GENRE ET SITUATION SOCIO-JURIDIQUE DES FEMMES

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GENRE ET SITUATION SOCIO-JURIDIQUE DES FEMMES
1
GENRE ET SITUATION SOCIO-JURIDIQUE DES FEMMES EN
AFRIQUE.
Cas des femmes congolaises
Dans le cadre d’un travail sur « les enjeux de l’éducation de la femme en
Afrique », nous avons utilisé la perspective genre1. Elle nous a permis de
réponde aux trois questions que nous nous posions : Comment améliorer la
situation et le statut de la femme en Afrique et en R. C. Congo ? Comment
promouvoir une synergie entre Congolais et Congolaises, dans l’égalité et la
différence, pour ne pas bâtir un « Congo hémiplégique » ? Comment faire
évoluer les représentations et les mentalités ?
Cette perspective genre nous a permis de mieux percevoir la situation
sociale et juridique des femmes congolaises, particulièrement celles du Kasaï
que nous connaissons le mieux.
Notre exposé voudrait en trois temps vous partager cette expérience. Nous
parlerons d’abord du genre en Afrique. Ensuite, nous évoquerons la situation
sociale de la femme, plus précisément dans le domaine de l’emploi. En troisième
lieu, nous verrons sa situation juridique. En conclusion, nous questionnerons la
perspective genre.
1. Le genre en Afrique
Au cours de ces dernières années, quelques progrès ont été réalisés
concernant la prise en compte de la dimension du genre dans les interventions de
développement. Elle constitue une évolution dans les conceptions de
développement centré sur l’être humain. Cette approche marque un changement
important et vient renouveler les différentes approches des problèmes de
développement. Le genre est un concept qui tente de s’implanter dans les
1
Cf. A. Tshibilondi Ngoyi, Les enjeux de l’éducation de la femme. Cas des femmes congolaises du Kasaï, Paris,
L’Harmattan, 2005.
2
analyses, les réflexions et les actions relatives à la coopération au
développement.
L’objectif est de faire en sorte que toute analyse, toute initiative, tout
projet de développement prenne en considération l’existence du découpage des
sociétés et des activités humaines entre deux types d’individus, les hommes et
les femmes. L’approche Genre et Développement tente d’établir, à partir des
rapports sociaux des sexes, des liens entre production et reproduction pour
trouver la source de la marginalisation des femmes.
En Afrique, la perspective genre permet également d’appréhender le
développement comme une dynamique au masculin et au féminin. Néanmoins,
la situation particulière du continent africain n’oblige-t-elle pas à questionner
quelque peu l’approche genre ?
Ce questionnement théorique s’accompagne d’une recherche sur le
terrain, avec la collecte des informations sur la situation des femmes kasaïennes
dans les différents secteurs de la vie sociale, et particulièrement dans le secteur
éducatif. On peut y trouver des informations qui permettent de constituer la carte
sociale de la province. Ainsi grâce à des nombreux témoignages et surtout à la
documentation écrite, on peut y dresser un tableau concernant la situation sociojuridique de la femme. Les interviews de femmes mais aussi d’hommes ont
complété notre étude. Plusieurs instruments ont servi dans cette étude, les
déclaration de la quatrième conférence mondiale sur la femme à Beijing. La
Conférence a suscité d’énormes espoirs.
En effet, plusieurs Etats d’Afrique subsaharienne reconnaissent, en
principe, la nécessité de la participation à part entière des hommes et des
femmes. Le plan d’action régional sur le genre (Regional Gender Action Plan,
RGAP) est une composante intégrale du Plan d’Action pour le Développement
social de la Région.
3
a. Le plan d’action régional sur le genre et impact de la
Conférence de Beijing en Afrique
De prime abord, passé le moment d’euphorie, Beijing peut susciter le
scepticisme. On connaît en effet le sort habituellement réservé aux déclarations des
Conférences internationales. Elles sont souvent courtes lorsqu’il s’agit d’engagement
concrets en faveur des femmes et des filles. Sous certains aspects, on peut d’ailleurs se
demander s’ils ont un impact sur la vie des femmes dans différentes parties du monde et
particulièrement Afrique.
Pourtant, la Conférence a suscité d’énormes espoirs. En effet, on reconnaît de plus en
plus que le développement de l’Afrique subsaharienne nécessite la participation à part entière
des hommes et des femmes. Le Plan d’action régional sur le genre (Regional Gender Action
Plan, RGAP) est une composante intégrale du Plan d’Action pour le développement Social de
la Région2.
Les coordonnateurs de ce plan ont bien conscience que l’identification des priorités est
essentielle au succès des stratégies reliées au genre. En ce sens, la Province Afrique a réalisé
bon nombre d’études analytiques et opérationnelles sur ce thème qui a montré comment les
considérations de genre spécifiques à cette Province ont une grande pertinence pour le
développement économique et social du continent. A partir de ces analyses, quatre questions
prioritaires, et les objectifs stratégiques qui en découlent, se dégagent pour l’Afrique
subsaharienne :
2
Voir Plan d’Action pour l’intégration du développement Social en Afrique Subsaharienne. Plan d’Action
Régional sur le Genre, Coordonateur pour le genre, Départements géographiques, Equipe genre, Développement
Institutionnel et Politique sociale. Région Afrique, 31 janvier 1997 + Annexes.
4
Problèmes Fondamentaux
Objectifs Stratégiques
Le rôle économique des femmes est
plus important en Afrique que dans
d’autres régions, surtout dans le
secteur agricole. Ce rôle a tendance à
passer inaperçu et à être sousvalorisé. En Afrique, l’agriculture et
le secteur informel sont dominés par
les femmes, mais l’accès de ces
dernières aux services financiers
étant très limité, la productivité et la
production sont très faibles.
Investir dans les capacités
économiques des femmes et
la productivité des femmes,
particulièrement dans le
secteur agricole.
L’existence d’un biais systématique
envers les femmes pour ce qui a trait
à l’accès à la santé, à l’éducation et à
d’autres services sociaux de base
demeure un problème critique dans le
développement
Réduire les obstacles liés
au genre à l’accès à la
santé, à l’éducation et aux
autres services sociaux.
En Afrique, la pauvreté renferme une
importante dimension genre ou le
fardeau que représente le temps
consacré au travail des femmes (et
les choix qui y sont liés) est
excessivement lourd, par rapport aux
hommes.
Les
femmes
africaines
sont
systématiquement sous-représentées
dans les institutions nationales et
locales et n’ont pas voix au chapitre
dans le processus de prise de
décision. Les discriminations liées au
sexe limitent leur participation et
renforcent les grandes inégalités qui
existent dans l’exercice du pouvoir.
Réduire
les
fortes
contraintes
de
temps
auxquelles font face les
femmes en investissant
dans
le
secteur
de
l’infrastructure et dans les
avancés technologiques qui
permettent de réduire leur
temps de travail.
Fournir un soutien pro-actif
à
la
participation
systématique des femmes
dans le dialogue politique,
l’analyse économique et
sectorielle, et la conception
et l’exécution des projets.
Il convient de noter que lorsque les femmes ont voix au chapitre, l’argent est moins
gaspillé dans l’achat de cigarettes ou d’alcool. On a calculé, pour la Côte d’Ivoire, que si les
femmes avaient le même droit de regard que les hommes sur l’utilisation du revenu, la part
des produits d’alimentation augmenterait de 9%, alors que celle du tabac et de l’alcool
diminuerait de 55% et 99%.
5
b. Impact de la Conférence de Beijing
Au niveau de la République Démocratique du Congo, la conférence de Beijing a eu
moins de retombées que dans d’autres pays de la région où les dirigeants politiques ont
associé un peu plus les femmes à la gestion des affaires publiques. Ainsi des ministères
importants ont été confiés à des femmes, non seulement le traditionnel ministère de la
condition féminine. Au Rwanda, un ministère du genre avait été créé et confié à une femme.
La République Démocratique du Congo, alors Zaïre, vivait les incertitudes de la transition.
Néanmoins, l’onde de choc de la Conférence de Beijing s’est répercutée en dehors de
Kinshasa, la capitale, quoique de manière moins spectaculaire. Des femmes prennent
conscience de leur participation au développement de la province. L’on perçoit de plus en
plus l’importance de la nécessité de leur formation, pour favoriser l’accès des femmes à
l’information, à la formation et au pouvoir, au même titre que l’homme afin de déclencher un
développement harmonieux, intégral et intégré. Il s’agit de promouvoir les droits sociaux,
économiques, politiques et juridiques des femmes et leur implication dans des actions
concrètes de développement. On encourage des filles à s’investir dans des études autrefois
dites masculines comme l’aviation, l’électricité, la mécanique, la menuiserie…
De plus, dans un pays marqué par la guerre, les femmes s’impliquent dans la lutte pour
la paix et dénoncent la violence. Il s’agit d’intégrer la perspective genre dans le processus de
paix, comme le font de nombreuses associations de femmes, comme par exemple au
Burundi3, en Guinée, au Libéria en Sierra Léone4.
Certes, le proverbe traditionnel est toujours là, à savoir que « la poule ne chante pas
devant le coq ». Néanmoins, la conférence de Beijing a suscité ou renforcé une prise de
conscience sur l’importance d’une éducation qui soit en même temps conscientisation. Les
nombreux mouvements associatifs qu’il a suscités peuvent accentuer cette prise de
conscience.
Il convient de souligner ici, qu’après un combat de longue haleine, au sommet de
l’Union Africaine (U. A.), anciennement Organisation de l’Unité Africaine (O.U.A.), à
Maputo, en juillet 2003, les femmes africaines ont réussi à imposer un protocole sur les droits
de la femme, protocole additionnel à la charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
Certes, il faut poursuivre le combat pour que les états africains ratifient ce protocole. Mais
c’est déjà un pas important.
3
Femmes Africa Solidarité, Intégrer la perspective genre dans le processus de paix au Burundi, Dakar, Femmes
Africa Solidarité, 2002.
4
Femmes Africa Solidarité, Intégrer la perspective genre dans le processus de paix en Afrique de l’Ouest,
Réseau des Femmes du Fleuve Mano pour la paix, Dakar, Femmes Africa Solidarité, 2002.
6
De plus, elles ont pu imposer, la parité dans la Commission de l’Union Africaine, cas
unique dans les organisations internationales. En effet, sur les dix postes de la Commission,
les femmes en ont arraché cinq, et pas des moindres. En dehors du traditionnel portefeuille
des Affaires sociales, elles prennent également en mains les Affaires politiques, le Commerce
et l’Industrie, l’Economie rurale et l’Agriculture, enfin les Ressources humaines, les Sciences
et la Technologie5.
2. Situation Sociale de la femme : le secteur de l’emploi6
Au niveau social, la femme est plus appréciée dans son rôle reproductif en
tant que épouse et mère d’une famille nombreuse, surtout des fils (dans un
système patrilinéaire, qu’elle donne au lignage. Son statut en tant que femme,
épouse et mère n’est jamais contesté. C’est son rôle productif qui n’est pas assez
pris en compte même si son investissement permet la survie de la famille et la
construction du continent. Elle joue un rôle important dans l’agriculture.
Durant toute l’époque coloniale, et même après l’indépendance, il était
difficile de reconnaître aux femmes congolaises la possibilité d’exercer des
activités lucratives. Celles-ci revenaient à l’homme et lui permettaient de payer
l’impôt. Comme on l’a déjà noté, les femmes s’occupaient principalement des
cultures de subsistance tandis que les hommes de celles de rente.
Ecartées de la formation hâtive des cadres nationaux qui devaient
remplacer les administrateurs coloniaux et assurer le fonctionnement des
services publics, les femmes du Kasaï ont eu un accès limité à l’emploi salarié.
C’est récemment que la participation de la femme au secteur public et à la
production commercialisée a non seulement débuté mais est devenu important.
Elle concerne les activités de plus en plus diversifiées.
Comme le domaine de l’emploi féminin est non seulement inexploré,
mais surtout ignoré, nous ne disposons d’aucune donnée statistique sur
la main-d’œuvre. En effet, l’Institut National de Statistique ne publie
5
Voir Revue Africa International, n° 369, octobre 2003, pp. 38-39.
Voir le livre de M. Duru-Bellat, L’école de filles : quelle formation pour quels rôles sociaux ?, Paris,
L’Harmattan, 1992.
6
7
pas de données par sexe en ce qui concerne la main-d’oeuvre. C’est
dire notre difficulté pour apprécier la situation de la femme en matière
d’emploi7.
Ainsi, les femmes exerçant une profession sont minoritaires par rapport à
la population active, même si le nombre des filles instruites a relativement
augmenté. On ne peut s’empêcher de remarquer à ce propos que la
discrimination demeure que ce soit dans les conditions de travail, d’inégalité des
salaires, de formation professionnelle, de licenciement, de recyclage, de garde
des enfants8.
Un autre exemple, celui de la ville industrielle de la province du Katanga
(Shaba), Lubumbashi, confirme ce constat. En effet, le nombre infime des
femmes exerçant des professions de niveau de cadre est révélateur de la situation
de la femme dans le monde professionnel.
En somme, les capacités intellectuelles et professionnelles de la femme
congolaise ne sont pas assez reconnues. La femme se voit confier des fonctions
peu qualifiées, improductives et abrutissantes. Tandis que les postes de décision
sont souvent l’apanage des hommes.
Elles investissent principalement dans le secteur dit informel dont
l’apport économique est considérable au niveau de la survie de la famille.
3. Situation juridique de la femme
La perspective genre permet également de constater que la situation
juridique de la femme l’empêche d’occuper la place qu’elle mérite dans la
communauté nationale. Signalons ici un paradoxe concernant le droit au travail.
Tandis que la constitution du pays posait que « Tout zaïrois a le droit de
contribuer par son travail à la construction et à la prospérité de son pays », le
7
Nous nous servirons des données éparses signalées par T. Verheust, « Portraits de femmes zaïroises : Les
intellectuelles ». Voir également M. C. Snyder & M. Tadesse, African Women and development., Johannesburg /
London, ed. Witwaterand university Press, Zed Books, 1995. Mais dans la situation conjoncturelle du Congo
avec le chômage croissant dans tous les secteurs, la plupart des Congolaises se lancent dans les activités du
secteur informel.
8
Voir Manwana Mungongo, « Les droits de la femme travailleuse au Zaïre », dans Zaïre - Afrique, n° 152, févr.
1981, pp. 73–82.
8
code du travail stipulait, quant à lui, que l’engagement de la femme trouve sa
limite dans « l’opposition expresse du mari», que le tribunal peut lever « lorsque
les circonstances ou l’équité le justifient »9. D’ailleurs, l’article 122 livre
premier du Code civil stipule : « La femme doit obtenir l’autorisation de son
mari pour tous les actes juridiques dans lesquels elle s’oblige à une prestation
qu’elle doit effectuer en personne ».
Fort heureusement, la nouvelle République a promulgué une nouvelle
Constitution. Celle-ci abroge la clause exigeant l’accord marital pour
l’engagement professionnel d’une femme. Mais cette affirmation égalitaire n’est
encore que de façade.
En effet, dans la vie courante, l’on continue à fonctionner comme dans
l’ancien système. Ainsi, dans la pratique, les chefs d’entreprises, pour se mettre
à l’abri d’opposition intempestive du mari, s’assurent de son accord avant toute
procédure d’engagement d’une femme mariée. La pratique continue donc à
montrer que la femme mariée est juridiquement subordonnée à son conjoint. Ce
faisant, on retombe dans l’incapacité juridique classique de la femme mariée
telle qu’édictée par l’ancien code civil. Il y a une contradiction entre le principe
constitutionnel qui garantit à tous les citoyens l’égalité des droits et les
incapacités instituées par certaines lois ayant trait au statut de la femme, et
notamment l’incapacité juridique de la femme mariée en matière civile et
commerciale.
Aussi, l’autorisation du mari est-elle indispensable à l’exercice du
commerce. L’évolution du statut de la femme dépend de la réforme de toutes ces
lois qui maintiennent la femme dans une situation d’infériorité en la
subordonnant à l’homme en général et au mari en particulier. Par l’incapacité
juridique, la femme mariée est considérée comme une mineure, tandis que la
9
Code du travail, Art. 3. Cité par Lwamba Katansi, Le droit paradoxal ou la fin du sexe imbécile. Sociologie
juridique de la condition féminine, p. 28. Concernant la condition juridique de la femme congolaise, se référer à
Kitenge Ya, « La femme zaïroise devant le droit. Contribution à la réforme du code civil national », pp.17-43.
L’auteur analyse en détails la situation juridique de la femme congolaise.
9
femme majeure célibataire ou divorcée demeure capable conformément aux
dispositions de l’article 23, livre III du Code Civil selon lequel « Toute personne
peut contracter si elle n’est pas déclarée incapable par la loi ».
Quant à l’égalité de droit entre l’homme et la femme, le principe général
de la législation sociale congolaise réfute nettement la discrimination basée sur
le sexe : « A travail égal et rendement égal, l’homme et la femme ont les mêmes
droits et les mêmes obligations. A conditions égales de travail, de qualification
et de rendement, le salaire est égal pour tous les travailleurs, quels que soient
leur origine, leur sexe et leur âge » (art. 71).
Mais, en pratique, ce principe n’est pas toujours respecté. Il arrive souvent
qu’une femme touche un salaire inférieur à celui de l’homme alors qu’elle
occupe un même emploi, possède la même qualification ou la même formation,
a le même rendement et travaille dans les mêmes conditions.
Après une lutte après, grâce au lobby du groupe genre au parlement de
transition, les femmes congolaises ont réussi à faire inscrire des dispositions
favorables au genre et à la parité dans l’article 14 de la constitution
congolaise promulguée le 18 février 2006.
« Les pouvoirs publics veillent à l’élimination de toute forme de
discrimination à l’égard de la femme et assurent la protection et la promotion de
ses droits. Ils prennent dans tous les domaines, notamment dans les domaines
civil, politique, économique, social et culturel, toutes les mesures appropriées
pour assurer le total épanouissement et la pleine participation de la femme au
développement de la nation.
« Ils prennent les mesures pour lutter contre toute forme de violence faites
à la femme dans la vie publique et dans la vie privée. La femme a droit à une
représentation équitable au sein des institutions nationales, provinciales et
locales.
10
« L’Etat garantit la mise en œuvre de la parité homme/femme dans
lesdites institutions. La loi fixe les modalités d’application de ces droits ». (art
14).
Il convient de signaler également
que le Règlement Intérieur de
l’Assemblée Nationale, spécialement en son article 21, enjoint à ses membres de
pourvoir à la constitution de leur bureau en tenant compte de la représentation
de la femme. Il s’agit ici d’une avancée significative sur le plan juridique pour la
R. D. Congo dans la lutte contre forme de discrimination à l’égard de la femme.
Une chose est la loi, une autre, en est son application. L’application de la
loi sur la parité n’a pas été inscrite de façon contraignante dans la loi électorale,
comme l’indique l’alinéa 4 de l’article 13 de la loi électorale : « toutefois la non
réalisation de la parité homme/femme au cours des prochaines échéances
électorales n’est pas un motif d’irrecevabilité d’une liste ». On peut conclure que
l’application de la parité est renvoyée à la prochaine législature.
Sur le plan pratique, sur les 1322 postes électifs mis en jeu lors des
élections passées, c’est-à-dire un poste à la présidentielle, 608 postes aux
législatives et 712 aux provinciales, moins de 10 % de postes ont été gagnés par
les femmes. Ce qui n’est pas du tout exaltant, lorsqu’on sait que plus de la
moitié d’électeurs sont des femmes.
Quelques chiffres Election octobre 2006 :
Au gouvernement 14, 5 % des femmes
Au parlement 8, 6 % des femmes
Au Sénat : 0 %
Au niveau provincial, sur 110 postes aux gouvernements provinciaux, 10
% des postes sont occupés par les femmes.
11
Ainsi, toutes ces lois égalitaristes ne sont valables qu’au niveau des
principes. Elles restent un vœu pieux dans la pratique d’une société
fondamentalement machiste. Il apparaît dès lors que l’évolution de la condition
de la femme africaine et congolaise dépend non seulement de la réforme de la
législation, mais aussi et surtout du changement des mentalités conservatrices
des femmes et des hommes en général et des Kasaïens en particulier, qui restent
majoritairement réticents. Néanmoins, aujourd’hui on note une évolution
consécutive à la crise de l’emploi.
A ce sujet, une première explication d’ordre très général serait que le
travail salarié est une institution récente, concomitante à la colonisation, et donc
sans une longue tradition, du moins en ce qui concerne la femme qui durant
toute cette période a été mise à l’écart du circuit de travail dans la colonie. Une
seconde explication concernerait les conditions de travail de la femme victime
du harcèlement sexuel au travail. Mais l’explication la plus plausible est, selon
nous, la volonté de l’homme de se soumettre la femme en la maintenant dans la
dépendance financière, car l’autonomie dans ce domaine est un réel pouvoir.
Ainsi, la majorité des femmes -mêmes diplômées- sont des « femmes au foyer »
et y assument leur rôle traditionnel. On peut se poser la question de savoir qui a
peur du pouvoir des femmes ? C’est la crainte de perdre leur main-mise sur leurs
épouses. C’est leur autoritarisme qui explique, entre autres, leur méfiance. Ne
faudrait-il donc pas reconsidérer la question et voir dans l’autonomie financière
de la femme un moyen de son épanouissement et partant celui de sa famille. Il
s’agit en effet d’une contribution aux besoins du foyer. C’est un moyen d’égalité
et de complémentarité dans le couple. Ce dont les hommes ont surtout peur,
c’est de « l’inversion » du rapport de forces dans le couple qui risquerait
d’amener à une égalité.
C’est ce que confirme notre interlocutrice T. T. A la question de savoir
pourquoi les hommes sont-ils si réticents au travail des femmes, elle répond
vivement :
12
« C’est par jalousie. Certains pensent que si la femme travaille, elle
risque de se prendre pour l’égale de l’homme. Pour eux, la femme n’a
aucune valeur. Mais il y a des hommes qui pensent qu’il n’ y a pas à
faire de distinction entre l’homme et la femme lorsque tous les deux
ont étudié et ont le même grade et la même qualification, ils
réfléchissent et raisonnent de la même manière. Il n’y a pas de
distinction. C’est le mépris pour la femme qui pousse certains maris à
s'opposer au travail salarié de leurs épouses. Ils se disent qu’en
travaillant, elles vont aider leurs propres familles. Il vaut mieux alors
qu’elles ne travaillent pas, qu’elles restent au foyer ».
Une autre interlocutrice J. B. montre bien que le complexe de supériorité
de l’homme est rattaché au travail salarié. Cela se manifeste fortement lorsque
l’homme est frappé par le chômage et que la femme doit assurer la survie du
foyer. L’homme est profondément perturbé non seulement parce qu’il ne peut
pas subvenir aux besoins de sa famille, mais surtout parce qu’il dépend de sa
femme. Il se sent tout simplement dévalorisé :
« Lorsqu’on est femme salariée vivant avec un homme au chômage, il
faut de la modestie et beaucoup d’humilité. Psychologiquement, dans
le foyer où la femme assume la responsabilité de chef de famille parce
que salariée, l’homme se sent diminué, ‘’complexé’’. Souvent, il
manifeste de la froideur dans les relations. Il ne faut pas oublier que
dans nos cultures, seul l’homme est considéré comme chef de famille.
Il est le seul pourvoyeur à tous les besoins de la famille. Mais la
réalité, nous la connaissons : la femme contribue à la survie de la
famille au même titre que l’homme sinon plus que lui. Et dans l’état
de crise actuelle et la guerre, elle est la cheville ouvrière de la famille.
Les hommes le reconnaissent de plus en plus. Revenons à mon
expérience, dans mon couple.
A la fin du mois, il fallait bien valoriser mon mari en lui remettant tout
mon salaire, et ensemble nous le gérions. Il devait sentir qu’il est le chef de
famille. Lorsque nous avions de la visite, par exemple, c’est lui qui donnait
l’argent pour la réception (achat de la boisson, et même l’argent du transport
sortait de ‘’sa’’ poche). Malgré tous ces efforts pour le valoriser, il était
profondément insatisfait de sa situation qui le diminuait, même si apparemment
il ne le manifestait pas ».
13
Une autre interviewée, P. K. N., met en cause aussi bien les hommes que
les femmes :
« Cela est dû au mauvais cœur (la méchanceté) de certains hommes.
Certains prennent le prétexte que si la femme travaille, elle va le
dominer. La femme lui dira que c’est elle qui le nourrit. Ceci est dû
également à la manière de parler de certaines femmes qui travaillent.
Lorsqu’elle est engagée, qu’elle travaille et qu’elle occupe un poste
important, et que son mari occupe un poste moins important, et si son
salaire est plus élevé que celui de son mari, quand elle apporte ce
salaire, elle fait comme si c’est elle qui nourrit l’homme. Alors, en
raison de cette attitude la plupart des maris disent que si tu permets à
ta femme de travailler, elle va te considérer comme son esclave. C’est
pourquoi la plupart des hommes refusent que leurs épouses aient un
emploi ».
Notons à ce propos que dans la crise socio-économique que traverse le
pays, l’amélioration (quand elle existe) du revenu de la femme entraîne une
réaction ambivalente des hommes qui ne s’opposent pas aux activités lucratives
de leurs épouses. On constate d’une part qu’ils manifestent une méfiance devant
cette autonomie féminine qui ne peut que mettre à mal leurs privilèges
traditionnels et « leurs droits sur leurs femmes ». Et, d’autre part, les hommes
expriment une certaine satisfaction en voyant leurs épouses s’occuper des
enfants. Mais en général, lorsque la femme travaille, il n’est pas rare que
l’homme démissionne de ses responsabilités familiales10.
Conclusion : le genre en question
Comment remédier à cette situation ? Par une discrimination positive. Il
s’agit de confier des postes des responsabilités aux femmes en leur accordant le
pouvoir de décision dans des projets de développement. Cette conception a des
connotations politiques, dans la mesure où la participation est liée à la
démocratisation qui suscite une exigence de participation
10
On peut lire avec profit l’étude détaillée de H. Agbessi-Dos Santos, « Changements dans les rôles productifs
des femmes paysannes de l’Afrique centrale et de l’Afrique de l’Ouest », dans A. Michel, Sociologie de la
famille et du mariage, Paris, P.U.F., 1986, pp. 93-116.
14
Ainsi, la perspective genre reste pertinente pour aborder le problème de la
place de la femme dans la reconstruction de l’Afrique. Néanmoins, elle doit
s’appuyer sur des approches pluridisciplinaires, allant des sciences humaines à
la philosophie. De plus, pour être pertinente, elle doit éviter de se bureaucratiser
et devenir le lieu réservé des intellectuelles. Elle doit se démocratiser et devenir
le moteur d’un développement participatif et durable pour toutes les femmes,
particulièrement par le biais des associations féminines.
15
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Albertine Tshibilondi Ngoyi
E-mail : [email protected]
Présentation de l’auteure
Albertine TSHIBILONDI NGOYI est docteur en philosophie de
l’Université Catholique de Louvain et docteur en sciences sociales (coopération
au développement) de l’Université Libre de Bruxelles. Elle a enseigné aux
Facultés Catholiques de Kinshasa (1995), à l’Université Catholique d’Afrique
Centrale à Yaoundé (Cameroun) de 1996 à 2003. Elle est également professeur
invité à l’Institut International Lumen Vitae à Bruxelles et collaboratrice
scientifique du Centre d’ Etudes et de Coopération Internationale au
Développement (CECID) à l’Université Libre de Bruxelles. Parallèlement à ses
recherches en sémiotique pragmatique, elle s’investit également dans les
problèmes de philosophie de l’éducation, et dans ceux de l’émancipation de la
femme en Afrique. Elle dirige le Centre d’Etudes Africaines et de Recherches
Interculturelles (CEAF&RI) à Bruxelles. En plus de plusieurs articles, elle a
publié entre autres :
1. Enjeux de l’éducation de la femme. Cas des femmes congolaises du
Kasaï, Paris, L’Harmattan, 2005.
2. Éthique et engagement communautaire. L’homme et sa destinée,
Kananga, Éditions Universitaires du Kasayi, 2002.
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2. Paradigme de l’interprétation sémiotique. Esquisse de la théorie de
l'interprétant dans la sémio-pragmatique de Ch. S. Peirce. Munich Kinshasa, Publications Universitaires Africaines / African University
Studies, 1997.

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