L`image de la femme dans le roman d`Afrique francophone à travers
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L`image de la femme dans le roman d`Afrique francophone à travers
L’image de la femme dans le roman d’Afrique francophone à travers le thème de la polygamie (Littérature africaine d’expression française) THÈSE Présentée à Université de Khartoum en vue de L’obtention du doctorat Préparée par Ikhlas Siddig Mohamed Ahmed (Master en FLE 2000. Université de Khartoum) Faculté des Lettres Département de Français Sous la direction de Dr. Viviane-Amina YAGI Janvier 2011 Dédicace A la femme africaine « Femme des champs, Femme des rivières, Femme du grand fleuve, Ô toi, ma mère, je pense à toi » (Camara Laye, 1953 : préface) Remerciements Nous tenons à remercier chaleureusement Madame Viviane Amina Yagi, professeur à l’Université de Khartoum, qui a accepté de diriger cette recherche. Nos sincères remerciements vont également à Madame Josette Gaume, Maître de Conférences à l’Université de Franche-Comté, qui a suivi la rédaction de cette thèse et qui nous a accordée une grande partie de son temps précieux. Nous remercions vivement Monsieur Alpha Ousmane Barry, Maître de Conférences HDR à l’Université de Franche-Comté, qui a lu et corrigé ce travail. Nous remercions les personnels du Centre Linguistique Appliquée (CLA) à Besançon, Isabelle Grünenwald, Philippe Hoibian qui nous ont aidés avec tous les moyens disponibles. Nous remercions tous les amis au Soudan et en France pour leur soutien et leur encouragement. Résumé Cette recherche vise à mettre en évidence la fonction sociale de la littérature comme miroir qui reflète la vie d’une société à une époque donnée. A travers le thème de la polygamie, nous essayons de découvrir l’image que les romanciers dressent de la femme africaine. Nous essayons également de découvrir l’attitude de la femme vis-à-vis de la polygamie et les impacts de celle-ci sur la vie des couples et des enfants. Le champ de l’étude est le roman africain francophone. Nous nous sommes appuyés sur trois ouvrages de grands romanciers Africains : Xala de Sembène Ousmane, Perpétue et l’habitude du malheur de Mongo Béti et Une si longue lettre de Mariama Bâ écrits dans les années 70. Nous nous sommes servis d’autres romans qui abordent le sujet, ceux qui représentent des époques différentes pour montrer des points de vues différents sur le sujet, notamment celui de l’homme ou de la femme. Dans notre recherche nous avons adopté la méthode analytique descriptive et comparative pour les romans choisis. Dans les romans étudiés, la polygamie est traitée d’une tonalité différente. D’abord, elle est abordée d’une banalité normale, et puis, suite aux défis de modernité comme beaucoup d’autres coutumes, elle subit des critiques violentes. Cependant elle persiste tant qu’il n’existe pas d’autre institution qui puisse se substituer à elle et tant qu’elle trouve le soutien, notamment des intellectuels. Plusieurs facteurs culturels, religieux, sociaux et économiques favorisent la pratique de la polygamie en Afrique. Pour les africains, elle est considérée comme un héritage culturel, une coutume ancestrale fortement enracinée. En général, les images que les romanciers donnent à la femme se répartissent entre celle de femme forte et de femme faible ou victime. Les femmes écrivains ont créé une nouvelle image, celle de femme en lutte. Quant à la réaction contre la polygamie, on peut distinguer principalement deux images : l’image de la femme soumise et l’autre de la femme révoltée. ﺒﺴﻡ ﺍﷲ ﺍﻟﺭﺤﻤﻥ ﺍﻟﺭﺤﻴﻡ ﻤﺴﺘﺨﻠﺹ ﺍﺴﻡ ﺍﻟﻁﺎﻟﺒﺔ :ﺍﺨﻼﺹ ﺼﺩﻴﻕ ﻤﺤﻤﺩ ﺍﺤﻤﺩ ﻋﻨﻭﺍﻥ ﺍﻟﺭﺴﺎﻟﺔ : L’image de la femme dans le roman d’Afrique francophone à travers le thème de la polygamie ) ﺍﻟﻤﺭﺃﺓ ﻓﻲ ﺍﻟﺭﻭﺍﻴﺔ ﺍﻻﻓﺭﻴﻘﻴﺔ ‘’ ﺍﻟﻔﺭﺍﻨﻜﻭﻓﻭﻨﻴﺔ ’‘ ﻤﻥ ﺨﻼل ﻤﻭﻀﻭﻉ ﺘﻌﺩﺩ ﺍﻟﺯﻭﺠﺎﺕ( ﻴﻨﻁﻠﻕ ﻫﺫﺍ ﺍﻟﺒﺤﺙ ﻤﻥ ﺃﻫﻤﻴﺔ ﺍﻷﺩﺏ ﻭﺩﻭﺭﻩ ﺍﻻﺠﺘﻤﺎﻋﻲ ﻜﻤﺭﺁﺓ ﺘﻌﻜﺱ ﻭﺍﻗﻊ ﺍﻟﺤﻴﺎﺓ ﻓﻲ ﻤﺠﺘﻤﻊ ﻤﺎ ﻓـﻲ ﻓﺘﺭﺓ ﺯﻤﻨﻴﺔ ﻤﻌﻴﻨﺔ ﺇﺫ ﻴﻬﺩﻑ ﻟﻠﻜﺸﻑ ﻋﻥ ﺼﻭﺭﺓ ﺍﻟﻤﺭﺃﺓ ﻓﻲ ﺍﻟﺭﻭﺍﻴﺔ ﺍﻹﻓﺭﻴﻘﻴﺔ ﻤﻥ ﺨـﻼل ﻤﻭﻀـﻭﻉ ﺘﻌﺩﺩ ﺍﻟﺯﻭﺠﺎﺕ ﻭﻴﺭﺘﻜﺯ ﻋﻠﻰ ﺩﺭﺍﺴﺔ ﻭﺘﺤﻠﻴل ﻫﺫﻩ ﺍﻟﻅﺎﻫﺭﺓ ﻓﻲ ﺃﻋﻤﺎل ﺃﺩﺒﻴـﺔ ﻟﺜﻼﺜـﺔ ﻤـﻥ ﺍﻟﻜﺘـﺎﺏ ﺍﻟﺭﻭﺍﺌﻴﻴﻥ ﺍﻟﺒﺎﺭﺯﻴﻥ ﻭﻫﻲ :ﺭﻭﺍﻴﺔ ) Xala ﺨﺎﻟﺔ( ﻟﻠﻜﺎﺘـﺏ ﺍﻟﺴـﻨﻐﺎﻟﻲ ﺴﺎﻤﺒﻴﻥ ﻋﺜﻤﺎﻥ( )Sembène Ousmane ) Perpétue et l’habitude du malheur ﺒﻴﺭﺒﺘﻭ ﻭﻤﻌﺎﻴﺸﺔ ﺍﻵﻻﻡ ( ﻟﻠﻜﺎﺘﺏ ﺍﻟﻜﻤﺭﻭﻨﻲ ) Mango Bétiﻤﻨﻘﻭ ﺒﻴﺘﻲ( ﻭ Une si longue lettreﺨﻁﺎﺏ ﻁﻭﻴـل ﺠـﺩﹰﺍ ﻟﻠﻜﺎﺘﺒـﺔ ﺍﻟﺴﻨﻐﺎﻟﻴﺔ ) Marima Bâﻤﺭﻴﺎﻤﺎ ﺒﺎ(.ﻫﺫﻩ ﺍﻷﻋﻤﺎل ﻜﺘﺒﺕ ﻓﻲ ﺴﺒﻌﻴﻨﺎﺕ ﺍﻟﻘﺭﻥ ﺍﻟﻤﺎﻀﻲ .ﻜﻤﺎ ﺘﻨﺎﻭﻟﻨـﺎ ﻷ ﺘﻤﺜل ﺤﻘﺒﹰﺎ ﺘﺎﺭﻴﺨﻴﺔ ﺴﺎﺒﻘﺔ ﻭﻻﺤﻘﺔ ﻟﺘﻠﻙ ﺍﻟﻔﺘﺭﺓ ﺤﺘﻰ ﻨﻁﹼﻠﻊ ﻋﻠﻰ ﻭﺠﻬﺎﺕ ﻨﻅﺭ ﻟﻤﺨﺘﻠﻑ ﺍﻟﻜﺘـﺎﺏ ﺃﻋﻤﺎ ُ ﻤﻥ ﺍﻟﺠﻨﺴﻴﻥ ﻤﻤﺎ ﻴﺩﻋﻡ ﻫﺫﺍ ﺍﻟﺒﺤﺙ ﻭﻴﻌﻀﺩ ﻨﺘﺎﺌﺠﻪ. ﺃﺘﺒﻊ ﺍﻟﺒﺎﺤﺙ ﺍﻟﻤﻨﻬﺞ ﺍﻟﺘﺤﻠﻴﻠﻲ ﺍﻟﻭﺼﻔﻲ ﺍﻟﻤﻘﺎﺭﻥ ﻓﻲ ﺍﻟﺭﻭﺍﻴﺎﺕ ﻤﻭﻀﻭﻉ ﺍﻟﺩﺭﺍﺴﺔ. ﻤﻥ ﺃﻫﻡ ﺍﻟﻨﺘﺎﺌﺞ ﺍﻟﺘﻲ ﺘﻭﺼﻠﺕ ﻟﻬﺎ ﺍﻟﺩﺭﺍﺴﺔ :ﺃﻥ ﺍﻟﻜﺘﺎﺏ ﺍﻟﺭﻭﺍﺌﻴﻴﻥ ﺘﻨﺎﻭﻟﻭﺍ ﻫـﺫﺍ ﺍﻟﻤﻭﻀـﻭﻉ ﺒﻨﺒﺭﺓ ﺘﺨﺘﻠﻑ ﻤﻥ ﻜﺎﺘﺏ ﻵﺨﺭ ﻓﺒﻴﻨﻤﺎ ﺍﻋﺘﺒﺭﻫﺎ ﺍﻟﺒﻌﺽ ﻤﻅﻬﺭﹰﺍ ﻤﻥ ﻤﻅﺎﻫﺭ ﺍﻟﺤﻴﺎﺓ ﺍﻟﻌﺎﺩﻴﺔ ﺘﻌﺭﺽ ﻟﻬـﺎ ﺍﻟﺒﻌﺽ ﺍﻵﺨﺭ ﺒﺎﻟﻨﻘﺩ ﺍﻟﻼﺫﻉ ،ﻭﻴﻌﺯﻯ ﺫﻟﻙ ﺍﻟﺘﺤﻭل ﻟﻠﺘﻐﻴﺭﺍﺕ ﺍﻟﺘﻲ ﻁﺭﺃﺕ ﻋﻠﻰ ﺍﻟﻤﺠﺘﻤـﻊ ﺍﻷﻓﺭﻴﻘـﻲ ﻭﺘﺤﺩﻴﺎﺕ ﺍﻟﺤﻴﺎﺓ ﺍﻟﻌﺼﺭﻴﺔ .ﻟﻜﻥ ﻨﺠﺩ ﺃﻥ ﺍﻟﻅﺎﻫﺭﺓ ﻗﺩ ﺍﺴﺘﻤﺭﺕ ﺭﻏﻡ ﺫﻟﻙ ﻨﺴﺒﺔ ﻟﻌـﺩﻡ ﻭﺠـﻭﺩ ﻨﻅـﺎﻡ ﻼ ﻋﻥ ﺃﻨﻬﺎ ﺘﺠﺩ ﺍﻟﺩﻋﻡ ﻭﺍﻟﻤﺴﺎﻨﺩﺓ ﺴﻴﻤﺎ ﻤﻥ ﺍﻟﻁﺒﻘﺔ ﺍﻟﻤﺜﻘﻔﺔ. ﺍﺠﺘﻤﺎﻋﻲ ﺒﺩﻴل ﻓﻀ ﹰ ﻫﻨﺎﻟﻙ ﻋﺩﺓ ﻋﻭﺍﻤل ﺜﻘﺎﻓﻴﺔ ﻭ ﺍﺠﺘﻤﺎﻋﻴﺔ ﻭﺩﻴﻨﻴﺔ ﻭﺍﻗﺘﺼﺎﺩﻴﺔ ﺘﻌﺯﺯ ﻭﺠﻭﺩ ﻫﺫﻩ ﺍﻟﻅـﺎﻫﺭﺓ ﺍﻟﺘـﻲ ﺘﻌﺘﺒﺭ ﺇﺭﺜﹰﺎ ﺜﻘﺎﻓﻴﹰﺎ ﻀﺎﺭﺏ ﺍﻟﺠﺫﻭﺭ ﻓﻲ ﺤﻴﺎﺓ ﺍﻷﺴﺭﺓ ﺍﻻﻓﺭﻴﻘﻴﺔ. ﺍﻟﺼﻭﺭﺓ ﺍﻟﺘﻲ ﺭﺴﻤﻬﺎ ﺍﻟﻜﺘﺎﺏ ﺍﻟﺭﻭﺍﺌﻴﻴﻥ ﻟﻠﻤﺭﺃﺓ ﺘﺘﻤﺜل ﻓﻲ ﺍﻟﻤﺭﺃﺓ ﺍﻟﻘﻭﻴﺔ ﻭﺍﻟﻤـﺭﺃﺓ ﺍﻟﻀـﻌﻴﻔﺔ ﺍﻟﻀﺤﻴﺔ ﻟﻜﻥ ﺍﻟﻜﺎﺘﺒﺎﺕ ﺍﻟﺭﻭﺍﺌﻴﺎﺕ ﺍﺴﺘﻁﻌﻥ ﺃﻥ ﻴﺄﺘﻴﻥ ﺒﺼﻭﺭﺓ ﺃﺨﺭﻯ ﻟﻠﻤﺭﺃﺓ ﻭﻫﻲ ﺍﻟﻤﺭﺃﺓ ﺍﻟﻤﻘﺎﻭﻤﺔ .ﻤﻥ ﺨﻼل ﻤﻭﻀﻭﻉ ﺘﻌﺩﺩ ﺍﻟﺯﻭﺠﺎﺕ ﻨﺠﺩ ﺼﻭﺭﺓ ﺍﻟﻤﺭﺃﺓ ﺍﻟﺨﺎﻀﻌﺔ ﺍﻟﻤﺴﺘﺴﻠﻤﺔ ﻭﺍﻟﻤﺭﺃﺓ ﺍﻟﺜﺎﺌﺭﺓ. Abstract Name of student : Ikhlas Siddig Mohmed Ahmed Title of Thesis : L’image de la femme dans le roman d’Afrique francophone à travers le thème de la polygamie. (The image of woman in African″francophone″ novel through the theme of polygamy) This research aims to highlight the social function of literature as a mirror that reflects the life of a society at a certain time. Through the concept of polygamy, we try to discover the image that novelists draw up to the african woman. We also try to discover the woman's attitude towards the polygamy and the impact of this on the life of couples and children. The field of the present study is the francophone african novel. We relied on three works of major african novelists: Xala written by Sembène Ousmane, Perpétue et l’habitude du malheur written by Mongo Béti and Une si longue lettre written by Mariama Bâ in the 70. The present work is also based on other novels that address the subject and represent different eras to show the various points of view on the subject including that of man or woman. In our research we followed a descriptive, analytic and comparative method. In the studied novels, the polygamy is treated in a different tonality. First, it is tackled in a normal banality, and then, following the challenges of modernity, like many other customs, it undergoes severe criticism. However, it persists as long as there is no other institution that can replace it and so it finds support, especially from intellectuals. Several cultural, religious, social and economic factors promote the practice of polygamy in Africa. For Africans, the polygamy is considered as a cultural heritage, it is a deeply rooted ancestral custom. In general, the image that novelists give to woman is divided between the strong woman and the weak one. Women writers have created a new image; the struggling woman. As far as the reaction against the polygamy is concerned, we can distinguish two main images: the image of the submissive wife and the rebelled wife. Introduction La question du rôle de la femme, le rapport homme/femme est au cœur de l’histoire et de la culture en Afrique. La femme africaine joue un rôle primordial dans la société. Son rôle comme mère productrice et protectrice est bien exalté par les écrivains africains. Quant à la question du rapport homme/femme, c’est la polygamie qui la caractérise la plupart du temps. Bien qu’elle soit prescrite dans de nombreux pays, la polygamie fait aujourd’hui l’objet de débats de controverses, voire d’articles de lois en France et en Occident. Dans la quête infatigable pour l’égalité homme/femme la polygamie est considérée comme un vrai obstacle à tout effort. Donc la polygamie est un sujet d’actualité, un sujet qui se pose d’une façon permanente dans la vie réelle à travers les informations dans les medias, les articles dans la presse, ainsi que dans la fiction à travers des séries, des films, des romans, etc. Le mariage, la polygamie en particulier, est une thématique récurrente dans la littérature africaine depuis qu’elle est apparue. Il va de soi que ce sujet nourrit l’imagination et la création des écrivains africains jusqu’à nos jours. L’importance de ce sujet part du fait que le mariage est le choix unique qui règle la vie de couple homme/femme dans le milieu traditionnel. De plus, avoir une descendance nombreuse est d’une importance capitale pour les Africains pour assurer la continuité de la lignée, qui est l’objectif optimal de l’acte du mariage. Pour réaliser cette finalité, ils trouvent dans la polygamie un moyen efficace. Donc partant des croyances traditionnelles et religieuses, la polygamie devient une valeur ancestrale, un héritage culturel fortement respecté. D’autre part, les sociétés africaines subissent une mutation, un changement radical du mode de vie à partir de la deuxième moitié du vingtième siècle suite à l’époque de la colonisation et l’influence de la civilisation occidentale. Par conséquent la polygamie, comme d’autres pratiques traditionnelles, est soumises aux défis de la modernité. Beaucoup de coutumes sont abandonnées, elles nuisent au développement de la vie sociale. D’autres persistent malgré tous les efforts pour les abolir telle que la polygamie. La condition de la femme africaine n’est pas enviable, dans l’optique de l’occident, la polygamie est l’origine de la misère qui la frappe, c’est pourquoi il faut la combattre. L’émancipation de la femme africaine, l’amélioration de la condition de sa vie passent exclusivement par l’abandon total de cette pratique. Plus que d’autres personnes, la femme est crûment affectée par les changements dans la société africaine. Prenant conscience de la gravité de la situation de la femme africaine - qui est en proie à l’ignorance, à l’alphabétisme et aux mauvaises coutumes - les écrivains se servent de leurs plumes comme d’une arme pour défendre la cause de la femme. Notamment la femme est l’agent essentiel de la promotion de la société, donc sauver la femme c’est sauver la société et par conséquent toute la nation. Les efforts faits par les écrivains et les romanciers s’inscrivent dans la critique sociale. Ils visent à mettre en relief les problèmes dont la femme souffre pour y trouver des solutions. S’identifiant à leurs personnages ils transmettent indirectement leurs messages, leurs points du vue sur les questions abordées. Ils critiquent l’homme polygame, ils montrent leur sympathie pour la femme considérée comme victime de cette pratique. Dans cette étude intitulée ″L’image de la femme dans le roman d’Afrique francophone à travers le thème de la polygamie″, nous essayons d’aborder le thème de la polygamie. Nous essayons également de présenter la femme à partir des portraits faits par les romanciers qui traitent ce sujet. Ce travail se compose de trois parties : la première partie est une présentation de la problématique, nous présentons le roman africain, son évolution historique et thématique. Nous faisons un survol du thème de la polygamie dans les romans de notre corpus, les romans qui représentent les différentes périodes historiques de l’Afrique occidentale : avant l’indépendance, après l’indépendance et la période contemporaine. Le deuxième chapitre contient les définitions des notions de polygamie et de monogamie. Nous faisons également une présentation de la polygamie en tant que réalité vécue partout dans le monde et dans le continent africain en particulier. Nous mettons en opposition polygamie/monogamie. La monogamie qui est parfois caractérisée par une série de mariages divorces mariages est une autre forme de polygamie. La deuxième partie est également une analyse de l’image et du rôle de la femme africaine. Cette partie peut être considérée comme un état des lieux de la situation de la femme africaine celle qui est concernée par cette pratique. Nous présentons l’image romanesque de la femme africaine qui est celle d’une femme forte, femme faible (victime ou écrasée) ou de femme en lutte. Nous présentons également le rôle de la femme au foyer et au travail, les coutumes du mariage dans la société traditionnelle africaine qui reflète l’importance de cette institution dans leur vie. Nous présentons l’image de l’épouse traditionnelle, puis l’image de la femme évoluée pour montrer l’influence de la modernité sur la femme africaine. La troisième partie est une analyse de la polygamie à partir des expériences des personnages romanesques. Cette partie comprend trois chapitres. Le premier est consacré aux raisons de la polygamie, le deuxième aux manifestations, le troisième aux conséquences. Nous présentons l’attitude de la femme vis-à-vis de la polygamie à travers les images de femmes soumises à la polygamie et celles des femmes qui se révoltent contre cette pratique. Nous présentons également l’image de celles qui l’acceptent bien qu’elles ne soient pas nombreuses. Nous présentons le ménage polygame, les impacts de la polygamie sur les couples, sur les enfants et sur le reste de la famille. Dans les commentaires qui composent la dernière partie de ce travail, nous essayons de répondre aux questions posées, nous faisons une réflexion sur la condition de la femme africaine qui. Nous comparons sa situation avec celle de la femme occidentale. Ainsi les problèmes de la femme existent partout dans le monde bien qu’ils soient différents. Première partie Présentation de la problématique Présentation de la problématique La littérature africaine d’expression française est un domaine très riche et très intéressant. Bien qu’elle soit écrite en français, elle traduit des idées, des visions africaines, elle fait découvrir à ses lecteurs des traits culturels africains ainsi que la pensée africaine. Cette littérature, surtout les romans, apprend beaucoup plus que d’autres sources sur la femme africaine, sur sa condition de vie, ses problèmes, ses aspirations. Il s’agit d’une narration plutôt authentique des faits, des actions, des valeurs, de la vie quotidienne réalisée par un travail d’écriture. Un travail qui a comme objectif de présenter l’image romanesque de la femme africaine. Partant de la théorie littéraire du reflet, cette recherche vise à mettre en évidence la fonction sociale de la littérature et son rôle comme miroir reflétant les actions et les événements ayant court dans un lieu et à un moment donné. Dans le roman africain, on peut distinguer des principes qui soutiennent l’usage du réalisme. Selon Claire L. Dehon (2002), ils se représentent par : le didactisme, l’engagement politique, la dénonciation de « l’art pour l’art » et la nécessité d’utiliser la littérature pour le développement et l’amélioration des conditions de la vie des peuples. Pour Léopold Sédar Senghor, l’œuvre littéraire n’existe que si elle a une « valeur exemplaire » ou un « pouvoir révolutionnaire » cité par (Claire L. Dehon : 58). Ainsi la conception de la littérature engagée servait la campagne anti colonialiste ce qui est remarquable dans l’œuvre des écrivains comme Mongo Béti, Sembène Ousmane et d’autres. Toutefois la littérature africaine en général est liée étroitement à la réalité sociale. Il s’agit de se préoccuper des problèmes de la société et des aspirations de peuples. Le choix du sujet est motivé par l’intérêt de découvrir, d’autres sociétés africaines qui, malgré la diversité ethnique, linguistique et culturelle ressemblent beaucoup à notre société soudanaise. D’autre part la question de la femme africaine, son statut, ses problèmes, l’amélioration de ses conditions de vie font partie de notre problématique. Nous remarquons que l’image de la femme est abondamment présentée dans la production littéraire francophone d’Afrique et que malgré l’évolution de l’image de la femme, la polygamie est un des thèmes constants dans les romans africains en général et francophones en particulier. Nous allons donc montrer : - Quelle est l’image que les romanciers dressent de la femme africaine, celle qui reflète sa situation, son rôle et son statut ? - Pourquoi la polygamie persiste-t-elle malgré les aspects du modernisme qui gagne les sociétés africaines ? - La polygamie est-elle vraiment la pire des souffrances que la femme africaine doit supporter ? - Comment cette question est-elle traitée par les romanciers et les romancières africains ? Pour répondre à ces questions, nous adoptons une méthode descriptive et analytique des romans suivants qui constituent notre corpus littéraire. Notre choix se justifie par le fait qu’à notre avis ces romans sont ceux qui illustrent le mieux le problème abordé : Une si longue lettre le roman de l’écrivaine sénégalaise Mariama Bâ publié en 1979. Le deuxième, c’est Perpétue et l’habitude du malheur de l’écrivain camerounais Mongo Béti publié en 1974. Le troisième c’est Xala du sénégalais Sembène Ousmane publié en 1973. Ce corpus élargi par d’autres romans nous permet de présenter plusieurs visions (masculine et féminine) des différentes sociétés à des époques différentes pour enrichir notre réflexion sur le sujet. C’est pourquoi nous nous servirons d’autres ouvrages comme corpus secondaire. Dans notre approche, nous adoptons une voie thématique, nous n’insistons pas sur les côtés ou les valeurs proprement littéraires. Nous écartons donc toutes dimensions formelles ou structurelles des romans. Dans une perspective sociale de la littérature nous procédons à l’analyse du thème de la polygamie qui se répète dans des ouvrages différents. Nous nous servons de ces ouvrages comme témoignage des époques dans lesquelles ils sont écrits. Ainsi l’époque joue-t-elle un rôle déterminant dans l’écriture sur la femme. Mais elle n’est pas le seul facteur, la personnalité de l’écrivain a également un rôle à jouer sur la représentation qu’il donne de la femme selon qu’il est lui-même homme ou femme. En nous appuyant sur le roman africain francophone, nous précisons le cadre linguistique de notre recherche : le roman d’expression française et le cadre géographique : les pays d’Afrique de l’Ouest,1 représentés par le Sénégal et le Cameroun. Comme cadre historique, nous choisissons des romans écrits dans la période qui suit les années des indépendances. Il faut signaler que cette période est très signifiante dans l’histoire de l’Afrique. C’est une période transitoire dans l’histoire du continent noir et de ses peuples qui est pleine de changements et de confrontations au niveau politique, économique, culturel et social. Par ailleurs, nous nous sommes également intéressés aux romans écrits dans la période précédente et dans la période contemporaine pour étayer notre analyse. Le passé de la femme africaine est indissociable de son présent. Donc pour parler de son présent, il faut connaître son passé. 1 Pays d’Afrique noire francophone : Sénégal, Guinée, Côte-D’Ivoire, Mali, Haute-Volta, Togo, Bénin, Tchad, République centrafricaine, Cameroun, Gabon, Congo, Zaïre, Rwanda, Burundi. Chapitre 1 : Evolution historique et thématique du roman africain. 1.1. L’importance du roman. L’art romanesque est un genre de création littéraire qui, à part le talent, le don (qualités naturelles), nécessite l’intervention d’autres éléments, tels que l’expérience, l’observation et l’imagination du romancier. Ce dernier procède par la mise en scène d’une intrigue en faisant jouer des personnages selon le temps et le lieu de l’histoire. Puis l’écrivain peint son portrait avec le décor qu’il lui convient pour le déroulement des évènements. Evidemment le roman a une valeur capitale qui se perpétue au fil des âges. D’une part, comme une œuvre créative et esthétique, il acquiert beaucoup d’importance au niveau culturel, en donnant satisfaction et plaisir aux lecteurs. Ce qui fait du roman une œuvre distractive. D’autre part son importance historique et social, puisqu’il est le reflet d’une certaine époque et donc d’un état social donné. Le roman peut être ainsi considéré comme une des références plus au moins objectives, plus au moins neutres. A cette fonction documentaire s’ajoute la fonction éducative du roman puisque du récit on peut tirer des leçons de la vie. En Afrique la production littéraire traditionnelle passe par l’oralité. L’histoire, les contes, les proverbes et les maximes sont transmis oralement de génération à génération des vieux aux jeunes. C’est ce qu’on appelle la sagesse des vieux. Le roman africain est relativement récent. Il date du vingtième siècle. Donc à cet égard il ne nous échappe pas à citer la formule très célèbre de l’écrivain malien Amadou Hampaté Bâ : « En Afrique, chaque fois qu’un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ». Cela explique la nécessité de transposer les savoirs par écrit en renforçant l’importance du roman et de la littérature écrite de façon générale. 1.2. L’évolution historique du roman. Parlant de l’évolution historique du roman africain, il va sans dire qu’on doit citer tout d’abord Batouala de René Maran, puisqu’il s’agit d’une première tentative de donner à l’Afrique la parole littéraire. Cette tentative précède la montée en puissance d’une négritude poétique et politique qui est incarnée par les trois mousquetaires de la poésie noire : Senghor, Césaire, et Damas dans les années 1930. Ensuite, la production littéraire romanesque d’Afrique francophone ne cesse de croître en quantité comme en qualité. Nous citons à titre d’exemples quelques premiers romans : Karim 1935 d’Ousmane Socé, Doguicimi 1938 de Paul Hazoumé, L’enfant noir 1953 de Camara Laye, Maimouna 1953 de Abdoulaye Sadji, Le vieux nègre et la Médaille 1956 de Ferdinand Oyono, etc. Nous citons également des écrivains qui viennent après tels que, Mongo Béti, Sembène Ousmane, Ahmadou Kourouma, Mariama Bâ, etc. Désormais le roman est devenu le meilleur véhicule pour l’expression littéraire du monde africain et des populations. Il raconte leur vie, leur histoire, toutefois il leur apprend beaucoup sur leur vie et sur leur histoire. Ses héros tentent toujours de trouver un compromis entre leur idéal et l’histoire concrète de la dégradation de la société. Ainsi le roman s’épanouit. La production littéraire romanesque des écrivains africains ne se limite pas à un certain type de romans, au contraire ils produisent différents types de textes tels que : roman autobiographique, roman historique, roman philosophique, roman de mœurs, roman éducatif, roman épistolaire, roman, politique, roman social, etc. 1.3. Les caractéristiques du roman africain. Il est certain que personne ne peut ignorer l’influence du roman français sur le roman africain francophone surtout en ce qui concerne le mouvement du réalisme pendant la deuxième moitie du dixneuvième siècle. Il est donc très facile de dégager les traits du roman réaliste au sein du roman africain qui loin du sentimentalisme romantique, cherche à dépeindre la réalité telle qu’elle, sans artifice, sans idéalisation. Il choisit ses sujets dans les classes moyens ou populaires. Et il aborde des thèmes d’actualité, des thèmes qui sortent de la vie quotidienne comme les relations conjugales, le travail ou les affrontements sociaux. Evidemment la plupart des écrivains africains passent une grande partie de leur vie en France. Soit pour suivre des études soit pour travailler soit pour les deux raisons. Ils sont influencés par des grands écrivains français à titre d’exemple : Balzac, Zola et Stendhal. Ce dernier est considéré comme le précurseur de la littérature miroir. Ils ont l’avantage d’être biculturels et bilingues, ils découvrent de nouveaux mondes et ils acquièrent de nouvelles expériences ce qui enrichit leur production littéraire. Ainsi nous partageons l’avis de Lilyan Kesteloot qui affirme que la littérature africaine s’est produite au sein de la littérature française car, « Nul part de rien. On est toujours fils de quelqu’un : les écrivains négro-africain aussi » (Lilyan Kesteloot, 2001 : 6). Cependant il faut signaler que le roman africain a ses propres caractéristiques, ses propres charmes qui le distinguent de tout autre roman, et qui lui donnent son autonomie. D’abord les écrivains africains adoptent une position tout à fait semblable à l’égard des problèmes du continent et du peuple. Ils s’engagent à brosser un décor qui soit authentiquement africain, à dresser un inventaire réel pour l’Afrique. Ainsi nous trouvons que dans les romans africains les lieux sont décrits avec une minutie, une véracité et une grande précision géographique. Les noms propres qui s’appliquent à des personnes, annoncent leur rôle ou ceux qui évoquent des lieux ont souvent une signification très précise. Ces lieux et ces gens aux noms symboliques se retrouvent même plusieurs fois tout au long de l’œuvre d’un romancier et ces reprises authentifient encore plus leurs fonctions. (Denise Coussy, 2000 : 150-155). L’africanisation du roman se voit à travers des techniques narratives particulièrement efficaces tels que : l’abondance des mots africains qui sont utilisés tels quels pour mieux imposer un climat linguistique authentique. Cela se fait pour transmettre des salutations d’usage des conversations codées, ou dans les contes et les chansons. Le recours abondant aux proverbes africanise plus authentiquement le texte. L’importance du proverbe vient du fait qu’il agit à plusieurs niveaux. D’abord son contenu puisqu’il fait référence à une réalité banale de tous les jours qu’il glorifie en général. Ensuite, sa forme puisqu’il se construit les plus courantes en intégrant des éléments premiers comme le soleil, la lune, le feu, les cendres, des animaux familiers tels que les lézards, les crapauds, les vaches, les chiens, les serpents. Il se construit également en intégrant des personnages de rôles sociaux de base comme : les rois, les vieilles femmes, ou les mères, etc. Le proverbe a également une fonction, une valeur qui est essentiellement normative : « Les proverbes sont l’huile de palme dans laquelle on trempe les mots pour mieux les manger » Chinua Achebe, cité par (Denise Coussy, 2000 : 152). 1.4. Les femmes écrivains. La femme écrivain met une trentaine d’année avant de prendre la plume. Jusqu’aux années 70 la majorité des écrivains de l’Afrique francophone sont des hommes. Donc ils proposent des images très conventionnelles de la femme. Ils privilégient sa fonction de mère. Mais ils dénoncent quelquefois la condition défavorable dans laquelle elle se trouve comme dans Perpétue de Mongo Béti, La Noire de… de Sembène Ousmane, ou dans Les soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma. Comme première voix féminine, Aoua Veita publie en 1975 Femme d’Afrique, une autobiographie qui est considérée comme un document référence. En 1979, la publication de Une si longue lettre de Mariama Bâ est un grand succès de l’édition africaine. Ce roman est un miroir sur lequel de nombreuses femmes africaines peuvent se reconnaître. A partir des années 1980, la production littéraire africaine s’est considérablement féminisée. Il y a encore plus de femmes écrivains : Nafissatou Niang Diallo publie son roman Le fort maudit 1980. Puis Aminata Sow Fall, L’appel des arènes 1982 ; Ken Bugul, Le baobab fou 1984 et Tanella Boni Une vie de crabe 1990 et cela continue. Ces femmes écrivains représentent une nouvelle génération de femmes africaines, celles qui sont libérées du conformisme et des fausses croyances des sociétés traditionnelles. Donc quand elles écrivent sur la femme, elles parlent d’un sujet qui leur appartient, elles partent des connaissances profondes et des expériences vécues. C’est pourquoi on disait que "Le bon avocat de la femme c’est la femme elle-même". 1.5. L’évolution thématique du roman. Dans un cadre historique du roman africain, nous pouvons repérer trois grandes phases de développement de l’écriture : une première période dite coloniale, une deuxième autour des indépendances et une troisième à savoir la période contemporaine depuis le début des années 80 (Dénise Brahimi et Anne Trevarthen, 1998 : 8). Quant aux thèmes abordés dans le roman africain, ils varient selon les différentes époques ou les différentes périodes. A l’exception des thèmes concernant le mariage et la vie familiale qui sont permanents. Donc dans son évolution thématique, le roman africain passe d’abord par le thème de la négritude. Ce thème majeur dans la littérature africaine est abordé dans Batouala de René Maran paru en 1921 puis L’enfant noir de Camara Laye en 1953. Dans ces romans révélateurs de l’identité africaine, les auteurs essayent de faire connaître aux lecteurs l’héritage culturel, social et religieux de la personnalité africaine. Ainsi ils chantent les louages des mœurs et des valeurs africaines. Puis à la même période, Mongo Béti et Sembène Ousmane abordent le thème de la décolonisation, la lutte contre le colonisateur dans plusieurs romans à titre d’exemple Mission terminée 1957, Les bouts de bois du Dieu 1960. Dans la période après les indépendances, nous pouvons citer des thèmes tels que la néo-colonisation, il s’agit d’une critique de la corruption des régimes indigènes et l’exploitation économique des nouvelles nations par les anciens colonisateurs. Nous pouvons citer en exemple : Main basse sur le Cameroun paru en 1972 de Mongo Béti. Le roman qui subit une censure plusieurs années en France et au Cameroun. Le conflit des générations, le conflit des cultures, ce thème est également repris dans plusieurs ouvrages tel que : Sous l’orage de Seydou Bidan paru en 1963. L’éducation traditionnelle, l’éducation moderne, l’aliénation font sujet dans des romans comme l’Aventure ambiguë de Cheik Hamidou Kane paru en 1961, etc. Enfin dans la période contemporaine, nous citons des thèmes tels que la révolte dans C’est le soleil qui m’a brulée de Calixe Beyala en 1987, la guerre, l’enfant-soldat dans Allah n’est pas obligé d'Ahamadou Kourouma en 2000, etc. Nous signalons que le thème du mariage et de la polygamie est abordé dans presque tous les romans africains et dans toutes les périodes ainsi que dans la période contemporaine. Pour donner un exemple nous montrons des romans comme Exellence, vos épouses ! de Cheik Aliou Ndao en 1993 ou Riwan et le chemin de sable de Ken Bugul en 1999. Nous reprenons donc ce dernier sujet avec plus de détails dans la partie suivante. 1.5.1. Le thème de la polygamie dans les romans africains. L’attention que les romanciers africains accordent au thème du mariage -parmi d’autres sujets intéressants- nous indique à quel point cette institution est d’importance dans la vie des africains. Ce sujet est abordé sous des optiques différentes mais il reste toujours un thème dominant. La vie familiale, les coutumes du mariage, la dot, la cola symbole de liens et de solidarité, le choix du conjoint, l’épouse traditionnelle idéale, la polygamie, toutes ces questions sont posées face au défi du modernisme qui gagne la vie des africains depuis plus d’un siècle. Suivant le rythme rapide de la vie, traçant les changements qui donnent leur impact sur la société, les écrivains ont leur mot à dire. Alors ils écrivent tantôt sur un ton plus ou moins nostalgique en chantant les louanges des mœurs et des valeurs traditionnelles. Tantôt sur un ton plus ou moins critique en envisageant certaines coutumes, certaines pratiques jugées comme non convenables aux exigences de la vie moderne. Donc leurs œuvres sont bâties sur un fondement de contrastes et de conflits sociaux qui résultent de la coexistence des cultures et des valeurs traditionnelles ou occidentales. Ces œuvres mettent en avant principalement de l’ironie exprimée par le langage et les réflexions du point de vue du narrateur. Ce que racontent ces écrivains, il faut le prendre au sérieux, parce qu’ils sont les témoins de leurs époques. Il va sans dire que nous avons besoin de ces témoignages, de ces expériences qui servent d’éclairage et nous guident et qui nourrissent notre vie actuelle et celle de l’avenir. Nous allons citer quelques ouvrages qui abordent le thème de la polygamie. Les ouvrages sur lesquels s’articule notre analyse de ce phénomène de société pour connaître, à travers les personnages particulièrement féminins, le statut de la femme, la première concernée par cette pratique. Il est remarquable de constater que, jusqu’aux années 60, la polygamie figure dans la production romanesque comme un usage normal. Puis, elle commence à subir des critiques qui atteignent le sommet dans les années 70. Nous citons notamment des œuvres qui attaquent violement cette pratique comme c’est le cas dans Une si longue lettre de Mariama Bâ en 1979, Xala de Sembène Ousmane en 1973, etc. Les questions qui se posent : Pourquoi ce changement d’attitude vis-àvis de la question de la polygamie ? Pourquoi fait-elle l’objet de critique dans cette période précise ? Plus que cela, pourquoi persiste-telle malgré toute cette critique ? Nous présentons d’abord les trois œuvres qui constituent notre corpus principal : Une si longue lettre de Mariama Bâ, Xala de Sembène Ousmane et Perpétue et l’habitude de malheur de Mongo Béti. Puis nous présentons d’autres romans qui abordent le même sujet d’une manière ou d’une autre. Nous commençons par Une si longue lettre, mais tout d’abord, il nous paraît important de présenter l’auteur. D’une part, la personnalité de l’auteur influence l’écriture d’autre part, toute œuvre d’art peut être expliquée par rapport au milieu social de son auteur. Le moment, le lieu et l’origine culturelle auxquels appartient un auteur forment l’ensemble qui conditionne le cadre de référence pour toute analyse sociologique d’une œuvre d’art. (Jean-Pierre Beaumarchais et al, 1994 : 2322). Autrement dit : « l’Etude du texte littéraire ne saurait être dissociée de celle de l’environnement socioculturel de son auteur » (Alpha Barry, 2007 :19). 1.5.2. Mariama Bâ Mariama Bâ, l’auteur du roman Une si longue lettre est une sénégalaise. Elle est née en 1929 au Sénégal. Elle est élevée dans un milieu musulman par ses grands-parents maternels après la mort de sa mère. Son père qui est ministre de la santé en 1956 encourage sa scolarisation dans l’école française. En 1947, elle obtient le Diplôme d’institutrice de l’Ecole Normale de Rufisque et elle devient enseignante mais pour douze ans seulement puis elle demande une mutation au sein de l’Inspection régionale de l’enseignement à cause de sa santé fragile. Elle est mère de neuf enfants, elle est divorcée de son mari Obéye Diop le député suite à son expérience du mariage. Elle s’engage pour nombre d’associations féminines en propageant des idées nouvelles sur l’éducation et les droits des femmes. A cette finalité elle prononce des discours et elle publie des articles dans la presse locale.1 Elle est morte en 1980 d’un cancer avant la publication de son deuxième roman Le chant écarlate en 1981. Publié pour la première fois en 1979, son roman, Une si longue lettre, connaît un réel succès. En 1980 il est retenu pour la remise du Prix Noma lors du Salon du Livre de Francfort. Cette œuvre est de renommée internationale car le livre est traduit en vingt langues différentes. Objet de plusieurs études et de recherches aujourd’hui, ce roman demeure incontestablement une des références en matière de culture négro-africaine. Une si longue lettre est un roman épistolaire, une lettre dont l’expéditrice est Ramatoulaye, la destinataire est Aïssatou ; les deux sont des amies d’enfance. Mais en réalité, il s’agit d’une fausse lettre à publier, le véritable destinataire est le lecteur. Dans ce roman lettre, Mariama Bâ aborde la question de la polygamie par l’intermédiaire du personnage principal Ramatoulaye. Cette dernière parle avec un cœur 1 fr.wikipedia.org/wiki/Mariama_Bâ serré par l’angoisse, du bouleversement brutal de la vie à cause de cette pratique. Puisque les deux amies la subissent et la considèrent comme une trahison de la part de leurs conjoints. Tout d’abord, Ramatoulaye la narratrice, en toute intimité, évoque leur passé. Elle relate avec tendresse, avec nostalgie les différents moments ayant marquées leur amitié et leur enfance commune. Une enfance qui est pleine de joie de croyance et d’espoir. Puis elle évoque leur présent. Elle relate avec amertume, avec chagrin, le choc de la déception causé par le deuxième mariage de leurs maris respectifs l’un après l’autre. L’auteur fait un portrait de deux femmes qui se trouvent dans une situation identique mais qui réagissent de manière différente. Puisque l’une d’elles choisit le divorce l’autre ne peut pas renoncer à son mari, celui qui l’a fait rêver des années et des années. Alors, déçue, malheureuse, triste, jalouse mais amoureuse, Ramatoulaye préfère l’assujettissement au régime polygamique. Mariama Bâ adopte dans son roman une écriture expérimentale et symbolique pour faire ses critiques. Elle critique des coutumes qui sont très exaltées, elles sont considérées comme subalternes. Elle ose faire ses critiques dans un contexte où la liberté de pensée et d’expression sur les sujets féminins n’est pas évidente surtout si c’est de la part d’une femme. Bien qu’il ne soit pas un roman autobiographique, Une si longue lettre, le fait qu’il soit écrit à la première personne lui donne la force d’une autobiographie. Le pronom ″je″ du narrateur est là, pour se sentir proche du lecteur, pour se confier et le convaincre. De plus les deux femmes Ramatoulaye et Aïssatou, les deux personnages féminins les plus importants dans le roman, sont de la même génération de l’auteur qui est née en 1929. Au moment des années des indépendances, elles sont de jeunes femmes mûres dotées de diplômes et de savoir grâce à leur instruction, leur intelligence et leur courage. Elles assistent à la plantation du drapeau de leur pays et à la naissance de la nouvelle nation. Ainsi on peut dire que le roman Une si longue lettre est issu de l’expérience personnelle de l’auteur. Comme son héroïne, Mariama Bâ est institutrice. Elle subit des problèmes conjugaux, le divorce. Puis elle participe à la vie littéraire, elle agit non seulement en témoin mais également en acteur de la vie sociale. Dans son roman, elle met l’accent sur trois points : les tortures physiques et morales que les épouses subissent dans le système de la polygamie, les raisons qui poussent l’homme à devenir polygame et la réaction de la femme moderne face à ce genre de vie conjugale. Le message de Mariama Bâ est transmis directement à cœur ouvert avec une sincérité et une sensibilité charmante. Elle ne relate pas seulement des faits mais des sentiments intimes. C’est pourquoi en lisant le récit, on sent que tout ce qui est raconté est authentique, tout ce qu’elle dit est la vérité. Son deuxième roman Le chant écarlate est le symbole d’une réaction violente contre la polygamie dans un couple mixte. Une histoire d’un amour idyllique qui unit Mireille, une jeune fille blanche issue de la noblesse française et Ousmane Guèye, jeune musulman noir sénégalais. Cette histoire se conclut tragiquement par la mort de leur fils Gorgui, empoisonnée par la mère. Cette femme étrangère ne supporte pas que son mari prenne une deuxième épouse, perd la tête, elle devient complètement folle et elle tue son fils unique. L’échec du mariage mixte est évident quant il n’est pas établi sur un respect réciproque des cultures de l’un et de l’autre. Mireille qui a fait de grands sacrifices pour sauver son amour en quittant son pays et en épousant contre le gré de sa famille ne tolère jamais que son mari soit partagé avec une autre. Comme toutes les femmes occidentales, elle croit que son époux sera pour elle, toute seule et pour toujours. D’un autre côté, Ousmane qui choisit de se marier avec une étrangère, ne fait aucun sacrifice pour sauvegarder leur union. Ainsi, l’amour qu’un homme peut garder pour une première femme ne l’empêche pas d’en prendre une deuxième ou une troisième. C’est la logique des polygames. Dans ce roman, Mariama Bâ veut démontrer qu’on ne peut pas se défaire de ce que l’on est, du jour au lendemain. Un proverbe africain dit : « Un séjour dans le fleuve ne fera jamais d’un bâton crocodile ». Donc, nous pouvons signaler qu’avec deux ouvrages seulement, Mariama Bâ arrive à obtenir un grand succès dans le domaine de la littérature au point que son nom figure parmi les grands écrivains africains. 1.5.3. Sembène Ousmane Sembène Ousmane, l’auteur du deuxième roman Xala, est né en 1923 à Ziguinchor une ville de la Casamance au sud de Sénégal. A l’âge de sept ans, il fréquente l’école coranique et l’école française, pour apprendre à la fois l’arabe et le français, alors que sa langue maternelle est le wolof. Il est obligé d’interrompre ses études primaires après une altercation avec le directeur (européen) de son école (Jean-Pierre Beaumarchais et al, 1994 : 2322). En 1942, il est mobilisé par l’armée française. En 1946, il embarque pour la France, débarque clandestinement à Marseille où il vit de différents travaux : docker, maçon, mécanicien. Puis il adhère à la CGT et au Parti communiste français. Il milite contre la guerre en Indochine et pour l’indépendance de l’Algérie. Son contact avec la littérature date des années 50 : « Je suis arrivé à la littérature comme un aveugle qui après quarante ans retrouve la vue » (Jean-Pierre Beaumarchais et al, 1994 : 2322). En 1956, il publie son roman Le docker noir. En 1957, Ô pays, mon beau peuple ! En 1960, Les bouts de bois du Dieu. En 1960, il retourne en Afrique et il voyage à travers différents pays : le Mali, la Guinée, le Congo. Il commence à penser au cinéma, pour donner une autre image de l’Afrique. Il veut montrer la réalité des africaines à travers les masques les danses et les représentations. En 1961, il va étudier le cinéma en Russie à Moscou. Dès l’année 1962, il réalise son premier court-métrage : Borom Sarret et en 1966 sort La Noire de…, son premier long-métrage qui est le premier de tout le continent. Sembène Ousmane revendique un cinéma militant et va lui même de village en village, parcourant l’Afrique pour montrer ses films et transmettre son message. Il est mort en 2007 à l’âge de 84 ans.1 Beaucoup d’études, de mémoires, de thèses sont consacrés à ses œuvres littéraires et cinématographiques qui sont traduites en plusieurs langues. Elles sont également enseignées dans les programmes académiques scolaires ou universitaires dans beaucoup de pays de monde. Comme écrivain engagé, il a une haute conscience de sa mission d’homme de culture et de pédagogie. Il montre une grande préoccupation pour son peuple dont il fait partie intégrante. Il se propose d’élever la culture du progrès, de la démocratie et de la justice. Il se sert de sa plume et de son caméra pour combattre toute forme d’injustice sociale, d’aliénation mentale et culturelle de l’époque coloniale et la corruption des régimes poste-colonial. Ainsi, pour se faire comprendre par le peuple dont la majorité est analphabète, il découvre que le film pourrait l’aider à mieux communiquer avec les africains, les gens qu’il veut représenter et que le cinéma est idéal pour éduquer les masses. Dans ses films, qui sont, dans la plupart des cas, une mise en scène de ses romans, il critique les nouvelles élites bourgeoises, une classe sociale qui a émergé le lendemain de l’indépendance. 1 Wikipedia.org/wiki/Ousmane Sembène Il anticipe sur une des grandes problématiques de son temps, telle que la question de l’émancipation sociale de la femme. Il dénonce la condition de la femme africaine et propose des solutions pour améliorer son existence. Sembène Ousmane est un des romanciers qui sont certains que la libération de l’Afrique est liée à celle de la femme africaine, qu’elles se feront conjointement. Il dépeint la condition féminine dans tous ses romans et il y pose le problème délicat de la polygamie. Ce thème qui se répète sans cesse dans son œuvre, le fait qui montre l’importance qu’il attache à ce sujet. Pour répondre à la question : pourquoi aborde-t-il toujours ce sujet ? Nous pouvons trouver une réponse chez Bestman : « Le témoignage de Sembène Ousmane sur la condition de la femme noire est claire : défenseur ardent des droits féminins, il pose nettement dans toutes ses œuvres le problème aigu de la polygamie en prenant ses distances de ce virus contagieux. La fréquence de ce thème chez lui révèle que c’est un sujet qui le tient à cœur » cité par (Nafissa Abdalla, 1993 : 38). Sembène Ousmane estime que la polygamie ralentit le développement de la société africaine puisque une telle institution retarde le progrès social et que ses aspects négatifs engloutissent ses avantages. C’est pour cette raison qu’il traite de ce problème fréquemment dans son œuvre. (Muriel, I. Ijere, 1988 : 5). Dans une interview faite avec lui, il donne franchement son avis à propos de cette question : « Je suis contre la polygamie… mais les personnages que j’ai rencontrés l’approuvaient. Je crois que la polygamie est un faux problème. Le véritable problème est économique. Il faut instituer le planning familial… que chaque homme ait trois femmes s’il le veut, mais que le nombre des enfants soit limité… Mais c’est une idée combattue. Il faut regarder les choses en face : dans les Etats, de nombreux enfants ne peuvent aller à l’école. Qu’en fera-t-on plus tard ? (Muriel, I. Ijere, 1988 : 6) ». Dans son idée contre la polygamie, il est soutenu par quelques autres écrivains tels que Mongo Béti, Ahmadou Kourouma et Ferdinad Oyono. Nous remarquons également que ce phénomène est moins critiqué dans ses premiers romans que dans les derniers, par exemple dans le Mandat, les deux femmes de Ibrahima Dieng s’entendent très bien. Dans Ô pays, mon beau peuple !, Rokhya privilège d’avoir une coépouse. Et c’est pareil pour Aisstan dans Les bouts de bois du Dieu. Dans ce même roman, la plupart des ouvriers qui font la grève des cheminots Dakar-Niger sont polygames. Ces ouvriers revendiquent leur droit d’un traitement égal à propos des allocations familiales comme leurs collègues français et n’en soient pas être privés parce qu’ils sont polygames, ou qu’ils y seront. Ainsi pour montrer le point de vue des administrateurs européens sur la polygamie chez les africains, Sembène Ousmane écrit en leur donnant la parole : « Dès qu’ils ont de l’argent, c’est pour acheter d’autres épouses et les enfants pullulent comme des fourmis ». (Sembène Ousmane, 1960 : 250) Et plus loin : « Ils sont polygames et ils veulent les allocations familiales avec le nombre d’enfants qu’ils ont, c’est incroyable ! » (ibid., 1960 : 257). C’est dans son roman Xala que Sembene Ousmane commence à critiquer violemment la polygamie. A travers un personnage masculin, Al Hadj Abdou Kader le personnage principal du roman, un polygame qui se marie pour la troisième fois, l’auteur montre tous les problèmes catastrophiques qui peuvent arriver à un homme, à toute une famille suite à la polygamie. Al Hadj Abdou Kader qui n’arrive pas à consommer son mariage, qui perd tout : son prestige son poste, son argent et sa dignité d’homme… Tout de même il ne gagne rien. Il est donc la vraie victime de son action. Donc, prenant cet exemple, l’homme doit penser mille fois avant d’être polygame afin de ne pas avoir un sort pareil. D’autre part, le roman raconte les douleurs des deux anciennes épouses. Adja Awa première qui souffre en silence et Oumi N’doye la deuxième qui ne peut pas cacher sa colère. Plus qu’un reflet des préoccupations de sa société et son temps, l’œuvre de Sembène Ousmane paraît incontestablement comme un miroir de son époque. Elle visualise toutes ses contradictions, elle pose toutes ses interrogations, elle dévoile toutes ses angoisses mais aussi elle transporte son espérance et de sa foi en l’être humain. Donc, de son œuvre, on peut tirer des leçons sur le courage, l’humanisme et la générosité. 1.5.4. Mongo Béti. Non seulement romancier renommé, Mongo Béti, est aussi un essayiste engagé, un enseignant, un libraire et un éditeur. Il fait partie des plus grands écrivains africains. Mongo Béti est un pseudonyme d’Alexandre Diyidi Awala. Son premier pseudonyme est Eza Boto. Il est né en 1932 à Akométan, un petit village situé à 60 kilomètres de Yaoundé la capitale de Cameroun. Après les études primaires à l’école missionnaire de Mabalmayo, il entre en 1945 au lycée Leclerc à Yaoundé. En 1951, il vient en France poursuivre des études supérieurs de Lettres à l’université de Aix-enProvence puis à la Sorbonne à Paris. Il commence sa carrière littéraire avec la nouvelle Sans haine et sans amour qui est publiée en 1953 dans la revue Présence Africaine. Son premier roman Ville cruelle publié en 1954 sous le pseudonyme d’Eza Boto. La parution de son roman Le pauvre Christ de Bomba en 1956 fait scandale accuse de la description satirique qui est faite par l’auteur du monde missionnaire et colonial. En 1957, paraissent encore deux romans : Mission terminée qui gagne le Prix Sainte-Beuve 1958 et Le Roi miraculé. En 1958, il travaille pour la revue Preuves, pour laquelle il effectue un reportage en Afrique. Il travaille également comme maître auxiliaire au lycée Rambouillet. En 1959, il est nommé professeur certifié au lycée Henri Avril à Lamballe. Il passe l’Agrégation de Lettres classiques en 1966 et enseigne au lycée Corneille de Rouen de cette date jusqu’en 1994. En 1972, il revient avec éclat à l’écriture. Son livre Main basse sur le Cameroun, autopsie d’une décolonisation est censuré aussitôt après sa parution par un arrêté du ministre de l’Intérieur français Raymond Marcellin, sur la demande de Jacques Foccart, du gouvernement camerounais, représenté à Paris par l’ambassadeur Ferdinand Oyono. Il publie en 1974 Perpétue et l’habitude du malheur. Après une longue procédure judiciaire lui et son éditeur François Maspéro obtiennent l’annulation de l’arrête d’interdiction de Main basse sur le Cameroun. En 1978, il lance avec son épouse Odile Tobner, la revue bimestrielle Peuples Noirs Peuples africains, qu’il fait paraître jusqu’en 1991. Cette revue décrit et dénonce inlassablement les maux apportés à l’Afrique par les régimes néo-coloniaux. Pendant cette période paraissent les romans : La ruine presque cocasse d’un polichinelle 1979, Les deux mères de Guillaume Ismaël Dzewatama futur camionneur 1983, La revanche de Guillaume Ismaïl Dzewatama, 1984 Lettre ouverte aux camerounais ou la deuxième mort de Ruben Um Nyobe, 1989 le Dictionnaire de la négritude avec Odile Tobner. Après 32 ans d’exil Mongo Béti retourne au Cameroun en 1991. Il publie en 1993 la France contre l’Afrique, retour au Cameroun. En 1994, il prend sa retraite de professeur. Il ouvre à Yaoundé la Librairie des peuples noirs et organise dans son village d’Akometam des activités agricoles. Il crée des associations de défense des citoyens et il donne à la presse privée de nombreux articles de protestation. Il subit une agression policière en janvier 1996 dans la rue à Yaoundé. Il est interpellé lors d’une manifestation en octobre 1997. Parallèlement il publie plusieurs romans : L’histoire du fou en 1994, Trop de soleil tue l’amour en 1999 et Branle-bas en noir et blanc en 2000, deux volumes d’une trilogie restée inachevée. Hospitalisé à Yaoundé le premier octobre en 2001 puis à Douala le 6 et y mort le 7 octobre 20011. Mongo Béti qui réussit très précocement en publiant plus d’un roman à l’âge de 23 ans, se distingue également par la fécondité et la richesse de la production littéraire de qualité de ses essais, et de ses articles journalistiques d’actualité. Sans doute, on peut affirmer que Mongo Béti est l’un des écrivains les plus reconnus au Cameroun. Un écrivain anticolonialiste, il milite sa vie durant pour la libération des peuples africains. Il se sert du roman comme d’une arme contre le colonialisme et le néo-colonialisme de l’après les indépendances. Contre les régimes locaux, des indigènes, des élites qui se caractérisent par la corruption et l’exploitation de l’homme. Des régimes dont le système politique et économique condamne la plupart des gens à vivre dans la pauvreté et l’impuissance totale. Dans son roman Perpétue et l’habitude du malheur, les critiques sociales et politiques vont parallèlement. Ce roman qui a des dimensions politiques et sociales, dénonce les conditions désagréables de la femme africaine, la corruption et la médiocrité des fonctionnaires qui représentent le régime du pouvoir de Baba Toura. Le roman dans son intégralité peut être considéré comme une réflexion ou une médiation sur la situation du continent d’après les Indépendances. La fatalité du destin dont ses propres fils sont les principaux acteurs. Puisque l’indépendance d’un pays africain, dans un 1 fr.wikipedia.org/wiki/Mongo_Beti sens, veut dire : « Un gouvernement noir, fondant des usines avec l’argent des Noirs, pour donner des médicaments à ses frères noirs, ça devait être cela l’indépendance non ? » (Mongo Béti, 1974 : 77). Perpétue est morte parce qu’elle ne trouve pas de médicaments pour se soigner. Donc la vraie victime n’est pas Perpétue, la vraie victime c’est l’Afrique ou plutôt le peuple africain. Perpétue n’est qu’un symbole pour les nationalistes, au même titre que Ruben : « Nous vengeons Ruben, nous vengeons Perpétue » (ibid., 1974 : 83). La mort de Perpétue est l’avertissement pour tous les espoirs d’une vie décente, une vie agréable pour tous les pays du continent après l’ère coloniale. Perpétue l’héroïne du roman, dont la fatalité s’est inscrite jusque dans son prénom, est une jeune femme morte prématurément en couche. Son frère Essola qui est un prisonnier politique retourne au village natal après avoir passé six ans dans un camp de concentration pour opposition au régime Baba Toura. Quand il est emporté au camp du Nord, Perpétue est encore enfant, elle a à peine onze ou douze ans. Après son retour, il décide de faire une enquête sur la mort de sa sœur Perpétue qui est disparue entre-temps. En compagnie d’un cousin, il se déplace cherchant des témoignages des gens qui connaissent la jeune femme. Son enquête révèle des informations stupéfiantes : contre son gré, elle est mariée précocement à un fonctionnaire qui paye beaucoup d’argent comme dot à sa mère. Avec son mari elle mène une vie de misère et de souffrance. Tout d’abord pendant son absence à cause de l’accouchement son mari prend une autre épouse. Puis il la jette dans les bras d’un commissaire de police plus puissant pour tirer du bénéfice et gagner une promotion dans son travail. Et finalement poussé par des soupçons de jalousie il l’emprisonne dans la maison jusqu’à sa mort. Donc comme nous venons de le dire ce roman est un miroir qui permet aux africains de prendre conscience d’eux-mêmes et de réfléchir sur leur condition, leur société. Dans son roman Le pauvre Christ de Bomba, Mongo Béti attaque violemment les activités des missions catholiques en Afrique. A cet égard il fait une remarque très importante : l’empressement des femmes africaines à adhérer au catholicisme. Et cela est mentionné très souvent dans ses romans : « Les femmes seules ont Dieu dans le sang, les hommes ça ne les intéresse plus » (Mongo Béti, 1956 : 133). Il remarque également que les femmes soutiennent matériellement les Missions (le nombre de poulets, les confessions). Alors pour répondre aux questions qui se posent : pourquoi cette attitude des femmes vis-à-vis à l’Eglise ? Pourquoi s’empressent-elles à adhérer au catholicisme ? Pourquoi soutiennent-elles l’Eglise à tel point ? Pour répondre à ces questions, on peut dire que le motif est explicite à travers les romans. Puisque dans des sociétés polygamiques où l’Eglise prêche les principes monogamiques les femmes trouvent leur compte. Donc les femmes adhérent au catholicisme parce qu’elles ont l’espoir qu’il institue la monogamie. Elles comptent sur les ordres de l’Eglise pour chasser leurs rivales. D’autre part, les prêtres connaissent la jalousie des femmes, le désir de chaque femme d’être la seule chez son époux et gagner sa confiance, alors ils utilisent ces vœux pour propager leur religion (Arlette Chemain, 1980 : 204). Ils prêchent la suppression de la dot (Le père Drumont met en accusation la mère qui laisse vendre sa fille pour une somme exorbitante). Ils menacent de l’enfer les hommes qui pensent à multiplier le nombre de leurs femmes. D’ailleurs la femme trouve peut-être dans les mythes chrétiens une compensation ou une conciliation ou même une amélioration des conditions dures qu’elles vivent. Dans la doctrine catholique qui vise à limiter le pouvoir de l’homme sur la femme, l’Eglise peut intervenir et décider du châtiment. Ainsi, Zachaire dans le roman Le pauvre Christ de Bomba est déclaré coupable parce qu’il abat sa femme. Il est remarquable que Mongo Béti évoque à plusieurs reprises le rapport entre la religion catholique et la polygamie. A titre d’exemple, nous citons : « Pourquoi ne pas faire un christianisme à l’usage des Noirs ? Un christianisme… je ne sais pas, moi… où la polygamie serait autorisée… où la pureté sexuelle ne figurerait pas en tête du cortège des vertus » (Mongo Béti 1956: 204). Un autre passage : « La polygamie a son origine de nos aïeux, et c’est pourquoi il est difficile de la sacrifier en faveur d’une religion étrangère » (ibid., 1958 : 131). Dans le roman Le roi miraculé, le chef « le vieux cochon polygame » revient à la vie après une maladie très grave, il reçoit le baptême, il devient chrétien. Maintenant il doit renoncer à toutes ses femmes, les répudier et les renvoyer dans leurs clans. Il doit garder une seule femme, l’unique femme, celle qu’il va épouser devant Dieu. Avec un tel ton cruellement ironique, un tel esprit satirique, il nous semble que Mongo Béti se moque des missions catholiques en Afrique qu’il n’approuve pas leur rôle. Il se moque également de l’institution polygamique qui est toujours contre. 1.6. D’autres romans abordent la polygamie. 1.6.1. Batouala. Le roman Batouala qui gagne le Prix Goncourt en 1921 nous intéresse à deux titres : c’est le premier roman comme on dit "nègre écrit par un nègre" et le premier roman qui aborde le sujet de la polygamie. Son auteur René Maran est considéré par Léopold Sédar Senghor comme un précurseur de la négritude. Il est antillais d’origine guinéenne. Il vit en Afrique tropicale, il part d’un contexte africain et il raconte une réalité africaine. Il décrit la vie authentique du village et de la brousse, l’harmonie entre l’homme, l’animal et la nature. Le roman raconte l’histoire du chef d’une tribu africaine, Batouala, qui est un vaillant chasseur et un excellent marcheur. Un polygame qui a neuf épouses. L’intrigue se déclenche à cause des soupçons selon lesquels une de ses épouses, la plus belle, la préférée, Yasignui’ndja aurait une relation avec Bissibingui. Un très beau jeune homme qui gagne l’admiration de toutes les femmes du village. Prise par la jalousie, Batouala décide de tuer son rival lors d’une chasse. Mais il n’arrive pas à exécuter sa vengeance parce qu’il meurt suite à une grave blessure, car une panthère saute sur lui et l’éventre. Il meurt malgré les soins d’un sorcier. En plein temps colonial, les critiques de l’auteur ne portent pas sur la polygamie qui est considérée comme une pratique totalement banale, une habitude irréprochable à cette époque là. Mais ses critiques portent sur les abus de l’administration coloniale en Afrique et les méfaits de l’impérialisme. Donc il est remarquable d’observer que malgré le sentiment de jalousie qui l’incite, la polygamie soit vue comme une réalité normale. 1.6.2. Les soleils des Indépendances. Les soleils des Indépendances d’Ahmadou Kouroma (écrivain ivoirien) paru en 1970, met en fiction l’opposition de la tradition et de la modernité à travers le personnage de Fama un prince de Horodougou, dernier représentant de la lignée Doumbouya et ses deux femmes Salimata et Mariam. Fama est frappé de stérilité. L’auteur aborde également la condition de la femme africaine. Son roman décrit dans une sorte d’accumulation toutes les pratiques traditionnelles dont la femme africaine peut souffrir dès son très jeune âge. L’excision, la polygamie, le lévirat, et le maraboutage, la sorcellerie transforment la vie de Salimata la première femme de Fama en un enfer. Victime d’un viol diabolique pendant les jours de l’excision toute sa vie est colorée de sang. Puis elle est frappée par la stérilité et c’est le comble ! Devant tout le monde Salimata est responsable de cette situation de stérilité, l’impuissance d’enfanter. Perdant son équilibre, Salimata commence à courir d’un marabout à un autre cherchant à enfanter à tout prix. Son mari de son côté cherche dans son deuxième mariage avec Mariam, la veuve de son cousin une résolution à tous les problèmes. Comme Perpétue de Mongo Béti, Salimata est l’incarnation de la femme victime des croyances et des traditions. 1.6.3. La Grève des bàttu. Dans le roman La Grève des battu, publié en 1979 d’Aminata Sow Fall, le thème principal est le phénomène de mendiants dans les grandes villes africaines. Les mendiants sont une tranche de la société écrasée par l’humiliation. Mais ils sont aussi des êtres humains. Ils ont donc le droit de faire la grève, de s’arrêter volontairement, de mendier. Mais ce fait bouleverse la vie des hommes riches, des puissants qui ne trouvent à qui faire les dons qui leur apporte la réussite. Toujours dans le cadre de la critique sociale, le roman accorde une grande place au sujet de la polygamie. A propos de ce sujet, l’auteur fait parler des personnages de générations différentes : les parents de Loli qui croient profondément à la polygamie, Loli, l’épouse de Mour Ndiaye qui ne sait quoi faire mais qui se soumet finalement à la polygamie et Rama leur fille qui la rejette complètement. Conflit éternel sur ce qui doit exister ou non. Dans la famille de Mour Ndiaye (haut fonctionnaire) qui après une vingtaine d’année d’une vie monogame se trouve face à une épreuve difficile qui est la polygamie. Toutefois l’auteur attire notre attention sur une idée un peu paradoxale, le fait de faire un ″don″ d’une femme à quelqu’un. Mour Ndiaye qui n’avait aucune idée de prendre une deuxième femme, qui respecte sa femme et qui apprécie sa patience et sa fidélité, un beau jour dit brutalement à sa femme : « On me ″donne″ une femme demain » (Aminata Sow Fall,1979 : 57). Dans une société patriarcale, c’est l’homme qui décide de l’avenir de la femme en tant que père, frère ou mari. Donc il peut faire d’elle un don, signe de respect pour un ami, un chef ou un marabout, mais, en même temps c’est un signe d’humiliation pour la pauvre. 1.6.4. Excellence, vos épouses ! Dans Excellence, vos épouses ! paru en 1993, Cheik Aliou Ndao consacre tout un roman au sujet de la polygamie. Goor Gnak un ministre qui partage la vie avec ses quatre femmes qui s’entendent bien. Chacune d’elles issue d’un milieu très spécifique lui assure une diversité de goût. Kodou la première, vient de la brousse comme lui, Nidkou la deuxième une dakaroise, Tokosel la troisième, fille d’un berger qui campe avec son troupeau de vaches quelques kilomètres hors de la ville de Dakar et Aram la quatrième, fille d’un maçon qui habite dans le quartier le plus pauvre de la ville. Mais, un jour, il vient d’apprendre le mauvais sort qui l’attend lorsqu’il perd son fauteuil ministériel. Son nom ne figure plus sur la liste du nouveau gouvernement. Alors il vit pendant une longue période entre l’anxiété et l’amertume avant d’être renommé ambassadeur dans un pays dont il ne connaît même pas le nom. Le problème se pose quand il veut reprendre son nouveau poste : pour voyager à l’étranger qu’est-ce qu’il va faire avec ses quatre épouses et ses quatorze enfants ? Il faut qu’il en choisisse une parmi ces quatre épouses pour l’accompagner, mais, laquelle ? Enfin le choix tombe sur la troisième parce ses enfants n’atteignent pas encore l’âge de la scolarité. Avec ce récit l’auteur essaye de brosser un tableau tout en réalisme de la société sénégalaise de la période post indépendance. Son roman constitue un témoignage d’une génération d’hommes des élites qui unissent avec le pouvoir deux autres pratiques : la polygamie et le maraboutage. Cependant il présente une vision favorable de la polygamie en décrivant l’entente remarquable chez les coépouses du ministre et leur volonté d’aller au secours de leur mari aux moments difficiles quand il a perdu son siège au gouvernement. 1.6.5. Riwan ou le chemin de sable. Riwan ou le chemin de sable publié en 1999, le roman de la sénégalaise Ken Bugul, est un récit puisé aux sources d’un vécu authentique. Née dans un milieu polygame, d’une famille paysanne, puis reçoit une formation occidentale, l’écrivaine a une double culture. Après un long voyage en occident, un voyage à la recherche de soi, elle rentre dans son village natal en Afrique. Par l’intermédiaire du personnage narratrice, l’auteur qui part des expériences personnelles réelles, raconte des destins croisés de femmes africaines prises dans des relations polygamiques, traditionnelles. Elle décrit également et d’une façon détaillée, les coutumes traditionnelles du mariage. La narratrice est une femme intellectuelle ; évoluée, dotée de diplômes, devient la vingt-huitième épouse chez un sérigne (un marabout) pour qui elle avait de l’amitié. Elle s’intègre dans le monde du harem, elle qui est plus d’une fois rongée par la jalousie, voit ses coépouses belles sereines et heureuses. Ce roman révèle un autre visage de la polygamie, celle qui est pratiquée chez les marabouts. Là où la dimension religieuse et spirituelle joue un rôle très important. Là où toutes les épouses sont sous le ″Ndigueul″1, en toute soumission, toute obéissance parce que c’est la garantie du Paradis. Elles se plaisent dans cette spiritualité sauf Rama qui ne supporte pas la spiritualité, qui enfin trompe le sérigne et s’enfuit. Les marabouts de leur côté tirent le maximum de bénéfice de cette atmosphère, de ce respect qui leur accordé par tout le monde. L’excès de la polygamie est évident chez le serigne. Presque une trentaine d’épouses sont emprisonnées dans une cour. Comme dans une salle d’attente, elles sont prêtes à répondre aux appels de leur mari. Lui, dans son appartement, selon sa volonté ou son désir peut appeler celle sur qui tombe le choix. ″Ndigueul″ C'est le fait de se soumettre et de s'abandonner à quelqu'un. C'est le dynamisme du mouridisme. La femme peut être sous le Ndigueul de son mari, l’homme sous le ndigueul d’un serigne. Cette soumission totale est également la garantie du paradis. (Ken Bugul,1999, interview Amina, par Renée Mendy-Ongoundou). 1 L’auteur porte une réflexion sur la jalousie. Sur la possibilité de cohabiter avec ce sentiment positivement, de ne pas se laisser prendre par une jalousie destructive. Le roman reflète également une vision plutôt favorable de la vie polygame. La narratrice apprécie les moments affectueux, la vie heureuse chez le serigne polygame. Elle lui garde de bon souvenir après sa mort. 1.6.6. ″Orniatte al-Nare″(Le chant du feu). ″Le chant du feu″ est une traduction de titre du roman écrit en arabe, Orniatte al-Nare de l’écrivaine soudanaise, Buthina Khider Maki, publié en 1998. Traçant le chemin de la femme africaine de l’Afrique de l’Ouest à l’Est, nous nous installons cette fois-ci au Soudan, puis en vue de jeter un regard interrogateur sur l’Ethiopie avec l’écrivaine soudanaise, Buthina Khider Maki. Son roman ″ Orniatte al-Nare ″est une nouvelle attribution dans l’écriture féminine africaine. Il représente une écriture d’un milieu linguistique et culturel différent. Puisque l’auteur est arabophone, le roman est écrit en arabe avec le même thème de la condition de la femme, la relation homme/femme, la polygamie et la vie familiale quotidienne. De plus elle suit la même lignée que d’autres femmes écrivains en sortant de la pudeur et du conformisme, et en parlant des sujets tels que l’amour, le désir et la sexualité. Raja, l’héroïne du roman est une femme pleine d’intelligence, de beauté et de mérite. Elle se déplace avec son époux Assim un médecin militaire qui a de hauts titres dans l’armée de son pays. Ils vont dans des villes différentes, au Soudan et à l’étranger selon l’exigence du travail. Ce couple a une vie agréable, tranquille, mais hélas ! Pour tout bonheur il y a toujours quelque chose qui manque : Raja ne peut pas enfanter et cela l’agace. Pourtant son mari ne cesse de la rassurer, disant que l’amour qui les réunit est l’essentiel. D’un autre côté, Adel le frère de Raja qui part en Ethiopie pour une mission de travail, rencontre une jeune fille éthiopienne. Elle le fréquente dans l’hôtel où il s’installe. Quand il rentre au Soudan, elle vient le chercher. Il est obligé de se marier avec elle, mais en cachette. Il ne peut pas déclarer leur mariage qui ne serait pas accepté par sa famille. La pauvre épouse ne supporte pas d’être emprisonnée et maltraitée par son mari, elle rentre dans son pays après avoir donné naissance à une fille. La petite est adoptée par Raja, sa tante qui n’a pas d’enfants. Plus tard, un jour après le retour d’Assim du pays, après la mort de sa mère, Raja, son épouse, en arrangeant ses affaires, découvre, dans sa poche, un nouveau contrat de mariage de son mari avec une autre femme. Elle se met en colère et elle rentre dans son pays quelques jours après sans même écouter ses raisons ou ses justifications. Lui qui aime toujours sa femme se trouve devant une obligation. Puisque sa mère dans ses derniers jours, avant de mourir, lui demande de prendre Somaya (une cousine orpheline élevée par elle) comme épouse afin qu’il puisse avoir une progéniture. La demande de la mère est une chose sacrée surtout quand elle est sur son lit de mort. Donc pour lui, le deuxième mariage est un devoir. Avec la deuxième, il a des enfants mais il n’oublie jamais sa première femme. Enfin il réussit à se réconcilier avec elle et l’emmène pour vivre ensemble. Cette histoire, bien qu’elle ait une fin heureuse et qui incarne une réussite d’un amour très fort, présente une partie des souffrances des femmes, les douleurs physiques et morales quand elles sont victimes des coutumes ou des préjugés de la société, surtout dans la situation de stérilité. 1.6.7. Trois femmes puissantes. Trois femmes puissantes le roman qui gagne le Prix Goncourt l’année 2009 écrit par la sénégalaise Marie Ndiaye consiste en trois récits de trois femmes qui se battent pour préserver leur dignité. Norah l’héroïne du premier récit issue d’une famille d’un couple mixte, mère française et père sénégalais. Le drame commence quand son père quitte définitivement la France. Il emmène son fils Sonny qui a seulement cinq ans sans rien dire à sa maman. Il rentre dans son pays natal pour y refaire sa vie et se remarier plus tard avec une très jeune fille. Laissant sa première femme avec ses deux filles, Norah et sa sœur, âgées de huit et neuf ans dans la souffrance et la pauvreté et les douleurs de la privation de son fils. Lui, grâce à l’investissement dans le tourisme, mène une vie aisée. Il assure à son fils une bonne vie et une bonne instruction. Le fils très gâté a une liaison avec sa belle-mère qui a presque le même âge que lui. Cette dernière donne naissance à des jumelles dont le père est le fils. Suite à ces incidents, le père découvre la vérité. Il tue sa femme et laisse emprisonner son fils à sa place disant que c’est lui qui a commis le crime. Ce père terrible, implacable, est responsable de tout le malheur qui frappe la famille. Norah dont les souffrances fortifient sa personnalité, réussit à avoir la formation qu’elle souhaite. Avec ses efforts personnels, en travaillant pour payer son éducation, elle devient avocate. Elle reçoit une convocation de son père pour venir défendre son frère. C’est plus qu’une seule leçon de morale qu’on peut tirer de cette histoire. Elle révèle un des exemples des situations tragiques qui se produisent au sein de la polygamie, quand l’époux, aveuglé par l’égoïsme ne pense qu’à lui, laissant sa partenaire dans l’enfer. Enfin il ne gagne que la malédiction, le châtiment douloureux et l’amertume pendant tout le restant de sa vie. Dans les ouvrages étudiés, nous remarquons que presque tous les personnages masculins qui sont polygames sont d’une couche sociale appartenant à des intellectuels et à des hauts fonctionnaires. Des hommes nantis de richesse et exerçant le pouvoir. Ils sont considérés comme des élites, cependant ils ont la mentalité de leurs parents et leurs grands parents. Nous pouvons citer parmi eux des médecins, des députés, des hommes d’affaire et même des ministres et des diplomates. Dans l’article ″Sembène Ousmane et l’institution polygamique″ (Muriel Ijere, 2007 : 5), l’auteur parle de deux genres de la polygamie : - Celle de la campagne, et dans des sociétés traditionnelles où chaque mari construit une case individuelle pour chacune de ses épouses. Et lui, il vit seul dans la sienne. Cela pour éviter les problèmes et les chicanes entre les différentes épouses. Chacune d’elle est maîtresse de sa propre case. - L’autre genre de la polygamie dans les grandes villes : là où le mari pratique une (polygamie géographique). Chaque épouse possède sa maison personnelle dans laquelle elle vit avec ses enfants loin des autres. Ce système se montre moins pratique parce que le mari doit se déplacer constamment d’un domicile à l’autre, ce nomadisme manque de commodité. Les deux femmes de Diara, dans Les bouts de bois du Dieu de Sembène Ousmane habitent dans deux maisons différentes qui se trouvent aux deux extrémités de la ville Bamako, ce qui pose au mari de sérieux problèmes de déplacement. Pour des raisons financières, il y a également dans les villes des maris polygames qui vivent dans la même maison avec leurs différentes coépouses. Mibaye dans Le Manda, de Sembène Ousmane illustre ce type de ménage polygame. Il vit avec ses deux épouses dans la même villa. Sa première épouse est musulmane et la deuxième est chrétienne.1 1 fr.wikipedia.org/wiki/Polygamie Mais si le mari dispose de moyens financiers ou bien qu’il est de condition aisée, il est préférable de leur offrir chacune son propre domicile. El Hadji Abdou Kader Bèye dans Xala est un polygame très riche. Chaque épouse possède une villa qui porte son nom. Les quatre épouses de Goor Gnak, dans Excellence, vos épouses ! de Cheik Aliou Ndao, habitent chacune d’elles dans une maison ou un appartement très éloignée l’une de l’autre. Dans certains cas, comme pour les marabouts, les serignes, la pratique la plus fréquente est de garder les épouses dans un seul foyer. Le serigne dans Riwan ou le chemin de sable de Ken Bugul est un marabout très riche, toutefois il met toutes ses épouses ensemble dans la même cour, la même maison. Chapitre 2 : Définition et histoire de la polygamie. 2.1. La polygamie 2.1.1. Définition de la polygamie. Dans sa définition courante, la polygamie est un système social qui reconnaît les unions légitimes multiples et simultanées des épouses. Une situation dans laquelle un homme s’unit par mariage à plusieurs femmes. L’internet en donne plusieurs définitions dont nous citons les suivantes : - La polygamie désigne la situation dans laquelle une personne dispose au même moment de plusieurs conjoints de même sexe : pour une femme ayant plusieurs maris, on parle de polyandrie, pour un homme ayant plusieurs femmes de polygynie1. - Etymologiquement, le terme polygamie est formé de deux mots grecs, polus qui signifie « plusieurs » et gamos, signifiant « mariage ». Donc la polygamie c’est le fait de contracter plusieurs mariages. La polygamie s'oppose à la monogamie. Dans le cas précis de deux conjoints simultanés, il s'agit d'une bigamie. On distingue différents types de polygamie, notamment les plus fréquents sont les suivants : 1 fr.wikipedia.org/wiki/Polygamie - La polygamie parallèle qui désigne la situation où un individu s'accouple avec plusieurs partenaires, non pas au cours du même acte sexuel mais au cours d'une même période reproductive. - La polygamie séquentielle qui consiste pour un individu à avoir plusieurs partenaires différents au cours de sa vie, mais pas de façon simultanée. Cette dernière forme de polygamie est aussi dite monogamie sérielle.1 On distingue également d’autres définitions de la polygamie dont, entre autres : - La polygamie est un type de mariage dans lequel une personne est unie à plus d'une autre. On observe deux types de polygamie: celle dans laquelle un homme épouse plus d'une femme, et la polyandrie dans laquelle une femme épouse plus d'un homme2. De fait, la polygamie qui correspond aujourd’hui à la pluralité des épouses est en recul dans le monde ; la polyandrie quant à elle est rare. Le terme polygamie est souvent utilisé dans ce sens, non seulement dans la langue courante mais également par les anthropologues. L’homme ne peut pas avoir plusieurs fiancées, la femme ne peut pas être fiancée à plus d’un homme. Cependant, après que le mariage est consommé, il est possible pour le mari de prendre plusieurs épouses. On observe aussi dans certaines sociétés que l’épouse devienne la concubine d’autres hommes mariés ou célibataires.3 1 fr.wikipedia.org/wiki/Polygamie 2 http://www.bladi.net/forum/17932-polygamie-permise-islam/ 3 Roger Bastide : 2006, http://www.innovation-democratique.org/…) 2.1.2. La conception du mariage. Parlant de la polygamie qui est une de multiples formes de l’institution du mariage, il nous semble indispensable d’aborder maintenant quelques aspects liés à l’institution du mariage. Il faut constater que la conception du mariage est le résultat d’une évolution au cours de l’histoire et selon les peuples. Traditionnellement, le terme mariage signifie une « union légitime entre homme et femme » qui consacre un cadre pour établir une famille, mettre au monde des enfants, et les élever. C’est un engagement sans limite de durée avec une possibilité de séparation, de divorce. Actuellement nous trouvons dans les dictionnaires une tendance à élargir la définition du terme mariage qui est désormais présenté comme une « union entre deux personnes, généralement homme et femme ».1 Cette nouvelle définition plus souple peut comprendre le mariage entre des personnes de même sexe. Il existe d’autres unions avec moins de contraintes dans lesquelles les partenaires n’ont pas le même statut que celui du mariage. On peut citer en exemple le PACS (pacte civil de solidarité) en France qui est une forme d'union civile. Il s'agit d'un contrat de droit français. La loi qui instaure le PACS est votée en 1999. Le PACS est défini comme un partenariat contractuel entre deux personnes majeures les « partenaires », quel que soit leur sexe, ayant pour objet d'organiser leur vie commune2. Avec le mariage, les époux peuvent obtenir un statut particulier puisque le mariage émancipe la personne qui devient majeure, il lui 1 fr.wikipedia.org/wiki/Mariage 2 fr.wikipedia.org/.../Pacte_civil_de_solidarité donne des obligations envers sa future progéniture et la famille de son conjoint. Le mariage peut servir à des fins politiques : établir des alliances entre lignées ou tribus, sceller la paix entre deux royaumes, ou à des fins économiques : transférer les biens, obtenir un capital, une dot. Le mariage a ainsi deux caractères : juridique et rituel. L’établissement d’un mariage donne toujours lieu à une cérémonie publique qui est souvent fêtée par les proches les amis et les connaissances, l’ensemble de ces cérémonies est appelé noces. Le mariage peut être civil ou religieux ou les deux. Dans les pays où les institutions politiques sont séparées des institutions religieuses, le mariage religieux requiert généralement un mariage civil au préalable. Dans certains cas, les époux ne peuvent pas contracter un nouveau mariage tant que le premier est valide ; dans ce cas on parle de système monogame. Ce type d’union est pratiqué dans les pays européens. Toutefois en d’autres lieux, le mariage peut être actualisé simultanément avec plusieurs personnes en même temps ; dans ce cas le système est alors dit polygame. Cela existe dans certains pays, notamment africains et arabes de culture musulmane, et d’autres comme chez les mormons en Amérique. Selon Roger Bastide (2006), théoriquement, on distingue quatre formes de mariages1 : 1- La monogamie : un mariage entre un homme et une femme 2- La polygynie : un mariage entre un homme et plusieurs femmes 1 Roger Bastide, 2006, http://www.innovation-democratique.org/…) 3- La polyandrie : un mariage entre une femme et plusieurs hommes (Pratiquée chez les Scythes de l’Asie centrale, les Abisis de centre du Nigéria et les Zo’es de la forêt amazonienne).1 4- Le mariage par groupes : un mariage entre plusieurs femmes avec plusieurs hommes (Il existe chez les Todas en Inde) Actuellement une cinquième forme est apparue : Le mariage homosexuel : un mariage entre deux personnes du même sexe (Autorisé récemment dans certains pays occidentaux tels que : la Belgique, l’Espagne, les Pays-Bas, la Norvège, la Suède, le Portugal et l’Islande)2 2.1.3. La polygamie phénomène universel. Dans l’histoire de l’antiquité, la polygamie était pratiquée par tous les peuples : les anciens chinois, les anciens indiens, les anciens égyptiens. Elle était également connue chez les anciens perses, les assyriens, les japonais, les hindous. Elle existait aussi chez les germains et pratiquée par certains rois en Grèce. Juridiquement, la polygamie couvre un champ beaucoup plus vaste que la monogamie. Selon les estimations actuelles des démographes et des ethnologues, 80% des sociétés connues sont polygames. Donc 1 http: 2 //fr.wikipedia.org/wiki/Polyandrie fr.wikipedia.org/wiki/Mariage_homosexuel nous pouvons dire que cette pratique est un phénomène universel, qu’elle ne se limite pas aux sociétés africaines traditionnelles1. La polygamie est autorisée dans la totalité des pays à forte population musulmane à l’exception de la Turquie et la Tunisie où elle est interdite en 1957. Elle est également pratiquée dans des pays africains2. De plus elle est transportée Outre-Atlantique (Cheik. Aliou. Ndao : 130). Les Antillais, les Brésiliens d’ascendance africaine ont le goût d’entretenir plusieurs foyers. A Haïti, à titre d’exemple, il y a des expressions telles : installer ou ″placer″ lorsqu’un riche fermier met une de ses plantations à la disposition d’une de ses nouvelles épouses. 2.1.4. La Polygamie dans la préhistoire. Au cours de l’année 2003, une étude génétique arrive à une conclusion qu’au Paléolithique, (première période de l’ère quaternaire ou apparurent des humains avec des outils de pierre taillée) les premières civilisations, les sociétés humaines sont polygames. Cela conforte la conclusion des études précédentes menées par certains archéologues et anthropologues. Ces derniers viennent de découvrir que des hommes sont enterrés avec deux ou trois femmes, ce qui pousse les chercheurs 1 fr.wikipedia.org/wiki/Polygamie 2 Pour plus de précision, nous présentons une liste d’une cinquantaine de pays où la polygamie est reconnue : Afghanistan, Algérie, Angola, Arabie Saoudite, Bahreïn, Bangladesh, Bénin, Birmanie, Brunei, Burkina Faso, Cambodge, Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo, Djibouti, Egypte, Emirats arabes unis, Gabon, Gambie, Guinée équatoriale, Indonésie, Irak, Iran, Jordanie, Kenya, Koweït, Laos, Lesotho, Liban, Libéria, Libye, Mali, Maroc, Mauritanie, Nigeria, Oman, Ouganda, Pakistan, Qatar, Sénégal, Somalie, Soudan, Sri Lanka, Swazi land, Syrie, Tanzanie, Tchad, Togo. à émettre l’hypothèse que les anciennes sociétés sont polygames.1 2.1.5. La polygamie chez les Mormons. Sous le nom Mormon se reconnaissent les membres d’une communauté religieuse de l’Amérique de Nord. Une minorité qui est localisée aux Etats-Unis. Ils vivent précisément dans le territoire de Utah. La particularité la plus connue de ce peuple organisé en secte du Mormonisme est la pratique de la polygamie. Ils pratiquent la polygamie qui est interdite par la loi du pays. Dans la religion des Mormons, la loi du mariage plural constitue une mise à l’épreuve de leur foi. C’est pourquoi elle est recommandée et légitimée chez eux. Le nombre des épouses n’est pas limité. Il dépend du rang hiérarchique et des revenus de l’époux. Un président ou un chef peut avoir presque une vingtaine d’épouses. Issus du protestantisme, les Mormons adhèrent à une lecture fondamentaliste des textes religieux. Ils ont les mêmes valeurs que les chrétiens conservateurs des Etats-Unis. Ils sont contre l’avortement, la contraception, l’homosexualité2. 1 islammedia.free.fr/Pages/islam-polygamie.html 2 fr.wikipedia.org/.../Mariage_plural_(mormonisme) 2.1.6. La polygamie et les religions. 2.1.6.1. Les vieilles religions africaines. Les peuples noirs croient en un grand Créateur unique dont le nom est différent d’un peuple à un autre. La divinité est d’une forme hiérarchique. A la tête se trouve le Créateur, le Tout-puissant. Sous le Créateur existent les forces inférieures : humaines et non humaines qui jouent un rôle déterminant dans la vie de l’homme ordinaire. Ce dernier doit vivre en harmonie avec ces forces (Anne Stamm, 1995). Les anciennes religions favorisent la polygamie dans deux mesures : - La croyance que l’esprit c’est la force, la vie qui se trouve en toute chose. Cette force se traduit par la fécondité. Il est donc normal que tout ce qui permet la fécondité soit considéré comme positif, tout ce qui lui fait obstacle comme négatif. Evidemment la polygamie permet la fécondité, elle est donc recommandée. - La croyance que les morts forment une partie intégrante de la vie des vivants d’où vient le culte des ancêtres. La nécessité d’avoir des enfants qui perpétuent le lignage et le culte des ancêtres justifie la polygamie qui favorise une large procréation. La continuation du monde des morts dans celui de vivants est assurée par la descendance. C’est-à-dire que ces morts sont encore des membres de la famille des vivants. Par conséquent, certains peuples africains mettent l’accent sur la continuation de la lignée. Cette lignée ne doit pas être coupée faute de descendance. Un homme qui a une femme stérile est contraint par le milieu, par la famille étendue, à prendre une nouvelle épouse. Alors, le goût pour une famille nombreuse favorise la polygamie. 2.1.6.2. Le Judaïsme. La pratique de la polygamie répond dans le judaïsme ancien à un idéal de la fécondité. Une descendance nombreuse est un signe de bénédiction. Cette pratique est une législation ancienne qui existe dans les religions comme on le voit dans la Torah. Beaucoup de Prophètes sont polygames : Abraham (deux épouses), Jacob (quatre épouses), Salomon (plusieurs épouses), (Seyyed Moujtaba Moussavi, 1993 : 234). La Torah n’interdit pas la polygamie mais, le fait de prendre deux sœurs comme épouses en même temps est interdit. Cela existe également en Islam. Chez les juifs, la pratique de la polygamie a continué jusqu’à l’époque de Rabbi Gershom ben Yehudah (960-1030) qui émet un décret contre elle. Les communautés juives qui vivent dans les pays musulmans perpétuent cette pratique jusque dans les années 50. A cette date, une loi du Rabbin en chef d’Israël la leur interdit. 2.1.6.3. Le Christianisme Il était permis aux premiers chrétiens d’avoir autant d’épouses qu’ils le souhaitaient puisque la Bible ne fait mention d’aucune restriction à cet égard. Ainsi la polygamie était pratiquée dans l’Europe chrétienne jusqu’au temps de Charlemagne, Empereur d’occident au huitième siècle après Jésus Christ. C’est pendant le régime de ce même empereur que la polygamie est abolie par l’Eglise dans tout le monde chrétien. L’Eglise restreint le nombre d’épouses à une seulement. Donc, l’homme qui avait plusieurs épouses devait n’en garder légitiment qu’une seule. 2.1.6.4. L’Islam. Dans l’islam, la polygamie est permise mais limitée et conditionnée. Quant à la polyandrie, elle est totalement interdite. Dans le temps préislamique, la polygamie était courante dans diverses communautés. Elle était pratiquée par les diverses tribus arabes à l’époque de Djahiliah (l’ignorance). C’était une des plus rudes pratiques au monde. A cette époque le nombre d’épouses n’était pas limité. Plusieurs hommes en avaient des dizaines et certains des centaines. L’Islam met un frein à ces excès. Il limite le nombre d’épouses à quatre. Il est permis à un homme d’épouser deux, trois ou quatre mais à condition d’être juste envers chacune d’elles. Donc être polygame exige d’être un homme juste. Toutefois la polygamie n’est pas une obligation pour les musulmans. Avoir une seule femme n’est pas un péché même si on a les moyens d’avoir plusieurs femmes et même si on est capable de traiter toutes les épouses d’une façon équitable. De même l’Islam donne aux femmes la liberté de ne contracter le mariage qu’avec leur consentement. 2.1.7. La polygamie en Afrique. En Afrique, la polygamie est autorisée et pratiquée à la fois dans tous les pays de l’Afrique de Nord dont la culture arabo-musulmane (sauf la Tunisie) et l’Afrique Sub-saharienne de croyance animiste ou de culture musulmane. Actuellement, l’Afrique Noire pratique toujours la polygamie. Pour les africains, la polygamie est une question d’héritage culturel. Selon Kebme Milolo (1985), la polygamie est une institution spécifiquement africaine. Ce n’est pas une conséquence de l’introduction de l’Islam sur ce continent. Ceci dit en analysant ce phénomène, il faut étudier le mariage polygamique et la famille polygamique pour eux-mêmes, tel qu’ils sont et non plus seulement en rapport avec la civilisation musulmane. L’importance de cette institution dans la vie des africains réside en premier lieu dans l’importance de la progéniture ou la procréation de nombreux enfants dans leur vie. En Afrique, les systèmes modernes de protection sociale n’existaient pas auparavant. Donc avoir plusieurs enfants pour quelqu’un c’était assurer ses vieux jours, comme une retraite, une garantie. Ainsi la plupart des enfants sont susceptibles de prendre en charge une partie de leur frères qui sont souvent les plus jeunes. L’avenir de la famille repose sur les enfants aînés. C’est-à-dire les aînés déchargent leurs pères des cadets. Autrement dit, ils aident leurs pères à entretenir le reste de la famille. C’est une véritable solidarité familiale. D’autre part il est fréquent qu’on se remarie avec une veuve afin qu’elle ne soit pas laissée seule sans moyens, surtout si elle a des enfants. C’est un autre visage de la solidarité1. Le facteur économique joue un rôle primordial dans la question de la polygamie. Il justifie son existence dans les sociétés traditionnelles dans lesquelles les femmes dépendent le plus souvent entièrement des hommes qui possèdent toutes les ressources. Frank Cézilly (2006) affirme : « Dans les sociétés traditionnelles, comme il s’en trouve encore en Afrique, notamment, où les femmes sont très dépendantes des hommes parce que ceux-ci possèdent les terres et les ressources, la polygynie demeure fréquente ». Il ajoute en s’appuyant toujours sur le facteur économique : « Dans ce cas-là, une femme qui désire des descendants préférera effectivement être la seconde ou la troisième épouse d’un homme qui a beaucoup de ressources, dont ses enfants vont bénéficier, plutôt que d’être l’unique femme d’un homme détenant peu de ressources. Il y a là un choix qui s’explique (encore une fois) économiquement ».2 Ainsi l’extension de la polygamie s’explique surtout par le facteur économique. Ce sont les plus vieux, les plus riches ou les chefs qui sont toujours polygames. Les plus jeunes, les moins puissants, sont la plupart du temps monogames. Les femmes acceptent les polygames 1 Fatouma Haidera, www.bamanet.net/.../1161--la-polygamie-en-afrique-moderne--incarne-t- elle-les-mêmes-valeurs-et-objectifs-que-dans-le-passe-.html 2 www.ledevoir.com/.../l-entrevue-la-monogamie-plus-pratique pour les mêmes raisons économiques. En revanche, depuis les années des indépendances, plusieurs facteurs viennent remettre en cause ce type de famille parmi lesquels figure celui de l’économique puisque le système économique instauré après les années 1960 défavorise la polygamie. D’autre part un système de protection sociale qui commence à s’établir, le travail de la femme dû à une instruction rapidement répandue, l’exercice d’un commerce informel, le changement de mentalité vis-à-vis du célibat des femmes, l’accentuation des difficultés économiques, etc., pour toutes ces raisons l’aspiration à une famille de taille élevée est en nette diminution. Avec la mutation des sociétés, avec le changement qui se produit au sein de la famille la perception de la polygamie a beaucoup évoluée. La polygamie qui était hier une source d’équilibre social, de développement de la communauté, aujourd’hui elle est considérée dans la plupart du temps, cause de discordes dans des familles.1 2.1.7.1. La polygamie au Sénégal. Le Sénégal est le pays où la proportion de polygames est la plus élevée. La polygamie possède un statut légal et une reconnaissance comme régime matrimonial au même titre que la monogamie. 1 Fatouma Haidera, www.bamanet.net/.../1161--la-polygamie-en-afrique-moderne--incarne-t-elle les-mêmes-valeurs-et-objectifs-que-dans-le-passe-.html - Une étude menée par Philippe Antoine et Jeanne Nanitelamio (1995) sous le titre : ″Peut-on échapper à la polygamie à Dakar ?″1, affirme que, contrairement à l’opinion commune, la pratique de la polygamie est plus rare dans les pays magrébins et en Egypte que dans l’Afrique noire. C’est même aboli en Tunisie. Donc on peut constater que ce type d’union en Afrique subsaharienne dépasse largement le cas des pays sahéliens à dominante musulmane. Cela consolide l’avis de Kembe Milolo à ce propos. Cette étude affirme également que la liaison entre la ville et la polygamie n’est pas aussi négative. La polygamie touche la ville aussi bien que la campagne. A titre d’exemple la polygamie se maintient à Dakar. Dans cette ville l’environnement conforte cette institution. Elle y bénéfice d’une « légitimité » officielle, religieuse et sociale. Elle jouit d’une normalité ou d’une banalité qui consolide son existence dans toute la ville. Félix Amoah (2001) atteste : « La polygamie est plus qu’une question de nombre de femmes, elle correspond mieux aux exigences économiques, sociales et ethniques des groupes africains que la monogamie. Il ajoute : « La polygamie est d’abord une certaine philosophie sexuelle, visant la liberté et la satisfaction sexuelle pour les deux sexes, cela veut dire que la femme n’est jamais simple objet de jouissance sexuelle pour l’homme » (Félix Amoah, 2001 : 20). La modernité, la scolarisation, les modes de production et la diffusion d’idées et des modes n’arrivent pas à cesser cette pratique : 1 fr.wikipedia.org/.../Condition_féminine_au_Sénégal - « L’Africain moderne revient à certain point de la sagesse des coutumes ancestrales telle que la polygamie lorsque elle lui apporte une satisfaction supplémentaire » (Kembe Milolo, 1985 : 168). Le changement du système de mariage sous la forme occidentale est toujours rejeté, ou ralenti par un nombre considérable d’intellectuels. Ceux qui sont dans la plupart de cas instruits dans les écoles des blancs, tout de même ne tolèrent pas la monogamie. Ils estiment qu’elle est anti africaine et inacceptable. Ils justifient leur action par l’invocation de la tradition africaine en opposition aux concepts occidentaux qui ne leur conviennent pas toujours. C’est peut-être dans la polygamie qu’ils trouvent leur compte. D’autre part, pour eux, les coutumes demeurent le fondement des sociétés africaines. La culture africaine n’a jamais mis en doute le bien-fondé de la polygamie que tout le monde adopte comme mode de vie. Ainsi cette pratique existe au fur et mesure que ses adeptes en font leur idéal. 2.1.7.2. La polygamie au Cameroun. Contrairement au Sénégal, au Cameroun, la polygamie est en régression dans les zones urbaines. Elle est beaucoup plus pratiquée dans les villages. Elle est plus au moins répandue selon les régions et les ethnies. A l’ouest et au sud, la polygamie bat son plein. Le jour du mariage, le Maire demande aux époux quelle option choisissent-ils ? Polygamie ou monogamie ? L’option choisie est alors portée sur l’acte de mariage. Ainsi dans le cas où la polygamie est déclarée, les coépouses se côtoient en bonne harmonie la plupart du temps. Mais en tout cas la polygamie est autorisée. 2.1.7.3. La polygamie au Soudan. Au Soudan comme dans la majorité des pays africains, la polygamie est implantée partout. Elle existe autant dans les villes que dans les villages : « C’est un vieux phénomène qui recule mais qui revient encore et beaucoup plus fort qu’auparavant dans la société soudanaise » estime Abdulatif Albouni (2008).1 L’expansion de la polygamie dans les villes soudanaises notamment dans la capitale est due à l’immigration des villageois en ville qui est un phénomène remarquable ces dernières décennies. Les immigrés apportent des modes de vie, des coutumes tel que la polygamie, ce qui normalise sa pratique en ville. De plus pour des raisons politiques, suite à la guerre civile au Soudan qui dure depuis plus d’une trentaine d’année au sud du pays et qui fait beaucoup de morts chez les jeunes hommes, le gouvernement encourage cette pratique pour entretenir des veuves et leurs enfants. Aujourd’hui, la polygamie est un sujet ″tabou″. Dans une époque où les voix féministes se lèvent partout, revendiquant la libération de la Dans son article ″Tädoude al zaojate been al rafde wal guiboule″ (La polygamie entre rejet et acceptation), Fatati, journal féminin, daté le 26 juin 2008. 1 femme, l’égalité homme/femme et le droit de la femme, cette pratique est mal perçue surtout par les pays de civilisation occidentale. Car c’est seulement dans les sociétés occidentales que la polygamie n’est pas acceptée. De nombreux Etats la considèrent comme un délit. L’image d’un homme ayant plusieurs femmes est perçue comme un esclavage de la femme. Donc, beaucoup de femmes militent pour la combattre : « La polygamie est un phénomène que l’on peut combattre si on s’en donne l’ambition et les moyens » déclare Sonia Imlol.1 Pourtant ces mêmes sociétés établissent un système monogamique qui reconnaît la difficulté voire l’impossibilité de se contenter d’un seul partenaire durant toute la vie. Un homme marié légalement avec une seule femme peut également avoir plusieurs maîtresses. De plus le divorce et le remariage sont devenus très faciles même à plusieurs reprises. La séquence mariage-divorce-remariage rappelle la notion de la variété des rapports sexuels qui existe dans toutes les sociétés polygames. Toutefois, les chiffres montrent que la majorité des divorces sont demandés par la femme. Les causes sont dans la plupart du temps la violence ou la trahison des conjoints.2 2.1.8. La polygamie en France. En France, la polygamie concerne principalement les immigrés d’Afrique Noire. Dans les populations d’origine maghrébine, ce 1 Sonia Imloul, lavertat.free.fr/Docs/polygamie.pdf 2 http://www.helmo.be/esas/mapage/euxaussi/famille/polygame.html phénomène reste marginal. L’augmentation de l’immigration africaine dans les années 90 a accru la pratique de la polygamie en France. En 1993, la loi de l’interdiction des regroupements familiaux en cas de polygamie fait limite à cette pratique. Cette loi interdit la délivrance d’un titre de résident à un ressortissant étranger vivant en situation de polygamie. Cela indique que la polygamie est interdite en France. Récemment, à la fin de mois d’avril 2010, les médias1 rapportent des nouvelles d’un citoyen français d’origine algérienne, Lies Hebdadj, qui est accusé de polygamie. Ce monsieur est menacé par la déchéance de la nationalité française (obtenue par le mariage) parce qu’il est soupçonné d’être polygame. Cette polémique se déclenche quand la police arrête une jeune femme nantaise en voile intégral le (niqab) conduisant sa voiture. Une française convertie à l’Islam qui est l’épouse de ce monsieur. L’affaire du niqab qui dévie sur un débat autour de la polygamie ne cesse de faire des vagues dans la politique.2 Ce fait divers quotidien qui se déroule au cours de cette année 2010 témoigne de l’attitude du gouvernement contre la polygamie et la fermeté de combattre ce phénomène. Toutefois dans un pays comme le Sénégal et dans les medias, on entend la voix des femmes qui militent pour la polygamie. Elles ont déclaré leur situation de ″co-épouses par choix″. Cela révèle une nouvelle attitude de se tourner vers la polygamie qui est de plein gré adoptée par certaines femmes. Siga Ndiour, une journaliste qui 1 (Le monde, 26,4, 2010) 2 http://www.helmo.be/esas/mapage/euxaussi/famille/polygame.html travaille à la Radio Municipale de Dakar (Rmd), une coépouse qui défend la polygamie rapporte : « Je préfère savoir mon mari chez son autre épouse, plutôt qu’il me trompe ».1 A propos de ce sujet, d’autres nouvelles qui favorisent la polygamie sont rapportées par les médias internationaux au début de cette année, 2010, lesquelles méritent d’être signalées : La première (publiée dans Daily Sun)2 concerne le cinquième mariage de Jacob Zuma le président de l’Afrique du Sud âgé de 67 ans dans son village natal (la nouvelle épouse est devenu la troisième). Quand on évoque sa polygamie, Zuma explique : « De nombreux hommes politiques ont des maîtresses et des enfants qu’ils dissimulent en prétendant être monogame. Je préfère être honnête. J’aime mes femmes et je suis fier de mes enfants ». 3 La deuxième : le leader russe Vladimir Jirinovski qui est décrit comme ultranationaliste a proposé, mardi 19 janvier 2010, une prime à la première naissance et à la polygamie pour résoudre le problème de faible natalité en Russie.4 La troisième est un article apparu dans la revue Courier International5 sous le titre : « La polygamie, une arme contre l’adultère ». On parle d’une journaliste égyptienne Hayam Dorbek qui milite pour la polygamie avec la devise : « Une seule femme, cela ne suffit pas ». 1 http://www.afrik.com/article10121.html 2 ( Daily Sun daté du 5 janvier 2010) 3 http://afriquedusud.blog.lemonde.fr/2010/01/05/jacob-zuma-se-marie-pour-la…cinquième fois/ 4 5 http://www.lemonde.fr/europe/article/2010/01/19/russie-prime-a-la-naissance-et-polygamie (Courier International, vendredi 19 mars 2010) Elle trouve que la polygamie apporte à la femme un espace de liberté. Dans une interview réalisée sur la chaine Al-Jazira, elle explique son opinion pour justifier la création d’une association de défense de la polygamie appelée Tyssir (facilité). Hayam Dorbek lance une campagne évoquant les difficultés que rencontre une femme qui travaille et qui s’occupe de son foyer. Dans le slogan qui illustre sa campagne, elle demande : « Mon mari m’a choisie, mais je travaille et je ne trouve pas beaucoup de temps pour la maison : devrions-nous nous séparer ? ». Ainsi elle défend son idée : « Le droit à la polygamie est un droit pour les femmes autant que pour les hommes ».1 Un tel débat démontre que la polygamie est un sujet d’actualité qui est mis à jour en permanente et au niveau universel. 2.2. La monogamie. 2.2.1. Définition de la monogamie. Comme la polygamie, le terme monogamie se compose de deux mots grecs : monos, un seul, et gamos, mariage, c’est-à-dire un seul mariage. La monogamie chez les humains est un régime juridique qui n'autorise à un homme de n'épouser par mariage qu'une seule femme et pour une femme qu'un seul homme.2 1 http://www.courrierinternational.com/page/qui-sommes-nous 2 http://fr.wikipedia.org/wiki/Monogamie A notre avis dans le mariage, la monogamie remonte à l’origine de l’humanité puisque dès le début de la création de l’Homme, le premier couple formé par Adam et Eve est monogame. De plus tout mariage commence de manière monogame. Une monogamie qui continue parfois pour de longues années avant d’être interrompue par le divorce ou par un second mariage. Cela veut dire que la monogamie n’est pas figée. Aujourd’hui en cas d’échec du mariage, la monogamie propose une autre alternative qui est le divorce. Cela donne pour les deux partenaires une autre chance de recommencer une nouvelle vie et une nouvelle famille. C’est donc comme une polygamie par étape mais la différence : dans le cas de la monogamie le divorce peut offrir un nouveau départ à la femme comme à l’homme.1 Il existe trois types de monogamie dont il faut établir la distinction2: 1. La monogamie sociale : c’est le cas d’un couple qui élève seul une famille mais qui admet plusieurs partenaires sexuels 2. La monogamie sérielle : c’est le cas des partenaires fidèles successifs 3. La monogamie vraie : c’est le cas des partenaires fidèles à vie. Une étude faite sur la monogamie en 2006 réalisée par Frank Cézilly, chercheur, écologiste et professeur à l’Université de Bourgogne, est publiée dans l’ouvrage intitulé : Le Paradoxe de l’hippocampe, Une 1 ibid. 2 ibid. histoire Naturelle de la monogamie. Cette étude se propose de mieux comprendre les arguments économiques et sociaux qui ont mené la plupart des humains à devenir monogames. Dans son ouvrage, l’auteur fait des remarques très intéressantes à ce propos. Selon lui pour les êtres humains, la monogamie ne correspond pas toujours avec la fidélité : « Uni pour la vie par un amour indéfectible… Cette image d’Epinal de la monogamie n’existe que chez quelques rares espèces animales, parmi lesquelles ne figure pas l’humain… qui n’est pas un modèle de fidélité ».1 Donc selon Frank Cézilly, celui qui vit une relation monogame parce que c’est ce qui est le plus pratique à vivre, n’est pas forcement avec la même personne tout le temps. Les séquences des ruptures ou des divorces règlent dans la plupart du temps les pas de la monogamie humaine. Pour justifier cette attitude, il affirme que pour l’Homme la nouveauté compte même dans la sexualité dont le plaisir est essentiel. Donc il atteste : « Nous sommes une des rares espèces animales pour lesquelles la sexualités dépasse la fonction de procréation et qui prennent du plaisir dans la sexualité ».2 Toutefois et pour des raisons économiques, Frank Cézilly trouve que la polygamie n’est pas pratique. Avoir plusieurs femmes, beaucoup d’enfants implique certaines conditions économiques, sinon comment 1 www.ledevoir.com/.../l-entrevue-la-monogamie-plus-pratique 2 ibid. les nourrir, soigner, élever. Donc il ne faut pas oublier le poids du facteur économique dans l’enjeu. Le facteur économique se pose encore puisqu’à partir du moment où les femmes, par l’éducation, ont eu accès au marché du travail, elles se sont émancipées et sont devenues moins dépendantes des hommes, la monogamie s’impose.1 Catherine Coquery-Vidrovitch, (1997), se réfère aux grandes mutations mondiales au niveau politique, économique et social, dont les chocs successifs sont éprouvés par le continent noir, qui ont leurs impacts sur la société et la femme africaine. La colonisation, les deux guerres mondiales, les processus de la décolonisation, l’acquisition de l’indépendance et enfin la longue dépression qui règne sur les pays africains après l’indépendance et qui remonte au début des année1970. La chute du mur de Berlin à la fin de 1989 a également ses influences sur la femme. C’est suite à cet événement que commence une quête universelle de démocratisation. De plus l’apparition du travail salarié, les migrations masculines pour le travail alourdissent les tâches des paysannes. Tous ces aspects jouent un rôle très important sur la condition de la femme en générale et la femme africaine en particulier, sur le choix du mode de vie entre la polygamie ou la monogamie .2 Roger Bastide (2006) parle de deux types de monogamie : - Monogamie de droit qui existe dans les pays occidentaux. 1 www.ledevoir.com/.../l-entrevue-la-monogamie-plus-pratique 2 Coquery-Vidrovitch, http://clio.revues.org/index373.html - Monogamie de fait qui est imposée par la pauvreté dans les milieux où la polygamie est autorisée. Ainsi la monogamie n’existe pas seulement dans les sociétés occidentales, elle existe également dans les sociétés les plus primitives, celles des peuples qui vivent de la cueillette et de la petite chasse. Il advient que le manque de ressources empêche un homme d’avoir plusieurs épouses. Dans ce cas c’est une monogamie de fait plus que de droit puisque elle est due à des raisons économiques défavorables. Les évolutionnistes trouvent que la monogamie est le dernier moment d’une longue évolution des systèmes des unions entre les femmes et les hommes dans leurs vies par un mariage. Elle caractérise les gens ″civilisés″ en opposition aux ″sauvages″ ″barbares″ qui caractérisent ceux qui adoptent d’autres systèmes de mariage.1 En Afrique, la monogamie est dominante chez les chrétiens et c’est évidemment pour une raison religieuse. Elle est dominante aussi dans les groupes occidentalisés ; un nouveau mode de valeurs et de vie qui se fait jour récemment. La rencontre des cultures, l’esprit d’ouverture sur le monde permet de véhiculer des idées et des idéologies telles que le féminisme qui se propage pour l’égalité entre l’homme et la femme, les droits des femmes, etc. Cela fait partie des impacts de la civilisation occidentale sur les sociétés africaines. 1 Roger Bastide, http://www.innovation-democratique.org/…) Actuellement la monogamie est considérée comme un signe de modernité et de civilisation. 2.2.2. Le féminisme (mouvement de libération de femme). Pour mieux comprendre l’effet du féminisme sur la femme et par conséquent sur son destin et son avenir, il convient de donner quelques éclaircissements sur l’origine de ce mouvement, sur ses objectifs. Le terme féminisme s’impose à la fin du dix-neuvième siècle en France. Il signifie les aspirations collectives des femmes à l’égalité entre les sexes. Par la suite le féminisme s’est répandu partout dans le monde, notamment en Afrique et dans les pays en voie de développement pendant les dernières décennies. Pour le terme féminisme il n’y a pas de définition unique, puisqu’elle change selon l’époque et la société. De plus le féminisme a plusieurs manifestations qui sont très différentes dans les diverses cultures. A titre d’exemple, le premier mouvement féministe en occident est consacré pour le travail et les droits civiques. En général, le féminisme a comme objectif de préconiser l’extension des droits, défendre une cause commune de la femme, tendre à la reconnaissance de l’égalité, de leurs droits, etc. En Afrique francophone, de forts mouvements de femmes se sont constitués au moment des indépendances. Les femmes leaders sont apparues dès les années 60 dans tous les pays africains. On peut compter des milliers de petites associations de femmes et des réseaux régionaux qui travaillent activement pour améliorer les conditions de vie de la femme africaine. Les féministes africaines partent de loin, tout d’abord il leur faut libérer leurs sœurs ″femmes de brousses″ qui sont écrasées par le travail et privées de droits. Ces dernières dont toute la vie est consacrée pour la production et la reproduction ont besoin de temps libre pour apprendre à lire et à écrire. Les féministes espèrent leur donner le pouvoir économique qui leur revient, elles vont les aider à se libérer de l’emprise de l’autorité de l’homme. Grâce aux efforts des associations féministes, on constate une évolution remarquable des mentalités : il y a de plus en plus de jeunes filles qui vont à l’école. Il y a plus de liberté d’expression, liberté de choisir le conjoint (au moins de dire non, d’exprimer son désaccord si elle n’accepte pas). Les femmes ont de plus en plus accès aux postes de prise de décision, elles deviennent avocates, juges et ministres. Pourtant le féminisme africain se démarque de son homonyme occidental par la primauté qu'il donne à la question de la complémentarité homme/femme. Le discours suivant affirme cette idée : "L'on assiste ces dernières années à un mouvement qui se dessine en Afrique sous le nom de "féminisme africain" ou "conscience de femme" ou "womanism" pour les pays anglophones et où le concept de complémentarité intervient. Cette école de pensée ne rejette pas les acquis occidentaux. Elle s'inspire des cultures africaines où elle puise son inspiration, mais donne la primauté au concept de partenariat entre homme et femme. La lutte pour l'émancipation de la femme devient une lutte commune et non une confrontation. Elle n'est jamais dirigée contre l'homme, mais elle se fait avec l'homme". 1 Cette attitude a vu le jour chez certaines féministes africaines qui sont conscientes du risque de se laisser emporter par ce mouvement au point qu’elles perdent leur identité. Alors elles essayent d’inventer leur propre féminisme, un féminisme africain. La déclaration d’une femme leader, Sira Diop, qui était présidente de ″l’Union nationale des femmes du Mali″ pendant plus de vingt ans confirme cette attitude. Elle atteste : « Si être féministe c’est lutter pour le droits des femmes, oui, je suis féministe. Mais le féminisme africain n’a rien à voir avec le féminisme occidental. Nous n’essayons pas d’imiter les Européennes ou les Américaines. Nous ne brûlons pas nos soutiens-gorge. Ce n’est pas en brandissant des machettes que nous allons changer les choses. Nous ne revendiquons même pas l’égalité des droits avec les hommes. Tout ce que nous voulons, c’est plus de droits et un peu du temps libre ».2 Nous pouvons donc constater que le féminisme, la conversion à la religion chrétienne, l’attachement à la vie moderne sont de nouveaux facteurs qui viennent d’apparaître et qui également favorisent la monogamie dans les sociétés africaines traditionnellement polygames. Les changements qui s’opèrent aujourd’hui dans le monde, qu’ils soient d’ordre économique ou d’ordre idéologique : l’urbanisation, la diffusion des idées occidentales, la politique d’acculturation des Etas, 1 http://www.womeninislam.ws/fr/ 21 www.bourgoing.com/presse/feminisme1.htm etc., favorisent la monogamie. Ils tendent à faire reculer partout la polygamie au bénéfice de la monogamie. Mais, selon le sociologue français Roger Bastide, le fait de freiner ou réduire la polygamie ne veut pas dire l’abolir ou la détruire. Malgré les efforts des missionnaires chrétiens qui veulent imposer la monogamie chez les nouveaux convertis, malgré les efforts des hommes politiques qui veulent occidentaliser leurs pays, la polygamie reste pour beaucoup l’idéal des masses. Pour ceux qui se battent contre la polygamie, les obstacles rencontrés viennent du prestige toujours vivant de l’homme polygame sur l’homme monogame dans les groupes les plus traditionnels. D’autre part, beaucoup d’Eglises noires qui se sont déjà constituées rompent avec l’Eglise chrétienne missionnaire justement à propos de la polygamie. L’Eglise noire accepte le mariage plural. Elle trouve l’existence dans l’Ancien Testament une preuve de la possibilité d’être chrétien et polygame en même temps. Donc, la polygamie persiste malgré tout. Roger Bastide donne comme preuve ce qui se passe au Bénin. Il indique que : « A Porto Novo au Bénin par exemple si la polygamie domine chez les musulmans bien qu’un tiers des musulmans restent monogames, on trouve un quart des chrétiens polygames. Surtout la polygamie y prend une forme clandestine. Les hommes apparaissent monogames et ont des liaisons permanentes avec d’autres femmes, et continuent à résider à tour de rôle chez elles et reconnaissent les enfants ».1 1 Roger Bastide, http://www.innovation-democratique.org/… L’ancien facteur économique qui est celui de la richesse, fait que le nombre de femmes est un signe de statut social élevé, pour les africains, est un argument beaucoup plus fort que toutes les idéologies. Cependant ce facteur qui hier est en faveur de la polygamie, n’y est plus aujourd’hui. Car la femme qui est considérée comme source de richesses en milieu rural, est maintenant une charge en milieu urbain : avec la difficulté de se loger, nourrir plusieurs épouses en ville. Donc, Roger Bastide affirme que, pour des contraintes économiques, les africains sont condamnés à être monogames à la façon occidentale même si cela ne leur convient pas : « Que les africains le désirent ou non, la tendance est cependant à la monogamie (ou la polygamie sérielle que l’occident connaît également avec l’augmentation de divorces) ».1 2.2.3. L’image de la femme monogame. Dans son roman Riwan (ou le chemin de sable), Ken Bugul présente une image ridicule d’une femme monogame, une femme africaine qui pense que la monogamie est l’accès à la vie moderne. Ce mode de vie qui est complètement différent de celui dont elle est habituée, reste un rêve qu’elle veut réaliser et vivre : « La femme moderne devait être dans un ménage monogamique, absolument, avoir deux ou trois enfants, se promener le week-end avec son mari et ses enfants, manger avec lui, dormir avec lui dans la même chambre, porter son nom à la place de son propre nom, celui de ses pères, être affichée partout avec 1 Roger Bastide, http://www.innovation-democratique.org/… lui et devant tout le monde et ceci pour le meilleur et pour le pire. Et gare à celle qui oserait regarder son mari qui était à elle toute seule : - C’est bien compris, c’est mon mari. - C’est bien clair, il est à moi. Et désormais toute créature féminine devenait une ennemie potentielle et le mari était assailli de toute part : - Dis, pourquoi regardais-tu cette fille l’autre soir ? - Je t’ai aperçu avec elle ! - On m’a dit qu’on vous a vus ensemble » (Ken Bugul, 1999 :154). Elle imagine que dans la monogamie résident des solutions définitives pour tous les problèmes dont une femme peut souffrir. Elle rêve d’une vie conjugale plus heureuse. Mais malheureusement, elle vit dans l’obsession qu’un jour elle perdra son conjoint à cause d’une autre femme. Alors elle consacre toute sa vie à le surveiller. Elle se trouve en proie à une jalousie mortelle qui transforme sa vie et celle de son mari en enfer. Deuxième partie Analyse du rôle et de l’image de la femme dans les romans africains Chapitre 1 : Rôle et image de la femme dans les romans africains 1.1. Le rôle et l’image de la femme dans les romans africains Comme le dit un proverbe bantou ″La femme est le cœur de la famille″ et par conséquent elle est le noyau de la société. Personne n’ignore ou n’ose ignorer le rôle de la femme qui donne la vie et le goût de vivre. Elle est la mère, la sœur, la tante, la grand-mère… Elle est également l’amante, l’épouse et la maman des enfants. Tout le monde reconnaît l’importance de la femme dans l’édifice de la société et apprécie sa mission. La condition de la vie de la femme doit donc correspondre à cette grande mission. C’est en partie elle qui fait fonctionner la société. C’est elle qui la fait progresser. Elle est le principal agent de l’émancipation. Etre bien préparée, bien formée et bien armée de connaissances, cela veut dire donner naissance à une génération, de filles et de garçons, capables de bien jouer leur rôle dans la société. Au contraire si la femme est victime de négligence, d’ignorance et d’analphabétisme toute la société sera paralysée. Les enfants souffrent beaucoup et les filles (futures mères) souffrent davantage. Tout le monde se trouve enfermé dans un cercle d’ignorance dont on ne peut pas sortir. La condition de la femme en Afrique -notre sujet de recherche- en toute évidence, n’est pas rassurante. Elle a vécu des siècles de souffrance et de suppression de ses droits qui durent jusqu’à maintenant. C’est l’heure de voir une femme africaine libre, forte et fière d’elle-même. Nous constatons qu’à partir de la deuxième moitie du vingtième siècle une grande mutation est intervenue dans le domaine de l’éducation qui est considéré comme une base solide du développement dans tous les domaines de la vie. Dans leurs œuvres, les écrivains africains se sont engagés dans la lutte contre cette tare sociale. L’émancipation de la femme africaine qui est considérée non seulement comme un devoir envers la femme africaine mais aussi envers l’Afrique même. Toutes les productions littéraires abordent ce sujet d’une façon ou d’une autre. Pour les écrivains, la femme n’est pas simplement une source d’inspiration poétique, artistique et romanesque, mais à notre avis, elle est une personne très chère, qui leur donne l’envie d’écrire, dont ils se sentent responsables. Ainsi les écrivains participent à leur façon en mettant en relief les problèmes qui se posent à la société en tentant de mettre à nu les aspects sombres de la vie de la femme, soit en critiquant les difficultés de la vie quotidienne que subissent les femmes, soit en imaginant un avenir plus brillant, plus heureux, plus convenable pour la femme qui mérite toute cette attention. Nous pouvons constater que la femme se présente dans la production littéraire pendant des décennies. Les portraits littéraires de la femme africaine révèlent trois catégories de femmes : une femme forte, une femme en lutte, une femme victime. (Denise Brahimi & Anne Trevarthen, 1998 : 10). Pour la première catégorie les écrivains dessinent un portrait en majesté, en l’exaltant comme dans le poème de Senghor Femme Noire dans laquelle la femme est l’incarnation de la terre, des racines, et de l’Afrique même. « Femme nue femme noire Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté J’ai grandi à ton ombre, la douceur de tes mains bandait mes yeux Et voila qu’au cœur de l’Eté et de Midi, je te découvre, Terre promise, du haut d’un haut col calciné Et ta beauté foudroie en plein cœur, comme l’éclair d’un aigle » (Léopold Sédar Senghor, 1945 : 1) Dans le roman L’Enfant Noir Camara Laye présente également une image très positive de la femme africaine. Dans son poème dédié à sa mère : « Femme des champs, Femme des rivières, Femme du grand fleuve, Ô toi, ma mère, je pense à toi » (Camara Laye, 1953 : préface) Il chante les louanges d’une mère dont il garde des bons souvenirs. « Elle s’était éloignée très droite très digne ; elle se tenait toujours très droite, et parce qu’elle se tenait si droite, elle paraissait plus grande qu’elle n’était ; et elle marchait toujours très dignement : sa démarche était naturellement digne. Il me semblait la voir marcher dans le chemin, la robe tombant noblement, le pagne bien ajusté, les cheveux soigneusement nattés et ramenés au niveau de la nuque » (Camara Laye,1953 : 174). Un autre portrait pour la femme forte, celui de Grande Royale dans L’Aventure ambiguë de Cheik Hamidou Kane. Cette femme reste la plus célèbre, la plus admirée de toute la production littéraire en Afrique francophone. Elle est la sœur aînée du chef des Diallobés, mais on raconte qu’elle est plus redoutable et plus respectée que son frère dans tout le pays (Denise Brahimi & Anne Trevarthen : 1998). C’est elle qui dit à son peuple qu’il faut aller apprendre : « L’art de vaincre sans avoir raison » (Cheik Hamidou Kane, 1961 : 7). Elle pense que les femmes sont plus fortes que les hommes parce qu’elles agissent et prennent l’initiative. Pour être fort c’est l’action qui compte : « Les hommes parlent et les femmes agissent c’est pourquoi elles sont plus fortes » (ibid., 1998 : 44). D’un autre coté on trouve des romanciers qui proposent des images doloristes de la femme, des images qui montrent des femmes victimes des traditions, de l’injustice, et de la discrimination sociales. L’histoire de ″Perpétue″ de Mongo Béti est un portrait type de la victime absolue. Une adolescente qui souffre des douleurs persistantes pour qui la mort est une délivrance. Entre ces deux extrémités, les romanciers dressent de la femme africaine un troisième portrait, celui de la femme ni forte ni victime : la femme en lutte. La femme qui a la volonté d’améliorer son sort, malgré toutes les difficultés et tous les obstacles qui la freinent. Convaincu du droit de la femme de lutter pour gagner sa liberté, de faire entendre sa voix, son expression, dans un geste révolté, un écrivain comme Sembène Ousmane consacre un roman entier pour la lutte de la femme. Dans son roman Les bouts de bois de Dieu, la participation des femmes dans la grève du Chemin de Fer Dakar-Niger est un vrai témoignage. Un autre modèle pour la femme en lutte qu’on peut évoquer, c’est celui de Ramatoulaye, narratrice et personnage principal du roman Une si longue lettre de Mariama Bâ. Nous voyons comment cette femme mène un combat contre les traditions dont la femme africaine est accablée. Un combat contre tout ce qu’on peut considérer comme la grande misère de la femme africaine. Nous voyons également comment cette femme et sa proche amie Aïssatou ont réussi à modifier leur situation grâce à leur effort, leur réflexion et leur courage. En effet, à partir de l’indépendance, les femmes africaines commencent à prendre conscience de leur réalité. Cette prise de conscience les amène à constater à quel point elles étaient victimes de la société traditionnelle. C’est à travers la littérature féminine, (vers les années 70) qu’on commence à écrire sur la femme que les femmes elles-mêmes écrivent alors qu’auparavant et pour des décennies on ne la voyait qu’à travers l’optique masculine. Maintenant une autre vision se révèle : la prise de parole de la femme africaine. Après une longue période de silence elle commence à s’expliquer, à écrire sur ses problèmes, afin de mettre la main sur l’origine du mal et des souffrances, les identifier, les décrire pour y trouver un remède. Ceci, pour que la femme africaine soit capable de forger un nouvel avenir, un avenir dans lequel elle revêt une personnalité forte, puissante et sûre d’elle-même. 1.2. Femme au foyer Les romanciers de l’Afrique de l’ouest décrivent le foyer familial sous deux formes : traditionnelle et moderne. Le foyer traditionnel est en forme de cases, de concessions qui se trouvent dans les villages ou à la campagne. Camara Laye le décrit : « La concession est un vaste enclos que cerne une palissade de roseaux tressés ou de solides piquets de bois coupés dans la forêt voisine. C’est la que vit la famille paysanne, en des cases plus ou moins nombreuses, suivant la richesse et la quantité de ses nombres. » Et à l’intérieur : « Dans la case de maman ou de grand-mère il y a la calebasse de lait suspendu au toit par trois cordes pour qu’aucune bête n’y accède… couverte aussi pour empêcher la suie d’y tomber » (Camara Laye, 1953 : 53). Mariama Bâ, aussi le décrit : « Nos mères dont les concessions étaient séparées par une tapade échangeaient journellement des messages » (Mariama Bâ, 1979 : 11). Le foyer moderne est en forme de maisons, d’appartements ou de villas dans des grandes villes comme Dakar. L’émergence d’une couche sociale très riche, au lendemain des indépendances, une bourgeoisie africaine qui comprend les hommes d’affaires et des hauts fonctionnaires, est derrière ce type de foyer. Malgré les différents types de foyers, le rôle de la femme reste le même, puisque la maternité et le ménage sont ses responsabilités prioritaires D’ailleurs, en Afrique, l’institution moderne et traditionnelle se côtoient. Ce n’est pas étonnant de trouver une femme typiquement traditionnelle, comme Hadja Awa première épouse d’El Hadj Abdou Kader dans Xala de Sembène Ousmane, qui vit dans une villa. Le rôle de la femme africaine dans l’organisation de la famille et du foyer et dans la gestion des valeurs, est décrit par Lilyan Kesteloot comme : « Un peu d’Atlas. Elle porte tout sur ses épaules. Si elle s’en débarrassait c’est toute la société qui s’écroulerait » (Lilyan Kesteloot, 2001 : 287). Au foyer, la femme traditionnelle joue un rôle considérable. Loin d’être uniquement un être mineur, effacé, dominé, elle est bien au contraire l’âme du foyer : « La vie familiale est sa sphère, sa raison d’être, son but. Ses activités ordinaires d’épouse et de femme se revêtent dans la maternité et l’éducation des enfants et également l’accomplissement des tâches domestiques et champêtres et dans l’exercice de la solidarité et l’hospitalité constante à l’égard de la famille élargie » (Kembe Milolo, 1985 : 91). Donc, comme le dit Mariama Bâ : « Les femmes qu’on appelle ″femmes au foyer ″ ont du mérite. Le travail domestique qu’elles assument et qui n’est pas rétribué en monnaies sonnantes est essentiel dans le foyer » (Mariama Bâ, 1979 : 119). Si la femme exerce une profession, elle doit être pleine de courage pour ne pas sacrifier la maison pour le travail. Elle doit bien entretenir son intérieur pour faire de sa maison un havre de paix. Elle peut donner sans compter. Sa mission ne se limite pas à cette fonction. La femme africaine est d’un grand soutien pour son mari, un soutien spirituel et moral : « La femme traditionnelle a de l’influence sur son mari et ses qualités de cœurs, sa bonté et sa générosité l’emportent sur celles de l’homme. […] Sa collaboration est réelle. Son mari se confie à elle et elle le conseille pour toutes décisions importantes avec effacement et discrétion. Son avis est pris en considération et influe sur la décision finale du mari » (Kembe Milolo, 1985 : 91). Ainsi la réussite de chaque homme tient à l’influence et l’aide d’une femme. Au foyer la femme africaine s’occupe de tout. Evidement il est impensable qu’un homme africain partage les travaux domestiques avec sa femme. La cuisine est l’affaire des femmes. C’est elle qui fait la cuisine, prépare les repas pour tous les membres de la famille, C’est elle qui va chercher l’eau à la fontaine ou à la source. Petit à petit, cette conviction, ce comportement commencent à se changer parmi les nouvelles générations des hommes éduqués dans les écoles des blancs, ou influencés par la civilisation occidentale. Ainsi plusieurs romans africains nous révèlent ce changement de mentalité des africains suite au mouvement de modernisme. Ces romans nous donnent des exemples d’hommes qui respectent la femme et qui la considèrent sous une nouvelle vision, mais ce n’est qu’un début. Mariama Bâ souligne que Ramatoulaye s’inquiète de voir comment vit le ménage de sa fille aînée : « Daba, les travaux ménagers ne l’accablent pas. Son mari cuit le riz aussi bien qu’elle, son mari qui proclame, quand je lui dis qu’il ″pourrit″ sa femme : « Daba est ma femme. Elle n’est pas mon esclave ni ma servante » (Mariama Bâ, 1979 : 74). 1.2.1. La relation mère /enfants Il est nécessaire de parler de la relation mère/enfant puisque c’est la première forme de communication, avec sa mère, que l’enfant établit dans la société où il est né. Avec ou sans polygamie, cette relation évolue dans deux sens : la maternité et l’éducation des enfants. Tous les écrivains africains vantent la maternité. Ils exaltent le rôle de la femme comme mère : « Les grands hommes sont nés de mères qui ont couvé les peines, les pleurs, les soucis et les sueurs du mariage » (Amhadou Kourouma, 1970 : 44). Ils décrivent l’attachement de la mère à ses enfants, sa patience et son courage. Quant à l’éducation des enfants, elle en est presque complètement responsable. Cette éducation comprend les habitudes et les notions matérielles et morales de la société. Dès que l’enfant commence à parler, la mère participe activement à sa formation. Il bénéficie d’une grande attention et d’une grande considération de la part de toute la famille. Dans l’éducation des enfants chaque mère a sa philosophie. A titre d’exemple la mère de Aram Saar dans le roman Excellence, vos épouses ! de Cheik Aliou Ndao croit que les conseils ne sont pas utiles pour un gamin avant l’âge de sept ans, il faut les donner après l’entrée à l’école : « Un gamin, encore non éveillé à la notion du mal se sentirait frustré de ne pas suivre ses camarades de jeux. La correction, les conseils commençaient avec la fréquentation de l’école» (Cheik Aliou Ndao 1993 : 90). Mariama Bâ, à travers la narratrice qui est le personnage principal de son roman Une si longe lettre, nous donne son point de vue sur ce sujet très important, l’éducation des enfants, notamment après les défis du modernisme. Ramatoulaye affirme que l’éducation des enfants n’est pas une tâche facile. En même temps elle pense que c’est très important de faire appel à l’expérience des grand-mères, car les grandmères incarnent le passé, et ce passé est aussi important que le présent. Les grand-mères représentent les racines et il ne faut pas se couper des racines. Quand les enfants de Ramatoulaye lui causent des soucis, surtout les grands, elle évoque la sagesse de sa grand-mère. Elle y trouve un dicton approprié à chaque événement. Sa grand-mère répète toujours : « La mère de la famille n’a pas de temps pour voyager, mais elle a du temps pour mourir » (Mariama Bâ, 1979 : 140). Cela veut dire que la mère ne se repose pas, n’a pas de temps pour se distraire non plus. Au contraire ses nerfs sont toujours soumis à une épreuve dure. Mais c’est le lot de la mère. Le fait que les enfants sont nés des mêmes parents ne crée pas forcément de ressemblance chez eux : « Naître des mêmes parents, c’est comme passer la nuit dans une même chambre » (Mariama Bâ,1979 : 140-141). Pour éduquer les enfants, il faut donc appliquer des méthodes différentes. Il faut agir selon la situation : « Des caractère différents requièrent des méthodes de redressement différentes. De la rudesse ici, de la compréhension là. Les taloches qui réussissent aux tous petits vexent les aînés » (ibid., 1979 : 141). Deux problèmes se posent chez les enfants de Ramatoulaye qui parviennent de l’influence du modernisme : c’est la cigarette et le pantalon. Ses filles commencent à fumer et à porter le pantalon, signes de modernisme. Le port du pantalon est permis par la mère. Elle respecte l’envie de ses filles qui veulent suivre la mode : « être dans le vent ». Mais la cigarette n’est pas tolérée. Ceci dans l’illusion de dire qu’il ne faut pas embrasser tout ce qui vient de l’extérieur. 1.2.2. La relation mère/ancêtres En Afrique, dans les sociétés traditionnelles et surtout les sociétés animistes, on a une conception particulière de l’immortalité et de l’existence. Le monde des morts et celui des vivants sont étroitement liés. Les morts font partie de la vie des vivants. En d’autres termes l’existence d’une personne ne se termine pas au tombeau mais elle continue tant qu’elle a des descendants. Le rôle de la mère qui donne naissance aux enfants, c’est de transmettre la vie en conservant le contact avec les ancêtres : « L’enfant est un ancêtre mort qui se réincarne. La mère recevait des ancêtres de la vie qu’elle transmettait à l’enfant. C’est elle aussi qui s’occupe de sa croissance et veille à sa bonne tenue » (Kembe Milolo, 1985 : 97). Les Africains rendent un culte aux ancêtres. Ils les considèrent comme des dieux qui servent d’intermédiaire entre eux et l’Etre Suprême (M. Kester Echenim, 1975 : 16). C’est cette évidence religieuse qui conditionne le comportement des Africains. Ils sont dominés par le souci de ne pas offenser les dieux et les ancêtres. Cet attachement à la religion explique l’intervention permanente des dieux dans la vie quotidienne. Ils veillent sur eux et ils les protègent contre les dangers. Il faut faire des sacrifices pour expier les péchés et pour calmer les dieux qui sont en colère. Senghor confirme cet attachement à la religion quand il dit : « En Afrique Noire, il n’y a pas de frontière, pas même entre la vie et la mort. Le réel n’acquiert son épaisseur, ne devient vérité qu’en brisant les cadres rigides de la raison logique, qu’en s’élargissant aux dimensions extensibles du surréel » cité par (M. Kester Echenim 1975 : 19). 1.2.3. La relation mère/ fille La fille et la mère sont unies dans toutes les circonstances de leur vie. C’est un signe de continuité et de tradition. La fille remplace sa mère. Elle devient à son tour mère. C’est donc de sa mère qu’elle reçoit toute la formation morale et intellectuelle. C’est de sa mère qu’elle acquiert les qualités ménagères. Le courage et l’endurance sont les qualités essentielles que l’on attend d’une jeune fille. Elle commence très tôt l’apprentissage de ses futures tâches de mère et de paysanne comme par exemple la garde des enfants, la préparation des repas, le nettoyage et le travail au champ. C’est-à-dire qu’elle s’initie aux techniques proprement féminines. Toutes ses occupations sont orientées vers son avenir. Les enseignements reçus tendent à lui montrer qu’une femme sans mari n’est pas bien considérée. Le mariage est donc une condition essentielle pour la réussite de la fille dans la société traditionnelle : « Une femme qui n’a pas de mari n’est rien » (Mongo Béti, 196 :154). Mais la vie conjugale n’est pas toujours heureuse ou sans problèmes. Elle n’est pas que miel. Ainsi, il faut bien armer la fillette pour qu’elle soit prête à affronter les difficultés de la vie conjugale et familiale. 1.2.4. La relation tante/fille Comme la mère, la sœur, la tante qui est sœur du père qu’on appelle quelques fois la Badiène (au Sénégal), joue un rôle très important dans la formation de la jeune fille. Dans les romans africains, la tante (la Badiène) est un des personnages dominants. Elle jouit d’autorité et d’influence remarquables sur sa nièce. Dans certains cas beaucoup plus que la mère. Cela nous parait évident dans l’exemple du grand effort produit par tante Nabou -un des personnages de Mariama Bâ- dans l’éducation de sa petite nièce, Petite Nabou son homonyme. Il s’agit d’une éducation orale pleine de charme qui vise à forger chez la petite des qualités de douceur, de générosité, de docilité et de politesse. Elle vise également à l'embellir de savoir-faire et de savoirêtre pour la rendre plus agréable : « Tante Nabou [...] n’avait rien laissé au hasard dans l’éducation qu’elle avait donnée à sa nièce. C’était surtout par les contes, pendant les veilles à la belle étoile que tante Nabou avait exercé son emprise sur l’âme de la petite Nabou. Sa voix expressive glorifiait la violence justicière du guerrier ; sa voix expressive plaignait l’inquiétude de l’Aimée toute de soumission. Elle saluait le courage des téméraires; elle stigmatisait la ruse, la paresse la calomnie ; elle réclamait sollicitude pour l’orphelin et respect pour la vieillesse » (Mariama Bâ, 1979 : 90-91). Le jour du mariage d’une jeune fille, la Badiène joue un rôle principal. Selon la loi traditionnelle, elle est la marieuse de sa nièce « sa fille ». C’est elle qui organise toute la cérémonie. C’est elle qui dirige, qui donne des conseils, le jour du mariage à la mariée : « Rama écoute– moi, ne me fais pas honte. Ici c’est la maison d’un Grand Seigneur. Tu es ici pour gagner le paradis, ton paradis » (Ken Bugul, 1999 : 94). 1.3. Femme au travail Comme pour l’homme, le travail est d’une importance capitale pour la femme. Maintes raisons poussent la femme à travailler. Tout d’abord, la femme travaille pour aider sa famille et son époux puisque traditionnellement la femme africaine ne tarde pas à suppléer son mari dans les devoirs financiers dans les cas de nécessité. Deuxièmement, elle travaille pour gagner toute seule sa vie. C’est-à-dire pour ne pas être dépendante des autres et pour jouir d’une liberté économique. Troisièmement, elle travaille pour montrer sa volonté de participer dans la progression et le développement de son pays. Les romans donnent beaucoup d’exemples de femmes qui travaillent simplement pour aider le mari. A titre d’exemple la mère de Ndeye Aram dans Excellence, vos épouses ! : « Le père de Ndeye Aram rentre souvent les poches vides, sa femme Mbeen Samb, soutenait les efforts de son mari en vendant une sorte de parfum de sa fabrication » (Cheik Aliou Ndao, 1993 : 88-89). De plus le travail est un facteur très efficace pour le développement de la personnalité de la femme. Il lui donne l’occasion d’enrichir sa vie et d’acquérir des expériences multiples. Ramatoulaye et son amie Aissatou dans le roman : Une si longue lettre sont des modèles de femmes modernes qui s’épanouissent grâce à la vie professionnelle. Evidemment la femme n’est pas obligée de travailler, cependant, le travail des femmes n’est pas interdit par toutes les religions : « Dieu n’était pas contre le travail des femmes, sinon comment la plupart des prophètes auraient-ils pu accomplir leur mission sans l’assistance de femmes riches, de ces épouses-là ? Xadiga ? » (Ken Bugul, 1999 : 94). Un autre exemple de femmes travailleuses de la religion islamique, Zeinab la femme du Prophète, elle fabriquait des selles en cuir. (Yasmina Benguigui, 1996 :74). Il faut constater que la femme travailleuse a une double charge : sa responsabilité et son devoir à la maison, et le travail à la ferme ou au bureau ou d’autres travaux libres ou manuels. Elle doit donc être courageuse, patiente et active. Dans Une si longue lettre Ramatoulaye dit : « La femme qui travaille a des charges doubles, aussi écrasantes les unes que les autres, qu’elle essaie de concilier. Comment les concilier ? Là réside tout un savoir-faire qui différencie les foyers » (Mariama Bâ, 1979 : 45). La femme peut exercer des travaux manuels de paysanne ou des travaux de profession libre. Elle peut également exercer des travaux salariés dans des administrations ou des établissements privés ou publics. Les romans reflètent le rôle de la femme africaine en dehors du foyer, comme travailleuse. Ils montrent des activités de femmes travailleuses comme Ramatoulaye, Aïssatou et Perpétue. 1.3.1. Travail manuel Traditionnellement, la femme africaine est préparée pour la vie active, la vie du travail. La fillette commence très tôt à apprendre ses futures tâches, non seulement comme mère de famille mais également comme paysanne. Elle accompagne sa mère au champ ou à la ferme. Elle participe à tous les travaux agricoles, à semer les grains, à arroser, et à récolter. Dans Les bouts de bois de Dieu de Sembene Ousmane, un petit enfant qui décrit merveilleusement sa mère et le groupe de femmes avec qui elle va au champ dit : « Maman avait acheté une houe et s’était jointe au groupe de femmes cultivatrices qui se lèvent tôt et rentrent tard, très tard, avec un grand bassin rempli de feuilles de manioc, des souches sauvages séchées. Nous avions faim, mais nous n’étions plus tristes » (Sembène Ousmane, 1960 : 51). Et n'oublions pas également l’image attirante que Camara Laye donne de la mère, la femme paysanne, et pour toutes les femmes du village qui donnent un coup de main les jours de moisson. C’est un geste qui incarne la solidarité et la vie collective dans les sociétés africaines. Le fait que la femme a des enfants ou un bébé n’empêche pas de travailler car : « Le nourrisson, porté sur le dos ou sur la hanche de la mère au travail est un trait ethnologique et culturel spécifique du monde noir. L’enfant bénéficie d’une très grande sécurité affective. Il est constamment en contact intime avec elle qui l’allaite chaque fois qu’il réclame » (Kembe Milolo, 1985 : 96). Les femmes africaines exercent beaucoup de travaux manuels tels que la teinture des vêtements avec des couleurs toujours vivantes. Ce qui révèle une habilité et un goût artistique typiquement africain. Elles dirigent des petits commerces comme vendre des fruits, des légumes ou des parfums. Elles exercent d’autres activités comme la couture et les travaux artisanaux. Les trois femmes de Tamsir dans Une si longue lettre sont un bon exemple des femmes travailleuses. Ramatoulaye lui dit : « L’une de tes épouses fait des travaux de teinture, l’autre vend des fruits. La troisième inlassablement tourne la manivelle de sa machine à coudre » (Mariam Bâ, 1979 : 100). Un autre exemple de la femme travailleuse donné par les romanciers, est Perpétue l’héroïne de Mongo Béti. Elle emprunte une machine à coudre à sa voisine pour travailler et gagner de l’argent. 1.3.2. Travail salarié Dans les sociétés africaines traditionnelles, on peut constater que le travail salarié est un facteur exogène (Ismail Diagne, 2004 : 30). Il remonte à l’époque coloniale et l’introduction de l’Ecole moderne dans ces sociétés. La finalité du travail salarié comme d’autres travaux est l’autosuffisance alimentaire et la participation efficace dans la communauté où on vit. La scolarisation des jeunes filles est un des éléments importants dans les nouvelles sociétés africaines. Il va sans dire que l'école est importante pour les hommes et pour les femmes à la fois. Elle peut être comme un noyau d’émancipation, car elle leur offre la formation de base, la formation exigée pour la vie professionnelle. Ainsi la fille commence à fréquenter l’école malgré la contestation des parents et des vieux : « l’Ecole transforme nos filles en diablesses qui détournent les hommes du droit chemin » (Mariama Bâ, 1979 : 40). Voilà Ramatoulaye qui raconte son expérience : « Premières pionnières de la promotion de la femme africaine, nous étions peu nombreuses. Des hommes nous taxaient d’échevelées. D’autres nous désignaient comme diablesses » (ibid.1979 : 36). Heureusement, dans ces sociétés traditionnelles, se trouvent des gens qui commencent à prendre conscience de l’importance de l’éducation moderne pour les enfants. La Grande Royale avec son caractère fort, avec toute l'influence qu'elle exerce sur son peuple prend une décision contre elle-même d’envoyer les enfants à l’école pour recevoir un nouvel enseignement : « Je viens vous dire ceci ; moi Grande Royale, je n’aime pas l’école étrangère. Je la déteste, et mon avis est qu’il faut y envoyer nos enfants cependant » (Cheik Hamidou Kane, 1961 : 56). De même, Ramatoulaye se souvient toujours de son premier professeur, la femme blanche et son effet sur sa vie et la vie de ses collègues. Elle les prépare pour un destin tout à fait différent, un destin hors du commun : « Je n'oublierai jamais la femme blanche qui, la première, a voulu pour nous un destin "hors du commun"» (Mariama Bâ, 1979 : 37). La femme africaine, donc, après avoir été armée de savoirs, se lance dans la vie professionnelle. Elle découvre qu’elle a une mission à accomplir. En premier lieu, il y a l’exigence de deux métiers : institutrice et sage-femme. Alors, ces deux métiers sont choisis pour des personnages de femmes travailleuses dans le roman de Mariama Bâ Une si longue lettre : Ramatoulaye est l’institutrice et la petite Nabou est une sage-femme. Ce n’est pas par hasard si ces deux métiers sont également choisis par Cheik Aliou Ndao dans Excellence, vos épouses pour deux de ses personnages : les deux épouses de Goor Gnak, Ndikou (institutrice) et Tokosel (sage-femme). A notre avis le choix de ces deux fonctions traditionnelles pour la femme : donner la vie et éduquer est symbolique. C’est un symbole de la naissance d’une nouvelle Afrique. Une Afrique où la femme porte le flambeau de la liberté et du progrès. De plus, nous pensons que le choix de ces métiers par nos romanciers a une double indication : d’une part c’est une réponse à une exigence immédiate des habitants, d’autre part, c’est une réflexion sur la situation ou sur la réalité des sociétés africaines au lendemain de l'indépendance. Toute la société connaît une grande mutation. Un large mouvement vers la modernité dans lequel l’institutrice est destinée à prendre l’initiative pour une mission émancipatrice, comme Ramatoulaye : « Institutrice, elle a une très haute idée de sa fonction : pour elle, c’est un sacerdoce » (Mariama Bâ, 1979 :34). Et plus loin, pour montrer à quel point leur mission est grave : « Chaque métier intellectuel ou manuel mérite considération, qu’il requiert un pénible effort physique ou de la dextérité des connaissances entendues ou une patience de fourmi. Le nôtre comme celui du médecin, n’admet pas l’erreur. On ne badine pas avec la vie, et la vie c’est à la fois le corps et l’esprit. Déformer une âme est aussi sacrilège qu’un assassinat. Les enseignants -ceux du cours maternel autant que ceux des universités- forment une armée noble aux exploits quotidiens, jamais chantés, jamais décorés. Armée toujours en marche, toujours vigilante. Armée sans tambour, sans uniforme rutilant. Cette armée-là, déjouant pièges et embûches, plante par tout le savoir de la vertu » (Mariama Bâ, 1979 : 50-51). Le deuxième métier qui est également grave et qui mérite le respect et l’admiration de tout le monde, c’est celui de sage-femme. Ce métier représenté par la petite Nabou, un des personnages de Mariama Bâ. Elle l’a décrit : « La petite Nabou exerçait un métier. Elle n’avait point de temps pour des "états d’âme". Responsable de services de garde rapprochés, à la maternité du Repos Mandel, aux débouchés de quartiers périphériques peuplés et démunis, elle accomplissait à longueur de journée maintes fois, les gestes libérateurs de la vie. Les bébés passaient et repassaient entre ses mains expertes. Elle revenait de son travail harassée » (Mariama Bâ, 1979 : 91). Pourtant son harassement ne l’empêche pas de continuer à recevoir les accouchées à son domicile. Ainsi, plus qu'une nécessite économique, qu’une manifestation sociale, notre romancière a mis en relief la dimension plutôt humaine du travail, le travail qui n’a pas de prix. La femme travailleuse, dans l’optique de quelques-unes de ses sœurs, suscite la pitié parce qu'après une dure journée de travail, elle se démène dans sa maison. Toutefois, elle est enviée par d’autres à cause du confort et du pouvoir d’achat dont elle jouit : fourneau à gaz, moulin à légumes, pince à sucre. Mais il ne faut pas oublier la source de cette aisance : « debout la première, couchée la dernière, toujours en train de travailler » (Mariama Bâ, 1979 : 46). Chapitre 2 La femme traditionnelle et les coutumes du mariage 2.1. Coutumes du mariage Le mariage, l’acte de s’unir en couple homme/femme est une nouvelle alliance entre deux familles, entre les proches des deux membres du couple. Dans les sociétés traditionnelles, le mariage est considéré comme la seule gloire de la femme. Le seul souhait des parents, des proches et de tout l’entourage est de la voir à côté de son mari et de ses enfants, s’occupant du ménage, de l’éducation de ses enfants et de l’accueil des amis et des proches de son conjoint. Une fois mariée, la fille jouit d’une grande considération, et d'un grand prestige familial et social. C’est-à-dire être respectée de tout le monde. Evidemment avec le mariage les soucis de la femme ne se terminent pas parce que ce n’est pas seulement d’être mariée qui la gène mais le problème c’est d’être mariée et d’avoir des enfants puisque l’ambition de la femme dans le mariage c’est de donner naissance à un grand nombre d’enfants. Une descendance nombreuse lui apporte la joie et le bonheur, pour elle, pour son mari et pour toute la famille. Le mariage pour la femme africaine est considéré comme un attachement profond à son époux et à ses enfants. Un devoir qui implique un dévouement, un sacrifice et un oubli de soi. 2.1.1. Le choix du conjoint Pour se marier, la question du choix ne pose aucun problème. L’homme n’a pas besoin de se faire des relations ou d’avoir de contacts avec des filles comme c'est le cas de nos jours, pour choisir son épouse. Mais comme le dit Ken Bugul : « L’homme en âge de se marier jetait son dévolu sur une jeune fille ou était conseillé par la famille » (Ken Bugul, 1999 : 43). Dans ce cas donc c’est la famille qui conseille, qui montre ou qui identifie une épouse potentielle. Le choix tombe toujours dans l’entourage, les proches de la famille du côté paternel ou maternel. Ainsi, la plupart des mariages sont célébrés entre les enfants de la Badiène (tante paternelle) et les enfants du Nidiay (oncle maternel). C’est une tradition qui est considérée comme un signe d’obéissance et d’appartenance à la société. Dans cette situation, il y a peu ou peut-être pas du tout de place pour les sentiments, ou ce qu’on appelle amour. Pour la fille le mariage ce n’est pas avec un homme, mais avec une situation, une vie et c’est pour toujours. Comme elle n’a pas le choix d’être célibataire, elle n’a pas le choix de l’époux. Le jour du mariage c’est au garçon qu’on demande son avis : « Le mariage est un contrat social entre familles, où le seul cadet à qui on demande son avis est le garçon. La fille est priée d’obéir. Si elle refuse, maudite ou souvent on la force, Il faut respecter l’ordre établi » (Lilyan Kesteloot, 2001 : 284). Les romans abondent d’exemples de filles victimes d'un mariage forcé. Perpétue une des héroïnes de Mongo Béti est forcée de quitter l’école pour se marier contre son gré, malgré son intelligence, son goût pour l’étude et son ambition formidable. Bintou dans Une si longue lettre de Mariama Bâ, une écolière qui est en train de passer son baccalauréat, elle aussi, est obligée de se marier avec un vieux de l’âge de son père. 2.1.2. La dot La dot est une somme d’argent donnée par l’époux à l’épouse pendant les jours du mariage. Elle est considérée comme premier cadeau de la part de son mari. Cette dot est importante à plus d’un titre. Tout d’abord, elle donne une idée des moyens dont dispose le futur époux ou sa famille, ensuite, c’est une garantie, ou une caution car en cas de divorce, dans certaines sociétés, c’est la seule somme d’argent qu’il faut rembourser. Ce premier don est essentiellement constitué d’une somme d’argent liquide accompagnée de certains cadeaux matériels. Quelquefois on dépense beaucoup, même on exagère dans les dépenses comme dans le troisième mariage de El Hadji Abdou Kader : « Au centre de la maison, sur une table de fortune étaient exposés les cadeaux du mari, à la douzaine, par unité, lingerie de corps intime pour femme, nécessaire de toilette, paires de chaussures de modèles et de teintes variés, perruques allant de la blonde à la noire-nuit, mouchoirs fins, savons de toilette. Le clou était les clefs d’une voiture, logées dans un écrin rouge au milieu de cette table » (Sembène Ousmane, 1973 : 13). Mais cette exagération de dépenses, de dons matériels et de cadeaux est une preuve d’amour. Parce que l’idée ancrée dans les mœurs que plus un homme dépense de l’argent pour acheter des cadeaux à une jeune fille plus il tient à elle. Au contraire, sans dot ou peu de dot, la jeune fille se croit moins aimée. Cela justifie que jusqu'à nos jours les prétendants n’arrêtent pas d’exagérer en versant la dot dans certaines régions d’Afrique. 2.1.3. La virginité Le fait que la jeune fille soit vierge la nuit de la noce est d’importance capitale. Car, dans les sociétés traditionnelles, les relations entre les filles et les garçons avant ou hors du mariage sont interdites. Et plus précisément les rapports sexuels. Tel comportement est un adultère qui offense toute la famille et qui coûte le plus souvent la vie de la jeune fille. La fille qui n’est pas vierge la nuit de la noce apporte la honte à sa famille. Au cours du mariage : remettre la dot, fêter, célébrer l’occasion, faire savoir à tout le monde… Voila la première étape du mariage. Vient la deuxième étape, l’étape la plus délicate : la nuit de noce, la fièvre et l’excitation de cette nuit dans laquelle il faut s’assurer de la virginité de la jeune fille. Cette vérification est une épreuve redoutable par toute la famille qui donne une de ses filles en mariage. La personne qui est responsable de cette nuit est la tante ; la sœur du père qu’on appelle au Sénégal la Badiène. C’est à elle qu’on confie toujours ce rôle. Dès le moment qu’on fixe la date du mariage, la Badiène commence à être inquiète. Elle ne s’arrête pas de poser des questions à sa nièce : « Es-tu sûre de toi? Dis-moi la vérité, tu n’as jamais connu aucun homme ? » (Ken Bugul, 1999 : 46). C'est la Badiène qui fait tous les préparatifs pour cette nuit. Elle consulte les amies de la jeune fille, les alliées et les devins pour protéger la mariée contre des mauvais esprits et des mauvais sorts et du diable. Il y a une croyance selon laquelle la nuit de la noce la jeune vierge est l’appât préféré des mauvais esprits. Le lit nuptial est couvert des draps blancs : « Dans la chambre nuptiale, Yay Bineta, la Badiène, infatigable, avait rempli son office. Elle attendait le dernier acte. Le lit était prêt avec ses draps blancs » (Sembène Ousmane, 1973 : 43) et plus tard pour la vérification, pour être sur de la virginité de la jeune fille : « La Badiène, d’un coup d’œil inspecta les draps, cherchant du sang » (ibid, 1973 : 44). Une autre croyance dit que la force d’une femme est due à son respect de sa virginité et de sa fidélité conjugale. C’est clair dans le dialogue entre Dâmen, la mère dans l’Enfant Noir de Camara Laye avec son cheval : « Si c’est vrai que, depuis que je suis née, jamais je n’ai connu d’homme avant mon mariage, si c’est vrai encore que, depuis mon mariage, jamais je n’ai connu d’autre homme que mon mari, cheval, lève-toi » (Camara Laye, 1953 : 88-89). Dans ce passage nous remarquons comme le notent Denise Brahimi & Anne Trevathen, une sorte d’association ou de lien entre le pouvoir d’une femme et son comportement sexuel volontairement contrôlé. Dâman adresse la parole au cheval qui est un symbole de la force et du pouvoir. En même temps elle montre l’origine du pouvoir et de la force de la femme. 2.2. Le mariage et la superstition Les sociétés africaines sont dominées par des pratiques différentes telles que : la superstition, la sorcellerie, le fétichisme et le maraboutage, etc. Ces pratiques sont liées essentiellement à des vieilles religions africaines : « Derrière la force de la tradition se trouve le système religieux dont l’efficacité est ressentie à travers le comportement de l’individu » (M.Kester Echenim, 1975 : 18). Toute la société est en proie à ces croyances qui dirigent la vie quotidienne. Dans toutes les occasions, toutes les cérémonies comme le mariage, le deuil ou la maladie, il y a certaines choses qu’on doit faire ou bien qu’on doit éviter. Selon la croyance certains actes ont toujours une conséquence positive ou négative. C'est-à-dire qu’ils sont jugés comme porteurs de bonheur ou de malheur : « Nous avons enfoui, dans les mêmes trous, nos dents de lait, en implorant Fée souris de nous les restituer plus belles » (Mariama Bâ, 1979 : 11). Nous remarquons la présence des féticheurs et des sorciers dans les romans africains. Elle est considérée comme étant un reflet de leur présence dans la vie réelle. Le besoin de se protéger justifie cette présence. On consulte ces spécialistes qui donnent des conseils, qui expliquent la raison d’une malchance et qui donnent les remèdes nécessaires pour la faire disparaître. Ces spécialistes dépendent des forces surnaturelles : les génies, les ancêtres et les dieux (M.Kester Echenim, 1975 : 22). Dans Xala de Sembene Ousmane, ces pratiques occupent une grande partie du roman. Le romancier aborde ce thème dans un style sarcastique. Nous prenons à titre d’exemple, le jour du mariage d’El Hadji Abdou Kader, le polygame, qui se marie pour la troisième fois. Ce jour-là, la mariée reste un peu de temps chez sa mère avant de rejoindre la soirée. Un marabout vient pour lui faire ce qu’on appelle le gri-gri. D’autre part, les amis du marié lui conseille de prendre un « truc » qu’ils pensent très efficace la nuit de noce : « Tu as pris le « truc » El Hadji ? Questionna Laye, je t’assure que c’est efficace » (Sembène Ousmane, 1973 : 42). Dans la chambre nuptiale, El Hadji Abdou Kader, le marié, refuse de s’asseoir sur un mortier que Yay Bineta, la Badiène lui désigne (signe de rejet de cette pratique de sa part). A notre avis cela peut montrer le point de vue de l’auteur sur ce sujet. Le problème est devenu plus grave quand El Hadji Abdou Kader n’arrive pas à consommer son mariage. La Badiène se met en colère. Elle commence à lui faire des reproches. Elle pense que ce qui lui arrive est la conséquence de son refus de s’asseoir sur le mortier comme elle le lui conseille : « Je te l’avais dis ! Toi et tes semblables. Vous vous prenez pour des toubabs. Si tu m’avais écouté hier, ce matin, tu n’en serais pas là. Quelle honte ! Qu’est-ce que cela pouvait te faire, de t’asseoir sur ce mortier » (ibid., 1973 : 45). Une femme sorcière, qui est présente le jour du mariage, donne des explications du cas. Selon ses croyances, El Hadji Abdou Kader est frappé de ce qu’on appelle le Xala. Quelqu’un lui jette un mauvais sort. Il doit donc voir un spécialiste pour se guérir. Et elle ajoute : « Ce qu’une main a planté, une autre peut l’ôter » (ibid., 1973 : 45). C’est une illusion pour dire que c’est une pratique normale. Le thème de la sorcellerie et celui du maraboutage figurent également dans le roman de Mariama Bâ, Une si longue lettre. Quand Modou l’époux de Ramatoulaye prend une autre femme, ses amies lui parlent avec conviction d’ensorcellement. Elles lui montrent des marabouts qui sont réputés être excellents en philtres magiques : « Elles indiquaient, avec véhémence, des marabouts à la science sur qui avaient fait leurs preuves, ramenant l’époux à son foyer, éloignant la femme perverse » (Mariama Bâ, 1979 : 93). Mais Ramatoulaye ne cède pas à leurs sollicitations : « Ma raison et ma foi rejetaient les pouvoirs surnaturels. Elles rejetaient cette attraction facile qui annihile toute volonté de lutte. Je regarde en face, la réalité » (Mariama Bâ, 1979 : 94). Le comportement de Ramatoulaye envers la proposition de ses amies est un autre message qui probablement porte le point de vue de l’auteur, qui est contre ces pratiques. 2.3. Le mariage et le problème de caste En Afrique de l’Ouest, précisément au Sénégal, le problème de caste se pose toujours comme une des réalités sociales et culturelles les plus redoutables. Surtout dans la question du mariage. Il est parfois un des prétextes justifiant la polygamie. Il s’agit des différenciations basées sur la spécialisation de la profession. Par conséquent la société est divisée en plusieurs classes sociales : les nobles, les griots, les forgerons, et les esclaves. Les pratiques de caste s’étendent même dans les sociétés musulmanes, bien qu’elles aillent contre les préceptes de l’Islam qui prêche l’égalité et la justice entre tous les peuples. Ces pratiques rendent le plus souvent impossible le mariage entre deux personnes qui s’aiment et qui veulent se marier. Le fait qu’ils sont issus de classes sociales différentes est un grand obstacle pour la réalisation de leur projet. On raconte toujours des histoires de garçons ou de filles qui sont refusés, simplement parce qu’ils sont d’une classe sociale jugée inférieure à celle de l’autre partenaire. Quelquefois ce problème apparaît même après le mariage. Il entraîne une destruction totale de toute une vie conjugale qui dure depuis longtemps et qui donne vie à quatre enfants. C’est le cas d’Aissatou un des personnages de Marima Bâ, sa belle-mère, Tante Nabou en tant que descendante d’une famille royale n’accepte pas le mariage de son fils avec une bijoutière parce que : « Fortement attachée à ses origines privilégiées, elle croyait ferme au sang porteur de vertus et répétait en hochant la tête que le manque de noblesse à la naissance se retrouve dans le comportement. Et la vie ne l’a point épargnée » (Mariama. Bâ, 1979 : 55). Elle insiste pour se venger de ce mariage qui est une insulte pour elle et pour toute la famille. Comment, Mowdo le fils des princesses, qui porte un sang royal, se marie avec une fille de bijoutier ! Par conséquent, Mowdo cède à la volonté de sa mère qui est autoritaire et qui a de l’influence sur lui. Il se remarie avec sa cousine, porteuse de sang royal comme lui. Sa première épouse, Aissatou, choisit la rupture. Divorcée, elle quitte même le pays avec ses quatre fils. 2.4. L’image de l’épouse traditionnelle L’image de l’épouse traditionnelle que présentent les romans africains la pare toujours des qualités favorables, des qualités admirées par les hommes. Elle est docile, soumise, travailleuse, courageuse et de plus, elle est ignorante des activités de son mari. Pour remplir ces conditions, il faut qu’elle soit plus jeune que son mari pour qu’elle soit docile et obéissante et pour qu’il ait le pouvoir d’exercer son influence, son autorité sur elle. L’éducation qu’elle reçoit favorise le respect du mari. Elle doit être toujours disponible pour rendre des services sans même élever la voix. Son lot de femme est d’accepter, et de se taire, c'est ainsi qu’on le lui enseigne. Voila une épouse décrite par Sembene Ousmane dans son roman Les bouts de bois de Dieu : « Assitan était une épouse parfaite selon les anciennes traditions africaines : docile, soumise, travailleuse, elle ne disait pas un mot plus haut que l’autre. Elle ignorait tout des activités de son mari ou du moins faisait semblant de les oublier » (Sembène Ousmane 1960 : 170). Quand l’épouse quitte le foyer de ses parents pour rejoindre celui de son époux, c’est pour y habiter pour toujours. L’idée ou la conception courante dit qu’elle est donnée à un homme. Elle est considérée dans certaines sociétés comme n’importe quel objet que l'homme possède pour toujours. Dans ce sens nous pouvons dire que le mariage est un engagement pour toute la vie : « Ainsi ce n’était pas seulement un homme qu’on épousait mais une vie, c’était une question de responsabilité mentale, morale. Un engagement envers soi-même, envers un destin qu’on fabriquait presque en renonçant à tous ses instincts » (Ken Bugul, 1999 : 95). Alors dès son arrivée au domicile conjugal elle justifie son existence comme femme mariée. Elle ne peut pas se comporter autrement parce que c’est la règle, les traditions, les valeurs héritées de la mère : « C’était cela la tradition de ma mère, de la mère de ma mère. La vie que la femme allait désormais mener par son mari, elle en était l’artisane, elle devait l’assumer » (Ken Bugul, 1999 : 108). Le rôle de l’épouse se résume dans ces conseils donnés par la Badiène à " sa fille " après le mariage et chez son mari : «Tu es venue ici pour travailler. Ici on ne pleure pas. On ne crie pas. On ne se plaint pas. Tu dois fonctionner suivant le Ndigueul, l’ordre est te soumettre entièrement, totalement » (ibid., 1999 : 94). Chapitre 3 : L’image de la femme évoluée 3.1. L’évolution de l’image de la femme. Il va de soi de dire qu’il y a une évolution remarquable de l’image de la femme dans le corpus littéraire. Cette évolution est un indicateur d’un changement profond du point de vue des écrivains envers la femme qui est dans la société traditionnelle un symbole de la protection et de la fécondité. A notre avis deux facteurs jouent un rôle principal dans cette évolution de l’image de la femme : l’arrivée de la vie moderne qui a des impacts sur la société africaine et l’émergence de ce qu’on appelle la littérature féminine. L’évolution de l’image de la femme est bien évidente surtout en ce qui concerne son rôle de mère et la maternité. Cela veut dire que la plupart des idées traditionnelles sur son rôle et son devoir sont mises en cause. A titre d’exemple, la mère qui est dans un contexte traditionnel si sublimée et qui reste la plupart du temps la référence suprême ne résiste pas à l’usure du temps. Elle commence à perdre du poids, et sa place dans la société. Plus que cela, les mères dans certaines œuvres sont accusées d’être la source du malheur de leurs filles. Le personnage de Perpétue de Mongo Béti et celui de Binetou de Mariama Bâ sont des bons témoignages des filles victimes des mères avides et sans scrupules. D’autre part, comme le remarque Béatrice Rangira : « Dans la plupart des œuvres des femmes africaines tout porte à croire que le grand ennemi de la femme est une autre femme » cité par (Lylian Kesteloot, 2001 : 285). Ce sont les mères qui enseignent à leurs filles la loi de l’homme seigneur, c’est pourquoi la passivité reste un comportement courant chez les femmes. Un autre exemple de l’évolution de la conception de la femme, est celui de la maternité. Comme l’affirment la plupart des œuvres de la littérature féminine, la maternité n’est plus le seul but de la femme moderne, celle qui veut jouer d’autres rôles en dehors des contraintes, des traditions. D’autres activités l’attirent en dehors du foyer. Bien armée, grâce à l’école moderne, elle n’hésite pas à se lancer dans la vie professionnelle et culturelle. Elle pense même à participer à la vie politique de son pays. La romancière Mariama Bâ donne des modèles de femmes qui souffrent à cause de la maternité répétée et l’abondance des enfants. Son héroïne Ramatoulaye a de la peine dans l’éducation de ses douze enfants. Jacqueline la chrétienne, un autre personnage de Mariama Bâ, tombe gravement malade. La maternité répétée lui cause beaucoup de problèmes de santé, bien que son mari soit médecin. Dans leurs discours les romancières déclarent une révolte contre les traditions surtout les coutumes du mariage. Elles dénoncent le mariage forcé qui est considéré comme une tombe pour l’amour, la dot comme une vente déguisée, qui donne à l’homme le titre de propriétaire et à la jeune fille l’impression d’être une marchandise et le contrôle de la virginité comme une humiliation pour la jeune fille. D’autre part la soumission, la passivité et la résignation ne sont plus des qualités favorables comme elles l’étaient auparavant pour la femme traditionnelle. Au contraire, la révolte de la femme et la femme victime de la société traditionnelle sont les thèmes les plus fréquents dans les ouvrages des écrivains tels que Sembene Ousmane, Mongo Béti Ahmadou Kourouma, etc. Ces romanciers qui sont de sociétés différentes, avec des conditions différentes ont la même volonté de dresser à l’intérieur de leurs contextes un bilan exhaustif de la condition féminine. Ils ont essayé de démontrer le sort malheureux de la femme ″la grande vaincue de la vie″ : « Dans ce monde, les lots des femmes ont trois noms qui ont la même signification : résignation, silence, soumission » Ahmadou Kourouma, cité par (Denise Coussy 2002 : 130). Dans son roman, Les soleils des Indépendances, il dénonce fortement le sort imposé aux femmes. Mongo Béti condense sur son héroïne Perpétue tous les problèmes qui accablent une jeune fille africaine au seuil de la puberté. Tout d’abord elle est privée de ses études, de son école. Ensuite elle subit le mariage forcé à un âge précoce. Ses souffrances commencent quand sa mère vient la chercher dans la salle de classe. Crescentia son amie intime, raconte son histoire dramatique : « Je me rappelle encore fort bien Perpétue se levant, demandant à sa voisine de s’effacer pour la laisser passer, foulant l’allée à grandes enjambées, franchissant le seuil, s’abîmant dans le grand jour, happée par cette chose cruelle qu’on appelle le destin d’une femme. Jamais plus, je n’allais revoir Perpétue en écolière ; elle ne rentra même pas dans la salle de classe, pour y ramasser ses affaires que je trouvai intactes, à sa place, le lendemain » (Mongo Béti, 1973 : 58-59). Tous ses rêves de devenir infirmière ou médecin et de soigner les malades sont avortés. Quand elle tente timidement de protester avec une voix brisée pour convaincre sa mère que le certificat d’études aura lieu dans deux mois et que sa réussite est certaine, sa mère se met en colère. Elle la gronde en disant : « Fille sans cœur ? Toi une femme ? Parler d’examens quand on te propose un mari, et quel mari ! » (Mongo Béti, 1973 : 103). Mais la fille crie en vain : « Non ! Non ! Je ne veux pas me marier, je refuse de me marier » (ibid.1973 : 110). Le jour du mariage, Perpétue est tellement triste que sa mère lui dit : « Ne dirait-on pas qu’on te conduit à l’abattoir pour t’égorger comme une bête de boucherie ? (ibid.1973 : 113-114). Sa vie conjugale ne dure que six ans, pendant lesquels elle vit dans des conditions atroces. Elle vit un enfer et ses souffrances durent jusqu’à sa mort. Cette histoire nous montre que, malgré des manifestations de modernisme dans les sociétés africaines, nombre de pratiques traditionnelles, dont la femme souffre beaucoup, persistent. Elles vont même quelquefois parallèlement avec celles de la vie moderne. 3.2. L’image de la femme évoluée Le portrait qui présente la femme évoluée, c’est celle qui est attirée par le modernisme, qui cherche l’indépendance par l’éloignement du village et de son univers fermé, celle qui vit en ville dans un habitat moderne, qui fréquente le cinéma, qui fume et qui s’habille à l’européenne. Nous pouvons constater que, quelquefois l’intervention de l’occident dans la vie des sociétés traditionnelles n’apporte pas de changement profond puisque dans certains cas la femme se contente des cotés superficiels de la modernité. Un personnage comme Omi N’Doye, deuxième épouse de El Hadji Abdou Kader vit dans une villa dont les meubles doivent nécessairement porter la griffe ″meubles de France″. Elle adopte un style européen par mimétisme, elle fréquente le cinéma et s’intéresse à ses vedettes. Elle compose son menu à partir des recettes occidentales. Ce personnage est le prototype même de l’aliéné culturel. Elle se débat dans une contradiction flagrante, elle prétend la modernité, toutefois, elle accepte le ménage polygame. Ce n’est donc pas une question de dire que l’image de la femme moderne peut remplacer celle de la femme traditionnelle. Pourquoi ? Parce que le passé de la femme africaine pèse encore et d’une façon lourde sur son présent. Malgré les traits de la modernité dont elle est ornée, elle est encore fortement enracinée dans les traditions. Ainsi, au sein de la même personne on peut trouver deux personnalités contradictoires. Le cas d’Omi N’Doye, nous rappelle l’histoire de ce qu’on appelle ″Le complexe de la chauve souris″ : « Une chauve souris est une souris avec des ailes. Pourtant ce n’est ni une souris ni un oiseau. C’est entre les deux et quand la chauve souris dit à une souris qu’elle est une souris, la souris lui répond que c’est un oiseau. Quand elle dit à l’oiseau qu’elle est un oiseau, l’oiseau lui dit que c’est une souris »1. 1 neufmoisabrazza.blogspot.com/.../le-complexe-de-la-chauve-souris.html - Cela à notre avis exprime exactement ce qu’on appelle de nos jours le problème d’identité La génération des femmes modernes, femmes instruites telle que Ramatoulaye dans Une si longue lettre, représente la figure d’une femme africaine authentique. Celle qui se sert de la civilisation moderne sans renier son origine avec son système traditionnel. Donc, être pour la modernité ne veut pas dire renoncer à son africanité. Par opposition à l’image de la femme frustrée se trouve à l’autre extrémité, celle de la femme libre, femme libérée à la fois des contraintes traditionnelles et morales. Des voix féminines telle que la camerounaise Calixthe Beyala dans son ouvrage C’est le soleil qui ma brûlé appellent pour la libération totale de la femme africaine. Une libération non seulement des coutumes et des traditions mais également de l’homme. Elle pense que l’homme est responsable d’une façon ou d’une autre du mauvais sort de la femme africaine. Car pour lui, la femme n’est qu’un instrument de plaisir. C’est pourquoi elle provoque un combat contre ce qu’elle appelle la double oppression, celles des coutumes et celle de l’homme. Elle affirme que la femme est capable de se libérer de ces oppressions (Anny-Claire Jassord, 1989 : 129-154). Sembène Ousmane présente un portrait de la femme libre, femme émancipée, celui d’une prostituée. Le personnage de Penda dans son roman Le bout de bois de Dieu incarne cette image. Bien que la prostitution soit condamnée par le système traditionnel dans lequel la femme jouit d’une certaine pudeur, cette image se répète de plusieurs fois dans les romans africains. Un autre personnage dans ce même roman qui incarne la femme libre, femme émancipée, c’est N’Deye Touti. La jeune fille qui fréquente l’école normale et qui montre une supériorité même sur les garçons du quartier. Elle se sent de plus en plus éloignée de son entourage et elle vit comme en marge de cet entourage. Elle se moque du mariage et elle préfère plutôt des relations libres. En parlant avec un prétendant elle dit : « Je ne t’ai pas demandé en mariage, moi… ». Elle poursuivit : « Vous, les hommes, à peine vous connaissez une fille, c’est le mariage ! Peut-être si tu avais couché avec moi, tu n’en voudrais plus du mariage ! » (Sembène Ousmane, 1960 : 106). Un autre exemple d’une femme qui se glisse dans la voie de la prostitution, c’est celui d’Oumi N’doye, un des personnages de Xala, la deuxième épouse d’El Hadji Abdou Kader. Cette dernière est obligée de se comporter ainsi après la crise économique de son mari. L’environnement favorable de la modernité et celui de la liberté l’encourage de se comporter ainsi au lieu de se fatiguer en cherchant un métier. En parlant donc de la libération de la femme africaine -qui est un des impacts de modernisme- on commence à parler à la fois de la liberté morale et de la liberté physique d’une femme. C’est une attitude adoptée par elle pour imposer sa propre notion d’égalité aux hommes. Mais comme le dit M. Kester Echenim : « L’égalité sexuelle n’est qu’un mythe » (M. Kester Echenim, 1975 : 221). Troisième partie Analyse de la polygamie Chapitre 1 : Les raisons de la polygamie Avant de parler des raisons de la polygamie, il va sans dire qu’en Afrique, la polygamie est un des héritages culturels dû à plusieurs facteurs économiques, sociaux et religieux, un héritage lentement acquis au cours des siècles. La polygamie donc fait partie de la civilisation, de la culture africaine. Elle peut être considérée comme un des traits les plus remarquables de la personnalité africaine. Elle est intimement liée et enracinée à l’organisation familiale. C’est un comportement normal adopté par les pères et les grands-pères. Ainsi, comme le dit Cheik Aliou Ndao, un africain est né polygame : « Faut-il croire que le Nègre est un polygame né ? » (Cheik Aliou Ndao : 130). Il n’y a aucune gêne à épouser plusieurs femmes pour quelqu’un qui est né dans un contexte polygame : « Issus presque tous de familles polygames, ils se demandaient d’où leur était venue la gêne d’avoir plusieurs femmes ? Dans quelle civilisation était-il honteux, immoral d’avoir deux femmes ? Où avaient-ils pris leur référence ? » (ibid., 1991 : 17). Jusqu’à nos jours on trouve des contes et des proverbes qui exaltent la polygamie. Ils sont transmis très fréquemment des anciens aux plus jeunes. Cette transmission comme toutes traditions orales se fait en famille, d’une façon méthodique, aux veillées et aux époques d’initiation (Kembe Milolo, 1985 : 167). A titre d’exemple : « Une famille avec une seule femme était comme un escabeau à un pied, ou un homme à une seule jambe ; ça ne tient qu’en appuyant sur un étranger » (Ahmadou Kourouma, 1970 : 157). Un homme africain tel que Goor Gnak -le personnage principal dans Excellence, vos épouses ! de Cheik Aliou Ndao- avec une culture uniquement tirée de la tradition, ne peut jamais mettre en doute le bien fondé du choix de plusieurs femmes. Son expérience le prépare à ne pas rejeter la polygamie : « Quand il se marie pour la première fois, même lorsqu’il était monogame en ignorant ce qu’il ferait plus tard, on peut dire que comme tout homme de sa génération il se sentait ″disponible″» (Aliou Ndao, 1991 : 17). La femme africaine aussi supporte cette tendance. Surtout dans les zones animistes. Elle considère la polygamie comme une condition désirable. Elle croit que la position d’un homme est jugée par ses propriétés : épouse d’un grand homme ! Toutefois, elles sont souvent présentées comme victimes de ce système. Le choix d’avoir plus d’une femme se retrouve également dans la deuxième génération après les indépendances : la génération des hommes intellectuels qui jouissent d’une bonne connaissance et d’expériences de la civilisation occidentale. Cependant ils portent les dispositions de la polygamie en eux. Cheikh Aliou Ndao se moque de ce type d’hommes : « Ces faux ″toubabisés″ ces intellectuels fraîchement débarqués de France et qui ne juraient que par Montesquieu, Sartre, Marx et autres ; au bout de quelque temps on les voyait convoler en justes noces avec deux ou trois épouses. Une fois tombés dans le piège, ils faisaient excès de nationalisme et prétendaient qu’après tout, seuls les déracinés trouvaient à redire dans des coutumes qui demeurent le fondement de nos sociétés » (Cheikh Aliou Ndao, 1991 : 16-17) Dans les romans africains, nous trouvons beaucoup de ce type d’intellectuels et des hauts fonctionnaires africains qui se comportent ainsi. A titre d’exemple Moudo et Mawodo dans Une si longue lettre de Mariama Bâ et El Hadji Abdou Kader dans Xala de Sembène Ousmane. En effet, ne pas avoir une deuxième femme peut poser un problème. Celui qui est incapable de se marier pour la deuxième fois est mal vu par la société : « Le fait que l’homme n’avait jamais pris une deuxième épouse suffisait pour l’exposer à la vindicte masculine » (Sembène Ousmane, 1973 : 15). Normalement un polygame ne donne pas de raisons précises ou directes à son acte. Il n’a même pas besoin d’en donner. Mais d’une façon générale on peut parler des exigences économiques, culturelles, sociales qui justifient la polygamie dans les sociétés africaines. Celles dont on parle en réalité et qu’on traduit en fiction dans des œuvres littéraires. Ainsi dans notre analyse des ouvrages choisis nous allons repérer les personnages polygames pour savoir ce que les romanciers peuvent donner comme raison de la polygamie. 1.1. Les raisons économiques. 1.1.1. Le besoin de main d’œuvre. En Afrique de l’Ouest dans les villages et dans les zones rurales, les communautés vivent dans une large mesure de la production agricole. Dans cette société paysanne la femme joue un rôle majeur dans les activités de production agricole. Elle travaille la terre, elle donne à son mari des enfants qui cultivent dès leur plus jeune âge. Avec leurs mères, ils participent à tous les travaux de la ferme : préparer la terre, semer, arroser, nettoyer les champs ou la ferme et enfin récolter ou moissonner. Ils forment une main d’œuvre gratuite et toujours à portée de main. Leurs activités vont encore plus loin, puisque après la récolte, les femmes participent à la vente de leur produit. Elles vendent des légumes, des fruits et d’autres produits. Ainsi un polygame avec deux ou trois épouses et une douzaine ou plus d’enfants peut faire une bonne production. Car pour la propriété familiale la polygamie est une source d’augmentation de revenu. Dans ce sens, on peut dire que la polygamie correspond mieux aux exigences économiques dans les sociétés traditionnelles africaines. La femme a une importance capitale dans la vie économique de toute la famille. 1.1.2. La pauvreté et la nécessité des femmes. Dans certains cas la pauvreté, la nécessité ou le manque de moyens obligent une jeune fille à accepter de se marier avec un polygame riche. Espérant profiter de sa richesse et mener une vie considérablement aisée. Nous avons comme exemple N’Goné la troisième épouse d’El Hadji Abdou Kader en Xala. Cette fille, âgée de dix-neuf ans a raté son brevet élémentaire plus d’une fois. Ses parents sont sans ressources. Ils ne peuvent même lui payer des cours supplémentaires dont elle a besoin pour poursuivre ses études. Elle pense donc à travailler. C’est sa tante la Badiene Yaye Binta qui commence à lui chercher du travail. Mais, en cherchant le travail, elle lui cherche également un mari puisqu’elle est en âge de mariage : « Si la jeune fille n’a pas de travail, disait la mère, […] c’est la volonté de Yalla. Donc, il faut la marier, lui trouver un mari. Elle est en âge » (Sembène Ousmane, 1973: 14-15). La mère de N’Goné est complètement convaincue que sa fille a assez d’instruction pour être une bonne secrétaire. Ainsi N’Goné fréquente le bureau d’El Hadji Abdou Kader. D’abord accompagnée de sa tante, puis toute seule elle va chez lui sous le prétexte de chercher du travail. Avec le consentement de la mère de N’Goné, sa tante Yae Binta dirige la besogne habilement. Les deux femmes s’intéressent à ce monsieur très riche, cependant il est un polygame. Elles le préfèrent à tous les amis de la jeune fille qui viennent la chercher pour l’amener au cinéma ou au bal : « Je ne te cache rien de ses fréquentations, reprit la mère. Jusqu’ici, ce soleil d’aujourd’hui, pas un homme digne, sérieux, bien né, n’a franchi notre seuil… Rien que des jeunes gens sans mouchoir de poche, portant des pantalons comme des épouvantails, que je vois tourner autour d’elle. N’Goné est sans cesse au cinéma ou au bal avec eux. Tous ces hommes sont sans travail. Des chômeurs » (Semène Ousmane, 1973 : 15). Bien qu’ils soient célibataires et qu’ils aient le même âge que leur fille, les amis de N’Goné sont considérés comme pas sérieux, pas dignes seulement parce qu’ils sont pauvres ou sans travail. Pour ces raisons, ils sont refusés. Ainsi, issue d’une famille pauvre, N’Goné trouve dans le mariage avec El Hadji Abdou Kader -qui a déjà deux épouses- une solution pour ses problèmes économiques : un homme riche qui loge chacune de ses épouses dans une villa, qui porte son nom. Il a tous les moyens de confort possible. Il peut donc lui assurer une vie aisée et un avenir très agréable pour ses enfants. Pour convaincre sa mère, sa tante lui dit : « El Hadji est un polygame, mais chacune de ses épouses dispose d’une villa, et dans le plus chic quartier de la ville. Chaque villa vaut cinquante ou soixante fois cette baraque. Et pour nous, c’est un beau parti ! Pour N’Goné, c’est son avenir et celui de ses futurs enfants » (Sembène Ousmane, 1973 : 21). Un autre exemple d’un mariage polygame dans lequel l’aspect économique joue un rôle déterminant, est celui de Binetou dans Une si longue lettre de Mariama Bâ. La situation de Binetou est semblable de celle de N’Goné. Ayant grandi dans une famille de ″ndols″ : une famille d’extrême pauvreté, Binetou est l’amie intime de Daba la fille aînée de Ramatoulaye. Les deux jeunes filles sont des compagnes d’études. Elles se préparent au baccalauréat. Binetou est timide, frêle et mal à l’aise quand elle arrive chez son amie, dans la villa de ses parents. Elle y vient souvent dans des vêtements délavés. Sortant de l’adolescence, elle est d’une beauté pure. Modou, le père de son amie commence à s’occuper d’elle. Il la reconduit chez elle en voiture chaque fois sous le prétexte de l’heure tardive. Secrètement il lui achète des robes très coûteuses. Elle explique à son amie Daba en disant : « Je tire leur prix de la poche d’un vieux » (Mariama Bâ, 1979 : 71) sans révéler le nom. Plus tard ce vieux lui propose une villa, une voiture, des bijoux, une rente mensuelle et des frais d’un pèlerinage à la Mecque si elle accepte de se marier avec lui. Pour la jeune fille se marier avec un vieux comme lui n’est pas évident. Bien qu’il l’ait comblée de cadeaux, bien qu’il lui ait promis une vie dont elle n’avait jamais rêvée cette proposition ne l’intéresse pas. Mais le problème réside dans sa mère : « Sa mère est une femme qui veut tellement sortir de sa condition médiocre et qui regrette tant sa beauté fanée dans la fumée des feux de bois » (ibid., 1979 : 71). Cette femme n’est pas contente de sa condition médiocre. Elle regrette son mauvais sort. Elle se plaint à longueur de journée des souffrances et de la vie triste, qu’elle mène. Le mariage de sa fille avec un homme riche tel que Modou est une bonne chance de la sortir de la pauvreté et des douleurs de la privation. Donc, elle supplie sa fille d’accepter ce mariage pour lui donner, comme elle le dit : « Une fin heureuse, dans une vraie maison » (ibid.1979 : 71). De profiter de l’aisance et de la vie agréable que l’homme leur promet. Ainsi Binetou cède à la volonté de sa mère. Elle accepte de se marier avec un vieux, un polygame pour contenter sa mère et sous la contrainte de la nécessité et le manque de moyens. 1.2. Raisons sociales. 1.2.1. Le prestige social. Pour l’homme africain la polygamie est un signe de distinction, de noblesse, d’une place sociale parmi l’entourage. C’est une voie de prestige et une garantie de longue descendance, puisque le prestige social d’un homme vient du nombre de femmes et d’enfants qu’il possède. Tel est le cas d’El Hadji Abdou Kader Béye dans Xala : « Cette troisième union le hissait au rang de la notabilité traditionnelle. En même temps, c’était une promotion » (Sembène Ousmane, 1973 :12). Dans certains cas, la polygamie est également une preuve de richesse. C’est toujours l’homme riche qui peut se marier avec plusieurs femmes parce qu’il doit verser une dot chaque fois qu’il prend une nouvelle épouse. Nous pouvons signaler le nombre de cadeaux, d’argent et tous les dons matériels qu’El Hadji Abdou Kader verse comme dot dans son troisième mariage avec N’Gouné. En plus, se remarier avec une jeune fille telle que N’Gouné est signe de fierté entre les amis : « Tromper une jeune fille ! » (ibid., 1973 : 18). La polygamie est quelquefois non seulement un prestige mais un complément du prestige : On se marie pour la deuxième fois avec une femme instruite, une femme lettrée, une femme, comme on dit, ″évoluée″, surtout si la première épouse est analphabète. Gour Gnak, dans Excellence, vos épouses ! Un personnage important, homme politique appelé pour un avenir brillant, a donc besoin de recevoir des invités de la même importance que lui. Une épouse telle que Kodou sa première épouse, une campagnarde, illettrée, ne peut pas les accueillir comme il faut : « Devant des hôtes venant d’autres Etats africains ou des parlementaires français en visite à Dakar, Goor Gnak hésiterait à se faire accompagner par sa première » (Cheik Aliou Ndao, 1993 : 50). Ainsi, une autre épouse lettrée comme Ndikou institutrice est vraiment très utile à un homme politique comme lui. Parce que, plus qu’accueillir les hôtes respectueux ou dans les moments de réflexion, quand il y a des décisions à prendre, son mari n’hésite pas à s’adresser à elle. Il peut trouver chez elle le soutien dont il a besoin. 1.2.2. La solidarité clanique, alliance politique. Une autre raison sociale derrière la polygamie réside dans le fait qu’en Afrique la polygamie est un outil très efficace pour créer des connaissances et de la solidarité entre des familles de clans différents. Quand on se marie avec une épouse qui n’appartient pas à sa famille, une étrangère d’un autre clan, cela aide beaucoup à créer des liens et des apports sanguins entre des familles de différents clans ou de différents groupes ethniques. Ils se connaissent, ils se regroupent et vivent en solidarité clanique. D’autre part, la polygamie peut être considérée comme un symbole des alliances politiques. Un chef prend une femme dans chacune des lignages ou des clans, cette pratique renforce l’unité de l’Etat en créant un langage commun pour s’exprimer et se comprendre.1 1 Roger Bastide, http://www.innovation-democratique.org/… La polygamie est un facteur d’ouverture, sur les autres, elle permet à la société enfermée de sortir de ses frontières pour contacter des alliances avec d’autres lignées, d’autres clans, et à la limite d’autres peuples, ce qui permet d’élargir le champ de rencontre et de cimenter une plus large la solidarité. Goor Gnak le héros de Cheikh Aliou Ndao se marie avec quatre épouses de quatre clans différents. Un ami lui dit : « Par tes mariages, tu es lié à tous les groupes tu n’ignores pas la notion de solidarité clanique » (Cheik Aliou Ndao, 1991 : 104). 1.2.3. La coutume du lévirat. Le lévirat est une pratique très reconnue, très répandue en Afrique. C’est le mariage d’un héritier avec la veuve de son frère ou de son cousin. (Kembe Milolo, 1985 : 202). En cas de mort du mari, les coutumes exigent que sa femme, qui est devenue veuve, se marie avec le frère de son mari ou de son cousin. Une sorte d’héritage d’épouse puisque selon ce système l’homme peut hériter de ses belles-sœurs. La succession se fait normalement d’aîné à cadet et dans la même génération. La veuve qui refuse de devenir l’épouse du successeur, subit la malédiction. Elle peut être retenue par des superstitions. Dans la plupart des cas ce frère ou ce cousin qui se marie avec la veuve est déjà marié avec une femme ou plus. Mais il faut qu’il respecte les coutumes et les traditions qui sont considérées comme une loi qui règle la vie sociale. En principe la coutume du lévirat vise à protéger les veuves et leurs enfants à la fois. L’homme héritier doit assumer toute la responsabilité des enfants du défunt et les traiter comme ses propres enfants. Beaucoup d’exemples sont donnés dans les romans qui illustrent cette pratique : Fama, dans Les soleils des Indépendances, d’Ahmadou Kourouma, hérite de son cousin en se mariant avec la jeune Mariam, la veuve de défunt Lacina. Un autre exemple, dans Les bouts de bois de Dieu de Sembene Ousmane, Ibrahima, hérite de son frère défunt et se marie avec sa veuve Assitan, qui devenue son épouse selon cette antique coutume. Mais après le vent de modernisme qui souffle sur L’Afrique sous l’influence de la civilisation occidentale, de grands changements, de grandes mutations frappent la société traditionnelle africaine. Comme beaucoup d’autres coutumes et pratiques traditionnelles, le système du lévirat commence à être rejeté ou au moins contesté par des femmes modernes telle que Ramatoulaye dans le roman Une si longue lettre de Mariama Bâ. Elle refuse de se marier avec Tamsir le frère aîné de son mari défunt Moudu. Elle lui dit franchement : «Je ne suis pas un objet que l’on passe de main en main » (Mariama Bâ, 1979 : 85). D’autre part, comme elle se trouve victime de la polygamie elle ne veut pas faire partie de la vie d’un polygame ou être cause des souffrances d’une autre femme. C’est-à-dire pour ne pas renouveler le drame : « Abandonnée hier, par le fait d’une femme, je ne peux allégrement m’introduire entre toi et ta famille » (ibid. 1979 : 128). Dit plus tard Ramatoulaye à un autre prétendant polygame. 1.2.4. Le problème de l’honneur. Un autre facteur qui favorise la polygamie, c’est le problème de l’honneur. Dans les sociétés traditionnelles africaines comme nous l’avons déjà signalé, le mariage est le seul but de la jeune fille dans la vie. Rester célibataire à un certain âge pose un grand problème, non seulement pour la jeune fille mais pour toute la famille qui s’inquiète pour son avenir. La grande inquiétude, le grand souci c’est celui qui concerne l’honneur. Puisque comme principe on croit que l’honneur de la famille est représenté par celui de la fille. Tout le monde craint que leur fille leur apporte le déshonneur. La virginité d’une jeune fille le jour du mariage est une finalité. Pour ne plus avoir ce souci, pour protéger l’honneur et la réputation de toute la famille, on pense à marier la fille très jeune et le plus vite possible, à peine a-t-elle atteint l’âge de la puberté. Dans telle situation, le choix du célibat n’est pas évident, il vaut plutôt mieux opter pour un mariage plural que de rester sans mariage. Ainsi Yaye Binta la Badiene et Mam Fatou la mère de N’Goné dans Xala pensent à marier leur fille très vite avec un polygame pour éviter tels problèmes : « Et si N’Goné ou sa cadette nous ramènent des bâtards, qu’allons-nous devenir ? De nos jours d’à présent, il faut secourir la chance » (Sembène Ousmane, 1973 : 16). 1.2.5. La tyrannie de la belle-mère. Dans certains cas la belle-mère est responsable du deuxième mariage de son fils. Elle l’oblige à prendre une deuxième épouse tout simplement pour punir ou pour se venger de la première. Surtout le mariage ne plaît pas toujours à la belle-famille. Et dans ce cas la jeune mariée subit des épreuves très dures. Puisqu’il lui faut une sorte de respect à la famille de son mari qui dépasse quelques fois les mesures. En particulier à sa belle-mère. Le devoir l’oblige à être complètement soumise à celle-ci. Ce devoir envers la belle mère constitue un fléau dont toute jeune mariée souffre. Elle est ainsi sans cesse victime de la tyrannie de la belle-mère qui a toute l’autorisation d’ordonner, de superviser, d’exiger, de s’approprier ou d’avoir les meilleurs parts de ce que possède ou ce que gagne son fils. Par contre, la jeune mariée doit obéir, respecter, accueillir chaleureusement sa belle-mère et la combler de cadeaux comme ce que Ramatoulaye fait : « Je la recevais avec tous les égards dus à une reine et elle s’en retournait, comblée, surtout si sa main emprisonnait le billet de banque que j’y plaçais adroitement. Mais à peine sortie de la maison, elle pensait à la nouvelle vague d’amies qu’elle devait prochainement épater » (Mariama Bâ, 1979 : 44-45). Il se peut, parfois, que la bru évoluée refuse cette soumission. Elle conteste l’autorité absolue de la belle-mère. Elle préfère vivre loin de sa coupe. Certainement, cela entraîne la colère de sa belle-mère qui n’accepte jamais un comportement pareil de sa bru. Ainsi les problèmes se déclenchent avec le risque de détruire l’équilibre de tout le foyer. Pas de respect réciproque entre les deux femmes. Au contraire elles vivent des hostilités et des querelles permanentes. Le mari qu’on appelle à prendre position se trouve souvent en faveur de sa mère. C’est donc naturel que la belle-mère puisse arracher à son fils une promesse de chasser cette bru très indépendante ou de prendre une autre épouse. Mariama Bâ dans ses deux romans Une si longue lettre et Le chant écarlate aborde la question de la relation entre la bru et sa belle-mère et sa belle-famille. Cette relation qui est dans la plupart des cas très mauvaise. C’est donc une sorte de méchanceté d’un malheur fait d’une femme à sa sœur. Dans Une si longue lettre, Tante Nabou la mère de Mawdo Bâ déteste sa bru Aïsstou. Etant sortie d’une famille royale, elle ne tolère pas que son fils se marie avec une bijoutière, ce qui n’est pas accepté selon la loi de caste. Elle considère cet acte comme une insulte à l’honneur de la famille royale. Elle pense à venger son honneur insulté. Pour achever sa besogne, elle voyage dans son village natal. Elle emmène sa nièce, la petite Nabou son homonyme. Elle l’élève chez elle et la voit grandir devant ses yeux selon les mœurs anciennes. Après, elle demande à son fils de l’épouser. Elle lui dit : « Mon frère Farba t’a donné la petite Nabou comme femme pour me remercier de la façon digne dont je l’ai élevée. Si tu ne la gardes pas comme épouse, je ne m’en relèverai jamais » (Mariama Bâ, 1979 : 62). Puis, elle le menace au cas où il n’accepte pas, disant que : « La honte tue plus vite que la maladie » (ibid., 1979 : 62). Le fils n’a pas le courage de tenir tête à tête sa mère comme tous les autres hommes de sa génération. Il donne poids au passé, qui reste toujours déterminant, malgré la modernité. Le fils, lui, doit dans toutes les occasions obéissance et respect à sa mère qui a l’autorité sur toute la famille. Ainsi il se montre trop faible à défendre sa femme qui est pour lui très chère et qui l’a tendrement aimée. Sans protestation il se résigne à la volonté maternelle et accepte d’épouser pour la deuxième fois sa cousine, la petite Nabou. Et comme excuse à sa première femme, il dit : « Ma mère elle est vieille. Les chocs de la vie et les déceptions ont rendu son cœur fragile. Si je méprise cette enfant, elle mourra. C’est le médecin qui parle, non le fils. Pense donc, la fille de son frère élevée par ses mains, rejetée par son fils. Quelle honte devant la société » (Mariama Bâ 1979 : 48). Il considère son mariage avec sa cousine comme un devoir qu’on doit faire, peu importe qu’il l’aime ou qu’il ne l’aime pas. Ce deuxième mariage est donc fait seulement pour contenter sa mère qui risquerait de mourir de honte et de chagrin. Ainsi pour elle, avec ce deuxième mariage, c’est comme on dit : « le sang retourne à la source » (ibid., 1979 : 167). 1.2.6. La stérilité. La stérilité est évidemment une des raisons de la polygamie, celle qui la justifie le plus chez les africains. Comme nous l’avons déjà signalé, dans les sociétés traditionnelles la procréation, la maternité est l’objectif de tout mariage. Si le mariage est une gloire pour la femme, il perd de sa valeur s’il ne donne pas lieu à un grand nombre d’enfants. Ainsi la femme africaine justifie son existence par ses enfants : « A la femme sans maternité il manque plus que la moitié de la féminité » (Ahmadou Kourouma, 1970 : 52). Si la femme ne peut pas enfanter, toute sa vie devient tragique. Elle devient une personne seule et négligée par les autres, même méprisée: « Dans les sociétés africaines, une femme sans enfant est marginalisée et méprisée » (Felix Amouh, 2001 : 29). La stérilité est donc un cas dramatique. D’abord en ce qui concerne la femme dans sa personne. Puisque, instinctivement toute femme est préparée pour la maternité, pour être mère. Avoir un bébé est un rêve de toute femme. Une partie de la chair qui grandit devant les yeux et lui apporte le bonheur. Etre privé d’enfants cela veut dire être nul même si on possède tout… Voila un petit poème qui montre à quel point la stérilité est mauvaise, à quel point elle peut être une cause de malheur pour la femme. Les sentiments de privation d’enfants dont souffre une femme bien qu’elle soit sujet de l’attention de son mari : « Avoir un enfant, avoir un enfant Ô hommes ! Ce que je veux, c’est un enfant Mon mari m’a donné des boucles d’oreilles en or Ce n’est pas ce que je veux Ce que je veux, c’est un enfant Mon mari m’a donné les robes de l’épouse préférée Mais des robes, ce n’est pas ce que je veux Ce que je veux, c’est un enfant Avoir un enfant, avoir un enfant, Ô hommes » Un passage de la littérature orale, cité par (Jacques Chevrier, 2005 : 302). Cette femme se sent malheureuse bien qu’elle soit gâtée par son mari ce qui est toujours rare pour une stérile. Mais à notre avis, le vrai drame, ce n’est pas seulement être stérile mais c’est de se sentir responsable ou même pire que cela, la culpabilité de cette situation de stérilité. Par conséquent être maltraitée par le mari et par l’entourage. La stérilité est toujours considérée comme féminine et pas masculine. Roger Chemain atteste : « Si l’union demeure stérile, c’est donc la femme systématiquement rendue responsable » (Roger Chemain 1986 : 80). Donc, la femme stérile la plupart du temps peut subir beaucoup de difficultés telles que la répudiation ou la polygamie. Si elle n’est pas capable de rembourser la dot, elle se trouve emprisonnée dans un mauvais mariage parmi des rivales. Donc la stérilité est une des raisons très fortes très justifiées de la polygamie puisque pour l’homme africain la question de la descendance est indiscutable. C’est indispensable pour lui d’avoir beaucoup d’enfants. Cela est dû aux aspects culturels et ethniques. C’est dû également aux croyances religieuses ; le risque que la lignée soit coupée faute de descendance. Si on meurt sans laisser d’enfant c’est un malheur : « Mourir sans laisser personne derrière soit, personne pour porter ton nom, ta lignée s’arrête avec toi » (Sembène Ousmane, 1960 : 212). On met l’accent sur la continuation de la lignée d’où vient le goût pour la famille nombreuse. Les romans africains sont pleins d’exemples lamentables de ces situations qui frappent pas mal de femmes dans la société où la femme doit à tout prix ″produire″ comme la terre à laquelle la poésie de la négritude l’a comparée si souvent. Salimata dans Les soleils des indépendances de Kourouma souffre beaucoup de la stérilité : « Elle avait le destin d’une femme stérile comme l’harmattan et la cendre » (Ahmadou Kourouma, 1970 : 30). Elle se met à se plaindre à Dieu. Désespérée de ne pas avoir de nombreux enfants, elle demande à Dieu de lui accorder un seul enfant, mais elle ne parvient pas à être enceinte : « Un enfant ! Un seul ! Oui, un bébé ! Unique imploration sur cette terre » (ibid., 1970 : 43). Malgré la fidélité de Salimata, malgré sa docilité, son mari n’hésite pas à prendre une deuxième épouse. Il profite d’un voyage au village natal quand il part pour assister aux funérailles de son cousin Lacina. Il se remarie avec Mariam la veuve de son cousin, ″une jeune femme féconde″, comme on dit. Il l’emmène avec lui en ville espérant qu’elle lui donnera une descendance. Pour tout cela on peut dire que la stérilité est considérée comme une des raisons essentielles de la polygamie. 1.3. D’autres raisons. 1.3.1. Protection de la santé de la mère et de ses enfants. Une autre raison intervient en faveur de la polygamie chez les africains, liée à une pratique sociale qui est dictée par les coutumes, les croyances, et l’usage. Cette pratique interdit les rapports sexuels avec la femme qui allaite, qui a ses règles ou qui est enceinte de plusieurs mois. L’homme doit arrêter toutes relations sexuelles avec son épouse après la naissance d’un nouvel enfant. Ils ont la conviction qu’″elles gâteraient le lait″. Cette interdiction peut s’étaler sur une période de dix-huit mois à deux ans, parfois plus. Pendant ce temps, l’enfant continue à prendre le sein de sa mère.1 Cette règle qui est appliquée dans les sociétés traditionnelles vise essentiellement à protéger la santé de la mère et l’enfant en espaçant les grossesses et les maternités de deux ans au minimum. C’est une planification naturelle des naissances. Mongo Béti dans son roman Le pauvre christ de Bomba essaye d’expliquer ces coutumes : « …Tu as tort, mon père ; parce que c’est ce que je te dis là, je te l’ai toujours dit, d’ailleurs, et toi tu n’as jamais voulu me croire. J’ignore comment les blancs s’y prennent, les Noirs, eux, quand leur femme a un nouveau-né s’en écartent pendant un an ; c’est ainsi chez nous et je n’y peux rien. Moi, je connais des gens qui ont essayé de nourrir leur bébé au lait de conserve, mais ça c’est toujours mal terminé » (Mongo Béti, 1956 : 175) (un dialogue entre Zachaire et le prêtre). 1 Roger Bastide, http://www.innovation-democratique.org/… Evidemment la période de abstinence semble parfois longue et insupportable pour un homme. C’est pourquoi l’homme africain a recours à la polygamie. Il y trouve une solution à son problème. S’il a plusieurs femmes, il n’a pas besoin de se sacrifier ou de se comporter immoralement : avoir des relations illégitimes ou recourir aux prostituées. Donc il ne peut pas souffrir de cet interdit. Nous voyons comment Edouard, le mari de Perpétue dans le roman Perpétue et l’habitude de malheur de Mongo Béti -qui prend le prénom de la jeune fille- comment ce mari ne tarde pas à convoler dans un deuxième mariage pendant l’absence de son épouse, quand elle rejoint sa mère dans leur village natal pour l’accouchement de son premier bébé. 1.3.2. Maladie de l’épouse. Parfois il arrive que l’épouse soit atteinte d’une maladie incurable qui ne lui permet pas d’assumer ses devoirs conjugaux. Dans ce cas, au lieu de la répudier ou d’avoir des maîtresses, la polygamie se pose encore comme un choix et peut être une solution. Donc celui qui se trouve dans une telle situation peut prendre une nouvelle épouse en sauvegardant l’ancienne épouse. 1.3.3. Supériorité du nombre de femmes sur celui d’hommes. La supériorité du nombre de femmes par rapport à celui des hommes est certainement un phénomène universel. Mais de toute façon il peut être considéré comme une raison favorable à la polygamie. Nous pensons que ce phénomène est dû à plusieurs facteurs : le fait que l’homme est plus exposé au danger que la femme à cause de la guerre, des travaux durs comme travailler aux mines, aux chantiers, aux usines, etc. Durant les guerres, plus d’hommes que de femmes sont tués. Aussi plus d’hommes que de femmes meurent à cause des maladies ou des accidents. Par conséquent la mortalité chez les hommes est beaucoup plus forte que chez les femmes. Le nombre de ces dernières est donc bien supérieur. Les statistiques montrent que les femmes sont majoritaires dans le monde (Seyed Mojtaba Moussavi, 1993 : 235). L'espérance de vie des femmes est supérieure à celle des hommes donc il est remarquable qu’on trouve toujours partout dans le monde, plus de veuves que de veufs. Cependant il y a à peu près autant de naissances de garçons que de filles. Un autre argument qui justifie la supériorité de la population des femmes sur celle des hommes avance que le système immunitaire de la fille est plus fort que celui du garçon, alors, la fille arrive à mieux combattre les microbes et les maladies que le garçon. C'est pour cette raison qu'au cours de la petite enfance, on enregistre plus de décès chez les garçons que chez les filles.1 Actuellement, en raison de la migration urbaine féminine, dans la quasi-totalité des villes africaines, le nombre de femmes excède nettement celui des hommes (le ratio est de l’ordre de 850 à 900 1 www.bladi.net/forum/46304-lislam-autorise-polygamie/ hommes pour 1000 femmes).1 La supériorité du nombre de femmes sur celui des hommes est donc une vérité confirmée par plus d’un argument, et que personne ne peut nier. Certainement dans telle situation, le nombre d’hommes disposés au mariage est réduit par rapport à celui de femmes. Ainsi il faut trouver une solution pour sauver l’institution du mariage. Sembène Ousmane évoque ce problème dans son roman Xala, quand la Badiene et la mère de N’Goné se montrent très inquiètes sur le sort de leurs jeunes filles avec l’abondance des filles qui attendent un prétendant. Elles ne tolèrent point que leurs filles restent célibataires, toutes seules, sans maris, sans enfants. C’est donc une des raisons pour lesquelles elles acceptent de marier leur jeune fille N’Goné avec El Hadj Abdou Kader qui a déjà deux épouses : « J’ai compris, articula Yay Bineta. Le nombre de filles qui attendent ou espèrent un mari, alignées, peut atteindre Bamako. Et on dit qu’en tête de ligne, ce sont les éclopées » (Sembène Ousmane, 1973 : 16). Ainsi pour résoudre le problème de la supériorité des femmes sur les hommes, en ce qui concerne le mariage, la polygamie propose une possibilité de solution, un choix qu’on peut adopter et en profiter. 1 Catherine Coquery-Vidrovitch, http://clio.revues.org/index373.html. Consulté le 15 juin 2010. 1.3.4. La réponse aux besoins naturels. A ce propos Youssef Al- Garadawi1 affirme que : « ″L’appétit sexuel impérieux″ des hommes est incontrôlable. Il peut les mener à l’adultère. En revanche, celui des femmes est moindre. Les femmes sont indisposées pendant parfois dix jours ».2 Evidemment personne ne peut ignorer les instincts qui sont enfouis dans l’homme quelque soit son intelligence ou son statut. Selon cette loi les désirs et les instincts sexuels sont des besoins naturels semblables à tous les autres besoins qu’un être humain peut éprouver, de manger, de boire et de se vêtir. Même si on doit satisfaire ces besoins, il faut quand même les organiser, les placer dans leurs limites naturelles. Dans son roman Une si longue lettre Mariama Bâ, signale à plusieurs reprises ce facteur en parlant du sujet de la polygamie : « On ne résiste pas aux lois impérieuses qui exigent de l’homme nourriture et vêtement. Ces mêmes lois qui poussent le ″mâle″ ailleurs, je dis bien ″mâle″ pour marquer la bestialité des instincts » (Mariama Bâ, 1979 : 68). Elle décrit la nature de l’homme qui est un mélange d’animalité et de grandeur : « L’homme est grandeur et animalité confondues. Aucun geste de sa part n’est de pur idéal. Aucun geste de sa part n’est de pure 1 (Un religieux et savant musulman sunnite, qatari d’origine égyptienne. Il est président de l’Union Internationale des Savants Musulmans (Oulémas) ainsi que de Conseil Européen pour la recherche et de la Fatwa) 2 www.priceminister.com/.../La-Place-De-La-Femme-En-Islam-Livre.html bestialité » (Mariama Bâ, 1979 : 65). Donc entre la notion de l’animalité et la spiritualité est dans une vision réaliste des choses on peut adopter un comportement modéré. C’est-à-dire ne pas se laisser aller avec les désirs tout comme ne pas les étouffer complètement. D’autre part il advient que l’homme soit en proie aux désirs et à la séduction. Il ne peut résister à une séduction permanente telle que la subit Mawdo à cause de la présence de la petite Nabou, sa cousine chez sa mère : « Voyons, ne fais pas l’idiote. Comment veux-tu qu’un homme reste de pierre au contact permanent de la femme qui évolue dans sa maison » (ibid., 1979 : 68). Donc, dans de telles situations, la polygamie peut donner la liberté de répondre positivement et d’une manière réfléchie à l’appel des désirs. Elle permet une satisfaction équilibrée des besoins. En même temps elle aide à éviter les conduites déviantes qui débouchent sur l’étouffement physique des désirs en proposant un autre choix. Cela justifie la légitimation ou l’autorisation de la polygamie. Dans une société traditionnelle ou musulmane, les relations hors mariage sont interdites, pour des raisons religieuses et sociales, un homme, surtout marié n’ose pas courir après les filles pour établir des relations amoureuses. Celui qui dépasse les cinquante ans, qui est au pouvoir, qui respecte les principes, les normes de religion, les valeurs, les mœurs et les traditions, s’éloigne du soupçon de débauches et d’adultères. Il craint d’être mal vu surtout par ses enfants. S’il lui arrive de penser à une autre femme, qu’il lui porte de l’admiration ou sent des inclinations vers elle, pour l’atteindre, il n’y a qu’une seule possibilité : le mariage, et il faut aller directement chez ses parents et demander sa main et se marier conformément à la religion. Alors l’homme peut réclamer son droit de prendre une autre épouse en profitant de la licence accordée et en ayant recours à la polygamie : « Je suis musulman ; j’ai droit à quatre femmes. Je n’ai jamais menti à aucune sur ce point » dit El Hadj Abdou Kader pour justifier son action (Sembène Ousmane, 1973 : 53). 1.3.5. Le désir de changement. Un des aspects défavorables de la polygamie qui montre la mauvaise utilisation de cette autorisation donnée par les coutumes et les religions, réside dans le comportement de certains hommes. Ceux qui multiplient les mariages, multiplient le nombre de leurs épouses par le désir de changer la saveur, par la joie éphémère de la nouveauté, sans penser à leurs compagnes. Bien sûr telle envie n’est pas publiquement déclarée, mais s’est sentie dans le comportement de certains. Les romanciers démontrent clairement cette attitude qui peut être considérée comme un point négatif de la polygamie : « Ainsi pour changer la saveur, les hommes trompent leurs épouses » (Mariama Bâ, 1979 : 68). Ken Bugul se réfère à ce sujet mais dans une autre optique et avec un ton moins accusateur : « Les meilleurs maris avaient besoin parfois d’une autre présence, pour éprouver d’autres sentiments, pour se comporter différemment, pour baigner dans une autre ambiance si leur femme n’exploitait pas toutes leurs potentialités » (Ken Bugul, 1999 : 195). Evidement, aucun engagement, aucun contrat moral ne lie le mari à sa première épouse ou l’empêche d’en prendre une seconde s’il le désire. Il peut peut-être continuer à prendre plus d’une seule femme. Il peut faire une collection multicolore de femmes. Chacune de ces femmes peut avoir un caractère différent, des qualités différentes, un style différent, une beauté différente et un goût différent. Chacune lui apporte ce qui manque à l’autre, afin que sa joie s’accomplisse. Mais il n’a pas la peine à réfléchir sur tant de choses, notamment les conséquences de son action. Le personnage de Goor Gnak dans Excellence, vos épouses ! incarne parfaitement ce type de maris. Ainsi l’auteur décrit : « Goor Gnak tournait en rond, partageant son oisiveté équitablement entre ses quatre épouses. Chacune lui apportait ce qui manquait aux autres. Du moins essayait-il de s’en persuader, trouvant à celle-ci une petite quelque chose que celle-là n’avait pas » (Cheik Aliou Ndao, 1993 : 48). Un autre modèle de ce type de mari est représenté par El Hadji Abdou Kader dans Xala qui veut trouver dans son troisième mariage un goût tout à fait différent de celui de ses deux femmes : « N’Goné il faut bien le dire, avait la saveur d’un fruit, que ses femmes avaient perdue depuis longtemps. La chair ferme, lisse, l’haleine fraîche l’attiraient vers elle. Entre ces deux épouses, l’exigence quotidienne de ses affaires, N’Goné était la paisible oasis de la traversée du désert » (Sembène Ousmane, 1973 : 18). 1.3.6. La volonté de refaire sa vie. L’attitude ou le comportement des personnages masculins, qu’ils soient principaux ou secondaires dans notre corpus -champ de recherche- nous révèlent un autre aspect, qui est à notre avis, défavorise la polygamie, c’est l’envie d’un vieil homme de refaire la vie avec une nouvelle épouse beaucoup plus jeune que la première. Il arrive qu’un homme, ayant dépassé la cinquantaine ou la soixantaine, déjà père ou même grand-père, cherche à convoler en mariage avec une jeune fille qui a l’âge de ses enfants, comme c’est le cas de plusieurs personnages dans les romans africains tels que : El Hadji Abdou Kader, Modou, Mawdo, Goor Gnak, Moor Ndiaye, etc. A l’inverse de l’homme, la femme peut trouver toute sa joie, tout son bonheur au courant de la vie conjugale quand elle consacre toute sa vie à son mari et à ses enfants. Elle redouble d’effort pour plaire son compagnon, pour être digne de lui. Elle est donc l’image du dévouement et du sacrifice. Mais l’homme dans la plupart des cas oublie tout. Au lieu de récompenser sa femme, il pense à recommencer sa vie avec une autre comme le fait Modou le mari de Ramatoulaye dans Une si longue lettre, après vingt-cinq ans de mariage d’amour : «Alors que la femme puise, dans le cours des ans, la force de s’attacher malgré le vieillissement de son compagnon, l’homme, lui, rétrécit de plus en plus son champ de tendresse. Son œil égoïste regarde par-dessus l’épaule de sa conjointe. Il compare ce qu’il eut à ce qu’il n’a plus, ce qu’il a à ce qu’il pourrait avoir » (Mariama Bâ, 1979 : 80). Evidemment après un quart de siècle de vie conjugale, des grossesses, des accouchements, des allaitements, des peines et des maternités répétées, la jeunesse déserte le corps d’une compagne qui manque de la minceur, de l’élégance. Ses charmes et sa beauté sont évanouis : « L’allaitement avait ôté à mes seins leur rondeur et leur fermeté » ( Mariama Bâ, 1979 : 74). Ainsi aucune comparaison n’est possible entre ce qu’il a à ce qu’il pourrait avoir. Il se demande comment rester toute la vie avec cette seule femme alors que tant d’autres l’intéressent. A l’âge de cinquante ans, après avoir occupé de hautes fonctions, après s’être fort enrichi, après avoir connu le succès social, il entend renouveler sa jeunesse et multiplier sa descendance. Il agit ainsi sans se soucier des profondes blessures qu’il peut causer à sa première, à qui il doit toute sa réussite. C’est peut-être l’égoïsme ou peut-être la vieillesse qui le pousse, lui et ses semblables, vers des chairs plus fraîches, vers de si jeunes filles comme Binetou pour refaire leurs vies. Ainsi, on se sépare de sa femme comme on le ferait pour un boubou usé ou démodé. Chapitre 2 : Les manifestations de la polygamie 2.1. La soumission. 2.1.1. La conception de la soumission. Pour expliquer le terme de soumission, le Petit Robert nous donne plusieurs définitions : La soumission, c’est le fait de se soumettre, d’être soumis (à une autorité, une loi), avec toute une obéissance et sujétion : « la soumission filiale à l’autorité souveraine de l’Eglise ». Une autre définition : la soumission, c’est l’état d’une personne qui se soumet à une puissance autoritaire. Une personne qui se trouve dans une disposition d’accepter la dépendance et de vivre dans l’air de soumission.1 En ce qui concerne la relation homme/femme, en situation de vie conjugale, la soumission veut dire l’obéissance absolue de la femme à son mari. A ce propos, Kembe Milolo affirme que : « L’obéissance au mari est une tradition qui répond à la nature. C’est un penchant naturel de la femme de se mettre consciemment ou inconsciemment à la volonté de son mari » (Kembe Milolo, 1985 : 178). Dans le contexte traditionnel africain, la soumission obéit à une perception particulière, car la soumission est considérée comme une des qualités les plus appréciées chez la femme. Tante Nabou qui donne des leçons à sa nièce ne manque pas de lui enseigner que : « La qualité 1 (Paul Robert, Petit Robert, 1993, Dicrorebert Inc., Montréal, Canada.) première d’une femme est la docilité » (Mariama Bâ, 1979 : 61). Ainsi selon les traditions, l’épouse idéale se distingue par sa docilité, son obéissance et sa soumission. Une attitude qui se conforme aux normes sociales observées par tout le monde. Dès le bas âge, toutes les formations que la jeune fille reçoit visent à enraciner chez elle ces principes. Dans cette formation participent non seulement la mère ou les parents proches mais également les parents éloignés : les tantes, les oncles, etc. Ils répètent les mêmes conseils, les mêmes recommandations le jour du mariage et la nuit des noces. Quand la mariée rejoint le domicile conjugal, elle écoute ces conseils : « Obéis à ton mari, ne cherche rien d’autre que son bonheur, car de lui dépend ton destin et surtout celui de tes enfants. Si tu exécutes ses volontés, tu seras comblée ici-bas et dans l’au-delà et tu auras des enfants dignes et méritants » (Aminata Sow Fall, 1979 : 38). Dans leurs vœux, leurs souhaits d’une vie conjugale heureuse à leur fille, les parents lui font une recette des devoirs : elle doit être patiente, douce, aimable, compréhensive. Plus que tout cela elle doit être soumise : « Tu dois fonctionner suivant le Ndigeul, l’Ordre et te soumettre entièrement, totalement » (Ken Bugul, 1999 : 94). Dans cette structure traditionnelle de la société, dans laquelle la femme éternellement mineure et soumise, l’homme est toujours dominant. Ainsi, à l’opposition de la soumission féminine se pose la domination masculine. L’homme est maître et seigneur. La vie lui donne tous les droits. Il fait ce qu’il veut : lui, il ordonne et elle, elle exécute ses ordres sans la moindre résistance, même les plus capricieux. Comme le constate Lilyan Kesteloot : « Il était le maître et le seigneur. Il se déshabillait où il voulait, s’installait où il voulait, mangeait où il voulait, salissait ce qu’il voulait. Les dégâts étaient aussitôt réparés sans murmure. Dans ce foyer, on prévenait ses moindres désirs » (Lilyan Kesteloot, 2001 : 129). Selon Joseph Ndinda (2002), cette domination masculine se manifeste à deux niveaux : celui de la domination du mâle sur la femelle : « La femme perçoit en lui le mâle dominant par son apparence physique » (Joseph Ndinda, 2002 : 46) et celui de la position sociale de maître d’une famille. « Le rôle de la femme est ainsi réduit à des fonctions de fille, épouse, mère ou prostituée » (ibid., 2002 : 46). Ces fonctions, elle doit les remplir dès son enfance jusqu'à la maternité. Il faut signaler que ce renoncement absolu, cet esprit de sacrifice et d’abandon de toutes joies personnelles de sa part est volontairement accepté pour la bonne marche de son foyer. Car, le repos et le bonheur de ses enfants sont les siens. Il nous semble étonnant de dire que la femme qui souffre beaucoup et qui sacrifie toute sa vie pour la protection de son foyer, qui est assez courageuse à supporter, à faire davantage des sacrifices, cherche l’appui et la protection chez l’homme. C’est peut-être à cause du manque de confiance en soi-même. Il arrive aux femmes de se dévaloriser elles-mêmes et de se croire inférieures par rapport aux hommes. C’est pourquoi à notre avis qu’elles acceptent parfois plus que la soumission, l’humiliation sans protester. A ce propos Catherine Coquery-Vidrovitch indique : « Les femmes avaient d’elles-mêmes une image négative, celles-ci cumulaient le refus de leur reconnaissance comme individu, une existence tout entière consacrée à l’économie domestique et le dressage dès leurs premières années à l’humanité qui leur faisait accepter comme normale une idéologie exclusivement fondée sur le travail » cité par (Joseph Ndinda, 2002 : 31). Cette image négative et dévalorisante de la femme est incarnée par le personnage d’Assitan dans Les bouts de bois de Dieu de Sembene Ousmane. Cette femme se montre tellement effacée au point qu’elle perd confiance au contenu de sa parole. Pendant la grève très célèbre des cheminots dans laquelle les femmes ont participé, Tiemoko lui demande de s’adresser aux femmes afin qu’elles mettent fin au deuil de Fa Keita. En réponse à cette injonction, elle déclare : « Si mon mari était là, il pourrait faire quelque chose, mais moi je ne suis qu’une femme… Et on n’écoute guère les femmes, surtout en ce moment » (Sembène Ousmane, 1960 : 171). Une autre preuve de son indifférence, son manque d’ambition et de pouvoir prendre une décision, même en ce qui concerne ses propres affaires, quand son mari Bakayoko lui a demandé si elle voulait apprendre la langue des blancs : « Assitan, voudrais-tu apprendre la langue des toubabs ? » Tout simplement elle lui répond : « Si tu le veux » (ibid., 1960 : 166). Ainsi nous remarquons que, dans son ouvrage Révolutions et femmes en révolution, Joseph Ndinda met l’accent sur ce qu’on appelle ″ le discours de silence et de soumission″. Ce discours dévoile l’idée que la femme soumise appartient corps et âme à son mari. A titre d’exemple, une femme qui adresse la parole à son fils, lui dit : « Que veux-tu, fils ? Sur cette terre, chacun a son propriétaire, le mien c’est ton père » Thierno Monenembo cité par (Joseph Ndinda, 2002 : 24). 2.1.2. Pourquoi la femme se soumet-elle à la polygamie ? Pour répondre à cette question il faut signaler que la soumission est une attitude adoptée par la plupart des femmes qui ont subi la polygamie surtout celles qui ont grandi dans un milieu traditionnel proprement dit. Bien sûr la première réaction contre la polygamie varie d’une femme à une autre. C’est une question purement personnelle. Autrement dit ça dépend de la personnalité de la femme concernée. De toutes façons la femme manifeste son mécontentement. Mais sous les pressions des contraintes et les obligations qui sont d’une part de la famille et de l’entourage et d’autre part de la société en général, elle cède volontairement ou involontairement à cette situation tellement difficile. Si nous voulons citer les raisons pour lesquelles la femme est soumise, il nous parait évident de dire que, la formation que la femme reçoit, est la première raison par excellence. Ainsi nous pouvons dire que ce choix est motivé par plusieurs facteurs : la formation de la femme, son âge et le milieu dans lequel elle grandit. A partir des ouvrages littéraires étudiés qui abordent la situation de la femme dans la période avant et après les indépendances, presque toutes les femmes sont soumises. Les romans abondent en exemples de ces femmes soumises à la polygamie. Evidemment, plusieurs aspects interviennent dans ce problème : des aspects économiques, psychologiques, sociaux et religieux. Le problème le plus grave réside dans la dépendance morale et économique de la femme sur l’homme. C’est à cause de cette dépendance que la femme se trouve dans une situation très dramatique. Elle ne supporte ni la solitude ni la pauvreté. Surtout celle qui ne travaille pas pense qu’elle ne peut vivre sans son conjoint. C’est lui qui assure sa protection et l’abrite. Même si elle n’est pas heureuse avec le mari, sans lui, la situation serait encore pire surtout avec des enfants : « Réfléchis bien, ma fille ; sans travail, toute seule, que ferais-je de vous si je vous emmenais ? Et si je vous laissais ici, songe à ce que serait ma peine » (Sow Fall, 1979 : 65). Avec l’entourage qui favorise la polygamie, adopter une réaction négative contre cette pratique est tellement difficile, qu’il est inconcevable pour la société qu’une femme se rebelle contre la tradition. Même ses propres parents ne l’admettent pas. La polygamie est une institution sociale qui doit être respectée par tout le monde, que personne ne doit contester. Nous voyons comment Lolli dans La grève des battu de Sow Fall n’ose pas quitter le ménage de son mari après qu’il a pris une nouvelle épouse. Elle a peur d’être maudite par son père et sa mère et tous les membres de la famille. Quand elle proteste, son père lui adresse fermement la parole en approuvant le geste de son gendre parce qu’il est un homme comme lui. Il lui dit : « Lolli, une femme ne doit pas rouspéter. Sache bien que ton mari est libre. Il n’est pas une chose qui t’appartient. Tu lui dois respect, obéissance et soumission. Le seul lot de la femme est la patience ; mets-toi cela dans la tête si tu veux être une femme digne » (Sow Fall, 1979 : 55). Ainsi elle digère difficilement son mal et se soumet à la polygamie pour éviter la colère, la malédiction de ses parents. L’âge aussi est un des facteurs qui joue un rôle majeur dans la question de la soumission à la polygamie. Une femme qui dépasse la cinquantaine hésite beaucoup à prendre une décision de divorce. Comme le répètent presque toutes les femmes soumises, c’est difficile de trouver un homme libre, un homme qui est encore célibataire à cet âge. De plus avec les enfants, le problème devient plus compliqué. 2.1.3. L’image de la femme soumise. 2.1.3.1. Ramatoulaye. Ramatoulaye dans Une si longue lettre de Mariama Bâ est un des exemples de femmes soumises à la polygamie. Le fait qu’elle est une femme moderne, femme urbaine et instruite ne l’épargne pas de ce mauvais sort. Cela montre que ce ne sont pas seulement les femmes villageoises ou illettrées qui subissent la polygamie. C’est vrai, comme nous le voyons, et d’une façon générale, la femme traditionnelle est dans tous les cas soumise (comme on dit) par nature, à la volonté de l’homme. C'est-à-dire à l’autorité de l’homme qui est pour elle le père, le frère ou le mari, surtout le mari. Toutefois, cela ne veut pas forcement dire que toutes femmes modernes se révoltent contre la polygamie. Le cas de Ramatoulaye est un bon exemple. Il nous parait que c’est beaucoup plus convenable de découvrir la personnalité de Ramatoulaye, pour savoir pourquoi cette contradiction : elle est à la fois femme moderne et femme soumise ! Donc pour juger son attitude face à la polygamie, nous allons chercher à savoir : quelles sont les raisons pour lesquelles elle se soumet au ménage polygame ? Quelles sont ses réactions immédiates et celles qui sont définitives…? Ramatoulaye comme nous le savons est le personnage principal du roman Une si longue lettre. Elle est l’expéditrice de cette lettre très célèbre, qui est envoyée à une amie d’enfance. Donc cette lettre, il s’agit d’une évocation des souvenirs très intimes partagés entre elles. Ces évocations sont révélatrices de toute la vie de notre héroïne, ainsi que celle de son amie Aïssatou. Tout d’abord il faut signaler que le personnage de Ramatoulaye, comme c’est le cas de beaucoup de gens de son époque, est une synthèse de deux civilisations : la civilisation africaine et l’européenne. Dans son enfance en fréquentant l’Ecole Coranique, elle commence à acquérir une formation traditionnelle. Plus tard cette formation est très évidente dans son comportement. A titre d’exemple après la mort de son mari et pendant les jours de deuil, elle suit les mêmes pratiques, les mêmes étapes des célébrations traditionnelles qu’on fait et qu’on commence le premier, le troisième, le huitième et qui durent jusqu’au quarantième jour du deuil. Des pratiques telles que l’accueil d’une foule qui vient pour adresser leurs condoléances, les énormes repas qu’on donne à tous les gens qui participent aux cérémonies. Les préparatifs des veuves qui doivent rester quatre mois et dix jours chez leurs maris selon la loi islamique. Ces préparatifs incluent certaines pratiques des superstitions populaires. Ainsi Ramatoulaye raconte : « Nous sommes installées, ma coépouse et moi, sous une tente occasionnelle faite d’un pagne tendu au-dessus de nos têtes. Pendant que nos belles-sœurs œuvrent, les femmes présentes, prévenues de l’opération, se lèvent et jettent sur la toiture mouvante des piécettes pour conjurer le mauvais sort » (Marima Bâ, 1979 : 16). Toutes ces pratiques sont dictées par les croyances et les rites religieux ou païens. De toutes façons, nous pouvons dire que Ramatoulaye est une femme croyante qui jouit d’une foi ardente. La dose journalière des rites religieux : des prières et de la lecture du Coran est révélatrice de sa croyance. D’un autre coté, nous trouvons que notre héroïne fréquente l’Ecole des blancs. Elle y rencontre des filles d’autres pays de l’Afrique occidentale. Elle est très reconnaissante à la femme blanche, la directrice de cette Ecole, puisqu’elle joue un rôle remarquable dans sa vie : « Nous sortir de l’enlisement des traditions, superstitions et mœurs ; nous faire apprécier de multiple civilisations sans reniement de la nôtre ; élever notre vision du monde, cultiver notre personnalité, renforcer nos qualités, mâter nos défauts, faire fructifier en nous les valeurs de la morale universelle ; voilà la tâche que s’était assignée l’admirable directrice » ( Marima Bâ, 1979 : 38). Donc nous constatons que ces deux types de formations laissent des traits remarquables sur le caractère de notre héroïne qui réunit l’originalité et la modernité. Elle est une femme intelligente, pratique, dynamique et prudente. Dans toutes les étapes de sa vie elle montre une ouverture d’esprit. Elle mène une vie joyeuse et ravissante. En évoquant ses souvenirs, elle parle des moments agréables pendant les vacances ; des Fêtes de la jeunesse en pleine nature à la campagne qu’elle assiste. Là, c’est sa première rencontre avec Modou Fall, dont elle tombe amoureuse. Puis, plus tard s’opposant au désir de sa mère, elle se marie avec lui. Après leur mariage, elle exerce son métier d’institutrice avec responsabilité et efficacité admirables. Leur vie est heureuse. Les promenades sur la corniche dakaroise, les soirées dansantes et les fêtes de Noël sont des signes du bonheur et du succès de leur vie conjugale. Mais le destin leur cache une mauvaise surprise. Elle qui aime ardemment son mari n’a pas la moindre pensée qu’un jour, il va prendre une deuxième femme. En principe, si le mari décide de prendre une seconde femme, la première doit être prévenue préalablement, mais à son étonnement Ramatoulaye apprend trop tard la nouvelle, exactement le jour même du mariage. Son mari n’est pas assez courageux pour l’affronter. Il n’est pas capable de donner des justifications à son action. C’est pourquoi il envoie son frère Tamsir, son ami Mawdo et l’Imam pour lui annoncer la nouvelle. Peut-être si elle savait auparavant que son mari a l’intention de se marier, sa réaction ne serait pas la même. Mais à notre avis quant elle apprend la nouvelle, elle réagit d’une manière exemplaire. Devant ce groupe d’hommes, elle sait bien maîtriser ses sentiments. Elle accueille chaleureusement les trois hommes. Elle leur sert la main quand ils prennent congé, les accompagne jusqu’à la porte, les remercie pour la façon humaine dont ils ont accompli leur mission. Elle remercie Modou : « Bon père et bon époux » (Marima Bâ, 1979 :75). Evidemment elle s’efforce d’être normale devant eux et de ne pas montrer son désarroi. Elle ne veut pas leur donner la satisfaction de la voir en mauvais état. Plus tard elle apprend les détails concernant la deuxième épouse. Ce sont des connaissances du Grand-Dakar qui accourent vers sa demeure les lui porter. A son étonnement sa coépouse est l’amie de sa fille Daba. Toutefois Ramatoulaye trouve que cette jeune fille est une victime. Elle est : « Un agneau immolé comme beaucoup d’autres sur l’autel du matériel » (ibid., 1979 : 77). Elle a donc de la pitié pour elle. Ainsi, Ramatoulaye n’écoute pas les conseils de sa fille Daba de prendre une décision de rupture comme son amie Aïssatou. Au contraire, au grand étonnement de toute sa famille et ses amis, elle choisit de rester. Elle trouve que ce n’est pas facile de recommencer à zéro : « Partir ? Recommencer à zéro, après avoir vécu vingt-cinq ans avec un homme, après avoir mis au monde douze enfants ? Avais-je assez de force pour supporter seule le poids de cette responsabilité, à la fois morale et matérielle ? Partir ? Tirer un trait net sur le passé, tourner une page où tout n’était pas luisant, sans doute, mais net » (Marima Bâ, 1979 : 60-61). Ramatoulaye aime son mari, et quand on aime on pardonne. De plus il n’est pas possible de rebrousser chemin ou de refaire sa vie avec un autre homme, elle n’est plus jeune. Dès lors sa vie change : « J’étais préparée à un partage équitable selon l’Islam, dans le domaine polygamique. Je n’eus rien entre les mains » (ibid., 1979 : 88). Mais hélas ! Modou s’en va avec sa jeune épouse et les abandonne : « Il ne vint jamais plus ; son nouveau bonheur recouvrit petit à petit notre souvenir. Il nous oublia » (ibid., 1979 : 89). La déception de Ramatoulaye est incroyable. Elle est choquée par l’attitude de son mari, son compagnon. Elle est touchée dans son amour qu’elle croyait réciproque. Son drame dépasse toutes les limites car elle se trouve complètement abandonnée. Elle est comme : « Une feuille qui voltige mais qu’aucune mains n’ose ramasser » (ibid., 1979 : 102). Heureusement, cette dame a un caractère fortement solide. Elle a de la patience, de la volonté de fer. En tant que musulmane, croyante et pratiquante elle ne peut pas nier une permission donnée par sa religion à son mari et à tous les hommes en général. Dans la religion elle trouve le courage d’affronter les problèmes de la vie quotidienne. Comme tous croyants, elle considère son échec comme une mise à l’épreuve par Dieu pour mesurer sa foi. Elle se persuade de ne pas se plaindre, de ne pas se révolter car il y a d’autres femmes qui ont moins de chance qu’elle. Elle se remet à la Volonté de Dieu avec humilité. La vie n’est pas toujours belle ou heureuse. Il faut apprendre à supporter les coups du sort : « Je comptais les femmes connues, abandonnées ou divorcées, de ma génération » (Mariama Bâ, 1979 : 81). Donc pour se distraire, pour oublier ses douleurs, elle s’intéresse au cinéma. Toute seule elle fréquente les salles de cinéma sans accorder aucune considération aux gens qui la regardent curieusement. Ils n’ont pas l’habitude de voir une femme mûre sans compagnon. La radio joue également un rôle consolateur dans sa vie. Alors, Ramatoulaye finit par se résigner, accepter son destin et se soumettre à une polygamie qui n’est pas équitable comme elle le croyait. Elle pense à ses enfants, à leur avenir, et elle décide de consacrer sa vie à leur éducation. Pour eux elle devient à la fois, le père et la mère. Enfin la mort soudaine de son mari est une délivrance de cette situation critique. Et elle continue courageusement à jouer son rôle avec efficacité incomparable. Ramatoulaye est une femme sensible. Elle raconte, d’une façon très émouvante, son drame et celui de son amie. Elle est une incarnation de la femme de l’indépendance. La femme qui, loin de la politique, assume son rôle dans la vie sociale. Elle lutte contre les coutumes, les traditions dont la femme africaine souffre depuis longtemps. Il lui arrive de se débarrasser de quelques-unes. Mais à sa déception, elle se heurte à une des plus grandes : celle de la polygamie. 2.1.3.2. Adja Awa Astou. Adja Awa Astou est la première épouse d’El Hadji Abdou Kader Baye, dans le roman de Xala de Sembène Ousmane. Elle est une femme traditionnelle, femme parfaite comme le disent les amis de son mari. Pourquoi ? Toute simplement parce qu’elle est une femme soumise par la nature à son mari. Bien qu’elle soit issue d’une famille chrétienne, d’un milieu qu’on juge défavorable pour la polygamie, elle accepte de vivre dans un ménage polygame. Après le deuxième mariage de son mari, elle obéit à la loi de la polygamie sans dire un seul mot et c’est le cas après son troisième mariage. Cette femme se convertit à l’Islam uniquement après sa rencontre avec El Hadji Abdou Kader. Elle s’appelait Renée. Persuadée de son amour pour ce monsieur, elle apostasie de sa confession chrétienne, elle embrasse l’Islam et se marie avec un musulman. Elle prend le prénom d’Awa, un prénom arabe qui veut dire Eve, la première femme sur la terre. Son père Papa Jean qui est très connu dans la ville par son assiduité aux messes n’est pas d’accord avec ce mariage. Il sait beaucoup sur ce musulman, sur ses activités syndicales. Il ne le voit pas comme gendre associé éventuellement à sa famille. Quant il apprit que sa fille aime ce monsieur, il devient très inquiet. Mais sa fille qui n’a pas à l’esprit l’opposition entre les religions insiste pour se marier avec lui. Depuis sa conversion à la foi musulmane, elle cesse peu à peu de fréquenter sa famille. Elle rompt totalement avec elle après l’enterrement de sa mère. Mais elle ne les oublie jamais. A l’époque de leur mariage, El Hadji Abdou Kader Baye n’est qu’un instituteur. Il l’amène à la Mecque dans un pèlerinage au lieu saint de la Kaaba. Elle est très dévouée à son nouveau dogme. Ce pèlerinage lui donne le titre d’ « Adja » et celui d’ « El Hadji » à son mari. Un signe de respect pour les personnes religieuses et croyantes qui font le pèlerinage. Comme toutes ses coépouses , Adja Awa habite dans une grande villa de luxe, avec un salon surchargé de meubles, une automobile avec un chauffeur-domestique pour amener les enfants dans les différents établissements scolaires. Tout cela reflète l’aisance et la vie confortable qu’elle mène chez son mari. De plus l’auteur lui dessine une image très admirable puisqu’elle réunit des qualités physiques et morales les plus estimables : beauté de corps, pureté de l’âme : « La mère, Adja Awa Astou, son âge, trentesix à quarante ans, six enfants, avait conservé un corps élancé. Le teint d’un noir tendre, le front bombé, la ligne de nez délicat, un rien élargi, un visage qui animaient des sourires retenus, le regard candide derrière des yeux en amande, il émanait de cette femme d’apparence fragile une volonté et une ténacité sans bornes. Elle ne se vêtait que en blanc, depuis son retour du Lieu Saint, de la Kaaba » (Sembène Ousmane, 1973 : 24). Cette femme est très sincère, très fidèle à son mari, malgré ses attitudes polygames. Elle a six enfants et sa coépouse Oumi N’Doye en a cinq. Sa fille aînée s’appelle Rama. Elle est étudiante à l’université. Quand son mari décide de prendre une troisième femme, il les informe, donc les deux coépouses doivent participer au mariage. Malgré la contestation de Rama, elle fait acte de présence faute d’être jugée comme jalouse. A notre avis la présence des coépouses le jour du troisième mariage de leur mari est une pratique anormale. C’est une épreuve très difficile qui met les nerfs à vif de tout le monde. Les moments de leur présence dans la fête prolongent leur embarras. Les coépouses sont épiées par tout le monde. Toutes leurs actions et les moindres de leurs réactions sur les visages sont observés. Certainement elles ne viennent pas volontairement ou avec gaité du cœur à cette cérémonie. Mais comme le dit Rama à sa mère : « Tu ne vas là-bas que pour les gens, de peur qu’ils médisent de toi » (Sembène Ousmane, 1973 : 26). Donc il faut qu’elles soient prudentes et qu’elles ne perdent pas l’équilibre dans tous les comportements, ce qui est tellement difficile. Très affligée, très triste, Adja Awa retourne chez elle après la fête. Elle se sent légèrement souffrante, mais elle essaye de dissimuler son affliction, de dominer ses colères, de ne rien laisser paraître à ses enfants qui l’assaillent de questions sur le déroulement de la cérémonie. Adja Awa qui n’a pas d’amies se trouve toute seule, très isolée. Elle veut se confier, vider son cœur, mais à qui ? Elle pense à son père qui lui manque énormément. Enfin elle commence à se rapprocher de sa fille aînée. Tous les soirs, Rama rentre tôt pour être à côté de sa mère et lui tenir compagnie. Rama cherche à consoler sa mère et à apaiser le feu qui la dévore. Pour cette dernière, la vie ne coûte rien. Deux choses seulement deviennent la cause de son existence : la religion et l’éducation de ses enfants. Evidemment, en ce qui concerne la polygamie, Rama n’est pas de l’avis de sa mère. Quant elle apprend la nouvelle, elle demande à sa mère de divorcer. Mais sa mère lui répond après des réflexions bien mûres : « Tu me conseilles de divorcer ? Où irais-je, à mon âge ? Où trouvais-je un mari ? Un homme de mon âge encore célibataire ? Si je quittais votre père, avec de la chance, et avec la volonté de Yalla, si je trouvais un mari, je serais troisième ou quatrième. Et vous, qu’est ce que vous deviendriez ? (Sembène Ousmane, 1973 : 26). Donc pour toutes ces considérations, Adja Awa Astou se soumet à la polygamie. Elle n’a pas d’autres choix, surtout avec des contraintes telles que : l’âge, les enfants, et le fait qu’elle n’a pas de travail. D’autre part, en tant que femme musulmane, croyante, elle aussi ne peut renier une autorisation donnée à son mari par la religion. Alors, elle n’a pas d’autres choix que d’accepter. Il faut souligner que ce n’est pas la première fois qu’elle accepte d’avoir une coépouse. Car, à peine, après trois ans de leur mariage, son mari prend une deuxième femme. Ainsi comme nous le voyons ce n’est pas seulement accepter d’être soumise et d’assister au troisième mariage de son mari. Si nous contemplons la vie de cette femme qui est, dans l’optique des amis de son mari, épouse exemplaire, nous trouvons qu’elle a vécu presque toute sa vie conjugale dans la polygamie. Bien sûr elle ne choisit pas ce type de vie, mais comme beaucoup d’autres femmes qui lui ressemblent, elle se trouve dans des contraintes implacables. Enfin elle finit par s’adapter sinon elle sera soumise à d’autres types de souffrances. En comparant ces deux personnages, Ramatoulaye de Mariama Bâ et Adja Awa Astou de Sambène Ousmane, qui représentent les femmes soumises, nous identifierons beaucoup de ressemblances, de points de rencontre dans leurs caractères, à la fois sur le plan physique et moral. A notre avis c’est pourquoi elles ont les mêmes attitudes vis-à-vis de la polygamie. Nous voyons que les deux femmes se marient après une histoire d’amour très violente. Elles se battent avec acharnement pour sauver leur amour. Autrement dit, elles se marient contre la volonté de leurs familles ce qui est très rare à cette époque-là. Les deux femmes sont les premières épouses qui accompagnent leurs conjoints dès leur jeunesse et qui sont des témoins de leur réussite et leur ascension professionnelle. Les deux femmes mènent chez leur mari une vie considérablement aisée et confortable. Les deux sont des femmes croyantes, pratiquantes qui trouvent refuge dans la religion aux moments difficiles de leur vie. Pourtant leur formation n’est pas tout à fait traditionnelle ou musulmane. Les deux femmes ont à affronter le mécontentement de leurs enfants qui sont contre le mariage de leurs pères, surtout leurs filles aînées Rama et Daba. Les deux femmes pensent que leurs nouvelles coépouses sont des victimes, sinon elles n’acceptent point ce type de mariage. Tout de même les deux femmes restent fidèles à leur maris, et à leur amour jusqu’au bout. Ainsi l’amour peut être considérée comme une des raisons pour lesquelles la femme se soumet à la polygamie. 2.2. La révolte. 2.2.1. La conception de la révolte. Dans cette partie, nous abordons en général le thème de la révolte et nous appuyons précisément sur la révolte de la femme africaine contre la polygamie. Puis nous allons présenter quelques images de femmes révoltées, celles qui figurent dans certaines œuvres littéraires de romanciers africains. Tout d'abord nous commençons par la conception de la révolte. Pour plus d'explications, il nous paraît très important de donner la définition du terme révolte. Selon la définition la plus courante, la révolte est une action collective généralement accompagnée par la violence par laquelle un groupe se révolte contre l'attitude politique, la règle sociale établie. Elle exprime la désobéissance, l’insoumission et l’insubordination. La révolte est une résistance, une opposition violente et indignée. Une attitude de refus et d'hostilité devant une autorité ou une contrainte. 1 D'autres définitions : en étymologie, le mot révolte vient du latin revolvere, rouler en arrière. Une révolte est un soulèvement collectif 1 (Petit Robert, 2010 : 2245). contre une autorité établie ou un pouvoir officiel. Ce terme générique recouvre plusieurs types d'évènements allant de la rébellion ou de la mutinerie à l'insurrection. Quand elle n'est pas avortée, elle peut déboucher sur une révolution. Plus généralement le terme révolte désigne une opposition violente à une contrainte ou un sentiment de refus et d'indignation face à une situation considérée comme intolérable. Elle peut être collective ou individuelle. Une révolte peut être motivée par un sentiment d'injustice ou par le refus d'obéissance ou d'allégeance à une autorité jugée illégitime.1 On peut observer que, dans les romans de l'Afrique de l'Ouest, le discours de la révolte s'oppose à celui du silence et de la soumission. Ainsi la révolte veut dire les attitudes de refus qui expriment la réaction contre certaines coutumes et certaines règles sociales bien qu’elles soient fortement établées et enracinées dans la société africaine. Quand on parle de la révolte dans le contexte africain à notre avis deux facteurs interviennent : 1- facteur intérieur 2- facteur extérieur Pour le facteur intérieur, comme le décrit Joseph Ndinda (2002), il s'agit d'une situation explosive qui gagne la société africaine après des 1 haste://www.org/Dictionnaire/Révolte-hem) ères de silence et de soumission. Un refus total contre toutes les contraintes sociales ou traditionnelles. Contre des mœurs et des pratiques considérées comme démodées par les nouvelles générations. Révolte contre les oppressions et l'autorité des vieux, contre les fausses croyances, contre les chaînes qui accablent les gens et qui rendent leur vie insupportable. Le facteur extérieur nous semble aussi important que celui intérieur, puisqu'il favorise la révolte. Il s'agit de l'influence de la civilisation occidentale sur l'Afrique d'une façon générale. A partir de la fin du dix-neuvième siècle et pendant l'époque coloniale, les sociétés africaines voient une grande mutation de la vie, un grand changement au niveau politique, économique et culturel. Dans son roman L'Enfant noir Camara Laye réfère à cet événement : « Le monde bouge, le monde change. Et le mien plus rapidement peutêtre, et si bien qu'il semble que nous cessons d'être ce que nous étions. Qu’au vrai, nous ne sommes plus ce que nous étions, et que déjà nous n'étions plus exactement nous-mêmes dans le moment où ces prodiges s'accomplissaient sous nos yeux. Oui le monde bouge le monde change... » (Camara Laye, 1953 : 91). C'est donc pour suivre la culture occidentale qu'on s'éloigne davantage de la sienne. Cela correspond à une action de déculturation et d’acculturation à la fois. Ainsi, à propos de la révolte, nous retenons la perspective de Laye et de Ndinda puisqu'elles s’adaptent mieux à l'analyse que nous procédons. Evidemment le passage de la vie traditionnelle à la vie moderne n'est pas une chose facile, c'est même dramatique. Hubert de Leusse dans son ouvrage Afrique,Occident-Heurs et Malheurs d'une rencontre, atteste que l'évolution du pays noir est dramatique et que : « L'accession à la vie moderne ne se fait pas sans arrachement, sans heurt, sans souffrances. La famille et les religions (traditionnelles) s'en trouvent atteintes » (Hubert de Leusse, 1971 : 39). C'est donc dans cette période que commence ce qu'on appelle la rencontre des cultures et des religions. L'introduction de l'Ecole des blancs est la voie vers la modernité. Ce sont les jeunes gens en particulier qui embrassent cette modernité. Ils se révoltent contre tout ce qui est vieux tout ce qui est traditionnel. Ils confondent les vieux et les traditions. Les traditions n'avancent plus avec leur postulat et les vieux cessent d'avoir le même rôle qu’auparavant : « Dans cette ère, la jeunesse s'oppose à un monde qu'elle trouve obsolète. C'est-à-dire qu'elle se heurte aux anciens vivants, incarnation d'une tradition qui endigue ses veillés de libération, alors que se libérer de la tradition » (Félix Amoah, 2000 :75). Pour eux les européens servent de bon modèle. La manière dont ils s'habillent ou se coiffent, la musique qu'ils écoutent, etc. En somme tous les comportements des jeunes sont des manifestations de leur révolte, leur envie de se libérer du passé. Ainsi on distingue deux types de révolte : - La révolte personnelle : c'est le fait de s'opposer à des décisions prises par la famille d'un « individu » ou par la communauté. Il réussit parfois à se libérer des pressions exercées sur lui. Le cas le plus courant de ce type de révolte se produit quand la famille ou la communauté impose un conjoint contre le gré du jeune homme ou de la jeune fille à marier. Cette révolte peut tourner mais la victoire se paie cher à l'occasion. - La révolte sociale : et celle-là est illustrée fort bien par Sembène Ousmane dans son œuvre Les bouts de bois du Dieu dans laquelle il crée de nombreux personnages pour représenter le plus complètement possible la réalité et pour souligner une nature collective de la lutte (Claire L. Déchons, 2002 : 250). 2.2.2. La révolte de la femme. Il va de soi que la révolte de la femme n'est pas un acte nouveau ou bien moderne. Les légendes de l'antiquité grecque nous informent sur des femmes révoltées telle que Antigone. Cette jeune fille bien qu'elle soit « maigre, noiraude et refermée que personne ne prenait au sérieux », comme décrite par l’auteur, (Jean Anouilh, 1946 : 9), elle se dresse seule devant son oncle le roi Créon et dit non. Payant, sans regret, toute sa vie au prix de la révolte. Récemment et dans son ouvrage Trois femmes puissantes de Marie Ndiye, publié en 2009, décrit l'histoire de trois femmes qui révoltent, qui disent non. Elles s'appellent Norah, Fanta et Khady Demba. Chacune de ces femmes se bat pour préserver sa dignité contre les humiliations que la vie lui inflige avec une obstination méthodique. Donc la révolte chez la femme est un thème qui est à la fois vieux et actuel et qui traverse le temps. Les femmes sont les premières à ressentir, dans leurs foyers, les conséquences de grands bouleversements sociopolitiques en Afrique. Le changement remarquable du mode vie se manifeste par la révolte contre toutes les idées traditionnelles sur le rôle traditionnel de la femme. Comme l'homme, elle sort, elle travaille au bureau. Elle n'est plus consommatrice ni dépendante. Elle gagne sa vie, elle assure le pain à d'autres membres de famille, notamment ses enfants, donc pourquoi la soumission totale ? Ainsi, la situation de la révolte chez la femme africaine commence-telle d'abord comme une mutation intérieure, une métamorphose ontologique profonde. Le statut dévalorisant ou plutôt marginal, les sentiments de victimisation socio-sexuelle, tout cela prépare déjà la révolte de la femme et la prise en charge d'une action et d'un contre discours libérateurs. C'est donc malgré et surtout à cause des traitements subis par les femmes que s’impose l'émergence des voix et des corps féminins. C'est après des périodes de silence que les femmes africaines ont une présence physique et morale. Cette présence entraîne d'une manière ou d'une autre la prise de parole publique, un privilège qui dans la plupart des sociétés était réservé aux hommes (Joseph Ndinda, 2002 : 95-110). Ainsi, Penda dans Les bouts de bois du Dieu prend la parole : « Je parle au nom des femmes, mais je ne suis que leur porte-parole. Pour nous, cette grève c'est la possibilité d'une vie meilleure » (Sembène Ousmane, 1960 : 288) et plus loin c’est une autre femme qui s’exprime : « Soudain, une voix féminine se leva : je voudrais dire... qui a parlé au fond ? demanda Konaté... » (ibid.,1960 :288). Et cette fois c'est Madame Sofi, un autre personnage féminin (dans le même roman) qui prend la parole. Ce discours féminin dévoile qu'au plan social les femmes ont désormais un nouveau rôle à jouer et à l'avenir elles auront certainement leur mot à dire pour une action sociale concertée. Evidemment l'instruction est un facteur indispensable pour préparer la femme à la révolte puisque pour elle l'Ecole n'est pas seulement un lieu d'initiation à la modernité mais également le lieu au sein duquel la femme prend le premier pas vers la libération. Ainsi quand il laisse sa fille fréquenter l'Ecole, le père craint que sa fille un jour refuse le gendre qu'il aura choisi pour elle. Et certainement ses soucis sont justifiés. Les romans citent maintes fois des cas de filles qui refusent de se marier contre leur gré, à titre d'exemple, Ramatoulaye dans Une si longue lettre de Mariama Ba. Elle refuse Daouda Dieng un prétendant très apprécié par sa mère. Elle refuse également la dot qui est considérée indispensable pour tout mariage. Ce refus ne se conforme ni aux mœurs ni aux coutumes mais il exprime un état de révolte. Instruite et cultivée, la femme moderne est devenue plus consciente de sa situation actuelle, son rôle dans la famille, dans la société. Plus ouverte sur le monde : « Tout le monde lisait journaux et revues, l'Afrique du Nord bougeait » (Mariama Bâ, 1979 : 53). Donc la femme africaine est plus informée de la campagne de la libération menée par les femmes de monde entier. Toute aspiration de voir le visage de L'Afrique nouvelle. Une Afrique où le droit de la femme est défendu. Cette période transitoire de vie de la femme africaine est parfois empreinte des idéologies socialistes ou communistes. Les idées progressistes des mouvements féministes sont partout : « Loli s'était ouvert les yeux en fréquentant le monde. Elle avait vu que les femmes n'acceptent plus d'être considérées comme de simples objets et engageaient une lutte énergique pour leur émancipation; partout, à la radio, dans les meetings, dans les cérémonies familiales, elles clamaient que, au point de vue juridique, elles avaient les mêmes droits que les hommes ; que bien sûr elles ne disputaient pas à l'homme sa situation de chef de famille, mais qu'il était nécessaire que l'homme fût conscient que la femme est un être à part entière, ayant des droits et des devoirs » (Aminata Sow Fal, 1979 : 59). Les femmes, telle que Ramatoulaye, représentent dans la fiction celles de leur génération, des pionnières de la promotion de la femme africaine. L'enseignement qu'elles ont reçu les prépare pour une mission émancipatrice des femmes. Elles assument leur rôle avec toute responsabilité. 2.2.3. La prostitution comme thème de révolte. L'évolution considérable de l'image de la femme dans l'écriture littéraire au cours des années se manifeste par une nouvelle représentation de l'image de la femme, la femme révoltée, celle de la prostituée. Évidemment, cette image est complètement contraire à celle de la femme traditionnelle louée par la plume de l'homme à la veille des indépendances. Dans l'écriture féminine qui explore des zones telles que la sexualité, le désir, la passion, l'amour, le thème de la prostitution s'inscrit dans une attitude de révolte de la part des femmes écrivains. Il peut être considéré comme une réaction vis-à-vis du conformisme et de la pudeur qui caractérisent l'écriture masculine. Ces propos traduisent une nouvelle vision des rapports homme/femme qui peuvent être perçus comme une revanche de la femme sur l'homme. C'est une façon de s'exprimer, de dire non contre un marginalisme, contre un déséquilibre des rapports dont la femme souffre beaucoup. Malgré les regards accusateurs portés par la société sur la prostituée : femme immorale, débauchée, non respectée, etc., nous remarquons l’émergence de l’image de la femme prostituée. C’est une nouvelle représentation de l’image de la femme.1 Pour donner un exemple, tous les personnages féminins de C'est le soleil qui m'a brulée de Calixthe Beyala tournent autour de l'enjeu de la prostitution. Anteba une jeune fille âgée de dix-sept ans, son amie Irène, Betty sa mère et Adea sa tante, toutes ces femmes choisissent la prostitution comme mode de 1 : http://briska.unblog.fr/2008/09/22/prostitution-et-emancipation-feminine-une-lecture-dangelerawiri-par-affin-o-laditan/ vie. Se moquant donc de tous les principes, toutes les règles qui règnent sur la société traditionnelle, la femme se sent libre : « On n'a pas besoin de la virginité des jeunes filles pour défendre nos valeurs » (Calixthe Beyala, 1987 : 67). Elle parle de ce qu'on appelle l'appropriation du corps : « Après tout c'est leur corps. Elles ont le droit d'en faire ce qu'elles veulent » (ibid., 1987 : 66). La femme qui se fatigue avec l'homme ne pense plus à le contenter : « ...Qu'attend donc l'homme de la femme? Bouge pas et baise. Quand elle ne bouge pas, il lui reproche sa passivité. Quand elle bouge, il lui reproche sa témérité » (ibid., 1987 : 46). Pour sortir de cette perplexité, il lui suffit de dire non. La révolte de la femme ne doit pas être perçue comme un combat entre deux partenaires homme et femme, c'est ce qu'on ressent en lisant le roman de Calxithe Beyala C'est le soleil qui m'a brulée. Dans ce roman l’auteur met toutes les responsabilités de l'injustice sociale dont la femme souffre sur le dos de l'homme. Selon lui il faut se révolter, il faut se libérer de l'oppression de l'homme. A notre avis l'injustice sociale dont la femme souffre est le fait de toute la société. La femme est la première responsable de son sort. Donc la lutte doit être commune aux hommes et aux femmes. Une lutte qui doit être contre toutes formes de préjugés sociaux et moraux. C'est déjà le cas dans la grève des cheminots où les femmes participent à côté des hommes dans une lutte collective pour améliorer leur vie. (Sembène Ousmane, 1960). On trouve également des hommes qui sont pour la cause de la femme. A titre d'exemple, Daouda Dieng qui est un député à l'Assemblée nationale. Dans cette Assemblée, les femmes ne sont représentées que par quatre sièges. Mais Daouda dans ses arguments défend toujours la femme au point qu'il est décrit comme féministe par d'autres membres de l'Assemblée : « A qui t'adresses-tu, Ramatoulaye ? Tu as les échos de mes interventions à l'Assemblée nationale où je suis taxé de ''féministe''. Je ne suis d'ailleurs pas seul à insister pour changer les règles du jeu et lui inoculer un souffle nouveau. La femme ne doit plus être l'accessoire qui orne. L'objet que l'on déplace, la campagne qu'on flatte ou calme avec des promesses. La femme est la racine première, fondamentale de la notion où se greffe tout apport, d'où part aussi toute floraison. Il faut inciter la femme à s'intéresser d'avantage au sort de son pays » (Mariama Bâ, 1979 : 116-117). Donc nous sommes d’avis qu'une révolution féminine qui écarte délibérément les hommes ne peut à elle seule permettre celle de la société. Nous partageons l’avis de Kembe Milolo que la libération de la femme découle des processus généraux de la libération de toute la société (Kembe Milolo, 1985 : 189). 2.2.4. La révolte contre le mari. La révolte contre le mari est un comportement anormal chez la femme africaine. Elle s’avère comme une manifestation d’une nouvelle attitude adoptée par certaines femmes. Elles sont représentées par Sine la deuxième épouse de Mour dans La grève des battu d'Aminata Sow Fall. Le langage avec lequel Sine, parle avec son mari, exprime sa révolte, sa contestation de la mentalité féodale masculine autoritaire de ce dernier. D'ailleurs c'est une preuve d'un renversement de rôle entre homme/femme. (André-Patrick Sahel : 2009). Quand Mour ordonne à Sine d'arrêter de fumer disant que c’est une des habitudes et des manières d’être qui ″ne collent pas à sa peau″, elle lui adresse la parole avec un ton endurci, même méprisant en lui disant: « Tu raisonnes en homme du Moyen-Age. Et puis, réfléchis un peu, quand nous nous sommes mariés, c'est comme ça tu m'a trouvée. Maintenant tu veux que je change tout simplement parce que je suis devenue ta femme. C'est illogique! Tu devrais pouvoir me supporter telle que tu m'as trouvée » (Aminata Sow Fall 1979 : 163). Elle continue : « Si tu crois que j'accepterai d'être planquée ici comme un meuble et de ne recevoir que des interdictions et des ordres, tu te trompes ! Je suis une personne et non un bout de bois » (ibid., 1979 :162). 2.2.5. La révolte contre la polygamie. Contrairement aux femmes qui appartiennent aux systèmes traditionnels avec des opinions en faveur de la polygamie, les femmes les plus jeunes qui ont bénéficié d'une certaine instruction dans les écoles, s'opposent à la polygamie. Elles chérissent trop leur liberté. Certaines d'entre elles se dressent même contre le mariage. Elles assument leur responsabilité dans la société moderne. Elle se rendent compte qu'elles ne peuvent s'accomplir pleinement que si elles n’acceptent pas d'être sous la tutelle d'un homme moins qu'un polygame : « Nous voulions être affranchies de la tutelle d'un mari, être nos propres maîtresses, acheter ce que nous voulions sans avoir à s'expliquer ou à attendre qu'une tierce de personne nous donne de quoi le payer : en somme être libre » Sembène Ousmane cité par (M.I.Ijere, 1988 : 48-49). Évidemment l'épouse légitime n'accepte pas la présence d'une coépouse à ses côtés d'autant plus une instruite ou cultivée. Ramatoulaye se sent très gênée à cause de la présence de Bintou à côté d'elle pendant les premiers jours de veuvage, pourtant leur époux est mort ! Ainsi parlant des amies de sa mère Rabbi dit : « Chacune d'elles auraient voulu avoir un mari à elle seule » (Aminata Sow Fall, 1979 :63). Dans le même roman, la Grève des bàttu d'Aminata Sow Fall quand Loli apprend de son mari que quelqu'un lui ″donne″ une seconde épouse, très choquée, non capable de maîtriser ses nerfs, elle lui dit : « On te ″donne″ une femme ! Et tu me prives de mon sommeil ! Tu me réveilles au milieu de la nuit pour m’apprendre qu’on te donne une femme demain ! » (ibid.,1979 :57). Et nous lisons un tel commentaire de l'auteur qui analyse le cas : « ... En d'autres temps oui, elle aurait pu supporter, elle aurait enregistré l'évènement avec indifférence, mais maintenant ″les temps ont changé, mon gars″ (ibid., 1979 : 59). Ce n’est donc, pas comme auparavant, Loli, et d’autres femmes auraient aussi leur mot à dire. 2.2.6. Images des femmes révoltées contre la polygamie. Dans les romans étudiés, nous pouvons dégager deux types d'images des femmes qui se révoltent contre la polygamie: Le premier représente les jeunes filles de la nouvelle génération, qui ne sont même pas mariées mais qui consolent leurs mères victimes de la polygamie. De plus, comme toutes les jeunes filles de leur époque, elles se révoltent contre toutes les coutumes, toutes les pratiques traditionnelles considérées comme démodées surtout la polygamie. Pour ce premier type de femme révoltée, nous signalons à titre d'exemple ces trois filles qui se dressent violemment contre la polygamie : Rabbi, Daba, Rama. Elles pensent que la polygamie doit être supprimée : « On devrait supprimer la polygamie, c'est une pratique qui ne se justifie plus de nos jours » (Amiata Sow Fall, 1979 :60). Le deuxième type d'image représente les jeunes femmes instruites ou modernes qui se trouvent dans la situation de la polygamie c'est-à-dire dans un ménage polygame et qui concrétisent leur révolte par un acte de rupture définitif. Et c'est le cas de Aïssatou dans Une si longue lettre de Maiama Bâ. Ainsi nous présentons quelques exemples de ces femmes révoltées. 2.2.6.1. Rama Rama la fille ainée d'Adja Awa Astou, première épouse d' EL Hadji Abdou Kader Bèye, dans Xala de Sembène Ousmane. Agée de vingt ans, elle est étudiante à l'université. Comme la décrit l'auteur, elle « avait grandi dans le tourbillon de la lutte pour l'indépendance, lorsque son père militait avec ses compères pour la liberté de tous. Elle avait participé aux batailles des rues, aux affichages nocturnes. Membre des associations démocratiques » (Sembène Ousmane, 1973 :25). Rama est à la fois surprise et déçue par le troisième mariage de son père. Elle, qui est porteuse des pensées progressistes, féministes et qui est prête à lutter contre tout ce qui freine l'émancipation de la femme. Contre tout ce qui peut lui arracher ses droits ou sa liberté, sans distinction ni de coutumes ni de religion. Elle est donc contre la polygamie. Elle exprime franchement son avis : « Jamais je ne partagerai mon mari avec une autre femme. Plutôt divorcer » (ibid., 1979 : 25). Donc elle décide de ne pas aller au mariage de son père. Elle essaye en vain de convaincre sa mère non seulement de ne pas y aller mais de divorcer. Quand son père vient chercher sa mère qui doit participer à la cérémonie, elle lui dit crûment ce qu'elle pense de son re-remariage: « Je suis contre ce mariage » déclare Rama. Elle ajoute : « Un polygame n'est jamais un homme franc » (ibid., 1979 : 27). Alors que dans la société traditionnelle où le père est un sacro-saint (Ismila Diagne, 2004 : 71), on ne le dévisage pas, on ne dévisage même pas les grandes personnes. Par la suite, Rama reçoit de son père une très forte gifle qui la fait tomber. Pourquoi, parce qu'elle exprime à haute voix ses sentiments devant lui. Ainsi on paie toujours cher le prix de sa révolte. 2.2.6.2. Daba. Comme Rama, Daba est la fille ainée de Ramatoulaye, la première épouse de Moudo Fall dans Une si longue lettre de Mariama Bâ. Une lycéenne qui n'a pas encore passé son baccalauréat quand son père prend son amie de classe comme deuxième épouse. Fiancée puis mariée avec Abdou, ils forment un jeune couple harmonieux, qui s’identifie l'un à l'autre, qui discute de tout pour trouver un compromis. Daba est une vraie fille de sa mère ; elle en connait les mésaventures conjugales dont elle a appris une leçon pour sa vie d'avenir. Donc elle s'approche vers la vie conjugale avec une stratégie complètement différente de celle de sa mère et de toutes mères décrites traditionnelles. Puisque elle a pour le mariage des idées fortement libérales. Sa mère est étonnée de l'entendre faire un tel discours : « Le mariage n'est pas une chaîne. C'est une adhésion réciproque à un programme de vie. Et puis, si l'un des conjoints ne trouve plus son compte dans cette union, pourquoi devrait-il rester ? C'est peut être Abdou (son mari), c'est peut être moi. Pourquoi pas ? La femme peut prendre l'initiative de la rupture » (Mariama Bâ, 1979 : 137). Mais le féminisme de Daba est d'un autre ordre que celui de sa mère qui voudrait par exemple voir les femmes participer davantage au pouvoir politique, et dans l'Assemblée nationale de son pays. Daba est beaucoup plus réservée à cet égard. Sa décision personnelle est de ne pas perdre son énergie dans un monde si lourdement grevé par des pratiques répréhensibles : « A regarder l'appétit de pouvoir des hommes, je préfère m'abstenir » (Mariama Bâ, 1979 : 137). Elle s’investit dans le travail des associations et des organisations qui vont dans le sens de la promotion de la femme. C'est dans ce type de travail qu'elle ressent une satisfaction intérieure. Apprenant la nouvelle du mariage de son père avec son amie, Daba n'arrive pas à maitriser sa colère. Blessée dans son orgueil elle se souvient de tous les surnoms que son amie Bintou avait attribués à son père : « Vieil homme ! Ventru ! Vieux !... l'auteur de sa vie était quotidiennement bafoué et il l'accepte » (ibid., 1979 : 77). Sa rage augmente au fur et à mesure qu'elle analyse la situation. Aucune raison logique ne peut justifier l'action de son père. Prise par la colère, elle adresse la parole à sa mère : « Romps, maman ! Chasse cet homme. Il ne nous a pas respectées, ni toi, ni moi. Fais comme Tata Aïssatou, romps, dis-moi que te rompras. Je ne te vois pas te disputant un homme avec une fille de mon âge » (ibid., 1979 : 77). Elle essaye en vain de convaincre sa mère de rompre comme son amie Aïssatou mais sa mère a d'autres considérations, d'autres mesures à prendre. La réaction des jeunes filles Rama et Daba est le contraire de celle de leurs mères. Sentant la peine que subissent leurs mères, elles se révoltent violemment contre la polygamie. Pour elles la polygamie est considérée comme une des causes de l'humiliation et de l'injustice contre lesquelles elles doivent lutter avec acharnement. Leur réaction s'inscrit dans le cadre de ce qu'on appelle le conflit des générations, entre la nouvelle génération représentée par les filles et l'ancienne représentée par les mères. Conflit des cultures et des civilisations entre les traditions et le modernisme. 2.2.6.3. Aïssatou. Le personnage d'Aïssatou dans Une si longue lettre de Mariama Bâ représente parfaitement l'image d'une femme révoltée contre la polygamie. Lorsqu'elle apprend de son mari sa décision de prendre sa cousine comme deuxième épouse elle prend, elle aussi, sa décision de rupture, un aller sans retour avec ses quatre fils. En tant que femme lucide, d'une personnalité grande et courageuse, elle n'aime pas les situations de compromis. Elle préfère des prises de position nettes, claires et sans bavures. Après le deuxième mariage de son époux, elle ne prête pas l'oreille aux conseils tels que : « on ne brûle pas un arbre qui porte des fruits » ou des menaces : « des garçons ne peuvent réussir sans leur père » (Mariama Bâ, 1979 : 64). Mais elle passe outre ces vérités qui comme on dit passe-partout, et qui font courber la tête de bien des femmes révoltées. Elle prend courageusement la décision qui lui convient et qui lui permet de recouvrer sa dignité qui est bafouée par un mari ingrat. Aïssatou, comme son amie Ramatoulaye est une femme moderne. Son mariage avec Mawdo n'est pas un mariage traditionnel. C'est ce qu'on appelle mariage d'amour. Quand il l’a choisie -fille de bijoutiercomme épouse il dit que : « Le mariage est une chose personnelle » (Mariama Bâ, 1979 : 40). Donc personne n’intervient, même sa mère qui n’apprécie pas cette union. Ils mènent une vie calme et heureuse avec leurs enfants. Et tout d’un coup, ils se trouvent devant une épreuve difficile. Sa belle-mère, Tante Nabou, qui manœuvre habilement au cours des années, réussit à se venger pour son orgueil bafoué. Mawdo doit épouser sa cousine, c'est un devoir. Devant cette mauvaise surprise elle n'a qu'un seul choix : la rupture. Elle quitte définitivement non seulement la maison mais toute la vie conjugale. Elle part avec ses enfants, laissant sur le lit une lettre adressée à Mawdo, son mari. Elle ne lui donne aucune possibilité de se justifier ou de lui faire comprendre la situation dans laquelle il se trouve. Il nous semble important de citer entièrement la lettre qui porte des indications sur une personnalité révoltante d’Aïssatou. « Mawdo, Les princes dominent leurs sentiments pour honorer leurs devoirs. Les « autres » courbent leurs nuque acceptent en silence un sort qui les brime. Voilà schématiquement, le règlement intérieur de notre société avec clivages insensés. Je ne m'y soumettrai point. Au bonheur qui fut nôtre, je ne peux substituer celui que te me proposes aujourd'hui. Tu veux dissocier l'amour tout court et l'amour physique. Je te rétorque que la communion charnelle ne peut être sans l'acceptation du cœur, si minimise soit-elle. Si tu peux procréer sans aimer, rien que pour assouvir l'orgueil d'une mère déclinante, je te trouve vil. Dès lors, tu dégringoles de l'échelon supérieur, de la respectabilité où je t'ai toujours hissé. Ton raisonnement qui scinde est inadmissible : d'un coté, moi, « ta vie, ton amour, ton choix », de l'autre, « la petite Nabou à supporter par devoir ». Mawdo un homme est un : grandeur et animalité confondues. Aucun geste de sa part n'est de pur idéal. Aucun geste de sa part n'est de pure bestialité. Je me dépouille de ton amour, de ton nom. Vêtue du seul habit valable de la dignité, je poursuis ma route. Adieu, Aïssatou » ( Mariama Bâ, 1979 : 64-65) En lisant intégralement sa lettre, nous voyons à quel point Aïssatou est forte et puissante. Sa lettre contient beaucoup de termes qui exprime la négation, beaucoup de verbes de détermination. L'opposition amour/devoir dans cette partie du roman nous rappelle celle dans la pièce Le Cid de Corneille au dix-septième siècle. Rodrigue qui est déchiré entre son amour pour Chimène et son devoir de venger son père, le comte Don Diègue qui est affaibli par l'âge. Il finit par écouter la voix du devoir et tue le comte Don Gomès, le père de son amante, en duel. Donc il est normal que les princes dominent leurs sentiments pour honorer leurs devoirs comme le remarque Aïssatou. Enfin, elle termine la lettre en déclarant qu'elle n'a plus besoin de son amour et qu'elle poursuit sa route seule en toute dignité. Quittant son pays, elle débarque en France avec ses quatre fils. Là elle reçoit une bonne formation à L'Ecole d’Interprétariat à Paris. Une formation qui l'aide à trouver un travail rentable à l'Ambassade, de son pays, le Sénégal aux États-Unis. Elle voit une réussite dans sa vie au niveau moral, intellectuel et matériel. Elle est riche au point qu'elle paye le prix d'une voiture pour les enfants de son amie Ramatoulaye pour le transport à l'école. Un geste qui montre des qualités de générosité et de fidélité à son amie intime pour qui elle ne tarde pas à porter secours dans les moments difficiles. Donc Aïssatou, comme elle la décrit son amie : « Elle écrase le passé sous son talon » et elle fait le choix d'une toute une nouvelle vie. 2.3. L'acceptation. 2.3.1. La conception de l'acceptation. Le mot acceptation est un mot bien chargé de sens. Accepter cela veut dire en premier lieu reconnaître ses difficultés, reconnaître ses responsabilités, être maître de sa destinée. Accepter veut dire que prendre conscience de ce qui nous arrive fait partie de notre vie, de notre histoire. Accepter c’est le fait de dire oui, de consentir volontairement. Il nous parait donc très intéressant de réfléchir sur le sens de l’acceptation. Quand on accepte, quand on dit oui ou tout simplement hoche la tête en signe d’acceptation, cette acceptation doit être profondément ancrée au fond de soi et envahir tout l’espace. De ce fait, il n’y a pas de place pour les frustrations, la colère, le remord, le regret et tout ce qui apporte la douleur.1 Dans le dictionnaire, nous trouvons deux définitions du terme accepter : « recevoir volontairement ce qui est offert » et « se résigner à ce qui est inévitable ». Pour la deuxième définition de se résigner cela veut dire : « de s’abandonner, de se soumettre sans plainte ni murmure ». Ce dernier sens du terme, correspond mieux dans notre analyse à la situation de la femme qui accepte la polygamie. Pourtant une acceptation totale de telle pratique de la part de la femme n'est pas évidente, puisqu'il y a toujours des contraintes. « Une femme n'accepte jamais la polygamie par gaité de cœur ».2 Quand nous parlons d’une acceptation de la polygamie chez une femme, nous en montrons deux types : accepter de se marier avec un homme marié, ou accepter que son mari prenne une autre épouse. Pour le premier cas, dans la limite des ouvrages étudiés, nous signalons l’existence d’une catégorie de femmes qui sont la deuxième, la troisième ou la quatrième épouse. Celles-ci savent déjà que leur prétendant est déjà marié mais quand même elles acceptent d'être la deuxième ou même la quatrième épouse chez lui. C'est ici que réside la question de la polygamie. Puisque maintes femmes même des jeunes filles de moins de vingt ans acceptent cette situation. Les romans nous en citent beaucoup d'exemples. Malgré les critiques, malgré la révolte contre cette 1 www.psycho-ressources.com/.../acceptation.html 2 (Interview, Mariama Bâ, 1979, revue Amina 84 :12-14). pratique qui se trouve chez quelques-unes, nous remarquons une acceptation chez quelques autres. Mais, dans tels cas on parle toujours des contraintes sociales, économiques ou autres. Pour le deuxième cas -celles qui acceptent que leurs maris prennent d’autres épouses- cela existe mais rarement. Nous pouvons également trouver dans les romans quelques exemples de femmes dont l’acceptation est modérée plus au moins par des contraintes. Donc on peut dire que la polygamie se pose comme un choix acceptable pour les femmes placées dans certaines situations. 2.3.2. Les femmes qui acceptent ou tolèrent la polygamie. Les raisons ou les motifs de l'acceptation de la polygamie varient. Parfois une jeune fille accepte un polygame parce qu'elle pense qu'il est plus sérieux que les jeunes hommes célibataires de son âge, ceux qui lui demandent sa main, comme le cas de N'Goné dans Xala. Parfois on trouve une étudiante à l'Université qui accepte d'être une quatrième chez un polygame parce qu'il peut lui assurer les moyens financiers pour poursuivre ses études ou bien il peut aider sa famille comme Ndéye Aram Saar dans Excellence, vos épouses ! Parfois toute simplement parce qu'elle tombe amoureuse d'un polygame. Ainsi nous pouvons citer le cas de N'Deye Touti dans Les bouts de bois de Dieu. Cette jeune fille bien qu'elle soit évoluée et qu'elle ait des opinions contre la polygamie qu'elle déclare intolérable, se dérobe volontairement de ses idées face à l'admiration et l'amour qu'elle ressent pour Bakayoko le leader de la grève des cheminots. Elle lui demande de faire d'elle sa deuxième épouse. Alors, elle formule le discours suivant : « C'était de nos coutumes que je ne pouvais comprendre, que je détestais même. Et puis, il arrive que l'on se mettre à aimer ce que l'on croyait détester. Au moins puis-je me dire que, comme je suis née musulmane, ma religion m'y autorise. Tu m'as dit un jour que ces vieilles coutumes féodales ne pourraient disparaître que dans une Afrique indépendante et rénovée. En attendant ces temps meilleurs, je veux être ta seconde épouse. Je connais une évoluée qui l'a fait. Pour quoi pas moi ? » (Sémbene Ousmane, 1960 : 343). Mais à sa plus grande déception, Bakayoko refuse sa proposition. Parfois la femme reçoit des reproches des amies ou d'une proche si elle n'accepte pas de se marier avec un polygame. Surtout quand il est riche ou quand il exerce le pouvoir. Cela arrive avec Ramatoulaye quand elle refuse Daouda Dieng qui demande sa main après la mort de son époux. Farmata la griotte de la famille la gronde : « Pour qui tu prendstu ? A cinquante ans, tu as osé casser le (wolere !) Tu piétines ta chance : Daouda Dieng un homme riche, député, médecin, de ton âge, avec une femme seulement. Il t'offre la sécurité, l'amour et tu refuses ! Bien des femmes, même de l'âge de Daba, souhaiteraient être à ta place » (Marima Bâ, 1979 : 129). Une telle parole de la part d'une femme milite évidemment en faveur de la polygamie et renforce l'attitude de l'acceptation. De plus l'acceptation de la polygamie pour certaines dépend de leur âge. Dans un milieu où le célibat de femme est mal vu, certaines femmes n’aiment pas terminer seules leurs vies. Elles se décident donc à vivre avec un homme marié. D'autre part, parmi la catégorie de femmes celle de premières épouses il y en a quelques-unes qui acceptent ou tolèrent la polygamie. C'est-àdire acceptent ou même encouragent leur mari à se remarier. Bien que ce soit rare mais quand même cela existe surtout dans des milieux traditionnels. Cette attitude est également justifiée pour des raisons sociales, économiques ou autres. Et comme toujours les romans nous fournissent des bons exemples, Rokaya la mère d' Oumar Faye dans Ô Pays, mon beau peuple ! se sent soulagée chaque fois que son mari amène une nouvelle femme. Elles se partagent la responsabilité dans le ménage et donc elle s'en trouve plus libre : « Quand la seconde épouse fut introduite dans le ménage, elle y trouve un soulagement et s'adonna plus librement à sa sorcellerie. Puis vint la troisième qui la soulagea encore plus » (Sembène Ousmane1957 : 23). Un autre exemple de femme qui accepte la polygamie pour la même raison : Assitan dans Les Bouts de bois du Dieu une femme traditionnelle qui sert son mari avec un zèle incroyable. Un jour en plaisantant, Tiémoko, ami de son mari, lui adresse la parole suivante : « A te voir travailler, il n'y a pas de danger que Bakayoko prenne une seconde épouse fais-moi confiance! » (Sembène Ousmane, 1960 :171). Elle lui répond : « Ah, homme, je ne demanderai pas mieux que d'avoir une « rivale », je pourrais ou moins me reposer... et puis, je me fais vieille. Chaque fois qu'il part je fais des vœux pour qu'il ramène une deuxième femme plus jeune... » ( Sembène Ousmane, 1960 : 171). L’acception de la polygamie est encore attestée dans un passage traduit du Facing Kenya. The tribal life of Gikuyu, un roman écrit en anglais par le célèbre Jomo Kenyatta. Il y exalte les valeurs humaines dans la vie des tribus africaines. Il parle de la famille, de la polygamie qui est enracinée et liée intimement à l'organisation familiale africaine. Il affirme que la polygamie est admise par les femmes elles-mêmes. Donc nous trouvons intéressant de citer ce passage parce qu'il montre des avis d'un écrivain d'une autre partie de l'Afrique sur le même sujet, et qui reste toujours pareille dans toute l’ Afrique Noire. Une femme qui parle à son époux : « Ne pense-tu pas qu'il serait sage de ta part de me trouver une compagne ? Considère notre situation. Je suis persuadée que te réalises combien Dieu est bon de nous donner un bel enfant. Pendant les premiers jours, je devrais lui consacrer toute mon attention. Je suis faible... je ne puis me rendre à la rivière pour chercher de l'eau, ni aux champs pour apporter la nourriture ; je ne peux m'occuper du jardin. Tu n'as personne pour te faire la cuisine et pour s'occuper des étrangers qui viennent te faire visite. Je suis sûr que tu te rends compte du sérieux de la situation. Que penses-tu de la fille d'Un tel ? Elle est belle et active, tout le monde dit de bien d'elle et de sa famille. Ecoute-moi. Essaie de gagner son amour. Je lui ai parlé et j'ai constaté qu'elle s'intéressait à notre foyer. Mon mari, je ferai tout ce que je peux pour t'aider » cité par (Kembe Milolo, 1985 : 153). Ainsi l'acceptation ou même le consentement qui se trouvent chez certaines femmes, volontairement ou non, consolident la polygamie et encourage sa pratique. Chapitre 3 : Les conséquences de la polygamie. 3.1. Les impacts sur les couples. Avant de penser à introduire une deuxième épouse, le ménage est d’abord monogame. C'est à dire le couple y vit l’un pour l’autre avec des enfants ou même sans enfants. Ils se partagent tous les moments de leur vie, les moments de se restaurer, de discuter, de se distraire, de se reposer, etc. Ils vivent dans une atmosphère plus ou moins agréable de confiance et d’amour. Dès que le conjoint pense à prendre une autre épouse les problèmes commencent. La vie du ménage n’est plus comme auparavant, la communication entre le couple se dégrade, l’atmosphère s’empoisonne. Ce sont les premiers symptômes de mécontentement, de manifestations, les suivantes seront encore plus dures quant il réalise son projet. Parfois il arrive au mari d’informer sa compagne de sa décision ou de son envie de prendre une nouvelle épouse. Parfois il préfère agir sans l’informer. Alors cela dépend de sa philosophie et de ses convictions. Mais en tous cas, pour la femme, informée ou non c’est toujours insupportable, toujours injustifiable. Peut-être elle serait beaucoup moins déçue si elle était prévenue préalablement. Mais pourquoi une autre épouse ? Cette question reste sans réponse pour la femme : « Je m’interroge et je m’interroge. Pourquoi Modou s’est il détaché ? Pourquoi a-t-il introduit Binetou entre nous ? » (Mariama Bâ, 1979 : 107). Les réactions immédiates des personnages féminins évoqués par les romanciers se différencient d’une femme à une autre. A titre d’exemple Ramatoulaye fait le maximum pour dissimuler ses désarrois devant les hommes envoyés par son mari pour l’informer. Adja Awa Astou souffre en silence, tandis que sa coépouse Oumi N’Doye ne peut cacher sa colère. Quant à Aïssatou, elle prend une décision rapide et définitive de quitter le ménage. Telles sont des exemples des cas qui se multiplient au fur et mesure que cette pratique continue. Dans son roman Excellence, vos épouses ! Cheik Aliou Ndao présente une image très émouvante d’une femme torturée moralement et physiquement. Cette femme vient d’apprendre que son mari prend une nouvelle femme. D’ailleurs, elle-même est une deuxième épouse chez lui ! : « Le jour où Ndikou apprit l’existence de la troisième elle eut l’impression d’avoir reçu un coup de poignard en plein cœur […] Ndikou se leva péniblement, entra dans les toilettes ; elle vomit et éclata en sanglots. Elle ne voulait pas pleurer devant ses enfants ; elle étouffa ses cris, s’essuya les yeux et alla s’allonger sur son lit » (Cheik Aliou Ndao, 1993 : 55). Elle reproche à son mari sa lâcheté de ne pas avoir assez de courage pour l’annoncer en face à face puisque il lui laisse un mot pour l’en informer. Evidemment la religion et les lois traditionnelles définissent des règles de la polygamie. Elles indiquent qu’un polygame doit être juste avec ses femmes et qu’il doit les traiter équitablement. Mais, parfois il lui arrive d’abandonner définitivement son ancien ménage, son épouse et ses enfants au profit de sa nouvelle vie et la nouvelle épouse et c’est le comble ! A titre d’exemple, suite à la trahison de la part de son mari qui l’abandonne, Ramatoulaye perd beaucoup de choses. Les sentiments les plus intimes d’union et d’affection deviennent pour elle des souvenirs plus qu’une réalité : « Me manquaient atrocement nos causeries nocturnes ; me manquaient nos éclats de rire délassants ou complices ; me manquaient comme de l’opium nos mises au point quotidienne » (Mariama Bâ, 1979 : 100). Il ne lui reste qu’à évoquer les beaux souvenirs des jours de joie, de communication et de plaisir partagés avec son conjoint, les moments où elle vivait avec lui, comblée de promesses et de bonheur. Elle compare le temps passé avec le présent et elle ressent les cruelles morsures de l’amertume. Ainsi les épouses sont livrées à l’insupportable solitude lorsque leurs maris prennent des secondes femmes et les abandonnent. Le bouleversement du ménage, qui devient polygame, ne se limite pas à la vie sentimentale du couple. C’est un bouleversement global qui l’atteint de tous les côtés. Dans le cas de l’épouse abandonnée elle est obligée de jouer le rôle de mère et de père pour ses enfants. Elle a donc, de plus des responsabilités et des taches à accomplir. Grâce au travail, à la patience, à la volonté et au courage une femme comme Ramatoulaye peut réussir à surmonter toutes les difficultés. La situation d’un polygame qui garde toutes les épouses dans le même foyer n’est également pas admirable. Puisque ce n’est pas seulement la question d’ajouter à chaque fois une nouvelle femme, d’avoir de nouveaux enfants. Mais la question qui se pose, c’est celle du devenir du ménage. Le stress, les frustrations sentimentales, morales et psychologiques qu’on crée volontairement ou involontairement chez les siens. Les romans africains, surtout l’œuvre de Sembène Ousmane, racontent des querelles, des chicanes des coépouses devant lesquelles l’époux reste dans la plupart du temps paralysé. Son intervention complique encore les choses, puisque il est toujours jugé pour la partie d’une épouse contre d’autre ou le contraire. Donc la situation de la polygamie implique de la part du mari plus de patience, plus d’amour et d’attention, au niveau sentimental, plus de responsabilité, plus de dépense au niveau économique, envers tous les membres respectables de la famille. Est-il capable de tout fournir ? Est-il capable de diriger les multiples ménages tout en respectant l’ordre d’une vie digne et raisonnable ? Peut-il garantir une bonne éducation à tous les enfants ? Peut-il traiter équitablement ses épouses et ses enfants ? Est-il suffisamment riche pour entretenir plusieurs épouses ? Beaucoup de questions se posent, pour lesquelles il faut peser le pour et le contre afin de trouver des réponses, à notre avis, avant de s’engager dans une situation pareille. La première femme qui accompagne le mari, parfois dès la sortie de l’adolescence, qui l’encourage et qui participe à sa réussite, qui combat avec lui malgré le manque de moyen comme Lolli. Elle sacrifie tout pour le bonheur de son mari et de ses enfants. Elle n’attend ni du prix ni des récompenses mais de l’honnêteté et de la reconnaissance. Pour tout cela elle ne tolère pas d’être trahie dans son amour : « Sous le vent, sous la pluie, sous le soleil, le même boubou, car les autres avaient été vendus ainsi que bracelets et boucles, pour nous permettre de mettre un peu plus de décence dans notre vie et de prévenir la faim qui guettait les enfants. As-tu oublié cela déjà ? » (Aminata Sow Fall, 1979 : 62). Le grand décalage entre l’âge de l’époux et celui de sa nouvelle femme qui atteint parfois une trentaine d’années n’est pas toujours un avantage pour le mari. Au début de leur vie, l’homme s’acharne pour se montrer jeune afin de plaire à sa jeune femme. Modou, à titre d’exemple s’est efforcé de suivre Bintou de discothèque en discothèque et de la traiter comme un enfant gâté. D’autre part ce décalage signifie une différence de goût et de pensée, une différence de toute perception de la vie, cela à notre avis réduit le dialogue entre le couple au minimum. De plus quand la nouvelle femme sera en pleine maturité son époux sera déjà vieux ou au déclin. Ainsi leur avenir n’est pas rassurant, c’est pourquoi la femme tient à avoir des enfants pour préserver son avenir. 3.1.1. La "moomé.″ Ce terme n’existe pas dans le dictionnaire français même le plus récent (2010). Cela veut dire que c’est un terme typiquement africain, qui renvoie à la culture traditionnelle africaine. Sambène Ousmane l’utilise beaucoup dans son œuvre. Dans son roman Xala il en donne l’explication suivante : « ″Moomé″ : le nombre de jours qu’un polygame passe avec une des épouses. Synonyme : ″ayé″ » (Sembène Ousmane, 1973 : 32). Il ajoute un autre synonyme de moomé : ″les trois jours″. Une fois, très énervée, Adja Awa, répond à la provocation de sa coépouse : « Tous ″les trois jours″ cet homme le même homme me quitte, vient passer trois nuits avec toi, voyage de ta chambre à coucher à la mienne » (ibid., 1973 : 36). Ainsi un polygame fait le tour d’un séjour réglementé dans la chambre de chaque épouse. L’épousée concernée, dans sa ″moomé″ est responsable de tout ce qui accompagne la présence de son mari dans la concession. Elle possède tout : ″homme et objets″. En revanche par respect des lois de la polygamie, la pudeur et la dignité d’une épouse l’empêchent de garder le jour ou la nuit l’homme quand c’est le tour d’une autre pendant ″ses trois jours″. Quand Goor Gnak arrive d’un voyage du travail chez Kodou, sa première femme, il n’y a personne à la maison pour l’accueillir. Kodou qui vient de faire les courses, arrive après. Elle le salue, puis elle lui dit : « Au fait, je ne t’attendais pas aujourd’hui. Tu aurais dû aller directement chez ta quatrième femme. Si tu étais rentré après demain, d’accord, mais aujourd’hui ! » (Cheik Aliou Ndao, 1993 : 11). Alors il lui demande de l’excuser. Cet incident montre à quel point cette épouse est soucieuse de respecter les règles. En attendant son tour, la femme utilise son temps libre pour ellemême, pour son travail et sa passion. Elle profite de l’absence du mari pour faire des choses telles que : ranger son linge, sa chambre ou rendre visite à ses parents à ses amies. Dans un foyer polygame, la femme peut trouver une atmosphère de solidarité, de vie en groupe. Mais, cela n’est pas toujours évident parce que ce mode de vie a ses difficultés et ses frustrations. La femme se trouve dans une situation de compétition donc elle fait le maximum pour plaire au mari. Dans son ouvrage Voltaïque, et précisément dans la nouvelle qui est intitulée ″Les trois jours″ (Sembène Ousmane, 1962 : 43), Sembène Ousmane traite le sujet de ″moomé″ des coépouses avec beaucoup d’ironie. Il décrit la situation d’une des femmes de Moustaphe, un polygame qui vient de prendre une quatrième épouse. Les jours de ses moomés, Noumbé la troisième épouse, attend l’arrivée de son mari pendant ses ″trois jours″. Elle fait toutes les préparations qu’elle juge nécessaires. Elle se fait belle avec soin, s’habille bien. Elle prépare un repas de retrouvailles. Elle dépense beaucoup, elle ne veut pas que son mari la considère moins que les autres coépouses. Prête à accueillir son mari, elle attend d’une minute à l’autre son arrivée. Le premier jour passe, le deuxième, elle attend toujours en vain. Une veudieux (une coépouse) lui rend visite de façon inattendue. Après qu’elle soit partie, Noumbé comprend le motif de la visite de sa coépouse, bien qu’il ne soit pas dit directement. Elle signifie : (la parole implicite de l’ancienne coépouse) : « Tu m’avais volé des jours parce que je suis plus vieille que toi. Maintenant une plus jeune que toi me venge. Tu as beau te tuer à tout faire pour lui être agréable, tu t’alignes maintenant, vieille charogne. Il a découché… et découchera encore… » (Sembène Ousmane, 1962 : 63). Le troisième jour, une amie voisine lui donne un conseil celui d’envoyer encore une fois les enfants chercher leur père chez la dernière, cette fois sous le prétexte d’une maladie : « Dis lui qui j’ai un besoin urgent de le voir, que je ne me porte pas bien ! » (ibid., 1962 :65). Dans les mauvais moments d’attente elle commence à réfléchir. Elle se pose une question très importante. Une question qui correspond exactement à la situation dans laquelle elle se trouve, elle se dit: « Pourquoi acceptons-nous d’être le jouet des hommes ? » (ibid., 1962 : 61). Alors elle décide de se venger de son mari. Le mari dont elle attend impatiemment l’arrivée. Quand ce dernier arrive à la fin du troisième jour accompagné de deux de ses amis elle les accueille froidement. Sur la table, elle met trois plats vides qui représentent ″ses trois jours″. Quand son mari lui demande qu’est-ce qu’il y a dans les plats, elle répond indifféremment : « Rien … Si plutôt ″mes trois jours″. Rien de ce qui t’intéresse … Y a t-il quelque chose qui t’intéresse ici … Oncle ?…» (ibid., 1962 : 70). Et d’un coup elle renverse les trois plats, les casse devant les invités. Puis elle pousse un grand cri qui fait hurler tous les voisins avant de s’effondrer par terre, inconsciente à cause d’une attaque cardiaque. Cette scène dramatique est un vrai portrait qui montre une partie des douleurs, des souffrances physiques et psychologiques qu’une femme polygame peut subir. Elle montre également les sentiments contradictoires qu’elle peut porter pour son homme. Un poids lourd de stress qu’elle n’a pas toujours le courage de porter. Un autre exemple qui incarne la même situation, dans La grève des battu d’Aminata Sow Fall, Raabi est très frappée par le comportement de sa mère Loili en accueillant chaleureusement son père le jour de son arrivée après son deuxième mariage : « Mais quand le père rentre à la maison, après une absence de quatre jours passés chez la ″deuxième″, et qu’elle voit sa mère l’accueillir en roi, une grande toilette, large sourire, encens et mets recherchés et délicieux, elle a un pincement au cœur » (Aminata Sow Fall, 1979 : 67). Pour la mère, le nouveau système de vie polygame devient une réalité. Donc la situation exige une cohabitation avec la coépouse, avec la nouvelle vie. Mais comme le remarque Ken Bugul que : « la plus terrible dans la polygamie est la cohabitation » (Ken Bugul, 1999 :166). Il faut quand même s’adapter, il faut prendre de nouvelles mesures, de nouvelles stratégies plus convenables aux nouveaux ordres. Ainsi, dès le début, Loili prépare dans la compétition son tour de ″moomé″. Elle désire attirer l’attention de son mari, lui faire oublier le dernier repas pris chez la coépouse. Surtout, comme on dit « Lorsqu’on goûte à deux cuisines, on a une préférence » (Sembène Ousmane, 1973 : 88). L’objectif d’une telle action est certainement de regagner l’estime du mari et de reconquérir le terrain perdu suite à l’arrivée de la nouvelle épouse. Dans Xala, Oumi N’Doye, la deuxième femme d’El Hadji Abdou Kader, est habitée par la jalousie à cause de l’arrivée de la troisième coépouse. Une de ses amies, généreuse en conseils, lui dit : « Pour avoir la faveur de son homme, une épouse en compétition se doit d’avoir comme cibles les deux centres vulnérables du mâle : le ventre et le sexe. Et aussi savoir se faire désirer ; être féminine avec un soupçon de pudeur » (Sembène Ousmane, 1973 : 86). Dans la vie d’une polygame, il y a des leçons à apprendre et à appliquer selon le contexte. La polygamie est parfois comme une guerre dans laquelle la femme utilise toutes sortes d’armes disponibles. La séduction est l’arme la plus utilisée. Certainement le mari tire profit de cet air de compétition entre les coépouses. Lui qui est supposé être heureux ne l’est pas toujours. C’est à cause du déplacement, du voyage permanant d’un foyer au foyer, d’une chambre à une autre il ne sent pas à l’aise. Il est toujours chez chacune de ses épouses et jamais chez lui. El Hadj Abdou Kader dispose de trois villas, tout de même il n’a pour lui nulle part, un coin pour se retirer ou de s’isoler. Une fois son chauffeur lui demande en rigolant : « Je te dépose chez laquelle ? A quelle escale ? (ibid., 1973 : 95 ). Mais son patron préfère passer la nuit dans un hôtel. Un autre exemple d’un polygame qui souffre du même problème de déplacement, Goor Gnak dans Exellence, vos épouses ! : « J’ai quatre foyers et je ne suis pas heureux » dit Goor Gnak qui cherche à se refugier après une crise du travail. 3.1.2. La femme préférée et la jalousie des coépouses. Dans le roman africain, le thème de la jalousie dans le mariage polygame est un thème fréquent. Il vient régulièrement dans l’œuvre de Sembène Ousmane. Le problème de la jalousie se pose normalement dans les ménages polygames dès qu’il y a une nouvelle épouse. La personne la plus affectée est celle qui est la première quand elle se sent seule dans son ménage ou celle qui se trouve en dernière position. Dans la plupart des cas les autres coépouses se sentent moins concernées que la dernière. Puisque c’est elle qui est détrônée de la position privilégiée de dernière. Donc pour la jalousie aussi c’est à chacune son tour, surtout dans un ménage de trois ou quatre coépouses. Evidemment le mariage plural entraîne, chez chacune des coépouses, des sentiments ou des conditions d’âme contradictoires : de l’amour, de la haine, de la peur, du courage, de la méchanceté, de la tolérance, de la joie, de la tristesse, de l’envie, de la sympathie, etc. A notre avis la jalousie est un mélange de tous ces sentiments soit positifs ou négatifs. Elle dépasse parfois le cas normal et devient maladif. Donc, c’est pour gagner l’amour, l’attention du mari, que les coépouses éprouvent de la haine, de la méchanceté entre elles. Ainsi la jalousie entre les coépouses est évidente, surtout quand la femme aime beaucoup son mari et pense qu’elle sera unique dans sa vie. La conduite distinctive ou bien discriminatoire du mari la plupart du temps nourrit ce sentiment. Si le mari montre le moindre signe de préférence vers une de ses épouses, bien sûr cela ne plaira pas aux autres. Le cas de Moussa Faye dans Ô pays, mon beau peuple ! est exceptionnel. C’est un polygame qui sait bien faire régner la paix dans son ménage. Il respecte le code de la polygamie et donc, il gouverne sa barque d’une façon exemplaire. Aucune dispute entre ses trois épouses qui vivent en entente complète. Il est juste et il les traite équitablement donc il n’a aucun souci. Cet homme représente la génération qui respecte bien les traditions de la vie polygamique. Le roman africain aborde la question de la femme préférée ou privilégiée. A titre d’exemple dans Batouala, le premier roman noir, Batouala le chef d’une tribu africaine a parmi ses neuf épouses une préférée et il meurt à cause d’elle. El Hadj Abdou Kader parlant de sa deuxième épouse, Oumi N’Doye Ommi, il avoue qu’il la privilégie à l’ancienne : « Je la gâte plus que la awa » (Sembène Ousmane, 1973 :53). L’image de la femme préférée est présentée dans les romans toujours comme une femme très belle et très jeune. Elle a la plupart du temps l’âge des enfants du mari. Et elle est souvent la dernière. Elle retient le regard de l’époux ce qui provoque le ressentiment, le mépris ou la cruelle jalousie de l’ancienne épouse. Celle-ci ne peut plus avoir son mari toujours à ses cotés comme auparavant. Elle pense donc à se venger comme le cas des Salimata et Mariam les femmes de Fama qui se disputent tout le temps. Parfois il arrive à Salimata de hurler, de courir, chercher un couteau, et de vouloir tuer sa coépouse, elle crie : « Je suis endiablée, je suis endiablée » (Ahmadou Kourouma, 1970 :152). La dispute, les querelles entre les coépouses durent parfois des années avant l’arrivée d’une nouvelle épouse qui fait des farouches ennemies d’hier les meilleures amies du monde. C’est pour cela que certains hommes, pour calmer les rivalités tapageuses de leurs épouses, tout simplement, ils en prennent une autre. A ce propos, Amadou Koumba, écrit : « Lorsqu’il s’agit d’épouses, deux n’est pas point un bon compte. Pour qui veut s’éviter souvent querelles, cris, reproches et allusions malveillantes, il faut trois femmes ou une seule et non pas deux. Deux femmes dans une seule maison ont toujours avec elles une troisième compagne qui non seulement n’est bonne à rien, mais encore se trouve être la pire des mauvaises conseillères. Cette compagne c’est l’Envie à la voix aigre et acide comme du jeu de tamarin » (Amadou Koumba, cité par JeanLouis Joubert et al, 1994 :188). Dans son roman Xala, Sembène Ousmane aborde plus précisément le thème de la jalousie des coépouses. Ce sentiment qui se produit d’une façon très aigüe chez Oumi N’Doye la deuxième femme de El Hadji Abdou Kader après sa troisième union. C’est une femme impétueuse, elle ne peut jamais contrôler ses sentiments : « Elle était très jalouse, envieuse. Depuis qu’elle avait appris ce mariage, les moomés chez Oumi N’Doye étaient des nuits d’enfer » (Sembène Ousmane, 1973 : 47). Elle pense que c’est sa coépouse qui pousse leurs époux à ce mariage par jalousie car elle est plus jeune qu’elle. Avec une figure animée par la jalousie, elle lui adresse la parole : « Toi, la awa, tu ne fais rien. Tu es donc pour ce troisième mariage. Tu as donné la bénédiction à El Hadji, hein ? » (ibid., 1973 : 35). Adja Awa ne montre aucune protestation contre ce mariage c’est pourquoi elle est accusée par sa coépouse. Depuis dix-sept ans de mariage, Oumi N’Doye ne rend jamais visite à sa coépouse aînée Adja Awa Astou. Elle néglige même son existence et elle se considère unique. Alors, « Sans gêne elle accompagnait El Hadji Abdou Kader à toutes les festivités, même quand ce n’était pas ses moomés » (ibid., 1973 : 59). Son problème réside dans son statut actuel, sa position au milieu, pour elle cette position est insupportable. Le fait qu’elle soit deuxième, la trouve facultative entre la première qui implique un choix et qui est élue et la troisième qui est estimée, préférée. Donc elle examine sa position entre les deux et elle se voit en disgrâce. Elle n’est plus la plus jeune, la plus belle. Donc elle perd le statut de la femme préférée. Quant à Adja Awa, grâce à son pèlerinage à la Mecque, elle est devenue Adja elle veut être une épouse selon le canon de l’Islam : les cinq prières par jour, l’obéissance totale à son mari. Elle est donc persuadée de garder un cœur pur, immaculé de toute haine, tout ressentiment envers autrui. Et elle essaye de maîtriser ses sentiments et de ne montrer aucune jalousie envers ses coépouses. La jalousie qui envahit l’épouse après la perte de sa position privilégiée la pousse à se venger de mille façons. Salamata pense à tuer sa coépouse, Mireille tue son enfant unique. Mais la plus déshonorable façon de se venger est celle de Tokosel la troisième de l’ex-ministre et Rama la vingt-sixième de Serigne. Puisque elles trompent leurs maris. Se trouvant dans le vide, elles se jettent dans les bras d’autres hommes. Parfois même l’épouse préférée qui profite d’un statut particulier ressent de la jalousie. Bentou souffre péniblement d’un cœur troublé quand Modou prononce le nom de Ramaoulaye, sa première épouse où il pense à voir ses enfants : « La petite entrait en transes chaque fois que Modou prononçait mon nom ou manifestait le désir de voir ses enfants. Il ne vint jamais plus » (Mariama Bâ, 1979 : 89). Il existe une pratique courante en Afrique, quand l’homme décide de prendre une nouvelle épouse il fait à son ancienne un cadeau, ce qu’on appelle ″attacher la poitrine″. Une poitrine est souvent ″attachée″ par des bijoux, de l’argent pour retenir les sanglots que pourrait déclencher la jalousie. A ce propos Ken Bugul (1999 : 166) remarque que après un deuxième mariage les hommes deviennent de meilleurs maris. Ils ont tendance à respecter leurs premières femmes, à les combler de cadeaux, les emmener aux restaurants ou leur faire des projets de voyages. C’est un autre moyen d’″attacher la poitrine″. Selon les traditions la première épouse a toujours un statut particulier. Elle est le centre ou la pierre angulaire de tous les foyers polygames. Elle est respectée par tout le monde car elle symbolise la stabilité et la permanence de la vie conjugale. C’est elle qui choisit une nouvelle femme à son mari. C’est elle que le mari consulte régulièrement et accepte son avis. Alors il lui doit obéissance et respect (Kembe Milolo, 1985 : 154-156). Actuellement les idées sur la polygamie ont sensiblement changé ou évolué, la polygamie d’hier n’est pas celle d’aujourd’hui. Aujourd’hui les hommes décident seuls et à leur guise, le nombre de leurs épouses. La première ignore les démarches effectuées pour l’acquisition de nouvelles épouses ; l’ancienne épouse ne peut rien leur imposer, et n’a aucune autorité sur elles. 3.2. Les impacts sur les enfants. Concernant les enfants, selon les règles traditionnelles de la polygamie, les enfants d’un polygame sont sous la responsabilité de toutes les coépouses. Donc, si une de celles-ci meurt ses enfants seront élevés par les autres. Dans telle société il n’y a pas de problème d’orphelins ni de veuve. Les épouses appartiennent à toute la famille. Les nouveaux maris jouent le rôle du père pour les orphelins qui perdent leur père. Ils leurs assurent la protection et l’éducation. Les veuves également peuvent jouir du soutien d’un mari. Ainsi dans ce milieu favorable la polygamie est normale. Elle a même des côtés positifs sur les mères et sur les enfants qui vivent ensemble en pleine solidarité. Les enfants ont plus d’une mère et ils trouvent le soin, les conseils par tout le monde. Mais ce n’est pas le cas avec la modernité, dans un ménage moderne, ni la mère ni les enfants ne supportent ce mode de vie. Ils vivent une partie de leur vie dans une monogamie qui dure parfois une vingtaine d’année. Donc ils n’approuvent pas que leur père s’absente, les quitte ou qu’il soit partagé avec des autres. La réaction immédiate de la polygamie sur les enfants varie selon leur âge. Les plus petits qui ne comprennent pas exactement ce que se passe, remarquent très vite l’absence de leur papa. Ils commencent à demander à leur maman, où il est, ce qui augmente son angoisse. Les grands enfants, surtout les filles aînées, comprennent tout. Dans les romans, nous avons à titre d’exemple les trois filles révoltées : Daba, Rama et Raabi prennent la part de leur mère. Elles criminalisent leur père et elles demandent à leur mère de divorcer immédiatement. Elles vivent donc dans une atmosphère désagréable. Elles partagent les souffrances de leur mère et elles cherchent à apaiser ses douleurs. Ainsi Daba conseille à ses frères de ne pas se plaindre suite à la nouvelle situation pénible : « Surtout, ne dites pas à maman qu’on étouffe dans les cars, aux heures de pointe » (Mariama Bâ, 1979 : 102). Quant à Rama, elle reçoit une bonne gifle de son père parce qu’elle lui adresse la parole impoliment en condamnant son attitude polygamique Dans le ménage polygame, les enfants voient rarement leur père. Son temps est partagé entre le travail et les autres ménages. Seuls les aînés de la première épouse sont beaucoup plus chanceux que les autres de même que leurs cadets. Ils profitent de la monogamie au début de leurs bas d’âges : « Attaché à ses enfants mais il ne disposait plus de temps à leur consacrer. Il les connaissait moins bien que les deux grands qui étaient en France. Ceux-là quand ils étaient petits, c’est lui même qui les bordait le soir dans leur lit, il avait l’habitude de les prendre dans ses bras […]. Dans ces années-là, seule Koudou demeurait au centre de sa vie. Il était monogame » (Cheik Aliou Ndao, 1993 : 16). 3.2.1. L’éducation des enfants. Dans le ménage polygame, l’éducation des enfants est la responsabilité de la mère. C’est elle qui veille au confort des enfants, et qui dirige leurs premiers pas. C’est elle qui les aide à réviser les leçons, à faire les devoirs : « Goor appréciait le calme qu‘il trouvât chez Ndikou. Le soin qu’elle apportait à l’habillement de ses enfants. Elle surveillait leurs études, rencontrait leur maître, vérifiait leurs devoirs » (ibid., 1993 : 48). Si la mère est analphabète, comme Kodou, elle ne peut pas savoir ce que les enfants font en classe, s’ils travaillent bien ou non, s’ils ont de bonnes ou de mauvaises notes. Ainsi elle ne peut rien faire pour eux, ils se débrouillent tous seuls. Par conséquent leurs résultats sont toujours médiocres. Le rôle du père est limité. Pour eux le père n’est qu’une source de financement. Parfois il est difficile pour la mère de faire un bon contrôle sur le comportement des enfants. Les enfants de Kodou profitent de l’absence du père pour faire des bêtises : ils sortent, ils reçoivent les copains, ils veillent tard et ne ratent aucune émission à la télévision. Mais quand leur père est présent c’est tout à fait différent. La maison se trouve dans un calme que rien ne trouble. La situation de la mère abandonnée, telle que Ramatoulaye est beaucoup plus grave. Bien qu’elle soit instruite, elle n’a pas toujours de temps pour travailler avec ses enfants ou les aider à réviser leurs leçons. Elle est trop chargée des travaux dans le foyer et dehors. Donc elle dépend des enfants aînés pour aider leurs cadets. Mais, elle trouve important de donner à ses filles des leçons sur l’éducation sexuelle, surtout après la grossesse accidentelle d’une de ses filles. 3.2.2. La relation demi-frères, belles-mères. Influencée par leurs mères, la relation des demi-frères n’est pas toujours agréable. Surtout ceux qui vivent dans des foyers séparés ou éloignés l’un de l’autre. Il arrive qu’ils ne se voient que rarement. Parfois ils sont spontanément séparés quand ils se trouvent ensemble ou dans les transports publics ou privés. C’est le cas des enfants d’El Hadji Abdou Kader dans la camionnette de l’école : « L’arrière du véhicule se divisait en deux. Chaque famille avait son banc. Cette ségrégation n’avait pas été l’œuvre des mères mais un comportement spontané des enfants » (Sembène Ousmane, 1973 : 50). Il arrive qu’ils ressentent l’inégalité de leurs pères et qu’ils commencent à faire de la comparaison de leur situation avec celle de leurs demi-frères : « Père doit aussi nous acheter une voiture. Il y en a une chez mère Adja Awa Astou, une neuve chez la troisième. Et nous … » ( Sembène Ousmane, 1973 : 62). Et plus loin c’est leur mère qui proteste : « Je te répètes qu’il faut aussi une auto pour mes enfants. Tu donnes des complexes à mes enfants. Reconnaît que j’ai raison. Tous pour les autres rien pour moi et mes enfants » (ibid., 1973 : 89). Parfois le fait de faire vivre des enfants avec une coépouse est une catastrophe. Surtout quand cette dernière est très jeune. Marie Ndiaye dans son roman Trois femmes puissantes raconte le drame d’un fils, Soney, qui tombe follement amoureux de sa belle-mère qui est de son âge. Et il entame une liaison avec elle. Il éprouve une faiblesse devant la séduction d’une femme jeune et belle avec qui il vit dans le même foyer. Ayant grandis et élevés dans un ménage polygame, les enfants sont beaucoup plus susceptibles de devenir polygame à leur tour. Ils peuvent héritier des habitudes de leurs pères. Philippe Antoine et Jeanne Nanitelamio (1995) parlent de la possibilité de la reproduction des modèles familiaux dans une famille polygame. Il affirme que le fils d’un polygame risque 1,5 fois plus rapidement de devenir polygame.1 1 (Les Dossiers de CEPED, 1995 : Centre Population et Développement- ..) fr.wikipedia.org/.../Condition_féminine_au_Sénégal - 3.3. La dépense et le gaspillage dans la polygamie. Le fait d’être polygame, de se montrer riche, est fréquent dans la pratique de certains polygames. Dans les romans, plusieurs personnages masculins adoptent cette attitude. Ils dépensent beaucoup d’argent chaque fois qu’ils se marient. Parfois ils commencent à dépenser même avant le mariage. Ils comblent de cadeaux les filles qui leur plaisent et avec qui ils veulent se marier. Ainsi ils gagnent leur amour comme dans le cas de Modou avec Binetou : « Binetou cependant se métamorphosait. Elle portait maintenant des robes de prêt-à-porter très coûteuses. Elle explique à ma fille en riant : « Je tire leur prix de la poche d’un vieux » (Mariama Bâ, 1979 : 71). D’une part, pour les polygames, les dépenses des préparatifs du mariage dépassent toutes les mesures. Poussés par la joie, le fait de se remarier avec une jeune fille, ils dépensent sans compter : pour la dot, la fête, les cadeaux. Après chaque mariage, ils continuent à dépenser pour de nouveaux logements, nouveaux meubles, nouvelles voitures, cadeaux, etc. Parfois ils se trouvent responsables de trouver un logement pour les parents et la famille de la nouvelle épouse. D’autre part, la dépense des coépouses fait partie de la compétition qui est entretenue entre elles. Chacune veut tirer le maximum de la poche de leur époux pour des motifs toujours différents. A titre d’exemple, pour Ommi N’Doye, la deuxième femme d’El Hadji Abdou Kader, le gaspillage est une habitude. Elle dépense pour rien, cela est dû à son caractère superficiel et léger. Elle possède un gout très poussé pour l’argent : « Cette femme était très gaspilleuse. Avant-hier, il lui avait donné une forte somme. Qu’est-ce qu’elle en avait fait ? » (Sempène Ousmane, 1973 : 51). Tout son souci est de se montrer comme une femme moderne une femme riche. Pourtant elle critique son mari : « Avec tout ce que tu as dépensé à ce mariage tu peux penser à tes enfants » (ibid., 1973 : 51). Quant à Ndikou, la deuxième femme de Goor Gnak, normalement elle ne dépense pas beaucoup. Mais elle change d’habitude après le troisième mariage de son époux. Ce dernier remarque qu’elle dépense en peu de temps la même somme qu’elle parvient à économiser pendant des semaines. Mais Ndikou le fait exprès, car elle pense à l’avenir de ses enfants. Elle se dit qu’il ne lui reste qu’à s’accrocher à leur avenir et les mettre à l’abri des aléas de la vie. Dans sa situation elle a raison de s’inquiéter, puisque son mari ne se contente pas de la troisième épouse mais il en prend une quatrième. Donc, c’est mieux d’économiser pour le temps dur, pour l’avenir des enfants qui n’est pas toujours rassurant dans une famille polygame. Les trois personnages masculins : Modou, El Hadji Abdou Kader et Goor Gnak sont des polygames riches qui ont de hautes fonctions. Mais à cause du gaspillage, des excès, des dépenses pour la vie polygamique, ils détruisent toutes leurs fortunes au bout d’un court terme. El Hadji Abdou Kader, l’homme d’affaires, qui est frappé par la ″xala″, va d’un marabout à un autre. Il les paye très cher afin de guérir. Par conséquent, il est écarté de son emploi, il se trouve dans une crise économique très grave. Sa première épouse vend ses bijoux pour combler les trous tandis que la deuxième le quitte, elle choisit de se prostituer pour élever ses enfants. Goor Gnak est un ministre, mais trois ans après son quatrième mariage, il perd son siège. Le chef du parti lui fait une remarque : « Mais toi, Goor Gnak, le seul côté faible qu’il te connaisse est ton penchant à compter trop de pagnes » (Cheik Aliou Ndao, 1993 :149). Toutefois ses femmes, surtout la première et la deuxième font de grands efforts pour l’aider à surmonter cette crise. Quant à Modou, il est mort subitement d’une crise cardiaque sans laisser un sou. D’ailleurs, il a des dettes partout, même la villa où il habite avec sa deuxième épouse est construite avec une dette bancaire. Quand les deux familles des coépouses se réunissent avec l’Imam pour régler le ″Mirasse″ (l’héritage) comme on fait d’habitude après la mort des personnes, rien n’est laissé par le père pour assurer la vie de ses enfants. De plus la deuxième est obligée de quitter la villa avec ses petits et sa mère. 3.4. Les impacts sur le reste de la famille. Prendre une décision de mariage est une affaire personnelle, mais dans une société traditionnelle africaine ce n’est pas le cas. Les parents, les proches, les amis peuvent intervenir d’une manière ou d’une autre. Donc il faut plaire à tout le monde et le deuxième mariage est parfois fait pour ce motif. Un fils peut prendre une deuxième femme pour contenter sa mère ou ses parents. Autrement dit la belle famille exerce une influence sur la vie du couple. Donc la relation entre les épouses et les membres de la belle famille est toujours redoutable. De plus, gagner l’affection, le respect de la belle famille est une source de fierté entre les coépouses. Elles abondent de cadeaux pour se montrer aimable. Ndikou la deuxième de Goor Gnak : « Ses beaux-parents louaient sa prodigalité. Elle entretenait leur amitié par des cadeaux » (Cheik Aliou Ndao, 1993 : 55). Les époux se trouvent parfois obligés de soutenir des parents ou des proches de leurs femmes surtout ceux qui sont pauvres. Ils leur fournissent le logement et leur font des cadeaux. La belle-mère de Modou accède à la catégorie des ″femmes aux bracelets lourds″ grâce aux cadeaux des bijoux et des boubous que son gendre lui offre après chaque voyage. Parfois les coépouses qui se sentent autonomes prennent l’habitude d’accueillir leurs proches dans leurs domiciles sans prendre conscience du dérangement qu’elles causent à leurs époux. Modou se plaint : « Ma maison est une banlieue de Diakhao. Impossible de m’y reposer. Tout y est sale. La petite Nabou donne mes denrées et mes vêtements aux visiteurs » (Mariama Bâ, 1979 : 67). Les amies, les voisines jouent un grand rôle dans la vie des coépouses. Elles montrent des sentiments de sympathie. Elles donnent des conseils qui sont toujours provocants : « Tu laisses à une autre le fruit de ton labour » (Mariama Bâ, 1979 : 93). Elles incitent leur colère l’une contre l’autre comme dans un combat : « Tu serais bien bête de perdre ton mari et de le laisser à une autre ; celle-ci se moquerait de toi en disant que tu as peur » (Aminata Sow Fall, 1979 : 64). Parfois elles jouent un rôle positif. Anne-Marie, une voisine, dit à Perpétue : « Pourquoi accepter qu’on vous excite l’une contre l’autre ? Etes-vous donc deux chiens ? » (Mongo Béti, 1974 : 186). Elle joue le rôle de consolatrice entre les deux coépouses et leurs mari. Les amis du mari sont la plupart du temps accusés par les épouses d’être derrière le mariage de leurs époux. Elles pensent que ses amis encouragent leurs maris en jouant le rôle d’intermédiaire ou en vantant la beauté d’une femme devant eux : « Ce devait être cela Yaa Xam, cet entremetteur avait placé la troisième sur le chemin de son mari » (Cheik Aliou Ndao, 1993 : 59). 3.5. La polygamie, le maraboutage et la sorcellerie. Pour résoudre des problèmes matrimoniaux, on constate un recours permanent au maraboutage, à la sorcellerie. Une pratique très répandue en Afrique que la polygamie encourage davantage. Les femmes abandonnées par les maris ou celles qui perdent le privilège d’être femmes préférées par leur mari ou même celles qui craignent que leurs maris prennent de nouvelles femmes, sont une bonne clientèle des marabouts. Pour écarter une nouvelle coépouse ou bien ramener l’époux à son foyer, il y a des charlatans reconnus partout. Ils sont excellents en philtre magique mais ils habitent toujours loin et il faut les payer cher. La sorcellerie fait partie des activités journalières des femmes traditionnelles polygames telles que de Rokhya femme de Moussa Faye. Quant à Salimata, la première femme de Fama, qui souffre de stérilité, elle va régulièrement chez un marabout cherchant la fécondité. Elle suit scrupuleusement ses consignes. Non seulement les femmes, mais les hommes également fréquentent les marabouts. Nous avons comme exemple El Hadji Abdou Kader quand il est frappé par l’impuissance suite à sa troisième union, pour se guérir, il va chez un seet-katt (un voyant) indiqué par les amis. Ce dernier exige une grande somme d’argent. Mais avant de guérir il faut d’abord diagnostiquer le cas : « On t’a jeté un sort, tu dois te guérir, trouver un marabout ». Pour le marabout tout est facile, alors il lui dit : « Ce n’est rien, le xala ! Ce qu’une main a planté, une autre peut l’ôter » (Sembène Osmane, 1979 : 45). Dans le ménage polygame quand le mari tombe malade, quand il lui arrive un mal quelconque, le doigt d’accusation montre toujours les coépouses : « C’est quelqu’un de ton entourage » (Sembène Ousmane, 1979 : 85). La jalousie, l’envie de vengeance justifient telles accusations. Ces pratiques méchantes contre les maris ou contre les coépouses se déroulent également chez les marabouts. Alors El Hadj Abdou Kader commence à réfléchir : « Si les épouses ne se plaignent pas, c’est qu’elles ont tramé ce xala. Elles ne sont pas seulement jalouses, mais dangereuses pour ma N’Goné » (ibid., 1973 : 92). 3.6. L’amour et le ménage polygame. Concernant la polygamie et l’amour, la question qui se pose est la suivante : est-ce que l’amour existe dans le ménage polygame ? Cette même question peut se poser autrement : peut-on aimer plusieurs femmes au même temps ? Alors pour répondre à cette question, à partir de l’expérience romanesque des personnages polygames, on peut dire que l’amour semble impossible dans le ménage polygame, pourtant il existe. Toutefois il faut distinguer l’amour et les relations charnelles, signe de la suprématie de l’instinct qui marque la polygamie la plupart du temps. Modou aime beaucoup sa femme Ramatoulaye. Leur mariage est une belle histoire d’amour et de jeunesse. Quant il part étudier le Droit en France, il n’est pas séduit par la beauté des femmes qu’il rencontre làbas, il écrit à son amante : « C’est toi que je porte en moi. Tu es ma Négresse protectrice » (Mariama Bâ, 1979 : 35). Alors, après vingtcinq ans de mariage, il tombe amoureux pour la deuxième fois dans sa vie et de la copine de sa fille! Quant à Ramatoulaye, son amour pour Modou, son mari, reste intact, solide devant toutes les épreuves. Le fait qu’elle soit une deuxième, une abandonnée, ne la change pas. Après la mort de son mari, elle refuse tous les prétendants qui lui demandent la main. Alors elle dit : « Malgré tout, je reste fidèle à l’amour de ma jeunesse Aïssatou, je pleure Modou et je n’y peux rien » (ibid., 1979 : 107). Douda Dieng, un homme décrit comme parfaitement estimable, est amoureux d’elle depuis très longtemps. Bien qu’il soit déjà marié, qu’il ait des enfants, qu’il aime sa femme, il n’oublie jamais Ramatoulaye, son premier amour. Malgré leur mariage, (lui et elle), malgré le temps qui passe, toutes ces choses ne parviennent pas à effacer son amour de son cœur. Le fait qu’elle soit veuve, qu’elle ait l’âge de cinquante ans et avec douze enfants, tout cela n’empêche pas Douda de se présenter pour la deuxième fois pour se marier avec elle. Il lui dit : « Je viens à mon tour et pour la deuxième fois de ma vie, solliciter ta main … bien entendu à ta sortie du deuil. J’ai pour toi les mêmes sentiments qu’autrefois. L’éloignement, ton mariage, le mien n’ont pu saper mon amour pour toi. Mieux l’éloignement l’a aiguisé, le temps l’a consolidé ; mon mûrissement l’a dépouillé ; je t’aime avec puissance, mais avec raison. Tu es veuve avec de jeunes enfants. Je suis chef d’une famille. Chacun de nous a son poids de ″vécu″ qui peut l’aider dans la compréhension de l’autre. Je t’ouvre mes bras pour un nouveau bonheur, veux-tu ? » (Mariama Bâ, 1979 : 122). Mais Ramatoulaye qui reste fidèle à la mémoire de son mari, lui propose l’amitié au lieu de l’amour et le mariage. Il n’accepte pas, pour lui ″Tout ou rien″. Ainsi on remarque des sentiments ardents d’amour d’un polygame pour une veuve avec un peloton d’enfants. C’est au nom de l’amour qu’il lui demande sa main pour la deuxième fois. C’est au nom de l’amour qu’elle refuse cette proposition puisque elle garde l’amour d’un mari défunt. C’est vraiment incroyable ! Mais c’est un amour polygame ! Un autre exemple de l’amour qui vit au sein de la polygamie, est celui de Ndikou la deuxième épouse de Goor Gnak. Cette femme qui donne une image de sacrifice et de dévouement pour le triomphe d’un mari qui est partagé entre trois autres épouses. Puisqu’elle fait de grands efforts pour reconstruire sa carrière. Ainsi on peut s’interroger : « Quel nom donner à ce sentiment qui conduisait l’institutrice à s’armer d’un tel courage, prête à lutter jusqu’au dernier souffle afin que son mari retrouve ses privilèges ? » (Cheik Aliou Ndao, 1993 : 120). Alors pour designer cette attitude, il n’y a qu’un seul mot : l’amour. C’est l’amour qui guide la deuxième épouse à ces sacrifices. Mais c’est une sorte d’amour que l’auteur décrit ainsi : «… Pas la notion romantique de deux êtres unis, palpitant du même cœur, à l’exclusion de tout autre mais quelque chose de semblable et de différent » (ibid., 1993 :121). Celui-ci c’est l’amour qui est possible entre un homme et quatre femmes, qui est difficile à comprendre pour quelqu’un ayant grandi comme le remarque l’auteur hors du contexte social des africains. Ce même homme pour qui la deuxième garde de tels sentiments, tombe amoureux d’une quatrième femme : « Il agissait presque comme un enfant à la vue d’un jouet désiré. Pourvu qu’elle soit célibataire, priait Goor Gnak » (ibid., 1993 : 67). On peut se demander si aimer quelqu’un signifie forcément ne plus aimer quelqu’un d’autre. Il arrive qu’on dise : ″Si tu me laisses aimer cette personne avec toi, je t’aimerai encore plus″. N’est-il pas une vision idéale de l’amour ? Ou c’est plutôt un égoïsme masculin ? Comme tous les sentiments, l’amour n’est pas contournable, ni mesurable. Autrement dit il n’y a pas une certaine réserve ou stock d’amour à utiliser à certain moment ou à certaine limite et avec certaine personne, qui expire faute d’âge ou de temps. De plus la conception de l’amour n’est pas la même pour tout le monde. La notion d’amour romantique, par exemple, n’existe pas dans un contexte traditionnel. Tout de même l’état d’âme n’est pas stable, ce qu’on trouve bon aujourd’hui, on peut le trouver mauvais demain. Donc les sentiments sont également changeants. Alors, ce n’est pas une question de généralisation mais il vaut mieux prendre les cas dans leurs particularités et dans leurs contextes. A ce propos, dans son roman, Une si longue lettre, Mariama Bâ, à travers le personnage principal Ramtoulaye, fait une réflexion sur le sujet de l’amour et du mariage, la notion de la trahison de l’amour à cause de la polygamie. Elle affirme que l’amour est très nécessaire dans le mariage pour la réussite de la vie conjugale et pour toute une vie. C’est le seul élément qui donne à la vie son sens et son goût : « La saveur de la vie, c’est l’amour, le sel de la vie, c’est l’amour encore » (Mariama Bâ, 1979 : 120). Elle refuse de se marier avec Daouda. Elle refuse de se marier avec Tamsir le frère de son mari défunt. Elle lui dit : « Tu ignores ce que se marier signifie pour moi : c’est un acte de foi et d’amour, un don total de soi à l’être que l’on a choisi et qui vous a choisi » (ibid., 1979 :110). Actuellement plusieurs mariages tel que celui de Ramatoulaye et son amie Aïssatou sont établis d’une manière occidentale, c’est comme on dit un coup de foudre, une rencontre amoureuse et puis un choix libre. Donc revenir aux pratiques traditionnelles, à la polygamie, c’est comme l’affirment Denise Brahimi et Anne Trevarthen (1998) est un changement de registre senti comme une trahison par l’époux. Les femmes aspirent à avoir une relation amoureuse forte et durable. Elles trouvent que cela n’existe que dans un ménage monogame et dans le modèle de familles nucléaires. Elles se sentent complètement perdues lorsque leurs conjoints leur manquent et agissent différemment. Pour les conjoints, la polygamie ou le mariage plural est un droit légitime. Le deuxième mariage qui est considéré comme une trahison par leurs compagnes, pour eux peut être considéré comme un nouvel amour. Donc la conception de l’amour, du bonheur de la vie conjugale, est relative. Garder l’amour ou non c’est une chose, mais ce qui est indéniable pour la femme c’est que cette pratique de polygamie la blesse dans sa dignité. Ainsi on accuse directement l’homme : « L’homme détruit plus vite l’amour qu’il ne le construit à cause d’une certaine hypocrisie, de son égoïsme de sa faiblesse » (Marie Grésillon, 1986 : 51). Commentaires La polygamie est-elle vraiment la pire des souffrances que la femme africaine doit supporter ? Certainement la polygamie est une des pratiques dont la femme africaine souffre beaucoup, mais est-elle la pire ? Nous posons cette question pour attirer l’attention sur le fait que les souffrances de la femme africaine présentent de multiples visages, ce qui veut dire que la femme ne souffre pas uniquement à cause de la polygamie. Nous essayons d’y trouver une réponse à partir des exemples de romans et de réflexion sur la réalité actuelle de la femme africaine et d’autres femmes. A part la polygamie, comme nous l’avons déjà signalée, les romanciers africains abordent d’autres problèmes qui touchent de près la femme africaine, des problèmes qui leur tiennent à cœur, sur sa condition de vie. Nous essayons de présenter d’autres maux, d’autres souffrances que les femmes subissent qui ne sont pas moins graves que celles de la polygamie. Nous allons observer ces phénomènes à travers les personnages féminins de : Perpétue dans Perpétue et l’habitude du malheur de Mongo Béti, Jacqueline dans Une si longue lettre de Mariama Bâ et Diouana dans La Noire de … de Sembène Osmane. Perpétue, héroïne de Mongo Béti, est une fillette tendre, ambitieuse et intelligente. Son frère Essola, lui, garde des souvenirs d’enfant fragile, silencieuse, son amie de classe la décrit comme une grande femme et une très belle fille, cependant elle incarne par excellence la femme victime. Son cas apporte une preuve de toutes les souffrances que les femmes peuvent subir dans leur vie. Perpétue, pour reprendre la parole de l’auteur, est : « Une fille merveilleuse livrée à la fantaisie d’un énergumène » (Mongo Béti, 1974 : 71). Elle est obligée d’arrêter ses études, de se marier à un âge précoce contre son gré, avec un homme qu’elle n’aime pas, et avec qui elle mène une vie atroce. Evidemment, comme la plupart des femmes africaines, Perpétue souffre de la polygamie, mais la polygamie pour elle n’est qu’un événement passager ou provisoire dans une vie qui est une série de souffrances, de douleurs jusque à la mort. Tout d’abord, sa coépouse, Sophie, montre une gentillesse incroyable en parlant d’elle. Elle dit : « Je n’ai pas le moindre grief contre elle. S’il y a une chose que je souhaite, c’est bien de la traiter en amie » (Mongo Béti, 1974 : 186). Ensuite grâce à sa voisine Anne-Marie, Perpétue arrive à concilier avec Edouard, son mari, malgré la peine que lui cause son deuxième mariage surprenant. Puis la bigamie avec la seconde épouse ne dure pas longtemps. Très tôt les frères de celle-ci viennent la chercher puisque le mari ne leur paye pas la dot. Ainsi au bout de quelques mois, Perpétue se trouve la femme unique dans le foyer et elle ne souffre plus de la polygamie. Mais ses véritables souffrances commencent dès le début de la vie conjugale : Perpétue selon l’auteur est vendue, échangée contre une somme d’argent que sa mère touche sans avoir le souci de réfléchir sur cette action scandaleuse, sur l’avenir de sa fille. A ce propos, Mongo Béti avertit les parents, les frères de filles d’une telle action en disant : « Surtout ne vendez jamais vos sœurs ni vos filles, car qui pourra encore la sauver, s’il faut la sauver ? » (Mongo Béti, 1974 : 70). Ainsi Perpétue comme nous allons voir souffre beaucoup, ses souffrances sont dues au mauvais comportement de son mari et personne ne peut la sauver. Elle ne met pas longtemps à découvrir que la richesse de son mari est un grand mensonge. Lui qui paye cher la dot à sa mère pour lui donner la satisfaction en se présentant comme un homme de richesse et de pouvoir, n’occupe qu’un poste très modeste. Il gagne un salaire médiocre, le pire de tout cela est qu’il est trop avare. Donc elle qui est supposée se marier avec un homme riche souffre de la pauvreté, la dureté de la vie. Elle est obligée de travailler pour subvenir aux besoins quotidiens de la famille. Perpétue réunit des qualités telles que l’intelligence, la tendresse, mais son mari au contraire, il est une incarnation de la méchanceté et de la l’agressivité. Le fait qu’il rate plusieurs fois un concours duquel dépend sa promotion au travail fait de lui un sujet de moquerie des autres. Il est profondément humilié par des gens des quartiers qui lui disent : « Après tout, au lieu de t’acharner bêtement comme tu le fais, laisse donc ta femme y aller à ta place ; personne ne doute dans le quartier qu’elle serait reçue tout de suite, elle » (ibid., 1974 : 142). Ainsi il est exposé à la moquerie à cause de la supériorité intellectuelle de son épouse. Donc pour un règlement de compte, plein d’animosité contre Perpétue, il se montre plus soupçonneux, plus agressif avec elle. Il prend soin d’être aperçu au centre ville en compagnie d’une maitresse, et de laisser Perpétue seule toute la nuit. Il pousse l’aplomb d’amener une fille de ″rencontre″ au domicile conjugal. Perpétue qui n’en croit pas les yeux, se met à se battre avec elle. Les voisins arrivent, c’est un spectacle honteux. Pour réussir dans sa vie professionnelle, le mari de Perpétue adopte une nouvelle méthode. Il accepte de ″prêter″ sa femme à un de ses supérieurs, en échange d’un service dont il gagne profit. Il essaie de la convaincre en disant que c’est une pratique moderne qui se fait partout aujourd’hui. C’est normal pour aider le mari à obtenir un grand poste. Il lui dit : « Il n’est pas de femme, hormis les idiotes, qui ne s’estime heureuse si, pour si peu, elle arrive à décrocher un poste pour son mari » (Mongo Béti, 1974 : 211). Alors, Perpétue devient la maitresse d’un policier et par conséquent Edouard réussit brillamment à son concours après quoi il se lance dans une ascension très rapide. Perpétue, qui est femme de ″deux hommes″ qu’elle n’aime pas, s’engage de bon gré dans une nouvelle liaison avec le footballeur Zeyang. Pour se justifier elle dit : « Pour la première fois, j’ai envie de n’en faire qu’à ma tête » (ibid., 1974 : 234). Par cette relation, avec un amant librement choisi, elle cherche à se venger de tout ce qu’elle a subit auparavant. Et elle devient ″femme de trois hommes″. Son mari qui vient de déménager dans une nouvelle maison suite au nouveau poste découvre la liaison de sa femme avec le footballeur qui est un vieil ennemi. Traumatisé par cette liaison, il la bat impitoyablement devant ses enfants, il la chasse du lit conjugal. Il exige pour lui rendre sa libération un remboursement de dot exorbitant. Son amant de qui elle attend un enfant ne trouve pas assez d’argent pour rembourser la dot. Perpétue est affaiblie à cause de la grossesse sans trouver de soin. Son mari l’empêche d’aller accoucher chez sa mère. Elle demeure emprisonnée dans le nouveau domicile, entourée de ses enfants et le jeune domestique jusqu’à sa mort, et la mort de l’enfant dans son ventre. Dans cette histoire, nous remarquons que les véritables souffrances de Perpétue sont dues à d’autres raisons que la polygamie.Tout de même, il faut signaler que dans le roman de Perpétue l’accusation de la mère est directe. C’est une accusation qui vient d’un fils à sa mère, un comportement qu’on peut juger sans précédent. Essola qui s’adresse à sa mère, lui dit : « Alors je déclare ceci, maman : parce que tu as vendu Perpétue, et bien, l’assassin de Perpétue c’est toi » (Mongo Béti, 1974 : 46). La mère qui était sacrée auparavant est aujourd’hui accusée d’être responsable du malheur qui frappe sa fille. L’accusation est également adressée aux hommes qui sont nouveaux sur le pouvoir qui se servent de ce pouvoir pour écraser les femmes et les exploiter, les humilier sans en avoir aucun merci. Un autre exemple de la souffrance de la femme africaine est celle de Jacqueline un des personnages de Mariama Bâ. Une jeune femme ivoirienne qui s’est mariée avec un sénégalais, Samba Diack, l’ami de Mawdo Bâ et un médecin comme lui. Les parents de Jacqueline qui sont protestants ne sont pas d’accord avec ce mariage mais elle désobéit. Jacqueline devient amie de Ramatoulaye et d’Aïssatou parce que leurs maris sont des amis. Elle arrive au Sénégal avec son mari mais elle s’y sent étrangère. Pour elle, c’est un monde différent et une mentalité différente. Elle qui est d’origine protestante, n’embrasse pas la religion de sa belle famille. Ainsi bien qu’elle soit africaine, elle n’arrive pas à s’intégrer dans la nouvelle société sénégalaise, elle reste isolée. Ce qui redouble ses tristesses, ses chagrins, c’est le comportement de son mari. Lui, il passe ses loisirs à ″pourchasser″ les femmes sans prendre la peine de cacher ses aventures ou de respecter ni son épouse ni ses enfants. Son absence permanente, puis des indices tels que : des talons de chèques portant les noms de bénéficiers, factures de restaurants et de chambre d’hôtel, etc., sont des preuves de sa mauvaise conduite. Comme toutes les femmes trompées, Jacqueline pleure tout le temps, elle maigrit, et enfin elle tombe malade. Se plaignant d’avoir une boule gênante dans la poitrine, elle commence à courir de médecin en médecin qui ne trouvent rien d’anormal. Donc ils n’ordonnent que des comprimés, mais la boule demeure toujours à sa place. Quant à son mari, il continue sans cesse ses aventures amoureuses en dépit de la souffrance de sa femme. Ressentant l’approche de ses derniers jours, Jacqueline pense à ses parents qu’elle a quittés depuis longtemps, elle leur écrit une lettre pathétique pour implorer leur pardon. Sa situation devient de plus en plus grave. On l’emmène à l’hôpital psychiatrique, là elle reste prostrée dans son lit dans une situation de dépression totale, les cheveux délaissés car, elle ne prend aucun soin d’elle même. Apres un mois d’investigations, d’une voix douce et rassurante, le médecin chef du service neurologie la convoque et lui confie : « Madame Diack, je vous garantis la santé de votre tête. Les radios n’ont rien décelé, les analyses de sang non plus. Vous êtes simplement déprimée, c’est-à-dire… pas heureuse. Les conditions de vie que vous souhaitez diffèrent de la réalité et voilà pour vous des raisons de tourments. De plus vos accouchements se sont succédés trop rapidement ; l’organisme perd ses sucs vitaux qui n’ont pas le temps d’être remplacés. Bref, vous n’avez rien qui compromette votre vie. » Et il lui conseille : « Il faut réagir, sortir, trouver des raisons de vivre. Prenez courage » (Mariama Bâ, 1979 : 87). Jacqueline est une épouse qui souffre beaucoup à cause de l’infidélité et de la tromperie de son époux. Elle est donc en proie à une dépression nerveuse. Elle se laisse mollement pénétrer par l’amertume, la violence des jalousies et l’accumulation des rancunes, alors sa santé se détériore rapidement. C’est une sorte de souffrance psychologique qui se passe comme une maladie physique. Jacqueline incarne la situation d’une épouse trompée et qui n’y peut rien. Ramatoulaye se rappelle l’histoire de cette ivoirienne au moment où elle est en train de prendre une décision difficile dans sa vie, après le mariage de son époux. Après une séquence de méditations sur cette situation, elle trouve qu’il y a des femmes qui souffrent plus qu’elle bien qu’elles soient les seules dans leurs foyers. Alors elle arrive à des raisonnements tels qu’elle pense que la condition de vivre avec un polygame est beaucoup mieux, beaucoup plus supportable qu’avec un mari trompeur. Ainsi elle prend la décision de rester. A notre avis l’auteur se sert de cette histoire comme prétexte pour accuser certains pères de familles irresponsables. Ceux qui prétendent être monogames mais qui se jettent dans le grand fossé de l’adultère, des débauches, et de l’infidélité conjugale. Ce type de comportement détruit psychologiquement et physiquement la vie de leurs compagnes et par conséquence toute la vie familiale. Dans La Noire de… , une nouvelle dans son ouvrage intitulé Voltaïque, et à partir du drame de Diouana l’héroïne, Sembène Ousmane présente un autre type de souffrance de la femme africaine, celle d’une fille qui travaille comme bonne dans une famille blanche. Là, où elle souffre de l’humiliation, de l’exploitation et du racisme. Les voisins, les connaissances et les proches de la famille l’appelle La Noire de … , une dénomination qui porte pas mal de connotations. Il est un signe de sujétion et d’humiliation en l’attribuant à la famille avec qui elle travaille sans prendre la peine de se rappeler de son prénom. Diouana une jeune broussarde sénégalaise qui travaille dans une famille française à Dakar. Cette famille en retournant passer les vacances en France décide de l’emmener avec elle. Diouana est très contente de ce voyage, elle a le consentement de toute la famille. Pour elle la France est un grand rêve. Elle veut voir la France dont tout le monde parle de la beauté, de la richesse et de la douceur de la vie. Elle rêve de la liberté et de la grande fortune. Là où le salaire est très élevé et la bonne peut exiger un jour de repos. Elle va gagner beaucoup, elle va faire une fortune et reviendra dans son pays chargée des cadeaux. Tive Corréa -un vieux marin ivrogne qui a passé une vingtaine d’années de sa vie en Europe- n’est pas de l’avis que Diouana parte en France, mais la décision est définitivement prise par sa famille. Trois mois après son arrivée en France, Diouana qui abat un travail dur devient méconnaissable. Ses yeux se creusent, elle n’est plus la jeune fille rieuse, pleine de vie. Elle s’occupe de plusieurs tâches. Elle est à la fois cuisinière, femme de chambre, bonne d’enfants. Elle lave et repasse les vêtements, tout cela pour une petite somme d’argent. Quand elle monte au lit à la fin de la journée elle est complètement épuisée. Elle dort comme une souche. Diouana gagne la France, mais elle ne voit pas la France. Le fossé entre elle qui arrive de la brousse natale et sa patronne est grand. Cette dernière a l’habitude d’être servie au doigt et à l’œil. Son devoir d’épouse a une supériorité sur son rôle de mère. Elle sort fréquemment avec son mari en laissant Diouana harcelée par les quatre enfants qui constituent une mafia. Ces derniers adoptent envers elle une attitude raciste très évidente qu’ils expriment directement en chantant : « Voilà la Négres-se Voilà la Négres-se Noire comme le fond de la nuit » (Sembène Ousmane, 1962 : 176) Pour la première fois, Diouana commence à réfléchir au problème que peut poser la couleur de sa peau. Elle se sent seule, isolée. Elle n’échange aucune parole avec les membres de la famille sauf celle qui est d’ordre professionnel. Enfin elle se mord les lèvres regrettant d’être venue. Elle se rappelle des conseils du vieux Tive Correa mais c’est trop tard. Finalement elle est l’objet d’accusations, d’insultes de sa patronne : « sale », « menteuse » comme les « indigènes » et c’est le comble ! Diouana qui ne répond pas, qui garde le silence monte à la salle de bains et là on la trouve baignée dans son sang. Selon l’enquête de police elle s’est suicidée. Le lendemain les quotidiens publient la nouvelle dans un coin à peine visible (un autre signe de mépris) : « A Antibes une Noire nostalgique se tranche la gorge » (ibid., 1962 : 184). Comme tous les jeunes gens de son pays, Diouana rêve de la France. A propos de cette ambition des jeunes gens d’aller en France, Sembène Ousmane fait une réflexion très intéressante en donnant la parole au vieux Tive Correa. Il parle au chef de la famille blanche chez qui Diouana travaille : « Là-bas, on ne dit pas comme « chez vous », que c’est la clarté qui attire les papillons, mais le contraire ; chez moi, en Casamance, on dit que c’est l’obscurité qui les chasse » Sembène Ousmane, 1962 :172-173). Mais quelquefois on confond ″vivre en France et être domestique en France″ et c’est le cas de Diouana qui est victime des rêves irréalisables. Elle est également victime de l’exploitation, de l’humiliation à cause de la pauvreté, victime du racisme de la ségrégation à cause de la couleur de sa peau. Loin des siens, elle souffre énormément. Elle se trouve comme un prisonnier condamné aux travaux durs qui durent indéfiniment, et pour toute la vie. Elle qui rêve de plus de liberté en France, elle regrette celle de chez elle. Aucun espoir, aucune issue à cette vie atroce. Elle trouve que la seule délivrance c’est la mort pour achever des souffrances insupportables, ainsi elle se suicide. Ces trois exemples à notre avis, montrent qu’il existe d’autres souffrances qui sont parfois même pires que celles de la polygamie. A vrai dire la vie n’est pas toujours douce, souple ou agréable, les problèmes, les obstacles sont partout et dans la vie de tout le monde. Personne ne peut s’en échapper, même les hommes, ils ont leur partie de la misère, des souffrances. Il faut donc qu’on soit fort solide et lucide pour les affronter. L’Homme est dans une quête éternelle du bonheur qui rend la vie plus belle, ce n’est pas gratuit, il faut donc payer cher pour le trouver, il faut lutter, il ne faut pas renoncer. Donc, parlant de la condition de la femme africaine nous remarquons un regard de pitié, de pessimisme qu’on jette sur elle, sur son sort dans la vie. Elle est vue comme la plus triste personne au monde. Pour changer ce regard porté sur elle, il faut avant tout admettre l’existence des problèmes ici et là, toutefois il faut se garder de toute généralisation abusive. Puisque, la condition de la femme varie d’un endroit à un autre. Il faut prendre en considération la diversité, la spécialité des sociétés qui se divisent entre des croyances et des religions différentes. Les sociétés qui se caractérisent par des diversités ethniques et linguistiques. Mais en fait c’est la pauvreté et l’exotisme qui les caractérisent dans l’optique des autres et par-delà leur continent. C’est indéniable que la pauvreté est un facteur essentiel ou capital de la souffrance de la femme africaine, mais ce n’est pas le seul. Il existe des coutumes, des pratiques qui sont parfois à l’origine de beaucoup de problèmes. A titre d’exemple les pratiques discriminatives du traitement des enfants donnent toujours aux fils plus d’autorité plus de préférence qu’aux filles : « Elles (les femmes africaines) élèvent leur fils comme ″des petits coqs″ appelés à régner alors qu’à leurs filles seront dévolues les tâches jugées subalternes comme le ménage, les courses, la cuisine » atteste Julienne Zang (2003).1 Les femmes sont donc les artisanes de leur mauvais sort, pourquoi, parce qu’elles donnent à leurs enfants une éducation qu’elles croient juste. Elles ne savent pas qu’avec une telle éducation, elles perpétuent involontairement un système de pensée qui est défavorable pour elles. La jeune fille entend, des conseils pour apprendre à s’occuper de la maison, à faire la cuisine, des remarques que sa place est la maison, que c’est l’homme qui décide, etc. Alors habitée par ces remarques dès 1 Julienne Zanga, sisyphe.org/article.php3?id_article=332 son jeune d’âge, évidemment sa personnalité sera fortement influencée. A son tour elle va faire la même chose avec ses enfants et ses filles. La situation sociopolitique du continent, est également défavorable. Maintenant une cinquantaine d’années ont déjà passé après les indépendances des pays africains. Durant cette période, leurs fils ne réussissent pas à établir des régimes qui peuvent assurer une vie digne ou au moins stable à leurs peuples. Les femmes sont souvent mises au hasard des guerres civiles, des famines, des épidémies et d’autres catastrophes. Ce sont toujours elles et leurs enfants qui sont durement touchés par des conflits, des guerres qui s’arrêtent dans une région pour recommencer dans l’autre. Vivre dans les camps de réfugiés c’est la misère pour les femmes, pour les enfants. C’est le scandale pour les jeunes filles qui sont obligées de se prostituer pour un sac de riz. Etant fragiles, elles sont exploitées par ceux qui sont censés leur apporter l’aide. De vrais scandales dans lesquels s’implique même du personnel ″dits″ humanitair. La condition des africaines qui vivent à l’occident n’est pas enviable. Les regards portés sur celles qui viennent d’un continent pauvre, d’une terre où fleurissent des conflits comme réfugiées politiques demandant l’asile sont impitoyables. Celles sans papiers qui sont condamnées à travailler sans être déclarées et pour peu de salaire. Celles qui prennent le métier de la prostitution dans les boulevards parisiens. Celles qui arrivent de leur lointaine compagne vers une grande métropole occidentale suite à un mariage arrangé pour rejoindre des conjoints déjà mariés. Celles qui débarquent dans un pays où elles ignorent la langue, pour vivre dans des vieux appartements avec d’autres coépouses, etc. Le poète tunisien Tahir Bekri dit : « Mieux vaut allumer une bougie que maudire les ténèbres » cité par Julienne Zanga (2003).1 A notre avis, maudire les ténèbres est parfois également important. Ainsi on peut au moins les dévoiler, les démontrer pour qu’on sache exactement où on allume la bougie. Cependant nous reprenons la parole de Ken Bugul à ce propos et nous nous demandons : Est-ce seulement la femme africaine qui souffre ? La comparaison est toujours faite avec la femme occidentale, celle qui représente la modernité et qui est considérée par presque toutes les femmes dans le monde comme un modèle à suivre. Ken Bugul s’interroge : « Qui dit que c’est seulement chez nous qu’il y a de la souffrance ? Qu’attendons-nous donc pour aller -si on nous donne le visa- enquêter sur place, interroger leurs femmes sur leur misère bien plus affreuse que la notre et celle de nos villageoises ? D’ailleurs pourquoi se donner cette peine ? Il suffit de marcher dans certains quartiers de ces grandes capitales de là-bas, pour voir cette misère qui frappe les femmes, de l’âge d’enfant au troisième âge. Faites un tour dans les ménages et vous verrez la violence qui y règne, faites un tour dans les centres psychiatriques et parlez aux femmes qui s’y trouvent, allez dans les maisons de retraite et parlez à ces femmes 1 Julienne Zanga, sisyphe.org/article.php3?id_article=332 du troisième âge abandonnées. Allez au bistrot et voyez le nombre de femmes alcooliques et solitaires ! On se plaignait du chômage des femmes là-bas et on nous reprochait ici de trop travailler […] elles travaillent, gagnent de l’argent et parfois plus de liberté que les hommes et vous voulez leur parler d’égalité… » (Ken Bugul, 1999 :186-187). Cette remarque vient d’une personne qui passe la plupart de sa vie en se déplaçant dans des capitales et des villes occidentales. Le point de vue d’une romancière qui est exprimée ou transmis par l’intermédiaire de la narratrice, le personnage principal de son roman Riwan et le chemin du sable. Actuellement des phénomènes tels que la violence contre la femme, se posent gravement, notamment dans les sociétés occidentales. Une violence conjugale, au sein du couple, quand un des partenaires (toujours l’homme) exerce une domination qui s’exprime par des agressions physiques, psychologiques, économiques ou spirituelles. Cette violence a sûrement des conséquences désastreuses sur les femmes qui en sont victimes ainsi que sur les enfants. Depuis les années 2000, plusieurs enquêtes nationales tentent de dresser un bilan statistique des violences conjugales en France. Selon ces enquêtes, une femme sur dix est déclarée victime. Aujourd’hui le problème de la violence conjugale devient de plus en plus sévère, le taux de la violence augmente en Europe : une femme européenne sur cinq est exposée à la violence conjugale.1 1 fr.wikipedia.org/wiki/Violence_conjugale Beaucoup de crimes sont liés à la séparation, comme mourir sous les coups, chaque trois jours une femme meurt sous les coups du mari. Il y a celles qui se suicident après l’acte de violence. Beaucoup d’homicides sont commis sous l’emprise de l’alcool ou de produits stupéfiants. Donc, il existe maintenant des foyers pour les femmes battues dont le premier ″Flora Tristan″ qui est crée en 1977 à Clichy1. Il y a également d’autres souffrances tels que le harcèlement sexuel, l’abus d’autorité dans les relations du travail, etc. C’est une partie des souffrances de la vie privée d’une femme moderne. Sa vie publique a également des défauts, des problèmes. On trouve que même dans les pays occidentaux les femmes souffrent de l’inégalité dans la vie professionnelle. Pour un poste identique la femme est souvent moins payée que l’homme. Selon une enquête réalisée par CareerBuilder.fr, 43% des femmes françaises déclarent être payées moins que leurs homologues masculins qui ont une expérience égale. L’exercice du pouvoir en entreprise est toujours l’apanage des hommes.2 En 1995, la Quatrième conférence mondiale sur la femme a eu lieu à Beijing (Pékin) en Chine sous le titre : Action pour l’Egalité, le Développement et la Paix, avec la participation de 189 pays, 2100 organisations non gouvernementales. L’objectif est la promotion, l’autonomie et les droits fondamentaux de la femme. Les discussions sont sur les thèmes : femme et pauvreté, femme et prise de décision, violence et autres problèmes qui concernent la femme. 1 fr.wikipedia.org/wiki/Violence_conjugale 2 www.careerbuilder.fr/.../CB-82-Aspects-liés-au-lieu-de-travail-Salaires-et-conditions-de-travailles-femmes-se-sentent- Aujourd’hui quinze ans après la conférence il n’y a pas de grande amélioration de la condition de la femme. L’égalité reste encore un rêve irréalisable. Les guerres, la pauvreté perpétuent les souffrances de la femme et la violence reste toujours un problème majeur.1 Concernant la polygamie, pour répondre à la question : Pourquoi la polygamie persiste-t-elle malgré la modernité qui envahissait et qui envahit encore les sociétés africaines ? Malgré les critiques qui portent sur ce système surtout de l’occident ? A notre avis cela est dû à plusieurs raisons. Tout d’abord on peut dire que la polygamie persiste parce que c’est une forme ou une traduction de la domination de l’homme sur la femme. Un système dans lequel les hommes trouvent leur compte, et qui répond à leurs désirs leurs besoins instinctifs. De plus la polygamie constitue une des convictions traditionnelles et religieuses enracinées chez les africains qui ne trahissent ni leurs traditions ni leurs héritages culturels, qui ne peuvent pas mettre en cause leurs principes religieux. Si on renonce à la polygamie quel système peut-il lui substituer? Estce que la monogamie occidentale est un bon modèle pour la remplacer ? Y a-t-il de vraie monogamie ? La monogamie occidentale qui est souvent une suite de séquences des mariages et des divorces ou avoir une femme comme épouse légitime et une ou plusieurs comme maîtresses n’est-elle pas une autre forme de la polygamie ? Evidemment c’est une forme non déclarée de la polygamie, dans laquelle la femme maîtresse vit en cachette des années et des années et 1 http://fr.wikipedia.org/wiki/Quatrième_conférence_mondiale_sur_les_femmes ne jouit d’aucun droit juridique même si elle a des enfants. Kembe Milolo atteste : « La femme moderne souhaite que les structures actuelles de la société abolissent la polygamie. Mais ce serait folie de la détruire, aussi longtemps que l’on n’est pas en mesure d’y substituer une organisation meilleure ». Elle continue : « La suppression du système polygamique crée d’autres problèmes plus complexes, au niveau de la stabilité et de la sécurité sociale de la femme » (Kembe Milolo, 1985 : 190). Donc si on supprime la polygamie, est-ce que la femme est capable de supporter les problèmes qui peuvent en découler ? Il s’agit là de la question essentielle qui se pose et qui mérite qu’on y réfléchisse. Dans le magazine Femina, N° 314, qui est un Supplément de L’Est Republican daté du 28 février 2010, précisément dans la rubrique :″Votre Courrier″ et sous le titre : « J’ai découvert la double vie de mon mari », une femme française présente un problème dont la plupart des femmes occidentales souffrent. Cette femme qui est divorcée en 2004 vient de découvrir que son ex-mari a une maîtresse depuis 1964, avec qui il a trois enfants et elle assiste même à leur mariage deux ans après (en 1966). Une quarantaine d’année de trahison pendant lesquelles le mari a une double vie qu’il cache habilement. La femme trompée, divorcée, comprend enfin pourquoi son ex-mari est toujours en déplacement. Elle est tellement choquée qu’elle tombe malade. Elle affirme : « J’en suis malade » (magazine Femina, N°314, 2010 : 48). Cette histoire réelle révèle une partie de la vie de la femme occidentale, qui souffre elle aussi mais avec ce qu’on appelle la monogamie. Aujourd’hui le mariage n’est pas la seule institution qui encadre la relation des couples. Les sociétés occidentales reconnaissent d’autres unions. Il existe ce qu’on appelle ″l’union libre″ comme le concubinage, le PACS. Il s’agit d’une union sans contrat, qui se caractérise par une certaine continuité, une certaine stabilité et qui peut être entre deux personnes de même sexe ou de sexe différent. Dans cette union il y a la possibilité d’avoir des enfants hors mariage qui sont eux aussi reconnus par leurs parents. Dans le cas des homosexuels qui ont le droit au mariage la question sur leur droit d’adoption des enfants est aujourd’hui un sujet de grande polémique. Il nous semble étrange qu’en occident où on donne aux citoyens toute la liberté de choisir la façon de vivre en couple, une liberté de choix sans limitations qui varie du mariage, au concubinage, une liberté qui permet même le mariage homosexuel, cette société critique la polygamie. Toutefois elle peut être aussi considérée comme un autre choix libre ou une autre forme de la vie -de vivre en multi-couplespour les personnes qui la choisissent et la pratiquent et dont elles sont convaincues. Quant à la femme, on peut se demander quelle est la meilleure situation pour elle ? D’être une maîtresse au une coépouse ? Nous trouvons dans ce passage de Roger Bastide non seulement un partage d’avis, mais plus que cela, une confirmation de tous ce que nous venons de dire, il affirme : « L’Occident qui réprouve la polygamie (bien qu’il connaisse, avec l’augmentation du nombre de divorces et de remariages, une forme de monogamie sérielle). Cependant la polygamie résiste aux critiques comme aux efforts qui ont était faits pour la rayer des droits coutumiers. On peut se demander pourquoi ? ». 1 Parmi les savants, les penseurs occidentaux, il existe ceux qui ont étudié la polygamie avec sincérité et réalisme. Le célèbre philosophe allemand Arthur Schopenhauer arrive à une conclusion que la polygamie est une nécessité sociale. Dans son ouvrage qui porte sur les femmes, il indique : « Chez un peuple ou la polygamie est légale, il y a beaucoup de chance que la majorité des femmes possèdent un mari et des enfants, c’est-à-dire que leurs exigences psychiques et instinctives soient satisfaites. Mais en Europe, où l’Eglise nous l’interdit, les femmes mariées sont plus nombreuses. Mais combien de femmes et de filles ont dû souffrir amèrement de l’absence de maris et d’enfants et combien d’elles sont sous la pression des instincts sexuels et d’autre obligation, ont dû se souiller » cité par (Seyyed Moujtaba Moussavi , 1993 : 242). Gustave Lebon dit dans son livre La Civilisation des Arabes : « La polygamie évite à la société les malheurs et les dangers des maîtresses et met les gens à l’abri des enfants de père inconnu » (ibid., 1993 :243). L’anglaise Anny Besant, leader d’un mouvement mystique déclare : « l’Occident prétend ne pas avoir accepté la polygamie mais la vérité 1 Roger Bastide, http://www.innovation-democratique.org/… est qu’il s’y pratique belle et bien, sans entraîner aucune responsabilité » (Seyyed Moujtaba Moussavi, 1993 : 242). Actuellement en Afrique et partout ailleurs, la femme se sent de plus en plus indépendante surtout au niveau économique. Elle travaille, elle gagne sa vie. Elle est donc de moins en moins contrainte, elle peut protester, elle peut dire non pour un mariage qui lui déplait. Les romans présentent des exemples de femmes qui refusent un mari choisi par la famille, ou celles qui choisissent de se marier contre le gré de leurs parents avec ceux qu’elles aiment. Nous citons à titre d’exemple Ramatoulaye, Adja Awa Astou et Jaqueline. Donc, pour la polygamie, la femme africaine a également le choix, elle a le droit de dire non, elle a le droit d’accepter, puisque il ne faut contracter aucun mariage sans prendre son avis. L’aveugle soumission ne convient plus à la femme d’aujourd’hui. C’est elle qui décide pour elle même, pour sa vie, et évidemment, c’est elle qui assume la responsabilité de sa décision, de son choix. De plus si elle ressent une menace ou une tentative de violer ses droits la loi la protège. Imaginons que toutes les femmes disent non à la polygamie, y aura-t-il la possibilité de trouver un ménage polygame ? Si toutes les femmes disaient non, à notre avis la polygamie n’existerait plus. Cela veut dire que les femmes qui sont considérées comme victimes de cette institution, sont le grand facteur de son maintien de son établissement et de son support. Mais certainement il y a des femmes qui disent non, il y en a d’autres qui disent oui, donc la pratique continue. A notre avis dans les relations de couple il n’y a pas de système standard. Un système qui est 100 % bon ou 100 % mauvais n’existe pas. Monogamie ou polygamie, le problème est dû aux conflits de cultures, conflits entre modernité et tradition, la monogamie représente la modernité, la polygamie représente la tradition. La polygamie qui est considérée par l’Occident comme une pratique qui porte atteinte à l’égalité homme/femme, un crime pour lequel on doit être puni, est pour les africains un signe de prestige et de fierté. Ils trouvent dans la monogamie un acte de déracinement et de manque d’originalité. Toutefois, nous trouvons que c’est une question de choix de vie ; l’homme ou la femme doit être libre de choisir : monogamie ou polygamie selon leurs goûts, leurs données, leur réalité et leur contexte. Un choix qui conforme à la nature humaine et aux normes de la société à laquelle on appartient. A titre d’exemple la polygamie est autorisée par la religion musulmane mais avec des conditions d’être juste, d’être équitable sinon il vaut mieux ne prendre qu’une seule épouse. Evidemment dans une société musulmane, personne ne songe à mettre en cause la polygamie en tant que principe de l’Islam (qui l’autorise avec condition). Les romanciers Africains qui critiquent la polygamie critiquent les pratiques injustes, inéquitables entre les coépouses, les pratiques qui sont contre les recommandations de la religion et les règles de la société. Les pratiques de ceux qui se servent de cette licence pour un usage abusif et par désir de changement. Les critiques portent également sur les mauvais impacts de la polygamie sur la vie de la famille, surtout sur les enfants. Toutefois ces romanciers traitent la polygamie dans des tonalités différentes même opposées. Comme nous avons vu, d’abord, dans les premiers romans (les romans qui sont écrits avant les années 60) la polygamie est traitée comme une pratique normale qui ne pose aucun problème. Plus tard on constate un changement d’avis sur ce sujet. Cela est dû à notre avis aux changements qui frappent la société africaine dont ces écrivains font partie. A titre d’exemple, Sembène Ousmane qui dans un de ses premiers romans : Ô Pays, mon beau peuple ! écrit en 1958, apprécie l’entente des coépouses de Mussa Faye, apprécie son habilité à diriger son ménage polygame sans problèmes, change complètement de ton quand il attaque violement El Hadj Abdou Kader dans Xala qui est apparu une vingtaine d’année plus tard. Il le présente comme quelqu’un qui se sert de son pouvoir et de sa richesse gagnés au prix d’écrasement, d’exploitation des pauvres, pour assouvir ses phantasmes et ses désirs charnels en multipliant les épouses. Il présente la femme comme une victime, qui souffre en silence. Une seule tentative de protester de Rama (la fille aînée d’El Hadj Abdou Kader) lui coûte un gifle qui la rend muette. Au contraire, les romancières traitent la polygamie avec sensibilité et raisonnement. D’abord leurs personnages féminins ne sont pas présentés comme victimes pourquoi, parce qu’il s’agit dans la plupart des cas des femmes instruites qui sont en lutte, qui se sont déjà débarrassées de coutumes jugées inadéquates. Quant à leur réaction vis-à-vis de la polygamie, les romancières présentent des modèles de femmes qui disent non, qui se révoltent contre la polygamie et qui réussissent à continuer une vie plus réussie, plus calme et plus heureuse. Ce modèle est représenté par Aïssatou dans le roman Une si longue lettre de Mariama Bâ. Même celles qui sont soumises à la polygamie comme Ramatoulaye, qui aurait pu suivre le modèle de son amie et dit non, puisqu’elle travaille elle aussi, donc elle est capable de s’occuper de ses enfants. Mais elle décide de rester, d’accepter la polygamie parce qu’elle aime fort son mari. Donc dans ce cas il n’y a aucun sentiment de victimisation, pour elle c’est plutôt une trahison. Même Loli dans La grève des bàttu d’Aminata Sow Fall montre une grande révolte contre l’action polygamique de son mari, mais cette révolte est avortée par ses parents qui interviennent et elle n’ose pas à les mécontenter. A propos de la relation homme/femme, nous trouvons que la romancière gabonaise Angèle Rawiri fait une bonne description de l’état des femmes d’aujourd’hui. Elle remarque que : « Elles (les femmes évoluées) luttent, d’un coté, pour s’affranchir de la tutelle des hommes et, de l’autre, ne veulent rien entreprendre sans eux » cité par (Pierre Fandio, 1995 :170) Ainsi elle révèle un comportement contradictoire chez la femme évoluée vers l’homme. Certainement cette relation homme/femme qui, dans les milieux africains traditionnels, se caractérise par la domination d’un côté, de la soumission de l’autre pousse certaines romancières à considérer que l’homme est un ennemi à combattre, que la lutte de la femme est une lutte pour se libérer de l’emprise de l’homme. Cependant certaines autres croient dans la complémentarité homme/femme, elles y trouvent une solution idéale. L’homme a besoin de la femme, il ne peut pas vivre sans elle, la femme a besoin de l’homme, elle ne peut pas vivre sans lui. La société s’établit de l’union des hommes et des femmes, donc la complémentarité est l’attitude naturelle. C’est par le respect et l’amour réciproque qu’on assure l’harmonie et la douceur de la vie de la famille et de tout le monde. Ainsi Mariama Bâ affirme : « C’est de l’harmonie du couple que naît la réussite familiale, comme l’accorde de multiples instruments crée la symphonie agréable » (Mariama Bâ, 1979 : 168). CONCLUSION Dans une approche socio-littéraire, nous visons par cette recherche à mettre en évidence la fonction sociale de la littérature qui influence et qui est influencée par la société. En abordant le sujet de la femme africaine, nous nous sommes appuyés sur le roman africain comme source indispensable d’information sur la femme, sur son rôle au foyer et au sein de la société, sur ses conditions de vie et sur la relation homme/femme. Nous nous sommes également appuyés sur le rôle du roman comme outil de critique sociale, sur la préoccupation des romanciers par les problèmes de leurs pays et de leurs peuples. En ce qui concerne la représentation de la femme africaine, les romans en dressent des images multiples. Ces images varient selon les époques, selon les écrivains eux-mêmes qu’ils soient hommes ou femmes. En traçant les clivages romanciers/romancières, nous pouvons dire que les romanciers dressent deux types de portraits : celui de la femme forte et celui de la femme faible ou victime. En revanche les romancières en inventent un troisième : celui de la femme en lutte. La femme tiraillée entre la volonté d’améliorer son statut et la préconscience de l’enracinement des coutumes, des traditions qui la freinent. D’autre part, nous constatons que la polygamie est un thème récurrent dans le roman africain depuis son apparition. Ce thème est traité dans des tonalités antithétiques. Dans les romans tels que Batouala de René Maran paru en 1921 et Ô pays, mon beau peuple !, l’un des premiers œuvres de Sembène Ousmane écrit en 1957, la polygamie est abordée comme une banalité normale, puis, elle subit des critiques violentes dans les romans qui suivent, tels que Une si longue lettre de Mariama Bâ et Xala un autre roman de Sembène Ousmanse. Ces derniers sont publiés dans les années 70. L’influence de la civilisation occidentale, la modernité, le féminisme, tous ces aspects interviennent et défavorisent cette pratique. Cependant la polygamie persiste tant qu’il n’y a pas d’autre institution qui peut se substituer à elle et tant qu’elle trouve le soutien et l’encouragement de la plus grande proportion des africains, notamment les intellectuels. L’attitude de la femme vis-à-vis de la polygamie se divise principalement entre la soumission et la révolte. L’acceptation existe mais c’est rare et limité. A travers le thème de la polygamie, on peut essentiellement distinguer deux images de la femme : l’image de la femme soumise et l’image de la femme révoltée. Dans l’écriture féminine notamment de Mariama Bâ, commence à se forger un nouveau modèle de la femme qui se révolte contre la polygamie. Celle qui concrétise sa révolte avec une action de rupture définitive. Elle obtient de grands succès dans sa nouvelle vie qu’elle choisit loin d’un mari devenu polygame. Ainsi l’image de la femme révoltée est apparue en opposition à celle de la femme victime ou écrasée qui domine l’écriture masculine pour des décennies. Les solutions que les romanciers peuvent offrir à la femme à la recherche de l’autonomie résident dans deux choses : l’instruction et la formation. Grâce à l’instruction et à la formation, la femme peut assumer ses droits à la vie intellectuelle, sociale et professionnelle, elle peut gagner son indépendance économique. Ainsi elle peut être capable de prendre des décisions importantes dans sa vie, voire sur la question du mariage et de la polygamie. D’autre part, on peut observer que les hommes sont plutôt favorables à la polygamie. Ils sont potentiellement polygames. Ayant un niveau élevé d’instruction, les hommes africains ont le même risque de devenir polygames que les analphabètes. L’influence du milieu est évidente sur les enfants des polygames qui auraient eux-mêmes la possibilité d’être polygames à leur tour. Il existe toujours des facteurs culturels, religieux, sociaux et économiques qui favorisent ou non la polygamie selon les différentes époques et les différentes sociétés. Actuellement les critiques qui portent sur la polygamie sont de plus en plus sévères. Elle est considérée comme une atteinte à l’égalité homme/femme, la grande misère de la femme et l’origine de ses souffrances. Nous constatons que la plupart du temps ce mode de vie entraîne des conséquences déplorables sur la vie des couples, surtout les femmes et les enfants. Pourtant l’analyse de la condition de la vie de certains personnages féminins dans les romans africains nous révèle d’autres problèmes, d’autres souffrances que les femmes africaines subissent et qu’elles doivent supporter, qui sont même pire que la polygamie. Donc la souffrance de la femme peut avoir de multiples formes. On se demande est-ce que le bonheur de la femme dépendrait uniquement de l’abolition de la polygamie ? Cette étude qui se limite sur l’image de la femme dans le roman africain francophone, sur la question de la polygamie soulève d’autres problèmes, d’autres souffrances qui attristent la vie de la femme. Nous proposons qu’ils soient sujets d’autres études sur la condition de la femme. Nous avons conscience que des analyses d’ordre lexical, stylistique ou structural des romans apporteraient un supplément d’utilité à ce travail. Nous projetons de développer cette thématique dans un travail ultérieur. Bibliographie Ouvrages généraux de la littérature ABDALLA, N., 1993, L’influence de l’Islam sur le roman de l’Afrique de l’Ouest, mémoire de master en littérature, Université de Khartoum. AMOAH, F., 2000, Polygamie et conflits missionnaires en Afrique, thèse de doctorat, littérature comparé, Paris 3. ANOZIE, S., 1970, Sociologie du romans africain, Aubier Montaigne, Paris. BAKHTINE, M., 1978, Esthétique de la théorie du roman, Gallimard, traduction française. BEAUMARCHAIS, J. 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Sembène Ousmane 25 1.5.4. Mongo Béti 29 1.6. D’autres romans abordent la polygamie 36 1.6.1. Batouala 36 1.6.2. Les soleils des Indépendances 37 1.6.3. La Grève des bàttu 38 1.6.4. Excellence, vos épouses ! 39 1.6.5. Riwan ou le chemin de sable 40 1.6.6. ″Orniatte al-Nare″ (Le chant du feu) 42 1.6.7. Trois femmes puissantes 44 Chapitre 2 : Définition et histoire de la polygamie. 48 2.1. La polygamie 48 2.1.1. Définition de la polygamie 48 2.1.2. La conception du mariage 50 2.1.3. La polygamie phénomène universel 52 2.1.4. La polygamie dans la préhistoire 53 2.1.5. La polygamie chez les Mormons 54 2.1.6. La polygamie et les religions 55 2.1.6.1. Les vieilles religions africaines 55 2.1.6.2. Le Judaïsme 56 2.1.6.3. Le Christianisme 56 2.1.6.4. L’Islam 57 58 2.1.7. La polygamie en Afrique 2.1.7.1. La polygamie au Sénégal 60 2.1.7.2. La polygamie au Cameroun 62 2.1.7.3. La polygamie au Soudan 63 64 2.1.8. La polygamie en France 67 2.2. La monogamie 2.2.1. Définition de la monogamie 67 2.2.2. Le féminisme (mouvement de libération de femme) 72 2.2.3. L’image de la femme monogame 76 Deuxième partie : Analyse du rôle et de l’image de la 78 femme dans le roman africain Chapitre 1 : Le rôle et l’image de la femme dans le roman 79 1.1. Le rôle et l’image de la femme dans le roman africain 79 1.2. Femme au foyer 84 1.2.1. La relation mère /enfants 87 1.2.2. La relation mère/ancêtres 89 1.2.3. La relation mère/ fille 90 1.2.4. La relation tante/fille 91 92 1.3. Femme au travail 1.3.1. Travail manuel 94 1.3.2. Travail salarié 96 Chapitre 2 : La femme traditionnelle et les coutumes du mariage 100 2.1. Coutumes du mariage 100 101 2.1.1. Le choix du conjoint 2.1.2. La dot 102 2.1.3. La virginité 103 2.2. Le mariage et la superstition 105 2.3. Le mariage et le problème de caste 107 2.4. L’image de l’épouse traditionnelle 109 Chapitre 3 : L’image de la femme évoluée 111 3.1. L’évolution de l’image de la femme 111 3.2. L’image de la femme évoluée 114 Troisième partie : Analyse de la polygamie 118 Chapitre 1 : Les raisons de la polygamie 119 1.1. Les raisons économiques 121 1.1.1. Le besoin de main d’œuvre 121 1.1.2. La pauvreté et la nécessité des femmes 122 126 1.2. Raisons sociales 1.2.1. Le prestige social 126 1.2.2. La solidarité clanique, alliance politique 127 1.2.3. La coutume du lévirat 128 1.2.4. Le problème de l’honneur 130 1.2.5. La tyrannie de la belle-mère 131 1.2.6. La stérilité 133 1.3. D’autres raisons 137 1.3.1. Protection de la santé de la mère et de ses enfants 137 1.3.2. Maladie de l’épouse 138 1.3.3. Supériorité du nombre de femmes sur celui d’hommes 138 1.3.4. La réponse aux besoins naturels 141 1.3.5. Le désir de changement 143 1.3.6. La volonté de refaire sa vie 145 Chapitre 2 : Les manifestations de la polygame 147 2.1. La soumission 147 2.1.1. La conception de La soumission 147 2.1.2. Pourquoi la femme se soumet-elle à la polygamie 151 153 2.1.3. L’image de la femme soumise 2.1.3.1. Ramatoulaye 153 2.1.3.2. Adja Awa Astou 159 165 2.2. La révolte 2.2.1 La conception de la révolte 165 2.2.2. La révolte de la femme 169 2.2.3. La prostitution comme thème de révolte 173 2.2.4. La révolte contre le mari 175 2.2.5. La révolte contre la polygamie 176 2.2.6. Images des femmes révoltées contre la polygamie 178 2.2.6.1. Rama 178 2.2.6.2. Daba 180 2.2.6.3. Aïssatou 182 185 2.3. L'acceptation 2.3.1. La conception de l'acceptation 185 2.3.2. Les femmes qui acceptent ou tolèrent la polygamie 187 Chapitre 3 : Les conséquences de la polygamie 192 3.1. Les impacts sur les couples 192 3.1.1. La ″moomé″ 196 3.1.2. La femme préférée et la jalousie des coépouses 202 207 3.2. Les impacts sur les enfants 3.2.1. L’éducation des enfants 209 3.2.2. La relation demi-frères, belles-mères 210 3.3. La dépense et le gaspillage dans la polygamie 212 3.4. Les impacts sur le reste de la famille 214 3.5. La polygamie et le maraboutage et la sorcellerie 216 3.6. L’amour et le ménage polygame 218 Commentaires 223 Conclusion 248 Bibliographie 251 Table des matières 260