« Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas
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« Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas
« Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas. » Cette parole de Jésus semble bien être la pointe des textes de ce dimanche. La liturgie de ces derniers jours de l’année liturgique comme d’ailleurs celle des premiers jours de l’Avent, est une liturgie pour temps troublés, pour temps incertains. Les textes de l’Evangile et de la première lecture relèvent d’un genre littéraire très particulier, le genre de l’Apocalyptique, un genre littéraire pour temps troublés. Le livre de Daniel a été écrit dans un de ces temps très incertains de l’histoire du peuple hébreu, alors que celui-ci était confronté à une remise en cause politique, sociale, religieuse, philosophique par la déferlante grecque qui recouvrait tout l’Orient et semblait devoir faire disparaitre sous sa puissance et son prestige toutes les cultures locales, dont la très archaïque culture juive. Dieu a alors suscité un prophète, qui oriente le regard des croyants vers la fin, la fin des temps dévoilée comme la victoire définitive de Dieu, plus belle, plus éclatante encore que les victoires remportées par Dieu pour son peuple contre l’Egypte et contre Babylone. C’est Michel, le Prince des milices célestes qui dans le premier texte remporte au nom de Dieu la victoire décisive qui ouvre aux croyants, probablement ceux qui sont morts par fidélité au Nom de Dieu, les portes de la vie éternelle, dans une libération définitive, infiniment plus profonde que celle de l’esclavage d’Egypte ou de la captivité à Babylone. Le passage de Marc que nous avons entendu dans l’Evangile est de la même trempe. Ce ne sont plus les grecs qui menacent l’identité juive mais Rome qui, semble-t-il, vient de remporter la victoire sur les insurgés juifs : le Temple, le foyer du culte juif, la gloire d’Israël, n’est plus. La guerre juive, dont nous connaissons bien le déroulement par un transfuge Flavius Josèphe, a été particulièrement longue et cruelle. Marc s’adresse aux juifs ayant embrassé la foi en Jésus-Christ, rejetés à la fois par la Synagogue et par la puissance romaine pour là encore orienter leur regard vers la fin. Il leur dit : vous avez vécu l’effondrement de ce qui semblait le plus solide, le plus vénérable du monde juif, vous verrez plus, plus effrayant peut-être, l’obscurcissement de la lune et du soleil, la chute des étoiles et l’ébranlement des puissances des cieux, l’image est somptueuse, tous vos repères, y compris les plus fondamentaux, la succession du jour et de la nuit, le cours des astres, tout cela sera ébranlé, tout passera.... « Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas. » Ces textes apocalyptiques, qui annoncent la grande, la belle Apocalypse de Jean mêlent de manière déroutante l’évocation de la fin des temps, la mémoire des grands ébranlements du passé, en particulier la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor, et des évènements contemporains, comme la profanation du Temple par les grecs pour Daniel ou la prise de Jérusalem par Titus pour Marc, comme pour nous dire que dans ce chaos de l’histoire, la seule chose stable, sur laquelle il est possible de bâtir fermement, c’est la Parole ressuscitée du Christ de Dieu : « Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas. » Parole ressuscitée parce que la Pâque de Jésus est présente, discrètement dans ces textes. L’évocation des phénomènes cosmiques associés à la fin des temps dans l’Evangile renvoie en effet à l’obscurcissement du soleil, aux ébranlements de la terre qui ont accompagné la mort de Jésus. Ainsi est-il discrètement révélé que les temps derniers annoncés par les Apocalypses, les temps de la victoire définitive de Dieu sur les puissances déchainées du mal et de la violence sont inaugurées par la Pâque du Christ. Désormais nous sommes dans ces temps qui sont les derniers, et que les Apocalypses nous invitent à lire comme les temps de la victoire définitive du ressuscité, par-delà les soubresauts les plus déstabilisants de l’histoire des hommes. Nous vivons nous aussi, aujourd’hui, des temps troublés, nous ne sommes pas les premiers mais force est de reconnaitre que beaucoup de points d’appui sur lesquels nous nous appuyions depuis des générations semblent céder. La supériorité culturelle, économique à laquelle, Européens, nous nous étions habitués depuis plus de trois siècles semble de plus en plus contestée ; au plan religieux, le christianisme semble menacé dans ses fiefs les plus solides ; les structures familiales que nous considérions peut-être à tort comme éternelles, ou comme une sorte d’accomplissement indépassable, confondant peut-être progrès historique et plan de Dieu, sont fragilisées ; la définition de l’humain semble elle-aussi ne plus être aussi sûre qu’autrefois : le transhumanisme rend incertaines les limites entre homme et machine après que la vieille frontière entre homme et animal eût été elle aussi bien fragilisée, l’identité vacille dans des composantes aussi essentielles que les dimensions culturelle ou même sexuelle....Il y a belle lurette que l’idée de progrès ne fait plus rêver. Ne parlons même pas des grands soirs politiques auxquels plus personne ne croit même si le théâtre démocratique tient encore debout cahin-caha. Dans ce paysage fragilisé, ébranlé jusque dans ses fondements, où plus aucun point d’appui ne semble assuré, il nous faut entendre de la bouche même de Jésus : « Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas. » Le seul point fixe, car il en demeure un, est la Parole de Dieu. Comme dans la parabole de la maison bâtie sur le roc. Le roc c’est celui de la Parole. Le roc n’est jamais celui d’une philosophie, ou même d’une conception anthropologique, encore moins celui de valeurs morales, aussi nécessaires soient-elles. Ne parlons évidemment même pas de ces ersatz de valeurs que sont la laïcité ou une tolérance molle gavée de bonnes intentions qui, jamais ne pourront prétendre à être ce socle, ce roc, ce point d’appui sur lequel bâtir notre maison personnelle ou commune. Seule la Parole de Dieu ne passera pas. La seule réalité sur laquelle nous sommes certains de pouvoir risquer notre vie c’est la Parole de Dieu, vivante, efficace aujourd’hui comme depuis plus de 3000 ans. Quelle est cette Parole ? Evidemment c’est la Parole consignée dans les Ecritures, Ancien et Nouveau Testament. Mais cette Parole c’est avant tout une Parole ressuscitée, l’ultime Parole prononcée par Dieu en son Fils au matin de Pâques. Michel Crépu disait de son père, Roger, que j’ai eu l’honneur d’enterrer, qu’il pensait profondément que la seule chose qui comptait était la Résurrection, et que tout le reste n’était que littérature. Lisons, relisons, ruminons la Parole de Dieu sous le signe de l’évènement ultime, celui de la Résurrection et nous saurons d’expérience, une expérience authentiquement spirituelle, que tout, le ciel et la terre mais aussi nos structures sociales, familiales, politiques religieuses, peuvent passer....mais « Le ciel et la terre passeront, mes paroles, elles, ne passeront pas. » Il peut être douloureux de voir un monde que nous avons aimé, qui nous a beaucoup apporté, qui nous a façonnés, s’effondrer sur lui-même, et parfois même il peut-être légitime et nécessaire de se lever pour le défendre, mais n’oublions jamais que tout cela n’est pas la réalité ultime, « Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas. » Le judaïsme nous laisse un exemple historique de cette solidité extrême de la Parole de Dieu, il n’a dû sa survie, au cours d’une histoire trimillénaire incroyablement secouée qu’au choix ultime qu’il a fait de faire de la Parole sa demeure. A sa suite, faisons de la Parole, la Parole incarnée, crucifiée et ressuscitée notre demeure et là nous sommes absolument sûrs que nous sommes sur le roc et que rien ne peut nous arriver car « Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas. »