C`est comme un cri qui déchire une froide nuit

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C`est comme un cri qui déchire une froide nuit
Date : 24 JAN 16
Journaliste : Sébastien Dubos
Pays : France
Périodicité : Quotidien
OJD : 171431
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ACTUALITÉ
C'est comme un cri qui déchire une froide nuit
de Méditerranée, un cri que personne n'entendra
Grand reporter et écrivain, avec son dernier livre «Les bateaux ivres», Jean-Paul Mari, un temps toulousain, met des
visages, des noms et des destins sur le drame des migrants. Poignant.
C'est comme un cri qui déchire une froide nuit de
Méditerranée, un cri que personne n'entendra au large
des côtes de l'Europe enviée, de l'Europe promise, mais
de l'Europe jamais atteinte. Un cri englouti par la mer
Méditerranée soudain devenue mer morte, du silence
de ces milliers de plaintes déclamées dans des langues
différentes, mais qui disent toutes ce même désespoir.
Soudain devenue mer rouge, du sang des milliers de
victimes englouties loin de chez elles. Soudain devenue
noire, du linceul de ces âmes perdues.
Jean-Paul Mari remonte les fils de ces destins et met des
noms, des visages, retrace les vies de ceux qui ont choisi
de faire le grand voyage. Il raconte comment Salomon,
l'homme qui aimait les fleurs, né en Erythrée, a survécu 23
jours dans un canot de fortune.
Il raconte la vie de Fassi, le gamin de Guinée qui rêvait de
football et qui sur la plage de Nouahdibou pense au grand
ailleurs, cette Europe tant sublimée.
les routes de l'exil
D'un chapitre à l'autre, Jean-Paul Mari reconstruit ces vies,
leur donne l'humanité qui leur a tant manqué. Des gens
ordinaires, qui n'avaient rien demande à personne et qui
ont vu leur pays voler en éclat, leur vie partir en ruine.
De Kaboul à Damas, l'histoire est souvent la même. Seul le
décor change. Ils fuient pour sauver leur vie, ils fuient pour
trouver refuge. Et tentent la grande odyssée. Heureux qui
comme Ulysse ? Que ferait Homère aujourd'hui, demande
Jean-Paul Mari !
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Cette « mare nostrum » est-elle encore la nôtre ? Loin
des visions de nos plages ensoleillées, eux savent qu'ils
devront affronter mille périls au moins, sans compter le
racket, la vilaine « humanité » qui se greffe sur ces destins
fragiles comme une vilaine maladie. Peut-on encore parler
d'humanité quand leurs « pairs » relancent la traite
humaine et en prospère. Que reste-t-il de l'humanité
d'ailleurs, demande aussi l'auteur, en citant Montaigne.
Oui, c'est un livre cri, à la fois récit de voyage et confession
face à un monde qu'on peine à comprendre, face aux
silences coupables des grands (ou finalement bien petits)
dirigeants. Un livre cri pour faire entendre celui de ceux et
celles qui ont été engloutis au fond de cette mer devenue
infernale. Pour qu'ils ne soient pas morts en silence.
Il retrace les vies de ceux qui ont choisi de faire le grand
voyage
extrait Mare Nostrum. « Aujourd'hui ma Mère la
Méditerranée est en deuil, ses vagues pleurent un sel
amer, ses plages roulent des corps gonflés, ses ports
s'encombrent d'épaves trouées, ses quais résonnent du
bruit des secours. Le flux continue, régulier, suicidaire. Et
les hommes du rivage d'en face se jettent à l'eau pour nager
jusqu'à nous. De l'autre côté, la guerre, la dictature, la faim
Tous droits réservés à l'éditeur
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Date : 24 JAN 16
Journaliste : Sébastien Dubos
Pays : France
Périodicité : Quotidien
OJD : 171431
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et le désespoir continuent à les pousser inexorablement à à Lesbos, pour raconter son histoire, aussi arrière soit-elle,
traverser cette étendue qui n'est plus Mare Nostrum mais la regarder dans les yeux, partager sa souffrance... » Les
redevient la « Mer blanche du milieu », celle qui nous Bateaux ivres, 278 p., 19 €, chez JC Lattès.
sépare. Qu'elle soit lumineuse ou cruelle, je ne me résous
pas à abandonner ma Mère. Je dois la parcourir de Tanger Sébastien Dubos
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