Lucio FONTANA - Musée d`art contemporain de Lyon

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Lucio FONTANA - Musée d`art contemporain de Lyon
Lucio FONTANA
Œuvre réalisée en octobre 1967 par
Lucio Fontana, seule originale et
autographe parmi les Ambiente Spaziale
exposées aujourd’hui, acquise en 1984 :
Ambiente spaziale, 1967
Dimensions : 235 x 346 x 295 cm
N° d’inventaire : 984.1.1
Lucio Fontana, Ambiente Spaziale, 1967.
© Blaise Adilon ©Adagp, Paris 2010
Lucio Fontana : « Nous sommes entrés dans l’ère de l’espace. […] Le premier manifeste du
spatialisme naît en 1946 à Buenos Aires. En 1947 se tiennent des réunions à l’étude des
architectes Belgioioso, Peressuti et Rogers, dans le bureau de Sassu et dans la galerie
Cardazzo, pour créer le “Movimento spaziale”. C’est en 1947, également, que paraît le premier
manifeste du spatialisme suivi, en 1948, d’un deuxième manifeste et en 1949 d’une “ambiente
spaziale” […].
1946 – Manifeste blanc à Buenos Aires. Évolution des moyens artistiques ; lumière, néon,
télévision.
1949 – Première « ambiente spaziale » au monde, ni peinture, ni sculpture ; […] suggestion
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libre et immédiate qu’une ambiente, créée par un artiste, transmet au spectateur . »
En 1949, en effet, Lucio Fontana réalise, à la galleria del Naviglio à Milan (où il exposera
désormais), sa première Ambiente spaziale.
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Elle est intitulée Ambiente spaziale a luce nera dit Ambiente nero .
Dans un espace noir, une forme abstraite, en trois dimensions et en suspension, peinte au
vernis phosphorescent, est éclairée par une lumière de Wood (lumière noire). L’œuvre,
exposée quelques jours seulement, crée un débat. Le 10 février, à l’occasion d’une réunion
hebdomadaire au cercle Jeudi de Germana Marucelli, Fontana donne une conférence et
présente l’œuvre comme la « première tentative pour se libérer d’une forme plastique
statique ». Et il précise : « L’important était de ne pas faire une exposition habituelle de
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tableaux et sculptures, et d’entrer dans le vif de la polémique spatiale . » À partir de cette date,
toutes les œuvres de Fontana sont intitulées Concetto spaziale.
Ce « milieu spatial à lumière noire » de 1949, ni peinture, ni sculpture est un moment très
e
particulier dans l’œuvre de Fontana et une date cruciale dans l’histoire de l’art du XX siècle
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« Pourquoi est-ce que je fais de l’art spatial », in Fontana, galerie Karsten Greve, Paris, 1989. Des
incertitudes subsistent sur la date de rédaction des manifestes. Le premier, dit Manifesto blanco est rédigé
en 1946 en langue espagnole à Buenos Aires où réside Fontana. Il est écrit par ses étudiants. Le second
Spaziali I (le premier manifeste italien) est, selon les sources, rédigé en mai 1947 ou mars 1948 par
Tullier, Kaisserlian et Joppolo (signé par Fontana, Milani, Giani, Grippa, Cardozzo, Joppolo). Le
troisième Spaziali II (le deuxième manifeste italien), rédigé par Beniamino Joppolo est publié fin 1948,
voire début 1949.
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Ambiente spaziale est quelquefois traduit par « Milieu spatial ». Nous utiliserons la plupart du temps le
terme italien original, qui privilégie « l’ambiance », c’est-à-dire la qualité particulière de l’espace
ambiant, ici et maintenant, tel qu’il est vécu par le spectateur.
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La « polémique spatiale » est lancée par les expositions, les déclarations et les manifestes des
spatialistes, par exemple : « Nous abandonnons la pratique des formes d’art connues et nous abordons le
développement d’un art fondé sur l’union du temps et de l’espace. » (souligné par nous.) ; « Couleur, son
mouvement, espace qui s’intègrent dans une unité à la fois idéale et matérielle. La couleur élément de
l’espace, le son élément du temps et le mouvement qui se développe dans le temps et l’espace. Ce sont
les formes fondamentales de l’art nouveau qui contient les quatre éléments de l’existence. Ces derniers
seraient les principes théoriques de l’art spatial. »
© Musée d’art contemporain de Lyon - 2010
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puisque l’Ambiente rend tangible un principe de dématérialisation et inaugure la transition de la
sculpture vers l’environnement.
Ce qu’on pourrait nommer « la série » des Ambiente spaziale, au nombre limité, débute en
1949 avec l’Ambiente nero, passe par l’arabesque fluorescente de la Triennale de 1951, puis
par l’environnement pour Italia’61, suivie des deux Ambiente de 1964, Milan Palazzo Reale et
Triennale 1964, et des deux de 1966, Minneapolis-Austin et Biennale de Venise, et s’achève
avec les trois Ambiente réalisées en 1967, respectivement au Palazzo Trinci de Foligno
(détruite, reconstruction posthume en 1982), à la galleria del Deposito à Gênes et au Stedelijk
Museum d’Amsterdam (détruite).
Lorsque nous apprenons qu’une Ambiente spaziale de 1967, seule rescapée, est disponible à
la galerie Durand-Dessert (Paris), nous décidons de l’acquérir dans les plus brefs délais. Nous
sommes alors en 1984, et ce sera la toute première œuvre acquise par le Musée. Celle-ci est
réalisée par Fontana le 3 octobre 1969, entre 11 heures et 16 heures à la Galleria del
Deposito, à Gênes.
Dans la descendance de l’Ambiente nero, cette œuvre reflète un tournant de l’histoire et
anticipe l’« installation ». À ce titre, elle est un moment très spécifique. C’est à partir de cette
œuvre que le principe de la collection de moments devient pour le Musée de Lyon un objet de
réflexion, puis peu à peu un enjeu structurel.
Qu’est-ce qu’un moment ? La notion est inventée (comme on le dit d’un trésor), expérimentée,
puis amplifiée, étirée avec la complicité des artistes que nous invitons alors : Abramović et
Ulay, J. Kosuth, L. Weiner, M. Nordman… Elle est la plupart du temps formulée dans le cadre
de productions spécifiques créées à partir des problématiques de chacun des artistes. Ce sont
des constructions syntagmatiques (voir les notices Kosuth, Buren, Sarkis) ou des totalités
diachroniques (voir les notices Abramović/Ulay, Jan Fabre, Parant), qui définissent ellesmêmes leur propre temporalité. Le
récolement de ces moments ou leur
fabrication devient peu à peu l’axe
principal sur lequel se construit la
collection. C’est évidemment dans la
logique des œuvres et dans le
dialogue avec ces artistes que tout
cela peu à peu s’expérimente, chaque
cas singulier ayant valeur d’exemple.
La collection de moments s’adosse à
des enjeux programmatiques tels que
la « Création permanente » de Filliou,
la « vacuité » de Nordman, la
« disparition » de Parmiggiani, la
« durée » d’Abramović et Ulay, le
« moment philosophique » de Kosuth,
le « specific site » d’Irwin, le « in situ »
de Buren ou l’« Ambiente » de
Fontana,
toutes
notions
qui
questionnent les limites du musée. Peu
à peu, nous glissons vers l’œuvre
générique, qui est un moment
circonscrit dans une problématique
particulière. La collection générique vise
l’universel. L’œuvre générique (souvent
monumentale ou composée de nombreux éléments) vise une problématique particulière,
caractéristique de l’œuvre d’un artiste et qui a valeur de paradigme.
Nous la rapprocherions, à une échelle temporelle moindre (et sans descendance typologique)
de l’Objet premier défini par George Kubler, schème ou prototype décliné dans une série
historique (sur l’œuvre générique, voir les notices de Kabakov, Kosuth, LeWitt/Merz, Filliou, La
Monte Young ; sur les enjeux muséographiques, voir la notice Adilon).
L’Ambiente spaziale de 1967 que nous acquérons est composée de neuf toiles tendues sur
châssis assemblées de telle sorte qu’elles construisent une « cabane » à voir de l’intérieur (un
toit, quatre murs, une entrée). Le public est invité à pénétrer dans cet espace sombre, éclairé à
la lumière noire. Sur les toiles, qui sont des tableaux, des points phosphorescents dessinent
des lignes, semble-t-il, aléatoires, mais qui suggèrent ou plutôt commentent les trois
Lucio Fontana, Ambiente Spaziale, 1967. © Blaise Adilon
©Adagp, Paris 2010
© Musée d’art contemporain de Lyon - 2010
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dimensions. La quatrième est donnée par notre propre déambulation, incertaine car sans
repère et sans guide, laissée à notre libre arbitre et pour une durée relevant de notre seule
décision. Avec l’Ambiente spaziale, Fontana renonce aux papiers ou toiles perforées, les
Bucchi, dont la finalité consiste à aller au-delà de la paroi, mais dont le résultat contribue aussi
à souligner l’importance de la surface. Dans l’Ambiente spaziale, en lumière noire, l’espace
circonscrit s’estompe tout comme disparaissent les limites matérialisées par les fonds noirs
rendus invisibles des toiles. Le visiteur est véritablement dans l’espace, sans qu’il soit
nécessaire de recourir au substitut symbolique de la perforation de la surface, (le « concept »
spatial). En bref, Fontana projette notre regard au-delà de la toile, dans toutes les directions,
tout en nous maintenant en deçà, enveloppés que nous sommes par l’immatérialité,
physiquement incarnée par le noir lumineux de l’Ambiente spaziale. Celle-ci est acquise en
octobre 1984, elle porte le n° d’inventaire : 984.1 .1. Elle semble bien, pour reprendre Fontana,
« un art fondé sur l’union du temps et de l’espace ».
Lucio Fontana
Né en 1899 à Rosario (Argentine), décédé en 1968 à Comabbio (Italie)
© Musée d’art contemporain de Lyon - 2010
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