(09 oct 11)
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(09 oct 11)
Exposition / Au musée Jacquemart-André à Paris Dans les prières d’un « frère angélique » Dans la Florence qu’emporte la formidable lame de fond de la Renaissance, un moine dominicain apporte une décisive contribution à une nouvelle vision de la peinture. Le musée Jacquemart-André, à Paris, offre à Fra Angelico sa première exposition jamais montée en France. Fra Angelico (1387-1455) Épisodes de la vie de saint Nicolas : la naissance, la vocation et le don aux trois jeunes filles pauvres, vers 1437 tempera et or sur bois, Inv. 40251, 35 x 61,5 cm, Pinacothèque vaticane, Rome – Musées du Vatican, Cité du Vatican © 2011. Photo Scala, Florence La mission pouvait paraître impossible. Fragiles, précieuses, peintes sur des supports en bois sensibles à la moindre variation de température, les peintures de Fra Angelico sortent très difficilement des salles de musées par ailleurs peu enclins à lâcher leurs chefs-d’œuvre. « On nous disait : « Vous en aurez cinq ou six, une dizaine tout au plus. » Et nous en présentons 24 ! », commente, sourire satisfait, Nicolas Sainte Fare Garnot, conservateur du musée Jacquemart-André à Paris. Certes, un tel plateau constitue en soi un réel exploit, rendu possible grâce au partenariat mené avec de grandes institutions italiennes, dont l’incontournable Galerie des Offices à Florence. Mais l’exposition ne prétend pas pour autant au titre de rétrospective. Objectif en soi irréalisable pour une figure majeure du Quattrocento qui s’est puissamment exprimée dans l’art de la fresque comme en témoigne encore aujourd’hui le musée San Marco de Florence. Cet aspect-là ne peut être évoqué que par une vidéo incitant le visiteur à faire le voyage à Florence. « Notre effort a surtout consisté à mettre l’accent sur des aspects essentiels de la carrière de Fra Angelico », indique l’historienne d’art Giovanna Damiana, surintendante du pôle muséal de Venise, et qui signe le commissariat général de l’exposition. Un peintre prononce ses vœux Résumer en une cinquantaine d’œuvres l’exceptionnelle efflorescence artistique de la Toscane de la première moitié du Quattrocento, et la part active qu’y apporta Fra Angelico, paraîtra téméraire. Le parcours proposé ici n’en documente pas moins cette séquence importante de l’histoire de la peinture occidentale qu’illustrent quelques petits bijoux dont on s’étonne même que les prêts aient été accordés – de véritables chefs-d’œuvre de Fra Angelico comme La Thébaïde ou Le Couronnement de la Vierge , du musée des Offices à Florence, Naissance et vocation de saint Nicolas, aumône aux trois jeunes filles pauvres, de la Pinacothèque du Vatican, L’Ascension, le Jugement dernier, la Pentecôte, de la galerie nationale du Palais Corsini, à Rome, le panneau de L’Armoire aux argents , du musée San Marco de Florence … On découvre ainsi le contexte dans lequel un jeune peintre toscan, Guido di Pietro, d’une piété affirmée au point de prononcer ses vœux au couvent dominicain de Fiesole, aux portes de Florence, va bientôt s’imposer comme un maître de la peinture. Les plus grandes familles patriciennes (Médicis, Strozzi…), les hauts dignitaires de l’église et même deux papes emploieront celui que l’histoire de l’art, à travers l’incontournable chroniqueur Vasari, a retenu sous le nom de Fra Angelico. Formé auprès de Lorenzo Monaco, peintre talentueux mais qui incarne encore la persistance du gothique international, le jeune artiste ne tardera pas à tracer une autre voie et à s’éloigner d’un style qui raffole des fonds dorés et ne cherche pas à reproduire l’illusion de la perspective. Il est vrai que dans ce domaine les choses bougent, l’exemple venant d’artistes directement confrontés aux trois dimensions : l’architecte Filippo Brunelleschi et le sculpteur Donatello, dont les travaux s’inscrivent dans l’espace. Quelque chose flotte alors dans l’air, que Fra Angelico ne sera d’ailleurs pas le seul à saisir. Un Masaccio, de la même génération que Fra Angelico mais à la longévité bien moindre (il meurt à 27 ans, sa mort privant la Renaissance d’un pur génie) en offre l’exemple le plus abouti. Il est malheureusement absent de l’exposition mais son complice de la fameuse chapelle Brancacci (Florence), Masolino da Panicale, y est représenté, tout comme Paolo Ucello ou Filippo Lippi qui s’inscriront dans des problématiques similaires. « C’est l’incarnation d’une prière » Vierges à l’Enfant, Crucifixions, scènes tirées des Évangiles… Si Fra Angelico interroge constamment le langage de la peinture, en explore les possibilités dans les domaines de la couleur (il est un extraordinaire coloriste capable de restituer une perspective atmosphérique par le seul dégradé des tons) ou de la perception spatiale, s’il met à profit sa formation de miniaturiste pour soigner les moindres détails, c’est d’abord et avant tout pour célébrer le message christique. Vasari, qu’il ne faut pas toujours croire, racontait cependant qu’il était incapable de peindre la figure du Christ sans pleurer. Bien plus tard, l’Église, saura se montrer reconnaissante, à travers le pape Jean-Paul II qui en fera un «bienheureux» et le patron des artistes. Membre de l’Institut de France et président de la Fondation Jacquemart-André, Jean-Pierre Babelon, définit l’art de Fra Angelico d’une belle manière : « C’est l’incarnation d’une prière. » Serge Hartmann Jusqu’au 16 janvier au Musée Jacquemart-André, 158 boulevard Haussmann. Tous les jours, de 10h à 18h-21h30 le lundi et le samedi. 01.45.62.11.59. www.musee-jacquemart-andre.com En quelques dates : - Vers 1400: naissance de Guido di Pietro à Vicchio di Mugello. - 1417: première mention du peintre. - 1418: apparaît pour le paiement d’un tableau d’autel d’une église de Florence. - 1424: devient Fra Giovanni, au couvent de l’Observance dominicaine de Fiesole, près de Florence. - 1436: les moines s’installent à Florence, au couvent San Marco. Fra Angelico y peindra une magnifique Annonciation et assurera la décoration des cellules de l’établissement. - 1445: est appelé à Rome auprès du pape Eugène IV pour y décorer deux chapelles du Vatican, aujourd’hui disparues. - 1448-49 : décore la chapelle Nicoline au Vatican, à la demande du pape Nicole V. - Vers 1450: retour à Florence d’un artiste à l’apogée de sa notoriété. Devient prieur du couvent San Domenico de Fiesole. - 1455: meurt à Rome où le pape Nicolas V l’avait appelé, deux ans plus tôt. Il est inhumé dans l’église Santa Maria sopra Minerva de Rome.