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Corrigé question de corpus n°2 (séquence 2) sur le personnage de roman
Nos trois extraits de roman renvoient à deux ouvrages naturalistes, le roman L’assommoir inscrit dans le cycle
romanesque d’Emile Zola les Rougon-Macquart, puis le Bel-ami de Maupassant disciple de Flaubert et élève de Zola,
auxquels s’ajoute l’incipit célébrissime du roman l’étranger, à ce jour, parmi les romans les plus lus à l’étranger et
incarnant l’absurdité de la condition humaine en 1942.
Nos trois incipits sont aussi le moment où en plus de la mise en place du récit, un héros apparaît, plus ou moins
propulsé, plus ou moins mis en avant par son auteur. Comment le héros s’impose-t-il dans ces différents extraits ?
Nous verrons que dans les extraits deux présentent un héros relativement soutenu par son auteur (textes A et C),
tandis que le texte B laisse très vite apparaître que le narrateur se désolidarise de son héros : l’anti-héros est déjà là.
Les textes A et C entendent instaurer une complicité tantôt évidente (texte A) tantôt relative (texte C) entre
lecteur et héros. L’héroïne apparaît immédiatement dans le texte A, même si elle n’est pas éponyme. Elle ouvre le
texte dès le terme liminaire « Gervaise » et ce dans sa dénomination la plus intime, son prénom seul. De la même
façon le héros de l’étranger, s’impose aussi en tant que narrateur (« je ne sais pas » à la deuxième phrase) et de façon
familière puisqu’un terme de niveau de langue familier (relevant d’un langage enfantin) ouvre le texte : « maman ».
Le recours à l’image maternelle, universellement compris par les lecteurs, constitue également une garantie
d’empathie avec le personnage, du moins au début de l’histoire.
Le lecteur est amené à adhérer au sort du personnage, aussi grâce au temps verbal employé. Pour Gervaise, c’est grâce
à l’emploi du temps tout au long de l’extrait de l’imparfait duratif « elle faisait », « montrait » « il y avait » que nous
prenons forcément le temps de rester avec l’héroïne et que nous nous installons durablement dans son quotidien, ce
qui facilite la compassion. Nous éprouvons d’autant plus de pitié pour elle que nous avons la sensation de passer un
temps infini à ses côtés. Pour Meursault, au texte C, c’est le recours au temps du passé composé, temps de l’oralité et
de la spontanéité, qui génère cette impression certes de sécheresse mais aussi de proximité avec le personnage : le
temps passé composé, dans son immédiateté, sa spontanéité, passe outre les règles de l’écriture du récit et évite aussi
de tomber dans le récit rétrospectif guindé et lointain. Le récit abruptement conduit au passé composé semble plus
direct, plus moderne, plus contemporain de nous lecteurs et le héros du coup, s’impose plus naturellement à nous,
sans l’artifice du récit rituellement dévolu au duo passé simple/imparfait.
Pour le texte B en revanche, nulle empathie et un héros qui s’impose au sens courant du terme, autant dire,
qui prend trop de place. Le héros est sujet de tous les verbes quasiment (« sortit », « portait », « cambra » etc.) et se
définit par des valeurs dépréciées, comme l’argent (le champ lexical de l’argent couvre tout le texte, dès le premier
groupe nominal « la caissière », « monnaie », « sous », « francs », « prix ») mais aussi par l’apparence : « un regard »,
« les regards », « l’air », « ressemblait ». On remarquera que le personnage n’est que second après la caissière, autant
dire qu’il dépend de l’argent et ne vient qu’après, dans la phrase, la mention financière. S’il s’impose c’est donc à ses
dépens, de façon malhabile et dans le cadre d’une présentation peu avantageuse, non pathétique mais bel et bien
satirique. D’ailleurs, il s’impose provisoirement, puisqu’il disparait en fin d’extrait au profit de la périphrase « mauvais
sujet des romans populaires », consacrant sa perte d’identité et donc d’intérêt dès le début du roman.
En conclusion, à un demi-siècle d’intervalle, le héros a changé de rôle et de statut : filtre incontournable du
roman naturaliste, à travers lequel le lecteur se voit guidé, déjà anti-héros à la fin du 19e siècle, il devient cet être
insaisissable au début 20e siècle, qui nous accroche autant qu’il nous rebute ou dissuade. On aurait pu associer à ce
groupement l’incipit de la Modification de Michel Butor. Avec ce roman relevant du Nouveau Roman, le héros s’impose
dès le début certes (le « vous » liminaire du texte) mais son identité est instable et variable, puisque la deuxième du
pluriel, ce « vous » qui couvre tout le roman, change au gré des lecteurs qui successivement vont l’incarner. Le héros
et le lecteur ne forment qu’un et l’on se demande bien s’ils sortent grandis ou bien minimisés par cette étrange
confusion.

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