Note JES pouvoir R des CT-1

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Note JES pouvoir R des CT-1
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Le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales
(3 juin 2014)
Les collectivités territoriales (CT) exercent le pouvoir réglementaire un peu comme M
Jourdain faisait de la prose.
Et, à l’instar non plus de M Jourdain, mais du Premier ministre, les CT disposent de deux
types de pouvoir réglementaire :
-
l’un est autonome (comme il y a des décrets réglementaires autonomes, c’est-àdire se passant de base légale)
-
l’autre s’exerce pour l’application de la loi.
Ce qui ne veut pas dire que ce pouvoir réglementaire des CT soit illimité.
*
* *
A l’automne 2012, le Conseil d’Etat (CE) a été amené à rendre au Gouvernement un avis
sur le pouvoir réglementaire des CT.
Plus précisément (voir son rapport d’activité pour 2012), il a été saisi par le ministre de
l’intérieur et par la ministre de la réforme de l’Etat, de la décentralisation et de la fonction
publique de la question de savoir dans quelles conditions peut s’exercer le pouvoir
réglementaire que les collectivités territoriales (CT) tiennent de l’article 72 de la
Constitution.
La demande d’avis faisait suite aux « Etats généraux de la démocratie territoriale », ainsi
qu’à certaines initiatives législatives1, tendant à instituer au niveau local un pouvoir d’adaptation
de (ou de dérogation à) la norme nationale.
La demande d’avis ne dissimulait pas qu’elle était formulée « dans le cadre des
réflexions engagées pour la préparation d’un nouvel acte de décentralisation » et que « le
Gouvernement envisage de faciliter et de développer l’usage du pouvoir règlementaire des
collectivités territoriales ».
Le Président de la République avait exposé lui-même aux Etats généraux de la
démocratie territoriale du 7 octobre dernier que (cit) : « Lorsque l’intérêt général le justifiera, et
compte tenu des spécificités de nos territoires, les collectivités territoriales auront la possibilité
d’adapter localement la loi, dans des limites bien précises ».
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Voir la proposition de loi (PPL) présentée par M Doligé et la proposition de loi présentée par M Morel A
L’Huissier, toutes deux soumises au Conseil d’Etat pour avis, en application du cinquième alinéa de l’article 39 de
la Constitution
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Le CE était particulièrement saisi des interrogations suivantes :
- Dans quelle mesure le législateur peut-il confier directement à des collectivités
territoriales le soin d’édicter des mesures d’application d’une loi ?
- Les collectivités territoriales peuvent-elles, sur le fondement de l’article 72 de la
Constitution, faire usage de leur pouvoir réglementaire sans y avoir été spécialement habilitées
par la loi ou par le règlement national ?
- Les collectivités territoriales peuvent-elles disposer d’un pouvoir règlementaire pour
l’application d’une loi qui, sans régir spécifiquement leurs compétences, a une incidence sur
l’exercice de celles-ci ?
- Comment s’articulent, pour l’application d’une loi, le pouvoir réglementaire du Premier
ministre et celui des collectivités territoriales ?
- Dans quelle mesure le principe d’égalité est-il susceptible de limiter l’exercice du
pouvoir réglementaire des collectivités territoriales ?
- Dans quelle mesure le législateur peut-il, dans le cas d’une compétence partagée entre
plusieurs niveaux de collectivités territoriales ou d’une matière relevant de la compétence de
plusieurs niveaux de collectivités territoriales, hiérarchiser les différents pouvoirs réglementaires
locaux ?
- Le législateur peut-il édicter une disposition d’application générale qui définirait les
conditions et les limites dans lesquelles les collectivités territoriales peuvent faire usage de leur
pouvoir réglementaire ?
J’indique d’emblée le sens global de la réponse :
-
Oui, il est possible, lorsque l’intérêt général le justifiera et compte tenu des
spécificités locales, de doter les collectivités territoriales du pouvoir de fixer les
modalités locales d’application de la loi, dans la limite de leurs compétences et
dans le respect des exigences constitutionnelles (en particulier le principe
d’égalité) ;
-
Mais cela ne peut se faire qu’au cas par cas et selon les matières. Il serait en
revanche illusoire de rechercher une formule générale et transversale, à l’effet de
doter les collectivités territoriales d’un pouvoir général d’adaptation des lois et
décrets (une réponse analogue avait été faite à propos de l’art 1er de la PPL
déposée en 2011 par M EricDoligé).
Les positions prises par le Conseil d’Etat sur les projets de loi examinés depuis cet avis
(loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et
d'affirmation des métropoles, puis projet de loi du printemps 2014) ont conforté cette analyse.
La demande d’avis ne portant pas sur les compétences de nature législative confiées par
la loi organique aux collectivités régies par les articles 74 et 77 de la Constitution, l’avis de
novembre 2012 n’en traite pas : c’est un sujet en soi (par exemple : de quelle latitude dispose la
Polynésie française pour inverser la règle selon laquelle le silence vaut rejet s’agissant des
procédures administratives non contentieuses relevant de sa compétence ?).
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N’a pas non plus été abordée la question, propre aux collectivités régies par l’article 73
de la Constitution, de l’habilitation donnée à celles-ci, en vertu de cet article, pour fixer ellesmêmes les règles applicables sur leur territoire. La demande d’avis ne la soulevait pas non plus
et c’est encore un sujet en soi.
Enfin, n’a pas été davantage traitée la question des pouvoirs normatifs susceptibles d’être
temporairement attribués aux collectivités territoriales participant à une expérimentation, que
celle-ci soit réalisée dans le cadre de l’article 37-1 de la Constitution (aux termes duquel : « La
loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée déterminés, des dispositions à
caractère expérimental »), ou qu’elle soit du type défini au quatrième alinéa de l’article 72 de la
Constitution. La demande ne portait en effet que sur des dispositifs permanents.
Pour clarifier la problématique, mais aussi pour tester la cohérence des réponses
apportées, je verse aux débats un schéma logique qui a la prétention de résumer l’approche ici
proposée (voir annexe)
J’ai également tenté de repérer non seulement dans la jurisprudence des deux ailes du
Palais Royal, mais encore dans la doctrine récente des sections administratives du CE des cas
significatifs au regard de la problématique évoquée par les auteurs de la demande d’avis.
*
**
Aux termes du troisième alinéa de l’article 72 de la Constitution, « Dans les conditions
prévues par la loi, ces collectivités [les collectivités territoriales] s'administrent librement par
des conseils élus et disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs
compétences ».
Cette précision sur le pouvoir réglementaire des CT a été introduite dans la Constitution
par l’article 5 de la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation
décentralisée de la République.
La nouvelle formulation énonce explicitement des règles dégagées dès avant 2003, tant
par le Conseil d’Etat (voir le rapport de F Bernard sur le projet de loi de 2001 relatif à la Corse)
que par le Conseil constitutionnel, notamment dans sa décision n° 2001-454 DC du 17 janvier
2002 sur la loi relative à la Corse (considérants 12 et 13), et constamment appliquées par la suite
(par exemple : n° 2004-503 DC du 12 août 2004, Loi relative aux libertés et responsabilités
locales).
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N° 2001-454 DC du 17 janvier 2002
12. Considérant qu'aux termes de l'article 21 de la Constitution : "Le Premier ministre (...) assure
l'exécution des lois. Sous réserve des dispositions de l'article 13, il exerce le pouvoir
réglementaire (...)" ; que, toutefois, l'article 72 de la Constitution dispose : "Les collectivités
territoriales de la République (...) s'administrent librement par des conseils élus et dans les
conditions prévues par la loi" ; que ces dispositions permettent au législateur de confier à une
catégorie de collectivités territoriales le soin de définir, dans la limite des compétences qui lui
sont dévolues, certaines modalités d'application d'une loi ; que, cependant, le principe de libre
administration des collectivités territoriales ne saurait conduire à ce que les conditions
essentielles de mise en oeuvre des libertés publiques et, par suite, l'ensemble des garanties que
celles-ci comportent dépendent des décisions de collectivités territoriales et, ainsi, puissent ne
pas être les mêmes sur l'ensemble du territoire de la République ;
13. Considérant, d'une part, que les dispositions précitées du premier alinéa du II du nouvel
article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales doivent être entendues comme
rappelant que le pouvoir réglementaire dont dispose une collectivité territoriale dans le
respect des lois et des règlements ne peut s'exercer en dehors du cadre des compétences qui
lui sont dévolues par la loi ; qu'elles n'ont ni pour objet ni pour effet de mettre en cause le
pouvoir réglementaire d'exécution des lois que l'article 21 de la Constitution attribue au Premier
ministre sous réserve des pouvoirs reconnus au Président de la République par l'article 13 de la
Constitution ;
Comme l’explicite le commentaire aux Cahiers, pour l'exercice des compétences que
décide de lui confier le législateur, une collectivité territoriale peut fixer des règles dans les
cas et conditions définis par celui-ci.
Il n'y a rien en soi d'inconstitutionnel, ni même d'inhabituel, à ce que le législateur dote
une catégorie de collectivités territoriales d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice d'une
compétence déterminée.
Ce pouvoir réglementaire local existe et nous l’avons cent fois rencontré.
Les compétences confiées par la loi aux autorités décentralisées ne se réduisent pas en
effet à la capacité d'effectuer des opérations matérielles, de passer des contrats ou de prendre des
décisions individuelles.
L'exercice de la compétence transférée réside souvent dans le pouvoir de fixer des règles
générales (il suffit de penser à la réglementation de l'urbanisme).
La décision du 17 janvier 2002 fournit au demeurant plusieurs illustrations d’attribution
du pouvoir réglementaire à une collectivité territoriale qui n’ont été jugées contraires ni au
principe d’égalité, ni à l’indivisibilité de la République, ni à aucune autre exigence de valeur
constitutionnelle (considérants 28 et 29).
Il n’en reste pas moins que le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales n'est ni
autonome, ni originel, comme l'est, en vertu de l'article 21 de la Constitution, celui du Premier
ministre.
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L’article 21 ne fait en effet, s’agissant du pouvoir réglementaire du Premier ministre,
qu’une seule et unique réserve : celle des prérogatives réglementaires que le Président de la
République tient de l’article 13.
L’article 21 ne réserve pas le pouvoir réglementaire reconnu aux CT par l’article 72. Ce
silence est, on va le voir, lourd de signification.
Il en résulte, selon une doctrine constante et constamment rappelée par les conclusions
des rapporteurs publics des formations contentieuses du Conseil d’Etat, que le pouvoir
réglementaire des collectivités territoriales, quoique potentiellement large in concreto, a un
caractère constitutionnellement résiduel.
Il est doublement limité :
-
parce qu'il s'exerce dans les bornes d'une compétence définie par la loi ;
-
parce qu'il emprunte des formes fixées par la loi (renvoi à une délibération du
conseil municipal ou du conseil général ou du conseil régional, ou à tel arrêté de
leurs exécutifs, pour fixer telle ou telle modalité).
Cette double limitation est imposée par les termes de l'article 34 de la Constitution :
« La loi détermine les principes fondamentaux (...) de la libre administration des
collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources ».
Par ailleurs, ce pouvoir réglementaire local doit se couler sans friction dans
l’environnement juridique dans lequel se situent les CT : il doit respecter les lois et règlements,
ainsi que les principes de valeur supra-réglementaire.
Parmi ces principes, comme le relève à juste titre la demande d’avis, une place spéciale
doit être faite au principe d’égalité.
Selon une jurisprudence constante, la modulation des modalités d’application d’une
norme législative que permet, au plan local, la dévolution d’un pouvoir réglementaire aux
collectivités territoriales doit reposer :
-
sur une différence objective de situation entre collectivités ou territoires
-
ou sur une raison d’intérêt général
et la différence de traitement en résultant doit être, dans un cas comme dans l’autre, en
rapport direct avec la finalité de la législation en cause (c’est-à-dire celle dans le cadre de
laquelle un pouvoir réglementaire est confié aux collectivités territoriales).
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Ainsi, en permettant aux communes d'exonérer de l'impôt sur les spectacles, jeux et
divertissements certaines catégories de compétitions sportives organisées sur leur territoire par
des associations sportives agréées, afin de favoriser le développement d'évènements sportifs, le b
du 3° de l'article 1561 du CGI a instauré une différence de traitement reposant sur des critères
objectifs et rationnels. Il n'en résulte pas de rupture d'égalité (n° 2012-238 QPC du 20 avril 2012,
cons. 10 à 12).
En tout état de cause, les conditions essentielles de mise en oeuvre des libertés publiques
(la liberté de l'enseignement par exemple) et, par suite, l'ensemble des garanties que celles-ci
comportent ne sauraient dépendre des décisions de collectivités territoriales et ainsi varier sur
l'ensemble du territoire.
La jurisprudence constitutionnelle est ancienne et constante à cet égard :
- n° 84-185 DC du 18 janvier 1985 (loi modifiant et complétant la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 et portant
dispositions diverses relatives aux rapports entre l'Etat et les collectivités territoriales) ;
- n° 93-329 DC du 13 janvier 1994 (loi relative aux conditions de l'aide aux investissements des établissements
d'enseignement privés par les collectivités territoriales).
La révision constitutionnelle du 28 mars 2003, qui a modifié l’article 72 de la
Constitution, change-t-elle la donne en ce qui concerne la possibilité, les conditions et les limites
d’exercice par les CT d’un pouvoir réglementaire ?
Cette question, fort légitime, appelle une réponse résolument négative.
Il ressort clairement en effet de ses travaux préparatoires que la loi constitutionnelle du
28 mars 2003 n’a remis en cause :
- ni l’impossibilité, pour le pouvoir réglementaire des CT, d’empiéter sur le domaine législatif
(du moins en dehors du champ des expérimentations conduites au titre du nouveau quatrième
alinéa de l’article 72 et en dehors des collectivités d’outre-mer dotées d’un pouvoir législatif par
la loi organique en application des articles 74 et 77) ;
- ni le régime rappelé par les cons 12 et 13 de la décision n° 2001-454 DC du 17 janvier 2002 en
ce qui intéresse l’existence du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales.
Le troisième alinéa de l’art 72, dans sa rédaction issue de la révision de 2003, s’est borné
à énoncer explicitement, à consacrer, le pouvoir réglementaire des CT dans son contenu et ses
contours antérieurement admis par la jurisprudence des deux ailes du Palais-Royal.
C’est ainsi qu’a été retiré, face à l’opposition du Gouvernement et de la plupart des
sénateurs intervenants, un amendement, présenté en première lecture par la commission des lois
du Sénat, qui, à l’article 21 de la Constitution, introduisait la réserve du troisième alinéa de
l’article 72, dans sa nouvelle rédaction. L’amendement était précisément inspiré par le constat
que la nouvelle rédaction du troisième alinéa de l’article 72 ne faisait que « consacrer le droit en
vigueur » et qu’il fallait permettre au législateur « de confier l’application des lois au pouvoir
réglementaire local à l’exclusion de celui du Premier ministre » (voir le rapport de M. René
Garrec au Sénat sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l’organisation décentralisée de la
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République, et plus précisément son commentaire sur l’article 4, § 3 ; ainsi que les débats à la
séance publique du 30 octobre 2002).
Va dans le même sens le reste des travaux préparatoires à la révision de 2003 tant au
Conseil d’Etat qu’au Parlement (voir le rapport de Pascal Clément à l’AN, commentaire sous
l’intitulé « La consécration du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales »).
Pour tous les intervenants :
- Le troisième alinéa de l’article 72 de la Constitution consacre un pouvoir réglementaire des
collectivités territoriales qui existait déjà ;
- La loi constitutionnelle du 28 mars 2003, dans sa teneur finale, n’affecte ni les conditions, ni
les limites antérieures de l’exercice de ce pouvoir réglementaire.
Certes, la révision de 2003 a permis aux collectivités territoriales ou à leurs groupements,
dans les très strictes conditions énoncées au quatrième alinéa de l’article 72, lorsque la loi ou le
règlement l’a prévu, de déroger à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux
dispositions législatives ou réglementaires qui régissent leurs compétences, sauf lorsque sont en
cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit
constitutionnellement garanti.
Mais cette disposition, pour ainsi dire jamais appliquée (et à ne pas confondre avec
l’expérimentation de l’art 37-1), est un simple « lit de justice » contre le considérant du CC, dans
sa décision sur la Corse de janvier 2002, selon lequel le pouvoir normatif d’une catégorie de
collectivité territoriale ne peut empiéter sur la loi, « fût-ce à titre expérimental ».
Comme il a été dit, le présent avis ne portait pas sur l’expérimentation. Je ne parle de ce
quatrième alinéa que parce que j’y vois un a contrario par rapport à la question posée : si le
constituant a prévu une extension du pouvoir normatif des CT à titre expérimental, c’est qu’il n’a
pas permis cette extension à titre permanent.
Il résulte de ce qui précède que la solution dégagée par la décision du 17 janvier
2002 du Conseil constitutionnel, à ses considérants 12 et 13, conserve toute son actualité.
Dès lors, les réponses suivantes ont pu être apportées aux questions soulevées dans la
demande d’avis.
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1. Quant aux conditions dans lesquelles les collectivités territoriales peuvent être
amenées à édicter des mesures d’application des lois
Sur ce premier volet, l’avis ressemble un peu à un extrait du jurisclasseur
administratif…Il s’agit en effet bien davantage de rappeler l’existant, qui fournit à la fois les cas
pratiques et les solutions, que de résoudre des points de droit inédits.
a) Le premier élément de réponse est dans l’importance décisive des dispositions prises
au cas par cas par le législateur.
Il appartient à chaque texte législatif régissant les compétences des collectivités
territoriales de préciser les règles dont l’édiction est confiée aux collectivités territoriales
pour l’exercice de cette compétence.
Une telle dévolution du pouvoir réglementaire n’est justifiée que si - et dans la mesure où
- la modulation qu’elle permet ne se heurte pas aux règles et principes de valeur constitutionnelle
et, plus particulièrement, au principe d’égalité.
Ainsi :
- L’attribution d’un pouvoir réglementaire aux CT doit être justifiée soit par une
différence objective de situation entre collectivités territoriales (ou, plus exactement, entre
circonstances locales, en ce compris les caractéristiques humaines, géographiques,
économiques et culturelles des divers territoires), soit par un motif d’intérêt général, l’un et
l’autre en rapport direct avec la finalité de la législation dans le cadre de laquelle est
décidée cette dévolution de pouvoir réglementaire ;
- Elle ne peut conduire à ce que les conditions essentielles de mise en oeuvre des
libertés publiques dépendent des décisions de collectivités territoriales et puissent ainsi
varier sur l'ensemble du territoire.
Le principe d’égalité ne s’impose pas avec la même intensité selon les domaines, car
ceux-ci ne bénéficient pas tous de la même protection constitutionnelle.
Aussi le principe d’égalité permet-il à la loi, selon les matières, d’attribuer aux
collectivités territoriales :
- un pouvoir réglementaire (qui va du régime des aides aux entreprises au barème des indemnités
versées aux personnels locaux, en passant par les règles d’urbanisme local, la tarification des
services publics locaux et la détermination de règles de composition et de fonctionnement
d’organes locaux, y compris électorales), la loi et le décret encadrant cet exercice de façon plus
ou moins étroite selon le domaine,
- ou seulement un pouvoir de gestion,
- voire s’oppose à l’attribution de quelque pouvoir que ce soit, individuel ou réglementaire (pour
ne prendre qu’un exemple : l’éloignement des étrangers en situation irrégulière…).
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Il a été par exemple considéré par les formations consultatives du CE que l’attribution et
le suivi du revenu de solidarité active pouvaient être confiés aux départements, mais que les
caractéristiques principales de son mode de calcul devaient, pour respecter l’égalité entre
allocataires, être définies par une norme nationale. En matière de RSA, il n’y a donc pour
l’essentiel, au niveau des départements, qu’une compétence de gestion…
De son côté, le Conseil constitutionnel a fait la théorie générale des conditions dans
lesquelles la loi peut créer une prestation nationale d’aide sociale dans des conditions permettant
de respecter le principe d’égalité sur l’ensemble du territoire, dans deux décisions topiques :
-
n° 96-387 DC du 21 janvier 1997 (Prestation spécifique dépendance) ;
-
n° 2001-447 DC du 18 juillet 2001 (Allocation personnalisée d’autonomie 2001).
Il en est ressorti, dans les deux espèces, que le législateur opérait une conciliation
correcte des exigences constitutionnelles en cause (libre administration, onzième alinéa du
Préambule de 1946, principe d’égalité) en prévoyant que les paramètres principaux de cette
prestation seraient fixés au plan national.
N° 96-387 DC du 21 janvier 1997
5. Considérant que le législateur a donné compétence au département pour l'attribution
et la gestion de la prestation spécifique dépendance, laquelle relève de l'aide sociale ; que cette
collectivité territoriale exerce une compétence de même nature s'agissant de l'allocation
compensatrice pour tierce personne créée en faveur des personnes handicapées par la loi
précitée du 30 juin 1975 ; que dès lors, en application des dispositions susmentionnées de
l'article 34 de la Constitution, relèvent du domaine de la loi, outre l'institution de ces formes
d'aide sociale, des règles essentielles relatives à leur régime juridique dont notamment la
nature des conditions exigées pour leur attribution et la détermination des catégories de
prestations ; qu'il revient au Gouvernement de mettre en oeuvre les règles ainsi posées par le
législateur, en particulier par la fixation des éléments qui concernent les conditions d'attribution
notamment ceux relatifs à l'âge du bénéficiaire, par la définition précise de la nature des
prestations dont il s'agit et la détermination des modes de fixation de ces prestations en tenant
compte, le cas échéant, conformément à la loi, d'autres ressources par l'application de règles
de cumul ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en soumettant le bénéfice de la
prestation spécifique dépendance à des conditions d'âge, de ressources, de degré de la
dépendance subie, définie en fonction du besoin de surveillance régulière ou d'aide nécessaire
à l'accomplissement des actes essentiels de la vie, et en renvoyant au pouvoir réglementaire
pour la précision des éléments de ces conditions, le législateur n'est pas resté en deçà de la
compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution ; qu'il n'a pas davantage méconnu celleci en renvoyant au décret la fixation des plafonds de cumul de ressources des intéressés et, le
cas échéant, de leur conjoint ou de leur concubin ; qu'il a pu également renvoyer au pouvoir
réglementaire la modulation, selon l'état des personnes, des montants de prestation de
dépendance pris en compte pour la tarification d'établissements qui accueillent ces personnes ;
qu'il a pu enfin sans méconnaître non plus sa compétence poser le principe d'une limite d'âge
pour que les personnes handicapées bénéficient de l'allocation compensatrice pour tierce
personne en prévoyant que la fixation de cet âge serait effectuée par décret ; qu'ainsi les griefs
articulés par les auteurs de la saisine doivent être écartés
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N° 2001-447 DC du 18 juillet 2001
5. Considérant qu'en vertu des nouveaux articles L. 232-1 et L. 232-2 du code de l'action sociale et
des familles, l'allocation personnalisée d'autonomie est une prestation à caractère universel destinée à assurer
la prise en charge des personnes âgées dépendantes dans des conditions adaptées aux besoins de celles-ci ;
qu'elle est accordée " dans les limites des tarifs fixés par voie réglementaire " ; qu'elle constitue pour les
départements une dépense obligatoire ; qu'en contrepartie, ceux-ci perçoivent des dotations versées par un
fonds de financement alimenté par une fraction de la " contribution sociale généralisée " ainsi que par une
participation des régimes obligatoires de base d'assurance vieillesse ;
6. Considérant, en premier lieu, que si, en vertu de la loi, les départements ont compétence pour
attribuer l'allocation personnalisée d'autonomie, allocation d'aide sociale qui répond à une exigence de
solidarité nationale, il est loisible au législateur de définir des conditions d'octroi de cette allocation de nature à
assurer l'égalité de traitement entre toutes les personnes âgées dépendantes sur l'ensemble du territoire
national ; que le législateur pouvait fixer de telles conditions dès lors qu'il n'a pas méconnu les compétences
propres des départements, ni privé d'attribution effective aucun organe départemental ;
7. Considérant, en second lieu, que, si l'allocation personnalisée d'autonomie est accordée par le
président du conseil général sur proposition de la commission créée par la disposition critiquée, celui-ci reste
libre de ne pas suivre cette proposition et d'en demander une nouvelle ; qu'il ressort des débats à l'issue
desquels a été adoptée la loi déférée que le législateur a entendu que ladite commission soit composée, en
majorité, de représentants du conseil général ; qu'il appartiendra au pouvoir réglementaire de tirer toutes les
conséquences de l'intention du législateur ; que, sous cette réserve, le nouvel article L. 232-12 du code de
l'action sociale et des familles n'est pas contraire à l'article 72 de la Constitution ;
b) Eu égard aux exigences des articles 34 et 72 de la Constitution, l’exercice d’un
pouvoir réglementaire par les collectivités territoriales, pour l’exercice d’une compétence,
devra être le plus souvent explicitement prévu par la loi et assorti par celle-ci de
l’encadrement approprié.
Il peut cependant résulter implicitement des dispositions législatives attributives
d’une compétence ou aménageant une compétence déjà attribuée.
Selon une doctrine unanime, un pouvoir réglementaire non expressément prévu peut être
sous-entendu par le législateur.
Ainsi en est-il lorsque le législateur confie aux régions, sans autre précision, ni renvoi au
décret d’application, le soin de distribuer des aides aux entreprises. Il est bien naturel en pareil
cas, ne serait-ce que pour éviter l’arbitraire et par souci de transparence et de sécurité juridique,
que chaque région s’impose des règles d’allocation et de suivi de ces aides et publie lesdites
règles, autrement dit règlemente.
c) Le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales peut également s’exercer sur le
fondement, il est vrai imprécis, des clauses dites de compétence générale :
- Dispositions de l’article L. 1111-2 du code général des collectivités territoriales, aux
termes desquelles : « Les communes, les départements et les régions règlent par leurs
délibérations les affaires de leur compétence »,
- Article L. 2121-29, aux termes desquelles : « Le conseil municipal règle par ses
délibérations les affaires de la commune »,
- Articles homologues applicables aux autres collectivités (L. 3211-1 pour les
départements et L 4433-1 pour les régions).
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Ces dispositions ne sont pas sans rappeler le pouvoir réglementaire d'organisation de
leurs services que reconnaît aux ministres, sans texte, la jurisprudence Jamart du 7 février 1936.
Mais le parallèle ne peut être poussé trop loin.
La clause de compétence générale a encore un avenir puisqu'elle n'est abolie par le PL du
printemps 2014 (ce qu’avait déjà fait la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 20102) que pour les
départements et les régions. Mais elle ne peut fonder un pouvoir réglementaire local que dans
une double limite, qu’illustrent divers précédents (CE, Pouzenc du 9 juillet 1965 ; CE, Commune
de Longjumeau c/ Wiltzer du 2 avril 1993, CAA de Marseille, 13 octobre 2011, commune de
Galeria) :
- La matière doit être spécifiquement liée aux affaires de la collectivité, comme il en va de
l’organisation et du fonctionnement d’un service public local ;
- Ce pouvoir réglementaire sans base textuelle précise, intéressant le fonctionnement de la
collectivité ou de ses services publics, doit s’exercer dans le respect des lois et règlements (ce qui
suppose notamment que la Constitution n’ait pas réservé la compétence du législateur ou que la
loi ou le décret n’aient pas épuisé la matière), des compétences des autres collectivités
territoriales et des principes de valeur supra-réglementaire (notamment celui de la
proportionnalité des contraintes et, là encore, de l’égalité).
CE, 9 juillet 1965, Pouzenc :
Il appartient au maire, responsable du fonctionnement des services communaux, de prévoir sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, la
nature et l’étendue des limites qui doivent être apportées au droit de grève en vue d’en éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de
l’ordre et de la sécurité publics.
En l’espèce, cependant, illégalité de l’arrêté par lequel le maire a requis, au cours d’une grève, le chef du bureau de l’Etat civil, alors que le
service de l’Etat civil était assuré par des employés non grévistes.
CE, 2 avril 1993, Commune de Longjumeau c/ Wiltzer :
Il n’appartient qu’au législateur, en vertu des articles 34 et 72 de la Constitution, de fixer les règles concernant le régime électoral des assemblées
locales et de prévoir les conditions dans lesquelles s’administrent les collectivités locales. En décidant que «trois conseillers municipaux
associés», élus par les personnes majeures de nationalité étrangère justifiant d’une attache avec la commune et habitant Longjumeau au 1er janvier
1990, siégeraient au conseil municipal et participeraient aux débats, l’acte attaqué, même s’il donne un caractère consultatif aux votes des
«conseillers municipaux associés», a modifié les conditions de fonctionnement légales de l’assemblée municipale.
CAA de Marseille, 13 octobre 2011, commune de Galeria
La délibération d'un conseil municipal décidant d'employer la langue corse dans ses débats, une séance sur deux, est censurée par le juge
administratif non comme entachée d'incompétence (puisqu'une telle matière est couverte par la clause générale de compétence de l'article L.
2121-29 CGCT), mais parce que contraire aux règles constitutionnelles et législatives régissant l'usage du français par les personnes morales de
droit public
2
Le CC avait admis cette abolition, mais en relevant que « les dispositions critiquées permettent au conseil général
ou au conseil régional, par délibération spécialement motivée, de se saisir respectivement de tout objet d'intérêt
départemental ou régional pour lequel la loi n'a donné compétence à aucune autre personne publique ; que, par
suite, doit être écarté le grief tiré de ce que les dispositions critiquées seraient contraires au principe de libre
administration des collectivités territoriales ; que n'est pas non plus méconnu le deuxième alinéa de l'article 72 de
la Constitution qui dispose que ces dernières « ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des
compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon » (n° 2010-618 DC du 9 décembre 2010)
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12
d) Enfin, les autorités décentralisées peuvent prendre des règlements dans le cadre de leur
pouvoir de police et, singulièrement, dans celui de la police municipale. Cette question mériterait
une étude à part.
e) En revanche, il serait contraire aux articles 21 et 72 de la Constitution de confier
aux collectivités territoriales le soin de fixer des règles d’application d’une législation qui
ne régirait pas une compétence locale, et ce, alors même que cette législation ne serait pas
sans incidence sur leur fonctionnement, sur l’exercice de leurs compétences ou sur la vie
locale.
Certes, le législateur peut attribuer à une catégorie de collectivités une compétence locale
et lui confier concomitamment un pouvoir réglementaire pour l’exercer. La compétence locale
ne doit pas nécessairement préexister à l’attribution d’un pouvoir réglementaire local.
Il n’en demeure pas moins qu’une compétence locale, au sens du troisième alinéa de
l’article 72 de la Constitution, ne peut résider dans le seul pouvoir, pour les collectivités
territoriales, de fixer les modalités d’application de la loi, comme le ferait le décret
d’application. Elle doit comporter des éléments matériels caractérisant leur implication et leur
responsabilité effectives dans le domaine considéré (fourniture de services publics, fonction de
contrôle et d’alerte, mesures individuelles, dépenses etc ….).
Il doit y avoir, dans le domaine considéré, une « compétence métier » locale,
éventuellement partagée avec les autorités de l’Etat. Sinon, quel sens auraient les mots « pour
l’exercice de leurs compétences » à l’art 72 (3ème alinéa) de la Constitution et au cons 13 de la
décision du CC de 2002 ?
Pour ne prendre que cet exemple, la loi ne saurait confier aux régions, aux
départements ou aux communes le soin de fixer la durée minimale de l’entretien préalable à une
décision de licenciement pour motif personnel (procédure dont les modalités sont aujourd’hui
renvoyées au décret par l’article L. 1232-6 du code du travail).
Si la fixation d’une telle règle ne peut être confiée aux collectivités territoriales, c’est :
- non pas seulement parce qu’elle conduirait à une modulation territoriale sans lien avec les
finalités du droit du travail (et donc contraire au principe d’égalité),
- mais encore parce que cette matière ressortit, à titre exclusif, à la compétence de l’Etat.
Pour parler familièrement : parce que ce n’est pas le métier des collectivités territoriales.
En revanche, la loi peut confier aux communes le soin d’arrêter des normes sanitaires
complétant celles fixées par les autorités de l’Etat. Veiller à la salubrité locale est en effet dans la
vocation des communes. Ce vieux métier du maire et des élus municipaux est inhérent à la police
municipale et comprend bien d’autres aspects concrets que la réglementation (cf articles L. 13111 à L. 1311-4 du code de la santé publique et l’article L. 231-5 du code rural et de la pêche).
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13
2. Quant à l’articulation avec le pouvoir réglementaire du Premier ministre
a) Le Premier ministre ne peut intervenir, en vertu du pouvoir réglementaire
autonome qu’il tient de l’article 37 de la Constitution, dans les domaines afférents à la
compétence des collectivités territoriales.
Il ne saurait le faire, en vertu des dispositions de l’article 34 de la Constitution
relatives à la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de
leurs ressources, que s’il y est habilité par le législateur.
CE, 19 mars 1997, Département de la Loire
En disposant qu’il peut être créé un emploi de conseiller technique dans chaque département et
deux dans les départements de plus d’un million d’habitants, et en restreignant ainsi la
possibilité, pour les assemblées délibérantes de ces départements, de créer des emplois de
conseiller technique, les auteurs du décret n° 92-841 du 28 août 1992 ont excédé les limites de
l’habilitation résultant de l’article 6 de la loi du 26 janvier 1984 chargeant le Gouvernement
d’établir les statuts particuliers des cadres d’emplois des fonctionnaires territoriaux.
Comme l’écrit au « Bénoît » le Pr Jean-Claude Douence3 - grand connaisseur, avec le Pr
Michel Verpeaux, des questions relatives aux pouvoirs locaux - : « [En matière de libre
administration des CT,] le règlement autonome national n’a pas le droit de réglementer ce qui
n’a pas été légiféré ».
Il appartient donc au législateur de définir le périmètre d’intervention des décrets
d’application des lois touchant aux compétences locales avec une précision suffisante et dans le
respect du principe de libre administration (en ce sens : CC, n° 2000-436 DC du 7 décembre
2000, Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains).
b) Il appartient également au législateur de définir précisément, lorsque les
conditions constitutionnelles de cette dévolution sont remplies, les règles dont il entend
confier l’édiction aux collectivités territoriales.
b. 1 Dès lors, c’est à chaque texte législatif particulier qu’il revient d’articuler de
façon cohérente les deux types de pouvoir réglementaire.
Les règles édictées localement par les collectivités territoriales devront respecter le cadre
général fixé non seulement par la loi elle-même, mais encore par le décret d’application à ce
dûment habilité par la loi, soit explicitement, soit implicitement mais nécessairement.
CE, 1er avril 1996, Département de la Loire
Si, par les dispositions des articles L.147 et suivants du code de la santé publique, le législateur a
donné compétence aux départements pour organiser et gérer les services de la protection
maternelle et infantile dont il a défini les principales missions, il a réservé à l’Etat le soin de fixer
les normes minimales d’activité de ces services, celles relatives à leur encadrement et les
exigences de qualification des personnes qu’ils emploient.
3
Dalloz, Statut constitutionnel des collectivités territoriales, 63-27, en documentation
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14
b.2 De son côté, le décret d’application ne devra pas s’emparer des matières
réglementaires que la loi a confiées aux collectivités territoriales. Ce serait en effet
méconnaître la volonté du législateur. Un tel empiètement serait simultanément entaché d’erreur
de droit et d’incompétence.
b.3 Cette bonne articulation a des implications chronologiques : l’édiction des règles
confiées par la loi aux collectivités territoriales ne devra pas intervenir avant la mise en
place du cadre général dont la détermination est renvoyée par la loi au décret
CE, 20 mars 1992, Préfet du Calvados
Les dispositions ainsi modifiées de l’article 88 de la loi du 26 janvier 1984 ne sont pas suffisamment
précises pour que leur application soit possible avant l’intervention d’un décret en Conseil d’Etat
déterminant notamment les conditions dans lesquelles doit être mise en oeuvre, pour l’ensemble des
collectivités territoriales et établissements publics intéressés, la règle suivant laquelle les régimes
indemnitaires sont fixés “dans la limite de ceux dont bénéficient les différents services de l’Etat”.
b.4 Illustrations
• Une illustration du caractère complémentaire que la loi peut conférer au pouvoir
réglementaire local (en l'occurrence celui de la commune ou des EPCI spécialisés) se trouve en
matière sanitaire. Les anciens articles L. 1 et L. 2 et les actuels L. 1311-1 et L. 1311-2 du code
de la santé publique donnent compétence aux autorités de l'Etat (les premiers au préfet pour
établir le règlement sanitaire départemental, les seconds au décret en Conseil d'Etat pour fixer les
règles générales d'hygiène et de salubrité), tout en prévoyant que le maire peut édicter des règles
particulières, complétant les prescriptions générales, en vue de protéger la santé publique dans la
commune.
Des règles particulières peuvent être édictées dans le département, mais c'est le
représentant de l'Etat qui en est chargé. Les règles complémentaires peuvent être édictées par un
EPCI spécialisé en vertu de l'article L. 1311-3 du code de la santé publique.
Article L1311-1 En savoir plus sur cet article...
Modifié par Loi n°2004-806 du 9 août 2004 - art. 54 JORF 11 août 2004
Sans préjudice de l'application de législations spéciales et des pouvoirs reconnus aux autorités locales, des décrets en
Conseil d'Etat, pris après consultation du Haut Conseil de la santé publique et, le cas échéant, du Conseil supérieur
de la prévention des risques professionnels, fixent les règles générales d'hygiène et toutes autres mesures propres à
préserver la santé de l'homme, notamment en matière :
- de prévention des maladies transmissibles ;
- de salubrité des habitations, des agglomérations et de tous les milieux de vie de l'homme ;
- d'alimentation en eau destinée à la consommation humaine ;
- d'exercice d'activités non soumises à la législation sur les installations classées pour la protection de
l'environnement ;
- d'évacuation, de traitement, d'élimination et d'utilisation des eaux usées et des déchets ;
- de lutte contre les bruits de voisinage et la pollution atmosphérique d'origine domestique ;
- de préparation, de distribution, de transport et de conservation des denrées alimentaires.
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15
Article L1311-2 En savoir plus sur cet article...
Les décrets mentionnés à l'article L. 1311-1 peuvent être complétés par des arrêtés du représentant de l'Etat dans le
département ou par des arrêtés du maire ayant pour objet d'édicter des dispositions particulières en vue d'assurer la
protection de la santé publique dans le département ou la commune.
Article L1311-3 En savoir plus sur cet article...
Dans le cas où plusieurs communes font connaître leur volonté de s'associer, conformément aux dispositions du titre
Ier du livre II de la partie V du code général des collectivités territoriales, pour l'exécution des mesures sanitaires,
elles peuvent adopter les mêmes règlements qui leur seront rendus applicables suivant les formes prévues par ce
code.
• Encore plus significatives du partage des rôles (entre pouvoir réglementaire de
droit commun et pouvoir réglementaire local) que peut organiser le législateur sont les
dispositions du chapitre Ier (« Publicité, enseignes et pré-enseignes ») du titre VIII (« Protection
du cadre de vie ») du livre V (« Prévention des pollutions, des risques et des nuisances ») du
code de l’environnement.
Cette législation fixe elle-même des règles de fond (I de l’article L. 581-4 etc) ou en
confie l’édiction au décret en Conseil d’Etat (article L. 581-6, premier alinéa de l’article L. 581-9
etc), tout en donnant aux autorités décentralisées (le maire, le conseil municipal ou un
EPCI) le pouvoir :
-
Soit de compléter les règles fixées au niveau national par des règles plus
restrictives (II de l’article L. 581-4, article L. 581-14, deuxième alinéa de
l’article L. 581-18 etc) ;
-
Soit de déroger dans certains cas aux règles fixées par la loi ou le décret (article
L. 581-7, dernier alinéa du I et II de l’article L. 581-8, second alinéa de l’article
L. 581-9 etc).
b. 5 Plus précisément, on peut se demander dans quelle mesure la « retenue » du
pouvoir réglementaire national ouvre un espace à l’intervention du pouvoir réglementaire
des CT.
C’est le cas lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :
- La loi a laissé au décret toute latitude pour fixer de façon plus ou moins complète ses modalités
d’application ;
- Elle n’a pas réparti de façon étanche les règles confiées au décret et celles confiées aux
collectivités territoriales.
Alors et alors seulement, les règles fixées par les CT pourront compléter les modalités
fixées par décret.
Comme pour le pouvoir réglementaire des CT qui s’exerce sans base textuelle précise, ce
pouvoir réglementaire « complémentaire » ou « interstitiel » devra évidemment respecter
l’ordonnancement juridique global : autres lois, règlements et principes de valeur supraréglementaire. Dans cette mesure et dans ces limites, en effet, la retenue du pouvoir
réglementaire de droit commun (le PM) « arme » le pouvoir réglementaire résiduel (les CT).
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Le précédent « Département de l’Orne c/ Gandon du 10 juin 1988 illustre bien cette
situation :
L'article 2 du décret n° 82-694 du 4 août 1982 relatif à l'organisation départementale des services
d'incendie et de secours, qui détermine la composition de la commission administrative chargée de régler
les questions intéressant le service départemental, lequel constitue un établissement public
départemental, se borne à indiquer, notamment à propos des deux représentants des personnels
sapeurs-pompiers professionnels et volontaires appelés à siéger dans cette commission administrative,
qu'"ils sont élus pour quatre ans, à raison d'un par catégorie, parmi les sous-officiers, caporaux et
sapeurs du département". Il ne renvoie à aucune autre disposition le soin de préciser les modalités de
l'élection de ces représentants et les modalités d'organisation du scrutin. Il appartenait, dès lors, à
l'organe de l'établissement public compétent pour organiser l'établissement de fixer lui-même les règles
de cette élection et les modalités du scrutin.
Il ne faut pas cependant se cacher que la situation résultant de l’abstention partielle du
décret, comblée par les autorités locales, poserait problème si le décret complétait
ultérieurement les règles initialement fixées par lui et affectait, ce faisant, les règles
entretemps arrêtées par les collectivités territoriales.
Cette nouvelle intervention du pouvoir réglementaire national (qui ne se trouve pas
dessaisi « pour déplacer le curseur ») appellerait des précautions particulières (je pense à des
dispositions transitoires évitant que soient brutalement privées d’effet les réglementations locales
contraires aux nouvelles règles établies par décret).
L’exemple suivant illustre le caractère à la fois possible, non nécessairement
« pathologique » et délicat d’une telle hypothèse.
Supposons que, en matière de formation continue, la région soit dotée d’un pouvoir
réglementaire pour établir les cahiers des charges des organismes concernés, la loi confiant
toutefois au décret le soin de définir des obligations communes.
Un décret intervient, de contenu minimaliste.
Sur cette base, les régions arrêtent leurs cahiers des charges. Des conventions sont
conclues sur le fondement du décret initial et de ces cahiers des charges.
Un nouveau décret, plus complet, est pris trois ans plus tard.
Les nouvelles règles entrent en contradiction avec certaines clauses des cahiers des
charges régionaux, alors que la durée de validité de ces cahiers des charges n’est pas expirée.
Le nouveau décret peut-il mettre fin brutalement aux clauses non concordantes des
cahiers des charges régionaux ?
Par égard pour la libre administration, comme par respect de la garantie des droits due
aux organismes de formation, il est hautement souhaitable qu’il n’en soit pas ainsi.
En bonne administration, sans doute aussi en droit (principe de sécurité juridique), des
dispositions transitoires devraient être prévues dans un tel cas de figure.
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b. 6 En revanche, le décret ne peut confier de sa propre initiative aux collectivités
territoriales le soin de fixer tout ou partie de ses modalités d’application.
Il doit y être habilité par la loi, car une telle possibilité touche à la libre administration
des collectivités territoriales et à leurs compétences.
c) L'absence de renvoi au décret par une loi régissant une compétence locale est
interprétée par le juge administratif comme habilitant indirectement une collectivité
territoriale à arrêter elle-même les règles qu’appelle l'exercice de cette compétence, pour
autant du moins qu’aucun décret n’est nécessaire.
CE, 13 février 1985, syndicat communautaire d'aménagement de Cergy Pontoise
L’article L. 417-20 du code des communes, relatif à la composition du comité d’hygiène et de
sécurité, se borne à indiquer que le comité est paritaire et qu’il comprend, au choix de la
commune ou de l’établissement, de trois à dix représentants du personnel, élus au suffrage direct.
La loi du 20 décembre 1978, dont procèdent ces dispositions, ne renvoie pas à un décret le soin
de préciser les modalités d’élection de ces représentants du personnel et les modalités
d’organisation du scrutin. Il appartient, dès lors, à l’organe de la collectivité locale ou de
l’établissement public, compétent pour organiser les services de cette collectivité ou de cet
établissement, de fixer les règles d’application de la loi.
CE, Ass, 2 décembre 1994, Commune de Cuers
Les dispositions de l’article 21 de la loi du 28 novembre 1990, qui confèrent aux collectivités
territoriales et à leurs établissements publics compétence pour déterminer, dans le respect des
critères fixés par la loi, les emplois auxquels peut être attachée l’attribution d’un logement de
fonction et l’étendue de l’avantage ainsi accordé, sont applicables sans que l’édiction par les
autorités de l’Etat d’un texte réglementaire, qu’elles ne prévoient d’ailleurs pas, soit nécessaire.
Comme il a été déjà dit, ce pouvoir réglementaire sans base légale explicite (mais que,
dans l’hypothèse ici envisagée, la loi a implicitement habilité les CT à exercer) doit respecter les
lois et décrets, ainsi que les principes de valeur supra réglementaire.
Le précédent du 5 octobre 1998, Commune de Longjumeau, juge ainsi :
- que les communes qui, sur le fondement du code de la construction et de l’habitation, peuvent
proposer à un organisme d’HLM des candidats à l’attribution des logements pour lesquels elles
bénéficient de réservations, ont la faculté de définir, par voie de dispositions de portée
générale, les orientations ou les règles sur la base desquelles elles entendent formuler ces
propositions ;
- que c’est à la condition, toutefois, qu’aucune atteinte ne soit portée par ces dispositions aux
prescriptions législatives et réglementaires en vigueur ;
- et que, dès lors, sont illégales des délibérations par lesquelles un conseil municipal a établi puis
modifié une “grille d’établissement des priorités pour la proposition de candidats aux logements
sociaux”, non parce qu’elles auraient usurpé la compétence réglementaire de droit commun
du Premier ministre, mais en tant que cette grille comporte l’attribution de “points” au
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profit des demandeurs résidant ou ayant résidé depuis deux ans au moins dans la
commune, en violation des dispositions de l’article R.441-2 du code de la construction et de
l’habitation, selon lesquelles “la recevabilité d’une demande de logement ne peut
notamment être subordonnée à aucune condition de résidence sur le territoire de la
collectivité territoriale d’implantation de ce logement”.
Voir aussi CE, Ass, 2 décembre 1994, Préfet de la région Nord Pas-de-Calais
Pour fixer, en vertu de la compétence qui leur est reconnue par les dispositions de l’article 21 de la loi du 28
novembre 1990, la liste des emplois pour lesquels un logement de fonction peut être attribué à leurs agents, les
collectivités territoriales et leurs établissements publics doivent se conformer au principe de parité entre les agents
relevant des diverses fonctions publiques dont s’inspire l’article 88 de la loi du 26 janvier 1984. Ils ne peuvent
légalement attribuer à leurs agents des prestations, fussent-elles en nature, venant en supplément de leur
rémunération, qui excéderaient celles auxquelles peuvent prétendre des agents de l’Etat occupant des emplois
soumis aux même contraintes. Il leur appartient d’une part, en ce qui concerne l’appréciation des contraintes
justifiant l’attribution d’un logement de fonction, de distinguer celles qui, parce qu’elles appellent de la part de
l’agent une présence pouvant être regardée comme constante, justifient que ce logement soit attribué gratuitement,
de celles qui rendent seulement utile, au regard des exigences du service, la fourniture dudit logement, qui alors doit
être assortie du paiement par l’intéressé d’une redevance, et d’autre part, en ce qui concerne les avantages
accessoires liés au logement, d’en arrêter la liste sans procurer aux agents, à ce titre, une prestation plus favorable
que celle dont bénéficierait un fonctionnaire de l’Etat placé dans la même situation.
d) Lorsque le législateur n’a prévu ni directement, ni indirectement, ni au plan national,
ni au plan local, de mesure réglementaire d’application, mais que l’entrée en vigueur effective de
la loi suppose nécessairement que certaines modalités soient fixées au niveau national, seul peut
intervenir le pouvoir réglementaire d’application des lois de droit commun, c’est-à-dire le
Premier ministre, pour fixer ces modalités.
Dans le silence de la loi, le décret d’application ne peut apporter que les précisions
sans lesquelles la loi ne pourrait recevoir application et qui, pour des raisons logiques,
matérielles ou tenant au respect d’exigences législatives ou constitutionnelles, ne sauraient
être apportées au niveau local et ne peuvent l’être qu’au plan national.
CE, 9 octobre 2002, Féd. des services des départements et des régions CGT-FO et autre
Il appartient au Premier ministre, en vertu de l’article 21 de la Constitution, de déterminer par décret, pour
assurer l’exécution de l’article 140 de la loi du 26 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires
relatives à la fonction publique territoriale, les modalités d’application de la règle statutaire édictée par les
dispositions de l’article 7-1 de cette loi, suivant laquelle la définition, la durée et l’aménagement du temps
de travail des agents de la fonction publique territoriale sont déterminés dans les limites applicables aux
agents de l’Etat, en tenant compte de la spécificité des missions exercées par les collectivités territoriales
ou leurs établissements.
Encore faut-il que, ni par son silence, ni par le caractère trop flou du renvoi qu’il fait au
décret, la délégation que le législateur donne au pouvoir réglementaire d’application des lois de
droit commun, pour prendre les mesures sans lesquelles la loi resterait inexécutée, n’oblige le
décret d’application à comporter des dispositions relevant du domaine de la loi (en ce sens : n°
83-168 DC du 20 janvier 1984, cons. 19).
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3. Quant à l’articulation entre les différents pouvoirs réglementaires locaux
Dans le cas de compétences partagées, comme dans celui où un même domaine relève de
plusieurs champs de compétence, liés entre eux et incombant à plusieurs niveaux de collectivités,
il appartient au législateur d’articuler de façon cohérente l’exercice éventuel de plusieurs
pouvoirs normatifs locaux.
a) Il devra cependant éviter, ce faisant, de méconnaître la portée d’une compétence
qu’il a attribuée à une catégorie de collectivité territoriale et n’entend ni lui retirer, ni
transférer à une autre.
b) Il devra non moins éviter d’instituer une tutelle, prohibée par le cinquième alinéa
de l’article 72 de la Constitution, d’une collectivité sur une autre.
Tel serait le cas si le législateur :
-
conférait à une collectivité un pouvoir d’opposition, de réformation ou de
substitution, en matière réglementaire, à l'égard d’une autre ;
-
ou subordonnait l’exercice du pouvoir réglementaire d’une collectivité à
l’approbation d’une autre ;
-
ou permettait à une collectivité d’enjoindre à une autre de réglementer ;
-
ou habilitait une collectivité à prescrire à une autre telle ou telle règle de
procédure ou de fond pour l’élaboration de sa réglementation locale.
Je renvoie ici au cons 22 de la décision n° 2010-618 du 9 décembre 2010 (loi de réforme
des collectivités territoriales) qui définit la tutelle d'une CT sur une autre :
-
comme le pouvoir de la première de "substituer ses décisions" à celles de la
seconde
-
ou comme le pouvoir de la première de " s’opposer " aux décisions de la seconde
-
ou encore comme le pouvoir, pour la première, de "contrôler l'exercice des
compétences" de la seconde.
En revanche, la répartition des compétences voulue par le législateur conduit
concrètement une collectivité territoriale à tenir compte, dans la fixation de ses propres règles,
des effets des règles fixées par la collectivité territoriale qui l’englobe. Ainsi, la police de la
circulation sur les chemins communaux, qui appartient au maire, est tributaire, non pas
juridiquement, mais de facto, du pouvoir de police de la circulation sur les routes
départementales, qui relève du département.
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c) Au-delà de ce qui découle logiquement et concrètement de la répartition des
compétences entre collectivités, le législateur peut-il hiérarchiser l’exercice des pouvoirs
réglementaires locaux, de telle sorte qu’une catégorie de collectivités contraigne la latitude
normative d’une autre catégorie ?
Cette question est sans doute la plus difficile à trancher, car, en dépit de ses considérables
implications pratiques, c’est celle qui est la moins explorée par la jurisprudence et par la
doctrine.
Je ne crois une telle hiérarchie envisageable que dans l’hypothèse où le législateur :
- confie une compétence principale à une catégorie de collectivités territoriales
- et attribue, dans le même domaine, une compétence (obligatoire ou facultative) à une ou
plusieurs autres catégories, en subordonnant l’exercice de cette compétence à un rapport de
compatibilité avec les règles édictées par la collectivité investie de la compétence principale.
Tel est le cas des schémas divers établis, en vertu de la loi (lorsque les compétences sont
enchevêtrées), par une collectivité « englobante ».
La contrainte que le schéma établi par une collectivité de niveau supérieur fait peser sur
des collectivités de niveau inférieur n’a jamais été admise qu’en termes de rapports de
compatibilité.
Il en va ainsi, par exemple, des rapports de compatibilité que le législateur peut prévoir
entre schémas d’aménagement et plans d’urbanisme, pour autant que les documents de rang
supérieur ne fixent pas de règles d’une précision telle qu’ils déterminent nécessairement le
contenu des documents de rang inférieur.
Les formations consultatives du CE veillent en effet avec constance à ce que les schémas
établis par la collectivité « englobante » ne vident pas de leur substance, à force de précision, les
compétences des collectivités englobées, par exemple :
Note d’AG (publiée) n° 349-524 du 5 mars 1991 sur les effets du schéma directeur de la
région Ile de France
Le schéma « ne saurait entrer dans un degré de détail qui conduirait à méconnaitre tout à la fois
la place respective du schéma et des documents d’urbanisme et l’autonomie communale. »
Cependant, il pourra comporter « des dispositions propres à des espaces géographiques limités,
à condition que ces prévisions soient nécessaires à la cohérence de l’ensemble ».
Section des TP N° 380 921 du 15 janvier 2008 sur un projet de décret portant approbation
du plan d’aménagement et de développement durable de Mayotte
« Les développements consacrés, dans le rapport, aux « objectifs de densité à atteindre par village » et aux
« limites d’urbanisation » dites « impératives», ainsi que leur traduction graphique sur la carte de destination
générale des sols, par leur trop grande précision, méconnaissent la répartition des compétences entre collectivités
territoriales telle qu’ elle résulte des dispositions du dernier alinéa de l’article L. 3551-32 (devenu le dernier alinéa
du II de l’article L0 6161-42) du code général des collectivités territoriales [qui donne compétence à la collectivité
départementale de Mayotte pour élaborer le plan].
04/06/2014 - 13:45:58
21
Cet excès de précision est assimilable soit à une tutelle, soit à une atteinte à la libre
administration de la catégorie de collectivité dont la compétence se trouve ainsi « étouffée ».
La décision n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000 (Loi relative à la solidarité et au
renouvellement urbains) est dans ce sens :
7. Considérant que les schémas de cohérence territoriale ont vocation à déterminer les orientations
générales de développement à l'échelle de l'agglomération concernée ; que les autres documents d'urbanisme,
et en particulier les plans locaux d'urbanisme élaborés par les communes, se voient imposer par l'article L.
122-1 une simple obligation de compatibilité avec ces orientations générales ; qu'une telle obligation n'est pas
de nature à porter atteinte à la libre administration des collectivités concernées ;
La loi elle-même ne saurait, sans méconnaître le principe énoncé à l’article 72 de la
Constitution selon lequel aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre,
soumettre à une obligation de conformité à un schéma régional les actes des autres collectivités
territoriales.
Pour éviter tout risque de méconnaissance de ce principe, le législateur :
-
d’une part, doit préférer à l’obligation de conformité une obligation de
compatibilité (qui, au demeurant, correspond mieux au rapport devant exister
entre un schéma régional fixant des orientations dans tel domaine de l’action
locale – aides aux entreprises par exemple - et les décisions prises, dans ce
domaine, par les autres collectivités territoriales et leurs groupements) ;
-
d’autre part, a intérêt à subordonner l’entrée en vigueur du schéma régional à
l’approbation du représentant de l’Etat, propre à garantir tant la cohérence entre
les interventions économiques de l’Etat et celles des collectivités territoriales et
de leurs groupements que le caractère non prescriptif de ses orientations à l’égard
des actes des autres collectivités territoriales.
Dans les hypothèses dans lesquelles la loi peut prévoir une hiérarchisation des pouvoirs
réglementaires locaux, pour l’exercice de compétences concurrentes, le rapport de compatibilité
entre une norme fixée au niveau inférieur de collectivité territoriale et la norme fixée au niveau
supérieur tiendra, pour la première, à l’édiction de règles :
-
complémentaires, c’est-à-dire tendant à ajouter à la norme fixée au niveau supérieur,
à la préciser ou à l’adapter ;
-
voire dérogatoires à la norme fixée au niveau supérieur, dès lors que la contrariété
avec cette norme n’est pas assez grave pour compromettre la cohérence de celle-ci ou
pour remettre en cause ses options fondamentales (par exemple : CE, 3 avril 1987,
Ministre de l’urbanisme et du logement c/ Assoc pour la protection de
l’environnement de Chateauneuf-de-Grasse).
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22
d) L’articulation entre pouvoirs réglementaires de diverses collectivités territoriales
peut désormais être prévue par le législateur, entre collectivités situées ou non à des
niveaux différents, en vertu des dispositions de l’article 72 de la Constitution selon
lesquelles :
« Lorsque l'exercice d'une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités
territoriales, la loi peut autoriser l'une d'entre elles ou un de leurs groupements à organiser les
modalités de leur action commune. »
Sur ce fondement, la loi peut, parmi des collectivités territoriales ayant vocation à agir de
façon coordonnée pour l’exercice d’une compétence, confier à titre principal le pouvoir
réglementaire à l’une d’entre elles, la collectivité ainsi désignée étant appelée :
-
à déterminer les marges dans lesquelles les autres collectivités pourront, selon le cas,
compléter, préciser ou adapter les règles édictées par elle à titre principal ;
-
à fixer les modalités concrètes de leur collaboration, ainsi qu’à animer leur action
commune.
Pour autant, l’autorisation donnée par la loi à une collectivité d’ « organiser les modalités
de l'action commune » de plusieurs collectivités, au sens de l’article 72 de la Constitution, ne
saurait lui conférer un pouvoir de décision pour déterminer seule cette action commune (n°
2008-567 du 24 juillet 2008, Loi relative aux contrats de partenariat, cons 30 à 33).
Il est donc prudent, pour le législateur, de ne prévoir un tel « chef de file » que dans
le cadre d’un accord de toutes les collectivités participantes.
Et c’est en effet dans cette voie que s’est engagé le législateur depuis trois ans
e) L’articulation entre pouvoirs réglementaires locaux peut également prendre la
forme d’une délégation de compétences. A cet égard, l’article L. 1111-8 CGCT, issu de
l’article 73 la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales (et
modifié par l’article 27 de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action
publique territoriale et d'affirmation des métropoles), permet à une collectivité territoriale de
déléguer par convention à une collectivité territoriale relevant d’une autre catégorie ou à un
établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre l’exercice d’une
compétence dont elle est attributaire.
Le décret en Conseil d’Etat auquel l’article L. 1111-8 confie le soin de préciser les
modalités de passation des conventions régissant ces délégations de compétence (décret n° 2012716 du 7 mai 2012) crée un article R. 1111-1 dans la partie réglementaire du CGCT afin de
prévoir les conditions d’élaboration et d’adoption de la convention, en fixer les éléments (durée,
renouvellement, objectifs, modalités de contrôle et indicateurs) et en déterminer le cadre matériel
et financier (moyens de fonctionnement et personnels le cas échéant mis à disposition du
délégataire).
Rien ne s’oppose par principe à ce que cette délégation couvre des aspects
réglementaires.
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Article L.1111-8 CGCT
Créé par la LOI n°2010-1563 du 16 décembre 2010 - art. 73 (V) ,
modifié par la LOI n°2014-58 du 27 janvier 2014
Une collectivité territoriale peut déléguer à une collectivité territoriale relevant d'une autre
catégorie ou à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre une
compétence dont elle est attributaire.
Les compétences déléguées en application de l'alinéa précédent sont exercées au nom et pour le
compte de la collectivité territoriale délégante.
Cette délégation est régie par une convention qui en fixe la durée et qui définit les objectifs à
atteindre et les modalités du contrôle de l'autorité délégante sur l'autorité délégataire. Les
modalités de cette convention sont précisées par décret en Conseil d'Etat.
Un système de délégation sectoriel (dont l’art L. 1111-8 CGCT constitue en quelque
sorte la généralisation) figurait depuis 2007 à l’article L. 121-6 du code de l'action sociale et des
familles. Il permet au département de déléguer tout ou partie de ses compétences d'action sociale
aux communes.
Article L. 121-6 du code de l'action sociale et des familles
Modifié par Loi n°2007-297 du 5 mars 2007 - art. 3 JORF 7 mars 2007
Par convention passée avec le département, une commune peut exercer directement tout ou
partie des compétences qui, dans le domaine de l'action sociale, sont attribuées au département
en vertu des articles L. 121-1 et L. 121-2.
La convention précise l'étendue et les conditions financières de la délégation de compétence,
ainsi que les conditions dans lesquelles les services départementaux correspondants sont mis à la
disposition de la commune.
Il est vrai que l’article L. 1111-8 CGCT, qui n’a été contesté devant le CC ni en
décembre 2010, ni (l’occasion étant fournie par sa modification) en décembre 2013, présente une
certaine fragilité par rapport au considérant 57 de sa décision n° 94-358 DC du 26 janvier 1995
(Loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire), aux termes duquel :
"57. Considérant en revanche que le deuxième alinéa du II de cet article dispose que
"jusqu'à la date d'entrée en vigueur de cette loi, les collectivités territoriales pourront par
convention, désigner l'une d'entre elles comme chef de file pour l'exercice d'une compétence ou
d'un groupe de compétences relevant de plusieurs collectivités territoriales" ; qu'il appartient au
législateur en vertu de l'article 34 de la Constitution de déterminer les principes fondamentaux
de la libre administration des collectivités territoriales de leurs compétences et de leurs
ressources ; que par suite, il ne saurait renvoyer à une convention conclue entre des collectivités
territoriales le soin de désigner l'une d'entre elles comme chef de file pour l'exercice d'une
compétence ou d'un groupe de compétences relevant des autres sans définir les pouvoirs et les
responsabilités afférents à cette fonction ; que dès lors, le législateur a méconnu la compétence
qu'il tient des articles précités de la Constitution "
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24
On pourrait soutenir que cette jurisprudence n’est pas remise en cause par la révision de
2003, dès lors que les nouvelles dispositions de l’article 72 sur la collectivité chef de file
réservent (ou ont l’air de réserver) au législateur et non aux initiatives locales, fussent-elles
consensuelles, le soin de désigner le chef de file ou, si on préfère, le délégataire de la
compétence (en ce sens : n° 2008-567 du 24 juillet 2008, Loi relative aux contrats de
partenariat).
Toutefois, aucun des multiples mécanismes de délégation de compétences par une CT à
une ou plusieurs autres ou à un organisme de coopération intercommunal, figurant dans la loi n°
2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des
métropoles, n’a été remis en cause par le CC dans sa décision n° 2013-687 DC du 23 janvier
2014.
Il est vrai qu’ils n’étaient pas contestés frontalement et que le législateur de 2013 a eu un
plus grand souci d’encadrer le « chef de filat » que celui de 1995, tout en le subordonnant (sans
préjudice d’incitations financières) à l’adhésion des collectivités participantes.
Le CC semble toutefois admettre plus largement qu’en 2008 (partenariats public privé) le
chef de filat et la délégation de compétences mutuellement consentis.
Ainsi, à propos de la délégation de compétences des communes de la petite couronne à la
Métropole du Grand Paris (il est vrai EPCI et non CT):
27. Considérant (,.) que le paragraphe II prévoit que les communes peuvent déléguer à la métropole
des compétences autres que celles exercées de plein droit en application du paragraphe II de l'article L. 52191 (,.)
(,..)
31. Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution, la loi détermine les principes
fondamentaux « de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs
ressources » ; qu'il appartient au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution
et, en particulier, son article 34 ; que le plein exercice de cette compétence, ainsi que l'objectif de valeur
constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen de 1789, lui imposent d'adopter des dispositions suffisamment précises et
des formules non équivoques ;
(…)
37. Considérant que, par les dispositions du paragraphe II de l'article L. 5219-5, le législateur a permis
que des compétences puissent être déléguées par les communes à la métropole du Grand Paris ; qu'il a prévu
que ces délégations devront être régies par des conventions « qui en fixent la durée et définissent les objectifs
à atteindre et les modalités de contrôle de l'autorité délégante sur l'autorité délégataire » ;
38. Considérant qu'en adoptant ces différentes dispositions, le législateur n'a pas méconnu l'étendue de
sa compétence ;
Plus topique encore est l’article 26 de la loi du 27 janvier 2014 (relatif à la Métropole de
Lyon qui est, elle, une CT de plein exercice et non un EPCI) qui prévoit, dans un cadre assez
souple (nouvel art L 3641-4 CGCT), une possibilité conventionnelle de délégation de
compétences de la Région Rhône Alpes à la Métropole de Lyon.
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25
Or le CC, saisi de l’ensemble de l’article 26, n’a rien trouvé à redire au nouvel article L.
3641-4. C’est d’autant plus significatif que ce nouvel article renvoie explicitement à l’article L
1111-8.
Article L3641-4 (différé) En savoir plus sur cet article...
Créé par LOI n°2014-58 du 27 janvier 2014 - art. 26
I. ― La région Rhône-Alpes peut déléguer à la métropole de Lyon certaines de ses compétences, dans les conditions prévues à
l'article L. 1111-8.
II. ― Par convention passée avec la région Rhône-Alpes, à la demande de celle-ci ou de la métropole de Lyon, cette dernière
exerce à l'intérieur de son territoire, en lieu et place de la région, les compétences définies au 2° de l'article L. 4221-1-1.
La
convention
est
signée
dans
un
délai
de
dix-huit
mois
à
compter
de
la
réception
de
la
demande.
La convention précise l'étendue et les conditions financières du transfert de compétences et, après avis des comités techniques
compétents, les conditions dans lesquelles tout ou partie des services régionaux correspondants sont transférés à la métropole.
Elle constate la liste des services ou parties de service qui sont, pour l'exercice de ses missions, mis à la disposition de la
métropole et fixe la date de transfert définitif. Ces services ou parties de service sont placés sous l'autorité du président du conseil
de la métropole.
Toutefois, la convention peut prévoir que des services ou parties de service concernés par un transfert de compétences demeurent
des services régionaux et sont mis à disposition de la métropole de Lyon pour l'exercice de ses compétences.
Diverses possibilités de délégations entre CT sont organisées, dans un cadre général à la
fois encadré et ouvert, mais au prix d’une dose non négligeable de « réunionite », par la loi du 27
janvier 2014 (art 3 et 4, non contestés devant le CC) dans le cadre de la Conférence territoriale
de l’action publique (art L 1111-9 et L 1111-9-1).
Le projet de loi « clarifiant l’organisation territoriale de la République » de mai 2014
étend encore les possibilités de délégations conventionnelles des compétences entre CT.
Il insère ainsi dans le code des transports un article L. 3111-9 ainsi rédigé :
« Si elles n'ont pas décidé de prendre en charge elles-mêmes, la région ou l'autorité
compétente pour l'organisation des transports urbains peuvent confier par convention, dans les
conditions prévues à l’article L. 1111-8 du code général des collectivités territoriales, tout ou
partie de l'organisation des transports scolaires, au département, à des communes,
établissements publics de coopération intercommunale, syndicats mixtes, établissements
d'enseignement, associations de parents d'élèves et associations familiales. L'autorité
compétente pour l'organisation des transports urbains peut également confier, dans les mêmes
conditions, tout ou partie de l'organisation des transports scolaires à la région. »
L’encadrement de la délégation est donc aussi souple qu’à l’article L 1111-8 CGCT
(auquel il est d’ailleurs renvoyé).
De même, le projet de loi du printemps 2014 rédige assez souplement le IV de l’article L
5217-2 CGCT en vue de permettre des délégations et même des transferts conventionnels de
compétences des départements aux métropoles.
Le PL prévoit tout aussi souplement des délégations conventionnelles de compétences en
matière de lutte contre la fracture numérique (art L 1425-1 CGCT).
C’est de façon aussi peu contraignante que le projet de loi, afin de faciliter la création de
« guichets uniques » pour les aides aux entreprises, insère dans l'article L. 1111-8-1 CGCT un
alinéa aux termes duquel : « Dans les domaines de compétences partagées, l’Etat, une
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26
collectivité territoriale ou un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité
propre peut déléguer par convention, à l’une des personnes publiques précitées compétente dans
le même domaine, l’instruction et l’octroi d’aides ou de subventions ».
Le mécanisme de la délégation, comme celui du chef de filat, y compris lorsqu’ils portent
transmission d’un pouvoir normatif, ont donc acquis droit de cité dans notre droit positif,
moyennant un encadrement législatif plus ou moins strict selon les matières.
En somme, le législateur consolide progressivement des mécanismes permettant de
pallier l’impossibilité de déterminer des blocs de compétences clairs et distincts, ainsi que
l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre.
A cette fin, le législateur :
- résout par le recours à la délégation de compétences et au chef de filat la difficulté de trancher
dans le vif (et uniformément) des blocs de compétences ;
- recourt de plus en plus à l’outil des schémas stratégiques pour hiérarchiser un inéluctable
partage de compétences.
Le prix à payer, pour cette évolution, est dans une complexité normative croissante.
Cette évolution a lieu sous le regard compréhensif du Conseil constitutionnel, si tant est
que la délégation de compétences, organisée par le législateur dans le cadre du chef de filat
(combinaison des articles L 1111-8 CGCT et du V de l’article L 1111-9-1, cf encadré ci-dessous)
ou en dehors de ce cadre (article L. 3641-4 CGCT sur la délégation de compétences entre la
métropole de Lyon et la région Rhône-Alpes) satisfasse aux exigences (revues à la baisse au fil
des décisions récentes ?) énoncées dans le considérant 57 de la décision n° 94-358 DC du 26
janvier 1995, y compris dans les cas où la loi renvoie à l’article L. 1111 – 8 CGCT4.
4
Notons que le renvoi à cette disposition pourrait paraître superfétatoire dans la mesure où le texte spécial instituant
la possibilité de déléguer semble généralement se suffire à lui-même. Mais l’article L 1111-8 pourrait aussi
conserver une utilité résiduelle en tant que base juridique permettant éventuellement à des collectivités de se
déléguer des compétences entre elles en l’absence de disposition législative spéciale ouvrant cette possibilité pour la
compétence considérée.
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27
Continuent cependant à poser question, au regard du principe d’indisponibilité de leurs
propres compétences par les collectivités territoriales (affirmé par le CC dans sa décision n° 94358 DC du 26 janvier 1995), les conventions entre collectivités territoriales portant non plus
seulement délégation de compétences ou organisation coordonnée de compétences partagées,
lesquelles sont par nature résiliables, mais transfert définitif de compétences, comme le projet de
loi du printemps 2014 le permet dans plusieurs cas.
Mais, même dans cette hypothèse, le Conseil constitutionnel a fait preuve d’une tacite
compréhension dans ses décisions des trois dernières années.
En atteste l’article L. 5217-4 CGCT, dans sa rédaction issue de la loi du 16 décembre
2010, article à propos duquel l’Assemblée générale du Conseil d’Etat avait noté, dans sa séance
du 15 octobre 2009, que « le projet du Gouvernement ne pouvait, sans méconnaître l’article 34
de la Constitution qui réserve au Parlement la définition des principes fondamentaux des
compétences des collectivités territoriales, laisser à une convention à conclure entre une région
ou un département et une métropole le soin de transférer des compétences à celle-ci en se
bornant, sans encadrement suffisant, à désigner les domaines dans lesquels une telle convention
pourrait être conclue. »
Or la loi du 16 décembre 2010 a été promulguée avec cette disposition. Dans sa décision
du 9 décembre 2010 rendue sur cette loi, le Conseil constitutionnel, sans être saisi précisément
du grief tiré de ce que les collectivités territoriales ne sauraient disposer de leurs compétences, a
relevé que « le législateur a arrêté (…) la liste des compétences susceptibles d’être transférées
par convention avec les départements et les régions ». Il a expressément inclus les articles L.
5217-1 à L. 5217-7, dans leur rédaction issue de la loi déférée, parmi ceux qu’il a déclarés
intégralement et sans réserve conformes à la Constitution.
Ce faisant, le Conseil constitutionnel semble donc avoir implicitement, mais
nécessairement, considéré que l'encadrement des transferts conventionnels de compétences était
suffisant pour conclure que « le législateur n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence ».
Prenant acte de cette position et levant son objection de 2009, le Conseil d’Etat (voir son
rapport public d’activité pour l’année 2013, page 199) a admis le transfert conventionnel de
compétences figurant à l’article L. 5217-2 CGCT, dans la rédaction que lui donne la loi n° 201458 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique et d’affirmation des métropoles.
Cet article dispose que, par convention avec le département ou la région, la métropole
peut se voir transférer un certain nombre de leurs compétences, définies par les articles L. 32111-1 et L. 4221-1 CGCT.
Il n’a été ni contesté, ni examiné d’office par le Conseil constitutionnel dans sa décision
n° 2013-687 du 23 janvier 2014.
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Instruments d’une « réforme par le bas », ces mécanismes entendent adapter la répartition
des compétences à la diversité des territoires.
Reste à savoir si la pratique tiendra la promesse des textes, notamment lorsque la
procédure de passation des conventions est complexe et comporte des risques contentieux ….
….Et, cet obstacle levé, comment rendre accessibles toutes ces conventions de
délégation, transfert et partage de compétences, afin que les acteurs socio-économiques du local
sachent quelle collectivité fait quoi et à quelle porte frapper.
S’agissant du projet de loi de clarification de l’action territoriale de mai 2014, on peut
penser que la mise en œuvre des conventions territoriales d'exercice concerté d'une compétence
mentionnées à l’article L. 1111-9-1 du code général des collectivités territoriales (par exemple
pour le schéma régional de développement touristique), comme celle des délégations de
compétence de l’article L. 1111-8 (que pourra par exemple prévoir le schéma régional de
développement économique, d'innovation et d'internationalisation), aboutiront à une dévolution
des compétences des collectivités territoriales et de leurs groupements complexe et différente
d’une région à une autre et d’un département à un autre.
Il faut éviter les conséquences négatives qui, faute d’assurer une accessibilité suffisante
de tous ces schémas, conventions et délégations, pourraient résulter de cette complexité, en
termes de lisibilité de la répartition des compétences entre collectivités territoriales.
Au regard de l’objectif du projet de loi, il convient de rechercher, au delà de la
publication de ces actes au fil de l’eau, les moyens, notamment électroniques, propres à
permettre aux citoyens et à l’ensemble des usagers et des interlocuteurs des collectivités
territoriales et de leurs groupements d’accéder, dans les meilleures conditions, à la connaissance
de la répartition des compétences résultant, outre des textes, de ces schémas, conventions et
délégations.
04/06/2014 - 13:45:58
29
Article L1111-9
Modifié par LOI n°2014-58 du 27 janvier 2014 - art. 3
I. ― Les compétences des collectivités territoriales dont le présent article prévoit que l'exercice nécessite le concours de plusieurs
collectivités territoriales ou groupements de collectivités territoriales sont mises en œuvre dans le respect des règles suivantes :
1° Les délégations de compétence sont organisées dans le cadre de la convention territoriale d'exercice concerté prévue au V de
l'article L. 1111-9-1 ;
2° La participation minimale du maître d'ouvrage, prévue au deuxième alinéa du III de l'article L. 1111-10, est fixée à 30 % du
montant total des financements apportés par des personnes publiques ;
3° A l'exception des opérations figurant dans le contrat de plan conclu entre l'Etat et la région, les projets relevant de ces
compétences peuvent bénéficier de subventions d'investissement et de fonctionnement soit de la région, soit d'un département.
II. ― La région est chargée d'organiser, en qualité de chef de file, les modalités de l'action commune des collectivités territoriales
et de leurs établissements publics pour l'exercice des compétences relatives :
1° A l'aménagement et au développement durable du territoire ;
2° A la protection de la biodiversité ;
3° Au climat, à la qualité de l'air et à l'énergie ;
4° Au développement économique ;
5° Au soutien de l'innovation ;
6° A l'internationalisation des entreprises ;
7° A l'intermodalité et à la complémentarité entre les modes de transports ;
8° Au soutien à l'enseignement supérieur et à la recherche.
III. ― Le département est chargé d'organiser, en qualité de chef de file, les modalités de l'action commune des collectivités
territoriales et de leurs établissements publics pour l'exercice des compétences relatives à :
1° L'action sociale, le développement social et la contribution à la résorption de la précarité énergétique ;
2° L'autonomie des personnes ;
3° La solidarité des territoires.
Il est consulté par la région en préalable à l'élaboration du contrat de plan conclu entre l'Etat et la région en application de la loi
n° 82-653 du 29 juillet 1982portant réforme de la planification afin de tenir compte des spécificités de son territoire.
IV. ― La commune ou l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre auquel elle a transféré ses
compétences est chargé d'organiser, en qualité de chef de file, les modalités de l'action commune des collectivités territoriales et
de leurs établissements publics pour l'exercice des compétences relatives :
1° A la mobilité durable ;
2° A l'organisation des services publics de proximité ;
3° A l'aménagement de l'espace ;
4° Au développement local.
V. ― Les modalités de l'action commune des collectivités territoriales et de leurs groupements pour l'exercice des compétences
mentionnées aux II à IV sont débattues par la conférence territoriale de l'action publique prévue à l'article L. 1111-9-1.
04/06/2014 - 13:45:58
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Article L1111-9-1
Créé par LOI n°2014-58 du 27 janvier 2014 - art. 4 (V)
I. ― Dans chaque région, la conférence territoriale de l'action publique est chargée de favoriser un exercice concerté des
compétences des collectivités territoriales, de leurs groupements et de leurs établissements publics.
La conférence territoriale de l'action publique peut débattre et rendre des avis sur tous les sujets relatifs à l'exercice de
compétences et à la conduite de politiques publiques nécessitant une coordination ou une délégation de compétences entre les
collectivités territoriales et leurs groupements.
Elle peut être saisie de la coordination des relations transfrontalières avec les collectivités territoriales étrangères situées dans le
voisinage de la région.
II. ― Sont membres de la conférence territoriale de l'action publique :
1° Le président du conseil régional ou de l'autorité exécutive de la collectivité territoriale régie par l'article 73 de la Constitution ;
2° Les présidents des conseils généraux ou un représentant de l'autorité exécutive des collectivités territoriales exerçant les compétences des
départements sur le territoire de la région ;
3° Les présidents des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 30 000 habitants ayant leur siège sur le
territoire de la région ;
4° Un représentant élu des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de moins de 30 000 habitants ayant leur siège
sur le territoire de chaque département ;
5° Un représentant élu des communes de plus de 30 000 habitants de chaque département ;
6° Un représentant élu des communes comprenant entre 3 500 et 30 000 habitants de chaque département ;
7° Un représentant élu des communes de moins de 3 500 habitants de chaque département ;
8° Le cas échéant, un représentant des collectivités territoriales et groupements de collectivités des territoires de montagne, au sens de l'article 3
de la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne.
Pour la désignation dans chaque département des représentants des communes et des établissements publics de coopération intercommunale à
fiscalité propre non membres de droit de la conférence territoriale de l'action publique et lorsqu'une seule liste complète de candidats réunissant
les conditions requises a été adressée au représentant de l'Etat dans le département, il n'est pas procédé à une élection.
Un décret précise les modalités d'élection ou de désignation des membres de la conférence territoriale de l'action publique.
III. ― La conférence territoriale de l'action publique est présidée par le président du conseil régional.
Elle organise librement ses travaux, au travers de commissions thématiques, et leur publicité dans le cadre de son règlement intérieur.
Elle est convoquée par son président, qui fixe l'ordre du jour de ses réunions. Chaque membre peut proposer l'inscription à l'ordre du jour de
questions complémentaires relevant des compétences exercées par la personne publique ou la catégorie de personnes publiques qu'il représente ou
pour lesquelles cette personne publique est chargée d'organiser les modalités de l'action commune des collectivités territoriales.
Le représentant de l'Etat dans la région est informé des séances de la conférence territoriale de l'action publique. Il y participe lorsque la
conférence donne son avis sur une demande d'une collectivité territoriale ou d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité
propre tendant à obtenir la délégation de l'exercice d'une compétence de l'Etat dans le cadre fixé à l'article L. 1111-8-1. Il participe aux autres
séances à sa demande.
La conférence territoriale de l'action publique peut associer à ses travaux tout élu ou organisme non représenté. Elle peut solliciter l'avis de toute
personne ou de tout organisme.
IV. ― La conférence territoriale de l'action publique débat des projets visant à coordonner les interventions des personnes publiques, qui lui sont
présentés par les collectivités territoriales ou les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre dans le cadre des V à
VII.
V. ― Les conventions territoriales d'exercice concerté d'une compétence fixent les objectifs de rationalisation et les modalités de
l'action commune pour chacune des compétences concernées, dans les conditions suivantes :
a) La région et le département élaborent un projet de convention pour chacun des domaines de compétence mentionnés aux II et
III de l'article L. 1111-9 ;
b) Les communes et les établissements publics de coopération intercommunale auxquels elles ont transféré leurs compétences
peuvent élaborer un projet de convention pour chacun des domaines de compétence mentionnés au IV du même article L. 1111-9
;
04/06/2014 - 13:45:58
31
c) La collectivité territoriale ou le groupement de collectivités, chargé par la loi de l'élaboration d'un plan ou d'un schéma relatif à
l'exercice d'une compétence des collectivités territoriales au niveau régional ou départemental, peut élaborer un projet de
convention organisant les modalités de leur action commune pour cette compétence ;
d) La collectivité territoriale ou le groupement de collectivités, chargé par la loi d'élaborer un plan ou un schéma relevant d'une
compétence pour laquelle l'article L. 1111-9 le charge de l'organisation des modalités de l'action commune, peut élaborer un
projet de document unique tenant lieu de plan ou schéma et de convention territoriale d'exercice concerté de la compétence
concernée, en respectant les prescriptions et procédures de consultation et d'approbation prévues pour chaque document. Le
document unique comporte un volet regroupant les dispositions prévues en application des 1° à 5° du présent V applicables à ses
seuls signataires. Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'application du présent d.
Chaque projet de convention comprend notamment :
1° Les niveaux de collectivités territoriales concernés ou les collectivités compétentes définies par des critères objectifs sur
l'ensemble du territoire de la région ;
2° Les délégations de compétences entre collectivités territoriales, ainsi que les délégations de la région ou du département à un
établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, dans les conditions prévues à l'article L. 1111-8 ;
3° Les créations de services unifiés, en application de l'article L. 5111-1-1 ;
4° Les modalités de la coordination, de la simplification et de la clarification des interventions financières des collectivités
territoriales pouvant déroger aux 2° et 3° du I de l'article L. 1111-9 ;
5° La durée de la convention, qui ne peut excéder six ans.
VI. ― Le projet de convention territoriale d'exercice concerté de la compétence est examiné par la conférence territoriale de
l'action publique, dans les conditions prévues par son règlement intérieur.
La collectivité territoriale ou l'établissement public auteur du projet de convention territoriale d'exercice concerté de la
compétence peut prendre en compte les observations formulées lors des débats de la conférence territoriale de l'action publique
pour modifier le projet présenté.
A l'issue de cet examen, le projet de convention est transmis au représentant de l'Etat dans la région, ainsi qu'aux collectivités
territoriales et établissements publics appelés à prendre les mesures nécessaires à sa mise en œuvre.
Les organes délibérants des collectivités territoriales et des établissements publics concernés disposent d'un délai de trois mois
pour approuver la convention, qui est signée par le maire ou par le président.
Les stipulations de la convention sont opposables aux seules collectivités territoriales et établissements publics qui l'ont signée.
Elles les engagent à prendre les mesures et à conclure les conventions nécessaires à sa mise en œuvre.
VII. ― Lorsque l'exercice d'une compétence autre que celles mentionnées à l'article L. 1111-9 est partagé entre plusieurs
catégories de collectivités territoriales, chaque collectivité territoriale ou établissement public de coopération intercommunale à
fiscalité propre attributaire de cette compétence peut formuler des propositions de rationalisation de son exercice. Ces
propositions font l'objet d'un débat au sein de la conférence territoriale de l'action publique.
VIII. ― Au moins une fois par an, la collectivité territoriale chargée d'organiser les modalités de l'action commune adresse à
l'organe délibérant des collectivités territoriales et aux établissements publics concernés un rapport détaillant les actions menées
dans le cadre de la convention territoriale d'exercice concerté de la compétence ou du plan d'actions, ainsi que les interventions
financières intervenues. Ce rapport fait l'objet d'un débat.
Dans les conditions prévues au présent article pour leur conclusion, les conventions territoriales d'exercice concerté de la
compétence peuvent être révisées au terme d'une période de trois ans ou en cas de changement des conditions législatives,
réglementaires ou financières au vu desquelles elles ont été adoptées
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4. Nous en arrivons ainsi à la dernière question : c’est celle de la possibilité d’une
règle législative générale définissant le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales
et allant jusqu’au bout de ce qui est constitutionnellement possible pour les habiliter à
moduler localement l’application de la loi
La réponse est nette : il est vain de chercher à définir, dans une disposition législative,
générale et normative, les cas et conditions dans lesquels la loi peut confier aux collectivités
territoriales un pouvoir réglementaire.
Une telle disposition ne pourrait au mieux que tirer les conséquences nécessaires de la
Constitution et n’aurait dès lors pas de portée normative propre. Mais la difficulté de sa rédaction
la conduirait vraisemblablement à violer la Constitution, en retranchant ou en ajoutant à celle-ci.
Le législateur peut certes énoncer une évidence du type : « Le pouvoir réglementaire de
la collectivité territoriale de Corse s’exerce dans le cadre des compétences qui lui sont dévolues
par la loi » (art L 4422-16 CGCT), mais un tel énoncé, dépourvu de toute portée prescriptive,
serait un « neutron législatif ».
La portée principale de l’avis du CE du 15 novembre 2012 est de dissiper l’illusion de la
formule « passe partout », qui inspire certaines initiatives législatives tendant par exemple à
instituer au niveau local (préfet ou CT) une capacité de modulation des normes nationales.
S’il est possible à la loi de prévoir des critères d’adaptation réglementaire ou de
dérogation individuelle aux mesures générales qu’elle fixe, c’est à la condition (n° 2011-639 DC
du 28 juillet 2011) que le législateur ait défini avec une précision suffisante, directement ou par
renvoi encadré au décret d’application, les conditions auxquelles ces dérogations doivent
répondre, et notamment la nature et l’objet des mesures de substitution qui peuvent être prises.
C’est dans cet esprit que, lors de l’examen du projet de loi qui allait devenir la loi du 27
janvier 2014, le Conseil d’Etat (voir ci-dessous l’extrait de son rapport public pour l’année 2013)
a disjoint la disposition imposant de façon général au pouvoir réglementaire, dans le silence
d’une loi applicable aux collectivités territoriales, de fixer les modalités d’application de cette
loi, et sa date d’entrée en vigueur selon les territoires, dans le respect d’un « principe de
proportionnalité ».
Seuls permettraient de répondre aux critiques légitimes des élus locaux contre l’inflation
normative un travail patient sur « le stock » et une ferme discipline sur « le flux ».
A cet égard, il conviendrait de prévoir au cas par cas (en particulier dans le cadre de la
codification pour le stock et dans celui de l’évaluation des normes pour le flux) des allègements
ou adaptations.
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Ainsi, l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 pourrait être complété aux fins
d’inclure dans les études d’impact les motifs pour lesquels des mécanismes de modulation,
d’adaptation ou de dérogation sont ou non prévus, en fonction des caractéristiques des
collectivités territoriales concernées :
- par renvoi encadré aux décrets d’application ;
- par attribution aux collectivités territoriales d’un pouvoir réglementaire d’adaptation ou de
dérogation.
L’étude d’impact aurait notamment à s’expliquer sur la répartition des modalités
réglementaires d’application de la loi entre décret et CT, au regard du principe de subsidiarité.
Ce serait un moyen d’ « activer » ce principe qui, depuis son insertion au deuxième alinéa
de l’article 72 de la Constitution par la révision de 2003 (« Les collectivités territoriales ont
vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être
mises en oeuvre à leur échelon »), est resté quelque peu en sommeil.
On peut aller assez loin dans la voie de l’attribution d’un pouvoir réglementaire aux CT, à
condition de prendre en compte les spécificités de l’action publique dans chacun des domaines
où elle se déploie et de tourner résolument le dos aux solutions simplistes et uniformes.
Mais ceci ne peut être réalisé que matière par matière, en prévoyant à chaque fois un
encadrement approprié et des obligations modulées.
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Lors de l’examen du projet de loi qui allait devenir la loi du 27 janvier 2014, le Conseil d’Etat (voir son
rapport public pour l’année 2013) a disjoint la disposition imposant au pouvoir réglementaire, dans le silence d’une
loi applicable aux collectivités territoriales, de fixer les modalités d’application de cette loi, et sa date d’entrée en
vigueur selon les territoires, dans le respect d’un « principe de proportionnalité ».
Cette disposition entendait imposer aux décrets d'application des lois ayant des incidences sur les CT de
s'adapter aux particularités de celles-ci et de leurs territoires. Elle pouvait aussi servir à ménager un pouvoir
réglementaire local.
Les exigences de l’article 34 de la Constitution, telles que rappelées par le Conseil constitutionnel,
notamment dans sa décision n° 2011-639 DC du 28 juillet 2011, imposent au législateur d’exercer pleinement sa
compétence en définissant avec une précision suffisante, directement ou par renvoi encadré au décret d’application,
les conditions auxquelles les mesures générales qu’il fixe peuvent être adaptées aux situations particulières.
Ces exigences ne sont pas respectées par la disposition précitée, qui charge le pouvoir réglementaire
national de mettre en œuvre le « principe de proportionnalité », en se bornant à prévoir qu’il doit le faire « sur la
base de critères objectifs et rationnels en rapport avec l’objet de la loi » et en assortissant cette formule, dépourvue
de portée normative précise, d’une liste non limitative de critères possibles parmi lesquels le délégataire est invité à
faire son choix. Par son caractère à la fois vague et contraignant, cette disposition ne respecte pas l’obligation qu’a
le législateur d’exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution.
Pour le même motif, la rédaction proposée ne respecte pas l'objectif de valeur constitutionnelle
d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789 et qui a notamment été rappelé par le Conseil constitutionnel dans sa décision n°
2004-500 DC du 29 juillet 2004.
En tant qu’elle entend régir de manière très générale l’exercice du pouvoir réglementaire d’application des
lois, la disposition proposée méconnaît également l’article 21 de la Constitution et le principe de séparation des
compétences du pouvoir législatif et du pouvoir réglementaire. La disposition en cause est de niveau constitutionnel
puisqu’elle vise à contraindre tout à la fois le pouvoir législatif (qui ne pourrait écarter la « proportionnalité » des
mesures réglementaires d’application que par une disposition expresse) et le pouvoir réglementaire (qui, dans le
silence de la loi, serait obligé de mettre en œuvre le « principe de proportionnalité »). Encore ne pourrait-elle être
inscrite telle quelle dans la Constitution sans susciter une grande insécurité juridique, en raison de son manque de
clarté.
Pour remédier à l’insuffisante adaptation des lois applicables aux collectivités territoriales aux
caractéristiques de ces dernières et à leur diversité, c’est donc dans le cadre de chaque législation particulière qu’il
convient de prévoir des dispositifs adaptés. A cet égard, l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009
(pris pour l’application de l’article 39 de la Constitution) impose que chaque projet de loi fasse l’objet d’une étude
d’impact propre à établir qu’il a été précédé d’une réflexion approfondie sur ses impacts de toute nature et qui
comporte « l'évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des
coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d'administrations
publiques », notamment les collectivités territoriales. Un respect effectif de cette exigence serait de nature à
répondre à beaucoup des préoccupations légitimes exprimées par les élus locaux, du moins chaque fois que la
« norme » en débat trouve son fondement dans la loi. La loi organique du 15 avril 2009 pourrait être complétée aux
fins d’inclure dans les études d’impact les motifs pour lesquels des mécanismes de modulation, d’adaptation ou de
dérogation sont ou non prévus (le cas échéant par renvoi encadré aux mesures réglementaires d’application) en
fonction des caractéristiques des collectivités territoriales concernées
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Annexe
Le domaine en cause peut-il faire l’objet d’une attribution de compétence aux CT
sans méconnaître une exigence constitutionnelle ?
OUI
Le législateur attribue-t-il expressément compétences aux CT
dans le domaine en cause ?
NON
OUI
Pour l’exercice de cette compétence, la loi peut-elle confier
un pouvoir réglementaire aux CT sans méconnaître le
principe d’égalité ou une autre exigence constitutionnelle?
NON
OUI
La matière intéresse-t-elle par
nature les affaires locales ?
OUI
La loi confie-t-elle (moyennant l’encadrement nécessaire)
la fixation de certaines règles aux CT ?
NON
OUI
NON
La loi habilite-t-elle expressément le Gouvernement à fixer
ses modalités d’application ?
NON
NON
La loi peut-elle entrer en vigueur sans que soient apportées
des précisions qui ne peuvent l’être qu’au niveau national ?
OUI
NON
Pas de pouvoir
réglementaire
des CT
Pouvoir réglementaire
(sans texte) des CT
dans le respect des
lois, règlements et
principes supra
réglementaires
Pas de pouvoir
réglementaire
des CT
Le pouvoir réglementaire
des CT s’exerce dans
les conditions et limites
prévues par la loi
Le pouvoir réglementaire
des CT s’exerce, s’il y a
encore matière à
réglementer, dans les
conditions et limites
fixées par la loi et le
décret
OUI
Pouvoir réglementaire
(sans texte) des CT, s’il y
a matière à réglementer,
dans le respect des lois,
règlements et principes
supra réglementaires