À vos souhaits !
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À vos souhaits !
À vos souhaits ! par Marie-France LeBlanc Au Québec, les Américains dominent le marché de la carte de vœux. Bien que la concurrence s’avère de taille, des producteurs québécois arrivent tout de même à se créer une niche digne de ce nom. Tu vieillis aujourd’hui ? Fais-toi s’en pas avec ça… ça peut pas être pire qu’une tempête de verglas ! Je l’sais, c’est ta fête pis t’as juste le goût de partir pour la gloire, de t’pacter la fraise, quitte à en avoir mal aux cheveux pendant un jour ou deux, mais dis-toi bien une chose… J’ARRIVE ! À première vue, ces cartes de souhaits ont l’air bien de chez nous avec leur tempête de verglas et leurs expressions partir pour la gloire et s’pacter la fraise. Malgré leur apparence, ces cartes, comme la majorité des cartes de vœux qu’on trouve au Québec, n’ont rien de québécois. dollar, de la famille Plouffe et des bonbons à une cenne ? Oui ? ! ! Wow ! T’en as… du vécu ! David contre Goliath Depuis quelques années, des entreprises québécoises tentent de se tailler une place dans ce marché dominé par les Américains. Ainsi, Marthe de la Chevrotière, qui n’en est pas à sa première entreprise de cartes de vœux, a créé Les 3 Chèvres en 1999. Déjà, en 1997, elle lançait une gamme de cartes pour Noël, Pâques, la Saint-Valentin et autres occasions du genre. « Cela a été une expérience très malheureuse, raconte-t-elle. Je n’ai pas réussi à placer mes cartes chez les commerçants parce que ceux-ci me disaient qu’ils pouvaient juste vendre des cartes américaines ! » Les géants américains ont en effet des ententes d’exclusivité avec les commerçants. Par exemple, Hallmark fournit l’ensemble des cartes vendues dans des chaînes comme La Baie, tandis que Carlton Cards demeure le seul vendeur chez Zellers et chez Sears. Des souhaits à l’américaine Dans les faits, Hallmark et Carlton Cards (marque Entre Nous) dominent largement le marché, principalement dans les pharmacies, les épiceries, les grands magasins et les carteries, avec 80 % des cartes de vœux vendues au Québec. Ces géants américains distribuent à Montréal des cartes rédigées en anglais par des publicitaires et des rédacteurs formés en journalisme ou en création littéraire. À Montréal, des traducteurs prennent le flambeau et adaptent les textes, par exemple, en rendant une idée par une expression québécoise – Moi ? M’ouvrir la trappe et révéler l’âge que tu as ? – ou en remplaçant des réalités socioculturelles américaines par des réalités socioculturelles québécoises : Te souviens-tu du cinéma à un Pour vendre ses cartes Les 3 Chèvres, Marthe de la Chevrotière a donc dû se tourner vers les commerces qui vendaient peu de cartes américaines. Aujourd’hui, elle vend quelques milliers de cartes chaque année, surtout dans les librairies de Montréal et de Québec. « Je ne développe plus mon entreprise, commente-t-elle. Je ne cherche pas à vendre mes cartes dans d’autres commerces, c’est trop difficile de concurrencer les Américains ! » Autre exemple : Carsona, une entreprise 100 % québécoise, qui tente, elle aussi, de s’imposer sur le marché. « Depuis quelque temps, les géants américains abandonnent le marché des petits magasins pour se concentrer seulement sur le marché des grands magasins, explique Claude Gourde, Rédiger. Le magazine de la rédaction professionnelle no 4, 2001 directeur des productions au département d’imprimerie chez Carsona. Hallmark et Carlton Cards retirent leurs cartes des pharmacies, des dépanneurs et des épiceries. Nous entrons nos cartes dans ces commerces. Nous avons même des ententes d’exclusivité avec les commerçants. » Petit hic : Carsona doit vendre ses cartes plus chères que celles des géants de l’industrie. « Nos coûts de production sont plus élevés, car nous en produisons moins qu’eux », précise Claude Gourde. Mais ce prix plus élevé n’arrête apparemment pas les consommateurs, puisque l’entreprise vend plus d’un million de cartes annuellement. Des cartes distinctes Toutes ces cartes que vend Carsona sont semblables aux cartes américaines. Comme elles, elles se répartissent entre des thèmes traditionnels tels que Noël, la SaintValentin, les anniversaires, les souhaits de sympathie, etc. Là où ces cartes québécoises se distinguent, c’est dans les textes. Et c’est sans doute la qualité des écrits qui incite les consommateurs à acheter les cartes Carsona. « Une étude démontre que les Québécois aiment plus les cartes avec des textes longs et romantiques, affirme Josée Marceau, rédactrice en chef et directrice artistique chez Carsona. Nous écrivons donc des textes généralement plus longs, mais surtout plus sentimentaux et moins “punchés” que les textes américains. » Sans formation en création littéraire, Josée Marceau rédige presque tous les textes des cartes Carsona. Pour elle, écrire des cartes de souhaits est un travail exigeant. « Je dois me mettre dans la peau autant de celui qui achète la carte que de celui qui la recevra. Cependant, je ne dois pas limiter mes souhaits pour qu’ils touchent à la fois une personne en particulier et tout le monde en général. » Carsona sont destinées avant tout à des pères et mères, à des fils et filles, et à des frères et sœurs. Aucune carte ne s’adresse, par exemple, à des demi-frères, à des demisœurs ou à des beaux-parents (conjoint ou conjointe d’un parent). « C’est une préoccupation chez nous, mais les textes de cartes, c’est une grosse machine. Ça évolue très lentement », soutient la rédactrice en chef de Carsona. Pour leur part, les cartes Les 3 Chèvres sont loin d’être traditionnelles. Elles ne ressemblent à aucune carte sur le marché et se partagent entre des thèmes uniques, comme les enfants, les adolescents, les femmes, l’amour et la vie. « Je ne voulais pas créer des cartes rattachées à des occasions ou à des thèmes particuliers, comme Noël, les anniversaires, pour que les gens puissent se les donner n’importe quand », dit Marthe de la Chevrotière. Les cartes Les 3 Chèvres sont humoristiques, mais « humoristiques gentilles », précise-telle. Par exemple, dans le texte d’une carte sur les adolescents, je fais de l’ironie en disant que les ados adorent faire le ménage. Mais je ne parle pas de leurs boutons. Ça, c’est pas drôle, c’est méchant. » Contrairement aux cartes américaines, les cartes de Mme de la Chevrotière n’ont pas de textes à l’intérieur. Elle rédige des textes seulement sur le dessus de ses cartes pour que les gens puissent écrire quelque chose de leur cru et non offrir des vœux tout faits. De plus, un peu comme une bande dessinée, ses cartes contiennent souvent plusieurs petites illustrations accompagnées, chacune, d’une partie du texte. « Comme j’ai travaillé dans le milieu du cinéma pendant 20 ans, l’image était très importante pour moi. Je voulais qu’elle occupe la première place, qu’elle soutienne les mots, qu’elle les enrichisse », conclut-elle. Tout le monde en général ? Mieux vaut pour cela vivre dans une famille traditionnelle. Comme les cartes américaines, les cartes 37 Rédiger. Le magazine de la rédaction professionnelle no 4, 2001 À la carte Les Québécois achètent plus de 25 millions de cartes de vœux chaque année. Source : CLÉMENT, Éric (17 décembre 1992). « Des “Joyeux Noël” et “Bonne Année” qui cachent une lutte acharnée », La Presse, p. C-1. Les femmes achètent environ 90 % de toutes les cartes. Noël, la Saint-Valentin, la fête des Mères, Pâques et la fête des Pères sont, par ordre d’importance, les occasions les plus populaires pour l’envoi de cartes de souhaits. Source : Site Web de Carlton Cards [www.carltoncards.ca/french/fast.html]. D’autres exemples ? Carte américaine Si ça peut t’aider à obtenir une prompte guérison, je veux bien glisser un mot pour toi... à qui de droit ! Puisses-tu aller mieux sou peu ! Carte québécoise (Carsona) Chaque jour qui se lève apporte avec lui force, espoir et vigueur... Que le bien-être retrouvé s’installe à demeure ! 38 Rédiger. Le magazine de la rédaction professionnelle no 4, 2001