Chien Épanchement péricardique

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Chien Épanchement péricardique
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Chien
CAS CLINIQUE
Épanchement péricardique
Traitement par péricardectomie thoracoscopique
Nous présentons ici le cas d’un chien souffrant d’un épanchement péricardique. Plutôt qu’une thoracotomie, un
abord peu invasif par thoracoscopie a été préféré. Cet examen permet d’éviter certaines complications de la
thoracotomie. Il a permis le prélèvement de biopsies sur une masse cardiaque à l’origine de cet épanchement.
Un bulldog anglais de 6 ans et 9 mois est présenté chez son
vétérinaire pour léthargie depuis une semaine et dilatation
de l’abdomen accompagnées de difficultés respiratoires
depuis 2 jours.
Bilan anamnestico-clinique
Épanchement abdominal chez un bulldog anglais de 6 ans
présentant des troubles respiratoires depuis 2 jours et
une intolérance à l’effort depuis une semaine.
À l’examen général, l’animal est en dyspnée inspiratoire, et l’abdomen est dilaté avec un signe du flot positif. L’auscultation cardiorespiratoire révèle des bruits
respiratoires augmentés sans autre anomalie ainsi que
des bruits cardiaques diminués.
Léa Rebsamen
Docteur vétérinaire
CHV des Cordeliers
29 avenue du Maréchal Joffre
77100 MEAUX
Diagnostic
À ce stade le diagnostic différentiel de l’épanchement
abdominal est donc le suivant :
Une ponction abdominale permet d’observer un liquide
séro-hémorragique envoyé pour analyse cytologique. La
densité inférieure à 1,025, la couleur séro-hémorragique,
avec une cellularité de 5500/mm3 et une concentration
en protéines de 30 g/l sont compatibles avec un transsudat modifié. Une ponction de l’épanchement péricardique
est également réalisée en urgence.
Transsudat modifié
Augmentation de la pression hydrostatique :
• Hypertension post-sinusoïdale : insuffisance cardiaque
droite ou insuffisance cardiaque globale
• Hypertension pré-sinusoïdale : anomalies de la veine
porte et ramifications
• Hypertension hépatique : cirrhose, hépatite…
Des radiographies sont effectuées montrant une silhouette
cardiaque globoïde et de taille très augmentée (photos 1 et
2). Le champ pulmonaire, quant à lui, était d’opacité
aérique sans anomalies notables.
L’animal présente par ailleurs une auscultation cardiaque
anormalement assourdie et des radiographies thoraciques
montrant une silhouette cardiaque globoïde. De plus
l’épanchement abdominal est un transsudat modifié. Ces
observations nous orientent en première intention vers une
origine cardiaque de l’épanchement. Un examen échocardiographique est réalisé (photos 3, 4, 5).
1
© Léa Rebsamen
Éric Bomassi
Docteur vétérinaire
CHV des Cordeliers
29 avenue du Maréchal Joffre
77100 MEAUX
http://chvcordeliers.com
© Léa Rebsamen
Radiographie thoracique de profil.
3
Stéphane Libermann
Docteur vétérinaire
CHV des Cordeliers
29 avenue du Maréchal Joffre
77100 MEAUX
2
Radiographie thoracique de face, silhouette cardiaque globoïde.
© Léa Rebsamen
Épanchement péricardique résiduel visible en mode TM.
Il révèle un épanchement péricardique sans tamponnade
puisqu’une ponction avait été réalisée avant l’examen.
Une quantité résiduelle d’épanchement péricardique est
visible. Il semble qu’une masse soit présente au niveau
de l’épicarde atrial et ventriculaire droit mais il n’est pas
possible de la localiser avec certitude.
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Chien
CAS CLINIQUE
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© Léa Rebsamen
transdiaphragmatique est utilisé. Une porte optique de
5 mm est mise en place par voie transdiaphragmatique
à droite du processus xyphoïde. Puis 3 ports sont placés
par abord intercostal au niveau du 6e espace intercostal
à gauche et à droite ainsi qu’au niveau du 9e espace intercostal à gauche (photo 6).
© Léa Rebsamen
Épanchement péricardique résiduel sur une coupe petit axe trans-aortique par voie
parasternale droite.
6
Suspicion de masse cardiaque à l’examen échocardiographique.
Ces observations amènent à une suspicion d’origine néoplasique de l’épanchement.
Une échographie abdominale est réalisée pour effectuer
un bilan d’extension ne mettant pas en évidence de masse
individualisée sur les organes parenchymateux. En
revanche, les ganglions spléniques et hépatiques sont
hypertrophiés, homogènes, possiblement réactionnels.
Au vu des résultats, ne permettant pas d’aboutir à un diagnostic de certitude d’une origine tumorale de l’épanchement ou d’exclure une origine idiopathique de bien meilleur pronostic pour l’animal, il est décidé d’effectuer une
péricardioscopie. En effet, cet examen mini-invasif nous
permettra de visualiser directement le péricarde, d’effectuer
des prélèvements histologiques et enfin de réaliser une péricardectomie afin d’éviter les récidives d’épanchement.
Des ciseaux endoscopiques et un ligasure sont mis en
place dans chaque hémithorax pour permettre la section et
l’électrocoagulation du médiastin. Un forceps est ensuite
introduit dans la porte instrumentale droite. Il permet la
préhension de la portion ventrale du péricarde. Ce dernier est incisé et un lambeau de 5 cm par 5 cm est sectionné
afin d’aménager une fenêtre de drainage péricardique
(photos 7, 8, 9).
© Léa Rebsamen
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© Léa Rebsamen
Mise en place des canaux optiques et instrumentaux, triangulation.
7
Section d’un lambeau péricardique.
Un cathéter intraveineux est placé sur l’animal qui est prémédiqué à l’aide de morphine (0,2 mg/kg) et de midazolam (0,1 mg/kg). L’anesthésie est induite à l’aide de
propofol (dose à effet). Puis un relais gazeux à l’isoflurane est utilisé. Une ventilation assistée est mise en place
ainsi qu’un monitoring de la fréquence respiratoire et cardiaque. Le thorax est tondu et préparé chirurgicalement
sur toute sa circonférence afin de permettre une conversion vers une thoracotomie si nécessaire. Le chien est
alors placé en décubitus dorsal et un abord paraxyphoïde
© Léa Rebsamen
Traitement
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Rétraction du péricarde pour favoriser la visualisation de l’auricule droit.
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© Léa Rebsamen
Deux tentatives de résection après introduction à la base
de la masse d’une pince endoGIA (030449) se sont soldées par un échec (photo 12). La masse est retirée superficiellement. Des biopsies de la séreuse1 et du feuillet
viscéral1 péricardiques sont réalisées.
Les voies d’abord sont refermées de manière usuelle.
Un drain d’aspiration intrathoracique est mis en place pour
aspirer le fluide en post opératoire.
Résultats et évolution
Visualisation de la fenêtre péricardique.
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© Léa Rebsamen
Le bord antérieur de la fenêtre est ensuite saisi, l’optique
est introduite dans l’espace péricardique. La péricardioscopie permet de visualiser une masse circonscrite à l’apex
de l’auricule droit non pédiculée, lisse, non hémorragique (photos 10 et 11).
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© Léa Rebsamen
Visualisation de la masse cardiaque.
Manipulation de la masse auriculaire.
Les résultats de l’analyse histologique des prélèvements
péricardique révèlent des lésions de péricardite chronique
avec persistance de phénomènes inflammatoires aigus. Une
inflammation chronique du feuillet viscéral du péricarde au
niveau auriculaire est suspectée. L’histologie de la masse
ne montre pas de fibres myocardiques mais un tissu
conjonctivo-adipeux. Il y a une absence de lésions prolifératives suspectes malgré la présence d’une masse à
l’échocardiographie et à la scopie.
Suite à l’opération le chien est hospitalisé en soins intensifs pour drainage du liquide résiduel dans le thorax, monitoring (électrocardiogramme, pression et fréquence cardiaque) et gestion de la douleur ainsi que de l’inflammation.
Afin de gérer la douleur postopératoire, le patient reçoit une
injection intramusculaire de kétamine (4 mg/kg) et une
injection de carprofène (0,8 mg/kg) à sa sortie du bloc
puis reçoit une perfusion de Ringer lactate et de kétamine
(4 mg/kg/h). Durant la première nuit d’hospitalisation un
sevrage en kétamine est réalisé et relayé par des injections
de morphine toutes les 4 h. Le drain est ponctionné toutes
les heures dans la journée suivant la chirurgie puis toutes les
4 h durant la nuit afin de noter la quantité d’air et de liquide
aspirés. Le matin suivant la chirurgie, le chien est alerte, normotherme et mange correctement, son auscultation cardiorespiratoire est normale. Le drain ne produisant plus, il
est alors retiré. L’animal est gardé une journée supplémentaire en hospitalisation afin de le réalimenter et de
vérifier sa stabilité avant de le rendre à son propriétaire.
Un traitement à base de tramadol (100 mg matin et soir pendant 5 jours soit 3 mg/kg matin et soir) et carprofène (25
mg une fois par jour pendant une semaine soit 0,8 mg/kg)
est installé en sortie d’hospitalisation. Un contrôle de la
fonction cardiorespiratoire est prévu 5 jours plus tard chez
le vétérinaire traitant et le retrait des points 15 jours plus tard.
Après trois mois postopératoire, le propriétaire affirme que
le chien a retrouvé une bonne forme, ainsi que son appétit. À l’échocardiographie de contrôle, le chien ne présente
pas de signe de récidive de l’épanchement.
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Mise en place d’une pince endoGIA. Tentative de résection en bloc de la masse.
© Léa Rebsamen
Discussion
Quelles méthodes diagnostiques pour évaluer si la
masse observée est néoplasique ou non ? Qui croire
de l’histologie ou de l’échocardiographie complémentée de la thoracoscopie quant au diagnostic final ?
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CAS CLINIQUE
L’épanchement péricardique est défini comme une accumulation anormale de liquide dans le sac péricardique.
Il n’y a pas de prédisposition de sexe mais il s’agit bien
souvent de chiens de races de grand format et d’âge moyen
de 9,6 ans (écart de 1,2 à 15,2 ans)1. Dans notre cas le chien
est de grande taille (bulldog anglais) et son âge correspond
aux données de la littérature.
La symptomatologie peut différer d’un individu à l’autre
et comprend entre autres : léthargie (75 %), ascite (69 %),
dyspnée (55 %), anorexie (53 %), syncope (24 %), toux (20 %)1.
Ces données sont en accord avec les signes cliniques observés dans notre cas puisque le chien présentait les trois signes
cliniques les plus rencontrés : léthargie, ascite et dyspnée.
Les examens complémentaires à notre disposition en première intention sont l’échocardiographie et la cytologie.
L’échocardiographie est un examen non invasif essentiel
afin de confirmer la présence d’un épanchement et son importance (présence d’une tamponnade), d’évaluer l’existence de
masses cardiaques ou de déterminer la présence d’une insuffisance cardiaque concomitante. L’une des limites est la
difficulté à localiser parfaitement la masse et à déterminer
sa nature. L’échocardiographie n’apporte qu’une orientation sur la cause de l’épanchement sans valeur prédictive.
En effet, il existe des cas où la masse observée à l’échocardiographie s’avère ne pas être un hémangiosarcome, bien que
celui-ci soit la tumeur la plus fréquente. Il ne faut donc pas
condamner systématiquement l’animal sur ce simple examen.
Bibliographie
1. J. Brad Case, Mac
Maxwell, Anna Aman, Eric
L. Monnet. Outcome evaluation of a thoracoscopic
pericardial window procedure or subtotal pericardectomy via thoracotomy for
the treatment of pericardial
effusion in dogs, JAVMA
2013 ; 242:493-498.
2. Shaw SP et Rush JE
(2007). Canine pericardial
effusion : Diagnosis, treatment and prognosis. Comp
Cont Educ Pract 29 : 405-11.
3. Jackson J et coll. (1999).
Thoracoscopic partial pericardectomy in 13 dogs. J
Vet Intern Med 13 : 529-33.
4. Kristin A. MacDonald,
Orla Cagney, Michael L.
Magne. Echocardiographic
and clinicopathologic characterization of pericardial
effusion in dogs:107 cases
(1985–2006), JAVMA 2009;
235 :1456-1461.
La cytologie suite à une ponction de l’épanchement est
aussi possible. Elle permet de caractériser la nature de
l’épanchement. Cependant, la cytologie possède une mauvaise sensibilité et spécificité. Il y a de nombreux faux
positifs concernant les mésothéliomes.
Les causes de l’épanchement chez le chien sont néoplasiques à 57 % (33 % hémangiosarcome, 12 % chémodectome, 12 % autres : mésothéliome, métastases…), idiopathiques à 19 %, d’origine cardiaque à 14 %, traumatiques
à 5 % et infectieuses à 2,5 %. Les chiens de race de grand
format sont plus sujets aux épanchements idiopathiques.
Les pronostics sans traitement sont très différents selon
les causes d’épanchement péricardique :
Cause
Pronostic
Idiopathique
Néoplasique
Excellent : 790 à 1068 jours de survie
Mauvais : 29 à 56 jours de survie
Après traitement chirurgical, les pronostics sont meilleurs :
Cause
Pronostic
Idiopathique
Néoplasique
Excellent : 72 % de survie à 18 mois
Chémodectome : 661 jours de survie
Mésothéliome : 400 jours de survie
Hémangiosarcome : 90 jours de survie
Il est donc nécessaire d’obtenir un diagnostic de certitude de l’épanchement afin de ne pas condamner à tort
un animal.
Deux méthodes de traitements sont possibles :
médical ou chirurgical
Le traitement des épanchements péricardiques doit
être médical avant d’être chirurgical : la ponction de
la plus grande quantité possible de liquide permet de
supprimer la tamponnade, elle répond au besoin urgent
de redonner une amplitude normale aux mouvements
du myocarde.
Les indications chirurgicales concernent les chémodectomes, les mésothéliomes (survie moyenne de 129 jours
après traitement médical contre 661 jours après péricardectomie)1 et les récidives d’épanchements idiopathiques.
Dans ce dernier cas, une nouvelle ponction est peu indiquée en raison du risque d’évolution vers une fibrose du
péricarde qui altère le pronostic postopératoire. La gestion
chirurgicale permet alors d’obtenir une survie de 72 % à
18 mois2. Dans notre cas, la chirurgie a été immédiatement
envisagée puisqu’elle nous permettait à la fois un bilan
lésionnel de qualité et un traitement chirurgical à faible
morbidité. L’échocardiographie ne permettait pas de trancher sur la nature de la masse.
Le traitement chirurgical peut se faire par thoracoscopie
ou par thoracotomie. La scopie est la méthode que nous
avons employée car elle est mini-invasive, moins douloureuse en postopératoire, et permet une très bonne visualisation du péricarde. La vidéo chirurgie est bien adaptée à la réalisation d’une fenêtre péricardique permettant
le drainage thoracique du liquide d’épanchement. Dans ce
cas, la résection n’a pas besoin, comme en chirurgie
conventionnelle, d’être subtotale, l’ablation d’une fenêtre
de 5 cm suffisant3. La limite de la scopie par rapport à la
thoracotomie réside dans le fait qu’il n’est pas possible
de visionner directement le cœur.
L’analyse histologique permet d’obtenir un diagnostic
de certitude sur la nature de l’épanchement. Étant donné
les différences de pronostic entre un hémangiosarcome
et une péricardite, elle présente un vrai intérêt. Une étude
de 2013 montre un résultat similaire : deux des 31 masses
cardiaques observées à l’échocardiographie ne présentent
pas de cellules néoplasiques1. Pour ces cas, une péricardite idiopathique est identifiée, expliquant l’épanchement.
Dans une autre étude, quatre des masses atriales droite
observées sont des mésothéliomes4.
Ce cas clinique est donc une illustration de mise en évidence d’une masse cardiaque à l’échocardiographie et
à la scopie qui ne semble pas être de nature tumorale à
l’histologie. Seule la péricardite en regard de la masse
permet d’expliquer l’épanchement observé, d’origine
idiopathique. n
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