Image de marque et Internet - Etats Généraux du Management
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Image de marque et Internet : Comprendre, éviter et gérer l’effet « Streisand » Sébastien Liarte CEREFIGE – EA 3942 ISAM-IAE de Nancy Université de Lorraine 25, rue Baron Louis 54007 Nancy Cedex Tél. : (+33) 3 54 50 43 00 [email protected] Résumé Afin de gérer leur image de marque, les entreprises peuvent être tentées de contrôler toutes les informations les concernant. Cette volonté de contrôle peut aller jusqu’à chercher à influencer les informations disponibles sur Internet. Dans ce cas, un processus contre-productif, l’effet « Streisand », peut s’enclencher. Ce processus aboutit à une plus grande diffusion d’une information qui serait restée confidentielle sur Internet, s’il n’y avait pas eu la volonté de la manipuler, voire de la retirer. La présentation de cet effet à travers trois cas réels rencontrés par Ralph Lauren, General Mills et Nestlé, permet d’illustrer ce processus. Ces cas permettent de souligner les limites des réponses communicationnelles et juridiques classiques tout en apportant des réponses visant à gérer au mieux cet effet. Enfin, l’impact de l’effet « Streisand » sur les performances de l’entreprise et de son image de marque est souligné. Mots clefs Effet « Streisand » – Internet – Communication – Image de marque Le développement d’Internet a bouleversé la gestion de l’image de marque par les entreprises (Christodoulides, 2011). Désormais, le modèle de communication descendant et hiérarchique allant de l’entreprise vers le consommateur, décliné dans les médias de masse, ne correspond plus à l’environnement dynamique et interactif offert par Internet (de Chernatony, 2001 ; Christodoulides, 2011). Le consommateur, en ayant désormais la possibilité d’échanger directement tant avec la marque qu’avec d’autres consommateurs, se voit replacer au centre du modèle de communication (Bernoff et Li, 2008). L’objectif de cet article est d’informer sur l’effet « Streisand ». Plus encore, à travers la présentation de cet effet, il est avancé qu’un contrôle excessif sur Internet de l’image de marque peut se retourner contre l’entreprise de manière violente. En effet, l’effet « Streisand » survient lorsqu’une entreprise cherche à retirer une information d’Internet qu’elle estime aller à l’encontre de son image de marque. Ce qui aurait traditionnellement pu être considéré comme du simple contrôle est, dans ce cas, assimilé à de la censure par les internautes. Cette situation déclenche alors une réaction négative, rapide et massive à l’encontre de l’entreprise. Cet article présente l’effet « Streisand » et décrit son processus en l’illustrant à travers trois exemples. Pointant les risques associés à certaines réactions des entreprises, cet article propose des recommandations pour gérer une telle situation. Présentation de l’effet « Streisand » Compte tenu de sa nouveauté, il est nécessaire de définir l’effet « Streisand » et d’en présenter le processus général. Naissance et cadre général de l’effet « Streisand » En 2003, le photographe Kenneth Adelman mit en ligne une série de plus de 10 000 photos aériennes sur le site Pictopia.com. Ces photographies entraient dans le cadre du projet California Coastal Record Projets qui visait à établir un état des lieux photographiques de l’érosion de la côte californienne. Sur l’une de ces photographies apparaissait, de manière fortuite, la maison de Barbra Streisand. La chanteuse engagea alors une procédure judiciaire afin d’obtenir le retrait de cette photographie du site Internet concerné, qui portait atteinte, selon elle, au respect de sa vie privée. Elle réclama également 50 millions de dollars de dommages et intérêts. In fine, non seulement Barbra Streisand ne parvint pas à faire retirer la photographie mais cette affaire eu une conséquence encore plus négative. En rendant l’affaire publique, plus de 400 000 personnes se rendirent en quelques mois sur le site pour télécharger cette photographie. L’effet « Streisand » était né1. Dénommé ainsi par Mike Masnick en 2005 1 sur son blog (www.techdirt.com), l’effet « Streisand » décrit le phénomène qui assure une plus grande publicité et une diffusion plus importante de toute information qui serait restée confidentielle sur Internet, si on n’avait pas cherché à la cacher ou à la retirer. Effet « Streisand » et mécanismes sous-jacents Le processus générant l’effet « Streisand » se déroule en quatre étapes (figure 1). Figure 1 Processus de diffusion schématique de l’effet « Streisand » • Etape 1 – Enclenchement du processus Deux éléments sont nécessaires pour que l’effet « Streisand » puisse avoir lieu : a) La mise en ligne sur Internet d’un élément concernant une entreprise (images, vidéos, sons, documents écrits, pages de blogs ou de microblogings). Les sources de ces éléments peuvent êtres diverses : consommateurs, associations, organisations non gouvernementales, experts, salariés, journalistes ou toute autre personne désireuse de communiquer des informations sur une marque. b) La réaction de l’entreprise concernée. Jugeant que l’information diffusée sans son accord est défavorable à son endroit (généralement nuisible envers l’image de marque), elle cherche à la faire retirer d’Internet. • Etape 2 – Accélération du processus à travers des intermédiaires Un petit nombre de personnes va prendre connaissance à la fois de l’information incriminée et de la volonté de l’entreprise de la faire disparaître. La particularité de ces personnes est d’être 2 des intermédiaires (Steele, Smith et McBroom, 1999), c’est-à-dire des individus possédant de multiples liens avec d’autres personnes. Les intermédiaires permettent d’assurer une large et rapide diffusion de l’information en ayant accès à un important réseau social. De plus, lorsqu’une expertise leur est reconnue et qu’ils présentent une certaine habileté pour convaincre, ces intermédiaires jouent également le rôle de leaders d’opinion (Watts et Dodds, 2007). • Etape 3 – Amplification du phénomène sur les réseaux A travers les nombreux sites de réseaux sociaux, les communautés en ligne (i.e., Wikipedia, YouTube, Flickr), les communautés de contributeurs (blogs et forums) ou les communautés virtuelles (i.e. Second Life), Internet offre une interconnexion entre les individus quasi-totale et ce, en temps réel. Grâce à ces outils, les intermédiaires sont en mesure de déclencher un large processus de bouche-à-oreille en ligne (Hennig-Thurau et al., 2004) et, compte-tenu de leur statut de leader d’opinion, ils crédibilisent l’information diffusée. • Etape 4 – Publicité par les médias de masse Du fait d’un bouche-à-oreille en ligne important, les réseaux d’information de masse plus traditionnels (télévision, presse et radio) finissent par s’emparer de l’information incriminée et font écho à la tentative de l’entreprise concernée pour la faire disparaître. A ce stade du processus, l’information initialement confidentielle et les actions mises en place par l’entreprise pour la faire disparaître, connaissent leur niveau de diffusion maximal. L’entreprise n’a plus aucun contrôle sur cette information et sa diffusion. Des réactions inappropriées de la part des entreprises ciblées Les cas d’effet « Streisand » se multiplient et touchent différents domaines (économique, politique, religieux, personnalité du monde du spectacle, sportif, etc.). L’examen de trois cas exemplaires, Ralph Lauren, General Mills et Nestlé (encadré 1), permet d’explorer les risques de l’effet « Streisand » pour les entreprises. Il s’agit également de préciser les actions adaptées à sa bonne gestion. Encadré 1 : Trois cas exemplaires d’entreprise ayant fait face à l’effet « Streisand » Ralph Lauren et le cas de la photographie retouchée Lors d’une campagne de publicité en 2009, la marque Ralph Lauren mit en avant le visuel d’un mannequin féminin habillé de vêtements de la marque. Si la mise en scène est classique, l’apparence du mannequin est extrêmement amincie, notamment au niveau des hanches du 3 fait d’une retouche de la photographie. Cette publicité se retrouva en ligne sur un site, Photoshop Disasters (www.psdisasters.com), visant à répertorier les photographies retouchées à l’excès. Ralph Lauren attaqua juridiquement ce site pour violation du copyright et demanda le retrait de la publicité. L’entreprise chercha également à interdire la diffusion de la publicité en attaquant l’ensemble des sites, blogs et hébergeurs publiant l’affiche concernée. Le résultat fût une diffusion massive du visuel incriminé à travers les réseaux sociaux, puis une médiatisation de l’affaire auprès du grand public dans la presse (notamment dans le Huffington Post ou le Daily Mail) et la télévision (ABC News, par exemple). General Mills contre une boulangerie de quartier En 2010, General Mills attaqua l’entreprise familiale « My Dough Girl » pour violation du copyright. La mascotte, le nom de l’entreprise ainsi que celui de certains produits de cette petite entreprise de Salt Lake City ont été considérés par une décision judiciaire comme trop proches de celui de la marque Pillsbury détenue par le géant de l’agroalimentaire. Le propriétaire de la boulangerie « My Dough Girl » organisa un mouvement de protestation afin de mobiliser les clients et l’opinion publique en sa faveur. Une page Facebook dédiée à ce combat et rassemblant plus de 200 personnes fut créée. Face à ce mouvement limité, General Mills tenta de négocier avec le propriétaire de la boulangerie afin qu’il cesse de parler à la presse et qu’il ferme la page Facebook dédiée2. Pour lutter contre la tentative de censure du géant de l’agroalimentaire, les internautes se retrouvèrent sur une autre page Facebook, non officiellement contrôlée par « My Dough Girl ». L’information circulant rapidement via le réseau social, elle fut ensuite relayée par la presse locale (dans le journal Salt Lake City News par exemple) et prit de l’ampleur. De nombreux commentaires et attaques furent portés à l’encontre de la marque notamment à travers des logos détournés. Le 11 août 2010, l’affaire franchit un cap puisqu’elle se retrouva dans la presse nationale à travers un article dans ABC News. Nestlé et l’huile de palme Le 16 mars 2010, Greenpeace dénonça l’utilisation massive d’huile de palme de la part de Nestlé pour la fabrication d’un grand nombre de ses produits à travers la mise en ligne d’un rapport sur cette question. Selon l’association, l’utilisation de l’huile de palme conduirait à la déforestation de nombreuses zones sur la planète où la végétation naturelle est remplacée par des exploitations de palmiers à huile. Pour se faire entendre, Greenpeace diffusa sur le site Youtube un clip parodiant une publicité Kit Kat (marque propriété de Nestlé) et mit en place 4 un site Internet dédié à cette affaire (accompagné de nombreux sites régionaux) ainsi que du matériel de campagne tels que des logos détournés, clips vidéo, lettres type, etc. En réponse à cette attaque, Nestlé tenta de faire retirer la vidéo du site Youtube sous prétexte qu’elle portait atteinte à plusieurs copyrights de l’entreprise (du fait du détournement de la marque Kit Kat par exemple). Si la vidéo était, dans un premier temps, restée plutôt confidentielle dans les milieux écologistes radicaux, l’attaque de Nestlé et le relais de cette attaque à travers le blog de Greenpeace3 ont assuré la propagation de l’information. L’opération fut même commentée sur la chaîne de télévision CNN4. Les entreprises doivent être en mesure d’apporter les réponses les mieux adaptées aux attaques qu’elles sont susceptibles de subir sur Internet. Face à une information jugée préjudiciable à son encontre, une entreprise peut décider de mettre en place une réponse communicationnelle et/ou juridique. Or, la mise en place des réponses d’ordre communicationnel et/ou juridique n’est pas sans risque et doit, par conséquent, être menée avec discernement. Les risques liés à une réponse communicationnelle D’un certain point de vue, l’effet « Streisand » peut s’apparenter au phénomène de diffusion de la rumeur. Les étapes évoquées précédemment ne sont pas sans rappeler celles développées par Morin (incubation, propagation et métastase) au sujet de la rumeur d’Orléans (Morin, 1970). Mais, c’est au niveau des conséquences des réponses possibles que les recherches sur les rumeurs peuvent s’avérer particulièrement riches d’enseignement. En effet, toute volonté de réponse communicationnelle face au retrait d’information portant préjudice à l’entreprise peut engendrer des effets négatifs. Les travaux sur les rumeurs s’accordent sur l’inefficacité, voire la contre-productivité, des communiqués cherchant à démentir l’information contestée (Kapferer, 1990). Alors que les individus sont libres de discuter des informations controversées tous les jours, le communiqué n’apparaît, dans les débats publics, qu’une seule fois. Face aux attaques de Greenpeace, Nestlé mit, par exemple, en ligne un rapport visant à démentir, ou tout du moins à contrebalancer, les informations allant à l’encontre du groupe agroalimentaire. Ce document précisait que l’entreprise ne travaillait plus avec le fournisseur d’huile de palme incriminé et détaillait sa politique d’approvisionnement issue de production durable. Bien qu’appropriée et largement diffusée par Nestlé, cette réponse ne rencontra aucun écho car, face à l’intensité et à la répétition des attaques, il lui fut impossible de s’imposer. Ensuite, les articles relayant la 5 communication de l’entreprise rappellent généralement l’ensemble de l’affaire en ayant tendance à accentuer les aspects les plus négatifs et les plus sensationnalistes. De surcroît, les éléments communicationnels fournis par l’entreprise tendent à davantage toucher les individus déjà sensibilisés à une contre-argumentation que ceux que l’entreprise cherche à convaincre. Enfin, le communiqué est souvent perçu comme insuffisant, compte tenu de sa forme, par les personnes demandant des comptes à l’entreprise. Après avoir pris conscience de l’importance prise par l’affaire de la photographie retouchée, Ralph Lauren présenta ses excuses au travers du communiqué de presse suivant : Pendant plus de 42 ans, nous avons construit une marque fondée sur la qualité et l'intégrité. Après une enquête plus approfondie, nous avons appris que nous sommes responsables de la mauvaise qualité et de la retouche de la photographie qui a abouti à une image très déformée du corps d'une femme. Nous avons abordé le problème et nous allons prendre toutes les précautions pour s'assurer que notre travail artistique représente notre marque de manière appropriée. Plutôt que d’apaiser les esprits, ce communiqué engendra encore plus de réactions négatives de la part du grand public en général et des associations luttant contre l’anorexie en particulier, compte tenu de sa brièveté et de son manque de personnalisation. De manière générale, les réponses communicationnelles ne font, le plus souvent, qu’amplifier la diffusion de l’audience du message qui lui est défavorable et provoquent cet effet « Streisand ». Les risques liés à une réponse juridique Si l’utilisation des marques, logos, mascottes ou tout autre élément associé à des marques constitue des outils de communication privilégiés, toute personne les utilisant sans autorisation encourt un risque de poursuite juridique. A l’instar de Ralph Lauren, General Mills et Nestlé, il est alors possible pour l’entreprise de faire interdire leur utilisation par les tribunaux. Toutefois, si le procédé est généralement efficace à court terme, la contre-attaque juridique visant à faire respecter la propriété industrielle, les droits d’auteur ou les différents copyrights associés aux marques constituent le plus souvent le point de départ de l’effet « Streisand ». En effet, une telle utilisation des droits de propriété a tendance à être perçue comme un détournement de leurs fonctions principales, voire comme un abus de la part des entreprises. Sans remettre en question le droit de propriété sur des biens immatériels, les internautes sont particulièrement vigilants sur ces questions afin de garantir la libre circulation des informations et d’en éviter la privatisation. Les internautes les plus radicaux prônent 6 même l’avènement d’une « freeculture » (Lessig, 2004) remettant en question la notion de copyright. Lorsque Nestlé choisit, par exemple, de supprimer l’ensemble des commentaires mis en ligne sur sa page officielle Facebook par des utilisateurs arborant un logo détourné à la place de leur photo (figure 2), l’ensemble de la communauté s’insurge contre cette décision et le nombre de retours négatifs croît. Figure 2 Exemple de commentaire de Nestlé sur sa page Facebook Par ailleurs, une procédure juridique sur les copyrights est perçue comme une attaque sur la forme et non sur le fond des arguments de dénigrement. Cette attitude est présentée comme preuve de l’impossibilité d’apporter des contre-arguments et ainsi, confirme la véracité de l’attaque. De plus, la suppression de l’information suscite un intérêt encore plus grand pour cette dernière. La figure 3 témoigne de l’intérêt soudain pour la marque « My Dough Girl » sur Internet à partir du moment où General Mills a cherché à faire disparaître la page Facebook de l’entreprise. Figure 3 Nombre de requêtes Google avec le terme « My Dough Girl » (données Google Trends) A long terme, cette action s’avère plutôt inefficace car l’information concernée par l’action en justice demeure toujours présente sur Internet à travers sa reprise par des sites tiers. Toutefois, 7 la source première de l’information ayant disparu, les possibilités de distorsion de l’information sont élevées. Comment éviter ou gérer l’effet « Streisand » ? L’objectif pour l’entreprise est d’éviter que sa réaction face à la diffusion d’une information défavorable à son image n’enclenche un processus du type effet « Streisand ». Ce risque est d’autant plus grand qu’elle recourt à une procédure juridique. En effet, la tentation pour l’entreprise de faire supprimer toute information nuisible, y compris par la voie juridique, risque de donner encore plus de crédits aux critiques et de renforcer la suspicion à son égard. Diverses stratégies sont possibles pour réduire l’effet de ces informations sans prendre le risque d’amplifier leur diffusion. 1. Utiliser les services d’agences spécialisées dans la gestion de la réputation sur Internet. Plutôt que de recourir aux tribunaux, ces agences cherchent plutôt à contacter ellesmêmes l’ensemble des sites, blogs et forums concernés afin de les inciter plus ou moins tacitement à faire disparaître les informations controversées. Ainsi, les entreprises n’agissent pas directement et ce type d’opération ne subit pas la publicité inhérente à toute procédure judiciaire. De plus, ces agences ne se contentent pas d’une simple suppression d’information. Elles peuvent également contre-attaquer en multipliant les pages, billets de blogs et interventions dans les forums à l’avantage de l’entreprise afin de noyer les informations négatives. Lors de l’apparition du site « Cdiscount Cgalère », forum regroupant l’ensemble des clients mécontents de Cdiscount, le site n’a pas cherché à faire fermer Cgalère ou à faire retirer les logos ou les noms détournés, propriété de Cdiscount (même si l’entreprise a quand même obtenu la suppression de Cdiscount dans le nom de domaine). L’entreprise, par l’intermédiaire d’une agence spécialisée, a opté pour la création de son propre site, La fourmilière (www.lafourmiliere.fr). En s’imposant comme la principale plate-forme de recueil des plaintes, ce site a totalement vidé Cgalère de son contenu et a permis à Cdiscount d’être en mesure de centraliser et de contrôler les plaintes déposées à son encontre. Aujourd’hui, ce site cherche à atteindre un objectif beaucoup plus large que la gestion des plaintes puisqu’il vise à animer la communauté des clients Cdiscount à travers la diffusion d’information au niveau des produits, des commandes, etc. 2. Savoir utiliser à bon escient le communiqué de presse qui doit respecter certaines caractéristiques pour être efficace face à l’effet « Streisand ». Toute communication de l’entreprise doit être la plus claire possible afin de limiter, voire corriger, les distorsions de l’information pouvant se mettre en place dans de telles circonstances comme 8 l’élimination de certains détails, l’attention sélective accordée à des informations particulières ou l’introduction de nouveaux éléments (Allport et Postman, 1947 ; Rosnow, 1991). Ensuite, l’entreprise doit chercher à démontrer une forte implication afin de répondre aux inquiétudes, à l’émotion voire à la colère qu’elle a pu susciter. Lorsque deux employés de l’entreprise Domino’s Pizza se mettent en scène dans un vidéo disponible en ligne en train de jouer avec les ingrédients des pizzas dans des conditions d’hygiène précaires avant de les servir aux clients, l’entreprise ne chercha pas à faire retirer la vidéo. Patrick Doyle, président de Domino’s Pizza, opta plutôt pour la mise en ligne d’une réponse5 vidéo afin de présenter personnellement ses excuses. Il lui permit également d’annoncer personnellement les sanctions prises à l’encontre des deux salariés ainsi que les mesures mises en place pour éviter qu’un problème de ce type ne se reproduise. Les clients apprécièrent l’implication du dirigeant dans cette réponse considérée comme rapide, personnalisée et informative. 3. Diffuser une argumentation très fortement étayée pour donner de la légitimité et de la crédibilité à la réaction de l’entreprise. Seule une véritable argumentation étayée par des éléments concrets peut modifier le jugement négatif des individus vis-à-vis de l’entreprise. Les rapports classiques ne sont pas toujours les meilleures réponses car ils apparaissent souvent suspects et leur lecture peut être fastidieuse pour le grand public. Un nombre limité d’informations particulièrement pertinentes peut souvent suffire. Pendant de nombreuses années, une rumeur avançait que l’entreprise McDonald’s mélangeait des vers de terre avec la viande hachée. L’entreprise tenta, sans succès, de faire taire cette rumeur à travers de nombreux démentis, communiqués et rapports. Ce fût finalement le PDG de l’entreprise, Ray Kroc, qui, en 1992, y mit un terme définitif en déclarant « On ne peut pas se permettre de broyer des vers dans la viande. Un hamburger coûte un dollar et demi la livre, et les vers en coûtent six ! » (Health et Health, 2007). Cette information, le prix de revient des vers, se trouva être la parade idéale aux attaques. Conclusion : impact de l’effet « Streisand » A ce stade, il apparaît nécessaire de s’interroger sur l’impact réel de l’effet « Streisand » sur la performance de l’entreprise concernée. A court terme, un impact sur les performances de l’entreprise (baisse des ventes, du chiffre d’affaires, etc.) peut se faire sentir. Toutefois, en rendant plus facile l’accès à l’information, Internet mobilise un certain nombre d’individus 9 qui, au final, n’apparaissent pas particulièrement impliqués. Il est, par exemple, plus aisé de faire suivre sur un réseau social une vidéo détournant une publicité ou un logo que d’organiser un boycott. A long terme, il semble peu probable que cet effet engendre des conséquences négatives sur les performances de l’entreprise compte tenu du délai de péremption de l’information sur Internet. En ce qui concerne l’image de marque de l’entreprise, là encore, il est très difficile d’évaluer les conséquences d’une telle situation. De nombreuses variables telles que la validité ou non des informations que l’entreprise cherche à faire retirer, l’unité géographique concernée par l’information ou l’importance de l’information pour les consommateurs doivent être prises en considération. Selon les chiffres avancés par les spécialistes6, la vidéo de Greenpeace a été vue 900 000 fois durant le temps de l’opération et les statuts postés par Nestlé ont été commentés jusqu’à 200 fois. Greenpeace annonce également 120 000 e-mails envoyés à Nestlé par le grand public. Bien qu’important, ces chiffres ne sont pas exceptionnels pour ce genre de situation. Au niveau boursier, un léger décrochage du cours de bourse de l’action Nestlé du 18 au 19 mars est à noter (le cours de l’action passe de 51,2$ à la fermeture de la bourse le 18 mars, à 50,6$ à l’ouverture le 19 mars). Toutefois, l’effet apparaît de courte durée. Mesurer l’impact au niveau de l’image de marque de Nestlé s’avère beaucoup plus complexe. Il en est de même pour Ralph Lauren dont la publicité controversée a suscité plusieurs campagnes de boycott sans qu’une opération de grande ampleur n’ait réussi à voir le jour. La principale pétition7 en ligne se prononçant pour un boycott des produits Ralph Lauren ne dépassa pas les 200 signataires. Toutefois, il est clair que l’effet « Streisand » engendre un coût : mobilisation du personnel, financement du matériel permettant de répondre (expertise, couverture presse, publicité, etc.), actions en justice, recours à des agences spécialisées dans la réputation en ligne, etc. Même si des assurances couvrant le risque spécifique lié à la réputation en ligne sont en train de voir le jour, il apparaît nécessaire de mieux connaître et faire connaître cet effet « Streisand » en informant sur les risques liés à des réponses inappropriées afin d’éviter aux entreprises d’en subir les conséquences graves. Notes 1. La photo de la maison de la chanteuse accompagne la notice de la très consultée encyclopédie en ligne Wikipedia pour illustrer l’article sur l’effet « Streisand ». 2. http://www.facebook.com/#!/photo.php?fbid=1441978002897&set=o.127153330644835 10 3. http://weblog.greenpeace.org/climate/2010/03/your_kit_kat_campaigns.html 4. http://edition.cnn.com/2010/WORLD/asiapcf/03/19/indonesia.rainforests.orangutan.nestle/ index.html 5. http://www.youtube.com/watch?v=dem6eA7-A2I 6. http://owni.fr/2010/04/09/les-enseignements-du-cas-nestle-greenpeace/ 7. http://www.petitiononline.com/brl10000/petition.html Références Allport G. W. et Postman L. J. (1947), The psychology of rumor, New York, NY, Russel and Russel. Bernoff J. et Li C. (2008), Harnessing the power of the Oh-So-Social Web, Sloan Management Review, 49(3), 36-42. Chernatony de L. (2001), Suceeding with brands on the Internet, Brand Management, 8(3), 186-195. Christodoulides G. 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