la responsabilite des dirigeants sociaux

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la responsabilite des dirigeants sociaux
LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS
SOCIAUX
Ahmed OMRANE
Doyen de la Faculté de
droit de Sfax
Le problème des responsabilités encourues par les dirigeants des
sociétés commerciales constitue un sujet séculaire et toujours renouvelé.
Il n’est aujourd’hui personne qui, ayant subi un dommage, ne cherche à
en obtenir réparation 1, et le phénomène s’est considérablement accru par
l’extraordinaire mutation que vit le monde économique et qui secoue les
entreprises. Constituant ordinairement la contrepartie du pouvoir 2 , la
responsabilité qui pèse sur les dirigeants sociaux est a priori d’autant plus
lourde qu’ils sont investis de pouvoirs étendus, que la notion de risque,
fondement probable de la responsabilité, est consacrée par notre
législateur en la forme d’un principe général de droit 3, en même temps
que la fonction punitive de la responsabilité 4. Il convient néanmoins,
1
2
3
4
Le droit de la victime à obtenir une indemnisation équitable constitue un principe
universel, consacré notamment par les articles 82 et 83 du code des obligations et
des contrats et 1382 et 1384 du code civil français. La jurisprudence française, par
une décision du Conseil constitutionnel du 22 octobre 1982 (D. 1983, p. 189 note
LUCHAIRE) a consacré ce principe en rappelant de chacun doit répondre du
dommage qu’il cause à autrui et que le droit français ne connaît aucun régime
soustrayant à toute réparation du dommage résultant d’une faute civile. Le Conseil
constitutionnel français a consacré le même principe dans son arrêt du 9 novembre
1999 (D. 1999, p. 398) affirmant que l’article 1388 du code civil français traduit
une exigence constitutionnelle, et précisant que « l’affirmation de la faculté d’agir
en responsabilité met en œuvre l’exigence constitutionnelle posée par l’article 4 de
la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dont il résulte que tout
fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la
faute duquel il est arrivé à le réparer ».
Les pouvoirs des dirigeants sociaux se distinguent en pouvoirs externes consistant
à représenter la société par la signature sociale notamment, et en pouvoirs internes
consistant à décider ou agir en toutes circonstances. C. Ducouloux-Favard, Droit
pénal des affaires, p. 87 et 88.
Aux termes de l’article 554 du code des obligations et des contrats, « celui qui a les
avantages a les charges et les risques ». Ce texte permet à la jurisprudence de
donner à la jurisprudence un domaine assez vaste.
C’est ainsi qu’en matière contractuelle, l’article 278 du code des obligations et des
contrats dispose que « l’appréciation des circonstances spéciales de chaque espèce
247
non seulement de ne pas décourager les initiatives par des sanctions
excessives, mais aussi de ne pas oublier que le dirigeant n’agit pas pour
lui-même mais pour le compte d’une société dont il n’est pas toujours le
maître.
Le dirigeant est tout d’abord menacé d’une responsabilité
fiscale 5 : il peut être tenu solidairement responsable du paiement des
impositions et des pénalités dues par la société s’il en a rendu le
recouvrement impossible par des manœuvres frauduleuses ou par
l’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales.
Le dirigeant encourt également, dans de nombreuses hypothèses,
une responsabilité pénale. D’abord, diverses infractions spéciales sont
prévues, à la charge des dirigeants de sociétés à responsabilité limitée et
de sociétés par actions, par les textes propres à ces deux types de
sociétés : abus des biens sociaux, présentation de comptes inexacts,
distribution de dividendes fictifs 6. Ensuite, les gérants et les directeurs
5
6
est remise à la prudence du tribunal ; il devra évaluer différemment la mesure des
dommages intérêts selon qu’il s’agit de la faute du débiteur ou de son dol ». Cette
disposition, qui n’a pas son équivalent en droit français, consacre le pouvoir
modérateur ou aggravateur du juge selon qu’il s’agit d’une faute légère ou d’une
faute extrêmement grave. Le droit tunisien se rapproche ainsi des droits américain,
canadien et québécois qui connaissent ce qu’on appelle les dommages intérêts
punitifs, et qui s’apprécient en tenant compte de toutes les circonstances
appropriées, notamment la gravité de la faute du débiteur, sa situation patrimoniale
et l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier.
Salah REZGUI, Les infractions fiscales commises par les dirigeants de sociétés,
R.T.D. 1995, p. 235 et suivantes.
L’incrimination de la distribution des dividendes fictifs était consacrée
expressément par le code de commerce dans ses articles 86 pour la société anonyme
et 169 pour la société à responsabilité limitée. Or, si le code des sociétés
commerciales a maintenu le délit de distribution des dividendes fictifs pour la
société anonyme dans ses articles 223-1 et 257, il ne l’a pas fait pour la société à
responsabilité limitée, ce qui peut être analysé comme une dépénalisation de la
distribution de dividendes fictifs pour ce type de société, compte tenu du principe
de la légalité des délits et des peines. Plus précisément, le délit de distribution de
dividendes fictifs s’applique à la société anonyme et à la société en commandite par
actions (article 391 du code des sociétés commerciales) et ne s’applique pas aux
sociétés de personnes et à la société à responsabilité limitée. Concernant la société
anonyme à directoire et à conseil de surveillance, l’article 234 du code des sociétés
commerciales dispose que « lorsque la société est soumise aux dispositions des
248
généraux sont, en tant qu’ils incarnent le chef d’entreprise 7, exposés à
répondre pénalement d’un certain nombre d’infractions, notamment en
matière d’hygiène et de sécurité du travail. Enfin, lorsque la société fait
l’objet d’une procédure collective, ses dirigeants de droit ou de fait
peuvent, s’ils ont commis certaines fautes énumérées par les textes, être
frappés des peines de la banqueroute.
Le dirigeant encourt généralement une responsabilité civile
fondée, selon le cas, soit sur les règles du droit commun du code des
7
articles 225 à 259, les membres du directoire seront soumis aux mêmes
responsabilités que les membres du conseil d’administration dans les conditions
prévues par les articles 202, 207, 214 et 220 du présent code ». Cet article ne
renvoie pas aux articles 222 et 223 du code des sociétés commerciales. Faut-il en
déduire que les membres du directoire ne sont pas pénalement responsables ? Il est
permis d’hésiter pour deux raisons au moins. D’une part, le fait que l’article 223 du
code des sociétés commerciales ne soit pas applicable aux membres du directoire
ne peut être considéré comme un état d’impunité ou d’immunité, dans la mesure où
ces dirigeants de droit peuvent être sanctionnés pour des infractions de droit
commun, et notamment pour escroquerie ou pour abus de confiance, si les éléments
de ces délits sont réunis. D’autre part, l’article 257 du code des sociétés
commerciales semble contredire l’article 234 du même code en disposant que « les
sanctions prévues dans le présent code pour le président directeur général et les
membres du conseil d’administration, chacun selon ses attributions spéciales,
s’appliquent aux membres du directoire et aux membres du conseil de surveillance
des sociétés anonymes soumises aux dispositions des articles 224 à 256 du présent
code ».
La détermination de l’auteur de l’infraction d’affaires n’est pas facile pour deux
raisons au moins. D’une part, les dispositions du droit pénal des affaires figurent
souvent à la fin des lois spéciales, et sont rédigées de telle manière qu’il devient
difficile non seulement de déterminer les comportements incriminés, mais aussi et
surtout de désigner le ou les responsables de l’infraction. D’autre part, la recherche
d’un responsable s’effectuant généralement dans une entreprise, les problèmes
posés par l’imputation des infractions en droit pénal des affaires sont
particulièrement complexes. En effet, si le législateur fait de l’employeur le
débiteur de l’obligation de respecter les dispositions légales et réglementaires, la
jurisprudence a désigne le chef d’entreprise comme le responsable principal de
l’inobservation de ces dispositions. Cette solution s’explique par l’exigence de
surmonter l’obstacle du principe de l’irresponsabilité pénale des personnes morales
consacré encore en droit tunisien. Or, le chef d’entreprise est celui qui exerce la
direction effective de l’entreprise et qui assure, par conséquent, le pouvoir de
commandement nécessaire pour appliquer et faire appliquer la législation
économique. Ce chef d’entreprise peut être soit un dirigeant de droit, soit un
dirigeant de fait.
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obligations et des contrats 8 , soit, lorsqu’ils existent, sur les textes
spéciaux relatifs à certaines sociétés. C’est ainsi que l’article 117 du code
des sociétés commerciales, applicable à la société à responsabilité
limitée, et reprenant l’article 160 du code de commerce de 1959 9, dispose
que « le ou les gérants sont responsables individuellement ou
solidairement 10 selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des
infractions aux dispositions légales applicables aux sociétés à
responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes
commises dans leur gestion. Si les faits générateurs de responsabilité
sont l’œuvre de plusieurs gérants, le tribunal détermine la part
contributive de chacun d’eux dans la réparation du dommage ». Pour ce
qui est de la société anonyme, l’article 207 du code des sociétés
commerciales dispose que « les membres du conseil d’administration
sont solidairement responsables, conformément aux règles de droit
commun, envers la société ou envers les tiers, de leurs faits contraires
aux dispositions du présent code ou des fautes qu’ils auraient commises
dans leur gestion, notamment en distribuant ou en laissant distribuer,
sans opposition, des dividendes fictifs, sauf s’ils établissent la preuve de
la diligence d’un entrepreneur avisé et d’un mandataire loyal », et
l’article 234 du même code précise que « lorsque la société est soumise
aux dispositions des articles 225 à 259, les membres du directoire sont
8
9
10
C’est ainsi que la responsabilité du gérant de la société en nom collectif n’est pas
réglementée par les articles 54 à 66 du code des sociétés commerciales.
Remarquons cependant que l’article 60 du code des sociétés commerciales dispose
dans son dernier alinéa que « si une personne morale est gérant, ses dirigeants
encourent les mêmes responsabilités civile et pénale que s’ils étaient gérants en
leur nom propre sans préjudice de la responsabilité solidaire de la personne
morale qu’ils dirigent ».
L’article 160 du code de commerce disposait que « les gérants sont responsables,
conformément aux règles du droit commun, individuellement ou solidairement
suivant les cas, envers la société et envers les tiers, soit des infractions aux
dispositions du présent code, soit des violations des statuts, soit des fautes
commises par eux dans leur gestion ».
A l’intérieur d’une société, la responsabilité d’une personne déclenche souvent la
responsabilité de plusieurs autres, et la question se pose alors de savoir quelle est la
nature de leur responsabilité, s’agit-il d’une responsabilité divisée ou d’une
responsabilité solidaire ? La question est d’une utilité pratique incontestable. Etant
donné que les condamnations susceptibles d’être prononcées dépassent souvent, par
leur montant, la capacité de payer d’une seule personne, seule la solidarité est de
nature à rendre efficace l’action en responsabilité.
250
soumis aux mêmes responsabilités que les membres du conseil
d’administration dans les conditions prévues par les articles 202, 207,
214, 220 du présent code »11.
La responsabilité des dirigeants sociaux est une responsabilité
classique pour faute prouvée. Il appartient donc au demandeur de
démontrer, outre le préjudice subi 12 et le lien de causalité, la faute
commise par le dirigeant, Cette faute, qui s’apprécie in abstracto par
comparaison avec le comportement qu’aurait eu un dirigeant
normalement prudent et diligent placé dans les mêmes
circonstances, peut être soit une faute de régularité, en d’autres termes,
la violation de la loi 13 ou des statuts 14, soit une faute de gestion. Celle-ci,
qui peut être une faute positive ou même une abstention blâmable 15, n’est
11
12
13
14
15
L’article 234 du code des sociétés commerciales ne renvoie pas aux articles 222 et
223 du code des sociétés commerciales qui concernent la responsabilité pénale des
membres du conseil d’administration, du président directeur général, du directeur
général ou du président de séance. Faut-il en déduire que les membres du directoire
ne sont pas pénalement responsables. Il est permis d’hésiter pour deux raisons au
moins. D’une part, le fait que l’article 223 du code des sociétés commerciales ne
soit pas applicable aux membres du directoire ne peut être considéré comme un état
d’impunité ou d’immunité, dans la mesure où les dirigeants de droit peuvent être
sanctionnés pour des infractions de droit commun, et notamment pour escroquerie
ou pour abus de confiance, si les éléments constitutifs de ces délits sont réunis.
D’autre part, l’article 257 du code des sociétés commerciales semble contredire
l’article 234 du même code en disposant que « les sanctions prévues dans le
présent code pour le président directeur général et le directeur général et les
membres du conseil d’administration, chacun selon ses attributions spéciales,
s’appliquent aux membres du directoire et aux membres du conseil de surveillance
des sociétés anonymes soumises aux dispositions des articles 224 à 256 du présent
code ».
Ce préjudice peut, conformément au droit commun, consister soit en une perte, soit
en un manque à gagner.
Commet une faute le dirigeant qui ne respecter pas la loi, notamment les
prescriptions impératives qui régissent la société.
Commet une faute le dirigeant qui ne respecte pas ses obligations statutaires, qui
n’exécute pas les directives qu’il reçoit d’un autre organe agissant dans les limites
de ses attributions, ou qui détourne son pouvoir en utilisant un pouvoir qu’il
possède à une fin autre que celle à laquelle il est destiné.
Dans l’affaire SICA, le tribunal de première instance de Sfax a condamné les
administrateurs d’une société anonyme au comblement de l’insuffisance d’actif
pour s’être abstenus d’exercer leur pouvoir de contrôle et de surveillance de la
direction générale.
251
pas facile à définir ou à apprécier 16 , non seulement parce qu’elle
s’apprécie par rapport à des normes de gestion qui ne sont pas clairement
définies dans la loi, mais aussi et surtout parce qu’elle renferme des cas
multiples et variés, ce qui rend impossible d’en dresser une liste
exhaustive. On peut cependant citer comme exemples, La continuation
d’une activité déficitaire ou sur le point de le devenir sans prendre les
16
La question de l’appréciation de la faute de gestion a divisé la doctrine. Certains
auteurs ont estimé que la responsabilité pour faute de gestion doit être perçue
comme une responsabilité pour faute professionnelle, substituant ainsi à la notion
de bon père de famille celle de bon professionnel, et soutenant qu’à la limite, le
gérant professionnel peut voir sa responsabilité engagée sans qu’il y’ait une faute.
L’existence du préjudice suffirait ainsi à engager la responsabilité du dirigeant.
Pour d’autres, en revanche, la faute de gestion doit être suffisamment caractérisée
pour pouvoir engager la responsabilité du dirigeant. Les arguments invoqués à
l’appui de cette théorie sont nombreux.
1-En droit civil, il est généralement assez simple de déterminer l’origine et les
caractères de l’acte fautif. Il existe une sorte de causalité immédiate, qui fait que le
dommage se révèle, en principe du moins, au même moment que l’acte dont il
découle. En matière de sociétés commerciales, un phénomène de distanciation se
produit entre le comportement du dirigeant et son incidence sur la société qui ne
sera découverte que postérieurement, ce qui rend difficile d’apprécier les faits
reprochés au dirigeant et d’en juger les conséquences.
2-La présence d’aléas au cours de l’exécution de sa mission et le caractère
complexe et fluctuant des données économiques peuvent empêcher le gérant de
réaliser les résultats escomptés. Telle décision de gestion qui paraissait raisonnable
lorsqu’elle avait été prise a pu en définitive produire des résultats désastreux. A
l’inverse, telle décision incontestablement fautive a pu avoir des conséquences
heureuses ou être sans rapport avec un préjudice exclusivement dû à une
modification des circonstances. On en déduit que le mauvais état des affaires
sociales ne devrait pas permettre de présumer la faute de gestion16.
3-Il n’est pas d’homme d’affaires, si compétent, si diligent, si prudent qu’il soit, qui
ne commette des erreurs.
4-Le dirigeant qui prend chaque jour des décisions sur des questions multiples, ne
choisit pas toujours la meilleure solution. La gestion n’est souvent que l’art de
choisir la moins mauvaise des solutions, sans avoir le temps de réfléchir en pesant
longuement le pour et le contre 16 . Dés lors, ce qu’on est en droit d’exiger des
dirigeants, ce n’est pas un don prophétique, mais seulement le souci d’éviter des
mesures que l’on devrait considérer comme déraisonnables au moment où elles ont
été prises.
5-Dans certains cas, on peut même se demander si la décision du dirigeant est
fautive ou si, intrinsèquement correcte, elle n’a eu des conséquences fâcheuses que
par la manière dont elle a été exécutée.
252
mesures qui s’imposent 17, la présentation d’un bilan inexact, le manque
de coordination dans l’entreprise, et le manque de rigueur dans le calcul
des prix 18 , l’étude insuffisante des conditions de financement, l’erreur
grossière d’appréciation des risques, ou l’utilisation de moyens ruineux.
C’est notamment le cas du surinvestissement inutile pour la société ou le
recours à l’emprunt sans tenir compte des agios futurs 19.
Si la détermination des conditions de la responsabilité des
dirigeants sociaux est, dans l’ensemble 20, soumise au droit commun, il
en est autrement de la mise en œuvre de cette responsabilité
(PREMIERE PARTIE) et de son régime en cas de faillite de la société
(DEUXIEME PARTIE).
PREMIERE PARTIE
LA MISE EN ŒUVRE DE LA RESPONSABILITE DES
DIRIGEANTS SOCIAUX
Pour que la responsabilité du dirigeant social soit engagée, il faut que
quelqu’un exerce une action en justice. D’où la nécessité de déterminer
les modalités d’exercice de l’action en justice (SECTION I) et la portée
du droit d’agir (SECTION II).
SECTION I : LES MODALITES D’EXERCICE DE L’ACTION EN
RESPONSABILITE
Les actions en responsabilité exercées à l’encontre des dirigeants
sociaux sont de deux sortes à savoir l’action individuelle et l’action
17
18
19
20
C. Cass. Fr. Ch. Com. 6 janvier 1982, Bull. Civ. IV. N° 6 p. 5.
C. Cass. Fr. Ch. Com. 23 février 1988, Bull. Joly, 1988, n° 291, 84.
C. A. Paris, 18 juin 1991, J.C.P. 1991, ed. Econ. I- P. 87, n° 4, observations A.
VIANDIER et J. J. CASSAIN.
La Cour de cassation française soumet la responsabilité des dirigeants sociaux à
l’égard des tiers à une condition supplémentaire, non écrite dans les textes, en
décidant qu’elle ne peut être engagée que sur le fondement d’une faute personnelle
séparable des fonctions de direction. En l’absence d’une telle faute, seule la
société peut être tenue de réparer le dommage causé par celui qui agit pour son
compte. Cette solution, qui ne manque pas d’une certaine logique, conduit
cependant à une quasi irresponsabilité du dirigeant, d’autant plus que la Cour de
cassation française semble consacrer une conception très restrictive de la faute
séparable des fonctions.
253
sociale. L’action individuelle est celle appartenant en propre à tout
associé ou à un tiers et par laquelle le tiers ou l’associé demande la
réparation d’un dommage qu’il a personnellement subi. L’action en
responsabilité exercée par les tiers, généralement les créanciers sociaux,
ne pose pas de difficultés particulières. On peut facilement concevoir que
la faute du dirigeant leur cause un préjudice personnel en les déterminant
par exemple à contracter à la suite de certaines manœuvres frauduleuses.
Pour les associés, en revanche, l’exigence d’un préjudice personnel est en
pratique rarement satisfaite, l’associé ne subissant généralement les
conséquences des fautes de gestion que par patrimoine social interposé. Il
faut donc supposer, par exemple, que le dirigeant n’a pas versé à cet
associé la part des dividendes auxquels il avait droit. En revanche, le
préjudice consistant dans la perte de valeur des parts ou des actions ne
constitue que le corollaire du préjudice subi par la société elle-même et
n’ouvre pas l’action individuelle mais seulement l’action sociale. Quelle
soit exercée par un associé ou par un tiers, l’action individuelle n’a pas
fait l’objet d’une réglementation spéciale. Le code des sociétés
commerciales n’y fait qu’une simple allusion en disposant dans son
article 207 que « les membres du conseil d’administration sont
responsables envers les tiers ».
L’action sociale est celle qui appartient à la société qui peut
l’exercer à l’encontre des dirigeants fautifs chaque fois qu’un préjudice
affecte directement son patrimoine, et tend ainsi à la reconstitution du
fonds social amputé par l’effet du dommage qui lui a été causé. C’est le
cas de l’action tendant à faire condamner un dirigeant fautif à rembourser
à la société ce dont elle a été injustement démunie. C’est aussi le cas
lorsqu’à la suite d’une faute d’un dirigeant, la société a été condamnée à
payer à un tiers des sommes d’argent comme réparation d’un dommage
qui lui a été causé du fait d’une gestion fautive. C’est enfin le cas lorsque
le dirigeant, en distribuant des dividendes fictifs, diminue l’actif social.
Ainsi identifiée, l’action sociale, qui aboutit à l’allocation d’une
indemnité versée à la société elle-même, peut être exercée ut universi.
L’article 220 du code des sociétés commerciales, applicable à la société
anonyme, dispose dans son alinéa premier que « l’action en
responsabilité contre les membres du conseil d’administration est
exercée par la société, suite à une décision de l’assemblée générale
254
même si son objet ne figure pas à l’ordre du jour »21, et précise dans son
alinéa 3 qu’« à tout moment, l’assemblée générale pourra transiger ou
renoncer à l’exercice de l’action, à condition qu’un ou plusieurs
actionnaires détenant au moins quinze pour cent du capital social ne s’y
opposent. La décision d’exercer l’action ou de la poursuivre ou celle de
transiger entraînera la révocation des membres du conseil
d’administration concernés ».
Cependant, la question se pose de savoir si l’action sociale peut
être exercée ut singuli. En principe, toute société victime d’un fait
générateur de dommage peut en demander la réparation intégrale. Ce
principe, dont l’application ne pose pas problème dans le cas où la faute
est commise par une personne étrangère à la société, pose problème dans
le cas d’une faute commise par un dirigeant social 22. En effet, devant être
intentée au nom de la société par ses dirigeants, et comme un dirigeant
n’agit pas contre soi-même, l’exercice de l’action sociale ne se conçoit
que dans des hypothèses exceptionnelles telles que le changement de
l’équipe dirigeante à la suite d’un renversement de majorité, ou lorsqu’un
groupe de dirigeants se désolidarise de l’un d’entre eux, ou encore
lorsque la société, ayant été déclarée en faillite, l’action en responsabilité
sera exercée par le syndic. Pour éviter l’irresponsabilité de fait des
organes de gestion qui découle de cette situation,le problème s’est posé
de savoir si l’action sociale pouvait être exercée, au nom de la société,
par un associé quelle que soit sa participation au capital. C’est le
21
22
En tant que personne morale, la société ne peut agir que par ses représentants
légaux. Dans les sociétés de personnes et les sociétés à responsabilité limitée, le
pouvoir de représentation est confié aux gérants. Dans la société anonyme à conseil
d’administration, le pouvoir de représentation et d’exercice des actions en
responsabilité appartient au président directeur général et au directeur général. Dans
la société anonyme à directoire, c’est le président du directoire qui a le pouvoir de
représenter la société et qui peut agir en justice. Mais le président peut partager ce
pouvoir avec les membres du directoire auxquels le conseil de surveillance, s’il a
été habilité par les statuts, à conférer le même pouvoir de représentation. Au cas où
les titulaires de l’action en responsabilité n’agiraient pas, le conseil de surveillance
ne peut pas se substituer à eux, car le pouvoir de représenter la société n’entre pas
dans ses attributions.
C’est le cas lorsque le dirigeant réduit l’actif social par la répartition de dividendes
fictifs, ou lorsque, ayant commis une faute, la société a été condamnée à payer des
dommages et intérêts aux tiers. Dans ces hypothèses, si les associés sont victimes
de ces fautes, ils ne le sont qu’indirectement.
255
problème de l’exercice ut singuli de l’action sociale, et dont la solution
dépend des trois idées suivantes.
Première idée : L’exercice ut singuli de l’action sociale n’est pas,
théoriquement, acceptable. A priori, diverses raisons devraient conduire à
refuser à l’associé le droit d’exercer l’action sociale. Ces raisons sont,
d’abord, d’ordre pratique. L’exercice ut singuli de l’action sociale peut se
révéler dangereux en constituant une menace permanente à l’encontre des
dirigeants, et indirectement, de la société elle-même, et en conduisant, à
la limite, à rendre plus difficiles les fonctions des dirigeants qui peuvent
notamment redouter d’être victimes de certaines manœuvres de chantage.
Ces raisons sont aussi et surtout d’ordre juridique. L’exercice individuel
d’une action appartenant à un groupement n’est juridiquement possible
que si ce groupement n’est pas doté de la personnalité morale. Or,
comme les sociétés commerciales, à l’exception de la société en
participation, jouissent de la personnalité morale 23 , celle-ci absorbe et
monopolise les actions individuelles. De plus, les dirigeants sont les
mandataires de la société, c'est-à-dire de l’ensemble des associés et non
de chaque associé pris individuellement. Dés lors, chaque associé ne doit
pas pouvoir se plaindre de la mauvaise exécution d’un mandat qu’il n’a
pas donné. Seule la société, par l’intermédiaire de ses organes légaux, est
habilitée à défendre l’intérêt collectif des associés, et par suite, à intenter
l’action en responsabilité.
Deuxième idée : Ces arguments ne doivent pas conduire à exclure
toute possibilité pour l’associé d’exercer l’action sociale. L’exercice ut
singuli de l’action sociale présente une utilité évidente aussi bien pour
l’associé que pour la société puisque constituant une garantie nécessaire
contre le fait qu’il est douteux que les dirigeants, auteurs d’agissements
répréhensibles, soient disposés à exercer la poursuite. L’action sociale
demeure, en effet, illusoire si elle ne peut être exercée que par les
dirigeants sociaux puisque ces derniers en sont les maîtres. Dés lors,
l’exercice ut singuli de l’action sociale constitue le seul moyen
permettant de sanctionner les fautes commises par les dirigeants sociaux
avant que ces fautes ne soient prescrites. De plus, l’exercice ut singuli de
l’action sociale n’est pas dangereux pour les dirigeants sociaux puisque,
23
Article 4 alinéa premier du code des sociétés commerciales.
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d’une part, il est toujours possible de sanctionner les actions abusives, et
d’autre part, le recours de l’associé contre le dirigeant fautif suppose
qu’il s’intéresse d’assez près aux affaires sociales, ce qui n’est pas le fait
de tous. En particulier, beaucoup d’actionnaires des sociétés anonymes
font apports de leurs capitaux à la société dans l’unique intention de
réaliser un placement avantageux. Leur situation est plus proche de celle
d’un créancier que de celle d’un associé. Aussi, lorsque la société fait de
mauvaises affaires, songent-ils davantage à placer leurs capitaux ailleurs
qu’à redresser les torts commis.
Troisième idée : Le code des sociétés commerciales consacre,
cependant, l’exercice ut singuli de l’action sociale aussi bien dans le
cadre de la société anonyme que dans celui de la société à responsabilité
limitée 24. Concernant cette dernière, l’article 118 du code des sociétés
24
Sous l’empire du code de commerce, la question s’était posée de savoir si l’article
80 de ce code, applicable uniquement à la société anonyme, consacrait ou non
l’exercice ut singuli de l’action sociale. Selon cet article, « des actionnaires
représentant le vingtième au moins du capital social peuvent, dans un intérêt
commun, charger, à leurs frais, un ou plusieurs mandataires, de soutenir, tant en
demandant qu’en défendant, une action contre les administrateurs et de les
représenter, en ce cas, en justice, sans préjudice de l’action que chaque actionnaire
peut intenter individuellement en son nom personnel. Est réputée non écrite, toute
clause des statuts ayant pour effet de subordonner l’exercice de cette action à l’avis
préalable ou à l’autorisation de l’assemblée générale ou qui comporte, par avance,
renonciation à l’exercice de la dite action. Aucune décision de l’assemblée
générale ne peut avoir pour effet d’éteindre une action en responsabilité contre les
administrateurs pour fautes commises dans l’accomplissement de leurs fonctions ».
La lecture de ce texte permettait d’affirmer qu’il consacrait l’exercice ut singuli de
l’action sociale, même si l’adoption de la solution contraire n’était pas impossible.
I- LA THESE NEGATIVE :
Deux arguments tirés de l’objet du texte (A) et de ses termes (B) pouvaient être
avancés en faveur de la thèse négative selon laquelle l’article 80 du code de
commerce ne consacrait pas l’exercice ut singuli de l’action sociale.
A- L’OBJET DU TEXTE :
L’objet de l’article 80 du code de commerce semble régler simplement une
question de procédure, et plus précisément la forme de l’action en responsabilité.
En effet, comme les frais de procédure pouvaient décourager la plupart des
actionnaires, la loi, par une dérogation à la règle « nul ne plaide par procureur »,
avait permis une sorte d’exercice collectif de l’action en responsabilité par un
mandataire représentant les actionnaires. Or, si cet article concernait ainsi la forme
de l’action en responsabilité, il ne paraissait pas, en revanche, intéresser le fond du
257
droit d’agir. Sans doute, ce texte consacrait-il l’existence d’une action, mais il ne la
créait pas, il se bornait à en régler l’exercice.
B- LES TERMES DU TEXTE :
L’article 80 du code de commerce contenait certaines dispositions qui étaient peu
conciliables avec la nature juridique de l’action sociale et qui ne pouvaient désigner
que la seule action individuelle. D’une part, il autorisait le mandataire commun « de
soutenir, tant en demandant qu’en défendant, une action contre les
administrateurs ». Or, il paraissait difficile de reconnaître à l’action dirigée contre
les actionnaires le caractère d’une action sociale. D’autre part, il visait l’action que
chaque actionnaire pouvait intenter « individuellement » et « en son nom
personnel ». Or, ces expressions étaient peu conciliables avec la nature juridique de
l’action sociale et ne pouvaient désigner que la seule action individuelle. En effet,
l’action sociale ut singuli ne peut être que le reflet de l’action sociale ut universi.
Elle prend sa source dans le même fait générateur, à savoir la mauvaise gestion des
affaires sociales imputable aux administrateurs. Elle répare le même préjudice. Elle
doit, dés lors, être une action sociale. On en déduit, d’une part, que l’actionnaire ne
possède le droit d’agir que dans l’hypothèse où la société est défaillante, c'est-à-dire
lorsqu’elle a négligé de poursuivre les administrateurs responsables du préjudice
dont elle a souffert, et d’autre part, que l’actionnaire qui exerce individuellement
l’action sociale agit à la place de la société.
II- LA THESE POSITIVE :
Contrairement aux arguments avancés en faveur de la thèse négative, l’article 80 du
code de commerce pouvait être considéré comme autorisant l’exercice individuel
de l’action sociale et cela pour plusieurs raisons dont notamment :
1-Certes, ses dispositions permettent aux actionnaires représentant au moins un
vingtième du capital social, de nommer un mandataire qui plaidera pour eux contre
les administrateurs « sans préjudice de l’action que chaque actionnaire peut
intenter individuellement en son nom personnel ». Mais l’action dont il s’agit à la
fin de ce texte doit être de même nature que celle à laquelle se réfère le début du
texte : c’est une poursuite basée sur un préjudice collectif et non sur le dommage
subi directement par un actionnaire déterminé.
2- L’alinéa 2 de l’article 80 du code de commerce frappe de nullité toute clause
des statuts ayant pour effet de subordonner l’exercice de l’action mentionnée à
l’alinéa précédent, à l’avis préalable ou à l’autorisation de l’assemblée générale, ou
qui comporte, par avance, renonciation à l’exercice de l’action, et l’alinéa 3 du
même article dispose qu’aucune décision de l’assemblée générale ne peut avoir
pour effet d’éteindre toute action en responsabilité contre les administrateurs pour
fautes commises dans l’exercice de leurs fonctions. Or, ces deux dispositions
restent dépourvues de toute portée pratique si elles se rapportent, par référence à
l’alinéa premier de l’article 80 du code de commerce, aux actions individuelles.
D’une part, les clauses dites d’avis ou d’autorisation insérées dans les statuts de la
société, ne sont jamais appliquées à cette catégorie d’actions. D’autre part, si
l’assemblée générale pouvait, avant l’entrée en vigueur de l’article 80 du code de
commerce disposer de l’action sociale et notamment y renoncer par l’octroi du
258
commerciales dispose dans ses alinéas 2 et 3 que « les associés
représentant le quart du capital social peuvent, en se groupant, intenter
l’action sociale en responsabilité contre le ou les gérants responsables
du préjudice. Toute modification de la quote-part sus désignée survenue
après l’exercice de l’action en responsabilité ne peut avoir pour effet
d’éteindre ladite action ». Pour ce qui est de la société anonyme, l’article
220 du code des sociétés commerciales dispose dans son alinéa 4 qu’
« un ou plusieurs actionnaires détenant au moins quinze pour cent du
capital social peuvent, dans un intérêt commun, exercer une action en
responsabilité contre les membres du conseil d’administration pour une
faute commise dans l’accomplissement de leur fonction ». Ces textes
reconnaissent à l’associé un droit exceptionnel d’exercer l’action sociale,
dans le but de préserver les intérêts sociaux et d’empêcher les dirigeants
de se dérober à leurs responsabilités. Cependant, ces textes subordonnent
l’exercice de l’action sociale à la condition d’avoir la qualité d’associé et
de détenir quinze pour cent du capital social pour la société anonyme et
le quart du capital social pour la société à responsabilité limitée. A ces
deux conditions, on peut d’ailleurs ajouter deux autres. D’une part, les
associés ne peuvent exercer l’action sociale qu’en cas de carence des
représentants légaux de la société, et d’autre part, les associés doivent
exercer l’action sociale dans l’intérêt de la société et non dans leur intérêt
propre. Ils ne peuvent retirer de cette action aucun profit personnel. C’est
ainsi que, comme l’exercice ut singuli de l’action sociale tend à réparer
un préjudice dont la société est victime, l’indemnité doit être accordée à
la société. En agissant contre le gérant au nom des intérêts sociaux,
l’associé remplit une mission d’intérêt général consistant à sauvegarder
moins son propre patrimoine que celui de la société.
quitus aux administrateurs, il n’a jamais été soutenu, en revanche, qu’un vote de
l’assemblée générale pouvait entraver l’exercice de l’action individuelle qui
appartient à l’actionnaire et qui figure dans son patrimoine et non dans celui de la
société. Les alinéas 2 et 3 de l’article 80 du code de commerce concernent donc
certainement l’action sociale. Or, l’alinéa 2 se réfère à l’action visée à l’alinéa
premier de l’article 80 du code de commerce puisqu’il dispose qu’ « est nulle et
réputée non écrite toute clause des statuts ayant pour effet de subordonner
l’exercice de cette action… ». On en déduit que l’alinéa premier de l’article 80 du
code de commerce traite de l’action sociale et non de l’action individuelle.
259
SECTION II : LES OBSTACLES A L’EXERCICE DE L’ACION
EN RESPONSABILITE
L’action en responsabilité peut se heurter à l’obstacle de la
prescription. Dans les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés par
actions, la durée de la prescription est uniformément fixée, quel que soit
le demandeur, à trois ans, en règle générale, et à dix ans si le fait
dommageable est qualifié de crime 25. Dans les autres sociétés, les textes
sont en revanche silencieux, ce qui ne manque pas de susciter quelques
hésitations 26. En revanche, l’existence du droit d’agir est hors d’atteinte
tant des dispositions des statuts que des décisions collectives des
associés. En effet, le législateur a essayé d’entourer l’exercice de l’action
25
26
Article 120 du code des sociétés commerciales pour la société à responsabilité
limitée, et article 220 alinéa 2 du même code pour la société anonyme. Remarquons
que la jurisprudence française refuse le bénéfice de cette prescription abrégée au
dirigeant de fait.
Quant au régime de prescription proprement dit, le code des sociétés commerciales
l’a modifié notamment sur deux points essentiels à savoir :
1- La forclusion : Avant l’entrée en vigueur du code des sociétés commerciales,
l’article 81 alinéa premier du code de commerce disposait que « toute action en
responsabilité, tendant à la réparation d’un préjudice subi par la société et fondée
sur des faits ou des circonstances révélées à l’assemblée générale des actionnaires
par un rapport du conseil d’administration, doit, à peine de forclusion, être
intentée dans un délai d’un an à compter de la date de la réunion de l’assemblée
générale à laquelle ce rapport a été soumis ». Or, le code des sociétés
commerciales a supprimé la forclusion.
2-Le point de départ du délai de prescription : Si l’article 120 du code des sociétés
commerciales, applicable à la société à responsabilité limitée, dispose que « les
actions en responsabilité prévues aux articles 117 à 119 du présent code se
prescrivent par trois ans à compter du fait dommageable, ou s’il a été dissimulé, à
compter de sa révélation », L’article 220 du code des sociétés commerciales,
applicable à la société anonyme est encore plus explicite puisqu’il dispose, dans son
alinéa 2, que « cette action devra être exercée dans un délai de trois ans à compter
de la date de la découverte du fait dommageable. Toutefois, si le fait est qualifié de
crime, l’action se prescrit après dix ans ». On en déduit que, le délai de prescription
commence à courir à partir de « la date de la découverte du fait dommageable ».
Par cette innovation, le législateur a certainement voulu éviter les inconvénients du
régime antérieur qui, en fixant le point de départ du délai de prescription à la date
de la production des faits dommageables, favorisait l’impunité des dirigeants
sociaux qui dissimulaient leurs fautes pour se mettre à l’abri des actions en
responsabilité.
260
sociale de toutes les garanties qui sont de nature à lui assurer sa pleine
efficacité. Le législateur a ainsi mis le droit d’agir en responsabilité
contre les dirigeants hors d’atteinte tant des dispositions statutaires. En
effet, est réputée non écrite toute clause statutaire entravant l’exercice de
l’action sociale. L’article 220 du code des sociétés commerciales dispose
que « toute clause statutaire contraire est réputée nulle », et l’article 119
du même code précise qu’ « est réputée non avenue toute clause
statutaire ayant pour effet de subordonner l’exercice de l’action sociale
… à l’avis préalable ou à l’autorisation de l’assemblée générale ou qui
comporterait par avance renonciation à l’exercice de cette action ». On
en déduit qu’est réputée nulle, d’abord la clause statutaire d’autorisation,
c'est-à-dire celle qui subordonne la recevabilité de l’action sociale à
l’autorisation de l’assemblée générale, ensuite, la clause d’avis, c'est-àdire celle qui exige pour la recevabilité de l’action sociale l’obtention de
l’avis préalable de l’assemblée, et enfin, la clause comportant par avance
renonciation à l’exercice de l’action.
Le législateur a-t-il aussi mis le droit d’agir en responsabilité hors
d’atteinte des décisions collectives des associés, en d’autres termes, les
décisions de l’assemblée générale peuvent-elles éteindre l’action en
responsabilité fondée sur une faute commise dans l’accomplissement des
fonctions de direction ? La réponse à cette question exige de distinguer
entre la société à responsabilité limitée, d’une part, et la société anonyme,
d’autre part. Concernant la société à responsabilité limitée, la réponse est
catégorique, l’article 119 du code des sociétés commerciales dispose,
dans son alinéa 2 qu’ « est également réputée nulle de nullité absolue
toute décision de l’assemblée générale ayant pour effet d’interdire
l’exercice de l’action en responsabilité contre le gérant pour faute
commise dans l’exercice de son mandat ». On en déduit que le quitus qui
accompagne traditionnellement la décision annuelle d’approbation des
comptes n’interdit nullement la mise en jeu ultérieure de la
responsabilité. Pour ce qui est de la société anonyme, l’article 220 du
code des sociétés commerciales pose un principe et une exception. Le
principe est que « l’assemblée générale ne peut décider le désistement à
l’exercice de l’action en responsabilité »27. Dés lors, même après avoir
voté le quitus, les actionnaires peuvent exercer l’action sociale contre les
27
Article 220 in fine du code des sociétés commerciales.
261
organes sociaux. L’exception est qu’ « à tout moment, l’assemblée
générale pourra transiger ou renoncer à l’exercice de l’action, à
condition qu’un ou plusieurs actionnaires détenant au moins quinze pour
cent du capital social ne s’y opposent. La décision d’exercer l’action ou
de la poursuivre ou celle de transiger entraînera la révocation des
membres du conseil d’administration concernés » 28.
Le législateur a rendu plus difficiles les conditions d’exonération.
Les dispositions du code de commerce permettaient aux dirigeants
sociaux de dégager leur responsabilité en prouvant qu’ils ont apporté à la
gestion des affaires sociales toute l’activité et toute la diligence d’un
mandataire salarié 29. Les dispositions du code des sociétés commerciales
précisent que pour dégager sa responsabilité, le dirigeant poursuivi doit
prouver qu’il a apporté à la gestion de la société toute l’activité et toute la
diligence d’un entrepreneur avisé et d’un mandataire loyal 30 . On en
déduit que l’expression mandataire loyal a remplacé celle de mandataire
salarié qui a été souvent considérée comme dépassée et insuffisante à
tracer les contours du statut des dirigeants sociaux qui ne sont pas tous
des salariés, et que même s’il raisonne encore dans le cadre du mandat, le
législateur a conservé les devoirs de diligence et a introduit les devoirs de
loyauté ainsi que la notion d’entrepreneur avisé. La diligence et la loyauté
sont deux devoirs issus de la théorie anglo-saxonne de la « corporate
governance » ou théorie du gouvernement des entreprises et qui se
rapporte à l’organisation du pouvoir des dirigeants sociaux. Le devoir de
diligence est « le soin apporté avec célérité et efficacité à
l’accomplissement d’une tâche » 31, ou l’attention soigneuse, le souci de
prudence. Monsieur SCHOLASTIQUE 32 distingue entre les expressions
individuelles et les expressions collectives du devoir de diligence. Les
expressions individuelles consistent dans la gestion intelligente de la
société et l’opposition à toute mesure qui pourrait lui causer un préjudice.
Les expressions collectives comportent la disponibilité, la compétence et
l’indépendance du dirigeant et le contrôle réciproque dans le cadre des
28
29
30
31
32
Article 220 alinéa 3 du code des sociétés commerciales.
Articles 74 et 160 du code de commerce.
Articles 207, 214 et 254 du code des sociétés commerciales.
G. CORNU, Dictionnaire, p. 290.
Le devoir de diligence des administrateurs des sociétés : droit français et droit
anglais.
262
conseils collégiaux. Le devoir de loyauté exige que les actes des
dirigeants soient motivés par les meilleurs intérêts de la société et des
associés. Ce devoir limite la possibilité pour les dirigeants d’utiliser leurs
pouvoirs statutaires pour conduire la société à s’engager dans une
transaction qui n’est entièrement pas équitable pour elle, ou lorsqu’ils
obtiennent des profits personnels grâce à l’utilisation d’informations
confidentielles appartenant à la société. Le devoir de loyauté a donc pour
but d’assurer l’équilibre entre les acteurs de la vie des affaires, et il
consiste dans l’obligation d’informer l’interlocuteur et de s’abstenir
d’utiliser les moyens réprouvés. En définitive, le dirigeant poursuivi doit
prouver son intelligence, sa compétence, sa prudence et son respect des
intérêts de la société.
DEUXIEME PARTIE
LA RESPONSABILITE DES
DIRIGEANTS SOCIAUX EN CAS DE
FAILLITE DE LA SOCIETE
La société anonyme et la société à responsabilité limitée ont pour
caractère essentiel d’être des sociétés à risque limité pour tous leurs
membres qui ne sont tenus au passif social que jusqu’à concurrence de
leurs apports 33 , et ce principe s’applique sans qu’il y’ait à distinguer
entre les actionnaires ou associés et les administrateurs ou gérants. Dès
lors, la mise en faillite de la société ne devrait, en principe, avoir aucune
répercussion sur la situation des gérants ou des administrateurs qui
n’engagent par leurs actes que le patrimoine social en vertu du principe
selon lequel le mandataire oblige le mandant par ses actes sans s’obliger
lui-même 34 . On en déduit que même dans le cas où les gérants et
administrateurs seraient associés, leur contribution aux pertes se limite à
leurs apports. Cependant, si ce principe est considéré comme
33
34
Article 90 du code des sociétés commerciales pour la société à responsabilité
limitée, et article 160 du même code pour la société anonyme.
Ce principe peut être déduit de l’article 1149 du code des obligations et des
contrats. L’article 1149 du code des obligations et des contrats dispose que « le
mandataire qui traite en cette qualité et dans les limites de ses pouvoirs n’assume
aucune obligation personnelle envers les tiers avec lesquels il contracte. Ceux-ci ne
peuvent s’adresser qu’au mandant ».
263
fondamental puisqu’ étant à la base du mécanisme même de la société à
responsabilité limitée et de la société anonyme, il a fait l’objet de
plusieurs critiques puisque ayant été à l’origine de plusieurs abus dans le
fonctionnement de ces sociétés, d’autant plus que la faillite a toujours
présenté un caractère répressif. Depuis longtemps déjà, en présence du
scandale causé par certaines faillites retentissantes, faillites bancaires
notamment, de vives critiques avaient été formulées contre le système
légal d’administration des sociétés anonymes et des sociétés à
responsabilité limitée, et notamment contre l’irresponsabilité de fait dont
bénéficiaient certains dirigeants, notoirement coupables, d’entreprises
considérables, ruinées par leur impéritie, leur imprudence ou leurs
agissements frauduleux. Contre de tels abus, la pratique et la législation,
à travers un certain nombre de dispositions éparpillées et fragmentaires,
ont imaginé plusieurs procédés tendant à faire en sorte que la faillite de la
société, exclusivement destinée, en principe, à régler le sort de
l’entreprise sociale, développe désormais d’importantes conséquences au
niveau des dirigeants dont elle affecte spécialement la responsabilité
civile. Les principaux procédés utilisés à cette fin ont consisté dans le
cautionnement par les dirigeants des engagements de la société 35 ,
l’extension des procédures collectives ouvertes contre la société à ses
dirigeants 36 , et le comblement de l’insuffisance d’actif 37 . Prévue
35
36
Le principe d’irresponsabilité des administrateurs de la société anonyme ou des
gérants de la société à responsabilité limitée, conséquence de la limitation de leur
responsabilité à leurs apports, est souvent détruit conventionnellement par les
créanciers les plus importants, et en particulier presque systématiquement par les
banques. En effet, le banquier qui octroie un prêt à une société anonyme ou à une
société à responsabilité limitée demande pratiquement toujours aux gérants de
celle-ci une garantie personnelle de remboursement, et la technique juridique la
plus fréquemment utilisée à cette fin est celle du contrat de cautionnement ; celui-ci
s’accompagne souvent des prises d’hypothèques sur les immeubles qui sont la
propriété personnelle des dirigeants.
Avant la loi n° 2001-117 du 6 décembre 2001 complétant le code des sociétés
commerciales, le droit tunisien ne prévoyait l’extension des procédures collectives
ouvertes contre la société à ses dirigeants que dans le cadre de la société prise
isolément. L’article 596 du code de commerce, qui n’a pas été abrogé par la loi n°
2000-93 du 3 novembre 2000 portant promulgation du code des sociétés
commerciales, et qui est d’une portée générale à la fois par sa place dans le code de
commerce et par sa rédaction, systématise la théorie de la simulation en disposant
qu’« « en cas de faillite d’une société, la faillite peut être déclarée commune à
toute personne qui, sous le couvert de cette société masquant ses agissements, a
264
initialement par les articles 74 et 160 du code de commerce 38, l’action en
comblement de l’insuffisance d’actif a été reprise par les articles 121 du
code des sociétés commerciales pour la société à responsabilité limitée et
214 et 254 du même code pour la société anonyme. En dépit de certaines
différences qui existent dans la rédaction de ces trois articles 39, il apparaît
fait, dans son intérêt personnel, des actes de commerce, et disposé en fait des biens
sociaux comme de ses biens propres ». A partir de cette loi, l’extension des
procédures collectives a été généralisée aux sociétés membres d’un groupe. Aux
termes de l’article 478 du code des sociétés commerciales, « les procédures de
faillite et de redressement ouvertes contre l’une des sociétés appartenant au groupe
de sociétés peuvent être étendues aux autres sociétés y appartenant en cas de
confusion de leurs patrimoines, d’escroquerie ou d’abus des biens de la société
faisant l’objet des procédures de faillite ou de redressement, ou s’il est établi que
la société débitrice était fictive, et que les sociétés appartenant au groupe ont
donné l’apparence d’y être associées. La faillite peut être étendue aux dirigeants de
droit ou de fait des autres sociétés appartenant au groupe de sociétés s’il est établi
que la faillite est due à leur fait ».
37
Bourel : L’obligation au passif social des dirigeants des sociétés anonymes et à
responsabilité limitée en cas d’insuffisance d’actif : R.T.D.Com. 1960 p. 785.
38
L’article 74 du code de commerce, applicable à la société anonyme, disposait que
« si la faillite de la société fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut,
à la demande du syndic, décider que les dettes sociales seront supportées jusqu’à
concurrence du montant qu’il déterminera, soit par le président, soit par les
administrateurs, avec ou sans solidarité. Pour dégager leur responsabilité, le
président et les administrateurs impliqués doivent faire la preuve qu’ils ont apporté
à la gestion des affaires sociales toute l’activité et toute la diligence d’un
mandataire salarié ».
L’article 160 du code de commerce, applicable à la société à responsabilité limitée,
disposait que « les gérants sont responsables, conformément aux règles du droit
commun, individuellement ou solidairement suivant les cas, envers la société et
envers les tiers, soit des infractions aux dispositions du présent code, soit des
violations des statuts, soit des fautes commises par eux dans leur gestion. En outre,
si la faillite de la société fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, à
la demande du syndic, décider que les dettes sociales seront supportées, jusqu’à
concurrence du montant qu’il déterminera, soit par les gérants, associés ou non,
salariés ou non, soit par les associés, soit par certains des uns ou des autres, avec
ou sans solidarité, sous la condition pour les associés qu’ils aient participé
effectivement à la gestion de la société. Pour dégager leur responsabilité, les
gérants et les associés impliqués doivent faire la preuve qu’ils ont apporté à la
gestion des affaires sociales l’activité et la diligence d’un mandataire salarié.
39
D’une part, alors que l’article 121 du code des sociétés commerciales vise à la fois
le redressement judiciaire et la faillite, les articles 214 et 254 du même code ne
visent que la faillite, d’autre part, alors que les articles 214 et 254 du code des
265
à la lecture de ces articles que s’ils permettent de condamner le dirigeant
au paiement de tout ou partie du passif social, ils ne précisent pas le
régime de cette action, et l’imprécision des formules employées par le
législateur conduit à s’interroger sur le véritable fondement de
l’obligation mise à la charge des dirigeants sociaux, en d’autres termes,
ces textes consacrent-ils une application pure et simple du droit commun
de la responsabilité, ou au contraire, une véritable sanction attachée à la
faillite de la société ? A cet égard deux opinions peuvent être
défendues. D’un côté, comme le législateur a utilisé le terme
responsabilité dans les trois articles, on peut être tenté de soumettre
l’action aux règles du droit commun de la responsabilité. Mais d’un autre
côté, l’action étant soumise à la faillite préalable de la société, on peut
estimer qu’il s’agit d’une action née de la faillite, et l’on conçoit alors
que, sur le terrain de son régime, elle soit influencée par les règles
particulières de la procédure de faillite. En réalité, aucune de ces deux
conceptions extrêmes n’est entièrement justifiée, et l’action en
comblement de l’insuffisance d’actif apparaît comme étant une
institution originale intermédiaire entre la responsabilité de droit
commun et l’obligation personnelle à laquelle se trouve soumis le
dirigeant social à la suite d’une extension de la faillite sociale. En
effet, par sa nature, le comblement de l’insuffisance d’actif est bien une
responsabilité et non une sanction particulière de la faillite (SECTION I).
Cependant, bien que reposant sur les principes généraux du droit de la
responsabilité, cette obligation au passif social ne se confond
nullement, dans ses conditions d’application, avec la responsabilité
délictuelle des dirigeants sociaux puisqu’il s’agit d’une responsabilité
aggravée par rapport au droit commun de la responsabilité (SECTION
II).
sociétés commerciales précisent que la condamnation du dirigeant à supporter tout
ou partie du passif de la société est subordonnée à la demande préalable du syndic,
l’article 121 du même code ne mentionne pas cette condition.
266
SECTION I : L’OBLIGATION AU PASSIF SOCIAL : UNE
RESPONSABILITE ET NON UNE SANCTION
PARTICULIERE DE LA FAILLITE
Pour engager la responsabilité d’une personne, le droit commun
exige la réunion de trois conditions que sont un fait générateur de
responsabilité, un préjudice et un lien de causalité entre le fait et le
préjudice 40 . Les articles 121, 214 et 254 du code des sociétés
commerciales ne précisent pas que la responsabilité qu’ils édictent est
soumise aux règles du droit commun, au contraire, ils posent des règles
de responsabilité très vagues et ne subordonnent à aucune condition
précise la condamnation du dirigeant social. On pourrait, dès lors, penser
que, substituant la notion de risque professionnel à la faute comme
fondement de la responsabilité, ils instituent une responsabilité sans
faute, c’est à dire que la simple constatation de l’insuffisance d’actif
justifierait la condamnation des dirigeants au paiement de tout ou partie
des dettes sociales. Cette solution ne peut cependant pas être admise pour
deux raisons. D’une part, elle n’est pas opportune. Mettre à la charge des
dirigeants des sociétés anonymes et des sociétés à responsabilité limitée
le risque de l’insolvabilité de la société constituerait une remise en cause
aussi bien de la règle selon laquelle le mandataire oblige le mandant par
ses actes sans s’obliger lui-même, que des mécanismes sur lesquels
reposent la société anonyme et la société à responsabilité limitée
notamment en rapprochant la situation de leurs dirigeants de celle d’un
commandité ou d’un associé en nom collectif. D’autre part, elle n’est pas
conforme à l’esprit et même à la lettre des articles 121, 214 et 254 du
code des sociétés commerciales. En effet, il découle expressément de ces
articles que la responsabilité des dirigeants ne joue pas automatiquement
du seul fait de l’insuffisance d’actif et exige à la fois une demande de la
part du syndic (PARAGRAPHE I) et une décision de justice
(PARAGRAPHE II).
40
Articles 82 et 83 du code des obligations et des contrats.
267
PARAGRAPHE I : L’appel en garantie des dirigeants
nécessite une demande de la part du
syndic
L’état actuel du droit tunisien ne permet qu’au syndic d’exercer
l’action en comblement du passif et de mettre ainsi en mouvement la
responsabilité des dirigeants sociaux. Dés lors, si le syndic s’abstient,
volontairement ou involontairement, de déclencher la procédure, la
responsabilité des dirigeants sociaux ne sera pas engagée. D’abord, le
tribunal ne peut pas se saisir d’office pour faire supporter aux dirigeants
sociaux tout ou partie du passif social 41. Ensuite, les créanciers sociaux
ne peuvent pas se substituer au syndic pour déclencher l’action en
comblement de l’insuffisance d’actif. Certes, le principe de la suspension
des poursuites individuelles consécutive au jugement déclaratif de la
faillite de la société ne semble pas être un argument probant pour exclure
toute possibilité pour les créanciers sociaux d’agir en responsabilité sur la
base des articles 121, 214 et 254 du code des sociétés commerciales
puisque, si ce principe conduit à interdire aux créanciers l’exercice de
certaines actions au bénéfice du syndic, il leur laisse la possibilité d’agir
contre les tiers. Or précisément, l’action en responsabilité des articles
121, 214 et 254 du code des sociétés commerciales est une action
intentée contre un tiers qui est le gérant de la société. Il n’en demeure pas
moins que si l’on écarte cependant les créanciers de l’exercice de l’action
en comblement de l’insuffisance d’actif c’est bien parce que cette action
met en jeu un droit né de la faillite de la société. Elle est accordée pour
compenser une insuffisance d’actif dans l’intérêt commun des créanciers
sociaux, et il apparaît, dès lors, normal qu’elle soit exercée par le
représentant des créanciers, c’est à dire le syndic. Enfin, Le syndic
apprécie souverainement l’opportunité d’engager ou non la procédure. En
particulier, il n’a pas à suivre une résolution qui serait prise par
41
Cette règle était consacrée dans les articles 74 et 160 du code de commerce. L’avant
projet de réforme des articles 70 et suivants du code de commerce avait proposé de
modifier l’article 74 dans les termes suivants, « si la faillite de la société fait
apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, à la demande du syndic ou
d’office, décider que … ». Cette proposition n’a pas été consacrée par les
dispositions du code des sociétés commerciales.
268
l’assemblée des associés, et l’action en comblement de l’insuffisance
d’actif n’est pas éteinte par le quitus de l’assemblée générale.
PARAGRAPHE II : l’appel en garantie des dirigeants nécessite
une décision de justice :
Les articles 121, 214 et 254 du code des sociétés commerciales ne
prévoient pas qu’en cas de faillite de la société, les dirigeants sont
responsables de l’excédent du passif sur l’actif, ils prévoient simplement
que lorsque la faillite de la société fait apparaître une insuffisance
d’actif, le tribunal peut, sur demande du syndic de la faillite, décider que
les dettes de la société seront supportées, en tout ou en partie, avec ou
sans solidarité, jusqu’à la limite du montant désigné par le tribunal, par
les dirigeants. Il en découle que la faillite de la société ne comporte de
conséquences à l’égard de ceux qui ont assumé la direction des affaires
que lorsque le tribunal en décide spécialement ainsi. En effet, dès
l’instant où la procédure est engagée sur l’initiative du syndic, le juge
apprécie souverainement :
1- L’insuffisance d’actif : Comme la poursuite du syndic n’est
possible que si la faillite de la société fait apparaître une insuffisance
d’actif, le juge doit vérifier si cette condition est ou non réunie. Il faut
préciser à cet égard que l’insuffisance d’actif ne signifie nullement qu’il
y’ait eu un jugement de clôture pour insuffisance d’actif, un tel jugement
n’étant possible que si l’actif réalisable est insuffisant pour couvrir les
frais de procédure, elle signifie simplement que l’actif social est
notoirement inférieur au passif exigible. Cela sera, en fait, la règle étant
donné qu’il est rare qu’un commerçant momentanément gêné, mais dont
l’actif excède le passif, ne trouve pas le moyen, grâce au crédit dont il
dispose, de solder les dettes immédiatement exigibles et d’échapper ainsi
à la déclaration de faillite.
2- La quote-part du passif à mettre à la charge des dirigeants :
Ayant constaté l’insuffisance d’actif, le tribunal peut décider que les
dettes sociales seront supportées par les dirigeants sociaux jusqu’à
concurrence du montant qu’il déterminera. On en déduit que les
dirigeants sociaux ne sont responsables du passif social que dans une
proportion arbitrée par le juge qui est dès lors investi d’un pouvoir
discrétionnaire pour déterminer la quote-part du passif à mettre à la
269
charge des dirigeants sociaux. Il s’efforcera de trouver une juste
proportion entre le passif de la société et la fortune personnelle des
dirigeants mis en cause, et peut même aller jusqu’à condamner le
dirigeant à supporter toutes les dettes de la société, voire lui étendre la
faillite sociale 42.
3- Les modalités de répartition des dettes sociales entre les
dirigeants : Le juge est investi d’un pouvoir discrétionnaire pour répartir
le fardeau du passif ainsi fixé entre les dirigeants reconnus responsables
ou pour dégager leur responsabilité. Sans doute, l’article 214 du code des
sociétés commerciales relatif à la société anonyme de type classique en
disposant que le tribunal peut décider que les dettes sociales seront
supportées, jusqu’à concurrence du montant qu’il déterminera « par le
président directeur général, le ou les directeurs généraux adjoints ou les
membres du conseil d’administration, ou par tout autre dirigeant de fait »,
semble établir une échelle de responsables : le président directeur
général, d’abord, les directeurs généraux adjoints, ensuite, et les
dirigeants de fait, enfin. Il en est de même de l’article 254 du code des
sociétés commerciales relatif à la société anonyme à directoire et qui cite
d’abord le président du directoire, ensuite les membres du directoire, et
enfin tout autre dirigeant de fait. Mais il semble qu’il ne s’agisse là que
d’une simple indication et que la liberté d’appréciation du tribunal reste
entière ; soit qu’il lui plaise de faire peser la responsabilité sur le
président seul, soit qu’il tienne tous les administrateurs pour
responsables. Il est également libre d’écarter la solidarité pour certains
d’entre eux, les moins coupables à son avis. Son critère exclusif à l’égard
de chacun des administrateurs résidera dans la gravité de la faute retenue.
Il n’est même pas impossible d’admettre que, dans certaines
circonstances exceptionnelles, un président soit en mesure de se faire
exonérer de toute responsabilité, alors que tel administrateur, profitant
par exemple d’une absence forcée ou d’une maladie du président, aura
commis l’imprudence de se substituer à celui-ci et engagé des opérations
ruineuses le constituant en faute d’après les principes mêmes du mandat
salarié ou de la gestion d’affaires.
42
Trib. 1ère instance de Tunis. Jugement n° 11046 du 18 juillet 1978 (affaire
SOTUMAD). Cité par M. Taoufik BEN NASR. Le P.D.G. de la société anonyme.
P. 199.
270
Il apparaît, en définitive, que les dirigeants sociaux ne sont pas
tenus au paiement du passif social automatiquement du seul fait du
prononcé de la faillite de la société, et que l’obligation qui pèse sur eux
est fonction du nombre et de la gravité des fautes qu’ils ont commises, en
d’autres termes, que l’obligation au passif social ne s’écarte pas
sensiblement du droit commun de la responsabilité. Elle est seulement la
sanction d’une faute de gestion. La preuve en est qu’il suffit de prouver
l’absence de faute pour dégager sa responsabilité. En effet, les textes
précisent que les dirigeants dont la responsabilité est recherchée peuvent
dégager celle-ci en prouvant qu’ils ont apporté à la gestion des affaires
sociales toute l’activité et toute la diligence d’un entrepreneur avisé et
d’un mandataire loyal 43 . L’ensemble des textes est certainement
cohérent. Autant il serait injuste que les organes de direction répondent
automatiquement des conséquences de la faillite de la société, autant il
est opportun qu’ils se sentent menacés par cette éventualité.
SECTION II : L’OBLIGATION AU PASSIF SOCIAL : UNE
RESPONSABILITE AGGRAVEE PAR RAPPORT
AU DROIT COMMUN :
La responsabilité des dirigeants sociaux n’est pas une
responsabilité objective fondée uniquement sur le préjudice éprouvé par
les créanciers du fait de l’insuffisance d’actif, mais plutôt une
responsabilité subjective ne se concevant pas en l’absence d’une faute
imputable aux dirigeants incriminés. Est-ce à dire cependant que cette
obligation au paiement du passif social se confond avec le droit commun
de la responsabilité ? La réponse positive n’est pas évidente. En droit
commun, lorsque la société est in bonis, la responsabilité des dirigeants
sociaux suppose la preuve d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de
causalité entre la faute et le préjudice, et cette triple preuve,
particulièrement celle de la faute de gestion et du lien de causalité, est
particulièrement difficile et rend la tâche du demandeur à une telle action
pratiquement impossible, ce qui explique d’ailleurs la rareté des actions
43
Articles 214 et 254 du code des sociétés commerciales. Remarquons toutefois que
l’article 121 du code des sociétés commerciales, relatif à la société à responsabilité
limitée ne contient pas cette précision.
271
en responsabilité contre les dirigeants sociaux lorsque la société est in
bonis. Or, cette tâche est, au contraire, considérablement facilitée lorsque
le demandeur est un syndic agissant sur le fondement des articles 121,
21’ et 254 du code des sociétés commerciales. Cette facilité se révèle à
travers deux éléments : la présomption de faute, d’une part, (1) et
l’interprétation jurisprudentielle du préjudice et du lien de causalité,
d’autre part (2).
1) La présomption de faute
Sous l’empire du code de commerce, le législateur, voulant
aggraver la responsabilité des dirigeants en cas de faillite de la société,
par rapport à la responsabilité du droit commun, a établi une présomption
de faute en faveur du syndic. Par le moyen de cette présomption s’était
opéré un renversement de la charge de la preuve. Ce n’était pas au
syndic de prouver la faute du dirigeant, mais au dirigeant de prouver qu’il
avait apporté à la gestion des affaires sociales toute l’activité et toute la
diligence d’un mandataire salarié 44 . En d’autres termes, l’action en
comblement du passif obligeait le syndic à établir uniquement
l’insuffisance d’actif. Reprenant la question dans ses articles 121, 214 et
254, le code des sociétés commerciales a maintenu la présomption de
faute qui pèse sur les dirigeants en cas d’insuffisance d’actif pour la
société à responsabilité limitée et pour la société anonyme de type
classique, les articles 121 et 214 du code des sociétés commerciales
n’exigeant pas que le syndic rapporte la preuve d’une faute de gestion
pour que le dirigeant social soit condamné au paiement de tout ou partie
du passif social. La situation est cependant apparemment différente pour
ce qui est de la société anonyme à directoire et conseil de surveillance.
Certes, l’article 254 du code des sociétés commerciales ne mentionne pas
expressément que l’action en comblement du passif est soumise à la
preuve d’une faute commise par le dirigeant. Mais il exige que la
demande du syndic soit « motivée », ce qui ne manquera pas de susciter
la question de savoir quels sont les motifs que le syndic doit invoquer. A
cette question, les réponses peuvent être différentes.
Première réponse : On peut penser que le syndic ne doit pas
44
Articles 74 et 160 du code de commerce.
272
prouver la faute du dirigeant, mais uniquement l’insuffisance d’actif.
Cependant, si cette interprétation permet d’harmoniser les différents
textes traitant de l’action en comblement du passif, elle ne doit pas être
retenue pour la simple raison que l’admettre aboutirait à dire que les
articles 121 et 214 du code des sociétés commerciales n’exigent pas que
le syndic prouve l’insuffisance d’actif puisque n’employant pas le terme
« motivée », ce qui n’est pas envisageable.
Deuxième réponse : On peut soutenir qu’en employant le terme
« motivée » le législateur exige la preuve d’une faute commise par le
dirigeant social. Cette interprétation n’est pas dénuée de toute utilité
puisque instituer une présomption de faute à l’égard du dirigeant social
en cas de faillite de la société et d’insuffisance d’actif peut paraître
critiquable. Il ne fait pas de doute qu’une société puisse tomber en faillite
à cause de la défaillance de ses débiteurs ou d’un concours de
circonstances économiques difficiles. En effet, quelle faute peut-on
reprocher à un dirigeant d’une société de textile faillie à la suite de la
fermeture du marché européen ? C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le
législateur français, conscient de la sévérité de la présomption de faute
qui pèse sur les dirigeants sociaux, a fini par remanier fortement le
régime de l’action en comblement du passif, en exigeant la preuve de la
faute et du lien de causalité dans le cadre de la loi n° 85-98 du 25 janvier
1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaire des
entreprises. En effet, l’article 180 de cette loi a remplacé le mécanisme
de la faute présumée par celui de la faute prouvée, en d’autres termes,
l’insuffisance d’actif ne peut être mise à la charge du dirigeant que s’il
est démontré au préalable l’existence d’une faute de gestion ayant
contribué à sa création. La responsabilité des dirigeant en cas
d’insuffisance d’actif devient ainsi une responsabilité de droit commun.
Ce changement a été expliqué par le souci de ne pas accabler les
dirigeants sociaux qui ont accepté de gérer la société, notamment en
périodes de crises 45.
En dépit de ces justifications, cette interprétation ne doit,
cependant pas, être admise pour les deux raisons suivantes :
45
Y. Guyon ; Droit des affaires. N° 1377 p. 398.
273
1- Si en employant le terme « motivée » le législateur a voulu
exiger la preuve d’une faute commise par le dirigeant social, pourquoi ne
l’a-t-il fait que pour la société anonyme à directoire et conseil de
surveillance, et pourquoi a-t-il précisé dans l’alinéa 2 du même article
254 que « pour dégager leur responsabilité et échapper au comblement de
l’insuffisance d’actif, les personnes citées doivent faire la preuve qu’ils
ont apporté à la gestion de la société toute l’activité et toute la diligence
d’un entrepreneur avisé et d’un mandataire loyal » ?
1-La présomption de faute en la matière n’est pas inutile et ne
porte nullement atteinte à la libre initiative. Il faut convenir, en effet, que
la présomption de faute correspond, dans la grande majorité des cas, à la
réalité, en l’occurrence, l’insuffisance d’actif est souvent provoquée par
la faute des dirigeants.
Nous pensons donc que le terme « motivée » employé dans
l’article 254 du code des sociétés commerciales n’a pas de sens et que,
même dans la société anonyme à directoire et conseil de surveillance,
l’action en comblement du passif demeure une responsabilité pour
gestion fautive présumée.
1) L’appréciation du préjudice et du lien de causalité :
Si la présomption de faute confère ainsi à la responsabilité des
dirigeants sociaux une certaine autonomie par rapport au droit commun
de la responsabilité, cette autonomie se trouve encore renforcée par
l’interprétation jurisprudentielle et doctrinale des deux autres éléments
constitutifs de l’obligation au passif social à savoir le préjudice et le lien
de causalité.
Concernant le préjudice, Il est évident que la responsabilité des
dirigeants sociaux ne peut être engagée que si la faillite de la société
cause un préjudice à ses créanciers. En effet, la faillite de la société
n’implique pas nécessairement que les créanciers sociaux soient lésés. Si
les biens sociaux suffisent à les payer, ils ne peuvent pas agir contre les
dirigeants. C’est la raison pour laquelle les articles 121, 214 et 254 du
code des sociétés commerciales exigent que la faillite de la société fasse
apparaître une insuffisance d’actif. Et c’est cette insuffisance d’actif qui
274
constitue le préjudice causé aux créanciers. Cependant, l’interprétation
qu’a donnée la jurisprudence de cette notion a eu pour effet d’élargir
considérablement le domaine de la responsabilité des dirigeants. Certes,
les tribunaux exigent, d’une part, que l’insuffisance d’actif soit certaine,
c’est à dire qu’il ne suffit pas au syndic de faire état d’une simple
éventualité de préjudice, et d’autre part, que cette insuffisance d’actif soit
établie en tenant compte uniquement de l’état patrimonial du débiteur
antérieur au jugement déclaratif de faillite qui cristallise en quelque sorte
la situation. Il ne peut notamment être tenu compte d’un passif de masse
qui serait lié à la continuation de l’exploitation. Mais les tribunaux,
approuvés par la majorité des auteurs, considèrent que l’expression
« insuffisance d’actif » ne doit pas être entendue dans le sens où elle est
employée en cas de « clôture pour insuffisance d’actif », il suffit que
l’actif ne permette pas de payer les créanciers. Autrement dit, il n’est pas
nécessaire que l’insuffisance d’actif soit totale et justifie la clôture
provisoire des poursuites. Une insuffisance partielle d’actif par rapport au
passif pourrait entraîner la condamnation du dirigeant social. Cette
insuffisance d’actif existe lorsque la société est insolvable, c’est à dire
lorsque la totalité de son passif chirographaire et privilégié est supérieur à
la totalité de son actif. De plus, les tribunaux n’exigent pas, pour la
recevabilité de la demande du syndic, que l’insuffisance d’actif soit
intégralement chiffrée. Une telle interprétation jurisprudentielle présente
des dangers évidents. Il est bien certain, en effet, que cette interprétation
aboutit en pratique à la suppression pure et simple de la condition de
préjudice puisqu’il est rare que les faillites se soldent à 100%, et qu’ainsi
il y’aura toujours une insuffisance d’actif. Une présomption de préjudice
est ainsi attachée par la jurisprudence à la faillite de la société, et l’on
risque alors de transformer, par le biais d’une action en responsabilité,
tout dirigeant social en associé indéfiniment responsable des dettes
sociales.
Pour ce qui est du lien de causalité, et partant du fait que les
articles 121, 214 et 254 du code des sociétés commerciales ne
mentionnent pas cette condition, on pourrait être tenté d’affirmer que le
juge n’est pas tenu de relever l’existence d’un rapport de cause à effet
entre les agissements du dirigeant et l’insuffisance d’actif. Cette
affirmation peut même être justifiée par deux arguments au moins. D’une
part, il est souvent difficile d’établir le lien existant entre un acte précis
275
de gestion de l’entreprise et les conséquences qui en ont découlé pour
cette dernière, notamment lorsqu’elle a été déclarée en faillite. Les causes
de l’insuffisance d’actif sont, en effet, diverses et peuvent résulter de la
conjugaison d’une série de facteurs intérieurs et extérieurs à l’entreprise.
D’autre part, la faute étant présumée, il existe, ipso facto, une
présomption de lien de causalité. On présume que l’insuffisance d’actif
est due à la gestion des dirigeants et non aux circonstances économiques.
Cette interprétation doit, cependant, être rejetée. En effet, l’adjonction de
la présomption de causalité à celle de la faute devrait impliquer que si le
dirigeant doit répondre de l’insuffisance d’actif ce n’est pas seulement
parce qu’il est présumé avoir commis une faute, mais aussi parce que ces
fautes sont censées avoir causé la faillite ou tout au moins l’insuffisance
d’actif. Or, étant libre de déterminer le montant du passif qui sera
supporté par le dirigeant, le juge doit tenir compte de la gravité des
agissements des dirigeants et de leur influence sur la faillite de la société.
Et effectivement, les tribunaux français apprécient souvent la
responsabilité des dirigeants sociaux en fonction de la gravité des fautes
commises et semblent ainsi exiger un lien de causalité entre ces fautes et
le préjudice causé aux créanciers.
Sfax le 7 novembre 2004
276