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Au début des années 80, Carlotta IKEDA et Ko MUROBUSHI, fondateurs de la compagnie ARIADONE, ont
fait connaître leur lecture du Butô en Europe avec le spectacle “ZARATHOUSTRA”.
Cette oeuvre a marqué les esprits par l’énergie et la violence qu’elle dégageait. La danse contemporaine
occidentale découvrait là un autre langage chorégraphique.
Une question se pose :
Le Butô est-il un mouvement artistique fixé dans une époque ou un état d’esprit, un souffle, une énergie qu’il
est possible de transmettre au-delà de la génération qui l’a fait naître ?
Recréer ZARATHOUSTRA, aujourd’hui, vingt après, c’est prendre le risque de répondre.
La piste de travail initiale consiste a s’inspirer de la mémoire du spectacle (laissée dans les corps, dans les
esprits, dans les bandes musicales, dans les images fixées sur vidéo ou sur photo) et de réécrire une oeuvre
avec de nouvelles danseuses, avec la matière offerte par les identités de chacune.
L’intérêt et l’essence de cette réécriture ne sont pas dans ce simple effort de mémoire mais dans sa capacité à
nourrir l’énergie du présent.
Il s’agira de transmettre cette danse in extenso, de retrouver l’engagement des corps et de vérifier l’actualité
du propos. Sans s’abandonner à la nostalgie, il s’agira aussi d’en explorer les ambiguïtés.
Carlotta IKEDA et Ko MUROBUSHI seront les chorégraphes associés de ce travail.
Les danseurs de Bûto ont volontiers accepté le rejet que les autres formes de danse ont
fait subir au Bûto. Ils ont été expulsés du ballet classique, de la danse moderne et de la
danse traditionnelle japonaise. Le danseur de Butô essaie d’extraire de son corps tous
les éléments nécessaires à sa libération et ne peut donc avoir aucune appartenance, il est
toujours condamné à être un voyageur sans nationalité. Il a décidé de danser dans
plusieurs cultures sans se fixer dans un endroit
Je ne crois au fond ni au succès ni à la mode culturelle. Ce n’est pas mon fort de
prendre une position stratégique. Ce que je veux, c’est la Danse. Je veux danser jusqu’à
la mort. Si je trouve une scène pour ma danse, elle me suffira. C’est un désir minime
mais somptueux, n’est-ce pas ? C’est le plus digne des désirs pour un voyageur sans
nationalité.
Entretien Carlotta Ikeda / Alain Foix
L’œuvre de Nietzsche - Zarathoustra - est un point ou un corps suspendu entre l’Orient
et l’Occident… Nous sommes Zarathoustra.
Je dis plus précisément : nous sommes le contraire de l’œuvre de Zarathoustra, un
Zarathoustra pervers: alors que Nietzsche pense ce point de l’Occident vers l’Orient,
nous, nous le jetons depuis l’Orient.
Nietzsche a annoncé la libération du corps, il a développé une philosophie positive et le
triomphe de la joie, du rire, du plaisir, de la jouissance sans début ni fin.
Notre spectacle est présenté uniquement par des femmes dans un sens ironique pour
une confrontation avec Nietzsche, comme l’écrit Derrida, Nietzsche était un misogyne
acharné, il détestait les femmes. Nietzsche n’était ni homosexuel ni impuissant, mais
seulement trop pur » pour fréquenter les femmes. La distance entre lui et les femmes
s’écroulait uniquement devant la femme-putain, admise à faire l’amour avec lui.
Le sexe, l’amour sont comme une explosion d’un volcan, la fin des tensions de la
séduction. Ce sont vraiment les rencontres magiques du « troisième type »…
l’explosion, la dissociation moléculaire de notre corps.
Entretien Ko Murobushi / Shuhei Hosokawa
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Tableau 1 : LE PALAIS DE REVE
Un léger voile…Limite sensible entre la vie et la mort, au fond se profile un plan incliné…Dionysos, pont
dangereux du corps. Le léger voile, le plan incliné. Cloué là, le corps nu d’une femme. Ariane…
Tableau 2 : LES FERS DE PARAPLUIE
Les cloches du temps s’agitent, se dérèglent. Soudain dans ce chaos, à travers la déchirure apparaît la
réjouissance de la terreur et du comique.
Tableau 3 : LA FORET DE LA FORGE
Dans la forêt des mythologies et des contes, il y avait des assemblées de magiciens qui pouvaient manier en
toute liberté le feu. Souvent estropiés, ils avaient accès au monde des morts et au monde des démons.
Par alchimie qui transforme en les fondant, les métaux, la forêt de Zarathoustra est transposée dans la forêt
japonaise.
Tableau 4 : LA SERVANTE RITUELLE/LA BETE
Vois !…La force magique qui descendit dans la forêt japonaise… Quelle est cette puissance qui appelle,
éveille Dionysos, si ce n’est la force de la prêtresse séquestrée ?
Tableau 5 : LA SAISON DES SORCIERES
D’abord, quelques innocences sont là. Elles dansent, possédées par Dionysos puis rient à gorge déployée…
Tableau 6 : SILS MARIA
Ariane, abandonnée par Thésée, se lance dans le vide. Se jetant à l’eau, elle rencontre Dionysos. En risquant
la mort, voici l’autre amour ! La légende japonaise de la reine OTOTACHIBANA est identique.
Tableau 7 : LOTUS-SERPENT
Les danseuses prennent la forme du serpent, symbole du cercle et du lotus, symbole du devenir
Mort/Résurrection.
Tableau 8 : SPHINX FINAL
La danse se poursuit, toujours en cours. Nous sommes la douleur qui revient. Le sel tombe de la mer
renversée.
Le sel blanc, assèchement de l’âme et de la puissance qui métamorphose.
ZARATHOUSTRA - Variations
Extraits d’une interview de Carlotta IKEDA
* Pourquoi avoir choisi, vingt ans après de présenter ces variations de Zarathoustra, plutôt qu'un autre
de vos spectacles ?
Il ne s'
agit pas de la simple présentation d'
un spectacle mais de la création d'
un nouveau spectacle. Je travaille
avec Ko MUROBUSHI sur une réécriture de ZARATHOUSTRA. Le titre sera ZARATHOUSTRA Variations.
Au début des années 90 un théâtre suisse m'
avait proposé de produire une telle réécriture. J'
avais refusé car je
ne me sentais pas prête pour cela. J'
avais besoin d'
avancer dans mon cheminement artistique.
En 2005, 25 ans après la création de ZARATHOUSTRA, l'
opportunité offerte par le festival Tendances et la
résidence de création au centre culturel "Les Carmes" de Langon a fait écho a mon désir de retravailler cette
pièce et de retrouver l'
énergie qui en avait fondé la force.
La danse Butô a beaucoup évolué en 25 ans et elle a aussi perdu quelque chose. Je souhaite transmettre à mes
jeunes danseuses l'
énergie du Butô des années 80.
* Finalement vous êtes restée fidèle à Bordeaux. Cela vous émeut-il particulièrement de présenter une
version revisitée de ce spectacle dans cette même ville ?
C'
est mon destin qui m'
a emmené à Bordeaux et qui m'
a fait élire domicile en bord de Garonne. Depuis 1992
j'
ai créé tous mes spectacles à Bordeaux et dans ses environs. Depuis 1997 j'
ai ouvert mon studio de danse qui
comme lorsque j'
étais au Japon se trouve dans ma maison. Désormais je vis à Bordeaux. Il est donc naturel
pour moi d'
y créer mes spectacles.
Quand j'
ai décidé de m'
installer ici je pensais y finir ma carrière. Aujourd'
hui mon sentiment a changé et je
sens que je peux continuer à chercher et à développer mon art sans penser à une fin.
Peut-être y a t'
il une renaissance possible près de cette rivière ?
(Il est important de préciser que le spectacle sera présenté le 12 mars 2005 à Langon et non à Bordeaux).
* Qu'avez-vous voulu y ajouter, y retrancher, dire de différent de la première version ? C'est un peu
une mise en danger...
Nous ne vivons pas la même époque. Ma danse comme la société a évolué et ces changements se retrouveront
sur la scène. Le public qui connaît la première version de ZARATHOUSTRA pourra analyser et critiquer les
différences. Le risque est pris.
Le sens artistique de ces variations est le même que pour la version originale. Il y aura de légères différences :
le décor change, la musique est adaptée, les mouvements sont retouchés.
Le plus grand changement consiste à ne pas travailler exclusivement avec des corps orientaux (Chose que je
fais depuis plus de dix ans dans tous mes nouveaux spectacles). J'
ai choisi six danseuses d'
origines différentes.
Je ne sais pas quel ressenti va générer ce choix, ce métissage, mais j'
aime aussi prendre ce risque là.
* Comment y avez-vous travaillé et comment pensez-vous que le Butô est perçu aujourd'hui ? Il est
forcément plus connu qu'il y a vingt ans, cela change-t-il votre façon de travailler ?
Je pense que le Butô a beaucoup apporté à la danse contemporaine européenne. En particulier la notion
d'
identité et d'
humanité inscrite dans le corps. Le Butô est la danse de la réconciliation ou de la quête de son
être et de son identité. Peut-être que la danse contemporaine occidentale a pris cette influence au Butô. Et c'
est
peut-être grâce à cela que le Butô n'
est pas mort. Aujourd'
hui il existe une influence mutuelle entre la danse
contemporaine et le Butô.
La reconnaissance progressive du Butô n'
a rien changé à ma façon de travailler. Je cherche toujours mon
identité à travers ma danse et je ne l'
ai toujours pas trouvée.
Peut-être la trouverai-je après ma mort ?
Peut-être les danseurs n'
ont-ils pas d'
identité ?
Interview réalisée par Céline Musseau le 18 février 2005