LA VAE POUR LE METIER D`AIDE-SOIGNANTE Une question de

Transcription

LA VAE POUR LE METIER D`AIDE-SOIGNANTE Une question de
1
Université de NANTES
Formation continue
Section Lettres et Sciences Humaines
2, bis Léon Bureau
44262 NANTES cedex 2
LA VAE POUR LE METIER
D’AIDE-SOIGNANTE
Une question de reconnaissance ?
Mémoire présenté pour l’obtention du
Diplôme d’Enseignement Supérieur Spécialisé
Stratégie et Ingénierie de Formation d’Adultes
Promotion 2003 – 2005
Directeur de mémoire
Charles SUAUD
Anne-Marie FRANCES
Nantes, Juin 2005
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
2
Remerciements
Je tiens à remercier particulièrement :
Charles Suaud, pour son accompagnement tout au long
de ce travail.
Fabienne Pavis, pour son écoute et ses conseils de
lecture.
Jean-Luc, Marie, Roman, Jean, Mathilde et Matthieu, pour
leur impatience stimulante.
Angèle, pour ses remarques complémentaires.
Nadine, pour son soutien, ses encouragements et ses
remarques avisées.
Les collègues du SIFA 13 pour la richesse de nos
échanges.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
3
SOMMAIRE
Introduction
D’une trajectoire personnelle et professionnelle à une démarche
de recherche
1 - DU CONTEXTE A LA PROBLEMATIQUE …………………………..8
2 - ANALYSE DE LA SITUATION D’ENQUÊTE : UNE ETUDE
EMPIRIQUE
………………………………………………………………...133
2.1.
La nécessaire réflexion sur des postures multiples ................................. 13
2.2.
Méthodes d’investigation........................................................................... 177
2.2.1 L’analyse des textes juridiques .................................................................... 177
2.2.2 Les entretiens ............................................................................................... 177
2.2.3 Les questionnaires ....................................................................................... 188
2.3. Tensions entre terrain et théorie : les limites de
la méthode................... 199
Chapitre un
L'institutionnalisation d'une activité provisoire : la pérennité sans
la reconnaissance
1 - LA DIVISION DU TRAVAIL AU SEIN DE L’HÔPITAL : UNE
APPROCHE SOCIO-HISTORIQUE
…………………………………222
1.1
Une organisation liée aux évolutions technologiques et législatives.. 233
1.2
Les différentes étapes de la reconnaissance professionnelle des
infirmières................................................................................................................. 288
1.3
La solidarité s’institutionnalise et les ressources de l’hôpital
augmentent............................................................................................................... 322
2 - LE METIER D’AIDE-SOIGNANTE DANS CETTE DIVISION DU
TRAVAIL………………………………………………………………… 355
2.1
Les liens entre le métier d’infirmière et celui d’aide-soignante............. 355
2.2
C’est le travail auprès du malade qui détermine le métier ..................... 411
2.2.1 Le référentiel d’activité.............................................................................. 411
2.2.2 Le référentiel de compétence................................................................... 455
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4
2.3
Comment les aides-soignantes donnent sens à leur activité entre travail
prescrit et travail réel .............................................................................................. 466
2.3.1 Le rapport au travail.................................................................................. 466
2.3.2 Le rapport à l’équipe................................................................................. 511
2.4
Ce qui fonde la reconnaissance ?............................................................. 566
CONCLUSION
………………………………………………………...611
Chapitre deux
Le processus de certification d'un métier peu qualifié
1- APPROCHE SOCIO-HISTORIQUE DE LA FORMATION POUR
ADULTES
………………………………………………………………...655
1.1
Les origines révolutionnaires.................................................................... 655
1.2
Evolution de la formation professionnelle entre les deux guerres ....... 666
1.3
La formation pour adultes à la période contemporaine ......................... 677
1.4
Les contraintes économiques et la validation des acquis ..................... 699
2 - LE PROCESSUS DE FORMATION INITIALE POUR LE METIER
D’AIDE-SOIGNANTE
………………………………………………...77
2.1
La formation initiale d’aide-soignante ........................................................ 78
2.2
Qualification et reconnaissance.................................................................. 79
2.3
Le concours d’entrée : une première étape dans un processus de
reconnaissance.......................................................................................................... 80
2.4
Une formation professionnelle entre école et terrain ............................. 877
2.4.1
Une formation féminine ........................................................................ 877
2.4.2
Les principes formatifs sous tendus..................................................... 888
2.4.3
Elèves ou étudiants : ce que véhicule le vocabulaire en terme de
reconnaissance ....................................................................................................... 89
2.4.5
L’alternance............................................................................................ 90
2.4.6
Les difficultés de l’alternance................................................................. 94
2.5
L’implicite de l’évaluation ............................................................................ 96
2.6
L’épreuve du diplôme professionnel.......................................................... 98
2.6.1
D’où l’importance de définir la compétence ........................................... 99
2.6.2
De la législation à la reconnaissance................................................. 1022
2.6.3
Du diplôme à la compétence, ou de la compétence au diplôme ? .... 1066
3 - CONCLUSION ……………………………………………………….107
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5
Chapitre trois
La VAE pour un métier peu visible
1 - APPROCHE SOCIO-HISTOIRIQUE DE LA VAE .............................. 110
2 - LES SPECIFICITES DE L’ARRETE DU 25 JANVIER 2005
CONCERNANT LES MODALITES DE MISE EN ŒUVRE DE LA VAE
POUR L’OBTENTION DU DPAS……………………………………….113
2.1. Une vision réductrice du métier...................................................................... 114
2.2. Des questions liées à des articles spécifiques............................................... 115
2.3. Ce que révèle la procédure de VAE............................................................... 118
2.4. Les aides-soignantes : une population captive. Le «privilège» de la relégation
............................................................................................................................... 120
3 - ENTRE LUTTE CONTRE LES INEGALITES ET
RECONNAISSANCE …………………………………………………….127
4 - CONCLUSION ………………………………………………………..131
Chapitre quatre
Les effets de la validation des acquis pour le métier d’aidesoignante
1 - LES DIFFICULTES D'UN POSITIONNEMENT ?
………………..1335
1.1 Une translation vers le haut dans la hiérarchie des métiers ? ................... 1357
1.2 Une formation vers le bas ……………………………………………………………140
1.3 Question de reconnaissance et VAE ……………………………………………….142
1.4 Valeur sociale de l'expérience (entre reconnaissance et sacralisation ?)………148
1.4.1 Ce qu'on entend par expérience ………………………………………………14 9
1.4.2 La place des valeurs ................................................................................. 1511
3.3. Qu’entend-on par « savoir » ?...................................................................... 1533
2 - LES EFFETS DE LA VAE SUR LA FORMATION INITIALE : UNE
REDEFINITION DU PRESCRIT ?
……………………………….159
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
6
2.1.
Une question de temps .............................................................................. 160
2.2.
Nouvelles caractéristiques de l’enseignement : l’effet VAE ................ 1622
2.2.1. L’enseignement théorique ........................................................................ 162
2.2.2. L’enseignement pratique .......................................................................... 163
2.2.3. Le référentiel d’évaluation ...................................................................... 1655
3 - CONCLUSION ……………………………………………………….166
Conclusion générale
Les aides-soignantes, public "privilégié" de la VAE ?
CONCLUSION GENERALE……………………..................................170
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
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Introduction
D’une trajectoire personnelle et
professionnelle à une démarche de
recherche
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
8
Dans le domaine de la santé, jusqu’à cette année 2005, aucun
diplôme n’était accessible par la Validation des acquis de l’expérience
(VAE). Le ministère de la santé a mis en place un comité de pilotage
pour mettre en œuvre ce dispositif : le premier métier paramédical
concerné est celui d’aide-soignante. Pourquoi avoir privilégié ce métier
plutôt qu’un autre du secteur paramédical ? Pourquoi ne pas avoir
commencé l’application du texte de la loi de modernisation sociale par
le métier de cadre de santé ?
1 - Du contexte à la problématique
Le métier d’aide-soignante1 est récent dans l’histoire de
l’institution hospitalière, c’est un grade qui s’est construit par défaut en
1949. Cette fonction a été exercée jusqu’en 1956, date de création du
certificat d’aptitude à la fonction aide-soignante, sans nécessité de
suivre une formation et elle est encore aujourd’hui professée par des
« faisant-fonctions », c'est-à-dire des agents de service hospitalier
travaillant comme aides-soignantes. C’est le métier le plus bas de
l’échelle hiérarchique, exercé par un personnel peu visible comme le dit
Anne-Marie Arborio2, ce que nous développerons dans la première
partie.
D’autre part la législation positionne les aides-soignantes comme
des collaboratrices des infirmières. Ce terme institue une dépendance
d’un métier à l’autre, terme traduit dans la dénomination même du
métier : aide-soignante. Celles-ci sont chargées des tâches de l’hygiène
et de confort auprès des malades, tâches de faible niveau technique.
Elles se trouvent positionnées entre les infirmières à qui l’on reconnaît
1
Nous privilégierons le féminin pour ce métier exercé en majorité par des femmes
2
A. M. Arborio, Un personnel invisible : les aides-soignantes à l’hôpital, Paris, Anthropos,
2001
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
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une compétence soignante, technique et qualifiée, et les agents des
services hospitaliers normalement chargés des tâches strictement
ménagères.
Pour la région Bretagne, elles sont pratiquement aussi
nombreuses que les infirmières.3 Le nombre important des effectifs
aides-soignants ne suffit pas à en faire un métier connu malgré le
dynamisme du marché du travail sanitaire. En effet, à cause notamment
du vieillissement de la population, il y a nécessité d’un personnel
compétent pour l’accompagnement de la dépendance. Ainsi l’offre de
postes d’aides soignantes a été important ces cinq dernières années et
se maintient, même si l’on voit diminuer les écarts entre l’offre de
formation et les besoins en personnel qualifié.
A quels besoins répond la mise en œuvre de la VAE pour le
métier
d’aide-soignant ?
Pourquoi
cette
nouvelle
prescription ?
Comment les services de soins vont-ils utiliser ce dispositif ? Quels vont
être les effets produits par la VAE sur les bénéficiaires ? Ce dispositif
va-t-il influer sur la reconnaissance du métier d’aide-soignante à plus ou
moins long terme? A partir de ces questions, nous identifions les
différents acteurs concernés par la validation des acquis. Les effets de
cette dernière varient sensiblement suivant que l’on se place du point
de vue de l’institution, de l’instance de formation ou de l’individu.
Ce processus nouveau marque un changement dans la
possibilité d’accès au diplôme. La validation des acquis n’offre plus
seulement la possibilité d’accéder à une formation sans les titres
anciennement requis, mais permet d’obtenir partiellement ou totalement
un diplôme. La formation n’est plus le préalable à la certification. La
reconnaissance des acquis de l’expérience liée à la notion de
compétence, permet maintenant l’accès à cette certification. Le
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En 2002 pour la région Bretagne sont recensées 10 831 infirmières et 10 247 aides-soignantes
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
10
dispositif de VAE et les dispositifs de formation vont-ils être
complémentaires ? Permettront-ils une reconnaissance identique ?
Travaillant comme formatrice dans une école d’aides-soignantes,
nous sommes directement interpellée par ces questions. Nous le
sommes d’autant plus que comme infirmière-formatrice nous avons
bénéficié pour entrer en DESS SIFA4 d’une mesure proche : la
validation des acquis professionnels. La reconnaissance de titre
scolaire par l’enseignement supérieur permet de continuer une carrière
scolaire et de bénéficier d’une formation universitaire. Pour suivre le
DESS nous avons dû constituer un dossier de validation. Cette
validation a été pour nous, la possibilité d’accéder à l’espace de
formation universitaire, accès impossible par les voies ordinaires de
promotion dans la filière infirmière. Mais notre expérience de validation
des acquis n’est pas complètement comparable. En effet la VAE des
« faisant-fonctions » d’aides-soignantes permettra l’obtention d’une
certification alors que la validation que nous avions demandée nous
permettait de continuer des études.
Nous devrons tenir compte de
notre propre parcours et des représentations qu’il engendre, dans
l’analyse de l’objet pour prendre conscience de l’impact de la validation
des acquis dans le processus de reconnaissance sociale. Cette
expérience qui nous a été personnellement bénéfique ne doit pas
freiner les questions sur la possibilité de reconnaissance du métier
d’aide-soignante à la suite de l’obtention du diplôme par le biais de la
VAE.
Comment la VAE va t-elle être reçue et utilisée par un personnel
en quête de reconnaissance ? En formulant ainsi la question, nous
identifions l’influence de notre position d’infirmière par rapport au métier
d’aide-soignante, et nous pouvons percevoir comment notre position,
notre représentation de la place de la formation dans un parcours
professionnel nous permet de poser la problématique et les
hypothèses. De notre point de vue, la formation participe à la
4
SIFA : Stratégie Ingénierie de Formation pour Adultes
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
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qualification d’un métier donc à sa reconnaissance. En effet les
infirmières ont accédé à une reconnaissance par le biais de
l’instauration d’une formation et d’un diplôme exigé pour exercer. Pour
travailler comme infirmière, il faut être détentrice du diplôme d’état
acquis à la suite d’une formation scolaire et professionnelle. La
reconnaissance des aides-soignantes est-elle en lien avec la formation
ou le diplôme ?
Notre question de recherche s’articule donc autour d’une
problématique de la reconnaissance sociale et professionnelle : la VAE
mise en place pour l’obtention du diplôme professionnel d’aidesoignant, pourra-t-elle représenter un facteur de valorisation et de
reconnaissance pour ce métier peu visible ? Fera-t-elle entrer dans
le métier des professionnelles qui en auraient été exclues ou admises à
un moindre titre (faisant-fonction) ?
Nous ne pourrons qu’émettre des hypothèses et des pistes de
réponses puisque ce dispositif n’a pas encore été mis en pratique. Ce
travail se situera donc dans un questionnement prospectif.
Une des premières hypothèses que nous émettons est que la
validation des acquis de l’expérience permettra aux individus qui
suivent ce dispositif d’obtenir un diplôme qui leur donnera une
certification au regard des compétences démontrées. Cette certification
devrait contribuer à une auto-reconnaissance liée à la reconnaissance
institutionnelle elle-même liée au titre, selon la stratégie qui consiste « à
tenter d’assimiler l’identité pour autrui à l’identité pour soi. »5
Mais
cette
reconnaissance
pour
soi
permet-elle
une
reconnaissance sociale ? En effet on observe à partir de 1936 la mise
en œuvre d’une logique de qualification qui va « déboucher sur une
5
C. Dubar, La socialisation, construction des identités sociales et professionnelles, Paris, éd.
Armand Colin, 2002, p. 8
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
12
hiérarchisation des salariés selon la durée et le type de formation »6
Une opposition entre travail manuel et intellectuel va s’opérer et
conforter la hiérarchie de statut ou de qualification. Le métier d’aidesoignante va s’inscrire dans cette classification des métiers manuels
nécessitant peu de temps de formation. Une deuxième hypothèse est
que pour ce métier qui n’est pas reconnu socialement, la VAE risque de
recréer une subdivision entre les aides-soignantes qui accèdent à la
certification par la formation initiale et celles qui y accèderont par la
VAE, entraînant par là l’émergence d’une nouvelle sous catégorie
d’aides-soignantes. Cette « formation du pauvre » est-elle une
répétition de l’histoire qui ne serait pas en faveur d’une reconnaissance
sociale d’un métier peu visible ?
Pour ce travail nous nous sommes appuyé sur l’ouvrage d’E.
Hughes Le regard sociologique. L’intérêt que nous y avons trouvé est
l’utilisation de l’observation et de l’approche ethnographique de l’objet
qu’il situe dans un contexte large, c'est-à-dire le rôle des « processus
macrosociaux » que nous situerons ici dans l’observation de la division
du travail à l’hôpital. Cette approche par les détails « interprétables à la
lumière de ces processus globaux » nous semblait tout à fait
adaptables à notre objet de recherche. La VAE pour les aidessoignantes arrive dans un contexte économique particulier en lien avec
des choix en terme de formation continue, l’observation des détails
permettra d’identifier des éléments de réponses aux hypothèses que
nous avons émises. En effet si nous ne regardons que le dispositif en
lui-même et l’intérêt qu’il peut offrir aux individus, nous ne pourrons pas
comprendre les effets potentiels sur une reconnaissance d’un métier.
Les apports méthodologiques de Hughes permettent de comprendre la
division du travail au sein de l’hôpital, donc de situer le métier d’aidesoignante dans la hiérarchie paramédicale. Mais ils nous permettront
aussi d’identifier les interactions entre l’institution et ses besoins, et les
individus et leurs attentes en terme de reconnaissance. Son travail
6
M. Stroobants, Sociologie du travail, Paris, éd Nathan, 1993, p. 71
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
13
permet de comprendre que les « phénomènes sociaux » sont des
processus, qu’ils participent d’un mouvement et qu’ils ne peuvent être
réduits à des « structures » dans lesquelles s’exerceraient des rapports
de force. Pour lui l’étude sociologique étant une étude de l’action
collective.
2 - Analyse de la situation d’enquête :
une étude empirique
Pour P. Bourdieu dans son ouvrage La misère du monde,
« l’enquêteur engage le jeu et institue les règles du jeu ». Cette
considération vaut pour l’entretien mais explique certaines orientations
que l’enquêteur entend donner à son étude. Il nous semble important
de situer comment notre trajectoire personnelle et professionnelle influe
notre vision du métier d’aide-soignante et de la VAE et a suscité cette
question de recherche.
2.1
La nécessaire réflexion sur des postures multiples
Nous avons été infirmière dans différents services de soins et de
prévention, puis formatrice dans le secteur éducatif et social et nous
sommes actuellement formatrice dans une école d’aides-soignantes.
Ce parcours a permis de participer à la vie des équipes de soignants et
d’observer les fonctionnements particuliers des différents secteurs
d’aide à la personne : secteur sanitaire à travers les soins, secteur
éducatif par le biais d’action de prévention auprès de jeunes, secteur
social par la
formation aux métiers d’aide médico-psychologique
(AMP), assistante de vie sociale (AVS) et moniteur éducateur. En
parallèle à ces formations initiales nous avons participé à des actions
de formation continue dans le champ de la santé. Ainsi c’est la
formation initiale et l’exercice du métier d’infirmière qui a permis de
déployer une activité de formatrice dans ces différents champs. C’est
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
14
donc à partir d’une posture d’infirmière (donc de soignante), de
formatrice (donc d’enseignante) et maintenant d’étudiant chercheur que
nous allons pouvoir explorer de l’intérieur et de l’extérieur ces espaces
des secteurs sanitaires et de la formation.
Au regard de ce parcours un travail de réflexion sur la notion
d’identité professionnelle est nécessaire. Comme infirmière l’identité
professionnelle est prégnante. De même, la position de formatrice
s’inscrit dans la continuité entre cette identité professionnelle née de la
formation initiale et une identité visée : celle d’infirmière formatrice.
Claude Dubar note que les « identités construites sur le mode de la
continuité impliquent un espace potentiellement unifié de réalisation, un
système d’emploi à l’intérieur duquel les individus mettent en œuvre
des trajectoires continues ».7 Cette observation est marquée par la
dénomination
du
poste :
« infirmière-formatrice ».
L’espace
d’intervention est clairement délimité, les actions de formations
effectuées sont destinées à un personnel travaillant dans le domaine
sanitaire et médico-social. Ces interventions de formation se situent
dans des espaces identifiés : lieux de formation, visites et évaluation
sur le terrain (hôpital, services d’aide aux personnes). L’ensemble est
institué et garanti par un cadre formalisé. Ce cadre est représenté par
l’administration de la santé, elle-même représentée sur le terrain par le
contrôle de la DDASS (Direction Départementale de l’Action Sanitaire
et Sociale). Cette identité de formatrice s’inscrit donc dans la continuité
de l’identité professionnelle initiale d’infirmière. C’est bien parce que
nous sommes infirmière que nous pouvons prétendre à ces postes de
formatrice. L’exercice de ces métiers se faisant dans les mêmes
espaces institués et identifiés.
Claude Dubar explique une autre forme de construction de
l’identité professionnelle sur le mode de la rupture. « Les identités
7
C. Dubar, La socialisation, Paris, Ed Armand Colin, 2000, p. 235
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
15
construites sur le mode de la rupture impliquent au contraire, une
dualité entre deux espaces et une impossibilité de se construire une
identité d’avenir à l’intérieur de l’espace producteur de son identité
passée. Pour trouver ou retrouver une identité, il faut changer
d’espace. »8 Cette notion d’espace est importante dans la rédaction de
ce mémoire puisque notre objet de recherche va se construire à
l’intérieur de l’espace premier de notre construction d’identité
professionnelle. Et en même temps il nous faudra s’en distancer, sortir
de cet espace, se placer aux marges, créer une rupture pour construire
une identité d’étudiant à l’université permettant d’analyser notre
questionnement. Pour construire cette nouvelle identité, la prise de
conscience de cette notion d’espace est fondamentale. Dubar parle de
cette rupture comme une possible projection dans l’espace du pouvoir
impliquant des reconnaissances de responsabilités, structurantes de
l’identité.9
Pour la pertinence de ce travail, il faudra comprendre ces enjeux
et nous projeter dans un avenir possible, en somme abandonner
l’identité d’infirmière fortement marquée par le rôle prescrit de celle-ci.10
Abandonner le rôle d’exécutant pour passer à un travail d’analyse et
oser des hypothèses. Se placer en position d’extériorité pour se
questionner et questionner les autres sur la reconnaissance accordée
ou pas par une certification. Cette extériorité sera importante car elle
permet une certaine objectivité. « Il est plus facile d’écouter hors de son
contexte que dans son propre contexte parce qu’on est prisonnier des
habitudes et de l’image que les autres ont de nous.»11 En revanche une
connaissance des pratiques des infirmières et des aides-soignantes
sera un atout. Mais il faudra rester vigilante pour garder une distance
8
. Dubar, La socialisation, Paris, Ed Armand Colin, 2000, p. 236
9
Idem
10
Le rôle prescrit de l’infirmière est le rôle qu’elle assure auprès des patients sur prescription
médicale.
11
Michel CROZIER : Directeur de recherche au CNRS et Président du centre de sociologie des
organisations.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
16
d’appréciation constante, pour développer une curiosité et construire un
regard neuf afin de ne pas passer à côté d’informations qui au premier
abord semblent anodines. « S’imposer une polémique incessante
contre les évidences aveuglantes qui procurent à bon compte l’illusion
du savoir immédiat et de sa richesse indépassable. »12
D’autre part la dépendance du métier d’infirmière à l’égard du
corps médical marque fortement certains comportements, en particulier
le souhait de mettre en place des pratiques ressemblant aux pratiques
médicales comme le diagnostic infirmier ou la création d’un ordre
infirmier. D’un autre côté les soins de nursing qui constituent le rôle
propre de l’infirmière sont de plus en plus délégués aux aidessoignantes et sont très peu prisés par les infirmières. Ces procédés ne
traduisent-ils pas l’ambition d’une reconnaissance qui passerait par une
identification aux pratiques du corps médical situé en haut de l’échelle
hiérarchique dans le champ de la santé ? Dans ce travail de recherche
il sera important de ne pas projeter sur l’objet certaines représentations.
Ayant « subi » une socialisation professionnelle où l’infirmière travaille
sous l’autorité du médecin tout en faisant valoir son autorité sur les
aides-soignantes, nous avons construit une échelle de valeur de ces
différents métiers et une représentation de la distribution des rôles dans
une pratique soignante.
Il faudra tenir compte et identifier l’influence de cette pratique
infirmière dans l’élaboration des hypothèses. Ce métier d’infirmière
s’est forgé une identité en lien avec les évolutions techniques et les
pratiques de la profession médicale et c’est à partir des tâches
infirmières qu’a été crée le métier d’aide-soignante. L’observation des
dépendances instituées par ces évolutions entre la profession médicale
et le métier d’infirmière et en ricochet entre le métier d’infirmière et le
métier d’aide-soignant sera importante.
12
Pierre BOURDIEU, Jean Claude CHAMBOREDON, Jean Claude PASSERON, Le métier
de sociologue, Paris, 4ème édition , éd. Ecoles des hautes études en sciences sociale, 1983, p.
27
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
17
Nous serons donc amenés à adopter une attitude réflexive pour
tenir compte de l’impact d’une certaine subjectivité dans l’analyse de
l’objet. C'est-à-dire identifier ce qui dans notre parcours scolaire et
professionnel a construit nos représentations de la formation et de la
place du diplôme comme moyen de reconnaissance influençant donc
notre représentation de la validation des acquis de l’expérience.
2.2
Méthodes d’investigation
Pour ce travail nous avons utilisé plusieurs outils d’investigation.
L’approche différenciée nous semblait importante, non pas qu’elle est
prétention de faire un bilan complet de la situation, mais parce qu’elle
est fondée sur deux logiques. Une déterminée par les circonstances
dans lesquelles ce travail s’est déroulé, l’autre voulant prendre en
compte la pluralité des situations.
2.2.1 L’analyse des textes juridiques
Nous avons procédé à l’analyse de l’arrêté du 22 juillet 1994
intitulé « Programme des études conduisant au diplôme professionnel
d’aide-soignant » ainsi que des arrêtés relatifs à la VAE et la loi de
modernisation sociale. Cette analyse des textes juridiques nous
semblait appropriée car nous pensons qu’elle permet de mettre en
évidence, par le vocabulaire employé, ce qui peut être sous-tendu. En
effet la plupart des textes juridiques entérinent une pratique sociale.
2.2.2 Les entretiens
Cette recherche est partie d’une demande du directeur de
l’institut où nous travaillons en tant que formatrice, dans le contexte de
la mise en œuvre de la VAE pour les aides-soignantes. A partir de cette
demande, il nous a semblé important de recueillir les ressentis de
différents acteurs autour de cette problématique de la VAE pour
l’obtention d’une certification d’un métier peu reconnu sur le plan social.
Nous avons donc interrogé les acteurs du champ de la formation aidesoignante et en premier lieu le directeur de l’institut. Parmi ces acteurs
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
18
nous avons aussi interrogé une autre directrice d’école aide-soignante
et échangé avec une formatrice.
Pour faire le lien entre les propos des professionnels de la
formation et des professionnels soignants, nous avons interrogé le
médecin inspecteur de la DDAS en tant que garant de la qualité des
soins dispensés dans les services. L’intérêt de la participation de ce
dernier est d’être à l’interface du champ de la formation et du champ de
la pratique soignante.
Nous avons interrogé des aides-soignantes et des agents dans
des services de réanimation et de long-séjour. Ce choix a été motivé
par le souci de conserver la dichotomie existant dans l’institution entre
des services dits « prestigieux » (ici la réanimation) par rapport à des
services moins « nobles » (service de long-séjour).
Au total nous avons interrogé dix-sept personnes, tous les
entretiens ont duré en moyenne trois quart d’heure et ont été tous
enregistrés sur les lieux de travail avec l’accord des interrogés et des
hiérarchiques. Pour garantir l’anonymat les interrogés seront présenté
par l’initiale de leur prénom et leur qualification.
2.2.3 Les questionnaires
En parallèle à tous ces entretiens nous avons testé la méthode
par questionnaire auprès des élèves de l’institut dans lequel nous
travaillons entrant et sortant de formations et auprès d’aides-soignantes
et d’agents de services de longs séjour (services où l’on trouve le plus
d’agents « faisant-fonctions » d’aides-soignantes). L’objectif était de
recueillir leur vision sur le dispositif VAE en tant que professionnelles
ou futures aides-soignantes diplômées. Lors de l’analyse de ces
questionnaires nous avons réalisé leur imperfection donc les difficultés
qui en découlent pour une exploitation pertinente. Nous ne l’utiliserons
pas comme tel car cet outil d’analyse quantitative n’est pas adapté au
recueil de données subjectives. Toutefois il a permis de recueillir
quelques indices comme le difficile rapport à l’écrit pour répondre à des
questions ouvertes (parallèle que nous pourrons faire avec le livret de
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
19
présentation de l’expérience de la VAE) et aussi de confirmer une
position sociale communément identifiée comme basse : parmi tous les
questionnaires retournés la moitié de ceux-ci ne renseignent pas les
questions sur le niveau scolaire et professionnel familial. Le rapport à
l’école peut être là interprété comme étant difficile.
2.3. Tensions entre terrain et théorie : les limites de
méthode
la
Au regard de la méthodologie des entretiens une des premières
limites qui apparaît est que nous n’avons pas interrogé des infirmières.
Ce fait est-il à mettre au plan de l’acte manqué ? Toutefois sur le plan
de la validité de la recherche nous postulons que notre antécédent
d’infirmière objectivé par celui de notre collègue a compensé ce
manque éventuel.
Les lectures des ouvrages de E. Hughes et A.-M. Arborio ont
conforté la méthode empirique utilisée pour l’analyse de l’objet. Nous
avons utilisé notre connaissance du terrain pour décoder certaines
observations et en les mettant en parallèle avec les analyses de E.
Hughes nous avons essayé de leur donner une valeur la plus objective
possible. Cette connaissance du terrain nous a permis d’avoir accès à
des informations plus facilement : facilité pour les rendez-vous en vue
des entretiens et pour la distribution des questionnaires.
La conscience d’être partie prenante dans l’analyse de la situation
a toujours été présente dans la restitution des résultats. Cette part de
subjectivité imprègne la démarche de recherche et nous lui accordons
une valeur dans l’analyse.
Nous pouvons aussi accorder à notre découverte d’une démarche
de recherche les tâtonnements, les maladresses dans le déroulement
de celle-ci. Avec plus de recul, nous mesurons les imperfections de ce
travail quand à la méthodologie.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
20
De même l’utilisation d’un cadre théorique c’est faite elle aussi de
façon très empirique. C’est en passant par l’écriture que nous nous
sommes petit à petit appropriées notions et concepts.
C’est là que nous mesurons l’écart qu’il y a entre ce qui est
attendu et ce que nous sommes capable de produire, quand on vient
d’une culture différente de la culture universitaire. Nous ne maîtrisons
pas les méthodologies, ni le langage, ni les outils d’analyse même si
nous commençons à nous les faire siennes. Mais malgré tout, ce
travail, enrichi par les réflexions des séminaires de recherche, nous a
projetée dans un avenir possible et nous a permis de construire une
méthodologie de réflexion transposable dans un cadre professionnel.
L’analyse des situations de travail, l’analyse des besoins de formation,
la construction d’une argumentation, seront nourries par cette
démarche.
Au regard de ce que nous venons de dire, il nous semble
important, dans le premier chapitre du mémoire, de situer ce métier
d’aide-soignante dans l’institution hospitalière. Par l’approche sociohistorique de l’institution et des professions, nous verrons comment est
né ce métier et pour quelle finalité.
Nous continuerons notre réflexion dans le deuxième chapitre, en
analysant le dispositif actuel de la formation, ainsi que le processus de
certification pour obtenir le diplôme professionnel d’aide-soignante
(DPAS).
Après une approche socio-historique de la VAE, nous étudierons
ce que révèlent ces textes qui légifèrent la mise en œuvre de la VAE,
sur ce métier peu visible.
Dans le quatrième chapitre nous analyserons quels seront les
effets de la VAE pour ce métier d’aide-soignante en terme de
reconnaissance,
mais
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
aussi
sur
la
formation
initiale.
21
Chapitre un
L’institutionnalisation d’une activité
provisoire :
la pérennité sans la reconnaissance du
métier d’aide-soignante
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
22
1 - La division du travail au sein de
l’hôpital :
une
approche
sociohistorique
L’interrogation
de
l’histoire
éclairera
la
compréhension
de
l’organisation des métiers dits paramédicaux. Ce terme de « métiers
paramédicaux » permet de distinguer deux entités bien différenciée : le
corps médical détenteur d’un pouvoir et d’une place de dominants dans
le champ de la santé, et l’entité paramédicale, c’est à dire le corps des
infirmiers auquel on ajoute les aides-soignantes. Le corps paramédical
est à côté du corps médical, il n’en fait pas partie. Quand nous
observons le groupe des métiers paramédicaux, la place des infirmières
est facilement identifiable et elle est reconnue socialement à la
différence du métier d’aide-soignante. Lors d’un entretien deux aidessoignantes le disaient très bien :
Q 40 : Est-ce que pour vous le métier d’aidesoignante est connu ?
« S. : Dans l’équipe, oui, mais à l’extérieur, non !
(Ton de voix ferme)
L. : Quand on écoute à l’extérieur (de l’hôpital) il
n’y a que des infirmières qui travaillent à
l’hôpital : et ça c’est toujours vrai. Par contre
avec les familles de plus en plus, ils nous voient
avec l’équipe soignante et voit la place que l’on
a.
S. : Pour l’hôpital c’est toujours les infirmières,
les aides-soignantes, il n’y en a pas ! C’est
l’image que les gens ont.
L. : Quand tu dis aide-soignante à l’hôpital on te
dis mais non tu es infirmière ? Mais non je suis
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
23
aide-soignante ! Alors on te demande : c’est quoi
ça ? »13
Ce constat de professionnelles traduit le manque de visibilité d’un
métier peu connu qui connaît un déficit de reconnaissance d’autant plus
grand qu’il s’agit d’un métier à la frontière des soins et de l’entretien
des locaux. Cette frontière est si ténue que des agents des services
hospitaliers, normalement responsables de l’entretien des locaux, font
très souvent office d’aides-soignantes sans avoir le diplôme requis. De
plus dans le référentiel d’activité sont stipulées les activités de ménage
comme constitutive de la fonction aide-soignante.
Une
approche
socio-historique
nous
permettra
d’observer
l’institution de la division du travail à l’hôpital pour comprendre en quoi
la place du métier d’aide-soignante peut influer sur la reconnaissance
de celui-ci par la personne détentrice du poste, mais aussi par les
membres de l’équipe hospitalière.
1.1 Une
organisation
liée
technologiques et législatives
aux
évolutions
L’hôpital que nous connaissons aujourd’hui trouve ses racines
dans le devoir de charité omniprésent dans l’Europe chrétienne du
Moyen-Age et jusque sous l’Ancien Régime. Pendant cette longue
période le corps humain est peu valorisé, voire méprisé car il est source
de péché et d’abaissement de l’esprit. La pratique des soins va être
confiée aux religieuses qui font preuve de dévouement, de bénévolat,
de disponibilité et qui sont corvéables à merci.
C’est à partir du règne de Louis XIV qu’apparaissent les premiers
hôpitaux généraux différents des Hôtels-Dieu créés par le pouvoir
religieux. Ces nouveaux hôpitaux vont rassembler en un seul « lieu, les
13
Entretien du 25 avril 2005 avec deux aides-soignantes d’un service de long séjour, réponse
40
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
24
infirmes, les malades indigents, les enfants abandonnés, les aliénés et
les mendiants ».14 Ces hôpitaux vont se développer et au XVIIIe siècle
on en trouvera dans trente-trois villes françaises. Ils vont
accueillir
indigents, invalides et vagabonds. Au sein de ces hôpitaux, la fonction
religieuse des Hôtels-Dieu du Moyen Age est abandonnée au profit
d’une fonction sociale de protection contribuant ainsi au maintien de
l’ordre public. On passe d’un accueil du pauvre à assister (au sens de
charité chrétienne), à l’enfermement du pauvre menaçant pour protéger
la
société.
C’est
ce
que
M.
Foucault
appellera
« le
grand
enfermement »15. Nous pouvons ainsi lire implicitement les luttes de
pouvoir qu’il pouvait y avoir entre le pouvoir civil et le pouvoir religieux.
Petit à petit va se développer une nouvelle pratique médicale de
soin sous l’influence de l’évolution des technologies. Les hôpitaux ne
seront plus seulement des lieux d’accueil ou d’enfermement mais vont
devenir des lieux de soin.
En parallèle à cette médicalisation des pratiques soignantes, les
chirurgiens qui se trouvaient au rang de barbier voient leur position
sociale évoluer en lien avec l’évolution de la technicité. Ils vont devenir
des techniciens du corps hautement qualifiés : dans cette logique de
technicisation de la société, ils prennent en quelque sorte du grade. Le
23 août 1843 est crée la Fondation de la Société de Chirurgie par A.
Bérard pour répondre aux développements rapides des techniques.
Face à toutes ces évolutions, le corps médical va s’organiser et
va organiser l’espace hospitalier pour qu’il devienne un lieu
thérapeutique. Emergera ainsi la technologie médicale sous la
responsabilité de ce corps médical.
14
J. Autret, Le monde des personnels de l’hôpital : ce que soigner veut dire, Paris,
L’Harmattan, 2002, p. 15.
15
M. Foucault : (1926-1984) Normalien, agrégé de philosophie, professeur au collège de
France a fait sa thèse sur l’histoire de la folie. Le « grand enfermement » du XVIIIe siècle qu’il
décrit correspondait à un souci sécuritaire. La crise économique avait jeté sur les routes trop de
mendiants. La peur du désordre provoque un désir d’expulsion des populations marginales. La
collectivité va ériger ces institutions d’accueil pour se protéger.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
25
Le métier de médecin fait partie du petit nombre des métiers
prestigieux parce qu’il agit pour le profit d’autrui. E. Hughes rappelle
que dans son « usage ancien et plus restreint, le terme de profession
se référait au très petit nombre des métiers très prestigieux et qualifié
dont les membres agissaient pour le profit d’autrui.16 On ne définira
donc
plus
seulement
le
métier
de
médecin
de
manière
descriptive (description des actes effectués pour restaurer la santé,
soulager la douleur ou éliminer les humeurs) ; on en parlera en ajoutant
une dimension de jugement de valeur attaché à la santé qui est ellemême une valeur dans la société moderne du XXe siècle. La médecine
devient ainsi « créatrice de normes et définit de nouveaux besoins en
développant ses propres conceptions morales de l’homme idéal. »17
Les médecins, pour E. Freidson18, en arrivent à définir ce qui est bien
ou mal pour l’humanité. « Cette prétention renforce leur autonomie et
les distingue des autres métiers. »19
E. Hughes continue à définir le terme de profession en ajoutant à
cette notion « d’agir pour autrui », celle de mobilité. Avec les progrès de
la technologie médicale, on observe une délégation par les médecins
de certaines tâches aux infirmières qui, à leur tour, en délèguent
d’autres aux femmes de services. D’un côté l’infirmière se rapproche du
médecin en s’appropriant les techniques employées par celui-ci et de
l’autre, dirige d’autres travailleurs qui font leur entrée dans « la
hiérarchie hospitalière pour prendre en charge les tâches abandonnées
par les métiers qui ont gravi l’échelle de la mobilité. »20
16
E. Hughes ; Le regard sociologique ; Paris, Editions de l’école des hautes études en sciences
sociales (EHESS) ; 1996
17
J. Autret, Le monde des personnels de l’hôpital : ce que soigner veut dire …, Paris, éd.
L’Harmattan, le travail social, 2002, p. 23
18
E. Freidson, La profession médicale, Paris, éd. Payot, 1984
19
J. Autret, Le monde des personnels de l’hôpital : ce que soigner veut dire …, Paris, éd.
L’Harmattan, le travail social, 2002, p. 23
20
E. Hughes, Le regard sociologique, Paris, Editions de l’école des hautes études en sciences
sociales, 1996, p. 65
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
26
Il associe cette notion à celle de trajectoire, en effet soigner
n’est pas un travail comme un autre puisqu’il s’applique à un « matériau
humain ». : « Le terme de trajectoire fait non seulement référence à
l’évolution physiologique de la maladie de tel patient, mais également à
toute l’organisation du travail déployée à suivre ce cours, ainsi qu’au
retentissement que ce travail et son organisation ne manquent pas
d’avoir sur ceux qui s’y trouvent impliqués. »21 Cette mobilité est
individuelle et collective et E. Hughes interroge les circonstances
permettant aux individus et aux groupes de personnes de construire
leur trajectoire et leur ascension sociale. Le corps médical et
paramédical répond bien à cette analyse puisque dans les hôpitaux la
fonction curative des soins va devenir prédominante et va être
développée par ce corps médical durant tout ce XXe siècle.
En
parallèle
à
cette
fonction
curative
s’observe
un
développement de la fonction d’enseignement de la clinique médicale,
c'est-à-dire la capacité à examiner un malade pour déterminer de quel
mal il souffre. Pour cela il sera nécessaire d’avoir de « vrais malades »
et les hospitalisés ne le seront plus uniquement sur des critères
sociaux. En effet il faudra que les étudiants en médecine puissent
examiner, palper, « curer » des patients. Les indésirables vont petit à
petit être repoussés des hôpitaux pour qu’il n’y reste que des malades à
soigner. Les médecins vont investir ainsi cet espace, même si on
continue de parler d’hôpital-hospice jusque dans les années 1950.
Ainsi pendant tout le XIXe siècle, la fonction curative est exercée
par les médecins, secondés par une catégorie floue d’acteurs
« autres », catégorie dans laquelle nous retrouvons des religieuses
soignantes et du personnel de service assurant les prestations
d’hôtellerie et d’entretien des locaux. Puis au début du XX e siècle on
voit apparaître les premières infirmières laïques entraînant une
diversification des métiers hospitaliers paramédicaux. Malgré ces
21
A.L. Strauss, « La trame de la négociation : sociologie qualitative et interactionnisme », in J.
Autret, Le monde des personnels de l’hôpital : ce que soigner veut dire …, Paris, éd.
L’Harmattan, le travail social, 2002, p. 24
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
27
évolutions ces différents métiers dits « paramédicaux » « bénéficient
d’une représentation populaire qui, aujourd’hui encore, conserve une
dimension sacerdotale, une sorte de dévouement. »22
Ces évolutions favorisent le prestige du médecin par rapport au
travail des paramédicaux. Ce prestige va être renforcé assez
rapidement par le mouvement d’extension et d’amélioration de la
législation sanitaire au début du XIXe siècle. Le principal apport de cette
période est relatif à la réglementation de l’exercice des professions
sanitaires. Le principe posé par la loi du 19 ventôse au XI (19 février
1803) sur l’art médical, exigeait que l’exercice de cette profession soit
réglementé, et été autorisé à pratiquer, seulement les praticiens ayant
été reçus dans les formes voulues aux écoles et validés par des jurys
institués. Cette loi définissait ainsi l’exercice illégal de la médecine.
« En énonçant avec autorité ce qu’un être, chose ou personne, est en
vérité (verdict), dans sa définition sociale légitime, c'est-à-dire ce qu’il
est autorisé à être, ce qu’il est en droit d’être, l’être social qu’il est en
droit de revendiquer, de professer, d’exercer (par opposition à l’exercice
illégal), l’Etat exerce un véritable pouvoir créateur, quasi-divin. »23 Ce
texte de loi légitime la position sociale dominante du corps médical
confirmant son prestige lié à son activité. Dans la continuité de cette
histoire législative, en lien avec les progrès techniques, dès 1848
germe en France l’idée de la création d’un ministère de la santé qui
verra le jour en 1924. Les pouvoirs publics vont accompagner les
progrès réalisés dans le domaine de la santé et réglementer l’exercice
des différents métiers par l’instauration du Code de la Santé Publique
en 1953, qui complète ainsi la loi sur l’exercice illégal de la médecine.
Dans ce Code nous trouvons les professions médicales et les métiers
paramédicaux réglementés. Pour exercer ces métiers il faut être
détenteur du diplôme certifiant une expertise. Le métier d’aide22
J. Autret, Le monde des personnels de l’hôpital : ce que soigner veut dire ; L’Harmattant,
Paris 2002, p. 90
23
Pierre BOURDIEU cité par Joël AUTRET ; Le monde des personnels de l’hôpital : ce que
soigner veut dire, Paris, éd. L’Harmattant, 2002, p. 62
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
28
soignante n’était pas inscrit dans ce Code jusqu’en 2005. Oserionsnous dire que ce métier était dénué d’une expertise puisqu’il ne justifiait
pas son inscription ?
1.2 Les différentes étapes de la
professionnelle des infirmières
reconnaissance
L’histoire de ce métier d’infirmière est rythmée par l’évolution des
besoins et de la demande sociale. C’est aussi un métier lié à la
condition des femmes. A la Révolution l’infériorité des femmes est
fondée sur l’idée de nature et du déterminisme biologique. La
Révolution va faire naître de grandes espérances et les femmes vont
prendre part aux évènements. De cette époque révolutionnaire on
gardera en mémoire le souvenir de grandes figures entre autre Olympe
de Gouges qui publie la Déclaration des droits de la femme et de la
citoyenne (septembre 1791).24 Ces espérances ne vont pas se
développer et au nom de l’idée de nature, les femmes sont, après cette
période révolutionnaire, à nouveau reléguée au rôle domestique et à la
maternité. Mais la société évolue, l’essor de l’industrialisation et de
l’urbanisation modifie le quotidien de celles-ci. Elles vont investir de
nouveaux métiers à l’usine et à la ville. Après les guerres le taux
d’activité des femmes ne cesse d’augmenter. La tertiarisation de
l’économie ouvre de nouveaux secteurs à l’emploi féminin, sans que
soit remise en cause la « vision traditionnelle du genre. »25 C’est dans
ce contexte que ce développe l’institution du métier d’infirmière.26
En effet, en parallèle à ces évolutions sociétales, la révolution
pasteurienne au cours du XIXe siècle, qui mettant en avant l’importance
de l’hygiène et de l’asepsie, instaure un rôle nouveau aux femmes
24
G. Attali, Les femmes
marseille.fr/pedago/femmes
25
ou
les
silences
de
l’histoire,
www.histgea.ac-aix-
Idem 24
26
L’apparition du mot « enfermier » date du XIIIe siècle mais c’est à la charnière du XIX e et
du XXe siècle que l’appellation d’infirmière sera officiellement adoptée.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
29
travaillant dans ces lieux de soins que sont les hôpitaux. La mise en
œuvre des nouvelles pratiques d’hygiène leur sera déléguée. En effet
les religieuses se montrent parfois réfractaires aux découvertes
pasteuriennes. Ce qui amène les médecins à rechercher des auxiliaires
plus dociles. Si la laïcisation des soins marque l’acte de naissance du
métier d’infirmière, elle n’est pas immédiate car l’emploi d’infirmière
diplômées d’Etat n’est que fortement recommandé et les religieuses
resteront dans les lieux de soin encore de longues années.
Plus concrètement c’est à la fin de ce XIXe siècle que l’on voit
naître en France les premières écoles d’infirmières considérées comme
des auxiliaires médicales. Ces infirmières vont progressivement
remplacer les religieuses qui jusque là, assuraient la prise en charge
des nécessiteux puis des malades. On assiste à la mise en place
progressive des premières écoles d’infirmières (la Salpêtrière en 1878,
la Pitié en 1881, Lariboisière en 1895). Ces écoles sont conçues à deux
niveaux sous l’influence du docteur Bourneville27. Tout d’abord l’école
primaire où les élèves apprennent à lire et à écrire à partir de manuels
distillant les attitudes et les comportements d’obéissance et de
subordination qu’elles doivent acquérir. Puis une école professionnelle
qui leur inculque le savoir qui leur est concédé pour mieux servir le
médecin. Cet enseignement ne consiste pas à comprendre, et encore
moins à questionner, mais uniquement à appliquer les prescriptions.
Malgré ce principe le souhait de ce médecin était de soustraire le
« personnel inférieur » de son statut de tâcheron pour l’élever à un
statut d’auxiliaire du médecin en le faisant accéder à un minimum de
savoir.
En mettant en place ces écoles, Bourneville participe à la
féminisation de la profession car il ne faut pas oublier que l’on trouvait
dans les hôpitaux un nombre certain de « servants», tous des hommes.
En instituant ce métier comme féminin cela permettait de contre-carrer
le pouvoir des femmes qui détenaient des savoirs transmis par la
27
Le docteur Bourneville était officier de Santé, devenu médecin il fut l’instigateur de la
circulaire du 28 octobre 1902 faisant obligation de créer des écoles d’infirmières dans toute
ville dotée d’une faculté ou d’une école de médecine.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
30
tradition orale (gardes-malades, sages-femmes), en dehors de tout
contrôle médical. L’infirmière est donc une auxiliaire de soins
technicienne, soumise au corps médical : « une filiation médicale
patrilinéaire se superpose à la filiation religieuse matrilinéaire. »28 De
fait la divulgation du savoir technique était dans les mains du corps
médical, les manuels écrits par les infirmières sont limités aux
questions de morale. Pour assurer ce clivage entre la profession
médicale et le métier d’infirmière, un manuel de formation du XIXe
siècle disait : « seul le mode d’administration doit être connu de
l’infirmière. Elle ne doit en aucune façon chercher à connaître ce que le
médecin prescrit, chercher à faire des questions indiscrètes et ne
solliciter à ce sujet aucune explication du pharmacien dont le devoir est
de tenir caché ce que le médecin n’a pas voulu qu’on sût. »29
La technicité continue de se développer multipliant les gestes
techniques (injections, prise de sang, sondages) au point que les
médecins ne peuvent plus les assurer seuls. Dans le milieu hospitalier
ces gestes seront délégués par ceux-ci aux infirmières. E. Hughes
explique comment ces tâches sont ainsi déclassées : « Au fur et à
mesure que la technologie progresse, certaines tâches spécifiques se
trouvent
déléguées
par
le
médecin
à
l’infirmière,
c'est-à-dire
déclassées. »
Pendant cette même période le métier d’infirmière s’est doté d’une
déontologie professionnelle. En juillet 1953, le Conseil international des
infirmières adopte un code précisant les principes déontologiques
appliqués aux soins infirmiers.
Ainsi durant toute la première moitié du XXe siècle et jusqu’aux
années 1970 la relation de dépendance des infirmières aux médecins
est très forte. On ne parle pas de « soins infirmiers » mais de soins
donnés par des infirmières qui ont alors un rôle purement d’exécutante.
Soumission et obéissance aux médecins sont absolument requises
pour exercer ce métier fortement marqué par le modèle religieux.
28
M.F. Collière, Promouvoir la vie, Paris, Inter éditions, 1996, p. 193
29
F. Midy, Les infirmières : image d’une profession, document de travail réalisé dans le cadre
d’une formation au CREDES
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
31
A partir des années 1970-1980 on constate une évolution tendant
à instaurer une relation de collaboration entre médecin et infirmière qui
débouche en 1978 à une modification des textes législatifs. Cette loi
reconnaît officiellement le rôle propre de l’infirmière et pose le
diagnostic infirmier comme support et témoin de la zone spécifique du
rôle propre. Malgré cette loi persiste une ambiguïté dans le statut des
infirmières, avec d’une part un rôle propre spécifique proclamé dans les
textes et dans les discours infirmiers, et d’autre part une autonomie
professionnelle très peu marquée dans la pratique. En lien avec
l’évolution législative les
pratiques de formation se modifient.
L’enseignement n’est plus réservé aux médecins. Ceux-ci continuent
d’enseigner les pathologies, mais ce sont les infirmières enseignantes
qui prennent en charge le reste de la formation. La réforme de 1972
ouvre « une nouvelle ère pour les infirmières et les infirmiers. Celle
d’une rupture avec les formations préparées, guidées, orientées par les
médecins depuis 1922 et basées essentiellement sur une discipline, la
médecine. »30
En 1991, la loi hospitalière crée une nouvelle direction au sein des
administrations : la direction du service de soins infirmiers, qui vient
compléter la direction administrative et la direction médicale.
Depuis et jusqu’à nos jours le métier d’infirmière milite pour
gagner en autonomie par rapport au corps médical. Il semble admis
que cette reconnaissance du métier passe par la transformation du
système de formation avec l’adoption d’un modèle académique de
formation par opposition au modèle d’apprentissage. Ce mouvement
est
initié
par
la
réforme
de
1972
qui
instaure
des
stages
extrahospitaliers obligatoires pouvant aboutir à la prise en charge de la
formation par le ministère de l’éducation nationale. Mais le corporatisme
infirmier français a du mal à se dégager de son histoire hospitalière
malgré les enjeux. « Aujourd’hui, cette question ne devrait pas être
perdue de vue par la profession. Car dans tous les pays où la formation
30
R. Magnon, Les infirmières : identité, spécificité et soins infirmiers. Le bilan d’un siècle,
Paris, Masson, 2000, p. 62
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
32
infirmière est sortie du cadre étroit dans lequel elle était cantonnée,
c’est à partir de ce moment là qu’elle a pu prendre sa véritable
dimension, obtenir une véritable reconnaissance sociale, et que la
discipline des soins infirmiers qu’elle est sensée enseigner a pu
véritablement s’enrichir d’apports nouveaux. »31
Mais malgré tout, des indices d’une volonté de changement sont
perceptibles à travers la terminologie : le décret du 23 mars 1992
instaure le terme d’étudiant à la place de celui d’élève, et celui d’institut
de formation en soins infirmiers (IFSI) à la place de celui d’école
d’infirmière. De plus en 2002 l’arrêté du 8 janvier stipule que le diplôme
d’état d’infirmier donne accès de plein droit en licence de sciences
sanitaires et sociales et en licences de sciences de l’éducation ce qui
établit un lien entre la formation infirmière et l’université.
1.3 La solidarité s’institutionnalise et les ressources de
l’hôpital augmentent
Indépendamment de l’organisation des métiers, l’institution va se
moderniser en lien avec une augmentation de moyens financiers. Nous
observons une continuité de l’histoire dans son principe de solidarité
issu de la Révolution de 1789, avec l’instauration d’un système de
« sécurité sociale », c'est-à-dire un système permettant à tous les
individus d’une collectivité d’accéder aux soins de qualité égale.
Notre système de sécurité sociale français est l’héritage de deux
modèles : celui de Bismarck (allemand) pour qui la protection sociale
est liée au travail par le biais de cotisations obligatoires (cette protection
ne s’adresse qu’aux travailleurs) et celui de Beveridge (anglais) pour
qui l’ensemble de la population a droit à une sécurité, les cotisations
sont prélevées sur les impôts (tout le monde ne paye pas mais tout le
monde peut en bénéficier). En France le système de protection
31
R. Magnon, Les infirmières : identité, spécificité et soins infirmiers. Le bilan d’un siècle,
Paris, éd Masson, 2001, p. 67
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
33
sanitaire et sociale est financé par le travail (par le biais des cotisations)
et tout le monde peut en bénéficier par une répartition solidaire.
Avec l’émergence de ce système de sécurité sociale à partir des
années 1930, les hôpitaux voient leurs ressources augmenter. Ces
moyens nouveaux entraînent une modernisation, tant dans le
développement des structures que dans l’adaptation et la mise en
œuvre de techniques de soin de haute précision. Le nombre des
personnels de santé et des travailleurs sociaux s’en trouvent accrus. Il
sera associé à cette croissance en nombre, la nécessité d’une
qualification du personnel. L’organisation des formations initiales pour
les métiers de la santé va se développer et se perfectionner.
La
formation gagne des lettres de noblesse et devient incontournable pour
exercer comme infirmière.
En même temps l’augmentation des ressources permet le
développement de services à haute technologie dans l’hôpital
qui
entraîne à son tour une division entre des services prestigieux (ceux à
haute technicité) et des services moins prestigieux : il est plus noble
d’exercer dans un CHU, dans un service à haute technicité (médecine
interne, chirurgie cardio-vasculaire par exemple) que d’exercer comme
gériatre dans une maison de retraite rurale. Les paramédicaux
travaillant dans ces services de prestige vont bénéficier d’un regard
plus positif que ceux exerçant dans des services d’accueil de
personnes âgées en long séjour. Une nouvelle hiérarchie s’établit ainsi.
A titre d’illustration, aujourd’hui nous pouvons même entendre de
la part de responsables hiérarchiques que telle infirmière va être mutée
en long séjour par mesure disciplinaire ! C’est une « punition » de
travailler dans un tel service. Or J. C. Guillebaud dans son ouvrage Le
principe d’humanité, rappelle que toute personne, même diminuée à
l’extrême reste membre de la communauté humaine et doit être
respectée comme telle. Ce principe, affirme l’auteur, est actuellement
attaqué par l’intrication des trois révolutions qui sont celles de
l’économie globale, de l’informatique et de la génétique. Ces révolutions
ont permis de réaliser des progrès indéniables dans la lutte contre les
maladies, mais elles ne peuvent occulter la place des sentiments
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
34
humains qui restent inaccessibles à cette seule dimension technicienne
du soin. Nous pouvons constater que cette dimension technicienne est
valorisée rendant ainsi plus noble le travail dans des services à haute
technicité que ceux où l’écoute et l’émotion n’ont pas pour écran cette
technicité.
Il est à retenir de cette histoire que dès la fin du XIXe siècle, les
techniques de plus en plus complexes permettent de diagnostiquer et
de traiter les maladies de façon plus efficace. Pour cela le médecin est
obligé de confier certaines tâches comme les examens d’urines, la
prise des pulsations, les pansements, etc. à des auxiliaires médicales
dont le rôle premier est de servir le médecin. C’est un virage décisif
dans la pratique du soin infirmier car celui-ci va s’ordonner autour de
l’acte médical. L’observation de ces éléments de l’histoire permet de
comprendre la division du travail dans le champ hospitalier. Ces
logiques de divisions du travail conduisent les infirmières à déléguer ce
qu’elles considèrent comme le « sale boulot », c'est-à-dire à déprécier
la qualification de garde malade qui leur vient de Florence Nightintale32
et à en céder les fonctions au petit personnel pour se consacrer aux
tâches plus prestigieuses.
Ainsi une nouvelle catégorie de personnel va s’installer dans le
dispositif hospitalier : les aides-soignantes apparaissent dans le champ
de la santé. En quoi consiste ce nouveau métier ?
32
Florence Nightintale (1820 – 1910) est anglaise. Elle devient célèbre lors de la guerre de
Crimée en 1854 par la création d’un groupe d’infirmières pour les hôpitaux militaires. En 1856
à son retour en Angleterre, elle va se battre pour le maintien de celles-ci dans les hôpitaux et
pour la mise en place de réformes sanitaires. En 1860 elle crée la première école d’infirmières.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
35
2 - Le métier d’aide-soignante dans
cette division du travail
Nous venons de voir que c’est à la fin du XIXe siècle que le métier
d’infirmière apparaît comme tel. « Dans la plupart des pays occidentaux
c’est à cette époque que va être inventée l’infirmière laïque : personnel
féminin rémunérée et subordonnée à la profession médicale. »33 Les
religieuses n’étant tenues qu’à l’obéissance à leur congrégation et
malgré leur moindre coût, le corps médical, dans son ensemble, va
militer pour leur remplacement par des laïques. Mais ces infirmières
laïques se doivent d’avoir les mêmes qualités morales, elles doivent
être tout aussi dévouées. Et pour entrer à l’école d’infirmière, il fallait
pouvoir présenter un « certificat de bonne vie et mœurs ».
2.1. Les liens entre le métier d’infirmière et celui d’aidesoignant
Au début du XXe siècle, Léonie Chaptal ouvre sa première école
d’infirmières différente des écoles ouvertes par le docteur Bourneville.
Ce modèle a perduré jusqu’à nos jours. Celui-ci va permettre un
compromis entre le modèle de formation anglo-saxon qui faisait de
l’infirmière l’homologue féminin du médecin dans le domaine du soin et
de l’organisation, et le modèle républicain français qui considérait
l’infirmière
comme
subordonnée
au
médecin.
Cette
infirmière
républicaine n’avait pas besoin de beaucoup d’instruction et restait en
quelque sorte un personnel semi-domestique. Mme Chaptal considérait
que la pratique infirmière était complémentaire de celle du médecin :
« l’infirmière doit savoir tout du malade, non pas tout de la maladie : la
maladie, c’est la science du médecin, le malade, c’est l’art de
l’infirmière, » dira t-elle. Cette conception va conforter le médecin dans
la légitimité de son pouvoir. Au-delà de ce regard, elle va organiser la
33
D. CARRICABURU, M. MENORET, Sociologie de la santé, Paris, Armand Colin, 2004, p.
65
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
36
formation et mettre en place les premiers diplômes officiels qui
remplaceront les différents diplômes d’écoles. En effet ces brevets
d’école s’attachaient avant tout à donner un minimum d’instruction et
dans les manuels on pouvait constater la coexistence de préceptes
ménagers avec des enseignements de nature paramédicale. Cette
coexistence témoigne de l’ambivalence maintenue dans la fonction
d’infirmière. Léonie Chaptal va travailler à unifier cette formation et le
décret de 1922 institue le titre d’infirmière diplômée d’état (IDE).
Malgré l’instauration de ce titre, le personnel en place est
maintenu et continue d’exercer en qualité d’infirmier sans en avoir le
titre. Les hôpitaux ne pouvaient pas se séparer de ce personnel. La
confusion entre le personnel détenteur d’un titre d’infirmier et les autres
génère des tensions que les administrateurs souhaitent régulariser.
A.M. Arborio cite dans son livre les propos du président Vidal-Naquet
de la fédération hospitalière en 1920 : « Je regrette l’assimilation de
l’infirmier, nommé au concours, avec le personnel servant, femmes de
ménage, etc. il a passé un concours, reçu un diplôme. »34 Une première
distinction avait été faite entre le personnel ouvrier d’entretien et ceux
qui s’occupaient des malades, il fallait maintenant instituer une
spécificité du personnel infirmier parmi toutes les personnes travaillant
auprès des malades. Et on voit alors émerger l’idée d’une mise en
ordre hiérarchique d’une part pour stabiliser le personnel formé et le
garder, et d’autre part pour rationaliser l’organisation du travail. En effet
le travail infirmier pourra être rentabilisé si d’autres le déchargent
complètement des tâches domestiques.
On voit alors se mettre en
place deux grades dans la fonction publique hospitalière : les
infirmières et les ASH35. Mais malgré cette tentative de classement,
l’hétérogénéité du personnel dans son recrutement et dans sa
34
A.M. ARBORIO, Un personnel invisible, les aides-soignants à l’hôpital , Paris, éd
Anthropos, 2001, p. 30
35
ASH : agent des services hospitaliers, terme qui apparaît dans les registres de l’assistance
publique de Paris en 1913 éliminant du vocabulaire les termes de filles ou garçons de salle.
Mais ce titre ne sera répertorié dans le dictionnaire des métiers et des appellations d’emploi de
l’INSEE qu’en 1955.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
37
nomination aux différents postes reste de règle, d’autant plus que la
pénurie d’infirmière reste importante.
Sous la pression de l’élite infirmière, les pouvoirs publics vont
arriver à régulariser petit à petit cette situation et, en 1946, est
promulgué une loi qui définit le métier d’infirmière et ses conditions
d’exercice. Ne pourront exercer comme infirmières que les seules
personnes détentrices du diplôme d’état. L’exercice illégal de la
profession est puni.
Pour ne pas perdre le personnel dont les hôpitaux ont besoin,
des examens et concours vont être organisés, permettant aux
infirmières en poste sans diplôme d’état de régulariser leur situation. De
même que l’on va susciter la promotion du personnel non qualifié en
mettant en place des cours de mise à niveau pour entrer dans les
écoles d’infirmières.
Mais que va-t-il advenir des personnes qui exerçaient comme
infirmière, et qui ne peuvent passer les concours et examens pour
obtenir le diplôme d’état ? Devront-elles retrouver le statut d’ASH alors
qu’elles avaient exercé comme infirmières ? Ces personnes sont ainsi
privées de leur titre mais sont-elles privées de leurs compétences ?
Pour répondre à toutes ces questions un arrêté définit le grade d’aidesoignante en janvier 1949. Nous pourrions résumer l’institution de ce
grade ainsi : c’est la nécessité de garder ces « faisant-fonctions »
d’infirmières qui n’arrivaient pas à obtenir le diplôme d’état qui a
entraîné la création de ce grade d’aide-soignante à l’hôpital. A ce grade
est associé un avantage financier car les aides-soignantes gagnent
plus que les servants de l’assistance publique. Mais d’un autre côté, ce
personnel n’est pas associé à un sous-personnel infirmier mais à une
catégorie supérieure du personnel non diplômé (ASH). Les aidessoignantes restent du côté du personnel de service. La différence
salariale ne comble pas la différence symbolique même si ce personnel
dont le grade est validé par le médecin chef de service, assure des
soins relevant des tâches infirmières. C’est l’activité antérieure passée
au lit du malade qui est prise en compte pour l’obtention de ce certificat
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
38
délivré par le médecin. Pour les hôpitaux cela leur permettait d’avoir
suffisamment de personnel pour assurer les soins à moindre coût.
Ce grade devait être transitoire, le temps que les faisantfonctions régularisent leur situation et que les hôpitaux réorganisent la
distribution du travail. Cet état de fait est corroboré par l’utilisation du
vocabulaire : le terme d’aide-soignant est très peu utilisé au bénéfice de
celui d’aide-infirmière. Mais ceci évolue en lien avec les besoins en
personnel et on voit petit à petit apparaître des demandes de postes
d’aide-soignante pour compléter l’équipe d’infirmières. Et on peut
trouver une justification de ce poste dans les archives de l’AP36 cité par
A.-M. Arborio : « il a été indispensable de prévoir (…) un cadre d’aidesoignant bien que ce cadre ne soit autorisé par la tutelle qu’à titre
provisoire. En effet, (…) l’agent féminin qui aide l’infirmière pour les
soins élémentaires et les petits pansements est aussi employée au
ménage et aux gros travaux. Il ne s’agit ni d’un poste d’infirmière en
raison des heures passées à l’entretien des locaux et au nettoyage, ni
d’un poste de servante en raison de la participation aux soins et aux
remplacements
éventuel
que
l’aide-soignante
est
appelée
à
effectuer. »37
De plus si ce personnel bénéficie d’un meilleur salaire que les
servantes ou ASH, il ne rejoint pas le salaire des infirmières. Les
délégués syndicaux vont s’emparer de cette situation et y associer le
deuxième constat suivant : un certain nombre d’ASH assuraient à
moindre frais les fonctions d’aide-soignante puisque aucun titre ou
diplôme n’était exigé pour assurer ce nouveau grade. (On ne parle pas
encore de métier puisque ce grade devait disparaître une fois que les
infirmières auraient toutes régularisé leur situation.)
Des discussions s’engagent autour de ces différents constats :
besoin ou non d’aide pour les infirmières ? Régularisation salariale par
l’institution définitive de ce grade ? Pour répondre à ces questions
36
AP : Assistance Publique
37
A.M. ARBORIO, Un personnel invisible, les aides-soignants à l’hôpital ; Paris, éd
Anthropos, 2001, p. 41
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
39
l’administration va opter pour la pérennisation de cette nouvelle
catégorie de personnel.
En janvier 1956 est donc instauré le certificat d’aptitude aux
fonctions d’aide-soignant (CAFAS). Date capitale pour l’évolution de la
fonction car pour la première fois on évoque la formation (même si
celle-ci est très sommaire) qui de plus est qualifiante. Ce certificat
assure un niveau de qualification et entérine les attributions de ce
personnel : délivrer des soins d’hygiène en dehors de tout soin médical,
sous la responsabilité de l’infirmière. Le personnel en poste à cette date
doit passer un examen devant un médecin et une surveillante infirmière
pour valider leur position à ce grade.
Un peu plus tard et parallèlement à ces régularisations sera mise
en place la formation qui institutionnalise le métier d’aide-soignante :
elle sera de dix mois dont quarante heures de cours théoriques. Mais
malgré l’instauration de cette formation ce personnel aide-soignant
reste dans la catégorie du personnel de service. Et dans un
déroulement de carrière, ce métier reste l’aboutissement d’un parcours
qui a souvent débuté comme agent de service. Très peu de personnes
parviennent à entrer à l’école d’infirmière. Il est à noter l’ambiguïté de
cette situation : d’un côté ce personnel est associé au monde soignant
puisqu’il est en contact avec les malades, et de l’autre il reste proche
des agents de services car il garde des tâches liées à l’entretien des
locaux.
Cette ambiguïté est confirmée par les propos d’une aidesoignante en long séjour :
« Je suis aux toilettes le matin. Les38 lever, les
habiller, avoir tout le relationnel, voir comment
s’est passée leur nuit et après le petit déjeuner,
(…) et l’après-midi on a le ménage des chambres,
du couloir, puis on a les changes, les couchers,
(…)39
38
« les » désigne ici les malades à lever et habiller.
39
Entretien du 25 avril 2005 avec deux aides-soignantes dans un service de long séjour :
réponses aux questions 3 et 6.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
40
Ces propos témoignent de l’organisation de certains services où
la place des aides-soignants reste une place plus proche des agents de
service que de l’infirmière. En parallèle il faut noter une évolution vers
les soins infirmiers de plus en plus techniques qui vont absorber
complètement l’activité infirmière. Les soins d’hygiène et de confort sont
donc de plus en plus du ressort de l’aide-soignant même si la fonction
reste imprécise. Ce qui permet d’observer une diversité d’exercice dans
ce grade : soit les aides-soignantes ont une activité proche de celle de
l’infirmière, soit une activité similaire à celle des agents des services
hospitaliers différence liées au service où elles exercent.
Au niveau légal ce métier d’aide-soignante ne sera pas situé
complètement dans le champ des soignants puisqu’il ne sera pas inscrit
au Code de la santé publique comme métier réglementé à la différence
du métier d’infirmier : cette inscription protége de l’exercice illégal du
métier. Nous ne voyons pas, normalement, d’infirmière exercer sans
être en possession du diplôme d’état alors que nous trouvons des
agents des services hospitaliers assurant des tâches relevant de la
fonction aide-soignante, même si le CAFAS40 est devenu obligatoire
pour exercer en 1960.
Ce rapide parcours de l’histoire du métier d’aide-soignant met en
évidence les liens de dépendance entre les infirmières et les aidessoignantes : l’aide-soignante est défini comme « personnel utilisé sous
le contrôle de l’infirmier pour aider celui-ci dans l’exercice de ses
tâches. »41
Mais en même temps les aides-soignantes restent
indispensables pour assurer l’entretien de locaux et compléter le travail
des agents hospitaliers.
Nous pourrions aussi dire que c’est un métier créé par défaut pour
le personnel qui ne pouvait accéder au diplôme d’état d’infirmière et
pour les servants qui justifiaient avoir eu la charge effective d’un groupe
de malade pendant au moins un an et l’aptitude à donner des soins.
D’autre part nous verrons que le travail d’aide-soignante est très divers
40
CAFAS : certificat d’aptitude aux fonctions d’aide-soignant
41
Arrêté du 10 juillet 1949
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
41
en fonction des lieux d’exercice et que la définition du métier reste floue
malgré les textes législatifs et l’organisation de la formation.
2.2
C’est le travail auprès du malade qui détermine le
métier
La fonction d’aide-soignante s’inscrit dans le cadre du rôle
propre42 de l’infirmier et elle est définie par l’arrêté du 1er février 1982 :
« l’aide-soignante assure par délégation de l’infirmier sous sa
responsabilité et son contrôle … » C’est bien dans la continuité de
l’histoire, donc sous le contrôle de l’infirmier que l’aide-soignante est
habilitée à effectuer des soins. L’Arrêté du 22 juillet 2004 va déterminer
de façon précise le rôle des aides-soignantes :
« Au sein de cette équipe l’aide-soignant contribue à la prise en charge
d’une personne ou d’un groupe de personnes et participe, dans le
cadre du rôle propre de l’infirmier, en collaboration avec lui et sous sa
responsabilité, à des soins visant à répondre aux besoins d’entretien et
de continuité de la vie de l’être humain et à compenser partiellement ou
totalement un manque ou une diminution d’autonomie de la personne. »
2.2.1 Le référentiel d’activité43
Le préambule de ce référentiel
élargit la compréhension de
l’arrêté de 2004 : les soins devant répondre aux besoins d’entretien de
la vie et devant compenser une diminution d’autonomie doivent
« s’inscrire dans une approche globale de la personne soignée et
prendre en compte la dimension relationnelle des soins. » Cette
précision pourrait être interprétée comme une mise en garde d’une
dérive technicienne souvent observée dans certains services. Dérive
42
Rôle propre de l’infirmier diplômé d’état est le rôle où l’infirmier a l’initiative des soins
envers la personne soignée à la différence du rôle prescrit qui est le rôle qui concerne tous les
actes que l’infirmier est habilité à accomplir sur prescription médicale.
43
Annexe IV de l’arrêté du 25 janvier 2005
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
42
technicienne confortée entre autres par la démarche d’accréditation44
où il est demandé aux personnels des services hospitaliers de décrire
leurs activités et de traduire sous forme de protocoles un certain
nombre de soins. Ce qui peut se comprendre dans le cadre d’une
démarche qualité mais qui ne tient pas forcément compte de la difficulté
de formuler la dimension impalpable des soins qui est de l’ordre de la
relation avec le patient. Il est en effet difficile de décrire une relation, de
la traduire sous forme de texte lorsque l’on sait qu’il s’agit de la
rencontre entre deux personnes à un moment donné de leur histoire,
dans un contexte particulier qui est souvent celui de la maladie ou de la
dépendance.
Malgré ce référentiel on constate une dérive technicienne
souvent liée à la pénurie de personnel : comment privilégier la
dimension relationnelle dans un soin lorsque l’on sait que par exemple
dans un service de long séjour il n’y a que deux aides-soignantes pour
coucher trente patients dépendants, souvent désorientés et nécessitant
d’être changés ? Pour faire face à cette difficulté il faut du personnel
particulièrement motivé et formé. Le cadre supérieur d’un établissement
de long séjour me faisait part de son souci face à une situation de
maltraitance et son observation confirmait cette compréhension dans le
sens où il constatait que plus le personnel était formé et accompagné,
moins il y avait de risque de maltraitance envers les patients
dépendants.
Nous pouvons donc interpréter ce rappel de la dimension
relationnelle des soins dans le référentiel d’activité comme un point
important mais qui n’était pas stipulé dans le texte législatif. Pour
compléter ce regard global sur la fonction aide-soignante ce même
préambule précise que le rôle de l’aide-soignante est d’accompagner la
personne dans les activités de la vie quotidienne et de contribuer à son
bien-être. Cette dimension donne sens à leur métier.
Puis ce référentiel donne la définition du métier qui précise à
nouveau la collaboration de l’aide-soignante avec l’infirmière. Le terme
44
Démarche d’accréditation dans le secteur de la santé correspond en quelque sorte à la
démarche qualité au sein des entreprises.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
43
de collaboration remplace le terme précédent de délégation. Avant la
circulaire de janvier 1996 relative au rôle et missions des aidessoignantes, celles-ci travaillaient par délégation. Qui dit délégation dit
transmission d’une responsabilité, d’un pouvoir à quelqu’un. L’infirmière
autorisait l’aide-soignante à effectuer une partie des soins qui étaient en
son pouvoir. En substituant le terme de collaboration à délégation, le
texte législatif donne un nouveau statut au soin de l’aide-soignante.
L’aide-soignante partage, met en commun son travail avec celui de
l’infirmière. Au niveau législatif elles gagnent en légitimité.
Si nous faisons un petit retour sur l’histoire il aura fallu du temps
pour que cette catégorie professionnelle accède à un certain statut :
entre le moment de l’institution du certificat d’aptitude (CAFAS) en 1956
et ce texte législatif de 1996, quarante ans auront passé. À ce
changement de termes pour définir la relation entre les infirmières et les
aides-soignantes est associé un changement de dénomination du
diplôme qui s’appellera désormais diplôme professionnel d’aidesoignant (DPAS).
Ces changements ne sont pas fondamentaux mais traduisent la
représentation que les législateurs se font des évolutions des fonctions
dans ce secteur hospitalier. De plus ils entérinent la division du travail
qu’E. Hughes a bien expliqué où chaque profession qui gagne en
prestige se décharge sur le métier subalterne des tâches qui lui
semblent moins dignes. Le métier d’aide-soignante est dorénavant
complètement institué ayant « récupéré » une partie des soins
d’hygiène et de confort relevant du rôle propre de l’infirmière et ayant
réduit normalement la part de l’entretien des locaux à l’environnement
du malade, se déchargeant ainsi d’une partie de sa fonction sur les
agents des services hospitaliers. (Ce constat se faisant au regard des
textes car la réalité est souvent différente suivant les lieux d’exercice).
Pour revenir à l’étude du référentiel d’activité, après ce
préambule et la définition du métier sont décrites les activités du métier.
Huit activités sont répertoriées et détaillées. Le constat que l’on peut
faire est la séparation entre les tâches techniques pures et la part
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
44
relationnelle des soins. Comme s’il s’agissait de deux activités
différenciées, comme si lorsque l’on fait un soin on séparait l’acte
technique et le temps de la relation. Ce constat s’inscrit dans
l’observation de la démarche qualité instituée dans les services de
soins, démarche issue du monde de la production industrielle. Mais
cela rejoint aussi la part symbolique de prestige attribué à la technicité.
N’oublions pas que c’est cette évolution technique et les performances
médicales qui lui ont été associées et qui ont permis à la chirurgie de
gagner son prestige par rapport aux autres spécialités médicales. (Au
XIXe siècle c’était les barbiers qui assuraient les opérations
chirurgicales.)
Revenons au référentiel : huit activités sont répertoriées, six
d’entre elles décrivent toutes les tâches constitutives du métier :
dispenser des soins d’hygiène corporelle, observer l’état de la peau et
des muqueuses, assurer l’entretien de la chambre.
La septième activité qui définit la part relationnelle du soin est,
comme les précédentes, formulée en termes d’objectif d’action :
« accueillir,
informer
et
accompagner
les
personnes
et
leur
entourage »45. Les détails de cette activité sont eux aussi très
fonctionnels et nommés « principales opérations constitutives de
l’activité ». Ce champ lexical est proche des termes employés dans le
secteur de la production industrielle même s’ils essaient de mettre en
avant la part de la dimension relationnelle du soin.
Par cette analyse du livret nous percevons toute la difficulté pour
le personnel actuel de se retrouver dans ces injonctions qui sont
souvent paradoxales : soyez efficients en suivant les protocoles, mais
n’oubliez pas d’être avant tout « humain ». Alors que l’on peut
considérer que de décrire de cette manière une activité soignante lui
enlève justement toute sa part de dimension humaine qui sera de toute
façon difficilement descriptible puisqu’elle met en cause cette zone
d’incertitude qui détermine les rapports humains.
45
Annexe 1 au livret de présentation des acquis de l’expérience. Diplôme professionnel aidesoignant – Référentiel d’activité
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
45
2.2.2 Le référentiel de compétence
Nous venons d’étudier le référentiel d’activité et ainsi de nous
interroger sur l’impact qu’il pouvait avoir dans la représentation du
métier d’aide-soignante. Il nous semble intéressant de compléter cette
première analyse par l’étude du référentiel de compétence46.
Du référentiel d’activité ont été identifiées huit compétences :
accompagner une personne dans les actes essentiels de la vie
quotidienne en tenant compte de ses besoins et de son degré
d’autonomie ; apprécier l’état clinique d’une personne ; réaliser des
soins adaptés à l’état clinique de la personne ; utiliser les techniques
préventives de manutention et les règles de sécurité pour l’installation
et la mobilisation des personnes ; établir une communication adaptée à
la personne et à son entourage ; utiliser les techniques d’entretien des
locaux et du matériel spécifique aux établissements sanitaires, sociaux
et médico-sociaux.
Même si ces compétences sont déclinées par la suite seulement
en termes de savoirs faire, ce référentiel donne une image moins
technicienne
du
métier.
Deux
compétences
insistent
sur
l’accompagnement et la communication comme éléments importants de
la dimension soignante du métier. Malgré tout, le découpage en
compétences, annihile la complexité de tout acte de soin à une
personne. Cette séparation entre la dimension technique et la
dimension relationnelle rend difficile la vision globale du soin. Ne meton pas ainsi en évidence que l’on ne peut pas complètement décrire
dans des référentiels, des métiers où la part de la dimension humaine
reste prédominante ?
Face à ces questions il est important d’identifier les biais induits
par notre propre formation et conception des métiers du soin.
46
Référentiel de compétence : Annexe V à l’arrêté du 25 janvier 2005 relatif aux modalités
d’organisation de la validation des acquis de l’expérience pour l’obtention du diplôme
professionnel d’aide-soignant
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
46
Identification nécessaire pour ne pas risquer de se laisser aller à un
jugement de valeur mais garder une certaine objectivité.
2.3
Comment les aides-soignantes donnent sens à leur
activité entre travail prescrit et travail réel
Pour compléter cette étude des référentiels il nous semble
intéressant d’analyser les entretiens où des professionnelles parlent de
leur métier. Quelles représentations s’en font-elles et comment elles les
traduisent. Cette représentation est fonction du service dans lequel
elles exercent ce dont nous avons parlé précédemment.
La
réanimation reste le service de référence dont la symbolique de
prestige est importante. En opposition les services de longs séjours
sont souvent les moins prisés et considérés comme les moins
prestigieux.
Pour autant aucune personne n’a été gênée par cette situation
d’entretien ce qui témoigne d’un climat salarial relativement serein.
En analysant la retranscription ce qui est frappant c’est la facilité de
parole des aides-soignantes de réanimation. Les personnes travaillant
en long séjour avaient plus de réserve pour décrire leur travail ou
donner leur avis personnel.
2.3.1 Le rapport au travail
Lorsqu’on leur pose la question de ce qui fait leur métier,
l’influence du lieu d’exercice s’impose : les aides soignantes de
réanimation mettent tout de suite en avant la dimension technique de
leur travail. Ce qu’elles entendent par dimension technique, ce sont
tous les gestes de soins qui prennent une dimension technique, jusque
dans les actes quotidiens comme la toilette faite à un patient difficile à
manipuler puisqu’il est sédaté47, intubé, ventilé et porteur de sonde :
47
Un malade sédaté est un malade endormi médicalement.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
47
M. : En particulier en réanimation, je crois que le
travail est beaucoup plus technique qu’en long
séjour ou dans les autres services. En réa. on peut
s’occuper correctement du patient. C’est la
différence que je vois par rapport au travail en
moyen séjour : on a le temps de les bichonner et
puis autrement ce que nous on peut apporter c’est
après, à leur réveil. Mais c’est aussi pendant, car
de toute manière on prend soin de leur corps.
(…) Comme on n’a pas réellement de contact
verbal avec eux, quoi que là en ce moment on a
plus de malades avec qui on peut discuter, c’est la
prise en compte de leur corps qui est importante.
Quand on a quatre malades intubés, ventilés
finalement l’image c’est de s’occuper de leur
corps, de leur bien être et puis suivant l’évolution
…
A. : Oui de bien faire la toilette, de se rendre
compte s’il y a besoin d’un shampoing.
M. : Et puis suivant l’évolution du patient, on
prend plus en charge le côté psychologique. Parce
que les malades ont un parcours où ils ont été
endormis pendant un certain temps et ils n’ont
pas réellement de souvenirs de la réanimation. Et
progressivement on les voit qui ouvrent leurs
yeux, on leur explique pourquoi il y a telle chose
autour d’eux car quand ils se réveillent et quand
ils sont « techniqués »48 comme ça ils sont dans
l’angoisse, parfois ils ont en plus les mains
attachées49. On essaie de calmer leur angoisse car
on voit dans leur regard qu’ils sont effrayés
comme, je ne dirais pas des animaux, mais ils se
posent plein de questions, ils sont affolés et il y a
toujours plein de gens autour d’eux et puis on est
là, on les aspire, on leur fait des soins de bouche :
ça doit être très, très angoissant.50
48
Un malade « techniqué » est un malade intubé, sous ventilation artificielle, perfusé, porteur
de sonde digestive et de sonde urinaire.
49
Les malades de réanimation en phase de réveil peuvent arracher inconsciemment les sondes
d’intubation ou les perfusions : pour éviter ces risques il y a souvent prescription médicale
d’une contention.
50
Entretien avec deux aides-soignantes de réanimation du 21 avril 2005, réponses 3
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
48
Si on approfondit l’analyse du travail décrit, le côté technique de
celui-ci est effectivement mis en avant, tout en étant associé à la
dimension d’une prise en charge globale du patient dans un service où
les quotas en personnel sont adaptés à la charge de travail : « on peut
s’occuper correctement du patient, on a le temps de les bichonner,
s’occuper de leur bien-être, on essaie de calmer leur angoisse. » Cette
dimension de prise en charge globale est ici valorisée alors qu’elle était
peu exprimée dans les référentiels étudiés précédemment. Les détails
employés pour dire leur attention au patient « on voit dans leur regard,
on leur fait des soins de bouche » traduisent la place qu’occupent ces
soignantes auprès des malades. Un peu plus loin dans l’entretien, à
une question qui leur demandait ce qui faisait pour elles le cœur de leur
métier, leurs propos vont confirmer la place du relationnel :
A : d’abord l’écoute s’il est conscient, écouter.
M : c’est l’écoute qui prime dans le métier, si
vous n’êtes pas à l’écoute du patient ça ne vaut
pas la peine de travailler.
A : c’est maîtriser les techniques de base : de
savoir faire très bien une toilette, savoir préparer
le matériel quand il y a un examen ou quelque
chose. Mais ça c’est spécifique à la
réanimation.51
L’importance de leur rôle dans l’accompagnement du malade est
prioritaire et associé à la maîtrise d’une dextérité pratique. Il ne suffit
pas simplement de faire une toilette, il faut la faire très bien. Comme si
le travail en réanimation exigeait particulièrement cette excellence. Le
ton enjoué utilisé dans cet entretien témoigne de l’intérêt pour leur
travail qui est aussi traduit par le rythme des paroles et l’envie de dire le
plus de choses sur leur métier.
Les aides-soignantes interrogées et travaillant en long séjour ont
un ton moins enthousiaste pour décrire leur activité. La description du
51
Entretien avec deux aides-soignantes de réanimation du 21 avril 2005, réponses 8
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
49
contenu de leur travail est une description très technique elle aussi,
mais ici ce n’est pas identifié comme tel. Implicitement les gestes sont
plus proches du travail domestique que celui effectué en réanimation : il
n’y a pas les machines pour valoriser ces gestes. Ici les aidessoignantes sont seules avec les patients, il n’y pas d’intermédiaire
pouvant donner un prestige à leur prestation. Le vocabulaire utilisé pour
décrire ce travail est un vocabulaire signifiant une certaine distance
avec le malade :
L. : Moi je suis aux toilettes le matin. Les lever,
les habiller, avoir tout le relationnel, voir
comment c’est passé leur nuit et après le petit
déjeuner, voir s’ils mangent bien et puis après on
a le repas du midi. Là ça discute et puis bon
(silence)
(…) On a le ménage des chambres, du couloir,
puis on a les changes, les couchers, puis les
derniers à coucher puisqu’on en a trois qui
mangent en salle : voilà ! (Silence)
(…) l’après-midi c’est plus dur de rester
communiquer avec eux parce qu’il faut tous les
gérer et puis il faut répondre à toutes les
sonnettes, deux c’est juste !52
Le début de la description du travail est très distanciée : « je suis
aux toilettes ». Dans ce début de phrase le malade n’est pas évoqué,
ce n’est que l’activité qui est annoncée. Puis le descriptif continue et les
personnes à lever sont nommées par l’article « les ». La place des
relations inter personnelles est aussi évoquée comme un acte
technique à effectuer : « avoir tout le relationnel. » Nous retrouvons
bien ce qui est décrit dans les référentiels où la place de la relation
entre soignant et soigné est décrite comme une activité à effectuer au
même titre que les soins d’hygiène mais dissociée de ces soins : il
s’agirait de deux activités différentes et non pas d’une activité complexe
où la relation interviendrait tout au long d’un soin, serait partie
intégrante de ce soin. Cette relation est même identifiée comme une
52
Entretien avec deux aides-soignantes du 25 avril 2005, réponses 3 et 7
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
50
difficulté dans l’organisation du travail : « c’est dur de rester
communiquer avec eux, il faut tous les gérer. » Peut-on interpréter cette
description comme le résultat des conditions dans lesquelles ces aidessoignantes sont appelées à travailler : elles ne sont que deux
personnes responsables de trente résidents dépendants, l’après-midi.
Devant la dureté des conditions de travail ne vaut-il pas mieux se
protéger en tant que soignant par une prise de distance par rapport au
patient ? Cette prise de distance est traduite par le détachement de la
relation soignant-soigné, ces sont les gestes techniques à effectuer qui
priment.
La comparaison avec le travail en réanimation est difficile
puisque les aides-soignantes en réanimation ont la responsabilité de
quatre malades et ont un travail plus prestigieux puisque associé à une
haute technicité.
De plus dans ce service de long-séjour la description du travail
intègre l’entretien des locaux, part du travail aussi importante que la
part de la prise en charge des patients. Cette importance est démontrée
par la construction de la phrase où le ménage est associé aux couchers
des patients.
Pour continuer cette analyse, comparons ce premier entretien
avec celui d’une aide-soignante d’un autre service de long-séjour. Le
travail est lui aussi décrit de manière très pratique et est comparé à
celui pouvant être fait dans une maison de retraite :
B. : Dans le privé53 où je travaillais, on prenait
peut-être plus en compte - je ne sais pas
comment dire – le bien-être, l’apparence des
résidents, on prenait peut-être plus de temps à ça,
à leur faire plaisir.
Q8 : Et ici ?
B. : Ici, je pense qu’on voudrait aller vers ça
aussi, l’équipe le demande. Mais je pense que non
53
Cette aide-soignante travaillait avant dans une MAPA (maison d’accueil pour personnes
âgées) équivalent d’une maison de retraite.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
51
je pense qu’ici on les lave, on les installe et puis
point. (Ton ferme et triste)54
Cette comparaison avec le travail pouvant être fait dans une
maison de retraite et un service de long séjour confirme que les
conditions de travail conditionnent la qualité de la prise en charge.
Conditionnent aussi le sentiment de satisfaction de la soignante de
pouvoir mettre en oeuvre ce qui est attendu d’elle ou ce qu’elle pense
être attendu d’elle. Cette distanciation d’avec les patients n’est pas un
manque de volonté : l’équipe le demande, mais une réalité. La
construction de la phrase témoigne ici aussi de cette distance dans la
relation avec le résidents : on les lave, on les installe et puis point. Ce
« point » montre qu’il n’est pas possible d’aller au-delà dans le soin.
Cette personne ne s’autorise pas à s’impliquer d’avantage et le dit
clairement avec ce terme qui clôture la discussion. Je ne suis pas
autorisée à aller plus loin même si j’avais souhaité approfondir et
étudier avec elle ce qui pourrait expliquer cette différence dans
l’organisation du travail et les répercussions que cela a dans
les
ressentis des soignants face à l’exercice de leur métier.
2.3.2 Le rapport à l’équipe
Si nous regardons de près la description du travail d’équipe nous
constatons qu’il est évoqué par toutes les aides-soignantes comme un
point fort de leur activité. Mais là aussi il y a une nette différence entre
le travail d’équipe en réanimation et celui vécu en long séjour.
S. (aide-soignante en long-séjour) : Et puis il y a
le travail en équipe : elle surtout (montrant de la
tête sa collègue qui travaille dans un secteur où
de nombreux résidents sont grabataires). On
travaille surtout en binôme, elles sont toujours
deux. Une aide-soignante et une agent qui font les
toilettes en même temps.
54
Entretien du 23 février 2005, réponses 7 et 8
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
52
A. (aide-soignante de réanimation) : Ce qui est
aussi intéressant en réa c’est de travailler avec
une infirmière, en binôme. C’est très intéressant
et très enrichissant pour notre profession. On
apprend tout le temps, on évolue, on n’est pas
dans la routine, les choses évoluent, ça c’est très
intéressant. Et puis on a différents cas et on est
obligé d’apprendre. Et suivant ce que le médecin
va demander de préparer l’aide-soignante peut
demander à sa collègue infirmière de participer
lors de tel ou tel soin et ça je trouve que c’est très
bien. On a le chariot d’urgence qu’on connaît et
par exemple quand il y a une pose de sonde
urinaire, nous on va pouvoir préparer le matériel.
On fait aussi la préparation de la peau pour la
pose d’un cathéter. S’il y a besoin de raser on va
le faire, c’est nous aides-soignantes qui le faisons.
On est vraiment partie prenante du travail
d’équipe plus que dans un autre service.
M. (aide-soignante en réanimation) : On sent ici
que c’est un travail d’équipe ; à partir du moment
où le médecin donne sa prescription tout se lie, ça
fait une chaîne. L’infirmière va faire ça, nous on
prépare le matériel et tout s’enchaîne et c’est ça
qui est formidable dans ce service où on sent que
chacun à sa place et il y a une union.
Le premier constat concerne la constitution du « binôme » : en
long séjour, il s’agit du binôme aide-soignant / agent (AS / ASH) alors
qu’en réanimation c’est un binôme constitué par l’infirmière et l’aidesoignante (IDE / AS).
Ces aides-soignantes utilisent malgré tout le
même terme. Ceci est une différence importante attachée à la
reconnaissance par les aides-soigantes de leur place dans l’équipe. De
plus cette référence au binôme renvoie au texte législatif qui institue le
travail de l’aide-soignant en collaboration avec l’infirmière. De
nombreux articles de revues professionnelles évoquent régulièrement
ce travail en binôme et le valorise. L’utilisation de ce terme de
« binôme », par les professionnelles de long séjour pour décrire leur
activité en partenariat avec les agents illustre clairement le besoin de
reconnaissance et de valorisation de leur activité. Dans cette situation
de long séjour ce sont ces mêmes aides-soignantes qui sont en
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
53
position hiérarchique supérieure dans ce travail en binôme. Cette
situation permet de donner de la valeur à leur travail dans un service de
moins grand prestige.
En réanimation l’infirmière est nommée « collègue » alors que
les aides-soignantes de long séjour n’évoquent pas la place de
l’infirmière dans la description de leur travail. Elles n’en parleront qu’à la
suite de question sur l’organisation hiérarchique.
Dans la description de l’équipe en réanimation le médecin est
nommé : « suivant ce que le médecin va demander, le médecin donne
sa prescription. » En terme de reconnaissance il est valorisant de
montrer que le travail médical est complété par la participation de l’aidesoignante à la chaîne du soin : « tout se lie, ça fait une chaîne. » Cette
représentation d’une chaîne dans le travail confirme l’analyse d’E.
Hughes quand il décrivait la division du travail médical. En associant
cette description de réanimation à celle du travail d’équipe en long
séjour nous pouvons dire que nous sommes dans le même schéma.
Une chaîne a bien un début et une fin, au début nous retrouvons le
médecin, qui représente la partie la plus noble du travail : poser un
diagnostic, donner un traitement ; puis il y a l’infirmière qui va exécuter
un geste technique de soin sur prescription médicale et l’aide-soignante
qui prépare le matériel pour l’infirmière. Mais ici même si l’aidesoignante est au bout de la chaîne elle participe à un travail reconnu et
prestigieux puisqu’il est associé au prestige du service et elle est en
contact avec le médecin. D’autre part elle fait partie intégrante de
l’équipe et n’a pas besoin de revendiquer une place, celle-ci est
constitutive du fonctionnement de cette équipe. Ici l’enjeu est de taille
car les aides-soignantes côtoient le corps médical. Les analyses de A.
Strauss montrent que dans le cadre de l’hôpital moderne la pratique
des
professionnels
devient
de
plus
en
plus
une
pratique
d’interdépendance dans la mesure où la prise en charge d’un patient
est nécessairement inter disciplinaire, ce qui modifie la nature des
tâches.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
54
En long séjour la situation est différente : le médecin n’est pas
évoqué spontanément par les professionnelles : il ne fait pas partit du
cercle proche comme le reconnaît cette aide-soignante :
Q14 : Avez-vous des contacts avec le médecin ?
S. : On n’a pas beaucoup de relations avec le
médecin : il travaille surtout avec les infirmières.
Il fait le staff avec les infirmières et puis nous
(silence) : il ne vient pas nous demander. Si, je
mens ! Avant quand il y avait la visite, le
vendredi les aides-soignantes allaient avec le
médecin et il nous demandait des fois : mais ça
c’est perdu. Manque de temps, dès fois il arrive il
est midi et nous on est à distribuer les repas et on
n’est pas disponibles. Mais si on voulait
échanger, il nous écoute (ton désabusé). Mais à
l’heure où il vient nous on fait autre chose.55
Cette réponse témoigne du ressenti des aides-soignantes de ce
service de long séjour : le médecin accorde son intérêt aux infirmières :
« il fait le staff avec les infirmières et puis nous… » L’infirmière est
identifiée comme la personne de référence pour le corps médical,
l’aide-soignante n’apparaît pas dans ce fonctionnement d’équipe : elle
lave, change et couche les patients, tâches qui lui ont été reléguées par
les infirmières. Ce ressenti confirme les propos de Hughes : « Les
infirmières délèguent les plus humbles de leurs tâches traditionnelles
aux aides-soignantes et aux femmes de services.»56 En réanimation les
aides-soignantes revendiquent des prérogatives allant de pair avec la
technicisation de leurs activités. Alors qu’en long séjour les aidessoignantes restent associées aux agents ne pouvant ainsi gravir
l’échelle de la mobilité. (…) « Une définition satisfaisante du rôle de ces
nouveaux travailleurs fait notoirement défaut, alors qu’une définition
rigide des rôles et des grades est de règle dans ce système ».57
55
Entretien du 25 avril 2005, réponse 14
E. Hughes, Le regard sociologique, Paris, éd de l’école des hautes études en sciences
sociales, 1996, p. 64
56
57
E. HUGHES, Le regard sociologique, Editions de l’école des hautes études en sciences
sociales (EHESS), Paris, 1996 ; p. 65
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
55
E. Hughes montre ici l’importance de compléter l’analyse de la division
technique du travail par la définition des rôles : les tâches des aidessoignantes sont décrites clairement dans les référentiels et dans les
fiches de poste des différents services, mais leurs rôles sont
spécifiques à chaque service et ressenti différemment par les acteurs.
B. (aide-soignante de long séjour mais ayant
travaillé en maison de retraite) : Alors ici les
agents et les aides-soignants travaillent ensemble,
font le même travail, chose que dans le privé on
ne faisait pas du tout la même chose. Au dessus
de nous il y a l’infirmière. Ici on ne travaille pas
trop avec l’infirmière parce qu’il y a une seule
infirmière pour 68 résidents. Puis il y a le cadre.
Je pense que l’un sans l’autre on ne peut pas
travailler. L’infirmière ne peut pas travailler sans
nous, nous on ne peut pas travailler sans elle, en
fait c’est un travail d’équipe.58
Cette description témoigne de la hiérarchisation et de la
distribution des rôles propre à chaque service : dans ce service les
rôles des aides-soignantes et des agents sont identiques et bien
séparés de ceux de l’infirmière à la différence d’un autre service :
« chose que dans le privé on ne faisait pas ». Alors que l’attente serait
de séparer les rôles des aides-soignants de ceux des agents. Hughes
analyse ce flou inhabituel dans les services de soins comme
révélateurs de l’impact des changements techniques sur la division du
travail réel, changements techniques modifiant les autres rôles des
acteurs dans le système de soin. Cette analyse systémique montre que
malgré la construction de référentiels il reste toujours des interactions
entre les acteurs intervenant sur l’organisation du travail et engendrant
cette différence entre travail prescrit et travail réel.
58
Entretien du 23 février 2005, réponse 10
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
56
2.4
Ce qui fonde la reconnaissance ?
L’intimité que les aides-soignantes partagent avec les malades
lors des soins corporels permet à ce personnel d’être apprécicé par les
patients. C’est bien en effet, cette catégorie de personnel qui passe le
plus de temps auprès de ces patients au cours d’une journée. Cette
représentation est largement reprise pour la justification du choix du
métier lors des entretiens du concours d’entrée : « Si je choisis ce
métier, c’est parce que l’infirmière va faire plus d’actes techniques,
souvent douloureux, alors que l’aide-soignante va pouvoir avoir plus de
temps auprès des gens. Quand on fait une toilette, ils (les malades)
nous parlent souvent plus facilement, on est plus proches d’eux. »59
Ceci va être confirmé par les propos d’un cadre supérieur de
plusieurs services de long séjour et de maisons de retraite à une
question sur la place de l’aide-soignante auprès des résidents :
R5 : Sa place ? Elle a une place professionnelle
située au niveau des soins d’hygiène, au niveau
de l’accompagnement de la vie qui est assez
prépondérante parce que l’infirmière dans une
maison de retraite a en charge un nombre de
résidents important. Elle est souvent sur plusieurs
unités alors que l’aide soignante est dans l’unité,
fait un travail de proximité, fait un travail de
proximité sur la durée, c'est-à-dire qu’on ne peut
pas se permettre d’avoir autant de turn-over que
dans un service classique compte tenu qu’il y a de
nécessaires habitudes à prendre : c'est-à-dire
connaissance des habitudes et des besoins des
résidents d’un côté, et sécurisation pour les
résidents de l’autre de voir toujours un peu les
mêmes personnes. 60
La proximité de l’aide-soignante avec le résident est attendu et
nécessaire à la qualité de l’accompagnement. Ici ce travail est
nettement valorisé puisqu’il permet la « sécurisation » des patients.
59
Notes prises lors d’un entretien de recrutement lors de l’oral du concours d’entrée à l’école
d’aide-soignant en novembre 2004
60
Entretien avec un cadre supérieur de santé le 31 décembre 2004
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
57
Mais cette représentation est souvent modulée lors de la
description des tâches par les professionnels en poste, comme nous
l’avons analysé ci-dessus. Nous avons aussi pu constater la difficulté
de définir rationnellement ce métier tant la diversité des rôles est
grande ; ces rôles intervenant dans le sentiment de reconnaissance.
Q9 : Tout à l’heure vous parliez de
l’importance d’être présente quand le patient
se réveille de sa sédation : c’est un moment
important pour l’aide-soignante ?
A. : Oui, c’est un moment très fort, très important
car la personne est souvent intubée et elle va
essayer de comprendre ce qui va lui arriver,
parler c’est difficile, elle va se rendre compte
qu’elle a très mal à la gorge. Il faut qu’on soit là
pour lui expliquer ce qui lui est arrivé. C’est
important.
M. : Par rapport à l’infirmière je trouve que c’est
important. En plus on rentre dans l’intimité de la
personne. Pendant la toilette on va lui toucher
toute les partie du corps, on va être très proche
d’elle. Ce n’est pas toujours évident de se laisser
laver par quelqu’un d’étranger. Il faut les rassurer
et comme on disait ils sont endormis, mais quand
on rentre dans la chambre on dit bonjour même
s’ils sont « techniqués », on leur parle, on leur dit
ce qu’on fait. Ça c’est important aussi. Ce n’est
pas parce qu’ils sont endormis qu’on ne doit pas
leur parler, sinon c’est presque une agression.
(…)61
La valorisation du travail est placée au niveau du patient et de la
qualité de la relation instituée avec lui. « Il faut qu’on soit là pour lui
expliquer…on rentre dans l’intimité de la personne… »
Au-delà de la relation c’est le travail sur du matériau humain
qu’est le malade qui donne valeur à la prestation et qui permet de se
situer du côté des soignants et non du côté des agents des services
61
Entretien avec deux aides-soignantes de réanimation le 21 avril 2005, réponse 9
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
58
hospitaliers. Même si la place de la relation verbale est valorisée, le
contact physique avec le malade fait le travail et fait ici, la
reconnaissance par la proximité qu’il institue, permettant cette intimité.
Et cette intimité fait la différence avec le travail de l’infirmière et
participe ainsi à cette reconnaissance : « par rapport à l’infirmière je
trouve que c’est important… »
Ceci est dit d’une autre façon par une autre aide-soignante de
long séjour mais confirme cette première observation :
B. : Je pense que ça va dépendre du service, ici
dans un service de long séjour c’est sûr que la
technique il en faut mais se sera plus le contact
humain en fait. Puisqu’il y a des gens qui sont là,
qui n’ont même plus de famille et qui nous
considèrent un petit peu comme leur famille donc
c’est important de parler avec eux, c’est plus
important que seulement la technique, voilà.62
Le geste technique est incontournable mais prend sens quand il
est associé à la dimension relationnelle du soin et participe ainsi à la
valorisation du métier. « C’est en effectuant ces tâches socialement
dévalorisées que les aides-soignantes construisent un mode de relation
privilégiées avec les malades (…) offrant une ressource pour valoriser
leur position.»63 De plus ici la valorisation passe aussi par le fait que
l’aide-soignant remplace la famille absente. On peut considérer que
dans
une
certaine
mesure
c’est
l’acteur
qui
construit
ici
la
reconnaissance de son métier par la valeur qu’il lui attribue. Mais nous
ne pouvons nier les difficultés de reconnaissance liées au contexte
dans lequel ce travail peut s’effectuer :
P. : Deux heures non stop pour mettre tout les
gens au lit, sans qu’on ait des lits à changer. Parce
62
Entretien avec une aide-soignante de long-séjour du 23 février 2005, réponse 23
63
D. CARRICABURU, M. MENORET, Sociologie de la Santé : institutions, professions et
maladies, Armand Colin, Paris 2004, p.73
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
59
que si on a des lits à changer, si on a énormément
de selles alors là c’est deux heures et demie ! (…)
Et puis quand on a envoyé tout le monde dans la
salle s’il nous reste 10 minutes on doit passer la
gaze dans tout un côté de chambre ; pour
ramasser la poussière. On fait un côté, l’autre côté
est fait l’après-midi. Quand on arrive on fait les
transmissions et puis on fait le ménage. (…) De
toute façon c’est dur d’être plus près de gens,
parce que nous d’après-midi par exemple on va
sauter sur le chariot de ménage, ensuite on saute
sur le chariot de linge pour commencer les
couchers. Si on avait du temps, car ici c’est à la
chaîne qu’on les couche, il faut faire vite, parce
que autrement on est toujours là et après c’est le
repas du soir en chambre.64
Dans cet entretien l’insatisfaction liée aux conditions de travail
influence la perception de celui-ci et du coup la reconnaissance qu’on
pourrait en retirer. «Si on avait du temps » traduit cette difficulté. Il est
difficile de valoriser un travail que l’on souhaiterait faire suivant sa
représentation mais que l’on est obligé d’effectuer dans des conditions
de pénurie de personnel. Les injonctions paradoxales influencent en
négatif la reconnaissance par les acteurs, de leur métier : savoir
comment il faudrait faire et ne pouvoir le faire par manque de temps et
de moyens.
Pour compléter cette analyse d’entretien A. M. Arborio montre
dans son ouvrage65 que cette intimité avec le malade permet cette
différenciation d’avec les autres professionnels du soin que sont les
infirmières, permettant ainsi une valorisation de leur travail donc une
reconnaissance. Ce qui souscrit aussi cette valorisation c’est que les
aides-soignants travaillent sur le même « matériau » (travail sur
l’homme) que le médecin ou l’infirmière et que de son travail dépend
celui du supérieur hiérarchique : en effet pour que la visite et l’examen
64
Entretien avec deux aides-soignantes travaillant en long-séjour du 28 avril 2005, réponse 15
65
Ibid 34 : p. 106 – 113
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
60
du malade se fasse au mieux pour le médecin il faut que l’aide-soignant
ait lavé, changé le patient, que la température soit prise. Le travail de
l’aide-soignante entre donc dans cette chaîne soignante et par delà
participe à la valorisation du métier. De plus ce personnel cohabite avec
des métiers à haut prestige social assurant ainsi une certaine
reconnaissance. L’impact des organisations de services joue un rôle
peu négligeable : dans le service de réanimation les aides-soignantes
se sentent intégrées dans cette équipe et travaillent en même temps
que le médecin alors que dans un des service de long séjour elles ne le
rencontre pas66. Une aide-soignante qui a travaillé dans différents
services le signifiera clairement :
B. : Ici le médecin n’est pas très accessible, c’est
un petit peu dommage. Il travaille surtout avec
l’infirmière. Le service où j’étais, le service de
moyen séjour, le médecin nous parlait et il tenait
plus en compte ce qu’on disait. Ici, non, c’est un
peu dommage. De nous écouter ça participe à la
reconnaissance, on passe beaucoup de temps avec
les patients et on sait des choses. Où j’étais avant
le médecin participait aux transmissions, on avait
des réunions toutes les semaines un petit peu pour
faire le point ; ici non, ça n’existe pas.67
Le fait « d’être écouté participe à la reconnaissance » : ceci montre
bien que la place accordée aux aides-soignantes est perçue par l’intérêt
et l’attention qui leur sont manifestées par la hiérarchie et en particulier
par les médecins détenteurs d’un prestige social. De plus, participer
aux transmissions avec les médecins et les infirmières rassure sur la
place occupée dans l’équipe et amende le travail. « On sait des
choses » témoigne également du besoin de valoriser cette participation
au travail d’équipe. Seuls les aides-soignants connaissent des
« choses » inaccessibles aux autres soignants qui ne partagent pas
une intimité avec le patient.
66
Cf. citation d’entretien page 50
67
Entretien avec une aide-soignante de long-séjour du 23 février 2005, réponse 16
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
61
3 - Conclusion
On voit donc ici, que ce métier récent, créé à titre provisoire et
temporaire se pérennise sans pour autant que la reconnaissance soit
effective.
La première partie de ce travail situe le métier d’aide-soignante
dans la division du travail auprès des malades et des personnes
dépendantes, et analyse les représentations des acteurs de leur métier.
Cette première approche permet d’identifier le ressenti que ces aidessoignantes ont de leur rôle dans une équipe soignante. Ceci permettait
aussi de situer l’aide-soignante, personnel intermédiaire entre l’ASH
(agent des services hospitalier) et l’infirmière. « Cependant, tant par
son statut (irresponsabilité et travail par délégation) que par sa position
dans la division du travail qui l’amène à prendre en charge le dirty-work
(le sale boulot), ou par les caractéristiques sociales de ses membres,
plus proches de la catégorie des ASH que de celle des infirmières, elle
relève plutôt du pôle dominé des personnels de service. »68 A. M.
Arborio situe cette catégorie de personnel dans la catégorie du
personnel de service plus que dans la catégorie du personnel soignant
et met en évidence la difficulté, pour ce personnel, de se situer dans la
hiérarchie du travail hospitalier tant les tâches demandées et les rôles
sont variables suivant les services où elles exercent. Les entretiens
auprès d’aides-soignantes travaillant dans des services très différents
(réanimation et long séjour) confirment cette approche.
Au regard de ces éléments identifiés comme pouvant participer à
la construction d’une reconnaissance ou non, dans l’exercice de ce
68
A. M. ARBORIO, Un personnel invisible : les aides-soignantes à l’hôpital, Anthropos, Paris
2001, p. 294
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
62
métier, il semble important de continuer cette recherche sur le rôle de la
formation dans cette reconnaissance et de s’interroger sur les enjeux
de la mise en œuvre de la validation des acquis de l’expérience pour
l’obtention du DPAS.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
63
Chapitre deux
Le processus de sélection et de
certification d’un métier peu qualifié
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
64
Après analyse des entretiens il ressort que ce métier représente
une chance de pouvoir détenir un travail. Il représente aussi un
avantage symbolique lorsqu’il est rapporté à la situation sociale
d’origine et à la position d’ASH, souvent occupé dans un premier temps
dans la fonction hospitalière. Ceci témoigne de la place prépondérante
des trajectoires personnelles de ces aides-soignantes dans la
représentation qu’elles ont de leur métier, et entérine les diversités de
pratiques observées suivant les services où ce personnel exerce. Cette
diversité de particularités liées aux trajectoires sociales personnelles et
professionnelles peut-elle être atténuée par une formation commune et
l’obtention d’un titre qu’est le DPAS69 ? D’autre part la VAE ne risque-telle pas d’augmenter ces différences et entraîner sur du long terme une
diminution d’homogénéité des pratiques de ce métier ? En quelque
sorte intervenir d’une certaine manière comme une déqualification du
métier jouant sur la reconnaissance ?
Pour vérifier cette hypothèse il faut regarder du côté de la formation
professionnelle tout au long de la vie et les principes qui ont guidé
l’élaboration des concepts - en particulier le concept de compétence liés à l’évolution du contexte socio-économique. Ces concepts sont à
situer dans un environnement en pleine mutation et dans une époque
où même les intitulés des métiers se révèlent précaires : en effet les
organisations professionnelles ont demandé au ministère de revoir le
titre d’aide-soignante pour trouver une dénomination plus en lien avec
la réalité professionnelle.
69
DPAS : Diplôme professionnel d’aide-soignant
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
65
1 - Approche socio-historique de la
formation pour adultes
« Nous avons observé que l’instruction ne devait pas abandonner
les individus au moment où ils sortent des écoles, qu’elle devait
embrasser tous les âges, qu’il n’y en avait aucun où il ne fut utile
d’apprendre … »70 En effet au cours des dernières années de l’Ancien
Régime et de la période révolutionnaire, l’instruction des populations va
sortir de l’ombre et devenir une question politique de premier plan.
Cette compréhension de l’instruction et de la formation des adultes est
sous tendue par une conception de l’homme et de la société. La raison
d’être de la formation des adultes est sa contribution aux évolutions
majeures de ces derniers siècles. Elle participe à « l’avènement de la
démocratie et le développement de l’économie, nouveaux paradigmes
structurant les rapports sociaux de la fin du millénaire. »71 L’éducation
et la formation post-scolaires des adultes ne s’adresse plus seulement
à une élite, mais dans cette période révolutionnaire, elles deviennent un
projet de société : l’éducation du peuple. Dans ces temps de la
Révolution française, Condorcet a posé ce qui mettra deux siècles à
mûrir : la notion d’éducation permanente d’où émergera la notion de
formation professionnelle tout au long de la vie.
1.1
Les origines révolutionnaires
Dans cette période révolutionnaire la formation professionnelle
n’était pas prévalente. L’idéal républicain fait appel à la notion de
citoyenneté qui nécessite une éducation pour que le citoyen devienne
un acteur du progrès économique et social. Une des priorités est alors
70
Condorcet , Rapport et projet de décret sur l’organisation générale de l’instruction
publique, présentés au nom du comité d’instruction publique les 20 et 21 avril 1792, Cité par
P. CARRE et P. CASPAR, p. 19
71
P. Carré et P Caspar, Traité des sciences et des techniques de la formation, Paris, 2ème
édition, éd Dunod, 2004, p. 19
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
66
de lutter contre l’illettrisme et de faire accéder la population à un niveau
élémentaire d’instruction contribuant à une normalisation économique
et en contre coup une normalisation socio-politique. « Les progrès de
l’industrie seront proportionnels aux progrès de l’instruction générale.»72
A cette idée de l’instruction générale comme moyen de progression
économique et sociale sera associée petit à petit l’idée d’une formation
professionnelle devant remplacer le système des corporations abolie
par la révolution de 1789. On voit ainsi se mettre en place des
formations techniques et professionnelles d’adultes souvent nommées
écoles de fabrique, avec en parallèle des cours du soir accompagnant
les promotions par le rang. Formation largement soutenue par le
mouvement syndical naissant qui militera pour cette éducation ouvrière
et prendra réellement son essor après la guerre de 1914.
A la fin du XIXe siècle la question de la formation du personnel
hospitalier se pose. Elle est en lien avec toute cette réflexion générale.
C’est à cette même époque que se développent les écoles
d’infirmières.
1.2
Evolution de la formation professionnelle entre les
deux guerres
La période entre les deux guerres est une période de transition
pour le système de formation. L’éducation des adultes en cours du soir
décline au profit de l’éducation populaire et ouvrière. La crise de 1929
avec la montée du chômage met en évidence un manque de
qualification
du personnel. Pour faire face à de nouveaux défis
économiques mais aussi sociaux, se met en place la formation
professionnelle dite accélérée pour la différencier de la formation
professionnelle initiale. Mais les entreprises répondent peu à ces
injonctions et beaucoup de formations sont des formations sur le tas.
Ceci est particulièrement vraie pour la formation des soignants malgré
l’institution d’écoles d’infirmières et la création du diplôme d’état. Il
72
V. DURUY, ministre de l’éducation publique de 1863 à 1869, cité par P. CARRE et P.
CASPAR, Traité des sciences et des techniques de la formation, Paris, 2ème édition, éd Dunod
2004, p. 21
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
67
faudra attendre la période contemporaine pour observer une nouvelle
évolution de la conception de la formation pour adulte et en particulier
pour la formation du personnel soignant. En effet malgré la création du
diplôme d’état d’infirmière en 1922 celui-ci n’était pas obligatoire pour
exercer. De plus dans cette période de transition et d’évolution
technologiques médicales, les besoins en personnel soignant sont
particulièrement grands. Mais les observateurs des hôpitaux vont se
faire critiques face aux savoirs de ce personnel et fonder leurs
préoccupations sur une amélioration de la formation et du recrutement
de ces soignants. Ces inquiétudes vont rejoindre le discours anticlérical
et la volonté d’éducation en phase avec le projet de laïcisation et de
formation du personnel hospitalier de la IIIe République.
1.3
La formation
contemporaine
pour
adultes
à
la
période
Reconstruction et croissance dans cette période d’après-guerre
génèrent de nouvelles fonctions de la formation pour adultes, entre
autre elle devra permettre de développer l’employabilité des individus.
Ceux-ci devront pouvoir s’adapter à un monde du travail en mouvance.
La formation pour adultes ne sert plus seulement à combler les
manques de qualification mais devient une « nécessité structurelle dans
une société à évolution rapide ».73 Cette nouvelle dynamique de la
formation professionnelle produit une législation qui s’inscrit dans le
Code du travail. Cette notion de formation professionnelle quitte donc
peu à peu le seul champ de l’éducation pour entrer de plus en plus
dans le champ du travail.
Dans les années 1970 la place de l’éducation permanente était
prégnante et ses racines se trouvaient dans les thématiques de
développement
personnel,
73
économique
et
social,
volonté
du
Y. Palazzeschi, in P. Carré, P. Caspar, Traité des sciences et des techniques de la formation,
Paris, Dunod, 1999, p. 33
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
68
gouvernement de l’époque de modernisation des relations sociales. La
loi du 12 juillet 1971 va faire évoluer cette conception d’éducation
permanente vers celle de formation tout au long de la vie et y inscrire la
formation professionnelle continue.
Après cette période on constate un ralentissement de la
croissance associé à une course à la productivité. Et d’un autre côté la
politique de formation qui avait déjà investi le champ du travail, va
soutenir la politique de l’emploi. La formation va donc agir sur deux
fronts : accompagner les changements économiques et techniques et
assister la politique favorisant l’insertion professionnelle.
Dans les années quatre-vingt-dix, les thématiques qui marquent
la formation tout au long de la vie sont celles de la flexibilité et de
l’employabilité. La formation des adultes va avoir comme mission de
lutter contre le chômage et l’exclusion sociale dans une configuration
qui place l’économique en premier plan. Le rapport de la Commission
Européenne sur la « société cognitive » en donne une idée :
« Mondialisation des échanges, société de l’information, progrès
scientifique et technique. Tous les jours, nous percevons les
changements induits par ces phénomènes (…) Pour l’Europe, pour
chacun d’entre nous, l’enjeu est de maîtriser de telles transformations
pour ne pas les subir. N’ayant pas su les anticiper, nos pays
connaissent un niveau dramatique de chômage et d’exclusion
sociale. »74
L’expression récente « éducation et formation tout au long de la
vie » témoigne de l’importance d’une vision globale de ce projet même
si actuellement cette vision globale est située dans un contexte de
rationalisation des dépenses.
On peut aussi considérer que cette conception de la résolution
du problème du chômage permet de rendre responsable chaque
74
Commission Européenne (1995) Enseigner et apprendre. Vers la société cognitive,
Luxembourg, CECA – CE – CEEA (cité par P. CARRE et P. CASPAR , p. 6)
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
69
individu face à sa formation. Toutefois il ne faut pas perdre de vue le
sens de celle-ci : « la formation se reproduit comme œuvre civilisatrice.
C’est le contenu de l’objet qui change, pas la nature de la fonction. »75
1.4
Les contraintes économiques et la validation des
acquis
« Jusqu’au
milieu
des
années
soixante-dix,
l’expansion
économique (…) favorise, au sein de l’institution hospitalière, un
contexte dans lequel la dimension gestionnaire n’est pas une
préoccupation essentielle laissant à la logique professionnelle une
influence prépondérante. »76 Les différentes réformes d’après-guerre de
l’organisation du secteur sanitaire et social ne seront pas directement
liées à la dimension économique : nous sommes alors dans la période
des Trente Glorieuses. C’est en 1970 que l’on voit la première grande
loi de planification sanitaire et d’encadrement des dépenses. Cette loi
renforce la planification hospitalière avec la création d’un Schéma
Régional d’Organisation Sanitaire (SROS). En 1996 une ordonnance
institue les Agences Régionales de l’Hospitalisation (ARH) et
régionalise les budgets. On voit ainsi naître une logique de
rationalisation des dépenses qui va se heurter à la logique scientifique
et technique détenues par le corps médical. D’un côté un pouvoir
économique rationnel et de l’autre un pouvoir médical qui s’appuie sur
le symbolisme puissant de pouvoir intervenir quelque peu sur la vie
d’un malade. Lors d’une journée de formation nous avons pu entendre
un médecin répondre de façon humoristique à un juge (intervenant
dans cette formation) : « c’est difficile pour vous, maintenant il n’y a plus
que nous, en France, qui avons le droit de vie et de mort ! »
Ces deux logiques (gestionnaire et médicale) sont antinomiques
si on les situe dans le principe fondateur de l’hôpital du début du XXe
75
Y. Palazzeschi, in P. Carré, P. Caspar, Traité des sciences et des techniques de la formation,
Paris, Dunod, 1999, p. 39
76
J. Autret, Le monde des personnels de l’hôpital : ce que soigner veut dire, Paris, éd
L’Harmattant, 2002, p. 29
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
70
siècle, qui est l’accès à des soins de qualité pour tous. Elles sont
d’autant plus contradictoires si on institue comme dogme que la santé
n’a pas de prix en oubliant qu’elle a un coût ! (Formule régulièrement
rappelée). L’influence économique ne peut être niée et elle entraîne
une remise en question des pratiques professionnelles. La dimension
charitable de cette institution hospitalière est interrogée par la nécessité
d’une gestion économique de la santé.
Au-delà de cette logique purement comptable, il faut aussi
regarder l’évolution sociétale : en 200277 une nouvelle loi redéfinit les
contours des missions des institutions sanitaires et sociales et inscrit
une volonté forte de « replacer l’usager au centre du dispositif et de
passer d’une logique de protection d’une personne fragile à une logique
d’aide à un citoyen en difficulté ».78 Par le choix du vocabulaire, nous
pouvons prendre conscience de l’évolution des mentalités dans les
choix pour la prise en charge des malades et des exclus sociaux. Nous
pouvons faire le lien avec le discours sur l’autonomie, la responsabilité
de chacun, la notion d’initiative personnelle : discours largement utilisé
dans les entreprises industrielles mais aussi dans toute entreprise.
L’institution hospitalière ne devient-elle pas elle aujourd’hui aussi une
entreprise productrice de soins ? Ce choix lexical ne traduit-il pas une
démarche de résultat comme dans toute entreprise se devant d’être
efficiente ? D’une logique de protection on passe à une logique d’aide,
qui est en lien avec la valorisation de la technicité. Par exemple on
évalue les besoins en personnel en fonction du nombre d’actes de
soins techniques à dispenser aux patients sans comptabiliser le temps
d’écoute, d’attention, d’information : ce temps est réduit à néant quand
cette gestion hospitalière devient trop rationnelle et « se fourvoie dans
le taylorisme.».79
77
Loi N° 2002 – 2 – du 2 janvier 2002 rénovant la loi d’orientation de l975
78
M. Pinaud, Le recrutement, la formation, et la professionnalisation des salariés du secteur
sanitaire et social, Rapport du 16 juillet 2004 du Conseil Economique et Social, p. II-14
79
N. BENEVISE, « Nos malades », Le monde des débats, 1993, article cité par R. GUEIBE,
Psychiatre, dans un article d’Info nursing ; N° 36 de Décembre 1993
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
71
De même l’usager de l’institution soignante n’est plus une
personne fragile mais un citoyen en difficulté. Là aussi nous percevons
la dimension symbolique où, de personne fragile à protéger, on passe à
une personne en difficulté mais capable de se prendre en charge. La
logique d’autonomie est sous entendue par ce choix de vocabulaire et
rejoint la logique de production. Logique où chacun est responsable,
donc capable de produire lui-même les conditions du rétablissement de
sa santé.
Comment l’institution hospitalière qui devient peu à peu une
entreprise productrice de soins peut-elle exprimer son héritage
charitable et répondre aux nouveaux besoins d’accueil des exclus
grands consommateurs de soins, que produit cette nouvelle société à
deux vitesses décrite par R. Castel,80 tout en faisant seulement une
gymnastique
comptable ?
« Les
conséquences
sociales
de
la
compétition économique mondiale intense et des choix qu’elle a
impliqués dans les activités de production, de distribution et de
consommation
des
ressources
et
des
biens,
ont
conduit
à
l’augmentation du chômage, de la précarité, de l’exclusion ainsi qu’à
une détérioration sensible de l’état sanitaire de certaines populations.
Par suite, cette situation a interpellé notre société sur la question de
l’égal accès aux soins ».81
Cette évolution de la représentation de personne fragile à citoyen
en difficulté, nous interroge quand on sait que notre système de
protection sociale qui participe au financement de « l’entreprise
hospitalière » est mis à mal par la diminution des cotisants qui sont en
majorité des salariés. De plus dans notre représentation, cette
institution se doit malgré tout, de proposer un service médical de qualité
pour tous. Nous voyons ainsi naître l’obligation de la régulation des
dépenses et l’obligation pour cette institution hospitalière, d’évoluer vers
une gestion économique de la santé donc vers une évolution de nos
représentations. Evolution complexe qui se fait dans un contexte
80
R. CASTEL, La métamorphose de la question, Paris, Gallimard, 2003
81
Ibid 54 : p. II-51
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
72
épidémiologique
marqué
par
l’accroissement
des
pathologies
chroniques et par le vieillissement de la population. Ces contextes
sociaux
(changement
de
la
société
salariale
et
contexte
épidémiologique) ont une large influence sur l’organisation des
établissements de santé où la technicisation des pratiques est devenue
prédominante et se voit associée dans un même temps à un nécessaire
accompagnement sur du long terme des situations chroniques.
De nouvelles interactions vont s’installer entre fonctions sociales
et fonctions économiques, entre logiques professionnelles et logiques
gestionnaires au sein de ce champ de la santé. Interactions entre le
champ médical et le champ social puisque les besoins les plus
importants se situent à ce carrefour : l’augmentation d’une population
précarisée et une démographie vieillissante nécessitent des dispositifs
à visées humaines et sociales tout en gardant un regard médical
préventif. Nous sommes là au cœur de la complexité du système de
soin tenu à certaines pratiques au regard de la Constitution qui rappelle
le droit à la santé et aux besoins de gestion. La loi du 2 janvier 2002
qui rénove l’action sociale et médico-sociale a rappelé la politique de
notre pays en cette matière : « L’action sociale et médico-sociale est
conduite dans le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains
avec l’objectif de répondre de façon adaptée aux besoins de chacun
d’entre eux et en leur garantissant un accès équitable sur l’ensemble du
territoire. »82 Cette double polarité implique les savoirs faire des
professionnels et induit de nouvelles conceptions de la formation.
Cette première vision macroscopique peut être complétée par
une vision plus microscopique. Le pouvoir médical va développer la
logique professionnelle et induire une majoration de la technicité, forte
d’un pouvoir symbolique de puissance. La logique gestionnaire va
interroger ce pouvoir et pousser à développer une gestion rationnelle
des services de soins. Se développe alors une nouvelle forme de
management participatif influencé par le management industriel.
82
Loi 2002-2 ; Art. L. 116-2
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
73
L’hôpital doit être géré comme une entreprise, il n’est alors pas
surprenant que les logiques nées de l’industrie y soient transférées.
Ainsi que le note L. Reyes83 « la démarche qualité apparaît à l’origine
dans
l’industrie
et
dans
les
secteurs
sensibles
(armement,
nucléaires…). Il est satisfaisant pour l’esprit de constater que l’on
évalue la qualité du soin. La différence est probablement qu’en matière
d’armement on se soucie moins de la satisfaction du l’usager. » Nous
voyons par cette intervention que la notion de qualité a tout à fait sa
raison d’être dans l’institution hospitalière si la priorité est bien l’usager
et la qualité des soins qui lui sont dispensés et non pas la seule
réduction des dépenses.
Ainsi l’obligation de la mise en œuvre des démarches qualité se
mettent en place : avec l’accréditation se multiplient les protocoles et
les
formations
de
développement
des
compétences.
Les
« surveillants » de services deviennent des « cadres de santé », le
« pendre soin » se transforme en « production de soins », les « faisantfonctions » d’aides-soignantes doivent être qualifiées pour répondre
aux exigences de l’accréditation, tout ceci dans un contexte de réforme
qui vise à réduire le déficit chronique de la sécurité sociale tout en
exigeant une « rentabilité ». Sans oublier que les évolutions sociétales
transforment les pratiques médicales mais aussi les comportements
des patients. La santé est devenue un bien de consommation courant.
La médecine est devenue performante et audacieuse, repoussant les
limites humaines, re-questionnant le « mourir » dans notre société où
l’on voudrait occulter la mort et la souffrance. Les individus ont donc
une exigence et des attitudes différentes et la « judiciarisation »
influence les pratiques donc les métiers, ainsi que la formation tant
initiale que continue. Les propos d’un médecin hospitalier illustre ce
constat : « Je suis confronté à la prise en charge de patients considérés
comme immortels par leurs proches, et d’autre part, dans une même
situation médicale, les familles s’inquiètent immédiatement de la
83
Dominique FRIARD, document Internet :
www.serpsy.org/piste_recherche/hopital/évaluatuion cite L. REYES ; Histoire, principes et
concepts des démarches qualité et de l’accréditation en santé ; Démarche qualité en santé
mentale, une politique au service du patient ; Editions Inpress, Paris 2003 ; pages 15-21
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
74
possibilité d’acharnement thérapeutique ». Ces propos concentrent tous
les
questionnements
découlant
des
interactions
des
logiques
professionnelles, gestionnaires mais aussi sociétales.
En parallèle à cette évolution hospitalière, il ne faut pas oublier la
situation
d’augmentation
des
pathologies
chroniques
avec
augmentation de la dépendance. On observe alors un décalage entre
les objectifs professionnels et le contenu réel des métiers de ce champ
de la santé ainsi que des chevauchements d’activités entre certains
métiers. Il n’y a pas eu une vraie réflexion sur les besoins mais les
différentes études ont surtout porté sur les pratiques conduites à partir
de l’offre. La DREES84 fait donc des propositions pour redéfinir les
contours de métiers, mettre en place un partage des tâches, créer de
nouveaux métiers répondant aux nouveaux besoins, faciliter les
passerelles entre les différents secteurs de la santé et du social.
Le dispositif de la VAE pour l’accès au Diplôme Professionnel
d’Aide-soignante (DPAS) trouve sa place dans ce contexte. « C’est
l’économie qui va mener le truc » expliquait le directeur d’un institut de
formation lors d’un entretien.85 En effet il faudra tenir compte de
l’histoire et des spécificités du secteur mais il faudra aussi inscrire la
mise en œuvre de la VAE en lien avec les évolutions structurelles de
ce champ sanitaire liées à la situation socio-économique et à la
décentralisation.
Il faudra répondre, d’un côté, aux exigences de l’accréditation
(démarche qualité) nécessitant du personnel qualifié, de l’autre
reconnaître un personnel faisant fonction dont on a réellement besoin.
Cette
analyse
du
contexte
permet
de
conforter
notre
problématique : quel sera l’impact de la mise en place du dispositif de
VAE sur la reconnaissance du métier d’aide-soignante ? Quoi que l’on
puisse penser de la valeur de ce dispositif nous ne pouvons pas oublier
84
DREES : Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques du
Ministère de l’emploi et de la solidarité.
85
Entretien avec le directeur d’un institut de formation (21 décembre 2004)
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
75
les pressions gestionnaires des nouvelles politiques de santé et de
formation qui peuvent considérer « l’homme comme un moyen et non
comme une fin. »86 Comment répondre à l’injonction républicaine qui
demande que le malade soit placé au centre des préoccupations si en
contre partie on considère le personnel comme une ressource de
productivité, de rentabilité ? Comment prendre soin d’un malade si
l’institution ne prend pas soin de son personnel qu’elle considèrerait
comme un moyen ? La culture87 soignante française porte en elle une
représentation de la dimension d’humanité (héritage de l’histoire
hospitalière) difficile à intégrer dans une dimension purement
comptable
et
gestionnaire.
La
fonction
économique
devient
prédominante à la fonction sociale et soignante : il faut les meilleures
prestations tant de soins que de formation, au moindre coût tout en
sachant qu’il est très difficile d’évaluer qualitativement mais aussi
quantitativement l’invisible travail du «prendre soin» qui relève surtout
de la qualité de la relation entre un soigné et un soignant. Qualité ellemême dépendante des individus dans un contexte donné. Un jour un
patient aura besoin de parler et d’être écouté ce qui augmentera le
temps imparti pour l’aide à sa toilette, le lendemain il aura gagné en
autonomie et un simple passage dans sa chambre suffira ! Cette
dimension de l’imprévu est une partie incontournable de la dimension
soignante. Michel Nadot88 situe l’activité soignante dans l’ordre du
mouvement perpétuel et du mobile, liant sa complexité à l’objet qui est
l’humain inséré dans le cours de la vie. On ne peut donc enfermer cette
activité dans des logiques identiques que celles que l’on peut
rencontrer dans le monde industriel de la production. On ne peut
complètement la présenter sous forme de protocoles ou de procédures.
86
Georges LE MEUR, « La vulgate managériale de la formation », Sciences de l’éducation
Université de Nantes 2002 ; page 7
87
Culture au sens d’Edgar MORIN : « La culture est constituée par l’ensemble des savoir,
savoirs faire, règles, normes, interdits, stratégies, croyances, idées, valeurs, mythes qui se
transmettent de génération en génération, se reproduit en chaque individu. »
88
Michel NADOT : diplômé en soins infirmiers psychiatrique, docteur en histoire et
épistémologie en sciences infirmières, professeur et responsable de l’Unité de recherche de la
Haute école de santé de Fribourg, associé à l’Université de Laval à Québec
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
76
Les hôpitaux devant faire face à un budget contraint il faudra
apprendre à optimiser les ressources : que celles-ci soient visibles
comme la technicité des soins ou quelles soient informelles comme la
dimension relationnelle de ces mêmes soins. Toute la difficulté va se
situer à ce niveau : transposer la logique gestionnaire au plus près de la
pratique soignante, donc au plus près du patient.
Est-ce que la VAE qui va valider une expérience, permettra au
personnel qualifié par ce dispositif d’inscrire cette nouvelle logique dans
sa pratique ? Est-ce que ce même personnel aura les moyens d’une
analyse
réflexive
suffisante
pour
« supporter »
ces
nouvelles
contraintes et les intégrer dans sa pratique soignante et continuer à
donner sens à son activité ? Garder une qualité de soin, donc être
« qualifié » au sens propre du terme, c'est-à-dire avoir une manière
d’être qui donne de la valeur tant sociale, civile que juridique au soin qui
est dispensé. Qualification qui participe ainsi à la reconnaissance par
l’individu de son métier.
Nous venons de voir comment la contrainte budgétaire devenait
prégnante et incontournable. Nous savons aussi que toute formation a
un coût. Le coût de la formation aide-soignante se répartit entre les frais
directement liés à la formation et ceux liés au remplacement du
personnel qui quitte l’entreprise pendant une année et doit donc être
remplacé. Avec la validation des acquis, de réelles économies pourront
être faites puisque l’on considère que les personnes se seront formées
elles-mêmes à travers leur expérience. De plus elles ne seront pas
absentes pendant une année avant l’obtention de leur diplôme, et
pourront utiliser le nouveau dispositif qui est le droit individuel à la
formation (DIF). Pour les établissements qui doivent avoir un personnel
certifié
(oserions-nous
dire
« certifié
conforme » ?),
cela
est
certainement attractif : pas de personnel à remplacer et plus de
personnel à inscrire au plan de formation. Le coût de la formation sera
ainsi bien moindre par personne. Ce constat va de pair avec la
responsabilisation des personnes et l’augmentation de leur autonomie
en lien avec une individualisation. Cela pourrait être très positif si la
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
77
réalité était que toute personne pouvait assumer ainsi son évolution
professionnelle. Or nous savons que les individus ne sont pas tous
égaux et n’ont pas tous la même possibilité de se prendre en charge.
Nous verrons quand nous étudierons la mise en place de la VAE qu’un
des objectifs de ce dispositif était de réduire les inégalités et nous
pourrons nous interroger sur la validité de cet objectif.
2 - Le processus de formation initiale
pour le métier d’aide-soignante
Nous avons vu dans la partie précédente que l’hôpital était
soumis à une rationalisation des dépenses. Il devait donc lui aussi se
pencher sur la rentabilisation de ses services donc réfléchir à la
professionnalisation du personnel afin d’accéder à une efficience qui lui
permettra de rester dans la course technique et économique. En lien
avec cette professionnalisation se pose la question de la formation de
ce personnel et en particulier du personnel aide-soignant. Ce personnel
formé doit être compétent, flexible et employable facilement pour
répondre aux besoins de la société. Dans cette nouvelle logique il
apparaît que la formation doit de plus en plus se rapprocher du monde
du travail, en être pratiquement partie intégrante. La formation aidesoignante était inscrite dans cette logique par sa propre histoire. Elle
avait réussi à prendre une distance d’avec la seule dimension de
formation opérationnelle par le développement d’une formation
théorique à part entière. Cette distance permettait d’essayer de
construire une homogénéité des savoir-faire de ce personnel et
permettait une professionnalisation en lien avec une théorisation des
pratiques. Avec la survenue de ces nouveaux concepts d’employabilité
et de compétence générés par les contraintes budgétaires, la formation
aide-soignante est réinterrogée dans sa conception même. Cette
formation était bien une formation en lien direct avec le monde du
travail tout en intégrant l’acquisition de connaissances théoriques
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
78
complémentaires à la dimension opérationnelle, ce qui contribuait à sa
valorisation.
2.1
La formation initiale d’aide-soignante
Le contexte actuel et les contraintes économiques obligent à
revoir la conception de la formation initiale, tout en tenant compte des
nouvelles données liées à la loi de modernisation sociale et
particulièrement celles liées à la validation des acquis de l’expérience.
Mais il est important d'examiner la formation actuelle avant d’observer
les évolutions.
« Même professionnelle (…), la formation n’échappe pas à son
essence éducative, et l’on pourra donc toujours débattre à son propos,
comme à propos de toute pratique éducative, de la dialectique entre sa
dimension normative et son pouvoir heuristique. »89 Cette réflexion de
P. Carré est tout à fait adaptée à la formation aide-soignante. D’un côté
cette formation se doit de répondre aux besoins de la société en
termes de soins de proximité et de nursing (liés au vieillissement de la
population entre autre), tout en étant créateurs d’emplois dans une
société où la montée du chômage devient une préoccupation majeure.
De l’autre côté elle permet à une population souvent en rupture scolaire
de renouer avec la formation académique et d’accéder à un diplôme
ayant un certain pouvoir symbolique de valorisation. On peut donc dire
que cette formation permet d’accéder à une place identifiée dans la
hiérarchie paramédicale tout en donnant du sens à une trajectoire
professionnelle.
Pour approcher la dimension heuristique de la formation aidesoignante nous allons analyser le dispositif de la formation initiale tel
qu’il se présentait avant la mise en œuvre de la validation des acquis.
Cette présentation permettra d’établir une étude comparative entre
89
Y. PALAZZESCHI, Traité de sciences et des techniques de la formation, sous la direction
de P. CARRE et P. CASPAR, Dunod, Paris 1999, p. 39
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
79
cette formation initiale et les conséquences sur celle-ci de l’arrivée de la
VAE.
2.2
Qualification et reconnaissance
Dans la première partie de ce mémoire, nous avons vu, par
l’approche socio-historique du métier, que ce grade de la fonction
hospitalière est défini en 1949.
En 1956 un arrêté précise les conditions pour l’obtention du
CAFAS90 qui devient obligatoire pour exercer comme aide-soignante.
En 1971 la formation qui était de dix mois dont quarante heures
de théorie, passe à douze mois dont cent vingt heures de théorie. Ce
nouveau programme a le souci de favoriser la complémentarité des
fonctions infirmières et aides-soignantes. Avec ce nouveau programme
les
aides-soignantes
psychiatrique,
secteur
pourront
où
aussi
exercer
n’exerçaient
que
dans
des
le
secteur
infirmiers
psychiatriques.
En 1981 un nouvel arrêté modifie la formation qui doit être alors
de douze mois dont 350 heures de théorie et 24 semaines de stage.
Une autorisation d’exercer dans les soins à domicile pour la prise en
charge de la dépendance des personnes âgées sera associée à ce
même arrêté.
En 1994 une modification de programme a lieu avec une nette
augmentation du temps pour les cours théoriques à six cent trente
heures et vingt sept semaines de stages. Cette modification sera suivie
par le changement de dénomination du diplôme qui devient le diplôme
professionnel d’aide-soignant (DPAS) à la place du certificat d’aptitude
aux fonctions d’aide-soignant (CAFAS).
En quarante-cinq ans cette formation passe de quarante à six
cent trente heures de cours théoriques, soit une augmentation de cinq
cent quatre vingt dix heures. D’autre part au début de l’histoire de cette
formation on trouvait associés à ces cours théoriques, des cours de
90
CAFAS : certificat d’aptitude aux fonctions d’aide-soignant
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
80
démonstration pratique qui en 1971 représentaient cent heures de
formation. Ces cours de démonstration pratique ont été remodelés en
1982 pour être transférés en apprentissage opérationnel sous la forme
de stages formatifs.
Cette histoire de l’institution de la formation d’aide-soignante
gagne en visibilité par l’augmentation du nombre d’heures de cours
théoriques. Dans le même temps, elle croise les besoins en personnels
de ce champ de la santé qui offre de larges possibilités d’emplois. Ces
offres d’emplois peu qualifiés suscitent de nombreuses demandes
d’embauche tant de la part de personnels déjà certifiés que de
personnels non diplômés. Ceux-ci espèrent arriver par la promotion
professionnelle, à obtenir un nouveau statut social. Cette dichotomie
entre, d’une part un prestige naissant par le biais de la théorisation
d’une fonction, et d’autre part la réalité qui est que les postes proposés
sont un lieu d’exercice pour les moins qualifiés, va être exacerbée.
Néanmoins les différentes trajectoires personnelles témoignent que la
formation
professionnelle
d’aide-soignante
peut
avoir
un
rôle
symbolique important, et peut permettre une réconciliation, de certaines
de ces personnes, avec le système d’apprentissage scolaire. Cette
formation
ouvre aux individus la possibilité de se situer dans une
hiérarchie par un diplôme reconnu. La VAE va réinterroger les ressentis
de reconnaissance en proposant de nouveaux parcours de certification.
Une comparaison entre le processus de certification par la formation
initiale et la certification par la VAE va-t-elle nous permettre d’identifier
un sentiment de reconnaissance identique chez les aides-soignantes ?
A partir de quoi nous pourrons nous interroger sur une éventuelle
création d’une sous catégorie parmi ce personnel aide-soignant ?
2.3
Le concours d’entrée : une première étape dans un
processus de reconnaissance
L’entrée en école d’aide-soignante est sélective puisqu’il faut se
soumettre à un concours. Ce concours a été institué pour déterminer
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
81
parmi tous candidats91 ceux qui répondront au mieux aux attentes des
institutions employeur.
Il est aussi important de préciser que le nombre de places en
école de formation aide-soignant est déterminé par les DRASS92 au
regard des évaluations faites en besoin de personnel pour une région.
La Région Bretagne disposerait de ressources en personnel suffisantes
et des signes annonciateurs de diminution probable de quotas se font
sentir. Une étude faite en 2001 par la DRASS Bretagne, montre
qu’entre les départs en retraite et le nombre de postes à créer,
l’ensemble des besoins serait de 2 944 aides-soignants. Sur cette
même période, 3 500 personnes seraient diplômées et mises sur le
marché de l’emploi. Il se dégage donc un excédent de six cents
professionnels pouvant répondre à d’éventuels ajustements. Mais à une
réunion de service en juin 2005, ces chiffres étaient contestés par le
directeur d’un institut de formation aides-soignantes. Il les mettait en
opposition à d’autres chiffres produits au niveau national. Ces données
nationales mettraient en évidence une pénurie liée à de nombreux
départs en retraite entre 2010 et 2015. Toujours est-il qu’à ce jour, le
nombre de candidats au concours est supérieur aux nombres de places
de formation.
Après avoir situé le contexte régional, il est nécessaire de revenir
aux textes législatifs. Les articles 1 à 12 de l’arrêté du 22 juillet 1994
modifiés par les articles 1 et 2 de l’arrêté du 5 janvier 2004 définissent
les conditions d’admission et les épreuves de sélection à l’entrée des
91
Ceci est observable pour la région Bretagne qui voit son activité salariée en pleine
mouvance : un certains nombres d’entreprises industrielles ou de l’agro-alimentaire diversifient
leur activité ou sont obligées de diminuer la quantité de travail. Par exemple le départ de la
flotte de Brest vers le port de Toulon a réduit considérablement l’activité de l’arsenal générant
des restructurations, donc des diminutions de postes. Cette diminution a aussi eu des
conséquences sur l’activité de sous-traitants causant là aussi des diminutions d’activité. De
même d’autres entreprises voient la délocalisation de leur activité entraînant la fermeture de
l’usine donc la suppression de nombreux emplois peu qualifiés. Dans un même temps, au
regard du vieillissement de la population, les besoins pour la prise en charge des personnes
âgées dépendantes augmentent. Un nombre de ces salariés se tournent alors vers ce nouveau
bassin d’emplois, conseiller par les agences pour l’emploi et le nombre de candidats pour les
écoles d’aide-soignant augmente ou reste élevé.
92
DRASS : Direction Régionale de l’Action Sanitaire et Sociale
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
82
écoles d’aides-soignantes. Cette législation précise que ce sont les
écoles qui organisent les épreuves de sélection, dans le respect du
déroulement défini par les textes. Ces épreuves de sélections doivent
se dérouler en deux parties.
« Une épreuve écrite anonyme d’admissibilité d’une durée de
deux heures portant sur le programme de biologie du BEP sanitaire et
social »93. Cette première partie du concours s’adresse aux candidats
ne possédant pas ce BEP sanitaire et social. Cette épreuve doit
permettre d’apprécier les connaissances du candidat, sa faculté de
compréhension et de réflexion et sa capacité à s’exprimer par écrit.
Face à ces ambitions, les formateurs des écoles souhaiteraient que
tous les candidats passent cette partie du concours. Ils pensent que
cette mesure assurerait une meilleure égalité des chances entre tous
les individus, ainsi qu’une homogénéité de niveau. Il est en effet
constaté que certains candidats détenteurs d’un BEP sanitaire et social
peuvent présenter en cours de formation des difficultés avec l’écrit.
(Recueil de paroles entendues lors de réunions de jury à la DDASS à
l’issue du concours et de réunions préparatoires pour la construction de
l’épreuve de sélection ; de même cette expression a été entendue lors
de réunion du GERACFAS94).
Dans un deuxième temps a lieu une épreuve orale d’admission
qui consiste en un entretien de 15 minutes avec un jury composé d’un
infirmier-formateur et d’un professionnel infirmier exerçant des fonctions
d’encadrement dans un établissement accueillant des élèves en stage.
Le texte législatif ne précise pas le contenu de cet entretien et les
écoles évaluent ainsi suivant leur projet pédagogique, les motivations et
les capacités d’expression des candidats ayant le BEP sanitaire et
social ou ceux ayant été reçu à l’épreuve d’admissibilité. C’est cette
93
Arrêté du 22 juillet 1994 relatif au certificat d’aptitude aux fonctions d’aide-soignant
(CAFAS). Cet arrêté conditionnant les modalités du concours d’entrée a été reconduit lors du
changement de dénomination du diplôme pour ce métier d’aide-soignant. Le CAFAS est
devenu DPAS en 1996.
94
GERACFA S : Groupe Etude Recherche Action Formation Aide-soignant
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
83
dernière partie du concours qui détermine les candidats admis. Une
présentation de la liste de candidats est soumise à signature auprès de
la DDASS qui valide le recrutement.
L’accès à ce concours d’entrée est une réelle difficulté pour un
certain nombre de candidats en rupture scolaire. Cette difficulté est
précisée dans les entretiens, elle est donc un élément important dans le
processus de reconnaissance du métier pour tous les postulants.
En effet il ne faut pas négliger dans ce sentiment de
reconnaissance qu’intervient aussi
professionnelle.
Les
deux
la trajectoire
aides-soignantes
personnelle et
de
réanimation
interviewées le disent bien quand elles annoncent rapidement lors de
leur présentation qu’elles ont été reçues du premier coup au concours
d’entrée et qu’elles ont eu leur diplôme en étant classées dans les
premières :
A. : J’ai été ASH et devenue titulaire j’ai passé le
concours pour entrer à l’école et je l’ai eu du
premier coup ! Par chance, mon nom était sur la
liste ! (Rire) A ce moment là on était nombreuses
puisque nous étions 40, ça date de 1979. J’avais
avant un CAP de brodeuse, je brodais, chez Z. et
ce qui m’a fait venir à l’hôpital c’est que je
voyais qu’au niveau travail l’entreprise évoluait.
J’étais toute jeune mais les bureaux étaient près
de l’atelier et je voyais que ça n’était pas facile et
je me suis dit qu’il fallait peut être voir autre
chose avant de ne plus avoir de travail.
J’entendais que l’entreprise allait partir et c’est à
ce moment que j’ai postulé à l’hôpital, comme ça
toute seule, comme une grande, en me disant :
« pourquoi ne pas être auprès des malades ».
Mais je ne savais pas si cela allait me plaire, ce
n’est pas tout de postuler. J’étais jeune, 18 ans,
et je me suis dit qu’on pouvait toujours essayer.
M. : Moi j’ai commencé tard le métier d’AS
parce que avant j’ai fait un BEP de secrétariat et
de comptabilité. Ce sont mes parents qui m’ont
obligée à ce genre de parcours parce qu’ils
tenaient un restaurant. Comme on habitait sur une
île je n’avais pas le choix au niveau école et je
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
84
suivais donc des cours par correspondance mais
ce truc ne me plaisait pas du tout. Depuis
longtemps je voulais rentrer dans le milieu
hospitalier, mais cela a bifurqué. (…) et puis
après je me suis dit qu’il fallait que je tente le
coup au niveau hospitalier. On m’a proposé un
petit remplacement en maternité, puis un autre en
gynéco. Je me suis sentie tellement bien que je
me suis dit que j’allais tenter le concours. Je l’ai
tenté et j’ai été reçu, j’ai fait la formation et je
suis sortie bien placée et on m’a donné une place,
avec d’autres qui étaient aussi dans les premières,
en me donnant le choix. (…) quand il y a eu un
poste en réa je me suis dit que si je ne tentais pas,
je ne pourrais jamais y travailler. J’ai eu la chance
d’avoir été retenue parmi les autres candidatures
et là je suis dans mon élément aussi, (…)95
Pour ces deux candidates, le choix de suivre une formation pour
devenir aide-soignante est moins lié ici à l’obtention d’un diplôme qu’à
une volonté de travailler dans le milieu hospitalier. Aujourd’hui le critère
de recrutement exige au minimum une qualification de niveau V. Par
définition les candidatures potentielles sont de bas niveau : ici un CAP
de brodeuse et un BEP de secrétariat. Le parcours scolaire initial est
donc peu valorisé car il relève d’une orientation précoce vers la
formation professionnelle.
Mais il faut aussi considérer d’un autre côté que travailler comme
aide-soignante est, dans ces deux trajectoires, une ascension qui
équivaut à une valorisaton, par rapport au statut socio-professionnel
antérieur. Dans ces parcours personnels ce choix de métier est valorisé
d’autant plus qu’elles accèdent du premier coup à la formation et qu’au
vu de leurs résultats on leur propose des postes dans des services à
haut prestige symbolique. Ce « rite de passage » que peut être le
concours est ici amendé puisque réussi, et signifié comme un élément
important dans ce parcours : « j’allais tenter le concours. Je l’ai tenté et
j’ai été reçue ».
95
Entretien avec deux aides-soignantes de réanimation du 21 avril 2005, réponse 2
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
85
Mais en même temps cette valorisation est tempérée par la
formulation de A. : « je l’ai eu du premier coup ! Par chance, mon nom
était sur la liste ! (Rire). » Si elle est reçue c’est par chance, ce n’est
pas vraiment son mérite qui est ici signifié. Comme si être reçue n’était
pas si glorieux, puisque c’est la chance qui est responsable de cette
réussite en non sa propre valeur. L’expression est importante à prendre
en compte dans l’analyse du ressenti de reconnaissance de ce
personnel qui est conscient de sa place hiérarchique dans la division du
travail hospitalier.
L’analyse des autres entretiens confirme malgré tout que le fait
d’être reçue au concours, annoncé à chaque fois, témoigne de
l’importance de ce rite identifié comme valorisant :
B. : J’ai fait un BEP96 sanitaire et social, puis un
CES97 sur l’hôpital X. (…) je n’avais que mon
BEP. (…) J’ai travaillé 5 ans en tant qu’agent et
j’avais essayé déjà deux fois le concours d’entrée
à l’école d’aide soignante que je n’avais pas
réussi et la 3ème fois je l’ai eu et je suis partie
faire ma formation sur l’hôpital de X.
L. : J’ai fait un BEP service aux personnes puis
j’ai continué en BTA gestion comptabilité, BTS
technico-commerciale, deux ans responsable de
magasin fruits et légumes et après j’ai
démissionné car ça ne m’intéressait plus et je suis
rentrée à l’hôpital en 1999 et en 2001 j’ai fait
l’école d’aide-soignante. J’ai passé le concours
une fois et j’ai été reçue tout de suite.
S. : J’ai passé mon BEP sanitaire et social en
1981 et j’ai commencé tout de suite de travailler à
l’hôpital cette même année et je suis AS depuis
1986. J’ai eu 18 ans et le jour même je
commençais à l’hôpital, et depuis j’y suis. J’ai
fait la formation d’AS en 1986. J’avais fait une
seconde qui n’a pas marché et je me suis dirigée
vers un BEP et j’ai postulé à l’hôpital la bonne
année. J’ai toujours eu envie de faire ça même si
dans ma famille personne ne travaillait dans le
96
97
BEP : brevet d’étude professionnel
CES : contrat d’emploi solidarisé
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
86
secteur. Moi j’ai passé le concours 3 fois, je n’ai
pas été reçue tout de suite !
Cette représentation symbolique de valorisation est comparée
avec les résultats des autres candidats qui ne réussissent pas le
concours et est mis en avant pour conforter ce sentiment de
reconnaissance :
Q44 : Comment vous expliquez que ces
personnes n’arrivent pas à entrer à l’école ?
B. : Je sais déjà qu’une de nos collègues, pour
l’entretien elle avait 18,75 sur 20, donc je me
demande quel niveau il faut ? Puisque je sais que
quand j’ai passé mon entretien j’avais eu 19, et
j’étais 3ème sur liste d’attente, donc le niveau est
de plus en plus haut.98
Ici, ce ne sont pas tant les capacités des candidats qui sont
présentées comme prioritaires que la difficulté de l’épreuve de
sélection. L’aide-soignante reçue sur liste d’attente le dit bien : « le
niveau est de plus en plus haut. » Cette présentation témoigne de
l’importance accordée à ce concours d’entrée dans le processus de
reconnaissance. Le ressenti d’élévation du niveau de recrutement
valorise cette épreuve qui valorise à son tour ce métier d’aidesoignante. La validation des acquis de l’expérience va interroger ce
processus car dans ce nouveau dispositif il n’y aura plus de concours
d’entrée. Pour la VAE le point de départ vers une certification sera
l’expérience et non plus l’évaluation des pré-requis avant l’entrée en
formation.
98
Entretien avec une aide-soignante de long-séjour du 23 février 2005, réponse 44
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
87
2.4
Une formation professionnelle entre école et terrain
Depuis la création du grade d’aide-soignante dans la fonction
hospitalière, cette formation professionnelle s’est développée et
organisée.
2.4.1 Une formation féminine
L’évolution de cette formation est à mettre en lien avec la
progression des scolarités féminines et la féminisation de la population
active. « En France, l’évolution des taux d’activité selon le niveau de
diplôme montre que la croissance globale de l’activité des femmes s’est
faite par l’augmentation constante et soutenue de l’activité de celles qui
ont un diplôme, quel qu’il soit ».99
Niveau de diplôme
Aucun
diplôme
Répartition
des diplômes
dans
l’échantillon
des 65 AS et
29 ASH (en
nombre de
personnes et
en
pourcentage)
2
CEP
1
BEPC
seul
2
2,12 % 1,06 % 2,12 %
Diplôme
de niveau
bac
Diplôme de
niveau
supérieur au
bac
Ensemble
84
4
1
94
89,36 %
4,25 %
1,06 %
100 %
CAP,
BEP,
DPAS
dont 65
DPAS
69,1 %
Résultat du questionnaire remis en décembre 2004 au personnel aide-soignante et ASH des services de longs-séjours,
et maison de retraite d’un hôpital périphérique de la fonction publique hospitalière.
Au regard de ce tableau il n’y a que 2,12 % de femmes sans
diplôme. Ce qui va bien dans le sens de l’observation de M. Maruani
qui associe l’augmentation du nombre de femmes au travail avec
l’augmentation de femmes diplômées. Par contre ce qui est à constater
c’est que pour l’exercice de ce métier d’aide-soignante le niveau de
formation majoritaire est le niveau V. D’autre part les agents des
99
M. Maruani, Travail et emploi des femmes, Paris, éd La Découverte, Repères, 2000, p. 27
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
88
services hospitaliers détiennent un diplôme même si ceci n’est pas
exigé pour assurer ce travail. Les femmes ayant un niveau de scolarité
égal ou supérieur au baccalauréat ne sont que 5,31 %. De plus si nous
observons la répartition des sexes dans l’institut dans lequel nous
travaillons, nous constatons que dans les trois dernières promotions
(2003, 2004 et 2005) le nombre d’hommes varie entre un et quatre pour
trente cinq élèves.
D’autre part même si on constate que les filles sont plus
nombreuses à rester à l’école et qu’elles ont une meilleure réussite
dans l’ensemble, on observe le maintien d’une ségrégation dans les
filières d’enseignement ce qui ici permet d’avoir 90,2 %100 de femmes
dans les formations du secteur sanitaire.
2.4.2 Les principes formatifs sous tendus
L’annexe à l’arrêté du 22 juillet 1994 présente le programme
d’étude. Le préambule de cette présentation met en avant l’importance
d’acquérir des compétences en vue de contribuer à la prise en charge
globale des personnes101 au sein d’une équipe pluridisciplinaire. Cette
notification place l’aide-soignante dans une dimension d’un travail
d’équipe. Mais un peu plus loin il est précisé que son travail doit
s’effectuer sous la responsabilité de l’infirmière. La législation ne
reconnaît pas à ce métier une autonomie propre. Faut-il comprendre
que les enseignements devront s’inscrire dans la formation à cette
dépendance ? En même temps les principes pédagogiques stipulent la
nécessité de valoriser la créativité. Ces injonctions paradoxales sont
inscrites dans le texte qui demande d’être créatif tout en restant
dépendant de ses supérieurs hiérarchiques. D’autant plus que dans la
100
M. Maruani, Femmes, genre et sociétés : l’état des savoirs, Paris, éd La Découverte, 2005,
p. 252
101
Il est important ici, de souligner que ce préambule ne parle pas de malade, ni de patient mais
de personnes. Ceci montre l’évolution dans la conception du métier qui pourra ainsi être exercé
dans un champ autre que le seul secteur hospitalier. Cette remarque est à mettre en lien avec les
injonctions des différents rapports ministériels qui incitent une mutualisation des pratiques des
métiers de niveau V d’aide à la personne (entre autre le rapport Pinaud du conseil économique
et social de Juillet 2004).
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
89
même phrase le développement de la créativité est associée à la
demande de développer la faculté d’adaptation de l’élève aidesoignante. La « socio-logique » est implacable : ce métier, dès sa
formulation légale en terme de formation, est inscrit dans une
dépendance
au
corps
infirmier
qui
borne
ainsi
tout
désir
d’autonomisation.
2.4.3 Elèves ou étudiants : ce que véhicule le vocabulaire en
terme de reconnaissance
Toujours dans l’analyse lexicale de la formulation de ces
principes pédagogiques, il est à noter que l’on ne parle pas d’étudiants
mais d’élèves aides-soignantes. Le terme étudiant est aujourd’hui
réservé aux infirmiers en formation.102
Au niveau étymologique le terme étudiant est utilisé pour
nommer une personne qui cherche à augmenter ses connaissances.
Dans la logique actuelle ce terme désigne ceux qui suivent des études
supérieures. A l’inverse l’élève est celui qui reçoit un enseignement.
D’un côté est attribué au mot « étudiant » une autonomie puisqu’il est
en devoir de chercher à augmenter ses connaissances, de l’autre côté
« l’élève » se doit de recevoir quelque chose qui lui est transmis. Déjà
par l’utilisation d’un vocabulaire est institué une dépendance dans le
fonctionnement attendu des individus qui vont suivre la formation
d’aide-soignante :
ils
professionnaliser
mais
ne
sont
élèves
pas
étudiants
recevant
un
cherchant
à
se
enseignement,
un
« formatage » en terme de conduite, de manière de penser et
d’exécution de tâches prescrites. La formation conduit à une
intériorisation d’une position subalterne.
Cette complexité pourrait se traduire ainsi : à l’issue de la
formation il est nécessaire d’avoir sur le terrain, auprès des patients, du
personnel
compétent,
capable
102
de
développer
une
logique
Au début de l’institution de la formation infirmière le terme d’élèves était employé. Le
terme d’étudiant a été utilisé à partir de la réforme du programme qui a allongé les études
d’infirmiers à 36 mois et qui a crée un diplôme d’état incluant les infirmiers psychiatriques en
1992
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
90
professionnelle dans le sens d’une créativité mais en même temps ce
même personnel doit maîtriser les limites de compétences et ne pas
déroger à cette dépendance au corps infirmier. Une telle tension estelle en faveur d’une valorisation et d’une reconnaissance ?
2.4.4 L’alternance
Ces élèves aides-soignantes vont suivre une formation en
alternance. Les lieux d’apprentissage se répartissent entre l’école et les
stages mais le souci de la globalité de la formation est le point central.
Cette préoccupation est garantie par l’organisation de la formation qui a
comme finalités l’acquisition de compétences et d’une identité
professionnelle. Pour cela la particularité du secteur de la santé est que
les enseignants du domaine paramédical sont exclusivement des
professionnelles
(infirmière-formatrice)
qui
forment
des
futures
professionnelles aides-soignantes. (Sauf dans le cas d’intervention
ponctuelle pour des sujets particuliers)
La durée de la formation est annoncée dans sa globalité : 1 575
heures de formation réparties entre le terrain et l’enseignement à l’école
soit 630 heures pour la formation théorique et 945 heures de formation
pratique en stages. La formation pratique est de 315 heures supérieure
à la formation théorique.
Concernant le contenu de cette formation théorique, l’objectif est
d’acquérir « les connaissances indispensables pour participer à la
réalisation de soins relevant du rôle propre de l’infirmier. »103 Avant de
développer le contenu il est rappelé que cet enseignement s’inscrit
dans la dimension du rôle propre de l’infirmière. Il est perpétuellement
réaffirmé que l’aide-soignante dépend de celle-ci et que les tâches qui
lui sont attribuées ne peuvent empiéter sur le rôle prescrit de
l’infirmière. Ainsi elle ne peut exécuter aucune des tâches de plus haute
technicité (injection, sondage, pansement stérile).
103
Annexe à l’arrêté du 22 juillet 1994
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
91
Cette introduction est complétée par la description de la
répartition de l’enseignement théorique entre cours magistraux, travaux
pratiques et travaux dirigés. Ce qui inscrit ce métier dans une
dimension pratique dominante.
La dimension pratique est renforcée par la définition de la
caractéristique des stages qui « constituent au sein de la formation un
temps d’apprentissage privilégié d’une pratique professionnelle. »
104
Une évolution est néanmoins à noter : les élèves sont en formation
pendant les stages et ne sont plus du personnel actif entre les périodes
de cours théoriques ce qui se pratiquait encore dans les années 1980
comme le témoigne cette aide-soignante.
Q11 : Avez-vous travaillé dans
services avant de travailler ici ?
d’autres
S. (aide-soignante de 42 ans, mariée, a fait sa
formation en 1986) : Oui j’ai fait la réa avant
d’aller à l’école, mais pas longtemps et puis j’ai
fait différents services pendant la formation.
Quand j’étais à l’école ce n’était pas du tout
pareil car on travaillait 15 jours dans les services
et 15 après on était à l’école. Donc on était à deux
dans les services en formation et à deux on
assurait un poste dans le service. Après la
formation je suis venue en long séjour. C’est un
service qui me plait bien, ça le fait ! 105
Il n’y a donc pas encore si longtemps le personnel « s’absentait »
quinze jours pour aller en cours, le reste du temps il était en poste dans
un service. Aujourd’hui les stages sont bien des temps formatifs à part
entière et sont inclus dans la durée globale de formation.
Cette caractéristique des stages comme principe formatif est
important dans la mesure où l’appareil de formation n’a plus les moyens
de suivre toutes les évolutions des pratiques professionnelles et
104
M. Maruani, Travail et emploi des femmes, Paris, éd La Découverte, Repères, 2000
105
Entretien avec deux aides-soignantes de long-séjour du 25 avril 2005, réponse 11
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
92
organisationnelles des services de soins. Sans le concours des
professionnels comme tuteurs106 l’enseignement théorique risquerait
de devenir obsolète et sclérosé. De même les professionnels se
priveraient des questionnements des stagiaires donc d’une incitation à
adopter une posture réflexive sur leurs pratiques.
Le principe de formation en alternance repose donc sur deux
pôles : le centre de formation (école d’aide-soignante) et le lieu de
travail (terrains de stage qui sont des lieux de soins). C’est la rencontre
de deux milieux ayant chacun leur culture. C’est aussi la rencontre de
deux types d’activités : étudier107, et prodiguer des soins en étant
accompagné pour le transfert de connaissance dans une situation de
travail. La personne en formation passe donc d’un milieu à un autre,
d’une activité à une autre. L’alternance c’est précisément l’articulation
de ces deux pôles dans une dimension globale de professionnalisation.
Ce n’est pas « la juxtaposition de deux formations mais l’intégration
organisée de deux systèmes aux logiques différentes : acquérir une
compétence professionnelle et un diplôme. »108 C’est dans cet allerretour école / services de soins que se construit une identité
professionnelle. Cette notion d’identité professionnelle fait appel au
concept de socialisation.
E. Hughes109 explique les mécanismes de cette socialisation
professionnelle. Il décrit le premier mécanisme comme le temps de
l’immersion dans la culture professionnelle qui apparaît alors comme
différente de la culture profane avec la question de l’interaction des
deux cultures à l’intérieur de l’individu et l’identification progressive avec
le nouveau rôle. Il peut y avoir crise si la découverte du monde
106
A comprendre ici dans le sens des « maîtres d’apprentissage » qui est un terme non usité
dans le champ de la santé.
107
Etudier dans le sens de s’approprier des connaissances théoriques, d’élaborer une réflexion,
de perfectionner des savoirs, de mobiliser des capacités de mémorisation, d’analyse et de
conceptualisation.
108
Projet pédagogique des écoles d’aides-soignants 2005 ; IFSO (Institut de Formation Santé
de l’Ouest) ; p.10
109
E. HUGHES cité par C. DUBAR ; La socialisation ; Armand Colin, Paris, 2002, p. 139 –
142
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
93
professionnel est trop éloignée de l’idéal construit avant l’entrée en
formation rendant l’identification à ces nouveaux rôles difficile. Mais
cette rencontre peut être stimulante si elle permet d’anticiper une
carrière, de renforcer son image de soi tout en développant une
nouvelle conception des rôles.
Le second mécanisme serait l’appropriation d’une dualité c'est-àdire incorporer la réalité (construite à partir des tâches quotidiennes) et
l’éprouver avec le « modèle idéal » qui caractérise selon lui la « dignité
de la profession » constituant la valorisation symbolique du métier. Il
faut accepter le travail réel et le mettre en dialogue avec l’idéal
symbolique construit et valorisé ce qui donne sens à l’activité exercée.
Ceci rejoint l’analyse sur la division du travail qui démontrait comment
valoriser son activité en se débarrassant des tâches les moins nobles
aux inférieurs hiérarchiques et garder ainsi les tâches prestigieuses.
Pour les aides-soignantes permettre à la réalité de rejoindre l’idéal
symbolique du métier est souvent difficile puisque ces professionnelles
sont assujetties à ces tâches les moins nobles. Lors de la reprise des
cours théorique après le premier stage, un retour sur expérience est
donc un moment fondamental pour susciter la verbalisation et
l’expression des conflits générés par cette dualité. Ce travail d’analyse
participe à la construction identitaire par l’élaboration de choix de rôles
qui permet de réduire les conflits liés à cette dualité. Il permet aussi le
passage d’un modèle à un autre, de la représentation symbolique (et
idéale) au réel.
Cette verbalisation autorise la construction de sens et initie la
valorisation des tâches en théorisant les pratiques. C’est une instance
de « légitimation de ses capacités, essentielle pour la gestion de cette
dualité.»110 Ce temps d’échange collectif avec le groupe en formation
permet la projection dans une carrière. C. Dubar nomme cette
projection « logique de frustration relative » : il s’agit de mettre en lien la
valorisation symbolique qui représente la dignité du métier d’aidesoignante avec la réalité rencontrée sur les terrains de stages et
110
Ibid 82
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
94
permettre
ainsi
une
installation
dans
une
nouvelle
vision
professionnelle.
Le dernier mécanisme constitue selon Hughes, la « phase de
conversion ultime » c'est-à-dire l’ajustement de son identité en
construction avec les chances de carrière. Il s’agit pour ces élèves
aides-soignantes de construire leur identité professionnelle en intégrant
la dualité décrite ci-dessus pour se projeter dans un avenir
professionnel possible. Pour les formateurs, tant à l’école que sur les
terrains de stages, c’est permettre l’expression de ces conflits
intérieurs. C’est aussi accompagner la construction de sens valorisant
les pratiques pour permettre à ces élèves d’envisager une carrière en
ayant une perception de reconnaissance. Cette incorporation d’un rôle
valorisé par soi-même permet de supporter la réalité d’exercice d’un
métier lui-même peu valorisé et peu reconnu.
Pour les futures professionnelles nous sommes là à un moment
décisif pour la maturation du projet professionnel et son maintien.
2.4.5 Les difficultés de l’alternance
Il apparaît souvent que l’alternance ne peut se réguler comme
système de formation maîtrisé que si les tuteurs dans les services de
soin font une séparation entre les contraintes de « productivité » de
soins et leur investissement dans la formation de ce public en cursus de
formation intégratif et acceptent de considérer ces situations de travail
dans leur dimension formative. En effet dans certains services, et en
particulier les services d’accueil de personnes âgées dépendantes, le
sous-effectif en personnel soignant est important et les élèves
soulagent ce manque en participant à part entière au travail attendu.
Cette situation pourrait être considérée comme formative, mais le plus
souvent la logique temps prime et il est difficile pour ces élèves de
mettre en pratique les exigences attendues car ces mêmes exigences
sont
souvent
dévalorisées
par
les
professionnels
chargés
de
l’encadrement sur le terrain : « à l’école on vous dit de faire comme ça,
mais ici on n’a pas de temps à perdre alors tu fais comme tu peux ! »
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
95
Phrase entendue dans un service de long séjour à propos du lavage
des mains.111 De même pendant les périodes de congé annuel il arrive
de trouver les élèves inscrites dans les roulements de service. Cette
réalité liée aux contraintes contextuelles pose de vrais problèmes
d’organisation et induit une ambivalence travail / formation. Le risque
identifié est que les services réduisent la démarche formative du stage
à une simple adaptation au poste de travail. Car si la finalité de
l’alternance relève du champ de la formation, les situations de travail
intégrées au cursus formatif ne doivent pas être régies par les seuls
intérêts de gain de temps (pour ne pas dire « économiques »), intérêts
immédiats pour les services de soins et donc pour le personnel de ces
services.
Ces pratiques génèrent ainsi des difficultés pour les élèves. Elles
sont tiraillées entre les exigences des formateurs de l’école et les
attentes des tuteurs de stages responsables de la note de fin de stage !
Ce constat met en lumière que l’alternance ne peut être efficiente au
point de vue formatif que si les services de soins font une séparation
entre les contraintes du travail et leur investissement dans la formation
des élèves et acceptent de considérer les situations de travail comme
formatives ; acceptent donc que les élèves soient en dehors des
roulements pour bénéficier de temps d’application des normes
professionnelles apprises à l’école et à transférer dans un lieu de soin.
De même cette efficience ne peut être atteinte que si les
formateurs des écoles prennent en compte ces difficultés liées au
contexte, entre autre lors de la construction des parcours de stages. Il
est impératif de négocier ces parcours avec les services de soins afin
d’adapter le nombre d’élèves aux capacités d’encadrement. Mais aussi
d’être vigilants à ne pas discréditer le travail des services tout en
accompagnant une réflexion sur les pratiques observées et les
adaptations possibles entre ce qui est promu par l’école et la réalité.
111
Pour la prévention des infections nosocomiales des protocoles pour le lavage des mains sont
mis en place par les CLIN (Comité de lutte contre les infections nosocomiales). Ces protocoles
sont exigeants et le temps pour chaque lavage de mains doit être de 3 minutes.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
96
C'est-à-dire accompagner la logique de frustration décrite si dessus
dans une démarche formative.
Lors d’une enquête dans un service de réanimation sur les
difficultés rencontrées par le personnel dans sa pratique quotidienne,
l’encadrement des élèves a été évoqué. Il était nettement explicité que
cet encadrement pour être formatif nécessitait du temps ce qui était
parfois incompatible avec la charge de travail. Cet exemple exprime le
souci que la majorité des professionnels tuteurs ont de leur fonction
d’encadrement. Ce souci s’inscrit dans ce double mouvement de
l’alternance qui est la transmission vers le formé des règles du travail
de soin dans un contexte spécifique, et le repérage ou l’identification
des potentiels de compétence des élèves, afin de permettre leur
développement dans cette même situation de travail. Le manque de
temps est une réelle contrainte pour ces tuteurs qui vivent mal cet
aspect de leur mission.
2.5
L’implicite de l’évaluation
La formation d’aide-soignante est définie dans l’arrêté du 22
juillet 1994 dont les articles 16 à 20 définissent l’évaluation des
connaissances et des aptitudes des élèves. Elle doit se dérouler tout au
long de la formation au moyen d’un contrôle continu. Dès le préambule
un amalgame est fait entre évaluer et contrôler. La rédaction même de
l’article 16 définit la conception de l’évaluation puisque l’outil proposé
pour évaluer est le contrôle. Si on admet qu’évaluer c’est « estimer la
valeur, le prix d’une chose »112
et que contrôler c’est « établir la
conformité (ou la non-conformité) »113 on se situe dans deux logiques
différentes. Par exemple la valeur professionnelle des élèves de telle
école fait l’objet d’un retour des responsables des services vers les
formateurs. Ce retour permet aux formateurs d’évaluer la qualité de la
112
Définition du dictionnaire Littré de 1893, cité par D. PLISSONEAU, intervenant du
CAFOC
113
Définition du CAFOC
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
97
formation dispensée. En même temps les formateurs et les
professionnels contrôlent la maîtrise et la conformité du soin.
A partir de ce texte le risque est de n’être que dans du contrôle
négligeant l’aspect évaluatif en lien avec la finalité du métier.
L’évaluation est inscrite dans une démarche formative, c’est un
processus de recherche de la valeur, c’est s’interroger sur le sens de
l’action, c’est se questionner sur les effets de la formation plus que sur
les résultats. Mais dans le contexte où les enjeux économiques sont
déterminants il faut faire preuve de l’utilité de l’investissement, ici en
terme de formation. La rédaction de l’article susnommé entretien
l’ambiguïté de ce contexte d’évaluation. L’exigence de la demande
sociale d’évaluation participe à la confusion entre contrôle et évaluation.
Le contrôle établit une conformité, l’identification à une norme, à
un modèle. Dans l’article 16 il est identifié comme un moyen. Le risque
implicite d’une telle formulation n’est-il pas d’inscrire l’évaluation de la
formation aide-soignante uniquement dans une dimension de contrôle ?
Cette dimension ayant une conséquence elle aussi implicite de
s’enfermer dans une pédagogie de la transmission : l’élève aidesoignante aurait une tête vide que l’on remplit et le plus important serait
le contenu à transmettre, plus que la valeur, le sens à donner à une
activité.
Pourtant
évaluation
et
contrôle
sont
deux
fonctions
indispensables dans un processus de formation. Il est capital d’évaluer,
c'est-à-dire de s’interroger sur le sens, les valeurs de tel ou tel
apprentissage mais il est aussi nécessaire de contrôler c'est-à-dire de
vérifier si la conformité est atteinte. C’est cette nécessité qui a été
privilégiée dans la rédaction de l’arrêté, au détriment de la notion
d’évaluation puisque dans tous les autres articles le mot évaluation ne
sera plus employé, le seul mot contrôle sera utilisé. Cette prédilection a
des conséquences implicites dans l’accompagnement formatif des
élèves (ce terme d’ailleurs en témoigne : ce ne sont pas des étudiants).
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
98
Cette observation va dans le sens de ce qui a été démontré lors de la
présentation des référentiels qui sont déclinés sous la forme de savoirfaire, donc d’éléments contrôlables.
Le contrôle de la formation s’effectuera donc tant sur les
connaissances théoriques par le biais de quatre devoirs sur table notés,
que sur les aptitudes contrôlées par trois mises en situation
professionnelles (MSP). La correction des contrôles écrits est assurée
par un infirmier participant à la formation des aides-soignantes. Le
constat qui peut être fait et qui confirme la logique sociale de la division
du travail, est que dans cette démarche de contrôle, les aidessoignantes professionnelles ne sont pas notifiées. Il ne leur est pas
reconnu la capacité de contrôler leurs pairs. Les infirmiers ont réussi à
se désengager de la prédominance médicale dans leur formation en
instituant le statut de cadre infirmier-formateur, mais ils n’ont pas
concédé un tel transfert de compétence pour les aides-soignantes,
gardant ainsi toutes leurs prérogatives dans le contrôle de cette
formation. Une possibilité d’autonomisation est ainsi « contrôlée ». Cet
aspect implicite n’induit-il pas, pour les aides-soignantes, une difficulté
pour accéder à une reconnaissance ne serait-ce que statutaire ?
2.6
L’épreuve du diplôme professionnel
Le système de création des diplômes en France est un système
bien particulier. Ce système nécessite de la part de l’administration une
consultation des partenaires sociaux représentant les intérêts de la
branche professionnelle. C’est le dialogue entre l’administration d’un
côté et les représentants de la branche de l’autre, qui donne naissance
au diplôme. L’originalité française a généré la séparation de la définition
du diplôme d’avec la définition du cursus de formation. La création du
diplôme se fait à partir de la compétence attendue. Cette nouvelle
définition est issue des travaux de B. Schwartz dans la fin des années
1960,
travaux
effectués
dans
le
cadre
de
la
reconversion
professionnelle des mineurs du bassin lorrain. C’est à cette époque
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
99
qu’apparaît la notion de référentiel de l’emploi et que l’on voit naître la
modernisation des diplômes qui jusque là étaient marquée par la
prégnance pédagogique. Aujourd’hui la véritable description du diplôme
est en lien direct avec le référentiel de compétence. Il donne lieu à
l’élaboration d’un référentiel de certification qui a valeur juridique. « Il
faut donc bien percevoir que le référentiel d’activité professionnelle est
un plus, mais ce qui est le cœur de la définition du diplôme, justement
parce qu’il a cette valeur juridique, c’est ce qu’on appelle maintenant le
référentiel de certification »114 Cette conception de la création d’un
diplôme a été présente dès le début de l’instauration d’un diplôme pour
le métier d’aide-soignante puisqu’il s’agissait de certifier un grade de la
fonction hospitalière.
Cette réflexion sur la création des diplômes expose le vaste
mouvement convergent en faveur des approches par compétences115
en tenant compte en particulier des spécificités d’un public relevant des
premiers niveaux de qualification. Le diplôme professionnel d’aidesoignante est donc particulièrement concerné par ces réflexions et est
construit à partir des analyses de travail et des référentiels de
compétences décrits ci-dessus.
2.6.1 D’où l’importance de définir la compétence
Puisque le diplôme se construit à partir de cette notion de
compétence il est donc incontournable d’identifier de quoi l’on parle.
C’est là que les choses se compliquent car la compétence reste un
114
B. HILLAU ; responsable de l’observatoire régional des métiers de Marseille ; La
construction de la certification : quelles méthodes, pour quels usages ? Document du CEREQ,
N° 161, Février 2002 ; p. 44
115
« Le terme générique « d’approche par compétences » qualifie toute application
opérationnelle du concept de compétence, dans le système tant éducatif que productif. Ces
approches par compétences se sont ainsi développées dans le système éducatif français dès les
années 1990, avec les référentiels d’activités professionnelles. On les a retrouvées ensuite, dans
la formation professionnelle et continue, sous la forme des référentiels d’emploi, d’activités et
de compétences des titres professionnels. En 1998, le MEDEF a initié une « démarche
compétences », afin de promouvoir la gestion des compétences au sein des entreprises. »
M. ROBICHON et U. JOSENHANS, ingénieurs de formation, référents méthode auprès du
département « Tertiaire » de la direction des études de l’AFPA ; Education Permanente N°
158 ; p. 87
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
100
«concept» quelque peu empirique dans la mesure où il fait intervenir
plusieurs
approches :
économiques.116
des
approches
Historiquement
la
cognitives,
compétence
sociales
dérivait
de
et
la
qualification. Il faut donc définir ce que l’on entend par qualification :
est-ce avoir la qualité requise pour exercer un métier, ou bien détenir
une certification c'est-à-dire un titre permettant de travailler ? Ces
premières questions montrent les difficulté que peut engendrer le débat.
Nous ne nous aventurerons pas sur ce terrain que nous ne maîtrisons
pas. Mais il est intéressant de se poser la question car implicitement
elle
nous
renvoie
à
notre
problématique
de
départ
sur
la
reconnaissance d’un métier interrogée par un nouveau mode de
certification. Nous retiendrons pour notre réflexion la définition de la
compétence proposée par le CEREQ117 pour qui la compétence est un
« savoir en action ». L’action, c'est-à-dire le travail effectué, est le
témoin de cette compétence et l’outil de la démonstration d’un savoir
préalable. La compétence dépend de l’individu, lui appartient. C’est sa
capacité à construire ses savoirs et à mettre en action ce que le
système de formation et le lieu d’exercice du métier lui ont transmis. On
peut donc dire que les compétences peuvent avoir plusieurs modes et
lieux d’acquisition.
La
notion
de
compétence
fait
partie
aujourd’hui,
des
représentations collectives sur la formation et la certification. La
formation pour adultes, et particulièrement ici, la formation initiale des
aides-soignantes a pour fonction de produire de la compétence.
Comme la compétence appartient à l’individu, l’acteur principal du
processus de formation va être le sujet social adulte, autrement dit
« l’apprenant ». Ceci peut être compris comme la capacité d’autonomie
de l’adulte face à sa formation, donc face à sa qualification. Apparaît ici
toute l’ambiguïté entre cette conception de la compétence et la réalité
116
M. ROBICHON et U. JOSENHANS, ingénieurs de formation, référents méthode auprès du
département « Tertiaire » de la direction des études de l’AFPA ; Education Permanente N°
158 ; p. 89
117
CEREQ : Centre d’étude et de recherches sur les qualifications.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
101
de l’exercice du métier d’aide-soignante dont la conception même est
inscrite dans une subordination à un autre métier : celui d’infirmière.
Il est possible de continuer le raisonnement qu’engendre
l’analyse de la compétence par une réflexion sur la notion
d’apprentissage. Puisque c’est à l’individu qu’appartient la compétence
il lui revient donc la responsabilité de sa production. P. Carré et P.
Caspar118 parlent « d’apprenance » pour définir la production de
compétence. Pour eux l’apprenance « serait la posture pro-active,
autoformatrice, à laquelle nous invite l’entrée dans une société
« cognitive ». Entrer dans une société de la connaissance nécessite de
donner du sens à l’activité par la réflexion sur celle-ci, ce qui est en
quelque sorte une démarche d’auto-formation. Toute la difficulté pour
les professionnelles aides-soignantes en formation ou certifiées sera
qu’on leur donne la possibilité d’entrer dans cette dimension
d’apprenance, ce qui n’est pas naturel au regard de l’organisation
même du métier inscrit dans la dépendance au supérieur hiérarchique
(ceci en lien avec son histoire et l’histoire de la division du travail
hospitalier). Cette compréhension de la compétence fait aussi appel
aux
capacités
de
conceptualisation
dans
l’action.
Une
telle
compréhension de l’apprenance n’est pas naturelle pour les formateurs
de ce public, habitués à transmettre le « faire », au regard du travail
demandé et des parcours scolaires des apprenants. Ainsi ces
formateurs transmettent le plus souvent des savoirs faire, et font
rarement appel à un travail réflexif, ce qui rend difficile l’autonomisation
de ce métier, donc une reconnaissance pleine et entière.
Mais d’un autre côté l’affirmation de Piaget « l’action est une
connaissance autonome »119, permet de concevoir que malgré sa
position hiérarchique tant au niveau de l’échelle des formations, que de
l’échelle de la division du travail, le métier d’aide-soignante est lui-
118
P. CARRE, P. CASPAR, Traité des sciences et des techniques de la formation, Paris,
Dunod, 2004, p. 195-197
119
P. Carré et P. Caspar, Traité des sciences et techniques de la formation, Paris, 2ème édition,
éd Dunod, 2004, p. 468
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
102
même producteur de savoirs particuliers. C’est cette capacité qu’il faut
mettre en lumière pour favoriser l’émergence d’une reconnaissance.
2.6.2 De la législation à la reconnaissance
« Sont autorisés à se présenter aux épreuves finales en vue de
l’obtention du DPAS, les élèves qui (…) ont suivi l’ensemble des
enseignements et accompli l’ensemble des stages prévus par le
programme, et qui ont subi toutes les épreuves de contrôle continu. »
Article 28 de l’arrêté du 22 juillet 1994
En terme de reconnaissance l’énonciation de cet arrêté ne place
pas les élèves aides-soignantes comme les acteurs de leur certification
et ni comme des co-responsables de la validation de leur compétence.
Tout d’abord ils « sont autorisés » : c’est la responsabilité des
formateurs qui est engagée en premier puisque par cette formulation ce
sont ceux-ci qui délivrent l’autorisation de se soumettre aux épreuves.
Ceci n’est pas spécifique à la certification aide-soignante et se retrouve
dans d’autres modalités diplômantes. Mais dans la pratique cela est
important et pour la présentation des élèves au DPAS une vigilance des
formateurs est attendue : si un dossier comporte des notes inférieures à
ce qui est souhaité et si le comportement120 de l’élève ne correspond
pas aux représentations attendues, celui-ci peut être éconduit de la
procédure de certification. Si une telle décision doit être est prise, elle
se prend en conseil technique de l’école qui réunit le directeur, les
formateurs, les représentants des élèves, l’élève concerné et le
médecin inspecteur de la DDASS, responsable des formations
paramédicales.
120
Des critères comportementaux explicites sont attendus et définis par une grille
d’évaluation : par exemple il est stipulé que l’attitude doit être cohérente par rapport au
discours et adaptée à la situation, les limites de la fonction doivent être respectées lors des
soins, les gestes doivent être respectueux.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
103
Pour obtenir cette autorisation il faut qu’ils aient « subi » les
épreuves du contrôle continu. Subir qui vient du latin : aller sous. Cette
analyse lexicale montre l’implicite attaché à cette épreuve diplômante.
Là encore en terme de reconnaissance, la subjectivité des mots
pourrait attester de la difficulté à promouvoir une valeur à un métier issu
de la division du travail et héritier dans cette division, des tâches les
plus humbles dans les soins à prodiguer aux malades. Cette
considération est à rattacher au collectif, à la notion de métier. Métier
qui a été maintenu dans la hiérarchie hospitalière alors que le grade
devait être provisoire et qui a donc du mal à accéder à une
reconnaissance.
Par contre si l’on se penche du côté de l’individu et que l’on
regarde la question de la certification par cette entrée, alors comme
toute « épreuve »121 ce diplôme peut être assimilé à un rite de passage
certifiant la compétence acquise en cours de formation et appeler à se
développer par l’expérience. Cette notion d’épreuve attribue du sens et
de la valeur au diplôme obtenu. Pour l’individu il donne valeur à un
parcours et atteste d’une qualification. Le terme de qualification est à
comprendre
ici,
comme
l’attribution
d’une
valeur
ou
comme
l’appréciation sur une grille hiérarchique, de la valeur professionnelle
d’un travailleur.122
Le diplôme atteste ici d’une compétence acquise par le
processus de formation. Son mécanisme est de présenter ses savoirs,
c’est en quelque sorte de faire savoir et faire reconnaître sa capacité à
détenir le titre ambitionné : titre correspondant aux compétences
professionnelles attendues. Cette approche participe à la démarche
identitaire. D’autant plus qu’en France le diplôme détient une place
121
Epreuve : dans le sens de vérifier la valeur de quelque chose ou de quelqu’un. Cette notion
d’épreuve finale rejoint la réflexion ci-dessus concernant l’évaluation comme moyen d’estimer
la valeur d’une formation ayant permis l’acquisition d’une pratique sociale, nous pourrions
dire : une formation ayant permis l’incorporation d’une culture de métier.
122
Définition de la qualification suivant le dictionnaire Petit Larousse, 1993.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
104
honorifique. Détenir un diplôme participe à la fierté que l’on a de son
rang tel que le définit P. d’Iribarne dans son livre La logique de
l’honneur. Pour définir l’honneur il s’appuie sur Montesquieu :
« l’honneur c’est le préjugé de chaque personne et de chaque
condition. »123 C’est bien ce que la personne attribue comme valeur au
diplôme. Cette valeur attribuée dépend de ce qui permet de se
distinguer de l’autre. Ici avoir son diplôme d’aide-soignante permet de
se distinguer des agents qui ne l’ont pas. Ce diplôme participe à la
fierté d’avoir accédé à un rang supérieur. En cela il est un rite de
passage. De plus il inscrit la personne dans cette logique de l’honneur.
Logique incarnée en devoirs et prérogatives.
Q8 : Où mettez-vous l’importance de ce rôle ?
M. : Où ? Il faut être soi-même, c’est important
pour l’ensemble. Pour moi l’entretien des locaux
ça participe au bien-être du patient. S’il y a des
choses qui ne sont pas bien faites ou qui ne sont
pas comme il faut : non. Chacun à un rôle à jouer.
Et vous vous rendez très bien compte tout de
suite dans votre travail au fur et à mesure : oui, je
ne sais pas très bien comment m’exprimer, mais
pour moi c’est une évidence qu’il faut un travail
bien fait et pour moi c’est important.
Cette employée d’un service de réanimation témoigne de cette
raison : son devoir et ses prérogatives sont d’exécuter un travail
« comme il faut », « un travail bien fait ». Ce « comme il faut » est la
noblesse du métier, donc la « noblesse » de la personne. Et même si
son rôle social n’appartient pas à la classe dominante, le « préjugé » de
la valeur de son travail lui permet d’en tirer une reconnaissance : « pour
moi, c’est important ». C’est elle qui donne ici la valeur à sa tâche.
Ce
diplôme
professionnel
apporte
une
reconnaissance
individuelle suivant ce que chaque personne va lui attribuer comme
valeur en fonction de son parcours personnel ; mais d’un autre côté il
123
P. d’Iribarne, La logique de l’honneur, Le Seuil, Essais, Paris, 1989 ; p. 59
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
105
reste un diplôme d’un métier nécessitant peu de qualification, n’ayant
pas une grande reconnaissance sociale, un métier d’exécutant.
Prendre la mesure des écarts qui peuvent être manifestés
suivant les lieux d’où l’on parle incite à la prudence dans la définition de
la reconnaissance. Ce qui fait « reconnaissance » pour les uns ne le fait
pas de la même manière pour les autres suivant le rang dans lequel on
se place et suivant les « préjugés » que l’on a. Pour un médecin le
travail de l’aide-soignante est évidement important, il participe au bienêtre du malade mais il est subalterne au sien. Il doit poser un diagnostic
et prescrire un traitement adapté, ce qui dans la division du travail se
trouve en haut de la représentation sociale. L’aide-soignante a hérité du
« sale boulot » qui l’inscrit dans une situation ambivalente. D’un côté
elle a conscience de faire ce que les autres ne veulent plus faire et d’un
autre côté elle a obtenu des tâches déléguées par l’infirmière. D’un côté
elle a conscience d’une position de subordination, de l’autre elle
« récupère » un peu du rôle social valorisant qui est la proximité avec le
malade, autrefois caractéristique du métier d’infirmière. « Le flou qui
entoure le métier d’aide-soignante rencontre ainsi différents intérêts et
sa relative invisibilité témoigne d’un certain échec dans la voie de la
promotion collective d’un groupe ».124
La valeur de ce diplôme (DPAS), donc la reconnaissance qu’il
permet, va se trouver à l’interface entre l’identité que l’élève aidesoignante se constitue, ou se reconnaît et l’identité qu’elle sait ou pense
avoir pour autrui comme le démontre C. Dubar.
« En terme
interactionnistes, la reconnaissance est le produit d’interactions
positives entre l’individu visant son identité « réelle » et l’autrui
significatif lui conférant son identité « virtuelle » ; la non reconnaissance
124
A.M. ARBORIO, « Processus encore inachevé en France, l’invention du métier d’aidesoignante », Revue Direction(s) ; N° 9 ; juin 2004, p. 46-47
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
106
résulte au contraire d’interactions conflictuelles, de désaccords entre
identités « virtuelles » et « réelles ».125
2.6.3 Du diplôme à la compétence, ou de la compétence au
diplôme ?
Il est observé dans le secteur sanitaire un débat sur la qualification
en lien avec le développement des démarches qualité dans les
établissements. La loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et
médico-sociale, impose aux établissements sanitaires et médicosociaux une évaluation interne de leur qualité et de leurs prestations
avec entre autres, une évaluation de leurs ressources humaines.
Associé à cette évaluation des ressources humaines il est observé un
glissement du modèle de la qualification basée sur la formation et le
diplôme vers un modèle de l’expérience et de la compétence. Du point
de vue des employeurs l’approche par les compétences de la gestion
des ressources humaines, permet une meilleure régulation du marché
du travail dès lors que les formations ne sont plus considérées comme
un passage obligé : les qualifications se centrent sur la reconnaissance
juridique d’un savoir formel qui conduit à l’acquisition d’un statut. Le
diplôme devient ainsi l’expression d’un compromis entre compétences
et savoirs. Il est construit à partir de ces compétences identifiées et fait
référence à des savoirs que le candidat doit avoir construit à partir de
son expérience. Dans la logique habituelle ces savoirs sont évalués à la
fin d’une formation et le diplôme délivré précède la compétence qui
sera développée par une pratique professionnelle. Le mouvement est
celui du diplôme vers la compétence. Avec le développement du
nouveau modèle de l’expérience et de la compétence, le diplôme
viendra confirmer la compétence acquise. Le candidat devra présenter
ses savoirs construits à partir de cette expérience. C’est la compétence
qui conduira au diplôme.
125
C. DUBAR, Paris, La socialisation, éd. Armand Colin, 2000, p. 236
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
107
C’est dans ce contexte qu’apparaît la loi dite de modernisation
sociale du 17 janvier 2002 réformant le dispositif de validation des
acquis.
3 - Conclusion
Nous avons vu précédemment que la compétence est une notion
difficile à manier. On juge une personne comme compétente à partir
d’éléments objectifs comme le diplôme ou le savoir-agir. Si les
manières d’accéder à la compétence réelle sont diverses, il est
pertinent de s’interroger sur les modalités qui légitiment, voire
hiérarchisent les « savoir-être » et les « savoir-faire » selon leur lieu
d’acquisition. Une question essentielle peut être soulevée : si la
compétence professionnelle est quantifiable à partir d’éléments
objectifs, elle dépend aussi de représentations sociales. Certains
travaux de sociologie de l’école ont montré qu’à diplôme égal un enfant
de cadre réussissait mieux qu’un enfant d’ouvrier. Cette constatation
simple permet d’affirmer que la compétence s’établit dans une
conjugaison entre savoirs-être et savoirs-faire officiellement reconnus
(les diplômes et l’expérience validée) et savoirs-être et savoirs-faire
officieux, ou du moins qui dépendent d’avantage du réseau de
sociabilité.
Ce que nous cherchons à montrer c’est que la
reconnaissance
dépend
de
compétences
officialisées
et
de
compétences socialement attribuées. O. Shwartz dans Le rapport des
ouvriers du Nord à la politique expliquait la forte abstention politique
des classes populaires par des effets d’auto-exclusion. En fait il
montrait que la participation à la vie publique dépendait de la
compétence politique que les agents s’auto attribuaient. La corrélation
entre cette auto-attribution et la possession de titres scolaires est forte :
plus on est diplômé, plus on s’autorise à s’impliquer politiquement. Pour
notre réflexion qui s’articule autour de la question de qualification-
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
108
déqualification d’un métier peu qualifié, la compétence est la
reconnaissance singulière d’une conjugaison de qualifications.
En effet si la compétence est attribuée elle est aussi vécue, les
individus s’auto-attribuent une certaine compétence et cette autoattribution influe sur la compétence réelle. La possession de titres
scolaires représente pour O. Shwartz, la reconnaissance sociale d’une
certaine compétence. Cette possession est transposable : par exemple
un médecin sera jugé plus compétent qu’une aide-soignante pour parler
de politique. Il reçoit et jouit de cette relative légitimité grâce à des
diplômes qui n’ont pourtant aucun rapport avec la connaissance
politique. Nous avons montré plus tôt qu’un même titre scolaire n’avait
pas la même valeur selon qu’il soit possédé par telle ou telle personne
mais aussi selon ses modalités d’acquisition. Par exemple une thèse de
sociologie présentée à la Sorbonne à Paris sera plus reconnue qu’une
thèse soutenue à l’UBO.126 Plusieurs dynamiques interviennent donc
pour comprendre ce mouvement de qualification / déqualification. La
possession et le mode d’acquisition de titres scolaires influent sur la
compétence auto-attribuée par les agents, et ce dernier indicateur
participe à construire la compétence réelle.
Actuellement le diplôme d’aide-soignante obtenu à l’issue de la
formation initiale est le gage d’une compétence. Avec les modifications
de la formation continue, c’est la reconnaissance d’une compétence qui
permettrait aussi d’obtenir le DPAS par le processus de la validation
des acquis de l’expérience (VAE). Se dessinent donc deux chemins
pour l’obtention du diplôme, celui de la formation initiale et celui de la
validation des acquis comme nous le verrons dans la partie suivante.
Auront-ils une même valeur socialement reconnue, puisque nous
venons de voir que le mode d’acquisition d’un diplôme influençait la
reconnaissance de la qualification?
126
UBO : Université Bretagne Ouest
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
109
Chapitre trois
La VAE pour un métier peu visible
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
110
Est-ce que la validation des acquis de l’expérience n’est pas un
moyen de refuser une certaine légitimité sociale à un titre, de déprécier
un diplôme et aussi leur possesseur ? Nous pensons qu’une
proposition aussi catégorique ne peut être satisfaisante. Pour autant
nous pouvons nous demander si la dévaluation relative du mode
d’acquisition du titre d’aide-soignante n’est pas un moyen de conforter
leur place de subalterne au sein de la division du travail à l’hôpital ?
Cette « seconde chance » d’accéder au diplôme d’aidesoignante ne va-t-elle pas reproduire l’histoire liée à la création du
grade au sein de l’hôpital ? Au début de son histoire, ce métier n’a été
qu’une simple catégorie administrative pour ne pas priver les hôpitaux
de personnel, ayant une certaine maîtrise professionnelle auprès des
malades lors de la création du diplôme d’état d’infirmière. Avec la VAE
ne risque t-on pas de voir une nouvelle division dans cette catégorie
professionnelle entre les aides-soignantes diplômées à la suite d’une
formation et les diplômées par validation de leurs compétences
acquises par l’expérience ?
1 - Approche socio-historique de la VAE
Le principe de la validation des acquis en soi ne date pas
d’aujourd’hui : il remonte à 1934 où le diplôme d’ingénieur était
accessible par une procédure de rédaction d’un mémoire sans
obligation de suivre une formation. Le travail demandé était exigeant et
académique et le nombre de bénéficiaires fut relativement limité. En
effet les entreprises faisaient évoluer leurs salariés sans forcément les
pousser vers le diplôme. Il faut dire qu’à cette date la position
professionnelle suffisait. C’est ce que nous avons aussi constaté lors du
parcours historique du métier de soignante, où des femmes pouvaient
soigner sans détenir obligatoirement le diplôme d’infirmière. On pouvait
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
111
encore à cette époque se projeter dans une évolution professionnelle
sans forcément suivre une formation académique.
Les choses vont évoluer lentement pour arriver dans les années
1968 à des pratiques de validation des acquis pour l’entrée dans
l’enseignement supérieur. Les universités de Vincennes puis de Saint
Denis militaient pour que « les travailleurs puissent aller à l’université ».
C’est donc au niveau de l’enseignement supérieur que vont se
développer ces pratiques de validation qui déboucheront sur la loi de
1984127 avec les décrets d’application de 1985. Cette loi permet l’accès
aux différents niveaux de l’enseignement supérieur à des candidats qui
ne présentent pas le niveau académique requis, mais qui détiennent
une expérience tant professionnelle que personnelle et qui peuvent
justifier et expliquer leurs motivations pour intégrer un tel dispositif. Ce
texte qui ne peut s’appliquer qu’à l’enseignement supérieur a encore
cours à l’université. Il n’a pas été abrogé par la loi de 2002. On peut
donc dire que la reconnaissance des expériences non professionnelles
existait déjà depuis quelques temps et que cette idée n’est pas si
nouvelle que ça.
En 1992-1993, la validation des acquis professionnels et
personnels (VAPP) va élargir cette notion de validation au-delà des
frontières
de
l’université,
et
investir
l’espace
des
diplômes
professionnels mais à des degrés divers et suivant les positions des
différents ministères : par exemple le ministère de la santé ne va pas du
tout s’approprier ce texte. Ce texte permet d’être dispensé de suivre
certains modules de formation mais le candidat doit passer un examen
d’au moins une unité du diplôme visé en ayant suivi l’enseignement.
En 2002 est promulguée la loi dite de modernisation sociale : loi
où de nombreuses modifications législatives apparaissent et où l’on
trouve pêle-mêle des articles concernant tout autant le droit au
licenciement, que des textes relatifs au monde médical. Certains
127
Loi d’orientation sur l’enseignement supérieur de 1984. A ce sujet F. Neyrat, Maître de
conférence de sociologie à l’université de Limoges, précise dans son article « la VAE : une
problématique de la reconnaissance … pour une reconnaissance problématique » que comme
dans d’autres domaines, les pratiques ne font pas que résulter des textes juridiques, le droit est
souvent officialisation et légalisation de pratiques antérieures, certes souvent marginales.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
112
chapitres sont même nommés : « Diverses mesures d’ordre social »
(DMOS). C’est à ce niveau que l’on trouve décrit le dispositif de la
validation des acquis de l’expérience. La spécificité de ce texte est
l’introduction de la diversité des expériences pouvant être prises en
compte pour
une
validation
:
expériences
professionnelles
et
personnelles, salariées ou non salariées, bénévoles. Sémantiquement
cela veut dire que l’on va pouvoir intégrer dans le processus de
validation toutes sortes de pratiques tant professionnelles que sociales
et domestiques. Il ne faut pas oublier que ce principe présenté comme
novateur était déjà présent dans la loi de 1985. Par contre avec ce texte
de 2002, tous les diplômes, titres ou certificats de qualification pourront
être validés. Tous, sauf pour des métiers très protégés et réglementés
comme les métiers du champ de la santé.128
Ce texte permet aussi la certification intégrale sans passer par
un minimum de formation. On observe ainsi une dissociation complète
entre le système de formation et le système de certification. « Nicole
Péry, secrétaire d’Etat à la formation professionnelle et aux droits des
femmes en parle comme d’une petite révolution. »129 Tous les
diplômes, de tous les niveaux sont accessibles par cette voie de la
validation. La formation n’est plus un préalable à la certification. La
certification devient autonome. On va donc pouvoir accéder au diplôme,
128
Le champ du projet initial a été étendu. Au moment de la première présentation du projet de
loi devant la Délégation aux Droits des Femmes, Vincent Merle, le directeur de cabinet de
Nicole Péry, auditionné, rassurait une parlementaire : « Il ne s’agit pas d’ouvrir l’agrégation
de philosophie ou le DEA de sciences sociales par la validation des acquis. Le champ
d’application du texte est celui des diplômes à vocation professionnelle ». Et d’ajouter
également, en réponse à la question complémentaire de la même parlementaire ( « Le médecin
a-t-il un diplôme à vocation générale ou professionnelle ? »), que même certains titres
professionnels seraient exclus du champ de la validation (« c’est une profession fermée de
toute façon exclue du champ d’application du texte »). Assemblée Nationale, Rapport
d’Information n° 2798, opus cité.
Par la suite, dans la loi et ses décrets d’application, ces exclusions ont été levées, de sorte que
c’est bien désormais la totalité des diplômes de l’enseignement supérieur qui peut donner lieu à
une VAE sauf encore certains diplômes relevant du champ de la santé en particulier les
diplômes médicaux de niveau I.
129
Audition de Nicole Péry devant la Délégation aux Droits des Femmes et à l’Egalité des
Chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée Nationale. Assemblée Nationale,
Rapport d’Information n° 2798, enregistré le 13 décembre 2000. In F. Neyrat, La VAE : une
problématique de la reconnaissance … pour une reconnaissance problématique. Article extrait
de N. Maggi-Germain et A. Pélage (dir.), Les évolutions de la formation professionnelle :
regards croisés, La documentation Française 2003, Cahier Travail et Emploi.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
113
titre ou certification par la formation initiale ou continue, par
l’apprentissage et maintenant par la VAE.
Pour les diplômes délivrés par le ministère de la santé il faut
attendre 2004 pour que la réflexion s’engage, et 2005 pour que le
diplôme professionnel d’aide-soignante soit accessible par cette voie.
Ce qui est présenté comme révolutionnaire reste malgré tout
ambivalent, et ce parcours dans l’histoire permet de discerner toutes les
ambiguïtés de compréhension et d’interprétation possible. Cette
validation permettra-t-elle d’assurer une reconnaissance tant au niveau
des individus que du collectif métier ?
2 - Les spécificités de l’arrêté du 25
janvier 2005 concernant les modalités
de mise en œuvre de la VAE pour
l’obtention du DPAS
Cet arrêté développe les modalités pour la mise en œuvre de la
VAE en vue de l’obtention du DPAS. Il tient compte des éléments
définis par la loi de modernisation sociale mais les complète ou les
adapte à la spécificité du secteur sanitaire et en particulier au diplôme
professionnel d’aide-soignante. Comme tout arrêté il mentionne en
préambule les personnes signataires ainsi que les articles de référence
aux autres Codes (Code du travail et de la Santé publique dans ce
cas). Parmi les signataires c’est le ministre de la solidarité, de la santé
et de la famille qui est présenté comme le garant de ce texte, mais le
deuxième signataire mentionné est la commission des infirmiers du
conseil supérieur des professions paramédicales consultée. Les aidessoignantes n’apparaissent pas parmi les signataires. Par cette
disposition, même si ce métier a été inscrit au Code de la santé
publique, ce sont les infirmières qui restent leurs représentantes.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
114
2.1. Une vision réductrice du métier
Le premier article définit ce que doit être le rapport direct avec le
contenu du diplôme. Un médecin inspecteur de la DDASS, responsable
des formations paramédicales, commente cet article :
R22 : (…) Je n’ai pas lu le texte, mais quand on
voit déjà que on parle juste de soins d’hygiène et
de confort, je lis le texte législatif qui commence
à l’article 1 : « Le rapport direct avec le diplôme
est établi lorsque le candidat justifie avoir réalisé
des soins d’hygiène et de confort (toilette,
habillage,
prise
de
repas,
élimination,
déplacement) en établissement ou à domicile »
c’est très réducteur. Là ça n’a rien à voir avec une
aide soignante qui pourrait exercer en service de
médecine, de chirurgie, de réanimation, et c’est
vrai qu’il aurait peut-être mieux valu réfléchir sur
une fonction d’accompagnement et de soins à la
personne âgée par rapport à une mission d’aidesoignante.
Pour lui la définition du métier est très réductrice et ne
correspond pas à la réalité professionnelle qu’il observe sur le terrain, ni
aux besoins attendus par ce service public de santé dont il a, en partie,
la responsabilité. Sa formulation est même très précise : « Là ça n’a
rien à voir avec une aide-soignante qui pourrait exercer en médecine,
chirurgie ou réanimation. » Ce constat n’est contredit à aucun moment
dans le texte législatif qui ne donne pas plus de précisions sur le métier.
La fin de sa réponse signifierait que les besoins en personnel les plus
criants pour lui, correspondent aux besoins d’accompagnement des
personnes âgées. La réponse offerte par la validation des acquis, pour
certifier un personnel déjà en place, ne semble pas la plus judicieuse.
Toujours dans le souci de garantir des soins de qualité, il lui semblerait
plus adapté de réfléchir à une formation spécifique d’accompagnement
des personnes âgées plutôt que de valider des « faisant-fonction » par
un diplôme d’aide-soignante. Son souci sera confirmé lors d’une
réunion pour les écoles d’aides-soignantes à la DDASS, au cours de
laquelle il reposait à l’ensemble des directeurs et des formateurs, la
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
115
question de la qualité professionnelle des soignants. Il lui semblait
nécessaire de réinterroger cette qualité des soins au regard de ses
observations.130
2.2. Des questions liées à des articles spécifiques
Le texte définit la procédure à suivre pour les candidats qui
souhaitent demander une VAE. La différence avec la loi de
modernisation sociale de 2002 est notifiée dans l’article 3 : le candidat
doit associer à son livret de présentation des acquis de l’expérience,
l’attestation de suivi du module obligatoire, ce qui n’est pas exigé pour
d’autres certifications. De plus
l’article 7, concernant ce module
obligatoire, précise que l’enseignement de celui-ci peut être assuré soit
par des organismes de formation initiale d’aide-soignante, soit par des
organismes de formation professionnelle continue. Cet élargissement
des possibilités de formation peut être un outil à double tranchant. D’un
côté cela permet au secteur paramédical de s’ouvrir et de recevoir un
enseignement dispensé par d’autres professionnels que les seuls
formateurs du secteur sanitaire : ce qui est favorable dans l’objectif de
favoriser une interdisciplinarité. D’un autre côté, cela interroge la
spécificité de la socialisation à une culture soignante puisque les
formateurs ne viendraient pas forcément de ce milieu sanitaire. Or on
sait que l’activité soignante est complexe parce que son objet est
l’humain inséré dans le cours de sa vie. Cette activité est dépendante
d’une logique compréhensive et ne se perçoit pas seulement à partir de
protocoles définissant uniquement des tâches à effectuer. Comment
des formateurs n’ayant pas été eux-mêmes socialisés dans cette
culture pourront-ils partager cette dimension contextuelle, conceptuelle
et comportementale de l’activité de soigner ?
Les articles 4, 5, 6 et 8 définissent le processus de certification.
Un premier point est fait sur la composition du jury. Ce qui ressort est le
130
Compte rendu de réunion du 22 mars 2005 à la DDASS
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
116
nombre important de membres : six personnes évaluant à l’oral l’écrit
du candidat. Parmi ces six membres du jury un seul est une
professionnelle aide-soignante. Là aussi nous pouvons observer le peu
de place accordée aux représentantes de ce métier. La composition de
ce jury rejoint ce que Bourdieu nommait le « racisme de l’intelligence ».
D’un côté des personnes qui détiennent le savoir, donc les capacités à
évaluer (ce que l’on pourrait associer à la notion d’intelligence) et de
l’autre les « pauvres » qui ne font pas autorité. Elles ne sont pas
reconnues par la loi comme ayant crédit pour reconnaître la
compétence des postulants. Comme si la capacité d’évaluation des
compétences dépendait de cette « intelligence statutaire », reconnue
socialement à une catégorie, liée à l’éducation antérieure. Cette
compétence est distribuée par la société, les inégalités d’intelligence
étant des inégalités sociales. L’idéologie de la compétence convient
très bien pour justifier de la place des aides-soignantes dans ces jurys,
place peu visible comme leur place dans les équipes professionnelles
de l’hôpital. Dans la représentation sociale, la difficulté du rapport à
l’école ou à la formation de ce personnel aide-soignant entre pour une
grande part dans leur reconnaissance. La société (ici l’ensemble du
personnel médical et paramédical) ne lui laisse pas une visibilité
possible. De plus leurs antécédents scolaires et sociaux ne les
autorisent pas à s’approprier une plus grande visibilité. La « nonplace » des aides-soignants dans le jury est implicitement déterminée,
profondément intériorisée et ne choque personne. Les seules
remarques entendues lors de réunions de formateurs sur ce texte
étaient des inquiétudes sur leur propre représentation dans ces jurys,
mais non pas le peu de place accordé aux aides-soignantes ellesmêmes.
La suite des articles n’apporte pas d’éléments particuliers par
rapport à la loi de modernisation sociale. Le candidat pourra soit valider
en une seule fois et obtenir la certification, soit il n’aura qu’une partie du
diplôme et devra valider les compétences manquantes dans un
deuxième temps par le suivi et l’évaluation du ou des modules de
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
117
formations correspondant aux compétences non validées. Il pourra
aussi opter pour une nouvelle validation « pour une expérience
professionnelle prolongée ou diversifiée » (Article 6).
Par contre dans l’article 8 un point appelle une réflexion. Il est en
effet stipulé que « si le candidat opte pour un parcours de formation
préparant au diplôme professionnel d’aide-soignant dans le cadre du
programme des études conduisant à ce diplôme, il s’inscrit auprès
d’une école autorisée à dispenser cette formation. Le candidat est
dispensé des épreuves de sélection exigées pour l’accès à la formation
initiale. » Cette dispense d’épreuve n’inscrit-elle pas une nouvelle voie
de classification entre les aides-soignantes ? Classification déjà
annoncée entre celles qui auront suivi la formation initiale et celles qui
seront diplômées par la voie de la VAE. Nouvelle classification entre
celles qui bénéficient de la légitimité de la certification (même basse et
peu prestigieuse) apporté par le diplôme obtenu après sélection et
formation et celles qui tentent de faire reconnaître une expérience, en
contournant le concours ?
Cet apport législatif participe d’une certaine manière à la création
d’une nouvelle division dans le groupe des aides-soignantes avec des
luttes de placement (non pas de classe), la recherche dans ce
classement étant la reconnaissance.
La dispense du concours risque d’influencer de façon négative la
représentation de la valeur de la certification, comme le confirme des
observations faites sur le terrain. Le même médecin inspecteur
analysait ce paradoxe né d’une augmentation des tâches exigées des
aides-soignantes et des difficultés d’analyse de ces personnes en
formation.
R.10 : C’est vrai que ce qui est paradoxal c’est
que parallèlement à ça on a tendance à vouloir
tirer le métier d’aide-soignante vers le haut, et de
leur confier des missions qui n’étaient pas les
leurs jusqu’à présent : là il y a un paradoxe. D’un
côté on dit effectivement on va valider des acquis
chez des gens avec un faible niveau qualification
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
118
et puis à côté de ça on voudrait qu’elles fassent
plus de choses, qui dépassent souvent leur
compétences. Et on le voit bien au travers des
formations, je trouve qu’il y a une évolution ces
temps ci dans les gens formés : il y a des gens en
grande difficulté justement d’analyse, de
synthèse : qu’est-ce que ça va pouvoir donner
après ?
Entre les observations de terrain et l’implicite lié à la mise en
œuvre de la VAE on voit naître ce risque d’une nouvelle division. Ceci
nous renvoie à l’histoire de ce métier qui a été créé par défaut, pour les
infirmières qui n’arrivaient pas à obtenir le diplôme d’état exigé pour
exercer. Aujourd’hui la VAE va permettre à des personnes qui ne
réussissent pas à entrer à l’école, d’obtenir le DPAS par une autre voie,
de se rapprocher par l’obtention du diplôme, du niveau supérieur que
représente les infirmières et de s’intégrer dans le groupe constitué des
aides-soignantes. Groupe différent du groupe des ASH même si elles
en restent très proches. Mais cette translation potentielle vers le haut
ne réduit pas les écarts entre ces aides-soignantes et les infirmières,
ceux-ci sont maintenus. P. Bourdieu montrait comment le jeu social
répondait à un mécanisme de reproduction tel que la position change
dans l’espace professionnel, alors que les distances peuvent se
maintenir.
2.3. Ce que révèle la procédure de VAE
Pour pouvoir poursuivre une validation, les candidats doivent
retirer auprès des organismes de tutelle de la santé (DRASS, DDASS,
DSDS131) un livret de recevabilité qu’il devra renseigner et renvoyer à
l’organisme de tutelle. Ce livret comporte un formulaire d’identification
sociale et professionnelle ; une déclaration sur l’honneur attestant de la
véracité des renseignements ; des informations sur les conditions pour
être candidats ; un récapitulatif des activités exercées en rapport avec
131
DSDS : Direction de la Santé et du Développement Social
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
119
le contenu du diplôme - ce récapitulatif permettra à l’organisme de
vérifier si le nombre d’année (comptabilisé en heures) correspond à la
législation - une liste de pièces à joindre à ce dossier soit des
justificatifs d’identité et d’activités, qu’elles soient salariées ou
bénévoles.
Cette première étape permet de situer son activité et de
visualiser son parcours professionnel ou personnel en lien avec la
validation. Là aussi on observe une particularité pour le métier d’aidesoignant par rapport au texte de 2002 : la durée de l’exercice antérieur
à la demande de validation doit être de trois ans dans le texte général,
elle est de cinq ans pour les aides-soignantes. Mais cette durée sera
dégressive, quatre ans en 2006, trois ans en 2007 pour rejoindre le
texte général. Comment interpréter une telle mesure ? Faudrait-il du
temps pour que le corps paramédical s’imprègne de l’idée de VAE,
temps transposé à la procédure ?
Puis l’organisme de tutelle a un délai de deux mois pour notifier
sa décision au candidat. L’absence de réponse dans ce délai valant
une décision implicite de rejet. Là aussi on peut se demander pourquoi
les candidats dont la demande est non reconnue comme recevable ne
méritent-ils pas une notification écrite ou orale. Comment une non
réponse peut-elle être perçue ?
Si la demande est recevable un livret de présentation de
l’expérience est transmis au candidat. Il dispose alors d’un an pour le
compléter et le remettre
à l’organisme qui va organiser le jury de
validation. Une notice d’accompagnement est jointe à ce livret. Elle
comprend les attentes du jury, la description du processus de
validation, la méthodologie pour renseigner ce dossier et un tableau
permettant de récapituler les pièces jointes au dossier. Le cheminement
est balisé. (Nous faisons ici un parallèle avec les protocoles dans les
services de soins : nous sommes ici encore, dans des consignes
prescrites).
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
120
Le livret est constitué de 17 pages de questions permettant de
décrire les compétences acquises. Ces questions sont organisées en
lien avec le référentiel de compétence qui est aussi adressé aux
candidats. Elles sont très ciblées et les espaces prévus pour les
réponses sont relativement restreints. Ces espaces n’invitent pas au
développement de l’explicitation de l’expérience et des acquis qui en
découlent. Cette présentation est plus proche d’un questionnaire, ce qui
risque de rendre difficile l’évaluation du sens que l’individu peut
attribuer à son action. De réduire ainsi la présentation de l’expérience à
une description de son activité ne dévalorise-t-elle pas les acquis de
cette expérience en les reléguant à la seule dimension technique du
soin ? Néanmoins pour des personnes n’ayant pas une grande
habitude de l’écrit ce livret peut constituer une réelle difficulté. Ce qui
donnera de la valeur à la procédure en terme de représentation. Mais
une telle procédure n’avalise-t-elle pas que les individus exerçant ce
métier sont en quelque sorte relégués à un processus adaptés à leurs
capacités ce qui entérinerait là encore, un positionnement bas dans
l’espace des métiers paramédicaux ?
2.4. Les aides-soignantes : une population captive. Le
«privilège» de la relégation
P. Bourdieu a montré que beaucoup de nos comportements,
choix, jugements dépendent de notre position dans l’espace social.
Pour lui l’habitus est ce qui organise notre manière d’agir. Les aidessoignantes ont intégré la représentation de leur valeur dans l’échelle
des métiers paramédicaux. Elles se vivent comme étant un personnel
au service des patients mais avant tout de leurs supérieurs
hiérarchiques qu’elles déchargent d’un travail moins noble. Cette
intériorisation est souvent le résultat d’un parcours scolaire peu
valorisé. Les aides-soignantes sont la plus part du temps issues de
filières courtes et peu considérées (inférieures le plus souvent au
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
121
baccalauréat). La VAE est un nouveau moyen d’être diplômé tout en
évitant un nouveau passage par l’école.
En effet ce dispositif est privilégié par les ASH interrogées par
questionnaire.132
29 Agents des services hospitaliers (ASH)*
Aux questions :
oui
non
Non réponse
« Souhaitez-vous
devenir aidesoignant ? »
21 soit
72,41 %
6 soit
20,68 %
2 soit
6,89 %
« Par quel
moyen ? »
Formation :
28,7 %
27,7 %
VAE :
43,6 %
*ASH de l’ensemble des services de moyen séjour, long séjour, et maisons de
retraite d’un hôpital périphérique de la fonction publique hospitalière.
Ces chiffres témoignent d’une part de la difficulté de se situer
entre la formation ou la VAE (27,7 % de non réponse), mais aussi de la
prééminence du choix d’être diplômé par VAE (43,6 %). Il aurait été
intéressant d’affiner l’enquête en comptabilisant parmi les personnes
préférant la VAE à la formation, le nombre de celles qui avaient tenté le
concours sans le réussir. Une des ASH interrogée répondait en effet à
la question du choix de la formation ou de la VAE en expliquant que, s’il
n’y avait pas eu le concours, elle aurait aimé aller en formation :
Q23 : S’il n’y avait pas eu le concours vous
auriez aimé aller en formation ?
132
231 questionnaires ont été distribués le 30 décembre 2004 aux aides-soignantes et ASH de
services de moyens et longs séjours, et dans des maisons de retraite relevant de la fonction
publique hospitalière. Ce choix est justifié par le fait que dans ces structures il a peu
d’infirmières, et que de nombreuses ASH font « faisant-fonction » d’aides-soignantes. En
janvier 2005, 94 questionnaires ont été retournés soit 40,25 % de réponses.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
122
A. : Oh oui, ce n’est pas la formation qui nous
gêne. Toi aussi tu as fait pas mal de formation ?
J’ai fait la formation sur la communication, j’ai
fait pas mal de formation. Ça permet de couper
un peu avec l’hôpital et puis c’est une autre façon
de voir les choses.
P. : Oui, moi aussi j’ai fait des formations
continues : plusieurs formations sur la
communication, sur la fin de vie, sur la personne
démente. Une formation sur l’hygiène : ça c’est
automatique. En plus j’étais référent hygiène en
rééducation.133
En plus la VAE est un moyen de promotion puisqu’il permet
d’être diplômé, et le diplôme permet une reconnaissance salariale :
Q22 : Quelles sont vos motivations pour faire
une VAE ?
(Silence)
A. : Ben déjà, je vous dirai franchement depuis le
temps qu’on fait le travail, je vais dire
franchement, il y a aussi le salaire.
P. : Je n’osais par le dire, mais je pense comme
A. Au départ c’est quand même ça. C’est normal
qu’on n’ait pas le même salaire parce qu’on n’a
pas fait la formation. Du coup on voudrait avoir
le diplôme pour avoir le salaire.
(…)
Q26 : Le diplôme
reconnaissance ?
participe
à
une
A. : Je pense que oui, si on avait notre diplôme.
Déjà que certaines nous disent c’est dommage
que vous n’ayez pas notre salaire parce que vous
faites le même travail. Oui mais justement on n’a
pas passé le concours.
P. : Mais certaines vont nous dire aussi, mais
c’est un an d’étude !
133
Entretien avec deux ASH du 28 avril 2005, réponses 23
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
123
A. : Non !
P. : Si A., j’ai entendu : ça c’est pas normal, si
jamais vous l’avez comme ça. Qu’on vous le
donne comme ça. On va nous dire … si, si, si.
Jalouse un petit peu. (…)
P. : Et puis la prime d’insalubrité, que les aidessoignantes ont, nous on ne l’a pas ! On a besoin
d’un peu de reconnaissance ! A notre âge on a
donné ! Un peu de reconnaissance avant la
retraite. Pour soi, pour se dire qu’on a réussi
quand même quelque chose. C’est drôlement
important.134
Cette reconnaissance salariale serait la manifestation que
l’institution reconnaît le travail qu’elles effectuent depuis de nombreuses
années. Cela serait aussi pour elle, le moyen, au-delà de la
reconnaissance salariale, d’une auto-reconnaissance sans pour autant
dérogé à leur statut social intériorisé puisque cette reconnaissance est
vraiment pour elle : « pour soi, pour se dire qu’on a réussi quand même
quelque chose. » Le diplôme participe à une certaine reconnaissance
statutaire et il ouvre la possibilité d’une reconnaissance sociale et
personnelle.
Par contre si on questionne des aides-soignantes diplômées à la
suite d’une formation initiale les réponses sont plus mitigées et les
chiffres sont moins en faveur de la VAE même si le dispositif reste
malgré tout privilégié. En sachant que les non réponses sont
importantes pour avoir un résultat quantitatif parlant. (Les chiffres sont
en valeur absolue et en pourcentage).
134
Idem 131
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
124
65 Aides-soignants diplômés (AS)*
« par quel moyen
auriez-vous
souhaité avoir
votre DPAS ? »
Formation
VAE
Non réponse
20 soit
27 soit
18 soit
30,76 %
41,53 %
27,63 %
*Aides-soignants de l’ensemble des services de moyen séjour, long séjour, et maisons de
retraite d’un hôpital périphérique.
Malgré la pertinence réduite de ce matériau, il ressort une
difficulté d’opter pour une position tranchée favorisant l’un ou l’autre des
moyens d’accès au DPAS. Il semble que la VAE soit préférée à la
formation comme si ce public était captif d’une relégation du système
de formation et ne s’autorisait pas à valoriser une promotion par une
formation académique. Cette interprétation est tempérée par les propos
d’une aide-soignante diplômée depuis treize ans :
Q36 : Si vous aviez eu l’opportunité d’acquérir
votre diplôme d’aide-soignante par la
validation des acquis l’auriez-vous fait ?
B. (aide-soignante en long-séjour) (R36) : Non, je
ne crois pas que j’aurai aimé.
(…)
(R46) : Je trouve que c’est un petit peu
dévaloriser la formation, puisque je sais qu’il y a
des agents qui aimeraient être aide-soignante
mais sans avoir été à l’école. Je trouve que quand
on a pris la peine d’aller à l’école, de suivre la
formation il faut reconnaître l’effort, sinon dans
ces cas ça n’a plus aucun sens de faire des efforts.
Dans ce cas, la formation est valorisée : elle représente un effort
qui nécessite une reconnaissance. La crainte sous-jacente est que cet
effort ne soit plus reconnu, ce qui participerait à une certaine
dévalorisation de la formation. Une autre aide-soignante d’un autre
service de long séjour exprimait aussi son inquiétude :
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
125
Q42 : Du coup comment la VAE va jouer sur
la perception du métier d’aide-soignant ?
S. : On dira que tout le monde est aide-soignante,
maintenant.
Entre les chiffres qui montrent une certaine préférence pour un
accès au diplôme par VAE et les propos qui témoignent de l’importance
accordée à la formation, on observe une ambivalence. Lors d’une
expression libre (entretien) qui laisse part au cheminement de la
réflexion, la formation est favorisée. Les chiffres, résultat d’un
questionnaire, témoignent d’une difficulté à opter pour une position
tranchée puisqu’ils ne privilégient pas l’un ou l’autre moyen d’accès au
diplôme.
Ce même questionnaire a été distribué à des élèves à la fin et au
début de leur formation. En fin de formation la préférence de l’accès au
diplôme par VAE est minoritaire. En début de formation les réponses
affirment moins catégoriquement la préférence pour la formation
comme moyen d’accès au diplôme.
Elèves aides-soignants*
I : promotion de 34 élèves en fin de formation
II : promotion de 35 élèves en début de formation
A la question :
« Auriez-vous aimé
avoir votre DPAS par
VAE ? »
oui
non
Non réponse
I
5,8 %
82,2 %
5,8 %
II
20,04 %
71,42 %
8,57 %
* Elèves d’une école privée d’aide-soignante de la région Bretagne, école ne dépendant pas
d’un IFSI. La moyenne d’âge des promotions était de 28 ans.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
126
Les arguments exprimés en faveur de la VAE étaient : ne pas
avoir à passer le concours (sept réponses) ; rester sur le terrain, et
l’expression de ne pas « aimer » la théorie (deux réponses). Ce qui
ressort ici c’est bien la place du concours d’entrée comme difficulté.
Pour celles qui privilégiaient la formation les arguments étaient :
un manque de théorie quand le diplôme est acquis par VAE (30
réponses) ; une dévalorisation du métier (8 réponses) ; le manque
partage des connaissance entre pairs et les échanges de suivi par les
formatrices (4 réponses) ; un manque d’analyse de pratique et
d’expérience (1 réponse) ; la VAE n’aurait pas permis la satisfaction
d’avoir réussi le concours (1 réponse).
La place de la formation académique est nettement privilégiée
par les élèves que ce soit en début ou en fin de formation (30 réponses,
soit 85,71 %). La notion de reconnaissance associée à cette formation
théorique ressort aussi assez nettement et est traduite par la peur de
voir leur métier dévalorisé s’il devient accessible par VAE.
Le premier constat est qu’en début de formation il y a plus
d’élèves qui privilégient la VAE par rapport aux résultats des élèves en
fin de formation, même si ce dispositif est nettement dévalorisé par
rapport à la formation. D’autre part la reconnaissance et l’attente d’une
valorisation sont citées quelle que soit la forme de réponse.
Nous pouvons retenir que pour les personnes en formation,
celle-ci est nettement privilégiée par rapport à la démarche de
validation des acquis de l’expérience, ce qui semble légitime pour des
élèves.
Par rapport aux réponses des questionnaires distribués aux
professionnelles diplômées ou aux ASH, on constate que ce public en
formation a une autre vision de la VAE. La formation est valorisée.
D’avoir été reçue au concours est intériorisé comme une étape dans la
promotion sociale.
Les objectifs de la VAE, qui étaient de favoriser l’accès à une
certification à un public de bas niveau de qualification ou sans
qualification confortent cette relégation « privilégiée ».
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
127
3 - Entre lutte contre les inégalités et
reconnaissance
Il est connu qu’il existe de réelles inégalités en matière de
formation initiale liées aux inégalités sociales. Ces inégalités se
retrouvent au niveau de la formation post-scolaire et en particulier la
formation continue. La trajectoire sociale et culturelle qui intègre le
passé familial, scolaire et la carrière professionnelle paraît décisive
dans les mécanismes d’accès à la formation continue. En 1997
l’espérance annuelle d’heures de formation continue selon la catégorie
sociale était de 5,8 pour un ouvrier non qualifié, de 10,5 pour un
employé qualifié, de 22,4 pour un agent de maîtrise.135 Chiffres qui
parlent d’eux-mêmes, témoignent de ces inégalités : pour avoir plus de
chance de suivre une formation continue il vaut mieux être agent de
maîtrise qu’ouvrier. Puisque c’est dans la formation que se forment les
inégalités, la dissociation de la formation de la qualification, paraît le
moyen de résoudre ce problème. Mais n’est-ce pas un simple
déplacement de celui-ci, car l’influence de l’extérieur du système de
formation est ainsi niée. Nous avons vu précédemment que les enfants
de cadres et ceux d’ouvriers à niveau égal de diplômes ne trouvaient
pas de travail de la même façon, les enfants de cadre étant privilégiés
dans cette recherche d’emploi. On peut donc s’interroger face à ce
premier objectif affiché.
Un autre objectif de ce dispositif proposé par les parlementaires,
était de favoriser la promotion des individus. Deux points étaient
particulièrement mis en avant.
Cette loi devait profiter aux personnes ayant un bas niveau de
qualification. Nous venons de voir comment cela était contestable au
regard des chiffres des bénéficiaires de la formation continue. La
135
C. Dubar, La formation professionnelle continue, Paris, éd La Découverte, 2000, p. 67
(Citant les sources du CEREQ : Statistiques de la FPC financée par les entreprises. Traitement
annuel des déclarations d’employeurs 24 83, Paris, octobre 1978 à février 2000)
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
128
deuxième cible était les femmes. Or depuis la fin des années quatrevingt, de nombreux travaux montrent que les femmes sont plus
nombreuses à l’école comme à l’université que les hommes et qu’elles
y réussissent mieux et ce, dans tous les milieux sociaux.136 En 1971 on
compte pour la première fois plus de bachelières que de bacheliers.
« Pour autant, malgré ce fait social indiscutable qui semble ébranler les
lois de la reproduction sociale, reste que les filles continuent de
s’orienter vers les mêmes filières. »137 Depuis lors, les sociologues de
l’éducation
n’ont
cessé
de
souligner
ce
double
phénomène
d’augmentation du capital scolaire des filles et du maintien d’une forte
ségrégation au sein des filières du système scolaire, à tous les niveaux
de formation. Certains de ces sociologues expliquent ce paradoxe en
s’appuyant sur les thèses de P. Bourdieu. Il s’agirait « de la réalisation,
dans le cadre scolaire, d’un habitus sexué de soumission et de docilité
qui permettrait aux filles de répondre, plus que les garçons aux attentes
du système scolaire tout en restant cantonnées dans des filières
‘féminines’. »138
Ceci témoigne de la complexité du problème, car si la mise en
œuvre du dispositif de VAE avait pour objectif de favoriser la
qualification féminine cela ne correspondait pas à un réel besoin
puisque l’on constate une augmentation du capital scolaire des filles en
général.
En approfondissant l’analyse des besoins, on remarque la
nécessité de former rapidement du personnel pour remplacer les
départs à la retraite qui s’annoncent dans le secteur de la santé. Il faut
aussi noter que dans ce secteur d’activité les postes du bas de l’échelle
hiérarchique sont occupés par des femmes peu ou pas qualifiées. Nous
avons vu qu’un certains nombre de postes d’aides-soignantes étaient
136
M. Maruani, Travail et emploi des femmes, Paris, éd La Découverte (Repères), 2003, p.
27-30
137
T. Couppié et D. Epiphane, Ségrégation professionnelle des hommes et des femmes : entre
héritage éducatif et construction sur le marché du travail ; www.jeunes-etsocietes.cereq.fr/PDF/Couppi%E9-Epiphane.pdf
138
Ibid 121
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
129
occupés par des « faisant-fonctions ». Face à ces deux observations, la
VAE répondrait aux objectifs de lutter contre les inégalités de
qualification. Mais il faut moduler ce constat car le texte de loi ne
précise pas les obligations de l’employeur en terme de reconnaissance.
La formation suivie ne confère aucun droit automatique en terme de
classement, d’emploi ou de salaire. Le salarié pourra bénéficier d’une
promotion lorsque la VAE sera faite à la demande de l’employeur139 ou
lorsqu’elle est suivie de sa propre initiative après que l’employeur lui ait
garanti une fonction ou un emploi correspondant à son diplôme.
Au-delà de la lutte contre les inégalités, il ne faut pas nier que la
reconnaissance est aussi liée à la socialisation initiée par la formation
initiale. La formation serait comme un rite initiatique qui permettrait
d’entrer dans le corps des aides-soignantes. La VAE dispense du
temps de formation, elle empêcherait donc une pleine légitimation
sociale puisque le diplôme sera acquis sans passer par ce temps de
formation, ce temps de socialisation. L’entretien avec deux aidessoignantes de long-séjour argumente cette reconnaissance liée à la
socialisation.
Q29 : Si vous aviez pu choisir entre avoir votre
diplôme par la VAE ou à la suite d’une
formation ?
L. : Par formation (Ton hésitant)
S. : Moi, par formation, quand même.
L. : J’aime bien être encadrée, c’est énorme, c’est
un apport des autres sur soi, c’est une remise en
question aussi. C’est ma préférence.
Q30 : Comment ça : « un apport des autres » ?
139
En sachant que la loi précise que la VAE est un droit pour les salariés et qu’en aucun cas il
ne peut y avoir obligation de l’employeur.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
130
L. : Ben, celui qui encadre l’élève, c’est son vécu
à lui : s’il le dit c’est que ce n’est pas faux quand
même. Ça, ça apporte.
Q31 : Est-ce que vous pensez qu’avec la VAE
il y aura moins ce regard de l’autre ?
L. : Il y aura moins le regard de l’autre ;
S. : Il n’y en aura pas, s’il n’y a pas de
formation ; mais bon, le dossier il faudra bien le
monter et tu auras besoin peut-être du regard de
l’autre pour t’aider à le monter ?
L. : C’est la motivation plus qu’on va noter, c’est
leur motivation qu’on va regarder.
Q32 : Vous pensez que le regard de l’autre est
important dans une formation ?
L. : Oui, c’est un regard plus professionnel envers
l’élève, j’ai retenu pas mal de trucs que les aidessoignantes ou agents m’ont appris dans les
services où je suis passée.
Q33 : Et d’être
formation ?
regardée
pendant
la
L. : Oui on apprend, on fait pleins d’erreurs …
S. : Oui et là il y aura moins ça, et elles risquent
de continuer sur leur lancée et (Silence), oui,
elles ne seront pas formées comme nous on a été
formées. Elles continueront sur leurs bases
qu’elles ont apprises toutes seules.
Le fait de constituer seul son dossier n’est pas une garanti de
« professionalité » pour ces diplômées à la suite d’une formation
initiale. Il manque le regard de l’autre, surtout celui des formateurs et
des tuteurs qui corrigent et expliquent. La constitution du dossier et sa
validation nécessiteront le regard de l’autre mais la formulation est
interrogative et tempérée par la mise en avant de la motivation. Pour
ces aides-soignantes les candidates à la VAE, ne seront pas « formées
comme elles ont été formées. » Il manquerait l’interrogation de la
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
131
pratique professionnelle par des pairs et des formateurs. C’est cette
confrontation à l’autre qui évite de s’enfermer dans une seule manière
de faire ce qui permet ainsi de développer un esprit critique et de
construire des savoirs donc de développer des compétences
professionnelles. « Elles continueront sur leur bases qu’elles ont appris
toute seules ». Cette phrase conforte la place de la réflexivité initiée par
la confrontation pendant le temps de formation. Pour cette aidesoignante le risque de la VAE est de ne pas interroger les certitudes
personnelles ce qui est fait pendant le temps de formation et qui donne
une valeur professionnelle aux actes soignants.
La pleine reconnaissance ne peut être attribuée dans ce
contexte.
3 – Conclusion
La VAE introduit une nouvelle conception de la certification qui peut
maintenant être obtenue sans passer par le moindre parcours de
formation. La certification est dissociée de la formation académique.
Les métiers de la santé sont réglementés et protégés par leur
inscription au Code de la santé publique, sauf celui d’aide-soignante
avant cette année 2005. Est-ce pour cela qu’il est le premier métier de
ce secteur de la santé concerné par la VAE ? Est-il considéré comme
un métier ne nécessitant pas un apprentissage académique pour être
exercé puisqu’il est peu qualifié ?
Lorsque l’on interroge les aides-soignantes diplômées ou en
formation et les agents des services hospitaliers, leurs réponses, entre
les questionnaires et les entretiens, témoignent d’une position
ambivalente par rapport à la VAE. D’un côté la valorisation par
l’obtention du DPAS, de leurs pratiques est un atout pour l’expression
d’une préférence pour la validation. D’un autre côté, dans les
entretiens, elles expriment l’importance de la place de la formation
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
132
académique
gage
d’une
« professionalité »
et
d’une
certaine
reconnaissance.
Malgré la validation des acquis de l’expérience, la question de la
reconnaissance de leur métier reste entière. En effet l’accès à la
formation d’aide-soignante ne nécessite pas un niveau scolaire
supérieur et il est un métier de service (ici le service s’adresse tant aux
patients qu’aux supérieurs hiérarchiques). Ce métier est constitué des
tâches les moins nobles de la fonction soignante, tâches que les
infirmières ont relégué à ce personnel peu visible. C’est un métier qui
reste peu qualifié et peu visible.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
133
Chapitre quatre
Les effets de la validation des acquis
pour le métier d’aide-soignante
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
134
Dans la partie précédente nous avons vu le processus de
sélection et de certification d’un métier peu qualifié au regard de la
division du travail hospitalier. C’est un métier qui fait usage de
compétences
perçues
comme
« féminines »,
apparemment
« naturelles » et qui ont donc du mal à se faire reconnaître comme vraie
qualification. Ce processus de reconnaissance lié à la qualification, est
à nouveau interrogé
par l’arrivée de la validation des acquis de
l’expérience. Nous cherchons à savoir si la reconnaissance officielle
des compétences par la VAE entraînerait mécaniquement une
modification des hiérarchies hospitalières. Légalement avec la VAE, la
certification visée peut être délivrée sans passer par la formation. Mais
la VAE peut-elle se réduire à cela ? Pour être validées et acquérir une
visibilité
sociale,
les
compétences
ne
doivent-elles
pas
être
transférables au-delà des situations de travail vécues par le postulant ?
Ces questions nous renvoient aux pratiques attendues des jurys qui
« devront garantir que ce qui est constaté est à la fois généralisable et
reproductible. »140
Bien qu’elle soit interprétée comme une deuxième chance, la
problématique de la VAE est ainsi l’occasion d’interrogations sur le
sens et sur les orientations de la formation initiale. Sur le plan
théorique, l’un des enjeux de la VAE réside dans le regard
pluridisciplinaire et multi-référentiel qu’il va falloir porter aux notions
d’acquis,
de
compétences,
140
de
savoirs,
de
reconnaissance.
E. Kirsch et A. Savoyant, « Evaluer les acquis de l’expérience. Entre normes de certification
et singularité des parcours professionnels », Bref CEREQ, N° 159/1999
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
135
1 - Les difficultés d’un positionnement
Pour comprendre la mise en place de la législation de la VAE
pour le diplôme d’aide-soignante, il faut observer le rôle des différents
acteurs dans la construction du dispositif VAE. La VAE ne peut être
exclue du champ sanitaire. Les enjeux sont trop importants et la loi a
établi le caractère universel du champ d’application de celle-ci. Le
ministère de la santé en a pris conscience tardivement, qui deux ans
après la loi de modernisation sociale, a finalement décidé en 2004 de
mettre en place la démarche pour l’accès au diplôme d’aide-soignant
par VAE.
Sous l’égide du ministère, un comité de pilotage a délégué à une
équipe projet, composée de représentants de la DGS141 et de la
DHOS142, la conduite de deux groupes de travail. Un premier groupe dit
de « production », était chargé de recueillir les informations nécessaires
à l’élaboration des référentiels d’activité et de compétences, et d’un
nouveau référentiel de formation et d’évaluation. Le deuxième groupe,
appelé « groupe élargi », avait pour fonction de relire et valider
l’ensemble des productions. Dans ces deux groupes de travail les
aides-soignantes étaient peu représentées.
D’un bilan fait par la fédération des établissements hospitaliers
de l’assistance publique (FEHAP),143 il ressort que ce travail a été
compliqué par des prises de positions hétérogènes générant de vifs
débats, souvent politiques. L’inquiétude des représentants de la FEHAP
était que ces débats soient confisqués par les techniciens. Ce bilan est
confirmé par un entretien téléphonique144 avec une représentante des
141
DGS : Direction Générale de la Santé
142
DHOS : Direction de l’Hospitalisation et de l’Offre de Soins
143
R. FAURE ; Aides-soignants et VAE ; article d’août 2004 ; www.fehap.fr/inc/art
144
Appel téléphonique non enregistré, toutefois le contenu est ici exploité comme matériau de
recherche
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
136
écoles d’aides-soignantes (cadre infirmier) qui a réagi de façon
spontanée à une question sur la place des aides-soignantes dans ces
groupes de travail. Elle ne voyait pas la réelle utilité d’avoir des
représentants syndicaux aides-soignants dans de tels débats, même si
elle reconnaissait leur droit légal de cité. Face à cette réaction il est
difficile de savoir ce qui agit le plus dans cette exclusion : est-ce la
position basse dans la hiérarchie hospitalière ? Est-ce le faible niveau
de certification ? Est-ce la combinaison de ces deux hypothèses ?
Dans l’article « le racisme de l’intelligence »145, P.Bourdieu
montre que l’école est une instance capable de reproduire les
hiérarchies du social parce que son fonctionnement tend à « naturaliser
les réussites» et donc à légitimer le succès des élèves les plus dotés en
capitaux. Chacun croit que sa réussite ou non-réussite dépend d’abord
de son intelligence. L’école est une institution qui juge de la valeur d’un
individu par rapport à sa proximité avec la culture légitime et ce de
manière invisible. C’est pourquoi l’auteur affirme que « les hiérarchies
scolaires ne sont que des hiérarchies sociales euphémisées ». La
réaction de cette cadre infirmière est symptomatique et montre
comment la détention de titres scolaires place, plus ou moins
strictement, un individu sur les hiérarchies du social. L’interlocutrice
refuse aux aides soignantes une compétence suffisante pour intervenir
dans des débats qui décident de la constitution de leur métier ; elle
parlait notamment de « la difficulté de travailler (dans ce cadre précis)
avec ces gens là », propos parallèles à ceux de la FEHAP qui s’inquiète
que les débats « soient confisqués par les techniciens » (ces
techniciens ne sont pas des technocrates). Ces propos révèlent que ce
n’est pas « l’incompétence » supposée des aides soignantes pour toute
discussion technique qui justifierait leur exclusion des négociations,
mais bien leur éloignement de la culture légitime. La dynamique est
assez intéressante pour comprendre en partie des phénomènes de
déqualification. L’institution paramédicale refuse à une partie des aidessoignantes l’accès à une compétence de « soignant ». Pour justifier cet
145
In « question de sociologie », P. Bourdieu
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
137
état des choses l’hôpital évoque le manque de qualification ou de
formation technique. Le comité de pilotage en charge de créer le
référentiel de formation reconnaît aux aides soignantes la compétence
nécessaire pour intervenir dans cette construction, mais cette fois
l’exclusion n’est pas justifiée par le manque de qualification technique
mais par l’éloignement des aides soignantes de la culture scolaire, en
d’autres termes de leur manque de qualification sociale. C’est comme si
l’institution scolaire, ici l’instance en charge de créer le référentiel de
formation, excluait les agents du bas des hiérarchies sociales et
professionnelles pour annuler toute possibilité de promotion. Nous
avons simplifié cette analyse en vue de lui attribuer une substance
fortement critique. La réalité est sûrement moins déterminée.
Ces deux réactions vont dans le sens de ce qui a été démontré
précédemment : les aides-soignantes ont peu de place reconnue, n’ont
pas une réelle visibilité même quand il s’agit de parler et faire évoluer
leur propre métier. Ceci est à mettre en parallèle avec la position des
infirmières qui ont eu, elles aussi, des difficultés pour se faire
reconnaître comme profession autonome par rapport au corps médical.
Cette analyse des relations professionnelles peut éclairer les
observations faites sur le terrain et permettre de dépasser une analyse
subjective donc restrictive risquant de générer des confusions dans
l’interprétation des positions.
1.1 Une translation vers le haut dans la hiérarchie des
métiers ?
Ce constat permet de continuer notre interrogation dans la
répétitivité de l’histoire de ce métier qui a du mal à trouver une
autonomie et qui reste sous la dépendance du métier d’infirmière,
dépendance, nous l’avons vu, entretenue par la législation actuelle.
Législation
questionnée
aujourd’hui,
puisque
les
branches
professionnelles ont demandé l’inscription du métier d’aide-soignante
au Code de la santé publique au même titre que celui d’infirmière. Cette
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
138
demande a été acceptée dans le premier trimestre 2005, mais nous
n’avons pas encore le texte officiel.
L’inscription dans la section VI de ce Code n’entraînera t-elle pas
une répercussion sur la division du travail, avec la possibilité d’ouvrir
des négociations pour une définition du rôle propre des aidessoignants ? Si le ministère définit un rôle propre pour les aidessoignantes, cela laisserait aux infirmières le rôle prescrit (dépendant
des prescriptions médicales), mais permettrait à celles-ci de devenir
« prescripteur » de soins d’hygiène et de confort.
Cette translation vers le haut va dans le sens des mutations en
cours dans le champ de la santé : en effet l’arrêté du 13 décembre
2004 relatif à la coopération entre professionnels de santé, institue
deux expérimentations de glissement de fonctions entre médecins et
infirmières. Des infirmières d’un service d’hémodialyse et d’un service
de
gastro-entérologie
pourraient
prescrire
des
examens
complémentaires et pratiquer des examens cliniques propre à ces
spécialités. L’évaluation de l’expérimentation est prévue au bout d’un
an de fonctionnement. Le corps médical délègue de nouvelles tâches
aux infirmières qui voient ainsi augmenter leurs compétences
techniques et leur ouvre l’accès au droit de prescription jusqu’à présent
réservé aux médecins et aux sages-femmes.
Dans ce même temps le corps professionnel infirmier milite pour
la mise en place d’un ordre infirmier. En mars 2005, il essuie un refus
en lien avec les difficultés d’harmonisation en son sein des différents
groupements
professionnels,
mais
la
demande
n’a
pas
été
complètement rejetée et est toujours à l’étude.
Par ces deux exemples, le glissement de fonction et la demande
de la création d’un ordre infirmier, on perçoit la translation vers le haut
pour le métier d’infirmier, ce qui pourrait entraîner à sa suite une même
translation pour le métier d’aide-soignante. Les infirmières ayant de
nouvelles tâches déléguées par le corps médical, délégueraient à leur
tour certaines des leurs aux aides-soignantes.
Pour autant les infirmières affirment leur « supériorité » en
refusant aux aides-soignantes la « valeur » nécessaire pour réaliser
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
139
des tâches plus valorisées. Les logiques de concurrences et de
distinction
priment-elles
sur
celles
de
coopération ?
Le
repositionnement relatif des aides soignantes sur les hiérarchies
hospitalières se construit aussi dans cette dialectique singulière où les
mouvements de promotion s’articulent à ceux de relégation avec le
maintien de l’écart entre les différents niveaux hiérarchiques.
Au regard de ces mouvements qui tendent à montrer une
mutation vers le haut de la reconnaissance du métier, on constate des
contre-mouvements qui freinent cette translation vers le haut,
maintenant le groupe des aides-soignants dans une dépendance au
métier d’infirmier et dans une proximité réelle avec les agents des
services hospitaliers. « Ce flou qui entoure le métier d’aide-soignante
rencontre ainsi différents intérêts et sa relative invisibilité témoigne d’un
certain échec dans la voie de la promotion collective du groupe ».146
Nous ne pouvons donc que continuer de nous interroger sur les
prolongements possibles de ces déplacements potentiels : verra-t-on
ainsi une valorisation du métier d’aide-soignante qui supplanterait sur le
long terme le métier d’infirmier relégué aux tâches les plus
administratives et techniques, ou aux tâches d’encadrement ? Ce qui
ne semble pas être le cas quand on sait par exemple, l’échec à obtenir
de l’Etat la possibilité d’un exercice en libéral, domaine réservé aux
infirmières libérales soucieuses d’en conserver l’exclusivité.
D’un autre côté, dans le prolongement de cette valorisation que
deviendront les agents ? Deviendront-ils une nouvelle catégorie
« attrape tout »,147 ce qui serait dans la logique développée par E.
Hughes quand il explique la division du travail, et qui irait dans le sens
des mutations de l’institution hospitalière ?
146
A.-M. ARBORIO, « Processus encore inachevé en France, l’invention du métier d’aidesoignante », Revue Direction N° 9 – juin 2004, p. 47
147
Terme employé par A. M. Arborio dans l’article cité ci-dessus.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
140
1.2. Une formation vers le bas ?
Nous venons de montrer les différents mouvements qui
entourent le métier d’aide-soignante et les questions que cela suscite
comme la possibilité d’une translation vers le haut. Translation
fortement contrôlée par le groupe des infirmiers, niveau supérieur dans
la hiérarchie des métiers paramédicaux. Ce contrôle est implicitement
mis en place par une adaptation de la loi de la VAE. En effet le
ministère, conseillé par une cadre de santé conseillère technique en
soins infirmiers, a négocié avec les représentants du groupe de travail,
l’introduction d’un module obligatoire148. A l’issue des débats il a été
convenu que l’attestation de suivi de ce module, devait être jointe au
livret de présentation de l’expérience à partir duquel le jury donnerait
son avis en vue d’une certification.
L’arrêté du 25 janvier 2005 comporte en annexe III les objectifs
globaux de ce module réparti en cinq grands thèmes à mener en 70
heures, soit deux semaines pour traiter le « cœur du métier » alors que
nous avons vu qu’en quarante ans ce métier avait obtenu un temps de
formation rendu visible par un nombre d’heures d’apprentissage
conséquent. Nous pouvons nous interroger sur la pertinence de ce
module par rapport aux principes de la VAE, qui sont de valider les
savoirs acquis d’une expérience ? Pourquoi le ministère voyait la
nécessité de mettre en place un module de formation obligatoire dans
ce processus de VAE ? L’entretien téléphonique avec un membre du
groupe de travail de ministère, témoigne des questions que ce module
a soulevées :
148
www.cefiec.fr/cefiec/Actualite/breves3htm : Un communiqué de presse du CEFIEC (comité
d’entente des formations infirmières et cadres) datant du 12 octobre 2004 est, on ne peut plus
clair : « Face au projet présenté lors de la dernière négociation en septembre avec le ministère,
le CEFIEC ne peut qu’exprimer son inquiétude. Rappelons que le DPAS, même dans le cadre
de la VAE, ne pourra être délivré avec dispense totale de formation. Par conséquent une
formation dite « module obligatoire », doit être dispensé pour tous les candidats. Que nous
propose le Ministère ? Un module axé sur des capacités arithmétique (lire, écrire, compter)
complété par une analyse de pratique ! Le CEFIEC juge le contenu de ce module inadapté et
insuffisant. En effet des capacités telles que lire, écrire ou compter constituent un pré-requis à
l’exercice du métier (…). Insuffisant aussi, car l’analyse des pratique à elle seule ne peut
constituer un socle de compétences minimum. Le CEFIEC exige que le module obligatoire soit
axé sur le cœur du métier d’aide-soignant (…).
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
141
Q3 : Qui a eu l’idée de ce module obligatoire,
quels étaient les objectifs attendus ?
M. : La première idée c’est quand même le
ministère qui l’a eue. La première idée, c’était un
module obligatoire de formation devant contenir
le cœur du métier. Nous savions qu’il était
dérogatoire par rapport à la loi de modernisation
sociale de 2002, donc a priori pas forcément
retenu ; et puis le CEFIEC149 et le GERACFAS
se sont dit : « c’est plutôt une bonne idée ». Donc
on a travaillé sur des contenus possibles, et on y a
mis plein de choses. Puis tout le monde a fait
marche arrière. Effectivement dans les groupes de
travail, et là moi j’avoue que ce n’a pas été facile
pour moi, et de même pour la collègue du
CEFIEC, on nous a dit, pour faire court, ben vous
n’avez pas compris grand-chose à la VAE, la
VAE c’est pas ça, c’est la validation de
l’expérience et il n’est pas question de faire un
module supplémentaire en plus des modules de
compétences.
Q4 : Qui vous le disait ?
M. : L’ensemble du groupe, les syndicats,
beaucoup, ils n’étaient pas favorables du tout à ce
module. Nous à partir du moment où on nous a
dit qu’il y avait un module obligatoire on était
assez d’accord pour y mettre ce que nous
appelions les incontournables. Ce qui n’était pas
sûr, parce qu’on avait un peu l’impression qu’on
allait brader cette formation. Donc on c’est dit
qu’il fallait qu’on profite de ce module pour y
mettre des contenus importants. Mais après, bon,
il y a eu une réunion clasch : je crois que c’est la
dernière. On a passé un sale quart d’heure parce
que, au nom du GERACFAS, je me suis opposé
au … j’ai dit que j’étais d’accord pour travailler
sur le module tel qu’ils nous le présentaient mais
que je ne le cautionnais pas, au nom du
GERACFAS. Le CEFIEC m’a suivi à ce moment
là parce qu’il n’était plus question de cœur du
métier mais simplement d’analyse des pratiques.
Nous avons donc dit que sur ce qu’on nous avait
proposé, nous n’étions pas d’accord. Il y a eu un
débat très fort par rapport à ce que nous
149
CEFIEC : Comité d’entente des formations infirmières cadres
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
142
proposions en fait. Nous leur avons dit : « la VAE
des huit modules est beaucoup plus sévère que ce
que vous proposez au travers du module
obligatoire ». Après coup ce n’est pas totalement
faux ! J’ai lu beaucoup après ! La crainte au
départ, c’était de brader cette formation qu’il n’y
ait plus de garde fou. Donc vous avez vu on a un
module obligatoire qui n’est pas validable, qui est
simplement attestable en terme de présence, qui
ne compte pas pour l’évaluation. Il a un contenu
intéressant, bon, 70 heures ce n’est pas énorme,
mais bon voilà. Ceci dit c’est vrai que dans
l’esprit véritable de la VAE, je ne sais pas
aujourd’hui si c’est véritablement une bonne
chose.
Nous avons vu que les métiers du secteur sanitaire sont très
encadrés sur le plan réglementaire, ce qui induit des comportements
protectionnistes qui se révèlent dans cette injonction de mise en place
d’un module « garde-fou ».
Une autre question se pose : dans le contexte de restriction
budgétaire le coût des formations initiales est important et la VAE peut
offrir une certification moins coûteuse. Ce module propose en effet, une
mini-formation de 70 heures au lieu des 1 575 heures de formation
initiale.
La
place
de
ce
module
permettrait
de
rassurer
les
professionnels inquiets pour la qualité des soins. Pour eux cette
formation à moindre coût
enseignerait les « incontournables du
métier ». La translation vers le haut du métier d’aide-soignante est ainsi
fortement contrariée par cette formation vers le bas, initiée par cette
adaptation de la loi. Les propos du représentant GERACFAS dans le
groupe de travail confirment cette analyse :
Q5 : Mais pourquoi le ministère avait émis
cette idée là ?
M. : Je pense que c’est nos collègues infirmières
au ministère qui se sont dit : attention !
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
143
Q6 : Qu’est-ce qui dans le principe VAE les
inquiétait pour qu’il y ait ce module ?
M. : Ben … (rire) : mais ça n’est que mon point
de vue et je ne voudrais pas que vous utilisiez
cela à des fins … je pense que la motivation était
économique et politique, compte tenu du contexte
de pénurie en terme d’AS au niveau national et
puis les autres VAE à venir derrière notamment
celle d’infirmière. La pression politique elle est
toujours là d’ailleurs ! La pression elle est de
valider, de diplômer rapidement des gens. La
difficulté quand même, sur le plan du contexte a
été que la VAE des AS dans le champ sanitaire
est la première, donc c’était la première
expérience même s’il y a eu des expériences dans
le social, dans l’éducation nationale, mais sur ce
type de formation il n’y en avait pas. Donc
beaucoup de gens se sont dit attention, il faut
mettre des gardes fous. Cette obsession de garde
fou a conduit à faire des choses extrêmement
difficiles. On avait quand même l’impression que
eux aussi naviguer à vue, n’avaient pas vraiment
l’expérience de tout ça, car il y avait quand même
une forte représentation du milieu paramédical en
dehors du milieu politique. Donc voilà, il y a eu
ce besoin de protéger les métiers. Mais on verra
avec l’expérience ; c’est le verre à moitié plein.
De toute façon c’est un module qui ne compte
pas, bon, il va apporter un peu de contenu et
surtout de réflexion puisqu’il reste très accès sur
l’analyse des pratiques. Je ne le vois pas de façon
négative pour l’instant. Mais rien n’est
commencé. Tout dépendra de la façon dont les
gens s’en emparent.
Ces groupes de travail n’avaient comme objectif affiché que de
répondre aux exigences de la DGOS (Direction hospitalière de l’offre de
soin) en terme de certification rapide de personnels, mais leurs
inquiétudes pour la qualité et la sécurité des soins ont légitimé la mise
en place de ce module obligatoire tout en étant conscient de la
prégnance économique. Dans cette analyse nous ne pouvons oublier
l’histoire du métier : il a fallu du temps pour qu’il bénéficie d’une
formation académique visible lui permettant d’accéder à un minimum de
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
144
reconnaissance liée à la culture scolaire légitimée. Aujourd’hui avec
cette conception de la VAE ne participe-t-on pas à un retour en
arrière ?
La pression budgétaire importante, facilite la valorisation de
l’expérience comme élément formateur. Ce mouvement risque de
repousser la formation initiale dans le seul espace économique (lié au
coût financier et de temps). Pourtant l’augmentation progressive du
temps de formation pour l’accès au DPAS attestait la nécessité d’une
conceptualisation issue de la formation théorique. De plus, un débat
interne sur les valeurs est initié par la confrontation à l’autre et permet
un choix de posture ayant du sens.
On peut
penser que le corporatisme, la crainte de voir
disparaître le système de formation initiale, les dissensions politiques
ou techniques, les frilosités des professionnels sont aussi intervenues
dans la demande de ce module obligatoire que la loi de modernisation
sociale sur la VAE n’exige absolument pas.
1.3 Question de reconnaissance et VAE
La mise en place de ce module obligatoire pour la VAE en vue
de l’obtention du DPAS nécessite une réflexion sur le sens que l’on
donne à la validation des acquis de l’expérience.
Tout d’abord on peut dire que ce dispositif VAE se situe à
l’interaction de l’espace travail et de l’espace formation, puisqu’il va
s’agir de valider une expérience formatrice permettant d’attester la
compétence, c'est-à-dire l’adaptabilité à une situation de travail.
Toutefois ce n’est pas parce ce dispositif se situe à l’interaction de ces
espaces qu’il doit se substituer ou s’opposer à la formation initiale,
présentée précédemment et telle qu’on la comprend à l’heure actuelle.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
145
Avec l’arrêté du 25 janvier 2005, l’entrée dans la certification par
VAE du diplôme d’aide-soignante révèle une tension entre une entrée
dans le statut par une certification classique à l’issue d’une formation et
une entrée par la VAE. Tension qui risque de faire surgir un nouveau
distinguo entre les diplômées, celles détenant une certification
prestigieuse et celles ayant une certification par la VAE que l’on pourrait
considérer comme la « certification du pauvre ». C’est ici que se pose la
question de la reconnaissance.
En effet on peut dire que toute reconnaissance n’est pas
forcément liée à une certification. Par contre une validation par l’école
donne plus facilement droit à une reconnaissance : on reconnaît que la
personne est capable de, on lui « connaît » une valeur.
Le processus de reconnaissance diffère selon que l’on se place
du point de vue juridique ou du point de vue individuel (subjectif). En
effet la loi stipule que la valeur du diplôme obtenu par la VAE est la
même que celle obtenue à la suite d’une formation initiale. La loi le
proclame comme tel. On ne peut pas oublier en effet que la valeur ne
se mesure pas de façon rationnelle. C’est une proclamation.
Proclamation qui peut être juridique quand on détermine par exemple le
contenu d’un référentiel de diplôme, base à un contenu de conformité.
Mais la valeur est aussi propre à chaque individu suivant sa trajectoire
et le prix qu’il attribue aux choses ou aux évènements. Nietzsche
définissait ainsi la valeur : « Nos valeurs sont des interprétations
introduites pour nous dans les choses (…) Toute signification n’est-elle
pas justement une signification relative, une perspective ? »150 Ce que
P. Bourdieu transpose à l’école où ce qui donne une valeur, c’est la
proximité d’avec la culture légitime.
Il faut ici, différencier les différentes formes de valeur. Une
première forme où la valeur formelle du diplôme est attestée
juridiquement. Cette attestation permet une reconnaissance juridique :
150
J. Russ, Dictionnaire de philosophie, Paris, Bordas, 1996, p. 303
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
146
la loi garanti cette valeur. Dans le cas particulier de la VAE, les termes
juridiques sont prudents puisqu’ils stipulent dans l’article 134 de la loi
de modernisation sociale, que la validation des acquis « produit les
mêmes effets que les autres modes de contrôle des connaissances et
aptitudes. » L’équivalence est confirmée et formelle, mais le texte ne la
situe pas en terme de valeur, il le formule en termes « d’effets ».
Dans un autre espace, la valeur peut être liée à son utilité et
correspondre à la satisfaction d’un besoin. Marx stipule que : « l’utilité
d’une chose fait de cette chose une valeur d’usage. »151 Alors ici, la
VAE permettrait de donner une valeur au diplôme, en lien avec les
besoins. Avec les nouveaux textes qui régissent le fonctionnement des
établissements sanitaires et qui exigent des qualifications pour
l’ensemble
du
personnel,
la
valeur
accordée
aux
diplômes
correspondra à la réponse donnée pour satisfaire les exigences de
mise en conformité. La valeur vue ainsi est proche des objectifs
ministériels dans un contexte qui impose le « juste prix », le « juste à
temps » et le « juste assez ». Cette réflexion doit aussi être ancrée
dans le contexte actuel où la formation continue est valorisée
économiquement. La VAE s’inscrit dans cette dynamique où la gestion
des compétences est présentée comme un moyen incontournable
d’adaptation aux changements, donc comme moyen de mettre en
œuvre la flexibilité. De plus la formation continue se doit d’être
efficiente. Pour cela l’individualité est promue comme bien-fondé : la
VAE pourra être mise en œuvre quand le salarié le souhaite, quand le
besoin apparaît. Cela laisse une plus grande liberté de gestion dans le
temps que n’offre pas une formation initiale dont les dates prévues et
planifiées n’offrent pas une adaptabilité individuelle. Toujours dans le
sens de l’efficience ce dispositif permettra de valider les connaissances
des personnes ayant eu une activité qui se rapproche du diplôme
souhaité ce qui diminuera d’autant le temps de formation. Par exemple
les personnes qui ne valideront que six modules sur les huit prévus
151
Ibid 134
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
147
pour le DPAS, n’auront plus qu’à suivre les deux modules dont les
compétences attendues sont jugées insuffisantes ou non acquises. Ce
qui diminuera d’autant le coût qu’il soit financier ou de temps.
La valeur économique de ce diplôme permettra aux individus
diplômés d’acquérir une cotation sur le marché du travail et répondre
aux besoins. Le diplôme obtenu leur permettra de se différencier de
ceux qui ne sont pas diplômés. Mais si on facilite l’accès du diplôme par
la VAE, il y aura augmentation du nombre de diplômés sur ce marché
du travail et donc réduction la valeur marchande de celui-ci :
Q : Comment la VAE va jouer sur la
perception du métier ?
S. : On dira que tout le monde est aide-soignante,
maintenant.
L. : Mais tout le monde n’est pas intéressé, je ne
pense pas. Il restera quand même des gens qui ne
voudront pas être aide-soignante, cela restera un
choix. (…)
L’inquiétude traduite dans les propos de S., est temporisée par
ceux de L. Pour S. le diplôme permettait de se distinguer de celles qui
ne le détiennent pas. Avec la VAE, elle voit le risque que tout le monde
puisse être aide-soignante, ce qui annihilerait toute différence avec les
agents. La formation permet une valeur de distinction et une valeur
d’identité entre celles qui l’ont suivie et les autres. La VAE risque, aux
yeux de S., de ne plus permettre cette distinction et cette identité
professionnelle. Pour L., c’est la démarche qui permet cette distinction.
Le choix de devenir aide-soignante participe à l’identité professionnelle.
Ces propos indiquent que la valeur économique est recherchée par les
candidats mais peuvent aussi indiquer la recherche de la valeur sociale
sur laquelle il faut revenir.
Celle-ci est beaucoup plus difficile à définir car elle situe dans
« les préférences collectives qui
apparaissent dans un contexte
institutionnel, et qui par la manière dont elles se forment, contribuent à
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
148
la régulation de ce contexte. Encore faut-il au préalable éclairer la
nature de ces préférences, et se demander en particulier dans quel
sens on peut dire qu’elles sont objectives. »152
La place des
« préférences collectives » montre que la valeur sociale ne peut se
réduire à une préférence individuelle puisqu’elle va être le résultat de
discussions, de conflits ou de compromis entre plusieurs acteurs. La
valeur sociale que l’individu accordera à son diplôme sera bien fonction
du contexte dans lequel il se trouve, mais aussi des capitaux culturels
reçus. Un diplôme d’aide-soignante aura plus de valeur dans une
famille où les parents et la fratrie détiennent des diplômes de niveau V
que dans une famille où l’ensemble des diplômes est de niveau I. Ce
diplôme aura aussi plus de valeur pour un individu qui se trouve dans
un collectif où l’ensemble des personnes n’a pas de qualification
reconnue. Nous voyons ainsi que la valeur sociale accordée au diplôme
n’est pas un principe évident, explicite et univoque. « Mais la décision
est un arbitrage entre ces diverses orientations, lesquelles ne sont
jamais données à l’état pur, mais se trouvent incarnées dans des
combinaisons institutionnelles complexes et contingentes. »153
Ce rapide exposé met en lumière la problématique de la
reconnaissance puisque la notion de valeur lui est ici, pleinement
associée.
1.4 Valeur sociale de l’expérience (entre reconnaissance
et sacralisation ?)
Les justifications de la mise en œuvre de la VAE sont attachées
à l’idée de petite révolution pour lutter contre les inégalités et l’exclusion
en dissociant formation et qualification. Mais ces justifications sont
152
R. Boudon, F. Bourricaud, Dictionnaire critique de la sociologie, Paris, éd PUF (Quadrige),
2002, p. 664
153
Ibid 137
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
149
aussi en lien avec une représentation de l’expérience et de sa valeur
sociale.
1.4.1 Ce qu’on entend par expérience
Paolo Freire154 disait : « Sous-estimer le savoir de l’expérience
est à la fois une erreur scientifique et l’expression d’une idéologie
élitiste ». Si on considère la théorie de Ph. d’Iribarne démontrant
comment
la
logique
de
l’honneur
en
France
imprègne
les
comportements, alors on peut entendre l’inquiétude de Freire et se dire
qu’effectivement le dispositif de la VAE ne va pas être qu’une simple
application juridique. Il risque d’être pour les aides-soignantes en
particulier, un révélateur puissant de la conception hiérarchique de la
division du travail hospitalier et révélateur d’intérêts implicites (quelles
fonctions implicites les différents acteurs attendent-ils de la VAE ?)
Avec la VAE, la dialectique ne sera pas de mettre en place des
situations d’expérimentation en vue d’un apprentissage, il s’agira de
sortir de l’expérience les savoirs acquis. Le petit Larousse (2000) définit
l’expérience comme « une connaissance acquise par la pratique jointe
à une réflexion ou accompagnée d’une observation. » L’expérience est
la somme des connaissances (liées à la pratique) et de la réflexion.
Cette expérience n’a de définition que si elle est associée à la réflexion.
On peut distinguer l’expérience à l’état pratique qui transforme les gens,
de l’expérience dans la VAE qui est une expérience formalisée,
explicitée selon des compétences spécifiques. La VAE doit valider ces
connaissances qui constituent l’expérience.
C’est ainsi que l’on peut se demander en quoi cette validation
transforme l’expérience, la sélectionne ? Comment transformer les
connaissances acquises par la pratique en acquis de l’expérience?
L’expérience dans la VAE ne se confond pas avec tout le passé
professionnel : l’expérience est une construction de savoirs que le
dispositif de VAE demande de démontrer.
154
Pédagogue brésilien
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
150
En effet, en tant que formateur, nous savons bien que c’est autre
chose qu’une simple transmission de savoirs qui s’exerce pendant le
temps de formation. C’est quelque chose de l’ordre de l’acquisition d’un
sens critique nécessaire à la personne pour entrer dans une démarche
de professionnalisation. Pour que la VAE soit inscrite dans une fonction
formative diplômante, il faudra que le dispositif permette à l’individu
d’identifier son sens critique. En interrogeant sa pratique dans cette
dimension
critique
il
pourra
témoigner
d’une
compétence
professionnelle. En partant de son expérience il faudra que le postulant
la revisite, et visite ce qu’il est comme professionnel. Mais pour avoir un
regard critique il faut pouvoir enrichir son analyse de notions qui
permettent une distanciation. Nous nous interrogeons sur les
possibilités qu’offre la VAE dans cette acquisition de notions
nécessaires à une distanciation, donc à l’accès d’un esprit critique
garant d’une dimension professionnelle ?
La verbalisation pourra être le moyen d’acquérir ce sens critique
et de consolider ses savoirs acquis de l’expérience. Mais pour
reconnaître une valeur à l’expérience et aux acquis qui en découlent il
faudra une évolution des esprits car ce n’est pas la logique habituelle
de la formation. Le plus souvent la légitimité de l’expérience fait suite à
la légitimité de la formation académique : l’expérience participe à
l’apprentissage et permet d’arriver à une compétence. Avec la
validation des acquis de l’expérience il faut inverser le raisonnement et
partir des actions où l’expérience est non explicite, voir non
conscientisée pour formaliser ses savoirs, leur donner une visibilité. Du
coup nous sommes renvoyés à la définition conceptuelle de
l’expérience.
Pour Kant par exemple, l’expérience ne permet pas à elle seule
la construction de savoir, c’est le raisonnement ou l’entendement qui
permet de construire des savoirs à partir de l’expérience. Pour Hegel
c’est l’expérience qui met en lumière les savoirs : « ceux-ci ne pouvant
réellement exister que par l’expérience, l’expérience faite, on saura
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
151
enfin tout ce qu’il y avait à savoir. »155 Par ces deux approches
philosophiques nous voyons que l’expérience ne peut être séparée des
savoirs, mais que l’utilisation de ce concept ne peut se passer d’une
réflexion si on veut lui garder une légitimité majeure puisque différentes
approches sont possibles.
De même on ne peut dégager l’expérience de la trajectoire de
chaque individu, trajectoire faite d’historicité (rencontres, activités,
affect, cognition) qui donne sa dimension formatrice à l’expérience. On
ne peut pas non plus négliger ce qui est incorporé plus ou moins
consciemment et que l’on ne peut pas forcément verbaliser mais qui est
« expérience » et qui est aussi « savoir ». Pour illustrer ce propos :
dans le service de réanimation où nous avons interviewé des aidessoignantes et des agents, un des médecins me faisait part de
l’importance du regard de certaines personnes sur les malades et me
disait : « quand Untel (aide-soignante) m’appelle j’y vais tout de suite ».
Lorsque je lui ai demandé pourquoi, sa réponse a été : « Elle sait que
ça ne va pas et moi je sais qu’elle a raison. » Toute la dimension de
l’expérience comme savoir incorporé est ici exprimée. Les savoirs ne
sont pas verbalisés, décrits : ils sont.
1.4.2 La place des valeurs
Ce qui nous amène à continuer notre raisonnement : pour arriver
à faire en sorte que cette expérience soit « savoir » et qu’en même
temps des savoirs soient conscientisables donc puissent devenir
réellement des savoirs il faut un débat de valeur156. C’est la personne
qui va faire des choix dans ce qu’elle juge valable, ce qui a pour elle du
sens et qu’elle pourra ainsi transformer en savoirs. C’est à partir des
valeurs qu’elle attribue aux choses, aux évènements, qu’elle construit
son expérience et ses savoirs. Et c’est là que l’on se rend compte, pour
155
Y. Schwartz, L’expérience est-elle formatrice ? Education Permanente, n° 158, mars 2004 ;
p. 14-15
156
Y. Schwartz
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
152
notre sujet, de la place de la socialisation professionnelle, de
l’interrogation par l’autre qui amène la possibilité de ces choix. D’où une
nouvelle interrogation sur l’importance de la part de la confrontation
dans une dimension formatrice. C’est en confrontant ses valeurs avec
celles du groupe en formation que l’individu construit son savoir et
donne sens à sa pratique professionnelle.
Dans le cadre d’une VAE qui prive d’un temps de formation donc
d’une confrontation en groupe, on peut se questionner sur la possibilité
que les professionnelles sur le terrain auront de donner sens à leur
actes quand on sait que par exemple, dans des services de soins
doivent être effectué trente toilettes de malades grabataires par deux
personnes en une matinée ?
De plus si on regarde la construction du référentiel d’activité des
aides-soignantes, le référentiel de compétence et de formation on voit
poindre une grande difficulté car ils sont construits à partir de
protocoles ce qui rend difficile le partage des valeurs puisque le « tout »
est mis en protocoles donc en quelque chose sur lequel on ne peut plus
débattre puisque défini. Le partage sur les valeurs est rendu difficile
dans un tel contexte. On nie ainsi une part de ce que l’expérience peut
avoir de formatrice. Et on revient à la phrase de Paolo Freire pour qui
sous-estimer le savoir de l’expérience, donc ces savoirs construits à
partir d’un débat de valeur, interne et personnel à l’individu, est
l’expression d’une idéologie élitiste. Oserions-nous dire que du coup il
est normal que le premier diplôme du secteur des métiers
paramédicaux soit celui des aides-soignantes, diplôme le plus bas sur
l’échelle hiérarchique puisque l’on va regarder les acquis de
l’expérience et que ces acquis seront mis en parallèle avec les
« attendus protocolisés 157». Vision élitiste en quelque sorte puisqu’elle
réduit cette expérience à l’expression de savoirs acquis dans l’action (le
travail, l’activité bénévole ou domestique) et qu’elle ne permet plus de
débat de valeur, ni de distinction entre savoirs et expérience. Oserions157
Avec la démarche d’accréditation mise en œuvre dans les hôpitaux, un certains nombres
d’actes de soin ont été décrits précisément et traduit sous forme de protocoles à appliquer.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
153
nous aussi dire, qu’il était plus facile de commencer par ce métier de
niveau V considéré comme éminemment pratique niant ainsi toutes les
avancées,
toutes
les
luttes
pour
arriver
à
un
minimum
de
reconnaissance. Reconnaissance associée à la nécessité d’un temps
de formation allongé donc légitimée et permettant l’émergence d’un
débat de valeur tant personnel que collectif, pouvant ouvrir une
possibilité d’autonomie.
1.4.3 Qu’entend-on par « savoir » ?
D’autre part, peut-on mettre en adéquation des savoirs
professionnels, issus de l’action et des savoirs académiques issus de la
formation ? Une concordance trop rapide ou simplifiée ne risque-t-elle
pas de nier la spécificité de chacun de ces savoirs ? Le terme
« acquis » renforce une telle interrogation. P. Astier définissant l’acquis
comme « la transformation de soi à l’occasion de la transformation du
monde opérée par l’action. » Les acquis sont bien ce qui permet au
sujet de donner du sens à ce qu’il fait, ce qui lui permet de relier son
action à celle des autres dans une dynamique de transformation donc
d’évolution. Et si on ne reconnaît pas la spécificité de chacune des
formes de savoirs on risque d’oublier qu’ils sont le plus souvent
complémentaires. Ceci en particulier pour la formation aide-soignante
où les savoirs académiques permettent souvent une réflexivité et une
compréhension de la situation donc une professionnalisation par le
sens donné aux actions. Ces savoirs académiques ne dénigrent en
aucun cas les savoirs acquis de l’expérience ; ils leurs sont
complémentaires et agissent sur des registres différents. Ceci est décrit
par une aide-soignante de 32 ans, travaillant dans un service de long
séjour :
Q27 : Donc pour vous la formation est
importante ?
B. : Oui, oui, vraiment importante.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
154
Q28 : Pourquoi ?
B. : Pour acquérir ne serait-ce que des techniques,
tout ce qui est sur l’hygiène, en tant qu’agent on
fait des choses mais on ne sait pas pourquoi on
les fait, donc donner un sens à ce qu’on fait,
savoir pourquoi on le fait.
Q29 : Et l’expérience ne suffit pas ?
B. : Non.
Q30 : Qu’est-ce qui manque ?
B. : Je pense que c’est plus les techniques, le
savoir faire, et puis le savoir est aussi important :
les cours sur la biologie, comprendre ne serait-ce
que les maladies,
quelqu’un qui est
hémiplégique, comprendre, voilà, moi je pense
que c’est important.
Q31 : Et ça on ne peut pas l’acquérir par
l’expérience ?
B. : Non, parce que je prends l’exemple quand je
travaillais à la MAPA, il y avait deux personnes
âgées qui en fait étaient hémiplégiques mais pas
du même côté. Un
d’eux pleurait, je me
souviens, dès qu’on lui disait quelque chose il se
mettait à pleurer et par contre il parlait ; par
contre l’autre ne parlait pas, et j’ai appris après
que suivant quelle partie du cerveau est atteinte
les malades n’ont pas les mêmes réactions. Voilà,
et c’est vrai que j’avais posé la question :
« pourquoi il pleure ? » et on ne m’avait pas
répondu, on m’a laissé comme ça !
Q32 : Et le fait d’avoir été en cours ça vous a
permis de comprendre ?
B. : Oui, et donc après la prise en charge peut-être
différente, je donne ça comme exemple pour
montrer à quoi servent les cours.
Dans cet entretien les savoirs sont bien identifiés et différenciés,
ils ont chacun leur importance : les savoirs académiques sont ici cités
pour permettre de donner un sens à ce qui est fait, permettre de
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
155
comprendre. Ces savoirs nommés par cette professionnelle ouvrent sur
une prise en charge différente.
L’avantage de la formation par alternance pour elle, est que ces
savoirs issus de la formation ne sont pas coupés de la réalité
professionnelle. Ils sont complémentaires dans le processus de
formation, aux savoirs acquis par l’expérience. Ils permettent à ces
savoirs de prendre tous leur sens et de devenir des savoirs
conscientisés. Les savoirs de l’expérience ne sont pas survalorisés, ni
dénigrés, ce qui est de même pour les savoirs liés à la formation.
Par contre, dans cette dialectique un directeur d’institut de
formation en soins infirmiers (IFSI) et d’école d’aide-soignante privilégie
dans sa réponse, les savoirs issus de l’expérience :
Q5 : Que pensez-vous de la validation des
acquis de l’expérience au sens large des termes
employés ?
La VAE, c’est la reconnaissance de l’acquisition
par l’expérience, c’est une reconnaissance de la
singularité humaine, c’est donner une chance à
l’homme de s’épanouir. L’échec scolaire n’existe
pas si on considère qu’on peut acquérir des
connaissances par la vie, le vécu, l’expérience. La
VAE est une chance pour le sanitaire et le social,
car c’est vraiment par le contact humain au
quotidien qu’on apprend à servir l’homme. C’est
par l’acquis de l’expérience qu’on décline les
valeurs durables, permanentes telles que
l’humilité, le respect de l’autre, de la différence,
la tolérance, la compassion. La VAE renforcera le
métier d’aide-soignant, le métier doit rester
proche des usagers, humain, pratique, un métier
de service.
(…)
La VAE n’est pas une « formation continue au
rabais »,
(…)
c’est
une
démarche
déductive/inductive, une théorisation par une
analyse de sa pratique, permettant de poser des
concepts, une formation pratique qui prendra du
sens.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
156
La construction de la démonstration commence par la négation
de l’échec scolaire, comme si cela n’avait pas d’importance alors
qu’une large part de notre système de catégorisation est basée sur la
réussite scolaire. De plus, nous pensons que l’échec scolaire n’a aucun
rapport avec la seule détention de connaissances. Le problème est que
le mode d’acquisition de connaissance ainsi que la nature même de ces
connaissances construisent la reconnaissance.
La représentation du métier est ici, celle « d’un métier de
service » qui doit rester proche des usagers. Métier proche de ceux qui
sont alités, couchés. Le rapport de domination est nettement visible,
dans l’espace et dans les postures des acteurs ; les médecins restent
debout au pied du lit, gardent une distance par rapport à ces personnes
couchées. Les aides-soignantes sont « proches » de ceux qui sont
couchés, dépendants. L’association des aides-soignantes avec les
malades couchés peut être rapidement faite et la violence symbolique
qui se dégage dans cette formulation confirme les aides-soignantes
dans le champ des dominés, dans le champ des métiers de service.
De même, les acquis de l’expérience valorisés sont de pouvoir
décliner les valeurs …telles que l’humilité. Une telle compréhension des
savoirs acquis de l’expérience renforce les propos précédents. Ne
risque t-on pas alors de dévaloriser ces acquis en ne les situant que
dans ce qui est attaché à la représentation d’un métier au bas de
l’échelle de la division du travail, faisant référence au passé du métier
exercé par des religieuses ? Dans cette référence au religieux la
valorisation passait par la sublimation des notions de service et
d’humilité. Mais aujourd’hui dans le monde sécularisé, une telle
référence va vite être associée à l’idée de vocation, renvoyant à l’idée
que ces aptitudes sont éminemment féminines ce qui donnerait la
valeur à ce métier. On peut alors maintenir ce métier dans sa
dimension de service proche du service domestique, donc dans sa
place de métier dominé.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
157
« La sanctification de l’expérience –nouvelle divinité ?- s’appuie
aussi sur une dénonciation de l’académisme supposé »158 du système
de formation. Comme si la formation professionnelle était coupée de la
réalité puisque la VAE représente une formation continue « déductive /
inductive, une théorisation par une analyse de sa pratique »159. Le
risque d’une telle représentation des savoirs expérientiels serait de
considérer que les savoirs académiques sont redondants.
Ce débat met en lumière la difficulté de donner une valeur
sociale à l’expérience puisque cela fait appel à une réflexion
philosophique, nécessite une définition des mots et que plusieurs
approches se dessinent à partir des trajectoires personnelles de chacun
des protagonistes. Pour la mise en œuvre du dispositif de la VAE, il
nous semble incontournable de passer par une telle réflexion. Il est plus
facile de rester dans le « pratique » plutôt que de mettre en lumière tout
ce qui peut être sous-tendu par des controverses sur les concepts.
Pour nous les différents types de savoirs, ceux issus de l’expérience et
ceux issus de la formation académique sont complémentaires. En les
mettant en adéquation on nie la spécificité des savoirs académiques
garant d’un professionnalisme. Ceci a été démontré lors de la
description du métier d’aide-soignante, il a pu se différencier du métier
d’ASH par la mise en place de la formation. Se pose ainsi la question
de la « dé-professionnalisation » du métier par mise en œuvre de la
VAE. Un syndicat exprimait son inquiétude dans un tract dans ce sens :
« (…)la VAE doit faciliter l’accès à certaines formations diplômantes par
la prise en considération de l’expérience acquise sur toute une carrière
professionnelle. Par exemple une ASH doit pouvoir bénéficier d’une
dispense de concours d’entrée à l’école d’aide-soignante, en fonction
158
F. Neyrat ; La VAE : une problématique de la reconnaissance … pour une reconnaissance
problématique : Article extrait de N. Maggi-Germain et A. Pélage (dir), Les évolutions de la
formation professionnelle : regards croisés, La documentation française 2003, Cahiers Travail
et Emploi
159
Propos du directeur de l’IFSI et école d’aide-soignante
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
158
de son ancienneté et de son expérience. (…) Les cours théoriques
doivent être conservés et tous les professionnels doivent passer le
même diplôme. (…) Ainsi le diplôme obtenu par la voie de la VAE n’a
plus rien à voir avec les obligations théoriques et cliniques mises en
place pour le diplôme actuel d’aide-soignante, ouvrant ainsi la brèche
pour un diplôme à deux vitesses. »160
Pour nous, la professionnalité c’est de pouvoir faire face aux
situations limites sur le terrain de l’activité professionnelle par la
maîtrise de savoirs académiques. Ceux-ci permettent une distanciation
dans cette situation critique donc ouvre une possibilité de mettre en
place une action adaptée. Par exemple une faisant fonction d’aidesoignante saura faire une toilette, mettre en place une prévention
d’escarre, mais dans une situation de désorientation aura-t-elle les
connaissances théoriques pour savoir qu’il y a d’autres causes de
désorientation
dégénératives ?
chez
la
personne
âgée
que
les
pathologies
Saura t-elle donc, appeler l’infirmière au bon
moment ? Une aide-soignante l’expliquait dans l’entretien pages 154 et
155, lorsqu’elle démontrait comment elle avait compris les pleurs d’un
patient hémiplégique après avoir suivi le cours de neurologie et donc
comment elle avait pu adapter sa prise en charge et être ainsi plus
professionnelle.
Entre la valeur sociale pouvant être accordée à l’expérience, les
réflexions qui en découlent et les pressions économiques, nous
percevons les tensions à objectiver. Le glissement des notions de
qualification vers les notions de compétences a des répercussions sur
les conceptions de la formation, de l’activité professionnelle et pour le
sujet qui nous intéresse, sur la reconnaissance du métier d’aidesoignante. La logique des compétences place les organisations comme
qualifiantes. Les salariés du secteur sanitaire seront formés par les
organisations de soins, développeront des compétences sur le terrain,
valideront leur acquis par la verbalisation de leur activité. Où sera alors
160
Tract transmis par une autre étudiante du DESS SIFA en mars 2005.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
159
offerte la possibilité d’une confrontation formative avec les pairs ? Où
seront interrogées les pratiques en dehors d’un contexte de validation ?
Où sera dépassée la seule logique instrumentale liée au poste de
travail ?
Cette logique de compétence renvoie à des choix d’éléments
objectivables donc évaluables ce qui participe à une technicisation du
métier, confirmée par l’analyse des référentiels.
Si nous avons évoqué la philosophie de la validation des acquis
c’est bien parce que nous pensons qu’il ne faut pas plaquer nos
représentations et habitudes de formations sur ce dispositif nouveau.
Pour
nous
l’expérience
est
productrice
de
savoirs
mais
la
professionnalité est garantie par une capacité de distanciation liée aux
savoirs théoriques et aux confrontations avec les savoirs des autres. Et
c’est cette professionnalité qui participe à la reconnaissance tant
individuelle que collective.
2 - Les effets de la VAE sur la formation
initiale : une redéfinition du prescrit ?
L’objectif de la direction hospitalière de l’offre de soins (DHOS),
est d’assurer la qualité des soins. Cet objectif nécessite à son tour, une
qualité effective du dispositif de VAE reposant sur la valeur des
référentiels d’activités, de compétences, ainsi que sur les procédures et
les outils d’évaluation. Ces référentiels ont servi de fondement pour
l’élaboration des livrets de présentation de l’expérience sur lesquels les
jurys se baseront pour l’évaluation des compétences et l’attribution ou
non du titre.
Pour assurer la qualité de ces référentiels un gros travail a été
mené et a permis de circonscrire les différentes compétences
considérées comme nécessaires à l’exercice du métier. Pour
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
160
l’élaboration de ces référentiels il a fallu interroger le cœur du métier, ce
qui en fait sa substance et redéfinir sa finalité. Cet événement extérieur
(la mise en place d’un nouveau dispositif de certification) a pour effet de
réinterroger le centre de cet espace. Ce qui se passe à l’extérieur de
l’espace métier nécessite la réécriture des référentiels c'est-à-dire fait
bouger le « dedans ». On voit les tensions générées par ces
interrogations et cette observation permet d’envisager les effets
importants sur le métier lui-même mais aussi sur la formation initiale.
Le premier effet a été la reformulation du référentiel de formation
initiale. La formation aide-soignante a été reconstruite pour s’adapter à
ce nouveau dispositif de certification, et pour permettre la mise en place
d’une nouvelle modularisation, non plus basée sur des connaissances à
acquérir mais sur des compétences à développer. Ce qui peut être
paradoxale dans le sens où la validation des acquis de l’expérience
veut rompre avec les seuls savoirs dit théoriques, et nécessite dans un
même temps, un énorme travail de théorisation pour traduire le métier
d’aide-soignante
en
terme
de
compétence
puis
en
formation
modularisée.
2.1. Une question de temps
Lorsque l’on prend la proposition du nouveau référentiel de
formation161 la première chose qui apparaît, est la diminution du temps
de formation de 1 575 heures à 1 435 heures : soit une diminution de
140 heures de formation. Dans le détail cela représente une diminution
de 35 heures de cours théoriques et une diminution de 105 heures de
stages. La formation se répartira donc sur 10 mois de formation au lieu
de 12 mois. Mais ceci est encore à l’étude et doit être définitivement
présenté en juillet 2005.
Ce premier constat ne va pas dans le sens d’une influence
positive de la mise en place du dispositif VAE sur la formation initiale. Si
161
L’analyse portera sur le projet puisque le texte n’a pas encore été validé (mai 2005) par le
ministère.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
161
l’on considère que ce métier nécessite un temps de formation
suffisamment long pour conceptualiser des pratiques il est regrettable
de voir diminuer le temps théorique de formation. En effet même si ces
pratiques sont considérées comme peu qualifiées elles demandent une
conceptualisation puisqu’elles font appel à des notions difficiles comme
la définition de l’homme, de la santé, de la maladie, de la souffrance, de
la mort … L’expertise du métier n’est pas seulement dans la dimension
technique des soins à dispenser, elle nécessite aussi une maîtrise de
l’accompagnement et de la relation humaine qui participera à la qualité
du soin et qui donne une valeur au métier.
Ce constat est appuyé par la lecture d’un compte rendu d’une
réunion avec la Direction Générale des Soins (DGS) en janvier 2005 où
la responsable rappelait la logique de la réforme en cours : « recentrer
la formation initiale sur les compétences et les incontournables, en
regard de ce qui a été défini par la VAE. » Comment comprendre ce
terme « d’incontournables » ? Est-ce une manière d’entériner une
formation au rabais où la formation aide-soignante n’aurait besoin que
de savoirs minimum ?
A cette même réunion la responsable de la DGS justifiait la
diminution de quatre semaines de stage « comme la garanti de la
survie de la formation initiale (…), en particulier en regard de la VAE. »
Faut-il le comprendre dans le sens où une formation trop longue ne
peut survivre aujourd’hui ?
A la fin du compte rendu on peut aussi lire que cette diminution de
temps de formation permettrait de l’adapter à la durée de l’année
scolaire en décalant le début de la formation de janvier à septembre.
Ce décalage permettrait de présenter les candidats aux DPAS au mois
de juin. Cette arrivée sur le marché du travail des nouveaux diplômés
dés le mois de juillet pourrait permettre de pallier les remplacements de
personnel durant l’été et d’assurer les plans ministériels.
De plus de nouveaux paradoxes sont à prendre en compte : la
durée de la formation diminue et les aides-soignantes vont être
appelées à exécuter de nouveaux gestes techniques relevant de la
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
162
fonction infirmière comme la prise de la tension artérielle ou la
préparation et la distribution des médicaments.
Ces besoins nécessiteraient un temps de formation, comment
l’inscrire dans un programme déjà chargé en lien avec cette diminution
du temps accordé à la formation ?
2.2. Nouvelles caractéristiques
l’effet VAE
de
l’enseignement :
Nous avons vu précédemment que l’on pouvait observer dans la
gestion des ressources humaines, un glissement du modèle basé sur la
formation et la qualification vers un modèle de l’expérience et de la
compétence. Face à ce glissement, la construction du nouveau
référentiel de formation s’appuie sur le modèle de la compétence.
L’analyse de l’expérience des candidats pour obtenir une certification
par VAE, nécessite une analyse des emplois occupés. Cette analyse,
pour le métier d’aide-soignante, a permis d’identifier des compétences
attendues. C’est à partir de ces compétences attendues qu’a été
construit le nouveau référentiel de formation. On observe ainsi, un
glissement d’un référentiel basé sur des savoirs nécessaires à
l’exercice d’un métier à un référentiel basé sur des compétences à
développer ou à démontrer. Ainsi le dispositif de validation des acquis a
initié la rénovation du référentiel de la formation aide-soignante.
2.2.1. L’enseignement théorique
Le contenu de ce référentiel change tout d’abord dans la formulation
des caractéristiques de l’enseignement théorique. Celles-ci situent
toujours la place des cours magistraux comme moyen d’acquérir des
connaissances théoriques. Mais une différenciation nette est notée
quand à la mise en place de travaux pratiques. Dans l’arrêté du 22
juillet 1994 concernant le programme de formation d’aide-soignante, les
caractéristiques de cet enseignement étaient globalisées et ne
spécifiaient pas le contenu des travaux pratiques. Dans cette nouvelle
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
163
présentation du programme, les travaux pratiques sont bien différenciés
des cours théoriques et doivent porter sur l’apprentissage des gestes
professionnels. Aux dires de nombreuses formatrices cela constitue un
recul : pour elles, l’arrêté de 1994 ne définissait pas ces travaux
pratiques, ce qui laissait une liberté pédagogique et permettait une plus
grande conceptualisation puisqu’ils ne désignaient pas seulement les
gestes professionnels. De plus pour ces mêmes formatrices, apprendre
des gestes professionnels sur des mannequins c’est nier le concept du
soin où la dimension relationnelle est fondamentale. Par cette
conception c’est revenir à une seule dimension technicienne, donc à
une dévalorisation de la nature de ce métier. Cette déviance
technicienne est confirmée par l’injonction sur le temps imparti à ces
travaux pratiques : ils doivent représenter 50 % du temps de
l’enseignement théorique. Ce qui semble important quand on sait que la
formation est une formation en alternance et que la durée des stages
où doit se faire l’apprentissage de la culture du métier, représente
presque une fois et demi le temps de formation théorique. C’est
ramener la formation initiale à une dimension très pratique au détriment
de la théorisation.
2.2.2. L’enseignement pratique
Par contre les caractéristiques de l’enseignement clinique, à
commencer par les stages, développent la notion de l’alternance en
obligeant le recours au tutorat : « l’encadrement doit être assuré par du
personnel diplômé et formé au tutorat », ce qui n’était pas stipulé dans
l’ancien arrêté. « Ce projet de tutorat doit être développé entre l’équipe
pédagogique de l’école et le responsable de l’encadrement.» Cette
nouvelle définition conforte la pratique de l’alternance et est positive
dans la conception de la formation aide-soignante. Le point de réserve
qui peut être émis c’est la difficulté des professionnels dans certains
services à se libérer au regard de la charge de travail, donc la difficulté
à pouvoir jouer leur rôle de tuteur. Cette préconisation du tutorat est un
atout pour la fonction d’aide-soignante car il reconnaît les capacités des
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
164
professionnelles dans la transmission d’une culture de métier. Cette
mesure est une valorisation, une reconnaissance pour celles-ci. C’est
peut-être pour elles un premier pas vers l’accès aux fonctions de
formateurs de leurs pairs car pour l’instant les formateurs d’aidessoignantes sont des infirmières.
Pour les recommandations générales concernant le parcours de
stages : il n’y pas de modifications majeures si ce n’est le nombre
d’heures de stages. Il est malgré tout précisé qu’un stage dans une
structure d’accueil pour personnes âgées est obligatoire. Dans l’ancien
programme la notion d’obligation n’apparaissait pas comme telle. Cette
obligation est à mettre en lien avec la dimension épidémiologique du
vieillissement de la population donc de l’augmentation du besoin en
postes d’aides-soignants dans les structures d’accueil pour personnes
âgées.
Un
point
nouveau
concerne
le
stage
dit
de
« projet
professionnel » qui doit être proposé à l’élève en fonction du projet
pédagogique, du projet professionnel de celui-ci mais aussi en fonction
du potentiel de stage. Ce dernier point indique implicitement les
pénuries de terrain de stages liées à l’augmentation d’élèves en
formation dans le secteur sanitaire. L’ambition de formation liée à ce
projet professionnel est louable mais sera difficile à mettre en pratique
car les besoins en personnel ne sont pas toujours liés aux projets des
élèves. Aujourd’hui la majorité des besoins sont liés au secteur de
l’accueil et l’accompagnement des personnes âgées. Ils sont moins
importants pour des services dit de « courts séjours » (médecine ou
chirurgie) d’autant plus que l’on sait que les directives ministérielles
vont dans le sens d’une diminution de l’offre de soin avec pour objectif
de diminuer les coûts de la santé en France. Ces directives font
envisager la diminution ou la restructuration des services de courts
séjours. Dans le département où nous exerçons, nous avons ainsi vu le
regroupement d’hôpitaux périphériques pour diminuer le nombre de lits
de chirurgie. Ceci est confirmé par le placement des élèves à la sortie
de l’école, la majorité d’entre elles est embauché dans le domaine de la
gériatrie.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
165
Cette description de ce qui est attendu rejoint un des principes
pédagogiques annoncés qui est le suivi basé sur l’accompagnement et
le développement personnel de l’élève en vue d’une meilleure
intégration des connaissances par celui-ci. Ce qui est ainsi prescrit
rejoint les principes de la validation des acquis de l’expérience. C’est
l’individu qui est responsable de sa formation, comme il est responsable
de la présentation de son expérience.
2.2.3. Le référentiel d’évaluation
Si nous continuons l’analyse du référentiel de formation le
chapitre trois définit les dispositions spécifiques pour la validation des
candidats préparant le DPAS par la voie de la VAE. Ce chapitre signe
le fait que la mise en œuvre de la VAE entraîne une redéfinition du
processus de validation de la formation initiale afin qu’il y ait une
concordance entre les deux moyens d’accès au diplôme. Et pour
assurer cette corrélation, le processus de validation de la formation
initiale contient et associe les exigences du processus de la validation
des acquis de l’expérience à sa définition. Cette association témoigne
du souci de donner une valeur identique au diplôme qu’il soit acquis par
VAE ou à la suite d’une formation.
Pour cibler l’évaluation, il est précisé dans ces dispositions que
les apprentissages doivent être centrés sur la ou les compétences à
valider et la validation doit cibler des critères spécifiques à la maîtrise
de la compétence. Dans l’arrêté de 1994 les trois mises en situation
professionnelle devaient évaluer les capacités de l’élève, compte tenu
du stade de la formation auquel elle était parvenue, à participer à la
démarche de soins et à réaliser un soin. La notion de prise en charge
globale et la complexité de l’action de soigner pouvaient être évaluées.
Avec les nouvelles dispositions cette notion de globalité n’apparaît pas,
l’évaluation est centrée sur des critères liés à la maîtrise d’une
compétence et non pas à la maîtrise de la complexité de l’acte de
soigner. Cela risquera de participer à une dérive technicienne du
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
166
métier, donc à une dévalorisation, pour ne pas dire une déqualification.
D’autant plus que dans cette description de l’évaluation n’apparaît plus
la place de la démarche de soins qui fait partie du soin lui-même, dans
le sens où elle permet d’individualiser et de donner du sens au soin
dispensé. Cette démarche de soin nécessite une vision globale et une
conceptualisation et ne peut être réduite à une seule compétence.
Pour l’instant nous n’avons pas d’informations plus précises sur
le référentiel d’évaluation car il est encore en cours d’approbation et le
ministère n’a pas légiféré à son encontre, le texte final est attendu pour
juillet 2005. Dans les premiers éléments que nous détenons nous
voyons les risques d’une déqualification liée à ce morcellement de la
validation par compétence. La modularisation de cette formation par
laquelle on revisite l’évaluation pour l’adapter à la VAE risque de
provoquer des dérives réductrices de la qualité du métier d’aidesoignante.
Lors d’une réunion des directeurs et formateurs d’écoles d’aidesoignant en mars 2005, un autre risque a été évoqué par le médecin
inspecteur de DDASS animateur de cette réunion, qui était de revenir à
un diplôme d’école puisqu’il n’y aurait plus d’épreuve finale validant la
formation. Ce constat est à mettre en lien avec la validation par module
mise en place pour rejoindre la démarche de validation liée à la VAE.
La question de ce médecin était : « qu’elle tutelle sera garante de la
validation ? » puisqu’il n’y aura pas de diplôme organisé par ces tutelles
(DDASS et DRASS).
3 - Conclusion
Reconnaître l’expérience dans un processus de qualification est
toute la question soulevée par la VAE. Ce métier, au début de son
histoire, s’exerçait sans titre et sans formation académique. Il était
proche des servants des anciens hospices. En reconnaissant que
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
167
l’expérience puisse permettre une validation donc une qualification
n’est-ce pas renvoyer ce métier à ses origines et à une certaine
représentation de non qualification ou en quelque sorte n’est-ce pas le
déqualifier ? Au niveau collectif la VAE n’agit pas en faveur d’une
reconnaissance du métier. D’autant plus si le parcours professionnel ne
s’est fait que dans un seul type de services de soins. On risque alors
d’avoir des personnes détentrices d’un titre appauvri de la diversité
d’expériences que procure le parcours de formation initiale. Comme ce
titre concerne tous les lieux d’exercice du métier d’aide-soignante c’est
une façon de le dévaloriser et cela risque de participer à une
déqualification du métier au niveau collectif.
D’un autre côté ne serait-ce pas reconnaître que ce public qui
maîtrise peu ou mal l’écrit ou qui a été obligé pour de multiples raisons
de travailler et n’a pas pu accéder à une formation initiale, a acquis de
l’expérience sur laquelle il est capable d’avoir une attitude réflexive. Il
serait capable d’expliciter sa qualification ce qui participe ainsi à une
forme de reconnaissance. Dans ce sens la VAE est favorable au niveau
individuel à une reconnaissance puisqu’elle permet l’obtention d’un
diplôme à des personnes qui n’auraient pu l’obtenir autrement ou qui ne
voulaient pas repasser par le système de formation.
Ceci met en exergue comment l’expérience peut permettre de
valoriser des individus ou participer à une déqualification suivant l’angle
d’approche. On ne peut pas détacher la VAE de l’histoire de ce métier
mais on ne peut pas non plus ignorer que l’expérience est génératrice
de savoirs. Ce seront bien les différents acteurs de cette mise en
œuvre de la VAE qui participeront à la valeur donnée au diplôme
obtenu par VAE ou à la suite d’une formation initiale. Nous voyons
comment les trajectoires différentes de ces acteurs influeront sur la
représentation de cette valeur. Des acteurs ayant exercé pendant une
longue carrière et ayant des compétences reconnues par leurs pairs et
par leur hiérarchie trouveront que cette expérience donne valeur à leur
diplôme si elle est reconnue par un jury. Ceci d’autant plus s’ils ont
réussi à dépasser la difficulté de l’écrit qui consiste à remplir le livret de
présentation de son expérience. Cette reconnaissance sera une auto -
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
168
attribution individuelle. L’obtention du diplôme valorisera les années de
pratiques professionnelles et confirmera les acquis de cette expérience.
Cette auto-reconnaissance sera confirmée par une reconnaissance
légale en ce sens que le diplôme a une valeur juridique et économique.
Mais qu’en sera-t-il de sa valeur sociale ? Qu’en sera-t-il des rapports
entre diplômées par formation initiale et par VAE ? Ne risque t-on pas
de voir une sous classe d’aide-soignante apparaître au détriment du
métier en général. Pour l’instant il est trop tôt pour le dire puisque le
dispositif n’a pas encore été expérimenté. Mais ce qui ressort des
différentes analyses ne va pas dans le sens d’une valorisation
collective.
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
169
Conclusion générale
Les aides-soignantes :
public « privilégié » de la VAE ?
Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005
170
Nous avons vu dans la première partie de ce travail en quoi les
aides-soignantes sont le personnel invisible de l’hôpital et comment
elles ont hérité des tâches les moins nobles que les infirmières leur
déléguaient. L’histoire du statut d’aide-soignante a contribué à produire
un statut bâtard entre le déclassement lié à l’institution du grade
(déclassement de l’infirmière) et l’assimilation facile au statut d’ASH
(agent des services hospitaliers). Les besoins de fonctionnement des
institutions de soins et les différentes pratiques des acteurs ont
contribué à faire exister ce grade qui devait être provisoire. Les
conditions formelles de l’exercice du métier sont traduites par des
arrêtés qui définissent les tâches et les limites d’exercice. Ces arrêtés
inscrivent le métier dans un statut qui l’intègre à l’ensemble des
personnels de soins tout en le maintenant proche des agents des
services hospitaliers. Le rappel des limites de compétences de ce
métier est inscrit dans les textes de loi et le situe sous le contrôle et la
responsabilité de l’infirmière avec laquelle il ne doit pas y avoir de
confusion.
Dans la deuxième partie nous avons montré que la formation
avait permis à ce métier de s’engager sur la voie de la reconnaissance,
et qu’elle avait participé à une certaine légitimation sociale tout en
modulant nos propos. En effet, la valeur que ces aides-soignantes
attribuent à leur formation, leur diplôme puis leur poste, dépend des
interactions soit positives, soit conflictuelles entre leur auto-attribution
de reconnaissance et celle qu’autrui leur accorde ou pas.
C’est aussi un métier dont le titre n’est pas protégé, ce qui fait
que l’exercice de la fonction d’aide-soignante n’est pas soumis à la
condition obligatoire de détenir le diplôme, comme ceci est le cas pour
les infirmières. Cela permet à des agents des services hospitaliers de
tenir lieu d’aide-soignante sous la dénomination de « faisant-fonction ».
Il ne faut pas oublier que cette formation est la plus courte des
formations paramédicales. Cette formation se distingue de celle des
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171
infirmières « qui assurent et contrôlent elles-mêmes leur formation »,162
puisque les aides-soignantes ne sont sollicitées que pour l’encadrement
des élèves pendant les stages.
Jusqu’à la mise en œuvre de la VAE le diplôme d’aide-soignante
était le garant d’une compétence professionnelle acquise
par la
formation initiale. La VAE introduit une nouvelle approche de la
compétence qui se développe à partir de l’expérience et qui va être
validée par le processus de validation des acquis. Il y aura ainsi deux
voies possible d’accès au DPAS : celle de la formation initiale et celle
de la VAE.
La VAE ne risque t-elle pas de participer à la formation d’un
nouveau statut, celui des aides-soignantes certifiées par une voie
parallèle à la voie de la formation initiale ? Sera-t-il accordé une
équivalence à ces deux voies de certification ? L’histoire ne se
reproduira-t-elle pas ? En effet le grade d’aide-soignante a été crée
pour les « faisant-fonction » d’infirmières qui n’arrivaient pas à passer le
concours d’état et dont l’institution hospitalière avaient besoin. La
situation actuelle semble analogue : les besoins en personnel aidesoignant sont importants, de nombreuses « faisant-fonction » assurent
le travail relevant du métier d’aide-soignante et un certains nombre
d’entre elles ne parviennent pas à entrer à l’école ou ne le souhaitent
pas pour diverses raisons. La VAE risque de générer une répétition de
cette histoire et crée un sous-grade dans ce métier peu visible et peu
reconnu.
La certification des connaissances pour l’obtention du DPAS est
basée sur la reconnaissance de qualités féminines, qualités a priori
primordiales pour l’exercice du métier. Les qualités féminines
deviennent des qualifications. Le savoir-être, qualité dite « naturelle »
devient une condition à l’exercice du métier. Dans le référentiel du
module obligatoire une première formulation avait été la suivante :
« développer ses aptitudes relationnelles afin de prendre soin de la
162
A.-M. Arborio, Un personnel invisible, les aides-soignantes à l’hôpital, Paris, éd
Anthropos, 2001, p. 71
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172
personne.» Cette formulation a été revue et énoncée de façon plus
neutre : « renforcer ses connaissances dans la spécificité de la fonction
aide-soignante lors de la prise en charge d’une personne». La VAE
participe à l’instrumentalisation des qualités féminines pour occuper ce
métier. Si les qualités féminines deviennent des qualifications pour les
femmes, elles participent à une déqualification du métier, au sens où
elles reconnaissent des qualités subjectives et non des compétences
professionnelles. Le métier n’est pas déqualifié parce qu’il est exercé
par des femmes en majorité, mais la déqualification réside dans la
reconnaissance de qualités subjectives et sexuées. D’autant plus que
l’activité justifiant des compétences pour le DPAS doit être en rapport
direct avec le diplôme : ces activité identifiées par le texte législatif sont
celles reconnues comme éminemment féminines (toilette, habillage,
prise des repas, élimination, déplacement).
Dans ce travail nous avons essayé de discerner ce qui dans ce
dispositif irait dans le sens d’une nouvelle relégation de ce métier, qui
ferait qu’effectivement ce public est un public «privilégié» face à ce
dispositif. Privilège de la relégation, privilège de bénéficier d’une
formation « du pauvre ». La valeur sociale que l’individu accorde ou
pas à son diplôme, à sa place dans la hiérarchie et à sa fonction est le
résultat d’interactions entre l’individu et les éléments du contexte dans
lequel il se trouve. Le contexte du secteur de la santé accorde peu de
visibilité à ce métier ce qui rend sa reconnaissance difficile. La VAE ne
risque t-elle pas de maintenir ce public relégué en en faisant un public
privilégié pour ce dispositif ?
De même la VAE s’inscrit dans l’interaction du domaine de la
formation des paramédicaux et de la culture soignante, elle même
héritière d’une histoire manifestée dans la division du travail à l’hôpital.
Elle s’inscrit aussi dans les évolutions du contexte général qui garantit
de plus en plus la primauté de l’individu sur le collectif.
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173
Pour ce métier d’aide-soignante nous voyons les injonctions
paradoxales auxquelles devront faire face les individus qui deviennent
autonomes et responsables de leur certification, donc de leur
employabilité sans pour autant que la hiérarchie hospitalière soit prête à
changer ses habitudes et reconnaisse à ce métier une réelle
autonomie. Pour dépasser cette situation il faudrait permettre à ce
public de s’emparer de son histoire mais aussi des ses créations, pour
qu’il puisse les mettre en lumière.
Nous pouvons terminer en disant que la VAE va permettre à des
individus de s’octroyer une reconnaissance en accédant à une
certification. En effet toute histoire est une histoire personnelle, faite de
rencontres, de sociabilités, d’expériences propres. La trajectoire de
l’aide-soignante et son milieu social d’origine lui fourniront des capitaux
et la possibilité ou pas de se créer une représentation du métier et une
reconnaissance propre.
Mais cette reconnaissance pour soi nécessite la reconnaissance
pour et par autrui. La force de rappel d’un cadre social contraignant
oriente
l’histoire
personnelle.
Les
collègues,
les
supérieurs
hiérarchiques, l’institution sont autant de partenaires qui peuvent tout
autant confirmer que désapprouver cette reconnaissance constituée et
voulue. Si certains contribuent à former cette visibilité, donc cette
reconnaissance, d’autres participent à rendre cette catégorie de
personnel peu visible donc non reconnue. La VAE permettra t-elle de
rendre visible cette catégorie professionnelle et lui permettra t-elle
d’accéder à une reconnaissance en terme de métier ? Nous ne
pouvons répondre à cette question puisque le dispositif n’a pas encore
été appliqué mais nous doutons que cette catégorie puisse accéder à
une réelle reconnaissance dans le contexte de l’hôpital actuel.
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