Image de marque et Internet - Etats Généraux du Management

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Image de marque et Internet - Etats Généraux du Management
Image de marque et Internet :
Comprendre, éviter et gérer l’effet « Streisand »
Sébastien Liarte
CEREFIGE – EA 3942
ISAM-IAE de Nancy
Université de Lorraine
25, rue Baron Louis
54007 Nancy Cedex
Tél. : (+33) 3 54 50 43 00
[email protected]
Résumé
Afin de gérer leur image de marque, les entreprises peuvent être tentées de contrôler toutes les
informations les concernant. Cette volonté de contrôle peut aller jusqu’à chercher à influencer
les informations disponibles sur Internet. Dans ce cas, un processus contre-productif, l’effet
« Streisand », peut s’enclencher. Ce processus aboutit à une plus grande diffusion d’une
information qui serait restée confidentielle sur Internet, s’il n’y avait pas eu la volonté de la
manipuler, voire de la retirer. La présentation de cet effet à travers trois cas réels rencontrés
par Ralph Lauren, General Mills et Nestlé, permet d’illustrer ce processus. Ces cas permettent
de souligner les limites des réponses communicationnelles et juridiques classiques tout en
apportant des réponses visant à gérer au mieux cet effet. Enfin, l’impact de l’effet
« Streisand » sur les performances de l’entreprise et de son image de marque est souligné.
Mots clefs
Effet « Streisand » – Internet – Communication – Image de marque
Le développement d’Internet a bouleversé la gestion de l’image de marque par les entreprises
(Christodoulides, 2011). Désormais, le modèle de communication descendant et hiérarchique
allant de l’entreprise vers le consommateur, décliné dans les médias de masse, ne correspond
plus à l’environnement dynamique et interactif offert par Internet (de Chernatony, 2001 ;
Christodoulides, 2011). Le consommateur, en ayant désormais la possibilité d’échanger
directement tant avec la marque qu’avec d’autres consommateurs, se voit replacer au centre
du modèle de communication (Bernoff et Li, 2008).
L’objectif de cet article est d’informer sur l’effet « Streisand ». Plus encore, à travers la
présentation de cet effet, il est avancé qu’un contrôle excessif sur Internet de l’image de
marque peut se retourner contre l’entreprise de manière violente. En effet, l’effet « Streisand »
survient lorsqu’une entreprise cherche à retirer une information d’Internet qu’elle estime aller
à l’encontre de son image de marque. Ce qui aurait traditionnellement pu être considéré
comme du simple contrôle est, dans ce cas, assimilé à de la censure par les internautes. Cette
situation déclenche alors une réaction négative, rapide et massive à l’encontre de l’entreprise.
Cet article présente l’effet « Streisand » et décrit son processus en l’illustrant à travers trois
exemples. Pointant les risques associés à certaines réactions des entreprises, cet article
propose des recommandations pour gérer une telle situation.
Présentation de l’effet « Streisand »
Compte tenu de sa nouveauté, il est nécessaire de définir l’effet « Streisand » et d’en présenter
le processus général.
Naissance et cadre général de l’effet « Streisand »
En 2003, le photographe Kenneth Adelman mit en ligne une série de plus de 10 000 photos
aériennes sur le site Pictopia.com. Ces photographies entraient dans le cadre du projet
California Coastal Record Projets qui visait à établir un état des lieux photographiques de
l’érosion de la côte californienne. Sur l’une de ces photographies apparaissait, de manière
fortuite, la maison de Barbra Streisand. La chanteuse engagea alors une procédure judiciaire
afin d’obtenir le retrait de cette photographie du site Internet concerné, qui portait atteinte,
selon elle, au respect de sa vie privée. Elle réclama également 50 millions de dollars de
dommages et intérêts. In fine, non seulement Barbra Streisand ne parvint pas à faire retirer la
photographie mais cette affaire eu une conséquence encore plus négative. En rendant l’affaire
publique, plus de 400 000 personnes se rendirent en quelques mois sur le site pour télécharger
cette photographie. L’effet « Streisand » était né1. Dénommé ainsi par Mike Masnick en 2005
1
sur son blog (www.techdirt.com), l’effet « Streisand » décrit le phénomène qui assure une
plus grande publicité et une diffusion plus importante de toute information qui serait restée
confidentielle sur Internet, si on n’avait pas cherché à la cacher ou à la retirer.
Effet « Streisand » et mécanismes sous-jacents
Le processus générant l’effet « Streisand » se déroule en quatre étapes (figure 1).
Figure 1
Processus de diffusion schématique de l’effet « Streisand »
•
Etape 1 – Enclenchement du processus
Deux éléments sont nécessaires pour que l’effet « Streisand » puisse avoir lieu :
a) La mise en ligne sur Internet d’un élément concernant une entreprise (images, vidéos,
sons, documents écrits, pages de blogs ou de microblogings). Les sources de ces
éléments peuvent êtres diverses : consommateurs, associations, organisations non
gouvernementales, experts, salariés, journalistes ou toute autre personne désireuse de
communiquer des informations sur une marque.
b)
La réaction de l’entreprise concernée. Jugeant que l’information diffusée sans son
accord est défavorable à son endroit (généralement nuisible envers l’image de
marque), elle cherche à la faire retirer d’Internet.
•
Etape 2 – Accélération du processus à travers des intermédiaires
Un petit nombre de personnes va prendre connaissance à la fois de l’information incriminée et
de la volonté de l’entreprise de la faire disparaître. La particularité de ces personnes est d’être
2
des intermédiaires (Steele, Smith et McBroom, 1999), c’est-à-dire des individus possédant de
multiples liens avec d’autres personnes. Les intermédiaires permettent d’assurer une large et
rapide diffusion de l’information en ayant accès à un important réseau social. De plus,
lorsqu’une expertise leur est reconnue et qu’ils présentent une certaine habileté pour
convaincre, ces intermédiaires jouent également le rôle de leaders d’opinion (Watts et Dodds,
2007).
•
Etape 3 – Amplification du phénomène sur les réseaux
A travers les nombreux sites de réseaux sociaux, les communautés en ligne (i.e., Wikipedia,
YouTube, Flickr), les communautés de contributeurs (blogs et forums) ou les communautés
virtuelles (i.e. Second Life), Internet offre une interconnexion entre les individus quasi-totale
et ce, en temps réel. Grâce à ces outils, les intermédiaires sont en mesure de déclencher un
large processus de bouche-à-oreille en ligne (Hennig-Thurau et al., 2004) et, compte-tenu de
leur statut de leader d’opinion, ils crédibilisent l’information diffusée.
•
Etape 4 – Publicité par les médias de masse
Du fait d’un bouche-à-oreille en ligne important, les réseaux d’information de masse plus
traditionnels (télévision, presse et radio) finissent par s’emparer de l’information incriminée et
font écho à la tentative de l’entreprise concernée pour la faire disparaître. A ce stade du
processus, l’information initialement confidentielle et les actions mises en place par
l’entreprise pour la faire disparaître, connaissent leur niveau de diffusion maximal.
L’entreprise n’a plus aucun contrôle sur cette information et sa diffusion.
Des réactions inappropriées de la part des entreprises ciblées
Les cas d’effet « Streisand » se multiplient et touchent différents domaines (économique,
politique, religieux, personnalité du monde du spectacle, sportif, etc.). L’examen de trois cas
exemplaires, Ralph Lauren, General Mills et Nestlé (encadré 1), permet d’explorer les risques
de l’effet « Streisand » pour les entreprises. Il s’agit également de préciser les actions
adaptées à sa bonne gestion.
Encadré 1 : Trois cas exemplaires d’entreprise ayant fait face à l’effet « Streisand »
Ralph Lauren et le cas de la photographie retouchée
Lors d’une campagne de publicité en 2009, la marque Ralph Lauren mit en avant le visuel
d’un mannequin féminin habillé de vêtements de la marque. Si la mise en scène est classique,
l’apparence du mannequin est extrêmement amincie, notamment au niveau des hanches du
3
fait d’une retouche de la photographie. Cette publicité se retrouva en ligne sur un site,
Photoshop Disasters (www.psdisasters.com), visant à répertorier les photographies
retouchées à l’excès. Ralph Lauren attaqua juridiquement ce site pour violation du copyright
et demanda le retrait de la publicité. L’entreprise chercha également à interdire la diffusion de
la publicité en attaquant l’ensemble des sites, blogs et hébergeurs publiant l’affiche
concernée. Le résultat fût une diffusion massive du visuel incriminé à travers les réseaux
sociaux, puis une médiatisation de l’affaire auprès du grand public dans la presse (notamment
dans le Huffington Post ou le Daily Mail) et la télévision (ABC News, par exemple).
General Mills contre une boulangerie de quartier
En 2010, General Mills attaqua l’entreprise familiale « My Dough Girl » pour violation du
copyright. La mascotte, le nom de l’entreprise ainsi que celui de certains produits de cette
petite entreprise de Salt Lake City ont été considérés par une décision judiciaire comme trop
proches de celui de la marque Pillsbury détenue par le géant de l’agroalimentaire. Le
propriétaire de la boulangerie « My Dough Girl » organisa un mouvement de protestation afin
de mobiliser les clients et l’opinion publique en sa faveur. Une page Facebook dédiée à ce
combat et rassemblant plus de 200 personnes fut créée.
Face à ce mouvement limité, General Mills tenta de négocier avec le propriétaire de la
boulangerie afin qu’il cesse de parler à la presse et qu’il ferme la page Facebook dédiée2.
Pour lutter contre la tentative de censure du géant de l’agroalimentaire, les internautes se
retrouvèrent sur une autre page Facebook, non officiellement contrôlée par « My Dough
Girl ». L’information circulant rapidement via le réseau social, elle fut ensuite relayée par la
presse locale (dans le journal Salt Lake City News par exemple) et prit de l’ampleur. De
nombreux commentaires et attaques furent portés à l’encontre de la marque notamment à
travers des logos détournés. Le 11 août 2010, l’affaire franchit un cap puisqu’elle se retrouva
dans la presse nationale à travers un article dans ABC News.
Nestlé et l’huile de palme
Le 16 mars 2010, Greenpeace dénonça l’utilisation massive d’huile de palme de la part de
Nestlé pour la fabrication d’un grand nombre de ses produits à travers la mise en ligne d’un
rapport sur cette question. Selon l’association, l’utilisation de l’huile de palme conduirait à la
déforestation de nombreuses zones sur la planète où la végétation naturelle est remplacée par
des exploitations de palmiers à huile. Pour se faire entendre, Greenpeace diffusa sur le site
Youtube un clip parodiant une publicité Kit Kat (marque propriété de Nestlé) et mit en place
4
un site Internet dédié à cette affaire (accompagné de nombreux sites régionaux) ainsi que du
matériel de campagne tels que des logos détournés, clips vidéo, lettres type, etc.
En réponse à cette attaque, Nestlé tenta de faire retirer la vidéo du site Youtube sous prétexte
qu’elle portait atteinte à plusieurs copyrights de l’entreprise (du fait du détournement de la
marque Kit Kat par exemple). Si la vidéo était, dans un premier temps, restée plutôt
confidentielle dans les milieux écologistes radicaux, l’attaque de Nestlé et le relais de cette
attaque à travers le blog de Greenpeace3 ont assuré la propagation de l’information.
L’opération fut même commentée sur la chaîne de télévision CNN4.
Les entreprises doivent être en mesure d’apporter les réponses les mieux adaptées aux
attaques qu’elles sont susceptibles de subir sur Internet. Face à une information jugée
préjudiciable à son encontre, une entreprise peut décider de mettre en place une réponse
communicationnelle et/ou juridique. Or, la mise en place des réponses d’ordre
communicationnel et/ou juridique n’est pas sans risque et doit, par conséquent, être menée
avec discernement.
Les risques liés à une réponse communicationnelle
D’un certain point de vue, l’effet « Streisand » peut s’apparenter au phénomène de diffusion
de la rumeur. Les étapes évoquées précédemment ne sont pas sans rappeler celles développées
par Morin (incubation, propagation et métastase) au sujet de la rumeur d’Orléans (Morin,
1970). Mais, c’est au niveau des conséquences des réponses possibles que les recherches sur
les rumeurs peuvent s’avérer particulièrement riches d’enseignement. En effet, toute volonté
de réponse communicationnelle face au retrait d’information portant préjudice à l’entreprise
peut engendrer des effets négatifs.
Les travaux sur les rumeurs s’accordent sur l’inefficacité, voire la contre-productivité, des
communiqués cherchant à démentir l’information contestée (Kapferer, 1990). Alors que les
individus sont libres de discuter des informations controversées tous les jours, le communiqué
n’apparaît, dans les débats publics, qu’une seule fois. Face aux attaques de Greenpeace,
Nestlé mit, par exemple, en ligne un rapport visant à démentir, ou tout du moins à
contrebalancer, les informations allant à l’encontre du groupe agroalimentaire. Ce document
précisait que l’entreprise ne travaillait plus avec le fournisseur d’huile de palme incriminé et
détaillait sa politique d’approvisionnement issue de production durable. Bien qu’appropriée et
largement diffusée par Nestlé, cette réponse ne rencontra aucun écho car, face à l’intensité et à
la répétition des attaques, il lui fut impossible de s’imposer. Ensuite, les articles relayant la
5
communication de l’entreprise rappellent généralement l’ensemble de l’affaire en ayant
tendance à accentuer les aspects les plus négatifs et les plus sensationnalistes. De surcroît, les
éléments communicationnels fournis par l’entreprise tendent à davantage toucher les
individus déjà sensibilisés à une contre-argumentation que ceux que l’entreprise cherche à
convaincre. Enfin, le communiqué est souvent perçu comme insuffisant, compte tenu de sa
forme, par les personnes demandant des comptes à l’entreprise. Après avoir pris conscience
de l’importance prise par l’affaire de la photographie retouchée, Ralph Lauren présenta ses
excuses au travers du communiqué de presse suivant :
Pendant plus de 42 ans, nous avons construit une marque fondée sur la qualité
et l'intégrité. Après une enquête plus approfondie, nous avons appris que nous
sommes responsables de la mauvaise qualité et de la retouche de la
photographie qui a abouti à une image très déformée du corps d'une femme.
Nous avons abordé le problème et nous allons prendre toutes les précautions
pour s'assurer que notre travail artistique représente notre marque de manière
appropriée.
Plutôt que d’apaiser les esprits, ce communiqué engendra encore plus de réactions négatives
de la part du grand public en général et des associations luttant contre l’anorexie en
particulier, compte tenu de sa brièveté et de son manque de personnalisation. De manière
générale, les réponses communicationnelles ne font, le plus souvent, qu’amplifier la diffusion
de l’audience du message qui lui est défavorable et provoquent cet effet « Streisand ».
Les risques liés à une réponse juridique
Si l’utilisation des marques, logos, mascottes ou tout autre élément associé à des marques
constitue des outils de communication privilégiés, toute personne les utilisant sans
autorisation encourt un risque de poursuite juridique. A l’instar de Ralph Lauren, General
Mills et Nestlé, il est alors possible pour l’entreprise de faire interdire leur utilisation par les
tribunaux. Toutefois, si le procédé est généralement efficace à court terme, la contre-attaque
juridique visant à faire respecter la propriété industrielle, les droits d’auteur ou les différents
copyrights associés aux marques constituent le plus souvent le point de départ de l’effet
« Streisand ». En effet, une telle utilisation des droits de propriété a tendance à être perçue
comme un détournement de leurs fonctions principales, voire comme un abus de la part des
entreprises. Sans remettre en question le droit de propriété sur des biens immatériels, les
internautes sont particulièrement vigilants sur ces questions afin de garantir la libre circulation
des informations et d’en éviter la privatisation. Les internautes les plus radicaux prônent
6
même l’avènement d’une « freeculture » (Lessig, 2004) remettant en question la notion de
copyright.
Lorsque Nestlé choisit, par exemple, de supprimer l’ensemble des commentaires mis en ligne
sur sa page officielle Facebook par des utilisateurs arborant un logo détourné à la place de
leur photo (figure 2), l’ensemble de la communauté s’insurge contre cette décision et le
nombre de retours négatifs croît.
Figure 2
Exemple de commentaire de Nestlé sur sa page Facebook
Par ailleurs, une procédure juridique sur les copyrights est perçue comme une attaque sur la
forme et non sur le fond des arguments de dénigrement. Cette attitude est présentée comme
preuve de l’impossibilité d’apporter des contre-arguments et ainsi, confirme la véracité de
l’attaque. De plus, la suppression de l’information suscite un intérêt encore plus grand pour
cette dernière. La figure 3 témoigne de l’intérêt soudain pour la marque « My Dough Girl »
sur Internet à partir du moment où General Mills a cherché à faire disparaître la page
Facebook de l’entreprise.
Figure 3
Nombre de requêtes Google avec le terme « My Dough Girl » (données Google Trends)
A long terme, cette action s’avère plutôt inefficace car l’information concernée par l’action en
justice demeure toujours présente sur Internet à travers sa reprise par des sites tiers. Toutefois,
7
la source première de l’information ayant disparu, les possibilités de distorsion de
l’information sont élevées.
Comment éviter ou gérer l’effet « Streisand » ?
L’objectif pour l’entreprise est d’éviter que sa réaction face à la diffusion d’une information
défavorable à son image n’enclenche un processus du type effet « Streisand ». Ce risque est
d’autant plus grand qu’elle recourt à une procédure juridique. En effet, la tentation pour
l’entreprise de faire supprimer toute information nuisible, y compris par la voie juridique,
risque de donner encore plus de crédits aux critiques et de renforcer la suspicion à son égard.
Diverses stratégies sont possibles pour réduire l’effet de ces informations sans prendre le
risque d’amplifier leur diffusion.
1. Utiliser les services d’agences spécialisées dans la gestion de la réputation sur Internet.
Plutôt que de recourir aux tribunaux, ces agences cherchent plutôt à contacter ellesmêmes l’ensemble des sites, blogs et forums concernés afin de les inciter plus ou moins
tacitement à faire disparaître les informations controversées. Ainsi, les entreprises
n’agissent pas directement et ce type d’opération ne subit pas la publicité inhérente à
toute procédure judiciaire. De plus, ces agences ne se contentent pas d’une simple
suppression d’information. Elles peuvent également contre-attaquer en multipliant les
pages, billets de blogs et interventions dans les forums à l’avantage de l’entreprise afin
de noyer les informations négatives. Lors de l’apparition du site « Cdiscount Cgalère »,
forum regroupant l’ensemble des clients mécontents de Cdiscount, le site n’a pas
cherché à faire fermer Cgalère ou à faire retirer les logos ou les noms détournés,
propriété de Cdiscount (même si l’entreprise a quand même obtenu la suppression de
Cdiscount dans le nom de domaine). L’entreprise, par l’intermédiaire d’une agence
spécialisée, a opté pour la création de son propre site, La fourmilière
(www.lafourmiliere.fr). En s’imposant comme la principale plate-forme de recueil des
plaintes, ce site a totalement vidé Cgalère de son contenu et a permis à Cdiscount
d’être en mesure de centraliser et de contrôler les plaintes déposées à son encontre.
Aujourd’hui, ce site cherche à atteindre un objectif beaucoup plus large que la gestion
des plaintes puisqu’il vise à animer la communauté des clients Cdiscount à travers la
diffusion d’information au niveau des produits, des commandes, etc.
2. Savoir utiliser à bon escient le communiqué de presse qui doit respecter certaines
caractéristiques pour être efficace face à l’effet « Streisand ». Toute communication de
l’entreprise doit être la plus claire possible afin de limiter, voire corriger, les distorsions
de l’information pouvant se mettre en place dans de telles circonstances comme
8
l’élimination de certains détails, l’attention sélective accordée à des informations
particulières ou l’introduction de nouveaux éléments (Allport et Postman, 1947 ;
Rosnow, 1991). Ensuite, l’entreprise doit chercher à démontrer une forte implication
afin de répondre aux inquiétudes, à l’émotion voire à la colère qu’elle a pu susciter.
Lorsque deux employés de l’entreprise Domino’s Pizza se mettent en scène dans un
vidéo disponible en ligne en train de jouer avec les ingrédients des pizzas dans des
conditions d’hygiène précaires avant de les servir aux clients, l’entreprise ne chercha
pas à faire retirer la vidéo. Patrick Doyle, président de Domino’s Pizza, opta plutôt
pour la mise en ligne d’une réponse5 vidéo afin de présenter personnellement ses
excuses. Il lui permit également d’annoncer personnellement les sanctions prises à
l’encontre des deux salariés ainsi que les mesures mises en place pour éviter qu’un
problème de ce type ne se reproduise. Les clients apprécièrent l’implication du
dirigeant dans cette réponse considérée comme rapide, personnalisée et informative.
3. Diffuser une argumentation très fortement étayée pour donner de la légitimité et de la
crédibilité à la réaction de l’entreprise. Seule une véritable argumentation étayée par
des éléments concrets peut modifier le jugement négatif des individus vis-à-vis de
l’entreprise. Les rapports classiques ne sont pas toujours les meilleures réponses car ils
apparaissent souvent suspects et leur lecture peut être fastidieuse pour le grand public.
Un nombre limité d’informations particulièrement pertinentes peut souvent suffire.
Pendant de nombreuses années, une rumeur avançait que l’entreprise McDonald’s
mélangeait des vers de terre avec la viande hachée. L’entreprise tenta, sans succès, de
faire taire cette rumeur à travers de nombreux démentis, communiqués et rapports. Ce
fût finalement le PDG de l’entreprise, Ray Kroc, qui, en 1992, y mit un terme définitif
en déclarant « On ne peut pas se permettre de broyer des vers dans la viande. Un
hamburger coûte un dollar et demi la livre, et les vers en coûtent six ! » (Health et
Health, 2007). Cette information, le prix de revient des vers, se trouva être la parade
idéale aux attaques.
Conclusion : impact de l’effet « Streisand »
A ce stade, il apparaît nécessaire de s’interroger sur l’impact réel de l’effet « Streisand » sur la
performance de l’entreprise concernée. A court terme, un impact sur les performances de
l’entreprise (baisse des ventes, du chiffre d’affaires, etc.) peut se faire sentir. Toutefois, en
rendant plus facile l’accès à l’information, Internet mobilise un certain nombre d’individus
9
qui, au final, n’apparaissent pas particulièrement impliqués. Il est, par exemple, plus aisé de
faire suivre sur un réseau social une vidéo détournant une publicité ou un logo que
d’organiser un boycott. A long terme, il semble peu probable que cet effet engendre des
conséquences négatives sur les performances de l’entreprise compte tenu du délai de
péremption de l’information sur Internet.
En ce qui concerne l’image de marque de l’entreprise, là encore, il est très difficile d’évaluer
les conséquences d’une telle situation. De nombreuses variables telles que la validité ou non
des informations que l’entreprise cherche à faire retirer, l’unité géographique concernée par
l’information ou l’importance de l’information pour les consommateurs doivent être prises en
considération. Selon les chiffres avancés par les spécialistes6, la vidéo de Greenpeace a été
vue 900 000 fois durant le temps de l’opération et les statuts postés par Nestlé ont été
commentés jusqu’à 200 fois. Greenpeace annonce également 120 000 e-mails envoyés à
Nestlé par le grand public. Bien qu’important, ces chiffres ne sont pas exceptionnels pour ce
genre de situation. Au niveau boursier, un léger décrochage du cours de bourse de l’action
Nestlé du 18 au 19 mars est à noter (le cours de l’action passe de 51,2$ à la fermeture de la
bourse le 18 mars, à 50,6$ à l’ouverture le 19 mars). Toutefois, l’effet apparaît de courte
durée. Mesurer l’impact au niveau de l’image de marque de Nestlé s’avère beaucoup plus
complexe. Il en est de même pour Ralph Lauren dont la publicité controversée a suscité
plusieurs campagnes de boycott sans qu’une opération de grande ampleur n’ait réussi à voir le
jour. La principale pétition7 en ligne se prononçant pour un boycott des produits Ralph Lauren
ne dépassa pas les 200 signataires.
Toutefois, il est clair que l’effet « Streisand » engendre un coût : mobilisation du personnel,
financement du matériel permettant de répondre (expertise, couverture presse, publicité, etc.),
actions en justice, recours à des agences spécialisées dans la réputation en ligne, etc. Même si
des assurances couvrant le risque spécifique lié à la réputation en ligne sont en train de voir le
jour, il apparaît nécessaire de mieux connaître et faire connaître cet effet « Streisand » en
informant sur les risques liés à des réponses inappropriées afin d’éviter aux entreprises d’en
subir les conséquences graves.
Notes
1. La photo de la maison de la chanteuse accompagne la notice de la très consultée
encyclopédie en ligne Wikipedia pour illustrer l’article sur l’effet « Streisand ».
2. http://www.facebook.com/#!/photo.php?fbid=1441978002897&set=o.127153330644835
10
3. http://weblog.greenpeace.org/climate/2010/03/your_kit_kat_campaigns.html
4. http://edition.cnn.com/2010/WORLD/asiapcf/03/19/indonesia.rainforests.orangutan.nestle/
index.html
5. http://www.youtube.com/watch?v=dem6eA7-A2I
6. http://owni.fr/2010/04/09/les-enseignements-du-cas-nestle-greenpeace/
7. http://www.petitiononline.com/brl10000/petition.html
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11

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