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Réanimation 12 (2003) 360–364 www.elsevier.com/locate/reaurg Rapports d’experts Mise en route d’une nutrition par voie entérale : modalités pratiques Enteral nutrition: practical modalities B. Raynard a,*, J.C. Preiser b,c a Service de réanimation polyvalente, institut G.-Roussy, 39, rue Camille-Desmoulins, 94805 Villejuif cedex, France b Service des soins intensifs, CHU Liège, domaine universitaire Sart-Tilman, B-4000 Liège 1, Belgique c Erasme University-Hospital, Bruxelles, Belgique Reçu et accepté le 24 avril 2003 1. Voies d’abord et sondes de nutrition entérale La faisabilité de la nutrition entérale dépend d’abord du choix de la voie d’abord et du matériel. Les malades de réanimation possèdent souvent une voie d’abord digestive initialement dédiée à la décompression abdominale. Elle peut ensuite être utilisée ou remplacée pour débuter la nutrition entérale. Les améliorations récentes des sondes d’alimentation et les nouvelles techniques de pose de sondes jéjunales ou de stomies digestives permettent de fournir une « solution entérale » pour la grande majorité des patients de réanimation. La mise en route de la nutrition entérale est souvent prudente en réanimation. Le moment de la mise en route et le choix du débit sont des éléments essentiels pour la tolérance, en particulier chez les patients instables. L’emploi de sondes de plus petit calibre en silicone ou en polyuréthane pourrait réduire ce risque. La voie orale est employée en cas d’obstacle nasal ou de traumatisme de la face [7]. Des essais comparant la voie orale et nasale ont été effectués chez l’enfant et en particulier chez le nouveau-né. Les résultats de ces essais ne peuvent donc pas être extrapolés à l’adulte. L’instillation gastrique est la plus simple en pratique. L’extrémité de la sonde doit donc se situer dans le fundus ou dans l’antre, plutôt que dans la région sous-cardiale pour limiter le risque d’inhalation. L’instillation continue dans l’antre pourrait favoriser le pylorospasme et donc la gastroparésie. Idéalement, l’extrémité distale de la sonde doit donc se trouver dans la partie verticale de l’estomac. En pratique, il est difficile de connaître la localisation précise de l’extrémité distale de la sonde. 2. La sonde gastrique 3. La sonde jéjunale L’utilisation d’une sonde d’alimentation est recommandée en première intention par toutes les conférences de consensus [1–4]. Sa pose est simple et peu risquée. Lors de sa mise en place, surtout chez le patient inconscient ou non coopérant, le risque de faux trajet dans la trachée ou dans les bronches existe, pouvant exceptionnellement occasionner un pneumothorax ou un pneumomédiastin. Le contrôle de la bonne position de la sonde est indispensable dans tous les cas. La sonde est le plus souvent introduite par voie nasale en réanimation, même si cette voie est source d’infections sinusiennes [5,6]. Le risque de sinusite a surtout été évalué avec des sondes gastriques de gros calibre (14 à 18 F) et en PVC. * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (B. Raynard). © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/S1624-0693(03)00081-1 La mise en place d’une sonde au-delà de l’angle de Treitz est justifiée en cas de troubles persistants de la vidange gastrique, de pancréatite aiguë compliquée ou de fistule pancréatique à débit élevé [4,8]. Certaines sondes nasojéjunales à trois voies possèdent une lumière pour l’alimentation transpylorique, une pour l’aspiration digestive et une prise d’air ; elles permettent une meilleure tolérance de la nutrition entérale, chez les patients ayant un trouble de la vidange gastrique. Le passage postpylorique spontané de la sonde est rare. Celui-ci est facilité par des sondes lestées, l’utilisation de prokinétiques ou la pose de la sonde sous contrôle radiologique ou endoscopique. Une revue récente de la littérature montrait que le métoclopramide était inefficace pour augmenter le taux de passage postpylorique de la sonde, alors B. Raynard, J.C. Preiser / Réanimation 12 (2003) 360–364 que l’érythromycine était efficace dans deux essais sur trois [9]. D’autres techniques ont été proposées comme l’utilisation d’un aimant, l’insufflation d’air, ou la mise en décubitus latéral droit, mais elles restent insuffisamment validées [10–12]. Davies et al. ont montré que la nutrition entérale administrée par une sonde nasojéjunale placée endoscopiquement au-delà de l’angle de Treitz permettait une réduction significative du volume résiduel gastrique et un moindre recours à la nutrition parentérale [3]. De même, Montejo et al. ont constaté que la nutrition entérale par voie nasojéjunale était associée à des résidus gastriques plus faibles que lors de la nutrition par voie gastrique [4]. Entre les mains d’une équipe entraînée, la sonde postpylorique permet des apports nutritionnels supérieurs, dans un délai plus court, par rapport à la sonde gastrique [4–7]. Il n’est pas démontré que le placement de la sonde en postpylorique mais non jéjunale réduise le risque d’inhalation. Seule une sonde placée au-delà de l’angle de Treitz pourrait permettre une réduction de l’incidence des pneumopathies acquises sous ventilation. 4. Indications d’une gastrostomie ou d’une jéjunostomie La gastrostomie est réalisable chez les malades de réanimation [13–15]. Elle est habituellement réservée à la nutrition entérale prolongée comme le suggèrent l’American Gastroenterology Association [4] et l’expérience des équipes ayant en charge des patients neurologiques alimentés de façon prolongée [16,17]. Dans ces études, la gastrostomie permettait des apports calorico-azotés optimaux par rapport aux apports délivrés par sonde [17] et la charge en soins infirmiers était réduite [16]. Aucune étude n’a véritablement validé cette attitude en réanimation, ni comparé la sonde gastrique à la gastrostomie d’emblée. La jéjunostomie est, elle aussi, réalisable en réanimation [18–20], mais ses indications ne sont pas encore définies. Elle pourrait cumuler les avantages, mais aussi les inconvénients, de la gastrostomie et de la sonde jéjunale. Les stomies digestives peuvent être posées par voie endoscopique percutanée, radiologique, ou chirurgicale par minilaparotomie. Aucune de ces techniques n’a véritablement démontré sa supériorité par rapport aux autres. Il n’existe aucune différence en terme de complications (à peu près 25 %) entre la gastrostomie par voie endoscopique et la gastrostomie chirurgicale [21–23]. Les principales complications décrites de l’abord chirurgical sont des infections de paroi, des désunions de cicatrices, des nécroses intestinales, des occlusions mécaniques du grêle par un tube de gastrostomie et des occlusions de la sonde [23]. Les complications de la gastrostomie par voie endoscopique sont aussi nombreuses : infection ou hématome de paroi, cellulite nécrosante, fuite de la stomie, péritonite localisée, ponction colique, perforation de l’estomac, hémorragie intragastrique [24]. Une stomie chirurgicale est plus coûteuse qu’une stomie endoscopique [22]. Dans une méta-analyse de 1996, la 361 gastrostomie radiologique était supérieure aux deux autres en termes de taux de réussite et de morbidité [21]. La mortalité des gastrostomies chirurgicales était supérieure aux deux autres techniques. Une étude randomisée et contrôlée a montré qu’il n’y avait pas d’intérêt à utiliser une antibioprophylaxie lors des gastrostomies par voie endoscopique. Enfin une sonde d’alimentation peut être introduite dans une stomie gastrique ou jéjunale [25]. Elle peut être introduite par une gastrostomie appareillée pour mettre en place l’extrémité distale dans le jéjunum. 5. Type de sonde (calibre et matériau) Le calibre des sondes ne semble pas influencer le risque d’inhalation [26–29]. Mais des sondes de gros calibre sont moins bien tolérées par le patient du point de vue organique et psychologique [4,30,31]. Le risque de complications nasosinusiennes est moins important avec les sondes de petit calibre. Les sondes en polyuréthane ou en silicone seraient mieux tolérées, en particulier au niveau nasal, que les sondes en PVC [30]. Mais nous disposons de peu d’études comparant ces matériaux. Deux essais ont comparé ces différents matériaux [32,33]. Les sondes en silicone étaient mieux tolérées par le patient de façon subjective que les sondes en polyuréthane [32]. En revanche, le taux d’obstruction de sonde était moins important avec le polyuréthane qu’avec le silicone [33]. Les sondes d’alimentation « monolumière » peuvent être utilisées dans la majorité des cas. Certaines sondes « multilumière » permettent une aspiration gastrique et une instillation jéjunale concomitantes. Elles sont posées par voie endoscopique ou radiologique, ou en peropératoire. Elles sont indiquées en cas de nécessité de décompression gastrique sans contre-indication à la nutrition entérale en site jéjunal. Ces circonstances sont finalement peu nombreuses et mériteraient d’être recensées de façon précise. 6. Comment contrôler la sonde après la pose ? La méthode de référence pour le contrôle de la bonne position de la sonde est la radiographie [34–36]. Une radiographie de type abdomen sans préparation centrée sur l’épigastre permet de bien situer l’extrémité distale de la sonde. D’autres techniques ont été comparées à la radiologie. L’auscultation épigastrique avec insufflation d’air dans la sonde est une méthode couramment employée mais qui ne permet pas d’éliminer définitivement une malposition trachéo-bronchique de la sonde et surtout une sonde en position œsophagienne ou sous-cardiale. La mesure du pH du liquide aspiré par la sonde est utilisée par de nombreuses équipes anglo-saxonnes [35,36]. Elle ne permet pas de localiser précisément la sonde et peut être prise en défaut par l’utilisation d’antisécrétoires. Dans une étude, une technique électromagnétique semblait plus sensible et plus spécifique 362 B. Raynard, J.C. Preiser / Réanimation 12 (2003) 360–364 que l’inspection ou la mesure du pH du liquide aspiré [34]. D’autres techniques fondées sur la capnographie chez les malades ventilés sont en cours d’évaluation [37,38]. Toutes ces techniques n’ont fait l’objet que d’un petit nombre d’études. La radiologie doit donc rester la méthode de référence. En conclusion, il existe peu d’essais contrôlés randomisés permettant d’apporter un niveau de preuve robuste dans le domaine des sondes d’alimentation entérale. Cependant l’expérience acquise, la réflexion des experts à l’occasion des textes de consensus, nous permettent de recommander l’utilisation de certains matériaux et une procédure de pose standardisée pour la plupart des malades de réanimation. Le développement de certaines techniques, et en particulier l’amélioration des techniques de pose endoscopique des gastrostomies et des jéjunostomies pourraient nous permettre, dans un futur proche, de réviser nos recommandations en les centrant sur ces techniques. tion du support nutritionnel entéral n’a pas été spécifiquement étudié jusqu’ici. Le bénéfice d’une nutrition entérale instaurée précocément chez les patients médicaux n’a pas été démontré. Au contraire, une étude récente a démontré des effets délétères de la nutrition entérale précoce (j1 vs j5) chez des patients médicaux ventilés [59]. L’incidence des pneumopathies acquises sous ventilation était significativement plus élevée dans le groupe nourri précocement (49,3 vs 30,7 %), la survenue de diarrhée associée au Clostridium diffıcile plus fréquente (13,3 vs 4 %), les durées de séjour en réanimation ou hospitalière plus longues. Il est probablement prématuré de tirer des conclusions définitives concernant cette catégorie de patients, en l’absence d’autres données exploitables [39]. Enfin, l’effet des solutions « immunonutritives », ne semble pas différent lorsqu’elles sont administrées précocement, que ce soit chez le traumatisé crânien [60] ou chez l’opéré abdominal programmé [61]. 7. Quand débuter la nutrition entérale ? 8. Mode d’administration D’après les études qui ont comparé les deux modalités de support nutritionnel entéral chez le patient critique, la limite entre précoce et tardif était comprise entre 4 et 72 h. Un seuil moyen de 36 h a été retenu dans une méta-analyse récente portant sur 15 études randomisées et contrôlées chez le patient adulte (collectif de 753 patients) [39]. Ce travail a confirmé le bénéfice de la nutrition entérale précoce comparé à la nutrition tardive chez le patient de chirurgie abdominale, le traumatisé grave dont le neurotraumatisé ou chez les brûlés, et ce, en termes de réduction de la morbidité infectieuse et de durée de séjour hospitalier. Une autre étude a démontré des effets bénéfiques attribués à la nutrition entérale lorsqu’elle était instaurée de 24 à 48 h après l’épisode aigu et donc compatible avec le seuil fixé à 36 h [40]. La plupart de ces études ont été réalisées chez des patients traumatisés abdominaux [41–44], chez les brûlés [45,46] ou chez des patients traumatisés crâniens [47–49]. Les patients de chirurgie abdominale réglée bénéficient probablement aussi de la nutrition entérale précoce, en termes de morbidité infectieuse et de durée de séjour hospitalier, comme cela a pu être démontré par une méta-analyse récente regroupant les données de 11 études individuelles contrôlées, soit un collectif de 837 patients [50]. Selon le type d’intervention abdominale, un bénéfice était rapporté pour les cas de péritonite [51] et après transplantation hépatique [52]. En revanche, lorsque des patients opérés abdominaux recevaient une nutrition entérale précoce par jéjunostomie, une altération de la mécanique ventilatoire était observée [53]. Contrairement à la conception ancienne, les patients porteurs de pancréatite aiguë compliquée tolèrent la nutrition entérale instaurée précocément [54,55]. Le pronostic des patients nourris précocément par voie entérale est meilleur que celui des patients maintenus à jeun ou nourris par voie parentérale [56–58]. Cependant, l’effet du délai d’instaura- Un régime « starter », c’est-à-dire une augmentation progressive du débit et des concentrations, a été proposé comme systématique pour éviter l’intolérance digestive en début de nutrition. En réalité, il a été montré qu’un tel début progressif n’a pas fait preuve de son intérêt et est une cause de limitation des apports [62]. En l’absence de signes cliniques d’intolérance, un début plus rapide est possible. La présence de bruits intestinaux, de gaz ou de selles n’est pas indispensable pour débuter la nutrition entérale, en particulier si elle est administrée après le pylore. L’administration de la NE en bolus est associée au risque d’inhalation (38 %), malgré l’utilisation de sondes de petit calibre [63]. Comparée à la NE à débit continu, le risque de régurgitations et d’inhalations est plus élevé lors d’une NE délivrée par bolus [64,65]. L’administration en bolus chez les malades graves est associée à une plus grande fréquence de la diarrhée [66,67]. L’instillation régulière des nutriments permet une meilleure tolérance digestive haute [68]. Les inconvénients potentiels du mode d’administration continu par rapport au mode cyclique (retard de vidange gastrique, immobilisation forcée) n’ont pas été rapportés chez le patient agressé. Dès que des signes d’intolérance surviennent (diarrhée, vomissement, résidu gastrique élevé), l’utilisation de régulateur de débit doit être préférée à la perfusion par gravité et a fortiori aux bolus. La pompe (péristaltique ou volumétrique) permet de régler précisément le débit et de le maintenir continu. Les avantages qui en découlent comportent l’administration d’une quantité fixée de solution, un moindre reflux gastro-œsophagien et une réduction de la charge de travail infirmière. Néanmoins, la tolérance des patients à l’administration entérale d’un support nutritionnel est très variable. En l’absence de comparaison formelle des différentes possibilités d’adaptation du débit, l’attitude adoptée en cas de retard de vidange gastrique ou de diarrhée est B. Raynard, J.C. Preiser / Réanimation 12 (2003) 360–364 tout aussi variable, mais le plus souvent implique une réduction du débit [69]. 9. Conclusions La sonde nasogastrique est la voie d’abord entérale la plus facilement utilisable en première intention en réanimation. Elle permet une mise en route rapide de la nutrition lorsque cela est possible. Les débits doivent être contrôlés par pompe le plus souvent possible. Des débits stables sont nécessaires à la réduction de l’incidence des complications digestives de la NE. 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