce qui était en train de se produire. Mais la concurrence étant rude, personne ne voulait rester en retrait. CHAPITRE 21 Dans la voiture qui les ramenait à leur bureau, Sarah et Don n’avaient pas pu placer une seule parole tellement Federico Fernandez était volubile. Ce dernier désirait avant toute chose savoir pourquoi le FBI l’avait arrêté. - 91 - - Si je ne suis pas en état d’arrestation, qu’est-ce que je fous ici ? - On vous emmène pour interrogatoire, avait repris Don. - Un interrogatoire !!! Et vous étiez obligés d’employer les grands moyens pour ça ? Devant mes amis en plus, vous n’avez aucun sens moral ma parole. - Et c’est un taulard qui nous dit ça, reprit Don ! Mais mon pauvre ami, si nous le voulions, nous pourrions vous jeter en tôle rien que pour avoir délibérément coupé les ponts avec votre contrôleur judiciaire. - Quoi ??? Vous vous foutez de moi ! Je suis passé le voir à ma sortie de prison pour lui expliquer que j’avais trouvé du travail ici à Miami, et il devait transférer mon dossier. Il se fout de moi ce gratte-papier. - Du calme, amigo. On résoudra ce problème plus tard. Pour le moment, nous avons des questions nettement plus urgente à vous poser. - Rien à foutre, je ne dirais rien de plus si je n’ai pas un avocat. - Mais vous êtes bouché ma parole ! gueula Don qui n’y tenait plus. Vous n’êtes pas en état d’arrestation… enfin pour le moment parce que si vous continuez à nous chauffer comme ça, on va rapidement changer de ton. Vous n’avez pas besoin d’avocat, on va juste avoir une petite discussion entre gens civilisés. OK ? - On dit ça et à la première occasion, je vais me retrouver au trou pour terrorisme international ou je ne sais quelles conneries que vous aurez inventées. - Ça suffit maintenant, cria Sarah qui avait tenté de garder son calme jusqu’à leur arrivée. Fermez-la ou je vous inculpe pour outrage à agent gouvernemental, et avec votre passé, vous replongeriez en un rien de temps. Roswell prit un air renfrogné tout en continuant à marmonner des insultes dans sa barbe et à leur faire des gestes obscènes à découvert. Don l’observait discrètement en jetant un coup d’œil dans son rétroviseur intérieur. Il le vit faire, mais conserva le silence pour ne pas énerver Sarah. Il avait hâte d’arriver au bureau du FBI de Miami pour en terminer avec lui. Aucun d’entre eux ne put profiter de cette chaude nuit étoilée qui tombait sur la Floride. Sarah avait annoncé leur arrivée à leurs collègues de la ville. Malgré l’heure tardive, leur annonce ne gêna quasiment personne. Les seuls plantons encore présents dans les locaux étaient les gardiens de nuit et - 92 - deux inspecteurs qui planchaient sur une grosse affaire de drogue. Roswell fut immédiatement emmené dans une salle d’interrogatoire. Sarah prit les taureaux par les cornes d’entrée de jeu. - Nous savons que vous faites partie du groupe anarchiste appelé « Dead Zone » qui a juré d’anéantir le gouvernement américain. Vous êtes notre principal suspect dans l’attaque virale informatique qui a eu lieu il y a deux jours. - Quoi !!! C’est une blague ? Vous m’avez arrêté pour ça ? Je n’y connais rien en ordinateur ! ajouta-t-il en ricanant. - C’est ce qu’on dit… Le fait est que vos déclarations antérieures vous ont fait passer en tête de liste des personnes à interroger. - Hé ! attendez ma petite dame, ce que j’ai fait dans le passé, je l’ai payé en allant en prison pendant près de dix ans. Maintenant, je me suis rangé, j’ai même trouvé un travail. - Et vous faites quoi ? - Je travaille pour un ami, dans la restauration. - Mais encore, il m’en faut quand même un peu plus pour que je puisse vous croire. - Le night-club dans laquelle vous m’avez coffré tout à l’heure, je bosse dans un des restaurants du patron. - Ne me mentez pas, Monsieur Fernandez, car nous allons vérifier. - Je le jure sur la vierge Marie ! - Vous voulez bien laisser les évangiles et toute la Sainte Famille en dehors de ça… ce n’est vraiment pas le moment. Alors, vous déclarez ne plus faire partie des « Dead Zone » ? - NON !!! Enfin, je voulais dire oui, je ne fais plus partie de ce groupe. - Alors, c’est oui ou non ? - Ah ! Vous m’embrouillez la tête avec vos questions. Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’à ma connaissance, ce groupe n’existe plus depuis plusieurs années. Il n’a pas survécu à mon arrestation. Si vous aviez lu mon dossier, vous sauriez que le financement des opérations était réalisé par un ami qui a été arrêté et emprisonné en même temps que moi. - Admettons que ce soit la vérité, que pouvez-vous nous dire sur le virus que vous avez propagé sur le réseau informatique du pays ? - Vous êtes vraiment bouchée, je vous dis que je n’ai rien à voir avec ça. Je n’ai jamais touché à un ordinateur de ma vie ! Chaque fois que je m’approche d’un de ces trucs, il tombe en panne. - 93 - - Intéressant tout ça. Cela sous-entend que vous avez réussi à contaminer les ordinateurs uniquement par la force de la pensée ? - Merde ! Vous me faites chier ! Je veux mon avocat. - Du calme mon gars, reprit Don qui voyait que les choses commençaient à s’envenimer entre Sarah et Roswell. On cherche simplement à savoir si quelqu’un dans votre situation peut être impliqué dans cette affaire. - Je vous l’ai dit cent fois, je me suis rangé. - Vous affirmez que lorsque vous approchez d’un ordinateur, il tombe en panne. Vous pouvez être plus précis ? demanda Sarah d’une voix moins agressive, mais tout aussi ironique. - Je n’en sais rien. À chaque fois que j’ai voulu toucher à un de ces machins, tout s’arrête ! On m’a dit que c’était une histoire d’électricité statique ou un truc comme ça ! Vous pouvez demander à la prison où j’étais coffré, j’avais été banni des endroits ou il y avait des ordinateurs. - On vérifiera ça aussi. Don et Sarah échangèrent quelques paroles à voix basse. La nuit étant bien avancée, ils décidèrent de laisser Roswell en détention provisoire jusqu’au lendemain matin. Cela leur donnerait le temps nécessaire pour évaluer les différentes déclarations du prévenu. Et puis, le fait de passer quelques heures à l’ombre aux frais de la princesse ne lui ferait pas de mal. Cela compenserait son attitude négative durant le trajet, faute de l’impressionner. Ce genre d’individu, grand habitué des us et coutumes policiers, pouvait parfois craquer alors qu’on ne s’y attendait pas. - Jack, ici Liz McCarthy ! - Quelle bonne surprise ! grommela le directeur de la NASA qui sentait le vent tourner en orage destructeur. Qu’est-ce que je peux faire pour ma journaliste préférée à une heure aussi avancée de la nuit ? - Oh, pas grand-chose ! J’appelais simplement pour prendre des nouvelles. Ça fait longtemps, n’est-ce pas ? - Pour être tout à fait honnête, pas assez à mon goût ! Écoute, je n’ai pas vraiment le temps de discuter, j’ai énormément de travail, alors venons-en au fait tu veux bien ? - Toujours aussi direct ce bon vieux Jack ! OK, je ne vais pas tourner autour du pot. Tu me dois une faveur, tu te rappelles ? - Et comment oublier ça ? murmura-t-il presque pour lui-même. - 94 - - C’est le moment de me renvoyer l’ascenseur. J’aimerais savoir ce qu’il se passe à la NASA en ce moment ? - La routine, on prépare le prochain lancement, et si tu veux un scoop, on aura un équipage entièrement féminin cette fois-ci ! - Ne me prends pas pour une idiote, je sais de source sûre que vous êtes empêtrés dans cette histoire de virus informatique… Le directeur ne réagit pas sur l’instant. Il réfléchit une petite seconde pour tenter d’analyser au mieux la situation. S’il niait tout en bloc, ça risquait d’aiguiser les soupçons de la journaliste et empirer les choses. Il savait par expérience qu’elle pouvait être aussi tenace qu’une tique sur un chien. Alors jusqu’où pouvait-il aller ? Elle lui avait sauvé la mise à son arrivée au poste de directeur de la NASA. Cette histoire de prostituée aurait pu ruiner sa carrière, mais elle avait préféré oublier « temporairement » tout ça jusqu’à ce jour. Il joua cartes sur table. - On a effectivement un problème informatique comme la plupart des agences du pays. Le FBI travaille avec mes meilleurs ingénieurs sur l’affaire. Pour le moment, je n’ai aucune autre information sur ce qu’il se passe. - Sais-tu d’où ça vient ? D’un État émergeant ? D’un groupe terroriste ? - Aucune idée, annonça-t-il laconiquement. Nous n’avons aucune piste sérieuse pour l’instant. - Et qu’est-ce que ça implique ? C’est du vol de données informatiques, un virus, c’est quoi ? - Encore une fois, je n’en sais absolument rien. Tout le monde planche sur le problème sans vraiment comprendre ce qu’il se passe. Et Liz, s’il te plait, garde ça pour toi pour le moment. Je ne tiens pas à voir débarquer toute la presse aux portes du centre spatial. Nous rencontrons assez de difficultés comme ça. - Tu me connais, voyons. - Justement… - Et en plus, tu m’insultes ! Ça n’est pas bien Jack, tu me fais vraiment de la peine. - Je t’en prie Liz, laisse ça au chaud encore quelques heures. Je te promets de te tenir informée personnellement dès qu’on en saura plus. - Tu as plutôt intérêt mon biquet ! Ma patience a des limites… - 95 - CHAPITRE 22 De retour en Suisse, Henri Durand avait passé sa matinée à scruter ses moniteurs de contrôle enfouis dans sa cachette souterraine. Il avait également poursuivi son travail sur le code du virus. Le décalage horaire lui avait donné une bonne journée d’avance sur l’ultimatum lancé aux Américains. Ses différents contacts ne lui avaient rien appris de nouveau. Aucun des services gouvernementaux américains n’avait fait de déclaration publique, ce qui laissait penser que personne ne savait comment stopper ce virus. Henri jubilait dans son bunker aménagé en bureau high-tech. L’heure de la revanche allait enfin sonner. Lui qui avait été un des pionniers du développement informatique dans les années 80 et qui était désormais délaissé par les membres de sa propre fondation, avait ainsi une occasion unique de montrer de quoi il était encore capable. Son passé n’avait pourtant rien d’extraordinaire, même s’il avait connu les périodes les plus intéressantes de l’informatique. Son premier emploi avait été un véritable tremplin pour sa carrière. Travaillant sur la conception d’un système d’exploitation, il avait très vite grimpé les échelons de son entreprise pour devenir chef de projet. La firme qui l’avait embauché avait fait de lui un des meilleurs dans son domaine, aussi bien au niveau de la réalisation de logiciels, du management d’équipe qu’au niveau financier. Il maîtrisait parfaitement tous les rouages d’une telle entreprise, dont il prit les fonctions de directeur du développement quelques années plus tard. À l'approche du vingt et unième siècle, son statut faisait beaucoup d’envieux, ce qui l’irritait passablement. Lui qui avait travaillé toute sa vie comme un forcené pour obtenir ce poste avait un seuil de tolérance limité envers ces gens. Il n’était pas dupe et savait comment certains collègues de travail le considéraient, le critiquaient et le démolissaient derrière son dos. Il retrouva la sérénité et découvrit le vrai bonheur lorsque sa femme lui donna leur premier enfant : une petite fille. Il décida de déléguer un maximum de tâches pour profiter de sa paternité toute fraiche. Les années filèrent à une vitesse sans qu’il s’en rende compte. Pour le huitième anniversaire de sa princesse, il prit deux semaines de congé bien mérité. Ils passèrent tout leur temps dans des parcs d’attractions, allèrent au cinéma et rendirent visite à leurs familles respectives. Après ses quinze jours de pur bonheur, il reprit sa routine - 96 - habituelle, en se jurant de recommencer aussi souvent que possible de telles escapades. Malheureusement, la vie lui joua un tour imprévu. Par un matin pluvieux, sa femme conduisit sa fille à l’école, comme elle le faisait tous les jours de la semaine. Au détour d’un virage serré, la route détrempée par une fine pluie tombée toute la nuit fit perdre le contrôle à un chauffeur de camion-citerne. Les roues de l’engin glissèrent sur le bitume jusqu’à se bloquer contre le trottoir. L’ensemble bascula lourdement et se coucha en travers de la chaussée. Le liquide inflammable qu’il transportait se répandit très rapidement. Arrivant sur zone, la voiture de madame Hutchinson commença à déraper sur cette mare d’huile devenue aussi glissante que du verglas. Après une tentative désespérée pour redresser son véhicule, elle finit par percuter la citerne allongée sur le bas côté. La femme d’Henri étant d’une prudence extrême au volant, la faible vitesse de son automobile permit d’atténuer le choc final. Malheureusement pour elles, le système de fermeture automatique des portes refusa de se déverrouiller, les condamnant dans l’habitacle. Les deux occupantes, coincées dans leur cercueil d’acier et de verre, tentèrent de s’extraire de leur voiture pendant plusieurs secondes avant que le moteur finisse par s’enflammer. Plusieurs autres automobilistes vécurent le même calvaire et vinrent emboutir l’amas de tôle déjà en place. Le feu commençait à attaquer la citerne, l’explosion était imminente. Malgré l’aide de quelques passants qui accouraient pour essayer de les secourir, l’inévitable arriva. Le camion-citerne finit par exploser, ne laissant aucune chance aux deux femmes. Une boule de feu grimpa vers le ciel, accompagnée d’une vague de chaleur insupportable pour un être humain. En moins de temps qu’il en faut pour le dire, le brasier avait atteint des températures extrêmes. Les pompiers arrivant toute sirène hurlante ne purent s’approcher à moins d’une cinquantaine de mètres du carnage. Lorsqu’Henri fut prévenu par le chef de la police du comté, sa vie s’arrêta dans la seconde. L’homme dynamique, débordant de créativité et d’une intelligence remarquable, se transforma en un véritable mortvivant. Il fut incapable de surmonter ce drame dans un premier temps, sombrant dans une dépression qui devait lui être fatale. Pourtant, son esprit cartésien reprit le dessus au fur et à mesure du temps. Dans ses - 97 - heures moins sombres, il voulait comprendre pourquoi sa femme et sa fille n’avaient pas pu être évacuées de cette maudite voiture, qu’il avait lui-même achetée. L’obsession devint plus forte que tout le reste. Il ne recommença jamais à travailler, préférant passer ses jours et ses nuits à étudier le déroulement de l’accident. Il devait trouver la raison pour laquelle le circuit électrique avait bloqué les portes. Il lui fallait des réponses, mais surtout un coupable à punir. CHAPITRE 23 Sarah et Don venaient de passer une partie de la nuit à recouper les informations recueillies lors de l’interrogatoire de Roswell. Les nouvelles n’étaient pas réjouissantes, car tout ce qu’il leur avait dit concordait parfaitement avec les témoignages des différents interlocuteurs qu’ils avaient réussi à contacter. Que ce soit le directeur de la prison, qui leur confirma qu’il avait dû faire réparer trois ordinateurs lorsque l’homme avait voulu s’initier à l’informatique, ou les personnes qui affirmèrent qu’il travaillait bien dans un restaurant chic du centre de Miami, Roswell semblait s’être rangé. Son agent de probation avait retrouvé la mémoire comme par miracle et leur indiqua qu’il avait bel et bien accordé son transfert à un collègue à Miami. Les deux fédéraux furent obligés de le laisser partir, faute de preuve, mais ils s’arrangèrent pour garder un œil sur lui. Une patrouille le suivrait discrètement pendant quelques jours. Sarah essaya de contacter le directeur Fitzgerald pour faire un point sur l’affaire. Malgré l’heure matinale, elle réussit à le joindre à sa première tentative. À croire que son patron ne dormait jamais ! Plus rien ne l’étonnait le concernant. Il lui demanda de rentrer à Houston en urgence pour faire un débriefing avant l’ultimatum imposé sur la lettre anonyme. Après plus de cinq heures de vol, ils arrivèrent dans le bureau de leur directeur vers onze heures trente. La réunion tourna court, car l’heure avançant à grande enjambée, ce dernier devait participer à une conférence téléphonique avec les autres services gouvernementaux. Francis Fitzgerald ordonna aux deux agents de retourner à la source de l’affaire, c'est-à-dire la NASA. De son côté, il se rendit dans la salle de vidéoconférence ou l’attendait, placardé sur les différents écrans, le - 98 - visage de ses homologues. Le président des États-Unis, à travers son chargé de communication, fit passer un message clair et précis : « le gouvernement américain ne se pliera jamais au chantage. Les terroristes seront poursuivis, arrêtés et jugés avec la plus grande sévérité ». Les directeurs des agences avaient désormais l’obligation de protéger au mieux les ressources du pays, et mettre en œuvre tous les moyens disponibles pour contrer cette attaque. L’heure n’était plus aux demimesures, il fallait contre-attaquer très fort pour anéantir cette menace. En arrivant à la NASA, les deux agents fédéraux furent accueillis par le Jack Johnson, qui les convia à rejoindre le bureau des ingénieurs Kevin Klein et Anthony Alessandro. Il ne restait plus qu’une poignée de minutes avant le déclenchement des hostilités. Les salutations faites, Sarah engagea la conversation. - Avez-vous réussi à déterminer la dangerosité de ce virus ? - Pas précisément, répondit Tony qui était ravi de revoir Sarah. On sait ce qu’il ne peut pas faire, par comparaison avec ce qui existe déjà. Seulement, il est tellement différent dans sa façon de se propager que tout cela n’est que supposition. - Et d’après vous, que va-t-il se passer ? - S’il est aussi évolué qu’on le pense, continua Kevin, je suppose que ça ne devrait pas traîner. Nous avons deux options. Soit il ne va rien arriver, car nous avons réussi à exterminer la source du problème, soit il va tout détruire si on en croit la lettre que nous avons reçue. Toute l’infrastructure informatique du pays va s’arrêter. Nous risquons d’assister à un chaos total en somme… Dans la première optique, les réseaux publics devront être décontaminés, dans la seconde, je vous laisse imaginer les conséquences. - Ce n’est pas rassurant, reprit Don qui sentait la tension montée. - En tout état de cause, dit Tony, nos ordinateurs portables n’ont jamais été contaminés, ce qui nous laisse une chance de plus d’arrêter le désastre si besoin est… - Quelle heure est-il ? demanda le directeur Johnson. - Plus que trois minutes monsieur, lui répondit Tony qui conservait un œil rivé sur sa montre. L’ultimatum imposé par le courrier de revendication arrivait à son terme. Tous les services gouvernementaux étaient sur le pied de guerre. - 99 - L’armée avait été alertée et avait déployé plusieurs contingents dans les grandes villes américaines. Il fallait limiter la panique en cas de réelle attaque terroriste, même si cette présence massive était elle-même une source de trouble. L’information concernant les lettres anonymes n’avait pas filtré jusqu’aux médias du pays. Une fois n’était pas coutume, un secret d’État n’avait pas été divulgué. Pourtant, ce déploiement de force inquiétait les Américains et faisait les choux gras de la presse. Chacun y allait de son commentaire, exprimait un point de vue parfois totalement surréaliste. Liz McCarthy, qui ne voulait pas rester sur la touche, ordonna à son assistant de sortir pour prendre la température dans la rue, là où les militaires se déployaient, là où le public s’affolait. En Suisse, Henri Durand attendait avec impatience le décompte final. Il scrutait avec angoisse les différents écrans allumés devant lui. Il savait qu’il vivait un grand moment, mais doutait encore de la suite des évènements. L’anxiété le gagnait au fil des minutes. Il avait réglé ses ordinateurs et sa montre sur l’horloge atomique, base de temps terrestre unique. Il était presque midi aux États-Unis, 17 h 59 min 55 s, 56s, 57s, 58s, 59s… 18 h en Europe ! À Houston, les pendules affichaient douze heures. Les cœurs battaient à tout rompre, le souffle court, les bouches entre ouvertes en apnée, les différents acteurs présents dans le bureau de Kevin et Tony n’y croyaient pas. Trente secondes venaient de s’écouler, puis une minute et rien… absolument rien ne s’était produit ! Kevin commença à pianoter sur le clavier de son ordinateur, faisant les premières vérifications qui s’imposaient. - C’est incroyable, dit-il avec une excitation certaine. Il ne s’est rien passé ! En tout cas ici, reprit-il plus sereinement. - Je file vérifier dans d’autres services, lui lança Tony en se précipitant vers la porte. - Qu’est-ce que ça signifie exactement ? demanda Sarah qui n’en revenait pas de voir Kevin, aussi excité que s’il venait de recevoir un prix Nobel ! - Je veux dire qu’il ne s’est absolument rien produit, comme je l’avais espéré par ailleurs ! Regardez par vous-même, tous les serveurs du site fonctionnent, c’est incroyable. - Bien joué, lui lança le directeur Johnson en lui serrant la main chaleureusement. - 100 - - Merci monsieur, mais restons calmes. Rien ne nous indique que tous les problèmes soient entièrement résolus, rajouta-t-il le regard pétillant. Il faut qu’on analyse tout cela très attentivement. Jack Johnson s’empressa de dégainer son téléphone portable et appela successivement ses principaux contacts dans les autres agences. Le fait d’avoir le réseau était en soi une preuve de plus de l’inefficacité du virus. Les uns après les autres, ses interlocuteurs lui annoncèrent le même résultat. L’antivirus de fortune que Kevin Klein avait programmé avait fait des miracles. Aucun problème particulier n’avait été constaté. Le directeur Johnson resta encore quelques minutes à contempler avec bonheur les écrans informatiques affichant des choses auxquelles il ne comprenait rien, puis sortit du bureau où régnait une ambiance d’exaltation. Il ajouta un mot à l’intension de son ingénieur. - Kevin, nous avons du pain sur la planche pour combler le retard accumulé depuis deux jours. Je reviendrais prendre la température à la fin de la journée. Agent Spader, agent Dalton, merci de vos efforts en ces circonstances bien particulières. Il sortait du bureau juste au moment où Tony, accourant au pas de course, faillit le percuter de plein fouet. - Je suis désolé, monsieur ! - Il n’y a pas de mal mon garçon, alors qu’elles sont les nouvelles ? - Tout est OK, monsieur ! Je viens de faire quelques tests avec les différents chefs de service, et le virus a bel et bien été éradiqué de notre réseau. - Parfait, continuez ! CHAPITRE 24 De l’autre côté de l’Atlantique, Henri n’en revenait pas. Lui qui croyait tenir sa revanche sur le monde civilisé, allait de déception en déception. Il constatait que le virus était toujours présent sur le réseau américain, mais que l’attaque annoncée n’avait pas eu lieu. Il pensait avoir dompté la bête afin d’obtenir une destruction complète des systèmes informatiques américains, et même planétaires. Ce revers inattendu le laissa perplexe, et une pointe d’angoisse commença à l’envahir. Il n’arrivait pas à trouver un début d’explication à ce qui venait de se - 101 - produire. Il avait travaillé des heures d'affilée pour déchiffrer le code et le modifier à sa guise, mais voyait en cet instant son labeur anéanti. Ne comprenant ni le pourquoi, ni le comment de ce fiasco, il décida de sortir de son cachot souterrain pour prendre l’air et réfléchir aux prochains évènements. Après avoir passé plusieurs heures enfermées dans son bunker, la douceur de cette fin d’après-midi lui fit le plus grand bien. Le gazouillis des oiseaux le tira de sa rêverie. Il se dirigea à l’arrière de sa cabane où une vue extraordinaire sur le lac Léman lui rappela que la nature n’avait rien à envier à l’homme, à ses constructions hideuses, à ses machines de destructions en tout genre et à son attitude désinvolte envers cette magnifique planète. Un rapace dessinait des cercles au-dessus de la cime des arbres, à la recherche de nourriture. Soudain, il piqua vers le sol sans un bruit, puis réapparu quelques secondes plus tard avec un petit rongeur planté entre ses griffes acérées. Il alerta sa nichée de cette prise en poussant des cris aigus de victoire. À la vue de ce prédateur des airs, Henri eut une illumination. Il avait fait fausse route depuis le début, et commençait à entrevoir une solution possible à son problème. Il retourna à grandes enjambées dans son terrier, vérifia quelques données présentes sur un moniteur, puis se replongea dans le code du virus. La nuit était déjà bien avancée lorsqu’il décida d’appeler son contact aux États-Unis. - Allo ! C’est Henri. - Tu nous as raconté des foutaises mon vieux ? Je croyais que ton virus devait anéantir le réseau ! - C’est beaucoup plus compliqué que ce que nous avions pensé. - Peut-être, mais en attendant, on vient de se prendre une raclée et je doute que le conseil d’administration soit emballé par toute cette mauvaise publicité que la presse nous a fait subir. En plus, si le FBI nous tombe dessus, on risque de passer un sale quart d’heure. - Pas de panique, car j’ai trouvé une solution pour le stopper. Seulement, d’après mes dernières expérimentations, il est impossible à éradiquer, ni à contrôler, et ce, pour une très bonne raison… - Je ne veux rien savoir, coupa son interlocuteur. Je me suis personnellement impliqué dans cette affaire et si ça me retombe dessus, je ne serais pas le seul à en faire les frais. De toute façon, j’arrête les opérations ce soir même et je vais faire un gros nettoyage pour ne laisser aucune trace. Je te conseille d’en faire autant, et tout de suite. - 102 - - Laisse-moi le temps d’y réfléchir, reprit Henri contrarié par la lâcheté flagrante de son contact. Il coupa la communication sans autre forme de politesse. Il ne pouvait plus faire confiance à personne, même à cette personne qu’il considérait aujourd’hui comme son seul véritable ami. Ce projet opportuniste qu’il avait mis en place à la suite d’une découverte sur le réseau de la NASA prenait l’eau de toute part. Il ne faisait aucun doute que ses principaux collaborateurs suivraient les directives de l’équipe dirigeante. Sans en prendre réellement conscience, Henri était sur le point d’être écarté définitivement de la fondation qu’il avait créée. Les membres influents n’allaient pas couler avec lui. La débâcle qu’ils venaient d’encaisser lui serait attribuée, justifiant ainsi la raison de son éviction du poste de présidence. Il serait bien entendu remercié avec les honneurs dus à son engagement depuis de si longues années. Néanmoins, sa fin était proche. Ses idées novatrices avaient fait leur temps, et l’argent amassé au fil des années avait fini par faire des envieux de toute part. Le business avait pris le pas sur les concepts de protection de la nature, de l’environnement et du bien-être. Henri faisait figure de dinosaure parmi les siens. L’agent Spader venait d’avoir son directeur au téléphone. Il lui avait confirmé que les différents rapports qui venaient d’arriver au FBI annonçaient tous le même état de fait : la destruction du réseau informatique américain n’avait pas eu lieu. Les vérifications préconisées par les ingénieurs de la NASA montraient que le virus était toujours présent sur les sites qui n’avaient pas encore été sécurisés et sur le réseau public, mais il restait aussi inactif qu’auparavant. Hormis sa propagation fulgurante, rien ne laissait penser qu’il évoluerait dans un sens ou dans un autre. Kevin et Tony étaient ravis de cette évolution des choses, et extrêmement soulagés. Tony songeait déjà prendre quelques jours de repos bien mérités, sur les bords d’une plage du Nouveau-Mexique, à surfer, bronzer et pourquoi pas faire des rencontres opportunes. Kevin ne sentait pas les choses tourner dans ce sens. Pour lui, le problème était loin d’être réglé, et il ne voyait pas une fin particulièrement heureuse dans cette affaire. Le phénomène de contamination des machines restait son plus gros défi. Il n’arrivait pas à comprendre, ni même entrevoir un début de solution à ce mystère. Alors qu’autour de lui tout le monde fêtait avec excitation le - 103 - dénouement favorable de cette soi-disant attaque informatique, il conservait une concentration extrême. La migraine ne tarderait d’ailleurs pas à le rattraper, il la sentait venir insidieusement. Au moment où il s’apprêtait à sortir du bureau pour aller chercher de quoi calmer le martèlement qu’il commençait à ressentir au niveau des tempes, Sarah et Don en profitèrent pour les remercier de leur aide précieuse et quittèrent l’agence spatiale. Leur tâche allait s’avérer beaucoup plus compliquée maintenant qu’ils devaient recommencer leur enquête depuis le début. Leur principale piste, qui les avait amenés à arrêter le dénommé Roswell, s’était terminée en cul-de-sac. Ils espéraient pouvoir continuer à travailler sur cette affaire en tant qu’enquêteurs décisionnaires, mais au vu des évènements survenus en cette fin de matinée, leur patron allait certainement les détacher auprès d’un agent beaucoup plus expérimenté. En arrivant au siège du FBI, Sarah se dirigea directement vers le bureau de Francis Fitzgerald. Il était en pleine conversation téléphonique avec le directeur de la NSA, qui venait de lui indiquer une nouvelle fois ses interrogations envers cette histoire. Il était persuadé que le groupe terroriste qui avait émis l’ultimatum ne pouvait pas être les auteurs de ce virus. Il lui semblait impensable, s’ils avaient vraiment été maîtres du jeu, qu’un fiasco pareil puisse survenir après l’affolement général qu’ils avaient déclenché à travers la presse. Les entités qui mettaient au point ce genre d’opérations quasi militaires ne rataient jamais leur coup s’ils n’étaient pas interrompus par les autorités. Les exemples dans le passé avaient montré ce qu’ils étaient capables d’accomplir. Il raccrocha enfin et ajouta à l’attention de Sarah : - Agent Spader. J’ai lu votre rapport sur l’arrestation du dénommé Federico Fernandez. Dans vos conclusions, vous indiquez qu’il est probablement innocent, du moins pour l’affaire actuelle. - Effectivement monsieur le directeur. Nos recherches nous avaient laissé penser qu’il était toujours à la tête du groupe qui se faisait appelé « Dead Zone », mais les dernières vérifications que nous avons faites après l’avoir interrogé, nous montre que ce groupe a été dissous il y a plusieurs mois. - Alors, pourquoi avoir émis un doute dans vos conclusions ? - 104 - - Je ne saurais l’expliquer clairement. Disons que mon instinct m’indique qu’il reste une part d’ombre chez ce personnage que nous n’avons pas encore réussie à éclaircir. - De toute manière, reprit le directeur en s’adressant à Sarah et Don qui venait de les rejoindre dans le bureau, j’ai eu des recommandations à suivre provenant de Très-Haut, et je dois affecter tous mes agents disponibles à cette unique affaire. Je suis obligé de vous transférer pendant quelques jours à Washington. La messe était dite pour les deux fédéraux qui s’attendaient à une décision de ce genre. Leur petite escapade à la recherche de Roswell n’ayant pas donné les résultats escomptés, ils ne pouvaient rien espérer de plus. L’ampleur grandissante de cette histoire de virus leur avait joué un bien mauvais tour. Ils allaient devoir se mettre au service d’un agent « senior », alors qu’ils pensaient tous les deux en avoir fini avec les corvées des débutants. CHAPITRE 25 Au lendemain du jour où l’Amérique aurait dû sombrer dans le chaos, Sarah Spader et Don Dalton se présentèrent au siège du FBI à Washington. Leur arrivée passa presque inaperçue parmi la centaine d’agents arrivant en renfort de tous les coins du pays. Au total, plus de deux cents hommes et femmes allaient travailler sur cette affaire. Pour manager cette équipe hors-norme, la personne qui avait été mise à la tête de cette armada aurait probablement dû être à la retraite depuis longtemps. Il s’appelait Herbert Hoover, comme le trente et unième président des États-Unis. La soixantaine passée depuis quelque temps déjà, il restait un infatigable travailleur. Le repos, qu’il avait bien mérité après de nombreuses années à œuvrer au sein du gouvernement américain, n’était plus d’actualité. Hoover avait pourtant fêté dignement son départ du service actif, à la suite de l’insistance acharnée de sa femme qui voulait profiter de leur bonne santé respective pour faire des voyages. Seulement, lorsqu’on a été le directeur général du FBI, puis conseiller technique auprès de plusieurs présidents des États-Unis, il est relativement difficile de tout plaquer du jour au lendemain. Il avait néanmoins fait des efforts pour lâcher ce milieu, mais ces contacts privilégiés avec les hommes les plus influents du pays l’avaient rattrapé - 105 - plus vite que prévu. De simples appels téléphoniques en visites de courtoisie, ses anciens collègues venaient régulièrement lui demander son avis sur des sujets d’actualité. L’affaire du virus, ayant fortement ébranlé le gouvernement aux yeux de l’opinion publique, n’avait guère laissé d’option au chef de l’État. Il fallait mettre un homme d’expérience sur le coup, et lui donner les moyens techniques et humains de résoudre le problème rapidement et efficacement. La veille de ce qui devait être le jour « J », Herbert Hoover avait été contacté en urgence par le directeur actuel du FBI. Il avait dans un premier temps refusé de prendre part à l’enquête, même en tant que simple consultant. Mais sur les insistances du président des États-Unis, il avait fini par capituler et donner son accord juste avant l’heure « H » ! Une réunion de crises venait d’avoir lieu. Tous les agents avaient reçu des directives très précises sur les investigations à entreprendre pour les jours à venir. Une base de données des personnes et groupes susceptibles d’avoir programmé un tel virus avait été établie et une liste de noms à vérifier avait été attribuée à chaque agent. La réunion finie, Herbert Hoover demanda à Sarah Spader de rester quelques instants, alors qu’elle s’apprêtait à sortir de la salle avec ses collègues. Elle fut agréablement surprise qu’il la connaisse, mais s’interrogea tout de même sur la raison qui le poussait à la faire patienter. Lorsqu’ils furent seuls, Hoover se lança. - Agent Spader, j’ai regardé les premiers résultats d’enquêtes qui ont été menées depuis le début de cette affaire et j’ai remarqué que c’est vous qui avez été la première sur le coup. - Effectivement monsieur. À la demande du directeur Fitzgerald qui est un ami du directeur de la NASA, j’ai pris contact avec les deux informaticiens du centre spatial qui ont été les premiers à détecter ce virus. - Dans votre rapport, vous indiquez qu’un certain Kevin Klein a été votre premier suspect. Avez-vous creusé la question ? - Tout semble montrer qu’il pourrait être l’auteur de ce virus. Il en a les connaissances en tout cas, mais je n’ai pas eu accès à l’ensemble de son dossier qui est classé « Top secret » pour des raisons que j’ignore. - Venez avec moi dans mon bureau s’il vous plaît. J’ai peut-être les réponses à vos questions. - 106 - Après avoir salué plusieurs personnes qui sortaient de la salle de conférence, Sarah et Herbert se dirigèrent vers une pièce à l’extrémité du bâtiment. L’endroit était spacieux, meublé d’éléments modernes de façon assez spartiate, en totale contradiction avec l’image qu’elle se faisait de ce type de bureau. Partout où elle était passée, les directeurs d’agence avaient des meubles anciens, de grande valeur. Herbert Hoover ne mangeait pas de ce pain-là. Malgré ses soixante ans bien tassés, il avait le goût du design épuré. Sa chaise en était un flagrant exemple ; le cuir noir de qualité venait épouser un bois d’ébène sculpté à la main, masquant astucieusement toutes visseries et tous autres systèmes de fixations composant ses différentes parties. Sa table et son armoire, mélange de bois vernis et de verre dépoli, rendaient l’ensemble très reposant. C’était le modèle même du lieu où il fait bon travailler sereinement, toute l’année. En voyant Sarah scruter avec attention la pièce, Herbert sourit intérieurement. - Joli bureau, n’est-ce pas ? - Tout à fait à mon goût, monsieur. - Malheureusement, ce n’est pas le mien. D’ailleurs, je n’en ai pas vraiment besoin dans ces locaux, étant donné que je suis à la retraite, reprit Hoover en laissant échapper un clin d’œil malicieux. Cela ne m’empêche pas de l’apprécier malgré tout. Regarder ceci, ajouta-t-il en montrant un dossier. Le document portant la mention « Top Secret ». Il le déposa sur la table en direction de Sarah. Elle s’approcha pour y jeter un œil. Hoover lui fit signe de s’asseoir. En feuilletant rapidement les quelques pages présentes dans la chemise cartonnée, elle comprit immédiatement pourquoi elle avait été bloquée dans ses recherches. Kevin Klein avait été exploité par le FBI pendant plusieurs années, dans des conditions assez douteuses, et personne ne souhaitait revoir cette vieille affaire refaire surface. Le passé ne devait pas toujours être déterré. Klein luimême n’avait pas désiré faire de vague sur ces dix années passées dans la clandestinité du gouvernement. Sarah en déduit qu’il n’avait pas de rancune particulière envers les autorités. - Vous comprenez maintenant pourquoi le gouvernement ne veut pas ébruiter l’incarcération de cet homme, ajouta Hoover après un moment de silence. - Si je comprends bien, les connaissances de monsieur Klein ont été utilisées contre son gré, et ceci pendant plus de dix années. - 107 - - Le plus extraordinaire dans cette affaire, c’est qu’il a été jugé seulement au bout de ces dix années. Cet homme, pour sa famille et ses amis, a purement et simplement disparu de la surface de la Terre pendant une décennie. - Il n’y a pas eu de plainte, ni demande de dommages et intérêts lorsqu’il a été libéré. - Je ne peux pas tout vous dire, car certains éléments de l’équation ne sont connus que de deux ou trois personnes dont je ne fais pas partie. Par contre, je sais que sa réhabilitation a été largement subventionnée par l’État, pour éviter un scandale potentiel. Vous rappelez-vous les manifestations que ces proches avaient organisées peu avant son procès ? Le porte-parole du gouvernement de l’époque avait été obligé de faire des excuses publiques pour apaiser la colère naissante d’un large public. Il faut dire que lorsque la famille de Klein avait eu vent que l’homme était toujours vivant, et gardé prisonnier sans même avoir été jugé, l’affaire avait fait couler beaucoup d’encre. La presse avait d’ailleurs largement contribué à en faire un martyr des temps modernes. Au final, le président avait préféré accorder sa grâce à ce détenu atypique. - Je n’ose même pas imaginer ce qu’il a dû ressentir à sa libération, reprit Sarah perplexe par ce qu’elle venait d’entendre. Je dois avouer qu’au vu de ces nouveaux éléments, je suppose qu’on peut aisément comprendre la rancune qu’il a pu conserver envers le FBI. Cela explique son attitude froide et négative lorsque nous l’avons rencontré la première fois. - Pour être tout à fait franc avec vous, lorsque j’ai été alerté par le problème qui nous occupe, j’ai lu les différents rapports concernant cette affaire et quelques noms ont retenu mon attention. Kevin Klein, même s’il en fait assurément partie, à prouver depuis plusieurs années qu’il avait tourné la page sur ces activités d’antan. À mon avis, faitesvous-en un allié plutôt qu’un ennemi. Ses connaissances pointues dans le monde de l’informatique vous seront d’une aide précieuse, et vous garderez ainsi un œil sur lui en toute discrétion. - Que suggérez-vous, Monsieur, que je lui demande d’être consultant spécial au FBI ? - Pourquoi pas ! Je suis sûr que vous trouverez le moyen de le convaincre de vous aider le moment venu. - Parfait, si vous pensez qu’il est la meilleure option que nous ayons, je ferais appel à lui. - 108 - - Agent Spader, - Oui, monsieur. - Tenez-moi personnellement au courant de l’avancement de votre enquête. - Très bien monsieur. CHAPITRE 26 Henri Durand venait de passer deux jours à étudier le code du virus. Ses dernières expérimentations l’avaient amené à une solution qui lui permettait de stopper la contamination. Pourtant, il n’avait trouvé aucun moyen de le contrôler contrairement à ce qu’il avait cru réussir quelques heures plus tôt. L’ultime discussion qu’il avait eue avec ses contacts aux États-Unis l’ayant refroidi, il décida de faire cavalier seul dans cette lutte. Son portable sonna pour la première fois depuis plusieurs heures. - Allo ! - Bonjour Henri. Comme je n’ai plus de nouvelles, je voulais savoir comment tu allais. - Très bien, mais j’avoue que je suis étonné que tu me rappelles, vu la tournure de notre dernière conversation. - Je suis désolé, reprit l’homme. Je m’étais un peu emporté à la suite du fiasco que nous avons tous constaté. Il faut dire que les principaux commanditaires de l’association m’avaient passé un savon juste avant que je t’appelle, mais j’espère que c’est oublié, car j’ai besoin de ton aide. - C’est oublié !!! C’est vite dit. Ça va faire deux jours que je travaille sur le code du virus en sachant que je n’aurais plus de soutien d’aucune part. Tu peux comprendre aisément que je ne sois plus très chaud pour partager mes informations à ce tarif-là ! - Je suis désolé pour ce qui s’est passé, et j’espère sincèrement que cela ne va pas contrarier notre projet initial. J’aurais bien aimé venir t’aider dans tes recherches, mais je ne peux pas m’absenter en ce moment. Mon patron ne me le permettra jamais. - De toute façon, lança Henri un rien enorgueilli, je ne pense pas qu’on puisse faire grand-chose de plus. Je ne peux rien te dire par téléphone, mais il me semble désormais évident que le virus est hors de contrôle. - 109 - - Très bien, je te fais confiance sur ce point. Je te rappellerai un peu plus tard. À Washington, Sarah et Don avaient repris leurs investigations. Noyés parmi la centaine d’agents travaillant sur cette affaire, ils avaient tout de même été affectés à des tâches plus intéressantes que leurs collègues qui étaient contraints d’effectuer des recherches administratives. Les différentes bases de données tournaient à plein régime et les téléphones chauffaient dans tous les bureaux. Les deux fédéraux de Houston faisaient partie du peloton de tête et avaient rejoint l’équipe dirigée par Herbert Hoover en personne. Leurs assistants collectaient les informations recueillies par les enquêteurs, analysaient les données, et établissaient un ordre de priorité. Sarah, Don et une poignée d’autres agents étaient chargés d’aller sur le terrain pour définir la dangerosité potentielle des suspects, et le cas échéant, procédaient aux arrestations pour un interrogatoire en règle. Après trois jours passés à sillonner les routes, les interpellations avaient été nombreuses. Plusieurs criminels en puissance furent arrêtés, quelques groupuscules de toute sorte furent démantelés, mais rien ne fit réellement avancer l’enquête. Hoover convoqua une nouvelle fois tous les agents fédéraux et fit un point précis de la situation. La majorité des personnes fichées dans les dossiers gouvernementaux avait été contrôlée, sans retour positif pour l’affaire en cour. Les esprits commençaient à s’échauffer, Hoover en tête de liste. Les moyens importants mis à sa disposition avaient certes donné des résultats sur la baisse de la criminalité du pays, mais n’avaient en aucun cas permis de trouver le ou les responsables de ce virus. La presse ajoutait une pression supplémentaire. Le rabattage quotidien finissait par énerver les agents fédéraux, qui se démenaient comme des diables pour apporter une réponse aux nombreuses questions que le public se posait. L’incompétence, comme certains journalistes peu scrupuleux l’annonçaient, n’était pas le problème. Rien dans cette histoire n’était habituel ! - Mesdames, Messieurs ! Voilà trois jours que nous travaillons d’arrachepied pour trouver les auteurs de ce virus. Les investigations ont permis de démanteler plusieurs groupes terroristes et d’arrêter quelques - 110 - criminels recherchés, mais en ce qui concerne notre affaire, il semble bien que nous ayons fait fausse route. Je ne vois pas trente-six solutions à ce problème : nous ne cherchons pas là où il faut ! J’ai demandé ce matin l’aide des différents pays avec lesquels nous avons des partenariats. La plupart d’entre eux ont déjà commencé à enquêter et m’ont fait parvenir des dossiers et des noms. À compter d’aujourd’hui, vous allez m’éplucher tout ça à la loupe. Je veux tout savoir sur ces personnes, leur enfance, leur parcours, leurs relations… etc. Demain à la même heure, nous referons un point de la situation. Merci. Tout le monde reprit le chemin des bureaux et s’attela à la tâche. Les investigations ne donnaient rien de très intéressant et Hoover ne voulait pas voir débarquer dans son antre divers hauts représentants du gouvernement. Pour cette affaire en particulier, il avait le feu vert du président, mais l’opinion publique, échauffée par une presse omniprésente, ne lui faisait aucun cadeau. Il fallait trouver le coupable très rapidement. Liz McCarthy n’était pas le genre de femme à se laisser marcher sur les pieds. Elle ne devait son statut de superstar du petit écran qu’à ellemême, du moins c’est l’intime conviction qu’elle en avait. Ses différents maris, de par leurs relations, lui avaient apporté une aide précieuse. Seulement, dès que le divorce était prononcé, elle s’arrangeait pour tout oublier. Cela faisait deux jours qu’elle avait eu une conversation avec le directeur de la NASA, et malgré la promesse qu’il lui avait faite, elle n’avait plus de nouvelle de sa part. La patience n’étant vraiment pas son fort, elle s’impatientait et sa contrariété naissante la rendait encore plus désagréable. Elle avait aiguisé son instinct de journaliste dans des enquêtes tordues à souhait, qui demandait de nombreuses relations des deux côtés de la loi ; gangsters et policiers. Son expérience de la nature humaine lui conférait également un excellent flair en la matière. Elle sentait venir les pires coups fourrés, et par conséquent flairait le scoop avant tout le monde. Cette histoire de pirates informatiques était louche, trop louche pour n’être que ce à quoi ça ressemblait. Elle en était intimement persuadée, il se tramait une affaire juteuse derrière tout ça. Son assistant George Goranovic avait beau faire des pieds et des mains, ses informations restaient trop superficielles pour être exploitables. Il fallait qu’elle s’en charge elle-même. - 111 - Son journal de la mi-journée achevé, George la félicita comme il avait l’habitude de le faire depuis qu’il était à son service, puis lui apporta un dossier en guise de récompense du jour. - Qu’est ce que c’est, demanda-t-elle ? Encore une de tes enquêtes bidon ? - Toujours le mot pour rire, finit-il par répondre en lui intimant l’ordre de jeter un œil. Cette fois-ci, c’est du solide. Liz feuilleta rapidement plusieurs pages, avant de refermer le document en question. Des images défilaient dans sa tête à une allure inimaginable. Elle avait souvent tendance à s’emballer lorsqu’un scoop lui pendait au nez, mais son brave assistant servait de tampon à son tempérament de feu. Il savait trouver les mots pour la freiner. Elle finit par lâcher un sifflement de stupéfaction. - Pas mal du tout ! Organise-moi une réunion avec le staff demain. Je veux que ça fasse l’ouverture du journal dès que possible. - Ça manque de faits vérifiables, ajouta-t-il. Il serait peut-être judicieux d’approfondir le sujet avant de se lancer comme des morts de faim sur un biscuit gouleyant ! Liz éclata de rire… George avait encore du mal à intégrer les expressions typiquement américaines et finissait indéniablement par sortir un mélange de termes venus de son imagination fertile. Cela lui donnait malgré tout un certain charme, le genre beau gosse timide, mais gaffeur. - Je vais m’en occuper de ton biscuit, lui répondit-elle avec tous les sous-entendus qu’elle pouvait faire passer. Bon, j’ai vu un nom qui me parait intéressant dans ce papier, un certain Klein… Kevin Klein ! Marrant, avec un nom pareil il aurait dû faire du prêt-à-porter. Tous deux rirent de bon cœur, même si George ne comprenait pas vraiment l’allusion qui le dépassait totalement, l’important était de participer ! - Je crois que ça va être compliqué, continua-t-il. Mon contact m’a dit qu’il venait d’être intégré à l’enquête, et qu’il collaborait activement avec le FBI. - Dommage, son profil me paraissait intéressant. Et son jeune collègue, un certain Anthony Alessandro, qu’est ce qu’on a sur lui ? - Rien, répondit George. C’est le parfait stéréotype du boyscout sans histoire ! De brillante étude en informatique, c’est un grand sportif, belle - 112 - gueule d’après la gent féminine, il travaille à la NASA depuis près de trois ans. C’est ce que tu appelles le « parfait célibataire ». - Effectivement, dit-elle en voyant la photo de Tony présente dans le dossier. Un vrai petit ange ! Avec lui, ce sera du tout cuit… CHAPITRE 27 Le lendemain, la réunion à Washington annonça la fin d’une étape cruciale. Hormis quelques cas isolés qu’il fallait encore vérifiés, le ratissage organisé par les agences gouvernementales avait porté ses fruits. Plus un seul pirate informatique ne leur était désormais inconnu. Ils avaient été identifiés, fichés et certains commençaient à être étroitement surveillés. Hoover mit sur pied une rencontre entre les responsables du gouvernement impliqués dans l’enquête et les différents acteurs de ces investigations. Ils en conclurent que l’unique option qu’il leur restait à ce jour était de centrer leurs recherches sur les ingénieurs des sociétés spécialisées dans la haute technologie et les anciens programmeurs de haut vol. Une chasse aux sorcières fut mise en place dans la plupart des pays industrialisés. Comme le continent américain était pour le moment le seul touché par ce virus, certains gouvernements ne leur accordèrent qu’une aide timide. Cependant, les spéculations allant bon train, les Européens avaient décidé d’offrir leur entière collaboration, par crainte d’être contaminés à leurs tours. La presse américaine s’acharnait sur toutes les nations qui émettaient des réserves, de l’Europe de l’Est, à la Russie en passant par la Chine. Les pays du Golfe furent également soupçonnés d’être les auteurs de cette attaque. Les principaux journaux ressortaient de vieilles affaires pour étayer les thèses les plus farfelues. L’Amérique était en crise et les étrangers en étaient forcément la cause. Le summum avait été atteint quelques heures avant la fin du monde annoncée, lorsque les publications titraient à grand renfort de slogans-chocs : « L’Amérique à nouveau en guerre », « Le monde contre les Américains »… etc. Au moment où les Canadiens déclarèrent avoir également été contaminés deux jours plus tard, suivi par l’Argentine et le Mexique, les esprits se calmèrent et le soutien des différentes communautés mondiales fit taire les mauvaises langues pour de bon. - 113 - Hoover provoqua en fin de journée une ultime réunion. Il donna à chacun des participants une liste très précise d’individus à contrôler, et demanda un rapport d’investigation pour le lendemain midi. Des fax furent envoyés un peu partout dans le monde ; les bonnes vieilles télécopies qu’on croyait enterrées par la messagerie électronique avaient encore de beaux restes. Chaque groupe d’enquêteurs avait été assigné à une entreprise bien particulière et devait effectuer des recherches sur leurs différents employés. L’industrie informatique mondiale allait passer à la moulinette, du simple programmeur à l’ingénieur système, en passant par le patron de start-up au président de multinationale. Parmi le lot conséquent de personnes, une infime partie seulement posa des problèmes aux agents fédéraux, dont un en particulier, un certain Harold Hutchinson qui semblait avoir disparu de la circulation. Originaire d’Allemagne, cet homme avait travaillé pour une très grande firme de développement de logiciels aux États-Unis pendant près de vingt ans. L’enquêteur qui avait la charge de cette firme n’avait rien vu de particulier dans le dossier de cet ingénieur, hormis le fait qu’il avait quitté son entreprise du jour au lendemain sans laisser aucune trace. Les départs de personnel dans ce genre de sociétés étaient monnaie courante, car la concurrence était rude. Pourtant, rien n’indiquait dans ce cas précis que Hutchinson avait été débauché, ou s’était mis à son compte. Il fut donc classé parmi les personnes à rechercher en priorité. C’est à Sarah et Don que fut confiée cette mission. Les deux compères commencèrent leur investigation avec un optimisme très relatif. Les quelques heures passées à Washington leur avaient apporté déception sur déception. L’enquête piétinait malgré les moyens déployés, et ils ne voyaient pas comment la faire avancer. Le contact avec d’autres agents chevronnés avait pourtant installé une ferveur bénéfique dans le groupe, mais les jours s’égrenant sans aucun résultat probant dégradaient le moral des troupes. Don fit appel à un interprète allemand pour tenter de retrouver la trace de ce monsieur Hutchinson. Sarah avait commencé à établir le parcours de l’homme depuis son arrivée aux États-Unis. Harold Hutchinson avait débarqué sur le nouveau continent à la fin des années quatre-vingt, juste après avoir décroché son diplôme d’ingénieur en informatique. Les différents projets qu’il avait développés durant ses études ayant été remarqués par de nombreuses sociétés, il n’avait eu que l’embarras du choix quant à son avenir. Il avait fini par choisir - 114 - l’Amérique, espérant secrètement voir son rêve se concrétiser. Embauché dans la principale firme de développement de logiciels, il avait gravi les échelons très rapidement. Il occupait un poste clé avant de quitter cette société. En feuilletant son état civil, Sarah découvrit pourquoi il avait abandonné ses fonctions du jour au lendemain : le décès de sa femme et sa fille. Noté en congé à durée indéterminée par son employeur pendant plusieurs mois, il avait fini par être licencié. Sa maison avait été vendue au même moment et ses comptes bancaires fermés quelques jours plus tard. L’homme avait purement et simplement disparu. Don reçu très peu d’informations dans un premier temps. Les services de police allemande lui ayant fourni que des banalités administratives classiques, il s’était rabattu sur la mairie de sa ville natale. Bon an mal an, il finit par retrouver sa trace à l’aide d’un ami de sa famille. Il lui avait raconté qu’Harold Hutchinson était réapparu pour le mariage de sa jeune sœur. La piste étant trop belle pour la laisser échapper, il demanda un coup de pouce aux autorités locales, qui lui rapportèrent qu’aux dernières nouvelles, il avait quitté le pays pour s’installer quelque part en Suisse. Dans les locaux de la NASA, Kevin Klein et Anthony Alessandro avaient brillamment rempli leurs fonctions. Le programme spatial avait été remis sur les rails beaucoup plus vite que ce qu’ils avaient cru. Le virus informatique n’ayant pas produit le résultat escompté par son auteur, les deux informaticiens avaient réussi à éliminer toute trace de leur réseau interne. Des précautions spécifiques avaient été prises et tout était rentré dans l’ordre. Tony en avait profité pour demander quelques journées de congé qu’il pensait avoir amplement méritées. Kevin lui aussi aurait aimé décompresser après ces jours de tension extrême, mais le directeur Johnson avait préféré miser sur la plus grande prudence et désirait voir ses effectifs pleinement opérationnels jusqu’au prochain lancement de navette, prévu deux semaines plus tard. Le rythme de travail avait repris de plus belle à l’agence, et les deux informaticiens retrouvaient doucement le calme et la sérénité d’avant. Le centre spatial fourmillait d’allées et venues dans les différents secteurs d’activité. Les hommes et femmes se démenaient, car le retard occasionné par ce contretemps devait être réduit au maximum. Kevin restait malgré tout extrêmement perplexe au sujet de ce virus. L’étude - 115 - approfondie ne lui avait rien appris de nouveau, ce qui l’irritait au plus haut point. Aucun code informatique ne lui avait résisté jusqu’alors. Le manque de temps était son seul ennemi. Pourtant, dans ce cas précis, il séchait littéralement. Le code binaire lui paraissait trop simple et trop répétitif pour pouvoir faire ce qu’il avait constaté de ses propres yeux. Il sentait qu’une chose lui échappait sans en comprendre la raison. Tony avait tenté de le rassurer, en lui disant de laisser couler, que ce n’était finalement pas si important de connaître le fin mot de l’histoire, mais rien n’y faisait. Son amour propre et sa fierté en pâtissaient. Plongé dans ses pensées, Kevin fut soudainement ramené à la réalité par la sonnerie de son téléphone portable. - Allo ! - Bonjour monsieur Klein, ici Sarah Spader du FBI. Comment allezvous ? - Bien, reprit Kevin surpris par cet appel et cette question quelque peu familière dans la bouche d’un agent gouvernemental. - Je vous contacte, car nous avons besoin de vos conseils en tant qu’expert en informatique. Nous aimerions que vous nous accompagniez demain matin. Nous avons de bonnes raisons de penser que nous avons déniché l’auteur du virus. La flatterie avait fait son effet sur Kevin qui voyait en cette demande la chance de connaître enfin le dénouement de cette histoire. « L’expert en informatique » qu’il laissait transparaître aux yeux du FBI et surtout de la charmante Sarah Spader venait de lui redonner du baume au cœur. Il hésita pour la forme, en faisant comprendre que cette proposition devait tout d’abord être approuvée par son directeur, mais donna son accord de principe si toutes les conditions étaient remplies. - Ne vous en faites pas, monsieur Johnson est déjà au courant et nous a accordé votre détachement auprès de nos services. Nous passerons vous chercher demain matin, et penser à prendre quelques affaires de rechange, car nous ne reviendrons peut-être pas le soir même, mais plus certainement le lendemain dans la matinée. - Très bien, fit Kevin qui s’en trouvait d’autant plus intrigué. - Et une dernière chose monsieur Klein, n’oubliez pas votre passeport. - Mon passeport, mais où diable voulez vous m’emmener ? - Je ne peux rien vous dire de plus aujourd’hui pour ne pas compromettre notre mission. Je vous saurais gré de ne pas en parler, même à vos collègues, amis ou familles. Bonne fin de journée. - 116 - - OK, à demain lâcha-t-il finalement l’esprit embrouillé par tant de cachotteries. En réalité, Jack Johnson avait piqué une grosse colère lorsque son ami d’enfance, le directeur du FBI Francis Fitzgerald, lui avait littéralement ordonné de lui laisser son meilleur informaticien pour quelques jours. La discussion avait tourné court quand il avait appris que l’ordre venait de Très-Haut, et qu’aucun d’entre eux n’avait la possibilité de décliner cette demande. Ce que Fitzgerald ne savait pas, c’était que Herbert Hoover avait fait appuyer sa requête par le président des États-Unis en personne, pour être sûr que l’affaire aboutisse dans les plus brefs délais. - Est-ce que j’ai bien compris, demanda Tony à son collègue ? Je n’ai pas le droit de prendre quelques jours de congé après tout ce qu’on vient de vivre et vous, vous partez en voyage ? - Ce n’est pas aussi simple que ça, mon garçon. Je ne pars pas en voyage, je suis convoqué par le FBI, il y a une très grosse différence. - Vous avez des choses à vous reprochez ou quoi ? - Mais non, enfin ! Et puis, je pense avoir assez donné dans ma jeunesse. D’après ce que j’ai compris, ils ont demandé mon assistance pour leur affaire en cours… mais je ne sais rien de plus. - Et vous partez pour combien de temps ? - Je n’en sais strictement rien, mentit Kevin qui ne voulait pas que l’interrogatoire dure trop longtemps. - Vous savez où vous allez au moins ? - Même si je le savais, je ne peux rien te dire. On m’a demandé la plus grande discrétion. - Allons, chef, c’est moi, Tony ! Il regarda Kevin avec l’air le plus suppliant qu’il pouvait donner, mais voyant que la manœuvre ne fonctionnait pas, il reprit : - Et comment se fait-il que le FBI ne m’ait pas demandé de venir pour vous accompagner ? - Il faudra que tu leur poses la question toi-même. - Pourtant, je pensais que j’avais un bon feeling avec l’agent Spader. Il rangea quelques papiers, pianota sur son clavier d’ordinateur avant de reprendre : - Vous penserez à moi au moins ! - Je t’enverrai une carte postale, finit par répondre Kevin sur un ton claquant. - 117 - Les jérémiades de son jeune collègue commençaient à l’excéder. Tony était un garçon très sympathique, mais lorsqu’il se sentait délaissé, il devenait très collant ! CHAPITRE 28 Le lendemain matin, juste après le lever du soleil, Sarah et Don passèrent chercher Kevin à son domicile. Sur le chemin qui les conduisait à l’aéroport, la conversation fut réduite au minimum. Chacun essayait de se réveiller doucement, mais le bruit sourd du véhicule, associé à la radio diffusant les informations du jour sur un ton monocorde, laissait les occupants dans une torpeur brumeuse. Don, assis du côté passager, commençait à ronfler joyeusement lorsque la voiture s’immobilisa devant un hangar privé du complexe aéroportuaire Georges Bush. Herbert Hoover, ayant carte blanche pour cette affaire, avait bien prévu les choses, car l’avion les attendait, fin prêt pour le décollage. Le pilote et son copilote, tous les deux militaires de carrière avaient l’habitude de ce genre de mission « diplomatique » comme ils aiment les appeler. Accompagnées par deux hôtesses civiles, ces balades en jet étaient un véritable bonheur, comparé aux transports de troupes et de matériels qu’ils réalisaient en règle générale. Kevin fut agréablement surpris par la qualité du service. Pour des militaires, ils avaient mis les petits plats dans les grands : accueil des passagers, présentation de l’équipage, consignes de sécurité… Tout était fait pour que le voyage se passe dans les meilleures conditions. Un petit déjeuner avait même été prévu, ce qui permettrait aux trois acolytes d’appréhender la longue journée avec sérénité. - Maintenant que nous sommes à bord, pouvez-vous m’en dire un peu plus sur ce qui nous attend aujourd’hui ? demanda Kevin légèrement inquiet. - Je crois en effet que nous vous devons quelques explications, commença Sarah. Depuis notre dernière rencontre à la NASA, les choses ont beaucoup évolué. Je ne vous cacherai pas que durant la première phase de l’enquête, vous avez été un suspect potentiel, au vu de votre parcours quelque peu chaotique et de vos compétences dans le domaine qui nous intéresse. - 118 - - Ça fait toujours plaisir à entendre, marmonna Kevin. - J’en suis désolée, mais nous ne devions écarter aucune piste. - Et juste pour mon information personnelle, comment suis-je passé de suspect à… consultant ? finit-il par demander. - J’y viens, mais permettez-moi de reprendre l’histoire depuis le début, voulez-vous ? Au commencement de l’enquête, nous nous sommes restreints aux personnes déjà fichées ayant les compétences suffisantes pour programmer ce virus. Le fait que votre agence ait été la première à découvrir le problème nous a laissé un drôle d’arrière-goût. La coïncidence était trop évidente pour ne pas faire le lien avec vous. Je pense que vous le comprenez aisément. Nous avons donc enquêté sur un panel d’une quinzaine d’individus dans un premier temps. Un homme s’est naturellement retrouvé en tête de liste à cause des actions terroristes qu’il avait pu commettre dans le passé. Après des recherches plus compliquées que prévu, nous avons enfin réussi à mettre la main dessus. Malheureusement, l’interrogatoire a confirmé qu’il n’avait rien à voir avec tout ça. - Pour faire suite aux lettres anonymes, nous avons été détachés à Washington, lança Don. - En effet, poursuit Sarah. L’enquête a pris une nouvelle dimension à partir de ce moment-là. Comme vous avez dû le remarquer, l’opinion publique a joué un rôle non négligeable dans cette affaire. Les pressions de toute part ont obligé le gouvernement à mettre de nombreux agents sur cette enquête. Elle a d’ailleurs été confiée à un homme d’expérience, Monsieur Hoover. - Ce nom me dit quelque chose, reprit Kevin ! - Durant vos années passées à travailler pour le FBI, il en était le directeur. - « Travailler pour le FBI ! », vous avez une jolie façon d’appeler les choses... agent Spader. - Appeler moi Sarah, voulez-vous ? - À condition que vous m’appeliez Kevin. - Ce sera « agent Dalton » pour moi, lança Don avant d’éclater de rire en voyant ses deux camarades le regarder d’un air curieux. - Je disais donc, reprit Sarah, qu’à la suite de ça, l’équipe de Monsieur Hoover a épluché en détail les dossiers de plusieurs milliers de personnes, du simple étudiant en informatique, au président de multinationale, en passant par les techniciens et autres ingénieurs. Tout - 119 - ce petit monde a été contrôlé, les antécédents, relations, impôts, compte bancaire, absolument tout ce qui est susceptible de nous intéresser. - Plusieurs jours de paperasses pour arriver à une poignée de candidats, murmura Don. - Effectivement, nous avons réussi à circonscrire le cercle des pirates potentiels à quatre individus. Pour éviter toute fuite ou débâcle, les hauts responsables ont décidé de planifier les interventions à la même heure GMT. C’est d’ailleurs pour cela que nous sommes partis de bonne heure ce matin, car nous allons interpeller le suspect le plus prometteur. Il habite en Suisse. - En Suisse ! s’exclama Kevin. Il fait quel temps là-bas actuellement ? - Ne vous inquiétez pas de la météo, nous n’aurons pas le loisir de faire du tourisme. - En effet Don, reprit Sarah. Notre mission est très précise. Nous devons intercepter l’homme à 16 h heure locale, ceci le plus sereinement possible pour vous permettre de contrôler les installations informatiques en place. Les trois autres équipes ont les mêmes consignes. Si nous nous sommes trompés et que votre présence est requise sur un des trois autres sites, cet avion est à votre disposition. - Et où sont les autres groupes ? demanda Kevin. - La première équipe est aux États-Unis, à New York pour être précis, la seconde à Montréal au Canada et la troisième à Londres en Angleterre. Nous, nous allons à Lausanne, du moins dans la campagne avoisinante. - Qu’est ce que vous pouvez me dire sur l’homme que nous devons rencontrer ? - Vous le connaissez peut-être sous le nom d’Henri Durand, le président de la fondation « Avenir Propre »… - Quoi ??? Henri Durand ? Vous parlez que je le connais. Je l’ai même rencontré lors d’une de ces conférences. C’est incroyable tout de même, vous ne pensez pas sérieusement qu’il est dans le coup ? - Et comment ! lança Don. Notre bonhomme s’appelle en réalité Harold Hutchinson, émigré d’Allemagne aux États-Unis où il a fait une carrière en tant que concepteur de logiciels. - Un système d’exploitation, pour être tout à fait correct, reprit Sarah. Il est un de ceux qui ont développé l’antique DOS, utilisé chez IBM au début des années quatre-vingts. Il a, par la suite, travaillé sur différents projets qui ont véritablement changé la face du monde, en proposant des outils toujours plus fiables, plus puissants et plus intuitifs. - 120 - - Il y a quelques années, il a tout plaqué du jour au lendemain et a littéralement disparu de la surface de la Terre. Nous avons réussi à faire le lien avec Durand seulement hier, c’est vous dire. - Nous avons découvert, reprit Sarah, qu’à la suite d’un accident de voiture où il a perdu sa femme et sa fille, il a fait une grosse dépression. Il réapparait quelques mois plus tard sous un nom d’emprunt, qui n’était en fait que le nom de jeune fille de sa femme, une Française émigrée comme lui aux États-Unis. Pour son nouveau prénom « Henri », on suppose que ça faisait plus « français » qu’Harold. - Il y a peut-être une autre explication, lança Don. La fondation qu’il a créée était à l’origine basée à Paris. S’il avait pris un nom étranger, les Français ne l’auraient sûrement pas accueilli aussi chaleureusement. Son succès vient avant tout de cette époque. C’est seulement après avoir réussi quelques coups médiatiques qu’on a commencé à en entendre parler hors de l’Europe. Par la suite, un conglomérat de riches partenaires répartis sur toute la planète a allègrement permis l’expansion qu’on connait. D’ailleurs, j’ai lu dans son dossier que Hutchinson, enfin je devrais dire Durand, n’avait plus de pouvoir décisionnaire. En gros, il est devenu une sorte de pantin ! - Excusez-moi si je pose une question idiote, renchérit Kevin, mais comment s’est-il transformé en ennemi public numéro un aux yeux du FBI ? - Parce qu’il a la gueule de l’emploi, gloussa Don, le sourire en coin. - Lorsque nous avons retrouvé sa trace en Allemagne, continua Sarah, il n’avait rien du suspect idéal. Les recherches faites par les autorités locales nous ont permis de le pister jusqu’en Suisse où il vit actuellement. Depuis hier midi, une surveillance discrète a été mise en place. Nous avons capté une transmission téléphonique qui nous laisse penser qu’il est loin d’être blanc comme neige. À ce moment-là, le petit déjeuner fut servi. Les trois compères en profitèrent pour se rassasier. Sarah indiqua à Kevin comment la journée allait se dérouler, puis chacun d’entre eux exploita les quelques heures d’avion restantes avant l’atterrissage pour se reposer. - 121 - CHAPITRE 29 À l’atterrissage, une équipe locale attendait Sarah, Don et Kevin. Ils furent conduits jusqu’au quartier général où un briefing fut donné. Les photos de surveillance de l’entrée du parc où habitait Durand étaient étalées sur une table, ainsi que des vues satellite de l’endroit. Le dossier complet de l’homme fut présenté, agrémenté d’un portrait qui venait d’être pris au téléobjectif quelques heures plus tôt. Henri Durand, comme à son habitude, avait eu la mauvaise idée de faire un tour d’inspection de son lieu de vie. Au même instant, à Londres, Montréal et New York, les trois autres unités d’assaut tenaient une réunion similaire. Vers quatorze heures, heure locale à Lausanne, les quatre équipes furent mises en relation avec Herbert Hoover, qui allait superviser les arrestations depuis Washington. Il donna une nouvelle fois les consignes à respecter. Il voulait que cette action soit menée avec un professionnalisme sans faille. La priorité était d’attraper chacun des « clients » sain et sauf. Les interrogatoires qui suivraient étaient absolument primordiaux pour l’avancement de l’enquête. La vidéoconférence terminée, il ne restait plus qu’une heure aux agents de terrain pour se mettre en place sur leurs sites respectifs. Des guetteurs étaient postés en observation pour s’assurer que les personnes à interpeller étaient bien chez elle, et que rien ne viendrait perturber les arrestations. La tension montait au fur et à mesure que l’heure H approchait. Soudain, un agent fédéral glissa un mot à l’oreille d’Herbert Hoover. - Merde ! jura-t-il. Appelez-moi l’équipe de Londres. - Monsieur le Directeur, j’ai le chef d’équipe en ligne. - Agent Smith, ici Hoover. On m’informe que votre client a de la visite. D’après les agents en place, deux personnes viennent d’arriver chez lui, un homme et une femme. - C’est exact monsieur, ils sont entrés il y a moins de deux minutes. Quels sont les ordres ? - Mettez-vous en position pour le moment et ne bougez pas. Je vous indiquerai la marche à suivre lorsque nous aurons établi une nouvelle stratégie. « C’était trop beau pour être vrai », pensa Hoover. Jusque-là, tout s’était déroulé comme prévu. Les quatre hommes à interpeller étaient chez - 122 - eux. Ils étaient seuls : le scénario idéal en somme. Cette arrivée impromptue risquait de compliquer les choses. - Heu ! Monsieur ! - Qu’y a-t-il encore ? grogna Hoover. - New York a également un problème, je vous passe l’équipe sur place. - Ici Hoover, qu’y a-t-il de votre côté ? - Monsieur, nous avons un sérieux problème ici. Notre homme vient de sortir de chez lui. - Quoi ??? Ne me dites pas que vous l’avez laissé filer ! - Bien sûr que non Monsieur. Pour le moment, il discute avec un voisin sur le palier de sa porte d’entrée. - Écoutez-moi bien, cette mission est primordiale. Vous allez le suivre sans vous faire repérer jusqu’à ce que je vous donne le feu vert pour l’arrestation. - Bien reçu ! La pression venait de grimper en flèche et Hoover savait pertinemment que le stress, associé à la fatigue accumulée par bon nombres d’agents, risquait de faire capoter toute cette opération. Cette multitude de variables imprévisibles compliquait considérablement leur tâche. Sur les bords du lac Léman, l’équipe était désormais en place. La surveillance n’avait rien donné de particulier depuis le petit matin. Henri Durand était resté dans sa cabane toute la matinée, puis avait coupé du bois après le déjeuner. L’imagerie thermique fournie par les satellites montrait qu’il était seul. Quelques animaux traversaient de temps en temps le périmètre d’observation, mais rien ne venait perturber cette nature paisible, hormis les coups de hache de Durand. À Montréal, le suspect était dans son appartement, visiblement immobile. Il devait probablement dormir. Les minutes s’égrenaient doucement, mais sûrement. Hoover tentait de maîtriser son anxiété au mieux, mais il s’impatientait de lancer toute l’opération. Il savait que plus aucune modification du plan d’action n’était envisageable, pourtant il avait un mauvais pressentiment. Il respira profondément pour calmer ses angoisses, regarda la trotteuse de sa montre à aiguilles courir sous le cadran avant de s’asseoir. Plus que quelques minutes à patienter. À New York, l’homme continuait sa discussion avec son voisin, ils riaient fort et fumaient cigarette sur cigarette. L’équipe de surveillance retrouvait un semblant de sérénité en voyant ce spectacle, car leur client - 123 - n’avait pas forcément l’intention de partir plus loin. Ce sentiment s’accentua fortement lorsque des gamins du quartier se mirent à jouer au basket-ball dans la ruelle déserte, sous les yeux amusés des deux spectateurs qui commentaient allègrement les exploits des jeunes prodiges. L’équipe de Londres eut beaucoup plus de difficulté. Les deux visiteurs ne restèrent que quelques minutes chez l’homme, avant de repartir d’où ils étaient venus. Quelques minutes plus tard, le suspect sortit de son immeuble en poussant un vélo. Hoover fut aussitôt averti et ordonna une filature discrète. En plein après-midi, la circulation restait suffisamment fluide pour que les différents véhicules de l’équipe d’intervention puissent suivre le cycliste sans se faire repérer. Après quelques minutes, l’homme s’arrêta près d’un supermarché de quartier, attacha sa bicyclette à un lampadaire et entra dans le magasin. Deux agents en civil le filèrent discrètement pour éviter toute surprise, comme une tentative de fuite par l’arrière de la boutique. Un périmètre de sécurité fut installé, en attendant l’ordre d’arrestation qui devait arriver d’une minute à l’autre. CHAPITRE 30 Henri Durand finissait de couper du bois lorsque son téléphone portable vibra dans sa poche. - Allo ! - Salut Henri, comment ça va chez toi ? - Pas mal pourquoi ? Y aurait-il des changements de plan depuis notre dernière conversation ? - Non, non ! Ne t’en fais pas, on doit toujours se rencontrer la semaine prochaine. Je t’appelle juste pour te prévenir de rester sur tes gardes. Je ne sais pas vraiment ce qui se passe, mais ici les choses bougent. J’ai l’impression que les fédéraux nous préparent une offensive. - Tu as des informations précises pour appuyer ce genre d’affirmation ? - En fait, c’est plus un sentiment qu’autre chose, mais j’ai réussi à décrypter des messages entre le FBI et les gouvernements de plusieurs pays étrangers, dont la Suisse. Cela me laisse penser que tu n’es peutêtre plus en sécurité. - 124 - - C’est impossible ! reprit Henri en avalant un juron. Personne ne me connaît dans la région ! - Tu sais, ici c’est la guerre ! Les autorités ont mis d’énormes moyens pour trouver les responsables de cette attaque informatique, et ça ne m’étonnerait pas qu’ils aient élargi leur recherche à tous ceux qui ont, un jour ou l’autre, eu un poste important dans la conception de logiciels. Je te conseille fortement de quitter ton petit nid douillet, au moins pendant quelques jours. - Je dois finir quelques tests avant de retourner en Amérique, mais si tu penses qu’il vaut mieux que je parte me mettre au vert, j’ai toujours une valise de prête au cas où ! J’ai avant tout quelques traces à nettoyer et j’abandonne les lieux dès ce soir. - Très bien, je te recontacte plus tard. Henri n’avait pas prévu de quitter si tôt sa tanière. Il voulait finaliser quelques expériences pour montrer à ses amis américains ce dont il était encore capable. C’était probablement sa dernière occasion de prouver ses compétences et recouvrer son statut d’antan. Pourtant, il prenait très au sérieux cet avertissement, car son contact était toujours parfaitement informé. Il connaissait un très bon hôtel à Lausanne où il avait séjourné à son arrivée dans la région. Il savait qu’à cette époque de l’année, il pouvait y aller sans réservation. Après une courte réflexion, la hache à la main, écoutant les bruits de la forêt, le regard perdu en direction de l’entrée du parc, il tenta de faire un point précis sur ce qu’il devait faire disparaître avant de partir. Certains programmes de son cru ne posaient aucun problème, il pouvait les effacer sans en faire de sauvegarde. Le cas échéant, il savait très facilement les récupérer ou même les reprogrammer. Par contre, le code source du virus était plus embêtant. D’une part, cela prouvait indéniablement qu’il était lié à cette histoire, car il était probablement le seul en Europe à avoir ce type de fichier en sa possession. D’autre part, une analyse précise de son installation informatique montrait sans l’ombre d’un doute son implication. D’un geste brusque, comme s’il revenait soudainement à la réalité, Henri balança sa hache contre le tas de bois fraîchement coupé, puis à grandes enjambées, se dirigea vers la cabane au fond du domaine. Il rassembla quelques outils, une caisse contenant un bric-à-brac de composants électroniques, de câbles et autres gadgets qu’il avait conservés. Dans un premier temps, il effectua quelques sauvegardes sur - 125 - des disques, en s’assurant d’activer un logiciel de cryptage leur conférant une confidentialité absolue, même si elles tombaient entre de mauvaises mains. Pendant cette phase, longue, mais indispensable, il commença à souder plusieurs éléments ensemble. Il n’aurait jamais pensé avant ce jour que son service militaire passé dans le génie civil lui serait utile. Pourtant, les cours sur les explosifs l’avaient marqué à jamais. Il était resté fasciné, mais également effrayé par la puissance de destruction d’une aussi petite chose qu’était une bombe. Dans la précipitation du moment, il se rendit compte qu’il n’avait absolument pas les matériaux nécessaires pour réaliser un tel engin. Il confectionna un simple détonateur et le plaça à un endroit stratégique. Il pouvait toujours faire exploser la citerne contenant le fuel domestique qui lui fournissait de l’électricité grâce à un groupe électrogène. Après quelques minutes passées à élaborer un système de mise à feu élémentaire, néanmoins efficace, il le mit en place avec une certaine appréhension. Il ne fallait pas qu’il se déclenche inopinément. Ses sauvegardes étant effectuées, il en profita pour supprimer toutes traces informatiques de ses activités illégales. Tout ce qui prouvait qu’il avait eu accès aux différents sites sensibles américains, européens et même asiatiques fut effacé irrémédiablement. L’espionnage industriel, même s’il ne le pratiquait pas pour nuire, pouvait à lui seul l’envoyer en prison pour de très longues années. Alors qu’il finissait son nettoyage numérique, une alarme retentit sur son téléphone portable. En ouvrant l’appareil pour visualiser le cadran d’affichage, il lut un message qui lui glaça le sang : « Alerte intrusion ! ». Se concentrant au maximum sur ce minuscule ordinateur de poche, il lança quelques commandes successives qui lui permirent d’obtenir un accès à ses caméras de surveillance, cachées dans les branchages des arbres du domaine. Il sélectionna celle installée à l’entrée du parc : rien d’anormal à première vue. En effectuant un panoramique lent, il constata une ombre en bordure du chemin qui lui sembla suspecte. Il tapota à plusieurs reprises sur une touche de son téléphone pour zoomer sur un point précis. Il fit faire un déplacement de droite à gauche à sa minicaméra motorisée. Il stoppa le mouvement en voyant au travers des feuilles des arbres un morceau de la plaque minéralogique d’un véhicule. La panique l’envahit aussitôt en reconnaissant l’immatriculation de la police suisse. - 126 - Il sentit soudain ses jambes fléchir, un frisson le traversa de la pointe des cheveux jusqu’aux orteils. Comment pouvait-il se retrouver dans une situation aussi inconcevable en si peu de temps ? Se ressaisissant, il frappa brutalement un champignon rouge à l’entrée de son blockhaus, ce qui eut pour effet de couper subitement l’électricité des lieux. En quelques enjambées rapides, il arriva au bas de l’escalier, en profita pour mettre en route le gadget qu’il venait de confectionner, puis sortit à l’air libre où il prit soin de camoufler au mieux l’accès de sa tanière. Après avoir étalé du pied de la terre au niveau du passage, il sortit en quatrième vitesse et monta dans son véhicule tout terrain. En mettant le contact, il jeta un œil sur l’écran de son téléphone. L’affichage montrait toujours l’image capturée par la caméra située à l’entrée du parc. Soudain, Henri vit la voiture avancer doucement, avec à son bord plusieurs hommes, dont un chauffeur portant l’uniforme de la police. Il essaya de réfléchir à la situation, mais sa lucidité lui faisait défaut en cet instant de stress intense. Il n’y avait qu’un seul moyen de quitter sa propriété et cette voiture lui barrait la route. En enclenchant la première vitesse pour démarrer, il vit un deuxième véhicule passé puis un troisième. Henri était piégé dans sa propre demeure. CHAPITRE 31 À 16 h, précise, heure de Greenwich, Hoover avait donné le feu vert aux quatre équipes. Les arrestations allaient débuter. Seulement, les ordres étaient très clairs : prendre les clients vivants, et surtout mettre la main sur le matériel informatique avant que les suspects n’aient le temps de détruire d’éventuelles preuves. Pour cela, la surprise était l’arme absolue ! À Montréal, les choses se déroulèrent sans problème majeur. Les policiers bénéficièrent d’une coïncidence extraordinaire. Ce matin-là, des agents des services d’électricité devaient inspecter l’immeuble dans lequel l’homme habitait. Lorsque leur camion s’arrêta devant la porte d’entrée, le responsable de l’équipe fédéral prit l’initiative de remplacer les agents de maintenance par deux de ses collaborateurs. L’illusion fut parfaite quand ils sonnèrent pour s’annoncer, avec la panoplie du parfait petit électricien à la ceinture et le révolver caché dans leur dos. - 127 - L’homme, encore endormi d’avoir passé une nuit entière les yeux rivés à ses écrans d’ordinateur, ouvrit après avoir jeté un œil au travers du judas. Il n’était nullement inquiet ou stressé par ce réveil matinal, car l’annonce de la visite du service d’entretien avait été faite quelques jours plus tôt. Après une vérification d’usage sur l’identité de la personne, les agents l’arrêtèrent dans le calme en lui récitant ses droits. En quelques minutes seulement, l’histoire était bouclée ! Le suspect fut maîtrisé et ses différents ordinateurs furent débranchés et emballés avec précaution pour être analysés par des experts. Quelques agents canadiens restèrent pour une fouille minutieuse de l’appartement, à la recherche d’indices pouvant aider les enquêteurs lors de l’interrogatoire. À New York, lorsque l’ordre d’arrestation fut lancé, l’approche discrète du client posa le plus gros problème aux fédéraux. D’un côté, six gamins jouaient au basket-ball sur un panneau de fortune. Le trois contre trois n’était pas très équitable, car les plus grands s’étaient rassemblés dans la même équipe. Seulement, les joueurs adverses faisaient preuve d’une vitalité et d’une adresse incroyable. Le score n’était pas clairement compté, mais aux yeux des deux spectateurs enthousiastes, il leur semblait bien que les « plus petits » tiraient nettement leur épingle du jeu. Fumant les cigarettes les unes à la suite des autres, le suspect n’aperçut pas les deux agents arrivant dans son dos, de l’autre côté de la ruelle. Il vit un homme passablement inoffensif se diriger dans sa direction, sur le trottoir opposé. Il avait une capuche sur la tête, les mains enfoncées dans ses poches de pantalon, et marchait à vive allure, le regard fixé sur ses chaussures pour ne pas attirer l’attention. Le petit meneur de jeu venait de récupérer le ballon, dribbla un puis deux joueurs adversaires dans un tour de passe-passe où l’objet fait de cuir semblait flotté dans les airs. Il effectua une passe à son camarade qui s’était démarqué. En deux pas-de-géant, il bondit vers le panier et marqua en poussant un cri de joie. Les deux spectateurs applaudirent en cœur devant la prouesse des jeunes sportifs. À ce moment précis, les trois agents se précipitèrent sur les deux hommes, braquant leur revolver discrètement pour calmer toute tentative de leur part. La surprise fut totale, le suspect visiblement habitué à ce genre de spectacle leva les mains aussitôt, tandis que son compagnon en fit tomber sa cigarette, à force de rester la bouche ouverte de stupeur ! Il voulut se défendre en demandant pourquoi on l’arrêtait, mais les forces - 128 - de l’ordre arrivées à la rescousse le prirent à part pour l’emmener dans une fourgonnette qui déboula à pleine vitesse. Quelques crissements de pneus plus tard, l’affaire était faite. Le voisin fut rapidement interrogé puis relâché, n’intéressant aucunement les enquêteurs. L’homme suspecté dans cette affaire eut droit à une visite des locaux du FBI, où il allait subir un interrogatoire en règle. Le spécialiste en informatique détaché auprès de cette équipe eut tout le loisir d’analyser le matériel récupéré dans son appartement. Au même instant en Suisse, les agents passèrent prudemment l’entrée du parc où vivait Harold Hutchinson, alias Henri Durand. Le chemin de terre était relativement étroit, bordé de chênes et de sapins. L’herbe ne poussait plus depuis longtemps par manque de clarté, mais surtout à cause des épines recouvrant le sol une bonne partie de l’année. Les uns à la suite des autres, les véhicules avançaient le plus discrètement possible. La route de terre montait légèrement sur toute cette partie et finissait sur une butte où la cabane d’Henri avait été construite. Une bande de gravillons avait été aménagée devant la maison de fortune, permettant aux voitures de faire demi-tour. Don, qui était en tête du convoi, ordonna à ces poursuivants de rester en retrait. Sarah, Kevin et lui, allait tenter une approche furtive dans un premier temps. Ils se feraient passer pour des touristes à la recherche de verdure le cas échéant, tout en s’assurant de masquer au mieux leur tenue tatouée d’un « FBI » dans le dos. Don gara son véhicule devant la cabane. Sarah demanda à Kevin de ne pas bouger avant qu’elle lui donne son accord. Elle vérifia son revolver, l’arma et mit la sécurité. Don en fit de même, d’un geste expert. Il regarda sa collègue, puis d’un signe de tête annonçant qu’il était prêt, il descendit de voiture en laissant sa portière ouverte. Ce geste anodin pourrait affirmer au propriétaire des lieux que ses visiteurs n’avaient pas l’intention de rester longtemps, et ainsi le rendre moins nerveux. Les deux agents montèrent les quelques marches en bois donnant à la terrasse. Sarah cogna trois coups contre le chambranle. - Aucun signe de vie là-dedans, lança Don en jetant un œil par une fenêtre. Il collait les mains sur la vitre pour éviter les faux jours et s’approcha au maximum. Personne à l’horizon ! - Où est-il passé cet animal ? jura Don en frappant comme un sourd sur la porte d’entrée qui refusait obstinément de s’ouvrir. - 129 - Sarah le regarda avec un signe interrogateur dans le regard. Les derniers relevés satellite avaient montré qu’il était encore là quelques minutes auparavant. Ils décidèrent d’inspecter l’arrière de la maison en passant chacun de leur côté. Au moment où ils descendaient de la terrasse, un véhicule surgit brusquement du fond du parc. La butte sur laquelle ils étaient perchés ne leur avait pas permis de la voir, ni de l’entendre arriver. Le puissant 4X4 les dépassa en trombe en soulevant un nuage de poussière. Sarah, mieux placée que Don, eut juste le temps d’apercevoir Henri Durand au volant. Le souffle coupé par la tournure que prenaient les choses, elle hurla dans son talkie-walkie. Elle ordonna aux agents restés en arrière d’arrêter le véhicule qui s’approchait d’eux. La surprise fut totale et aucun d’entre eux ne comprit ce qu’elle venait de leur crier, avant de voir pointer le bolide du suspect. CHAPITRE 32 Pour l’équipe de Londres, les choses n’évoluaient pas dans des conditions optimums. Lorsque Herbert Hoover avait donné le top départ, le suspect était dans un supermarché de quartier. Le responsable de mission avait décidé, vu l’infrastructure du bâtiment, qu’il était préférable d’attendre que l’homme sorte du magasin avant d’agir. Plusieurs agents contrôlaient l’entrée, deux autres avaient été se poster près de la zone de stockage de marchandises, à l’arrière du commerce. Quant à lui, il s’était faufilé entre les rayons avec une collègue, se faisant passer pour un couple venu faire quelques courses. Le suspect en avait pratiquement fini avec ses corvées et se rendit vers les caisses pour régler ses achats. Soudain, il se baissa pour refaire un lacet de chaussure. L’homme jeta un regard discret aux alentours et ne tarda pas à remarquer que quelque chose d’anormal était en train de se produire. Son habitude des lieux, associée à un grand sens de l’observation qu’il avait développé en même temps qu’une paranoïa légitime au vu de ses activités, lui permit de constater qu’une filature était en cours. Il vit aussitôt les agents en planque à l’entrée du magasin, et se douta que le couple qui venait d’entrer dans la boutique quelques minutes auparavant était vraiment trop indécis dans ses achats pour être de vrais clients. De plus, ils ne cessaient de regarder dans sa direction l’un après l’autre. - 130 - Pour avoir déjà connu les tribunaux à quelques reprises, l’homme avait appris à être méfiant envers son entourage, à tout moment. Ses délires avaient failli avoir raison de son intégrité mentale à une époque, ce qui lui avait permis d’éviter la prison pour des séjours en hôpital psychiatrique. À la suite de cette mésaventure, il était devenu très discret, et passait sa vie dans un monde virtuel où il avait un contrôle total sur les évènements. Cette réalité alternative hantée par des millions de joueurs connectés via Internet lui donnait l’occasion de s’épanouir dans un rôle beaucoup plus existant. Tandis qu’il était toujours accroupi à refaire un soi-disant lacet, incitant par la même occasion la curiosité des agents qui le surveillaient, il fit quelques pas maladroits pour se rapprocher de l’entrée. Lorsqu’un client entra enfin, il bondit comme un lion hors de sa cage. L’ouverture de la porte automatique lui permit de sortir du magasin avant même que le FBI ne s’en aperçoive. Prenant ses jambes à son cou, l’homme âgé d’une trentaine d’années surprit tout son monde. Il avait déjà plusieurs mètres d’avance au moment où les deux plantons restés devant le bâtiment réagirent. Le suspect sprinta sans se retourner pour demander son reste. Furieux de s’être fait avoir comme des bleus, le chef d’équipe et sa collègue lui emboîtèrent le pas, l’arme à la main. Regardant leur client s’enfuir à toute allure, il cria à ses subordonnés l’ordre d’engager la poursuite. Une course d’endurance urbaine venait de s’offrir à eux, et ils n’avaient pas le droit à l’échec. Un appel général fut lancé. Les agents qui gardaient l’arrière des lieux arrivèrent essoufflés en même temps que le premier véhicule. Le patron du groupe prit le volant. Le pied au plancher, il démarra en faisant fumer les pneus dans un crissement assourdissant. - Il n’a aucune chance de nous échapper, pensa-t-il à haute voix en maîtrisant un contre-braquage pour redresser son engin au croisement de la rue. Il rattrapa rapidement deux de ses subalternes qui s’étaient lancés dans le sprint de leur vie. L’homme était en vue, une cinquantaine de mètres devant eux. Il montrait une magnifique allure de sportif accompli ; la cadence était régulière et rapide, la tête haute, le regard alerte pour anticiper au maximum sa fuite. Au moment où le véhicule du FBI arriva à son niveau, il changea soudainement de direction et s’engagea dans une ruelle perpendiculaire à la rue principale. L’étroitesse du chemin qui s’ouvrait à lui obligea les fédéraux à descendre de voiture pour le regarder s’enfuir, impuissants. Le geste rageur, le chef de mission reprit - 131 - le volant, puis redémarra pour tenter de trouver une autre voie qui lui permettrait de le stopper. Le téléphone portable à l’oreille, il appela le soutien logistique pour obtenir un plan du quartier. Après avoir passé deux croisements de routes successifs, il tourna à gauche une première fois, ce qui le ramena à la parallèle de la ruelle. Au centre de contrôle, la tension était extrême et plusieurs techniciens s’activaient pour pouvoir se connecter au réseau de surveillance urbain. Lorsque la liaison fut enfin opérationnelle, l’opérateur appela les hommes sur le terrain pour les informer de l’emplacement exact du fugitif. Avec un visuel sur les rues londoniennes, le suspect n’avait plus aucune chance de leur échapper. Les véhicules gouvernementaux, après avoir suivi les indications de leur guide à la logistique, arrivèrent à nouveau à la hauteur du fuyard. Voyant que son avance fondait comme neige au soleil, il s’engagea sur une route beaucoup plus fréquentée qui ralentirait ses poursuivants motorisés. Il n’était aucunement essoufflé grâce à l’entrainement quotidien qu’il réalisait sur son vélo. À droite, une entrée de métro s’offrait à lui. Il s’y engouffra à pleine vitesse en esquivant les quelques piétons qui en sortaient. Les véhicules lancés à sa poursuite stoppèrent leur course juste devant l’arche indiquant l’accès au transport en commun souterrain. CHAPITRE 33 Henri Durand dépassa les véhicules de police, dans un nuage de poussière. Le chemin étant très étroit, le rétroviseur du côté passager vola en éclat au contact d’un arbre. Il braqua le volant de son engin tout terrain d’un coup sec pour en reprendre le contrôle. L’arrière chassait dangereusement, l’impact semblait inéluctable. Heureusement pour lui, sa voiture ayant un équipement à toute épreuve, il réussit à maîtriser la glissade en contre-braquant. Les agents restés en arrière pensèrent, à l’unanimité, qu’il venait d’avoir une chance peu commune. Un conducteur ordinaire serait sans aucun doute parti dans le décor ou se serait tout simplement fracassé contre un tronc d’arbre ! Une fois la surprise passée, tout le monde remonta en voiture. Seulement, un demi-tour était quasiment infaisable à cet endroit vu - 132 - l’étroitesse du chemin. Le chauffeur en tête de file décida de se rendre jusqu’à la cabane du fugitif pour rejoindre Sarah et Don, effectuer sa manœuvre pour repartir dans le bon sens. Don, qui comprit qu’une poursuite dangereuse allait avoir lieu, venait de demander à Kevin Klein de descendre et d’attendre leur retour. L’informaticien s’était résigné, malgré une pointe de contrariété d’être abandonné de la sorte. Le chauffeur présent dans la voiture de queue de peloton pensa qu’il serait plus facile pour lui de faire marche arrière jusqu’à l’entrée du parc. Don s’était lancé à la poursuite d’Henri à pleine vitesse. Il évita de justesse un carambolage avec ses collègues, se jurant qu’ils entendraient parler du pays s’il s’en sortait indemne. La poussière réduisant la visibilité au minimum, il serra à droite au maximum pour limiter les froissements de tôle. Tout se passa très vite, les rétroviseurs se frôlèrent, quelques feuilles des arbres plantés sur le côté furent décapitées, mais la carrosserie resta intacte. Seulement, lorsqu’il arriva à la hauteur de la dernière voiture, embrumé dans un nuage opaque, il faillit la percuter de plein fouet. Son conducteur, en pleine manœuvre, ne l’avait pas vu surgir devant lui. Il eut instant de panique en entendant le crissement des pneus sur la terre. Constatant qu’il bloquait le chemin plus qu’autre chose, il décida de se garer sur le côté en donnant un violent coup de volant. La roue arrière droite commença à perdre de l’adhérence, puis ce fut le tour de celle de devant. Finalement, sa voiture devenue incontrôlable finit par s’abimer contre un tronc d’arbre, qui n’en garda que très peu de traces contrairement à son assaillant mécanique. Les deux hommes, encore sonnés par le choc, virent Sarah et Don passer à côté d’eux. Leurs regards se croisèrent mutuellement. Don appuya sur l’accélérateur de plus belle en voyant qu’ils allaient bien malgré le coup qu’ils venaient d'encaisser. Il ne voulait pas se faire distancer par Henri Durand, qui avait déjà rejoint la route principale, et filait à pleine vitesse en direction du lac Léman. En approchant de l’entrée du parc, Sarah qui avait pris contact avec le centre des opérations de Washington lui indiqua la direction à suivre. Un satellite d’observation avait été réquisitionné spécialement pour cette opération. L’image thermique montrait clairement les différents véhicules engagés dans la poursuite. Don sut qu’il était sur la bonne voie lorsqu’il remarqua des traces de dérapages qui tournaient vers la gauche. - 133 - Durand avait dû avoir une belle frayeur, car son quatre-quatre avait méchamment frôlé le fossé en sortie de virage. - Deux cents mètres droit devant, annonça Sarah. - Ne t’inquiète pas, il n’est pas né celui qui me distancera, avait répondu Don, plus concentré que jamais. En retrait derrière eux, les autres agents arrivaient à toute allure. Hormis la voiture accidentée qui avait du mal à repartir, les autres restaient en liaison radio avec Sarah qui servait de guide pour toute la meute. Henri Durand, concentré dans sa conduite sur ces petites routes sinueuses, profita d’une portion rectiligne pour prendre son téléphone portable. Il pianota tant bien que mal sur quelques touches et obtint l’image de la première caméra de surveillance de son domaine. Il passa à la deuxième et ainsi de suite jusqu’à la dernière. Il remarqua, entre deux coups de volant pour rectifier sa direction, qu’un véhicule était resté sur place. Deux agents étaient sortis et remontaient le chemin jusqu’à sa cabane. Henri ne réfléchit pas plus longtemps. Sa retraite avait été découverte et il fallait qu’il détruise coûte que coûte toutes les preuves de son implication dans cette histoire de virus. Il pianota à nouveau sur son portable, puis valida une fonction qu’il venait de programmer quelques minutes plus tôt. Un signal fut envoyé à son ordinateur principal, caché dans le bunker souterrain au fond du parc. Le petit mécanisme rudimentaire qu’il avait installé juste avant sa fuite allait faire son œuvre. Un petit relais électrique se déclencha puis activa le fonctionnement d’un moteur. Sa rotation entraîna l’enroulement d’un fil de pêche. L’extrémité de ce filin était fixée à la gâchette d’un pistolet à clous. Lorsque la pression fut trop forte, un projectile fut expulsé du canon et vint transpercer le tuyau d’arrivée de la cuve à fuel. Le liquide commença à se répandre sur le sol, doucement, mais sûrement. La petite flaque grossissait chaque seconde et approchait dangereusement d’une prise. Quelques secondes suffirent pour que le gasoil vienne lécher l’installation électrique. La réaction en chaîne prévue par Henri eut lieu au-delà de ses espérances. Le court-circuit produisit une étincelle qui enflamma la mare qui s’écoulait à terre. Les flammes remontèrent en un clin d’œil jusqu’à la citerne enterrée, qui explosa en crachant une gigantesque boule de feu à plusieurs dizaines de mètres du sol. La cabane de jardin vola en éclat, projetant tout le bric-à-brac qu’elle contenait aux alentours. - 134 - Les deux agents restés sur place plongèrent pour se mettre à l’abri, en se protégeant la tête tant bien que mal avec les mains. À plus d’une centaine de mètres de l’explosion, ils ressentirent la vague de chaleur leur lécher le visage avec envie. Des morceaux de bois volèrent tout autour d’eux, accompagnés de quelques clous rouillés et autres projectiles assassins dans de telles circonstances. Lorsque l’accalmie fut enfin revenue, les fédéraux se relevèrent en constatant les dégâts occasionnés. Un des deux hommes remarqua juste derrière lui un pic de pioche planté dans un arbre. Sans ce réflexe instinctif qui l’avait fait se coucher au sol, il serait passé de vie à trépas. Il sentit un frisson d’horreur le parcourir en prenant conscience qu’il venait d’échapper à une mort certaine. Son estomac ne fit qu’un tour et une contraction éclair lui fit presque régurgiter son déjeuner. - Ça va ? Tu n’as rien, lui lança son collègue inquiet en le voyant affalé par terre, le visage extrêmement blême. - Rien de cassé, mais il faut que je m’assoie quelques secondes. - Tu l’as échappé belle mon ami ! Il avait à peine eu le temps de terminer sa phrase qu’il vit son compagnon se retourner pour vomir tripes et boyaux. - Ne t’inquiète pas, c’est normal la première fois. Quand tu te seras fait tirer dessus à de multiples reprises, et que tu sortiras indemne de ce genre de péripétie, ça deviendra la routine ! Le jeune agent reprit ses esprits puis se releva. C’est à ce moment-là qu’ils prirent conscience que Sarah criait dans la radio pour obtenir de leurs nouvelles. Au moment de l’explosion, tous les occupants des véhicules aux alentours sursautèrent en voyant cette boule de feu monter au-dessus de la forêt, accompagnée par un bruit assourdissant pourtant étouffé par les arbres. Sarah et Don furent pris d’une soudaine angoisse en réalisant que la catastrophe provenait du parc de Durand. Que s’était-il passé ? Mais surtout, les agents restés sur le terrain avaient-ils été touchés ? Et Kevin ? - Ici l’agent Smith ! - Smith, c’est Sarah ! Est-ce que l’explosion vient de chez vous ? Vous êtes blessés ? Et monsieur Klein ? Et… - Tout va bien ici, la rassura-t-il, mais on l’a échappé belle. Je ne sais pas ce qui s’est passé, nous remontions le chemin jusqu’à la cabane du - 135 - suspect pour rejoindre monsieur Klein lorsqu’une formidable explosion a eu lieu au fond du parc. Je l’aperçois d’ici et il ne semble pas avoir été touché. - Dès que c’est possible, je veux que vous alliez inspecter le sinistre, mais ne faites rien avant qu’on ne revienne. Tenez-moi informée de ce que vous verrez sur place. - Compris ! Je vais laisser quelques minutes à mon jeune collègue pour reprendre ses esprits et nous partons. CHAPITRE 34 - Bureau du directeur Johnson ! - Bonjour Madame, ici Barbara Brandenberger. Je cherchais à joindre monsieur Johnson. - Un instant s’il vous plaît, je vais voir s’il est disponible… La secrétaire mit son interlocutrice en attente quelques secondes puis reprit la communication. - Madame Brandenberger, je suis désolé, mais il est en réunion et je ne peux pas le déranger. - Ce n’est pas très grave, je le rappellerais plus tard. - Très bien, bonne journée. - Ah ! Euh ! S’il vous plait ! En fait, c’est quelqu’un de votre service informatique qui m’avait contacté pour une affaire urgente, alors peutêtre pourrais-je m’entretenir avec lui. - Je vais essayer de vous transférer vers le service, reprit la secrétaire du directeur, irritée de servir de standardiste de bas étage. - Tony Alessandro ! annonça le jeune homme. - Bonjour Monsieur, je suis Barbara Brandenderger. - Ah ! Oui ! Bonjour Madame. - J’ai fait quelques recherches sur votre virus informatique et j’aimerais vous rencontrer pour vous présenter mes résultats. - Ça serait avec plaisir. Seulement, mon responsable qui est Monsieur Klein n’est pas disponible actuellement. Pour être honnête, je préfèrerais qu’il soit là pour écouter ce que vous avez à nous dire. - Je comprends. En plus, si je me souviens bien de notre première conversation, il me semble que vous m’aviez dit qu’il était plutôt sceptique sur ce que je pourrais trouver. - 136 - - Effectivement, répliqua Tony content de voir que son interlocutrice avait un très bon souvenir de leur entretien téléphonique passé quelques jours plus auparavant. Mon chef n’a, comment dire ça en restant le plus courtois possible, disons qu’il a une très grande confiance en ses qualités d’informaticien et ne pense pas que vous pourriez nous apprendre quelque chose qu’on ne sache déjà ! - Il risque d’être surpris par ce que j’ai découvert, mais il faut que je vous le montre et vous explique tout cela de vive voix. - Très bien, dès qu’il sera de retour de voyage, je vous contacte pour fixer un rendez-vous. - Parfait ! Bonne journée Monsieur ! Tony raccrocha à son tour, en se demandant s’il n’avait pas fait une erreur. Une occasion de la sorte ne se représenterait peut-être pas avant longtemps. Si cette biologiste avait réellement trouvé quelque chose d’intéressant, cela pourrait lui servir dans son ascension au sein de la NASA. Il reprit le combiné, puis finalement se ravisa avant d’avoir fini de composer le numéro de sa correspondante. CHAPITRE 35 Herbert Hoover fulminait intérieurement ! Au centre des opérations de Washington, les différents écrans montraient des vues satellites des évènements de Londres et de la Suisse. À l’aide du réseau de surveillance mis en place dans les rues de la capitale anglaise, ils avaient réussi à voir la poursuite pratiquement dans son intégralité. La qualité de l’image n’était pas extraordinaire, mais couplée aux systèmes de communications des agents, il avait compris que les choses venaient de prendre une mauvaise tournure au moment où le fugitif avait franchi l’escalier donnant accès au métro. - Il entre dans le métro ! hurla-t-il. Basculer sur leur réseau de caméras. - Monsieur, il y a un problème. Nous n’avons pas accès à ce réseau. Il est sécurisé. - Même si vous devez le pirater, je veux avoir un visuel de cette station immédiatement ! - OK ! Je vais voir ce que je peux faire, reprit un technicien. Pianotant sur son clavier d’ordinateur aussi vite qu’il le pouvait, l’homme saisit une série de commandes déverrouillant les pare-feux - 137 - logiciels, puis lança des programmes de contournement de mot de passe. En quelques secondes, il était entré dans le système de vidéosurveillance des transports en commun londoniens. - Voilà, Monsieur ! Le suspect est là ! dit-il en montrant du doigt un personnage à l’écran qui courait parmi les quelques passagers attendant leur train. Je dois quand même vous prévenir que ce que je viens de faire est illégal… - Ne vous en faites pas mon garçon. Pour cette opération, j’ai carte blanche de la part du président des États-Unis. Si jamais on vous pose des questions, vous avez simplement exécuté mes ordres. Alors que le suspect descendait quatre à quatre les marches de l’escalier l’amenant à la station de métro, il avait jeté un coup d’œil rapide pardessus son épaule. Il constata que les voitures de police venaient de s’arrêter à quelques mètres de lui. Redoublant d’effort, il avait accéléré sa course tout en essayant de ne pas s’asphyxier et en évitant de justesse les passagers qui attendaient sur le quai. L’air pollué n’aidant pas, le souffle de plus en plus court, il ralentit quelques secondes pour réfléchir à ses différentes options. Ne voyant pas de train arriver de son côté de la voie, il tenta sa chance en coupant à travers les rails. Au moment où il sauta dans le tunnel, il aperçut les phares d’un métro l’éblouir au détour d’un virage. Il se figea un quart de seconde, comme un lapin prit dans l’éclairage d’une voiture. Des cris de stupeur fusèrent de tout côté. En trois enjambées, il passa sur la voie d’en face et se hissa maladroitement sur le quai, aidé par deux personnes qui pensaient sauver un pauvre homme du suicide. Le conducteur avait écrasé la commande de frein en voyant un individu sur les rails, élevant dans les airs un crissement suraigu d’une force inouïe. Le faux suicidé remercia ses deux bienfaiteurs du coup de main, puis se releva juste à temps pour voir arriver trois agents fédéraux de l’autre côté du quai. D’un geste rageur, le chef du groupe ordonna aux voitures de se rendre immédiatement à la station suivante, mais le bruit assourdissant du train en plein freinage lui ôta tout espoir de se faire comprendre. Lorsque le métro finit enfin par s’arrêter, les portes s’ouvrirent et une masse compacte de Londoniens se croisèrent. Le suspect réussit à se glisser incognito dans la rame. Après s’être assuré de n’avoir écrasé personne, le conducteur redémarra quelques secondes plus tard. Les agents restèrent plantés sur le quai d’en face, scrutant tant bien que mal les passagers qui s’éloignaient. Les deux sorties de cette station de métro furent - 138 - contrôlées sans succès. L’homme avait obligatoirement attrapé cette rame, car il n’y avait aucune autre issue. Plusieurs véhicules foncèrent à une centaine de mètres plus loin, faisant preuve d’une très grande imprudence. Les automobilistes qu’ils croisèrent n’avaient aucune alternative, ils devaient faire place nette devant cette armada de fou du volant. Ils arrivèrent justes avant que la trame ne rentre en gare. Durant les trois minutes qui s’étaient écoulées, un appel passé à un haut responsable de Scotland Yard donna aux policiers une chance supplémentaire d’arrêter le fugitif. Hoover avait fait jouer ses relations pour obtenir un arrêt des trains, au moment même où l’homme avait franchi l’entrée de la station. Son nom avait suffi pour qu’on lui offre la collaboration immédiatement des services de police londonienne. Mais pour des raisons de sécurité évidente, il fallait attendre que les voitures soient en gare pour les stopper. Lorsque le train concerné arriva à quai, le conducteur reçut l’ordre d’immobiliser son engin. En quelques secondes, une horde de policiers débarqua de nulle part, au milieu d’une foule médusée par cette nuée d’uniformes. Le contrôle d’identité de chaque passager ne donna rien de probant. Les différentes rames du métro subirent une fouille minutieuse sans succès. Le fugitif avait rempli sa mission haut la main : il avait disparu ! « Les accès étant limités, le suspect n’avait pas pu aller bien loin », pensa le chef de groupe. Pour lui, il était forcément dans le tunnel, caché quelque part en attendant que l’affaire se calme. Hoover ordonna aux agents et policiers sur site de fouiller de fond en comble les deux stations et de remonter le tunnel les reliant. Une battue urbaine se mit en place, avec l’aide des services de sécurité du métro et de maîtres chiens. Le tronçon était verrouillé de toute part, il était impossible d’y entrer et il fallait passer un contrôle d’identification pour pouvoir en sortir. Lorsque la foule de passagers fut enfin libérée, les deux gares ne contenaient plus que les forces de l’ordre. Deux groupes d’agents décidèrent d’explorer le tunnel, en partant chacun de leur côté pour se rejoindre au milieu. Balayant l’obscurité à l’aide de lampes-torche, ils scrutèrent le moindre recoin. L’atmosphère était humide et chaude. Les murs étaient recouverts d’une sorte de suie noire qui atténuait l’éclairage des lampes de poche. Après avoir marché pendant un demi-kilomètre, les deux équipes se rencontrèrent à mi-chemin, avec un sentiment - 139 - d’incompréhension. Le fugitif avait disparu, et personne ne comprenait comment il avait bien pu s’y prendre. Au moment où chacun d’entre eux faisait demi-tour, un agent remarqua au détour du faisceau de sa torche, des barreaux montant vers le plafond. Ceux-là étaient parfaitement identiques à ceux disposés tous les cent mètres, si ce n’est qu’ils paraissaient plus propres. Ces sorties de secours permettaient, lorsqu’une rame tombait en panne dans un tunnel, d’évacuer les passagers le plus rapidement possible. La plupart donnaient sur une bouche d’aération en pleine rue. Des traces indiquaient clairement que quelqu’un était passé par là récemment. Le chef d’équipe prit l’initiative de suivre cette piste, grimpa la vingtaine de barreaux avant d’arriver en haut de l’échelle, le nez collé à une plaque de fonte. Le mécanisme d’ouverture rudimentaire montrait les mêmes signes de passage. Le doute commençait doucement à s’évanouir dans les esprits, le suspect avait réussi à leur fausser compagnie. L’agent assura sa position et puis poussa de toutes ses forces la trappe vers le haut. D’ordinaire difficile à ouvrir, celle-ci vint beaucoup plus facilement que prévu, ce qui surprit le policier qui faillit tomber par le déséquilibre imprévu. Il s’agrippa in extremis du bout des doigts à un barreau, reprit son souffle puis refoula la bouche d’égout sur le côté. Il passa la tête à l’air libre, pour constater avec désappointement que le fugitif devait être bien loin. Quelques piétons s’approchèrent, curieux de voir cet individu sortir des entrailles de la Terre. Le centre de contrôle des opérations à Washington avait beau scruter les images provenant des caméras de surveillance de la ville, ils ne réussirent pas à retrouver la trace de leur suspect. Un visionnage ultérieur des enregistrements montrait l’homme s’extraire de la bouche d’aération, la remettre en place puis disparaître parmi la foule. La messe était dite ! CHAPITRE 36 Sur les bords du lac Léman, l’explosion provoquée par Henri Durand avait désorienté tout le monde. Henri lui-même avait sursauté au moment de la déflagration. Son ampleur particulièrement importante - 140 - s’était vue et entendue à plus d’une centaine de mètres. Du côté français du lac, plusieurs témoins avaient remarqué une boule de feu jaillir audessus de la forêt, suivie d’une colonne de fumée épaisse quelques secondes plus tard. Ce spectacle catastrophique ahurissant donna l’alerte parmi les volatiles de la région qui s’envolèrent de tous côtés. Après avoir pris contact avec ses deux collègues restés sur les lieux, Sarah sentit venir une angoisse profonde. Elle détestait percevoir cette sensation, mais ses efforts pour tenter de se contrôler furent vains. La conduite sportive, néanmoins prudente de Don accentuait d’autant plus son malaise. Le bruit de la déflagration lui avait fait resurgir de douloureux souvenirs. Au début de sa carrière, alors qu’elle était agent stagiaire de police, elle avait été confrontée à l’incendie d’un petit immeuble. Elle était présente pour aider les services de pompiers dans leur tâche. Un brasier s’était déclenché dans un appartement. Il avait pratiquement été maîtrisé par les soldats du feu lorsqu’une conduite de gaz s’était soudainement rompue. Une explosion destructrice provoqua l’effondrement du bâtiment. En moins d’une minute, la ville avait perdu plusieurs pompiers. La vue de ces hommes en feu, tentant de courir se mettre à l’abri en hurlant de douleur, l’avait marquée à jamais. Henri Durand avançait à vive allure dans son véhicule quatre roues motrices. Dérapant régulièrement sur le bas-côté de la route, il contrôlait son engin tant bien que mal, en évitant les voitures arrivant en face de lui et en doublant celles qui le retardaient. Les chemins sinueux longeant le lac Léman offraient un spectacle magnifique qu’aucun d’entre eux n’avait le temps d’admirer. Don, qui avait une solide expérience de pilotage, était concentré comme jamais dans ces circonstances périlleuses. Il anticipait au maximum, klaxonnant à tout va pour que les quelques véhicules présents lui dégagent la voie. Le gyrophare et la sirène en action, il se rapprochait un peu plus de Durand à chaque virage. Celui-ci, voyant qu’il perdait du terrain, prenait tous les risques. À de multiples reprises, sa voiture tout terrain le sauva d’une glissade aux fossés. Les pneus fortement crantés, prévus pour adhérer à la route quelle que soit la nature du revêtement, lui permettait de conserver la maîtrise de son engin sur la terre, l’herbe où les gravillons qui bordaient les voies. - 141 - Après deux virages serrés, que Don réussit à passer miraculeusement sans freiner ni déraper, les deux véhicules se retrouvèrent à quelques mètres l’un de l’autre. Sarah pouvait enfin distinguer l’homme au volant. Elle constata également qu’il était seul dans sa voiture, ce qui la rassura sur l’éventualité d’une arrestation musclée. Plusieurs questions la laissaient perplexe : pourquoi cet homme avait-il pris la fuite de la sorte ? Et surtout pourquoi avait-il fait exploser sa cabane, à moins que ce ne soit qu’un simple accident ? Sa conduite reflétait assurément un sentiment de culpabilité. Entre deux embardées, Sarah réussit à contacter le quartier général à Washington. Hoover et son équipe suivaient avec angoisse cette poursuite grâce aux images satellite. - Monsieur, nous sommes juste derrière notre suspect. - Nous avons le visuel, agent Spader. Je vous rappelle qu’il est impératif de le capturer vivant. - Nous faisons notre maximum, Monsieur. Avez-vous vu ce qui s’est passé sur le lieu d’habitation de Durand ? - Négatif ! Le satellite vous suit depuis le début. Qu’est-ce que nous avons loupé ? - Il y a eu une terrible explosion, mais ne vous inquiétez pas, j’ai réussi à avoir un de nos agents restés sur place. Ils vont bien. Aussitôt, Hoover ordonna un basculement de l’image sur le parc de Durand. L’affichage se stabilisa avec difficulté. - Que se passe-t-il ? demanda Hoover. - Nous sommes aux bonnes coordonnées, répondit le technicien, mais le sol est caché par ce qui semble être un nuage très dense. - Pouvez-vous basculer en mode thermique ? - Tout de suite, monsieur. L’écran affichait trois points lumineux en mouvement, représentant les deux agents et Kevin, qui avançaient vers une énorme masse blanche. Son diamètre était approximativement d’une trentaine de mètres. - Bon Dieu, murmura Hoover. Mais qu'est-ce qui s’est passé là-bas. - Il semble qu’il y ait une forte source de chaleur à cet endroit, reprit le technicien en montrant la tache claire. La température doit avoisiner les mille degrés Celsius au centre du foyer. Je ne vois qu’un incendie lié à du combustible pour générer une telle chaleur en pleine forêt ! - Vous ne croyez pas si bien dire mon garçon, continua Hoover qui était toujours en contact avec Sarah. Les agents sur place m’informent qu’il y a eu une explosion au fond du parc où habitait notre suspect. Agent - 142 - Spader, contactez les hommes qui sont restés sur le terrain et faites-moi un rapport le plus rapidement possible. En attendant, veuillez repositionner le satellite sur la poursuite, ordonna-t-il au technicien. Hoover donna ensuite des ordres pour l’équipe de Londres, qui avait perdu son client. Malgré ce demi-échec, il gardait la tête froide. Il demanda qu’une fouille complète et minutieuse de l’appartement du fugitif soit réalisée. Une surveillance plus active des membres de sa famille et une mise sur écoute serait leur priorité. Si l’homme réapparaissait quelque part, son compte était bon ! Lorsque le technicien recadra enfin le satellite sur la voiture de Durand, celui-ci zigzaguait allègrement entre les véhicules lui barrant la route. Au détour d’un virage sans arbre, Henri découvrit le lac Léman dans toute sa splendeur. Les reflets du soleil sur les eaux paisibles étaient un enchantement pour un touriste de passage, mais perturbèrent la vision des conducteurs en les éblouissant avec violence. Le faible vent provoquant une légère ondulation à la surface n’arrangeait rien. Les mille lumières au raz des flots semblaient vivre à l’unisson dans cette nature joueuse. Lorsque Durand découvrit ce spectacle, son regard fut irrémédiablement attiré par tant de beauté. Seulement, cette demiseconde lui coûta cher ! Son esprit commençait déjà à voyager parmi le Soleil et les étoiles quand son cerveau prit conscience d’une sortie de route imminente. Pendant cet instant d’égarement virtuel, son véhicule vint fleureter dangereusement avec le parapet. D’instinct, il donna un méchant coup de volant pour rétablir cette situation. Ce réflexe de survie lui permit d’éviter le contact direct du muret, mais l’arrière droit de sa voiture percuta violemment la pierre avant de le réexpédier au milieu de la chaussée. Le mur avait tenu bon, mais son 4x4 avait salement dégusté. Le côté passager avait subi l’agression de la roche. Sarah et Don voyant le coup se faire, avaient crié en cœur un « NON » de détresse, espérant par quelques forces obscures aider Durand à rétablir la situation. Lorsqu’il braqua pour reprendre le contrôle de sa trajectoire, Sarah retrouva son souffle après ces secondes de tension en apnée, tandis que Don pensa à l’attention du cascadeur amateur qu’il avait une veine de cocu ! Son pouls revenant à la normale, Sarah croisa furtivement le regard de son collègue. Sans avoir besoin de prononcer - 143 - un mot, elle savait ce qu’il avait en tête. Cette course-poursuite risquait de très mal finir si rien n’était fait pour arrêter le fugitif. Après avoir frappé le muret, le véhicule de Durand fut catapulté au milieu de la route, tel le rebond d’une boule de billard sur une bande. Le temps de reprendre le contrôle de son engin, Henri se retrouva face à un poids lourd. Don, qui savait anticiper les problèmes sur ce genre de poursuite, vit le camion bien avant Henri. Il lâcha un juron d’inquiétude en imaginant la suite des évènements. - Merde ! Il va se prendre le bahut s’il ne redresse pas ! Regarde devant toi ! cria-t-il dans l’espoir vain que Durand puisse l’entendre. Au détour d’un ultime virage, le chauffeur du poids lourd qui venait d’apercevoir le 4x4 en face de lui déclencha la corne de brume qui lui servait de klaxon. Voyant la voiture arrivée bien trop vite pour éviter un contact, il appuya sur la pédale de frein aussi fort que possible. Malheureusement, ce genre de semi-remorque ne s’arrêtant pas aussi facilement qu’un véhicule léger, l’arrière de la citerne commença à glisser sur le côté pour venir se mettre en travers de la chaussée. Henri sentit la panique l’envahir en réalisant dans quel guet-apens il venait de se fourrer. En face de lui, un camion lui barrait littéralement la route. Il roulait trop vite pour réussir à stopper sa voiture à temps. Entre la remarque en plein dérapage et le mur de protection, moins de deux mètres d’espace libre environ s’offraient à lui. L’étroit passage était malheureusement le seul disponible. De ce côté, le muret le séparait de la falaise donnant sur le lac, une quinzaine de mètres plus bas. De l’autre côté, la tête du camion frôlait dangereusement la paroi rocheuse pour dégager la voie au mieux. Henri Durand n’eut pas le temps de réfléchir, l’instinct prit le dessus, il braqua au maximum à droite pour tenter de passer entre l’arrière de la citerne qui continuait de glisser au travers de la route et le muret. L’espace n’était sans doute pas suffisant, mais c’était le seul endroit envisageable. Dans un instant d’extrême lucidité provoquée par une poussée d’adrénaline, il ajusta la tête de sa voiture au millimètre prêt dans l’intervalle disponible. L’aile déjà abîmée frotta à nouveau contre le mur. Don, qui avait ralenti en sentant venir la catastrophe, regarda Sarah paniquer. « Il va se tuer » eurent-ils à la bouche à l’unisson. Au centre des opérations, les personnes suivant avec inquiétude la scène sur leurs écrans eurent le même sentiment. À cette échelle, le passage était encore plus restreint. Le choc était inévitable. - 144 - Durand n’eut pas le temps de freiner, l’avant de sa voiture s’engouffra dans la brèche. Une gerbe d’étincelles jaillit au contact du mur. L’aile avant droite venait à nouveau de frotter contre la pierre. L’impact fut sévère, mais relativement raisonnable comparé à ce qui allait se passer. L’arrière du véhicule, qui était resté sur l’intérieur de la route, n’eut pas le même succès. Le coup de volant que Durand avait donné pour éviter la catastrophe, n’avait pas permis à son engin de se mettre parfaitement parallèle au parapet. L’aile gauche de son 4x4 percuta la citerne qui finit par se stopper dans un nuage de fumée. Le pot de fer eut raison du pot de terre. Ce second choc fut d’une extrême violence. La vitesse excessive associée à la force centrifuge réussit à soulever brutalement la voiture du sol au moment de l’impact. L’effet de rotation l’envoya glisser sur le haut du muret, avant de l’éjecter par-dessus le parapet. L’espace d’un instant, le 4x4 tourbillonna dans les airs comme suspendu par le temps. Il effectua deux tonneaux puis disparut de la vue des spectateurs tétanisés. Les deux secondes de sustentation dans le vide durèrent une éternité pour Henri Durand. La cabriole aérienne de son véhicule l’avait bien sonné, mais pas suffisamment pour lui faire perdre connaissance. Instinctivement, il avait fermé les yeux au moment où sa voiture avait basculé par-dessus le muret. À cet instant, une seule pensée était venue masquer l’effroyable réalité de la situation : sa femme et sa fille. À une période de sa vie où le courage lui manquait, il aurait apprécié cette situation lui permettant d’en finir pour retrouver les personnes qu’il aimait. Mais à ce moment précis, il avait le sentiment de ne pas avoir achevé son œuvre, et se surprit à ressentir un tel désir de vivre. Lorsque le véhicule tout terrain vint s’écraser avec force sur la surface de l’eau, le choc brutal lui fit perdre connaissance. Sa ceinture de sécurité lui avait évité d’être éjecté de l’habitacle, mais au moment de l’impact, sa tête joua les pushing-ball. Il se cogna violemment le front contre le volant puis la nuque contre l’appui-tête, ceci en une demi-seconde. L’évanouissement fut instantané. Cette catégorie de voitures relativement lourdes mit quelques secondes seulement à couler pour disparaître totalement sous les eaux bouillonnantes du lac. - 145 - CHAPITRE 37 Le chauffeur du poids lourd, après avoir appuyé sur la pédale de frein aussi fort qu’il le pût, réussit à stopper son engin en plein milieu de la route. Il avait eu la frayeur de sa vie, mais s’en sortait indemne. Une odeur de caoutchouc brûlé embaumait l’atmosphère. En voyant que sa citerne bloquait entièrement la voie, il enclencha une vitesse pour se garer plus convenablement sur le bas-côté. En face de lui, à une cinquantaine de mètres, Don s’était arrêté juste avant le virage. Il s’avança vers le lieu où Durand avait basculé dans le vide après avoir laissé le chauffeur du poids lourd immobiliser son engin. Sarah restait prostrée sur son siège, blême au possible, la gorge serrée et l’estomac complètement noué. Son expérience du terrain ne lui avait pas encore permis de surmonter les émotions extrêmes. Son cerveau désirait ardemment reprendre le contrôle, mais ses membres refusaient toutes actions. Don la regarda intensément avant de lui parler. - Sarah, ça va ? Tu n’as pas l’air très bien ! - Ça va, répondit-elle encore sous le choc. - Appelle les secours, je vais voir si je peux faire quelque chose. Don sortit de sa voiture sans refermer la portière, pensant qu’un peu d’air frais ferait du bien à sa coéquipière. Il jeta un coup d’œil vers le chauffeur du camion qui venait de descendre lui aussi de sa cabine, avant de s’élancer vers le muret où Durand avait basculé dans le vide. Les deux mains appuyées sur le haut de la pierre, il se pencha en avant pour embrasser la vue dans son ensemble, du pied de la falaise jusqu’à l’autre rive du lac. Quelques secondes plus tard, il lui aurait été impossible de savoir qu’un véhicule avait plongé dans ses eaux opaques. Hormis quelques remous encore visibles, plus rien n’indiquait l’endroit de l’impact. La voiture avait été totalement engloutie. Don s’arrêta une seconde pour réfléchir aux options qui s’offraient à lui : sauter pour tenter un sauvetage de fortune ou attendre les renforts. À cette époque de l’année, la température de l’eau ne lui aurait laissé que quelques secondes avant l’hypothermie. Et ne sachant pas à quelle profondeur s’était enfoncé le véhicule, l’aventure d’un plongeon d’une quinzaine de mètres ne le tentait pas plus que ça. Il retourna voir Sarah qui commençait à retrouver ses esprits. - Tu as réussi à avoir les secours ? - Oui, une ambulance arrive. - 146 - - Oh, j’ai bien peur que ça ne soit trop tard pour une ambulance. Il vaudrait mieux appeler les pompiers. Ils doivent sûrement avoir un service de sauvetage en mer dans cette région. - Que s’est-il passé là-bas ? demanda-t-elle en désignant du regard le point de chute de Durand. - Le lac est à une quinzaine de mètres en dessous du niveau de la route, et c’est visiblement assez profond à cet endroit. Si Durand ne s’est pas tué lors du choc contre le camion, il s’est noyé à coup sûr. - Tu sais qu’une personne peut rester en hypothermie pendant plusieurs minutes, il est peut-être toujours vivant, coincé là-dessous ! - C’est une éventualité, mais en attendant, je ne vais pas me jeter à la flotte pour tenter de repêcher un cadavre. Les secours arrivent, ils ont l’équipement nécessaire pour ce genre de sauvetage. Un instant plus tard, le regard vide essayant désespérément de revenir à la réalité, il ajouta comme pour lui-même : - Il faut que je sécurise tout ce merdier. Pendant ce temps, les autres agents venaient de les rejoindre. Don lança ses ordres avec autorité. Il était impératif d’éviter un nouvel accident. À plusieurs kilomètres au dessus de leurs têtes, le satellite de surveillance n’en loupait pas une miette. Les personnes présentes au centre de contrôle étaient encore sous le choc. Vu au travers d’un écran de télévision, l’accident pouvait être confondu avec un simple divertissement télévisuel ou cinématographique. Seulement les enjeux et les conséquences de celui-ci faisaient que l’ambiance globale était extrêmement tendue. Hoover lui-même s’était affalé de tout sous poids sur sa chaise. L’extrême tension qu’il avait sur les épaules depuis quelques heures venant de s’évanouir d’un seul coup. L’abattement avait eu raison de cet homme dynamique au moment où la voiture de Durand avait disparu dans les profondeurs du lac Léman. Comment une telle débâcle avait-elle bien pu survenir, alors que tout avait été parfaitement planifié depuis plusieurs jours ? L’inconcevable réalité leur avait joué un drôle de tour ! Il fallait absolument réagir dans l’instant pour freiner l’hémorragie. Il attrapa son micro-casque et appuya sur une des touches pré enregistrées. - Sarah ! - Oui monsieur, répondit-elle en reconnaissant la voix d’Herbert Hoover. - 147 - - Est-ce que vous allez bien ? - Choquée, mais ça va ! - Je vais vous demander d’être forte et prendre personnellement les choses en main. Il faut que vous supervisiez la remontée de l’épave du véhicule pour l’inspecter en détail. Je vais contacter les agents restés dans le parc de Durand pour qu’ils sécurisent les lieux en attendant que vous reveniez pour effectuer une fouille minutieuse du site. - Une équipe de secours est en route pour tenter de repêcher monsieur Durand. Cependant, le remorquage de sa voiture risque d’être beaucoup plus long, car il semble que le lac soit relativement profond à cet endroit. - Dans ces conditions, lorsque les plongeurs seront arrivés, demandezleur de récupérer tous les objets qu’ils trouveront pour réaliser une analyse rapide. Je vais prendre contact avec le médecin légiste de la région pour m’assurer qu’on puisse participer à l’autopsie. Ensuite, retournez chez Durand. - Parfait. Je vous laisse monsieur le directeur, car j’entends déjà les sirènes des pompiers. À plus tard. - Tenez-moi au courant de l’avancement des investigations, voulezvous ? Ils raccrochèrent simultanément, sans autre forme de politesse. Une cavalerie de véhicules de secours arrivait en contrebas. Sarah pouvait suivre les lumières des gyrophares serpenter la petite route qu’elle avait empruntée quelques minutes plus tôt. Des reflets rouge et bleu vacillant sur l’eau redevenue calme donnaient un peu de gaieté au lac. Plusieurs camions d’intervention arrivèrent, dans un assourdissant bruit de sirène deux tons. Très vite, le chef des pompiers fit un point précis de la situation avec Don qui était resté appuyé au muret. Il scrutait avec angoisse la surface du lac, à la recherche d’une quelconque activité pouvant montrer qu’Henri Durand était toujours en vie. CHAPITRE 38 À la suite du fiasco à Londres, Herbert Hoover avait donné des directives précises aux hommes sur place. Le suspect étant introuvable, il fallait d’urgence fouiller son appartement pour soit trouver des - 148 - preuves de son implication dans le projet, soit le disculper définitivement. Le chef d’équipe avait indiqué aux différents agents les opérations à effectuer. Deux d’entre eux continuaient la surveillance de la station de métro, aidés des services de la police locale. Deux autres devaient retourner au magasin de quartier pour questionner les employés et quelques clients sur l’homme en question. Toutes informations seraient bonnes à prendre. Quant au reste de l’équipe, ils s’étaient dirigés vers l’habitation du fugitif pour une perquisition en règle. Accompagné d’un expert en informatique, comme pour les différentes équipes aux États-Unis, Canada et Suisse, les investigations pouvaient avoir lieu plus sereinement, sans aucune pression liée à la destruction de preuves numériques. Seulement, l’explosion qui venait de se produire de l’autre côté de la Manche avait fortement ralenti l’élan des plus téméraires. Le responsable londonien voulait éviter une catastrophe en plein centre-ville. Il fallait sécuriser le bâtiment avant toute chose. Une équipe de déminage spécialement entraînée dans ce type de mission arriva en urgence. Un robot renifleur fut lancé à l’assaut de l’appartement du suspect. Malgré une lenteur d’action évidente pour ce genre d’engin, les caméras embarquées étaient d’une précision remarquable. Elles offraient à l’opérateur une vue des lieux en couleur. Un micro captait le moindre bruit extérieur et une batterie de capteurs détectait les traces d’explosifs présents dans l’air. Une fois l’entrée sécurisée, le robot fit une visite complète de l’appartement. Après avoir analysé les informations retournées par le chien mécanique, le technicien donna son aval pour la phase suivante. Tout semblait parfaitement normal, il n’y avait rien de particulier à signaler. L’endroit était propre, visiblement bien entretenu malgré une multitude incroyable de matériels informatiques entassés dans ce qui devait servir de salon. L’homme était un collectionneur acharné. Il avait emmagasiné de l’équipement de toutes les époques de l’informatique de loisir. De très vieilles consoles se partageaient la vedette avec les premiers PC familiaux. Dans un coin plus sombre était installé un bureau, sur lequel posait fièrement un écran plat de très grande taille, relié à un concentrateur permettant d’afficher au choix l’un des trois systèmes d’exploitation présents sur un Apple dernier cri, et deux PC haut de gamme. - 149 - Sur les deux PC tournaient des applications de décompilation de programmes, une routine servant à cracker des mots de passe, ainsi qu’une multitude de filtres anti-hacker les protégeant de toutes intrusions extérieures. L’ordinateur Apple était visiblement dédié au loisir. Son disque dur contenait une collection de films et de musiques impressionnantes. Un logiciel de montage vidéo était en train de compiler une vidéo amateur. Lorsque l’informaticien présent sur le site regarda plus en détail les plans qui défilaient, il comprit immédiatement pourquoi le suspect avait fui de la sorte. Non content d’être un hacker talentueux, le fugitif s’était diversifié pour devenir un escroc de grande envergure. Le film en question montrait un homme politique britannique dans une position bien délicate pour quelqu’un de son rang. Ses ébats amoureux avec une call-girl étaient sans équivoque. Le montage vidéo était minimaliste. Le traitement numérique floutait le visage de la demoiselle pour lui assurer l’anonymat, mais il était évident qu’il ne s’agissait en aucun cas de la femme du politicien. Après cette découverte pour le moins embarrassante, un mandat d’arrêt international fut établi envers le suspect, mais pour des motifs bien différents de ceux qui avaient conduit les enquêteurs chez lui. En plus d’escroquer les politiciens et hommes d’affaires influents, il exerçait une activité tout aussi répressive : le piratage de sites internet et de logiciels. Cependant, après une analyse rapide des lieux, rien n’indiquait sa quelconque implication dans la fabrication du fameux virus. L’appartement du fugitif eut droit à une fouille en règle. Tout ce qu’il pouvait contenir d’intéressant fut répertorié, étiqueté et emballé pour subir un examen ultérieur. Une fois les investigations effectuées, deux agents restèrent en surveillance au cas où le suspect pointerait le bout de son nez ; ce qui semblait très improbable dans l’immédiat. Mais comme il arrivait souvent que les esprits prétendus supérieurs fassent des erreurs idiotes, le chef d’équipe espérait un petit miracle pour compenser la débâcle de la journée. Sur les bords du lac Léman, deux plongeurs des sapeurs-pompiers s’étaient jetés à l’eau, avec comme directive de remonter le cadavre en priorité, ainsi que toutes les affaires présentes dans l’habitacle du véhicule. Leur première descente fut assez rapide, car la voiture n’était - 150 - qu’à une dizaine de mètres seulement sous la surface du lac. Malgré la noirceur ambiante à cette profondeur, le faisceau de leurs torches leur montra un corps inanimé sur le siège du conducteur, toujours attaché par sa ceinture de sécurité. La difficulté était de réussir à ouvrir une porte sans que les objets à l’intérieur de l’habitacle s’évanouissent dans les abysses. Après s’être énervé sur les poignées d’ouverture sans succès, l’un des deux plongeurs cassa une vitre avec un petit marteau métallique. L’eau envahit entièrement la voiture en chassant les dernières poches d’air qui étaient restées prisonnières sous la tôle. Le bouillonnement fut visible à la surface, indiquant aux spectateurs l’avancement des opérations. Le corps d’Henri Durand fut remonté au sec quelques minutes plus tard. Sarah qui venait de rejoindre son coéquipier observa avec attention l’homme étendu sur la civière de fortune. - L’autopsie le confirmera, mais j’ai l’impression que le bonhomme était mort avant d’atteindre le fond du lac, lança Don en scrutant attentivement le crâne du cadavre. Regarde les marques sur son front et sa nuque. Il a dû s’assommer et se faire le coup du lapin. - Oui, il a une sacrée entaille sur l’arcade sourcilière gauche, reprit Sarah. Le choc a dû être suffisamment violent pour lui faire perdre connaissance. Ensuite, il s’est sûrement cogné dans tous les sens pendant la série de tonneaux, juste avant que sa voiture ne plonge dans l’eau. - Regarde, lui lança Don qui était en train de fouiller les poches du mort. Je pense que ça peut être intéressant. Il venait de trouver le portefeuille d’Henri Durand, ainsi que des cartes de crédit au nom de sa fondation, quelques papiers et un trousseau de clés. En feuilletant les différents documents avec le plus grand soin, il remarqua qu’aucun n’était au nom d’Harold Hutchinson. - Il avait vraiment bien fait les choses lorsqu’il a changé d’identité. Tous ses papiers sont au nom d’Henri Durand, domicilié en Suisse. C’est à croire qu’Harold Hutchinson n’existe plus. Pas étonnant qu’on ait eu autant de mal à le retrouver. - La perte de sa famille l’avait tellement anéanti qu’il a fini par disparaître au profit d’une nouvelle vie, sans douleur ni chagrin, reprit Sarah sentant une grande tristesse l’envahir au regard du corps du - 151 - malheureux. Tu as vu son visage, on dirait qu’il a supporté toute la misère du monde. - Il est clair qu’il ne transpire pas la joie de vivre ! Les épreuves et le temps n’ont sans doute rien arrangé à l’affaire. Cela dit, ça ne nous explique en rien pourquoi il a fui de la sorte et pourquoi il a pris de tels risques pour nous échapper ! - J’ai le sentiment qu’il était préparé depuis des années à mourir, lâcha Sarah dans un profond soupir. Sans le vouloir réellement, sa conduite ressemble plus à celle d’un suicidaire qu’autre chose. - En attendant, la mission est un fiasco total ! Entre la mort d’Hutchinson et le fait qu’il a probablement fait disparaître toutes les preuves dans l’explosion de sa cabane, je me demande comment le chef va prendre la chose. - On ne peut plus rien faire pour lui, reprit Sarah. Maintenant, c’est au médecin légiste de faire le reste. Hoover m’a ordonné de superviser la fouille du parc où il vivait. Il vaut mieux ne pas traîner. Je ne voudrais pas voir nos dernières chances d’en savoir un peu plus s’évaporer dans les flammes. Don livra ses ultimes recommandations aux agents qui restaient sur place. La collecte des objets encore présents dans le véhicule était une priorité. Les plongeurs n’avaient pas pu examiner dans son intégralité l’intérieur de l’habitacle, à cause d’une visibilité réduite au fond des eaux opaques. Il n’espérait pas trouver une explication ou un remède au virus, mais ça valait le coup d’essayer. Il retourna à la voiture où Sarah l’attendait déjà. Elle venait de prendre des nouvelles des agents restés chez Durand, et de Kevin qui semblait s’impatienter après ces moments de frayeur. Smith lui annonça qu’ils avaient découvert une sorte de blockhaus situé sous le lieu de l’explosion, mais des gravats en empêchaient l’accès. Cette nouvelle redonna un peu d’espoir à Sarah, qui partagea immédiatement cette information avec son coéquipier. La route du retour parut étonnamment plus longue qu’à l’aller, la vitesse n’y étant pas étrangère. Sarah prit le temps de contempler la nature avoisinante offrant par endroits une vue magnifique sur le lac Léman. En d’autres occasions, elle aurait adoré faire du tourisme dans cette région montagneuse, dont le climat tempéré était propice à une végétation verdoyante. Elle se disait qu’en pleine saison, lorsqu’une chaleur douce envahit l’air et réchauffe l’eau, l’endroit devait être - 152 - paradisiaque. Le regard rêveur sur la route qui défilait au rythme des lacets, elle se souvenait de vacances passées sur les bords de différents lacs américains et canadiens. Les étés familiaux de son enfance restaient assurément les plus belles périodes de sa vie. La nostalgie du pays l’a prise soudainement, alors qu’elle n’en était partie que depuis quelques heures. Était-ce les émotions fortes qu’elle venait de subir qui insinuaient ce sentiment de morosité ? Ce dont elle était sûre, c’est qu’elle désirait rentrer chez elle au plus vite. - On arrive, lui lança Don d’un air joyeux. - Qu’on en finisse, marmonna-t-elle ! CHAPITRE 39 À Washington, les résultats des premières investigations commençaient à tomber. L’arrestation à Montréal n’avait rien apporté d’intéressant. Le suspect était effectivement un pirate informatique d’envergure international, avec quelques coups fumants à son actif, mais rien de probant dans l’affaire du virus. L’homme avait été interrogé par les agents sur place, tandis qu’une deuxième équipe fouillait de fond en comble son appartement. L’espoir d’y découvrir une preuve de son implication s’était amenuisé de minute en minute. Il avait du matériel de pointe, mais semblait passer le plus clair de son temps sur des messageries instantanées, des forums et autres groupes de discussion. La liste de ces contacts retrouvée sur l’un de ses appareils allait permettre le démantèlement d’un réseau de pirates informatiques qui n’avaient qu’un seul objectif : être les plus rapides à cracker les accès des sites sensibles, des jeux vidéo et programmes à peine commercialisés. C’était devenu une véritable guerre de suprématie, où la reconnaissance des concurrents importait plus que le piratage en lui-même. Malgré une nette déception concernant l’enquête en cours, ce coup de filet fut extraordinairement bénéfique pour les sociétés de développement. Le FBI éradiqua une structure mafieuse parfaitement organisée, où transitaient des sommes d’argent colossales. Elle utilisait des étudiants dans le besoin à des fins bien malhonnêtes. En contrepartie de matériels de pointe et de liquidité facilement gagnée, ils oeuvraient dans l’illégalité la plus totale, sans pour autant savoir qui tirait réellement les ficelles. - 153 - Le groupe qui avait été mis en place au sein du FBI pour cette mission spécifique eut une deuxième vie inattendue. Hoover lui-même resta quelque temps à sa tête avant de prendre définitivement sa retraite. Les différentes enquêtes éradiquèrent la plus grosse partie de l’iceberg représentant les petits pirates à la solde d’un ou plusieurs mafieux. Une multitude de gouvernements détacha leurs meilleurs éléments sur le coup, et les procès pour piratage et vols de biens industriels fleurirent partout dans le monde. La tête pensante du réseau ne fut jamais inquiétée, mais sans main d’œuvre, le résultat était tout de même très satisfaisant. À New York, le suspect fut également interrogé de longues heures. Après avoir effectué toutes les vérifications possibles et inimaginables, il paraissait évident qu’il y avait eu une erreur sur la personne. La fouille de son appartement ne donna rien. Les enquêteurs retrouvèrent un vieil ordinateur des années quatre-vingt qui traînait sur une table au fond d’une pièce miteuse, mais son contenu ne renfermait aucun secret. Une série de jeux largement dépassés technologiquement se disputait la place avec des logiciels bureautiques de première génération. L’examen du disque dur montra que l’homme ne se servait plus de cette antiquité depuis plusieurs mois. L’interrogatoire apprit aux enquêteurs que le suspect avait hérité de l’appartement de son frère, ainsi que des biens qu’il contenait. Ledit frère ayant disparu corps et biens quelques semaines auparavant, ils se retrouvèrent à nouveau dans une impasse. L’investigation qui en découla affirma que la personne qui était effectivement recherchée était un ancien technicien de maintenance en informatique. Il avait travaillé pour le gouvernement, avant d’être embauché par une société privée, moyennant un complément de salaires conséquent. Seulement, ses employeurs avaient omis de lui dire que ce travail comportait des risques pour sa santé. Œuvrant dans le domaine du nucléaire, l’homme avait pour mission d’entretenir les installations informatiques d’une centrale, jusqu’au jour où un accident intervint à son insu. La négligence des responsables du site envers la sécurité lui avait été fatale. Mortellement irradié, il fut licencié sans ménagement lorsque les premiers symptômes apparurent. Avec une plainte sur le dos pour tentative de destruction de matériels sensibles, il préféra quitter le pays pour finir ses jours dans un paradis tropical. Léguant ses biens à sa - 154 - famille, il disparut en laissant derrière lui un vieil appartement rempli de quelques babioles, que son nouvel occupant n’avait pas eu le temps de jeter. Les enquêteurs ne retrouvèrent nulle trace de son décès, mais le dernier bilan médical effectué avant son départ montrait clairement que ses jours étaient comptés. « Il ne vous reste plus qu’un mois, deux tout au plus » lui avait annoncé son médecin lors de son suivi hebdomadaire. Après avoir accusé le coup, il décida de s’enfuir vers un paradis terrestre pour tenter de profiter de ses ultimes instants de vie. À Washington, Herbert Hoover refaisait le point avec son service sur les évènements de la journée. Rien ne s’était déroulé comme prévu, hormis à Montréal. La suite des investigations allait certainement permettre de démanteler un réseau international de pirates informatiques, seulement dans l’affaire actuelle, les éléments nouveaux étaient très peu concluants. Il informa son ami, le président des ÉtatsUnis, des quelques informations qu’il avait pu recueillir. Il lui demanda également une rallonge de quelques jours, pour pouvoir suivre l’évolution de l’enquête jusqu’à son terme. Son vieux complice la lui accorda avec plaisir, sachant pourtant qu’il devrait faire face à la colère de la femme d’Hoover qui désirait plus que tout au monde profiter de leur retraite. Leur amitié de longue date n’en serait pas atteinte, mais cet intermède dans leurs vies paisibles de nouveau retraité lui reviendrait tôt ou tard aux oreilles. Don et Sarah remontèrent le chemin de terre, de l’entrée de la propriété de Durand jusqu’à sa cabane où Kevin et les deux agents les attendaient. Leurs impatiences étaient visibles, Kevin faisait les cent pas, se demandant encore pourquoi il avait accepté de venir dans cette galère. Les deux fédéraux fumaient cigarette sur cigarette avec nervosité. À leur arrivée, les trois impatients allèrent à leur rencontre avec un soulagement non dissimulé. - Qu’avez-vous constaté jusqu’à présent, lança Don à l’agent Smith ? - Nous avons fait un premier état des lieux. La cabane derrière nous ne contient absolument rien, pas même l’électricité. Le seul luxe est une cheminée pour se chauffer et une arrivée d’eau dans le fond de la pièce. Durand devait vraiment aimer vivre à la dure ! - Avez-vous retrouvé un téléphone portable, un agenda électronique ou mieux un micro-ordinateur ? - 155 - - Négatif. Par contre, il semble y avoir une sorte de blockhaus enfoui sous les gravats de l’autre côté du parc. Nous avons déniché des traces d’une installation électrique. - Allons voir ça de plus près. Agent… désolé, mais j’ai oublié votre nom. Vous allez attendre ici et indiquer aux enquêteurs locaux qui doivent arriver où nous sommes. Merci. - Bien monsieur, répondit le jeune fonctionnaire de l’État, déçu de se retrouver dans le rôle du planton une fois de plus. Il risquait de louper l’évènement le plus intéressant dans cette journée : la fouille du repère du suspect. Don, accompagné de l’agent Smith, avait pris les devants. Sarah avait attendu Kevin pour pouvoir lui parler plus discrètement. - Comment allez-vous ? - Ça va, mais j’ai eu une sacrée frayeur quand tout le bazar a explosé ! J’ai bien cru que ma dernière heure avait sonné. Lorsque les outils ont commencé à voler dans tous les sens et que la pioche est venue se planter dans cet arbre, en passant à quelques centimètres de la tête de votre jeune collègue, je me suis mis à prier pour mon salut. Ce qui ne m’était jamais arrivé jusqu’ici ! - Vous savez, j’ai déjà connu de tels moments et le mieux est de ne pas ressasser le passé, cela n’apporte rien de bon. Il faut simplement se dire qu’on l’a échappé belle, remercier qui vous voulez pour ça, et ne plus y penser. - C’est plus facile à dire qu’à faire ! Pourtant, j’en ai vu et fait des choses dans ma vie, mais je n’avais jamais approché la mort d’aussi prêt. Tout en marchant vers le fond du parc, ils constatèrent au fil des mètres l’ampleur des dégâts. Les arbres avaient des stigmates d’objets venus s’écraser violemment sur leurs troncs. Les feuilles avaient noirci par la chaleur des flammes et la fumée dégagée. À l’approche du lieu d’où l’enfer s’était déchaîné, les sapins qui n’étaient pas brisés à terre n’avaient plus une aiguille, et conservaient uniquement les branches les plus solides. Tout le reste avait brûlé ! Le cratère formé par l’explosion était impressionnant. Il devait faire une quinzaine de mètres de diamètre et mesurer près de deux mètres de profondeur en son centre. La cabane de jardin avait été anéantie, ainsi que la citerne de fioul et tout ce qui était présent aux alentours. Un bloc de béton avait été mis à jour en bordure de la cavité, redonnant de l’espoir à ses observateurs. L’agent - 156 - Smith avait dégagé quelques gravats pour tenter de comprendre ce qu’était cet amas. En découvrant la partie haute, il comprit très vite qu’il s’agissait d’une entrée ou d’un couloir donnant probablement accès à une pièce souterraine secrète. À ce moment précis, son enthousiasme avait été freiné par son jeune collègue qui lui avait rappelé sa conversation avec Sarah quelques minutes plus tôt : « ne toucher à rien avant qu’on ne revienne ». Il s’était simplement concentré sur les débris environnants. Un mélange étrange de terre, de pierre, de bois, de feuilles et de morceaux de métal provenant des ustensiles stocké dans la cabane, ainsi que des bouts de tuyaux déchiquetés, de plastiques et autres gaines électriques, se partageait le champ de ruine résultant. Don arriva le premier sur les lieux. Après un rapide tour d’horizon, il en conclut que rien de ce qui restait par terre n’avait un réel intérêt. Les plus gros fragments ne faisaient que quelques centimètres de long, et étaient beaucoup trop brûlés pour pouvoir se faire une idée sur leur origine. Lorsque Sarah et Kevin approchèrent à leur tour, Don était déjà en plein déblaiement des pierres obstruant l’entrée du bunker. Une torche lui permit de distinguer l’intérieur des lieux, au travers d’un trou. Un couloir d’une dizaine de mètres, tout au plus, était terminé par une porte. Seulement, l’explosion avait amené énormément de gravats dans le tunnel, et seule la partie haute restait dégagée. En voyant l’étroitesse du passage, il prit en main les opérations. Il demanda à l’agent Smith d’aller chercher des outils pour extraire le maximum de cailloux et accéder à la pièce du fond. Pendant ce temps, les manches de chemises remontées, il entama l’extraction des plus grosses pierres, avec l’aide de Sarah et Kevin. Smith revint quelques minutes plus tard, accompagné de son jeune collègue et des services de police suisse qui venaient d’entrer dans le parc. L’exercice dura plusieurs minutes, et chacun des protagonistes tomba la veste pour être plus à l’aise. La douceur de cette fin d’aprèsmidi prenait des allures cauchemardesques pour les hommes coincés au fond du trou. La chaleur de l’explosion encore présente rendait l’opération assez désagréable. Don fut le premier à se glisser dans la pièce une fois la dernière porte ouverte. Elle était partiellement recouverte de terre et de cailloux. Il balaya minutieusement l’endroit avec sa torche. Il remarqua immédiatement les différents écrans plats - 157 - accrochés au mur, dont les matrices cassées par la projection de gravats reflétaient par endroits le rayon lumineux de sa lampe. Plus bas, sur ce qui semblait être un plan de travail, quelques touches de claviers d’ordinateurs apparaissaient malgré la poussière fine qui s’était déposée sur toute la surface. Un examen plus minutieux lui permit d’apercevoir l’infrastructure informatique présente. Des milliers de particules flottaient toujours dans l’air ambiant, donnant un aspect fantomatique à la pièce. L’endroit renvoyait l’image d’un véritable centre de gestion et de commande pour son propriétaire. Henri Durand, président d’une fondation qui luttait contre l’abus de la technologie moderne, avait une façon bien étrange de prêcher sa foi. Les apparences austères de la cabane en bois, remplie de vieux outils rouillés, cachaient une grotte remplie d’objets high-tech que n’aurait renié aucun geek. Don ressorti de sa tanière, en demandant aux agents qui s’activaient pour dégager l’entrée, de faire extrêmement attention aux matériels informatiques. Il fallait tenter de rattraper la débâcle de la journée à tout prix. La solution pour éradiquer définitivement ce virus était peut-être sous cette couche de poussière, et aucune erreur ne serait plus admise. CHAPITRE 40 Le déblaiement des gravats dura une partie de la soirée. Sarah profita du trajet l’amenant à la morgue où le corps d’Henri Durand avait été déposé, pour faire son rapport à Herbert Hoover. Elle était accompagnée de l’agent Smith, qui s’était généreusement proposé de la conduire. Kevin était resté avec Don qui supervisait l’avancement du chantier. Il commençait à ressentir les méfaits du décalage horaire. L’inactivité n’aidant pas, il regrettait d’avoir accepté cette mission si ennuyeuse, alors qu’il avait tant de choses à faire à la NASA. Le charme de l’agent Spader avait certainement joué dans cette prise de décision, même inconsciemment, mais cette journée n’avait pas été aussi bénéfique qu’il l’avait espéré. Passer à un cheveu de la mort avait définitivement gâché son envie de rendre service. Il attendait avec impatience de pouvoir faire ce pour quoi il avait été convié : l’analyse du - 158 - matériel informatique retrouvé sur place. Le reste lui était désormais totalement indifférent. Sarah arriva chez le médecin légiste, pas très enthousiasmée par le spectacle qu’on allait lui offrir. Elle avait réussi à se faire à la vue d’un corps sans vie. Seulement, le charcutage pratiqué pour les autopsies, avec une vue directe sur les organes internes, lui donnait des sueurs froides. Un film d’horreur grandeur nature ! L’agent Smith, désireux de ne pas empiéter sur les plates-bandes de sa supérieure hiérarchique, mains néanmoins collègue, lui fournit une excuse peu crédible pour pouvoir l’attendre dans la voiture. En réalité, il détestait tout autant que Sarah devoir assister au spectacle qu’offre une morgue. Et puis, cette attente lui permit de griller quelques cigarettes et d’assouvir ce vice commun à bon nombre d’entre eux. Sarah fut accueillie par le médecin légiste en chef. À cette heure avancée de la soirée, il était le seul locataire encore vivant des lieux. Les secrétaires et autres employés de laboratoires étaient rentrés chez eux depuis longtemps. C’était sa semaine de corvée de nuit, pour pallier l’éventualité d’une extrême urgence. Les ambulanciers lui avaient apporté le corps depuis une trentaine de minutes. Sur l’insistance plus que présente du chef de la police locale, il s’était mis aussitôt au travail. En une demi-heure, il n’avait pas eu le temps d’approfondir véritablement son diagnostic, mais en avait fait une bonne évaluation. Après les présentations d’usage, il débita d’une façon mécanique ses résultats à la jeune femme. - Le sujet présente plusieurs contusions assez importantes sur le crâne, présageant une perte de connaissance probable avant le coup de grâce : la mort par noyade. Les poumons du patient sont remplis d’eau douce. Il ne porte aucun autre signe particulier à ce stade de l’autopsie. J’ai effectué des prélèvements, mais nous n’aurons les premiers résultats toxicologiques que demain dans la journée. - Avez-vous remarqué des signes de maladies, d’opérations ou de vieilles fractures qui permettraient d’identifier avec certitude l’individu ? - Les radios dentaires ont été envoyées au service concerné, mais il est fermé à cette heure tardive. J’ai toutefois constaté que l’homme avait subi une opération d’un genou. La cicatrice est pratiquement invisible, mais venez voir cela… - 159 - Il emmena Sarah vers un tableau lumineux où étaient fixées plusieurs radiographies, dont une de la jambe droite. - Regardez ici, on remarque aisément une réparation de la rotule. Sans rentrer dans les détails, je pense que votre client devait avoir un problème qui a dû le handicaper durant de nombreuses années. Lorsque la chirurgie l’a permis, il s’est fait opérer de son genou défaillant. - C’est intéressant, reprit Sarah, car je n’ai pas le souvenir d’avoir entendu parler de ça. Aucun des documents que nous avons en notre possession n’indique qu’il avait subi une quelconque opération ou qu’il boitait. - Et pourtant, même si la chirurgie réparatrice n’est pas ma spécialité, je peux vous assurer qu’il devait avoir un gros handicap à ce niveau-là. Voyez comme l’os a été sculpté pour permettre la mise en place correcte de la rotule de synthèse, dit-il en pointant un endroit précis de l’image avec son stylo. À mon avis, avant cette opération, il ne pouvait probablement pas plier le genou correctement. - Très bien… Concernant ses effets personnels, avez-vous trouvé quelque chose d’intéressant que nous aurions loupé ? - Rien de très probant, reprit le légiste. Mis à part ses vêtements, il n‘avait strictement rien sur lui. Je suppose que vous aviez déjà effectué une fouille approfondie avant de me l’amener ? - Effectivement, mais sait on jamais, dans une doublure de veste, ou un revers de pantalon… - Je vous avouerai que je n’ai pas encore eu le temps d’aller jusque-là. - Est-ce que ça vous poserait un problème si nous nous en occupions ? - Absolument pas, reprit le médecin, finalement heureux d’avoir un peu d’aide. J’ai tout mis sous scellés, ça n’attend plus que vous. Et pour être honnête, ce genre de choses n’est pas vraiment mon rayon. Je me contente des corps, et il y a déjà de quoi faire ! - Parfait ! Pouvez-vous nous transmettre votre rapport d’autopsie le plus rapidement possible ? Merci encore pour votre disponibilité. - Je vous en prie, balbutia l’homme assez flatté. Ce fut un plaisir, lâchat-il le sourire en coin, comme pour lancer une invitation. Kevin Klein attendait sagement que les choses progressent. Adossé au pied d’un arbre, le regard dans le vide, il songeait aux vacances qu’il avait passées dans sa jeunesse. Les végétaux n’étaient pas les mêmes, mais cette forêt avec ses odeurs de sapins, d’écorce fraîchement - 160 - arrachée par des animaux, d’humus et de terre, lui rappelait les jours heureux où il faisait du camping en famille dans les Rocheuses. Le bruit du vent était également une chose qu’il n’avait pas oubliée, malgré des années de vie citadine. À l’écart du groupe d’agents qui s’activaient pour déblayer le repère de Durand, fermant les yeux pour tenter de se projeter trente ans en arrière, il affichait un sourire que Donald Dalton prit pour lui dans un premier temps. En s’approchant de lui discrètement, il ne s’était pas réellement rendu compte de l’allure qu’il dégageait. Une bonne demi-heure coincé dans ce bunker, à extraire des pierres à mains nues et à soulever de la poussière, il avait l’air d’un travailleur de chantier public qui n’aurait pas eu le temps d’enfiler sa combinaison. La chemise par-dessus le pantalon, les manches retroussées au-dessus des coudes, la tignasse recouverte d’un film grisâtre, l’agent du FBI trempé de sueur habituellement tiré à quatre épingles n’était plus que l’ombre de lui-même. - Et bien mon vieux, vous en avez une allure, lui lança Kevin en le voyant s’approcher. - Il faut savoir donner de sa personne, reprit Don qui en profita pour se secouer énergiquement les cheveux, laissant flotter par la même occasion un nuage de particules dans l’air. Comment ça va pour vous ? - Pas trop mal, je me remets de mes émotions ! - Tant mieux, parce que je vais avoir besoin de vous. Nous avons dégagé suffisamment le terrain pour que vous puissiez entrer dans la pièce où est entreposé le matériel informatique. Et j’aime autant vous dire qu’il cachait bien son jeu l’animal ! Sous cet extérieur des plus rustiques est planqué un véritable arsenal technologique, presque mieux que votre repère à la NASA d’après les premières constatations ! - Allons voir ça de plus près, reprit Kevin, heureux d’avoir enfin une activité à réaliser. Un brouillard de poussière planait encore dans le bunker. L’ouverture n’étant pas suffisamment importante pour que la circulation de l’air se fasse correctement, malgré le va-et-vient incessant des hommes qui déblayaient les gravats de la pièce principale. En un temps record, ils avaient réussi à rendre à l’endroit une allure acceptable. Les agents en profitaient pour se désaltérer et s’éponger du mieux qu’ils le pouvaient lorsque les deux compères arrivèrent. Don ouvrait la marche, suivi par Kevin très attentif à l’endroit où il posait les pieds. Ils traversèrent le - 161 - couloir puis stoppèrent à l’entrée de la salle principale. Les plus gros cailloux avaient été transportés à l’extérieur en utilisant la bonne vieille méthode de la chaine humaine. Les hommes placés tous les mètres se passaient la caillasse à la chaîne, leur écorchant les mains peu habituées à ce genre de tâche. Un des policiers locaux avait trouvé dans la cabane de Durand un balai et une brosse à vêtements dont il fit bon usage en ces lieux. Le déplacement de poussière, pour redonner aux ordinateurs leur couleur d’origine, avait malheureusement pollué l’atmosphère, rendant la respiration difficile. Kevin fut d’abord surpris par le nombre de machines présentes dans un espace aussi restreint. Malgré tout, la pièce n’avait rien d’un capharnaüm d’électronique en tout genre. Ce qui était remarquable c’est que tout était parfaitement rangé. L’amas de câbles obligatoires dans ce genre d’installation était soigneusement ficelé, rien ne dépassait. Le bureau idéal pour quiconque aimant l’ordre, songea-t-il. Le sien était bien loin de cet idéal sans vie et il l’appréciait d’autant plus ainsi. - S’il n’y avait pas eu une explosion, lança Kevin en embrassant la pièce du regard, on aurait l’impression d’être dans un bloc chirurgical. - Ce n’est pas faux, reprit Don. - Regardez-moi ça et imaginez que tout est en parfait état de marche… Ce type devait être un maniaque de l’ordre pour avoir mis en place une telle structure… Non, mais regardez… - J’ai vu, répondit Don qui ne comprenait pas vraiment l’enthousiasme de Kevin. - Voyez-moi ça, lança Kevin pour lui-même. Il n’y a pas moins de trois serveurs ici, et deux ordinateurs de dernière génération dans ce coin. C’est vraiment dommage que les écrans plats n’aient pas supporté le choc, car j’aurais sûrement réussi à en faire fonctionner un. - Vous croyez ? questionna Don très sceptique. Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais l’arrivée électrique a grillé, et je suppose que c’est remonté jusqu’aux machines… - Effectivement, reprit Kevin, en humant l’arrière de l’ordinateur le plus proche. Ça sent le cramé là-dedans ! Dans ces conditions, il va falloir récupérer tout le matériel présent pour que je puisse le tester en atelier. - Je vous propose une chose, lança Don. Vous débranchez ce qui vous semble intéressant, et on le rapatrie dans nos laboratoires. Tout le reste attendra l’expertise complémentaire des autorités locales. - 162 - - OK ! Il faut prendre en priorité toutes les unités centrales, le rack de sauvegarde ainsi que toutes les cartouches et tous les DVD qu’on pourra trouver. Les écrans et accessoires comme claviers et souris sont inutiles, d’autant plus qu’ils doivent tous être hors d’usage. - Qu’est ce que vous appelez un « rack de sauvegarde » ? demanda Don, un peu ennuyé par son manque de connaissance informatique. - C’est la boîte à vos pieds, lui répondit Kevin dans un sourire qui en disait long sur son état d’excitation. En moins de vingt minutes, tout le matériel avait été démonté et soigneusement emballé pour pouvoir être transporté sans dommage jusqu’à l’aéroport. Le chargement était sur le point de se terminer au moment où Sarah revint de sa visite chez le médecin légiste. CHAPITRE 41 - Quoi de neuf ? demanda Don qui tentait de remettre sa chemise dans son pantalon, histoire d’être un peu plus présentable. - Rien de vraiment intéressant pour le moment, reprit Sarah. J’ai récupéré les affaires de Durand pour une analyse plus approfondie, mais je doute fortement du résultat. Par contre, j’ai obtenu une information assez contradictoire. Te souviens-tu avoir lu dans un dossier qu’il ait eu un accident au genou ? - Pas à ma connaissance, lâcha Don qui continuait de s’éponger tant bien que mal. Pourquoi ? - Et bien, le légiste m’a montré des radios où l’on voit qu’il avait une rotule de synthèse. - On le vérifiera parce qu’il ne faudrait pas qu’on soit à nouveau sur une fausse piste. Je crois que le chef ne nous le pardonnerait pas deux fois ! En tout cas, on finit d’emballer tout ce bric-à-brac et on repart dès ce soir. L’avion nous attend déjà. - Et bien, le patron est pressé de nous revoir, ajouta Sarah, pas si mécontente dans le fond. De ton côté, est-ce que vous avez avancé ? - Tu ne crois tout de même pas que j’ai mouillé la chemise pour des prunes, ma belle !!! Sarah le regarda sans rien dire, mais la moue de dégout qu’elle lui afficha signifiait beaucoup. Une bonne douche ne serait pas un luxe. - 163 - - Et bien merci pour le soutien, lui retourna-t-il en finissant de lisser ses cheveux collant de sueur. Pendant que mademoiselle va draguer les médecins, il y en a qui trime comme des esclaves. Et tout ça, pour des clous ! - Comment ça des clous ? Tu veux dire que tu t’es mis dans cet état lamentable pour rien ? - Merci, ça fait toujours plaisir à entendre ! Bon trêve de plaisanterie, notre ami monsieur Klein est resté sur sa faim. L’explosion qui a eu lieu cet après-midi a grillé tous les ordinateurs qu’on a trouvés dans le bunker. Il espère réussir à récupérer les disques durs pour les analyser. Honnêtement, vu l’odeur de brûlé qui s’en dégage, je ne suis pas aussi optimiste que lui. Les premiers véhicules étaient déjà partis depuis quelques minutes, lorsque Sarah, Don et Kevin quittèrent le parc. Ils laissaient derrière eux quelques agents locaux pour finaliser les fouilles du site. Kevin, assis à l’arrière de la voiture, n’avait pratiquement rien dit depuis qu’il était ressorti du terrier de Durand. Il avait le sentiment qu’un détail d’importance lui échappait. Plus il réfléchissait, plus il avait la sensation de louper quelque chose de primordial. Arrivée devant la cabane de Durand, Sarah lança un regard à Don pour connaître son opinion. - Ça a donné quelque chose ? lui demanda-t-elle en sachant pertinemment que la réponse serait négative. - Que dalle ! Rien d’intéressant pour nous en tout cas. Cette baraque n’a même pas l’électricité, à peine l’eau courante. - Rentrons chez nous, finit-elle par ajouter. Nous n’avons plus rien à faire ici. Sur ces bonnes paroles, Don continua sa route vers l’entrée du parc. La nuit tombante donnait une vision sinistre à cette allée, enfermée entre deux rangées d’arbres masquant toute luminosité. Quelques rayons de lumière lunaire arrivaient tout de même à percer au travers de ce tunnel naturel. Kevin regardait d’un œil distrait les végétaux qui défilaient sur le côté, lorsqu’il vit un reflet apparaitre. - Stop, cria-t-il ! Arrêtez-vous, s’il vous plait ? - Qu’est ce qu’il y a encore ? grommela Don. - J’ai vu quelque chose dans les arbres. - 164 - - Il est tard, nous sommes tous fatigués. Très honnêtement, j’ai envie de rentrer chez moi. Alors, on ne va pas perdre du temps pour ce qui est sans doute qu’un oiseau nocturne. - Vous pensez vraiment que je vous demanderais de vous arrêter pour une broutille ? - C’est bon Don, lança Sarah. On prend deux minutes pour vérifier et on repart. Le pilote de l’avion ne s’en ira pas sans nous. C’est un militaire, je te signale, et il a l’ordre de nous reconduire à Washington. - Bon, OK ! Don stoppa son véhicule à contrecœur. Les trois compères descendirent pour aller examiner un arbre en particulier. Kevin se dirigea d’un pas assuré vers l’endroit où il avait vu ce reflet. Don n’ayant pas arrêté la voiture immédiatement, il n’était plus très sûr de la distance à parcourir. Après quelques hésitations, il scruta les feuillages avec attention, puis se retourna vers les deux agents fédéraux qui approchaient timidement. - Il fait trop sombre pour distinguer quoi que ce soit, auriez-vous une lampe par hasard ? Don lâcha une bordée de jurons lorsque Sarah lui désigna l’automobile à une trentaine de mètres d’eux. Faire les basses besognes d’un bizut, à son âge, il n’y avait vraiment plus de respect ! Il traîna les pieds jusqu’au coffre du véhicule puis revint avec deux lampes torches. Il en donna une à Kevin puis l’autre à Sarah. - Tiens, amuse-toi avec monsieur le petit génie. Moi j’en ai plein les bottes de ses conneries ! - Trop aimable, lui répondit-elle en lui arrachant des mains l’engin. Kevin était déjà une dizaine de mètres devant eux, scrutant les arbres du mieux qu’il le pouvait. Il avait un sérieux doute sur l’emplacement exact de la chose qui avait émis ce reflet lumineux. Sarah, arrivant à sa hauteur, lui demanda précisément ce qu’il cherchait. - Tout à l’heure, dans la voiture, les phares se sont reflétés sur une surface métallique ou en verre, je ne sais pas trop. Je pense qu’il y a un objet quelque part dans ses arbres et je suis pratiquement certain qu’il s’agit d’une caméra de surveillance ou quelque chose comme ça. - C’est une intuition ? demanda Sarah très intriguée. - Pas vraiment ! J’ai repéré des restes de minicaméras ultraperfectionnées parmi les détritus que nous avons retrouvés dans la pièce souterraine. Par contre, nous n’en avons étrangement découvert aucune - 165 - jusqu’à présent. Alors soit monsieur Durand fournissait du matériel de surveillance à d’autres personnes, soit il en avait truffé son domaine, et nous n’avons rien remarqué. - Intéressant. Ça expliquerait la façon dont il a réussi à apprendre notre arrivée. Don s’impatientait. Appuyé contre le coffre de la voiture, il fulminait intérieurement en pensant que ses deux acolytes perdaient leur temps, et lui faisait perdre le sien par la même occasion. Le déblaiement du bunker l’avait éreinté, et il ne désirait plus que deux choses : prendre une bonne douche et dormir. Il regardait d’un œil distrait Sarah et Kevin arroser les arbres en bordure du chemin avec leurs lampes. Étant allés nettement plus loin que ce qu’ils avaient prévu, ils revenaient sur leurs pas en espérant ne pas louper l’objet recherché. - Peut-être faudrait-il refaire un passage en voiture, car je me demande si nos torches sont suffisamment puissantes, songea Kevin. - Là, cria Sarah faisant sursauter son compagnon qui était plongé dans ses pensées !!! Je crois avoir vu quelque chose dans cet arbre. Les deux faisceaux lumineux braquèrent dans la même direction, laissant refléter un léger éclat brillant. Sarah pressa le pas pour récupérer l’objet. Après avoir grimpé sur quelques branches basses, lui rappelant ses activités d’enfance, elle finit par atteindre ce qui s’avéra être une minicaméra haute définition, reliée à une batterie et un autre module que Kevin identifia aussitôt. - Regardez, dit-il avec enthousiasme à Sarah qui venait de lui tendre l’appareil. C’est incroyable, ici il y a une caméra numérique de dernière génération. C’est le summum de la technologie actuelle. Ensuite, nous avons un module de transmission WiFi qui transmet les images sur un serveur. Tout ceci est alimenté par batterie ultra légère de très longue durée. L’ensemble intègre un capteur de mouvement, dissimulé sous l’objectif. Il y a une étiquette avec le numéro 4, ajouta-t-il en manipulant l’objet. Cela signifie que nous en avons sûrement loupé d’autres. - Vous avez raison. Durand nous avait vus arriver bien avant qu’on atteigne sa cabane. Venez, retournons à la voiture pour examiner cet engin de plus prêt. Lorsque Kevin approcha de Don, un sourire éclatant sur le visage, il lui montra leur trouvaille en lui expliquant les implications à comprendre. - 166 - - Ceci signifie qu’il y a ici dans ces bois un système de vidéosurveillance ultra-perfectionné qui nous a totalement échappé, répondit Don. - Maintenant, il est impératif que nous trouvions les enregistrements vidéo, ajouta Sarah. Si Durand conservait plusieurs jours de sauvegarde, nous aurions peut-être une chance d’en apprendre un peu plus sur ces activités. - À mon avis, dit Kevin, elles sont toutes sur un des disques durs de serveurs que nous avons récupérés. Ces petits bijoux transmettent en numérique, et je ne me souviens pas avoir vu un quelconque magnétoscope, ni même une simple télévision dans les parages. - D’après vous, quelle est la distance maximum d’émission de ces appareils, lui demanda Sarah ? - Je ne sais pas précisément, il faudrait que je puisse examiner en détail les composants intégrés dans le module de transmission. Cependant, je dirais une centaine de mètres au maximum sur un terrain plat, à moins qu’il n’y ait des relais amplificateurs, ce qui pourrait porter le signal un peu plus loin. - De toute façon, reprit Don, nous avons des choses plus importantes à faire que de passer au crible tout ce parc. Je vais prévenir l’agent Smith pour qu’il organise une fouille minutieuse des lieux. Nous, nous avons un avion qui nous attend. Les trois compères remontèrent en voiture pour rejoindre l’aéroport où patientaient les pilotes du jet privé qui leur avait été affecté. Les différents véhicules de la police locale étaient déjà arrivés, avec leur chargement d’ordinateurs à moitié détruits. L’ensemble du matériel avait été soigneusement stocké pour éviter tout problème supplémentaire lié au transport. Une fois à bord, Don en profita pour faire un brin de toilette du mieux qu’il le put. Des plateaux-repas leur avaient été livrés et furent accueillis avec envie. Les sandwichs furent engloutis en un éclair. Le vol se déroula sans encombre pour les deux agents fédéraux qui tombaient de fatigue. Kevin prit du temps pour examiner la caméra qu’ils avaient récupérée. La curiosité était trop forte et il voulait absolument savoir de quoi était fait l’appareil, avant de se laisser glisser dans les bras de Morphée. À l’aide d’un petit tournevis de poche, il commença à démonter plusieurs modules, constata avec résignation que les composants étaient tous estampillés « Made in China », mais remarqua également que l’interconnexion des différents éléments était - 167 - de fabrication manuelle. Cela signifiait que Durand avait probablement fabriqué lui-même son système de surveillance. Ce mauvais présage annonçait une difficulté supplémentaire pour décrypter les informations contenues sur ses ordinateurs. Après une grosse demi-heure de manipulations en tout genre, la fatigue le rattrapa et il finit par s’endormir lui aussi. CHAPITRE 42 Tony était assis à la terrasse d’un café, en train de siroter un cocktail non alcoolisé. La journée avait été chargée, et pour se relaxer avant de rentrer chez lui, il avait l’habitude de se rafraîchir dans cet établissement situé au bord de la plage. Le soleil disparaissait doucement aux confins des vagues, amorçant une douce nuit étoilée, mais la chaleur ambiante n’avait pas faibli. Il regardait l’océan brillant de mille feux, attendant avec impatience le petit matin pour pouvoir surfer quelques vagues avant d’aller travailler. En ce début de soirée, la faune locale commençait à se regrouper autour des points d’eau arrosé d’alcool. Tony examinait d’un regard distrait les passants, parfois amusé par l’attitude grotesque de certains d’entre eux, parfois subjugué par des gazelles parcourant les remblais dans des vêtements de sport moulants. L’heure était à la détente, intellectuelle en particulier. Il pensait à la pizza qu’il allait acheter avant de rentrer chez lui et au choix du film qu’il visionnerait. Il hésitait entre une comédie, un film d’action ou encore un de ses films de science-fiction qu’il adorait tant ! Du coin de l’œil, il remarqua une créature à l’autre bout du bar, dégustant ce qu’il semblait être un vin blanc. Discrètement, il changea de position pour avoir une vue plus adéquate sur la demoiselle. Vêtue d’une robe légère, d’un chapeau ample lui cachant ses cheveux blonds mi-longs, une paire de lunettes lui masquant une partie du visage, elle paraissait s’ennuyer fermement. Sans véritable raison, il commanda un deuxième cocktail et s’arrangea pour se rapprocher suffisamment de la femme afin d’engager la conversation. Il la salua et demanda au serveur de lui remettre la même chose. Elle accepta sans lui jeter un regard, ce qui le perturba encore plus et l’incita à lui proposer de venir s’asseoir à une table. Le barman les ayant servis, elle le remercia et finit par le rejoindre. Elle se - 168 - plaça en face de Tony, à l’ombre d’un parasol estampillé d’une quelconque marque de boisson gazeuse. Tony se présenta. - Enchanté, je suis Élisabeth McCarthy, répondit la femme lui faisant face. - Liz McCarthy ! faillit-il cracher dans son verre. La stupeur passée, il préféra s’étrangler en silence, s’époumona le plus discrètement possible avant d’avaler sa rasade pour reprendre son souffle. - Ça alors, si on m’avait dit que vous fréquentiez ce genre d’endroit, je ne l’aurais pas cru, ajouta-t-il. Elle lui sourit, tout en sachant exactement ce qu’il devait ressentir à cet instant. Elle avait connu dans son jeune temps l’hystérie que peut procurer la rencontre d’une personnalité. Depuis qu’elle faisait partie de ce monde, ce sentiment lui était passé. Elle pouvait compter sur les doigts d’une main les stars qui continuaient à l’impressionner. Même pour celles-là, leurs fréquentations finiraient par aboutir au même résultat, la déception. Elle scrutait le visage de Tony et devinait ses pensées comme s’il les exprimait à haute voix. Il devait se demander comment lui, un homme anonyme avait réussi à ferrer une célébrité comme elle. Pourtant, elle n’était pas là par hasard, contrairement aux apparences. - Qu’est-ce que vous faites dans la vie Anthony ? le questionna-t-elle innocemment. - Je travaille à la NASA, répondit-il fièrement. Je m’occupe de l’infrastructure informatique. - C’est très intéressant ça… la NASA, l’espace, la découverte d’univers inconnu. Je suppose que vous devez envier les astronautes ? - Vous savez, ce sont des gens comme vous et moi, lança-t-il pour minimiser la sensation de super héros qui leur collait à la peau. C’est un métier comme un autre ! - Vous oubliez les séances de torture dans les énormes centrifugeuses, les heures interminables passées dans un bassin à répéter les mêmes gestes et que sais-je encore ? - C’est vrai, répondit Tony, ce sont de véritables masochistes en fait ! Il faut être bien atteint pour endurer ça à longueur de journée, durant plusieurs années avant d’espérer faire partie d’une mission. - Mais vous, qu'elle est votre fonction à la NASA ? - 169 - - Je gère l’informatique du centre. Je suis, comme qui dirait, un docteur d’ordinateurs. Dès qu’il y a un problème, je le règle. Je m’occupe également de l’entretien de l’infrastructure informatique. Ils continuèrent leur conversation durant une vingtaine de minutes, le genre de discussion qu’on ne peut avoir qu’autour d’un verre en fin de journée. Ils discutèrent de la pluie et du beau temps, de tout et de rien. Finalement, Liz prétexta un rendez-vous professionnel et quitta les lieux incognito. Tony resta encore quelques minutes assis, finissant son troisième cocktail. Avant de rentrer chez lui, il voulut s’assurer d’une chose. - Savez-vous qui c’était ? demanda-t-il au barman qui venait récupérer les verres vides. - Je ne l’avais jamais vu auparavant. En général, je me souviens de ce genre de créature, ajouta-t-il d’un air non équivoque. - C’était Élisabeth McCarthy ! - À d’autres, lança le patron du bar. Ça m’étonnerait que la présentatrice vedette du journal vienne dans mon troquet pour siffler un verre avec un inconnu, sans vouloir vous offenser ! Il n’avait pas tort, et Tony s’interrogea une demi-seconde sur le fait qu’elle s’était contentée d’une seule consommation. Il préféra laisser courir et rentra chez lui. Une question lui trottait tout de même dans la tête : « Cette rencontre était-elle vraiment un pur hasard ? » À leur retour aux États-Unis en début de soirée, Sarah, Don et Kevin venaient d’endurer une journée d’une trentaine d’heures. Le décalage horaire aidant, cette longue et périlleuse virée européenne touchait à sa fin. Tous les trois étaient éreintés malgré les quelques heures de sommeil qu’ils avaient réussi à accumuler dans l’avion. Ils décidèrent de se retrouver le lendemain matin pour commencer l’analyse des informations récupérées en Suisse. Les deux agents firent un petit détour pour déposer Kevin à son domicile. - Je viens vous chercher à 8 h, déclara Don à Kevin qui les saluait en descendant de voiture. - Et pour mon boulot… Je ne suis pas sûr que mon directeur soit d’accord pour me laisser encore plusieurs jours avec vous ! - Ne vous inquiétez pas pour ça, votre patron est déjà au courant de la situation, lui répondit Sarah. Avant notre départ, j’ai fait un rapport à - 170 - nos supérieurs qui ont averti monsieur Johnson de votre détachement temporaire dans nos services. - Il a dû être enchanté, lança Kevin sur un ton ironique. - Reposez-vous, car demain, nous avons du pain sur la planche, dit Don en regardant Kevin pénétrer dans l’immeuble où il logeait. En entrant sa clé dans la serrure, Kevin songeait à la journée qu’il venait de passer. Même si cela s’était avéré exténuant, il avait finalement bien aimé ce petit intermède dans sa vie monotone. En refermant sa porte, il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il avait oublié quelque chose. Sans réussir à mettre la main dessus, cette sensation le perturba plus qu’il ne l’aurait souhaité. Il n’arrivait pas à sortir cette idée tenace de la tête. Il finit par récupérer une bière au réfrigérateur, s’allongea sur le divan en allumant la télévision. Qu’avait-il bien pu se passer durant cette coupure d’une trentaine d’heures, où il avait été exclu de toute actualité ? Zappant de chaîne en chaîne, les programmes étaient le plus souvent soporifiques, n’ayant aucun intérêt pour lui. En sirotant par petites gorgées un de ses breuvages préférés, il contemplait son plafond, les yeux rivés sur le lustre qui pendait de tout son poids, les pensées perdues dans le néant. Revenant soudainement sur Terre, il décida qu’il était temps de prendre une bonne douche avant d’aller se coucher. En posant sa bouteille de bière machinalement sur la table du salon, son regard capta une lumière clignotante. Son répondeur lui indiquait qu’un interlocuteur avait laissé un message. Il appuya sur la touche d’écoute. Un vendeur à la noix lui vantait les mérites d’un nouveau téléphone portable digne des meilleurs films d’anticipation. Un grognement injurieux accompagna la fin de la bande sonore. Kevin effaça l’enregistrement en se demandant quand ces démarcheurs l’oublieraient définitivement, puis se dirigea vers la salle de bain. Subitement, il visualisa mentalement son propre mobile ! - Mince alors ! C’est ça ce qui me turlupine depuis tout à l’heure ! Je ne l’ai pas entendu sonner une seule fois de la journée !!! Il se remémora aussitôt sa discussion du matin avec Don lorsqu’il était venu le chercher : « Pour des raisons de sécurité, je vous demande de ne pas prendre votre téléphone portable. Si vous avez besoin de passer un coup de fil, demandez-moi le mien. Il est connecté sur un réseau sécurisé ». La conversation lui revint aussi clairement que si elle avait eu lieu quelques minutes auparavant. Seulement après ça, qu’avait-il bien - 171 - pu faire de son téléphone ? Il regarda à droite puis à gauche, aucun appareil à l’horizon. Il était forcément quelque part, près de la porte d’entrée. Plutôt que de passer de longues minutes à le chercher, ce dont il n’avait aucune envie vu son état de fatigue, il l’appela à partir de son poste fixe. La localisation fut immédiate : la poche intérieure de sa veste qu’il avait également laissée sur un porte-manteau. Il saisit l’objet et remarqua trois messages en attente. « Message 1 : aujourd’hui à 9 h 14. Bonjour patron, c’est Tony. Désolé de vous déranger, mais j’aurais besoin de vos lumières sur un point que le directeur m’a demandé de regarder. Rappelez-moi lorsque vous le pourrez. » - Ah, ce Tony ! Perdu lorsqu’il n’a plus son chef !!! pensa-t-il. « Message 2 : aujourd’hui à 13 h 46. C’est encore Tony, je viens d’avoir la biologiste Barbara Brandenberger. Elle désire nous voir le plus rapidement possible concernant une trouvaille qu’elle aurait faite sur le virus. Je dois la rappeler pour lui confirmer une date, alors rappelezmoi. » « Message 3 : aujourd’hui à 18 h 23. C’est toujours Tony. La journée s’achève et je n’ai pas eu de vos nouvelles, en plus le directeur m’a averti que vous alliez être pris quelques jours avec le FBI. Rappelez-moi quand vous rentrerez ». Kevin regarda l’heure, trop tard pour déranger les gens chez eux, même ce brave Tony. De plus, il était vraiment trop fatigué pour passer de longues minutes au téléphone avec son jeune collègue. - Ça attendra demain, songea-t-il. Sa nuit fut agitée. Comme souvent dans ces mêmes conditions, il avait eu beaucoup de mal à s’endormir et s’était réveillé très tôt. Son esprit était en hyperactivité, réfléchissant aux tests à effectuer sur le matériel qu’ils avaient rapporté, à la meilleure façon de les exécuter pour ne rien louper… Et cette biologiste dont parlait Tony sur son message, qu’avait-elle trouvé de si important nécessitant une réunion en urgence ? Finalement, la fatigue le rattrapa peu de temps avant d’être obligé de se lever, ce qui n’était jamais très bon pour conserver toutes ses facultés et une forme olympique. - 172 - CHAPITRE 43 Don passa chercher Kevin à 8 h, comme prévu. Ils retrouvèrent Sarah au bureau du FBI de Houston quelques minutes plus tard. Le laboratoire avait été temporairement réaménagé pour leur permettre de travailler dans les meilleures conditions possibles. Herbert Hoover avait également fait le déplacement de Washington pour superviser les analyses et coller au plus prêt de l’enquête. Il voulait être au cœur de l’affaire afin de prendre les bonnes décisions le moment venu. Sur le chemin, Kevin en avait profité pour passer un coup de fil à Tony, histoire de le rassurer sur les questionnements qu’il avait émis la veille. Il tomba sur sa messagerie. En cette belle matinée ensoleillée, Tony devait probablement se rendre sur son lieu de travail en vélo. Il lui était impossible d’entendre la sonnerie de son téléphone portable au milieu du vacarme assourdissant des klaxons des voitures. Cet entraînement lui permettait de garder la forme lorsqu’il n’avait pas eu le loisir de faire suffisamment de sport durant son week-end. Le deuxième point non négligeable était le gain de temps par rapport à un trajet classique. Il ne mettait que quinze minutes pour venir à la NASA à la force de mollets, tandis qu’un transport en bus ou automobile lui prenait au mieux quarante minutes pendant les heures de pointe. Accessoirement, ça peaufinait son bronzage parfait tout au long de l’année. Les écouteurs dans les oreilles, son baladeur diffusait la musique pop-rock qu’il appréciait avant d’entamer une dure journée de labeur. Ça lui donnait également du tonus pour pédaler et slalomer entre les files de véhicules entassés les uns derrière les autres. Après une grosse demi-heure passée sur sa planche de surf à batailler contre les vagues, et une quinzaine de minutes de vélo, il se sentait prêt à affronter sereinement n’importe quel problème. Lorsqu’il arriva à bon port, un message l’attendait sur son écran d’ordinateur. « Venez me voir dès votre arrivée. » signé du directeur Johnson. Tony se concentra quelques secondes, espérant ne pas avoir commis d’erreur. En embrassant la pièce du regard, il pensait avoir fait du bon boulot pendant l’absence de son chef. Il avait peut-être une chance d’obtenir une promotion, et de voir sa carrière évoluer positivement. En songeant à son supérieur direct, une pensée l’envahit subitement. - 173 - - Kevin !!! Je l’avais presque oublié ! Il ne m’a pas rappelé depuis son départ. Il regarda le cadrant de son téléphone portable et se rendit compte qu’il avait loupé l’appel de Kevin à deux minutes prêt. - Le directeur passe en priorité, je le contacterai plus tard. D’un pas sûr et énergique, il se dirigea vers le bureau de Jack Johnson. En approchant de la porte, il fit un petit signe de tête à la secrétaire qui lui annonça d’un hochement de menton qu’il pouvait entrer. - Bonjour Monsieur le Directeur. - Ah ! Tony ! Bonjour. Je vous en prie, asseyez-vous. Je ne sais pas si vous avez eu des nouvelles de Monsieur Klein, mais le FBI m’a demandé… je devrais même dire imposé son détachement quelques jours de plus ? - Il m’a laissé un message ce matin avant mon arrivée, mais je n’ai pas encore eu le temps de le rappeler, Monsieur. - Malgré mes objections, nous n’avons pas le choix. Ce n’est pas que je ne vous fasse pas confiance, mais le départ de la prochaine navette approche à grands pas et j’aurais aimé que tous nos effectifs soient au complet. Et puis, depuis qu’il est à ce poste, c’est toujours Kevin qui a supervisé le fonctionnement du programme de navigation. - J’ai une check-list très précise concernant ce programme, Monsieur. Ça ne me posera aucun problème de reprendre les validations à sa place. - C’est tout à votre honneur de prendre des initiatives, continua Jack Johnson. Seulement, aucune erreur et aucun oubli ne sont admis sur ce point. Les vies des astronautes sont en jeu. - J’ai parfaitement compris l’enjeu de ces contrôles, Monsieur. Vous pouvez compter sur moi. - Très bien. Nous aurons une réunion demain matin avec les différents responsables de services. Je veux que vous y participiez. - J’y serais, Monsieur. Tony s’éclipsa de la pièce et reprit le chemin de son bureau, fort ravi de son entretien. En quelques mots, il avait réussi à lui montrer sa détermination et son professionnalisme. La journée commençait plutôt bien finalement. Il lança des « bonjour » à toutes les personnes qu’il croisait, en profita même pour échanger quelques paroles avec certaines collègues féminines qu’il appréciait particulièrement. Arrivant à la porte de son antre, il souffla un bon coup en pensant au travail qui l’attendait. - 174 - Cette situation était nouvelle pour lui. Pour la première fois depuis qu’il avait été engagé à la NASA, il était maître de ses actes. En temps normal, Kevin lui dictait ses actions quotidiennement. Aujourd'hui, il avait un réel pouvoir de décision. Ce sentiment le gonfla d’orgueil. Il était pendant quelques jours le seul maître à bord ! Soudain, son téléphone portable sonna. - Comment ça va patron ? lança-t-il à son interlocuteur en voyant le nom s’afficher sur le cadran. - Salut Tony ! Bien, dis-moi, tu es difficile à contacter en ce moment. J’ai essayé d’appeler au bureau à plusieurs reprises, mais en vain ! - J’étais avec le directeur. Étant donné que vous nous avez lâchement abandonnés pour aller draguer les agents du gouvernement… - Si seulement ça pouvait être aussi simple, le coupa Kevin. Je préfèrerais être à mon poste en train de faire mon boulot plutôt que d’être ici à faire le Guignol, lui dit-il en faisant un énorme clin d’œil à Don qui se tenait juste à ses côtés. - Et où êtes-vous ? - Pas très loin. Je suis dans les bureaux du FBI pour encore deux ou trois jours. Nous avons des… analyses à terminer. Don venait de lui faire comprendre qu’il ne devait surtout pas en dire trop, même à Tony. La confidentialité de leur enquête restait de rigueur. - Bon, je dois te laisser. Si tu as des problèmes, cette fois-ci je serais joignable facilement. - Parfait, je vous rappellerai sûrement pour la finalisation des contrôles avant le lancement de la navette. - Sans soucis ! À plus tard. Don et Kevin entrèrent dans le laboratoire qui allait les accueillir pendant ces quelques jours. Malgré une ventilation continuelle, une odeur de brûlé flottait dans l’air. Le matériel informatique avait été soigneusement installé sur les différents plans de travail durant la nuit. Les deux techniciens qui devaient prêter main-forte à Kevin étaient arrivés très tôt pour préparer les lieux. - Oh ! Ça sent encore le cramé là-dedans, lança Don qui se frottait le nez pour tenter de faire passer les effluves désagréables. - C’est une odeur tenace qui risque de perdurer un bon moment, reprit Kevin. - 175 - - Bon, je crois que vous avez du pain sur la planche mon ami, alors je vous laisse quelques instants. J’ai une réunion avec notre directeur. Si vous avez besoin de quelque chose, nos deux rats de laboratoire Tom et Jerry sont à votre disposition. Kevin lança à Don un regard interrogateur… Tom et Jerry ??? - Notre duo de techniciens peut vous sembler être une blague, mais je vous assure qu’ils sont tout à fait capables. Quoi que ! Laissez-moi vous présenter Tomas Tate et Jerry Jones. Les deux compères approchèrent pour saluer l’ingénieur de la NASA. En réalité, il avait plus de choses en commun avec « Laurel et Hardy » qu’avec les animaux de Disney. Tom était le stéréotype parfait de l’informaticien : un amateur de bière et pizza bien en chair, qui arborait une paire de lunettes à double foyer. Extrêmement bavard, il adorait taquiner son collègue Jerry qui restait de marbre aux blagues potaches de son envahissant binôme. Contrairement à lui, Jerry était grand, mince à la limite du squelettique, et très discret. - Pour le moment, je vais effectuer un inventaire rapide de ce que nous avons récupéré, leur dit Kevin. Ensuite, nous pourrons entrer dans le vif du sujet et toutes les bonnes volontés seront bienvenues. Kevin entreprit sa tâche de façon précise et méthodique. Il lista le matériel et annota des informations sur l’état visuel des différents composants. Les disques durs et autres supports de sauvegarde l’intéressaient plus particulièrement. Lorsque son tour d’horizon fut terminé, il donna ses indications aux deux techniciens. - Nous allons procéder par ordre, leur lança-t-il. Nous commencerons par analyser les médias de stockage des machines que j’ai repérées. On les démonte et on leur passe tous les logiciels de tests qui sont présents sur le serveur du fond. En premier lieu, une analyse physique du disque va être effectuée. Ensuite, une copie complète est faite pour éviter toute perte de données, involontaire ou pas. Nous finirons cette première étape avec une batterie de trois d’antivirus et antispywares. Si tout va bien après tout cela, nous brancherons le disque sur le deuxième serveur pour un contrôle des fichiers susceptibles de nous intéresser. Messieurs, au travail ! À l’autre bout de la ville, Tony relisait pour la trois ou quatrièmes fois la check-list qu’il devait vérifier, en vue du prochain lancement de navette. - 176 - La pression se faisait de plus en plus forte. Il essayait toutefois d’afficher un sentiment de sérénité que Kevin aurait apprécié en pareilles circonstances. Mais la date de départ approchant à grands pas, il se sentait de moins en moins à l’aise. Tous les tests montraient que les différents systèmes informatiques étaient sains, mais une petite voix intérieure lui rappelait sans cesse que rien n’était joué d’avance. Une mission était toujours un enjeu technologique et humain, qui demandait la plus grande concentration et une rigueur sans faille. Aussi, les évènements de la semaine passée n’ayant pas encore été élucidés, il commençait à stresser. Sarah et Don venaient d’avoir une réunion avec le directeur Fitzgerald. Plusieurs points avaient été évoqués, mais il était clair pour tous les protagonistes que le résultat des analyses du matériel ayant appartenu à Durand était primordial pour la poursuite de l’enquête. Toutes les autres pistes détaillées au cours de cet entretien devraient être approfondies le moment opportun. Mais en cet instant, les recherches de Kevin Klein restaient leur principal atout dans cette affaire. - J’ai sondé Anthony Alessandro hier soir, dit Liz à son assistant. Je pense qu’on peut en tirer quelque chose. Débrouille-toi pour en savoir un maximum sur lui, sa famille, ses habitudes, ses hobbies, tout ! - C’est comme si c’était fait, promit Georges Goranovic. Élisabeth McCarthy avait un flair infaillible dans ce genre de situation. Depuis sa rencontre avec Tony quelques heures auparavant, elle sentait qu’il avait des choses à lui apprendre, qu’il n’avait pas été franc avec elle. Sa proie enfin trouvée, elle allait s’arranger pour ne pas la laisser s’échapper. Le jeune homme ne serait pas à la fête lorsqu’elle en aurait fini avec lui. Au cours de la journée, Klein accompagné de ses deux acolytes était sur une bonne piste. Les premiers tests montrèrent que certains disques durs avaient bien résisté à l’explosion et aux courts-circuits. Le virus n’avait été détecté que sur un seul d’entre eux, ce qui laissa penser que Durand avait trouvé le moyen de le canaliser, ou qu’il en était l’auteur et savait parfaitement comment s’y prendre pour sécuriser le reste de son matériel. L’optimisme était de rigueur dans le laboratoire, ce qui n’avait pas débridé Jerry Jones, contrairement à son collègue Tom Tates - 177 - devenu hilare. Les blagues à deux sous fusaient sans discontinuer, du plus soft au plus graveleux. Kevin qui n’était pas habitué à travailler sous ce régime, appréciait malgré tout cette humeur joyeuse et agrémentait le monologue de Tates comme il le pouvait en lançant des réparties piquantes entre deux rires. En début de soirée, la première phase était terminée et la suite des évènements s’annonçait prometteuse. Le jour suivant serait décisif pour leurs investigations. Ils allaient enfin rentrer dans le vif du sujet, à savoir l’étude des fichiers à proprement parler. Kevin était très excité par ce qui l’attendait. Sa vie, somme toute monotone, venait de s’agrémenter d’un peu de piquant. Il avait le sentiment de revivre des émotions connues durant son passé. Il n’avait pas encore de montée d’adrénaline fulgurante comme il en avait vécue pendant certaines missions effectuées pour le FBI, mais l’enjeu était suffisamment important pour le maintenir dans un état d’excitation permanente. Bien qu’il n’ait pas une grande envie de quitter les lieux, Sarah réussit à le faire changer d’avis. - Kevin, vous êtes encore là ? - Oui, j’aimerai finaliser quelques tests avant de partir. - Vous savez que vous n’êtes pas obligé de faire des journées de vingt heures. Notre directeur ne vous en tiendra pas rigueur si vous rentrez chez vous, lui lança-t-elle avec un large sourire. - Vous savez ce que c’est… Lorsqu’on est pris dans un travail intéressant, il est parfois difficile de s’arrêter avant d’avoir atteint son but. - Allez, venez. Vos machines seront encore là demain. Nous allons boire un verre avec Don, accompagnez-nous ! Ça vous changera les idées. Kevin n’hésita pas vraiment longtemps. Même si la compagnie des deux énergumènes qui l’avait épaulé durant cette journée était vivifiante, une présence féminine lui ferait le plus grand bien. Il voyait cela comme une purge de l’esprit pour contrebalancer les blagues machistes de Tom. Sarah fut ravie de cette décision. Depuis leur virée en Europe, un sentiment d’amitié grandissait à son encontre. Elle s’était également rendue compte que la froideur qu’il dégageait à la première impression était toute relative. - 178 - CHAPITRE 44 La soirée était déjà bien avancée lorsque Sarah et Don arrivèrent dans leur repère habituel. Ce bar à flics était fréquenté par une horde de représentants de la loi de tous horizons. Kevin les rejoignait juste au moment où ils entrèrent dans la place. Don leur annonça la couleur dès leur arrivée : « Une bière et basta. On a du boulot demain ! » Seulement, une chose en entraînant une autre, il retrouva quelques vieux camarades et finit par délaisser totalement Sarah et Kevin pour fêter la promotion d’un de ses anciens collègues. L’ambiance était festive, bon-enfant comme souvent dans ces circonstances, mais surtout particulièrement bruyante. Sarah et Kevin, toujours accoudés au bar, décidèrent de s’installer à l’écart et dînèrent sous les chants déchaînés des convives présents. - Vous avez fait des découvertes intéressantes aujourd’hui ? lui demanda-t-elle lorsque le volume sonore retomba l’espace d’une seconde. - Pas à proprement parler. Je veux prendre le maximum de précaution pour éviter de perdre irrémédiablement des données importantes. On a tout d’abord mis l’accent sur l’analyse des médias de stockage ainsi que sur les sauvegardes. Seulement, ces opérations sont relativement longues. - Et demain, vous entrez dans le vif du sujet ? - Exactement. Les Laurel et Hardy que vous m’avez assignés… Sarah faillit étouffer de rire en entendant Kevin les appeler ainsi. Elle avala de travers, se mit à tousser, et tousser encore. Kevin qui n’était pas un boute-en-train né se sentit gêné de la mettre dans une telle situation. - Ça va Sarah ? Je suis désolé, je ne voulais pas… - Ça va, lui répondit-elle dans un effort pour ne pas s’étrangler. Les larmes aux yeux, elle finit par retrouver son calme juste au moment où Don, qui avait suivi discrètement la soirée des deux tourtereaux, arriva à leur table. - Et bien mon vieux, vous avez le chic pour faire plaisir aux femmes. Regarder cette pauvre Sarah, elle pleure comme une Madeleine ! - Lâche-nous ! lui lança-t-elle à nouveau d’attaque. - Je suis désolé Sarah, reprit Kevin qui était finalement très heureux de son effet. Il venait de briser la glace d’une façon très inattendue. - 179 - - Tout va bien, j’ai seulement avalé de travers. Et toi, retourne picoler avec tes potes de régiment ! - Oh là ! Mademoiselle a retrouvé la grande forme. Aussitôt dit, aussitôt fait, Don fit demi-tour en titubant et en hurlant un tonitruant « à boire ». - Il en a un sérieux coup dans le nez, ajouta Sarah en le regardant se diriger vers le bar ! Quand il est comme ça, il est intenable. - Qu’est ce qu’ils fêtent ? - La promotion du tout nouveau capitaine de police. Ils ont fait leurs classes ensemble. D’ailleurs, ils seraient sûrement dans la même brigade si Don n’avait pas été recruté par le FBI il y a quelques années. De vrais frères de sang, ces deux-là ! Mais que vouliez-vous me dire à propos de Tomas et Jerry ? - Ah oui ! Nous avons bien avancé aujourd’hui. La phase de préparation est finie et nous allons pouvoir commencer l’analyse des fichiers. J’ai bon espoir de trouver le chaînon manquant qui nous permettra d’éradiquer définitivement le virus. - Vous êtes optimiste ? - Plutôt réaliste, répondit Kevin, car une chose m’a frappé cet aprèsmidi. Une seule machine parmi toutes celles que nous avons récupérées est infectée par le virus. Pourtant, l’ensemble du matériel était en réseau. Cela me laisse penser que Durand savait parfaitement le contrôler. Du moins, il avait réussi à le contenir sur cet unique PC, chose que nous sommes incapables de faire pour le moment. - Cela signifie que l’analyse approfondie de ces fichiers permettrait de déterminer si oui ou non, Henri Durand était bien dans le coup, et même d’en trouver un remède ? - J’ai bon espoir, répondit-il d’un air pensif. La fête battait son plein à l’autre bout du bar. La troupe de personnes présentes faisait plus de bruit qu’un stade de football un jour de grand match. Les chants de bidasses couvraient les échos des journaux télévisés, retransmis en continu sur un écran plat dans un coin de la salle. Don n’était pas le dernier dans cette histoire. Il s’était pourtant juré de rester raisonnable, mais il ne fêtait pas tous les jours un tel évènement. Son copain de chambrée, un frère à ses yeux avec qui il avait supporté le pire de l’entraînement pour devenir policier, était aujourd’hui promu « Capitaine » ! Lui avait conservé son statut d’agent - 180 - spécial au FBI, mais il ne regrettait rien. Son existence avait été beaucoup plus intéressante professionnellement parlant. Les voyages au travers du pays, les rencontres opportunes et cette vie d’éternel célibataire lui convenaient parfaitement. Même après toutes ces années, il n’avait finalement aucun regret. À une époque, il avait pourtant failli se marier, et avait songé à fonder une famille. Et puis, son métier avait eu raison de ses belles illusions, comme beaucoup de ses collègues. - Liz, j’ai du nouveau concernant ton italien, lança Georges à sa patronne. Je pense que ça va t’intéresser au plus haut point. Ton gamin est très copain avec le fondateur « d’Avenir Propre ». - Comment sais-tu ça toi ? - Des relations, ma chère… En tout état de cause, notre bonhomme a connu Henri Durand lorsqu’il était gamin. D’après ce qu’on m’a dit, il était souvent fourré avec sa fille pendant leurs jeunes années. Ensuite, il a fait de brillantes études subventionnées par qui ? Je te le donne en mille… la même fondation. - Qu’est ce que cette fondation d’écolo à deux sous vient faire dans toute cette histoire ? demanda Liz. - Attends, je t’ai gardé le meilleur pour la fin ! Je n’ai pas encore eu de confirmation officielle, mais il semble que le FBI ait dans sa ligne de mire son président : le bien nommé Henri Durand. - Le bien nommé Henri Durand ! répéta Liz pour se moquer des expressions désuètes employées par son assistant. Qu’est qu’il a fait ce bien nommé Henri Durand ? - Quoi ? Il y a une loi qui empêche de dire cette expression aux ÉtatsUnis ? demanda-t-il énervé. Je croyais que c’était le pays des libertés… - C’est bon, abrège ! lâcha-t-elle. - Pour revenir à notre mouton, c’était un petit génie de l’informatique dans son jeune temps. Et puis, il a tout plaqué du jour au lendemain pour s’occuper de cette fondation. - Alors comme ça, notre beau Tony serait le protégé d’un as de l’informatique… intéressant tout ça. Il va falloir creuser la question. Je veux tout savoir sur leur relation : professionnelle, amicale et même financière. - Tu as vu qu’il est déjà plus de vingt-deux heures, reprit Georges qui ne désirait qu’une chose : rentrer chez lui pour retrouver sa famille. Mes heures supplémentaires vont finir par te coûter très cher… - 181 - - Ne t’en fais pas pour mon portefeuille. Bon OK, casse-toi, mais on reprend tout cela demain matin dès huit heures. - Va pour neuf ? - Ces maudits étrangers, tous des tires-aux-flancs, lui souffla-t-elle. Huit heures et pas une minute de retard sinon je te vire. CHAPITRE 45 Au petit matin, Kevin eut du mal à se lever malgré le rappel incessant de son réveil. Après l’avoir sauvagement frappé pour qu’il stoppe cette alarme d’apocalypse, il réussit dans un ultime effort à se tirer du lit. Le manque de sommeil n’avait jamais été un problème pour lui, mais cette fois-ci, il avait dû somnoler une heure ou deux, tout au plus. Son cerveau était en pleine ébullition. Il ressassait cette excellente soirée avec Sarah, ce qui l’attendait le lendemain... tout et n’importe quoi ! À croire que quelqu’un contrôlait ses pensées pour l’empêcher de dormir ! Il se tira de sa torpeur avec difficulté, puis fila sous la douche. Sur le coup, l’eau tiède lui remit les idées en place. Un rapide petit déjeuner plus tard, il quitta son appartement pour se rendre au bureau du FBI. Cette fois, il savait que Don ne serait pas là pour venir le chercher, vu son état d’ébriété bien avancé quelques heures plus tôt. Il s’apprêtait à monter dans son véhicule garé sur le bord de la route, lorsqu’un klaxon de voiture le fit sursauter. Don l’attendait, comme la veille, à la même place. Il sirotait un café, tranquillement. Kevin le salua en le fixant intensément. Il était frais comme un gardon ! - Vous avez l’air en pleine forme ? - Oui pourquoi ? - Et bien, après la soirée arrosée d’hier, j’aurais cru que… - Ça !!! Une petite fête entre amis, rien de bien méchant, le coupa Don. - Vous avez une sacrée santé mon vieux ! - Vous savez ce qu’on dit, il vaut mieux profiter de la vie tant qu’on le peut encore. Don démarra, la radio était branchée sur les informations nationales. Les nouvelles étaient toujours aussi alarmistes. C’était une mode dans le milieu du journalisme, il fallait faire pleurer dans les chaumières, de la catastrophe en cascade, du scoop et une pointe de dépravation. Kevin, qui sentait l’effet tonifiant de la douche s’estomper, finit par retomber - 182 - dans un état de fatigue léthargique. Il avait hâte d’arriver pour pouvoir se mettre au travail, ce qui lui redonnerait un coup de fouet salvateur. Dès leur arrivée au siège du FBI, Herbert Hoover les invita à le suivre dans la salle de réunion. Sarah était déjà sur place et épluchait un dossier. Plusieurs responsables du bureau fédéral étaient également de la partie. Jerry, fidèle à lui-même, faisait une tête d’enterrement. Ce qui frappa Kevin au premier regard, c’est la mine déconfite de Tom, le trublion de service. Il arborait un visage de marbre, sans vie ni émotion. - Installez-vous, leur intima Hoover. Cette nuit, nous avons été victimes d’un sabotage au sein même de ces locaux, lança-t-il sans attendre. La situation est extrêmement grave, car nous avons perdu tout ce que nous avions récupéré sur les lieux d’enquête depuis ces derniers jours. Des chuchotements se firent entendre dans la pièce. Tous les protagonistes comprirent l’importance de l’annonce d’Herbert Hoover. Les investigations en cours étaient purement et simplement réduites à néant. - Dans ces circonstances, j’ai été obligé de faire appel à des enquêteurs extérieurs au service, reprit-il. Bien entendu, je vous demande votre pleine et entière collaboration. Vous allez tous être entendus ce matin, et en fonction de leur rapport, nous aviserons de la suite des évènements en début d’après-midi. - Quelle est l’ampleur du sabotage ? chuchota Kevin à l’encontre de Sarah. - Le laboratoire dans lequel vous avez travaillé toute la journée d’hier a brûlé. Les alarmes anti incendies se sont déclenchées vers quatre heures, mais il était déjà trop tard. La plus grande partie du matériel était partie en fumée. - C’est bizarre, je pensais que les systèmes d’extraction d’air qui ont été installés dans ce laboratoire étaient d’une efficacité redoutable ! - C’est justement pour cette raison que nous sommes sûrs qu’il s’agit d’un sabotage. L’alarme s’est déclenchée plusieurs minutes après le début de l’incendie et rien n’a résisté. - Puis-je voir les dégâts ? demanda Kevin. On ne sait jamais, tout n’est peut-être pas perdu. - Je suis désolé, Monsieur Klein, lui lança Hoover qui les rejoignait au même instant, mais avant de faire quoi que ce soit, vous devrez répondre à nos enquêteurs. - 183 - - Je comprends, mais j’aimerais en finir au plus vite avec eux pour savoir si je suis encore utile ici. S’il n’y a plus rien à tirer des restes du matériel, je rentre à la NASA, car j’ai du travail qui m’attend. - Parfait, vous passerez en priorité. Le service d’investigation, dépêché en urgence pour cette enquête, était composé de trois personnes : un agent spécial du bureau, qui était appelé pour résoudre les affaires les plus délicates, un enquêteur spécialisé dans la sécurité informatique et un profileur. Hoover suivait les interrogatoires depuis une pièce voisine, à l’abri derrière une glace sans tain. Après une demi-journée d’entretien, tout le personnel ayant accès au laboratoire fut entendu. Une seule chose en découla : le FBI était envahi d’alcoolique notoire ! Sarah, Kevin et Don avaient passé une partie de la nuit dans ce bar à faire la fête. La médaille du mérite revenait à l’agent Dalton, qui n’était même pas rentré chez lui que pour se changer. Tom était resté à son domicile pour surfer sur Internet et discuter sur des forums de rencontre. Un rapide contrôle montra qu’il avait été parfaitement honnête, malgré la gêne évidente d’étaler à des inconnus sa minable vie sociale. Jerry n’avait pas d’alibi pour la soirée, mais les réponses qu’il donna semblèrent satisfaire le psychologue présent. Il ne mentait pas, d’ailleurs il n’en avait aucun intérêt. Il s’était endormi devant une ultime rediffusion d’un épisode de la guerre des étoiles. Le résultat fut négatif pour les autres personnes ayant accès aux locaux. À la suite des entretiens, Hoover fit un point avec les trois agents spéciaux fraîchement débarqués. Ils avaient acquis la quasicertitude qu’aucun des membres du personnel interrogé n’était impliqué dans l’incendie de la nuit précédente. Kevin eut l’autorisation de retourner dans le laboratoire en début d’après-midi. Pendant la matinée, les lieux avaient été examinés sous toutes les coutures, des relevées d’empreintes avaient été effectuées et de multiples photos avaient été prises pour tenter de comprendre l’origine du sinistre. Lorsqu’il arriva enfin devant l’entrée de la pièce, il s’attendait à trouver des traces de suie un peu partout, et sentir une odeur ocre planant dans l’air ; une sorte de déjà-vu avec ce qu’il avait constaté dans la caverne de Durand en Suisse. Bizarrement, rien ne semblait avoir souffert du feu dans cette pièce. Son étonnement fut - 184 - atténué quand Sarah lui expliqua ce qui s’était réellement passé cette nuit. - J’ai vu les images des caméras de surveillance. Aucune intrusion n’a été remarquée avant le déclenchement de l’alarme incendie. - J’avoue ne pas bien vous suivre ! - Lorsqu’on regarde le laboratoire dans son ensemble, il n’y a rien d’apparent. Seulement en y regardant de plus près, on constate que l’intérieur des ordinateurs s’est littéralement consumé ! En fait, sans cette alarme incendie, je ne suis pas sûr que nous l’aurions vu quoique ce soit avant votre retour. - Et vous êtes certaine que personne n’est entrée dans la pièce depuis notre départ hier soir ? - Il n’y a eu que l’homme d’entretien qui est passé vers vingt heures trente. - Et vous avez confiance en lui ? demanda Kevin soudainement intéressé. - Il travaille ici depuis de nombreuses années… C’est un vétéran du FBI si je puis dire. - Pourrais-je voir la vidéo s'il vous plait ? - Je ne pense pas que ce soit un problème, reprit Sarah. Suivez-moi. Ils sortirent du laboratoire d’un pas rapide. Sarah ralentit la cadence pour laisser Kevin arriver à sa hauteur. Elle ne voulait pas se l’avouer, mais son compagnon d’un jour l’intriguait. Il semblait avoir une longueur d’avance sur ces propres réflexions concernant cet incendie. Elle finit par lui demander : - Je me trompe ou vous avez une idée derrière la tête ? - À vrai dire, je n’en sais encore rien, mais il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. N’importe qui pourrait vous dire que ça n’est pas un feu normal qui s’est produit cette nuit. Vous avez constaté que les extérieurs des ordinateurs n’ont quasiment aucune trace. De plus, ce genre de matériel dégage une odeur très particulière lorsqu’il brûle. D’après ce que j’ai entrevu, ça ressemble à une dissolution à l’acide, ou quelque chose d’avoisinant. Il va falloir que j’examine ça au microscope, à moins que vous n’ayez un laborantin qui sache utiliser l’attirail du parfait petit chimiste ? En tout cas, s’il y a bien une chose dont je suis sûr, c’est que ce type de réaction chimique n’arrive pas spontanément. Quelqu’un a obligatoirement déposé une substance sur les disques pour obtenir un tel résultat. - 185 - - Et vous pensez réellement que notre homme d’entretien, qui fait pratiquement partie des murs, y est pour quelque chose ? Allons, ça n’est pas sérieux ! - Je n’ai pas dit ça, répliqua Kevin sur la défensive. Ce que je veux vous expliquer, c’est qu’un appareil électronique, quel qu’il soit, ne se consume pas tout seul. Hier soir avant de quitter le laboratoire, j’ai volontairement débranché les machines des réseaux électriques et informatiques, pour éviter tout risque inutile. Vous comprenez ma surprise de ce matin et surtout mon interrogation concernant une intrusion possible. - Monsieur est un petit cachotier, lui lança Sarah, un sourire aux coins des lèvres. Vous ne nous faites pas confiance ? - Il y a de quoi, non ? Après ce qui vient de se passer, vous admettrez aisément que je suis loin de faire de la paranoïa. Par contre, j’espère que vous, vous avez enfin confiance en mes capacités et mon jugement pour réaliser ce travail ? - Oh, mais vous l’avez toujours eu, lui murmura Sarah très sensuellement. Je ne dis pas qu’au premier abord, vous paraissiez être le suspect idéal, mais depuis notre voyage en Suisse, les choses ont changé, n’est-ce pas ? - Nous sommes d’accord, répliqua Kevin qui sentit un frisson lui traverser le corps. Cela faisait très longtemps qu’il n’avait pas ressenti une telle sensation. La soirée passée en tête à tête avec l’agent spécial lui avait été particulièrement agréable, et cette journée s’avérait, sur le plan relationnel, de plus en plus forte en émotion. Malgré l’interrogatoire qu’il avait subi en début de matinée, accompagné par son lot de frustration, de tension voire de stress, la complicité qui était en train de s’établir avec Sarah lui tournait la tête. - Avant d’aller plus loin, je dois vous faire un aveu, ajouta-t-il. Elle le regarda fixement de ses grands yeux verts. Une attention qui faillit le faire bafouiller lorsqu’il voulut continuer sur sa lancée. - Hier soir, j’ai conservé avec moi le téléphone portable de Durand. - Ah ! Et pourquoi ? - Une vieille habitude prise quand j’étais « employé » par le gouvernement, il y a quelques années. - Toujours ce problème de confiance envers les autorités ? - 186 - - Probablement, reprit Kevin, désolé de casser une ambiance si prometteuse. - Pourquoi ne m’avoir rien dit ? - J’allais le faire au moment où je vous ai rejoint dans ce bar. Finalement, la soirée était tellement agréable que je n’y ai plus pensé. C’est seulement ce matin en fermant ma porte à clé que je l’ai senti dans la poche de ma veste. - Je croyais qu’après son séjour dans le lac Léman, il était définitivement fichu ? - La carte électronique a grillé, mais la mémoire est probablement intacte. Ça nous laisse une ultime chance… Sans s’en rendre compte, l’informaticien de la NASA venait de redonner espoir à Sarah. Ils se dirigèrent d’un bon pas vers le bureau de la sécurité. En arrivant devant la porte vitrée, Sarah salua le vigile présent. Il les fit entrer avec méfiance. L’agent Spader lui transmit la requête de Kevin. L’homme s’exécuta sans faire d’histoire. Il chargea une vidéo sur un des moniteurs. - Voilà, dit-il. L’enregistrement correspondant à la caméra du couloir qui filme l’entrée du laboratoire. Ça couvre la plage horaire de 20 h à 8 h le lendemain matin. Sarah le remercia, et les deux compères se mirent à visionner un film soporifique à souhait, à vitesse normale dans un premier temps, puis en accéléré. Une fois la vidéo entièrement visualisée, Kevin recala l’image sur la première scène où il y avait du mouvement. On y voyait l’homme d’entretien passer la serpillère comme tous les soirs. Il ne semblait pas en très grande forme, mais le pauvre lascar n’était plus tout jeune, rendant ses gestes péniblement lents. Il était présent durant neuf minutes, puis on retrouvait à nouveau un couloir vide. Le reste du film montrait le passage des vigiles faisant leurs rondes, rien de plus. - Une piste à l’eau, lança Sarah. Kevin ne répondit rien, il était presque déçu de ne pas voir un personnage crocheter la serrure, faire son affaire dans le laboratoire, puis repartir en courant. - Vous êtes sûr que les fenêtres ne s’ouvrent pas ? finit-il par demander. - Absolument. Elles ont été scellées lorsque le système de climatisation a été mis en place. La seule entrée possible est cette porte, affirma - 187 - l’agent de sécurité en montrant l’image renvoyée par le moniteur devant leurs yeux. - Peut-on revoir au ralenti le passage où l’homme d’entretien est dans le couloir ? Sarah recala le film, puis relança la lecture de la vidéo à la moitié de sa vitesse réelle. Le technicien de surface avait une attitude pataude, presque comique. - Et bien, il n’avait pas l’air dans son assiette votre bonhomme, lança Kevin. On dirait un film de Buster Keaton. - Ne vous moquez pas de nos anciens, répliqua Sarah, qui pouffait de rire. On ne sait pas dans quel état on sera à son âge. Bon, je reprends en vitesse normale parce qu’à ce train-là, nous y serons encore demain. - STOP, cria Kevin faisant sursauter sa compagne, mais également le vigile qui faillit dégainer son arme de service !!! - Vous êtes timbré de gueuler comme ça, lui lança-t-il ! - Désolé… Sarah, vous pourriez revenir en arrière au ralenti s’il vous plait. Elle le regarda d’un œil sévère, l’air de dire « ne me faites plus un coup comme ça », puis s’exécuta. - C’est ici, vous avez vu ? - Non, quoi ? reprit-elle. Le vigile curieux s’était approché, mais n’avait rien remarqué non plus, malgré son expérience en visionnage de vidéo de surveillance. - Mais si, revenez en avant, doucement… doucement, voilà ! - Rien vu, grogna le vigile. - Nettoyer vos lunettes, bon sang ! C’est là que ça se passe, reprit Kevin en montrant le bas de l’écran, à l’endroit où défilait le compteur de temps. On passe de 20 h 26 min 34 s à 20 h 28 min 34 s. Je vous accorde qu'avec la police d’écriture utilisée qui, ressemble à un afficheur digital des années 80, on voit à peine le changement. Il y a juste une barre en plus sur l’unité des minutes. Néanmoins, il manque bien deux minutes sur cette vidéo ! - Nom de Dieu, jura le vigile, mais c’est vrai !!! Et comme par hasard, c’est juste le moment où notre bonhomme est hors du champ. - 188 - CHAPITRE 46 - Est-ce que vous avez des sauvegardes de ses enregistrements ? demanda Kevin. - On conserve un doublon d’une semaine sur un deuxième serveur, répondit Sarah très au fait de la sécurité du bâtiment. L’accès est sécurisé, et seules quelques personnes ont les autorisations, dont le directeur. Sarah passa un coup de fil rapide à Francis Fitzgerald et lui expliqua en deux mots ce qu’ils venaient de découvrir. Elle avait tout juste eu le temps de finir son explication, qu’il lui annonçait qu’il arrivait sur-lechamp. Moins d’une minute plus tard, Sarah le vit débarquer au pas de course. Il était au bord de l’évanouissement, essoufflé par le manque d’activité physique, mais surtout à cause des innombrables cigarettes qu’il avait fumées durant toute sa vie. Lorsqu’il parvint enfin à reprendre son souffle, il regarda avec attention la vidéo en question, grommela quelques onomatopées incompréhensibles puis se posta derrière le clavier de l’ordinateur. Il navigua à travers les dédales du réseau informatique du FBI, tel un prophète à la recherche de l’illumination, avant d’atteindre son but. Il entra une série de code d’accès, puis s’identifia à l’aide un capteur digital présent sur le côté du clavier. Plus besoin de retenir une multitude de mots de passe avec ce système, il suffisait d’une empreinte pour déverrouiller le programme. Il chargea la copie de sauvegarde contenant la vidéo du jour en question. Il indiqua l’heure qui les intéressait particulièrement. Cette fois-ci, le compteur ne subit pas de saut temporel… Trois ou quatre secondes après 20 h 26 min 34 s, l’image montra l’homme d’entretien couper le champ de la caméra de surveillance en quatrième vitesse. Il se dirigea directement devant la porte du laboratoire, puis finit par l’ouvrir au bout d’une dizaine de secondes. - Comment il a pu rentrer là-dedans ? interrogea le vigile. Ils n’ont pas les clés et doivent être accompagnés d’un de nos gars pour y faire le ménage. - Il a probablement dû récupérer un passe quelque part, marmonna le directeur. L’homme venait d’entrer dans une des rares pièces à ne pas avoir de caméra de surveillance. Au bout d’une minute trente environ, il ressortait toujours au pas de course. La porte se referma toute seule - 189 - grâce au système pneumatique automatisé, puis il disparut par où il était arrivé. - Si nous résumons, annonça Francis Fitzgerald, nous avons ici notre suspect principal. De toute évidence, il se fait passer pour un homme d’entretien, avec sa casquette sur la tête, probablement une fausse barbe et des lunettes à double foyer. Autant dire qu’il sera difficilement identifiable avec ce que nous avons là. Ensuite, il entre on ne sait comment dans le laboratoire, y reste quatre-vingt-dix secondes, et reprend son travail normalement pour ne pas attirer l’attention. Il en a quand même profité pour faire un petit tour dans ce local technique, le temps de trafiquer la vidéo, et est reparti chez lui, ni vu ni connu. Une question me brûle particulièrement les lèvres. Comment a-t-il réussi à accéder à ce pupitre sans qu’aucun gardien ne s’en aperçoive ? lança-t-il à l’intention du vigile. Ce dernier, visiblement mal à l’aise d’être ainsi accusé de manquement à son devoir, essaya de défendre les siens. - Monsieur le Directeur, je ne sais pas précisément ce qui s’est passé hier soir lorsque mes collègues étaient de faction, mais une des premières choses qu’on nous apprend quand on arrive ici, c’est de ne jamais laisser le poste de garde sans surveillance. Je vais jeter un œil au rapport de la nuit. - Faites donc ça ! L’homme farfouilla un dossier épais comme une encyclopédie universelle d’avant l’ère informatique, puis finit par trouver le jour concerné. - Voilà ! 18 h… fin de mon service… 20 h… première ronde de nuit, rien à signaler… 20 h 11… Ah ! Une alarme incendie dans le bâtiment D… 20 h 18, encore une autre… C’est bien simple, il y a eu sept alarmes, à l’opposé du laboratoire en moins de trente minutes. - Qu’est ce que c’est que ce bordel ? gueula le directeur. Montrez-moi ça ! - À 20 h 24, les pompiers sont arrivés sur site et ne sont repartis que vingt minutes plus tard environ. - C’est la procédure, reprit le vigile. Lorsqu’une alarme se déclenche, les pompiers sont aussitôt avertis et les vigiles de faction doivent les accompagner tout le temps de leur intervention. Ce qui est bizarre, c’est que le rapport ne mentionne aucun feu. En fait, ils sont venus et ont dû faire un tour dans les différents bâtiments concernés sans rien constater. - 190 - - Bon, c’est bien joli tout ça, mais ça ne nous explique pas comment la vidéo a été trafiquée ! reprit le directeur. - Si je peux me permettre, continua Kevin, il est toujours possible qu’elle ait été piratée de l’extérieur. Les systèmes de sécurité ne sont jamais fiables à cent pour cent. - Ne sommes-nous pas protégés contre ce genre d’intrusion ? demandat-il à Sarah. - En théorie, oui. Cela dit, je ne suis pas expert comme monsieur Klein, mais avec les bons outils et les bons mots de passe, je suppose tout est envisageable. - Avez-vous eu une intervention sur votre ordinateur récemment ? ajouta Kevin. - Il y a quelques semaines… Un type de la maintenance est venu changer le clavier parce que… comment dire… un collègue a involontairement renversé du café dessus, répondit l’agent de sécurité très mal à l’aise. - Ne cherchez pas plus loin. Kevin débrancha le clavier en question, demanda un petit tournevis au vigile qui s’exécuta sans broncher. Une dizaine de vis plus tard, l’objet éventré montra un joli mouchard miniature de très haute technologie. - Voilà votre coupable. Le pirate a profité de cette occasion pour planquer un module qui mémorise toutes les touches frappées, et envoie un fichier probablement crypté vers une messagerie quelconque. Après, le bonhomme n’a plus qu’à analyser ce fichier pour récupérer les noms d’utilisateurs et mots de passe donnant accès à votre ordinateur. - Qu’est ce qui se passe ici ? grogna le directeur Fitzgerald. On est dans un James Bond où quoi ? Comment ce bidule a-t-il pu atterrir dans ce clavier ? Qui est-ce qui est venu vous le mettre en place ? - Euh ! Ça remonte à pas mal de temps, Monsieur, répondit le vigile. Si mes souvenirs sont exacts, il me semble que c’était le grand tout maigre. - Jerry, reprit Sarah. - Amenez-le-moi dans mon bureau illico, lança le directeur. Je veux tout savoir sur ce clavier : qui nous l’a livré et quand, où il a été fabriqué… absolument toute son histoire. Et une dernière chose, il va sans dire que s’il faisait partit d’un lot, il faut me vérifier tous les autres. - Très bien, monsieur. On s’en charge, dit Don qui était resté relativement muet jusqu’à présent. - 191 - - Kevin, vous allez décortiquer ce machin, reprit Don avant de quitter le bureau du vigile avec Sarah. Nous devons impérativement savoir où le mouchard envoie ses données. Sarah et moi, on ramène notre bon ami Jerry chez le directeur, puis on va contrôler les autres claviers susceptibles de contenir la même merde, ajouta-t-il en lançant le petit module électronique à Kevin. Dès que vous avez du nouveau, bipeznous ! « Bipez-nous ! » Il en a de bien bonnes, songea Kevin. - On va faire ça, reprit-il. Je serais au laboratoire avec Tom pour analyser « votre » merde comme vous dite. - Pas de mauvais esprit Monsieur le génie, lui rendit Don. Vous devriez savoir mieux que quiconque qu’on ne rigole pas avec l’espionnage de sites gouvernementaux ! Au travail maintenant. Ils arrivèrent ensemble aux portes de la salle technique où Tom et Jerry attendaient tranquillement qu’on veuille leur expliquer ce qu’il se passait. Le local donnait l’impression à un visiteur non habitué de pénétrer dans un véritable dépotoir. Une multitude de pièces détachées d’ordinateurs et d’imprimantes jonchaient les différents plans de travail. Dans un coin à part, les bureaux des deux techniciens ne valaient guère mieux. Entre les documents, les piles de DVD, les clés USB et autres disques externes, il n’y avait pas un centimètre carré de libre. En voyant leurs collègues arriver, Tom ne put retenir son agacement plus longtemps. - Ah ! Quand même !!! On se souvient enfin qu’on existe. - Jerry, le directeur désire t’interroger, dit Sarah en guise d’introduction. - Moi ? - C’est urgent, merci. Il s’exécuta malgré une pointe d’appréhension naissante. Lorsqu’il fut sorti, Tom se lança : - Qu'est-ce qui se passe, nom d’un chien ? Après avoir eu droit à un interrogatoire digne de la Gestapo pendant près d’une heure ce matin, on nous laisse poireauter comme des cons ! Maintenant, tu nous dis qu’on est convoqué chez le directeur ! C’est quoi le problème ? On est soupçonné d’avoir délibérément détruit des preuves ou quoi ? - Pas « on », seulement Jerry, répondit Don. - Qu’est ce qu’on lui reproche ? Écouter, c’est probablement mon meilleur ami. S’il était impliqué dans quoi que ce soit, je le saurais… - 192 - - Pour être brefs, nous avons découvert un mouchard dans le clavier qu’il a changé dans le bureau des vigiles il y a quelques semaines, reprit Don. Il faut que tu nous aides à connaître sa provenance et qu’on sache s’il y en a d’autres dans la boutique. - C’est impossible ! continua Tom qui n’admettait pas cette idée farfelue. Le réseau est entièrement sécurisé. Si on avait été piraté, on l’aurait obligatoirement constaté. - Kevin Klein est sur le coup, il est en train d’étudier le mouchard. En attendant, fouille dans tes listings et dis-nous toute l’histoire de ce clavier. Tom s’exécuta, la rage au ventre. S’il y avait trahison de la part de Jerry, il ne s’en remettrait jamais. Pris par un élan de justice, il assembla les premières informations assez rapidement. Il lui fallut enfreindre quelques règles pour accéder aux sites des différents revendeurs. Francis Fitzgerald avait sous-entendu que cette affaire était une question de sécurité nationale et qu’il avait carte blanche dans ses investigations. Il ne s’en fit pas prier. - Écoutez, lança Tom aux deux agents, ce clavier fait partit d’un lot que nous avons acheté il y a presque trois mois. Il s’agit de claviers de grandes marques qui ne peuvent pas avoir été bricolés durant la phase d’assemblage. Tout est automatisé. Le moindre grain de poussière dans la chaîne de montage et c’est le drame dans ce genre d’usine. D’après ce que j’ai réussi à voir, le stockage est rigoureusement contrôlé. Le transport est la seule faille du maillon à mon avis. J’ai retrouvé le bon de livraison de notre colis, et vous avez l’itinéraire complet et le nom du chauffeur sur la feuille que je viens de vous imprimer. Chez nous, le matériel est immédiatement stocké dans notre local technique. Jerry et moi sommes les seuls à avoir le code et la clé. - Est-ce que tu as l’emploi du temps exact du livreur ? demanda Sarah. Il faut qu’on sache où il a été, à quelle heure, ces temps de repos… etc. - Le voyage a duré deux jours en camion, avec une halte pendant la nuit dans un motel. J’ai réussi à accéder à la comptabilité du transporteur, ça m’a permis de retrouver ses fiches de frais, reprit Tom assez fier de lui. Voilà comment je vois la chose. Imaginez que vous surveillez les transports qui partent d’une usine de fabrication d’appareils informatique. Vous en suivez un qui a une plaque d’un autre État pour être sûr qu’il ne va pas livrer chez le voisin du coin. Pendant la nuit, vous crochetez la serrure de la remorque, faites votre petite affaire et le - 193 - tour est joué. Avec un peu de chance, ça file directement sur un site intéressant qui peut rapporter gros : piratage industriel, chantage, secrets gouvernementaux, tout est possible ! - Autrement dit, tu penses qu’on est tombé sur une bande organisée qui pratique l’espionnage à grande échelle, lança Don. Il va falloir enquêter sur ce chauffeur, voir dans quel milieu il a l’habitude d’évoluer. On pourrait avoir des surprises… - Un dernier point reprit Tom qui était en train d’éplucher un listing différent. Trois autres claviers du même lot ont été mis en place, dont un… il pointa la ligne pour ne pas faire d’erreurs… chez le directeur ! - Et bien bravo, lança Don qui venait de comprendre le pourquoi du comment ! Nous avons trouvé notre faille ! Voilà comment notre bonhomme a réussi à s’infiltrer aussi facilement. S’il a récupéré les accès du chef, autant dire que la boutique lui était grande ouverte. - J’y cours, cria Tom, comme si sa vie en dépendait. Sarah et Don se regardèrent d’un air interrogateur sur la précipitation de leur collègue. En fait, Tom avait une arrière-pensée et ne voulait pas se faire souffler la place. Il désirait avant tout voir comment s’en sortait son camarade Jerry, et espérait intervenir en sa faveur auprès du directeur, le cas échéant. Lorsqu’il arriva devant le bureau gardé par sa secrétaire zélée, elle lui fit un signe de tête qui signifiait « Pas maintenant ! ». Elle raccrocha le combiné de téléphone quelques instants plus tard, après avoir aligné une série de « Oui monsieur » et « Non monsieur », indiquant que son interlocuteur était une pointure. - Que désirez-vous, mon cher Tom ? lui demanda-t-elle. - Est-ce que le directeur est là ? - Il est en réunion et ne veut pas être dérangé pour le moment. - Il est impératif que je le voie tout de suite… - « Ne pas déranger », ça ne signifie peut-être pas grand-chose dans le petit monde des informaticiens, mais dans les hautes sphères du pouvoir, il vaut mieux obéir ! - Mais c’est une question de sécurité, lança Tom dans un élan de supplication. L’ordinateur du directeur a été piraté et il faut d’urgence que je le déconnecte du réseau. - Ce n’est pas une ruse, dites-moi ? - 194 - - Absolument pas, et de toute façon, je rentre avec ou sans votre approbation. - Et bien, jeune homme, reprit la secrétaire qui appréciait moyennement qu’on passe par-dessus son autorité, il y a des règles de bonnes conduites que vous avez dû oublier, à force de traîner avec des machines… Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase, Tom avait frappé trois petits coups sur la porte du bureau du directeur, pour la forme, et l’avait ouverte sans attendre son invitation à entrer. Il s’engagea dans l’entrebâillement, puis commença à s’excuser : - Monsieur, je suis désolé de m’inviter de la sorte, mais il est impératif que je déconnecte votre ordinateur du réseau. - Et pourquoi, je vous prie ? - Votre clavier fait partie du même lot que ceux qui ont été piratés. - Quoi ??? Mais qu'est-ce que c’est que ce bordel à la fin ? Le directeur Fitzgerald n’était pas particulièrement grossier en temps normal, mais une bordée de jurons vola dans tous les sens pendant une petite minute. Jerry, qui était interrogé depuis quelques instants se sentit encore plus mal à l’aise par l’ambiance malsaine qui régnait dans la pièce. Il se retourna finalement vers Tom, un regard interrogateur sur le visage. - Il faut que je vous change votre clavier, dit Tom alors que son supérieur reprenait son souffle entre deux phrases. - Faites, au lieu de rester là les bras ballants ! Tom s’exécuta. Il fit un test de fonctionnement rapide puis repartit en s’excusant une nouvelle fois. Au lieu d’être remercié comme il se devait pour son initiative, il avait eu droit à la colère de son patron, probablement justifiée, mais pas à son encontre. Une deuxième volée de bois vert l’attendait à sa sortie du bureau. La secrétaire du directeur, comme un fidèle chien de garde, n’avait pas apprécié l’irrespect de ce technicien de bas étage. Il en prit pour son grade, mais tout cela lui passa au-dessus de la tête. Il savait qu’à un moment donné, on le remercierait d’avoir agi de la sorte. Il fallait juste que l’orage se dissipe ! - 195 - CHAPITRE 47 Pendant ce temps, Sarah et Don avaient récupéré les quelques mouchards trouvés parmi le lot de claviers infectés. En revenant au laboratoire où Kevin travaillait, ils le retrouvèrent affublé d’une paire de lunettes grossissante qui lui déforma le visage lorsqu’il se retourna pour les regarder entrer. Avec ses deux yeux énormes, entourés d’une minuscule bouche en bas, et une touffe de cheveux en haut, il avait l’air d’un insecte malfaisant. Sarah faillit éclater de rire en le voyant ainsi, Don lui ne put s’empêcher de lui balancer une remarque bien sentie. - Vous avez une bonne tête d’ahuri avec ça sur le nez ! J’espère que ce n’est pas contagieux ? - Très drôle, reprit Kevin. J’essaye de lire l’inscription marquée sur le circuit imprimé du mouchard, mais elle a pratiquement été effacée, d’où cette paire de lunettes atypique ! On distingue un logo gravé sur le module, mais, même avec ces loupes, je n’arrive pas à le voir correctement. Il me faudrait un microscope électronique pour bien faire, vous n’auriez pas ça par hasard ? - Euh ! Don chercha dans ses poches, désolé pas sur moi. Mais si vous me laissez quelques secondes, je vais en sortir un de mon chapeau ! - Il y a tout ce qu’il faut au laboratoire d’analyse, reprit Sarah sur un ton beaucoup plus professionnel. Je vous y emmène si vous me racontez ce que vous avez découvert jusqu’à présent. - Eh là… les deux tourtereaux, lança Don ! Et moi, je fais une sieste en vous attendant ! Pas de ça avec moi, je vous accompagne aussi. Les trois compères sortirent du bureau et se dirigèrent d’un pas rapide à l’autre bout du bâtiment. - Voilà ce que j’ai trouvé, continua Kevin. Le mouchard collecte les touches frappées sur le clavier. Une fois par jour et de manière aléatoire, le programme interne génère un fichier crypté qui rassemble ses informations et utilise la messagerie de l’ordinateur pour l’envoyer vers une adresse anonyme. - Et concrètement, à quoi ça sert ? demanda Don. - Avec le logiciel de décryptage adéquat et une analyse du listing, on récupère les suites de caractères récurrents. La plupart des gens ont l’habitude de déconnecter leur session dès qu’ils s’absentent pour des raisons de sécurité. Lors de la reconnexion, ils sont forcés de retaper leur mot de passe. On retrouve donc ces données de manière régulière - 196 - dans le fichier en question. Une fois ces différentes informations identifiées, la prise de contrôle d’un poste est un jeu d’enfant. Vous pouvez ensuite implanter un mouchard encore plus virulent, au nez et à la barbe de tout le monde. - Mais nos antivirus et nos pare-feux ne devraient-ils pas bloquer ce genre d’intrusion ? demanda Sarah. - Justement non, parce qu’avec ce type de procédé, l’attaque ne vient plus de l’extérieur. Tout se passe comme si l’utilisateur réalisait luimême ses actions. Dans ce cas-ci, le pirate a surtout eu la chance inouïe d’atterrir sur le poste d’un haut responsable, qui a un accès illimité au réseau complet du FBI. - C’est sûrement grâce à ça que notre homme de ménage factice a réussi à s’introduire aussi facilement, sans éveiller aucun soupçon, reprit Sarah. Concrètement, comment pouvons-nous stopper cela ? - Il faut tout d’abord changer les mots de passe de toutes vos sessions, puis exécuter une analyse détaillée du réseau. Ensuite, il serait judicieux d’effectuer un diagnostic complet du trafic entrant et sortant pour s’assurer qu’aucun programme pirate ne traîne quelque part. - Charmante perspective, lança Don ! On a eu un blackout total il y a quelques mois, lors d’un contrôle-surprise des services de renseignements. On a mis une semaine à s’en remettre ! Si on doit revivre la même chose, ça va être la fête !!! À leur arrivée au laboratoire scientifique, plusieurs personnes travaillaient sur divers échantillons provenant de scènes de crime, ceci dans un silence religieux. L’entrée des trois protagonistes fit l’effet d’un ouragan traversant la pièce. Don en profita pour leur souhaiter un bonjour tonitruant : - Salut les morts !!! Quelques-uns levèrent la tête, histoire de jeter un œil à cet énergumène qui venait les déranger en plein travail. D’autres, un peu plus habitués à l’extravagance de leur collègue, n’y prêtèrent même pas attention. Kevin s’installa derrière un bureau inoccupé, posa la carte électronique sous l’œilleton d’un microscope, régla le focus et scruta attentivement à travers les lentilles. - C’est du beau boulot, lança-t-il. Le logo est celui d’une grande firme de fabrication de composants. Il a été à moitié effacé, mais reste facilement reconnaissable. Par contre, l’identification de la puce a été parfaitement - 197 - limée. Autant vous dire qu’un suivi de la conception jusqu’à la vente est impossible sans cette information. - Merde, jura Don. Encore un coup dans l’eau. - Je pense qu’il serait judicieux de faire un point avec le directeur, lança Sarah. Ça commence à partir dans tous les sens, et il est impératif de recentrer nos recherches sur les points essentiels de cette affaire. Don et Kevin acquiescèrent en silence, et tous repartirent en file indienne vers le bureau de Francis Fitzgerald, laissant les laborantins retrouver une certaine sérénité dans leur travail. Ils rencontrèrent Tom en pleine discussion avec la secrétaire du directeur. Pour être exact, il s’agissait plus d’un monologue qu’autre chose. Le pauvre Tom en prenait pour son grade, mais cela ne semblait pas l’affecter outre mesure. - Alors, on se fait remonter les bretelles par une faible femme, lança Don à l’attention du technicien. - Vous, ça va ! répliqua la secrétaire entre deux phrases. Vous ne valez pas mieux que lui. - Désolé ma belle, mais on doit voir le chef et Tom vient avec nous. Il est toujours avec Jerry ? - Oui, mais… eh ! Vous ne pouvez pas entrer comme ça, répondit-elle de plus en plus énervée. Don avait déjà frappé à la porte, pour la forme, et l’avait ouverte avant d’en attendre l’ordre. - Chef, on peut vous voir ? demanda-t-il. - Vous savez ce qu’on dit, fit le directeur légèrement irrité, plus on est de fous… Ils entrèrent dans le bureau, et Don s’assura de refermer la porte au nez de la secrétaire qui voulait s’excuser auprès de son patron d’un tel comportement. « C’est un comble tout de même », songea-t-elle avant de retourner à son poste en pestant intérieurement après ces malotrus. À cet instant, Herbert Hoover arriva et lui fit signe qu’il était attendu. Elle n’eut même pas le courage, ni l’envie de dire quoi que ce soit. Un simple geste de dépit lui montra qu’il pouvait y aller. - 198 - CHAPITRE 48 - Laissez-moi résumer la situation, annonça Herbert Hoover à l’attention de son assemblée, composée de Francis Fitzgerald, Sarah Spader, Donald Dalton, Kevin Klein, Tom Tates et Jerry Jones. La NASA détecte il y a quelques jours un virus informatique sur leurs serveurs. Une première vérification montre que le problème n’est pas seulement local, mais inclut tout le réseau national. Après un travail d’investigation conséquent, nous établissons une liste de plusieurs noms de pirates potentiels, dont notre ami ici, ajouta-t-il en désignant Kevin. - Ça fait toujours plaisir à entendre, marmonna ce dernier. - Si, si ! reprit Hoover. Vous ne pouvez pas nier que vous avez les compétences pour faire ce genre de chose. Mais continuons… Nous organisons une arrestation conjointe des quatre principaux suspects, non sans mal il faut le reconnaitre, qui se solde finalement par un joli fiasco. On a un pirate de bas étage arrêté qui n’a rien à voir avec l’affaire, un autre qui a littéralement disparu de la surface de la planète et est probablement mort à l’heure qui l’est, un troisième qui s’est enfui s’en laisser de trace, et un dernier qui s’est tué lors de son interpellation. Au final, seul ce dernier semble faire partie du complot, mais comme les morts ne témoignent jamais... vous comprenez où je veux en venir. Enfin, nous récupérons son matériel, et comme par hasard, il est détruit cette nuit par un faux homme d’entretien, qui a réussi à s’infiltrer on ne sait comment. - En fait, on pense avoir trouvé une piste sérieuse, reprit Sarah. Nous venons de nous rendre compte qu’un lot de claviers d’ordinateurs a été trafiqué et a servi de mouchard. Nous en avons déjà identifié quelquesuns ici, au sein même du FBI, mais nous continuons nos recherches pour connaître leur origine et retrouver la trace du lot complet. - Ce qui explique la façon dont le pirate s’est infiltré dans notre réseau aussi facilement, ajouta le directeur Fitzgerald. - Pour revenir à notre affaire, reprit Hoover, nous ne sommes finalement pas plus avancés qu’au début de cette enquête ! On ne sait toujours pas comment le virus fonctionne, s’il est encore présent sur nos infrastructures, même sous une forme dormante. Alors, je vous le demande à vous les experts : comment pouvons-nous mettre un terme à tout ça ? - 199 - Chacun d’entre eux regardait ses chaussures, tête baissée, presque honteux de ne pas pouvoir répondre à cette simple question. Après cinq ou six secondes de silence, les têtes commencèrent à se relever, chacun scrutant son voisin pour voir s’il n’avait pas une idée géniale à proposer. - Si je suis considéré comme un suspect, finit par trancher Kevin, autant que je retourne à mon boulot. Ici, je ne vous suis d'aucune utilité ! - Ne le prenez pas mal, continua Hoover, mais vous êtes le seul à avoir eu une longueur d’avance sur tout le monde dans cette affaire. Chaque fois que l’enquête a connu une avancée significative, vous en étiez le principal auteur d’après les rapports que j’ai pu lire. - Ce qui fait de moi le suspect idéal… Bravo pour ce raisonnement limpide. - Je suppose qu’on peut effectivement vous libérer de vos devoirs de bon citoyen, lança Hoover, à moins que quelqu’un n’ait encore besoin de vos services ici ? Comme personne ne répondit à cette question, Kevin décida qu’il était temps de rentrer à la NASA ou un travail aussi important l’attendait. - Vous savez, dit-il à l’intention d’Hoover tout en quittant la pièce, l’informatique n’est pas un ennemi. Il faut sortir de votre caverne mon Capitaine et œuvrer avec les moyens actuels pour contrer ce genre d'attaque. Don et Tom faillirent éclater de rire en entendant Kevin faire référence au fameux Capitaine Caverne, ce vieux dessin animé montrant un héros hirsute, affublé d’un gourdin en guise d’arme. Tom s’imagina Hoover durant la période hippie, cheveux et barbe longue, en tenue colorée à fleurs. Il eut énormément de difficulté à contenir un rire nerveux qui se transforma en un mélange de toux, d’éternuement et de râle pour masquer son hilarité. Le chef Fitzgerald le regarda d’un air interrogateur, ne comprenant pas ce qui pouvait être drôle dans cette histoire. Kevin sortit, mais au moment où il allait refermer la porte, il entendit Hoover lui dire : - Resté disponible monsieur Klein, on ne sait jamais. Le groupe se sépara, à l’exception de Sarah et Don qu’Hoover voulait entretenir en privé. Il avait plusieurs informations toutes fraîches à leur transmettre. Francis Fitzgerald étant déjà au courant préféra se concentrer sur les fameux claviers piratés. Tom et Jerry retournèrent à leur laboratoire, sans savoir ce qu’on attendait d’eux au final. - 200 - - Maintenant que nous sommes seuls, continua Hoover, il est important que je vous dise pourquoi j’ai congédié monsieur Klein de la sorte. Ne croyez pas que je n’ai aucune reconnaissance envers l’aide qu’il nous a apportée, mais de nouvelles informations me sont parvenues. Il nous sera beaucoup plus utile à son poste habituel qu’ici. Je veux que vous gardiez le contact avec lui durant quelques jours. Je ne parle pas de surveillance vingt-quatre heures sur vingt-quatre, mais d’un suivi relationnel si l’on peut appeler ça ainsi. Essayez d’être compatissant, invitez-le à boire un verre le soir par exemple. En somme, faites ce qu’il faut pour tout savoir sur son travail, ses collègues… etc. - Vous voulez qu’on l’espionne ? demanda Sarah, assez mal à l’aise avec cette idée. - En quelque sorte oui. S’il n’est pas idiot, je pense qu’il va trouver la solution à cette histoire sans qu’on l’oblige à la chercher. Sarah et Don quittèrent la salle de réunion avec le sentiment qu’on cachait des choses. Ni l’un ni l’autre ne comprenait le but de la manœuvre, mais comme ils étaient tous les deux de bons soldats, ils obéiraient. Hoover retrouva Fitzgerald dans son bureau pour mettre au point quelques détails. - Vous avez un contact à la NASA ? demanda-t-il. - Effectivement, le directeur Johnson est un vieil ami. - Pourriez-vous le tenir informé de nos investigations, en restant le plus évasif possible. Il n’y a pas besoin d’alerter toute la cavalerie. Cependant, il faudrait qu’il active une surveillance discrète de ces bonshommes. - Je m’en occupe. Fitzgerald appela son copain d’enfance. Après les banalités d’usages, il rentra dans le vif du sujet. - Quoi !!! Mais comment veux-tu que je fasse un truc pareil ? répliqua le directeur de la NASA. Tu te rends compte que tu me demandes d’espionner mon responsable de l’infrastructure informatique ! Il va remarquer qu’une surveillance a été activée avant même qu’elle soit opérationnelle. - Essaye simplement d’être le plus discret possible. S’il constate quelque chose, au moins on pourra voir sa réaction. - 201 - - Je ne te garantis rien, car nous ne sommes pas équipés pour ce genre de chose ici ! Si je demande à la société de vidéo surveillance de me mettre en place de nouvelles caméras, elles apparaîtront forcément sur les moniteurs et sur les rapports quotidiens. Il ne faudra pas longtemps pour qu’un gardien un peu zélé nous questionne à ce sujet, et Klein en aura indubitablement des échos. - Si tu veux, je t’envoie un de nos spécialistes. Il t’installe ça au petit oignon. Ensuite, tu le mets en relation avec ton chef de la sécurité pour un raccordement aux installations existantes. Ni vu ni connu. Rassuremoi d’une chose, tu as toute confiance en ton service sécurité ? - Le chef est un ancien major des Marins, il traîne ses godasses ici depuis près de douze ans, et je ne connais personne de plus professionnel que lui. Après une mise au point des derniers détails, la surveillance du bureau de Klein allait être opérationnelle dans la nuit. Un agent du FBI devait fournir des microcaméras dernier cri. Fitzgerald superviserait lui-même l’installation du système. En toute fin de soirée, son ordinateur sera le seul paramétré pour accéder aux vidéos. Malgré tout, il savait que cela serait un jeu d’enfant pour Kevin de détecter le trafic d’informations généré à travers le réseau, et de remonter jusqu’à la source. Cette fin de journée n’avait pas été dénuée d’intérêt pour Sarah et Don. Ayant suivi la piste des claviers piratés, leurs efforts avaient été récompensés lorsqu’ils retrouvèrent la trace du chauffeur de poids lourds ayant convoyé le lot en question. Ce père de famille, bien sous tout rapport, permit d’avancer dans leur enquête à vitesse grand « V ». L’homme se souvenait parfaitement que la porte de sa remorque avait été forcée quand il dînait. Après un examen complet de sa cargaison, il n’avait constaté aucun vol. Étant un habitué du snack dans lequel il s’était arrêté, son premier reflexe avait été de regarder les vidéos de surveillance avec le patron du restaurant. La qualité des images n’était pas excellente, mais il distinguait correctement la silhouette des deux voleurs qui avaient fait le coup. Tout de noir vêtu, une capuche leur masquant le visage rendant une identification impossible, il avait tout de même réussi à lire la plaque minéralogique d’un véhicule pickup sur la vidéo tirée de la caméra à l’entrée du parking. C’était la seule voiture suspecte parmi tout un tas de camions. Le chauffeur, sympathique, mais - 202 - revanchard, avait gardé en mémoire ses informations au cas où il rencontrerait à nouveau ces fauteurs de troubles, histoire de leur apprendre les bonnes manières. Pour un agent du FBI, les recoupements d’informations ne traînèrent pas. Le pickup appartenait à une association qui ne leur était pas inconnue : la fondation « Avenir Propre » d’Henri Durand. Un seul problème de taille venait contrecarrer leur plan : une centaine de personnes avaient accès à ces véhicules. L’étau se resserrait indubitablement autour de cette fondation de moins en moins « propre ». Don quitta le bureau en début de soirée, histoire d’arpenter le bar habituellement fréquenté par Klein. Sarah continua ses recherches encore quelques minutes. Elle avait le sentiment de passer tout prêt d’une chose importante, sans arriver à mettre le doigt dessus. Quelque chose lui échappait et elle détestait cette idée. Elle avait beau essayer toutes les techniques de concentration qu’elle connaissait, rien n’y faisait. Elle finit par se résigner et rentra chez elle. En quittant le bâtiment, elle croisa un autre agent, pendu à son téléphone portable. Elle lui fit un signe de tête pour lui souhaiter le bonsoir, qu’il lui rendit d’un geste de la main. À cet instant, le déclic tant attendu survint. La vue de ce téléphone dernier cri la frappa comme un éclair. Elle entendit en pensée Kevin Klein lui avouer qu’il avait conservé le mini-ordinateur de Durand. Personne n’y avait plus pensé lorsqu’il avait quitté le bureau, malgré l’importance de l’objet. Elle composa le numéro de son collègue en quatrième vitesse. - Don, où es-tu ? - Chez les alcooliques anonymes, répondit-il, la voix à peine audible à cause du vacarme ambiant dans le bar. - Est-ce que Kevin est dans les parages ? - Pas ce soir, me semble-t-il. En tout cas, je ne l’ai pas encore croisé. - Il faut absolument qu’on le retrouve… - Ça peut attendre demain, non ! Je suis en pleine conversation avec ma charmante voisine de comptoir, reprit-il en regardant la femme assise à côté de lui. - Arrête de jouer les Casanova, papy ! Notre cher monsieur Klein a conservé le téléphone portable de Durand. - 203 - - Quoi !!! hurla Don qui faillit s’étouffer en entendant ça. - Je t’expliquerais plus tard, mais il est primordial qu’on le retrouve. C’est peut-être notre dernier espoir de trouver enfin les réponses à toute cette affaire. - Rejoins-moi ici, continua Don. Comme ça, s’il pointe le bout de son nez, je vais pouvoir le retenir. Sinon, nous sommes tout près de chez lui et on pourra toujours y faire un saut. CHAPITRE 49 Kevin Klein n’avait pas vu l’après-midi passé. Son retour à la NASA avait été mouvementé. Son fidèle assistant Tony avait voulu lui condenser tout ce qui était arrivé durant son absence en quelques minutes seulement. Son débit de paroles était bien trop rapide pour que Kevin comprenne le monologue en détails. Lorsqu’il fit une pause d’une demi-seconde pour reprendre son souffle, Kevin en profita pour le stopper dans son élan. - On va d’abord gérer les urgences, déclara-t-il. Où en est la préparation du lancement ? - C’est contrôlé, répondit Tony, presque déçu de ne pas pouvoir continuer son histoire. En tout cas, on est dans les temps. Pour l’instant, tout va bien. Aucune réapparition du virus constaté, les simulations ont toutes fonctionné correctement. Et vous, qu’est ce que vous avez fait pendant ces quelques jours ? - Plus tard Tony ! Il faut que j’aille voir le directeur. - Allez, chef ! Racontez-moi… Kevin ne répondit pas. L’acharnement de son collègue l’exaspérait quelque peu. Il savait qu’il devait reprendre les choses en main, mais la motivation l’avait abandonnée. En réalité, il pensait à ces dernières heures passées au FBI, et à Sarah plus particulièrement. Il se demandait ce qu’elle faisait, où elle pouvait être, si elle songeait à lui. Sans s’en rendre compte, il commençait à ressentir des émotions envers cette femme. Des sentiments qu’il avait failli oublier depuis un bon nombre d’années. Le travail était devenu sa vie dès lors qu’il fut engagé à la NASA. Il s’y était plongé corps et âme. Malgré quelques tentatives avortées, il avait fini par faire un trait sur l’amour. - 204 - En se dirigeant vers le bureau de Jack Johnson, son esprit vagabondait vers la Suisse. Il revoyait les images de son escapade, le sourire aux lèvres. Finalement, ce changement d’air lui avait fait le plus grand bien. Le souvenir de Sarah, endormie dans le jet qui les avait ramenés aux États-Unis, se superposa à la réalité. Elle était si belle, si paisible, qu’il faillit en perdre l’équilibre en fauchant une branche d’un arbuste d’intérieur. En arrivant devant le bureau du directeur, la secrétaire le salua puis l’annonça à son supérieur. Jack Johnson ne savait pas trop comment se comporter vis-à-vis de son subalterne. En tant que directeur du centre depuis quelques années, il avait pourtant l’habitude de gérer les conflits de toutes sortes. Mais cette fois-ci, on lui avait ouvertement demandé de surveiller son spécialiste en informatique, quelqu’un qu’il avait fini par considérer comme un ami. Il était tiraillé par deux options : devait-il lui parler de cette surveillance ? Devait-il au contraire se taire ? Dans la confusion du moment, il préféra garder le profil bas comme lui avait conseillé Francis Fitzgerald et faire comme si de rien n’était. Kevin voulut savoir comment Tony s’en était sorti durant son absence et où en était l’avancement du prochain lancement. Jack lui répondit sans entrer dans les détails. En réalité, il désirait seulement que Kevin reprenne les choses en main. Son professionnalisme et son expérience le rassuraient en ces temps de doute. Coupable ou innocent, il en aurait la preuve une bonne fois pour toutes avec cette surveillance. L’après-midi s’était achevé tranquillement. Kevin avait repris son rythme habituel et retrouvé ses marques sans difficulté. Tony avait fait de l’excellent travail durant son absence, même pour quelqu’un d’aussi pointilleux que lui. Il n’avait rien trouvé à redire. Il aurait mérité des félicitations, mais Kevin n’était pas de ce genre là. Il ponctua simplement au détour de la conversation quelques « Bien », « Parfait » et autres mots de la même veine. La journée s’achevant, Kevin resta tard pour préparer le planning du lendemain. Du moins, c’est le discours officiel qu’il tint à Tony. En réalité, il désirait plus que tout utiliser le matériel à sa disposition pour tenter d’accéder aux informations contenues dans le téléphone portable d’Henri Durand. Ce fameux ordinateur de poche, car c’en était réellement un, que le FBI avait oublié - 205 - d’archiver, était peut-être sur le point de révéler le secret du virus du siècle ! De leur côté, Sarah et Don avaient mis en place une surveillance des endroits stratégiques. Des agents avaient été postés à proximité des domiciles des différents protagonistes susceptibles d’être impliqués dans cette affaire de piratage de claviers d’ordinateurs. En début de soirée, l’enquête n’avait pas évolué. Les résultats se faisaient attendre, mettant un coup au moral des troupes. Ce n’est qu’au moment où Sarah eut la vision du téléphone manquant que tout s’accéléra. Après l’appel passé à son collègue, ils se retrouvèrent finalement devant l’immeuble de Kevin. Don arriva le premier, et en profita pour obtenir le rapport des agents en planque. Tony était rentré chez lui comme à son habitude. Kevin était encore à la NASA, du moins personne ne l’avait vu quitter le centre spatial. Il appela le directeur Johnson pour une confirmation visuelle, ce que ce dernier fit à contrecœur. Il se dirigea vers la guérite des vigiles, trouva l’homme de garde en pleine conversation avec ses collègues effectuant leur patrouille de service. Il pianota une série de commandes, entra un mot de passe et obtint les images des caméras du bureau de Kevin. Il était effectivement à son poste habituel, accoudé sur le plan de travail qui lui servait de laboratoire. Jack ne pouvait pas voir ce qu’il faisait précisément, car la prise de vue n’était pas optimale. Il avait cependant l’air très occupé. Il se déconnecta du système, quitta la pièce pour pouvoir téléphoner à l’abri des oreilles indiscrètes, et confirma à Don ce qu’il venait de constater. Sarah rejoignit Don dans son véhicule, garé non loin de la porte d’entrée du domicile de Kevin. Soudain, son téléphone sonna. L’agent en planque devant chez Tony l’appelait. - Notre bonhomme vient de se faire livrer une pizza. - OK, répondit Sarah perplexe. - Mais ça n’a pas l’air de bien se passer, je vais m’approcher discrètement, je vous garde en ligne. Sarah entendit la portière de la voiture se refermer doucement, puis le bruit de quelques pas, et enfin ce qui semblait être un briquet allumant une cigarette. Une conversation animée devenait de plus en plus claire au fur et à mesure que l’homme arrivait sur le lieu de trouble. - 206 - Don lui lança un léger coup de coude dans les côtes pour lui demander ce qui se passait, ce qu’elle détestait au plus haut point. Elle mit son téléphone en fonction « mains libres » pour qu’il puisse participer à l’écoute. Des voix se firent enfin entendre au loin. - Je sais que c’est toi le salopiot qui ne paye pas ses pizzas. - Mais je vous dis que non, balbutia Tony. - Tu me prends pour le crétin des Alpes ma parole. Tu crois que je n’allais pas me rendre compte de ton petit manège avec Carla. Monsieur commande une pizza tard le soir et seulement le jour où ma seule livreuse féminine est de service. Résultat, elle met trois fois plus de temps que la normale pour faire sa livraison, et revient tout le temps avec une excuse bidon comme quoi elle est arrivée hors délai, où que la pizza était froide et j’en passe… Tony ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit. Le patron de la pizzéria était venu en personne le voir, histoire de lui montrer à qui il avait à faire. - Carla, c’est qui pour toi ? Une petite amie, un bon coup de temps en temps ? - C’est une excellente amie, répondit Tony croyant réparer un peu sa faute. - Amie ou pas, tu ne t’approches plus de ma nièce ou je te fais passer l’envie de vivre ! Capito ? Et désormais, si tu désires commander une pizza, c’est moi qui viendrai te livrer et sache que je ne fais pas crédit encore moins à ceux qui en ont les moyens ! - Comment ça ? Vous avez enquêté sur moi, ma parole ? - Mon beau-frère travaille dans la police et tu ne t’imagines pas ce qu’on peut apprendre sur un citoyen lambda grâce à leurs fichiers, lâcha le commerçant. Tony ne savait plus trop comment réagir. Le pizzaiolo d’origine italienne arborait une carrure de catcheur, bien qu’un peu ventripotent. Tout de même, la taille de ses biceps et la surface de ses mains avaient de quoi faire frémir n’importe qui. Une simple gifle pouvait vous mettre K.O. - Bon, alors tu la veux toujours cette pizza ? - Combien est-ce que je vous dois ? demanda Tony, un peu à contrecœur. - 207 - La conversation redevint trop lointaine pour que Sarah et Don puissent comprendre la suite. L’agent en filature avait fini par s’éloigner des deux individus. - Vous avez entendu ça ? demanda-t-il à Sarah. - Parfaitement. - Eh, le gaillard avait trouvé une superbe combine pour manger à l’œil, répondit Don. Il commande une pizza, s’envoie en l’air avec la livreuse et ne paye pas grâce à un prétexte bidon. C’est un sacré numéro celuilà ! - Tu parles d’un chaud lapin, le gamin ! continua l’agent. Bon, je retourne à mon poste. S’il y a du nouveau, je vous recontacte. CHAPITRE 50 En fin d’après-midi, Tony profita du retour de Kevin dans les locaux de la NASA pour quitter le bureau plus tôt. Il avait besoin de se détendre après ces quelques jours passés aux commandes du service. Il commençait à ressentir la pression exercée par la direction et ses collègues. Tout le monde voulait savoir où ils en étaient dans l'avancement de leur programme, en lui rappelant en permanence l’importance de la mission que rien ne devait venir troubler… Il n’était pas né de la dernière pluie et était au fait de toutes ces choses. Il n’arrivait pas à comprendre pourquoi les gens s’acharnaient à lui rebattre les oreilles jour après jour sur ce point. Le sentiment de passer pour le fiston du chef ayant endossé un costume trop grand pour lui finissait par l’exaspérer. Il fallait qu’il décompresse et son bar favori était là pour ça. Il enfourcha son vélo, mit son lecteur MP3 en marche et se lança sur les routes côtières. La musique entraînante l’aidait à pédaler, et lui permettait de s’évader mentalement. Il arriva un quart d’heure plus tard près du bâtiment en bois sur le bord d’une des plages de la ville. Il attacha son VTT sur le parking réservé et s’approcha du bar. Le serveur le salua et lui fit un clin d’œil en direction d’une femme assise à une table à l’écart. De l’endroit où il se tenait, il ne pouvait contempler qu’une robe blanche et un chapeau ample cachant des cheveux blonds. Il récupéra son jus de fruit favori et questionna le serveur sur son identité. - C’est la même femme que l’autre jour, lui répondit-il. - 208 - Tony se demanda si c’était une coïncidence, ou un coup monté. Quoi qu'il en soit, ses bonnes manières lui ordonnèrent de la saluer, même si son dernier entretien avec elle lui avait laissé un arrière-goût déplaisant. Il s’approcha à pas feutrés, se pencha pour contempler le visage de la présentatrice de télévision. - Heureux de vous revoir ici, finit-il par dire. - Ne vous inquiétez pas, ça ne deviendra pas une habitude. Ça n’est pas vraiment le genre d’endroit que j’affectionne, lui répondit-elle. Pour être franche, je voulais vous voir, avoua-t-elle. Tony s’invita à sa table et prit une chaise en face d’elle. Le soleil couchant jetait ses derniers rayons lumineux, éclairant le visage hâlé à l’excès de sa partenaire. Malgré une paire de lunettes grand format, Tony arrivait à distinguer ses yeux. Il constata qu’elle le dévisageait sans aucune gêne, ce qui le mit en confiance. Le décolleté profond de sa robe légère n’avait pourtant rien de relaxant. Il décocha de multiples regards le plus discrètement possible. Ses formes avantageusement refaites par plusieurs opérations de chirurgie esthétique finirent par lui donner des palpitations. Il sentit quelques gouttes de sueur glisser le long de ses tempes et bredouilla une banalité sur la chaleur associée au sport qu’il venait de faire, histoire de noyer le poisson. - Je vois que vous êtes un adepte des déplacements à la force du mollet, lui dit-elle en désignant son vélo attaché sur le côté du bâtiment. - Il n’y a rien de tel pour conserver la forme. - Trop fatiguant pour moi, répondit-elle. Je préfère ces gadgets électroniques qui musclent sans effort. C’est idéal pour garder le ventre plat, finit-elle par ajouter en plaquant sa robe contre ses abdominaux, ce qui fit ressortir sa poitrine généreuse. - Que puis-je faire pour vous ? demanda finalement Tony. - Je ne devrais pas vous en parler, mais je suis en train de préparer un reportage sur la NASA et vous feriez le parfait candidat pour ce que nous voulons montrer au public. - Vous me flattez, mais les vrais héros sont les astronautes. - Justement, toutes les presses n’ont d’yeux que pour eux. L’objectif de ce reportage est d’éclairer l’envers du décor, faire comprendre aux téléspectateurs que ces missions prestigieuses seraient impossibles sans les hommes et femmes qui travaillent d’arrache-pied au centre spatial. - 209 - La pommade venait de faire son effet sur Tony, exactement comme Liz l’avait prévu. Elle commençait par aguicher le candidat, puis le flattait, avant d’envoyer le coup de grâce. - Et que voulez-vous montrer précisément ? demanda Tony de plus en plus excité de jouer les playboys pour la télévision. - C’est justement pour ça que j’ai besoin de vous. Je dois cibler ce qui sera le plus intéressant pour le public, parce que si je ne parle que de livraison de pièces ou fournitures de bureau, mon producteur va me virer illico presto. En fait, j’aimerais savoir comment vous travaillez au service informatique, comment vous protégez vos installations. Je veux exposer aux gens les moyens mis en œuvre pour assurer la protection des secrets industriels du pays… ce genre de chose. - Je peux vous être utile pour vous montrer quelques tuyaux, mais vous comprendrez que certains domaines de recherches sont ultrasecrets et ne pourront pas être filmés, ni divulgués à l’antenne. - Évidemment, reprit Liz sur un ton de complaisance. Je ne voudrais pas mettre la NASA en difficulté vis-à-vis de la concurrence. Quelques secondes passèrent avant que Liz reprenne la parole. Elle désirait faire paraître son malaise à Tony pour aborder le sujet principal, sans trop le bousculer. Elle regarda autour d’elle, les plagistes fermaient leurs boutiques, les touristes quittaient le sable chaud pour d’autres activités, le soleil venait lécher le bord de l’océan et illuminait sa surface de mille feux. - À propos de sécurité, comment avez-vous géré cette affaire de virus qui a éclaté au grand jour ? demanda Liz. Tony réfléchit à son tour avant de répondre, ne voulant pas paraître trop prétentieux, même s’il en avait très envie. - Savez-vous que nous sommes les premiers à avoir détecté ce virus ? - J’ai entendu dire que le FBI avait reçu des menaces terroristes annonçant une attaque massive des infrastructures du pays si une rançon n’était pas versée. Tony essaya de ne pas réagir. Elle n’était pas censée savoir ce genre de chose. D’un autre côté, elle était journaliste, et sûrement très talentueuse si elle avait eu des échos de cette menace. - Comment avez-vous découvert le virus ? continua-t-elle. - C’est compliqué… mais pour faire simple, les systèmes de protection que nous avons mis en place à la NASA nous ont permis de détecter et - 210 - d’éradiquer le virus avant même que les lettres ne soient envoyées aux différents services concernés. - Des lettres avez-vous dit ? Tony avait parlé trop vite et avait fait sa première gaffe. Cet élément impliquait qu’il en savait plus qu’il ne voulait le montrer, et elle n’allait pas s’arrêter en si bon chemin. - Oui… enfin… je voulais dire la lettre, reprit Tony en bafouillant. - Ne me prenez pas pour une idiote, vous avez dit « les lettres ». Qu'estce que vous me cachez, mon cher Anthony ? Son arrogance venait de le piéger et il devait lâcher le morceau pour tenter de réduire les dégâts. - La presse n’a eu vent que de la lettre envoyée au FBI, mais en réalité il y en a eu plusieurs identiques envoyées aux différentes institutions de ce pays. - Ce qui signifie que c’est une véritable attaque terroriste, reprit Liz tout excitée par le scoop qui commençait à se profiler à l’horizon. Je m’en doutais, mais personne n’a voulu m’écouter. J’avais dit à mon rédacteur en chef que cette histoire était beaucoup plus importante que ce qu’on voulait nous faire croire. Est-ce que vous les avez lues ? Que disaientelles ? - La NASA en a reçu une et j’ai effectivement pu y jeter un œil. C’était du charabia de terroriste sans aucun intérêt. En fait, ça ne nous a rien appris de vraiment utile, mentit-il. - Quelles étaient leurs revendications ? - Vous savez, c’est toujours le même couplet, reprit Tony, entre la religion, le fanatisme, le pouvoir, l’argent… - Lors de la conférence de presse, le porte-parole du FBI a fait allusion à un groupe religieux qui veut à tout prix éradiquer la technologie moderne. - Je ne suis pas dans le secret des Dieux. - Est-ce qu’il y avait une signature sur la lettre, un nom, un sigle, quoique ce soit qui pourrait identifier son auteur ? - Absolument rien, le FBI a joué franc-jeu sur ce coup-là. Liz voulut enchaîner sur une autre question, mais Tony la coupa. - Je suis désolé, mais je ne peux vraiment rien vous dire de plus sur cette affaire, ou je risque d’avoir des problèmes avec les autorités fédérales. Liz le laissa mariner quelques secondes avant d’entamer l’attaque finale. - 211 - - Je pense au contraire que vous allez me dire tout ce que je veux savoir. N’est-il pas vrai que vous avez les connaissances nécessaires pour réaliser ce genre de virus ? Tony ne répondit pas. À choisir entre l’indignation, la colère ou encore le mépris, il préféra le silence. Cela valait sûrement mieux ainsi. - Très bien, je vois que j’ai fait mouche ! Maintenant, si je vous dis que vos relations privilégiées avec le président de la fondation « Avenir Propre » jouent fortement en votre défaveur… Qu’est-ce que vous répondez à cela ? Tony sentit un courant glacial le traverser de part en part. Comment cette journaliste pouvait en savoir autant sur lui, alors que le FBI n’avait rien découvert ! Il commençait à la trouver de moins en moins attirante finalement. L’air supérieur qu’elle lui lançait en plein visage avait fini par renverser la tendance « j’aime – je déteste » pour la dernière option. La versatilité des humeurs humaines dans toute sa splendeur. Quelques minutes plus tôt, Tony reluquait son décolleté avec envie. À cet instant précis, il avait plutôt l’intention de lui coller une paire de gifles, même si cela n’était pas dans ses gènes. Il considérait les belles femmes comme des déesses intouchables, mais lorsque l’une d’entre elles lui faisait un coup pareil, sa rancune était tenace. Il se leva et lui annonça : - Je pense que nous n’avons plus rien à nous dire. Bonjour chez vous ! Liz resta encore quelques minutes à sa table. Quand Tony fut hors de vue, elle sortit le petit magnétophone de son sac et vérifia que l’enregistrement était de bonne qualité. Une fois satisfaite du résultat, elle régla sa consommation au barman qui lui affichait un sourire niais. Elle quitta finalement le bar, pas mécontente de sa prestation. Tony avait enfourché son vélo et s’était jeté comme un mort de faim sur le chemin bitumé qui le ramenait chez lui. Après avoir fait une centaine de mètres à vive allure, slalomant entre les piétons et les rollers, il réfléchit à ce qui venait de se passer et s’arrêta tout net. Il s’était fait piéger comme un débutant, et était devenu le suspect numéro un pour cette journaliste. Son attitude n’avait sûrement rien arrangé. Il décida de faire demi-tour pour l’empêcher de le lyncher sur la place publique des médias. Alors qu’il se rapprochait du bar, il aperçut Liz, un magnétophone collé à l’oreille. Il comprit aussitôt que toute tentative aurait eu l’air désespérée et la conforterait dans son idée. Il était fait comme un rat. Son impétuosité et sa jeunesse avaient joué en sa défaveur. Il se détesta pour ça, juste le temps de reprendre le contrôle - 212 - de ses émotions. Que lui avait-il appris finalement ? À bien y réfléchir, pas grand-chose. Il avait simplement vendu la mèche pour les autres lettres adressées aux institutions du pays. Elle l’aurait probablement découvert rapidement, d’une manière ou l’autre. Le seul véritable problème était le risque qu’elle tire des conclusions hâtives. Sa relation avec le président de la fondation « Avenir Propre » ne prouvait absolument rien, mais la presse avait vite fait de juger quelqu’un coupable pour obtenir un scoop. Il faisait un coupable idéal dans toute cette affaire. - Georges, est-ce que tu as du neuf sur Anthony Alessandro ? demanda Liz qui était toujours au bureau malgré l’heure avancée. - Je suis rentré chez moi, je te signale ! J’ai une vie de famille en dehors du travail moi, répondit-il sur un ton sec. - Tu ne vas pas me rejouer ce refrain. Tu veux garder ta place ? Alors, accouche ! Georges Goranovic pesta intérieurement. Il détestait cette façon que sa chef avait de l’utiliser comme elle le souhaitait. De jour comme de nuit, dès qu’un scoop pointait à l’horizon, plus rien ne comptait pour la journaliste, ni famille, ni ami, juste le boulot. C’était dans son caractère, l’ivresse d’une exclusivité la gagnait et personne ne pouvait l’arrêter. - Rien de vraiment intéressant, finit-il par répondre en essayant de se remettre mentalement dans ses recherches. Notre bonhomme vient d’acheter une voiture de sport, mais avec le salaire qu’il se fait à la NASA, ça n’a rien d’anormal. - De quel genre ? - Une Corvette cabriolet. Je n’ai pas le modèle en tête, mais je te donne ça demain matin. - A-t-il eu des mouvements bancaires importants depuis quelques semaines ? - Comment je pourrais savoir ça ? demanda Georges. Au cas où tu l’aurais oublié, je ne travaille pas au FBI ! - Mmmm, grommela-t-elle !!! Je réfléchissais tout haut. On en reparle demain. Elle raccrocha avant que son assistant n’eût le loisir d’ajouter quoi que ce soit d’autre. Il en avait l’habitude depuis le temps et ne s’arrêtait plus de vivre pour si peu de chose. « Demain sera un autre jour », telle était sa devise depuis qu’il travaillait pour Élisabeth McCarthy. - 213 - CHAPITRE 51 La nuit s‘avançait doucement, et toujours pas de Kevin en vu. Don dormait comme un bienheureux, en apparence seulement, car ses sens restaient en éveil. Au moindre passage de voiture ou à l’approche d’un piéton, il entrouvrait une paupière. Sarah faisait le gué, enfoncée dans son siège. Elle scrutait les allées et venues dans la rue. Lorsque l’ingénieur apparut enfin, elle alerta son partenaire. Ils se demandaient encore comment il allait gérer cette situation. Fallait-il l’aborder de but en blanc ou bien tenter le coup d’une petite visite à l’improviste ? À cette heure tardive, la surprise serait réelle, mais le résultat escompté ne serait probablement pas atteint. Pendant que Kevin s’engouffrait dans le parking privé à l’arrière du bâtiment, Sarah décida de jouer la carte de la séduction jusqu‘au bout. Elle sortit de la voiture en quatrième vitesse et se dirigea devant l’entrée de l’immeuble. Assise sur les marches, elle était sûre que sa présence inattendue allait faire son effet. Elle espérait juste qu’il n’y ait pas de porte arrière par laquelle Kevin pouvait entrer, sans quoi toute la soirée risquait de se transformer en un véritable fiasco. Don suivait la scène avec attention. Lorsqu’il vit Kevin déboucher à l’angle de la rue, jouant avec les clés qu’il tenait dans la main droite, il comprit que c’était gagné. Les lampadaires éclairant la route étaient suffisamment puissants pour que Kevin puisse entrevoir une paire de jambes dépassées de l’entrée de son immeuble. Il aurait probablement été sur ses gardes s’il avait vu des rangers, très à la mode chez les jeunes délinquants. Mais en approchant, il constata qu’il s’agissait en réalité de bottines en cuir noir. Ces chaussures ne lui étaient pas totalement inconnues, mais il n’arrivait pas à se souvenir où il les avait déjà contemplés. Son allure ralentit pour laisser à son cerveau le temps de la réflexion. Il ne lui restait plus qu’une dizaine de mètres à faire lorsque le déclic survint. Il se remémora Sarah endormie dans l’avion qui les ramenait de Suisse, les pieds posés sur le siège en face d’elle, avec ses mêmes chaussures juste à côté d’elle. Soudain, son pouls s’accéléra. En voyant Sarah assise sur les marches du porche d’entrée, il fut agréablement surpris de cette rencontre. Un sentiment tout de même agrémenté d’une pointe d’inquiétude. - Quelle merveilleuse surprise de vous voir ici ! J’espère que cette visite tardive n’est pas uniquement professionnelle ? - 214 - - Bonsoir Kevin ! Pouvons-nous entrer ? J’ai quelques points à éclaircir avec vous. - Bien sûr, reprit-il déçu par le ton qu’elle arborait. Il ouvrit la porte de l’immeuble et la laissa galamment passer. Il fit la même chose pour son appartement. - Je vous en prie, ne soyez pas trop regardant sur le désordre, je n’ai pas eu le temps de faire le ménage depuis notre retour de Suisse. L’entrée donnait directement dans le salon. La cuisine était au fond de la pièce, séparée par un muret qui avait dû être un passe-plat à une autre époque. Les derniers propriétaires l’avaient agrandi pour éclaircir le plan de travail abritant tout le nécessaire d’une cuisine moderne. L’endroit était néanmoins impeccable, la partie salon était relativement dépouillée. Les meubles habituels étaient présents, mais aucun bibelot, tableau ou même plante ne venait enrichir la vue d’ensemble. Kevin avait pensé aménager plus chaleureusement son intérieur, mais comme il passait très peu de temps chez lui et qu’il n’était pas un adepte de la décoration, il avait remis cette besogne à plus tard. - Qu’est-ce que ça doit être lorsque vous faites le ménage, admira Sarah qui s’attendait à voir un véritable capharnaüm. - Ne vous fiez pas aux apparences, répondit Kevin en fermant une porte pour cacher au mieux le champ de bataille. Je ne suis presque jamais chez moi. De ce fait, cette pièce de l’appartement reste relativement propre, mais pour mon bureau qui me sert également de chambre, c’est une autre histoire. Comme j’ai un sommeil léger, j’y passe la majeure partie de mes nuits à travailler. - Je suis quand même impressionnée, reprit Sarah. - Avez-vous dîné ? demanda soudainement Kevin. Sarah eut une demi-seconde pour réfléchir à la meilleure réponse à apporter. Si elle répondait par l’affirmative, elle risquait de faire avorter sa stratégie. - J’ai seulement grignoté au bureau avant de venir, mais… - Chinois ! Ça vous dit ? - Pourquoi pas ! - Il y a un restaurant au coin de la rue. Nous pouvons être livrés en dix minutes. Il sortit la carte d’un tiroir de la cuisine et la tendit à Sarah. - Vous avez même leur menu ? - 215 - - Je suis probablement un de leurs meilleurs clients, répondit-il. Pour être franc, je déteste cuisinier. Du coup, j’ai mes habitudes dans le quartier. Kevin passa sa commande et lui annonça une attente d’une dizaine de minutes environ. - Que voulez-vous boire en attendant le dîner ? J’ai du vin, de la bière et quelques boissons gazeuses, dit-il en ouvrant le réfrigérateur qui était littéralement rempli de bouteilles en tout genre. - Un verre de vin, s’il vous plait. Sarah ne savait pas trop comment aborder le sujet, mais comme elle détestait tourner autour du pot, elle préféra une approche directe. - Si je suis venu vous voir ce soir, c’est pour une chose bien précise et je suis sûre que vous devez vous douter que quoi il s’agit ! - Je suis tout ouïe ! - Le portable d’Henri Durand, reprit Sarah pour éviter toute théorie maladroite de la part de Kevin. Je sais que vous l’avez conservé. Je n’ai pas voulu en parler à mon supérieur ce midi, car je suis persuadée que vous arriverez plus facilement à en soutirer des informations que n’importe lequel de nos spécialistes. Kevin se souvint alors qu’il lui en avait discuté précédemment. Ça n’était pas le moment de jouer les innocents. - Honnêtement, reprit-il, je ne l’ai pas conservé volontairement, mais la façon dont s’est passée l’entrevue avec vos supérieurs m’a légèrement perturbé. Du coup, j’ai complètement oublié que j’avais l’objet en ma possession. - Est-ce que vous avez eu le temps d’analyser les dossiers qu’il contient ? - Le séjour dans le lac a été relativement destructeur pour l’appareil, car tous les circuits ont grillé. Heureusement pour nous, les informations étaient stockées sur une carte mémoire indépendante qui n’a pas subi de dommage. Après un séchage complet, j’ai réussi à accéder à son contenu. C’est là-dessus que j’ai concentré mes recherches ce soir. Seulement, vous vous doutez bien qu’Henri Durand avait crypté ses données. - En d’autres termes, pour le moment vous êtes bloqué par ce cryptage et n’avez pas pu avancer sur ce sujet ? - À vrai dire, ce n’est pas tout à fait exact. J’ai mis un programme de décryptage à tourner après avoir réussi à faire une copie du contenu de - 216 - la carte. Le code utilisé pour l’encodage des informations n’est pas à la portée du premier venu. Sans un coup de main des services spécialisés dans ce domaine comme la NSA, il me faudra sûrement plusieurs semaines pour en arriver à bout. - Je vérifierai dans les dossiers que nous avons établis avant son interpellation, mais cela m’étonnerait fortement que nous trouvions le mot de passe d’accès à ses données. Don commençait à se demander ce qu’il devait faire. Sarah ne lui avait pas donné de consigne en quittant précipitamment la voiture. Cela faisait une dizaine de minutes qu’il attendait le moindre signe de vie de sa part, mais rien ne semblait bouger chez Klein. Il composa le numéro du téléphone portable de Sarah, puis se ravisa pour la deuxième fois. Après tout, elle avait choisi délibérément d’aller à la rencontre de Kevin. Elle était majeure et vaccinée, le reste ne le regardait pas. Il décida finalement de rentrer chez lui. Au moment où il voulait tourner la clé de contact, il vit arriver un individu au coin de la rue. Les bras chargés de paquets, il comprit très vite qu’il s’agissait d’un livreur. Il scruta l’homme du coin de l’œil. Lorsqu’il entra dans l’immeuble, Don n’hésita plus une seconde. Il n’avait plus aucune raison de rester en place, Sarah avait les choses en main. Il sourit intérieurement en démarrant et finit par rentrer chez lui. Kevin remercia son chinois favori et invita Sarah à s’asseoir pour dîner. - Est-ce que vous avez découvert autre chose sur le portable de Durand ? - Comme les puces électroniques du téléphone ont grillé, on ne peut rien faire de plus. Le décryptage de la mémoire interne est le seul espoir que nous ayons. - Et vous pensez en venir à bout ? - Je l’espère… Le cryptage utilisé est basé sur un logiciel grand public qui emploie une clé de codage sur… Kevin s’interrompit en voyant qu’il allait se lancer dans une explication très technique. Sarah aurait bien du mal à suivre. Il préféra éviter de l’embrouiller plus que nécessaire. - Disons qu’avec l’aide de la NSA, nous pourrions en venir à bout en quelques heures seulement, à moins que vous ne trouviez le mot de passe dans les affaires de Durand ? - 217 - - Ça serait vraiment trop facile, vous ne pensez pas ? - Effectivement, répondit Kevin. Cet homme avait l’air très informé question sécurité informatique. Je suis sûr qu’il conservait ce genre de chose uniquement ancré dans un coin de sa tête. J’ai pourtant remarqué que les utilisateurs, aussi chevronnés soient-ils, ont tendance à utiliser un mot de passe facile à retenir, comme un prénom d’enfant, une date d’anniversaire… etc. - Je vérifierai demain dans les informations que nous avons sur lui. Une heure plus tard, Sarah s’éclipsa aux toilettes pendant que Kevin commença à débarrasser la table. Elle en profita pour envoyer un message à Don : « GO NASA – BUR. KLEIN ». Elle désirait garder le maximum de discrétion et ne voulait pas ouvertement téléphoner à son collègue pour l’informer de ses découvertes. Don s’était arrêté pour manger un morceau dans un fastfood en quittant sa planque. Il arrivait chez lui au moment où son téléphone vibra dans sa poche. Il lâcha un juron et se dit que ça attendrait bien le lendemain matin. Mais, sa conscience professionnelle n’était pas encore en sommeil, et il prit sur lui pour jeter un œil sur le message. Il regarda l’écran du portable et vit le texte quelque peu obscur que Sarah venait de lui envoyer. Un deuxième juron plus tard, il referma sa porte d’entrée à clé, avec le sentiment qu’il était parti pour passer une nouvelle nuit blanche. En démarrant sa voiture, il décida d’appeler le directeur de la NASA. Il était son seul contact au centre spatial à être au courant de l’enquête en cours. En arrivant seul en pleine nuit au poste de garde, il n’avait aucune chance de rentrer sans l’aval du patron des lieux. Francis Fitzgerald était chez lui depuis deux bonnes heures et s’apprêtait à aller se coucher. Lorsqu’il vit le mot FBI s’afficher sur le cadran de son téléphone portable, son pouls s’accéléra et il lui vint immédiatement des pensées négatives concernant l’affaire. Un appel à une heure aussi tardive n’était jamais anodin, où alors le FBI avait un sens de l’humour qu’il ne comprendrait jamais ! - Fitzgerald, dit-il en décrochant. - Agent Dalton, reprit Don. Monsieur, êtes-vous toujours à la NASA ? - Non, agent Dalton. Même les directeurs de centre tel que la NASA ont une vie privée ! Je suis chez moi et je m’apprêtais à me coucher ! - Désolé de vous importuner à une heure pareille, mais je viens d’avoir un message de l’agent Spader qui me demande d’aller d’urgence au - 218 - laboratoire de monsieur Klein. Je voulais être sûr que si je m’aventure jusqu’à la NASA, je pourrais entrer et inspecter les bureaux en question. - Je vais contacter le chef des vigiles. C’est un homme en qui j’ai entièrement confiance. Il vous fera visiter personnellement tout ce que vous désirez. - Merci Monsieur. Dans ce cas, j’y serais d’ici une dizaine de minutes. Bonsoir. CHAPITRE 52 Lorsque Don arriva au poste de garde du centre spatial, le vigile de faction le toisa du regard en s’assurant de lui envoyer le faisceau de sa lampe torche en plein dans les yeux. - Le complexe est fermé la nuit, s’empressa-t-il de dire avant toute autre forme de politesse. - Bonsoir également, répliqua Don qui lui montra sa plaque d’agent fédéral. - Attendez ici, reprit le gardien sur un ton sec. Il retourna dans sa guérite après avoir minutieusement noté le nom de l’inspecteur sur son calepin. Il discuta quelques secondes avec ses deux collègues présents. Le premier décrocha le téléphone. Il s’ensuivit une discussion d’une bonne minute. L’homme ressortit en renvoyant la lumière de sa lampe au visage de Don, qui pensa que ça devait être leur moyen d’intimidation. Il en fallait bien un ! - Monsieur Dalton, vous devez laisser votre véhicule en dehors du centre, ce sont les ordres de nuit. Garez-vous sur le parking juste derrière vous, et je vais vous accompagner jusqu’aux bureaux où mon chef vous attend. L’agent fédéral s’exécuta malgré une envie primaire d’expédier ce vigile de pacotille chez sa mère. L’attitude hautement supérieure qu’il prenait l’irritait au plus haut point. Ce freluquet à peine prépubère semblait nager littéralement dans son uniforme. L’heure tardive eut raison de sa mauvaise humeur, et il préféra se taire et suivre son nouveau garde du corps avec résignation. Le trajet jusqu’au bureau se fit dans un silence absolu. Le centre était désert la nuit, hormis certains entrepôts où les services de maintenance - 219 - œuvraient vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le vigile le conduisit au poste de surveillance principal dans une voiturette comme celles que l’on trouve sur les terrains de golf. Le chef de la sécurité l’attendait. - Bonsoir agent Dalton. Monsieur Fitzgerald m’a prévenu de votre visite. Vous pouvez retourner dans votre vigie, dit-il à son subordonné. Je m’occupe de notre hôte. - Bonsoir, répondit Don. - Que puis-je faire pour vous ? lui demanda le gardien. - À vrai dire, je n’en sais rien. Il faudrait simplement que je jette un œil dans les bureaux de votre service informatique. - Vous cherchez quelque chose en particulier ? - Disons que c’est une intuition de ma coéquipière qui est actuellement avec monsieur Klein. L’homme pianota sur le clavier d’ordinateur positionné devant lui. Les écrans affichèrent une vue générale du bâtiment, une sorte de plan de coupe avec des petits ronds verts placés à différents endroits. Il cliqua à l’aide de sa souris sur l’un d’entre eux. Les images des quatre moniteurs basculèrent pour montrer ce que les caméras de surveillance enregistraient. - Regardez, dit le chef de la sécurité en désignant une porte en particulier, nous voyons ici le bureau de monsieur Klein. Les images actuelles dévoilent tous les accès possibles vers cet endroit. Tout est absolument normal. Aucun détecteur ne s’est déclenché ce soir et notre ronde habituelle n’a signalé aucun comportement suspect. - Est-ce que vous pouvez me montrer l’intérieur du bureau ? demanda Don. - Impossible ! Il n’y a pas de vidéo surveillance à l’intérieur de leur laboratoire. De toute façon, cette porte est le seul accès et les fenêtres sont condamnées. - Il faudrait quand même que je jette un coup d’œil ! - Très bien, allons-y. Don, accompagné par le chef de la sécurité, arriva au service dirigé par Kevin Klein. Une inspection minutieuse des différentes pièces ne donna pas le résultat escompté. Tout était parfaitement normal, les équipements fonctionnaient correctement, sans erreur visible sur les moniteurs. Don tenta d’appeler Sarah pour avoir quelques explications supplémentaires, mais il tomba sur sa messagerie une nouvelle fois. - 220 - Sarah était toujours chez Kevin. Ils venaient de finir de dîner lorsqu’elle sentit son téléphone portable vibrer dans la poche de sa veste. Elle s’excusa auprès de son hôte pour prendre l’appel, mais décrocha trop tard. Au moment où elle écouta son message et comprit que Don n’avait rien trouvé de bien convaincant, deux options s’offraient à elle. Soit elle était parfaitement honnête avec Kevin en lui disant qu’il était surveillé de près, soit elle lui cachait encore quelque temps les faits. Elle choisit la deuxième solution à contrecœur. Tant qu’elle n’avait pas l’accord de son supérieur, elle devait conserver la plus grande discrétion sur les investigations en cours. - Je suis désolé Kevin, dit-elle finalement en revenant dans le salon, mais il faut que je parte. Don vient de me contacter et il a besoin de renfort en urgence. Je vous rappellerai demain matin. - Dommage, car la soirée avait pourtant bien commencé, ajouta-t-il quelque peu dépité par la tournure que prenaient les évènements. Sarah enfila sa veste et s’apprêtait à sortir de l’appartement lorsqu’elle se retourna vers son hôte. - Nous pourrions déjeuner ensemble demain midi et vous me direz ce que vous avez découvert… - Volontiers, reprit-il. Bonne soirée. - Bonne nuit. Kevin regarda Sarah quitter son habitat, heureux de cette nouvelle soirée passée avec elle, mais également terriblement déçu que ça ne soit pas allé plus loin. « Je n’ai plus qu’à prendre une bonne douche froide », songea-t-il. Finalement, la déception fit place à un sentiment bien plus glorieux : l’amour ! Il sentait le vent tourné vers des cieux de plus en plus propices. Cupidon était en train de frapper fort, alors qu’il ne l’attendait plus depuis plusieurs années. Il eut un mal infini à trouver le sommeil ce soir-là. Allongé dans son lit, les yeux grands ouverts, il pencha lentement la tête, mais la réalité le rattrapa, car il ne vit personne à ses côtés. Finalement, en désespoir de cause, il préféra se lever et aller travailler. Au moins, sa nuit blanche ne serait pas totalement vaine. Il arriva vers cinq heures trente à la NASA et trouva les vigiles du poste de garde au bord de l’endormissement. L’approche du petit matin était la pire phase à passer pour chacun d’entre eux. La nuit approchait de son terme et le flux de travailleurs, livreurs et autres visiteurs allait bientôt débuter. Tout cela rendait les dernières heures très pénibles à - 221 - supporter. Le plus jeune vigile avança vers la voiture de Kevin et reconnut immédiatement son conducteur. - Bonjour Monsieur Klein, vous êtes sacrément matinal aujourd’hui ? - Salut fiston ! Que veux-tu, les problèmes de sommeil surviennent avec le grand âge. - On dirait, reprit le jeune homme. Par contre, je suis désolé, mais nous sommes encore en horaire de nuit et vous devez laisser votre véhicule à l’extérieur du centre. Ce sont les ordres du chef, dit-il finalement avec regret. - Depuis le temps que je te connais, continua Kevin, tu sais bien qu’ici je fais partie des meubles. Et puis ça fait une trotte jusqu’à mon bureau à pied. Le jeune gardien était partagé entre son amitié avec Kevin et le règlement. Seulement, les ordres étaient clairs et il ne voulait pas perdre son emploi pour négligence. Il demanda conseil à ses deux collègues qui ronflaient joyeusement dans la guérite surchauffée. Il finit par revenir vers Kevin le sourire aux lèvres. - Voilà ce que je vous propose, dit-il très fier de lui. Laissez votre voiture sur le parking juste derrière vous et je vous emmène à votre bureau. Ensuite, dans la matinée avant de terminer ma garde, je vous la ramène à votre place habituelle et vous pourrez me payer un café. - C’est bien parce que c’est toi, souffla Kevin. Il s’exécuta, gara son véhicule et revint vers la voiturette où l’attendait son jeune ami. Il lui donna ses clés. - Fais attention en me ramenant ma voiture, elle a certainement plus de puissance que ta vieille Chevrolet. - Pas de soucis. J’en prendrai le plus grand soin. - Sinon, comment va la famille ? demanda Kevin qui les avait eus comme ancien voisin. - Mon père approche de la retraite à grands pas et ma mère trime toujours dans ce restaurant minable. Sinon ça ne va pas trop mal. Mon jeune frère a décroché une place dans une école d’informatique. - À continuellement traîner chez moi lorsqu’il était gamin, lança Kevin, il fallait que ça arrive. Je l’aimais bien quand il était petit, c’était un gentil garçon… comme toi d’ailleurs. - Vous devriez venir nous rendre visite un de ces jours, vous seriez surpris de voir à quel point il a changé. C’est devenu un taré de - 222 - première à force de rester enfermé à pianoter sur son ordinateur… sans vouloir vous offenser ! - Ne t’en fais pas pour lui, c’est un passage obligé pour tout bon informaticien. Et toi, le boulot te plait ? - Ça va, c’est cool et chiant à la fois. La plupart du temps, c’est assez mortel comme job, à part des nuits comme celle-ci par exemple. - Pourquoi ? demanda Kevin. Il s’est passé des trucs intéressants cette nuit ? - Je n’irais pas jusque-là, mais on a eu de la visite hier soir, et vous ce matin. Ça n’est pas aussi mouvementé d’habitude. - Qui est-ce que vous avez vu hier soir ? Le grand méchant loup ? se moqua Kevin. - Très drôle, reprit l’autre hilare. C’est le chef qui l’a accompagné. Apparemment, c’était un agent fédéral ou un truc du genre. - Ah, oui !!! Intéressant ça. - Son Altesse est arrivée, lança le vigile. - N’oublie pas ma voiture. - Aucune chance, ça fait tellement longtemps que j’ai envie de monter dedans. Je vous la ramène avec le plus grand plaisir, finit-il par dire un sourire jusqu’aux oreilles. Kevin arriva finalement à son bureau. Il se dirigea directement vers l’ordinateur qui tentait de décrypter les informations contenues sur le portable d’Henri Durand. Il regarda l’avancement du travail. Une série de codes défilaient à grande vitesse sur le moniteur. Kevin vit tout de suite que cette méthode ne donnerait rien avant des jours, voire des semaines si le code d’accès utilisé dépassait cinq ou six caractères. Malgré la puissance de calculs mise à sa disposition, il n’arriverait pas à craquer ce mot de passe de cette façon. Il se remémora la conversation qu’il avait eue avec Sarah quelques heures plus tôt. Si seulement la NSA pouvait leur prêter main-forte, tout irait surement plus vite. CHAPITRE 53 Kevin était arrivé depuis une bonne demi-heure à son bureau. L’endroit était étrangement calme. Ce fameux calme avant la tempête ! L’arrivée massive du personnel allait commencer dans les minutes suivantes. Il en - 223 - avait profité pour consulter ses messages et effectuer les quelques vérifications d’usage sur l’état des serveurs du centre. C’est à ce moment précis que le sommeil le rattrapa. Il était assis derrière son bureau, les doigts sur son clavier d’ordinateur, le regard vide. L’esprit déjà en hibernation, les yeux mi-clos, il se sentait partir dans les bras de Morphée. Un bâillement à s’en décrocher la mâchoire le tira de cette torpeur. Un frisson le traversa, il se frotta les yeux énergiquement quand soudain, une chose lui revint en mémoire : « C’était un agent fédéral ou un truc du genre » avait dit le jeune vigile. Kevin tapa quelques lignes de codes, entra deux ou trois mots de passe qu’il n’était pas supposé connaître, et accéda au programme de vidéosurveillance du centre spatial. Le logiciel chargea une mosaïque d’images provenant des caméras et des boutons de gestion des bandes, façon magnétoscope. Il saisit la date désirée et l’heure approximative qui l’intéressait plus particulièrement dans une zone de recherche. Après une seconde de chargement, il fit défiler la vidéo en avance rapide jusqu’à obtenir du mouvement à l’écran. Il vit d’abord deux hommes de dos, marcher le long du couloir, puis un des deux personnages glissa sa carte magnétique dans la fente prévue à cet effet. La porte du bureau s’ouvrit. Au moment où le deuxième homme pénétra dans la pièce, Kevin reconnut parfaitement l’agent Donald Dalton. Il nota l’heure exacte indiquée au bas de l’image, accéléra la vidéo et stoppa lorsque les deux visiteurs quittaient les lieux. Il s’était passé un peu plus de cinq minutes. Qu’avaient-ils bien pu faire pendant ce laps de temps ? En repensant à sa soirée avec Sarah, Kevin se demanda si tout cela n’avait pas été planifié à l’avance. Elle s’invitait chez lui à l’improviste, puis s’arrangeait pour suffisamment le distraire pour qu’il n’ait pas envie de sortir. Pendant ce temps-là, son complice fouillait son bureau en toute sécurité. Cela signifiait que le directeur de la NASA approuvait cette démarche, mais également qu’il restait un suspect potentiel, voire le suspect principal de toute cette affaire. Comment réagir face à ça ? Kevin tourna la question dans tous les sens. Il n’était pas censé savoir qu’on avait visité son lieu de travail. D’un autre côté, s’il ne crevait pas l’abcès immédiatement, le doute allait l’envahir sur sa relation naissante avec Sarah. Cela impliquait également que son directeur était de mèche avec les fédéraux. À la moindre incartade de sa part, il risquait de servir de bouc émissaire au fiasco des jours passés. Décidément, cette affaire - 224 - prenait une mauvaise tournure pour lui et il ne voyait pas comment tirer tout ça au clair sans mettre les pieds dans le plat. Il se rappela finalement qu’il devait déjeuner avec Sarah, ce qui lui donnerait une bonne occasion de clarifier les choses une bonne fois pour toutes. Sarah arriva au siège du FBI en début de matinée. Don était déjà à son bureau la regarda d’un œil interrogateur lorsqu’elle entra. Qu’avait-il bien pu se passer pour elle la nuit dernière ? Sa curiosité fut plus forte que le reste. - Rien de très intéressant, répondit-elle assez froidement. - Tu peux au moins me dire pourquoi tu m’as fait aller à la NASA en pleine nuit, alors qu’il n’y avait absolument rien à voir ! Elle décida de ne rien lui cacher. Après tout, c’était son partenaire depuis pas mal de temps, et ils étaient devenus amis au fil des mois. Elle aurait presque pu le considérer comme un deuxième père, ou du moins comme un frère beaucoup plus vieux. Elle lui détailla sa soirée, d'un point de vue professionnel uniquement, et lui raconta comment Kevin avait conservé puis analysé le portable d’Henri Durand. Elle lui expliqua qu’elle l’avait envoyé au centre spatial à cette heure tardive, pour s’assurer qu’aucun individu mal intentionné ne vienne voler ou détruire ce précieux objet. Les évènements qui s’étaient produits quelques heures plus tôt dans les bureaux du FBI lui avaient laissé un arrière-goût amer. Elle ne voulait pas subir une nouvelle fois le même revers. Ces informations étaient capitales, et pour préserver au minimum sa couverture, elle avait eu recours à ce message succinct lorsque Kevin avait le dos tourné. L’enquête n’ayant pas encore été élucidée, elle devait conserver un maximum de réserve à son encontre. - Et maintenant, on fait quoi ? - On va suivre cette histoire de claviers piratés, répondit Sarah à son collègue. - Pas la peine, reprit Don. Le chef a mis une autre équipe sur le coup, et pour l’instant, ils ont fait chou blanc. - Comment ça ? demanda Sarah. Encore une piste qui n’a pas abouti ? - Rien, que dalle, nada, niente… - C’est bon, j’ai compris, lui lança-t-elle d’un air dépité. Elle réfléchit quelques instants en silence, tout en lisant ces messages électroniques. - 225 - - Ceci inclut également l’identification des deux voleurs sur le parking du restaurant routier ? - Le chat est sur l’affaire. Je dois passer le voir tout à l’heure, tu veux venir ? - Le chat ??? - Mais oui, notre bon vieux Tom, répondit Don qui ne comprenait toujours pas pourquoi elle refusait obstinément d’appeler ses collègues de travail par leur surnom. Tom est le chat et Jerry la souris, voyons ! Tout se perd avec cette jeunesse… Il a commencé l’analyse de la bande vidéo qu’on a récupérée. - Pourquoi attendre ? demanda Sarah. On n’a rien de mieux à faire, alors allons-y. - OK ! C’est parti. Les deux agents se rendirent au laboratoire scientifique situé à l’extrémité des bureaux du FBI. Tom Tates était à son poste, les yeux rougis par le manque de sommeil et d’une humeur morose, ce qui était rare chez lui. Il regardait fixement une image fortement pixélisée sur son écran, qui semblait subir des mutations à chaque passage d’un petit carré blanc. Il sursauta lorsque la porte claqua. Se retournant nerveusement, il demeura immobile une bonne seconde en voyant Sarah et Don arriver, tel un lapin pris dans les phares d’une voiture en pleine nuit. Soudain, une connexion dans son cerveau se remit en marche, et il réussit à grommeler un « Ah ! C’est vous… » avant de replonger vers son écran. - Et bien mon vieux, tu as une sale gueule ce matin, lui lança Don en lui tapant dans le dos comme l’aurait fait un pote de régiment. - Ne m’en parle pas, j’ai passé la nuit là-dessus, dit-il en montrant l’image devant lui. Pour le moment, ça ne donne absolument rien. Ce logiciel d’analyse est pourtant réputé pour être ce qui se fait de mieux en la matière, mais je n’arrive pas à obtenir une photo suffisamment nette du gaillard. - Qu’est ce qu’on est censé voir ? demanda Sarah timidement pour ne pas froisser son collègue. - C’est la seule image où l’on aperçoit le visage d’un des pirates de claviers. Je suis en train de faire tourner un filtre numérique pour améliorer sa qualité, mais la vidéo de base est tellement mauvaise que je - 226 - doute arriver à un résultat satisfaisant. En tout cas, rien qui vous permettra une identification précise. - Est-ce qu’on peut revoir le film original ? demanda Sarah. Tom s’exécuta. Le passage en question durait un petit quart d’heure. On y voyait une voiture se garer près d’un semi-remorque. Un homme sortait du côté passager, la tête baissée, et se dirigeait sur la porte arrière du camion pour y crocheter la serrure. Il disparaissait ensuite dans la remorque durant une bonne dizaine de minutes. Le second personnage faisait le guet pendant ce temps-là, adossé à son véhicule. Tom fit avancer les images en accéléré jusqu’à un moment précis. - Là, regardez ! dit-il. Ce couillon va faire une erreur digne d’un débutant. Le deuxième homme en question n’avait jusque-là pas bougé d’un pouce, hormis la tête qui faisait des allers et retours sur son axe dès qu’il y avait du mouvement aux alentours. Les minutes défilant trop lentement. L’énervement dû à l’attente interminable avait fini par l’envahir. La seule chose qu’il lui était venu à l’esprit était d’allumer une cigarette. Au moment où il approcha son briquet pour enflammer sa sèche, une flamme jaunâtre éclaira furtivement son visage. - Vous voyez, cria Tom très fier de lui. C’est là, l’unique moment où nos deux gaillards ont fait une erreur. Après ça, il n’y a rien à en tirer. Ce gaillard fume sa clope pendant une petite minute, puis l’autre revient, ils montent en voiture, redémarre et basta ! Les plaques de la bagnole sont illisibles, surement pleines de terre où un truc dans le genre. De plus, vu la qualité médiocre de la vidéo, nous n’avons aucun reflet exploitable. - Parfait, compléta Don. - Pourquoi le logiciel n’arrive pas à filtrer l’image ? demanda Sarah. On a pourtant réussi à obtenir des résultats bien meilleurs auparavant… - Je n’en sais rien, reprit Tom. J’ai essayé tous les filtres qu’on utilise habituellement, mais ça ne donne absolument rien de probant. Pour être honnête, c’est davantage le domaine de Jerry ! - Et il est où notre rat de laboratoire ? questionna Don. - Aucune idée. Je ne l’ai pas vu depuis sa réunion avec le chef hier et il n’a pas appelé. - 227 - CHAPITRE 54 Au petit matin, Tony arriva au bureau, frais comme un gardon. Sa séance de vélo matinale lui permettait d’être en pleine forme tout au long de l’année. Il fut surpris de voir Kevin présent à son poste de si bon matin, ce qui n’était pas dans ses habitudes. Être le chef de service n’avait pas que des avantages, mais il pouvait gérer ses heures de travail à sa guise. Il pouvait même s’absenter en pleine journée s’il le désirait. En contrepartie, il devait être joignable à n’importe quelle heure, jour et nuit. Tony n’avait pas ces contraintes, du moins pas encore. Il s’installa à son poste après avoir salué son supérieur, jeta un œil à ses messages avant de regarder le planning du jour. Le programme était bien chargé une fois de plus, chose normale à l’approche d’un lancement de navette. La journée s’annonçait chaude en émotion et en stress. La fusée devait décoller en fin d’après-midi. Les journaux télévisés du matin montraient déjà les centaines de curieux qui s’amassaient sur les espaces réservés, aux alentours du pas de tir. Certains avaient même campé sur le site pour être sûrs d’avoir une bonne place. Les décollages étaient devenus une véritable attraction touristique et les astronautes, de vraies stars populaires adulées autant par les gamins que leurs grand-mères. Les médias y étaient pour beaucoup. Kevin vint voir Tony pour lui donner les directives du jour. Ce dernier l’arrêta tout net : il savait ce qu’il avait à faire. Pendant l’absence de son supérieur, il avait pris des initiatives et s’était jeté à corps perdu dans son travail : une nouvelle conscience professionnelle en quelque sorte. Tout cela était de bon augure pour Kevin, il allait pouvoir plancher sur le déchiffrage des fichiers contenus sur le portable d’Henri Durand, tout en continuant ses activités. Son rôle de mentor envers son jeune subalterne était désormais révolu. L’oisillon volait enfin de ses propres ailes. Tous deux travaillèrent d’arrache-pied durant deux heures, avant de faire une pause café bien méritée. Kevin en profita pour jeter un œil sur les programmes de décryptage qui tournaient depuis la veille au soir. Le résultat était désolant. Casser un code avec la méthode dite « de force brute » risquait de durée une éternité. Il fit un rapide calcul mental : si le mot de passe contenait plus de six caractères, il lui faudrait des jours pour le trouver de cette manière. Contrairement à un codage basé - 228 - uniquement sur les lettres de l’alphabet, les mots de passe informatique étaient codés sur 256 valeurs : les chiffres, les lettres, plus une panoplie de données semi-graphiques. Un mot de passe composé de seulement trois caractères offrait déjà 16.777.216 possibilités à tester. Pour être raisonnablement efficace, celui-ci devait avoir sept ou huit caractères. Le calcul du nombre de valeurs possibles en devenait inimaginable pour le cerveau humain. La probabilité de gagner au loto était nettement plus élevée que celle de casser ce cryptage. Kevin réfléchit quelques minutes, retourna le problème dans tous les sens pour en déduire qu’aucune solution n’était envisageable de cette façon. Même si Henri Durand avait utilisé un mot de passe relativement simple composé de sept ou huit valeurs, cette méthode montrait ses limites. Il devait s’en remettre aux approches beaucoup plus traditionnelles. Il avait déjà testé tout ce qui fonctionnait habituellement : les noms et prénoms de la famille, les dates de naissance, puis un mélange de tout un tas de choses dans le même style sans succès. Il reprit son travail, mais son esprit restait obnubilé par l’idée de passer à côté de quelque chose d’essentiel. Il garda un œil rivé sur ses écrans de contrôle tout en feuilletant le dossier d’Henri Durand, que le FBI lui avait fourni lors de son voyage en Suisse. Il relut pour la troisième fois le rapport sans obtenir l’étincelle de génie qui lui permettrait de casser le mot de passe. Cependant, un nom lui sauta aux yeux. L’homme avait travaillé pendant quelques mois chez un petit éditeur de logiciel qui avait depuis fait fortune en brevetant un système de compression de données. Quelques recherches sur internet lui apprirent, au détour de nombreuses pages de publicités purement commerciales, que Durand était l’un des concepteurs de l’algorithme qui avait servi de base à ce logiciel. Désormais passé dans le domaine public, le code source était disponible à qui savait chercher. Internet était devenu un monde merveilleux où tout était accessible lorsqu’on maîtrisait parfaitement les différents moteurs de recherche. Kevin téléchargea tout ce qu’il trouva sur le sujet et commença la lecture de lignes de codes machines relativement barbares pour le commun des mortels. Les algorithmes qu’il avait sous les yeux étaient des versions modernes, allégées et nettement plus performantes que celui d’origine. Il semblait que cette fois encore, son instinct lui faisait défaut. En désespoir de cause, il se mit en quête du programme original, en souhaitant qu’un miracle se - 229 - produise. Les investigations furent beaucoup moins évidentes que ce qu’il pensait. Internet, cette base de données phénoménale, avait fini par montrer ses limites pour tout ce qui lui était antérieur. Les liens obsolètes se mêlèrent aux sites publicitaires et pornographiques qui s’insinuaient partout sur le réseau, et à tout un tas d’autres choses sans aucun intérêt. Soudain, au bas d’une page que son traducteur automatique eut du mal à retranscrire correctement, un lien attira son attention. Le brevet original avait été piraté il y a bien des années, et le code utilisé dans le logiciel de compression était disponible sur un site de l’ex-Allemagne de l’Est. Kevin vit immédiatement de grosses différences avec les algorithmes actuels. Vers la fin du fichier, quelques lignes lui sautèrent aux yeux. Les programmeurs de l’époque avaient laissé en commentaire quelques annotations pour le débogage, ainsi que quelques messages pour la postérité. Ils indiquaient entre autres qui avait participé au projet. Kevin ne reconnut aucun des noms inscrits, mais un message attira son attention : « À Maria, la femme de ma vie et à mon futur enfant. » « À mon futur enfant »… Kevin avait vu dans le dossier de Durand que sa femme s’appelait Maria et sa fille Éléonore. Il était sur la bonne voix, il le sentait. Il avait bien testé ces charmants prénoms, avec ou sans majuscule, de toutes les manières possibles, ils ne fonctionnaient pas. Pourtant, il était intimement persuadé qu’il approchait du but. Que Durand laisse une telle note dans le programme source qui avait fait sa renommée dans le monde des programmeurs n’était pas anodin. Le regard concentré sur le prénom de sa fille affiché à l’écran, son esprit tournait à plein régime lorsque Tony le tira de sa rêverie. Il devait s’absenter quelques minutes. Un problème de réseau avait été détecté au service des pièces détachées, empêchant les techniciens de finaliser le chargement de la navette. Une urgence absolue à gérer pour éviter un retard sur l’horaire de lancement. Liz McCarthy fulminait intérieurement. Elle savait qu’elle touchait du doigt la solution de l’énigme du virus, mais elle n’avait que des soupçons et rien de concret à présenter aux responsables de la chaîne. Son assistant Georges Goranovic en faisait les frais. Sa mauvaise humeur était palpable aussi bien en coulisse que sur le plateau du journal du midi. L’actualité tournait essentiellement sur le lancement de la navette, - 230 - prévu en milieu d’après-midi. Liz devait faire bonne figure malgré une antipathie profonde pour ce genre de journalisme-spectacle. Ce qu’elle voulait, c’était du scoop, de l’affaire juteuse où les cadavres ne sont jamais loin. Malheureusement, le rédacteur en chef lui avait rédigé des dépêches mielleuses, de la star en veux-tu en voilà, tout ce qu’elle détestait. Devant les caméras, elle réalisa une véritable performance d’acteur, bien que ça ne soit pas son fort. L’image de marque avant tout : elle avait travaillé trop dur pour tout gâcher en quelques minutes d’antenne. Aussitôt le journal terminé, elle retourna dans sa loge comme une furie, ne voulant parler à personne. Georges tenta une première approche avant qu’elle ne s’enferme, mais sentit que ça n’était vraiment pas le moment de venir la chatouiller. Un quart d’heure plus tard, il frappa à sa porte. En attendant qu’elle l’invite à entrer, il colla une oreille contre le bois. Aucun bruit ne filtrait, ce qui n’était pas dans les habitudes de Liz. Il hésita un instant, puis entrouvrit aussi doucement que possible pour jeter un coup d’œil à l’intérieur. À sa grande surprise, il découvrit Liz, son téléphone portable scotché contre sa joue. Elle ne parlait pratiquement pas, ce qui était encore une fois assez étrange pour quelqu’un de son tempérament. Lorsqu’elle prit conscience que quelqu’un était en train d’entrer, elle lâcha une phrase d’excuse à son interlocuteur et raccrocha. - Tu tombes bien, lui dit-elle. Je veux… non j’exige des excuses du patron pour m’avoir obligé à présenter ce torchon indigne d’une vraie journaliste. - Euh !!! Oui… enfin, je vais essayer d’arranger les choses, finit-il par bredouiller. - Cette fois-ci, il est allé trop loin. Que va penser le public de ce genre d’actualité ? Il n’y avait rien, que du blabla, de la starlette à deux sous qui vient se montrer parce qu’elle est en promotion, les mêmes têtes encore et toujours. Si ce soir il ne redresse pas la barre, je quitte le navire ! Georges ne dit rien de plus, mais n’en pensa pas moins. Elle lui avait déjà fait le coup à plusieurs reprises, mais une coucherie plus tard, l’affaire était oubliée. Le chef de la rédaction et elle avaient un passif qui lui permettait ce genre de réaction. Georges le savait, comme tout le monde d’ailleurs. - Et cette fois-ci, c’est du sérieux, reprit-elle alors qu’il sortait de la loge. Je viens encore d’avoir une offre à l’instant même, tu peux lui dire. - 231 - - Oui madame, répondit-il en pensant toute autre chose ! CHAPITRE 55 Kevin se retrouva seul, avec ses nombreux ordinateurs qui lui étaient totalement inutiles dans ce cas précis. Son esprit restait son arme suprême pour triompher de ce mot de passe. Il effectua de nouveaux essais en désespoir de cause, malheureusement sans succès. Le vibreur de son téléphone portable le tira de son intense réflexion. - Bonjour Kevin, c’est Sarah ! - Bonjour, bien dormi ? - Je suis désolé d’être parti si vite hier soir, reprit-elle sans prendre la peine de répondre à sa question, mais vous savez ce que c’est. Il n’y a aucun répit lorsqu’on est un agent fédéral. Il faut tout de même qu’on remette cette soirée rapidement, je serais navré que nous n’ayons pas une seconde chance. Kevin ne sut pas trop quoi ajouter. D'un côté, il était enthousiasmé par ce début d’aventure, mais parallèlement il restait méfiant. Son expérience passée lui avait appris à se méfier des organismes gouvernementaux. Sa confiance étant une chose qu’ils n’avaient pas méritée jusqu’à présent. Mais son attirance certaine pour Sarah lui enlevait toute capacité de réflexion. - On se voit ce midi, finit-il par dire. - C’est moi qui invite, répondit-elle. Et il n’est pas question que vous refusiez. On se rejoint au restaurant sur le bord de plage dont nous avions parlé. - Va pour treize heures ! - Parfait. Ils raccrochèrent chacun de leur côté. Kevin remit son téléphone en poche lorsqu’une idée lui vint à l’esprit. Sarah lui avait raconté l’histoire d’Henri Durand pendant le voyage qui les avait emmenés en Suisse, et une phrase lui revint en mémoire. Elle lui avait décrit la carrière de l’homme, en insistant sur le fait que tout avait commencé grâce à un algorithme de compression très en avance sur son époque. Cette technique révolutionnaire permit de faire un bond de géant dans plusieurs domaines, dont celui de l’échange de fichiers par modem. Un esprit aussi brillant devait probablement lire à travers les 0 et 1 du - 232 - langage binaire informatique. « Et si Durand avait codé le mot de passe avec son propre algorithme de compression », pensa soudainement Kevin. Cela ne coûtait rien d’essayer, même si l’idée quelque peu saugrenue avait peu de chance d’aboutir. Seulement, compresser un texte est facile, compresser un unique mot l’est moins. Il chargea le code du programme original qu’il avait récupéré, fit quelques modifications pour ses besoins et testa à nouveau les noms et dates qu’il jugeait intéressants. Le prénom de la défunte fille de Durand attira son attention, car il comportait trois « e » et deux « o » : Eleonore. Le candidat idéal pour une compression de données. Il passa à la moulinette le mot pour en obtenir un code plus court que l’original, totalement dénué de sens pour n’importe quel littéraire. Il entra le terme trouvé et le miracle s’accomplit en un centième de seconde. Le listing des fichiers présents sur le portable de Durand s’afficha en toutes lettres, parfaitement lisible. Kevin poussa un cri de joie étouffé, en levant les bras au Ciel. Son rythme cardiaque avait fait un bond en constatant son triomphe sur la machine et de son défunt adversaire. Casser un mot de passe était devenu un jeu digne des échecs au fil des années. Il fallait être audacieux, plein de ressources, suivre une ligne de conduite précise et foncer. Un combat de l’esprit entre deux gentlemen, ni plus ni moins. Il survola les milliers de fichiers présents dans la mémoire du portable, et fut surpris par l’espace disponible pour un tel appareil. « Durand était vraiment un génie dans son domaine », pensa-t-il. Il avait réussi, grâce aux dernières avancées technologiques, à multiplier par quatre la quantité de données stockables. Kevin se demanda comment il avait pu avoir accès à un prototype en cour de développement chez le constructeur, qui devait être classé « confidentiel ». Il lui était évident que le piratage industriel était une chose à la portée d’un tel homme, mais de là à en récupérer un prototype, il y avait une marge non négligeable. Le listing qu’il visualisa lui confirma son intuition : tout était parfaitement structuré, chaque fichier avait un nom parlant, était placé dans un répertoire précis, lui-même dans un dossier bien défini… Malgré cela, le nombre de documents à lire était impressionnant et cela lui prendrait des jours avant d’en venir à bout. Il lança une recherche sur des termes particuliers, comme « virus » ou « NASA ». Le résultat obtenu indiquait encore une bonne centaine de textes. Il les lista par - 233 - date et s’intéressa à ceux datant du jour de la découverte du virus. Il s’agissait d’une sorte de journal de bord où Durand relatait tout ce qui se passait d’inhabituel ou d’intéressant sur différents sites qu’il espionnait. La NASA en faisait partie, ce qui étonna Kevin qui était persuadé d’avoir mis en place un système hautement sécurisé. Néanmoins, il lui apparaissait très clairement qu’un mouchard était présent sur son réseau, car Durand avait des rapports très précis des activités de l’agence. Il avait découvert le virus au même moment que lui selon les dates indiquées. Il continua sa lecture, tout en observant du coin de l’œil les informations affichées sur les serveurs du centre. Tony n’était pas encore revenu, ce qui en cas normal l’aurait probablement inquiété. Mais son brave collaborateur lui avait fait comprendre qu’il connaissait son boulot. « Pas de problème » se dit Kevin, on va voir s’il maîtrise le système aussi bien qu’il le croit ! La fin de matinée passa à la vitesse de l’éclair pour l’ingénieur de la NASA qui était littéralement plongé dans une incroyable odyssée. Henri Durand avait écrit un véritable roman d’espionnage, en y indiquant le moindre de ses faits et gestes de piraterie. Aucun nom n’était explicitement noté, mais il était évident qu’il avait de très bons contacts dans les plus importantes structures du pays. Que ce soit chez les militaires, au gouvernement ou encore dans les industries publiques et privées, rien ne lui avait échappé. Lorsque la pause déjeuner arriva, Kevin en conclut que l’homme était certainement le plus grand pirate informatique de tous les temps, mais il n’en tirait étrangement aucun bénéfice. Il n’avait trouvé aucune trace de transactions bancaires, ou d’échanges d’informations sensibles pouvant prouver un enrichissement. Il semblait faire de l’espionnage uniquement pour le challenge. Une sorte d’admiration commençait à naître dans son esprit, même si la situation de Durand n’avait rien d’enviable de son vivant. Une alarme le tira de sa lecture, le rendez-vous avec Sarah était arrivé. Au moment où il allait quitter son bureau, une pensée le frappa de plein fouet. Il n’avait même pas songé à tester le portable pour déterminer s’il était vérolé ! Une grave erreur de débutant qui pouvait être fatale dans ce cas précis. Si le virus était présent dans la mémoire de l’appareil, il venait à nouveau de contaminer tout le réseau informatique de la NASA. Son sang se glaça dans ses veines, un frisson lui traversa le corps de la racine des cheveux à la pointe des orteils. Il débrancha violemment - 234 - le téléphone de Durand pour le connecter directement sur un ordinateur autonome qui contenait son programme de détection. Puis il lança l’analyse avec angoisse… Il regarda sa montre à plusieurs reprises. Il allait finir par être en retard à son rendez-vous, cependant l’enjeu était crucial. Il serait incapable d’avaler une seule bouchée s’il n’avait pas auparavant la certitude que tout était sous contrôle. Après quelques secondes qui lui semblèrent une éternité, le programme retourna un message qui le vida de ses forces. Il s’avachit sur un siège, les bras ballants en soufflant de soulagement : tout était OK ! Sarah était déjà arrivée lorsque Kevin apparut à l’entrée du restaurant, une situation contraire aux habitudes voulant que la femme fasse patienter l’homme. L’endroit sortait de l’ordinaire. C’était une sorte de paillote mordant sur la plage qui offrait un service de restauration de grande qualité. Le bâtiment de brique et de bois avait une architecture méditerranéenne. Les cuisines étaient cachées en limite de rochers, tandis que la salle de réception, agrémentée d’une vaste terrasse, surplombait le sable fin. Ce cadre privilégié tenu par un Italien de pure souche, maniant la pâte à pizza comme personne, était bondé aux heures d’affluence. C’était devenu en quelques années le repère des traders et autres jeunes loups qui n’hésitaient pas à sortir la Porsche pour aller déjeuner à la pizzeria Bella Napoli. Kevin eut quelques difficultés à reconnaître l’agent fédéral caché sous des vêtements estivaux. Sarah s’était changée avant de quitter le bureau. Elle avait passé une robe à fleurs, dénoué ses cheveux et arborait une paire de lunettes de soleil très à la mode. Son entrée fit son effet et quelques sifflements à l’italienne se firent entendre en signe d’approbation devant tant de beauté. Elle avait dû repousser les avances de trois golden boys à la cravate desserrée en attendant l’arrivée de Kevin. Une vague de jalousie envahit la pièce lorsque l’informaticien arriva et qu’ils allèrent s’installer en terrasse, pour profiter de l’ensoleillement généreux de la mi-journée. - Vous êtes splendide, lui lança-t-il en lui poussant sa chaise comme le ferait un partait gentleman. C’est la nouvelle tenue des agents de terrain ? - Ne soyez pas idiot, répondit-elle en affichant un sourire à faire craquer un moine. Je voulais simplement profiter de cette magnifique journée, histoire de prendre le soleil une petite heure. - 235 - Sarah commanda une salade composée, Kevin une bonne grosse pizza qu’il était sûr de ne pas arriver à finir, aussi délicieuse soit-elle. Le tout fut agrémenté d’un cocktail sans alcool pour les deux convives. Ni l’un ni l’autre ne savait comment aborder le sujet qui les intéressait particulièrement. Kevin avait tourné le problème dans tous les sens, il hésitait toujours entre divulguer sa formidable découverte et garder les choses secrètes encore quelque temps. En y réfléchissant avec plus d’attention, il n’avait pas eu le loisir d’approfondir ses recherches et n’avait rien appris de vraiment intéressant pour l’enquête en cours. Mais, l’attitude détachée de Sarah avait fait tomber son système d’autodéfense naturelle. Cette femme avait un réel pouvoir sur lui, et il finit par craquer. Il fallait qu’il lui montre qu’il était plus qu’un simple informaticien, qu’il avait l’étoffe d’un véritable enquêteur. - Vous avez avancé sur l’enquête ce matin, lança-t-il entre deux bouchées qu’il tentait de ne pas avaler d’une traite, pour masquer sa gloutonnerie. - Pas vraiment, il y a encore quelques pistes que nous devons creuser, mais rien de bien excitant. Et vous ? - Et bien, disons que nous n’aurons pas besoin de la NSA pour décrypter le code d’accès des dossiers de Durand. - Vous avez trouvé le mot de passe ? demanda Sarah en affichant une réelle surprise. - Un coup de chance, répondit-il modestement. - Laissez-moi en douter. La chance est rarement du bon côté dans ce domaine. Comment avez-vous fait ? - Lorsque les moyens informatiques usuels ne fonctionnent pas, il faut parfois revenir aux investigations plus conventionnelles. J’ai épluché son dossier de long en large, et une chose que je n’avais pas vue auparavant m’a soudainement frappé. Durand avait breveté un système de cryptage de données au tout début de sa carrière. En étudiant le code, j’ai lu une note qui m’a mis la puce à l’oreille. Après ce n’était qu’une question de pure logique et voilà, le tour est joué ! Sarah tentait de simuler la surprise absolue. En réalité, la télésurveillance que le FBI avait mise en place leur avait montré tout ce que Kevin avait fait pendant sa matinée. Ce dernier avait été beaucoup trop absorbé par ses recherches pour remarquer les minicaméras, cachées aux extrémités de son bureau. Même si elle n’avait pas une vision très précise de la - 236 - pièce, Sarah avait constaté que Kevin avait dévoilé des signes de réjouissance bien réelle, ce qu’il ne faisait jamais habituellement. Quelque chose d’important avait eu lieu dans ce bureau, et Sarah savait qu’elle devait jouer de prudence et ne pas l’agresser si elle voulait lui soutirer des informations en douceur. Malgré l’attirance qu’elle ressentait, un homme tel que lui risquait de se renfermer au moindre faux pas de sa part. La robe légère et la discussion anodine faisaient partie de son plan, qui avait parfaitement fonctionné pour le moment. Il fallait désormais passer aux choses sérieuses. Kevin lui raconta tout en détail, ce qu’il avait découvert, le fait que cela représentait une quantité impressionnante de documents à lire. Sarah acquiesçait volontiers, ne posant que de très brèves questions. Lorsqu’il eut fini son histoire, elle le félicita, le remercia pour sa collaboration et se lança. - C’est de l’excellent travail Kevin, mais à ce point de l’enquête, je pense qu’il serait préférable que nous prenions en charge l’analyse des fichiers. Et puis, je suis sûr que vous avez d'autres choses à faire aujourd’hui, avec le décollage de la navette… - Pour être franc, mon collègue s’en sort plutôt bien, ce qui me laisse plus de disponibilité qu’auparavant. J’aimerais vraiment continuer à vous aider sur cette affaire. - Je ne pense pas que ça dépende de l’un d’entre nous, lui répondit Sarah, mais je vais en faire part à mon chef. Elle s’excusa un instant et alla téléphoner à l’écart du restaurant, un peu plus loin sur la plage. Le soleil jouait magnifiquement à travers sa robe, lui donnant une transparence qui fut très remarquée par les personnes présentes dans l’établissement. Son appel fut de courte durée. Elle resta quelques secondes immobile, le regard perdu vers l’océan. Son téléphone portable vibra, elle décrocha et écouta son interlocuteur. Ce second appel fut encore plus rapide que le premier. Elle revint à la table où Kevin l’attendait. L’addition était réglée, les couverts débarrassés. Son compagnon lui avait commandé un café glacé, le parfait remontant pour tenir un après-midi de plus. - Je suis désolé, lui dit-elle, mais monsieur Johnson a, semble-t-il, besoin de vous. - Pour être honnête, je m’en doutais. Même si les heures qui précèdent un décollage sont primordiales, tout ce que j’avais à faire est terminé depuis longtemps. Mais c’est l’imprévisible que redoute mon chef, et - 237 - dans de telles circonstances, il est souhaitable que je sois disponible dans la minute. - Nous pouvons rester en contact, reprit Sarah en le regardant droit dans les yeux. - Faisons ça, répondit-il en essayant de masquer sa déception au maximum. - Par contre, il va falloir que je vous accompagne pour récupérer le portable de Durand. - Pas la peine, ajouta-t-il en sortant de sa poche un petit objet. J’avais prévu le coup et je vous ai transféré la totalité des données sur cette clé. Je l’ai testé, il n’y a pas de virus. - Merci, je vous appelle si nous avons besoin de vos services… - Même si vous n’avez pas besoin de mes services, ça sera avec plaisir, répondit-il. Tous deux retournèrent à leur bureau respectif. Sarah avait fait un sansfaute, la robe, les cheveux aux vents et le sourire avenant y étant pour beaucoup. Son chef lui avait montré la vidéo de surveillance filmant Kevin durant la matinée. Elle savait qu’il avait trouvé quelque chose d’intéressant, mais cela restait à déterminer. Par contre, elle avait parfaitement vu qu’il avait fait une copie des fichiers sur une clé USB, et c’était l’objectif que lui avait transmis le directeur Fitzgerald. Elle n’aimait pas ce double jeu, surtout envers quelqu’un qu’elle commençait à apprécier. Seulement dans son domaine, les sacrifices étaient souvent nécessaires. Kevin n’avait finalement rien dit concernant la visite de Don dans son bureau, la nuit passée. Le charme féminin de Sarah l’ayant envahi, son cerveau avait occulté ce point de détail, mais il n’avait pas abdiqué pour autant. CHAPITRE 56 Lorsque Kevin revint à son bureau, Tony le questionna gentiment sur son absence inhabituelle. Ce dernier évita cette conversation habilement en lui parlant du travail restant à effectuer avant l’heure fatidique du décollage. Il ne désirait pas étaler ses aventures aux yeux de son collègue, de peur de faire capoter l’affaire. Tony ayant un physique - 238 - avantageux, il ne voulait surtout pas être mis hors course par un jeune blanc-bec. De son côté, Sarah s’était changé pour revêtir sa tenue d’agent fédéral : un ensemble veste et pantalon très masculin. Elle était dans le laboratoire du FBI avec le directeur, son partenaire, et les deux techniciens Tom et Jerry. Ce dernier avait été pleinement disculpé dans l’histoire des claviers piratés. Tom avait pris les choses en main. L’analyse préliminaire des documents montrait ce que Kevin avait déclaré à Sarah. Henri Durand était très prolifique et écrivait tout ce qui lui arrivait. La somme des textes à lire était impressionnante, même pour un groupe de quelques personnes. Don suggéra de se contenter des articles datant de la semaine en cour, dans un premier temps. Si les besoins s’en faisaient ressentir, ils approfondiraient plus tard la lecture du reste des dossiers. Tom exécuta une commande pour sélectionner au mieux les fichiers, puis les imprima et les mit à disposition de chaque agent. C’était parti pour un après-midi des plus pénibles, surtout pour Don qui appréciait moyennement la paperasserie. Ils se donnèrent rendez-vous au laboratoire vers seize heures pour faire un premier bilan de leurs trouvailles. Tony était revenu à la charge. Leur travail au sein du centre spatial n’était pas très prenant en temps normal, mais les jours de départ de navettes leur offraient un repos très relatif. Ils étaient d’astreinte, mais n’avaient rien de bien particulier à faire, car le plus gros du boulot avait déjà été effectué. Kevin passait ses heures dans la salle de contrôle des opérations. La tension était palpable durant les minutes qui précédaient le décollage, puis une première délivrance arrivait lorsque la fusée s’élevait de Terre sans encombre. Kevin aimait ressentir les émotions de toute l’équipe au même moment qu’eux, mais surtout au plus près d’eux. Les mois de dur labeur devenaient moins pénibles à encaisser quand les astronautes quittaient le plancher des vaches en un seul morceau. Tony allait encore plus loin dans la dévotion. Il avait toujours eu l’autorisation de se rendre sur le pas de tir, jusqu’à présent. Il assistait aux ultimes préparatifs des spationautes, au pied de la navette. Il était en quelque sorte l’homme de terrain pendant que Kevin surveillait à distance : le fantassin sur le champ de bataille et son lieutenant en observation en retrait ! - 239 - Tony ayant résolu les problèmes rencontrés en fin de matinée, il eut comme d’habitude l’accord de ses supérieurs. Il ne se fit pas prier et partit dès le début d’après-midi. Kevin avait encore quelques heures à tuer avant la grand-messe. Il en profita pour retourner étudier les fichiers d’Henri Durand. Au FBI, les yeux commençaient à piquer sérieusement. La lecture intensive de documents assez peu excitants était une véritable corvée. Tom et Jerry s’en sortaient beaucoup mieux, car ils découvraient au détour d’innombrables pages, des choses qu’ils pensaient irréalisables. Henri Durand avait été le plus grand pirate de toute l’histoire de l’informatique, ils en étaient maintenant intimement persuadés. Le fait qu’il n’en avait jamais réellement profité personnellement lui donnait une dimension de vengeur masqué. En tout cas, il n’en faisait pas état dans les documents qu’ils avaient sous les yeux. Au fil des pages, ils comprenaient beaucoup mieux comment l’association, dont il avait été le fondateur, avait réussi à mettre à jour certains faits et gestes d’industriels indélicats. Une partie du mystère lié à cette fondation se dévoilait au fur et à mesure de la lecture. Cependant, Don commençait à se poser des questions sur l’efficacité de ce type de recherche. Il attendait la pause avec impatience pour donner son opinion à ses camarades. Dans les fichiers qu’il avait vérifiés, il était quand même tombé sur un schéma montrant un appareil que Durand avait construit quelques jours avant son décès. Il n’avait pas encore trouvé de lien avec le reste de l’affaire, mais cela semblait suffisamment intrigant pour qu’il le mette de côté en vue d’une étude plus approfondie. Sarah avait pris cette corvée d’une façon différente. Elle n’essayait pas de comprendre les explications décrites par Durand, mais plutôt d’y dénicher de nouveaux indices, ce qui s’avérait assez peu concluant pour le moment. Tom s’éclatait comme un fou. Il venait de lire un rapport mentionnant une technique révolutionnaire d’intrusion dans un système informatique sécurisé. Le côté technique de la chose était hallucinant d’ingéniosité, et il avait hâte de la tester en personne. Tout au long de sa lecture, il avait émis des sons marquant sa surprise et son admiration, ce qui commençait à énerver sérieusement Jerry. Il n’y avait rien de pire que d’entendre son collègue s’esclaffer à longueur de temps, alors que lui sombrait dans le néant au fil des pages. Hormis un schéma qui l’intriguait, le reste n’avait que très peu d’intérêt. - 240 - Peu avant leur réunion du milieu d’après-midi, Sarah tomba sur un aparté énigmatique qu’elle ne comprit pas immédiatement. Cela faisait référence au virus découvert quelques jours plus tôt, et indiquait seulement un renvoi à un fichier tiers. Elle regarda plus attentivement les entêtes des documents qu’elle venait de survoler, mais cela ne correspondait à rien. Il semblait y avoir une logique qui lui échappait encore. Don fut le premier à capituler. Un peu avant seize heures, il décida qu’il en avait assez et qu’il allait prendre un petit café avant la pause officielle qui leur servirait de réunion. Sur le pas de tir, l’effervescence était à son comble. Les astronautes finissaient de se préparer. Les techniciens lançaient les ultimes tests pour valider le décollage. Le centre de contrôle était sur le pied de guerre. La télévision émettait des flashs d’information chaque demiheure, montrant tout ce qui se passait au pied de la fusée, avant l’évacuation. Le personnel de la NASA s’amusait de cette débauche médiatique, ce qui n’avait pas toujours été le cas. Quelques années auparavant, le public s’était totalement désintéressé d’une des entités les plus gourmandes du pays, financièrement parlant. Mais, le gouvernement avait réussi, par un matraquage publicitaire subtilement organisé, à faire changer l’opinion publique en quelques mois. La NASA était redevenue une entreprise dans le vent, qui avait des objectifs ambitieux et un soutien international sans faille. L’Europe, la Russie et la Chine étaient impliquées dans le projet, et on commençait déjà à entrevoir la possibilité d’installer une colonie sur Mars. La décennie à venir devait supplanter les années soixante-dix et la conquête de la Lune dans le cœur de millions de terriens. De son côté, Kevin Klein faisait des allées et venues entre son bureau et le centre de contrôle de la NASA. D’un côté, il continuait ses recherches sur les fichiers d’Henri Durand, de l’autre il faisait acte de présence, au cas où un incident surviendrait. Une agitation sereine se faisait sentir au fil des minutes. Il en profita pour regagner une nouvelle fois son laboratoire pour vérifier l’état d’avancement de ses analyses. La lecture de centaines de documents l’ayant quelque peu freiné, il avait décidé de filtrer les textes en fonction de critères de plus en plus précis. Il espérait trouver un écrit expliquant comment le virus fonctionnait, - 241 - mais surtout comment l’anéantir. Bien évidemment, un homme aussi prudent que l’était Durand n’avait pas laissé ses informations à la disposition du premier venu. Kevin était intimement persuadé que la solution se cachait quelque part dans cette masse de fichiers. Il avait découvert plusieurs choses qui le confortaient dans son idée. Le premier point et pas des moindres était qu’il n’avait pas détecté de trace du virus sur les différentes machines qu’ils avaient récupéré en Suisse. Avant la destruction des appareils dans les bureaux du FBI, tout ce qu’il avait pu examiner était parfaitement sain. Il n’y avait que deux raisons possibles à cela : soit Durand avait fabriqué le virus et savait donc comment le contrôler, soit il avait trouvé le moyen de l’empêcher de se propager sur ses propres installations. En second lieu, il avait découvert des documents démontrant que la NASA était le patient zéro de cette infection, et la manière dont elle s’était étendue au reste du pays. Une question le taraudait : « Comment avait-il pu remonter aussi facilement la piste du virus s’il n’en était pas l’auteur ? » Cela l’amenait à une nouvelle interrogation : « Comment avait-il réussi à avoir accès au réseau de la NASA ? » Personne de l’extérieur du centre n’avait les autorisations pour contourner les différents systèmes de protection, hormis le directeur Johnson, Tony et lui-même. Kevin ne connaissait pas assez intimement Jack Johnson pour pouvoir tirer la moindre conclusion à son sujet. Cependant, il était convaincu que Tony ne pouvait pas être mêlé à tout cela. C’était tout bonnement impensable ! Pour finir, la technologie utilisée était extrêmement pointue, beaucoup trop pour le commun des mortels. Un nombre limité de personnes était capable de l’appréhender. Lui inclus, il devait se compter sur les doigts d’une main, pensa-t-il modestement. Tout en continuant son va-et-vient entre son bureau et le centre de contrôle, une pensée commençait à s’insinuer dans son esprit : « Ne faisait-il pas fausse route depuis le début ? » Rien dans ce qu’il avait pu lire n’indiquait que Durand n’était pas l'auteur de ce virus. Avait-il les compétences pour réaliser ce qui semblait être un miracle de technologie moderne ? Un doute raisonnable l’envahissait au fil des heures et il doutait même de la faisabilité d’un tel programme. Au FBI, l’enquête était sur le point de connaître un rebondissement notoire. La réunion du milieu d’après-midi venait de commencer. Tous les protagonistes étaient assis autour d’une table et présentaient les - 242 - informations qu’ils avaient découvertes. Don, croyant ne rien avoir trouvé d’intéressant, se lança le premier. - Tout ce que j’ai pu lire n’est que du baratin d’informaticien, sans vouloir vous vexer, ajouta-t-il à l’encontre de Tom et Jerry. Il n’y a vraiment rien de bon à en tirer, hormis peut-être le schéma d’un appareil que j’ai déniché. Mais honnêtement, on dirait plus une sorte de filtre d’antenne TV qu’autre chose. Le bonhomme devait avoir des problèmes de réception dans sa cahute en Suisse ! - Montrez-moi ça, reprit Tom un rien vexé par la remarque qu’il venait d’entendre. Il prit le dessin, le tourna dans tous les sens avant de s’en absorber totalement. Il commença à griffonner quelques notes pour tenter d’en percer le mystère. - Je viens d’avoir quelques informations intéressantes concernant le piratage des claviers d’ordinateurs, enchaîna le directeur Fitzgerald. La vidéo que nous avons récupérée étant de trop mauvaise qualité pour que nous puissions identifier le moindre individu, j’ai demandé un coup de main à un contact spécialisé dans ce genre de chose. On m’a apporté le premier résultat il y a quelques minutes. Il jeta sur la table cinq photos d’hommes pouvant correspondre au fameux visage à moitié éclairé par la flamme d’un briquet. - Nous avons cinq suspects potentiels, reprit-il. Mais l’un d’entre eux a attiré mon attention plus particulièrement. Il s’agit d’un certain Mauricio Moretti. C’est un ancien délinquant juvénile qui a touché à tout : le vol, l’extorsion, le trafic de stupéfiants et j’en passe. Il a fait plusieurs séjours en prison entre dix-huit et vingt-cinq ans, mais semble s’être calmé depuis quelques mois. - Et pourquoi est-il plus suspect que les autres ? demanda Sarah. - Pour deux raisons. La première, c’est qu’il a été engagé par la fondation « Avenir Propre » il y a un peu plus d’un an. Ce n’est peutêtre qu’une simple coïncidence, mais je suis persuadé qu’il faut continuer à chercher dans ce sens. La seconde est que notre homme a un lien de parenté direct avec un autre suspect potentiel : monsieur Antony Alessandro. Ils sont cousins. - Le petit fumier ! grogna Don qui ne put s’empêcher de faire éclater sa colère soudaine. Il nous a bien roulé celui-là avec ses airs de jeune playboy. - 243 - - Oh là ! N’allons pas trop vite en besogne, reprit Sarah. Ça n’est pas parce qu’ils ont des liens de sang que ça prouve quoi que ce soit. Dans ces conditions, tout le monde a un parent plus ou moins éloigné qui a quelque chose à se reprocher. - Ces stéréotypes bon marché ne valent absolument rien devant un tribunal, continua le directeur. Mais la présomption d’innocence est tout de même assez dure à avaler avec ce genre d’individu. Je veux une enquête complète sur ces activités depuis un an. Chacun nota deux ou trois mots sur son calepin, avant que Tom ne prenne la parole. - Jerry et moi avons trouvé plusieurs points intéressants dans les documents que nous avons lus. Il n’y a rien d’écrit noir sur blanc, mais il nous parait évident que Durand n’était pas l’auteur de ce virus, du moins pas intentionnellement. Pourquoi ? me demanderez-vous. C’est de la logique pure et dure. Depuis sa découverte, il a passé tout son temps à tenter de l’anéantir, et je pense qu’il avait réussi… - Qu'est-ce qui vous fait dire ça ? le questionna le directeur. - Il y a deux raisons en fait. La première, c’est qu’il n’y avait aucune trace du virus sur les machines que vous avez récupérées dans sa tanière. Et la deuxième, mais là vous me prenez un peu de cours, c’est ce schéma que Don a trouvé. - Ah ! Je le savais que ce machin était important, lança Don très fier de lui. - À première vue, on dirait une sorte de filtre électronique, mais les raccordements ne collent pas avec ceux qu’on devrait avoir pour ce type d’appareil. Ce système, quoi qu’il soit, vient s’interposer entre l’ordinateur et le câble réseau sur lequel il est connecté. Kevin Klein nous a parlé des tests qu’il avait effectués lorsqu’il a découvert le virus à la NASA. Le seul fait de brancher un appareil sur le réseau filaire contaminait la machine, quel que soit le modèle ou l’environnement logiciel installé. On peut sincèrement se demander si nous n’avons pas fait fausse route en essayant d’identifier un virus purement informatique. - Qu’est ce que vous êtes en train d’insinuer au juste ? reprit Don qui n’y comprenait vraiment plus rien. On aurait à faire à quoi selon vous, les petits génies ? - Nous n’en savons strictement rien, lâcha Jerry qui répondait à la place de Tom. Il nous faut plus de temps pour étudier ces nouvelles données. - 244 - - Je pense que l’aide de Kevin Klein ne serait pas un luxe, suggéra Tom. Ça dépasse vraiment tout ce que nous connaissons actuellement. Un silence émergea dans la pièce. Les esprits étaient en pleine réflexion et tentaient d’emmagasiner les informations qui venaient d’être entendues. Le directeur Fitzgerald regarda les membres de son équipe avant de faire un signe de tête à Sarah en guise de passage de témoin. Elle se lança à son tour. - D’après ce que j’ai lu, Henri Durand était probablement un des meilleurs informaticiens de son époque. Ses fichiers montrent clairement qu’il avait accès à toutes les plus grandes infrastructures informatiques, tous pays confondus. Que ce soit des entreprises publiques, militaires ou gouvernementales, on trouve par centaine des rapports d’activités provenant de ces entités. Elle marqua une pause pour réfléchir à ce qu’elle allait ajouter. - Je suis d’accord avec Tom sur un point : Durand n’était probablement pas le concepteur de ce virus. Ça ne colle pas avec sa personnalité, ni les ambitions de sa fondation, du moins lorsqu’il l’a créée. J’ai étudié son histoire de long en large. Il voulait la quitter parce qu’il était contre l’orientation que ses membres directeurs désiraient prendre. Sa véritable motivation n’a jamais été de faire régresser l’humanité en détruisant toutes les nouvelles technologies, mais au contraire de s’assurer qu’elles étaient utilisées à bon escient. Les médias nous ont toujours montré les coups d’éclat, mais dans l’ombre, « Avenir Propre » a œuvré dans le bon sens. Elle marqua à nouveau une pause le temps de chercher un document bien particulier parmi le paquet de feuilles qu’elle avait devant elle. - Pour en revenir au schéma que Don a trouvé, j’ai lu une chose qui peut être intéressante. Ah, voilà, finit-elle par dire en montrant un imprimé. Écouter cela : « Au vu des différents tests effectués, le système semble beaucoup plus efficace que ce que j’avais espéré. Ceci me conforte dans l’idée que nous n’avons pas affaire à un virus informatique, mais bien à une sorte de phénomène électrique inhabituel. » Lorsque j’ai lu ce passage parmi une multitude d’autres du même genre, j’ai cru que Durand avait perdu l’esprit, une sorte de schizophrénie qui lui faisait voir des choses totalement irréelles. J’ai tout de suite pensé au fameux fantôme dans la machine que les écrivains de sciences-fictions adorent tellement. Mais je commence à me demander s’il n’était pas justement bien plus lucide que la plupart d’entre nous… - 245 - - Est-ce qu’il pourrait y avoir une part de vérité dans tout cela ? questionna le directeur. - Tout est possible en ce bas monde, lança ironiquement Tom. Le mieux serait de tester l’appareil en question. - Très bien, au travail, reprit Francis Fitzgerald. CHAPITRE 57 Tony était excité comme jamais. C’était la première fois qu’il avait l’opportunité de suivre de l’intérieur, la préparation des astronautes. Quelques jours plus tôt, le directeur Johnson lui avait autorisé l’accès à la totalité des sites du complexe spatial. Il devait être en mesure d’aller et venir à sa guise sans encombre. Kevin étant revenu à son poste, ses autorisations spéciales auraient dû lui être retirées, mais Jack Johnson était loyal envers ses meilleurs collaborateurs. Tony ayant fait un travail remarquable en l’absence de son supérieur, il lui avait fait ce petit cadeau. Malgré les réticences du FBI à son encontre, les soupçons et autres conjectures n’avaient pas leur place au sein d’une telle organisation. Johnson devait accorder sa confiance à ses subalternes s’il ne voulait pas tomber dans la paranoïa. Tony était comme un gosse au pied d’un sapin de Noël, le regard pétillant devant les nombreux paquets entassés. Il vivait par procuration son rêve d’espace, en discutant avec les astronautes sur le point de s’envoler vers les cieux. Il leur posa un nombre incalculable de questions sur leur quotidien en apesanteur, et sur les sensations que l’on pouvait ressentir. Le chef de mission lui promit qu’à leur retour, dès que le moment se présenterait, il lui ferait faire un tour dans un avion conçu pour recréer cette sensation durant quelques secondes. Tony avait souvent entendu parler de ce phénomène parabolique, mais seuls les astronautes et scientifiques avaient la possibilité de participer à ces missions très onéreuses. Le cinéma avait parfois recours à ce principe, mais les effets spéciaux bon marché avaient raison des budgets limités des productions. Tony quitta le pas de tir avec des étoiles plein les yeux, heureux comme un gamin des instants privilégiés qu’il venait de passer. Kevin de son côté n’était pas dans le même état d’excitation. La stupeur commençait à prendre le pas sur l’étonnement. Il était tombé sur un des - 246 - fichiers où Henri Durand expliquait comment il avait découvert le virus, mais également les moyens qu’il avait mis en œuvre pour tenter de l’éradiquer. Au début de sa lecture, rien ne semblait différer de ses propres tests, mais au fil des pages, Henri Durand s’aventurait dans des contrées qui le laissèrent perplexe. Il y parlait d’électricité, de magnétisme, de physique des matériaux et de beaucoup d’autres choses qu’il avait du mal à comprendre. Cet homme était un touche-à-tout incroyablement talentueux, une sorte d’éponge à connaissance. Lorsqu’il tomba sur le schéma que Don avait découvert quelques minutes plus tôt au siège du FBI, son esprit refusa cette solution. Ça ne pouvait pas être exact, Durand s’était obligatoirement trompé. Les théories qu’il émettait et les conclusions qu’il en tirait ne pouvaient pas fonctionner, c’était inconcevable. Il prit quelques instants pour réfléchir calmement, et tenter de s’ouvrir aux hypothèses qu’Henri Durand avait échafaudées, mais elles étaient trop pointues pour lui. Il décréta qu’il lui fallait l’avis d’un expert en électronique pour clarifier certains points. Le moment était très mal choisi, mais il devait en avoir le cœur net. Il imprima le schéma en question et alla trainer du côté du centre de contrôle des opérations, à la recherche d’ingénieurs électroniciens. Les différents chefs de service présents lui indiquèrent tous la même personne : Ronald Richardson dit Dick pour les intimes. Il le trouva finalement le fer à souder à la main, dans son laboratoire. Il était le genre d’homme à n’avoir confiance qu’en lui. De taille moyenne, la vue masquée par une paire de lunettes grossissante lui donnant l’aspect d’un insecte monstrueux, il établissait un prototype d’outil électronique spécifiquement conçu pour fonctionner dans des conditions extrêmes. Comme l’étude ne lui suffisait pas, il réalisait luimême les maquettes et rédigeait les différents processus de fabrication, limitant ainsi toute erreur. Kevin frappa à la porte entrouverte, mais l’homme plongé dans sa réalisation ne l’entendit pas. Il se racla la gorge tout en avançant à pas de loup. Richardson se retourna brusquement et fixa l’individu qui venait l’interrompre. L’informaticien eut un mouvement de recul bien légitime en voyant une paire d’yeux globuleux le déshabiller de la tête aux pieds, puis se lança. - Bonjour Monsieur Richardson, je suis Kevin Klein du service informatique… - 247 - - Je vous connais, reprit l’ingénieur sans autre forme de politesse. Que voulez-vous ? - En fait, finit-il par déglutir, j’aimerais avoir votre avis sur une réalisation que je suis en train d’étudier. Il lui présenta le schéma en question et lui laissa quelques instants de réflexion avant de se lancer. - Qu’est ce que ça peut être d’après vous ? - C’est un système de filtrage, répondit-il sans plus d’explication. - OK, souffla Kevin, mais encore… Savez-vous à quoi ça peut servir ? - Si vous me disiez ce que vous cherchez exactement au lieu de tourner autour du pot ! L’homme était antipathique au possible. Kevin se demanda s’il fallait vraiment avoir une discussion avec lui, ou aller pêcher des réponses ailleurs. Seulement, il était aux dires des responsables de la NASA, le plus qualifié dans son domaine. Il préféra jouer franc-jeu et lui expliqua la situation sans pour autant rentrer dans tous les détails. - Je vois, ajouta simplement Dick. En gros, vous voudriez que je vous fabrique ce truc-là pour faire des expérimentations. Kevin s’attendait à se faire envoyer promener en bonne et due forme, et commençait déjà à prévoir de plates excuses pour le dérangement. Il n’eut qu’à acquiescer. - Revenez dans une heure, lui lança tout naturellement Dick avant de rechausser ses lunettes à quadruples foyers et retourner à ses soudures. - Merci… balbutia Kevin. Je vous laisse le plan sur la table. À tout à l’heure. Il quitta la pièce dans l’indifférence totale de son occupant. « Eh bien, c’est un sacré phénomène celui-là », pensa-t-il en rentrant dans son bureau. En cette fin d’après-midi, Liz McCarthy avait eu le temps de digérer sa contrariété du midi. Elle était sortie faire quelques emplettes, ce qui lui avait redonné le moral. Elle n’avait cependant pas oublié sa discussion avec le chef de rédaction. Elle n’oubliait jamais ce genre de chose. Avant de quitter les locaux de la chaîne de télévision, ils avaient eu une conversation plus que houleuse sur son avenir en tant que journaliste. Elle voulait offrir au public des nouvelles beaucoup plus pointues et professionnelles pour concurrencer les meilleures rédactions d’information du pays. Ce dernier lui avait fait comprendre qu’elle avait - 248 - acquis cette popularité justement parce qu’elle présentait un journal différent de ses concurrents. Le star-system, la jet-set et autres tabloïds du même acabit étaient leur plus grande source d’audience. Elle avait menacé de quitter le navire si aucun effort rédactionnel n’était fait dans son sens, ce qui avait beaucoup fait rigoler son supérieur. Il la connaissait par cœur depuis le temps qu’il travaillait et couchait accessoirement ensemble. Elle s’était ruée sur les boutiques de prêt-àporter de luxe pour tenter de calmer cette montée de colère naissance. L’essayage de vêtements lui permettait de se propulser vers l’avenir. Elle se voyait déjà présenter le journal du soir sur une chaine comme CNN, avec le tailleur qu’elle était en train d’essayer. En sortant du magasin, sa décision était prise. Elle allait secouer le cocotier et bousculer les dinosaures qui dirigeaient la rédaction, même si cela entraînait une suspension d’antenne, voire son licenciement. Quoi qu’il se passe, elle accepterait la proposition de poste pour lequel elle venait d’être relancée une ultime fois. Ça n’était pas encore le summum du journalisme, mais ça en approchait. CHAPITRE 58 Sarah et Don avaient quitté le bureau pour aller interroger le cousin de Tony. Il avait en premier lieu tenté de le joindre chez lui, mais personne n’avait répondu, ce qui n’était pas anormal en plein après-midi. Ils contactèrent la fondation « Avenir Propre » basée dans la banlieue de Houston. L’hôtesse d’accueil leur stipula sur un ton courtois, mais direct qu’elle ne pouvait pas leur donner des informations de la sorte. Elle leur proposa de venir à leurs bureaux pour qu’elle puisse certifier qu’ils étaient bien du FBI et accéder à leur requête. Même si cela restait compréhensible, Don fulmina encore plus. Il était remonté comme un diable attendant l’ouverture de la boîte pour expulser sa colère. Sarah le regardait du coin de l’œil tout en conduisant. Il avait une sorte de tic nerveux révélateur de son énervement : il battait la mesure de ses dix doigts sur ses genoux, comme s’il désirait entretenir sa souplesse en vue d’un concert de piano. Lorsqu’ils arrivèrent devant les locaux de la fondation, Don reconnut la voix de la femme qu’il avait eue quelques minutes plus tôt au téléphone. - 249 - Le bâtiment ne payait pas de mine de l’extérieur, mais était agréablement agencé. L’intérieur donnait l’impression d’entrer dans une société immobilière, où les plantes vertes masquaient des tableaux représentant des œuvres d’architectes. Sans aucune forme de politesse, Don brandit sa plaque d’agent fédéral sous le nez de la femme en ajoutant « Ça vous va comme ça ! ». L’hôtesse composa un numéro sur son clavier de téléphone, annonça les deux agents du FBI à son interlocuteur, puis raccrocha en leur demandant de patienter quelques secondes. Un homme au costume impeccable arriva quelques instants plus tard, puis les salua en se présentant. Il était le responsable du site et désirait savoir ce que le FBI pouvait bien vouloir à un de ses employés. Comme il s’y attendait, la réponse que Don lui donnait tenait plus du « Ça ne te regarde pas mon pote ! » qu’autre chose. Il s’en doutait, mais il devait tout de même poser la question pour la forme. Il n’opposa pas de résistance et les conduisit vers l’endroit où travaillait Mauricio Moretti. Ce dernier faisait de la manutention pour la fondation, une sorte d’homme à tout faire. Sa surprise fut réelle et Sarah eut soudain un doute quant à son implication dans l’affaire. Sa réaction n’avait pas été celle du suspect typique qui tente de s’enfuir à la vue des forces de l’ordre. Les présentations d’usage effectuées, les deux agents décidèrent qu’il était plus sage de l’amener au poste pour un interrogatoire en règle, avec enregistrement et tout le toutim ! Moretti resta étrangement silencieux durant le voyage. Il connaissait la musique pour l’avoir entendu à maintes reprises dans sa jeunesse. Don choisit avec l’accord de Sarah de s’en occuper lui-même. Elle n’interviendrait qu’en tant que « bon flic » si la manière forte ne donnait rien, ce qui avait toutes les chances de se produire vu le pédigree du client. - Depuis combien de temps travaillez-vous pour la fondation « Avenir Propre » ? demanda-t-il. - Je ne sais plus trop, un an, peut-être plus. - OK, souffla Don qui décida d’attaquer de front. Et comment un petit délinquant comme vous a bien pu être embauché par ce genre de boîte ? - Va te faire voir, gueula l’autre. Si c’est pour me cracher dessus que vous m’avez amené ici, je n’ai rien d’autre à vous dire. - Du calme, mon gars, reprit Don pour calmer le jeu en posant une liasse de documents relativement épaisse sur la table. J’ai lu ton dossier - 250 - avec attention, et le moins qu’on puisse dire, c’est que tu n’es pas un enfant de chœur. Vol à l’étalage avant même d’avoir du poil au menton, tu as été arrêté pour trafic de stupéfiants et tentative de meurtre sur un revendeur de drogue avant même ta majorité. - Des erreurs de jeunesse ! lança Mauricio d'un air dédaigneux. - Après plusieurs maisons de correction, tu as été condamné à trois reprises pour différents actes commis avec ton gang, ce qui t’a valu un cumul d’une quarantaine de mois de prison au total. - Ça se voit que vous n’avez pas grandi dans mon quartier… Si vous me disiez pourquoi je suis là ! Je suppose que ce n’est pas pour discourir sur mon curriculum vitae. - Et bien, pouffa Don. Le fait de bosser avec des gens cultivés t’a donné du vocabulaire. Bon, si tu commençais par me dire comment un type comme toi a réussi à se faire embaucher par cette fondation bien propre sur elle ? - J’ai passé un entretien, comme n’importe qui. - Ne te fous pas de moi, s’il te plait. Avec le passif que tu traînes, tu n’avais aucune chance sans être pistonné. - Il faut croire que j’ai fait bonne impression, reprit Mauricio en arborant un sourire forcé. - Est-ce que ton cousin Anthony Alessandro y est pour quelque chose ? - Quoi ? Mais pourquoi me parlez-vous de mon cousin ? Il n’a rien à voir là-dedans. Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais il bosse à la NASA lui ! C’est une grosse tête, pas comme vous ! - Écoute-moi bien mon bonhomme, gueula Don en s’approchant à quelques centimètres du visage de son client pour l’impressionner au maximum. Si tu continues à te foutre de ma gueule, tu n’es pas prêt de revoir la lumière du jour. Avec les antécédents que tu traînes, ce serait d’une simplicité enfantine de te recoller au trou pour quelques années. Pour l’instant, tu ne m’intéresses absolument pas, mais il se pourrait que ton dossier se retrouve sur mon bureau très prochainement. Alors, réponds à la question ! - Euh… laquelle déjà ? - Est-ce que ton cousin t’a pistonné pour trouver ce job ? hurla Don qui perdait définitivement son calme. - Je veux mon avocat, dit Mauricio le plus calmement possible. - Je n’ai pas de temps à perdre avec un branleur de ton genre. - 251 - Pour l’instant, tu n’es accusé de rien, mais si tu continues à jouer les guignols, tu auras effectivement besoin d’un avocat pour entrave à une enquête fédérale. - Si je ne suis pas accusé, je peux me barrer ? Don fit quelques pas dans la petite pièce, le temps de se calmer et réfléchir à la meilleure tactique à adopter. En fixant son reflet dans la glace sans tain, il tenta de faire passer un message à Sarah qui se tenait de l’autre côté du mur. Elle comprit aussitôt que son tour était arrivé, car Don avait suffisamment asticoté leur client pour qu’elle endosse le rôle du gentil flic. Il se retourna soudainement, cloua Moretti du regard quelques secondes avant de lancer son ultime tirade. - Comme tu veux, bonhomme. Je t’ai laissé une chance de t’en sortir sans encombre, maintenant ça va être une autre paire de manches. Ma collègue est nettement moins amusante que moi, et je te conseille vraiment de coopérer. Don reprit son dossier, puis quitta la pièce. « Le coup du bon flic, méchant flic », se dit Mauricio… « Ils me prennent vraiment pour un amateur ». Sarah prit tout son temps, referma la porte avec douceur puis vint s’assoir en face de Moretti. Elle le fixa intensément, ce qui lui parut une éternité, avant de lui demander de sa voix la plus douce : - Alors ? Il la regarda à son tour quelques instants, quelque peu décontenancé par cette approche. Il s’attendait à des menaces et autres monologues de la pire espèce, mais pas à ça. - Alors… quoi ? osa-t-il presque timidement. - Est-ce que votre cousin travaille pour la fondation ? - Non, pas à ma connaissance. En tout cas, je ne l’ai jamais vu dans nos locaux. Et puis, je pense qu’il a suffisamment à faire à la NASA. Comme je viens de le dire à l’autre lourdaud, Tony n’a rien à voir avec tout ça. - Avec tout ça ? questionna Sarah. - Bien oui, quoi… avec « Avenir Propre ». - Comment avez-vous eu ce job Mauricio ? - Je l’ai déjà dit, bon sang. J’ai passé un entretien. - 252 - - OK, mais comment avez-vous su qu’ils recherchaient quelqu’un ayant vos « compétences » ? finit-elle par demander en mimant les guillemets tout en prononçant ce dernier mot. - C’est… à vrai dire, je ne me souviens plus trop, répondit-il après quelques secondes d’intense réflexion. Sarah voyait qu’il faisait un réel effort pour se rappeler les détails, mais son penchant pour l’alcool et les drogues n’avait pas dû arranger ses facultés de mémorisation. Elle le laissa ainsi, prit entre ses souvenirs et une incroyable envie de tout envoyer balader. Mais, comme elle s’en doutait, son charme naturel avait commencé à faire son effet. Elle n’avait jusqu’alors vu que deux types de comportement masculin à son égard, ceux qui n’avait aucun respect pour les femmes et la traitait de poufiasse à chaque phrase en jurant de lui faire sa fête dès qu’ils en auraient l’occasion, et les autres qui étaient troublés, charmés assurément, et qui se sentaient comme des petits garçons devant une maîtresse d’école dont ils se seraient amourachés. - Je crois que c’est la mère de Tony qui avait dû en parler à ma mère, finit-il par dire dans un soulagement. - Vous vous souvenez de la façon dont ça s’est passé ? - J’étais sorti de tôle depuis quelques semaines, et comme cet enfoiré d’officier de probation ne faisait rien pour moi, j’ai renoué avec quelques anciens contacts. Ma mère était furax de me revoir traîner avec les potes qui, selon elle, m’avaient envoyé derrière les barreaux. Un soir, elle m’a annoncé de but en blanc qu’elle m’avait décroché un entretien d’embauche, et que j’avais intérêt à ne pas le foirer sinon elle me foutait à la porte. Je suis tombé sur un type, genre mercenaire, qui m’a posé des questions complètement débiles sur mon enfance, si j’avais déjà torturé des insectes, si j’avais fait des fugues, enfin que des conneries. À la fin, il m’a simplement dit qu’on me rappellerait. Sur le coup, j’avais cru que c’était loupé, parce que des entretiens d’embauche, j’en ai connus quelques-uns, mais celui-là était vraiment trop bizarre et je n’avais pas trop envie de bosser pour ce type. Et puis, deux ou trois jours plus tard, ma mère a répondu à un appel téléphonique. Elle m’a annoncé la nouvelle lorsque je suis rentré le soir. Je me souviens qu’elle a marmonné un truc sur le fait que je devrais remercier tante Ida, c’est la mère de Tony. - Savez-vous quelles sont les relations de votre tante avec la fondation ? - 253 - - Aucune idée. Je suppose que ses parents ont gardé des relations avec certains de leurs anciens employeurs qui travaillent maintenant avec nous. Sarah réfléchit quelques instants, essayant en vain de se remémorer le dossier de Tony. Elle l’avait lu de long en large plus d’une fois, pourtant cette partie de sa vie restait un mystère. Pouvait-elle croire les racontars de cet énergumène au passé plus que douteux. Il avait probablement amélioré sa technique de défense au fil du temps, sachant exactement quoi répondre pour être disculpé, du moins pour ne pas se mettre dans le pétrin. Quelqu’un frappa à la porte. Sarah sortit quelques instants avant de réapparaître pour demander à Mauricio Moretti d’attendre quelques minutes supplémentaires. Don avait suivi la conversation d’une oreille, l’autre étant rivé à son téléphone. La façon dont le suspect avait détourné l’interrogatoire sur une autre personne était typique chez ce genre d’individu. Pourtant, son choix porté sur sa tante était étrange. En théorie, il aurait dû balancer Tony ou toute autre personne de la fondation pour être tranquille. En ligne avec Tomas Tate qui était en pleine étude du dossier de la famille Alessandro, il lui indiquait les pistes à creuser en temps réel, au fur et à mesure de l’interrogatoire. Au moment où Mauricio parla des éventuels contacts hauts placés, Don dirigea la recherche sur les emplois du couple Alessandro. La surprise fut de taille et il n’hésita pas une seconde à déranger Sarah. - On tient quelque chose, lui murmura-t-il alors qu’elle sortait de la salle d’interrogatoire. Tu ne vas pas en croire tes oreilles, mais les parents de Tony ont travaillé tous les deux durant une dizaine d’années comme personnel d’entretien pour un syndic immobilier. D’après ce que Tom a trouvé, il s’agissait d’un complexe créé une vingtaine d’années auparavant et qui regroupait les gens influant de l’époque, une sorte de parc à grosses légumes comme l’a si bien dit le rital ! En fait, ils étaient les gardiens de ce lotissement haut de gamme. - OK, murmura Sarah à son tour, et où veux-tu en venir au juste ? - Tiens-toi bien, fillette : Henri Durand y a habité durant quelques années. Elle retourna vers Moretti avec une idée en tête. - Monsieur Moretti, savez-vous ce que faisaient les parents de Tony il y a quelques années ? - 254 - - Euh ! Je ne sais plus trop, on n’habitait pas dans le coin à l’époque et on ne se voyait pratiquement jamais. - Merci d’avoir pris le temps de nous répondre. Un agent va vous raccompagner dans quelques instants. - Comme si j’avais eu le choix, grogna l’autre ! Sarah quitta la salle et se dirigea vers le bureau du directeur, accompagné de Don. Comment avaient-ils pu passer à côté de ça ? se demandèrent-ils presque en cœur. Anthony Alessandro connaissait obligatoirement Henri Durand. Francis Fitzgerald était déjà au courant de cette stupéfiante révélation, car Tom venait de lui en parler quelques instants plus tôt. Sans hésiter une seconde, il ordonna à ses deux agents de lui ramener le cher Tony pour un interrogatoire en règle. Ils quittèrent les bâtiments du FBI sans ajouter un mot. Don ruminait intérieurement. Comment avait-il pu se tromper à ce point. Depuis le début de l’affaire, ils avaient concentré leur effort sur Kevin Klein. Son passé, quelque peu obscur, lui donnait le statut de suspect idéal. Ils avaient vérifié de fond en comble la moindre piste le concernant. A contrario, Tony n’avait rien d’intéressant pour eux. Certes, il avait fait de brillantes études, ce qui était une belle réussite pour quelqu’un de son milieu, mais n’avait jamais eu de problèmes avec les autorités, ni même avec le fisc. Un cassier vierge de toute infraction, voilà leur seule vraie trouvaille. Pourtant, depuis quelques minutes, des indices à son encontre venaient d’apparaître. Cela restait hypothétique, mais un cumul de petites choses commençait à peser lourd dans la balance de la culpabilité. Liz McCarthy se préparait pour le journal du soir, dans son bureau. En lisant les différents articles qu’elle devait présenter, sa colère reprit le dessus. « C’est la même merde que ce midi », pensa-t-elle. « C’en était trop, quitte à me faire virer, autant aller jusqu’au bout ! » Georges lui apporta un café, espérant qu’elle lui parle de ses projets, au cas improbable où elle finisse quand même par quitter le navire. Elle apprécia le geste de son assistant juste le temps de le gouter, et lui dire qu’il était infect, comme d’habitude. - Quelle est la suite des évènements ? demanda-t-il. - Je vais passer un petit coup de fil à ce cher Anthony Alessandro, histoire de lui secouer le cocotier. De toute façon, je n’ai plus rien à - 255 - perdre. Si j’ai le sentiment qu’il me cache quelque chose, je vais lui mettre la pression pour qu’il crache le morceau, et crois-moi il va parler l’animal, il va même chanter ! - C’est bien beau, mais le patron ne te laissera jamais aborder cette affaire avant qu’on puisse prouver quoi que ce soit. La dernière fois qu’il y a eu diffamation, ça nous a coûté sacrément cher, et les dirigeants ne te le pardonneront pas. - Rien à foutre, grogna-t-elle. De toute façon, je me barre de cette maison. Je ne voulais pas t’en parler avant d’avoir pris ma décision, mais j’y ai réfléchi toute la journée, c’est fini. Je pars. - Et moi ? demanda Georges. - Quoi, toi ? Tu es mon assistant ou pas ? - Ben… oui, marmonna-t-il. - Tu viens avec moi, quelle question ! - Euh ! J’ai peut-être le droit de donner mon avis. - Ah d’accord ! Tu veux me lâcher toi aussi… - Mais non, ça n’est pas ce que j’ai voulu dire. - Alors quoi ? Qu’est-ce que tu veux Georges ? lui demanda-t-elle en le fixant d’une manière qui finit presque par le mettre mal à l’aise. - Ça paye mieux ? lança-t-il avec désinvolture. - Je te reconnais bien là. Ça payera plus, beaucoup plus… enfin pour moi, ajouta-t-elle un sourire en coin. Bon, en attendant, laisse-moi tranquille cinq minutes, j’ai ce coup de fil à passer. CHAPITRE 59 Sur le chemin qui les emmenait à la NASA, Sarah décida d’appeler Kevin. - Est-ce que vous savez où est Tony ? lui demanda-t-elle de but en blanc. - Oui, enfin je pense qu’il doit être en train de revenir ici, pourquoi ? - Nous avons quelques questions à lui poser. Kevin resta silencieux quelques secondes, essayant de comprendre pourquoi le FBI avait soudainement besoin d’interroger son jeune collègue. Les agents gouvernementaux étaient des êtres à part, versatiles au possible. Un jour, vous êtes le suspect numéro un, le lendemain c’est votre voisin ! Il risqua tout de même une question. - 256 - - Vous pensez qu’il a quelque chose à voir avec tout ça ? - Nous devons éclaircir quelques points, rien de bien méchant, répondit-elle pour noyer le poisson. - Je peux le contacter pour lui dire de venir à votre rencontre, si vous voulez… - Non, ce ne sera pas la peine, nous arrivons à la NASA dans quelques minutes. - Très bien. Est-ce que je peux vous être utile pour autre chose ? - Pas pour le moment. Je passerais vous voir tout à l’heure, ajouta-t-elle dans un murmure. Au revoir. Elle raccrocha et remis son téléphone portable dans une poche de sa veste. Elle se doutait que Don avait parfaitement compris ce qui se tramait entre eux. Concentré sur sa conduite, il conserva le silence, ce qui lui sembla encore plus étrange. Habituellement, il n’était pas en reste pour la titiller sur sa vie privée, sur le fait qu’il ne l’avait jamais vu entretenir une relation stable avec quelqu’un. Leur métier n’arrangeait rien, mais il connaissait bon nombre de collègues qui alliaient vie professionnelle et privée sans trop de problèmes. En réalité, Don n’avait rien écouté de la conversation de sa partenaire. Il naviguait en pilotage automatique. Une partie de son esprit conduisait la voiture, mais ses pensées étaient bien ailleurs. Il se remémorait la première fois qu’il avait vu Tony. Leur première rencontre avec les informaticiens de la NASA lui avait donné une drôle d’impression. Tony était affable, peut-être un peu trop d’ailleurs, alors que Kevin avait été d’une froideur absolue. « Méfie-toi des apparences », une phrase qu’il avait entendue à maintes reprises lorsqu’il n’était qu’un jeune agent débutant. Son mentor de l’époque, un policier chevronné en passe de prendre sa retraite, lui avait appris toutes les ficelles du métier. Pourtant, il s’était fait avoir comme un bleu dans cette histoire. Kevin Klein étant le suspect parfait, et ils avaient tous focalisé leur attention sur lui en oubliant le b.a.-ba du parfait agent fédéral : tout vérifier, ne rien laisser de côté. Ils arrivèrent au poste de garde de la NASA. L’entrée des visiteurs était submergée de véhicules en tout genre. Ça allait des cars scolaires qui venaient faire suivre aux plus jeunes une mission spatiale de l’intérieur, aux touristes triés sur le volet en passant par les différents invités de marque de tout horizon. L’entrée du personnel n’était pas en reste non - 257 - plus. Le décollage ayant eu lieu une poignée de minutes plus tôt, les techniciens qui s’étaient rendus sur le site de lancement revenaient à leur poste. Parmi eux, Tony attendait son tour pour passer la barrière de sécurité. Au volant de sa Corvette décapotée, il écoutait de la musique, les cheveux au vent et les lunettes de soleil sur le nez. Cette saison était sa préférée, avant la canicule estivale, la température restait agréable, chaude, mais souvent agrémentée d’une légère brise rafraîchissante. La mer donnait de belles vagues qui ravissaient les surfeurs de la région, incroyablement matinaux pour en profiter pleinement. Tony faisait partie d’un groupe qui avait des habitudes établies. Ils se retrouvaient vers six heures tous les matins, surfaient pendant une heure, une heure trente avant d’attaquer leur journée de travail. Il faisait cela chaque fois que la météo le permettait. À cette époque de l’année, la houle restait raisonnable, mais bien suffisante pour pouvoir surfer sereinement. Il songeait surtout à l’après-midi particulièrement exaltant qu’il venait de vivre, à sa rencontre avec les astronautes qui avaient quitté le plancher des vaches quelques instants auparavant, à sa planche de surf qu’il devait farter en rentrant dans la soirée pour profiter d’une nouvelle matinée de glisse, et un tas d’autres petites choses lorsque son téléphone portable sonna. Il regarda l’écran qui affichait un appel inconnu. Il décrocha tout de même, pensant que ça pouvait être important. La discussion tourna très vite vers des propos relativement désagréables et il finit par raccrocher sans demander son reste. Cette fouineuse de journaliste allait lui apporter des ennuis. Il regretta amèrement de l’avoir trouvé à son goût lors de sa première entrevue. Au moment où il s’apprêtait à jeter son portable sur le siège passager, un second appel l’arrêta dans son élan. Cette fois-ci, il s’agissait de son chef. - Oui patron ? - Tony, où es-tu ? - J’arrive, je suis en train de passer le poste de garde. Pourquoi ? - Rien de spécial… Je viens d’avoir le FBI, ils désirent te poser quelques questions. Il faudrait que tu ailles au bureau du directeur lorsque tu seras là. Ils t’y attendront. - Le FBI ? Mais… qu’est-ce qu’ils me veulent ? demanda-t-il subitement inquiet. - Je ne sais pas, l’agent Spader ne m’a rien dit de particulier. Je suppose que c’est un interrogatoire de routine. Rien de bien méchant j’imagine. - 258 - - OK, j’arrive, finit-il par conclure avec difficulté. Soudainement, les pensées de Tony prirent une tournure tout autre. Il n’était plus question de planche de surf, de plage ni de bikini, la réalité le rattrapait à vitesse grand V. Était-il possible que le FBI ait trouvé quelque chose le reliant à toute cette histoire ? Il voulait croire le contraire, mais un doute commençait à s’insinuer dans son esprit. Il coupa la musique d’un geste nerveux pour réfléchir à la situation. Il ôta ses lunettes de soleil, se regarda longuement dans le rétroviseur intérieur, mais ne vit rien d’autre que sa propre décomposition. C’était impossible, il n’avait rien laissé qui puisse le rapprocher de toute cette affaire. Soudain, il aperçut un véhicule familier dans la colonne des visiteurs, une dizaine de voitures derrière lui. En se retournant sur son siège pour en avoir le cœur net, il remarqua Don en pleine discussion avec Sarah. Son pouls se stoppa net durant une seconde, il se remit en position de conduite pour mieux se cacher des agents du FBI. Il scruta à nouveau dans son rétroviseur et vit parfaitement Don regarder dans sa direction. D’un geste de la main, il montrait son véhicule à Sarah qui s’était penchée pour mieux l’observer. La panique l’envahit soudainement. Il enclencha la première vitesse et au lieu d’avancer doucement pour enfin passer le poste de garde, braqua sur la droite en faisant crisser les pneus. Il fit demi-tour et croisa les deux agents gouvernementaux sans les regarder. Son démarrage brutal ayant attiré l’attention de tous, Don comprit aussitôt que l’informaticien s’enfuyait. Il essaya à son tour de déboîter de la colonne de voitures pour lui filer le train. Il mit le gyrophare et la sirène en route pour alerter les véhicules devant et derrière lui qu’il allait sortir de la file. Quelques secondes s’égrainèrent avant qu’il réussisse sa manœuvre. Lorsqu’il s’extirpa enfin de son emplacement, Tony était déjà au croisement de la route une cinquantaine de mètres plus loin. Il partait sur la gauche en direction de la plage. Don jeta un regard à Sarah qui se cramponnait tant bien que mal. Ils n’eurent pas besoin de dire un seul mot pour savoir ce que l’autre ressentait. Leurs expériences leur avaient appris qu’un suspect qui tente de fuir une arrestation, même de routine, n’est plus suspect très longtemps. Aucun être de bonne foi n’ayant rien à se reprocher ne s’enfuit devant les autorités. « Lorsqu’on est innocent, il est rare que la machine à broyer judiciaire s’empare de vous, même si les bavures restent inévitables ». Une pensée que les deux agents voulaient croire. - 259 - Tony n’avait aucun plan en tête, il fuyait sans réellement savoir pourquoi. Son instinct avait pris le pas sur sa raison et il avait détalé à toutes jambes. À cet instant, il fut heureux de son acquisition récente, une magnifique Corvette C6 cabriolet. Sa puissance allait être un atout indéniable. Roulant à grande vitesse sur l’autoroute, zigzaguant entre les véhicules, il finit par reprendre ses esprits. Maintenant que la poursuite était engagée, il n’avait plus la possibilité de faire machine arrière. Les explications qu’il faudrait livrer auraient un son de cloche bien incriminable. Cependant, son échappée était une alternative illusoire. Au moment où Don lui avait emboîté le pas en comprenant de quoi il retournait, Sarah avait saisi son téléphone portable pour donner l’alerte aux différents services de police de la ville. Une dizaine de véhicules allait bientôt être à ses trousses. Avec une bonne centaine de mètres de retard, Don ne chômait pas au volant. Il s’agitait comme un diable en cage, engueulant avec rage les automobilistes qui le gênaient, klaxonnant de plus belle. Malgré les sirènes, certains chauffeurs habitués à ce genre de rodéo sauvage ne changeaient rien à leur conduite, bloquant les agents du gouvernement dans leur lancée. Don aurait voulu avoir un lance-missile pour les expulser sur Mars. Sa fureur était telle qu’il en devenait dangereux pour sa coéquipière qui s’accrochait tant bien que mal à son siège. Ballottée de tout côté, Sarah n’arrivait même plus à parler au téléphone. Elle désirait guider les forces de l’ordre venant à leur rescousse, mais son portable ne cessait de lui claquer la joue au moindre changement de direction de la voiture. Après quelques secondes, elle abandonna cette idée, réussit comme elle put à le basculer en main libre, et cria ses instructions pour couvrir les bruits ambiants. Tony continuait à prendre de la distance. Sur l’autoroute, le pied au plancher, il était impossible à rejoindre. Il essayait de réfléchir à la meilleure façon de disparaître, mais n’y parvenait pas. Sa concentration était entièrement axée sur sa conduite. Pourtant, à un moment il se laissa distraire par un car scolaire. Le vieux bus jaune ramenait des enfants à leur domicile, après la journée de classe. Lorsqu’il arriva à vive allure derrière ce véhicule monstrueusement lent, il faillit s’encastrer sous les essieux arrière. Un semi-remorque sur la gauche l’empêcha de doubler. Il freina aussi fort que possible, ce qui fit crisser ses pneus dans un effroyable vacarme apocalyptique. La plupart des bambins, assis à l’arrière de l’autocar, se retournèrent pour dévisager le chauffard. Avec - 260 - des gestes explicites, un des garnements lui fit comprendre qu’il était complètement cinglé de rouler à une telle allure, ce qui déclencha l’hilarité chez ses petits camarades qui se moquèrent en cœur du pilote du dimanche. Tony reprit ses esprits et réussit enfin à doubler le pachyderme polluant, en subissant les railleries des têtes blondes. Cet évènement permit à Don de gagner un peu de terrain. Plusieurs véhicules de police l’avaient rejoint. Ce n’était plus une, mais cinq ou six voitures qui étaient désormais à la poursuite de la Corvette. CHAPITRE 60 Quelques heures plus tôt à la NASA, le centre de contrôle avait connu une effervescence inhabituelle. Les évènements qui s’étaient déroulés les jours précédents avaient engendré un doute dans l’esprit de tous. Les différents travaux avaient tous été effectués dans les règles, contrôlés et testés à plusieurs reprises, mais ce virus improbable avait semé l’incertitude sur bien des points. Le directeur du programme spatial avait tenté de rassurer la population à force d’arguments et de persuasion, mais l’opinion publique étant difficile à réconforter, son action avait eu un effet quelque peu mitigé. Dans cette optique de catastrophe potentielle, l’affluence aux abords de la zone de lancement avait connu un nouveau record. Une foule incalculable s’était amassée pour voir décoller la navette. Les demandes de visite du centre avaient explosé cette dernière semaine. Loin de toute cette agitation, Kevin continuait sa lecture dans son bureau. Il allait de surprise en déception. Chaque fois qu’il pensait trouver un document important, contenant des informations précises sur le phénomène, Durand ne donnait aucune explication. Il s’était rendu maître dans l’art de décrire un fait sans en dévoiler les tenants et aboutissants. Il fut ramené à la réalité lorsque son téléphone portable sonna. Sarah tentait de le contacter entre deux virages pris à grande vitesse. - Où êtes-vous ? demanda-t-il surpris d’entendre un tel vacarme ambiant. - Avez-vous appelé Tony il y a quelques minutes ? - 261 - - Euh ! Oui, pourquoi ? - Et que lui avez-vous dit exactement ? - Pas grand-chose, répondit-il après une courte réflexion. Il m’a seulement précisé qu’il arrivait, alors je lui ai demandé d’aller voir le directeur pour vous rencontrer. - Votre petit protégé s’est fait la malle, reprit-elle comme un reproche. Je ne sais pas ce qui lui a pris, mais il est parti comme une furie en nous apercevant. - Ça n’est pas possible… Pas mon Tony ! Kevin n’en revenait pas. La seule et unique raison qu’il entrevoyait pour justifier son comportement était on ne peut plus claire à ses yeux : Tony était coupable !!! Son collègue et ami, qu’il connaissait depuis plus de trois ans, avec qui il avait d’excellentes relations, avait en réalité une double vie. Il espionnait la NASA sous son nez. La colère commença à l’envahir, malgré une pointe de scepticisme. - Qu'est-ce qui s’est passé, exactement ? finit-il par demander à Sarah. - Je n’en sais rien. Lorsqu’il nous a vus, il a déguerpi sans explication. Nous sommes actuellement à sa poursuite et venons de quitter l’autoroute. Vous ne savez pas où il pourrait bien essayer de se réfugier ? - Il y a une minute, je vous aurais dit qu’il devait sûrement être à la plage, ou chez lui, mais maintenant j’avoue ne plus savoir… Je n’arrive pas à y croire, finit-il par ajouter. - Écouter, continua Sarah, il serait peut-être bon de revérifier son travail ou même d’annuler la mission, étant donné l’état actuel des choses. Nous n’avons aucune idée des dégâts potentiels qu’il a pu provoquer. - Ça n’est pas si facile que ça. Beaucoup de gens ont travaillé dur cette dernière semaine pour que tout se passe bien. Alors sans preuve indiscutable de sabotage, je ne vois pas comment je peux demander une telle chose. - J’en suis parfaitement consciente, lança Sarah quelque peu contrariée par cette remarque, mais comprenez que dans le doute, vous devez au moins en parler à votre directeur. Après, il pourra prendre sa décision en ayant toutes les cartes en main. Kevin regarda l’heure, il ne restait qu’une trentaine de minutes avant que la navette arrive à proximité de la station spatiale et entreprenne sa véritable mission. À ce moment précis, il reçut un signal d’appel lui indiquant qu’un autre interlocuteur tentait de le joindre. - 262 - - Je vois ce que je peux faire, ajouta-t-il, et je vous tiens au courant. Il bascula sur sa deuxième ligne en appuyant sur un bouton de son téléphone. - Ici Richardson ! J’ai fini de fabriquer votre filtre depuis un moment. - Ah, Monsieur Richardson, reprit Kevin sur un air enjoué pour contrer la froideur de son collègue. C’est une excellente nouvelle ! J’arrive tout de suite. Dick Richardson raccrocha sèchement, sans autre forme de politesse. L’homme n’avait certes pas de temps à perdre, mais était surtout affublé d’un caractère d’une rudesse incroyable. Kevin se demanda par quoi commencer : aller voir le directeur Johnson ou récupérer le filtre que ce bon vieux Dick lui avait fabriqué. Il décida en son âme et conscience que les allégations du FBI, malgré toutes leurs bonnes volontés, étaient bien maigres. Seulement, il ne pouvait pas les occulter complètement. La navette poursuivait sa route s’en encombre, mais il ne fallait rien négliger. Comme il devait passer devant le centre de contrôle pour se rendre au bureau de Dick Richardson, il en profiterait pour en toucher deux mots à son supérieur. Quelques instants plus tard, il trouva Jack Johnson en pleine conversation avec un groupe d’ingénieurs. Le directeur le héla pour qu’il se joigne à eux. Le conflit semblait animé, certains des individus présents émettaient la possibilité que les instruments informatiques de la navette soient défectueux, alors que d’autres ne démordaient pas du fait que toutes les vérifications d’usage avaient été effectuées avec le plus grand soin. - Quel est votre avis, Kevin ? lui demanda le directeur. Il n’avait pas assisté au début des discussions et ne savait pas vraiment de quoi ils étaient en train de parler. Aussi, le groupe eut droit à une phrase digne d’un politicien : « Je ne sais rien, mais je vous dirais tout ! » - En ce qui concerne ce problème précis, commença-t-il, si les tests de conformités ont été effectués et vérifiés avec succès, il n’y a aucune raison de s’alarmer. Les systèmes sont calibrés toutes les semaines. À moins d’une défaillance humaine, il ne faut pas paniquer messieurs inutilement. Des avis divergents se firent entendre de plus belle. Les « et si… » et « oui, mais… » fusèrent de toutes parts. Kevin fit un signe à son supérieur pour lui demander de s’écarter du groupe. - 263 - - Monsieur le Directeur, je viens d’avoir le FBI il y a quelques secondes et je pense que nous avons un problème plus important que des capteurs électroniques mal réglés. Il semble que Tony ne soit pas aussi honnête qu’il a bien voulu nous le faire croire, bien que nous n’ayons aucune preuve à cette heure précise. - Comment ça ? - Les agents Spader et Dalton devaient l’interroger. Je ne sais pas ce qui lui a pris, mais lorsque je lui ai demandé de se rendre à votre bureau dans ce but, il s’est enfui. Le FBI est à ses trousses en ce moment même. - Vous ont-ils déclaré quoique ce soit qui remettrait en cause son travail ? - Justement non, c’est bien pour ça que j’émets de sérieux doutes sur leur jugement. Je connais Tony depuis trois ans, et je ne peux pas imaginer qu’il soit mêlé à toute cette affaire. - Et que voulait le FBI au juste ? demanda finalement le directeur. - Rien de moins que de reporter la mission. Jack Johnson prit un moment de réflexion avant d’entériner sa décision : « Sans preuve concrète, on continue comme ça ». Kevin s’excusa, car il avait promis à Richardson de passer récupérer l’appareil qu’il avait construit. Comme il désirait être de retour en salle de contrôle avant l’arrimage de la navette, il devait faire vite. Le bureau de l’antipathique Dick Richardson était de l’autre côté du bâtiment, ce qui obligea Kevin à accélérer le pas. L’avantage d’être dans un service comme le sien est qu’il avait un accès illimité partout dans le complexe. La plupart des gens travaillant à la NASA étaient restreints à leur zone d’activité, mais pas Kevin. Il devait pouvoir se rendre n’importe où en cas de problème, à toute heure de jour comme de nuit. Il coupa à travers des laboratoires sécurisés pour gagner du temps, et déboucha tout prêt de la salle de conférence. Il se retrouva nez à nez avec un groupe scolaire guidé par la chargée des relations publiques. En le voyant, la femme l’interpella. - Les enfants, je voudrais vous présenter l’homme qui s’occupe de toute notre informatique. Pris entre deux feux, Kevin salua les têtes blondes. Aussitôt, les remarques fusèrent de la part d’un petit garnement plus déluré que ces copains. - 264 - - Ouaih, ben… chez moi aussi j’ai un PC. C’est facile comme truc, il n’y a rien à faire, ça marche tout seul ces machins-là ! - C’est un peu plus compliqué qu’un ordinateur familial, répondit Kevin dans l’hilarité générale. Je suis désolé, mais je n’ai pas le temps de vous parler pour le moment. Si vous le voulez, je repasse vous voir plus tard, d’accord ? - Oh ! Oui, lança leur guide touristique du jour. Les enfants, ça serait génial si Monsieur Klein nous expliquait comment fonctionne le système informatique. Les réponses furent mitigées, l’enthousiasme de certains d’entre eux était masqué par la fatigue de ceux qui ne désiraient plus qu’un bon goûter pour se remettre d’aplomb. Kevin promit de revenir leur parler puis repartit de plus belle. En arrivant devant le laboratoire de Richardson, il le trouva dans la même position qu’à sa première rencontre. À croire que l’homme n’avait pas bougé d’un pouce depuis plus d’une heure. Il s’excusa machinalement, même s’il n’avait aucun compte à lui rendre. L’appareil était juste à côté de lui ; une plaque électronique garnie de composants de formes et tailles différentes, reliés entre eux par des fils de cuivre de couleurs et longueurs diverses. L’ensemble était un paradoxe ambulant. Les composants étaient tous bien alignés et harmonieusement rangés tandis que du côté soudure se présentait une véritable forêt de fils électrique. - C’est là, dit simplement Dick en montrant l’appareil à sa droite. - Merci d’avoir fait si vite, répondit Kevin en prenant le petit module. Subitement, Dick lui saisit le bras pour l’empêcher de récupérer son engin, ce qui surprit Kevin. - Je peux savoir à quoi ça va vous servir ? demanda-t-il sans pour autant bouger la tête. - Je peux vous expliquer plus tard, j’aimerais être présent en salle de contrôle pour l’arrimage de la navette qui doit avoir lieu dans quelques minutes. - Je pense que je mérite au moins une petite explication, continua Dick toujours aussi froidement. - Très bien. Vous avez entendu parler des problèmes de sécurité informatique qu’on a subits depuis une semaine ? Des virus pour être plus précis. Et bien, j’ai été détaché au service du FBI durant trois jours - 265 - pour les aider. Et pour être bref, disons que nous avons trouvé le schéma de cet engin chez l’un des pirates potentiels. - Et le FBI n’a aucune idée de sa fonction, pas vrai ? demanda judicieusement Dick. - L’homme qui l’a conçu est mort pendant son arrestation. - Ah !!! hurla Dick Richardson en laissant tomber ses outils sur son bureau. Encore une preuve flagrante de leur incompétence. Je tire et après j’interroge ! Une sacrée devise, tu ne trouve pas camarade ? - Euh, oui, peut-être, bafouilla Kevin qui ne savait plus trop sur quel pied danser. Bon, je suis désolé, mais il faut vraiment que j’y aille. Je suis déjà très en retard. - Tu ne seras jamais au centre de contrôle en moins de… trois minutes, camarade ! ajouta-t-il en regardant sa montre. Viens avec moi ! « Ca y est, nous sommes copain comme cochon » pensa Kevin. Il saisit l’appareil, le mit dans sa poche et suivit son guide. Après avoir verrouillé la porte de son laboratoire, Dick prit à droite alors que l’informaticien voulait aller à gauche. - Par là, camarade ! - Le centre de contrôle est de ce côté, reprit Kevin. - Par là, je te dis. C’est plus rapide. Lorsqu’il vit que Kevin était doublement sceptique, il lui fit un signe de tête montrant l’autre côté, comme il l’aurait fait avec son chien pour qu’il le suive. Il ne manquait plus qu’il claque de la langue pour combler le tableau. Résigné, Kevin se laissa guider par l’ingénieur. Ils prirent à droite, longeant un long couloir avant de s’arrêter devant une porte à serrure codée. Dick inséra sa carte magnétique, et tapa le code d’accès. Le passage donnait sur une vaste pièce, sorte de laboratoire d’assemblage d’avion. Les lumières se déclenchèrent dès leur entrée dans l’entrepôt. Dick, plutôt fier de son œuvre, fit entrer Kevin en lui annonçant qu’il pénétrait dans son fief. Il lui désigna un petit véhicule garé sur le côté, le style voiturette de golf. - Vous voulez prendre cet engin ? demanda Kevin. Mais on n’y sera jamais à temps avec cette carriole. Ça n’avance à rien ces trucs-là ! - Monte, camarade et accroche-toi. Ils s’installèrent. Dick saisit une télécommande qui traînait près du siège et appuya sur un bouton. Une lourde porte coulissa sur le mur d’en face, laissant entrer les rayons de soleil. Il démarra le véhicule. Le bruit - 266 - électrique du moteur ronronna. Il accéléra gentiment dans un premier temps pour sortir du bâtiment et se retrouver sur le parking extérieur. Il appuya à nouveau sur sa télécommande, les lumières du hangar s’éteignirent et la porte coulissante se referma. Il désigna à Kevin la barre de maintien juste devant lui. - Je te conseille de t’accrocher des deux mains ! Kevin obtempéra malgré ses doutes légitimes. Les voiturettes mises à disposition dans le complexe de la NASA n’avaient rien d’extraordinaire. Elles servaient principalement pour les déplacements des V.I.P et autres hautes personnalités du centre. Toutefois, pour des raisons de sécurité, leur vitesse était fortement limitée et ne dépassait pas la petite foulée d’entrainement d’un sportif. Pourtant, lorsque Dick redémarra, Kevin eut l’impression de recevoir un coup de pied au cul tellement l’accélération fut fulgurante. Les mains crispées sur la barre métallique, les bras tendus au maximum, il ne comprit pas ce qui lui arrivait. Le véhicule n’avait pas de compteur kilométrique, mais la sensation ressentie lui faisait penser qu’ils avaient atteint les cent kilomètres à l’heure en une poignée de secondes. Les yeux exorbités, il jeta un regard vers Dick qui arborait un sourire jusqu’aux oreilles. Le parking était long et peu fréquenté à cette heure de l’après-midi, mais il dut effectuer deux ou trois coups de volant pour éviter quelques obstacles. La voiturette tenait exceptionnellement bien la route pour un tel engin ; une sorte de karting à la sauce Richardson. Kevin crut mourir lorsqu’au bout de l’allée, il fallut tourner à droite. Dick ne ralentit qu’au dernier moment, un coup de frein puissant qui le fit presque décoller de son siège. Il stoppa son bolide quelques mètres plus loin, au niveau de l’entrée réservée au personnel. Kevin descendit avec difficulté, le teint verdâtre, avec une envie de vomir qui lui remontait à la gorge. Dick regarda sa montre et annonça triomphalement : - Une minute et quinze secondes d’avance ! Alors qu’est-ce qu’on dit, camarade ? - Merci, grommela Kevin qui commençait sérieusement à en avoir marre de son nouveau copain de chambrée qui se croyait revenu à la grande époque russe, au temps de la guerre froide, en lui lançant du « camarade » à longueur de phrases. Mais qu’est-ce que c’est que cet engin ? finit-il par lui demander. - 267 - - Oh, ça ! Une petite modification maison. Toutefois, ne crois pas que cette voiture est à usage libre. Ce modèle est ma propriété exclusive. J’ai monté un moteur de mon invention, changé les pneus, les suspensions, le système de freinage et j’en passe. Un vrai bolide, n’est-ce pas camarade ? Si seulement j’avais les moyens de breveter cette beauté, je deviendrais riche comme Crésus ! - C’est un véritable engin de mort, répondit-il en tentant de reprendre des couleurs. Merci encore pour la balade, mais je dois y aller. CHAPITRE 61 Kevin glissa son badge devant le capteur de la porte d’entrée qui se déverrouilla. Il se dirigea tant bien que mal vers le centre de contrôle. Au moment où il franchissait le passage, son téléphone portable sonna. Son arrivée ne passa pas inaperçue. L’allure maladive ne l’ayant pas encore quittée, il décrocha rapidement pour ne pas gêner ses collègues. Il planait dans l’air une tension palpable. Les écrans géants montraient la navette en approche finale, avec en surimpression un compteur de temps affichant moins d’une minute. - Alors, demanda Sarah. Est-ce que vous avez réussi à stopper la mission ? - J’ai transmis vos indications à mon directeur. Il a pris sa décision. Tant que nous n’avons pas de preuve concrète de sabotage, la mission suit son cours. Sarah coupa la communication sans autre forme de procès, ce qui surprit d’autant plus Kevin. Elle ne lui avait jamais raccroché au nez de la sorte. Une pointe de colère lui transperça le cœur, suivit une montée d’adrénaline qui lui redonna un coup de fouet. Son rodéo avec Richardson était définitivement digéré. Il avait même réussi à conserver son déjeuner, son estomac ayant tenu le choc. Il vit le directeur lui faire un signe. L’afficheur indiquait désormais une trentaine de secondes. Kevin alla à ses côtés tout en scrutant le décompte sans en louper une seconde. Les caméras embarquées montraient différentes vues de la station, affublée d’un insecte métallique géant qui tentait de s’en approcher. Le décollage, l’arrimage et l’atterrissage étaient les trois points stratégiques d’une telle mission. Chacun de ses instants pouvait mal tourner à la moindre erreur. La tension était palpable sur Terre - 268 - comme à bord de la navette. Malgré les nombreux calculateurs et systèmes informatisés qui géraient ses étapes, un grain de sable au mauvais endroit pouvait s’avérer catastrophique. - Contact ! Pressurisation du sas ! Arrimage réussi ! À l’écoute de ses quelques mots, les applaudissements laissèrent place à une ambiance studieuse au centre de contrôle. Les techniciens suivaient attentivement l’avancement de la mission. Des dizaines de chiffres défilaient sur les écrans, renseignant sur l’état de la navette. Rien à signaler. Tout se déroulait comme prévu. Le directeur Johnson, après avoir discuté avec quelques contrôleurs, quitta la salle en faisant un clin d’œil à Kevin. Sa décision s’avérait judicieuse jusqu’à présent. Quelques minutes plus tôt, sur les routes en bordure de plage, un étrange cortège circulait à vive allure. Tony en tête du cortège, suivi des agents Spader et Dalton, ainsi que trois autres véhicules de police. Les circonstances étaient exceptionnelles, car en temps normal, le cher Tony aurait eu une bonne quinzaine de voitures à ses trousses, associées à des hélicoptères de chaînes de télévision qui adoraient retransmettre en direct ce genre d’épopée. Cependant, la NASA attirait toute l’attention en cette fin d’après-midi. Tous les agents de sécurité de la ville avaient été affectés à des missions d’encadrement du public nombreux venu voir l’évènement. Les médias diffusaient également les images de la station, dans le but inavoué de filmer une catastrophe qui leur aurait donné du grain à moudre pendant plusieurs jours. Tony se retrouvait relégué au trois ou quatrième rang de l’information non-stop. Une gentille course poursuite, qui au final n’avait rien de bien excitant pour le spectateur. Il avait d’ailleurs ralenti son allure, ne sachant pas trop comment se sortir de ce pétrin. Don avait réussi à rattraper son retard, il avait même été tenté de lui tamponner l’arrière du véhicule pour l’obliger à s’arrêter, mais Sarah avait eu raison de son impatience. Le fugitif avait fortement diminué sa vitesse depuis le départ de la NASA. Il semblait désormais vouloir les balader au lieu d’essayer de s’enfuir. Au moment où la fusée s’arrima, Tony eut un déclic en entendant les nouvelles à la radio. Sa fuite était une erreur, il n’avait aucune chance de s’en sortir indemne s’il continuait sur cette voie. En plus, il n’avait rien fait de grave à proprement parler. C’était cette emmerdeuse de journaliste qui l’avait fait douter. Si elle avait déballé ses soi-disant preuves au FBI, il devenait le coupable idéal jusqu’à ce qu’il puisse - 269 - prouver sa bonne foi. Mais l’opinion publique avait vite fait de transformer un individu arrêté pour interrogatoire en un criminel convaincu. La justice expéditive du peuple dans toute sa splendeur. Il prit la première sortie et fit demi-tour. Cette fois-ci, il se mit à rouler à la vitesse réglementaire, ce qui surprit Don qui ne s’y attendait pas. Il faillit lui rentrer dedans, mais s’écarta au dernier moment. Arrivée à sa hauteur, Sarah le fixa longuement avant de lui faire signe de se garer. Tony, concentré sur sa conduite, continuait son petit bonhomme de chemin comme si de rien n’était. Il avait décidé de retourner à la NASA où il pourrait expliquer son geste, et se défendre plus facilement que dans une salle d’interrogatoire du FBI. Cependant, Don plus qu’irrité par son comportement finit par le dépasser et stopper sa voiture juste devant lui. Avec les autres policiers qui lui collaient au train, il n’avait plus aucune possibilité de fuite. Tony obtempéra, même s’il détestait l’idée de laisser sa Corvette en pleine rue. Sarah se jeta hors du véhicule et braqua son arme sur le pauvre Tony, qui leva aussitôt les bras en signe de capitulation. - Couper le contact, cria-t-elle. Il s’exécuta pendant que Don prenait position en couverture, à l’arrière droit de la Corvette. Une main sur la crosse de son pistolet, il était prêt à dégainer et faire feu au moindre geste suspect. Tony finit par descendre de voiture. Sarah l’empoigna à deux mains, puis lui passa les menottes. Elle lui indiqua ses droits comme le voulait la procédure, puis le jeta dans leur véhicule. Don était plutôt satisfait de la tournure des évènements. Cette fois-ci, il n’y avait pas eu de mort, ni même de blessé, juste quelques tôles froissées pour certains conducteurs qui avaient eu le malheur de les croiser. - Fini la rigolade, mon bonhomme ! lança Don en redémarrant. Maintenant, il va falloir nous fournir quelques explications. Tony ne répondit rien. Il avait vu bon nombre de films policiers pour savoir qu’il était en droit de demander un avocat avant de dire quoi que ce soit. Sarah appela son patron, pour lui faire part des nouvelles. Elle lui indiqua qu’ils seraient au bureau quelques minutes plus tard. Même si rien n’était encore joué, Francis Fitzgerald souffla de soulagement, sentant enfin le vent tourner en leur faveur. Il en profita pour contacter son ami Jack Johnson et faire un point sur les évènements qui venaient de se passer. Toujours aussi perplexe, le directeur de la NASA demanda - 270 - s’il pouvait assister à l’interrogatoire. Il reçut un refus poli pour des raisons de légalité. Il lui donna quand même la possibilité de suivre les hostilités depuis l’extérieur de la salle, à titre exceptionnel. Kevin fut mis au courant de la situation de son jeune collègue. L’incompréhension était bien réelle pour lui. Il avait une grande considération pour Tony, sa moralité, son travail et même sa façon de vivre qui n’avait rien à voir avec la sienne. Il ne pouvait pas croire une seconde qu’il y soit pour quelque chose. Ne comprenant pas comment le virus avait été réalisé, il imaginait difficilement Tony développer un code qu’il considérait comme de la véritable science-fiction. Le mieux qu’il pouvait faire à cet instant était de replonger dans les fichiers de Durand pour tenter de découvrir une information le disculpant une bonne fois pour toutes. Kevin retourna à son bureau avec la ferme intention de faire la lumière sur toute cette affaire. Plongé dans ses pensées, il passa devant la salle de conférence sans s’en rendre compte. Une voix haute perchée le héla ! - Monsieur Klein ! Monsieur Klein ! « Misère de misère » se dit-il, j’avais complètement oublié ce groupe de gamins. - Excusez-moi, mais je ne peux pas vous consacrer plus de temps aujourd’hui. J’ai des choses urgentes qui ne peuvent vraiment pas attendre. - Oh ! C’est dommage, reprit la chargée des relations publiques. Les enfants vont être déçus de ne pas pouvoir vous parler. - De toute façon, je n’ai rien de bien intéressant à leur raconter, ajouta-til. - Tant pis, ça sera pour une prochaine fois. Soudain, des braillements surgirent de la salle. Un garnement turbulent lui lançait des vannes, le traitant de poule mouillée ayant un boulot des plus nuls, ce qui fit rigoler ses camarades de classe. - Vous voyez, renchérit Kevin tout bas, vos monstres en culottes courtes se moquent complètement de ceux qu’ils vont rencontrer. Vous devriez les emmener visiter le laboratoire de monsieur Richardson. Il y a plein de choses intéressantes là-bas. - Ah bon ! Je croyais que son laboratoire était interdit au public… Vous savez, les secrets industriels ! - 271 - - Ne vous en faites pas, il sera ravi de discuter avec ces chères têtes blondes, lança Kevin qui était plutôt fier d’avoir trouvé un moyen de lui rendre la monnaie de sa pièce. - Merci pour le conseil, Monsieur Klein. Au revoir. Kevin salua toute la troupe, même l’insupportable chenapan, puis retourna à son bureau. CHAPITRE 62 En arrivant au bureau du FBI, Tony passa directement dans la salle d’interrogatoire ! Deux agents l’escortèrent sans ménagement particulier. Il fallait battre le fer tant qu’il était chaud. Après une telle épopée, Tony devait être dans un état de stress avancé, ce qui pouvait faciliter les choses pour les enquêteurs. La tactique adoptée pour ce jeu de questions-réponses allait être identique à celle qu’ils employaient habituellement. Don lancerait les débats en jouant au méchant flic, ce qui ne le gênait absolument pas. Sarah prendrait le relais en fonction de la tournure des évènements. En temps normal, ils auraient laissé mijoter le suspect pendant deux ou trois heures. Seulement la mission spatiale entrant dans sa phase critique, il fallait impérativement qu’ils découvrent si les astronautes étaient en danger. Don pénétra dans la salle comme une furie, en fermant la porte bruyamment, puis il vint s’asseoir en face d’un Tony plutôt détendu en fin de compte. - Pourquoi vous êtes-vous enfui en nous voyant tout à l'heure ? Tony regarda l’agent droit dans les yeux, sans rien répondre. - OK, monsieur veut jouer les caïds ! Alors, voilà comment ça se passe en règle générale. Je pose une question, vous répondez. Si vous répondez juste, vous avez encore une chance de vous en sortir sans trop de dégâts. Si vous préférez garder le silence, cela sera considéré comme d’une obstruction à une enquête fédérale et sera ajouté aux chefs d’inculpation. Je répète donc la question : pourquoi vous êtes-vous enfui ? - Je veux voir mon avocat, finit-il par répliquer. - Écoute, mon gars, lança Don en se rapprochant à quelques centimètres du visage de Tony. Si tu ne veux pas coopérer, c’est ton droit. Dans ton intérêt, je te conseille fortement de répondre à mes questions avant que ça n’aille plus loin. Si tu veux attendre ton avocat, - 272 - pas de problème. Je t’emmène visiter nos cellules pendant quarante-huit heures, avec tous les drogués, les violeurs et autres racailles qu’on ramasse à longueur de journée. Je suis sûr que tu vas te faire plein de copains avec ta tronche de playboy. C’est toi qui vois ! Don fit une pause lorsqu'il constata que son opposant était sujet à une intense réflexion. Il sortit de la pièce pour rejoindre Sarah qui avait observé la scène derrière le miroir sans tain. Il la dévisagea d’un air renfrogné, comme pour l’interroger sur la meilleure façon d’ouvrir les hostilités. Sans quitter Tony du regard, elle lui annonça la stratégie qu’elle emploierait. - Regarde-le, il est en train de peser le pour et le contre. Il ne faut surtout pas le braquer, mais plutôt miser sur son intelligence. Dès qu’on aura trouvé la faille, il va tout nous déballer. Essaye de lui parler de ses parents, reprit-elle après quelques secondes. D’après son dossier, il est resté très proche d’eux. Ce sont de braves personnes et je suis sûre que la déception qu’il risque de leur affliger sera pire que sa propre désillusion. Don laissa Tony encore quelques instants, seul face à son destin. Il attendait qu’on lui apporte les documents relatifs à l’affaire. Le classeur était suffisamment épais pour impressionner n’importe quel voleur à la petite semaine. Même si les neuf dixièmes n’avaient aucune relation avec le client en question, ça suffisait pour affecter les plus fragiles et leur mettre une pression supplémentaire. Don entra dans la pièce et posa son fardeau avec douceur sur la table. Il s’assied, commença à lire les premières pages sans regarder le moins du monde Tony. Il savait que ce genre de numéro avait peu de chance de fonctionner, mais avait un impact notoire sur n’importe quel suspect. Il agrémentait sa lecture de petits sons révélateurs, montrant que tout ce qu’il voyait n’était pas bon, pas bon du tout. Sarah entra à son tour, mais resta en retrait près de la porte. Les bras croisés, elle attendait que Don lance les hostilités, ce qu’il fit après avoir refermé le dossier qu’il lisait. Son ton était redevenu plus courtois. - Au vu des documents qu’on a à votre encontre, je pense que vous avez tout intérêt à coopérer. Après il sera trop tard. Alors, si on recommençait par le début. Comment peut-on éradiquer le virus ? Don avait repris le vouvoiement, histoire de déstabiliser son client. Même s’il avait envie de lui faire cracher le morceau, il tentait la stratégie de Sarah. - 273 - - Je n’en sais rien, finit-il par répondre d’une voix éteinte. - Y a-t-il un moyen de l’éliminer ? - Je n’en sais absolument rien, répondit Tony d’une façon beaucoup plus claire cette fois-ci. Pour vous éviter de perdre du temps, je vous affirme que je n’ai rien à voir avec toute cette histoire. - Attendez, reprit Don. Vous croyez vraiment qu’on vous a arrêté pour le plaisir ! Nous avons réuni une multitude de preuves vous reliant à cette affaire. Alors, ne venez pas nous jouer le coup du brave citoyen qui est blanc comme neige. Pour la dernière fois, avez-vous oui ou non participé de près ou de loin à la conception de ce virus ? - Je vous le répète également une ultime fois, je n’ai rien à voir avec ça. Comment dois-je vous le dire pour que vous compreniez ? Sarah, qui avait senti le vent tourner, s’était approchée de Don et lui posa une main sur l’épaule pour intervenir. - Je pense que nous ne sommes pas partis du bon pied. On va reprendre les choses calmement, ajouta-t-elle en direction de Don qui bouillait intérieurement. Elle savait que sa patience avait des limites extrêmement vite atteintes. Même si son statut de fonctionnaire de l’État ne lui permettait aucun débordement, il pouvait être très intimidant lorsqu’il était énervé, ce que Sarah voulait éviter à tout prix. Si Tony se renfermait sur lui-même, ils n’en sortiraient rien. L’affaire serait mort-née. - Comment avez-vous connu Henri Durand ? lâcha-t-elle sans préambule. - Qui ? demanda Tony surpris par la question. - Henri Durand ? À moins que vous le connaissiez sous le nom d’Harold Hutchinson ? - Harold ??? Pourquoi me parlez-vous de lui ? répliqua Tony de plus en plus intrigué. - C’est nous qui posons les questions, coupa Don. Alors, répondez à l’agent Spader s’il vous plait. - Je le connais depuis que je suis gamin. - Mais encore… renchérit Sarah. Tony souffla pour évacuer toutes les tensions qui le tiraillaient. « Autant être honnête sur ce point-là » pensa-t-il. - 274 - - Lorsque j’étais enfant, mes parents ont trouvé un boulot de concierge et homme à tout faire dans un de ces quartiers pour personnes fortunées. C’était à la mode en ce temps-là. Mon père s’occupait de l’entretien des espaces verts, du bricolage pour les résidents, enfin tout ce qu’il y avait à faire. Ma mère était chargée de la garderie entre autres choses. C’est comme ça que j’ai connu Éléonore Hutchinson, la fille d’Harold. Je devais avoir cinq ou six ans à l’époque. Au fil du temps, Éléonore est devenue ma meilleure amie. Lorsque nous avons été un peu plus âgés, on passait toutes nos fins d’après-midi chez ses parents ou les miens. Je voyais son père seulement les week-ends, parce qu’il travaillait énormément en semaine. Comme nous ne partions pas en vacances, madame Hutchinson m’avait invité plusieurs fois à aller camper avec eux. Ils étaient ma deuxième famille en quelque sorte. Éléonore étant fille unique, j’étais un peu son grand frère d’adoption. - C’est à cette période-là que vous avez commencé à vous intéresser à l’informatique ? demanda Sarah pour aiguiller la discussion sur le sujet brûlant. - Vous auriez dû voir ça, lança Tony, c’était incroyable. Harold avait aménagé dans leur maison une sorte de caverne d’Ali Baba informatique. Il y avait un coin spécialement pour nous. Il nous rapportait des prototypes de consoles de jeux que nous devions tester pour lui, et un tas d’autres gadgets. Je crois que ce fut une des périodes les plus heureuses de ma vie, finit-il par dire dans un regret. - Et que s’est-il passé ensuite ? - Un terrible accident, murmura Tony. Elles sont mortes toutes les deux, Éléonore et sa mère. Harold n’a plus jamais été le même. Après l’enterrement, il avait bien essayé de recommencer à travailler, mais n’avait plus le goût de vivre. Quelques semaines plus tard, il a quitté la ville et je ne l’ai pas revu pendant près de dix ans. Je crois qu’il était reparti en Europe pour se ressourcer. La première fois que j’ai de nouveau entendu parler de lui, je commençais mes études supérieures. J’avais réussi à obtenir une bourse financée par une fondation privée que je ne connaissais pas. Après quelques recherches, j’ai découvert qu’il en était le président. Je suppose qu’il l’a su, car il m’a appelé quelques jours plus tard pour me féliciter. Nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises durant cette période, lorsqu’il venait en conférence dans la région. En fait, sa fondation s’était chargée de tout, du financement au problème bien plus matériel comme de me trouver un - 275 - logement, me décrocher des stages… etc. À un moment, tout cela m’a fait un peu peur. J’avais l’impression d’être acheté, mais Harold m’a toujours rassuré. Il me répétait qu’il me considérait comme le fils qu’il n’avait jamais eu, et qu’il faisait tout ça en mémoire de sa fille. - Après avoir fini vos études, est-ce que c’est lui qui vous a poussé vers la NASA ? demanda Sarah. - Oui et non. Sa fondation avait réussi à me trouver un stage au centre spatial, la première année où ils se sont occupés de moi. Le courant est bien passé avec les différentes personnes que j’ai côtoyées. Du coup, j’y suis retourné régulièrement. Lorsque j’ai eu mon diplôme en poche, je n’ai même pas eu à chercher un emploi, ma place m’attendait depuis longtemps. - C’est très joli tout ça, remarqua Don qui commençait à s’impatienter, mais ça n’explique rien ! Ça n’explique surtout pas comment vous vous êtes retrouvé dans ce merdier ! - Pendant une année, tout était idyllique, reprit-il sans faire attention à la remarque de Don. Le boulot était génial, l’ambiance plutôt bonne, même si je vous accorde que Kevin Klein a tendance à être un peu lourd de temps en temps, ajouta-t-il en mimant les guillemets pour appuyer sa dernière réflexion. Et puis, tout a changé le jour où j’ai voulu aider mon cousin à se réinsérer. Je pense que je devais culpabiliser vis-àvis de sa famille. J’avais eu une chance incroyable avec cette fondation. Ils m’avaient soutenu sans rien demander en retour. Mauricio n’a pu compter que sur lui-même pour s’en sortir, avec pour seul résultat la prison. Je l’ai pistonné auprès d’Harold pour qu’il lui trouve un emploi, ce qu’il a fait sans poser de question. Ça n’est que quelques mois plus tard que j’ai commencé à comprendre ce qui s’y faisait réellement. Il est venu me voir à plusieurs reprises pour solliciter mon aide. Au départ, c’était totalement anodin, des petits boulots sans grand intérêt. Je lui servais de chauffeur la plupart du temps. Mais un jour, il y a eu un imprévu. Je l’attendais tranquillement dans la voiture lorsqu’il est arrivé en courant, en criant qu’il fallait partir sur-le-champ. J’ai tout de suite compris qu’il ne plaisantait pas quand j’ai vu deux vigiles accourir l’arme au poing. Nous avons déguerpi sans demander notre reste. Après avoir harcelé mon cousin de questions, il a fini par m’avouer que son travail pour la fondation n’était pas ce que je croyais. Après avoir fait ses preuves, il était très vite devenu l’homme de l’ombre, à qui l’on confiait les missions les plus discutables. - 276 - - De quel genre ? demanda Don. - Il n’est pas rentré dans les détails, et pour être honnête, je ne voulais pas en savoir davantage. Après ça, il a compris qu’il était hors de question que je renouvelle ce genre d’opération. Et puis j’ai été rattrapé par cette journaliste qui a essayé de me faire du chantage. Au début, je l’ai envoyé balader, mais aujourd’hui elle m’a montré des photos qui peuvent prêter à confusion, même si je suis certain qu’elles sont truquées. Je ne sais pas comment elle a réussi à dénicher ces clichés, mais on me voit avec Mauricio dans des endroits où nous n’aurions pas dû nous trouver. Et le hasard faisant parfois mal les choses, pour chaque photo datée il y a une plainte pour vol de documents ou d’objets. J’étais coincé, même si je suis persuadé que ce ne sont que de vulgaires montages numériques. Quand Kevin m’a appelé tout à l’heure en me disant que vous vouliez m’interroger, j’ai paniqué ! - Pour un homme dans votre position au sein de la NASA, je trouve que vous perdez votre sang-froid bien rapidement, ajouta Sarah. Cependant, cela n’est pas le problème le plus préoccupant à l’heure actuelle. Si vous nous racontiez ce que vous savez sur le virus. - Comme je vous l’ai déjà dit, rien… enfin presque rien. Harold m’en a parlé il y a une semaine. Il avait constaté qu’un nouveau type de virus était en train de s’implanter sur le réseau américain. Avec Kevin, on venait tout juste de le découvrir sur nos machines. Je n’y ai pas prêté attention sur le coup, mais quelque chose ne collait pas. Après avoir effectué quelques recherches, on a vite compris qu’on avait affaire à quelque chose d’incroyablement complexe. J’en ai beaucoup parlé avec Harold, on s’est échangé de nombreux emails, on comparait nos résultats pour réussir à cibler le problème et trouver un moyen de l’éradiquer. Depuis quelques jours, je n’ai plus aucune nouvelle de lui. - Est-ce que vous l’avez vu lorsqu’il est venu donner une conférence aux États-Unis il y a quelques jours ? demanda Sarah. - Euh ! Non, répondit-il surpris. Je ne savais même pas qu’il avait un voyage de prévu de ce côté de l’Atlantique. C’est bizarre parce qu’habituellement, il passe me saluer chaque fois qu’il est aux ÉtatsUnis. - Une dernière chose, continua Don, notre système de surveillance a enregistré une intrusion dans notre laboratoire avant-hier. Notre visiteur ignorait que nous avions mis en place un jeu de caméras parallèle à l’existant, bluffa-t-il. Avez-vous des révélations à nous faire à ce sujet ? - 277 - - Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire, grogna Tony qui se sentait réellement menacé pour la première fois. Vous voulez me mettre toutes les misères du monde sur le dos ? Je ne vois absolument pas de quoi vous parlez. Don regarda Sarah du coin de l’œil. Soit le jeune homme était sincère, soit il avait flairé l’embrouille et s’en était admirablement bien sorti. Le doute était entier et partagé par les deux agents fédéraux. Le coup du système de surveillance fantôme marchait pourtant à chaque fois. Le suspect se sentant pris au piège finissait par avouer la totalité de ses fautes. CHAPITRE 63 Kevin était de retour dans son bureau, à nouveau plongé dans les différents documents qu’Harold Hutchinson, alias Henri Durand avait laissés derrière lui. Avant de se lancer dans l’expérimentation du petit appareil que Ronald Richardson lui avait fabriqué, il voulait être sûr de ne rien négliger. Il suivait d’un œil distrait tout ce qui se passait au centre de contrôle, histoire de se tenir au courant en cas de problème. En toute fin d’après-midi, les visiteurs d’un jour étant repartis, la NASA retrouvait son train-train quotidien. Kevin décida qu’il était temps de faire parler la science. Il avait conservé un disque dur contenant le virus, pour un moment comme celui-ci. Il alluma deux ordinateurs puis s’assura qu’ils étaient parfaitement sains. L’heure de vérité avait sonné. Est-ce que Henri Durand avait trouvé un moyen d’éradiquer le virus ou simplement de le brider, Kevin allait enfin le savoir. Après une ultime vérification, il brancha le média de stockage infecté sur la première machine. Son outil de dépistage signala immédiatement la propagation du virus sur le disque intégré à l’appareil. Il réalisa le même test sur le deuxième ordinateur en s’assurant que le module fabriqué par Richardson servait d’interface entre les deux. Ce qui semblait inconcevable se déroula sous ses yeux ébahis : le boîtier offrait un bouclier d’une efficacité redoutable. Kevin poussa un cri de victoire et s’étala de tout son poids sur son siège. Même s’il n’en était pas l’auteur, il était particulièrement heureux de ce petit exploit. Son cerveau se mit immédiatement en action pour comprendre comment cela pouvait fonctionner. Il imaginait déjà les hypothèses les plus farfelues - 278 - lorsqu’une pensée lui traversa l’esprit : « Et si l’appareil de Durand ne faisait que ralentir la propagation du virus ! » Un frisson le parcourut de la tête au pied. Avant de crier victoire, il devait être sûr de s’assurer d’avoir réalisé tous les contrôles possibles et inimaginables. Il reprit la batterie de tests qu’il avait mise en place lors de la découverte du virus, pour en arriver à une conclusion définitivement positive sur l’efficacité de l’appareil de Durand. L’homme n’était pas simplement un surdoué en informatique, il brillait également en électronique. Kevin en eut presque le souffle coupé. À cet instant, il regretta amèrement de ne pas l’avoir connu. Le début de soirée approchait à grands pas. Kevin était entièrement plongé dans ses expérimentations, lorsque son téléphone sonna. À cette heure avancée de la journée, le standard téléphonique étant fermé, il réalisa que ce ne pouvait être qu’une ligne directe. Il décrocha dans l’espoir secret qu’un certain agent féminin du FBI l’appelle, même si leur dernière conversation avait été assez tendue. - Allo ! - Bonsoir, dit la femme au bout du fil. Je souhaiterais parler à monsieur Alessandro ou monsieur Klein s’il vous plait. - Ici Kevin Klein, que puis-je faire pour vous ? - Ah ! Monsieur Klein, depuis le temps que j’essaye de vous contacter. Je suis le professeur Brandenberger, la biologiste à qui vous avez demandé un coup de main pour une histoire de virus. - Oui, je me souviens maintenant, mentit Kevin qui ne se rappelait absolument pas cette personne. - Votre collègue, Monsieur Alessandro, m’avait demandé de jeter un œil sur le décryptage d’un code. Je ne sais pas où vous en êtes à ce sujet, mais je pense avoir trouvé quelque chose qui risque de vous intéresser ! - Nous avons bien avancé, répondit Kevin qui avait enfin retrouvé la mémoire. Plusieurs points restent encore à éclaircir, car c’est une affaire beaucoup plus complexe que ce que l’on imaginait… - Il faut qu’on se voie, le coupa Barbara Brandenberger. Je ne peux pas vous présenter mes découvertes au téléphone, ça n’aurait aucun sens. Kevin fut intrigué par sa correspondante. Après ce qu’il venait de découvrir quelques minutes plus tôt, qu’est ce qu’une biologiste pouvait - 279 - bien avoir trouvé de si extraordinaire ? Sa curiosité fut plus forte que le reste. - Quand êtes-vous disponible ? lui demanda-t-il. - Je ne peux pas me libérer les jours qui viennent bien que j’apprécierai de pouvoir profiter de votre soleil. Par contre, nous pourrions organiser une vidéoconférence si ça vous convient. - Demain en fin de matinée si vous voulez, finit-il par répondre après avoir consulté son planning de la semaine. Je m’arrange pour avoir la salle de réunion à disposition et vous recontacte pour les détails techniques. - Parfait, on fait ainsi ! ajouta-t-elle en lui souhaitant le bonsoir. Ce petit intermède lui fit prendre conscience qu’il n’avait pas eu de nouvelle de Tony depuis le milieu d’après-midi. Après l’appel de Sarah, il s’était douté que quelque chose n’avait pas tourné favorablement en sa faveur. Il tenta de le contacter sur son téléphone portable, mais tomba sur sa messagerie. Tout cela ne lui disait rien qui vaille. Il retenterait le coup un peu plus tard dans la soirée, histoire de se rassurer. Dans les bureaux du FBI, Tony était resté dans la salle d’interrogatoire depuis son arrestation. Sarah et Don avaient fait une pause pour digérer les informations qu’il venait de leur donner, mais avant tout pour faire les vérifications d’usage avant d’enchaîner sur une deuxième salve de questions. Ils demeuraient perplexes quant à sa culpabilité. Don commençait à douter qu’il soit impliqué dans toute cette histoire. La façon dont il avait réagi lorsqu’il lui avait annoncé qu’il détenait des vidéos montrant l’individu ayant détruit des pièces à conviction dans leurs bureaux, avait été bien trop spontanée pour être préméditée. Tony Alessandro était trop jeune, trop naïf pour avoir évité ce genre de piège, il en était intimement persuadé. Après tout, ce n’était qu’un gamin qui s’était laissé embarquer dans des histoires louches par un cousin débrouillard, qui avait su tirer sur le fil de la fraternité. Sarah désirait tout de même éclaircir les derniers points d’ombre qui planait sur cette affaire. Ils retournèrent en salle d’interrogatoire où Tony les attendait, les mains sur le visage en désespoir de cause. - Nous avons encore deux ou trois points à clarifier, dit Sarah en refermant la porte derrière elle. - 280 - Elle prit place en face de Tony, qui était à nouveau pleinement attentif. Don s’était posté en retrait, au fond de la pièce, l’œil rivé sur le futur exsuspect. - Vous nous avez parlé tout à l’heure de services que vous rendiez à votre cousin. Que faisiez-vous exactement ? - J’étais son chauffeur, ni plus ni moins. Il a eu quelques difficultés à récupérer son permis de conduire, alors je lui filais un coup de main de temps à autre. - Mais que faisiez-vous concrètement ? - Comme je viens de vous le dire, je passais le chercher à son boulot ou chez lui, ça dépendait de l’heure. Ensuite, je le conduisais où il désirait aller. Il faisait sa petite affaire et on rentrait chez nous. - Et vous ne l’avez jamais accompagné sur ces lieux de rendez-vous ? - Non, d’ailleurs il ne me l’a jamais demandé. Et puis, vu la façon dont ça s’est terminé la dernière fois, je suppose qu’il fallait mieux que je ne sois au courant de rien. - Justement, pouvez-vous nous dire ce qui s’est passé ? - Tout roulait comme d’habitude. J’attendais dans la voiture depuis dix ou quinze minutes lorsque je l’ai vu revenir en courant. Il m’a dit de mettre les voiles aussi vite que possible. En faisant demi-tour, j’ai aperçu dans mes rétroviseurs des vigiles accourir dans notre direction. C’est à ce moment-là que j’ai su qu’il se passait quelque chose d’anormal. On s’est arrêté quelques kilomètres plus tard et je l’ai harcelé pour qu’il m’avoue ce qu’il faisait. Après quelques explications qui ne m’ont absolument pas convaincu, je l’ai raccompagné chez lui en lui faisant comprendre qu’il fallait qu’il se débrouille tout seul désormais. - Et qu’est-ce qu’il vous a raconté pour justifier ses actes ? demanda Don soudainement intrigué. - Pas grand-chose au final. Il m’a dit qu’il faisait des livraisons pour le compte de sa fondation. Parfois, c’était de simple invitation à une conférence qui devait être remise en main propre, parfois il avait un colis à déposer, ou à récupérer. - Et comment a-t-il expliqué cette histoire avec les vigiles ? - Ce jour-là, il devait remettre un paquet au responsable informatique d’une société de vente de matériels. Il semblerait que son contact n’ait pas apprécié la livraison et lui a envoyé le service de sécurité aux fesses. - 281 - Don grogna dans son coin, l’explication plus que fumeuse dudit Mauricio n’était absolument pas crédible, même son cousin ne l’avait pas encaissé. - Une dernière chose, ajouta Sarah. Comme Henri Durand était le président de cette fondation, je suppose qu’il vous en avait parlé, peutêtre avait-il même essayé de vous engager ? - En fait, avant que je ne sois recruté à la NASA, la fondation n’avait pas encore la réputation et le financement qu’elle a aujourd’hui. Tout a changé il y a deux ans. Évidemment, Harold m’en a parlé à plusieurs reprises, mais je m’étais impliqué dans mon boulot corps et âme et ne voulais pas m’éparpiller. Harold l’avait parfaitement compris d’ailleurs et n’a jamais insisté sur ce point. Sarah se laissa quelques secondes de réflexion, reprit son dossier et quitta la pièce. Don avait déjà son opinion depuis quelques minutes. Il allait suivre sa collègue lorsque Tony tenta une question. - Et maintenant, qu’est-ce qui va se passer ? Je peux partir ? - Oh ! Mais bien évidemment, répondit Don sur un ton enjoué. Vous allez pouvoir visiter notre prison, sans passer par la case départ et sans toucher les vingt mille francs. - Mais pourquoi ? Je n’ai rien à voir avec cette affaire de virus, je n’ai rien fait de mal. - On se laisse encore un peu de temps pour en juger. Toutefois, une chose est sûre, dans votre précipitation tout à l’heure vous n’avez certainement pas fait d’excès de vitesse, ni mis en danger la vie d’autrui avec votre conduite plus que sportive, ni réalisé de délit de fuite… - Mince, je n’avais pas pensé à ça, murmura Tony dans son coin. - Profiter de l’hospitalité légendaire du FBI, lança Don. Ce soir et probablement cette nuit aussi, vous êtes notre invité ! Sarah retourna à son bureau avec un sentiment d’échec. L’histoire que Tony leur avait racontée ne lui avait pas apporté les réponses qu’elle attendait. Certes, l’enquête avançait petit à petit, mais rien ne le reliait véritablement à cette attaque terroriste informatique. Au mieux, il avait éventuellement participé à un trafic d’influence, mais ceci restait à prouver. Il était temps d’approfondir les investigations sur ce fameux cousin. Don la retrouva quelques instants plus tard en pleine réflexion. - Tu sais que ton pote Kevin a laissé un message sur le portable de son collègue tout à l’heure. Il a l’air d’être inquiet pour son petit protégé. - 282 - Kevin !!! Sarah l’avait complètement oublié. Elle se sentit soudainement gênée par la façon dont elle avait coupé la communication durant le rodéo sur les autoroutes de la ville. Il fallait qu’elle s’excuse pour cette injustice, mais désirait un peu d’intimité pour le faire. Elle se dirigea vers les toilettes qui étaient désertes à cette heure avancée de la soirée et décida de se confesser. - Allo, Kevin. Je suis vraiment désolée pour tout à l’heure. Nous étions en pleine poursuite et mon téléphone est tombé et a coupé la communication. Je n’ai pas eu l'occasion de rappeler pour m’excuser d’avoir raccroché de la sorte. - Ce n’est rien, je comprends, dit-il. J’ai quand même cru un instant que vous étiez en colère pour une raison que j’ignorais. - Mon collègue m’a averti que vous aviez essayé de contacter Tony ? - Oui, répondit Kevin ? Comment le savez-vous ? - Pour faire court, disons qu’il a fini par se rendre. Nous venons de l’interroger sur son éventuelle participation dans toute cette affaire, mais je ne peux rien ajouter pour le moment. Il va passer la nuit au poste, puis un juge fixera sa caution demain matin. - J’en reste sans voix, reprit Kevin. Mon Tony, impliqué dans cette histoire, c’est tellement irréel ! Je pensais bien le connaître… C’est tout bonnement inconcevable. - Ce sont des choses qui arrivent tous les jours, lança Sarah blasée par la médiocrité de la nature humaine. CHAPITRE 64 Au lever du jour suivant, rien n’avait évolué. Tony venait de passer la pire nuit de sa vie, une nuit sans sommeil à ruminer sur les heures les plus sombres qu’il avait eues à vivre. La façon dont toute cette histoire prenait tournure n’avait rien d’idéal, mais sa mise en examen rapide devait lui permettre de sortir dans la journée. Pour son fameux coup de fil prévu par la loi, il avait contacté un avocat qu’il avait connu quelques années auparavant. L’homme habitait dans le quartier huppé de son enfance. Tony en avait conservé un excellent souvenir, un grand type raide comme la justice, qui cachait très bien son jeu. Sous des allures de dandy du barreau se dissimulait un véritable serpent au sang-froid. Quelles que soient les charges, il savait que l’avocat réussirait sans - 283 - difficulté à le faire sortir contre une caution. Et pour payer la somme en question, il ne voyait qu’une seule personne : son cousin Mauricio, aidé par la fondation « Avenir Propre ». Il lui était redevable sur bien des choses, même s’il l’avait un peu égratigné durant son interrogatoire. Mais ce n’était pas nécessaire que ce dernier soit au courant. Sarah et Don arrivèrent en début de matinée aux bureaux du FBI. Une rude journée les attendait, une fois de plus ! Ils allaient devoir s’occuper du cousin de Tony et étudier une nouvelle fois son dossier. Il était peutêtre le lien qui leur manquait pour comprendre les tenants et aboutissants de toute cette affaire. Sarah aurait bien voulu garder Antony Alessandro à disposition, mais son avocat en avait décidé autrement. Dès les premières lueurs du jour, il avait débarqué d’on ne sait où et avait demandé sa libération sous caution, ce qu’il avait obtenu un peu trop facilement au goût de certains. Il était loin d’être un avocat commis d’office sans prétention, et il avait le bras long dans la profession. Dans les laboratoires de la NASA, Kevin était dans un état désespérant. Il venait de passer la nuit à travailler sur ces dernières découvertes, et avait fini par s’endormir sur son clavier d’ordinateur. Aussi inconfortable que pût être un bureau en bois, il avait succombé à la fatigue malgré l’excitation des ultimes tests réalisés sur le virus. Il se réveilla péniblement lorsque l’équipe de jour arrivait pour prendre la relève. Il lui fallait une douche bien chaude pour se remettre d’aplomb et un solide petit déjeuner pour entamer une journée chargée. Au lieu de ça, il fit un brin de toilette dans la salle de bain réservée habituellement au personnel d’entretien, et récupéra quelques vêtements propres qu’il conservait dans un placard pour des occasions comme celles-ci. Il s’arrêta devant la machine à café en pensant à Sarah, puis Tony, et enfin à son nouvel ami Ronald Richardson lorsqu’il le vit traverser le parking comme une furie sur son engin de mort. « Un sacré phénomène, celuilà » songea-t-il en se détournant de la vitre pour qu’il ne le remarque pas. « Il va quand même falloir qu’il m’explique comment fonctionne sa petite bombe sur roulettes ! » continua-t-il en pensée. Le bonhomme lui avait tout de même permis de faire un bond de géant dans toute cette affaire. Tous les tests qu’il avait effectués avec l’appareil de Durand s’étaient avérés concluants. Kevin en était arrivé à la conclusion que - 284 - l’engin empêchait la propagation du virus sans néanmoins le supprimer. Il ne comprenait pas encore son fonctionnement, mais c’était une avancée déterminante pour la suite des évènements. Lorsque son avocat pénétra dans les bureaux du FBI, Tony ne s’attendait pas à rencontrer une telle personne. Son vieil ami n’ayant pas pu se libérer, il lui avait envoyé une jeune recrue de son cabinet. Jessica Jones-Smith arriva en milieu de matinée. Vêtue d’un tailleur noir très chic se mariant à merveille avec ses escarpins, elle affichait, pour le travail, un chignon strict cachant ses longs cheveux couleur de jais. Son allure très coincée en apparence laissait place à un tempérament de feu. Malgré son jeune âge, Jessica avait remporté plusieurs affaires retentissantes, ce qui lui avait valu les honneurs de la presse, et à postériori un emploi dans un des meilleurs cabinets d’avocats de la ville. Lorsqu’elle eut son entretien avec Tony, la première chose qu’elle remarqua fut son apparence générale. Quelque chose de magnétique transpirait chez cet homme. Le lieu froid et impersonnel ne l’avait pas complètement abattu. La rencontre fut tout aussi brutale pour Tony. Il eut un premier choc en voyant cette femme se présenter comme son avocate, puis un deuxième quand il lui serra la main. Son pouls s’accéléra au contact de sa peau lisse et douce, dorée à souhait par le soleil permanent dans cette partie du globe. En captant le regard de cette charmante créature, le vert émeraude de ses pupilles l’hypnotisa une demi-seconde. Il se concentra sur sa bouche au moment où elle se présentait, mais ses lèvres délicatement marquées de rouge lui donnèrent le coup de grâce. Elle l’invita à s’asseoir, ce qu’il fit sans rechigner pour éviter que ses jambes ne défaillissent. Tony n’entendit que d’une oreille très distraite les premières paroles de Jessica. Cette femme avait quelque chose d’hypnotique qui venait de le mettre dans un état second. Son esprit l’imaginait sur une plage, en bikini, les cheveux flottant au vent… jusqu’au moment où il perçut au fin fond de son subconscient « Monsieur Alessandro, vous m’écoutez ? » - Oui, excusez-moi. J’ai passé une très mauvaise nuit comme vous pouvez l’imaginer. J’ai du mal à me concentrer ! mentit-il. - Je disais donc que votre caution a été versée ce matin, mais je dois encore régler quelques détails avant de pouvoir vous faire sortir. Est-ce que vous avez besoin de quelque chose en attendant ? - Ça ira si je ne reste pas trop longtemps ici. - 285 - - Si le FBI ne nous met pas trop de bâtons dans les roues, ce midi vous devriez être libre. Par contre, nous allons devoir faire un point précis sur votre affaire. - Aucun problème, vous savez où me trouver. En fin de matinée, Kevin devait avoir une visioconférence avec le professeur Brandenberger. Il avait organisé cet entretien au dernier moment, dans la précipitation. La biologiste voulait lui montrer le résultat de ses recherches sur le virus. Les réticences du début avaient fait place à un réel désir d’apprendre ce que la biologiste avait bien pu découvrir de si extraordinaire. Kevin désirait emmagasiner un maximum d’informations, car ses expérimentations de la nuit passée lui avaient laissé un arrière-goût d’incompréhension. Quelque chose lui échappait et il sentait qu’il n’arriverait pas à trouver tout seul la solution. Lorsqu’il pénétra dans la salle de conférence, l’écran mural au fond de la pièce affichait l’image d’un laboratoire d’analyses. Au premier plan, un bureau recouvert d’un amoncellement de papiers, livres, stylos et autres babioles. La qualité de la vidéo n’était pas excellente, mais bien suffisante pour ce qu’il allait en faire. Tout à coup, une femme d’une cinquantaine d’années entra dans le champ de l’objectif. Elle s’installa derrière son bureau. En voyant le retour d’image affichée sur son écran d’ordinateur, elle salua son interlocuteur. - Bonjour, je suppose que vous êtes monsieur Klein ? - Et vous le professeur Brandenberger ? - Je suis désolée pour cette installation archaïque, reprit Barbara, mais je n’ai pas réussi à libérer notre salle de conférence habituelle. Il faudra vous contenter de cette webcam pour aujourd’hui, ajouta-t-elle en approchant un doigt qui apparut anormalement disproportionné sur écran. Vous m’entendez bien ? demanda-t-elle en tapotant le microcravate qu’elle avait attaché à sa blouse. - Je suis tout ouïe, répondit Kevin avec amusement. Alors, qu’avez-vous pour moi ? - Avant de vous présenter le résultat de mes recherches, j’aurais une question à vous poser… Avez-vous une quelconque idée sur la provenance de votre virus ? - Pour être tout à fait honnête avec vous, j’ai été en contact avec le FBI sur cette affaire et nous pensions avoir trouvé l’auteur de ce virus. Après - 286 - avoir effectué toute une batterie de tests depuis hier soir, je suis de plus en plus sceptique. La biologiste tapota sur son clavier d’ordinateur pour afficher une image représentant une série de schémas tous plus abstraits les uns que les autres. Elle les transféra à son correspondant grâce à son logiciel de vidéoconférence. - Comme je suppose que vous avez fait toutes les vérifications possibles et inimaginables sur les données que vous m’avez envoyées, je me suis concentrée sur mon domaine : la biologie. Le premier schéma que vous devez voir représente une structure moléculaire d’atomes tout ce qu’il y a de plus classique. Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais pour faire simple, en appliquant ces données à ce genre de représentation, voilà ce que ça pourrait donner. Elle cliqua sur le schéma suivant représentant un agglomérat incroyable de boules rouges, bleues et quelques blanches plus petites. - Malgré mon expérience dans ce domaine, je peux vous certifier que ce que vous avez à l’écran ne représente absolument rien de connu sur Terre. En voilà un autre exemple, puis un troisième… - OK, siffla Kevin qui ne voyait pas où cela allait l’emmener. Qu’est-ce que je dois comprendre ? finit-il par demander. - Ne soyez pas impatient, reprit Barbara. J’ai travaillé de longues heures pour arriver au résultat que je vais vous présenter, alors laissez-moi le temps de vous exposer ma démarche… Elle réfléchit une seconde, chargea un nouveau schéma à l’écran, marmonna une parole puis afficha finalement un tableau bicolore. - Bon, comme vous m’avez contrariée, on va tâcher d’en finir au plus vite. - Non, non ! lança Kevin gêné d’avoir égratigné la sensibilité de la biologiste. Ça n’était pas mon intention, mais vous m’excuserez d’être parfois un peu direct, car je n’ai pas beaucoup de temps à vous accorder. J’ai une réunion dans quelques minutes et je ne voudrais pas être obligé de reporter à nouveau cet entretien. - De toute façon, j’ai également beaucoup de travail. Alors, voilà où j’en suis arrivé à la suite de multiples tests. Le seul moyen pertinent de voir si les données que vous m’avez envoyées sont du domaine de la biologie était de les injecter dans nos différents logiciels d’analyse. Que ce soit de la biologie standard, biologie moléculaire, biochimie, bactériologie et j’en passe, le résultat a été identique à chaque tentative : possible, mais - 287 - étrange !!! En conséquence, même si votre virus reste théoriquement plausible, il est inconcevable qu’il s’agisse d’un élément naturel terrestre. - Vous voulez dire qu’une fois injectées dans vos programmes, les séquences de codes vous donnent tout de même des résultats ? - Oui, répondit Barbara, à condition que vous soyez prêt à révolutionner la nature elle-même. Regardez ce dernier tableau, il nous représente un séquençage ADN. C’est en quelque sorte la carte d’identité de tout être animal, végétal, viral ou bactérien. Pour l’homme par exemple, cela correspond à une encyclopédie de 400000 pages de codes. Maintenant, si je me focalise sur un brin en particulier, son codage informatique nous montre des séquences répétitives bien définies. C’est cela que nous appelons l’ADN. - J’avais vu ça, répondit Kevin, sans vraiment en comprendre la raison. Ce qui est étrange dans notre cas, c’est que nous retrouvons cinq valeurs au lieu de quatre. - C’est ce qui m’a posé quelques difficultés, reprit la biologiste. Effectivement, l’ADN est codé sur quatre valeurs : A, C, G et T. Ici nous avons les chiffres 1, 3, 5, 9, 11. Je pense que vous avez constaté qu’il s’agit des cinq plus petits nombres premiers ? - Tout juste ! J’ai même fait des tests pour voir s’il y avait un rapport avec les suites mathématiques les plus connues, sans résultat, répondit Kevin. - Après avoir tâtonné, fait quelques approximations à cause de ce format atypique, j’en suis arrivé à ceci. Barbara afficha un nouveau schéma représentant des hexagones avec des lettres à chaque sommet. - Autant vous le dire tout de suite, ça n’a rien de commun avec ce qu’on trouve sur Terre. Je reste toutefois fortement intriguée par l’étrange ressemblance que l’on constate avec des organismes bactériologiques remontant à la préhistoire. La conclusion que je tire de tout cela est que votre virus n’en est pas un. Je pense qu’il s’agit d’une sorte de trace informatique d’un organisme inconnu qui pourrait provenir de l’espace ! - Vous me faites marcher ? demanda Kevin avec un soupçon de méfiance. - Vous vouliez mon avis, je vous le donne, répondit Barbara. Avez-vous eu un problème avec une des navettes ces jours-ci ? - 288 - - Je ne sais pas, bredouilla-t-il. Je ne m’occupe pas des checkups d’après mission. On ne m’a pas sollicité pour en contrôler une en particulier. Pourquoi cette question ? - Une intuition. Imaginez qu’une de vos navettes rentre en contact avec un fragment de météorite contenant un organisme bactériologique ultra résistant. Les bactéries s’accrochent à la carlingue, et finissent par se retrouver sur les combinaisons des astronautes, ou sur les gants d’un technicien qui inspecte l’état du fuselage. - Nous avons des procédures de décontamination strictes, coupa Kevin qui comprenait où elle voulait en venir. - Je m’en doute et ça paraît assez surréaliste qu’une telle chose puisse arriver. Rien que l’entrée en atmosphère grille la plupart des organismes vivants. Ce que vous avez là est peut-être le fantôme informatique d’une entité inconnue. Imaginez un champ électrostatique ou magnétique qui rentrerait en contact avec une de vos fusées. Des particules se déposent sur les instruments et reviennent tranquillement sur Terre lors de l’atterrissage. Mieux encore, continua Barbara prise sur sa lancée, un organisme évolué composé de particules électriques est attiré par une navette et trouve tout un réseau de câbles et d’appareils qui l’empêchent de mourir dans l’espace intersidéral. À la place d’un tel phénomène, vous feriez quoi ? Vous vous accrocheriez à ce qui vous permettrait de survivre dans de meilleures conditions. C’est ce que font tous les organismes vivants. Vous vous dénichez un petit cocon le plus douillet possible jusqu’à ce qu’une porte s’ouvre et vous donne accès à un lieu plus confortable. - Vous avancez que le virus informatique auquel nous avons affaire depuis quelques jours serait en réalité un organisme plus ou moins électrique venu de l’espace ? Vous plaisantez, ma parole ? - C’est la seule explication plausible que je vois, répondit la biologiste qui se rendait compte de l’absurdité de son postulat. Ça peut vous sembler être de la démence, mais sachez que ce genre de chose est déjà arrivé. Nous avons récupéré à plusieurs reprises des bactéries vivantes extra-terrestres. Par malchance, aucun spécimen n’a encore réussi à traverser l’atmosphère sans dommage irrémédiable. D’ailleurs, une théorie qui est partagée par plusieurs scientifiques de renom indique que la vie sur Terre vient de l’espace. Lorsque la surface de la planète s’est suffisamment refroidie après le big-bang initial, les premières cellules bactériennes seraient apparues avec les multiples météorites qui se sont - 289 - écrasées sur le globe. Tout cela se passe sur des millions d’années, mais toute cette soupe d’organismes se serait acclimatée aux conditions de l’époque pour évoluer et devenir des êtres unicellulaires. Cette fois-ci, nous sommes confrontés à quelque chose d’inédit, une sorte d’entité électrique évoluée. Le but primaire de tout organisme est sa survie puis sa reproduction. Imaginez tout un réseau de câblages de cuivre à conquérir. Que feriez-vous à la place de cette chose ? Vous en profiteriez juste qu’au nirvana absolu ! Kevin réfléchit quelques secondes pour tenter d’ingérer cette théorie saugrenue. Il remercia la biologiste et lui promit de la recontacter s’il avait des questions supplémentaires. En réalité, il ne savait pas quoi penser de cette femme. Était-elle sérieuse ? Croyait-elle vraiment en ces spéculations scientifiquement très discutables ou encore n’était-elle pas complètement aliénée ? Il avait réellement de quoi s’interroger. CHAPITRE 65 Élisabeth McCarthy présenta une ultime fois sa requête au rédacteur en chef du journal. Avec le support des photos compromettant Anthony Alessandro, elle était persuadée que son histoire tenait la route et qu’elle obtiendrait le scoop de sa vie : à savoir l’inculpation du terroriste présumé dans cette affaire de virus informatique. Son chef prit les deux clichés qu’elle lui tendait, les examina longuement en vérifiant à de multiples reprises certains détails. Après s’être collé le nez sur le papier, il lui rejeta les feuilles d’un air dégoûté. - Tu t’es fait berner ma vieille ! Ce sont des photomontages grossiers. N’importe quels spécialistes te le diraient du premier coup d’œil. - Tu te fous de moi ! Je sais que ce sont des photos de caméras de surveillance et que la qualité n’est pas extraordinaire, mais quand même… - Rapporte-moi les films montrant ton gaillard en action et là, je balance ton scoop dans les gros titres du jour. Sur ces bonnes paroles, il quitta la journaliste qui n’en revenait toujours pas de l’habitude négative de son patron. « Plus frileux que lui, tu meurs », pensa-t-elle. - 290 - La matinée touchait à sa fin lorsque Jessica Jones-Smith arriva avec un gardien devant la cellule de Tony. L’homme de loi ouvrit la porte et lui fit signe de déguerpir. L’avocate l’attendait dans le couloir, le regard absorbé par le dossier qu’elle parcourait. Tony s’approcha et lui posa la seule question qui l’angoissait depuis quelques heures. - Merci d’avoir fait si vite. Que va-t-il se passer maintenant ? - Vous allez être jugé pour les faits qui vous sont reprochés dans deux ou trois jours. Dans cette attente, je vous conseille de vous mettre au vert. - Vous pensez que je vais pouvoir retourner travailler ? demanda-t-il d’un air innocent. - Je serais étonné que votre employeur soit d’accord, du moins tant que vous n’avez pas été pleinement acquitté, ce dont nous allons nous occuper dès cet après-midi. Pour le moment, rentrez chez vous, prenez une douche et reposez-vous. Nous nous retrouverons à nos bureaux vers seize heures. - Très bien, merci encore Madame… - C’est Mademoiselle, mais appelez-moi Jessica, ce sera plus simple lui répondit-elle d’un air malicieux. - Moi, c’est Anthony ou Tony pour les intimes, reprit-il un sourire éclatant sur le visage. - J’écoute, annonça Kevin à son interlocuteur ! - Monsieur Klein, ici c’est le centre de contrôle. Nous faisons face à un problème qui requiert votre présence immédiatement. - Qu’est ce qu’il y a ? demanda Kevin d’un air renfrogné. - Venez s’il vous plait. L’homme raccrocha sans plus de détails. Kevin aurait probablement traîné les pieds si la voix du chef de mission n’avait pas trahi une réelle angoisse. Il sécurisa son laboratoire avant de le quitter, une habitude qu’il avait gardée et qui ne le lâcherait sûrement plus. La peur d’intrusions diverses, de piratages informatiques et bien d’autres choses encore le hantaient depuis les années où il avait travaillé pour le gouvernement. En arrivant au centre de contrôle, il constata une effervescence inhabituelle. Le directeur Johnson était également dans la place, en pleine conversation avec les différents responsables de services. Lorsqu’il vit Kevin pénétrer dans la salle, il lui fit signe de les rejoindre. - 291 - - Nous avons un problème, lui dit-il de but en blanc. Lors de la dernière mission, nous avons détecté sur les radars une espèce de forme gazeuse assez insolite. Cela s’est produit juste avant l’entrée de la navette en atmosphère. Nous ne savons pas comment c’est arrivé, mais cet amas de poussière est entré en contact avec notre fusée. Par la suite, nous avons passé au crible l’ensemble des appareils sans rien trouver. Il y a une dizaine de minutes environ, nos radars ont à nouveau découvert le même phénomène. - Permettez monsieur le directeur, le coupa le capitaine Shepard. Je faisais partie de la mission précédente et je peux vous raconter avec exactitude ce que nous avons vécu. Lorsque nous avons détecté la présence de cet étrange phénomène, nous n’y avons pas prêté plus d’attention dans un premier temps. Au bout de quelques heures, nous avons remarqué que cette chose se rapprochait de nous à très grande vitesse. Après un changement de cap qui devait nous éviter tout contact, nous avons constaté avec angoisse que le phénomène nous poursuivait littéralement, comme attiré par la chaleur de nos réacteurs ou quelque chose dans le genre. Quand l’impact a eu lieu, je vous avoue que j’ai bien cru ma dernière heure arrivée. Seulement, il ne s’est rien passé. - Comment ça ? demanda Kevin. - C’est comme si vous étiez en avion et aviez traversé une couche nuageuse. - Vous voulez dire que vous avez « traversé » cet amas gazeux et fin de l’histoire ? Vous n’avez constaté aucune réaction de quelque nature que ce soit ? - Il y a tout de même un détail qui peut avoir son importance dans de telles circonstances, reprit Shepard. Nous avons eu droit à un courant d’électricité statique qui a parcouru le tableau de bord un bref instant. Nous avons aussitôt fait un check-up complet des systèmes, mais tout était correct. Un silence s’installa entre les convives, laissant à Kevin le temps d’emmagasiner ces nouvelles informations. Les minutes étant comptées, le directeur coupa cet instant solennel. - Que doit-on faire cette fois-ci ? - Je ne sais pas, répondit Shepard. La situation n’est pas tout à fait identique pour le moment, mais j’ai vu comment cette chose réagit, et il vaut mieux tout prévoir. - 292 - - Qu’est ce que vous sous-entendez ? demanda Kevin qui ne comprenait plus ce qui se passait. Vous venez de dire que vous avez détecté le même phénomène, et maintenant vous annoncez que c’est différent ! - Nous avons repéré cette poche de gaz bien plus loin cette fois-ci, répondit un responsable des transmissions arborant une allure militaire. Nous avons une série de télescopes d’observation qui scrutent à la loupe notre espace voisin. Mais cela n’est pas censé se savoir, avoua-t-il à demi-mot. C’est classé « Secret Défense » et vous n’êtes pas autorisés à en parler à l’extérieur de ces murs ! Durant la mission du capitaine Shepard, ce phénomène était suffisamment proche de nous pour être détecté par nos satellites habituels. On ne sait toujours pas d’où il venait, mais nous pensons que c’était quelque part derrière la face cachée de la Lune. C’est peut-être une collision d’un astéroïde avec une planète qui a engendré cette poche gazeuse, nous ne sommes sûrs de rien. Quoi qu'il en soit, aujourd’hui, c’est l’un de nos satellites relais en orbite autour de Mars qui nous a renvoyé des images similaires. - Mais autant vous le dire tout de suite, ajouta Shepard, les choses peuvent évoluer très rapidement si nous avons à faire au même phénomène ! À cet instant, un technicien excité appela le chef de mission. Il faisait de grands gestes en indiquant un écran en particulier. Le groupe se dirigea vers l’homme qui continuait de montrer une représentation spatiale des objets présents dans notre système solaire. Le capitaine Shepard ne put se retenir et lâcha un juron. Ça recommence... - Regardez, fit-il à l’attention de ses collègues, ça nous fonce droit dessus ! Il se passe exactement la même chose qu’à la dernière mission. - C’est incroyable, ajouta le technicien surexcité, nous venons de positionner un satellite d’observation sur cette anomalie. Les premières analyses que nous recevons depuis quelques minutes montrent que nous avons à faire au même phénomène. Soudain, la « chose » disparut des écrans de contrôle. Elle s’était volatilisée comme par magie. Les ingénieurs s’affairèrent à leurs pupitres pour retrouver la trace de la couche gazeuse. Après quelques longues secondes, l’un d’eux indiqua son incompréhension totale. - Kevin ! continua le directeur, j’aimerais que vous effectuiez un checkup complet des systèmes informatiques de la navette de la précédente - 293 - mission. Je veux savoir ce qui s’est passé pour déterminer à quels risques nous nous exposons. - Très bien, répondit l’informaticien. Mais tenez-moi au courant pour cette histoire, ajouta-t-il en montrant l’écran. Je ne peux pas vous l’expliquer en deux mots, mais j’ai le pressentiment que tout cela est peut-être lié avec notre affaire de virus. Il sortit de la salle de contrôle avec une idée saugrenue en tête. Il n’arrivait pas à imaginer qu’il pensait qu’une telle chose soit possible, et pourtant… Après avoir pris la biologiste pour une illuminée, adepte des petits hommes verts, sa raison se battait contre la réalité. « Et si elle avait vu juste ? se demanda-t-il intérieurement. Si c’était une sorte de phénomène électrique ou magnétique qui était capable de ressentir son entourage ! Une sorte de virus que l’instinct de survie attirait inexorablement vers la proie la plus proche ! » Plutôt que de fomenter des théories abracadabrantes, il préféra se concentrer sur l’action à mener : à savoir contrôler la navette de fond en comble. Il quitta les bureaux de la NASA en voiture pour se rendre près du pas de tir, à quelques kilomètres de là. Il faisait encore très chaud en cette fin de matinée, et en longeant les marais de Houston, il pensa à Sarah. La radio diffusait les vieux classiques qu’il adorait et qui lui rappelaient son adolescence, les plus belles années de sa vie. Durant quelques minutes, il conduisit à l’instinct, l’esprit bloqué sur les Seventies. Ce n’est que lorsque la musique laissa la place à une publicité des plus ridicules qu’il recentra sa concentration sur sa conduite. Il débarqua près des hangars spécialement aménagés par la NASA pour la remise en service des navettes. Le gardien le regarda sous toutes les coutures, ne comprenant pas comment quelqu’un de son statut pouvait avoir un badge lui laissant un accès total au complexe. Après une petite minute d’attente, Kevin eut le feu vert et se dirigea vers l’entrée de l’immense bâtiment. Un deuxième homme de surveillance vérifia la validité de ses accès avant de lui permettre de pénétrer dans les lieux. La NASA ne plaisantait pas avec la sécurité, ce qui le rassura malgré une pointe d’énervement naissante ! Tony avait quitté les locaux du FBI peu avant l’heure du déjeuner. Son avocate Jessica Jones-Smith avait fait de l’excellent travail, et elle désirait ardemment continuer sur sa lancée en minimisant au maximum les faits - 294 - qu’on lui reprochait. Le lien personnel que son client entretenait avec son chef pouvaient lui ouvrir les portes d’une éventuelle promotion au sein du cabinet. « Sortir un ami du patron des griffes de la justice, c’est ce qu’il y a de mieux pour ma carrière », pensa-t-elle. Tony récupéra sa Corvette sur le parking du FBI, où un agent pas mécontent de sa prise l’avait garée, non sans en avoir profité au passage. Il rentra chez lui avec une seule et unique pensée en tête : retourner au travail pour expliquer le malentendu à son patron. Il déjeuna rapidement, prit une longue douche pour effacer les traces physiques et morales de sa nuit en cellule, se changea en se demandant s’il devait laver ses vêtements sales ou les détruire à jamais. En fin d’après-midi, le retour à son poste ne se passa pas comme prévu. Il avait eu le temps de mettre au point un discours à l’intention du directeur Johnson et de Kevin, mais ni l’un ni l’autre n’était dans leur bureau respectif. Tony effectua une rapide vérification des systèmes, regarda le planning général pour voir s’il n’avait pas loupé un évènement quelconque, puis lu ses messages. Après quelques minutes de solitude, il eut l’étrange pressentiment qu’il se passait une chose inhabituelle au centre. Au travers les vitres extérieures de la pièce, il remarqua plusieurs véhicules militaires banalisés qui étaient trahis par les plaques d’immatriculation spécifiques. La visite d’officiels de l’armée n’était plus aussi fréquente qu’à une certaine époque, ce qui lui mit la puce à l’oreille. Il prit le parti de jouer les touristes et se promena dans les différents services du complexe, jusqu’à avoir des échos de ce qui se tramait en salle de contrôle. Il pénétra dans la pièce sans se faire remarquer, les personnes présentes étant trop occupées à gérer la crise. Tony resta à l’écoute pendant quelques instants, scrutant les écrans en essayant de comprendre ce qui pouvait attirer autant de hauts gradés. Lorsque le directeur le repéra enfin, il lui fit un signe annonçant qu’il désirait s’entretenir avec lui. Tony alla le rejoindre dans un coin plus tranquille de la salle. Il commença par s’excuser pour leur avoir fait faux bond depuis quelques heures, en jurant tous les Dieux que le FBI avait commis une erreur sur son compte. Jack Johnson le regarda longuement, pesant le pour et le contre, puis se lança : - Je ne sais pas ce que les fédéraux vous veulent et pour l’instant ce n’est pas important. Ce qui compte, ce sont nos hommes là-haut, dit-il en désignant du doigt un écran montrant la trajectoire de la navette. Nous avons une situation de crise ici, et il est hors de question que nous - 295 - perdions un autre équipage, pas tant que je serai aux commandes de la NASA. Le discours était solennel, empli de bonne volonté, mais Tony reconnut avant tout de la peur dans sa voix. Le directeur Johnson avait jusqu’à présent mené sa barque avec succès, il avait réussi à redorer le blason d’un centre spatial en pleine déconfiture vis-à-vis du public. Les missions échouant les unes après les autres, les millions de dollars gaspillés en pure perte, avaient fini par dégouter les contribuables. Jack Johnson avait été engagé pour endiguer cela. Il en avait eu les moyens, et avait parfaitement rempli sa tâche. Mais un petit grain de sable pouvait tout remettre en question. Le public pardonnait volontiers certains échecs, mais avalait difficilement la pilule lorsqu’il fallait mettre la main à la poche. L’argent était toujours le nerf de cette guerre. Tony acquiesça ces bonnes paroles et demanda comment il pouvait se rendre utile dans ces circonstances. - Il faut que vous vous replongiez dans les enregistrements de la dernière mission. Vérifiez toutes les données, tout ce qui pourrait nous servir pour éviter de revivre cela. Et fait vite s’il vous plait. - Je suis déjà parti, reprit Tony un rien espiègle. Sarah et Don avaient de leur côté un rendez-vous improvisé avec le fameux cousin de Tony : Mauricio Moretti. La standardiste leur avait admis qu’il était présent dans les locaux de la fondation, au moins pour la journée en cour. Les deux agents le trouvèrent effectivement à son poste d’homme à tout faire, mais furent surpris de le voir en costume trois-pièces, au lieu d’un bleu de travail. Les questions fusèrent de toutes parts, mais Mauricio avait retenu les leçons de ses précédentes arrestations. Il ne dirait rien sans la présence de son avocat, c’était la règle de ses employeurs dans de pareilles circonstances et il comptait bien l’observer. L’entretien improvisé fut tendu, mais courtois. Sarah employa toutes les méthodes d’interrogatoire qu’elle connaissait, mais il restait de marbre. Il répondait évasivement aux questions sans intérêt et sortait son couplet sur sa demande d’avocat pour le reste. Les deux agents avaient eu carte blanche de la part d’Herbert Hoover sur cette affaire, mais le système judiciaire finirait tôt ou tard par refaire surface. Ils ne désiraient pour rien au monde qu’un coupable présumé s’en sorte à cause d’un vice de procédure. Le cousin ne leur apprit absolument rien d’intéressant, et comme ils n’avaient pas suffisamment de preuves - 296 - pour le mettre en garde à vue, ils abdiquèrent et rentrèrent bredouilles. Don fulminait intérieurement. Son côté « rentre-dedans » l’avait démangé durant l’interrogatoire. Sarah avait préféré prendre le volant en voyant l’état d’excitation de son collègue. Elle non plus n’était pas satisfaite de l’entrevue, mais ils n’avaient pas le choix. Si Mauricio Moretti était lié de près ou de loin à une quelconque affaire, elle réussirait à le prouver et le coffrer. CHAPITRE 66 Dans le hangar réservé à la maintenance des navettes, Kevin s’activait pour finaliser ses tests. Le directeur de la NASA l’avait déjà contacté à deux reprises depuis son arrivée sur les lieux. Le chef de mission était de plus en plus nerveux concernant son équipage arrimé à bord de la station orbitale internationale. Il ne savait pas comment gérer la situation et quelles décisions prendre avec aussi peu d’éléments concrets. Tous les satellites disponibles étaient focalisés sur le phénomène gazeux, repéré quelques heures plus tôt. Les dernières informations n’étaient pas rassurantes, la chose se rapprochait des astronautes à une vitesse vertigineuse. Kevin sentit une fois de plus son téléphone portable vibrer dans sa poche. Malheureusement pour lui, le signal capté dans l’entrepôt n’était pas assez puissant pour être audible. Il devait à chaque appel sortir du cockpit de la navette qu’il était en train de contrôler, puis faire quelques pas en direction de l’ouverture la plus proche. Ce petit cinéma commençait à l’agacer sérieusement. Dérangé toutes les dix minutes, il n’arrivait pas à réaliser ses tests dans de bonnes conditions. Un groupe de techniciens finissait son inspection de l’engin avant de donner son accord pour la mission suivante. Lorsqu’ils virent Kevin descendre de la fusée pour la énième fois, les plaisanteries fusèrent à nouveau. À leurs yeux, il avait la parfaite attitude du mari soumis aux ordres d’une femme ultra possessive qui désirait connaître les moindres faits et gestes de son homme. Ses responsabilités étant bien supérieures aux leurs, il était dans l’obligation de répondre à chaque appel, au cas une urgence prioritaire se présenterait. Le directeur Johnson s’excusa à demi-mot de le déranger une nouvelle fois, mais la situation qu’il rencontrait au centre spatial exigeait une prise de décision immédiate. Malgré les pressions exercées sur le moment, il ne pouvait - 297 - négliger aucune donnée susceptible d’orienter les choix qui s’offraient à lui. - Avez-vous fini vos tests ? demanda-t-il sur un ton nerveux. - Il me reste plus que la console principale à vérifier, Monsieur, mais je n’arriverais jamais à finaliser mes analyses si vous ne me laissez pas le temps physique de les réaliser ! - Je suis désolé, mais c’est la guerre ici !!! Avez-vous trouvé quoi que ce soit d’intéressant pour le moment ? - Absolument rien. Comme je vous le disais il y a une demi-heure, la navette a été décontaminée à son retour sur Terre, comme le reste des équipements. Ensuite, les systèmes ont été purifiés en même temps que notre réseau informatique lorsqu’on a découvert le virus. Jusqu’à présent, tout est normal. J’en aurais terminé dans une vingtaine de minutes. Kevin entendit soudain un technicien l’appeler. La tête passée au travers de la porte d’accès à la fusée, il essayait tant bien que mal d’attirer son attention. - Excusez-moi, Monsieur, mais il semble qu’un des techniciens veut me dire quelque chose. Kevin fit un signe d’interrogation en direction de l’homme en blouse blanche. - Il y a un gros message rouge qui clignote sur votre ordinateur. - Ça dit quoi ? - « Appuyer sur une touche pour finaliser l’analyse » ou un truc dans le genre, il faut faire quoi ? - « Devine gros malin », pensa Kevin pour lui-même. Et bien, il me semble qu’il serait judicieux d’appuyer sur une touche mon ami, fit-il ironiquement. - C’est ce que j’ai fait, mais la phrase revient automatiquement. Kevin réfléchit une seconde, visualisant mentalement le code du programme qu’il avait écrit quelques jours plus tôt pour déterminer dans quel cas ce message pouvait apparaître. - C’est normal, répondit-il. La connexion à la console ne doit pas être active. Branchez le câble réseau au petit boîtier à côté de mon portable et réessayez à nouveau. - OK, lança l’autre sans réelle motivation. - 298 - - Désolé Monsieur le Directeur, reprit Kevin. J’ai demandé un peu d’aide aux techniciens présents sur le site, car tout seul, j’y serais encore dans une semaine. Si seulement Tony était là, ça irait plus vite. - Il est revenu, coupa son supérieur, mais je lui ai confié une autre tâche à accomplir. Je ne peux pas vous l’envoyer pour l’instant. Et puis, tant que cette affaire avec la justice n’est pas totalement réglée, je préfère l’avoir à l’œil. - Voyons Monsieur, c’est de Tony que nous parlons. Je ne peux pas imaginer une seconde qu’il soit impliqué dans tout ça, d’une manière ou d’une autre. - Moi non plus ! renchérit Jack Johnson. Dans le doute, je ne veux prendre aucun risque. Bon, je vous laisse terminer, mais essayez de revenir aussi vite que possible. Kevin raccrocha puis remonta à bord de la navette avec une pression supplémentaire sur les épaules. Il devait finaliser son diagnostic en quatrième vitesse, puis retourner au centre de contrôle pour aider ses collègues à gérer la crise qui s’amorçait. Il grimpa quatre à quatre les marches de l’escalier d’accès au cockpit, et se faufila tant bien que mal jusqu’à la console principale contenant les équipements informatiques les plus importants. Il avait gardé le plus compliqué pour la fin, ce qu’il commençait à regretter vu les évènements. Il jeta un regard sur l’écran de son ordinateur portable, le test de dépistage du virus était pratiquement terminé. Soudain, un frisson glacial le traversa de part en part. Il faillit sentir ses jambes se dérober sous son poids. Le technicien avait branché la console directement à son portable, sans passer par le boîtier de filtrage que Ronald Richardson lui avait fabriqué. Il vit un cataclysme s’abattre sur lui en un centième de seconde. Comment avaitil pu faire une telle erreur ? Il s’entendit à nouveau dire au type de connecter la console au boitier et non pas à son portable. Il finit par hurler son désarroi, ne voyant pas comment se sortir de cette situation simplement. Si le tableau de bord de la navette était infecté par le virus, il était assuré d’avoir contaminé tout le complexe au travers de la connexion de son ordinateur. Pour pouvoir accéder aux données présentes sur les serveurs de la NASA, il avait été contraint de relier son PC via un câble filaire. N’ayant pas de liaison sans fil à disposition, c’était l’unique solution qu’il disposait. Ses multiples interruptions téléphoniques avaient fini par lui faire oublier ce détail, au combien insignifiant dans d’autres circonstances. Kevin retrouva son sang-froid - 299 - en tentant de se rassurer sur le fait que la navette avait été analysée de fond en comble à son retour de mission, et que rien n’avait été détecté. Mais cela n’incluait probablement pas le test de ce fichu virus qu’il avait programmé ultérieurement. Le doute l’envahit à nouveau, il finit par arracher de fureur le câble de connexion. Il hurla après le technicien pour le faire venir à lui. L’homme se montra quelques secondes plus tard en se demandant ce que Monsieur l’ingénieur en chef lui voulait encore ! Le mépris commençait à s’afficher sur son visage lorsqu’il arriva au poste de pilotage. - Quoi ? Kevin désigna le boîtier sans rien ajouter. - Ah, c’était ça ! Il fallait le dire. Voyant la mauvaise foi dans le regard vide de son interlocuteur, l’informaticien finit par laisser tomber la tirade bien sentie qu’il lui réservait, et lui annonça simplement qu’il n’aurait désormais plus besoin de ses services. Le technicien s’en retourna sans demander son reste. Après tout, ce n’était pas son boulot et il n’avait rien à y gagner, sinon des ennuis supplémentaires. Une sonnerie retentit subitement, ce qui ramena Kevin à la réalité de l’instant. Son ordinateur venait de terminer l’analyse d’une partie des instruments de la console de bord. Le résultat lui coupa les jambes une nouvelle fois. Son logiciel avait détecté la présence du virus ! Kevin se laissa presque tomber au sol. Tout cela prenait une tournure cauchemardesque. Son esprit galopait à grande vitesse, lui montrant inconsciemment tout ce qui découlait d’une telle erreur. Il allait avoir du travail pour plusieurs jours pour décontaminer le réseau de cet entrepôt, puis vérifier quelles conséquences cela pouvait avoir sur le reste des installations de la NASA. Avec un peu de chance, le phénomène resterait local, mais son intuition lui criait le contraire. Un profond découragement l’envahit, il se figea durant une bonne minute, le regard dans le vide et le cerveau en pause. Les vibrations de son téléphone portable eurent l’effet d’un électrochoc. Il regarda le cadran d’affichage. C’était à nouveau le centre de contrôle qui l’appelait. Il appuya sur un bouton qui bascula automatiquement l’appel sur la messagerie. Il n’avait pas le cœur à répondre, il fallait tout d’abord qu’il évalue les dégâts. Quelques instants plus tard, une sonnerie caractéristique fut émise, indiquant que l’interlocuteur avait laissé un message. Sa conscience professionnelle fut plus forte que son découragement. Il ressortit une ultime fois de la navette pour l’écouter. - 300 - Tony lui faisait savoir qu’il était à nouveau dans la partie et prêt à lui donner un coup de main, le cas échéant. « Enfin du renfort » pensa Kevin. Il le recontacterait le moment venu. Dans un premier temps, il devait assainir son ordinateur portable pour pouvoir recommencer ses analyses. Il exécuta le programme miracle à partir d’un CD-ROM de sa conception et patienta quelques instants. L’attente était insoutenable, le pourcentage d’avancement semblait extrêmement lent, comme souvent dans ces conditions. Kevin n’avait aucune illusion quant à la suite des évènements, et se préparait mentalement aux actions à mener. Lorsque l’écran afficha enfin les 100%, le résultat stupéfia une nouvelle fois l’informaticien. Décidément, il n’avait pas affaire à un virus classique, car le test s’avéra négatif. Il s’affaissa de tout son poids sur le siège du pilote, complètement dépassé par la réalité des choses. Cette affaire allait finir par lui faire perdre son latin. Tout ce qu’il savait et pensait immuable sur le fonctionnement d’un ordinateur, sur les réseaux ou la téléphonie, était en train de sombrer dans le néant. C’était totalement impossible, son PC ne pouvait pas être sain. Les tests qu’il avait effectués au début de cette affaire avaient tous montré le même résultat, quelle que soit la manière dont ils avaient été exécutés. Dès qu’un matériel de stockage était connecté physiquement à un autre contaminé, la propagation était immédiate. Il pratiqua une ultime vérification avant de remballer tout son attirail et quitter les lieux. Il sortit de la navette en ayant un geste d’adieux aux techniciens qui le regardèrent s’en aller comme il était venu. La collaboration avait été compliquée entre eux. Kevin avait pourtant réalisé de gros efforts pour paraître leur égal, mais il représentait le haut du panier à la NASA et cela suffisait pour que les mécaniciens limitent au maximum leur aide. « Adios les débilos » pensa Kevin qui n’était finalement pas malheureux de partir. Les hangars de maintenance des fusées étaient des zones qu’ils n’appréciaient décidément pas. Malgré la haute technicité des engins, cela restait un garage à navettes où grouillaient des techniciens de tout niveau. Cette fois-ci, Kevin avait eu droit à une belle brochette d’incompétents. Sur le chemin du retour, il en profita pour appeler son jeune collègue. Les explications furent brèves, car Tony se contenta de lui dire que toute cette histoire n’était qu’une regrettable erreur judiciaire et qu’il était innocent des faits reprochés. Kevin lui expliqua rapidement ce qu’il venait d’observer et lui demanda des nouvelles du centre de contrôle. La - 301 - situation n’était pas encore critique, mais prenait une tournure qui inquiétait tout le personnel présent. En prime, le directeur lui avait assigné la mission de décortiquer les enregistrements du vol précédent. Jusqu’à présent, il n’avait rien trouvé d’anormal et doutait d’obtenir un quelconque résultat. CHAPITRE 67 - Sarah, il faut qu’on se voie, annonça Kevin au moment où il franchissait la barrière de sécurité de la NASA. J’ai de nouvelles informations qui pourraient faire avancer l’enquête. Seulement avant cela, j’ai un coup de fil à passer pour éclaircir certaines choses. - OK, répondit-elle sans avoir le temps d’ajouter quoi que ce soit. - Je vous rappelle tout à l’heure. - Don ! Je viens d’avoir Kevin Klein, annonça Sarah. Il semble avoir du nouveau sur l’affaire. En attendant, il serait peut-être bon que nous fassions un point précis sur toute l’enquête, parce qu’elle commence à prendre une drôle de tournure. - J’organise ça, répondit son coéquipier. Quelques minutes plus tard, les deux agents se regroupèrent dans la salle de réunion, avec leur chef Francis Fitzgerald, le responsable du dossier Herbert Hoover, et les deux techniciens de l’agence : Tom Tates et Jerry Jones. - Voilà ce que nous avons jusqu’à présent, commença Sarah. Il y a une semaine, le directeur de la NASA nous demande d’enquêter sur une contamination informatique par un virus inconnu. On se rend compte assez rapidement que nous avons affaire à du terrorisme industriel, car deux jours plus tard, des communiqués confirmant cette hypothèse sont parvenus aux plus grandes agences gouvernementales. On nous annonce un black-out total si l’État ne s’acquitte pas d’une somme d’argent assez conséquente. - Cette information est restée confidentielle, ajouta Don. Pour le grand public, ça n’est qu’une histoire de terrorisme industriel. - Dans le cas contraire, continua Sarah, la lettre indique que toutes les infrastructures informatiques du pays vont être détruites par ce virus. - 302 - Elle ne nous apprend absolument rien sur leurs auteurs. Cependant, avec l’aide de Kevin Klein, informaticien de la NASA qui a été le premier à découvrir l’infection, nous arrivons à déterminer qu’une poignée restreinte de pirates peuvent en être les instigateurs. En tête de liste, un certain Harold Hutchinson, alias Henri Durand, semble être le plus apte dans ce domaine. Une opération exceptionnelle est exécutée conjointement entre plusieurs pays pour arrêter ces terroristes d’une nouvelle ère. New York, Londres et Montréal n’ont rien apporté à notre affaire. Par contre, cela nous a permis de mettre un terme à une entreprise de piratage industriel de grande envergure. Même si cette action n’est que temporaire, il faudra quelques mois avant que cette faction refasse surface et retrouve son activité illégale. La quatrième arrestation à Genève a été plus compliquée. Henri Durand, pour une raison que nous ne connaîtrons jamais, s’est enfui lors de notre arrivée et s’est tué dans un accident peu de temps après avoir fait exploser son laboratoire. Malgré une importante déflagration, nous avons été en mesure de récupérer une partie de son matériel informatique. Après une seule journée d’analyse, l’équipement entreposé dans nos locaux a été détruit par un saboteur, toujours inconnu à ce jour. Cependant, cette personne ignorait que monsieur Klein, qui continuait à nous donner un coup de pouce sur cette affaire, avait conservé le téléphone portable d’Henri Durand. Cela nous a permis de découvrir qu’il n’était probablement pas l’auteur de ce virus, mais avait travaillé d'arrache-pied pour trouver le moyen de le contrôler ou l’éradiquer. Ayant tous ces atouts en main, il est envisageable que sa fondation ait voulu bénéficier de cette trouvaille pour frapper un grand coup, et marquer l’opinion publique. Même si nous n’avons à l’heure actuelle aucune preuve concrète de leur implication, ce virus une fois introduit sur le réseau national était une aubaine pour cette fondation qui milite contre l’utilisation abusive de la technologie. Heureusement pour nous, le résultat attendu par ce groupe n’a pas été à la hauteur et le chaos annoncé ne s’est jamais produit. L’enquête sur l’intrusion dans nos bureaux nous a fait découvrir un trafic de claviers d’ordinateurs piratés. Là encore, nous n’avons aucune preuve concrète, mais nos investigations nous ont permis d’identifier Mauricio Moretti, homme à tout faire d’« Avenir Propre ». Nous pensons qu’il faisait le guet lors d’un détournement de marchandises, mais notre entrevue n’a pas eu le résultat escompté. Il faut dire que la fondation emploie un service - 303 - juridique plutôt efficace qui nous laisse très peu de marge de manœuvre. Un dernier point qui reste troublant dans cette histoire, l’implication d’un technicien de la NASA, Monsieur Anthony Alessandro. Cet homme connaissait Harold Hutchinson depuis son enfance. Même s’il n’avait, à priori, actuellement aucun lien avec cette fondation, il pourrait être le maillon manquant dans cette affaire. Il a été arrêté hier soir, mais son interpellation nous a seulement appris qu’il s’était fait embarquer comme chauffeur par son cousin lors de missions douteuses. On n’en sait pas vraiment plus, et il vient d’être libéré sous caution. Son avocat est un des ténors du barreau et il sera difficile d’en apprendre plus avec les méthodes habituelles. Pour pouvoir avancer dans cette affaire, il va nous falloir un sérieux coup pouce du destin. Faute de preuve, on ne peut simplement dire que nous sommes dans une impasse. - Qu’a donné l’étude des fichiers d’Henri Durand ? demanda Herbert Hoover. - Je dois rencontrer Kevin Klein à ce sujet en fin d’après-midi, annonça Sarah. - Ce dont nous sommes persuadés pour le moment, continua Don, c’est qu’il avait découvert le moyen d’endiguer la propagation de ce virus, à moins bien entendu qu’il en soit l’auteur. Monsieur Klein devrait pouvoir nous éclairer à ce sujet. De plus, l’étude de ses dossiers ne nous a rien appris de vraiment intéressant, hormis le fait que notre homme avait mis en place un véritable réseau de surveillance des entreprises les plus influentes de la planète. À l’exception des sites militaires les plus sensibles, il avait des accès dans toutes les structures publiques et privées. Nous ne saurons probablement jamais comment il s’y prenait, mais c’est sûrement le plus grand pirate de l’histoire. - Est-ce qu’on peut faire un lien entre ce piratage de claviers d’ordinateurs, la fondation « Avenir Propre » et Henri Durand ? demanda à nouveau Herbert Hoover. - Pas directement, répondit Sarah. Nous n’avons aucune preuve pour étayer cette théorie, mais il est plus que probable qu’Henri Durand se soit servi de Mauricio Moretti ou d’un autre membre de sa fondation pour détourner des claviers destinés au marché mondial. Les mouchards infiltrés lui donnaient ensuite des accès illimités aux réseaux des entreprises où ils étaient installés. - Nous pensons, avec nos techniciens, reprit Don en montrant Tom et Jerry qui acquiescèrent d’avance, que Durand vérifiait les ventes - 304 - d’ordinateurs pour cibler ses intrusions. J’imagine aisément qu’un homme ayant ses connaissances, pouvait parfaitement savoir par les bons de commandes et de transports, qui achetait quoi et comment c’était livré. Il ne lui restait plus qu’à faire intervenir sa petite bande de voleurs, pour effectuer les échanges de claviers au moment adéquat. Une fois ses mouchards en place, cela lui ouvrait toutes les portes. - Le plan parfait, suggéra le directeur Fitzgerald. Et qu’en est-il de l’intrusion dont nous avons été victimes ? Avez-vous réussi à identifier la personne ? - Là encore, Monsieur, répondit Sarah, nous sommes dans une impasse. Cela dit, si Durand était la tête pensante de toute cette entreprise, cela prouve qu’il n’était pas le seul impliqué. Ses complices ont pris de gros risques pour faire disparaître d’éventuels indices que nous aurions eus en notre possession. Il est désormais évident que notre propre réseau avait été infiltré à l’aide du mouchard retrouvé dans le clavier de monsieur Fitzgerald. Cela a permis à notre suspect d’avoir toutes les informations nécessaires pour venir tranquillement faire son ménage, passez-moi l’expression, et de détruire tout ce qui aurait pu l’impliquer. Henri Durand étant décédé la veille, cela nous laisse au moins un complice à appréhender. L’intrus a usurpé l’identité d’un de nos hommes d’entretien pour pénétrer dans le bâtiment, puis a pris soin de supprimer les vidéos pouvant l’incriminer. Tout ce qu’on sait, c’est qu’il s’agit d’un homme blanc, devant faire 1m80 et peser 80 kg environ. - Autant dire la majorité de la population masculine américaine, conclut le directeur. Pour résumer, nous avons notre suspect principal qui ne pourra jamais s'expliquer, relié à une fondation qui sait très bien protéger ses arrières, et probablement des complices inconnus à ce jour, mais aucune preuve pour étayer quoi que ce soit ? - En résumé, c’est cela, lâcha Don en guise de conclusion. - Quelles sont les autres options que nous n’avons pas encore étudiées ? demanda Herbert Hoover. - Malheureusement, nous avons fait le tour de la question, répondit Don. Nous sommes bloqués par les avocats de cette foutue fondation, ce qui nous empêche d’approfondir nos investigations. Pour le reste, nous pouvons mettre en place une surveillance rapprochée de deux ou trois personnes, comme nos amis Anthony Alessandro et son cousin, mais je doute que cela aboutisse à un résultat concluant. Après leur interrogatoire, ils vont être d’une méfiance extrême. - 305 - Kevin rentrait au centre spatial avec une certaine appréhension. Non pas qu’il redoutait de retourner à son travail, mais toute cette affaire lui avait insinué un sentiment de malaise, même de désespoir. Toutes ses belles croyances étaient en train de voler en éclat. « Si l'on ne peut plus se fier à la rigueur informatique maintenant ! » pensa-t-il en pestant intérieurement. La radio fonctionnait depuis qu’il avait pris le volant, mais son cerveau avait fait abstraction de toute pollution sonore, il carburait à plein régime. Sa conduite était mécanique, et lorsqu’il arriva à l’entrée du poste de garde de la NASA, il n’eut aucun souvenir du chemin qu’il venait d’effectuer. Il se gara sur la place qui lui était attribuée, et fonça quatre à quatre au centre de contrôle des opérations. L’effervescence atteignait son apogée, ça courait dans tous les sens, parlait fort pour se faire entendre à l’autre bout de la salle, suait à grosses gouttes pour certains d’entre eux ; un vrai champ de bataille ! Kevin remarqua avant tout l’écran géant affichant un schéma approximatif de la navette, de la Lune et du phénomène gazeux. Les échelles n’étaient pas respectées, mais il constata au premier coup d’œil que cette chose s’était incroyablement rapprochée depuis son départ. La station spatiale n’était pas représentée, ce qui signifiait que l’équipage avait réduit sa mission et était déjà de retour vers la Terre. Une main amicale se posa sur son épaule. Le directeur Johnson se tenait derrière lui, le visage mêlant inquiétude et interrogation. - Quelles sont les nouvelles ? demanda-t-il. - Monsieur, j’ai bien peur de ne pas être le sauveur que vous attendiez. Au début, tout se passait bien. Mes analyses étaient négatives, il n’y avait aucune trace du virus. Et puis, à la suite d’un malentendu avec un des techniciens, il a branché la console centrale de la navette directement sur mon portable, sans placer le filtre que notre ami Richardson a construit. Pour des raisons que je n’arrive pas à m’expliquer, le virus n’était présent qu’à cet endroit dans la fusée. Bizarrement, il ne s’est pas propagé, ni sur mon ordinateur, ni même sur le réseau du bâtiment. C’est comme si nous avions affaire à une version mutante devenue totalement inoffensive. Il y a une semaine, le simple fait de brancher une unité de stockage sur un poste infecté l’aurait contaminé dans la seconde. Aujourd’hui, il ne se passe plus rien. - Vous affirmez donc que le virus aurait muté ? - 306 - - Je ne vois pas d’autre explication pour le moment. On dirait qu’il s’est désactivé. En tout cas, sa faculté d’expansion semble être totalement anéantie ! Le directeur resta silencieux quelques secondes, soumis à une intense réflexion. Même si ce n’était pas son domaine de prédilection, il mesurait les implications de ce qu’il venait d’entendre. Pourtant, une chose l’intriguait au plus haut point. - Et pour ça ? demanda-t-il en montrant le nuage de poussière à l’écran. Est-ce que vous avez trouvé des traces du contact avec ce phénomène, des circuits grillés ou des programmes endommagés ? - Absolument rien d’anormal à mon niveau. Tous les systèmes sont opérationnels et je n’ai rien vu sur les feuilles de maintenance qui puisse affirmer qu’il se soit passé quoi que ce soit d’inhabituel. Rien n’a été changé, reprogrammé ou modifié à cause de cela. J’ai simplement effectué une remise à zéro de la console centrale pour éliminer tout problème. À part ça, tous les systèmes sont opérationnels pour la prochaine mission. - Très bien, reprit le directeur. Ça n’arrange pas nos affaires, mais c’est important de savoir que cette chose n’a pas provoqué d’autres dégâts. Jack Johnson se dirigea vers le chef de mission et lui détailla les dernières informations en date. Cela permettait d’appréhender la situation d’un œil nouveau. Au lieu de faire prendre des risques inconsidérés à l’équipage de la navette, il pouvait laisser faire les choses. Si un contact avec ce phénomène était inévitable, il pouvait espérer un résultat identique à la mission précédente. Le chef fit une annonce à l’intention des astronautes, mais également pour le personnel présent en salle de contrôle. Comme le voulait le règlement, le commandant de bord aurait de toute façon le fin mot de l’histoire, et prendrait en toute connaissance de cause les décisions qui s’imposaient. À l’heure actuelle, il ne pouvait qu’attendre, et voir comment évoluerait la situation. CHAPITRE 68 L’après-midi avançait lentement pour les techniciens qui scrutaient avec attention les écrans de contrôle de la NASA. Tous les satellites disponibles avaient été déroutés temporairement de leur mission - 307 - d’observation, pour tenter de suivre au plus près ce qui se passait dans l’espace. Les militaires avaient reçu l’ordre de fournir à la NASA toute l’aide matérielle et technique à leur disposition, afin d’obtenir les meilleures images possible du phénomène gazeux. Lorsque les premières photos arrivèrent sur les écrans, ils furent stupéfaits par leur qualité tout bonnement incroyable. La majorité d’entre eux savaient que le budget de l’armée leur permettait d’effectuer des recherches technologiques très pointues, mais ce qu’ils voyaient avait une telle avance qu'ils en restèrent bouche bée. À plusieurs millions de kilomètres de distance, ces petits satellites, anodins pour la plupart renvoyaient des images qu’on aurait cru prises par une navette d’observation. Le nuage de poussière était beaucoup moins net que la station orbitale, mais au fil des minutes, il semblait grossir sur les écrans. Dans un premier temps, le satellite avait effectué plusieurs balayages de la zone sans rien trouver de très probant. Les coordonnées du phénomène étaient pourtant clairement définies, mais l’image ne donnait rien de bien concluant. Au bout d’un temps qui parut une éternité, un point grisâtre apparut à l’écran, grossissant indéniablement. Ils avaient trouvé leur cible. La vitesse de déplacement du nuage de poussière était un réel handicap pour obtenir une netteté irréprochable. Les calculateurs travaillaient sans relâche pour déterminer la célérité ainsi que la direction de la chose. Les résultats ne se contredisaient malheureusement pas : la navette était le point de mire de ce phénomène, comme pour la mission précédente. L’équipage était informé en temps réel des évènements. Le Capitaine Shepard s’était longuement entretenu avec le commandant de bord, son amie le Major Katarina Kovalevski. Considérée comme le meilleur pilote de chasse de sa génération, elle avait très vite été recrutée au centre spatial. Après quelques années et plusieurs missions remplies avec succès, elle avait gagné ses galons de major avec une facilité déconcertante, et était pressentie pour une promotion dès son retour. Shepard lui avait expliqué comment cet amas gazeux avait littéralement traversé la navette, provoquant une légère surcharge électrique au niveau des instruments de bord. Il restait serein, même si ce genre de manifestation n’avait rien de plaisant. Pourtant, il conseilla à Katarina de tenter une manœuvre d’évitement si le besoin s’en faisait sentir. À de multiples reprises, une vague d’inquiétude avait envahi les membres du centre de contrôle. Les satellites n’étaient pas prévus pour - 308 - ce genre de filature, ce qui obligeait les techniciens à compenser sans arrêt les écarts de trajectoire. Au bout d’une demi-heure, un responsable militaire alla trouver le directeur Johnson. - Monsieur, nous vous avons accordé l’utilisation de notre satellite dans le but d’aider l’équipage de la navette, mais nous sommes obligés d’en reprendre les rênes. - Ah non ! Vous n’allez pas revenir sur notre accord, Colonel. J’ai eu l’assurance de votre entière collaboration, tant que les astronautes ne sont pas sains et saufs. - Comprenez-moi bien, notre satellite n’a pas été prévu pour ce genre de tache. L’utilisation des moteurs de poussée doit être exceptionnelle. À la vitesse où vos ingénieurs les malmènent, les batteries seront à vide dans moins de dix minutes. Je suis désolé, mais je ne peux pas vous laisser continuer. À cet instant, il fit signe à son sergent de reprendre en main le système de contrôle du satellite. Le technicien de la NASA, habitué à ce genre d’ingérence, ne formula aucune plainte. - Nous vous avons laissé utiliser un objet de plusieurs millions de dollars, continua le colonel. Je ne pense pas que le contribuable vous pardonnera d’avoir dilapidé son argent, même pour une cause aussi juste que celle-là. - Mais enfin, reprit Jack Johnson, vous ne pouvez pas nous retirer le seul moyen que nous ayons à notre disposition pour aider les femmes et hommes qui sont là-haut. Si c’était vos soldats qui étaient dans cette navette, continua-t-il la colère naissante, je suis sûr que vous feriez tout ce qui est en votre pouvoir pour les sortir de là. - La décision a été prise en toute connaissance de cause par le haut commandement, finit-il par répondre. Je suis désolé, mais pour le moment, nous devons déployer les panneaux solaires et repositionner le satellite pour que les batteries se rechargent. Je ne peux rien de plus pour vous. - Dans combien de temps pourrons-nous y avoir à nouveau accès ? demanda Johnson. Le colonel fit un signe de tête en direction de son sergent qui répondit quelque chose ressemblant à deux heures. - Dans deux heures, l’équipage sera peut-être mort, exagéra Johnson pour mettre un maximum de pression sur le dos des militaires. Il faut - 309 - que je garde un œil sur la navette tant que cette chose n’a pas disparu de notre système solaire. Trouvez-moi une solution, Colonel. - Demandez une augmentation de vos budgets et commandez votre propre satellite d’observation, lui rendit-il. - Très drôle, siffla Johnson. C’est hilarant d’entendre ça dans la bouche d’un militaire. Quand je pense que l’armée nous a monopolisé une partie des finances du pays pendant plusieurs années pour une guerre totalement inutile, et maintenant vous venez jouer la carte de la mesquinerie, vous ne manquez pas de souffle… Colonel !!! Johnson préféra abandonner la partie avant que cela ne dégénère. Même s’il méprisait royalement le système de commandement militaire, il ne pouvait nier que leur aide matérielle pouvait lui être indispensable par la suite. Il n’était pas à l’abri d’un retour de fortune et ne pouvait pas se voiler la face. Il se dirigea vers le technicien qui était en contact avec l’équipage et lui demanda de lui établir une liaison. Il passa un microcasque et leur expliqua que désormais, ils seraient seuls aux commandes de leur destin. La NASA n’aurait temporairement plus de visuel de leur situation, mais continuerait la surveillance de l’espace au travers des radars conventionnels. Le capitaine Shepard avait été témoin du vif échange entre les deux hommes, comme toutes les personnes présentes dans la salle de contrôle. Il en profita pour assurer Katarina Kovalevski de son entière collaboration, tant qu’ils ne seraient pas tous de retour sur Terre. Ils discutèrent quelques instants sur les manœuvres possibles, puis firent le point sur les procédures à suivre au cas où ils devraient désactiver le pilotage automatique. Shepard savait que sa collègue maîtrisait parfaitement toutes ces techniques, mais une navette ne se dirigeait pas aussi facilement qu’un avion de chasse. C’était une sorte de cargo des airs, aux réactions très lentes et incertaines. Une poussée de la manette des gaz un dixième de seconde trop longue pouvait les envoyer à plusieurs milliers de kilomètres de leur objectif. De plus, le carburant limité était un véritable problème. Une marge suffisante était prévue pour pallier les écarts de direction qui pouvaient survenir, mais des changements de cap incessants risquaient d’épuiser leurs réserves prématurément. À cause des évènements qui avaient précipité les choses, l’équipage avait eu le temps de décharger une partie des réservoirs en utilisant beaucoup plus intensément les bras mécaniques de la soute. Cela avait bien entendu influé sur leur consommation de - 310 - carburant. Même si la mission était un semi-échec, il avait été primordial de finir cette tâche avant de repartir. La suivante serait remaniée pour que les astronautes aient le temps de combler les manquements observés. Leur objectif était précis : ils devaient mettre en service les différents éléments que le capitaine Shepard et son équipe avaient assemblés quelques jours plus tôt. Pour cela, un ultime module de gestion de l’électricité, du chauffage et de l’oxygène devait être installé. Ils avaient seulement eu le temps de le charger à bord de la station. Tony avait fini par rejoindre Kevin à leur bureau. Ni l’un ni l’autre ne savait comment appréhender le problème que leur directeur venait de leur confier. Ils devaient coûte que coûte récupérer l’accès au satellite militaire. Les vies qui étaient en jeu rendaient le challenge autrement plus compliqué. Si la navette n’avait été qu’un tas de ferraille, sa perte n’aurait eu qu’un impact financier. Évidemment, la NASA encaissait difficilement les échecs qui réduisaient passablement ses budgets d’une année sur l’autre, mais depuis que Jack Johnson était aux commandes, les choses s’amélioraient sensiblement. Les investisseurs lui faisaient confiance et c’était certainement le plus beau succès qu’il avait récolté jusqu’à présent. - Qu’est ce qu’on fait maintenant ? demanda Tony. - Je n’en sais strictement rien. À moins de réussir à pirater la commande du satellite, je ne vois pas comment on pourrait aider l’équipage. Kevin avait dit ça sur le ton du désespoir, mais Tony le prit au pied de la lettre. - Et pourquoi pas ! - Ne sois pas stupide jeune Jedi, lui répondit Kevin. Il me semble que tu n’étais pas en très bonne posture il y a quelques heures. Je disais ça en désespoir de cause, car je suppose que tu ne tiens pas plus que moi à retourner en prison. - Cela va de soi, mais on peut creuser l’idée juste au cas où ! L’accès à leur système de contrôle est relativement facile à pirater… - N’y pense même pas, le coupa Kevin. De toute manière, Johnson ne nous le permettra pas. Il doit y avoir un autre moyen, à nous de le trouver. Ils restèrent silencieux quelques secondes, puis Kevin se lança dans une réflexion à voix haute. - 311 - - Qu’est ce que nous savons exactement sur ce phénomène. Il est apparu de nulle part lors de la mission précédente. Pour des raisons qu’on ignore, cette chose semble comme « attirée » par la navette. - Et si c’était la chaleur des réacteurs qui justement attirait ce truc comme un aimant ? lança Tony. - Possible. La chaleur, la lumière, l’électricité, le magnétisme… va savoir. Pour en être sur, il faudrait couper tous les systèmes suffisamment longtemps pour voir la réaction de cette chose. - Oui, mais on en revient à notre premier problème, si nous n’avons aucun visuel sur ce qui se passe, ça ne servira à rien de désactiver les systèmes de la navette. Nous n’aurons aucun moyen de communication, donc aucune indication sur la réussite ou l’échec de la procédure. - Ce n’est pas faux, reprit Kevin. On sait également que, lors de la mission précédente, cette chose a traversé la navette en provoquant une sorte d’électricité statique, principalement au niveau du tableau de bord. Est-ce que c’est à cause de la concentration de matériels électroniques à cet endroit ? Est-ce qu’on a ce retour d’informations uniquement parce que l’équipage était dans le cockpit et pas ailleurs ? Tout ça reste un mystère. Quoi qu'il en soit, d’après ce que j’ai constaté tout à l’heure, ce phénomène n’a endommagé aucun système. J’ai simplement trouvé une trace inerte du virus sur la console principale. - Ah oui ! répliqua Tony étonné par cette information nouvelle pour lui. Vous voulez dire que le virus était présent sur les ordinateurs de bord de la navette dans une version mutante ? - C’est bizarre, n’est-ce pas ? Il y a tout de même une chose que je ne m’explique pas. Lorsqu’on a détecté ce virus, il se propageait à la moindre connexion de machines. Pourtant, je commence à penser que la navette est la source du problème. Tony fixa Kevin sans comprendre où il voulait en venir. - Sans rentrer dans les détails, continua-t-il, c’est ta biologiste qui m’a aiguillé dans cette direction. Elle a découvert que la série de code qui remplit les espaces vierges, et qu’on prenait pour un programme malfaisant, ressemble à s’y méprendre au système d’identification de l’ADN. Imagine un instant que ce qu’on croyait être une attaque virale de haut vol soit en fait quelque chose de totalement différent. Si nous avions à faire face à une sorte d’entité électrique… Tony arborait un sourire d’une oreille à l’autre, pensant que son chef était resté trop longtemps au soleil, mais Kevin paraissait extrêmement - 312 - sérieux. Il se reprit aussi discrètement que possible pour ne pas froisser trop ouvertement son supérieur. Il leur arrivait régulièrement de se chamailler sur des broutilles comme deux bons collègues de bureau, mais il lui devait un minimum de respect. Rien que pour la différence d’âge, il ne pouvait se permettre de se moquer de lui gratuitement. - Admettons cette hypothèse assez farfelue, lui lança-t-il. Même si nous n’avons jamais entendu parler d’une telle chose, partons du principe que ce truc soit un phénomène électrique intelligent. Qu’est ce que ça implique ? - Au lieu de te foutre de moi, réfléchis un peu, continua Kevin irrité par l’attitude négative de son collaborateur. D’habitude, tu es le premier à croire à ce genre de chose, alors pourquoi ça te paraît si inconcevable ? Imagine que tu es un être de pure énergie, perdu dans l’immensité de l’espace pour une raison quelconque. Le but de tout être vivant est la survie, et la multiplication. Tu découvres un endroit capable d’assurer ta survie, en l’occurrence une navette, qu’est ce que tu fais ? Tu fonces, aussi vite que tu le peux pour y prendre un peu repos et de force. Par miracle, la fusée rentre sur Terre et est connectée sur un réseau immense. Pour toi, c’est une véritable orgie. Tu te multiplies à la vitesse de l’éclair au travers de ton nouvel espace de jeu. Seulement, on commence à te mettre des bâtons dans les roues. Petit à petit, ta capacité de survie s’estompe à nouveau. Tu as la sensation qu’on en veut à ta peau, alors tu essayes de t’enfuir, mais le piège se resserre autour de toi. Qu’est ce que tu fais ? - C’est une question ? demanda Tony après deux secondes de silence. - Je réfléchis tout haut, renchérit Kevin. À la place de cette chose, où est-ce que tu irais dans de telles conditions ? Tu sens que ton espace de survie se réduit à une vitesse phénoménale, qu’est ce que tu peux faire ? - C’est bien joli cette histoire, mais vous n’y croyez pas réellement… pas vous ? - Pas vraiment, pourtant c’est une explication qui tient la route, contrairement à tout ce qu’on a entendu jusqu’à présent. - Chef, vous déconnez à plein tube, cria Tony ! Vade Retro, toi la vile créature qui a pris possession de ce corps ! Kevin lança un regard mauvais à son collègue, comme s’il le voyait sous son vrai jour pour la première fois. Il était habitué à ses plaisanteries douteuses, mais aujourd’hui, il dépassait les bornes. Sa théorie, aussi - 313 - farfelue fût-elle, était pourtant à ses yeux la seule explication valable à toute cette affaire. Il ne lui restait plus que deux choses à faire avant d’en être complètement persuadé : relancer ses analyses pour voir si le virus avait conservé sa capacité de propagation ou s’il était devenu inerte comme la version présente sur la navette qu’il venait de contrôler. Mais le point le plus important demeurait une véritable énigme : trouver l’endroit où cette « entité » s’était cachée. CHAPITRE 69 Liz McCarthy regarda l’afficheur de son téléphone portable lorsque celui-ci se mit à vibrer dans sa poche. En voyant le nom de son interlocuteur, elle décrocha prestement. - Salut Liz… Il y a un problème avec la mission en cours. - Que se passe-t-il ? demanda-t-elle sans plus de cérémonie. - Elle vient d’être largement écourtée. La navette est déjà repartie et rentre sur Terre. L’équipage n’a eu le temps que de décharger le matériel dans la station orbitale. Ils n’ont rien fait de ce qui était prévu. - Quel est le problème au juste ? - Je ne t’en avais pas parlé avant pour ne pas attirer l’attention, mais la mission précédente a eu très chaud aux fesses. Lors de son retour sur Terre, la navette est entrée en contact avec une sorte de poussière cosmique. - Génial, ajouta-t-elle ironiquement. Et ??? - Et le phénomène est de retour. La première fois, on a eu de la chance, tout le monde est rentré à bon port sans encombre, mais tu sais ce qu’on dit « la foudre ne frappe jamais deux fois au même endroit ». - Où veux-tu en venir au juste ? - Bonjour l’accueil ! répliqua son interlocuteur. Je veux simplement t’alerter du danger potentiel que court notre équipage. Ce n’est pas la peine d’en faire la « Une » de ton vingt heures, mais le public doit être mis au courant de ce qui se passe ici. - Ton bon cœur te perdra mon ami, lui répondit Liz pour ne pas trop contrarier son contact. Seulement, il m’en faudrait un peu plus. Je ne peux pas lancer un truc comme ça sans preuve, sans témoignage. Tu comprends ? - Je vais voir ce que je peux faire, finit par conclure son interlocuteur. - 314 - La tension monta d’un cran dans la salle de contrôle, lorsque Katarina Kovalevski, commandant de la navette, lança un appel à l’aide. - Ici, Kate. Houston, répondez ! - On vous écoute commandant, annonça le technicien qui était responsable des transmissions. - Le phénomène est en train de se rapprocher à très grande vitesse. On arriverait presque à le distinguer avec des jumelles. Avez-vous des informations complémentaires à nous fournir avant d’entamer une procédure d’évitement ? - Rien de nouveau, répondit-il laconiquement. - Bravo, c’est vraiment génial de vous sentir concerné par ce qui nous arrive. Qu’est ce que vous foutez sur Terre, bon sang ? Comment se fait-il que vos satellites ne nous aient pas alertés plus tôt. Il faut qu’on prenne une décision dans les minutes qui suivent, après quoi cette chose sera sur nous. - Veuillez patienter, s’il vous plait. Katarina n’en revenait pas, on venait de lui demander de patienter alors que leur vie était en danger. Elle avait l’impression d’avoir à faire à une vulgaire hot-line, qui se contentait de suivre une procédure préétablie. Les Américains avaient parfois le don de l’irriter, par leur attitude détachée de toute émotion. Dans son pays, à la grande époque, on aurait juré par tous les dieux, but une rasade de vodka pour se donner du courage et affronter les problèmes en face. Ici, on lui demandait de patienter, comme à un guichet de poste ! Dans la cabine de pilotage de la navette, les esprits s’échauffaient. Katarina prit la décision de tout faire pour éviter un contact. En l’absence d’indication du centre spatiale, elle se fierait à son instinct. Elle demanda à son pilote d’enclencher les commandes manuelles, malgré tout ce que cela impliquait. Les paroles de Sam Shepard ne cessaient de lui revenir en mémoire. Elle avait suivi leur déboire quelques jours plus tôt et savait que le passage de ce nuage de poussière électromagnétique n’avait pas endommagé leur fusée. Seulement, la coïncidence était trop parfaite pour que la même chose survienne deux fois de suite. Son optimisme naturel fuyait à toutes jambes, lui insinuant que la tournure des événements ne serait peut-être pas aussi favorable. Dans de telles conditions, elle prenait ses responsabilités de commandant de bord. Elle avait été entraînée pour ça. Son équipage n’avait d’ailleurs jamais discuté - 315 - ses ordres, même lorsqu’ils n’étaient pas judicieux. Le pilote s’exécuta sans protester, mais lui demanda ce qu’elle comptait faire. - Étant donné qu’en bas on ne nous donne aucune indication, on va jouer la partie à la Russe : ça passe ou ça casse ! On se décale de la trajectoire, on coupe les gaz et on attend. Lorsque ce machin sera tout proche, on remet les moteurs à pleine puissance, et on pratique une manœuvre d’évitement, comme dans les simulateurs. Simple et efficace ! - Le timing va être serré, répondit le pilote. Sans les radars de la NASA, on va devoir se contenter de ceux de la navette. Lorsque nous aurons la chose en vue, la moindre hésitation risque d’être fatale. - Contrôle, répondez nom d’un chien ! - On vous reçoit commandant, je vous passe le directeur. - Ici Jack Johnson. Désolé pour le silence momentané, nous essayons de récupérer le satellite militaire pour pouvoir vous guider au mieux. Quoi que nous décidions, je vous conseille dans un premier temps de désactiver le pilotage automatique et de vous préparer pour toute éventualité. - Nous ne vous avons pas attendu Monsieur, lança Katarina sur un ton mordant. Il faut absolument que vous réussissiez à nous dire avec exactitude à quel moment nous devons changer de direction. Si nous avons vu juste, je pense que cette chose ne pourra pas modifier son cap aussi facilement que ça, étant donné la vitesse à laquelle elle se déplace. C’est pourquoi il faut que le timing soit le plus précis possible. - Nous comprenons Katarina et faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour récupérer l’accès au satellite… Un instant s’il vous plait. Le directeur Johnson regarda le colonel en mimant des gestes d’énervement voulant dire « Mais qu’est-ce que vous foutez à la fin ??? ». Le militaire se retourna vers son sergent occupé à pianoter sur le clavier d’un ordinateur. Après ce qu’il sembla une éternité, il lui donna un chiffre. - Dans 30 secondes, cria le colonel au directeur. Vous aurez deux minutes d’autonomie, après quoi il vous faudra patienter une dizaine d’heures avant de pouvoir vous resservir du satellite. C’est le mieux que je puisse faire pour l’instant. - Ça suffira pour le moment, pensa Jack qui acquiesça de la tête et transmit la nouvelle aux astronautes. Un technicien de la NASA reprit les commandes de l’engin dès que le compte à rebours fut terminé. Une trentaine de secondes - 316 - supplémentaires passèrent avant que le satellite ne pointe à nouveau sur la navette et ne renvoie des images. L’affichage sur l’écran mural jeta un froid parmi l’assistance. Durant un bref instant, un silence de mort plana dans le centre de contrôle. On pouvait parfaitement distinguer la navette, vue de trois quarts arrière, et en haut de l’image une forme lumineuse grossissant presque a vu d’œil. - Combien de temps avons-nous ? hurla Johnson. Aucune réponse ne vint. Les techniciens présents étaient à la fois abasourdis et pétrifiés par le spectacle qui se jouait devant eux. Lors de la mission précédente, seul l’équipage de la navette avait vu le phénomène. Au centre de contrôle, on avait simplement aperçu un pixel se déplacer sur un schéma représentatif. Cette fois-ci, ils avaient droit à la version « live ». Soudain, une femme au fond de la salle se leva et cria quelque chose qui ressemblait à cinquante secondes à l’attention de Jack Johnson. Il demanda le silence et la fit répéter. - Quarante-cinq secondes, Monsieur, quarante-quatre, quarante-trois… - Katarina, ici c’est Jack. Préparez-vous à exécuter la manœuvre dans une trentaine de secondes. - Nous sommes parés, répondit-elle dans un soulagement. Sam Shepard avait pris un micro-casque pour pouvoir aider sa collègue en cas de problème durant la procédure d’évitement. Il en profita pour lui souhaiter bonne chance. Un technicien égrena les dernières secondes à voix haute, autant pour donner le top au pilote de la navette que pour lui-même. L’afficheur de temps avait été incrusté sur l’image renvoyée par le satellite militaire, dont l’autonomie fondait comme neige au soleil. Le sergent qui chronométrait la durée d’utilisation en profita pour rajouter un peu de tension, en annonçant qu’il reprenait le contrôle dans moins de dix secondes. Lorsque le temps fut écoulé, le pilote de la fusée poussa les moteurs à plaine puissante et amorça un changement de cap. Sur l’écran mural de la NASA, on vit jaillir deux boules de feux des réacteurs. Le vaisseau resta immobile avant d’entamer une accélération lente. La poussée des moteurs avait de la difficulté à mouvoir ces tonnes d’acier, même en apesanteur. L’engin commença enfin à prendre de la vitesse par rapport à son observateur. La tension était à son comble parmi les techniciens, certains transpiraient à grosses gouttes, d’autres marmonnaient dans leur barbe pour encourager l’équipage à distance. Le phénomène - 317 - lumineux envahissait de plus en plus l’écran, indiquant un contact imminent. La navette finit par s’écarter doucement de sa position. L’équipage était tendu à l’extrême. Le pilote scruta ses instruments de bord et annonça à son commandant dans un déchirement que ce serait trop juste. La NASA les avait fait attendre trop longtemps avant d’entamer la procédure. La mise en route des propulseurs n’était pas aussi immédiate qu’ils le pensaient. - Contrôle, ici Kate hurla-t-elle. L’impact est imminent. Vous nous avez fait attendre trop longtemps. Je ne sais pas si on va pouvoir éviter ce truc. C’est incroyable, il arrive à une vitesse inimaginable. - Pas de panique Katarina, lança Sam Shepard. Dès que les propulseurs atteindront leur température de combustion maximale, vous allez très rapidement être envoyés à plusieurs centaines de mètres du nuage de poussière. Soudain, ils entendirent un cri de douleur à travers les haut-parleurs de la salle. Les personnes présentes se regardèrent avec angoisse, pensant déjà au pire. - Effectivement Sam, répondit Katarina. On vient de se prendre un véritable coup de pied au cul. On commence à dévier. La chose est en train de passer sur la gauche des hublots. J’espère que ça suffira pour l’éviter. Soudain, l’image disparut de l’écran mural pour laisser place à de la neige numérique. - Désolé Monsieur le Directeur, annonça le colonel, mais vos deux minutes sont largement écoulées. Je ne peux pas vous laisser les commandes du satellite plus longtemps. - Vous êtes dingue ma parole, lui balança Johnson. C’est vraiment le pire moment pour nous couper la liaison. Kate, vous nous recevez toujours ? - C’est…côté…voyez… - Kate ? On ne vous reçoit plus et nous venons de perdre l’image. Qu’est ce qui se passe ? Le directeur regarda le technicien chargé des communications. Ce dernier fit un geste montrant son incompréhension et son impuissance à rétablir la liaison. - 318 - - Ça ne vient pas de chez nous monsieur. Nous avons perdu la radio et la télémétrie en même temps. C’est comme si quelqu’un avait coupé le courant dans la navette. - Essayez de les contacter par tous les moyens possibles. COLONEL !!! Jack Johnson cria le grade du militaire en le cherchant du regard. Lorsqu’il le vit, penché près du pupitre de contrôle du satellite, il s’approcha à grandes enjambées et vint se placer à quelques centimètres de l’officier. - Réactivez-moi la liaison tout de suite ! - Je suis désolé, Monsieur le Directeur, mais je vous avais donné un timing très précis. Je comprends votre inquiétude pour votre équipage, mais il est hors de question que nous perdions définitivement le contrôle du satellite parce que vous aurez consommé toute l’énergie des batteries. Si nous sommes dans l’incapacité de les recharger à distance, nous dilapidons un investissement de plusieurs milliers de dollars, et retardons le programme de surveillance de l’espace de plusieurs années. Ceci n’arrivera pas tant que je serai à ce poste. - Dans ces conditions, vous ne m’êtes plus d'aucune utilité. Je vais vous demander de quitter le centre de contrôle. - Comme vous voudrez Monsieur, répondit le militaire le plus poliment du monde. Il fit un signe de tête à son sergent. Ce dernier pianota quelques commandes avant de sortir lui aussi de la salle. - Nous allons prendre un café, dit finalement le colonel à l’attention du directeur Johnson. Nous resterons dans les parages au cas où vous auriez quand même besoin de nos compétences dans les minutes qui suivent. Dès qu’ils furent sortis, Jack Johnson prit à partie le meilleur technicien qu’il avait sous la main. - Piratez-moi cette liaison par n’importe quel moyen, lui dit-il à mi-voix. Il faut absolument qu’on récupère l’image pour voir si la navette est intacte. - Vous êtes sûr ? Je veux dire, même si j’y arrive, ce qui n’est pas gagné d’avance, vous n’aurez pas de problème à cause de ça ? - J’en prends l’entière responsabilité, répondit-il gravement. Quelques visages virèrent dans les couleurs rougeâtres au fil des secondes qui s’écoulaient. La sueur perlait sur les fronts. La nervosité et l’angoisse commençaient à peser sur l’assistance. Un bruit de fond - 319 - récurrent revenait toutes les quinze secondes : « Navette, ici Houston, répondez ! » Les techniciens essayaient par tous les moyens de reprendre contact avec l’équipage, sans succès. À bord de la navette, personne n’avait rien vu venir. Lorsque l’amas gazeux arriva à proximité d’eux, ils avaient réussi à prendre suffisamment de la vitesse et commençaient à s’écarter de la trajectoire de cette chose. Les visages crispés, ils regardèrent avec angoisse ce phénomène leur fondre dessus. La vision qu’ils eurent à cet instant fut étrange. Leur vue fut masquée par une sorte de brouillard lumineux qui les frôla, avant de disparaître totalement. Cela ne dura qu'une poignée de secondes, mais elles leur parurent une éternité. En apnée réflexe pendant cet intervalle de temps, ils soufflèrent en cœur lorsque le nez de la navette retrouva le vide intersidéral. - Tout va bien ? demanda Katarina à ses collègues. Il n’y a pas de casse. - Nous sommes toujours entiers, répondit le pilote en regardant ses instruments de bord. Aucune alerte à signaler. Nous sommes passés à côté, semble-t-il ! Un soulagement de joie s’afficha sur les visages des astronautes lorsque tous les appareils s’éteignirent soudainement. Que ce soit la lumière intérieure de la cabine, les appareils de contrôle, le système de recyclage de l’air ou le chauffage, tout s’arrêta en un instant en un clin d’œil. La joie laissa la place à une panique en une fraction de seconde. - Qu’est ce qui s’est passé ? demanda le pilote en regardant tout autour de lui. Est-ce que l’un d’entre vous a vu quelque chose ? - Contrôle, répondez ! lança Katarina qui avala la dernière syllabe en se rendant compte de l’inutilité de la chose. « Nous n’avons plus d’énergie nulle part sur la navette, comment pourrais-je communiquer avec la Terre dans ces conditions ? » pensa-t-elle… L’incompréhension frappait les visages un à un. Qu’avait-il bien pu se passer ? Il avait réussi à éviter le phénomène, seul un résidu brumeux les avait frôlés. Mais le plus inquiétant était devant eux, à savoir remettre en route les systèmes pour ne pas mourir dans ce cercueil volant, perdu au milieu de nulle part. Un observateur externe à la scène aurait compris ce qui s’était produit. Le nuage de gaz magnétique arrivant à très grande vitesse était en train de dépasser la navette. Au moment précis où la chose atteignit la - 320 - hauteur de la carlingue métallique, un phénomène d’aspiration eut lieu, tel un aimant géant collant les deux entités. Le nuage de gaz ayant à peine dépassé la fusée, l’équipage avait eu l’impression que l’orage s’était envolé. En réalité, le brouillard magnétique avait été attiré sur la partie arrière de la navette, étouffant par la même occasion les moteurs. Une réaction en chaîne imprévisible était alors survenue : un court-circuit avait grillé tout le système de gestion d’énergie. Et qui dit plus d’énergie dit forcément plus d’instruments, de lumière, chauffage ou oxygène. Une mort assurée à court terme pour l’ensemble des passagers. - Les combinaisons de survie, cria Katarina à son équipage éparpillé dans les différents modules de la fusée. Aussitôt, les astronautes s’exécutèrent. S’ensuivit un lent et méticuleux ballet aérien, où chacun réalisait les gestes longuement répétés à l’entraînement. Étant sur la même galère, les collègues s’entraidèrent pour s’équiper. Ils vérifièrent l’étanchéité de chaque combinaison, l’arrivée et le recyclage de l’oxygène, et s’assurèrent qu’aucun d’entre eux ne risquait une dépressurisation malheureuse. Le pilote effectua un test des radios intégrées à leur casque, pour valider le fait de pouvoir communiquer malgré leur harnachement. Chacun d’entre eux avait désormais deux heures d’autonomie, grâce à leur module de survie individuel. - Je veux une check-list complète des équipements, annonça le commandant à ses hommes. Il faut qu’on sache ce qui se passe pour rétablir très vite la situation. Je n’ai pas besoin de vous dire que nos scaphandres ont une durée de vie très limitée. En plus, nous allons être beaucoup plus lents dans nos actions, donc il n’y a pas de temps à perdre. Prochain contact radio dans dix minutes. C’est parti ! - Navette, ici Houston, répondez ! Le technicien radio de la NASA continuait son appel, en vain. Depuis le début de la construction de la station orbitale, aucun vaisseau n’avait disparu des ondes plus de quelques minutes. L’exercice était fréquent lors d’une rotation autour de la Lune, mais cela ne durait jamais très longtemps. La situation était bien différente cette fois-ci. Après un quart d’heure de silence radio, l’équipe au sol était dans un état d’énervement et d’angoisse inimaginable. Chacun s’attendait au pire tout en espérant un dénouement heureux. Le directeur Johnson faisait les cent pas, allant - 321 - d’un pupitre à l’autre, posant encore et toujours les mêmes questions : « Qu’est ce que ça donne ? » Au final, il retournait inexorablement vers son homme de main personnel qui tentait par tous les moyens de pirater la liaison radio du satellite militaire. Le technicien ayant sans arrêt le directeur dans son dos n’arrivait plus à réfléchir sereinement. Son niveau de stress allait exploser le plafond. L’affaire n’était pas une partie de plaisir, et malgré ses nombreux talents, il finit par s’avouer vaincu. Les militaires avaient parfaitement protégé leur système de toute tentative de piratage. CHAPITRE 70 - Allo ! - Kevin, c’est Sarah. Est-ce qu’on peut se voir en soirée ? - Euh ! Ça dépend, c’est personnel ou professionnel ? demanda-t-il le sourire en coin. - Les deux mon Capitaine ! - Dans ces conditions, rendez-vous vers vingt heures au restaurant de la plage, mais c’est vous qui invitez ! - Je vois que la galanterie masculine a encore beaucoup d’efforts à faire ! C’est d'accord, car c’est important. - Et je suppose que vous ferez une fiche de frais professionnel ? lança Kevin de plus en plus moqueur. - À tout à l’heure, répondit Sarah pour éviter de relever le pic verbal de son interlocuteur. Sarah voulait obtenir des certitudes. Cette affaire était en train de tourner au vinaigre et elle ne comprenait pas comment ils en étaient arrivés là. Avec les énormes moyens humains qui avaient été mis à leur disposition durant le début de l’enquête, comment avaient-ils pu subir un tel fiasco ? Les présomptions menant à un ou des coupables ne manquaient pas, mais les indices réels, tangibles et palpables se faisaient rares. Elle devait convaincre Kevin de faire un travail totalement illégal pour elle : pirater le système de sécurité de la fondation « Avenir Propre ». Elle était persuadée que son collègue Jerry avait tenté le coup à la demande d’Herbert Hoover, même si cela était resté confidentiel. Malheureusement, l’opération n’avait pas abouti positivement. Durant la - 322 - réunion de l’après-midi, personne n’en avait parlé, même pas une allusion. Elle se doutait bien dans ces conditions, que l’affaire n’était pas une partie de plaisir, et que seul un informaticien de très haut vol pourrait atteindre cet objectif. Elle devait jouer le coup tout en finesse, en charmant au maximum Kevin si cela était encore nécessaire. Elle s’était posée la question des limites qu’elle ne voulait pas franchir à plusieurs reprises, mais son attirance de plus en plus marquée pour l’homme n’en serait finalement pas une, s’il acceptait de l’aider. Dans d’autres circonstances, si elle avait rencontré Kevin à la terrasse d’un café ou dans un bar, elle se serait probablement laissée embarquer sur la vague de la passion amoureuse sans aucune arrière-pensée. Depuis le temps qu’elle était seule, elle avait gagné son droit au bonheur. - Faites venir Kevin Klein, ordonna le directeur Johnson. Il fallait impérativement qu’ils récupèrent une liaison avec la navette, de quelques manières que ce soit. Plus les minutes passaient, plus l’affolement prenait de l’ampleur à la NASA. Chacun pensait déjà au pire sans l’avouer aux autres pour ne pas sombrer dans une vague de désespoir. Les vérifications des instruments avaient été effectuées pour la troisième fois en vingt minutes, confirmant que le problème provenait obligatoirement de la navette. Le phénomène gazeux qui les avait frôlés avait probablement causé des dégâts au niveau de la radio, du moins c’était ce qu’ils espéraient tous sans réellement y croire. Pourtant, les évènements de la mission précédente laissaient présager un dénouement heureux. Kevin arriva au centre de contrôle au pas de course, suivi d’un Tony aucunement essoufflé par ce galop improvisé. En les voyant entrer dans la salle, le directeur Johnson leur fit signe de venir auprès du pupitre de commande du satellite. Le technicien lui indiqua en quelques mots les tentatives qu’il avait effectuées pour pirater la liaison. Kevin l’écouta très attentivement et analysa en pensée les actions qui avaient été menées. Il ne pouvait se permettre de perdre du temps en renouvelant les mêmes procédures. Lorsqu’il eut terminé son explication, l’informaticien du centre laissa volontiers sa place. Kevin se retourna vers Jack Johnson avant de continuer. Il voulait être sûr que ses actions seraient couvertes en cas de poursuites judiciaires par les militaires. - 323 - - J’en prends l’entière responsabilité, répliqua le directeur solennellement. Ne vous inquiétez pas de cela, pour l’assistance ici présente, vous n’avez jamais approché ce pupitre. - Je voulais être sûr que nous étions sur la même longueur d’onde, continua Kevin. Parce qu’avec mon passé, je ne peux pas me permettre le moindre écart. Le technicien et Tony se regardèrent incrédules. De quoi pouvait-il bien parler ? Le responsable informatique de la NASA avait eu des déboires avec la justice ! « Voilà une information qui méritera quelques explications lorsque l’orage sera passé », se dit Tony en oubliant ses propres ennuis. Kevin pianotait déjà comme un diable sur le clavier de l’ordinateur. À le regarder attentivement, il donnait l’impression d’avoir plusieurs cerveaux aux commandes de son corps. Le premier qui dirigeait ses mains agiles, où chaque doigt semblait indépendant de ses voisins, un second gérant ses autres fonctions motrices comme ses yeux, qui n’arrêtaient pas de faire des va-et-vient entre les différents écrans qui lui faisaient face malgré une tête pratiquement immobile, et enfin un dernier tournant à plein régime, analysant l’ensemble des données emmagasinées et chapeautant tout le reste. À cet instant, Kevin était une mécanique parfaitement huilée, au meilleur de sa forme. Les spectateurs étaient partagés entre admiration et incompréhension. En voyant les actions que Kevin réalisait, Tony ne cessait d’acquiescer inconsciemment. Cela flattait son égo de savoir qu’il aurait fait les mêmes choses. Pourtant, il lui arrivait de rester bouche bée devant certaines manœuvres qui lui paraissaient ahurissantes d’ingéniosité. Le technicien de la NASA, un peu frustré de ne pas avoir réussi sa mission, tentait lui aussi de comprendre ce qui se passait sur les écrans, mais il avait l’honnêteté d’esprit de s’admettre complètement dépassé. Du côté spatial, tous les membres d’équipage de la navette avaient revêtu leur combinaison. L’oxygène de l’habitacle commençait à se raréfier, laissant place à une mixture mortelle pour l’humain. Tant que le système de recyclage n’était pas remis en fonction, leur chance de survie approchait du néant à court terme. La température avait également chuté d’une manière impressionnante. Sans leur scaphandre, l’équipage aurait sombré dans une torpeur mortelle en quelques minutes. Lorsque tout le monde fut en sécurité, Katarina donna ses ordres grâce à la liaison radio intégrée dans leur casque. - 324 - - Nous avons environ deux heures d’autonomie dans ces combinaisons. Il est primordial d’exploiter au mieux ce temps. L’objectif principal est de remettre en service les équipements. Il faut absolument qu’on relance le générateur de bord pour avoir de l’électricité, du chauffage et un cycle d’oxygène viable. Une fois qu’on aura rétabli les systèmes de survie, nous pourrons sûrement contacter la NASA et faire un diagnostic précis de ce qui est endommagé. Chacun sait ce qu’il a à faire, alors au boulot. On ne fait un point par radio que tous les quarts d’heure pour économiser nos batteries. Après ces bonnes paroles du commandant de bord, l’équipage se sachant en sursis n’avait qu’une obsession : remettre le moulin en route ! La tâche n’était pas aisée, surtout avec l’accoutrement qu’ils avaient sur le dos. Les combinaisons spatiales étaient très difficiles à mouvoir, même en absence de pesanteur. Chaque geste demandait un effort épuisant pour chacun d’entre eux. Les manipulations d’objets étaient encore plus compliquées. Certains astronautes avaient le sentiment d’être dans la peau d’un boxeur, avec ses gants rembourrés de multiples couches protectrices. L’obligation d’utiliser des instruments nécessitant une dextérité qu’ils ne pouvaient avoir dans ces conditions rendant la tâche extrêmement pénible. Les tournevis, pinces de tout genre ou même une simple lampe torche s’avérait incroyablement complexe à manier. Ce qui leur aurait demandé une minute sur terre prenait trois à quatre fois plus de temps dans l’espace. Malheureusement, le temps était ce qui leur faisait cruellement défaut à cet instant. Pour cette course contre la montre, ils travaillaient en duo. Katarina faisait équipe avec son pilote. Ayant d’excellentes connaissances sur la mécanique des navettes, il était également très calé en informatique et pouvait contourner des processus automatiques si le besoin s’en faisait sentir. Ils avaient conservé la mission la plus importante : remettre en service le générateur de bord. Le problème n’était malheureusement pas aussi simple qu’une poignée à abaisser. Il y avait avant toute autre chose de multiples vérifications à faire. Ils devaient jauger la charge des batteries, tester un éventuel court-circuit qui aurait été catastrophique dans ces conditions, contrôler l’état général des systèmes de survie et bien d’autres points… Chaque binôme avait un travail à faire et l’ultimatum imposé par la trotteuse de leur montre accentuait leur stress. - 325 - L’habitacle intérieur fut examiné de fond en comble, sans trouver de trace d’un quelconque problème expliquant cette défaillance. - C’est comme si le contact avait été coupé, avait lancé le pilote. - Ce n’est pas bon signe, vraiment pas bon signe du tout, continua Katarina. Si on ne trouve pas d’où vient le problème, ce sera délicat de tenter quoi que ce soit. Mais d’un autre côté, qu’est ce qu’on risque ? De mourir ? - Nous sommes déjà des cadavres ambulants, avait repris le pilote sans vouloir faire du pessimisme outre mesure. - On continue nos vérifications, annonça Katarina à tout l’équipage par radio. On se garde une marge d’une heure d’autonomie. Passé ce délai, si tout parait normal, on tente un redémarrage des systèmes. Si le générateur repart correctement, on aura suffisamment de temps pour ré oxygéner et réchauffer l’habitacle. Après on pourra lancer une check-list complète des instruments et voir comment remettre les moteurs en marche. Tous les membres d’équipage approuvèrent cette proposition, qui n’en était finalement pas une, mais bien un ordre direct. Cela leur donnait une poignée de minutes supplémentaires d’analyses et de contrôles en tous genres. Katarina tenta d’échanger un regard avec son pilote, mais à travers le verre de leur casque respectif, il lui était difficile de savoir ce que ressentait son collègue. Était-il aussi effrayé qu’elle ? Pensait-il vraiment qu’il n’avait aucune chance de s’en sortir ? Le mystère restait entier. Elle sentit soudainement quelque chose lui glisser le long du dos, une sensation froide et humide. Elle regarda la jauge de sa combinaison, la pression était bonne, le taux d’oxygène aussi, mais la température interne venait de dépasser les trente degrés. Elle transpirait à grosses gouttes dans cette boîte de conserve sur mesure. Un spasme la traversa de part en part, une réaction du corps face à un esprit trop fertile qui lui avait insinué son pire cauchemar : une araignée se promenant entre ces omoplates. Elle baissa le thermostat de sa combinaison, essaya de se frotter le dos comme elle put, puis elle retourna près de son pilote pour continuer leurs tests. Depuis plusieurs minutes, le centre de contrôle de la NASA s’était désertifié. Le silence avait envahi la salle. Il ne restait plus qu’une poignée de techniciens, attentifs aux directives de Jack Johnson. Cela - 326 - faisait pratiquement une heure qu’ils avaient perdu le contact avec la navette. Après l’affolement général, chacun des services s’était regroupé pour une réunion de crise. Les relations publiques rédigeaient déjà plusieurs communiqués de presse annonçant tous les cas de figure possibles. Le responsable du centre donnait une conférence relatant les évènements de l’heure passée. C’était la première fois depuis plusieurs mois que la NASA devait faire face à un problème d’une telle gravité, ce qui attisait indéniablement la curiosité des journalistes. Même si le service de presse du centre n’était pas rentré dans les détails et avait éludé toutes les questions embarrassantes, le public ne fut pas dupe. Le groupe de techniciens spécialisés dans les télécommunications étudiait tous les moyens possibles et inimaginables pour tenter de reprendre contact avec la navette. Les satellites en étaient un, mais les ingénieurs présents discutaient de tout ce qui était susceptible de fonctionner, du plus réalisable au plus farfelu. Plusieurs miliaires parlementaient dans un coin pour savoir s’ils devaient dévoiler un projet qui était en phase de test. Une nouvelle génération d’appareils de surveillance du territoire venait d’être mise en orbite dans le plus grand secret. Il avait la particularité d’allier le son à l’image, une véritable révolution technologique dans le monde de l’espionnage. Lorsque le directeur Johnson entra dans la salle pour leur demander une dernière fois l’autorisation d’accéder au satellite que Kevin tentait de pirater dans l’ombre, la réponse fut encore négative. Il les avait questionnés pour en avoir le cœur net, mais le visage fermé du colonel lui suffisait pour savoir qu’il n’avait pas changé d’avis. Cela n’entravait en rien sa détermination : « Si les militaires ne veulent pas nous redonner l’accès, on va passer outre leur approbation ». Malheureusement, les choses n’avançaient pas assez vite à son goût, ce qui avait le don de le mettre hors de lui. Au moment où Jack quittait la pièce, furieux d’accuser un nouveau refus et pestant contre la rigidité militaire, un général trois étoiles s’approcha de lui. - Monsieur le Directeur, nous avons peut-être une alternative à vous proposer, mais cela fait partie d’un projet hautement confidentiel. De plus, nous ne sommes pas convaincus de son succès. - Mais Bon Dieu, accouchez Général ! cria Johnson à la limite de la crise cardiaque. - Ça n’est pas si simple, Monsieur le Directeur, reprit le colonel qui lui avait coupé l’accès au satellite. Nous parlons ici d’un projet militaire - 327 - connu d’une poignée de personnes, qui va révolutionner notre façon d’appréhender la surveillance du territoire. Le général est le seul habilité à vous donner accès à cette technologie, ajouta-t-il en regardant son supérieur. - Notre « projet », reprit ce dernier, est destiné à la surveillance terrestre et non pas spatiale. Nous ne savons absolument pas s’il peut être d’une quelconque efficacité dans ce cas. Si nous vous en donnons l’accès, il est impératif que l’information reste secrète. Une seule personne sera habilitée à y prendre part, et cela se fera sous contrôle militaire. - Des hommes sont sûrement en train de mourir là haut, lança Jack Johnson en levant un doigt au ciel. Il faut qu’on sache où en est leur situation le plus vite possible pour mettre en œuvre les moyens de sauvetage adéquats. Je ne vois qu’une seule personne qui ait les compétences nécessaires et en qui j’ai entièrement confiance. Il s’agit de mon ingénieur en sécurité informatique : monsieur Klein. Il connaît parfaitement toutes nos infrastructures. Je vais le chercher. - Monsieur le Directeur reprit le colonel. Il nous faut également une pièce à l’abri des regards. - Je m’en occupe, attendez-moi ici. CHAPITRE 71 Georges entra à pas de loup dans la loge de sa patronne. Il ne voulait pas qu’on le voie enfreindre les règles qu’elle avait établies depuis plusieurs mois. Personne ne devait la déranger les minutes précédant la prise d’antenne. Le journal de vingt heures était le plus regardé du pays, et sa prestation devait être irréprochable. Liz avait besoin de se concentrer et répéter les textes qu’elle devait lire devant quelques millions de téléspectateurs. Georges avait eu droit à sa colère comme beaucoup d’autres avant lui, lorsqu’il avait eu le malheur de déroger à cette règle sacrée. Mais cette fois-ci, c’est Liz qui lui avait demandé de passer dans sa loge. Quand elle le vit pointer le bout de son nez au travers de l’entrebâillement de la porte, elle lui fit signe de s’approcher. Gorges s’assura que personne ne l’avait vu pénétrer dans l’antre de la journaliste. Il referma derrière lui en songeant à ce qu’un témoin de cette scène peu coutumière pourrait penser. Un sourire se dessina sur - 328 - son visage en réalisant qu’on risquait de les prendre pour des amants. « Tout sauf ça ! » conclut-il. - Alors ? demanda Liz dans un murmure. - Je viens d’avoir la confirmation. Ton bonhomme a bien passé la nuit au FBI. Liz leva les bras au ciel en signe de victoire. Elle l’avait senti, son cher Anthony Alessandro était le suspect idéal dans toute cette affaire. - Seulement, reprit Georges, il a été relâché ce midi sous caution. - Laisse-moi deviner ? Ce blanc-bec a réussi à se dégoter un ténor du barreau… - Bingo ! Et tu ne sais pas le meilleur ? Il s’agit du cabinet qui gère la succession d’Henri Durand et qui s’occupe également de sa fondation. - On le tient, siffla Liz. Donne ça à Freddy et demande-lui de l’intégrer en ouverture. Georges prit le morceau de papier que Liz lui tendait et jeta un œil rapide sur le texte. - Bob va en faire une jaunisse, ricana-t-il. Je dois quand même te dire que tu risques très gros, sur ce coup-là ! - Tu penses vraiment que je n’ai pas un plan de secours !!! Si Bob m’avait écouté dès le début, ce scoop aurait été révélé il y a vingt-quatre heures. Au lieu de ça, notre bon vieux rédacteur en chef a comme toujours préféré jouer la sécurité, au nom de l’intégrité journalistique de la chaîne. Je t’en foutrais moi ! Cette rédaction ne vaut pas un clou et notre journal suit le mouvement. - Si on se fait virer, demanda Georges, tu me gardes avec toi ? - Tu oublies une chose Georgio, je sais pertinemment qu’après ça, je vais être virée. À toi de voir si tu veux suivre le mouvement ou pas ! Maintenant, dépêche-toi, sinon le prompteur ne sera jamais modifié à temps. Georges quitta la loge après s’être assuré que personne ne rôdait dans les parages. Il traversa les couloirs en rasant les murs, pour se rendre au bureau de saisie. Freddy était un assistant très débrouillard. Il savait que son contrat ne serait pas renouvelé et en avait profité pour approcher les chaînes concurrentes. Au hasard d’un entretien d’embauche, il avait eu la chance de croiser Liz. Au lieu de jouir de cette situation malheureuse pour la journaliste qui ne voulait surtout pas qu’on sache qu’elle désirait changer de crémerie, il lui avait proposé un pacte amical d’entraide. Le moment de sceller ce traité était arrivé. Il se saisit du texte - 329 - que Georges lui glissa discrètement dans la main, puis commença à taper les modifications sur le prompteur. - L’antenne dans trois, deux, un… Le technicien venait de donner le top départ aux deux journalistes. Liz attendait avec une pointe d’excitation que son binôme lui passe la parole. Elle savait que son sabotage allait faire des vagues auprès du chef de rédaction : Bob. Elle espérait simplement qu’on ne lui coupe pas l’antenne prématurément, ce qui était toujours possible. Seulement, l’effet de surprise jouait en sa faveur. Le temps que la production réagisse, elle aurait balancé son scoop. Le reste était secondaire. - Bonjour, je suis Élisabeth McCarthy, commença-t-elle comme à son habitude. Dans l’actualité du jour, la NASA a écourté la mission de la navette « Liberty » pour des raisons techniques. Le porte-parole du centre spatial a simplement indiqué que tout s’était déroulé normalement, mais des problèmes mineurs les obligeaient à rentrer sur Terre plus vite que prévu. Notre enquête nous a permis d’en apprendre un peu plus à ce sujet… - Qu’est-ce qu’elle fout ? grogna Bob dans un coin du studio. Ce n’est pas dans le script ??? - Je ne sais pas, répondit un assistant. Visiblement, elle lit ce qu’il y a d’écrit sur son prompteur. Robert Reedman, que tout le monde appelait Bob, sa vieille mère incluse, scruta l’écran de contrôle du télésouffleur en ajustant ses lunettes. La journaliste lisait effectivement le texte qui défilait devant ses yeux. Seulement, son discours n’était absolument pas celui qui avait été préparé, et qu’il avait supervisé. Cela faisait trente ans qu’il était dans le métier et son instinct était infaillible. Il avait affaire à une imposture, purement et simplement. Une poussée d’adrénaline lui fit monter le sang à la tête en un éclair. Il devint aussi rouge qu’une tomate bien mûre. Les autres journalistes présents à l’antenne comprenaient petit à petit ce qui se passait, et commençaient à se décomposer physiquement. Le binôme de Liz voulut reprendre la parole pour tenter de la ramener dans le droit chemin. Elle l’envoya carrément promener devant plusieurs millions de téléspectateurs. L’homme ajusta un sourire de circonstance bien crispé. Bob s’agitait en coulisse pour stopper par n’importe quels moyens l’hémorragie. - 330 - - La police a interrogé Anthony Alessandro toute la nuit, continua la journaliste. Nous avons appris qu’il était suspecté dans cette affaire de terrorisme informatique qui a défrayé la chronique il y a quelques jours. Ce technicien de la NASA pourrait également être impliqué dans un vaste programme de sabotage au sein même du centre spatial… - Mais arrêtez la non de Dieu ! gueula Bob en coulisse. Elle est en train de nous discréditer aux yeux de tous, et je ne vous parle pas du procès qu’on va se prendre ! Demain, nous sommes tous au chômage à cause de cette folle ! L’ambiance dans le studio de montage était tendue à l’extrême. Personne n’avait jusqu’alors eu à gérer une telle situation. Bob finit par prendre le taureau par les cornes. Il éjecta de son siège un des techniciens et poussa lentement une manette de bas en haut. Les écrans basculèrent dans un fondu du plus bel effet sur une page de publicité de la chaîne. - Que personne ne touche plus à rien, hurla-t-il en sortant de la pièce. Il se dirigea vers le plateau du direct à grandes enjambées. - Toi, tu es virée, cria-t-il en pointant Liz du doigt. La stupeur envahit soudainement les quelques personnes présentes, qui ne savaient pas qu’ils n’étaient plus à l’antenne. - Fous-moi le camp de ce plateau, je ne veux plus te voir dans mon studio. Nom de Dieu de nom de Dieu !!! Tu es complètement folle, ma pauvre vieille. Tu voulais te suicider professionnellement ou quoi ? Liz arbora un sourire conspirateur et partit en coulisse sans ajouter un mot. Le staff technique n’en revenait pas. Tous les gens présents avaient travaillé pendant des années avec la journaliste, et ils venaient de se rendre compte qu'aucun d’entre eux ne la connaissait finalement. Bob enrageait d’autant plus qu’il était responsable de sa renommée actuelle. Sans lui, Liz serait restée une présentatrice de météo ou de jeux plus idiots les uns que les autres. Se prendre un retour de flamme de cette façon était au-delà de ce qu’il pouvait supporter. Il baissa les bras avec un geste de dégoût. CHAPITRE 72 - Kate, on vient de dépasser le délai, lança le pilote de la navette. - 331 - Elle regarda son ordinateur de poche, intégré sur la manche gauche de sa combinaison. Il lui indiquait une autonomie de cinquante-huit minutes. - Message à tous, annonça-t-elle par radio. On se regroupe dans le cockpit. Tim va relancer le générateur dans deux minutes. Cent vingt secondes, une durée très courte en théorie, mais suffisante pour un équipage bien entraîné. Les dédales de sas et autres passages étroits de la navette n’avaient plus de secret pour eux. Malgré leurs combinaisons encombrantes, ils pouvaient se rassembler en moins d’une minute. De cet endroit, ils pourraient relancer les instruments de bord de la fusée et tenter un redémarrage des moteurs. Lorsqu’ils furent tous à leur poste, Katarina annonça à son pilote qu’il pouvait entamer la procédure. - Tim, on est prêt ! - C’est parti, répondit-il en appuyant sur le bouton de mise en marche du générateur. Il hésita tout de même un instant, juste avant de sentir le plastique s’enfoncer des quelques millimètres sous ses gants. Un scintillement apparu sur le tableau de bord de la fusée, puis plus rien. - Qu’est-ce qui se passe, Tim ? demanda Katarina. - Je ne sais pas, répondit le pilote. J’ai remis le générateur en route, mais tout s’est coupé une seconde plus tard. On a dû passer à côté de quelque chose ! - Ce n’est pas possible ! On a tout vérifié à deux reprises. Katarina se retourna tant bien que mal pour voir ses collègues et tenter d’avoir leur avis, mais également leur sentiment face à ce coup du destin. L’incompréhension se lisait sur leur visage. Aucun d’entre eux n’avait la moindre idée leur permettant de sortir de ce pétrin. - Réfléchissons, se dit Tim. Qu’est ce qu’on a loupé ? Sur Terre, le directeur Johnson accompagné de Kevin revenait dans la salle sécurisée, à l’écart de l’agitation. Un ordinateur portable avait été installé sur une petite table au milieu de la pièce. - Messieurs, annonça le général à l’attention des deux hommes de la NASA, avant toute chose, vous devez lire et signer ce document. Il leur tendit un dossier noir estampillé d’un « Top Secret » rouge sang. - 332 - - Ce que vous allez voir ici est d’une extrême confidentialité. Toute atteinte à ce protocole sera considérée comme un acte d’espionnage passible de la peine capitale. - Vous avez le chic pour mettre de l’ambiance, répondit Jack Johnson en lui prenant le dossier des mains. Ne perdons pas plus de temps, s’il vous plait. Les deux hommes apposèrent un gribouillis à l’endroit indiqué sans en lire une seule ligne. L’urgence de la situation leur faisait oublier les règles les plus élémentaires. - Je vous trouve bien peu raisonnables messieurs, ajouta le colonel. Vous venez de signer un document « Top Secret » sans en avoir parcouru la moindre page ! - Le temps est une chose qu’il nous manque cruellement à l’heure actuelle, dit Jack. Un jeune lieutenant à l’écart du groupe s’approcha à la demande du colonel, et s’assied derrière l’ordinateur. - Quels protocoles pouvons-nous utiliser pour nous connecter au réseau ? questionna-t-il. Kevin lui indiqua les données à saisir et les mots de passe qu’il s’empresserait de modifier une fois cette affaire terminée. Le général en profita pour rappeler une dernière fois que la technologie qu’il allait voir à l’œuvre était révolutionnaire dans le monde de la surveillance et de l’espionnage. La moindre fuite serait passible de sanction extrêmement sévère. Après quelques manipulations, le lieutenant aidé de Kevin annonça à ses supérieurs que la liaison avec leur satellite était opérationnelle. - Que voulez-vous que nous fassions ? demanda-t-il. - Monsieur le Directeur, ajouta le général, il est à vous. Kevin donna les dernières coordonnées connues de la navette au jeune militaire, sur l’ordre de Jack. La hiérarchie était respectée à la lettre, chacun restant à sa place dans cette atmosphère tendue. L’importance de l’enjeu ne faisait pas oublier les bonnes règles de conduite. L’affichage sur l’écran de l’ordinateur était divisé en deux parties, une contenant une multitude de zones de saisie et de chiffres divers, une seconde montrant l’image obtenue par la caméra du satellite. Le lieutenant effectua quelques corrections pour cibler un point lumineux qui semblait intéressant. Il zooma au maximum et se rendit compte qu’il pointait sur une étoile. - 333 - - Ça va être sacrément compliqué de retrouver votre navette avec ce satellite, finit-il par annoncer. Il n’est absolument pas prévu pour ça. - Pouvez-vous activer les radars sonores ? demanda le colonel. Si les moteurs de la fusée fonctionnent, nous aurons plus de chance de les entendre que de la voir. Le lieutenant enclencha les capteurs révolutionnaires de ce satellite géostationnaire. Les enceintes crachèrent un bruit de fond sourd et régulier. Kevin lui indiqua une cible potentielle. L’oiseau commença à pivoter pour s’orienter vers l’emplacement choisi, sans plus de succès. Plusieurs essais infructueux se succédèrent au désespoir du directeur Johnson. Pourtant, les hommes eurent une montée d’adrénaline en entendant un bourdonnement régulier, mais l’image montra qu’il venait de cibler le satellite que Kevin avait tenté de pirater. - Voilà notre seul moyen de voir ce qui leur arrive, annonça Jack en désignant l’objet à l’écran. Votre super satellite est beaucoup trop éloigné de nos astronautes pour qu’on puisse en tirer quoi que ce soit. Quand aurons-nous la possibilité de l’utiliser à nouveau ? - En théorie, vous pourriez y accéder dès à présent, répondit le colonel. Seulement, le cycle de charge des batteries n’étant pas terminé, il est techniquement peu judicieux de vous autoriser à en reprendre le contrôle. Il questionna du regard le lieutenant, qui annonça un chiffre, après avoir pianoté quelques commandes. - Il faut encore attendre une cinquantaine de minutes pour que les batteries soient à cent pour cent. Si vous réactivez les moteurs avant cette durée, vous n’aurez qu’une poignée de minutes d’autonomie. - Comment se fait-il qu’après plus d’une heure, nous n’ayons pas plus de quelques minutes d’utilisation ? demanda Jack Johnson. - Sans entrer dans les détails, répondit le lieutenant, la gestion des batteries de ce modèle est assez ancienne. Pour ne pas avoir un engin de plusieurs tonnes, les ingénieurs avaient développé un système de charge lente, très efficace lorsqu’il va jusqu’à son terme. Pour l’utilisation que nous en avons, cela correspond parfaitement à nos besoins. Le satellite est maniable, léger et par conséquent peu gourmand en énergie. Seulement, lorsqu’il est fortement sollicité comme aujourd’hui, et qu’on puise pratiquement toutes les réserves des batteries, le cycle de charge est beaucoup plus long et ne doit pas être interrompu sous peine de réduire irrémédiablement leur capacité. - 334 - - Cela signifie, reprit le colonel, que si vous l’utilisez avant cinquante minutes, vous allez diminuer leur durée de vie. Autant vous dire que le contribuable ne va pas apprécier d’avoir à débourser plusieurs autres millions de dollars dans un nouveau satellite parce que vous n’avez pas eu la patience d’attendre quelques minutes de plus. - Vous croyez que la formation de quatre astronautes ne coûte rien ? lança Jack qui sentait la colère lui monter au nez. Si la navette est opérationnelle et que nous sommes incapables de la récupérer parce que nous n’aurons pas pris la bonne décision, ce ne sera pas quelques millions de dollars perdus, mais plusieurs milliards ! Je me fous de la technique, il faut que je sache ce qu’est devenu mon équipage. Les militaires se regardèrent quelques instants dans le blanc des yeux. Une sorte de télépathie émanait d’eux. Soudain, le général annonça le verdict. - OK pour trois minutes d’utilisation, mais pas une de plus. - On retourne en salle de contrôle, répliqua le directeur à Kevin et au lieutenant. - Messieurs, ajouta le militaire, n’oubliez pas ce que vous avez signé. Motus et bouche cousue comme on dit ! Les hommes sortirent au pas de course. Leur entrée jeta un froid parmi les techniciens présents, qui se demandaient ce qui se tramait. La plupart d’entre eux étaient revenus de réunion depuis quelques minutes, sans savoir où était le directeur, et par conséquent incapable de faire un point sur la situation. Sans prononcer un mot à l’assemblée, qui s’interrogeait légitimement sur les évènements, Jack, Kevin et le lieutenant se dirigèrent vers le pupitre de commande du satellite où Tony était installé. En voyant arriver son supérieur avec un militaire, il ferma toutes les applications ouvertes sur l’ordinateur, pour ne laisser aucune trace de leur tentative de piratage. Il leur céda la place, comprenant que le directeur avait probablement eu un sursis. Le lieutenant exécuta une série de commandes le plus rapidement possible, pour masquer au mieux les manipulations à effectuer afin de reprendre le contrôle du satellite. Malgré une concentration extrême, Kevin et Tony se regardèrent avec le même regret : la manipulation avait été trop rapide malgré leur aptitude. Il n’avait pas réussi à mémoriser tous les accès et mots de passe que le militaire venait d’utiliser. « Ce petit lieutenant est décidément très doué », pensa Kevin. Si seulement il - 335 - oubliait d’effacer le journal d’évènements du poste, il aurait peut-être un moyen de retracer ses actions. Le contrôle du satellite était maintenant opérationnel, le lieutenant bascula l’image renvoyée par la caméra sur l’écran mural de la salle. Un tableau noir apparut, constellé de petits points blancs plus ou moins lumineux. Il ne pointait plus sur la navette. Voyant le regard angoissé et interrogateur du directeur Johnson, le colonel s’empressa de le rassurer. - C’est tout à fait normal, Messieurs. Nous avons été obligés d’orienter les panneaux du satellite vers le soleil pour qu’il puisse se recharger plus efficacement. Il faut simplement que nous réalignions la caméra sur notre objectif. Le lieutenant continuait de pianoter sur son clavier, puis au bout d’une vingtaine de secondes, l’image commença à se déplacer de gauche à droite, doucement, mais sûrement. L’inclinaison verticale évolua également. Après une petite minute, la cible était atteinte. Un ridicule point lumineux apparut au milieu de nulle part. Le militaire zooma vers l’objectif en effectuant des corrections d’orientation. L’image devient floue et tremblotante, jusqu’au moment où le grossissement maximum fut obtenu. - Qu’est-ce qu’on est idiot, lança le pilote de la navette à l’équipage. Lorsqu’on a vérifié le générateur principal, on a oublié de réenclencher un fusible. Je viens de le voir à l’instant. - Ça n’est vraiment pas très professionnel, commenta Katarina ironiquement, sachant pertinemment que c’était eux qui avaient effectué cette manipulation. Allez Tim, on a plus de temps à perdre. - C’est reparti, cria-t-il dans sa radio en appuyant à nouveau sur le bouton rouge de mise en route. Un frémissement électrique se fit sentir dans la navette, le générateur bourdonna une seconde. Soudain, les lumières s’allumèrent en vacillant. Les indicateurs du tableau de bord commencèrent à reprendre vie. - Excellent, cria Katarina tout soufflant de soulagement. On va pouvoir relancer les systèmes de survie et quitter nos combinaisons dans une dizaine de minutes. Tim, rien d’anormal au niveau du générateur ? demanda-t-elle. - Tous les voyants sont au vert. Je réactive le recyclage de l’air et je vous rejoins. - 336 - - Nous t’attendons mon ami, répondit-elle. L’espoir venait de renaître parmi les membres d’équipage. Dans une vingtaine de minutes, ils pourraient reprendre leur plan de vol, à moins que les moteurs ne posent problème. Quoi qu'il en soit, la situation de crise s’assainissait, augmentant leurs chances de survie. Le pilote changea de compartiment pour passer près des réserves d’oxygène. Il regarda si la jauge fonctionnait et ce qu’elle indiquait. La bonne nouvelle le ravit, aucune fuite n’avait eu lieu et ils avaient de quoi revenir sur Terre sans encombre. En se penchant légèrement pour admirer les étoiles à travers un des hublots latéraux, Tim remarqua une chose inattendue. En y regardant plus attentivement, il voyait le nez de la fusée très nettement, par contre l’arrière semblait baigner dans une sorte de brouillard. - Kate, il y a un truc bizarre ici. - Je t’écoute. - On dirait qu’on a une importante fuite d’oxygène à l’arrière de la navette. - Qu’est-ce que tu vois ? - Je ne comprends pas, car les jauges sont pourtant normales. Cependant, la queue de la fusée est entourée par un gaz blanchâtre. Je ne sais pas d’où il vient, mais il semble qu’on perde quelque chose. Katarina réfléchit un instant sans comprendre ce que cela pouvait être. Elle se remémora soudainement ce qui s’était passé lors de la mission précédente. Le commandant de bord et ami Samuel Shepard lui avait raconté qu’il avait vu la même chose. - Pas de panique, finit-elle par annoncer. L’équipage de la mission précédente avait constaté un phénomène identique. - Peut être, répondit le pilote, mais il semble me rappeler que ce truc ne leur était pas resté collé aux baskets. Il les avait frôlés puis avait disparu ! - De toute façon, on ne peut rien faire de plus pour le moment, reprit Katarina. On continue notre mise en route. Tim enclenche les systèmes à oxygène. Le pilote s’exécuta. Au centre de contrôle de la NASA, l’image renvoyée par le satellite était désormais focalisée sur la navette, un résidu flou subsistait sur toute la partie arrière, sans que personne ne comprenne vraiment pourquoi. Le - 337 - soulagement de la voir encore entière fut accompagné d’applaudissements et de cris de joie. - Ils sont toujours en vie, annonça un technicien. Regardez, les hublots avant sont éclairés. - Mais qu’est-ce que c’est que cette poche de gaz à l’arrière de la navette, demanda quelqu’un dans l’assistance ? J’espère que ça ne vient pas d’une fuite sur les réservoirs d’oxygène… Il avait à peine eu le temps de terminer sa phrase qu’une énorme boule de feu jaillit des moteurs, pour se propager vers l’avant de l’engin. Le spectacle était hallucinant. Les flammes englobèrent la fusée en moins d’une seconde, pour finir par une explosion gigantesque. Sans le son, cela donnait l’impression d’assister à un vulgaire montage numérique et non à la réalité. Tout le personnel fut soufflé de stupeur par ce qu’ils avaient devant les yeux. La seconde précédente, tout le monde se félicitait d’avoir retrouvé la navette entière, et qui plus est avec l’équipage probablement en vie, l’instant d’après, une boule de feu d’un blanc immaculé venait d’emplir l’image affichée sur l’écran mural. Le spectacle ne dura qu’une poignée de secondes avant de disparaître définitivement. L’explosion avait tout pulvérisé sur son passage, il ne restait absolument rien, hormis quelques débris virevoltant dans le vide intersidéral. Le choc fut impossible à encaisser pour la plupart du personnel présent dans la salle de contrôle. Le directeur Johnson sentit pour la première fois depuis bien des années ses jambes se dérober sous son poids, ce qui l’obligea à s’asseoir lourdement sur un fauteuil. Il resta ainsi, les mains autour du visage pour tenter de reprendre ses esprits et se concentrer sur la suite des évènements. Kevin et Tony étaient debout, les yeux rivés sur l’écran géant affichant la catastrophe. C’était la première fois qu’ils assistaient à une pareille épreuve. Après de longues secondes passées dans un silence de mort, ils se regardèrent avec le même sentiment d’incompréhension. Qu’avait-il bien pu se produire ? Lorsque le pilote de la navette enclencha la mise en route du système de gestion de l’oxygène, le processus se remit en service normalement. Le gaz carbonique accumulé durant l’arrêt des extracteurs fut filtré avant d’être remplacé par du dioxygène. Une chose inouïe et impossible à prévoir survint à cet instant. Le rejet de cette émanation néfaste pour l’homme vint altérer la chimie du phénomène présent autour de la navette, le transformant en un mélange hautement inflammable. - 338 - - Kate, tout va bien ! annonça Tim. Dans moins de dix minutes, nous pourrons enlever nos combinaisons. - Excellent, mais nous avons déjà perdu assez de temps comme ça. Il faut que nous repartions au plus vite pour rétablir le contact avec la Terre. Il semble qu’un champ électromagnétique nous bloque les signaux radios. Katarina décompta les secondes avant la mise en marche des moteurs. - Cinq, quatre, trois, deux, un… et elle appuya sur le bouton qui allait les conduire à la mort. L’allumage des propulseurs eut le même effet qu’une allumette craquée dans une pièce remplie de gaz. L’explosion fut immédiate, en commençant par l’arrière de la fusée et se propageant très rapidement à toute la navette. Les réserves d’oxygène amplifièrent la catastrophe en servant de catalyseur. En une poignée de secondes, les membres d’équipage passèrent de vie à trépas sans avoir eu le temps de comprendre ce qu’il leur arrivait. CHAPITRE 73 Une semaine plus tard, après un déchaînement médiatique sans précédent, des têtes tombaient. Les tensions extrêmes entre les politiciens, les militaires et le conseil directoire de la NASA avaient eu raison de plusieurs hauts responsables. Jack Johnson avait déjà présenté sa démission, prenant cette catastrophe comme un échec personnel. Kevin et Tony avaient travaillé sans relâche, analysant les données récupérées avant l’explosion, en vain. Leurs conclusions exposées au sein d’une réunion extraordinaire n’apportaient aucune réponse acceptable pour quiconque. L’affaire du virus avait été reléguée au second rang par le FBI, et totalement oubliée par l’opinion publique. L’explosion d’une navette restait un évènement majeur, qui alimenterait l’actualité durant plusieurs semaines. Sarah et Don avaient fini par rendre un rapport détaillé à leur direction. Le groupe d’enquêteurs mené par Herber Hoover avait été officiellement dissous trois jours après la catastrophe. Sarah et Don étaient les seuls rescapés et avaient continué leurs investigations. Leur directeur Francis Fitzgerald leur avait laissé quelques jours supplémentaires pour finaliser leur dossier, mais le résultat restait identique : « Nous avons plusieurs suspects, mais aucune - 339 - preuve pour étayer une quelconque procédure judiciaire ». Dans ses conditions, le gouvernement ne pouvait pas se permettre de dépenser des milliers de dollars complémentaires pour une action en justice qui n’aboutirait sûrement jamais, sans compter que plus personne n’avait eu vent du fameux virus depuis plusieurs jours. Le programme concocté par Kevin avait été stocké gratuitement sur internet, en libre accès sur de très nombreux sites. Les médias avaient matraqué l’opinion publique d’annonces-chocs durant quelques jours. Tous les possesseurs d’ordinateurs devaient télécharger et utiliser le logiciel de dépistage. Aucun retour positif n’avait été déclaré depuis sa mise en ligne. Harold Hutchinson, alias Henri Durand, avait été inhumé dans son pays d’adoption à la fin de cette folle semaine. Tony et son cousin avaient fait le déplacement jusqu’en Suisse pour rendre un dernier hommage à leur ami disparu. Quelques dirigeants européens de la fondation « Avenir Propre » étaient présents lors de la sépulture, plus par obligation que par respect envers l’homme qu’ils voulaient destituer de son statut de président quelques jours auparavant. Malheureusement pour eux, un loup était entré dans la bergerie d’une manière inattendue. Henri Durand avait fait modifier des clauses dans le règlement interne de la fondation. Une d’entre elles concernait sa succession en cas de disparition tragique. Il nommait expressément son remplaçant, le tout validé par son cabinet d’avocats. C’est ainsi que Tony se retrouva à la tête du groupe bien plus tôt qu’il ne l’avait envisagé. Avant de repartir pour les États-Unis, il désirait se rendre sur le lieu d’habitation de Durand, pour voir une dernière fois sa cabane au fond des bois. Il avait demandé à son cousin Mauricio de s’occuper de la gestion de leur voyage de retour, pendant qu’il réalisait cette escapade. En franchissant la barrière à l’entrée du domaine, il se remémora la dernière fois qu’il était venu en ces lieux, quelques mois auparavant. Henri l’avait invité à passer une dizaine de jours sur les bords du lac Léman, pour lui expliquer ce qu’il attendait de lui. Il lui avait fait découvrir sa tanière souterraine au fond du parc, avec son entrée secrète dans sa cabane à outils. Tony avait été impressionné par le matériel High-Tech amassé dans ce local. Malgré une superbe vue sur le lac Léman au travers de petits carreaux de verre, fournissant une lumière tamisée même en plein jour, l’endroit n’était pas fait pour les gens claustrophobes. Henri lui expliqua le fonctionnement de chaque - 340 - appareil et lui promit qu’il lui procurerait les mots de passe et les clés de décryptage le moment venu. Tony avait le sentiment de découvrir le Saint Graal sans pouvoir réellement s’en approprier. Son monde informatique sécurisé commençait à prendre du plomb dans l’aile. - Tu vois ce listing, expliqua Henri, c’est le nom des institutions où j’ai accès. La liste était impressionnante. Toutes les structures publiques et privées étaient inscrites sur un ensemble de feuillets. Il y en avait pour tous les goûts et tous les pays, de l’entreprise de pointe en passant par les firmes gouvernementales, pour finir par des sociétés privées de tous horizons. - Toutes ces enseignes, continua Henri, ont techniquement parlant un intérêt pour moi. Certaines d’entre elles, qui te paraissent anodines au premier regard, développent en secret de nouvelles technologies. D’autres sont axées sur l’armement, certaines sur la robotique et même la nanotechnologie, d’autres encore sur la mise au point de médicaments, et j’en passe... Cela me permet de connaître au jour le jour l’avancée technologique mondiale et de faire des prévisions sur l’avenir. - Tu veux dire que grâce à ces accès, tu collectes des renseignements susceptibles de faire évoluer dans un sens précis certaines recherches ? questionna Tony très impressionné ? - Exactement, confirma Henri. Il m’est arrivé d’influencer certaines découvertes ou même d’en saboter lorsque cela s’avérait nécessaire. - Comme quoi ? - Sous le couvert de l’anonymat, j’ai mis en relation plusieurs chercheurs pour qu’ils parviennent à débloquer des situations purement administratives. Au lieu de réaliser deux fois les mêmes travaux par des sociétés concurrentes, des fuites savamment orchestrées ont permis de réaliser des avancées significatives en un temps record. Il m’est également arrivé de saboter des recherches sur de nouvelles armes, en détruisant des fichiers informatiques hautement sécurisés. Tu t’imagines bien que ces entreprises ne portent jamais plainte tellement l’enjeu est important. - C’est incroyable, marmonna Tony. Mais comment arrives-tu à pirater ces sites sans te faire remarquer ? - De l’astuce, mon garçon, du feeling et parfois de la chance. Je te montrerai tout ça plus en détail, mais pour l’instant, je veux que tu comprennes parfaitement le potentiel de ce lieu. Je l’ai mis en place - 341 - uniquement dans un but humanitaire, et avant de t’en donner les clés, tu dois faire tes preuves. - Aucun problème, continua Tony. Dis-moi ce que je dois faire… - En fait, il y a un site qui manque cruellement sur cette liste. Tony regarda plus en détail les quatre ou cinq pages, sans deviner quel était l'absent. - La NASA Tony, ta boîte ! À cause de ton chef, je n’ai jamais réussi à obtenir des accès sur vos serveurs. C’est ça ton rite de passage. Il faut que tu me trouves le moyen de m’introduire dans vos systèmes, sans que ton supérieur s’en aperçoive. - Tu me demandes de trahir mon employeur en quelque sorte ? - Si tu y réfléchis un instant, aujourd’hui tu es à la NASA, mais sais-tu où tu seras demain ? Ta boite est une plate-forme stratégique qui pourra m’ouvrir les portes d’un secteur en plein essor. Je pense qu’une poignée de militaires travaillent en étroite collaboration avec la NASA sur le développement d’armes laser, mais également sur du matériel de surveillance embarquée dans des satellites. Si c’est le cas, il faut que je le sache. - Très bien, je verrais ce que je peux faire, répliqua Tony. - Parfait. En attendant, comme tu es là encore quelques heures, tu vas te rendre utile. J’ai une caisse de mouchards à tester. - Qu’est ce que je dois faire ? demanda Tony. - Tu vois ces petits circuits imprimés, ce sont des modules qui enregistrent les saisies sur un clavier. Il faut les initialiser en indiquant l’adresse d’envoi des fichiers collectés. Tony fut tiré de sa rêverie par l’arrivée de son cousin qui revenait le chercher pour se rendre à l’aéroport. Sur le chemin du retour, ils discutèrent de tout et de rien avant que la conversation ne se focalise sur l’avenir de la fondation. Mauricio était inquiet pour son poste. Il était l’homme de main de Durand, son protégé en quelque sorte. Depuis son décès, sa fonction risquait de prendre une tournure tout autre. - Henri m’a nommé « président par intérim », annonça Tony. Le poste est intéressant, mais j’ai des envies bien différentes. Je vais m’arranger pour faire promouvoir quelqu’un de confiance que tu pourras surveiller pour moi, juste au cas où. - C’est génial ça Tony, tu es un frère ! - 342 - Ce dernier n’ajouta rien, mais ses pensées n’étaient pas aussi pures qu’il le montrait. Durant le trajet, il se remémorait la façon dont il avait dévié les soupçons du FBI sur son cousin : le pauvre Mauricio qui croyait toujours agir pour le bien de la fondation. Il était le candidat idéal pour cette fonction. En cas d’arrestation, il ne savait rien des véritables enjeux qui animaient les têtes pensantes de la fondation. Par conséquent, il ne pouvait rien divulguer. Cette fameuse nuit où ils avaient remplacé les claviers informatiques sur ce parking d’un bar routier, Tony s’était occupé de la mise en place des puces électroniques, mais c’est Mauricio qui l’avait conduit, avait crocheté la remorque du camion et avait fait le guet. C’est également lui qui s’était introduit dans les locaux du FBI et avait détruit les ordinateurs récupérés en Suisse. En liaison radio avec Tony qui le guidait à distance, il avait pris tous les risques. Tony avait simplement supervisé son action à distance, en le suivant à l’aide du système de surveillance. Il avait également effacé les traces pouvant compromettre son cousin. La seule erreur qu’il avait réalisée et qu’il ne pouvait pas mettre sur le dos de Mauricio était sa fuite en voiture, lors de son arrivée à la NASA, peu avant l’explosion de la navette. Cette journaliste, Liz McCarthy, avait réussi à lui insinuer un doute sérieux et l’avait affolé. Un égarement qu’il ne commettrait pas une seconde fois. Le sang froid était une chose qu’il maîtrisait parfaitement, sauf en présence d’une personne ayant une telle aura. Le magnétisme qu’elle dégageait lui avait fait perdre une partie de ses moyens. Il avait douté et s'était enfui comme un petit truand de seconde zone avant de reprendre le contrôle de ses émotions. En analysant toutes les options qui s’offraient à lui, il avait préféré jouer la carte du jeune homme naïf. Il s’était arrangé pour que le FBI ne puisse lui reprocher que son délit de fuite. Un écran de fumée devant les yeux des fédéraux. Cela avait égratigné son cousin au passage, mais c’était le prix à payer. Pourtant, il en était ressorti plus fort mentalement et psychologiquement, et avait fait une rencontre aussi imprévue qu’excitante en la personne de Jessica Jones-Smith, son avocate toute dévouée. Même s’il lui était impossible de reprendre les activités cachées de son mentor, il n’envisageait pas de devenir le président d’une fondation d’une telle envergure. Il n’était pas encore prêt pour plonger dans la - 343 - fosse aux requins. La politique ne l’intéressait nullement. Malgré le fait que le savoir-faire de Durand avait bel et bien disparu avec lui, le pouvoir dont il avait joui pendant toutes ces années commençait à lui faire envie. Poursuivre ses activités cachées était le meilleur moyen de lui rendre hommage. CHAPITRE 74 - Allo Kevin ? - Bonjour Sarah, répondit-il. - Comment ça va après tout ce qui s’est passé ? - L’ambiance est morose à la NASA, même si le travail reprend ses droits, comme toujours. - J’ai lu que le directeur Johnson avait posé sa démission… - Exact ! J’ai entendu dire qu’elle allait prendre effet dès la semaine prochaine. J’avoue que cette situation me fait un peu peur. J’avais appris à le connaître après toutes ces années. Je savais comment il réagissait, la façon dont il gérait les crises… En clair, il va nous manquer ici et je crois qu’on perd un grand homme. - Est-ce que vous avez tout de même le droit de prendre votre weekend ? demanda-t-elle comme si de rien n’était. - Il ne manquerait plus que ça ! balança-t-il. Après la semaine de folie que je viens de passer, j’ai même envie de partir plusieurs jours en congés. Je les ai bien mérités ! - Est-ce que ça vous dirait qu’on se fasse un restaurant ce soir ? - J’en serai ravi. Je ne vois que du vieux schnock à longueur de journée, alors vous me changerez les idées. On dit vingt heures, au restaurant de la plage ? - C’est parfait, finit-elle par répondre en souriant de toutes ses dents. Kevin avait travaillé comme un fou furieux durant plus d’une semaine, restant la plupart des nuits au bureau. L’explosion de la navette avait apporté un vent de morosité sur le complexe spatial. La disparition tragique d’astronautes n’était pas une chose facile à encaisser. Le directeur Johnson en avait fait les frais le premier en posant sa démission, même si cela lui fendait le cœur. Il aurait tellement voulu que le projet de station orbitale aboutisse pendant qu’il était aux - 344 - commandes. Lui qui l’avait porté à bout de bras depuis toutes ces années devait se résigner devant la fatalité. Il prenait une retraite anticipée à contrecœur. Pourtant, l’analyse des informations récupérées avant la perte de contact avec la fusée n’avait rien donné. Kevin, aidé de son acolyte Tony, mais également d’autres techniciens du centre, avait conclu qu’il n’avait plus aucun moyen matériel pour connaître la vérité sur ce drame. C’était la version officielle qu’il avait présentée lors de la réunion exceptionnelle qui avait eu lieu cinq jours plus tard. La navette ayant été entièrement détruite par l’explosion, il était inenvisageable dans ces circonstances d’envoyer un nouvel équipage pour collecter les débris. Les satellites de surveillance effectuèrent plusieurs rotations autour du lieu de l’accident sans répertorier le moindre indice. Le phénomène gazeux n’était pas réapparu dans notre système solaire. Plusieurs spécialistes en avaient conclu qu’il avait disparu en même temps que la fusée. Kevin sourit également en raccrochant son téléphone. Ce dîner en tête à tête avec Sarah lui ferait le plus grand bien. Il décida de quitter son travail plus tôt qu’à l’accoutumée. Le week-end arrivait à point nommé. Son appartement ayant besoin d’un bon coup de balai et de chiffon. Même s’il n’y avait pas mis les pieds depuis plus de quatre jours, la poussière ne l’avait pas attendu. « On ne sait jamais comment cette soirée peut finir », pensa-t-il. Il vaut mieux être prêt à toute éventualité. Il quitta le centre spatial très fatigué, mais d’une humeur excellente. Un sentiment qu’il n’avait pas ressenti depuis bien longtemps. Il arriva au restaurant à l’heure prévue, ni trop en avance pour montrer son impatience, ni trop en retard par courtoisie et savoir-vivre. Sarah apparut une minute plus tard, ce qui lui confirma qu’ils étaient sur la même longueur d’onde. Le soleil rougeoyant descendait doucement sur l’océan, une légère brise rafraîchissait l’atmosphère torride de la journée. Le cocktail aux fruits fut une véritable bénédiction, exaltant le corps et l’âme des deux convives. La discussion était volontairement anodine malgré une orientation inéluctable vers leur travail respectif. Sarah finit par aborder l’ultime sujet. - Quelles conclusions la NASA va-t-elle donner à toute cette histoire ? - Le communiqué officiel ne sera annoncé que durant le week-end. Cependant, j’ai une bonne idée sur ce qui va être déclaré. La perte de - 345 - l’équipage est une tragédie, mais aucun rapport n’a été établi entre ce qui s’est passé, et le virus informatique. Ils ne parleront pas de sabotage ni même de terrorisme. Le centre spatial conservera une attitude digne et nous poursuivrons la mission. - Et en coulisse, qu’est ce qu’il se dit ? - Pas grand-chose, en fait. Malgré toutes les recherches qu’on a pu faire depuis la découverte du virus, je pense que personne n’a d’idée précise sur ce qui est réellement arrivé. - Vous n’allez tout de même pas me faire croire que vous n’avez pas votre petite idée sur la question ? - Pour être tout à fait honnête, j’ai effectivement une théorie, répondit Kevin. Seulement, si je vous en parle, vous allez me prendre pour un dingue. - Ce n’est vraiment pas mon genre, répliqua Sarah le sourire aux lèvres par malice. - Permettez-moi d'en douter, répondit-il d’un air taquin ! Très bien, voilà comment je vois les choses. Lors de la précédente mission, la navette a rencontré un problème avant sa rentrée dans l’atmosphère. Elle a traversé, si on peut dire, une sorte de poussière électrostatique. On ne sait même pas si un réel contact a bien eu lieu. Hormis une coupure de communication de quelques secondes, il n’y a eu aucun autre symptôme. Trois jours plus tard, on découvre ce virus d’un nouveau genre, aux antipodes de ce qu’on rencontre actuellement sur les réseaux informatiques habituels. Le FBI rentre en scène, et vous connaissez la suite. Cependant, les recherches que j’ai effectuées m’ont amené, bien malgré moi je dois l’avouer, à prendre contact avec une biologiste. C’est peut-être de la pure folie, mais je pense que nous avons eu affaire à une forme de vie extraterrestre ! Sarah faillit s’étrangler en entendant ça. Une lampée de son cocktail venait de prendre le mauvais chemin. - Désolé, continuez ! - Laissez-moi finir avant de vous payer ma tête, déclara Kevin en guise de chamaillerie. Imaginez que vous êtes un organisme vivant, pas forcément pensant, mais ayant tout de même l’instinct de survie. Vous vous retrouvez bloqué dans une boîte de conserve, la première navette en l’occurrence, et soudain un miracle s’accomplit. La fusée est connectée au réseau terrestre pour effectuer les analyses usuelles et vous découvrez avec un terrain de jeu infini. Que ferait tout organisme dans - 346 - ces conditions ? Il se multiplierait jusqu’à la saturation de son espace vital. C’est la loi de la nature : la survie, puis la multiplication. Voilà pourquoi ils nous étaient impossible de comprendre le fonctionnement de ce soi-disant virus lors des premiers tests. Dès qu’on reliait un ordinateur infecté, l’organisme tentait de se propager quel que soit l'environnement dans lequel il évoluait. Notre biologiste a d’ailleurs analysé le code récupéré après le passage du phénomène. Elle a conclu qu’il s’agissait d’une sorte de codage ADN. Cela n’avait rien de terrestre, mais était suffisamment proche de ce que nous connaissons pour en être intimement persuadés. - De l’ADN ? demanda Sarah. - Ça n’a rien d’animal, ni même de végétal, car les différences sont marquantes, mais on peut l’associer à un organisme unicellulaire tel que les virus. Non informatique, j’entends ! - Si je comprends bien, vous voulez dire que Durand n’aurait rien à voir là-dedans ? - Je pense qu’il a simplement eu un coup de chance, ou plus précisément un coup de génie, à vous de choisir. Il a détecté l’organisme et a trouvé une solution pour le contenir. J'en ai la preuve. Qui sait s’il ne travaillait pas sur un moyen de communiquer avec cette chose ! Lui seul aurait pu nous le dire. En tout état de cause, quelque chose a muté chez cet organisme, car peu avant l’explosion de la dernière navette, j’ai effectué des tests complémentaires. J’ai eu l’incroyable surprise de constater que notre fameux virus était devenu totalement inerte. - Vous avez trop travaillé cette semaine, je ne vois pas d’autres explications. Où est passé votre esprit scientifique, cartésien, terre-àterre ? - Je me doutais que vous n’adhéreriez pas à cette théorie, confirma Kevin. C’est trop « surnaturel » pour le FBI ! Il est bien connu que vous n’avez aucun dossier concernant des petits hommes verts dans vos tiroirs, agent Scully !!! - C’est hilarant ! Mais pour être précis, c’est l’agent Mulder qui croit, Scully est la sceptique. - Admettons. Il y a quand même un point qui n’est pas à négliger : le virus n’a fait aucun dégât, aucune destruction de données, aucun système n’a été mis hors service, absolument rien. Il a simplement rempli les cases vides de nos médias de stockage. Ça donne à réfléchir ! - Effectivement, vu sous cet angle… - 347 - - Je ne pourrai rien prouver, mais je pense que cet organisme, après avoir exploré notre réseau informatique terrestre, a dû comprendre qu’il ne pourrait jamais s’y acclimater. Il s’est réfugié dans la seconde navette et est reparti dans l’espace, en attendant que « sa communauté » revienne le chercher. - Vous croyez que l’explosion de la fusée est liée à tout ça ? - Aucune idée, répondit-il. Était-ce un simple accident ou une vengeance ? Désormais, le seul moyen d’avancer est de remettre la main sur ce phénomène, mais il semble avoir disparu de la Voie lactée. - Alors, on fait quoi maintenant ? On enterre définitivement l’affaire ? - Nous sommes peut-être passés à côté d’une rencontre du troisième type sans le savoir, et notre technologie nous a purement et simplement induits en erreur. Nous n’avons pas pris le temps d’analyser en profondeur le phénomène et nous l’avons éradiqué par ignorance. Kevin fit une pause pour laisser Sarah emmagasiner ces informations insolites. - Je ne sais pas pour vous, mais j’ai grand besoin de prendre quelques jours de vacances maintenant. - Je crois que le FBI a encore le jet que nous avons utilisé pour aller en Suisse, répliqua Sarah. Ça vous dirait une petite virée dans le sud de la France ? - Chiche, répondit-il en se penchant vers elle, son regard braqué sur ses beaux yeux verts. Un courant électrique les traversa de part en part, puis leurs lèvres se rejoignirent pour la première fois. - 348 - - 349 - Remerciements Je tiens à remercier mes proches qui m’ont soutenu et encouragé pour la publication de ce roman. Merci également aux lecteurs qui auront pris le temps d’apprécier mon premier ouvrage. Tous les personnages dépeints dans ses lignes sont purement fictifs. Certains d’entre eux sont toutefois inspirés par diverses sources ( lecture, cinéma, série TV… ), mais restent de l’ordre de l’imaginaire. Vous pourrez suivre l’évolution de ce roman sur le site internet http://www.fabricemoreau.fr Note personnelle : Inutile de vous jeter sur votre clavier d’ordinateur pour vérifier si un mouchard n’a pas été inséré à votre insu… Ce type de contrôle est dépassé depuis bien longtemps ! Les pirates modernes disposent de moyens bien plus subtils désormais Achevé d'imprimer en septembre 2011 par TheBookEdition.com à Lille (Nord-Pas-de-Calais) Imprimé en France Dépôt légal : Octobre 2011 - 350 -