Le nettoyage et l`obturation du système canalaire sans instruments

Transcription

Le nettoyage et l`obturation du système canalaire sans instruments
Pratique quotidienne · formation complémentaire
Le nettoyage et
l’obturation du
système canalaire
sans instruments
conventionnels
le point de la situation
Adrian Lussi
Le nettoyage optimal, ainsi
que l'obturation hermétique à l'égard des bactéries de l'ensemble du système canalaire, sont les
conditions préalables au
succès à long terme de tout
traitement endodontique.
Les auteurs présentent une
méthode novatrice qui permet de préparer nettoyer et
obturer les canaux radiculaires de façon entièrement
automatique et sans l'utilisation d'instruments. Cette
nouvelle méthode est
conçue de manière à atteindre l'ensemble du système canalaire, à le nettoyer
et à l'obturer par des procédés entièrement automatiques. Le présent travail a
comme objectif de donner
une vue d'ensemble du mode d'action et des effets de
la nouvelle méthode, ainsi
que de préciser l'état actuel
de sa mise au point.
Université de Berne, Clinique de traitements conservateurs
de médecine préventive et de pédodontie
Mots clés: technique sous vide, NIT, endodontie,
nettoyage, obturation
Adresse pour la correspondance:
Klinik für Zahnhaltung, Prof. D r A. Lussi, Freiburgstrasse 7
CH-3010 Berne
tél. 031/632 25 70
fax 031/632 98 75
(Bibliographie et illustrations voir texte allemand, page 249)
Introduction
Un nettoyage optimal et une obturation étanche aux bactéries
(solidification) sont les conditions préalables pour le succès à
long terme d’un traitement radiculaire (SCHROEDER 1981). La situation anatomique compliquée des canaux radiculaires est en
contradiction avec la réalisation de ces objectifs (fig.1).
Durant ces dernières années, outre la préparation manuelle
conventionnelle, différentes méthodes mécaniques ont été introduites et testées. Globalement on peut constater que les méthodes mécaniques ne sont pas supérieures en ce qui concerne
le temps nécessaire et l’efficacité (CYMERMAN et al. 1983, WALKER
& DEL RIO 1989, HÜLSMANN & STRYGA 1993).
Toute préparation des canaux radiculaires est réalisée avec l’aide
d’un liquide de rinçage. L’hypochlorite est le produit le plus recommandé jusqu’à présent pour ses propriétés antiseptiques et
dissolvantes des tissus (NaOCl) (GOLDMAN et al. 1979, AHMAD et
al. 1987). La concentration varie de 1% à 5% selon l’école et selon l’auteur. D’autres produits de rinçage comme NaCl, H2O2,
Hibitane, alcool, Salvizol, eau distillée n’ont aucune propriété
désinfectante ou aucun effet dissolvant sur les tissus mous. Bien
que les techniques d’instrumentation présentées jusqu’à maintenant aient donné des résultats satisfaisants, il n’est que rarement possible de préparer et d’obturer les canaux secondaires.
Nous avons présenté une nouvelle méthode qui permet de nettoyer les canaux radiculaires d’une façon complètement auto-
Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 110: 3/2000
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Pratique quotidienne · formation complémentaire
matique et sans l’usage d’instruments. Avec cette nouvelle méthode totalement automatisée, le système canalaire peut être atteint, préparé et obturé dans son ensemble. (LUSSI et al. 1993,
PORTMANN & LUSSI 1994, LUSSI et al. 1995, LUSSI et al. 1996, LUSSI
et al. 1997a, b, LUSSI et al 1999a, b).
Le but de cet article est d’informer le lecteur sur l’état du développement et de l’efficacité de cette nouvelle méthode.
Efficacité du nettoyage
Lors du nettoyage automatique, des turbulences hydrodynamiques sont générées par des oscillations de pression qui ont
lieu sous vide et provoquent une rapide formation de bulles suivie de leur immédiate destruction dans le liquide de rinçage. Un
échange intense du liquide de rinçage est ainsi obtenu (fig. 2).
Les bulles ayant un diamètre maximum de 50 µm, le moyen de
rinçage peut pénétrer et agir aussi dans les canaux latéraux. Pour
cette raison, la visualisation de l’entrée des canaux n’est plus
nécessaire. L’accès à la chambre pulpaire est suffisant. Les oscillations de pression et l’ébullition qui en suit sont créées par un
moteur produisant une fréquence de 200Hz environ (fig. 3a). La
conduite d’aduction du liquide de rinçage, le système tubulaire
et la conduite d’évacuation du liquide usé sont appliqués et
construits de manière à ce que le nettoyage ait lieu sous vide
(fig. 3b). Un dépassement dans les tissus voisins devrait être
ainsi évité in vivo grâce à ce vide créé. Comme mentionné auparavant, le liquide de rinçage choisi est le NaOCl, car il allie les
meilleures qualités désinfectantes avec les meilleures propriétés
dissolvantes à une concentration se situant entre 1% et 5,25%
(ANDERSEN et al. 1992, BAUMGARTNER & CUENIN 1992).
Lors de nos recherches in vitro, nous avons essayé de simuler les
paramètres in vivo les plus significatifs. La dent extraite a été entourée d’un parodonte artificiel et l’essai a été conduit à température corporelle avec du sang synthétique. Ce sang synthétique, contenant un indicateur sensible à la présence
d’hypochlorite, a permis de détecter les plus infimes percolations de NaOCl. Dans les conditions normales d’utilisation de
l’appareillage, nous n’avons jamais observé de contamination
de NaOCl au voisinage de la dent.
La fig. 4 donne un aperçu de l’efficacité du nettoyage de la technique Step-back d’une part et de la technique non instrumentée
(NIT) d’autre part (LUSSI et al. 1993, LUSSI et al. 1997 b). Elle
montre que la NIT obtient des canaux plus propres que la préparation manuelle à condition d’utiliser des concentrations de
NaOCl supérieures à 1%. Ces essais ont été conduits avec un
équipement qui d’une part était très volumineux et d’autre part
consommait beaucoup d’hypoclorite. Un appareillage miniaturisé présenté récemment (fig. 3a), reposant sur le même principe, a réduit sensiblement (facteur de 10 à 20 fois) la consommation d’hypochlorite tout en étant encore plus efficace du point
de vue du nettoyage des canaux (LUSSI et al. 1999a). Seulement
7 ml de NaOCl par minute sont ainsi nécessaires au renouvellement du liquide de rinçage.
Le nettoyage automatisé n’implique aucune exportation de
dentine saine et ne conduit donc pas à un affaiblissement de la
dent. Les canaux radiculaires conservent donc leur forme irrégulière et parfois très gracile (fig. 1). C’est pourquoi il n’est plus
possible d’utiliser les méthodes habituelles d’obturation, car
l’accès pour des instruments comme un Lentulo ou un spreader
n’est pas possible. La préparation automatisée ayant pour l’instant été testée seulement sur des cas isolés, nous nous sommes
limités jusqu’à présent à obturer uniquement des canaux ayant
reçu une préparation conventionnelle.
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Efficacité de l’obturation
Grâce à l’application d’un vide de 15 mbar ou moins, le nettoyage est possible in vitro et in vivo si les conditions cliniques le
permettent (PORTMANN & LUSSI 1994, LUSSI et al. 1995, LUSSI et
al. 1996, LUSSI et al. 1997a). Le vide nécessaire à l’obturation est
beaucoup plus intense que celui suffisant au nettoyage. Alors
que pour le nettoyage la réduction de pression par rapport à la
pression atmosphérique est de 20 à 40 mbar (pression
atmosphérique ~1000 mbar). La dépression à atteindre pour
l’obturation est d’environ 990 mbar. (fig. 5). Après que la dent ait
été rendue étanche, elle est reliée à une pompe à vide à haute
puissance. La dépression nécessaire est obtenue aussi bien in vitro que in vivo, suivant le nombre de canaux, en un temps variant de 2 à 12 minutes. L’étanchéité nécessaire à obturer peut
être obtenue soit avec la pose d’un composite, précédée de mordançage et de liaison dentinaire, soit à l’aide d’un élastomère.
Dans les deux cas, la pièce de liaison correspondante, existant
en plusieurs dimensions, sera utilisée.
La méthode «indirecte», où la coronne est tout d’abord reconstruite en composite après mordençage et liaison dentinaire, a
l’avantage de pouvoir servir de provisoire après avoir terminé le
traitement (fig. 6). Ce moignon sert pour le nettoyage précédant
l’obturation et ne doit être donc réalisé qu’une fois. Après avoir
rendu la dent étanche, elle est reliée à la pompe à haute puissance pour obtenir la dépression nécessaire. Pendant ce temps,
le matériau d’obturation est mélangé, introduit dans le récipient
destiné à cet effet et dégazé. Le récipient est ensuite fixé sur
l’adaptateur et relié au système canalaire à l’aide d’un robinet et
aspiré dans le canal grâce à la dépression y régnant (fig. 7). Pour
faciliter une éventuelle révision des canaux, une pointe de gutta-percha calibrée au diamètre de la broche maître est introduite, suivie selon le cas d’autres pointes.
Dans la méthode «directe», l’étanchéité est obtenue avec un
matériau au silicone (fig. 8). Dans ce cas, des fils de Nylon stérilisés et flexibles sont introduits dans les canaux comme garde-places. Les fils maintiennent l’accès aux canaux jusqu’à
l’obturation. La coiffe de liaison étant conique, les extrémités
occlusales des fils de Nylon sont bloquées dedans. Pendant
que la coiffe est maintenue in situ entre les doigts, le volume se
situant entre la cavité d’accès et la coiffe d’adaptation est rempli avec un silicone par addition à prise rapide. (Jet Bite, Coltène, Altstätten/Schweiz). L’avantage de cette méthode directe
est le moindre temps nécessaire jusqu’à l’obturation proprement dite. Selon le cas, il pourra être décidé de reconstruire le
moignon provisoirement ou définitivement. La dépression est
obtenue in vivo dans le même laps de temps pour les deux méthodes. La méthode directe pourrait être également utilisée
lors de traitements canalaires devant être exécutés à travers un
travail prothétique conjoint préexistant. Tous les principaux
matériaux d’obturation existants peuvent être utilisés avec cette nouvelle méthode. La fig. 9 donne un aperçu de la percolation de colorant à travers les parois canalaires selon le type de
pâte d’obturation utilisé (LUSSI et al. 1999b). Dans tous les cas,
la nouvelle méthode présentée assurait un joint plus étanche.
Etant donné que le procédé d’obturation est un processus
physique qui dépend uniquement du vide obtenu, les résultats
de laboratoire (fig. 10) peuvent être transférés sur la situation
clinique (fig. 11). Les recherches de laboratoire ont été
conduites avec une dépression de 10 à 30 mbar. Cliniquement,
une dépression de 5 à 10 mbar est auspicable et atteignable, ce
qui donne une certaine marge de sécurité.
L’obturation a été réalisée sur plus de 300 patients avec succès,
Traitement totalement automatisé du système canalaire
sans que des effets secondaires désagréables dus à l’application
du vide soient ressentis.
Discussion
La méthode présentée a obtenu des résultats in vitro aussi bons
ou meilleurs que toutes les méthodes manuelles en ce qui
concerne le nettoyage des canaux radiculaires. L’usage de cette
nouvelle machine implique l’emploi de NaOCl comme solution
de rinçage. De plus, l’efficacité du nettoyage dépend de la
concentration de la solution utilisée. La concentration de 1%
semble moins efficace que celle de 3%. Le temps d’application de
la solution à 1% était de 15 minutes, celui des solutions à 2% et
3% était de 10 minutes. Toutefois, le temps supplémentaire avec
la solution à 1% ne suffisait pas à obtenir la propreté obtenue
avec les solutions plus concentrées. Afin d’éviter un passage du liquide dans les tissus périapicaux, l’appareillage est conçu de manière à ne jamais produire de pression positive. L’intensité de la
dépression à été limitée à 5 mbar pour éviter, lors des essais in vivo successifs, de provoquer un saignement par aspiration.
Un avantage possible de cette méthode non instrumentée est le
temps de traitement réduit. Des études précédentes (LUSSI et al.
1993) ont montré que le nettoyage avec les instruments à canaux manuels dure jusqu’à 3,2 fois plus longtemps. En outre, la
durée de traitement par dent de cette nouvelle méthode non
instrumentée ne dépend pas du nombre de canaux à traiter.
Bien que les essais présentés aient été réalisés in vitro, un environnement simulant les conditions in vivo à été réalisé. Les
dents extraites étaient immergées dans une solution ayant les
mêmes propriétés physico-chimiques que le sang et contenant
un indicateur sensible au NaOCl. Une technique spéciale
(NUSSBÄCHER 1992) imitant les tissus de soutien de la dent grâce
à un revêtement poreux recouvrant la surface de la racine a été
utilisée. De cette manière, il a été possible de contrôler que le
liquide de rinçage ne suinte pas à travers l’apex, ce qui a une
importance fondamentale pour une future utilisation clinique.
Pour le nettoyage, une légère dépression est réalisée de manière à empêcher un passage de NaOCl à travers l’apex. Nous
n’avons jamais constaté la présence de NaOCl en dehors de
l’apex. De prochaines études in vivo devront montrer quelle influence les hémorragies peuvent avoir sur le nettoyage ainsi que
l’absence de sortie de liquide de rinçage hors de l’apex. Les premiers traitements effectués sur patients n’ont porté aucun problème sur ce point de vue.
Un désavantage de cette méthode est que pour pouvoir obtenir
le vide pour réaliser le nettoyage dans la dent, il faut la rendre
étanche. Le vide créé doit être encore plus intense (15 mbar)
pour réaliser l’obturation du système canalaire. Nos études sur
patients ont montré qu’il est possible d’obtenir ce vide soit à
l’aide d’un élastomère (LUSSI et al. 1996), soit à l’aide d’une reconstruction réalisée avec la technique adhésive pour fixer la
coiffe d’adaption. Et ceci sans que les patients ne ressentent aucune douleur (LUSSI et al. 1997b).
On remarque que pour des raisons physico-chimiques, cette
nouvelle méthode provoque des volumes résiduels non remplis
dans les canaux obturés qui sont proportionnels au vide obtenu.
Plus le vide est intense, plus le volume résiduel est petit. Nos
études sur patients et au laboratoire montrent que radiologiquement ces volumes résiduels sont à peine visibles. Ce comportement est dû au fait qu’il n’y a pas de production de boue
dentinaire durant le nettoyage et que les tubulis dentinaires
vides créent ces volumes résiduels.
Remerciements
J’aimerai remercier de tout cœur les collègues qui m’ont aidé
à présenter mes recherches: François Achermann, Thomas
Attin, Wolfgang Buchalla, Andrea Fritzsche, Jean Grosrey, Markus Gygax, Peter Hotz, Stefan Imwinkelried, Bernd Klaiber, Nathalie Kohler, Luisa Messerli, Ulf Nussbächer, Peter Portmann,
André Schroeder, Hermann Stich, Domagoj Stojan et Beat
Suter.
Que la Commission pour la Recherche Scientifique et la Société
Suisse d’Odonto-stomatologie soient ici également remerciées
pour leur soutien financier.
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