Une nouvelle façon d`aborder les marchés du Golfe
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Une nouvelle façon d`aborder les marchés du Golfe
45 Une nouvelle façon d’aborder les marchés du Golfe Zoubir Rabia [email protected] Zoubir Rabia est Conseiller Maghreb Proche et Moyen-Orient à la Direction internationale de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris (CCIP). Il conseille et accompagne les entreprises françaises dans leur développement international et, plus particulièrement, sur les pays du Golfe (Arabie Saoudite, Émirats Arabes Unis, Qatar pour l’essentiel). L’interview ! L es pays du Golfe bénéficient d’une croissance dynamique, grâce notamment à la demande mondiale d’hydrocarbures (40 % des réserves pétrolières mondiales sont concentrées dans la zone). Aujourd’hui, passage obligé pour pérenniser cette croissance, dans une optique de l’après-pétrole et pour les générations futures tous ont opté pour une nouvelle stratégie. Celle-ci consiste à réinvestir cette manne financière à la fois dans leur économie domestique (infrastructures, investissements productifs, attraction des entreprises étrangères, etc.) et dans le reste du monde (prise de participation dans des terres agricoles, des entreprises étrangères, etc.). Faut-il rappeler que les membres du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) ont les moyens de leurs ambitions ?... Analyses Une nouvelle façon d’aborder les marchés du Golfe Les arguments ne manquent pas ! Je citerais tout d’abord la transformation en cours de ces différents pays : tous sont dans une logique de l’après-pétrole, ce qui implique une nouvelle stratégie de développement, une réorientation du mode de croissance. Et pour cela, de l’Arabie Saoudite au Qatar, les autorités locales cherchent à s’appuyer sur les entreprises étrangères en leur proposant des avantages financiers ou fiscaux non négligeables en contrepartie de l’apport d’une valeur ajoutée nécessaire à cette croissance… Les besoins sont immenses, quels que soient les secteurs d’activité… et les moyens financiers disponibles à la hauteur des ambitions d’évolution et de développement des économies intérieures : tous ces pays ont des projets économiques considérables à horizon 2030 ! Le facteur démographique est également un atout : la population, très jeune et très urbanisée, croît de plus de 2 % par an. Ce marché, aujourd’hui estimé à 46 millions de consommateurs, pourrait atteindre 57 millions d’individus en 2025 2 (flux migratoires compris), ouvrant ainsi de grandes opportunités pour nos entreprises. Enfin, je mentionnerais l’amélioration en cours de la qualification de la main-d’œuvre. Jusqu’ici, les « natifs » étant plutôt une population de rentiers ou quasirentiers, leur formation n’était plus vraiment adaptée aux besoins des entreprises. Mais désormais, la politique consiste à faire travailler l’ensemble de la population et deux types d’actions sont mis en œuvre pour renforcer les qualifications de la main-d’œuvre : è d’une part, des bourses conséquentes sont offertes aux étudiants pour aller étudier à l’étranger ; si cette politique a toujours existé, elle se renforce aujourd’hui ; è d’autre part, les Émirats Arabes Unis, le Qatar, ou encore l’Arabie Saoudite, par exemple, cherchent à attirer les organismes de formation étrangers : La Sorbonne, HEC Paris, les grandes universités anglosaxonnes, sont déjà implantés dans l’un de ces pays. (1) Propos recueillis par Sandrine Rol le 23 mars 2012. (2) Voir dans ce même numéro d’Accomex l’article de Gérard-François Dumont : « La dynamique démographique et les quatre marchés du Conseil de Coopération du Golfe ». Zoom sur... Quels arguments mettriez-vous en avant pour inciter les entreprises françaises à s’intéresser aux pays du Conseil de Coopération du Golfe ? 1 En pratique C’est donc une nouvelle façon d’aborder ces marchés qui s’impose désormais aux entreprises françaises : le Qatar, l’Arabie Saoudite ou encore les Émirats Arabes Unis - pour ne citer que ceux-là - disposent d’un important secteur privé et d’hommes d’affaires aguerris et exigeants. De plus en plus ouverts sur le monde extérieur et déterminés à développer des activités à forte valeur ajoutée, ces différents pays misent notamment sur les entreprises étrangères et leur offrent donc de belles d’opportunités d’affaires et d’investissement. 46 Accomex n° 103 - Pays du Golfe Vous pensez donc que les taux de croissance observés dans la région, qui ont de quoi faire pâlir d’envie les Européens, sont pérennes ? Oui très certainement ! Et pas uniquement pour des raisons démographiques. Le changement de stratégie de croissance en cours implique, en effet, de passer d’un modèle de « pays consommateurs », dans le sens où ces pays importaient essentiellement des produits finis, à un modèle basé sur la production ou la transformation de marchandises moyen/haut de gamme sur place. L’objectif affiché est clairement de créer de la valeur ajoutée dans les pays même, ce qui se traduit progressivement par une diversification des économies et des besoins. Pérenniser la croissance, cela passe par le développement de la formation et de centres de recherches, en partenariat avec les entreprises étrangères. En Arabie Saoudite, par exemple, une technopole (sur le modèle de Sophia Antipolis en France) est en cours de développement, avec et autour de la King Abdullah University of Science and Technology ; et les investisseurs étrangers - entreprises et centres de recherche - se voient proposer des avantages financiers importants s’ils acceptent de s’installer dans cette technopole. Avec un budget de 10 milliards de dollars, attirer la valeur ajoutée et le savoir-faire étranger n’est pas si compliqué, a fortiori à un moment où les entreprises occidentales manquent de ressources ! Enfin, les politiques d’investissement à l’étranger développées aujourd’hui par la Qatar, à l’instar de ce qui a été fait dans les années 1980 par le Koweït, procèdent de cette même nouvelle stratégie de pérennisation de la croissance, d’utilisation de la manne pétrolière. Il ne s’agit pas d’investir tout azimut mais bien de s’affirmer sur la scène internationale, de se positionner comme un acteur majeur au niveau mondial, à la fois d’un point de vue économique et politique. Un mot sur les risques politiques : comment convaincre les entreprises françaises d’aller dans l’une des zones les plus agitées de la planète à l’heure actuelle ? Je ne parlerais pas d’une zone « agitée » mais plutôt d’une région « sous tension ». Ces tensions ne sont pas nouvelles ; elles ont notamment contribué à la hausse des cours du pétrole (les prix du baril sont passés de dix dollars à la fin des années 1980 à plus d’une centaine de dollars aujourd’hui) et cela sert les intérêts des uns et des autres au Moyen-Orient… ne soyons pas hypocrites ! Les entreprises françaises peuvent donc aujourd’hui se tourner vers ces marchés, comme elles le faisaient hier. Si, par contre, vous pensez au Printemps arabe, bien sûr, le risque politique n’est pas nul ! Les pays du CCG ont, eux aussi, été impactés par les révoltes (on a beaucoup parlé de Bahreïn dont le mouvement contestataire semble différent). Mais le traité qu’ils avaient signé, sur des dispositions à la fois économiques et politiques, a permis de créer une force de stabilisation. C’est dans ce cadre que l’armée saoudienne est entrée au Bahreïn. En outre, la position des autorités des différents pays a consisté à étouffer les dissensions et à faire taire les revendications, en puisant dans la manne financière à leur disposition. Par exemple, l’Arabie Saoudite a immédiatement injecté 10 milliards de dollars dans le social (augmentation des salaires du public, allocations, etc.) et 130 milliards de dollars dans l’amélioration du cadre de vie et dans des travaux d’infrastructures sur plusieurs années. La population saoudienne est « sous perfusion », le Roi Abdallah est très apprécié et les risques de soulèvements massifs peu probables. Quelles qualités doit avoir le chef d’entreprise français pour aborder les marchés du Golfe ? Le secteur privé est très important dans les pays du Golfe, mais les hommes d’affaires sont souvent des Anglo-saxons, des Indiens, des Libanais, des Malais, etc. Il faut donc avoir une approche très multiculturelle pour aborder ces marchés et réussir ses négociations. Par contre, il ne faut pas oublier qu’en général, la décision finale revient à un natif, avec qui vous n’aurez pas forcément eu de contact direct : lui seul à le pouvoir in fine, même si sa décision sera bien entendu influencée par le partenaire avec lequel vous avez traité. Il est important aussi de bien cibler son partenaire dès les premières prises de contact et de viser le « gagnant-gagnant ». Pour réussir - mais cela n’est pas propre aux pays du Golfe ! -, il faut « se débarrasser de l’arrogance française » et faire preuve d’humilité, ce qui implique notamment de s’imprégner de la culture du pays ciblé. Travailler avec les pays du Golfe requiert également une présence régulière sur place ; il faut « investir » le pays choisi, y passer du temps, privilégier une stratégie de pénétration du marché plutôt que de chercher d’entrée de jeu à dégager une forte marge : cette région du monde n’est pas l’eldorado que l’on pourrait imaginer ; il faut se donner les moyens de son ambition pour parvenir à ses fins… Enfin, patience et pugnacité sont deux qualités indispensables pour réussir dans le Golfe. Les négociations prennent du temps et vont en prendre de plus en plus dans le futur pour au moins deux raisons : Non, il n’est pas recommandé d’adopter la même approche pour ces différents pays ! D’ailleurs, je déconseille même aux entreprises françaises de se lancer sur tous ces marchés à la fois ! Tous appartiennent au Conseil de Coopération du Golfe et disposent ainsi d’une libre circulation des marchandises. Pourtant, ils sont distincts : non seulement ils ont des sensibilités culturelles différentes, leurs propres particularités (codes) et des avantages comparatifs différents, mais ils affichent des divergences au niveau du monde des affaires et de leur perception du CCG. Je dirais qu’il faut adopter une approche similaire à celle que l’on pourrait avoir avec les pays membres de l’Union européenne. Attention également de ne pas se méprendre sur une approche régionale du Golfe : en dépit de leur proximité géographique, tous les pays ne permettent pas d’accéder aux marchés voisins. Si vous vous implantez aux Émirats Arabes Unis, par exemple, ne vous imaginez pas entrer facilement en Arabie Saoudite… au contraire ! En fait, deux pays se distinguent comme de véritables « portes d’entrée » vers les autres membres du CCG : è Dubaï est un incontournable et permet d’aborder le Qatar et Oman ; è L’Arabie Saoudite est, certes, un marché à elle toute seule, mais elle peut également servir de porte d’entrée vers le Koweït et Bahreïn. Enfin, penser que la réussite financière du business ne repose que sur la taille « physique » du marché et se focaliser, pour cette raison, sur la seule Arabie Saoudite serait une grave erreur… Les EAU, par exemple, véritable plateforme de réexportation, sont, certes, un marché de niches, mais si l’entreprise dispose d’un produit vraiment novateur, elle pourra en tirer un grand bénéfice. Dans le secteur de la décoration, pour ne parler que de celui-là, il faut vraiment proposer un concept nouveau, un savoir- Les pays du Golfe disposent d’un certain nombre de caractéristiques communes, au point, justement, de chercher par différents moyens à se démarquer les uns des autres afin d’exister dans un environnement régional de plus en plus concurrentiel. On retrouve ainsi au Qatar, comme en Arabie Saoudite ou aux EAU, cette volonté de monter en gamme, d’attirer des activités à forte valeur ajoutée et donc de privilégier la recherche. De même, tous ces pays disposent de fonds souverains et misent, à des degrés divers, sur le développement d’une croissance externe (environ la moitié des dix premiers fonds souverains au monde sont localisés dans la région du Golfe). Les stratégies de différenciation, quant à elles, s’observent au moins à deux niveaux : è d’un point de vue sectoriel, les pays semblent s’être spécialisés sur des filières afin d’assurer leur visibilité au niveau régional et mondial : Oman privilégie le tourisme, le Koweït est un gros marché pour le monde du luxe et de la mode, le Qatar se tourne avant tout vers le sport et le luxe, Dubaï & Abu Dhabi travaillent leur image de hub commercial et l’Arabie Saoudite se positionne comme le centre religieux de la région, avec notamment le pèlerinage de la Mecque. è Sur le plan de l’environnement des affaires : le Koweït est plus difficile d’accès (droits de douanes et règles d’implantation) que les EAU, qui disposent de zones-franches ; l’Arabie Saoudite autorise globalement la participation majoritaire des entreprises étrangères, à l’exception de quelques secteurs stratégiques ; le Qatar impose un partenaire, appelé un sponsor. Il est également intéressant de noter que deux pays se démarquent des autres membres du CCG en cherchant à jouer un rôle politique, à la fois au niveau régional et au niveau mondial : è L’Arabie Saoudite endosse un rôle de régulateur économique - compte tenu de son poids dans la production d’hydrocarbures - et politique face à l’Iran, à l’Irak et à la situation du Proche-Orient ; è Le Qatar s’interface depuis quelques années, recherchant une reconnaissance politique aux côtés de l’Arabie Saoudite. En 2009, par exemple, un accord a été signé entre le Liban et la Syrie, au Qatar, sous l’égide de la Turquie. Aujourd’hui, ce pays est omniprésent diplomatiquement dans les discussions syro-occidentales… Analyses Qu’est-ce qui rapproche ou, au contraire, différencie le plus les membres du Conseil de Coopération du Golfe ? L’interview ! Le Conseil de coopération du Golfe regroupe un ensemble de pays très hétérogènes… peut-on malgré tout approcher ces six pays de la même façon ? faire particulier pour espérer l’emporter face à la concurrence aux Émirats. En pratique La population des hommes d’affaire évolue. Aujourd’hui, ces pays sont ouverts, et que ce soit les Émiratis, les Qataris, etc., tous disposent des mêmes technologies de l’information que vous et moi ; ils ont donc le même niveau d’information que vous pour mener leurs négociations, et leur niveau de connaissance et d’éducation continue de s’améliorer… è Les hommes d’affaire du Golfe sont de plus en plus sollicités par les chefs d’entreprises du monde entier et la concurrence est telle qu’ils sont de plus en plus exigeants. è 47 Zoom sur... Une nouvelle façon d’aborder les marchés du Golfe 48 Accomex n° 103 - Pays du Golfe Pour terminer, je mentionnerais les projets pharaoniques que chacun des pays du Golfe entreprend : construire une tour plus haute que celle de son voisin représente plus qu’un symbole… Il s’agit, certes, de se démarquer, « d’attirer les projecteurs », mais également d’afficher son ambition et sa fierté nationale. se lancer sur l’un de ces marchés : è dans le cas d’une implantation, il faut déterminer en amont si l’on souhaite plutôt un partenaire dormant ou actif ; è en cas d’exportation, il faut être vigilant quant au dynamisme de votre partenaire et redoubler de présence s’il n’est pas assez actif. Auriez-vous quelques dernières recommandations à formuler aux PME françaises ? Enfin, il est important de « tordre le coup aux idées reçues » ! En dépit d’un certain conservatisme, les populations des pays du Golfe sont des fashion victim, les femmes très coquettes, les nombreux malls très fréquentés, et les codes vestimentaires très précieux pour savoir à qui vous avez à faire (nationalité, positionnement social et hiérarchique, etc.)… Ne vous méprenez pas sur vos interlocuteurs, futurs partenaires ou futurs clients ! J’aimerais revenir sur quelques points fondamentaux : Tout d’abord donner un conseil quant à la stratégie vis-à-vis des pays du Golfe : à ce jour, il est préférable de privilégier Dubaï, l’Arabie Saoudite et le Qatar par rapport aux autres membres du CCG lors d’une première approche de la région. Pour ne parler que de l’Arabie Saoudite, il faut savoir que ce pays, inaccessible jusque récemment encore, commence à s’ouvrir aux investisseurs ; c’est un futur grand marché, en croissance, jeune et connecté à l’Occident qu’il ne faut pas négliger ! Je souhaiterais aussi rappeler combien il est fondamental d’élaborer précisément sa stratégie avant de Les différents marchés du Golfe sont tout à fait accessibles aux PME ; ils ne sont, en tous les cas, pas plus difficiles d’accès que d’autres destinations. Pour bénéficier de conseils et d’un accompagnement, n’hésitez pas à contacter la Direction internationale de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris et à utiliser les réseaux sur place : chambres de commerce françaises à l’étranger, Ubifrance, Conseillers du commerce extérieur français, etc. Le service Maghreb Proche et Moyen-Orient de la Direction internationale de la CCIP La Direction des actions et de la coopération internationale de la CCIP accompagne les PME françaises dans leurs stratégies de développement à travers le monde. Le service Maghreb, Proche et Moyen-Orient est composée d’un responsable, d’une assistante et de trois conseillers. Ces derniers assistent les entreprises dans la mise en œuvre de leur stratégies d’internationalisation sur les pays de la zone ; ils les aident à détecter les opportunités d’affaires dans ces pays, tout en les informant des contraintes législatives, réglementaires et interculturelles. Les conseillers du service Maghreb, Proche et Moyen-Orient proposent différents types d’aides aux entreprises qui souhaitent se développer sur la zone : diagnostic de l’entreprise en fonction de ses opportunités/faiblesses sur les pays de la zone, organisation de séminaires techniques, d’entretiens individuels avec des experts, de missions collectives et individuelles, appui post-mission, aide à l’implantation, recherches de financements, etc. Prochains rendez-vous 2012 pour la zone Moyen-Orient è Mission de prospection commerciale sectorielle (Environnement, Packaging, TIC, Services et Santé) aux Émirats Arabes Unis et au Qatar, du 25 au 28 Juin 2012 ; è Atelier et entretiens individuels autour des Pays du Golfe sur le secteur de la décoration, 20 septembre 2012 ; è Accompagnement sur le salon ASPIRE4SPORT (salon dédié au sport) au Qatar, novembre 2012 ; è Mission de prospection commerciale sectorielle sur le secteur de la décoration en Arabie Saoudite, novembre 2012. En savoir plus : http://www.international.ccip.fr - [email protected] - Tél. : 0 820 012 112 (0,12 €/minute)