DE KIEV À VILNIUS EN PASSANT PAR LA BIÉLORUSSIE : LES

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DE KIEV À VILNIUS EN PASSANT PAR LA BIÉLORUSSIE : LES
DE KIEV À VILNIUS EN PASSANT PAR LA BIÉLORUSSIE : LES
MARCHES DE L'EMPIRE ; l'EMPIRE EN MARCHE (?)
Avant de commencer l'article il s'agit de définir le terme « marches de l'Empire ». Pour
l'auteur l'Empire doit être entendu comme « imperium » : espace sur lequel s'impose des
règles uniformes. On a pendant longtemps parlé de « construction de l'Europe » au point
que certains ont pu s'illusionner et penser qu'il s'agissait d'un empire en construction. Les
années le montrent toujours un peu plus, l'Union Européenne n'est en fait qu'une région
d'un empire plus global, financier, anglo-américain symbolisé par les logos American
Express, SWIFT, Visa, Mastercard, Paypal, les distributeurs de billets, les tours des
banques nouvelles cathédrales. On a une petite idée (discutable) de cet empire immatériel
par l'expansion de Facebook par rapport à d'autres réseaux. Un imperium occidental, un
imperium chinois, un imperium russe, une spécificité brésilienne (mais pas indienne). La
France pleinement intégrée après quelques velléités d'indépendance dans les années 6080.
Cet empire s'accommode parfaitement d'états sans réels pouvoirs tant qu'ils sont ouverts
à la concurrence « non faussée » des entreprises, marques, enseignes, de drapeaux à
agiter en guise d'os à ronger ou d'élections « démocratiques » qui ne changent en rien les
règles du jeu. Que le cœur de cet empire soit de nature financière n'empêche évidemment
pas que cet empire ait une composante militaire à utiliser contre les récalcitrants (ceux qui
voudraient ne plus accepter le dollar, vendre en or ou créer des barrières douanières –
(quel sacrilège que ce mot).
Une marche est en géographie un confins, une région où l'on passe d'un système à un
autre, dans le cas de cet article du système anglo-américain-européen au système russe.
L'Ukraine répond presque parfaitement à cette définition d'entre-deux mondes, entre deux
systèmes. Le système banques, visa/mastercard, swift, compte en banque obligatoire
cohabite avec le système cash / webmoney / yandex pay.
1 : L'Ukraine ou le FMI m'affame.
Le voyage commence en Ukraine à Kiev. Kiev
capitale de l'Ukraine. Berceau de la culture russe
avec Novgorod. Pays complexe, comme la France
faite de régions diverses et encore mal intégrées.
Pays convoité depuis deux siècles par chacun des
impérialismes européens pour ses richesses
agricoles et minières incomplètement mises en
valeur, pays marqué par les influences polonaise et
lithuanienne à l'Ouest, russe au Nord et à l'Ouest,
Turque au sud ; pays indépendant en 1919 sous
tutelle allemande, puis république soviétique jusqu'en
1991. Pays en rapide respiritualisation, comme la
Russie, la Biélorussie, la Pologne, la Lituanie.
Ce pays intéresse la France et les Français puisqu' il a eu le « privilège » de goûter aux
joies des ajustements structurels du FMI. Qu'arrive-t-il à un pays alphabétisé, riche,
cultivé, industrialisé quand il fait appel au FMI pour « l'aider ». Dans le cas de l'Ukraine, il
suffit d'aller sur place et de constater : le long des rues, une bouteille de vodka tous les 50
mètres pendant des kilomètres, des personnes ivres-mortes sur la voie publique, des
forces de l'ordre qui à 8 heures vont prendre leur petit verre du matin, la corruption
massive pour palier des salaires ridicules ou absents, l'absence d'épargne par manque de
confiance dans l'Etat, une défiance envers la devise nationale ; l'émigration et la baisse
nette de population. L'Ukraine est un pays riche dont le peuple, moins conscientisé que
les lecteurs d'AgoraVox a encore du mal à comprendre pourquoi il ne se développe pas.
2 : La surprise biélorusse
Dans ces conditions, un pays
comme la Biélorussie, sans
énergie, sans grandes matières
premières devrait être dans
une pire situation. Ne parle-t-on
pas de la « dernière dictature
européenne » (quand on en
parle). Certes, il n'est pas si
facile d'entrer en Biélorussie.
Pas de « libre circulation des
personnes, biens, capitaux » ;
Au lieu de ça, il faut aller à la
police pour s'enregistrer (les
autorités veulent savoir qui est
où). A 100 kilomètres après un
trajet dans des rames de train hypermodernes de conception et fabrication russes, arrivée
à Gomel. Le décor et surtout l'impression change. Une ville propre. Quasiment pas un
papier ou détritus par terre. Pas une crotte de chien non ramassée. Des papiers jetés
dans les corbeilles prévues à cet effet. Des rues proprement pavées, des doubles vitrages
aux fenêtres, des façades entretenues et repeintes. Des voitures relativement neuves sur
les parkings. Pas de SDF dans les rues, pas de pancartes taguées, des cités un peu
vétustes mais repeintes et que les habitants respectent (les ascenseurs fonctionnent, les
boites-aux-lettres ne sont pas vandalisées).
La police patrouille par groupe de deux ou trois dans les rues. Elle n'est pas ressentie
comme une oppression mais comme un gage de sécurité ; On peut se promener à 3
heures du matin dans les rues de Gomel ou de Minsk sans crainte. Trois petites vieilles
toutes ridées se promènent à la tombée du jour se tenant par le bras et riant. On entend
beaucoup rire en Biélorussie. La police n'inspire pas la peur comme aux Etats-Unis ou
comme celle formatée par Sarkozy. Des mères laissent courir leurs petits enfants sans
crainte du méchant Dutroux embusqué derrière un arbre. En Biélorussie Dutroux est au
trou et pour longtemps. Dans chaque parc des aires de jeux pour enfants, des bancs
propres. Pour les plus grands un travail pour chacun (pas bien payé, ce n'est pas
l'Eldorado loin de là, mais une place dans la société sans stigmatisation). Une impression
globale de paix sociale et d'ordre. Il n'y a pas comme en Russie ou à Paris la l'hyperrichesse côtoyant les SDF et la tension, le ressentiment de classe qui va forcément avec.
Les habitants des HLM sont propriétaires ou accèdent à la propriété moyennant une
somme très symbolique. Le confort moderne n'a rien à envier à celui de l'occident sauf
que l'électroménager est fabriqué au pays ou en Russie et pas importé de Chine,
d'Indonésie ou de Malaisie. Les services publics fonctionnent. Partout où l'on peut on
préfère l'homme à la machine. Il n'y a pas une réforme / innovation / expérience sur les
citoyens cobayes chaque année. Rien à voir avec l'Ukraine où la Russie où les biens en
entreprises publics ont été brutalement transférés au privé pour une bouchée de pain.
En Biélorussie, pas d'amende-racket tous les 10 kilomètres, de privatisation d'autoroutes
amorties trois fois ou autre arnaque comme l'alcootest obligatoire, jetable, polluant et créé
pour favoriser la seule entreprise privée agrée. On a plus l'impression d'être dans un état
de droit qu'en France ou on a surtout l'impression d'être pris pour des cons. Ce que dit la
loi est clair et si on ne l'enfreint pas on a la paix et la protection de la société.
L'administration ne vous fait pas faire constamment son travail à sa place.
La contrepartie est évidemment que les personnes qui enfreignent les règles sont punies
et que le chaos n'est pas toléré. On est plus dans l'Union Européenne et comme par
hasard, les règles du commerce se simplifient permettant à des particuliers de vendre
leurs produits agricoles (de vieilles variétés goûteuses qui ne passeraient pas l'épreuve du
calibrage et de l'esthétique en UE). Les productions importées étant taxées, rapportant un
revenu à l'Etat, les productions locales ne sont pas tuées dans l'œuf ou étranglées année
après année par des règlements de plus en plus draconiens. Tout est naturellement bio
sans avoir besoin de le dire et il n'est pas besoin de faire payer une chose normale trois
fois plus chère sous prétexte qu'elle n'est pas irradiée ou industrialisée. On n'entend pas
parler de bio en Biélorussie parce que tout l'est.
La liberté politique ? L'auteur de ces lignes a compris au cours de ce voyage que quand
les cadres d'un pays sont solides, établis et fonctionnent bien, on ne passe pas son temps
à discuter ni leur bien-fondé ni la personnalité des dirigeants. On vit sa vie et pas celle des
« people » à la télé. En Biélorussie, âme russe oblige, la vie est très riche, sociale,
chaleureuse. « Moins de biens plus de liens » est un fait accompli en Biélorussie et pas un
slogan. Les églises rendues aux cultes sont pleines et l'esprit de cupidité universel
justement condamné en tous temps par le christianisme ne s'est pas (encore?) implanté.
En Biélorussie et tant que le grand voisin russe l'acceptera, les libertés réelles (liberté
d'avoir un travail, liberté de vivre dans un logement décent, liberté de ne pas craindre pour
ses biens ou sa personne dans l'espace public, liberté d'apprendre, liberté d'être soigné à
temps et gratuitement) prélaveront sur les libertés « Cohn-Bendit » du « moi moi moi », de
l'individualisme forcené du dernier homme qui externalise toutes ses nuisances dans un
espace public de plus en plus chaotique et entropisé. Si on ajoute à ces libertés la liberté
de jouir de parcs remarquables ouverts toute la nuit sans qu'ils ressemblent au bois de
Boulogne à trois heures du matin, d'ensembles architecturaux classiques naturellement
propriété de la collectivité (comme traverser le Louvre pour aller à la supérette), on se dit
que la « dernière dictature d'Europe » vaut le déplacement. La liberté du RER après 22
heures dans certaines stations est terrifiante à côté. La liberté des libertés est d'aller et
venir sans être inquiété ni par une police tyrannique ni par des voyous ou des bandes.
C'est semble-t-il l'état d'équilibre trouvé par la Biélorussie.
Le gouvernement biélorusse refuse de privatiser les biens communs aux vautours qui
rôdent autour : c'est une raison plus que suffisante pour le mettre à l'index, au même
niveau que la Corée du Nord, au rang des pays de la tyrannie avancée. C'est du
n'importe-quoi pour qui prend la peine d'aller voir ! Il faut espérer que la distance entre ce
qu'on entend dans les média autorisés et les faits n'est pas du même ordre pour la Syrie
ou le Venezuela. Aux dernières nouvelles l'immonde Chavez aurait pris l'argent du pétrole
pour donner des services de santé complets à toute la population. Qu'en pensent les
médecins qui refusent la CMU ? Qu'en pense le gouvernement garant de l'exécution des
lois qu'il vote ?
Puis le voyage continue vers le Nord en direction de Minsk. Là-encore liberté de se rendre
à la capitale (300 km pour le prix d'un café ou deux 2 €, ce qui n'est presque rien pour les
habitants du Belarus eux-mêmes). On aimerait bien que la SNCF-service public donne
cette liberté aux français pour qui trop souvent précarité (qu'on ne prononce surtout pas le
mot de pauvreté en France) rime avec assignation à résidence de fait ou autrement dit trou à
rat ?
La correspondance pour Vilnius nécessite de passer la nuit dans la gare, occasion
d'apprécier les conditions réelles régnant en Biélorussie. Premièrement la gare est ouverte
toute la nuit ainsi que les services principaux. On n’est pas mis à la rue après 1 heure du
matin. La police patrouille toute la nuit, fait son travail sans volonté d'humilier ou de
terroriser la population. Des jeunes femmes ou mères dorment visiblement sans crainte.
Ni peur ni agressivité palpables ; Les alcooliques qui entendent faire valoir leur liberté
d'emmerder les autres sont par contre virés sans que la population ne semble s'en
indigner. Pas de distributeurs de tracts, pas de mendicité, de cas sociaux. La salle
d'attente est ce qu'elle est : une salle pour attendre. C'est un vrai plaisir de retrouver des
mots qui ont un sens !
La comparaison entre l'Ukraine où est passé le FMI et la Biélorussie où il n'est pas passé
semble toujours à la faveur du pays où le FMI n'a pas mis les pieds. L'arrivé à Vilnius est
une confirmation.
3 : Vilnius : retour au pays de la carte en plastique.
Il ne s'agit pas de caricaturer Vilnius qui mériterait un livre.
La Lituanie revient de très loin. Une autre ville aux cent
clochers ! Une autre ville baroque, la plus vieille langue
indo-européenne ressuscitée, un grand peuple européen
qui reprend une partie de son destin en main. A quel prix ?
L'américanisation sauvage. Paris frappe par les SDF
côtoyant une avalanche de richesses. Vilnius par les vieilles
mendiantes sans retraites à qui les riches touristes jettent de temps en temps une pièce
dans un décor baroque magnifique. Retour des tubes américains sur les ondes. On les
avait oublié dans l'espace russe qui produit sa culture. Retour des symboles de l'empire
financier (Amex, Visa, Visa électron, Mastercard, Maestro, V Pay). Retour des boutiques
de luxe pour quelques-uns tandis que la majorité se contentera de regarder les vitrines,
développant envie, besoins frustrés, vol peut-être ? Retour des enseignes globales. Pour
beaucoup la liberté se résume à celle de payer les factures et d'accepter le pouvoir du
patron, le maître qui tient en pratique votre vie entre ses mains. Beaucoup essaient de
devenir leur propre patron. Sitôt diplômée, le jeunesse cherche à partir pour acquérir les
moyens de la vie de consommation si longtemps frustrée. C'est une bonne affaire pour le
cœur européen. La propagande européenne avec son génie du maquillage réussit à
masquer cet aspect des choses qui détermine pourtant toutes les autres libertés qu'elle
prétend faire valoir. On est bien en UE : liberté pour qui peut payer. Escamotage du reste
dans un tour de passe-passe marketing.
Vous faites partie des 10 % de la population qui peut payer ? Allez en Lituanie : c'est un
pays de rêve : tout à portée de coup de téléphone. Le restaurant trois fois par jour. L'hôtel,
les divertissements, les services. Le système européen est fait pour vous. Payer avec
telle ou telle carte « avantages VIP » permet de multiplier les « points », les « miles »
permettant d'obtenir du « cashback ». Plus on est riche, plus on récupère son argent.
Après le petit déjeuner à l'hôtel Radisson, un massage à l'huile d'ambre permettra de
dissiper les courbatures de la nuit si elles existent, puis vous pouvez vous faire refaire une
sourire tout neuf à la clinique dentaire. Une petite maladie ? Le Baltic-XXXX Clinic propose
à la clientèle solvable l'éventail complet des services médicaux du plus haut de gamme.
« Si votre beauté vous abandonne », pas de panique : la clinique XXXX viendra à votre
« rescousse » tandis qu'au XXXX Aqua-Park vous expérimenterez les joies de l'apesanteur.
Taxis, restaurants, avions, souvenirs (ambre) n'attendent que vous et votre carte bancaire
approvisionnée. Si vous vous ennuyez trop, venez donc vous désennuyer au musée du
diamant (toutes cartes acceptées) ou prenez votre billet pour le « XXXX night-club » . Tout
est tarifé et votre vie devient strictement égale au solde de votre (vos) carte(s) en
plastique. Ne craignez pas trop pour votre solitude. La carte en plastique fait des miracle :
elle vous donnera un charme indéfinissable et un charisme certain.
Si vous faites partie des 10 % ne changez rien : ce système des « libertés» européennes
est parfait pour vous*.
* : A la lumière de la vie en Biélorussie, la question reste posée pour les 90 % restants qui pourront regarder un reportage à la télé sur les belles
façades d'hôtel de luxe restaurées avec leurs impôts européens.

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