Clientèle psychogériatrique à domicile et dépendance

Transcription

Clientèle psychogériatrique à domicile et dépendance
Clientèle psychogériatrique à domicile
et dépendance :
principes d’évaluation et d’intervention.
Charles Aimé Courcelles, travailleur social
Services ambulatoires de psychogériatrie
Centre de santé et de services sociaux de la Montagne
Contexte de la présentation
• Clients référés majoritairement par le programme
Soutien à l’autonomie des personnes âgées (1ère ligne)
• Équipe de 2e ligne:
o Rôle d’évaluation
o Rôle de consultation
• Les clients sont évalués à domicile
Distribution des âges en 2012-2013
• 76 % des personnes sont âgées de plus de 75 ans
Réalité de la clientèle de psychogériatrie
• La présence de comorbidités multiples
• Lourdeur inhérente
Mon intention aujourd’hui
• Décrire les caractéristiques du travail dans le
contexte de la comorbidité
• Expliquer comment nous travaillons avec le
réseau des partenaires
Vieillissement, santé mentale et dépendance
L’approche de notre équipe
• Vision globale:
sur une personne plutôt que sur un «cas»
• Ontogénèse du vieillissement de cette personne
○ Histoire de sa vie
○ Historique de ses maladies
L’approche de notre équipe (suite)
• Tenir compte
o De l’environnement humain
Niveau d’isolement
Présence ou non de la famille
Type d’entourage
o De l’environnement physique
o De l’exposition à une très grande vulnérabilité de
source multifactorielle (bio psycho sociale)
L’approche de notre équipe (suite)
• Une collaboration inter-équipes
Ce qui inclut les intervenants de tous les secteurs
et les gestionnaires
• Une analyse interdisciplinaire
 C’est impossible pour une seule personne de tout
couvrir lorsqu’il y a plusieurs problématiques
L’approche de notre équipe (suite)
• Une démarche jamais terminée pour contrer l’âgisme
 Les personnes âgées ne sont plus «dans le coup»
 Les personnes âgées sont inutiles
 Les personnes âgées sont condamnées à la sénilité
Les vieux ne sont plus capables d’exprimer leurs besoins
Ils n’ont pas à être consultés, on peut prendre charge
 Les personnes âgées ne méritent pas qu’on les soigne
C’est normal d’être déprimé quand on est vieux
C’est normal d’être incontinent, malade
Ils ont peu à attendre de la vie
(adapté de l’Organisation mondiale de la santé 2012)
L’approche de notre équipe (suite)
• Une conviction fondamentale qu’il y a quelque
chose à faire
• Tout en conservant des objectifs réalistes
(Éviter l’âgisme ne signifie pas que l’on nie le vieillissement)
Vieillissement, santé mentale et dépendance
• Le plan d’intervention
o est influencé par la présence de troubles cognitifs
et par le niveau d’aptitude
o est influencé par la collaboration avec les
partenaires
Vieillissement, santé mentale et dépendance
• La présence de la dépendance à une substance
o n’est pas un critère d’exclusion
o perçue comme une tentative d’auto traitement
Mme C
• 77 ans, vit seule dans un 2½ pièces
• HTA, traitée par médecin de famille du CSSS
• Idéations paranoïaques (Hx psy : inconnue)
• Anxiété généralisée
• ROH suspecté
• AVQ-AVD : totalement autonome et mobile
• Fracture poignet droit (2002)
Mme C (suite)
Pendant notre évaluation en 2008 nous apprenons:
• Boit du vin à tous les jours, quantité non objectivée
• Mentionne débuter pendant la préparation du souper et
boire légèrement en soirée. «C’est un luxe que je
me paie parce que je suis toute seule en préparant
le souper. Je ne me couche jamais saoule. »
• Elle nie catégoriquement consommer durant ses sorties
à l’extérieur
• Elle nie que la consommation d’alcool lui occasionne
des difficultés (chutes, cognitif/mental, autres)
• Elle reconnaît un usage problématique lorsqu’elle buvait
avec son époux, mais en rejette cependant la
responsabilité sur lui
Mme C (suite)
• Difficulté à s’endormir
• Fait usage de Dormiphen extra fort 50 mg,
achat sans prescription
• Rapporte n’en prendre que depuis trois semaines
seulement, à raison de deux ou trois fois par
semaine
• Par contre, un premier flacon est déjà presque vide
et elle a pris la précaution d’en acheter un
nouveau afin de ne pas en manquer
Mme C (suite)
Notre évaluation en 2008 confirme qu’elle est
apte mais vulnérable :
• Aucune évidence de trouble cognitif
• Discours avec présence d’idées délirantes de type
paranoïaque
• Anxieuse, sans évidence d’affect dépressif
Mme C (suite)
Analyse des possibilités d’intervention
• Aucun d’insight sur sa paranoïa
o pas de demande d’aide pour son anxiété générale
• Pas de danger justifiant une intervention
professionnelle quant à la paranoïa
• Par contre, si elle est laissée sans soutien (ni
dépistage) nous la retrouverons peut-être dans
un état très détérioré dans quelques années
Mme C (suite)
• Madame donne son assentiment pour une
référence au Groupe Harmonie
• Nous espérons que ceci pourrait limiter l’usage
des substances et favoriser un dépistage
précoce si elle détériore physiquement et/ou
cognitivement
Mme C (suite)
Résultats
• Suivi du Groupe Harmonie pendant six mois
(Refus de Mme de travailler sur sa dépendance, ne veut
que se plaindre des gens qui l’incommoderaient)
• Suivi médical au CSSS se poursuit entre 2088 et
2013
• Référence au SAPA du CSSS en 2010 par Md pour
supervision générale
• Respect de son autonomie entre 2008 et 2013
o Droit québécois: l’autonomie prime sur le droit à la protection
(Vulnérable mais apte)
Mme C (suite)
• Nouvelle référence en psychogériatrie en 2013
o 11 jours à l’hôpital en septembre après un appel aux
policiers (plainte paranoïaque)
o Évaluation gériatrique: diagnostic de démence
o Idéations paranoïaques toujours très présentes
o Consomme encore de l’alcool, quantité non objectivé
• On nous demande d’évaluer la sécurité de la vie
à domicile
Mme T
•
•
•
•
74 ans, veuve, vit seule dans sa maison
Dépression sévère (début 2000, maladie de l’époux)
Dyslipidémie
Incontinence urinaire sévère, pas d’incontinence
fécale
• À risque élevé de dénutrition
o Réduction du poids de 120 à 85 livres en une année,
secondaire à une perte d’appétit et aux oublis de
manger
• Aucun diagnostic ni évaluation des fonctions
cognitives ni de l’état mental
• 2007 - Cancer sein gauche (mastectomie partielle)
Mme T (suite)
• Buvait 1 bouteille de Cinzano par jour mais son
frère a cessé de lui en acheter après qu’il l’eut
retrouvé dans un état «léthargique»
• Maintenant, six bières par jour
• Se rend à l’épicerie tous les matins pour l’acheter
• Consomme dès son retour et n’ouvre plus la
porte ni ne répond au téléphone
• Nie formellement sa consommation même si nous
lui montrons les bouteilles vides
Mme T (suite)
Notre évaluation confirme
• Un niveau élevé de vulnérabilité sociale et
financière
• Poursuite de la vie à domicile est très précaire
et dépend entièrement sur l’aide prodiguée
par son frère et son épouse
Mme T (suite)
• Détérioration moyenne à sévère des fonctions
mentales et cognitives (mémoire, fonctions
supérieures de la pensée)
• Possibilité de syndrome démentiel dont
l’étiologie n’est pas définie à ce jour
• Notre opinion est que Mme est totalement
inapte à la personne et totalement inapte
aux finances
Mme T (suite)
• L’usage de l’alcool vient exacerber ce portrait
clinique
• Ils se pourraient également que nous assistions
à une récidive non identifiée du cancer
Mme T (suite)
Notre travail avec les partenaires
• Informer la famille qu’en cas de transport à
l’urgence, il faut aviser le médecin au sujet
de l’usage d’alcool et du risque de sevrage
• Mme fut enregistrée aux Services des
incendies de Montréal comme personne
vulnérable vivant seule
Mme T (suite)
Notre travail (suite)
• Référence pour évaluation gériatrique (établir
étiologie médicale de l’inaptitude, investiguer
cause du problème urinaire, vérifier récidive
du cancer)
• En prévision de cette référence, nous avons
obtenu la collaboration du médecin de
famille pour prescrire un scan cérébral de
même qu’un bilan sanguin gériatrique
Mme T (suite)
Notre travail (suite)
• Rencontre avec la famille
o Enseignement et soutien par rapport aux résultats
des évaluations médicales et de l’évolution du
portrait clinique
o Recommandation de faire homologuer le mandat
en cas d’inaptitude
o Discussion sur les limites du maintien à domicile
et sur l’admission en hébergement permanent
Mme T (suite)
Résultats
• Le mandat est homologué
• Madame est sevrée de l’alcool
• Madame est hébergée
o Elle est propre
o Elle mange
o Elle est protégée
• Son frère et sa belle-sœur sont rassurés
et … récupèrent de leur épuisement
Défis et des espoirs (ou désespoir)
Le travail de réseau
et
les relations avec les partenaires
Mon expérience après 30 ans
• Services ambulatoires de psychogériatrie
• Centre de crise
• Pavillons de l’Institut Philippe-Pinel
• En déficience intellectuelle sévère
• Formateur dans divers milieux
• Proche de personnes malades
Travail de réseau/relations partenaires
• Conserver l’objectif de voir et d’intervenir
au-delà de la dépendance
• Comprendre la personne dans sa globalité
o Sa vie auparavant, maintenant et future
o La fonction du symptôme (de la consommation)
o La présence de maladies physiques
o La présence de problématiques psychologiques et
cognitives
Cette compréhension aura un impact sur la
définition du risque et du danger
• Évaluation et la définition du danger est
différente pour la clientèle de psychogériatrie
o Souvent il n’y a pas de danger direct (grave et
immédiat)
o Présence de danger grave et imminent en raison
de la présence de plusieurs facteurs de risque
Compréhension du risque et du danger
(suite)
• Évaluation et la définition du danger est
différente pour la clientèle de psychogériatrie
o À cause des paradoxes inhérents à l’âgisme
 pcq l’on peut croire qu’il n’y a jamais de danger
immédiat
 pcq l’on peut croire qu’il faut toujours prendre
charge
Compréhension du risque et du danger
(suite)
• Respect de deux droits complémentaires:
o Respect de la liberté, de l’autonomie, du
consentement
o Droit au secours en cas de danger, parfois malgré
la volonté de la personne
Comme l’illustre les exemples de Mmes C et T
Défis du partage de l’information
• La permission de communiquer
o Prévue dans les lois dépend de la définition
légale du danger (acte de violence, suicide,
armes à feu)
o La très grande vulnérabilité multifactorielle n’est
pas couverte dans le cadre juridique actuel
Il faudrait parfois communiquer malgré l’interdiction
légale
Par contre l’âgisme et l’inaptitude ouvrent la porte à la
permissivité
Défis du partage de l’information
• Obligation de discernement
o Pouvoir décider de communiquer même lorsqu’il
n’y a pas de danger immédiat pour la vie
o Éviter de communiquer seulement pcq la
personne est vieille ou inapte
Défis du travail et des relations avec les
partenaires
• Échange et collaboration
o Respect des champs de compétence et des
expertises respectives
o Développement d’une compréhension commune de la
situation
o Définir des objectifs qui font sens pour chacun des
partenaires
o Partage de l’information, gestion judicieuse du secret
professionnel
Défis avec les partenaires (suite)
• Respect des partenaires des différents secteurs
• Respect de la personne aidée dans ses besoins
• Implication de la personne aidée comme partenaire
o Aptitude partielle (capacités résiduelles)
o Inaptitude totale
o Autres aspects psychologiques et affectifs
Conclusion
Entre défis et espoir
Travail réseau
• Importance de voir le travail intersectoriel
comme un travail en équipe interdisciplinaire
• Double statut des familles
o À titre de partenaires
o Comme personnes nécessitant soutien et
enseignement
Conclusion
Entre défis et espoir
Psychogériatrie à domicile et dépendance :
• Importance d’avoir une analyse globale sur les
situations multi problématiques
o Conviction qu’il est possible d’intervenir
Intervenir à cause de (et malgré) la complexité
o L’équilibre et le rythme dans l’intervention
Tenir compte du vieillissement
Conclusion
Entre défis et espoir
Commentaire
• Se rappeler qu’il existe
o Un vieillissement dit normal (personnes en santé)
o Un vieillissement pathologique (personnes malades)
o Un vieillissement socialement pathologisé (âgisme)
Période de questions
Monsieur X
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•
•
Trouble cognitifs
Trouble du comportement grave
Délire et psychose
Reprise de la consommation d’alcool
Refus d’être aidé
Violence physique et harcèlement sexuel
Personne connue et reconnue dans son milieu