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UNIVERSITÉ LYON 2
Institut d'Etudes Politiques de Lyon
L'essor des réalisatrices libanaises
Aline FONTAINE
Séminaire : Sociologie des acteurs et enjeux du champ culturel
e
4 année, spécialité journalisme
Sous la direction de Max Sanier
Soutenu le 2 septembre 2008
Jury : Max Sanier et Yves Gonzales
Table des matières
Introduction . .
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Chapitre 1 : L’émergence de réalisatrices dans un cinéma qui peine à trouver
reconnaissance. . .
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Remerciements . .
1.1 - Le cinéma libanais, un cinéma actif qui vient provoquer des structures plutôt
conventionnelles. . .
1.1.2 – Un métier qui cherche à se démocratiser : . .
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1.1.3 – Des cinéastes dynamiques qui s’évertuent à promouvoir leur métier malgré
les difficultés de leur pays : . .
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1.1.4 – Les idées des cinéastes ont beau abonder, il leur est souvent difficile de
trouver assez de moyens financiers pour concrétiser leurs projets. . .
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1.1.5– Aux problèmes de financement, s’ajoutent des difficultés à distribuer les films
dans le pays. . .
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1.1.6 – Des obstacles techniques se dressent sur le parcours des réalisateurs
et des obstacles moraux, telle que la censure qui hante la réalisation des
films : . .
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1.2 - Le statut de femmes serait un atout pour percer dans le milieu cinématographique au
Liban. . .
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1.1.1 – Du cinéma de masse au cinéma indépendant : . .
1.2.1 – Dans l’histoire du cinéma, les réalisatrices libanaises ont joué un rôle avantgardiste. . .
1.2.2 – Le Liban permettrait-il plus de possibilités que les autres pays arabes ? . .
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1.2.3 – Et pourquoi ces femmes émergent-elles dans une société pourtant encore
assez patriarcale ? . .
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Chapitre 2 : Parce que les réalisatrices libanaises mettent en scène de multiples réalités de
leur pays méconnus par les étrangers mais partagés par leurs compatriotes. . .
2.1 – Deux motivations différentes d’illustrer sa propre réalité mais les réalisatrices
libanaises ont la même volonté de donner une autre image à leur pays, différente de celle
transmise par les médias, qui se cantonnent beaucoup aux épisodes meurtriers. . .
2.2 – Malgré des regards différents, un même objectif semble se démarquer de la part
du travail des réalisatrices dans un pays en constante reconstruction : la recherche d’une
identité pour une population tiraillée entre traditions et modernité. . .
2.2.1. La notion de crise d’identité . .
2.2.2 - La représentation d’une population en quête de modernité mais prisonnière
des traditions : . .
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Annexe 1 : grille d'entretien : . .
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Annexe 2 : Entretien Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, réalisé le 10 juin 2008, à
Paris . .
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Conclusion . .
Bibliographie . .
Annexes . .
Annexe 3 : Interventions de Joana Hadjithomas, lors de la caravane euro-arabe à
Paris, le 9 mars 2008. . .
Annexe 4 : Tableau des réalisatrices du monde arabe . .
Résumé . .
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75
L'essor des réalisatrices libanaises
Remerciements
Pour ce travail, je tiens particulièrement à remercier mes parents, de m'avoir fait découvrir le
Liban, dans ses contrées les plus retranchées ;
Thomas, pour son soutien inconditionnel et sa qualité d'expert en cinéma ;
Monsieur Gonzales, de m'avoir ouvert la porte aux grands de ce milieu cinématrographique
libanais ;
et enfin à Monsieur Sanier, qui a supporté mes angoisses, tout au long de cette année.
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Introduction
Introduction
« Yallah ! » ou « inch’allah ! », comme on l’entend souvent de l’autre côté de la Méditerranée.
Alors c’est parti, le plus dur étant de poser le premier mot. Dur a été également le départ
de ce travail. Quel sujet aborder ? Comment ? Au début, je voulais travailler sur les labels
indépendants de musique, plutôt par passion et sachant que Lyon les collectionne. Mais
on m’a appris que ce sujet avait déjà été traité. Il a fallu se creuser les méninges, un peu
vainement et désespérément, je dois l’admettre. Pour noyer mon chagrin, je me suis tournée
vers une de mes autres passions, le cinéma. Septembre était là avec la nécessité d’une
transition entre les vacances et les cours, se plonger dans le noir des salles obscures était
une bonne solution. Au programme des sorties de la rentrée, trois films libanais, dont deux
de réalisatrices, Un homme perdu, de Danielle Arbid et Caramel, de Nadine Labaki. Je ne
pouvais pas tellement y échapper. En effet je ne peux cacher que j’étais ravie de voir des
films libanais à l’affiche et d’aller les voir. De fait je dois le dire je suis fortement intéressée
par cette région et ce travail a renforcé cet intérêt. C’est vrai que j’y suis allée à deux
reprises pour des vacances et déjà du haut de mes 16 ans, ce pays m’avait marquée. Voir
des familles qui vivent, mangent à l’air libre car les murs de l’immeuble sont complètement
détruits et pour les parties qui restent incrustées de balles, ça frappe un esprit jeune naïf.
Plus gros choc a été d’aller se promener dans les quartiers musulmans, de s’asseoir et se
faire bercer par une brouette d’un vendeur de légumes et de s’entendre dire en rentrant
dans la famille chrétienne : « Comment, vous êtes allés là-bas. Vous avez osé ! », avec une
telle haine dans la voix. A cet âge, moi qui n’ai pas connu de temps difficiles, j’avais eu du
mal à comprendre cette réaction. C’est certainement à partir de là que j’ai voulu en savoir
plus sur cette histoire. Certes le diplôme que j’ai suivi sur le monde arabe m’a permis d’en
comprendre plus au niveau géopolitique mais je me suis dit qu’à l’occasion de ce mémoire,
je pourrais compléter ma connaissance de la région en me plongeant plus dans le vivier
culturel de la société libanaise.
Ces deux films sont tombés à pique. Le premier, je le concède, m’a perturbée, le
second, m’a fait plutôt sourire. Au sortir de ces projections, j’ai tout de suite pensé que
je pourrais m’intéresser à la place des réalisatrices libanaises. De plus je savais que le
Liban produisait en moyenne entre 2 et 6 films par an. Le fait de voir deux films de femmes
à l’affiche pour un d’un homme m’a interpellée. En parallèle, les mercredis passaient
et le professeur-tuteur nous rabâchaient qu’il fallait trouver une question de départ, une
problématique, des hypothèses,… J’avoue que ces mots m’ont traumatisée. Seulement au
bout d’un certain temps, ayant remarqué que ces deux réalisatrices étaient chrétiennes,
j’ai posé comme question de départ : « Pourquoi le cinéma libanais depuis 1990 est-il
essentiellement représenté par des réalisatrices chrétiennes ? ». Je suis restée un moment
avec cette question en tête, n’en connaissant pas tellement la validité. Je dirai même que
je suis restée bloquée sur cette question jusqu’en mars, mon professeur me demandant
toujours si j’étais sûre de la légitimité de mon sujet, à savoir si déjà il y avait bien plus de
réalisatrices libanaises que de réalisateurs.
J’ai obtenu la réponse à cette question à la caravane euro-arabe, organisée par l’Institut
du monde arabe à Paris. Jeanne, une réalisatrice libanaise, a commencé son intervention
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L'essor des réalisatrices libanaises
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par : « On se faisait la remarque tout à l’heure avec Houda qu’au Liban il y a autant,
voire plus de réalisatrices que de réalisateurs et que ça veut dire quelque chose aussi sur
notre société. » Et là, j’ai soufflé, c’est bon, je tiens un sujet. J’ai gardé cette phrase en
tête et ai décidé de porter mon travail dessus. J’ai d’abord pensé qu’il fallait que j’élargisse
ma recherche aux réalisatrices libanaises en général, que le fait d’être chrétienne ne
pouvait être qu’un élément parmi d’autres. A partir de ce moment, de cette caravane du
cinéma, je dois concéder que je me suis doublement investie car j’ai alors trouvé une autre
motivation à ce travail. Je me suis dit qu’à travers ce mémoire je pourrais également montrer
combien cette région et ce pan de la culture m’intéressent et qu’ils pourraient, je l’espère
profondément, m’aider à l’avenir.
Cependant je ne peux pas dire que ma recherche n’a commencé qu’en mars. Non,
avant j’avais toujours cette idée des réalisatrices chrétiennes en tête et j’ai d’abord
axé ma recherche sur le cinéma libanais en général. On ne peut pas dire que dans
ce domaine, la littérature soit florissante. Je n’ai effectivement trouvé aucun document
consacré intégralement au pays. Alors je me suis basée, pour avoir une perspective plus
globale du cinéma libanais dans le monde arabe, sur deux ouvrages principaux : Cinéma en
Méditerranée : Une passerelle entre les cultures, de Mohamed Bensalah ainsi que Cinémas
de la Méditerranée, cinémas de la mélancolie,de Raphaël Millet. Je suis donc partie de
quelques réflexions de ces livres. Mohamed Bensalah intitule l’un de ses chapitres : le
cinéma, média d’échange ou média de rupture ? Il postule ici que le cinéma change notre
rapport au monde, notre rapport de vivre ensemble. Il se réfère à Fulchignoni écrivant que le
cinéma reconstruit un univers imaginaire qui est le double du réel, mais la question reste de
savoir s’il en est le reflet ou le révélateur. La caméra aurait-elle une valeur médiatrice entre
l’homme et son environnement ? A voir pour le Liban ? Est-ce que le cinéma peut réunir
côte à côte et dans un même milieu toutes les strates de la société ? De même les deux
semblent s’accorder sur un même point : sans retracer l’histoire du cinéma libanais, les deux
disent qu’aujourd’hui un vivier pourrait sortir des écoles, surtout une nouvelle génération
d’artistes, soit nés juste avant la guerre soit pendant, qui ont au plus 40 ans, qui ont pour
certains pu bénéficier de la formation de l’Institut d’études scéniques, audiovisuelles et
cinématographiques (IESAV) ou celle du département cinéma de l’Académie des beauxarts (ALBA) ou de la formation intitulée PROFIL (Programme de formation professionnelle
à la fiction longue).
Mais les auteurs maintiennent que pour s’affirmer esthétiquement, économiquement et
politiquement, le cinéma libanais a besoin des festivals. Les deux auteurs insistaient sur les
difficultés financières de réaliser des films.
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Par ailleurs, Raphaël Millet décrit le cinéma libanais par l’expression « l’art de
construire en ruines » pour illustrer le fait que la production cinématographique libanaise
serait étroitement dépendante des conditions politiques du pays. Est-il possible de continuer
à réaliser un film dans un pays en guerre ? Il y a eu des films pendant la guerre civile et
Nadine Labaki elle-même a monté son film pendant la guerre de l’été 2006. Peut-être la
guerre est-elle une motivation de plus pour créer ? Cet auteur consacre aussi un chapitre
sur les « mélancolies féminines des cinémas méditerranéens ». Il explique que les femmes
passent de plus en plus derrière la caméra et que même les hommes ont tendance à traiter
de sujets de femmes dans leurs villes.
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Table ronde avec Jeanne, le 9 mars 2008 à l’IMA, Paris.
In Cinémas de la Méditerranée, cinémas de la mélancolie, Raphaël Millet, p.58.
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Introduction
Je suis donc partie de ces réflexions-là pour bâtir les bases de mon mémoire. J’ai
justement décidé de me restreindre aux réalisatrices nées pendant la guerre, qui ont au plus
40 ans, et qui n’ont donc pas commencé à réaliser pendant la guerre mais après.
J’ai effectué d’autres recherches. Contrairement à ce que je croyais au départ, Internet
n’a pas été d’une grande aide car idem, peu de sites sont consacrés au cinéma libanais.
J’ai pu trouver des interviews des réalisatrices, sinon les quelques sites se contentaient de
rappeler l’histoire du cinéma libanais, peu faisant un état des lieux actuels. Mon professeur
m’a prévenue : le terrain m’aidera plus. Concours de circonstances, le festival de littérature,
les Belles étrangères, était consacré, pour son édition 2007, au Liban. J’ai profité de l’étape
lyonnaise pour aller rencontrer les intervenants espérant qu’ils me donnent des contacts.
J’ai assisté à la rencontre entre Yasmina Traboulsi et Vénus Khoury-Ghata, une rencontre
animée par Mohame Kacimi. Je suis allée les voir à l’issue de la discussion. Yasmina
Traboulsi m’a donnée son courriel car elle m’a dit qu’elle avait des réalisatrices dans son
cercle d’amies et qu’elle m’enverrait les adresses. De même pour Mohamed Kacimi. J’ai
contacté la première à plusieurs reprises, vainement. Le deuxième m’a transmis le courriel
de Dima Al Joundi, une réalisatrice de 40 ans environ. J’ai contacté cette dernière également
à plusieurs reprises pour lui faire part de mon questionnaire, mais je n’ai jamais eu de
réponses. Alors les Belles étrangères m’ont permis d’occuper mes soirées avec de bonnes
lectures mais ne se sont pas avérées aussi fructueuses pour mon mémoire que je ne l’avais
pensé. Au mois de janvier, je me suis rendue à la semaine Fenêtres sur le cinéma du Sud
organisé par l’Institut Lumière de Lyon en janvier. Danielle Arbid devait venir commenter
son film Dans les Champs de Bataille, mais elle n’est finalement pas venue. Finalement j’ai
vu le film Civilisées, de Randa Chahal-Sabbag, film qui est toujours censuré au Liban. J’ai
rencontré le responsable de l’association Regard sud, l’animateur de cette semaine. Entre
deux projections, j’ai pu lui présenter rapidement mon projet, il m’a conseillé de le rappeler
et comme cela on pourrait fixer un rendez-vous. Là encore les coups de fil n’ont donné que
des coups de fil, apparemment je l’appelais à chaque fois qu’il était débordé. Du coup le
rendez-vous s’est repoussé de mois en mois, le fait d’aller sur place n’a rien changé.
Mais ce parcours n’a pas été parsemé que d’embûches. Au mois de février un séminaire
a eu lieu à Lyon sur les Nouveaux médias dans le monde arabe : des télévisions satellitaires
à Internet. Ce colloque m’a permis de rencontrer Yves Gonzales-Quijano, enseignant à
l’université Lyon 2 et chercheur au GREMMO (Groupe de REcherche sur la Méditerranée
et le Moyen-Orient), spécialiste des médias. Le cinéma n’était pas traité dans ce colloque
mais les informations que j’ai recueillies sur les médias se sont révélées intéressantes
dans la mesure où, comme on le verra par la suite, les médias télévisuels occupent une
place importante dans le quotidien des habitants du monde arabe, en comparaison avec
le cinéma. J’ai donc conclu un rendez-vous avec M.Gonzales, avant d’aller à la caravane
de cinéma euro-arabe. Je crois que dans l’avancement de mon travail, c’est l’aide la plus
précieuse que j’ai reçue. M.Gonzales m’a d’abord certifié que les femmes dans le milieu
culturel libanais joue un rôle prépondérant et ce de tout temps. A ce moment je partais
toujours avec ma première question concernant les réalisatrices chrétiennes. Il m’a certes
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dit que les Chrétiens libanais avaient de vrais acteurs dans la première moitié du XIX siècle
par rapport à l’entrée du monde arabe dans la modernité. Cependant il s’est étonné que
je restreigne au critère de la religion. Alors j’ai élargi ma requête aux réalisatrices, en
pensant justement que la religion pourrait être une hypothèse parmi d’autres, étant donné
le caractère multiconfessionnel du Liban. Surtout il m’a parlé de l’émancipation féminine,
dans lequel le Liban est beaucoup intervenu. Les women lib' se sont exportés au Liban
dès les années 20 après avoir soulevé l’Egypte. Une autre phase de l’affirmation sociétale
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L'essor des réalisatrices libanaises
s’est opérée pendant les années 60, aux niveaux politique, culturel, économique. Le Liban
s’est alors montré en avance sur ses voisins, alors que ces changements n’ont lieu que
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maintenant dans les pays du Golfe. 2008 est d’ailleurs l’année du 50 anniversaire de la
publication du roman de Layla Baalbaki, Je vis, qui traite de la révolte de la jeune fille arabe
contre un système de valeurs patriarcal et conservateur à laquelle elle avait ajouté le drame
de l’incommunicabilité. Après m’avoir exposé ces informations, M.Gonzales m’a parlé de la
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caravane euro-arabe organisée par l’IMA, le 2 week-end de mars à laquelle j’avais prévu
d’aller. Je lui ai signalé que j’avais eu de mal à rentrer avec la responsable Magda Wassef.
Il m’a aussitôt dit qu’il comptait qu’il allait y aller mais ne pouvait pas à cause des élections.
Alors il a envoyé un mail à Marie-Claude Behna, la co-organisatrice de ces journées comme
il la connaît l’informant qu’il m’envoyait comme émissaire.
La caravane du cinéma euro-arabe, intitulée Des réalisatrices face à leur société, a
vraiment débloqué mon travail. Le vendredi j’ai assisté à la présentation des résultats
d’un travail proposé par le Groupe de Réflexion Euromed Audiovisuel. Le document
s’intitule Vers une Stratégie pour le Développement de la Coopération Audiovisuelle EuroMéditerranéenne. Concrètement cette conférence ne m’a pas apporté beaucoup mais elle
m’a bien fait comprendre que les moyens accordés au cinéma dans cette région étaient très
faibles et que la coopération entrait dans une période critique. Le lendemain j’ai donc assisté
à la caravane euro-arabe. Sont intervenues des réalisatrices marocaines (Narjiss Nejjar),
tunisiennes (Moufida Tlatli), algériennes (Nadia Cherabi-Labidi), égyptiennes (Kamla Abou
Zikri et Hala Khalil) et une libanaise, Joana Hadjithomas, car Nadine Labaki, originellement
prévue, était en tournée en Amérique latine pour la promotion de Caramel. A mon arrivée,
je suis de suite allée voir Marie-Claude Behna qui m’a aussitôt présenté Joana Hadjithomas
et Houda Ibrahim qui animait la table ronde. Joana Hadjithomas m’a assuré qu’on pourrait
se rencontrer à un autre moment pour répondre à mes questions.
Par la suite j’ai essayé de contacter d’autres réalisatrices Danielle Arbid, Nadine Labaki,
au point de les harceler je pense, mais sans réponses. Je n’ai donc pu tester ma grille
d’entretien qu’avec Joana Hadjithomas.
Une autre difficulté s’est posée quand j’ai voulu me procurer les films des réalisatrices.
Peu sont sortis en DVD, Caramel est sorti en mars dernier. Un coffret rassemblant Dans les
champs de bataille et Un homme perdu est sorti en mai dernier. Mais c’est toi. Et comme
je voulais analyser A perfect day, ça s’est compliqué. J’ai contacté Celluloid Dreams, le
distributeur français mais la personne que j’ai eu m’a répondu qu’avec Cannes, cette année,
ils étaient débordés. Je commençais à être désespérée mais quand j’ai rencontré Joana
Hadjithomas, elle m’a recommandé d’appeler 1001 productions, leur boîte de production,
pour qu’ils me l’envoient. J’ai enfin reçu A perfect day mais tout ça, début juillet… idem pour
la fondation cinéma de Beyrouth, à qui j’avais demandé des documents. Mais comme le
bureau est en vacances prolongées, comme ils sont en rénovation, la communication s’est
avérée difficile. De plus j’étais en relation avec Pierre Sarraf, le responsable du festival « Né
à Beyrouth », qui devait m’envoyer des DVD de Beyrouth, mais avec la situation politique
et l’aéroport fermé, il ne pouvait pas passer à l’acte. Je ne les ai donc eus que fin juin et
en ai fait l’analyse en juillet.
Un parcours assez déprimant, parfois, néanmoins j’ai réussi à trouver satisfaction avec
l’entretien de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, fin juin. C’est principalement sur la
méthode de l’entretien que je me suis basée vu le peu de littérature dans le domaine. Je
me suis donc servie du dossier de presse de Caramel dans lesquelles des questions sont
posées à Nadine Labaki sur la réalisation de Caramel. Quant à Joana Hadjithomas et Khalil
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Introduction
Joreige, j’ai opté pour un entretien semi-directif car au début je ne pensais rencontrer que
Joana donc je lui aurais laisser plus de liberté pour qu’elle me raconte son histoire, son
parcours. Mais comme j’avais la chance de faire la connaissance de Khalil, je l’ai interrogé
sur sa vision de la situation. Donc j’ai relativement bien orienté les questions, d’autant que
je m’étais beaucoup renseignée sur le pays, que j’ai de la famille maintenant libanaise, que
j’y suis allée à deux reprises. J’ai ainsi pu rebondir aux réponses qu’ils m’ont tous les deux
données.
Leur présentationdétaillée apparaîtra ci-dessous avec celles des autres réalisatrices.
Noms /
Caractéristiques
Date de
naissance
Etudes
Productions
Religion
Joana
Hadjithomas
1969
Khalil Joreige
Nadine Labaki
1969
1974
Littérature à
Nanterre
Littérature et
Etudes
théâtre à Nanterre audiovisuelles à
l’université SaintJoseph de Beyrouth
Courts et long
Courts et long
Clips, courts et
métrages, articles, métrages, articles, longs métrages
installations vidéo installations vidéo
Chrétienne
Chrétien
Chrétienne
Toute cette période de recherche a donc mené au résultat suivant.
D’une question de départ axée sur les réalisatrices chrétiennes, « Pourquoi le cinéma
libanais depuis 1990 est-il essentiellement représenté par des réalisatrices chrétiennes ? »,
j’ai élargi mon champ de recherche à toutes les réalisatrices. Je me suis intéressée aux
réalisatrices âgées de 40 ans, au plus, car cela veut dire qu’elles sont soit nées au début
soit pendant la guerre et surtout qu’elles ont commencé après la guerre civile, après 1990,
c’est-à-dire sous la reconstruction. La guerre n’était donc plus la directe toile de fond. J’ai
donc voulu voir comment les films réagissaient à cette période par la même occasion,
car auparavant tous les films trouvaient matière dans la guerre, le film de Nadine est
véritablement le premier qui n’y fait pas référence. De même j’ai retiré le critère religieux,
comme principal critère. Car il est vrai que le Liban est un pays multiconfessionnel où se
côtoient 17 d’entre d’elles. Mais pouvais-je vraiment réduire ma question à celle-ci ? Ce
n’est qu’une des questions, qui au regard de la configuration de la société, découle de
ma problématique originelle. Aussi je suis revenue à mon constat de départ : Pourquoi ya-t-il à l’affiche deux films de réalisatrices ? Suite aux recherches que j’ai effectuées, je
me suis rendue compte qu’auparavant de nombreuses réalisatrices avaient rencontré le
succès, comme Jocelyne Saab, Randa Chahal-Sabbag, pendant et après la guerre, mais au
même titre que les hommes réalisateurs de leur époque : Borhan Alaouie, Ghassan Salhab.
Mais aujourd’hui, ce n’est pas le cas : Qui vient concurrencer les noms de Danielle Arbid,
Nadine Labaki,… ? Cette interrogation m’amène donc à la problématique de ce mémoire :
« Comment peut-on expliquer l’essor des réalisatrices libanaises ces dernières années ? »
A partir de là, je me suis attachée aux réalisatrices de fiction, et non aux documentaristes
car d’une part le champ de recherche aurait été trop étendu et d’autre part le documentaire
aurait été trop prêt de la société et ne demande pas les mêmes moyens que pour une fiction,
ni n’implique les mêmes préparatifs. Je voulais plutôt voir en quoi différents regards peuvent
mettre en scène différentes histoires et réciproquement, et ainsi étudier quelles sont les
motivations et si impact du film il peut y voir et pourquoi. Je me suis d’abord demandé si
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L'essor des réalisatrices libanaises
le fait d’être une femme est un atout dans le milieu cinématographique libanais actuel et
ensuite si ce qu’elles expriment dans leurs films contribuent à cette percée.
Ce travail s’articule donc en deux chapitres. Le premier traite de l’émergence des
femmes dans un cinéma qui peine à trouver reconnaissance. Ce premier chapitre
correspond à ma première hypothèse, à savoir voir si le fait d’être une femme est un
atout pour devenir réalisatrice au Liban. Pour faire l’étude de cette hypothèse, j’ai trouvé
nécessaire de planter le décor du cinéma libanais, afin d’en comprendre le fonctionnement,
d’une façon assez générale puis de comprendre enfin comment les femmes s’inscrivent
dans ce milieu. A partir de cet état des lieux, on analysera donc la particularité ou non de la
place de la femme dans le cinéma au Liban. Pour cela, on comparera la femme réalisatrice
libanaise à celles du reste du monde arabe puis à la place des hommes.
Le deuxième chapitre s’attachera plus au contenu de deux films pour chercher en quoi
les réalisatrices, avec leurs motivations, s’inscrivent dans un mouvement de société. J’ai
choisi cette hypothèse car j’ai supposé que le fait d’être une femme ne devait pas suffire
pour percer, les sujets traités dans leur film devaient aider à la pénétration des films. On
verra ainsi quelles sont les motivations des réalisatrices, comment elles varient selon les
réalisatrices, et ce qu’elles souhaitent montrer en faisant leur film. Suivant ces réponses, on
s’intéressera plus particulièrement à leur film pour analyser la portée de leur contenu par
rapport à l’état de la société libanaise.
Voici un panorama des productions des réalisatrices concernées par la période étudiée :
Les pionnières du cinéma libanais, telle que Jocelyne Saab et Randa Chahal-Sabbag,
ont débrouissaillé le chemin pour leurs jeunes collègues. Avant que Danielle Arbid soit
invitée à Cannes pour présenter son premier long métrage, Dans les champs de bataille en
2004, seulement 4 films réalisés par des femmes arabes avaient été montrés sur la Croisette
(L’heure de la libération, de la Libanaise Heiny Srour, ce fut d’ailleurs le premier film réalisé
par une femme présenté à Cannes ; Les silences du Palais et La saison de l’homme, de la
Tunisienne Moufida Tlatli ; Rachida, de l’Algérienne Yamina Bachir-Chouikh). Et depuis, le
Liban est présent lors de la Quizaine des Réalisateurs. En 2006, la fondation Liban-cinéma
a présenté A perfect day. En 2007, deux longs métrages étaient présentés dans la sélection
« Tous les cinémas du monde » : Caramel de Nadine Labaki et Un Homme Perdu de Danielle
Arbid. Et pour l’édition du festival de Cannes 2008, un film a été présenté dans la sélection
officielle : Je veux voir, de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige.
1. Dima Al Joundi est née le 16 septembre 1966 à Arnoun. Dima a commencé des
études de philosophie à Beyrouth puis est parti à Bruxelles en 1984 pour étudier le cinéma à
l' INSAS (Institut national supérieur des arts du spectacle). Elle a travaillé comme réalisatrice
assistante et dans la production. Une fois ses études finies elle s’est d’abord convertie en
monteuse de film dans plusieurs grandes villes telle que Bruxelles, Paris et des villes du
Maghreb. Elle a coproduit et réalisé son premier film Entre nous deux… Beyrouth. Entre
1996 et 1997, elle a travaillé à Colombo, au Sri Lanka, où elle a produit des documentaires.
Elle était alors responsable de la diffusion du monde arabe pour la compagnie Wordview
Global Television. Al Joundi est ensuite retournée à Beyrouth pour y vivre. Depuis elle
a organisé trois festivals de cinéma, dont l’édition 1999 du Festival de film de Beyrouth.
Avec sa société Crystal Films, elle est devenue la première femme au Liban à produire et
distribuer des films.
1. 1993 : Entre nous deux… Beyrouth, 52 min
La rencontre de deux sœurs. L’une Dima qui a quitté le Liban, pour suivre des études
de cinéma en Belgique. Elle est partie chargée de nostalgie, d’amertume, de violence,
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mais aussi de tant d’amour et de passion. L’autre, Rim, peintre, n’a jamais quitté Beyrouth,
entretenant des rapports passionnels avec sa ville. Malgré leur séparation, les deux sœurs
ont vécu chacune Beyrouth dans sa totalité. Rim vivait la ville de l’intérieur : peur, guerre,
euphorie, plaisirs, beauté et laideur.
Dima, malgré les rares visites et la distance qui la séparait de sa ville, continuait à
la vivre de loin. La télévision et les journaux, le téléphone et les lettres nourrissaient son
souvenir. Dima rencontrera à nouveau sa sœur, sa ville, sa beauté, la vie plus forte que
les tourments de la guerre, les souvenirs de la terreur et découvrira le Beyrouth de l’aprèsguerre, cette cité animée, ses rues éclairées, ses cafés remplis de bruit et de joies et ces
magasins à nouveau achalandés.
2. 1995 : The Silk Road in Central Anatolia, 52 min
3. 1996 : The Mask of the Night, 20 min.
2. Joana Hadjithomas est née à Beyrouth, le 10 août 1969. Elle travaille en tant que
cinéaste, tourne des fictions et documentaires mais aussi en tant que plasticienne. Joana
a commencé ses études à Beyrouth. Elle est ensuite partie pendant huit ans suivre des
études de littérature à Nanterre avec Khalil Joreige, son compagnon dans la vie de couple
et professionnelle, qui lui a ajouté le théâtre à sa formation. Ils sont aussi allés étudier le
cinéma à New York, où ils ont pu réaliser de nombreux courts métrages (The Agony of the
feet, 333 Sycamore). Ils étaient alors également photographes et écrivaient. Aujourd’hui
ils vivent entre Paris et Beyrouth, leur fille étant scolarisée à Paris. Joana et Khalil sont
les auteurs de nombreuses expositions de photos sur Beyrouth et d’installations exposées
aussi bien en galeries que dans des institutions.
Publications :
∙
Latence, in Homeworks,2002, Ed. Ashkalalwan
∙
A state of latency, in Iconoclash, Ed. ZKM et MIT press
∙
Bon je vais te montrer mon travail, in Al Adab, n°49, 2001
∙
Que faisiez vous entre cette aube et la dernière, in Specimen, Ed. Amok, n°4, 1998
∙
Beyrouth : fictions urbaines, Beyrouth : Mind the gap, 1997
Expositions :
∙
1997 : Beyrouth, fictions urbaines, Institut du Monde Arabe, Paris.
∙
1998 : Wonder Beirut, le roman d’un photographe pyromane, (Volet 1), Galerie Janine
Rebeiz, Le Mois de la photographie, Beyrouth
∙
2001 : Wonder Beirut, le roman d’un photographe pyromane, (Volet 2), Ecole
Nationale des Beaux-Arts de Rennes
Le Cercle de confusion, Missing Links, Galerie Townhouse, Caire, Egypte
2002 : Wonder Beirut, le roman d’un photographe pyromane, (Volet 3), ICONOCLASH,
ZHM, Karlsuhe
Filmographie :
∙
1997 : Autour de la maison rose, 92 min
À Beyrouth, dans le quartier de Matba’a trône un vieux palais, « la maison rose ». C’est là
où se sont réfugiées au début de la guerre, deux familles. Aujourd’hui, le pays est en plein
effort économique et les immeubles criblés d’obus cèdent progressivement la place à de
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L'essor des réalisatrices libanaises
vastes projets immobiliers. L’arrivée du nouveau propriétaire de la maison rose vient tout
bouleverser. Il annonce son intention de transformer le palais en centre commercial. Les
deux familles devront quitter les lieux dans les dix jours, conformément à la loi. Secoués
par cette nouvelle, les habitants du quartier ne savent que penser et, petit à petit, ils se
divisent. Au sein de ces tensions et des situations absurdes et drôles qu’elles engendrent,
les protagonistes de l’histoire vivent chacun leur drame individuel. La maison rose agit
comme un miroir déformant d’une certaine réalité, celle des deux familles, celle du quartier
et celle d’un pays où chacun perd ou retrouve la mémoire face aux ruines d’une étrange
3
après guerre.
∙
∙
∙
∙
∙
2000 : Khiyam, doc, 52 min Don’t walk, essai vidéo, 17 min
2001 : Rondes, 8 min
2002 : Cendres, 26 min
2003 : Yémen, le film perdu, doc, 42 min
2005 : A perfect day, 1h28
Un jour parfait à Beyrouth dans la vie de Malek, un jeune homme surprotégé par sa mère
qui accepte mal la disparition de son mari survenue 15 ans plus tôt, durant la guerre civile
libanaise. Aujourd’hui, Malek et sa mère Claudia vont déclarer le disparu officiellement mort
en l’absence de son corps. Le jeune homme souffre d’apnée du sommeil, sa respiration
s’interrompt, dès qu’il s’arrête de bouger il somnole puis s’endort. À contretemps, il tente
d’être plus synchrone, de retrouver une certaine cadence avec les autres, la ville, sa mère
et surtout Zeina, la femme qu’il aime et qui ne veut plus le voir. Obsédé par cet amour, il la
4
cherche, la suit, la perd, la retrouve dans la ville…
A perfect day a obtenu de nombreuses récompenses lors de ses passages dans divers
festivals internationaux. Le long-métrage a ainsi été couronné des Prix FIPRESCI et Don
Quichotte au Festival de Locarno, de la Montgolfière d’Argent, du Prix du Meilleur acteur et
du Prix de la Meilleure création musicale au Festival des 3 continents de Nantes, et le Prix
d’aide à la distribution au Festival de Belfort, et enfin, d’une Mention spéciale et du Prix du
Meilleur acteur au Festival de Namur.
1. 2007 : Open the door, please, 12 min
Segment du long métrage collectif ENFANCES sur Jacque Tati
1. 2008 : Je veux voir, 75 min
« Juillet 2006. Une guerre éclate au Liban. Une nouvelle guerre, mais pas une de plus, une
guerre qui vient briser les espoirs de paix et l’élan de notre génération. Nous ne savons
plus quoi écrire, quelles histoires raconter, quelles images montrer. Nous nous demandons :
"Que peut le cinéma ?"
3
Cette question, nous décidons de la poser vraiment. Nous partons à Beyrouth avec une
"icône", une comédienne qui représente pour nous le cinéma, Catherine Deneuve. Elle va
rencontrer notre acteur fétiche, Rabih Mroué. Ensemble, ils parcourent les régions touchées
par le conflit. A travers leurs présences, leur rencontre, nous espérons retrouver une beauté
que nos yeux ne parviennent plus à voir. Une aventure imprévisible, inattendue commence
alors… ». (Synopsis des réalisateurs)
http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/actions-france_830/cinema_886/cooperation-cinematographique_5371/aides-production_5622/
films-aides_5623/films-aides-par-fonds-sud_5624/liban_6409/autour-maison-rose_6504/index.html
4
12
http://www.ecranlarge.com/movies-details-2891.php
Fontaine Aline - 2008
Introduction
Je veux voir a été présenté à Cannes en 2008 dans la catégorie, « Un certain regard ».
3. Danielle Arbid est née en 1970 à Beyrouth. Pendant la guerre civile, elle s’est
exilée en France où elle a étudié la littérature et le journalisme à la Sorbonne. Ensuite
elle a travaillé comme correspondante politique pour différents quotidiens parisiens, dont
Libération, et Courrier International. « Jusqu’à l’âge de 27 ans, je n’avais jamais pensé au
cinéma. Ça m’est tombé par hasard, j’écrivais des nouvelles et un ami m’a proposé de
rédiger le scénario d’une nouvelle. », confie-t-elle. Ledit scénario est envoyé à la section
« premier film » du Centre national de cinéma. Six mois plus tard, elle remporte le concours
et 12 000 $ pour faire le film. De là est né le court métrage Raddem (Démolition). Ce court
métrage a reçu le prix du meilleur court métrage et de la meilleure réalisatrice au Festival du
film de Beyrouth. Après deux documentaires (Seule avec la guerre, 2000, et Aux frontières,
2002), un moyen (Étrangère, 2002) et deux courts-métrages (Raddem, 1998, et Le passeur,
1999) de fiction, Danielle Arbid est entrée dans l’arène du long-métrage.
Après avoir obtenu plusieurs récompenses pour des courts métrages, elle a présenté
son premier long métrage à Cannes en 2004, Dans les Champs de Bataille où il a reçu le
prix « Europa » de la quinzaine des réalisateurs.
Elle a réalisé entre 2005 et 2008 un « film sonore » pour France Culture dans lequel
des jeunes femmes et hommes de Beyrouth parlent de leurs expériences sexuelles. « Les
auditeurs qui s’attendent à un kamasutra oriental vont être déçus, croit Danielle Arbid.
Les médias veulent toujours que nous, Arabes, soyons différents. Quelques -uns de fait
font l’amour à bord d’un avion. Mais sinon tout est normal. C’est ma conclusion. Si vous
l’entendez, vous direz certainement, « Oh, je fais la même chose. » »
En 2007 est sorti son deuxième long métrage : Un homme perdu.
Filmographie :
∙
1998 : Raddem, 17 min
∙
1999 : Le Passeur, 13 min
∙
2000 : Seule avec la guerre, 58 min, ARTE
∙
2000 : La Mutuelle, 13 min
∙
2002 : L’Etrangère, 35 mm, 46 min
∙
2002 : Conversation de salon, 9 min
∙
2002 : Aux frontières, 60 min
∙
2004 : Dans les Champs de Bataille, 90 min
Beyrouth, 1983. Lina, douze ans, se lie d’amitié avec Siham, la bonne de sa tante, de six
ans son aînée. Leur complicité nouvelle la conduit à défendre les intérêts de son amie et
à protéger ses amours clandestines. Invisible aux yeux de sa famille, dans un quotidien
marqué par la guerre civile, l’enfant accède seule, peu à peu, au monde des adultes,
inconsciente du bien et du mal… Ce film mêle le conflit qui ravage le pays et les doutes
existentiels d’une adolescente. Inspiré de l’enfance de Danielle Arbid au Liban, Dans les
champs de bataille présente sa vision personnelle sur les événements vécus par tous ses
compatriotes.
- 2007 : Un homme perdu, 93 min.
Danielle Arbid plonge le spectateur dans un monde souterrain à la poursuite d’êtres
qui se fuient. Au hasard de ses clichés, Thomas, un jeune photographe français rencontre
Fouad, un marginal errant au poste frontière entre la Syrie et la Jordanie. En territoire hostile,
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L'essor des réalisatrices libanaises
les deux hommes en perdition vont partager le temps de quelques jours un quotidien étrange
fait de blessures passées, de perversité et de réelle détresse. Au-delà de la réflexion sur le
destin de ses deux hommes, Danielle Arbid cherche à enfoncer certaines portes verrouillées
par la structure des sociétés du Proche Orient, au premier rang desquelles on retrouve
la condition de la femme. Danielle Arbid choisit de dévoiler ici une face cachée, presque
honteuse de l’Orient de la Syrie à Beyrouth en passant par Amman. Thomas un photographe
névropathe assouvi à son art et ses fantasmes dans les bars louches des capitales arabes.
Il y rencontre des prostitués et promène son appareil voyeur durant tous ses ébats. Son
monde, le monde parallèle de la nuit est peuplé de caïds, de souteneurs, de femmes à
vendre et d’alcool. Thomas est devenu au fil de ses contacts, un manipulateur souvent
pervers conscient de son charme et usant de sa qualité d’occidental. Au hasard des routes, il
fait la connaissance de Fouad, un libanais énigmatique aux yeux exorbités et au profil fuyant.
Captivé par le mystère que cache cet homme, Thomas va chercher à l’utiliser comme il le
fait lors de chacune de ses rencontres. Fouad est un sinistré de la guerre du Liban. En 1985,
à la suite d’un événement dramatique, il décide de s’enfuir. Il mène depuis une existence
fantomatique loin de son pays, de sa famille et de sa mémoire. Thomas, toujours en quête
de perversion s’en entiche pour une solde de quelques dollars. Par son silence, Fouad est
une ombre parmi les ombres que croise le photographe français. Les deux hommes que
5
tout sépare partagent pourtant le même fardeau : l’échec affectif de leur vie précédente.
4. Nadine Labaki est née en 1974. Elle passe son baccalauréat à Beyrouth en 1993.
Diplômée en études audiovisuelles à l’université Saint-Joseph de Beyrouth (IESAV, Institut
d’études scéniques et audiovisuelles), elle réalise son film d’école, 11 rue pasteur, en 1997,
qui obtient le Prix du Meilleur Court-Métrage à la Biennale du Cinéma Arabe de l’IMA à Paris
en 1998. Elle tourne ensuite des publicités et de nombreux clips musicaux pour de célèbres
chanteuses du Moyen-Orient et pour lesquels elle obtient des prix en 2002 et 2003. Elle
a ainsi beaucoup travaillé avec Nancy Ajram, Carole Samaha. En 2004, elle participe à la
Résidence du Festival de Cannes pour l’écriture de Caramel. En 2005, elle joue dans le film
Bosta, l’autobus. Son premier long métrage, dans lequel elle joue Layale, est sorti au Liban
le 9 août 2007 et en France le 15 août 2007.
- Caramel, 96 min
À Beyrouth, cinq femmes se croisent régulièrement dans un institut de beauté,
microcosme coloré et sensuel où plusieurs générations se rencontrent, se parlent et se
confient. Layale aime Rabih, mais Rabih est marié. Nisrine est musulmane et son mariage
prochain pose problème : elle n’est plus vierge. Rima est tourmentée par son attirance pour
les femmes et vit au rythme des visites d’une belle cliente aux cheveux longs. Jamale refuse
de vieillir. Rose a sacrifié sa vie pour s’occuper de sa soeur âgée. Au salon, les hommes, le
sexe et la maternité sont au coeur de leurs conversations intimes et libérées, entre coupes
de cheveux et épilation au caramel. (synopsis du dossier de presse)
Comme je l’ai précisé précédemment, en dehors de ces réalisatrices de fictions, il existe
aussi de nombreuses réalisatrices de documentaires ou de films d’animation. Citons entre
autres : Christine Dabague, Samia Gloor-Fadel, Mai Masri, Lena Merhej, Sabrina Mervin,
Nadine Naous, Lena Rouxel, Rania Stephan.
5
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http://www.film-documentaire.fr/film.php?id=1652
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Chapitre 1 : L’émergence de réalisatrices dans un cinéma qui peine à trouver reconnaissance.
Chapitre 1 : L’émergence de réalisatrices
dans un cinéma qui peine à trouver
reconnaissance.
1.1 - Le cinéma libanais, un cinéma actif qui vient
provoquer des structures plutôt conventionnelles.
1.1.1 – Du cinéma de masse au cinéma indépendant :
Les origines du cinéma libanais remontent à 1929 avec le tournage du premier long métrage
Aventures d’Alias Mabrouk, sous le protectorat.
Après l’indépendance en 1941, s’installe au Liban une industrie du cinéma bâtie sur
le modèle phare de l’époque dans la région, le cinéma égyptien. Plus de vingt films par
an seront tournés pendant les années fastes. Il s’agissait en effet de comédies, de drames
romantiques, motivés par le désir de toucher un public de masse. mais la recherche de
succès populaires se fait sans réelle recherche de qualité.
Dans les années cinquante, puis au début des années soixante, le cinéma libanais
s’offre des voies plus originales, s’éloigne du modèle égyptien. De fait, après 1955, la
prospérité nouvelle d’un Liban devenu le centre financier du Moyen-Orient permit d’investir
dans les infrastructures comme le Studio du Cèdre, le Studio Haroun, le Studio Moderne,
le Studio Baalbeck. Le cinéma libanais connut alors un essor considérable avec, dès 1957,
une série de premiers films, dont ceux de Michel Haroun, Georges Nasser et Mohammed
Selmane. En 1958 Georges Nasser tourne Vers l’inconnu et Le petit étranger, des œuvres
modernes par leur façon d’occuper la frontière entre fiction et documentaire. Certains
pays arabes avaient bloqué l’accès aux films égyptiens pour des raisons politiques et
économiques. Aussi ces pays, incluant l’Irak, la Jordanie et la Syrie, ont commencé à
importer les productions libanaises.
C’est la nationalisation du cinéma égyptien sous la férule de Nasser qui donnera
vraiment au cinéma libanais un essor certain, au moins du point de vue du nombre de films.
Producteurs et financiers se réfugient en masse au Liban pour y produire leurs films. Plus
de trente films furent réalisés en moins de cinq ans. Et au total les producteurs libanais et les
réalisateurs égyptiens ont collaboré à la production de 161 films avant le début de la guerre
civile. La plupart étaient des produits de consommation courante dans la traditionnelle veine
du cinéma commercial égyptien, confectionnés par des metteurs en scène et des acteurs
égyptiens, parlant avec l’accent égyptien. Cependant après cette embellie, les réalisateurs
égyptiens retournèrent au Caire, suivis par de nombreux bailleurs de fonds libanais désireux
Fontaine Aline - 2008
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L'essor des réalisatrices libanaises
de produire des films égyptiens. Ceux-ci restèrent au Caire jusqu’au début des années
quatre-vingt, quand la re-privatisation de l’industrie du cinéma sous Sadate leur offrirent de
nouvelles possibilités. Ils dominèrent le secteur privé du cinéma égyptien en monopolisant
la distribution des films réalisés en Egypte. Ceci entraîna une diminution rapide dans la
production libanaise.
La fin des années soixante et le début des années soixante-dix représentent une
période cruciale du cinéma libanais. Au cours de cette période qui précéda la guerre civile,
nombre de films s’intéressèrent à la situation politique. L’une des tendances principales
de ce cinéma se caractérisa par le traitement de la cause palestinienne. Si la plupart
ne relevait que de la catégorie des films d’action où le contexte politique n’est qu’un
prétexte, ils jouèrent néanmoins tous un rôle quant au problème de la guerre israélo-arabe.
Parallèlement à ce développement, de nombreux clubs de cinéma indépendants se créent
dans les universités de Beyrouth et après 1970 il y eut même un festival de cinéma amateur.
Pendant la guerre civile (1975-1990), les cinéastes veulent témoigner et agir dans
l’urgence. Les structures de diffusion n’existent plus ou presque, trouver des financements
et amortir un film exigent la participation de producteurs étrangers. Comme le seul véritable
but des films du pays en proie aux bombardements est d’interpeller l’opinion internationale,
la guerre est le sujet unique.
Maroun Bagdadi, après le succès de Beyrouth oh Beyrouth, fait oeuvre de témoignage
et d’engagement avec des films comme Houroub Saghira (Les Petites Guerres), L’homme
voilé, Hors la vie (prix du Jury, Cannes, 1991).
La guerre donnera une certaine renommée à d’autres jeunes réalisateurs telle que
Jocelyne Saab, journaliste et cinéaste, qui livre Le Liban dans la tourmente, Les nouveaux
croisés (où elle met en scène un ancien tortionnaire de la guerre d’Algérie engagé comme
instructeur par les phalangistes), Le Sud Liban, Les enfants de la guerre, Beyrouth jamais
plus et Lettre de Beyrouth. Kafr Kassem, de Borhan Alaouié est ouvertement engagé du côté
de la cause arabe et dénonce le massacre par les israéliens des habitants d’un petit village.
Mais la guerre civile a marqué le passage à une nouvelle génération qui, très marquée
par la nécessité de documenter ce qui se passait sous ses yeux, s’orienta vers un autre
style de cinéma très empreint de réalité. Outre Maroun Baghdadi, Borhane Alaouié et
Jean Chamoun, Jocelyne Saab et Randa Chahal en furent parmi les principales figures.
Elles signalèrent aussi le passage des femmes libanaises derrière la caméra, tandis
qu’elles étaient jusqu’alors essentiellement cantonnées au rang d’actrices. Lorsque l’on sait
aujourd’hui quelle est la place tenue par les réalisatrices libanaises (de Danielle Arbid à
Nadine Labaki), on voit à quel point Saab et Chahal ouvrirent une brèche importante. Toutes
deux ont tout d’abord développé un travail documentaire avant de progressivement passer
à la fiction, notamment Saab avec Une vie suspendue en 1985 et Chahal avec Civilisées
en 1997, deux films qui ont l’un et l’autre tenté de mettre à nu les dessous de la société
libanaise.
Ce n’est pas avant le milieu des années 90 que le cinéma libanais a pris un nouveau
tournant avec l’arrivée sur le devant de la scène de jeunes réalisateurs, tout frais sortis des
universités et des écoles de Beyrouth, où le cinéma en tant que discipline commence à
être reconnue. Cette nouvelle génération s’est investie dans le travail des images et dans
la création de leurs propres films, des films qui sont vraiment différents du style de leurs
aînés. Ces films sont plus personnels, plus « individuels » dans la mesure où ils reflètent
non seulement les préoccupations de leurs auteurs, jeunes libanais émergeant de la guerre,
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Fontaine Aline - 2008
Chapitre 1 : L’émergence de réalisatrices dans un cinéma qui peine à trouver reconnaissance.
mais simplement les questionnements qui taraudent cette jeune génération, comme « Quel
est l’état du monde et à quoi pourrait ressembler le futur ? »
1.1.2 – Un métier qui cherche à se démocratiser :
Des écoles de cinéma se sont progressivement constituées à partir de la fin des
années quatre-vingt, et dont les premières promotions ont vraiment commencé à s’exprimer
et à produire à partir de 1992-94. Les deux principales formations aux métiers du
cinéma et de l’audiovisuel sont proposées par l’Institut d’études scéniques, audiovisuelles
et cinématographiques (IESAV, fondé en 1988), de l’Université Saint-Joseph et par le
département cinéma de l’Académie libanaise des beaux-arts (ALBA). Des enseignements
consacrés au cinéma et à l’audiovisuel existent dans d’autres établissements tels que la
Lebanese American University ou l’Université Kassilik. Par ailleurs, un cycle de formation
supérieure au cinéma, intitulé PROFIL (Programme de formation professionnelle à la fiction
longue), a été mis en place par la Fémis, l’ALABA et l’IESAV, en collaboration avec le
Ministère français des Affaires étrangères et avec le soutien du Ministère de la culture
libanais.
Depuis le milieu des années 1990, il y a une indéniable montée en puissance des
jeunes diplômés issus de ces écoles et cycles de formation, de plus en plus productifs
et de plus en plus présents dans les festivals tant libanais qu’étrangers, où ils obtiennent
une certaine reconnaissance. A titre d’exemple, sur seize courts métrages en compétition
e
à la 4 Biennale des cinémas arabes en 1998, cinq étaient libanais (c’est-à-dire que les
jeunes réalisateurs étaient les plus représentés), et c’est l’un d’entre eux (11, rue Pasteur,
de Nadine Labaki, un film d’école) qui a été primé.
Cependant même si les formations fleurissent et que les écoles se révèlent être un
vivier, il convient d’admettre qu’il est dur pour la plupart de percer en tant que réalisateurs
au Liban, étant donné les difficultés de financement. Bon nombre s’oriente plutôt vers le
privé. Pour preuve, Nadine Labaki a d’abord commencé dans la réalisation de publicités et
de clips musicaux avant de rencontrer, par le fruit du hasard une productrice française, huit
ans après son prix à la Biennale des cinémas arabes.
1.1.3 – Des cinéastes dynamiques qui s’évertuent à promouvoir leur
métier malgré les difficultés de leur pays :
Le milieu culturel au Liban a beaucoup évolué ces dernières années et semble très
vivace, avec beaucoup de ramifications, notamment dans les médias. Le cinéma, ainsi
que sa perception, n’échappe pas à cette évolution. Une tendance que souligne Jeanne :
« Ça fait plusieurs années qu’on enseigne à l’université. Avant c’était très mal perçu par les
parents que les enfants veuillent faire du cinéma. Mais en fait au Liban le taux de chômage
lié aux études cinématographiques est très faible parce qu’on arrive à s’employer dans les
télés, les pubs, les clips. La majorité des étudiants trouvent un travail à la sortie de leurs
6
années d’études. »
6
Entretien réalisé avec Jeanne et Kelvan, le 9 juin 2008.
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L'essor des réalisatrices libanaises
7
Selon une étude réalisée par InfoPro Center for Economic Information en 2006, 10 %
des foyers libanais ont vu un membre de la famille perdre son emploi – dans la moitié des
cas pour cause de licenciement, dans 15 % des cas pour cause de fermeture de l’entreprise
employeuse. Un an après la guerre de l’été 2006, le taux de chômage a été estimé à près
de 20 %.
« Ce qui fait que maintenant c’est devenu plutôt rentable économiquement
d’envoyer ses enfants faire des études dans l’audiovisuel. C’est sûr que nous,
nos parents étaient très opposés à ça parce que métier instable, parce que nous
c’était pas la voie audiovisuelle mais cinéma. Je les comprends en même temps
car c’est un métier difficile, énormément de concurrence, et pas sûr de réussir,
et on dépend d’énormément de facteurs. Voilà il y a plusieurs choses. Maintenant
quelle est la place de la culture exactement, ça c’est différent. On devrait faire
la différence entre l’art et la culture. Nous avons la culture appréciée par une
certaine bourgeoisie, acceptée par les milieux au pouvoir et puis il y a l’art qui est
forcément un peu en contradiction avec le pouvoir, en discussion, qui questionne
et ne fait pas ce qu’on attend de lui, qui n’est pas lisse. Ça c’est une question
très vaste. Je me la pose très souvent : quelle est notre place, notre rôle. C’est
8
changeant. »
Ibrahim Al Ariss, qui aujourd’hui vit à Beyrouth, est l’éditeur culturel du journal Al-Hayat.
Il croit beaucoup dans la nouvelle génération de réalisateurs. Il dit qu’ils sont « très
sophistiqués, très intellectuels et, bien que la majorité soit des Chrétiens, ils sont plutôt
de tendance gauche ». Ces réalisateurs font des courts métrages et des documentaires
caractérisés par la combinaison de l’art vidéo et de la critique de l’état déplorable des
relations sociales et humaines.
Preuve de ce foisonnement, un groupe de réalisateurs a fondé Beyrouth
Développement et Cinéma (Beyrouth DC), une coopérative de production en 1999. Depuis
Beyrouth DC n’a pas fait que de produire des films, le groupe a aussi organisé des ateliers
audiovisuels et les Journées du cinéma de Beyrouth (Ayyam Bayrut al-sinima’iya). Ce
festival, de 10 jours, a présenté un large échantillon des productions indépendantes, variant
entre les documentaires, les courts métrages, les films d’étudiants, et les films d’animation et
d’art vidéo. Les fondateurs considèrent Beyrouth DC comme une nouvelle forme de cinéma,
qui « contribue aussi à la promotion du développement social humanitaire et à un monde
plus humain ». Leur objectif est « de donner une voix (et des images) à ceux qui se trouvent
à la marge, de façon à ce qu’ils puissent exprimer leur réalité et la transmettre à un large
public ».
La formation de ce groupe, qui met à la disposition des moyens techniques — caméras,
bancs de montage… — afin de permettre les expressions cinématographiques est un
premier pas encourageant même si le problème majeur de la distribution demeure et oblige
les cinéastes à s’exiler pour réaliser des projets cinématographiques.
Cependant les idées foisonnent et les réalisateurs, oeuvrant au Liban, telle que Jeanne,
croient en cette émancipation des cinéastes-artistes.
« C’est sûr il y a ce petit groupe parce que d’abord il y a une nouvelle génération
très active. Si on est un peu schématique il faudrait diviser les générations en
7
8
In Courrier international, Pas de travail, pas d'avenir, 19 juillet 2007.
Entretien réalisé avec Jeanne et Kelvan, le 9 juin 2008.
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Chapitre 1 : L’émergence de réalisatrices dans un cinéma qui peine à trouver reconnaissance.
trois parties : la génération plus âgée que nous, qui ont fait leurs films pendant
la guerre ou après, ça a été très compliqué pour eux car il n’y avait pas de
structures, pas de moyens mais en même temps ils avaient une attention du
continent qui leur permettait de faire leurs films. Puis notre génération, qui a
plus travaillé en connexion cinéma-art, en tout cas dans notre cas. On est autant
artiste que cinéaste. Dans le domaine artistique il y a une quinzaine d’artistes qui
9
travaillent ensemble. Et puis il y a la toute jeune génération. »
Une autre initiative a donné naissance à la société de production «… né. à Beyrouth » et
au festival du même nom. Pierre Sarraf, le responsable, définit son objectif ainsi : « créer
un lien entre les réalisateurs et les spectateurs, et un démarrage d’une certaine industrie
cinématographique ».
Quel serait selon Sarraf le critère d’un film libanais ?
« Difficile de le définir quant à sa production, car les cinéastes libanais n’ont
pas tous nécessairement les fonds voulus pour assurer une production à 100 %
locale. On a donc voulu donner le privilège à la nationalité du réalisateur. Il suffit
qu’il soit libanais (même s’il vit à l’étranger), pour qu’il postule au festival. »
Sarraf ajoute : « Certes, le cinéma est le miroir d’une société et souvent le sujet de la
guerre se dégage en premier lieu au Liban, mais cela n’empêche pas cet art d’aller audelà de ce rôle ». La richesse du cinéma libanais réside également dans le fait qu’il reflète
diverses identités. « Chacun de nous est imprégné par des cultures différentes et chaque
cinéaste interprète dans ses films ses influences variées. Au final, c’est un cinéma diversifié
et riche. », souligne Ghassan Salhab, lors d’un café-débat organisé par l’Orient le Jour en
avril 2007.
Les perspectives du cinéma libanais sont liées à la perspective du pays. « Les artistes
en général et les cinéastes en particulier ont toujours réussi à faire preuve de créativité.
Même pendant les pires années de la guerre, des films magnifiques comme ceux de Maroun
Baghdadi et de Borhane Alawiyé ont continué à voir le jour. » Hojeige, réalisateur, considère
donc que le cinéma libanais poursuivra son chemin, en s’ouvrant sur des perspectives
nouvelles.
Mais la question essentielle à poser dans ce contexte est la suivante : quelles sont les
conditions de ce cinéma en gestation ? Les cinéastes libanais ont des moyens de production
limités. Hojeige déclare que c’est là où le bât blesse.
« Depuis 30 ans, les choses n’ont pas avancé d’un pouce, elles ont plutôt
reculé. Il n’y aura pas de véritable avancée du cinéma libanais sans un appui du
ministère de la Culture, sans un fonds sérieux de soutien qui donne la possibilité
à des scénarii de trouver des financements ou un complément de financement.
Pour le moment, les cinéastes sont des militants qui font un combat pour trouver
10
le financement nécessaire à la production de leur film. »
9
10
Entretien réalisé avec Jeanne et Kelvan, le 9 juin 2008.
Café-débat organisé par l’Orient le Jour, avril 2007.
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L'essor des réalisatrices libanaises
1.1.4 – Les idées des cinéastes ont beau abonder, il leur est souvent
difficile de trouver assez de moyens financiers pour concrétiser leurs
projets.
Malgré la volonté de produire de la part des réalisateurs, comme on l’a vu ci-dessus,
il reste que de nombreux obstacles se dressent sur le chemin. Un des premiers points
importants seraient donc la nécessité pour l’État de considérer le cinéma comme une œuvre
d’art, mais également comme une industrie. « Pour que cette industrie se développe, elle
a besoin de structure de logistique, de facteurs qui dépendent à la fois du domaine public,
mais également du domaine privé », a conclu Hojeige, le réalisateur de Zennar el-Nar.
Les problèmes sont ici multiples. Il existe donc un sérieux problème de financement,
de la part des producteurs locaux comme du Ministère de la Culture. En 2001, le Ministère
de la Culture a présenté, pour la toute première fois, un plan de financement pour soutenir
le cinéma libanais. La somme totale allouée par le ministère s’est élevée à 200 000 $, à
répartir entre dix films différents. Considérant qu’un film de fiction, à lui seul, peut coûter
jusqu’à un demi-million de dollars, et que de telles subventions de l’Etat couvrent à peine
cinq à dix % du coût d’un film, les cinéastes libanais ont dû chercher d’autres sources
de financement pour réaliser leurs films. Les aides et subventions de l’Etat libanais sont
quasiment nulles et restent symboliques. En 2006, elles se sont limitées à deux productions
et deux coproductions de longs métrages. Avec le manque d’intérêt ou de la simple absence
de producteurs locaux, ce financement a jusqu’ici principalement été fourni par l’UE (par
les radiodiffuseurs de service public telles que Arte ou Channel Four ou par l’accord de
11
partenariat EuroMed) .
Le manque d’intérêt que prête le gouvernement à la production cinématographique se
ressent fortement parmi les réalisateurs.
Kevan précise : « I ls essaient de faire des choses mais c’est à la mesure de
leur priorité. La plupart des films libanais ont eu une aide. Cette aide a été très
longue à avoir et elle est symbolique. Il y a une aide logistique qui est opérée.
Par exemple si on veut avoir des figurants de l’armée qui pourraient nous aider.
Ils nous donnent des facilités, par exemple pour fermer des routes. Mais c’est
à la mesure de leurs moyens. C’est un pays en faillite, donc l’Etat libanais est
en faillite. Donc nous quand on donne une aide, disons 15 000 €, on va mettre
deux ans à encaisser l’argent parce que tout le monde demande de l’argent, les
12
hôpitaux, la sécurité sociale, et ils donnent au compte-gouttes. »
Depuis le ministère subventionne chaque année 10 projets de production
cinématographique au maximum. Cette mesure ne semble pas suffisante. Certains
cinéastes, en particulier ceux qui travaillent sur des documentaires ou des courts-métrages
de fiction en utilisant des appareils photo numériques, ont pu contourner le problème du
financement par la production de ce qu’ils appellent "no budget” films.
Nigol Bezjian, par exemple, a fait un court-métrage expérimental sur une danse
arménienne, intitulé Verve pour exactement 90 $, et a admis qu’il lui était revenu à plus cher
d’envoyer le film à l’étranger pour participer à des festivals que de faire le film lui-même.
11
12
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Traduit de l'article : Ahead of the bandwagon : Lebanon's free media market, de Dima Dabbous-Sensenig.
Entretien réalisé avec Jeanne et Kelvan, le 9 juin 2008.
Fontaine Aline - 2008
Chapitre 1 : L’émergence de réalisatrices dans un cinéma qui peine à trouver reconnaissance.
Ces très faibles coûts de production sont sans surprise au Liban car de nombreux
cinéastes parviennent à recruter une équipe d’acteurs, éditeurs, compositeurs, cameramen,
bénévoles et ainsi de suite, alors qu’eux-mêmes remplissent plusieurs fonctions tels qu'
écrivains, réalisateurs, producteurs, et même distributeurs. De plus, leur équipement vidéo
est souvent mis gratuitement à disposition par les institutions pour lesquelles ils travaillent,
stations de télévision ou universités. (Bezjian, 2005 ; Fouladkar, 2005).
Wadih Safieddine, un jeune touche-à-tout (musicien, chanteur, événementiel, auteur,
producteur, réalisateur) a jeté pour sa part quelques éléments de réflexion concernant la
thématique abordée. À commencer par le paradoxe des productions libanaises et de leur
identité. « Depuis les années 90, la quasi-totalité des films, courts ou longs-métrages, de
cinéma produits ces 15 dernières années l’ont été avec des fonds étrangers. Cela nous
donne des films comme celui de Hani Tamba, Beyrouth After Shave, réalisé par un Libanais,
qui raconte une histoire libanaise, avec des acteurs libanais, en langue arabe. À l’arrivée, il
13
remporte le César pour meilleur court-métrage français. »
Cet exemple pose ainsi la question de la « libanité » d’une œuvre et de ce qui la
définit. Est-ce la nationalité du réalisateur, le sujet de l’œuvre ou l’origine du financement ?
« Lorsque la production cinématographique d’un pays est assez fournie, elle peut contribuer
à constituer une identité nationale et collective propre à ce pays. Et à offrir une identité au
13
cinéma lui-même. »
Tout cela demande une volonté politique, des moyens économiques
et le dépassement des tabous d’ordre politique et religieux. Les trois acteurs que sont les
professionnels, l’État et les médias doivent enfin se mettre ensemble pour l’avenir de ce
cinéma. Si le Liban dispose des talents, de la culture et de l’ambition de faire des films,
il lui manque cependant les sources de financement essentielles, qu’elles proviennent de
l’Etat ou d’entités privées. L’industrie cinématographique ne paraît pas tenir la place que
nécessite une kyrielle de jeunes cinéastes. L’ouverture sur l’étranger est donc un des atouts
du cinéma libanais et de ses jeunes talents. Les universités de Beyrouth sont nombreuses à
proposer des cursus sur l’audiovisuel, mais tout aussi nombreux sont les cinéastes à s’exiler
pour poursuivre des études en Europe ou aux États-Unis.
Afin de pallier le financement gouvernemental et d’attirer les réalisateurs en herbe, de
nombreuses structures se sont créées.
La fondation Liban Cinéma, d’abord, a pour objectif de participer au développement de
l’industrie du septième art au Liban en soutenant financièrement la création et la promotion
des films aux niveaux local, régional et international. « Un projet qui remonte à 2001, tout au
début de la création de Berytech, lorsque j’étais encore directrice de l’Iesav, explique Aimée
Boulos, la présidente de la Fondation. En cherchant une initiative qui pouvait s’inscrire dans
le cadre de Berytech (USJ), j’avais pensé à la création d’un laboratoire de développement
14
de films, créneau qui manquait au Liban et même au Moyen-Orient. »
À l’époque, l’Iesav développait encore les films de ses étudiants en Europe en raison de
cette lacune. Une industrie du cinéma suppose d’abord – c’est évident – des laboratoires.
Ainsi la création de ces derniers a pris forme avec la société Kodak International qui a
étudié la faisabilité du projet s’associant par la suite à The Talkies, une société libanaise qui
s’est chargée d’installer des télécinémas (appareils qui transforment l’image film en image
vidéo). Tout cela dans le cadre de Berytech. « À partir de là, il était possible de mettre en
place un organisme de soutien aux cinéastes en leur assurant des fonds et en développant,
13
14
Café-débat organisé par l’Orient le Jour, avril 2007.
www.fondationlibancinema.org
Fontaine Aline - 2008
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L'essor des réalisatrices libanaises
parallèlement, le système de coproduction. L’entreprise permettait ainsi au Liban de devenir
15
un centre de production cinématographique » , dit encore la présidente de Liban Cinéma.
La fondation s’installe donc à Berytech, où le pôle de l’image est bien ancré avec la présence
de 16 entreprises oeuvrant dans le domaine du cinéma et de l’audiovisuel.
L’Union européenne a également prêté attention à ce projet. Une mission d’experts
européens a été chargée de dresser sur place un état des lieux, depuis la formation
d’étudiants jusqu’à la production de films. L’UE a également impliqué la fondation dans
l’organisation de la Semaine du film européen en 2004. Puis Liban Cinéma a été invitée à
participer aux Journées libanaises de Barcelone en 2005. Et, pour boucler la boucle, l’institut
de garantie des crédits Kafalat soutient le projet, considérant très prometteur ce secteur
de l’industrie. Aimée Boulos ne s’est pas arrêtée en si bon chemin puisqu’elle a également
préparé un séminaire placé sous le patronage de l’UE. Il s’agissait de sensibiliser le secteur
financier au développement du cinéma au Liban et de l’amener à adopter une stratégie de
gestion de fonds destinée à la production de films. Des rencontres entre des réalisateurs
et des experts afin de jeter les bases des procédures financières et techniques ont aussi
été organisées à cette occasion.
Entre le souci de véhiculer un message et l’obligation de rentabilité, le cinéma libanais
se cherche une identité. Et les cinéastes du pays restent profondément perplexes face à la
e
problématique. Le 7 art libanais est-il à la croisée des chemins ? Doit-il se contenter de
porter des thématiques fortes sans s’embarrasser des contraintes de rentabilité ? Ou doit-il
songer désormais à faire des recettes, histoire de s’autofinancer ?
Aussi les réalisateurs eux-mêmes se voient contraints d’endosser le rôle de producteurs
afin de pouvoir financer leur film.
J. décrit : « Il y a des financements français mais je tiens absolument à ce qu’il
y ait des financements libanais donc on a créé une société de production, qui
co-produit tous nos films. Sur notre dernier film il a été à hauteur de 50 %. J’ai
un producteur qui travaille avec nous et qui cherche plutôt des investissement
privés avant que ça devienne plus institutionnel. Je n’ai pas perdu l’espoir, c’est
16
un peu utopique mais il faut croire à tout ça. »
1.1.5– Aux problèmes de financement, s’ajoutent des difficultés à
distribuer les films dans le pays.
Outre le manque de financement, on ne peut dire que le cinéma est une tradition au Liban,
comme il peut l’être en France ou aux Etats-Unis. Aussi la pénétration du cinéma libanais
dans la société n’est pas tant ancrée que cela.
Jocelyne Saab, réalisatrice de Dunia, donne le ton sur ces problèmes de distribution
que rencontrent les cinéastes.
« Aujourd’hui l’industrie du film au Liban met plutôt en valeur les films
conventionnels. Et le Ministère de la Culture n’est pas très efficace.Le film
au Liban n’a pas vraiment de tradition. Tout comme le cinéma en tant qu’une
forme artistique n’est pas enraciné dans le monde islamique. Quand je parle du
15
16
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www.fondationlibancinema.org
Entretien réalisé avec Jeanne et Kelvan, le 9 juin 2008.
Fontaine Aline - 2008
Chapitre 1 : L’émergence de réalisatrices dans un cinéma qui peine à trouver reconnaissance.
monde islamique, j’inclus également la communauté chrétienne. La religion en
Orient n’est pas une idée personnelle comme ça l’est en Occident. C’est plus
une culture qui est transmise de génération en génération. En Orient seule la
17
calligraphie possède cette valeur de tradition artistique ».
Le Liban souffre ainsi d’un manque de culture cinématographique et donc d’une certaine
rigueur critique à ce niveau, notamment parce que la majorité des films qui sont proposés
aux spectateurs par les distributeurs sont de grosses productions commerciales que le
public "consomme" par défaut. 95 % de la diffusion sont des productions hollywoodiennes.
Il semble que les mesures adoptées par les pays arabes pour rectifier le déséquilibre
entre le flux d’information et les produits culturels aient été plus motivées par des tendances
autoritaires et un désir de contrôler le flux d’information que par un véritable intérêt dans la
protection et la promotion de la culture locale. Les gouvernements ne cherchent d’ailleurs
pas vraiment à édicter des politiques culturelles qui pourraient assurer la promotion et
la protection de la vie artistique locale, ni à introduire une législation sur les médias
audiovisuels nationaux privés, avec par exemple l’instauration d’une autorité publique qui
aiderait à atteindre cet objectif.
Le Liban se démarque des autres pays arabes, comme étant le premier à avoir introduit,
en 1994 une législation régulant le système privé des média. En plus de cette avancée, et
de façon plutôt peu habituelle dans un contexte arabe, cette législation contient des clauses
pour la promotion des produits culturels locaux
En contraste avec cet intérêt distinct, fondé sur une base légale, pour la promotion
de la culture locale sur les radios privées et la télévision, le cinéma libanais manque
complètement de support de l’Etat. La seule part de législation concernant le cinéma est
liée à l’aspect physique des infrastructures cinématographiques, telle que la taille ou encore
des mesures de sécurité (Décision no. 509 datant du 19/12/1939).
Sur les heures de programmation locale, treize heures doivent être consacrées au
théâtre ou aux fictions, « inspirés par l’histoire libanaise, arabe ou internationale et à
l’héritage littéraire ». Etant donné que ces treize heures ne touchent pas exclusivement
l’héritage culturel libanais, le mode d’emploi ajoute que « le pourcentage de programmes
libanais devraient correspondre au moins à 40 % de ces heures. »
Tout d’abord la programmation des deux chaînes de télévision (Future TV et LBC)
principales est pour la plupart locale. Ensuite presque la moitié de cette programmation
locale (une moyenne de 47 % de la programmation annuelle des deux chaînes) est
consacrée à des émissions de télé-réalité bon marché, alors que la fiction libanaise (qu’elle
soit faite de comédies, sketchs,…) est à peine présente sur les écrans, en moyenne, 3,75 %
sur l’ensemble de la programmation.
On peut donc dire que les quotas fixés par la loi sont si faibles que de facto toutes les
stations de télévision locales remplissent de loin leur quota.
En contraste avec le secteur audiovisuel, où l’Etat décrète quelques formes de
régulation pour protéger la culture locale, le secteur du film est entièrement laissé pour
compte. Sauf dans le domaine de la propriété physique des cinémas, où la propriété – qui
suit le régime appliqué à tout type de propriété – doit être libanaise, le cinéma libanais souffre
d’une absence de l’intervention étatique, alors que la censure est dûment exercée à travers
la Sûreté Générale ou la police interne, comme le stipule la loi de Novembre 1947). Alors
que les chaînes de télévision locale, qui sont diffusées sur le satellite, créent et donnent une
17
in Encyclopedia of Arab women filmakers, Rebecca Hillauer, p.175.
Fontaine Aline - 2008
23
L'essor des réalisatrices libanaises
vision régionale de la programmation libanaise, comme nous l’avons vu, le cinéma libanais
est rarement produit et distribué localement ou régionalement. Moins de trois films sont
produits par an. Et parmi ceux-là, très peu passent dans les cinémas locaux pour le public
libanais.
Quelques soient les raisons qui poussent les distributeurs locaux ou arabes à dédaigner
les films locaux, le résultat final est que ces films ne sont pas montrés aux publics locaux.
Maryam n’a ainsi pas été diffusé dans les cinémas égyptiens (où le film a reçu un prix
prestigieux), ni montré dans les multiplexes du Liban, comme l’aurait été montré un film
hollywoodien.
On devrait noter que la distribution cinématographique au Liban se résume à un duopole
impliquant deux circuits majeurs, Empire et Planète, qui ont implanté des multiplexes au
Liban avec succès dans les années 90. Sur 82 cinémas au Liban, Empire en possède 37 et
Planète 28, et les 17 restants sont indépendants. Empire et Planète attirent à eux-deux 89 %
des cinéphiles libanais. C’est ce duopole, plus que l’absence du rôle de l’Etat ou du manque
de financement qui a été dénoncé par de nombreux artistes locaux, et considéré comme
la majeure entrave à la visibilité du cinéma libanais sur les écrans libanais. Le résultat de
ces circonstances défavorables est que le cinéma libanais est largement absent des écrans
libanais, représentant à peine un pour cent du total des films montrés chaque année. En
revanche, 90 % des films montrés sont américains, et les 9 % restants sont français.
En résumé les films libanais, quand ils sont réalisés, leur probabilité d’aboutissement
est incroyable. Tout d’abord ils manquent de support étatique et de ressources locales de
financement (le marché est trop petit pour attirer les investisseurs et les producteurs locaux).
Même si la vidéo numérique et les initiatives personnelles et le bénévolat ont facilité la
production de films de grande qualité qui reçoivent souvent des récompenses à des festivals
internationaux, le problème majeur reste la distribution. En effet, comme Smiers l’annonce,
« la guerre réelle… porte sur le contrôle des chaînes de distribution dans le monde entier.”
18
Mais, il faudrait retenir que la définition de « local » est par essence problématique
et devrait être utilisée avec précaution, particulièrement quand on essaie de quantifier ce
qui est local et ce qui ne l’est pas. Par exemple, une part significative de la programmation
sur FTV et LBC comprend des jeux ou de la télé-réalité. Ces émissions, pour utiliser
le jargon des producteurs de télévision libanaise, sont des émissions « références »
qui sont purement et simplement des « variations » ou « adaptations » locales des
programmes internationaux, acquis aux Etats-Unis, en Angleterre, France ou Pays-Bas,
dont la conformité avec le « format » originel occidental est assidûment contrôlé par les
compagnies détentrices des droits d’auteur (Hammoud, 2005).
Sur la quinzaine de films fiction qui ont été réalisés sur les 15 dernières années, 75 %
sont co-produits s’appuyant généralement sur l’UE et principalement l’argent français.
Etant donné le peu de diffusion que connaissent les films libanais dans leur pays, les
festivals restent le moyen de les faire connaître au public. Bien que la situation politique du
pays ne tourne pas forcément à l’avantage de ces festivals.
Le principal éclairage annuel sur le cinéma libanais s’opère avec le festival international
du film de Beyrouth (Beirut International Film Festival), depuis 2000, qui a changé de nom
depuis peu : Festival du film du Moyen-Orient (Middle East Film Festival). Il existe aussi
le Ayloul Festival, un festival international d’art et de la vidéo, ainsi que le petit Maghrebi
Film Festival et « né à Beyrouth”, qui présente exclusivement des films libanais. Et depuis
le début de ce millénaire, le Festival du Film Libanais et le Festival International du Film se
18
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Traduit de l'article : Ahead of the bandwagon : Lebanon's free media market, de Dima Dabbous-Sensenig
Fontaine Aline - 2008
Chapitre 1 : L’émergence de réalisatrices dans un cinéma qui peine à trouver reconnaissance.
déroulent à Beyrouth avec pour mot d’ordre "Make films, Not War !". Deux festivals menant
une véritable guérilla contre l’absence de structures financières de production au Liban.
Mais l’été 2006 par exemple, «..né.à Beyrouth » n’a pas eu lieu. Le rendez-vous était
prévu, comme depuis cinq ans, fin août. Fin août 2006, à Beyrouth, il n’y avait certainement
plus cette énergie suffisante pour remonter techniquement un festival de cinéma sept jours
à peine après la fin des combats. Pour autant comme l’énonce clairement les responsables
19
du festival , «..né.à Beyrouth » ne tient pas particulièrement à jouer le rôle (vaguement
malsain) du « festival de la guerre en images » maintenant, il est toutefois évident que tout
film libanais récent porte en lui, et à sa façon, la marque de la succession d’événements
qui auront secoué le Liban depuis 2005. Au moins reconnaît-on un évènement à cela : il
est toujours à plus ou moins long terme un déclencheur pour réapprendre à voir et surtout
pour se poser à soi même tout un régiment de questions : à quoi ressemble ma ville dont on
me dit qu’elle est aussi une nation ? Quelles sont les dernières générations qui ont connu
la paix, rien que la paix ?…
Et si les financements ne courent pas les rues, pour s’affirmer esthétiquement,
économiquement et politiquement, le cinéma libanais a réellement besoin de festivals afin
que le public puisse avoir un accès libre et public aux films.
D’autres structures essaient de promouvoir la diffusion des films libanais. Créée en
1999, la Cinémathèque Nationale du Liban (C.N.L.) qui dépend du ministère libanais de la
Culture, a pour vocation de promouvoir ce patrimoine constitué d’éléments documentaires
sur le cinéma libanais, arabe et étranger et de le mettre à la disposition du public le plus
large.
L’objectif principal de la CNL est de faire découvrir, ou redécouvrir, des œuvres, des
courants et des artistes du monde entier, dans la tradition cinéphile du Liban d’avant-guerre,
tout en intégrant les techniques de conservation et de restauration les plus modernes. La
CNL prévoit également une politique d’acquisition de copies de films arabes, dans le but
de conserver une partie de la mémoire du cinéma et de diffuser les oeuvres auprès d’un
large public.
En plus de l’aide financière la fondation Liban cinéma cherche à mettre en place un
cinéma local qui impose une image forte du Liban aujourd’hui. Elle cherche à jouer un rôle
fédérateur auprès des différents acteurs de ce secteur.
La nouvelle génération rêve de convertir Beyrouth en un véritable pôle mondial du
cinéma. Mais si le Liban motive ces jeunes réalisateurs créatifs, le pays manque de
structures pour la production de films. Les réseaux télévisuels trop occupés à rabâcher des
séries locales ridicules et grotesques, n’ont pas encore prévu d’entrer en partenariat avec
l’industrie du cinéma. Il n’y a pas encore eu de coproduction ni système de pré-achat, ni
d’aide à la distribution.
Même si quelques propositions ont attiré l’attention, telle que celle de Future TV qui s’est
engagée à récompenser le meilleur film d’étudiants et à le diffuser, cela reste insuffisant. Et
ces réalisateurs sont toujours obligés, comme leurs aînés de chercher des financements à
l’étranger qui semble plus intéressé par le développement du cinéma libanais.
J. et K. dénoncent les entraves que pose la pseudo-régulation et par conséquent la
supériorité que possède la télévision sur le cinéma.
« Pour faire diffuser nos films à la télé, c’est plus complexe. Parce que justement
il n’y a pas d’obligation. Nous, pour nos films, ce qu’ils nous disent c’est que
19
http://www.neabeyrouth.org/
Fontaine Aline - 2008
25
L'essor des réalisatrices libanaises
voilà, on va vous prendre le film et en contrepartie on va vous donner de l’espace
publicitaire. Ça dépend des films aussi. Si le film est très commercial, si on passe
sur TF1, France 2 ce sera plus facile. La télévision achète déjà très très peu cher
les films. Donc ils font acheter un film américain à moins de 10 000 €. Quand ils
vont venir pour acheter notre film, 10 000 €, en échange ils vont nous donner
des espaces publicitaires pour disons 50 000 €. Maintenant est-ce que ça sert
à quelque chose j’en sais rien mais c’est un échange, un troc. Ça c’est un des
problèmes, comme la télé n’a pas d’obligation, elle n’est pas obligée de rentrer
dans les projets de film. Elle ne rentre dans les projets de film que si elle pense
qu’ils vont être très lucratifs. Forcément au niveau de la production des films
du pays, le problème qui se pose : le ministre de la culture, le CNC libanais n’a
pas assez de moyens donc ne peut pas donner au-delà de 15 000 $, ce qui n’est
rien. On se retrouve donc sans possibilité de production institutionnelle, pas de
possibilité de chaîne de télé, si on n’est pas un film à potentiel ultra commercial
donc il faut penser un peu sur le financement privé. Mais le financement privé
doit aussi être remboursé par les entrées donc voilà c’est le problème aussi.
Avant on comptait beaucoup sur l’aide européenne, aujourd’hui elle est fragile, le
fonds sud va peut-être disparaître. Déjà plusieurs choses ont disparu, l’ADC sud,
20
ça n’existe plus. Beaucoup de comptoirs ont disparu. »
L’obstacle majeur reste le manque de distribution. Mais à en croire Fouladkar à ce sujet,
les récompenses qu’un film libanais obtiendrait dans un festival le rendrait moins attractif aux
yeux du public local, qui a tendance à associer ces prix à un élitisme ou de l’art intouchable,
et préfère la popularité et la rentabilité des films hollywoodiens.
Outre les infrastructures de production, il ne peut y avoir d’industrie de cinéma sans
un véritable marché. Une des solutions serait que les institutions permettent un accès
facilité aux marchés internationaux et la mise en place d’une véritable politique araboméditerranéenne de soutien à la distribution des films arabes et méditerranéens. Comme
cela s’est produit pour les vidéo-clips de la musique populaire arabe, il faut que les chaînes
de télévisions arabes prennent conscience de leur rôle et de leur intérêt économique et
culturel dans la diffusion des courts et des longs-métrages de jeunes réalisateurs de cette
région du monde.
1.1.6 – Des obstacles techniques se dressent sur le parcours des
réalisateurs et des obstacles moraux, telle que la censure qui hante la
réalisation des films :
Aux problèmes de financement et de distribution s’ajoutent les problèmes de censure
au menu des réalisateurs. Il y a beaucoup à faire au Liban, pour atteindre le degré de liberté
d’expression nécessaire qui permettra à chacun de préciser son identité réelle. La première
étape du progrès concerne donc la censure. Car quand "par miracle" des films libanais ont
réussi à se monter à l’étranger, ils ont de fortes chances de se retrouver amputés – de tout
ce qui relève de la sensualité ou de la sexualité, de la violence verbale ou physique, de la
20
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Entretien réalisé avec Jeanne et Kelvan, le 9 juin 2008.
Fontaine Aline - 2008
Chapitre 1 : L’émergence de réalisatrices dans un cinéma qui peine à trouver reconnaissance.
prise de position religieuse ou politique – au moment de leur diffusion au Liban. Une censure
qui se décline plus ou moins officiellement.
1.1.6.1 - La censure officielle, une surveillance sur la production :
La censure officielle est opérée par la Sûreté générale, un organisme dépendant du
gouvernement qui passe au crible toutes les productions culturelles ou artistiques qui
pourraient avoir une mauvaise interprétation dans l’espace public. Toutes les formes d’art
(littérature, peinture,…) y passent, le cinéma n’y échappe donc pas.
Tous les films sont passés à la loupe. Jeanne explique : « Il y a d’abord chez
nous une censure officielle, c’est-à-dire que quand on écrit un scénario, avant
de tourner on le présente à la Sûreté générale parce que la censure en dépend.
Et sur ce scénario on est censuré, c’est-à-dire que s’il y a des choses qui ne
vont pas il y a des avertissements qui sont posés. C’est ce que nous on a eu
par exemple pour le scénario de « A perfect day » et cette censure pouvait aller
de, il y avait une scène d’embrassade assez chaude, disons, jusqu’au fait que
j’avais écrit dans le scénario avec Khalil, qu’il y a des femmes habillées avec
des vêtements armées, c’était à la mode à l’époque, on s’habillait beaucoup en
treillis tout ça et par contre j’ai eu un avertissement là-dessus parce que ça faisait
comme si je me moquais de l’armée. Et si tous ces avertissements se retrouvent
dans le film au tournage, on peut couper ces moments- là. Donc il y a ces choseslà, une censure réelle. Tout doit être écrit, montré, il y a des choses qui passent et
des choses qui passent pas. Etonnamment par contre le film « A perfect day » n’a
21
pas été du tout censuré alors qu’il y a des scènes assez intenses. »
Le dernier exemple en date remonte à la diffusion du film « Persépolis ». Il est finalement
sorti en mars dernier, mais après de longues parlementations. La Sûreté générale a précisé
que c’est le ministère de l’Intérieur, dont elle dépend, qui a « décidé d’autoriser la diffusion
du film au Liban ».
Le général Wafiq Jizzini, directeur de la Sûreté générale, avait déclaré avoir « interdit le
film car des responsables chiites ont estimé que le film s’attaquait à l’Islam et à l’Iran ». « Le
bureau de la censure (qui relève de la Sûreté) a jugé que si le film était visionné, il allait créer
des tensions avec l’Iran », a déclaré M. Jizzini. Une source gouvernementale s’exprimant
sous le couvert de l’anonymat avait également déclaré que le film avait déplu au chef de
la Sûreté, considéré comme un proche du Hezbollah. « Il est clair que le général Jizzini
est proche du Hezbollah et ne veut pas autoriser ce genre de film qui, selon lui, donne une
image de l’Iran plus mauvaise que sous le Chah », a estimé cette source. Mais la Sûreté
générale a nié dans un communiqué « l’existence de motivations personnelles, politiques ou
confessionnelles derrière la décision d’autoriser ou de ne pas autoriser un film en général ».
L’interdiction du film, critiqué par les autorités iraniennes pour sa peinture de la Révolution
islamique, avait suscité une vive polémique dans les milieux politiques et culturels au Liban,
qualifiant la mesure de « terrorisme intellectuel ».
Le film libanais qui a le plus agité les esprits reste « Civilisées », de Randa ChahalSabbag. Civilisées aurait dû sortir sur les écrans en décembre 1999. La réalisatrice fait ici
revivre quelques années de la guerre, durant l’année 1980. Elle y montre les francs-tireurs
qui contrôlaient les immeubles, les rues, les quartiers et dictaient leur loi. Elle témoigne que
21
Entretien réalisé avec Jeanne et Kelvan, le 9 juin 2008.
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L'essor des réalisatrices libanaises
les enfants étaient utilisés dans les combats et envoyés au front. Parle des otages qui ne
sont pas seulement ceux que l’on croit. En l’occurrence, deux soldats syriens enlevés par
un homme dont le fils a été lui même enlevé et qui est en train d’en devenir fou. Avec sa
liberté de réflexion et d’expression, le film va à l’encontre des représentations officielles de
la guerre civile et a valu à son auteur quelques sérieux ennuis en son pays. Selon la sûreté
générale libanaise, qui voulait en censurer quarante-sept minutes (sur une durée de quatrevingt-dix-sept), Civilisées serait attentatoire à l’islam, pornographique et ordurier… Après de
difficiles négociations et ayant accepté de bloquer le film pour en retirer quatre dialogues,
Civilisées est sorti en France le 26 avril 2000 mais n’est jamais encore sorti au Liban.
1.1.6.2 - Un problème dans l’évolution des mentalités ? :
En dehors de la censure officielle, les réalisateurs se heurtent à des problèmes plus d’ordre
psychologique, à savoir que les traditions semblent être beaucoup trop ancrées pour pouvoir
être chamboulées.
D’abord le public n’a pas l’air prêt à être choqué par des images. C’est en quelque sorte
un cercle vicieux puisque les producteurs libanais qui accepteraient de subventionner des
réalisateurs libanais les complairaient dans cette appréhension.
Jeanne : « Premier ordre de censure quand on écrit un film c’est que nous on
n’est pas là pour caresser les choses dans le sens du poil, mais on est là pour
dénoncer certaines choses dans notre société et le public parfois et disons les
producteurs – les financiers privés car au Liban c’est surtout aux privés qu’on
demande – nous disent : « oui mais ça ne va pas donner une bonne image du
Liban ». Donc ça aussi c’est un gros problème. Nous sommes supposés faire des
films joyeux, colorés, qui poussent au tourisme. Alors que ceux qui connaissent
le Liban savent qu’au Liban, c’est un pays formidable mais qu’il y a quand même
beaucoup beaucoup de problèmes, et nous on est là pour mettre le doigt sur
ce qui fait un peu mal et ça c’est très difficile. Je me souviens de beaucoup de
recherche de sponsors où les gens disaient : « oui mais il faut que tu changes
la fin parce que là c’est pas possible ou ce personnage est négatif ». Voilà ils
voulaient faire une intervention dans le scénario pour que l’image soit positive. Et
pareil, le public dit aussi, c’est pas représentatif. Donc il y a tout un ensemble de
choses à gérer par rapport à une bonne image que le cinéma est supposé donner
or nous nous ne sommes pas censés faire des films-carte postale, mais des films
22
pour parler de notre société, réfléchir sur les problèmes qui nous agitent. »
Les réalisateurs tentent également de combattre une certaine autocensure. Non seulement
il y a des sujets tabous dans la société mais la réputation est un point crucial pour les
Libanais. En effet on parle beaucoup l’un de l’autre et l’apparence reste un enjeu pour les
familles.
J.H : « Dans Perfect day, je sentais presque que l’acteur était plus pudique que la
jeune femme. On aurait pu aller plus loin mais on n’en avait pas vraiment besoin.
Mais c’est sûr que c’est une séquence qui pose des problèmes dans le monde
arabe par moment. Sur des chaînes de télé on ne pourra pas le voir partout.
Mais ma famille pas forcément, c’est sûr que je pense à eux quand j’imagine
des séquences où je pourrai aller plus loin, j’essaie de ne pas me censurer et
22
28
Entretien réalisé avec Jeanne et Kévin, le 9 juin 2008.
Fontaine Aline - 2008
Chapitre 1 : L’émergence de réalisatrices dans un cinéma qui peine à trouver reconnaissance.
j’y arrive. Je ne m’autocensure pas mais je suis consciente de la possibilité de
l’auto-censure mais j’essaie quand je m’en aperçois de la dépasser. Je ne la
dépasse pas pour la dépasser. Si l’histoire le demande je le fais, je sais ce que
ça veut dire et je l’assume. Si l’histoire le demande j’aimerais même aller un peu
plus loin que ça parce que ça repousse une limite. Mais on s’autocensure tous,
d’une manière ou d’une autre, et j’essaie de repousser au maximum les limites de
cette autocensure. Je pense qu’au bout d’un moment on s’autocensure tous sur
tel ou tel sujet. Je ne pense pas m’autocensurer sur les questions de sexe, peutêtre plus sur d’autres questions plus personnelles, en rapport avec la famille,
mais de moins en moins. Ça dépend, c’est une forme de maturité, ce qu’on peut
assumer par rapport à son évolution psychologique. Mais le sexe n’est pas pour
moi un sujet tabou. Le plaisir pour moi serait plus intéressant, comment une
femme est éduquée par rapport à son propre plaisir. Je trouve ça plus intéressant
que l’acte sexuel parce que l’acte sexuel fait partie de notre évolution. Mais estce qu’on éprouve vraiment du plaisir, est-ce que nos mères nous parlent, est-ce
qu’on en parle à nos filles, pas sûr. Et ça pas seulement au Liban, en France tout
23
autant. C’est compliqué, c’est difficile, on ne sait pas en parler. »
La structure sociale du Liban ne facilite pas non plus la démocratisation du cinéma sous
toutes ses formes. Un premier tabou apparaît quant au choix des comédiennes, qui pour
certains rôles, hésitent à participer. Il faut dire qu’il y a beaucoup de familiarité dans la société
libanaise, tout le monde connaît tout le monde.
J.H : « Pour les actrices ce n’est pas toujours facile. C’est-à-dire que quand elles
acceptent des rôles, où elles montrent une partie de leur corps ou quand elles
sont prises dans des situations ou scènes sexuelles un peu fortes qui dépassent
le simple bisou, elles peuvent avoir des problèmes, parce que les gens leur font
une réflexion. C’est pas évident parce que justement le mec qui tient le café
en bas de chez elle peut lui faire une remarque, son oncle, ses parents,…ça
c’est une barrière difficile à franchir. Moi j’ai eu beaucoup de problèmes avec
beaucoup de comédiennes par rapport à ça et il n’est pas question non plus
de piéger. Mais des jeunes comédiennes arrivent à la franchir plus rapidement
que des comédiennes plus âgées parce que la société évolue justement. Ça
a été un très long casting pour trouver quelqu’un qui accepte ce rôle-là. La
comédienne de Perfect day est très à l’aise avec ça. Nous avons pourtant eu des
refus. Et d’ailleurs la comédienne de Perfect day elle s’en fout, elle s’assume, elle
comprend bien que c’est du cinéma. On travaille beaucoup sur l’improvisation,
très souvent avec les comédiens et je ne savais pas jusqu’où on allait aller donc
il fallait une certaine liberté par rapport à ça. Et le problème de faire des films
où il y a des films comme ça c’est que ce n'est pas très facile à montrer dans
certains festivals ou sur certaines télévisions arabes. Voilà ce n’est pas encore
vendu aux télévisions arabes mais je ne désespère pas car il n’est pas question
24 4
non plus de couper. »
23
Table ronde en présence de Jeanne, le 9 mars 2008.
24 4
Entretien réalisé avec Jeanne et Kévin, le 9 juin 2008.
Fontaine Aline - 2008
29
L'essor des réalisatrices libanaises
Toutes ces données montrent bien qu’il n’y a pas de système établi au Liban. Certes les
étudiants sortent de l’université avec l’envie de réaliser des films mais malheureusement
il y a peu de structures et de soutien derrière. Chacun est donc obligé de construire son
expérience avec ses propres moyens. Nous allons voir comment le laboratoire expérimental
des réalisatrices arrivent à créer de vraies histoires et finalement percer dans le septième
art.
1.2 - Le statut de femmes serait un atout pour percer
dans le milieu cinématographique au Liban.
1.2.1 – Dans l’histoire du cinéma, les réalisatrices libanaises ont joué
un rôle avant-gardiste.
Au Liban les femmes ont effectivement joué un rôle d’avant-garde dans le cinéma. Pendant
que Assia Dagher et sa nièce Mary Queeny, libanaises d’origine, sont devenues des
pionnières du cinéma égyptien, selon le réalisateur palestinien Mohammad Soueid, c’est
à Herta Gargour, libanaise d’origine allemande, que revient tout le mérite d’avoir posé les
fondements du cinéma libanais et de la réalisation de films après la période du muet. La
carrière de ces trois femmes a commencé dans les années 30, mais elles prirent un chemin
différent par la suite. Dagher et Queeny ont émigré en Egypte, laissant la voie libre à Herta
Gargour, qui dirigea les Films Luminaire, une compagnie de production fondée en 1934.
Bayn hayakel Ba’albak (Dans les ruines de Baalbek, 1936) fut le premier film produit par les
Films Luminaire. D’après Soueid, ce fut le premier film sonore. Après le travail de Gargour
il y eut une pause dans la production ou la réalisation de films par des femmes. Pendant
les années 70, les femmes ont plutôt oeuvré en tant qu’actrices, créatrices de costumes et
maquilleuses. Ceci changea quand le pays entra en guerre civile.
La guerre a surpris de nombreuses jeunes réalisatrices qui étudiaient à l’étranger.
Celles qui étaient encore au Liban quittèrent le pays et y retournèrent pour une courte
période, pour réaliser des documentaires. Parmi celles-ci, Jocelyne Saab et la libanopalestinienne May Masri, avec son époux libanais, Jean Chamoun, s’aventurèrent dans le
théâtre de la guerre. En revanche Yasmine Khlat a tourné un film tout autant impressionnant
et intime sur un groupe de femmes dans un appartement à Beyrouth qui ne sont touchées
par la guerre que par les journaux et la couverture télévisuelle de l’événement.
1.2.2 – Le Liban permettrait-il plus de possibilités que les autres pays
arabes ?
Le Liban a une place particulière dans le monde arabe. Certes il est un des plus petits
pays de la région mais proportionnellement à sa population il compte autant voire plus de
réalisatrices que de réalisateurs.
30
Fontaine Aline - 2008
Chapitre 1 : L’émergence de réalisatrices dans un cinéma qui peine à trouver reconnaissance.
Même si le dernier recensement officiel date de 1932 sous le protectorat français, la
population a été estimée en 2007 à environ 4 millions d’habitants. Ce chiffre le place parmi
les pays les moins peuplés du Machrek et Maghreb. Avec cette population le Liban se situe
au même niveau que les Emirats Arabes Unis, la Palestine, devant le Koweit, le Sultanat
d’Oman, la Mauritanie, le Qatar et Djibouti, mais bien loin derrière des pays comme l’Arabie
Saoudite, l’Egypte, le Maroc, la Tunisie.
Comment donc expliquer qu’en comparaison avec ces plus grands pays, le Liban
compte plus de réalisatrices. Sur la période qui est étudiée ici et en s’intéressant
aux réalisatrices de longs métrages fictionnels, on remarque que l’Egypte compte deux
réalisatrices ; la Palestine, deux ; la Syrie, une ; l’Algérie, une ; le Maroc, deux ; la Tunisie,
deux (voire tableau en annexe). Alors que le Liban en compte quatre et ne compte qu’un
réalisateur, Philippe Aractingi, ayant réalisé son premier long-métrage en 2005.
Pour ce qui est des autres pays, l’activité cinématographique n’en est qu’à ses premiers
battements d’ailes.
Une des premières explications pourrait être liée à la religion. En effet là où la Sharia,
la loi coranique, est appliquée d’une manière très stricte, comme dans la majeure partie de
la péninsule arabique, on trouve peu ou pas de réalisateurs. L’activité cinématographique
est quasiment réduite à néant. Il est vrai que l’image dans le monde arabe a longtemps
été interdite, du moins les cultures arabes n’ont pas eu besoin d’images pendant leur
développement, contrairement aux cultures occidentales. Mais si on s’intéresse à l’islam,
25 5
il n’y a pas vraiment de théologie de l’image dans le Coran.
Le Coran ne parle
que de l’idole. Doit être évitée l’adoration de l’image et non sa création. Les sunnites
maghrébins par exemple, pensent qu’il y a du secret divin en tout créature, d’où l’interdit
à peu près absolu et durant plusieurs siècles de toute représentation figurative dans leurs
e
manuscrits. Seul le XX siècle a connu une certaine irruption de l’image. Les théologiens
sont pratiquement restés muets face à la révolution des images. Seulement trois se
manifestèrent : en 1922 pour légitimer les arts plastiques, à l’université de Al-Azhar, puis un
autre sur la photo et le dernier sur un texte devant rendre possible un film biographique sur
le Prophète. Mais cela n’a pas empêché le prince saoudien Khalid Ibn Musa’id d’attaquer
les studios de TV parce que cette pratique reproduisait le corps humain. Or il suffisait de
montrer que ce moyen de diffusion pouvait aussi répandre la parole de Dieu pour que
l’opposition cesse immédiatement…Au fond l’intérêt généralisé sur les images n’a pas de
causes essentiellement religieuses mais plutôt politiques. Les traditionalistes, dans leurs
interprétations du Coran, ont imposé ces exigences. En même temps, on pourrait dire que
la règle de l’interdit de la représentation des êtres animés a été le stimulant le plus grand de
l’art musulman car dès lors que la règle est énoncée, elle fournit les moyens de la contourner.
Et on sait qu’il n’y a pas d’art sans limitation, celles qu’on reçoit ou celles qu’on se donne.
Alors si maintenant le cinéma commence à apparaître timidement dans les pays
majoritairement islamiques, les femmes ont encore du chemin à parcourir pour s’imposer.
26
A en croire le ciné-IMA réalisé par l’Institut du Monde Arabe en mai 2006 autour du Golfle
6
, la « Saison du Golfe, le Golfe vu par ses cinéastes », sur les quatre journées organisées,
seule une femme, Haïfaa Mansour, saoudienne, figurait parmi les douze cinéastes (courts
et longs métrages, documentaires confondus) représentant le Koweit, le Bahrein, le Qatar,
les Emirats Arabes Unis, et l’Arabie Saoudite. Haifaa Mansour a réalisé Femmes sans
25 5
26 6
in L'image dans le monde arabe : interdit et possibilités, de G.Beaugé et J-F Clément
www.imarabe.org
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31
L'essor des réalisatrices libanaises
ombre, un documentaire. Le titre fait allusion à la condition féminine dans son pays. Ce
documentaire a généré un soulèvement dans le pays même s’il n’a été projeté qu’une seule
27 7
fois dans la demeure du consul de France à Djeddah.
Quant au premier long métrage
saoudien, largement financé par la société Rotana, du prince Al-Walid Ibn Talal, il est sorti
partout dans le Moyen-Orient en été 2006 sauf en Arabie Saoudite.Cette fiction, Comment
va ?, selon ses producteurs, reflète la tension entre modérés et extrémistes religieux en
Arabie saoudite. Mechaal al-Mutaïri, l’acteur principal du film, déclare : « Le problème de la
société saoudienne avec l’art, c’est que la moitié le considère comme contraire aux valeurs
28 8
religieuses et les autres pensent que c’est honteux »
. Le cinéma est longtemps resté
interdit en Arabie Saoudite et l’absence de salles obscures témoignaient de ce manque
d’intérêt pour les formes artistiques.
Cependant un certain changement au niveau du cinéma s’est opéré ces dernières
années. Comme on l’a dit précédemment, depuis que l’image est considérée comme
potentiellement utile par les autorités, le cinéma a évolué. L’Arabie Saoudite a même créé
29 9
un festival de cinéma. Et comme le décrit Yves Gonzales , « en 2005, l'année même de la
projection "publique" des premières oeuvres cinématographiques saoudiennes, un tribunal
local s’est fondé pour délivrer son verdict sur une photographie : pour la première fois dans
l’histoire du pays, l’image n’était plus a priori rejetée comme trompeuse mais devenait au
contraire susceptible d’apporter un témoignage véridique. »
Ainsi même si petit à petit la religion ne représente plus autant une barrière à la
réalisation cinématographique, la condition féminine dans ces pays reste un handicap. Le
seul véritable exemple en date est celui de cette société princière saoudienne Rotana qui a
employé Haifaa Mansour pour la réalisation de son premier long métrage.
Même si la situation montre quelques ouvertures, la religion semble toujours bien un
frein à la production dans ces pays-là. Mais comment expliquer alors qu’il y ait encore plus
de réalisatrices au Liban qu’au Maroc ou Tunisie, par exemple, pourtant des pays où les
femmes sont relativement émancipées.
D’un point de vue général, même si les conditions de production semblent tout autant
difficiles dans tous les pays du monde arabe, le Liban est celui qui offre le plus de structures
de formation. A savoir qu’au Maroc, la première rentrée des classes dans l’unique école
d’arts visuels s’est effectué en septembre 2006. En Tunisie il existe une école supérieure
de l’audiovisuel et du cinéma à Gammarth. Et en Algérie, par exemple la première école
privée ouvrira ses portes en 2008. Cependant on remarque que parmi les réalisatrices
libanaises sélectionnées dans cette étude, seule une est passée par une école et au bout
de plusieurs années dans la publicité et les clips. De fait les formations ont ouvert à la fin de
la guerre civile alors que les réalisatrices alors étudiantes à la fin de la guerre, étaient parties
à l’étranger ou n’ont pas commencé des études spécifiques au cinéma immédiatement.
Parmi les réalisatrices dont il est question dans ce travail, seule Nadine Labaki est passée
par l’IESAV. On voit sur ces dernières années que la répartition des étudiants en première
année confirme l’idée défendue dans ce mémoire. A la rentrée 2005/2006, intégraient 28
filles pour 14 garçons. En septembre 2006, on avait trois fois plus de filles, 24 pour 8
garçons. Seulement à la rentrée 2007, le nombre de garçons s’est approché de celui des
27 7
28 8
29 9
32
http://culturepolitiquearabe.blogspot.com
http://www.algerie-dz.com/forums/archive/index.php/t-18391.html
voire 27
Fontaine Aline - 2008
Chapitre 1 : L’émergence de réalisatrices dans un cinéma qui peine à trouver reconnaissance.
filles (14 garçons et 16 filles), d'après les chiffres avancés par Elie Yazbek, directeur adjoint
de l'institut.
C’est là où le Liban apparaît comme un pays à part, et sa particularité il la tient de son
histoire. En effet des femmes qui font des films sur les femmes il y en a en Egypte, au Maroc,
en Tunisie et au Liban aussi. Mais les réalisateurs et réalisatrices qui sont nés au début
ou pendant la guerre ressentent le besoin de parler, sous des angles très variés, de leur
pays qu’ils ont parfois quitté durant des années, pour faire leurs études, fuyant la guerre, et
qu’ils veulent conter maintenant. Et eux qui se trouvent dans une période de reconstruction
souhaitent suivre cet élan. Et surtout ils désirent montrer qu’il existe une autre vision que
celle qui nous est décrite dans de nombreux médias occidentaux pour insister que leur pays
possède une vie sociale.
J. exprime de cette envie de témoigner.
« Et puis la question qui me perturbe beaucoup c’est quelle influence ces films
peuvent avoir d’une façon ou d’une autre sur les sociétés qu’on a. Moi je n’ai
pas fait d’études de cinéma. Je suis venue au cinéma par réel besoin de faire des
choses après la guerre civile parce qu’aussi je me disais c’est pas du tout réglé
cette histoire. Dire que c’est fini non, il reste encore énormément de problèmes,
ces problèmes j’avais tellement peur qu’il y ait quelque chose qui se passe de
nouveau que j’ai commencé à faire des travaux artistiques avec Khalil. Le cinéma
ce n’était pas notre ambition à la base mais c’était pour essayer d’éveiller, en tout
cas de poser les questions qui nous perturbaient énormément. Donc justement
notre but est d’aller contre les censures mais la question centrale est d’aller
contre tout en restant en contact avec la société à laquelle on s’adresse et qui est
30 0
la nôtre à la base. »
C’est certes un point de vue sur la situation mais il se trouve dans une situation particulière
d’un pays qui a été déchiré et détruit pendant 15 années, une situation que les autres pays
n’ont pas connu.
Et comment témoigner de cette percée des femmes réalisatrices libanaises sur leurs
collègues du reste du monde arabe ?
En plus de son histoire bien différente des autres pays, la spécificité du Liban réside
également dans la multiplicité des points de vue qu’on peut y trouver. En effet le Liban
a depuis longtemps été un pays de migration. Aujourd’hui il répertorie quelques 17
confessions religieuses. Aussi la femme libanaise n’existe pas. Chacune possède une
histoire différente, certes c’est le cas pour tous les êtres humains mais au Liban, le mélange
des cultures amplifie cette diversité. Aussi est-il difficile de cerner toutes ces individualités
et tout autant délicat de les décliner. C’est pourquoi chacune a envie d’exprimer et de
personnaliser son point de vue sur ce qu’elle vit, ce qu’elle a vécu et ce qu’elle voit.
J.H : « Au Liban il y a autant, voire plus de réalisatrices que de réalisateurs et
que ça veut dire quelque chose aussi sur notre société. Parce que justement ce
qui est difficile quand on parle de la femme libanaise c’est qu’on ne peut parler
que des femmes libanaises car les exemples sont très divers. Si tout à coup on
part dans une situation extrême, elle représenterait très peu le pays. Donc il faut
toujours faire très attention à l’image qu’on donne de cette femme-là car c’est
une femme très contrastée. Et moi justement en tant que réalisatrice, je veux
30 0
Entretien réalisé avec Jeanne et Kelvan, le 9 juin 2008.
Fontaine Aline - 2008
33
L'essor des réalisatrices libanaises
parler de ce qu’elle doit vivre par rapport à sa société mais en même temps on
ne peut pas prétendre jamais pouvoir montrer la femme libanaise et je fais aussi
très attention quand je fais mes films à mes personnages féminins parce que
je n’aimerais pas non plus qu’ils soient récupérés par rapport à une certaine
idée plus générale, plus cliché qu’on se fait de la femme arabe. Parce que ces
personnages-là sont des personnages qui justement représentent une société
libanaise très contrastée. Donc il faut un peu naviguer entre tout ça, ne pas faire
trop le jeu d’un certain regard occidental, en même temps défendre certaines
fins, certaines ambitions féminines en tout cas, ce serait tout à fait légitime et
dénoncer la situation. Par rapport à ça c’est toujours un peu complexe. Mais voilà
31 1
c’est ce qu’on essaie de faire dans nos travaux. »
La quantité de réalisatrices libanaises s’explique ainsi par leur histoire et celle complexe de
leur pays. Malgré l’hétérogénéité des femmes libanaises, il semble qu’elles soient animées
par le même combat de reconnaissance dans une société encore bien traditionnelle.
Le métier de réalisatrices serait alors un de ceux qui offrent le plus de possibles dans
l’expression de cette revendication.
1.2.3 – Et pourquoi ces femmes émergent-elles dans une société
pourtant encore assez patriarcale ?
Jocelyne Saab, très franche dans ses paroles, apporterait une première réponse à cette
problématique.
« Maintenant avec la fin de le guerre, et à cause des problèmes financiers, les
hommes me disent, « vous prenez notre place ». Quand je filmais pendant la
guerre je n’étais pas en train de prendre leur place car si je voulais mourir, j’en
étais libre. Mais maintenant j’ai cette place, bien que ce ne soit pas la « bonne »
place pour une femme dans la société libanaise. Pourquoi cela ? Je pense que
c’est parce que nous osons dire des choses que les hommes ne veulent pas voir
32 2
communiquées dans une société patriarcale, une société masculine. »
Cette idée reflète la volonté qu’ont les femmes réalisatrices de s’imposer dans une société
non seulement masculine mais aussi traditionnelle.
33 3
Edna Politi, réalisatrice libanaise, écrit en 1984
: « Je trouve merveilleux
qu’en l’espace de dix ou quinze ans le métier de réalisatrice soit devenu presque
un métier comme les autres, alors qu’adolescente on me prenait pour une
illuminée. Cela semblait fantaisiste et inimaginable, mais tout profession pour
une femme était quasiment impensable. Je ne me rendais pas compte alors
que je m’apprêtais à transgresser non seulement les interdits qui confinaient
les femmes à la maison, mais aussi un interdit plus profond, peut-être plus
intériorisé en moi, celui touchant à l’image dans la religion juive et dans la culture
31 1
32 2
33 3
34
Entretien réalisé avec Jeanne et Kelvan, le 9 juin 2008.
in Encyclopedia of Arab women filmmakers, Rebecca Hillhauer, p.175.
in Femmes d'images, Emilie Buton.
Fontaine Aline - 2008
Chapitre 1 : L’émergence de réalisatrices dans un cinéma qui peine à trouver reconnaissance.
arabo-islamique. Cependant, après avoir émigré en Israël et réussi à y travailler
dans le cinéma, je me suis rendue compte que pour une femme, il y avait un
double obstacle : être femme, et défendre des opinions qui ne s’inscrivaient
pas dans l’idéologie dominante. C’est le sort des films faits par des femmes que
de subir cette double censure (sexiste/idéologique), mais je trouve dangereux
que les femmes s’enferment dans un ghetto qui fausse les appréciations et
place leurs productions à part, simplement parce qu’il s’agit de femmes. Au
contraire, je pense que les femmes peuvent apporter un regard nouveau, ouvrir
des champs d’expérience , de sensibilité, différents et enrichissants… La femme,
objet privilégié du cinéma, dont l’image n’a cessé d’intriguer, d’obséder et de
stimuler l’imagination des réalisateurs, peut désormais retourner elle-même
la caméra face à elle, livrer une nouvelle vision du monde (le sien et celui des
hommes), elle doit devenir sujet créateur, au même titre qu les hommes. »
Ce n’est pas tant le statut de réalisatrice qui semble difficile à obtenir c’est plutôt le statut
de la femme plus généralement dans cette société que celles-ci entendent défendre en
aboutissant à ce qu’elles souhaitent.
J. revient sur la « guerre » qu’elle a menée.
« Moi je suis née dans une famille où j’étais le deuxième enfant et on attendait un
garçon. Et c’était un problème à ce moment-là parce que mon grand-père tenait absolument
à avoir un garçon. Mon père avait déjà eu une fille et il n’y a pas eu de garçon. Donc j’ai
toujours pensé cette idée-là que j’étais venue à la place d’un garçon et j’ai toujours voulu
défendre cette qualité de femme. J’ai gardé mon nom par exemple, je me suis mariée jeune
et je travaillais avec Kahlil, qui est mon mari, je n’ai jamais voulu prendre son nom pour des
raisons justement qui font partie de ce combat-là. Je suis une réalisatrice qui a ce nom-là
et je fais très attention à ça car je pense que les petits combats sont aussi importants que
les grands. A l’université où j’enseigne on me met toujours Joana Joreige et moi je change
toujours. C’est un combat que je mène depuis deux ans. Je barre toujours disant non c’est
ça mon nom. Ce sont de petites choses que je trouve très importantes parce que le Liban
est un pays très contrasté. On peut avoir énormément de liberté. Je n’ai pas senti dans
mon parcours, quand j’étudiais et grandi de véritables entraves à mon désir d’étudier la
littérature, de faire des films, à mon émancipation féminine, en apparence. Parce que de
façon latente il y autre chose qui apparaît et qui est ce que nous nous essayons de lutter
contre. L’exemple qu’on nous donne n’est pas celui de la réussite professionnelle mais celui
de la réussite familiale. Il est très important de fonder une famille, d’avoir des enfants, ça
c’est d’abord quelque chose et ne pas faire partie de ces personnes-là c’est toujours un
handicap. C’est-à-dire que j’ai toujours senti que ma réussite professionnelle n’intéressait
ma famille que vraiment au second plan et que j’essayais de mettre en péril « ma réussite
familiale. Et moi ça m’a toujours donné envie dans mon enseignement d’expliquer pourquoi
notre établissement était très important au niveau professionnel. Les entraves qu’on a sont
des entraves de tous les jours et c’est vrai qu’il y a des grandes injustices dans nos
pays mais de façon très différente et qu’il faut lutter aussi contre un recul, dû parfois à un
fondamentalisme, mais c’est vrai qu’au quotidien, je trouve que des petites luttes sont très
34 4
très importantes aussi pour s’affirmer en tant que femme »
.
Nadine Labaki rejoint J. sur cette idée.
34 4
Table ronde avec Jeanne, le 9 mars 2008, à l'IMA.
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L'essor des réalisatrices libanaises
« La libanaise a toujours l’impression de voler ses instants de bonheur. Elle doit sans
cesse ruser pour vivre comme elle veut. Et quand elle y arrive, elle se sent coupable. On
se leurre en pensant qu‘elle est libre. Même moi, qui suis émancipée et qui fait le métier
que je veux comme je le veux, je me sens conditionnée au plus profond de mon être par
les traditions, l’éducation et la religion. Les petites filles libanaises grandissent avec le mot
arabe « aayib » qui, accompagné par un geste du doigt un peu menaçant, veut dire : « C’est
honteux… ». C’est honteux ceci ou cela. On a sans cesse peur de faire quelque chose qu’il
ne faut pas faire. Avec cette idée de sacrifice pour contenter ses parents, ses enfants, son
mari, sa famille. À toutes les étapes de la vie on nous présente un exemple à suivre, qui,
bien sûr, ne correspond pas à ce qu’on a envie d’être. La femme libanaise, musulmane ou
chrétienne, vit une contradiction entre ce qu’elle est, ce qu’elle a envie d’être et ce qu’on
35 5
lui permet d’être. »
On peut voir que le métier de réalisatrice est un bon moyen face à cette pression et ces
attentes de la société. Les réalisatrices seraient en quelque sorte les ambassadrices des
Libanaises qui cherchent plus d’indépendance.
K., qui travaille constamment avec une femme à la réalisation de ses films, commente
cette percée des réalisatrices dans le milieu cinématographique libanais : « J’ai rien à en
penser, c’est un constat pour moi puisque je travaille avec une femme donc je ne suis pas du
tout dans une attitude où je considère que le Liban est le meilleur pays en termes d’égalité
des droits de l’homme et de la femme. En même temps moi je ne vis pas du tout une
ségrégation de l’un ou de l’autre. Ça c’est parce que c’est un mode de vie. Dans mes amis,
il n’y a aucune différence pour moi. Alors que je sais que le pays, la vie la fait. Mais
étrangement il y a comme des endroits un peu protégés qui sont ceux de l’art et du cinéma
où il y a ce genre de problèmes, qui sont des problèmes importants, mais qui ne se vivent
pas de la même façon. Maintenant c’est véritablement comment on peut le vivre. On n’est
pas représentatif du tout de la société libanaise et encore moins les cinéastes. On n’est pas
un échantillon qui représente ce qui se passe au Liban, du tout, c’est en cela qu’on n’est
36 6
pas des ambassadeurs non plus. »
Les réalisatrices libanaises appartiendraient donc à un monde à part, une sphère dans
la société libanaise, comparé aux autres femmes dans d’autres milieux qui connaissent plus
de discriminations.
En effet la société libanaise fait preuve de beaucoup de restrictions contradictoires
à l’égard des femmes. Dans son édition d’avril 2004, le magazine NOUN revient sur les
droits de la femme au Liban. Une discrimination certaine, dans les lois et les pratiques,
existe toujours à l’égard de la femme libanaise, qui peine à acquérir certains de ses droits
fondamentaux. Pourtant, la Constitution libanaise affirme l’égalité de tous les Libanais,
quant aux droits civils et politiques notamment. Et bien que par ailleurs, Le Liban ait signé
de nombreux traités visant à l’amélioration de la situation de la femme, notamment, en
1996, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des
femmesconsidérée comme la Déclaration universelle des droits de la femme.
Dans son article, la journaliste Nisrine Salhab dénonce :
« En plus de la soumission des relations mari-épouse à un code rigide, la discrimination
entre filles et fils en faveur de ces derniers, y compris par la mère, perpétue les inégalités,
puisque les filles devenues mères vont reproduire le système. Cette éducation constitue
35 5
36 6
36
Dossier de presse du film Caramel
Entretien réalisé avec Jeanne et Kelvan, le 9 juin 2008.
Fontaine Aline - 2008
Chapitre 1 : L’émergence de réalisatrices dans un cinéma qui peine à trouver reconnaissance.
un frein certain à l’évolution des mentalités et à l’acquisition du réflexe de l’égalité des
genres. Le marché du travail est également discriminatoire : pratique du harcèlement
sexuel, promotion plus lente pour les femmes, jugées moins productives par rapport aux
hommes. Ce préjugé n’est pas le moindre. D’après des études menées sur le terrain par le
CRTD, les hommes, toutes classes sociales et économiques confondues, considèrent les
femmes comme émotives, incapables de prendre une décision, irrationnelles, mesquines,
ne s’aimant pas les unes les autres, moins intelligentes (que les hommes, évidemment !), ou
alors "aussi intelligentes que les hommes sauf quand elles sont enceintes", dixit - excusez
37 7
du peu - un universitaire ! »
Un exemple est ici donné concernant la considération de la femme dans le monde du
travail : « Si le droit libanais du travail reconnaît, depuis 1946 notamment, une égalité de
principe entre employées et employés, il a fallu attendre tout de même l’an 2000 pour que la
loi interdise expressément à l’employeur toute discrimination en raison du genre concernant
la nature du travail, la rémunération, l’emploi, la promotion, l’augmentation de salaire, la
formation continue et l’habillement ! Dans la foulée, le législateur a augmenté la durée du
congé maternité, qui est passé de 40 jours à 7 semaines (9 jours de gagnés) et a interdit le
licenciement d’une femme enceinte, possibilité qui était ouverte à l’employeur, jusqu’à l’an
2000 donc, durant les 5 premiers mois de la grossesse. L’acquis principal reste cependant
la perception désormais égalitaire des droits de l’affilié à la Caisse nationale de Sécurité
sociale, quel que soit son genre. Jusqu’en décembre 2002, seul l’affilié de sexe masculin
bénéficiait de toutes les prestations de la sécurité sociale, car considéré comme celui qui
subvient aux besoins de la famille. L’employée ne pouvait profiter des indemnités familiales
qu’en cas de divorce et si un jugement lui conférait la garde des enfants, qu’en cas de
veuvage, ou si le mari était incapable de travailler. De plus, la CNSS pouvait demander
le remboursement par l’affiliée des prestations financières reçues au nom de ses enfants.
Ces multiples discriminations ont eu un impact sur "la participation incroyablement faible
des femmes dans le secteur économique dit formel", comme l’affirme Lina Abou Habib.
La présence des femmes est par contre importante dans le secteur informel (agriculture,
artisanat, travaux non rémunérés tels le travail à la maison, la petite confection…), où elles
ne bénéficient pas de la protection de la loi, donc d’aucun droit, et où le travail, en plus
d’être aléatoire, est mal rémunéré. Sur le terrain, le rapport du PNUD sur les objectifs de
développement du Millenium (septembre 2003) confirme la faiblesse de la participation de
la femme au cycle économique et décrit une réalité peu satisfaisante : bien qu’il n’existe pas
une grande différence dans l’accès à l’enseignement, les femmes comptent pour 21,7 %
seulement de la population active et ne contribuent qu’à hauteur de 14,7 % dans l’activité
économique ; la différence du salaire moyen est assez discriminatoire (de l’ordre de 20 %
en 1997) ; pas plus de 8,5 %, en 1996, de femmes occupent des postes de direction. La
même situation prévaut dans le secteur public : 2 % des femmes occupent des postes de
38
catégorie 1, contre 10 % et 19 % pour les catégories 2 et 3. » 8
Les réalisatrices apparaissent donc comme des privilégiés dans ce combat, qu’elles
peuvent exprimer plus concrètement dans la réalisation de leurs films.
De plus au sein de la société, le fait d’être une femme serait un atout pour s’affirmer
dans le milieu cinématographique.
K. revient sur cette idée : « Maintenant il y a autre chose, c’est que la notion
même d’artiste, etc. il y a des explications qui peuvent être sociologiques parfois
37 7
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http://liban.viabloga.com/news/droits-de-la-femme-au-liban
http://liban.viabloga.com/news/droits-de-la-femme-au-liban
Fontaine Aline - 2008
37
L'essor des réalisatrices libanaises
et qui ne sont pas très flatteuses. Pourquoi ce sont des femmes qui peuvent
être artistes et pas les hommes. C’est-à-dire qu’un homme sera beaucoup
plus combattu s’il a envie de choisir une trajectoire artistique qu’une femme
à qui on ne demande pas les mêmes reconnaissances sociales, positions. On
attend beaucoup plus de rendements économiques de la part d’un garçon,
qu’il contribue beaucoup plus matériellement à la société et à la famille. C’est
pourquoi les familles apprécient encore moins que leurs fils rejoignent le milieu
39
artistique alors que la fille sera beaucoup moins réprimandée. » 9
Sa compagne, J. témoigne de cette relativement « facile » accessibilité à la profession.
« Moi dans mon expérience avec Khalil, quand on a commencé à travailler
ensemble, j’étais toujours considérée comme l’assistante, donc j’étais
l’assistante de Khalil. Donc il a fallu aussi oeuvrer pour s’imposer au risque
parfois de se faire traitée d’agressive. Voilà on m’a toujours dit « t’es trop forte »
parce que tout simplement je voulais une vraie égalité avec mon partenaire de
travail. Je pense que ça ce sont des choses très importantes qui se gagnent
progressivement aussi. Au début c’est vrai qu’il y a certains fâcheux qui
voulaient absolument que je sois son assistante mais on peut pas vraiment dire
que ce soit la majorité. C’est pas tant en tant que femme que c’est difficile, c’est
plutôt en tant que cinéaste parce qu’il y a une mentalité orientaliste sur le Liban
et parfois les Libanais eux-mêmes ont cette mentalité de penser qu’un seul va
pouvoir trouver sa voie et qu’il n’y aura qu’un film. Je pense que c’est ce Libanlà qui va nous porter les uns les autres. Plus on communiquera sur ce Liban -là,
plus les gens auront envie d’en parler. Tout le monde n’a pas cette mentalité. Je
ne l’ai pas senti comme un problème de femmes, ni envers mon équipe ni envers
les financiers. Je n’ai pas souffert de ça. J’imagine que dans d’autres pays ou
40 0
dans d’autres situations ça peut arriver, mais moi non. »
Et cette persistance des femmes dans le milieu du cinéma entraîne même des progrès
techniques. Les réalisatrices jouent ainsi un rôle important dans l’utilisation de l’art vidéo
dans le domaine des beaux-arts. Comme le spectre des tâches qu’il est possible d’effectuer
dans le cinéma s’est étendu avec l’introduction de la vidéo, des médias électroniques, et
des écoles audiovisuelles, le pourcentage de femmes parmi les étudiants d’audiovisuel ne
cesse d’augmenter.
Un bémol reste à marquer dans cet essor des réalisatrices libanaises au sein du
milieu cinématographique est que les réalisatrices musulmanes ne sont pas encore autant
représentés que les réalisatrices chrétiennes. Il faut croire que les réalisatrices veulent
dépasser le problème de la religion derrière l’écran et que les réalisatrices chrétienens,
plus nombreuses, oublient leur religion pour illustrer les difficultés qui animent les femmes
libanaises dans leur ensemble.
Ce qui n’empêche pas J. de dire : « J’ai jamais vraiment fait attention à la place
que joue la religion. On ne peut pas tellement dire qu’il y a peu de femmes
musulmanes. Pour la plupart je ne sais même pas leur religion. Je ne pense pas
que ça soit lié à leur éducation parce qu’en fait ça dépend, au Liban il y a des
39 9
40 0
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Entretien réalisé avec Jeanne et Kelvan, le 9 mars 2008.
Table ronde avec Jeanne, le 9 mars 2008.
Fontaine Aline - 2008
Chapitre 1 : L’émergence de réalisatrices dans un cinéma qui peine à trouver reconnaissance.
milieux chrétiens qui sont tout aussi conservateurs que les milieux musulmans.
Je ne le verrais pas comme une barrière. C’est pas pertinent comme critère
41 1
surtout dans la jeune génération. »
Les réalisatrices libanaises, les plus anciennes, avec de la persévérance et de la volonté
et les plus jeunes, avec des formations plus ouvertes mais tout autant de persévérance et
de volonté se démarquent des pays voisins. La situation de leur pays, leur condition les
poussent à vouloir montrer une autre image de leur environnement. Nous allons étudier
maintenant la particularité des thèmes qu’elle abordent dans leur film et voir en quoi elles
toucheraient une large variété de personnes.
41 1
Entretien réalisé avec Jeanne et Kelvan, le 9 juin 2008.
Fontaine Aline - 2008
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L'essor des réalisatrices libanaises
Chapitre 2 : Parce que les réalisatrices
libanaises mettent en scène de multiples
réalités de leur pays méconnus par
les étrangers mais partagés par leurs
compatriotes.
Dans ce chapitre, nous allons nous intéresser au contenu des films réalisés par ces
réalisatrices et particulièrement Joana Hadjithomas et Nadine Labaki, avec leurs films A
perfect day et Caramel. Un choix arbitraire ? Assez, oui. Mais il va justement nous permettre
de voir en quoi à partir de motivations différentes, les réalisatrices libanaises parviennent
à toucher toute une population.
2.1 – Deux motivations différentes d’illustrer sa
propre réalité mais les réalisatrices libanaises ont la
même volonté de donner une autre image à leur pays,
différente de celle transmise par les médias, qui se
cantonnent beaucoup aux épisodes meurtriers.
Le Liban ne peut évidemment pas oublier son histoire. Il a connu la guerre à multiples
reprises. Néanmoins la nouvelle génération de réalisatrices est poussée par la volonté de
raconter de nouvelles choses, en s’éloignant des tableaux de la violence, même si elle reste
consciente de son passé. Cette volonté de raconter des nouvelles choses est nourrie de
plusieurs inspirations.
Nadine Labaki commence ainsi : « Je me suis toujours posée des questions sur
la situation de la femme au Liban. Avant tout parce que je suis une femme et
que je vis cette transition que les femmes libanaises vivent actuellement. Nous
sommes confrontées à la culture occidentale et à son modernisme ainsi qu’aux
femmes occidentales auxquelles on a envie de ressembler. Il y a également
tout le poids de la tradition, de l’éducation, de la famille ou de la religion qui
fait qu’on est tiraillé entre deux mondes. On n’est pas encore arrivé à trouver le
bon équilibre. On se cherche. Il y a une énorme envie d’être libre, de vivre des
choses comme toutes les autres femmes… On le fait, mais avec beaucoup de
remords et un certain sentiment de culpabilité. On n’est jamais tout à fait libre
40
Fontaine Aline - 2008
Chapitre 2 : Parce que les réalisatrices libanaises mettent en scène de multiples réalités de leur
pays méconnus par les étrangers mais partagés par leurs compatriotes.
car on a toujours peur du regard de l’autre. Il y a également cette obsession de
la femme parfaite qu’on a envie de représenter que ce soit pour la famille, les
amis, le mari, les enfants. Je suis une femme qui en apparence est très libre, je
fais ce que je veux quand je veux avec une opinion propre mais toujours avec ce
sentiment de retenue. » « L’image de la femme libanaise m’a toujours fascinée,
avoue Nadine Labaki. C’est parce qu’elle ne parvient pas à trouver son équilibre
ou qu’elle craint le regard des autres qu’elle tombe souvent dans les excès. Les
contradictions qui l’animent et les mille questionnements qu’elle affronte et qui
sont un véritable obstacle à son épanouissement m’intriguaient. Moi-même, qui
me considère comme une femme libérée, me trouve souvent confrontée au lourd
poids de notre double culture. C’est à partir de cette idée maîtresse que j’ai voulu
42
construire ma première œuvre. Une sorte d’hommage à la femme libanaise. » 2
Pour Nadine Labaki, les femmes véhiculent le message de toute une société. Elle montre
aussi une image chaude et paisible de Beyrouth. Assez romanesque, d’ailleurs, ce qui
explique certainement le succès que ce film a eu en salles. Elle explique combien c’était
important pour elle de donner ces sensations :
« Beyrouth c’est aussi ça… Ca n’est pas seulement cette image grise que les
gens ont. Presque en noir et blanc d’ailleurs. J’avais envie de montrer un autre
côté qui est tout aussi vrai que l’aspect sombre et chaotique de la guerre.
Beyrouth regorge de gens qui ont envie de vivre, qui sont chaleureux, colorés…
couleur caramel. Ils sont comme ça les libanais ! En dehors de la guerre, ils
sont cette profonde envie de vivre. Je fais partie d’une génération qui veut
raconter autre chose, des histoires d’amour par exemple, plus en rapport avec les
sentiments que nous connaissons et les expériences que nous vivons qu’avec la
guerre. On a tellement vu, analysé, revu, décortiqué les événements passés que
j’éprouvais le besoin de ne pas en parler. »42
Au cours des différentes interventions que Nadine Labaki a données, elle s’est aussi
exprimée sur l’intérêt qu’elle a pour les femmes et surtout sur la capacité qu’elles auraient à
arranger les relations entre les différentes communautés. « Les femmes possèdent plus de
passerelles entre elles que les hommes : les enfants, la préservation de la vie, la complicité,
les histoires d’amour… musulmanes ou chrétiennes, on ne peut pas nous enlever ça, même
42
sous les bombes. Je crois à l’universalité de ces sentiments. »
Joana fait preuve d’une autre vision sur ce qui la pousse à faire des films. Même si elle
ne renie pas ni ne néglige sa condition de femmes, elle ne veut pas focaliser l’attention du
public sur les femmes libanaises mais plutôt susciter la sensibilité du public à une situation
plus générale. Quand on lui demande ce qu’elle pense du projet de Nadine Labaki et si
elle se serait vu faire le film de Nadine Labaki, elle reste très mitigée sur la manière dont
elle procèderait.
J.H : « Ça dépend ce que Nadine fera après. Si elle veut continuer à faire ça ou
non. Un seul film ne peut pas constituer une démarche. Les sujets épineux sont
ici évoqués mais on les déduit surtout. C’est assez soft, car il y a des artistes qui
touchent l’homosexualité par exemple au Liban de façon plus hard. Caramel est
un bon film mais le problème c’est que Caramel répond à une attente occidentale.
L’occident aime bien les histoires de femmes dans le monde arabe. Ça répond
42 2
Dossier de presse du film Caramel
Fontaine Aline - 2008
41
L'essor des réalisatrices libanaises
au cahier de charges occidental. On va travailler sur l’islamisme, le fanatisme,
la femme soumise. Non pas que ce ne soit pas des réalités, ce sont des réalités
mais bon, il y a aussi d’autres problèmes, très profonds dans ce pays-là, qui sont
peut-être moins perçus et attendus par l’occident de tout temps. Un occident
qui aime montrer qu’il a réussi à libérer sa femme avant les pays arabes et qui
continue à avoir cette idée de la femme un peu arriérée. C’est vrai que ce que
raconte Nadine dans Caramel existe et fait partie de nos souffrances mais disons
qu’il est acclamé, attendu par l’occident parce que ça correspond à son attente
ou à la projection qu’il se fait du monde arabe et que ce n’est pas misérabiliste.
A cause de la situation, par exemple en Afghanistan, il y a beaucoup de choses à
43 3
dire sur la femme. »
Quant à Khalil, qui l’a montré auparavant, il essaie de dépasser ces différences concernant
les femmes. Il se lamente sur le fait que la société est trop souvent perçue dans les
imaginaires à travers les discriminations vécues par les femmes.
Pour lui : « Ça dépend aussi de quel genre on utilise, comment on veut le
montrer, comment on est contemporain ou pas, comment on va travailler sur une
image nostalgique ou de contemporanéité, de modernité. Moi j’estime que ce
que je vis aujourd’hui à Beyrouth est aussi contemporain et pointu que ce que
vous vivez ici ou ailleurs. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de réactionnaires. Et je
dis qu’en terme de réflexion sur l’image, il y a des choses très précises. Après
c’est le traitement, pas tant le sujet car le même sujet peut être traité autrement.
Mais il y a un endroit où tout le monde se retrouve dans le cinéma arabe, c’est
justement la façon dont on regarde les films arabes. C’est toujours des noms de
femmes, des trucs comme ça, c’est un imaginaire que les gens aiment bien parce
qu’ils sont rassurés, ah ces pauvres femmes c’est comme si toutes les sociétés
devaient suivre le même développement, comme si on était aujourd’hui dans les
années soixante de la France. Non, moi je ne suis pas d’accord. Je suis dans la
44 4
même période mais dans des situations différentes. »
Cependant avec la réponse qui précède, on peut se demander s’il ne se focalise pas trop
sur la modernité car outre la volonté de prouver que le pays est moderne, une partie du
pays reste sous domination de la tradition et du patriarcat. Le problème c’est qu’il ne décrit
pas tellement les « situations différentes » dont il parle, donc même si on voit que pour lui
parler des femmes semble banal, il ne nous situe pas tellement par rapport à la situation
où il se trouve.
J.H explique pourquoi elle opte pour une façon d’aborder les choses plus
générale et par là le rôle qu’elle entend se donner : « Nous ne sommes pas
obligés de correspondre à votre attente, nous sommes même là pour la déjouer.
Moi je considère que j’ai à faire les films que je dois faire moi personnellement,
avec les sujets et la recherche que je dois faire avec Khalil. Il se trouve que moi
je pense que nous sommes un pays qui au niveau du film n’a pas à être suiveur
mais à trouver son esthétique particulière. Moi je fais des films de cinéma, je
ne fais pas des films libanais, sociologiques. C’est-à-dire qu’avec Khalil je me
43 3
44 4
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Entretien réalisé avec Jeanne et Kelvan, le 9 juin 2008.
Entretien réalisé avec Jeanne et Kelvan, le 9 juin 2008.
Fontaine Aline - 2008
Chapitre 2 : Parce que les réalisatrices libanaises mettent en scène de multiples réalités de leur
pays méconnus par les étrangers mais partagés par leurs compatriotes.
coltine la matière cinéma. Je sais ce qui se fait ailleurs, j’en prends note mais ce
que je fais c’est travailler mon médium, essayer de trouver de nouvelles formes
cinématographiques, qui me donnent à moi de l’émotion et qui en donneront
au public. Mais pas une émotion connue ou éprouvée ou répétée. C’est comme
quand on fait un travail artistique, on a un style et on cherche sa voie, son
particulier. Moi ce que je cherche à faire avec le spectateur c’est un travail
actif. Lui aussi il a ses choix, il n’est pas écrasé par ma volonté de raconter une
histoire et de la raconter d’une telle manière. Je crois à un spectateur actif, à des
gens qui peuvent dépasser des a priori pour éprouver des émotions différentes.
La plupart des gens qui aiment notre travail n’aiment pas ça parce que c’est
un film libanais. Parce que c’est un film cinématographique ils ont ressenti des
choses, c’est très important que ça se passe comme ça. Ensuite vient le côté
libanais. Après avoir fait un film de cinéma, je fais un film qui rend compte d’une
certaine réalité. Mais la réalité que j’éprouve. Je n’ai pas non plus à être dans une
réalité attendue. Je pense que la réalité dans laquelle je vis est une réalité très
complexe et qu’il y a énormément de nuances, y compris sur le rôle de la femme.
Tout ce dont on parle au Liban est complexe et ambigu. Le Liban peut aller d’une
grande contemporanéité à un grand archaïsme, c’est une palette immense. Bien
sûr si je prends un côté archaïque, je peux le montrer et dire oh là là, c’est terrible
ce qui se pense mais à côté de ça il y a aussi une forme contemporaine. J’essaye
de rendre compte de cette amibiguité et de rendre compte des nuances parce
que moi j’estime, avec Khalil, qu’on vit dans un monde qui, à cause de la rapidité,
de l’efficacité, des news, telles qu’elles nous sont présenté aujourd’hui, nous
pousse à aller vite. On schématise, on fait des raccourcis, et ce schématisme,
au fur et à mesure radicalise les positions, sépare et rend le monde de plus en
plus binaire. Et donc l’Orient apparaît comme quelque chose de complètement
étranger à l’Occident, or c’est pas du tout le cas. Et puis il y a énormément
de nuances. Je ne sais ce qu’est cet Orient dont on parle, qui serait un Orient
en plus unifié. L’Orient est multiple. Moi je pense que c’est dangereux, c’est
trop d’engagement cinématographique de ne pas restreindre. Pour plaire je
pourrais faire plus simple mais mon but n’est pas de le faire. Dans les médias
européens il y a toute une technique d’alarmisme pour que les gens aient peur
les uns des autres. Et quand ils ont peur on peut les manipuler comme on veut.
C’est le cas aux Etats-Unis. Cette peur que les gens éprouvent, « l’arabe » est
dangereux. Quand on parle arabe maintenant, on sent bien une méfiance. Mon
travail à moi c’est d’essayer de contrecarrer ça, que des gens aillent voir mes
films et en sortent en disant « tiens c’est pas exactement ce que je pensais ». Je
dois perturber ce tracé-là. Mais justement cette perturbation n’est pas acceptée
45 5
unanimement. »
Jeanne commente également sur le décalage qu’il existe entre sa volonté de montrer le
pays comme elle le voit et justement la gêne que le résultat peut provoquer en voulant
« perturber un tracé » :
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Entretien réalisé avec Jeanne et Kelvan, le 9 juin 2008.
Fontaine Aline - 2008
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L'essor des réalisatrices libanaises
« Il y a une jeune génération qui s’est reconnue dans Perfect day. Là on voit
quelque chose. Mais bien sûr ça ne peut pas aller dans toutes les télévisions
arabes car j’ai pas envie de faire des choses où on ne s’embrasse pas, on ne
se caresse pas pour être vendu sur la télé arabe. C’est très ambigu parce que
beaucoup d’Occidentaux considéraient que ce n’était pas représentatif parce que
justement ça représentait tellement une certaine génération. Pour eux le Liban
c’est pas autant contemporain, pas aussi moderne. Il faut déjouer ça. Des gens
m’ont dit : « Mais c’est pas Beyrouth ». Je leur répondais « mais vous êtes déjà
allé à Beyrouth ? ». Et ils disent, « non mais bon j’ai vu ça à la télé. » Il y a aussi
46 6
ce travail-là mais je suis pour faire ce travail-là, j’ai pas peur de ça. »
Jeanne entend perturber aussi donner un autre regard sur les femmes et la société en
général. Avec Kelvan, elle semble vouloir donner une impression de société en mouvement.
On verra plus tard comment ces deux perceptions différentes se reflètent dans les films de
chacune.
« Pour moi, au Liban, il y a les femmes les plus libérées. Ça ne veut pas dire que
je ne ressens pas la pression dont parlent certains films mais je pense qu’elle
est complexe. Aujourd’hui on ne peut pas dire dans notre génération, que nos
parents réagissent pareillement. Je le vois également à travers mes étudiantes.
Les parents n’ont pas les mêmes attentes et demandes. Bien sûr les parents
continuent à souhaiter le mariage, la famille mais en France aussi. C’est sûr
que c’est plus difficile au Liban de vivre seul mais c’est possible. Les choses
évoluent progressivement. C’est mai 68 qui a fait évoluer les choses en France
et nous n’en sommes pas très loin. Ça dépend des milieux aussi. J’imagine
e
que dans dans le 16
arrondissement à Paris, il y a encore des familles très
conservatrices, conventionnelles. Déjà est-ce que montrer une famille française
où il y a une énorme pression sur la fille c’est représentatif de toute la France ?
Non, c’est représentatif d’une certaine façon de penser. Moi je pense que c’est ça.
Quand un film émane du Liban, comme nous faisons partie d’images minoritaires
et qu’il n’y a pas beaucoup d’images qui viennent de chez nous, tout de suite
on va dire « ah ben voilà, ça c’est le Liban ». Justement avec Khalil, ça c’est ce
que l’on refuse. C’est ce qui pose le plus de questions. Et nous on dit toujours,
non non nous ne sommes pas représentatifs, c’est une histoire donnée, des
personnes données, dans un moment donné de ma vie et dans une société
donnée. On ne demande pas à un film français de représenter toute la France,
comment on peut alors demander à un film libanais de représenter tout le Liban.
C’est pour ça qu’il faut faire très attention, aucun film ne représente la femme, la
condition du Liban. On ne veut pas tellement faire passer de message, on veut
que le spectateur lui-même aussi pense avec nous. L’idée de l’endormissement,
ça a à voir aussi avec un moment de la vie au Liban où on a senti qu’il y avait
quelque chose qui ne pouvait plus durer. Et d’ailleurs pendant le montage Hariri
a été tué, il y a eu un soulèvement et depuis tout a changé. Ça veut dire que
quelque part on a visé assez juste. On est toujours en train de scruter notre
société et de la questionner et donc pour nous il y avait comme une forme de
46 6
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Entretien réalisé avec Jeanne et Kelvan, le 9 juin 2008.
Fontaine Aline - 2008
Chapitre 2 : Parce que les réalisatrices libanaises mettent en scène de multiples réalités de leur
pays méconnus par les étrangers mais partagés par leurs compatriotes.
léthargie qui ne pouvait pas durer et au bout d’un moment ça allait exploser. Le
réveil qu’on demandait allait à voir avec ça mais il n’y avait pas un message.
Surtout comment on vit un présent, comment on arrive à se débrouiller avec un
passé mais résolument dans le présent parce qu’on fait des films de présent, pas
des films qui questionnent la guerre, mais des films qui questionnent le présent
47 7
où on vit et comment on se dépatouille avec ça. »
Bahige Hojeige, auteur de plusieurs documentaires dont un sur le Musée national et un
autre sur la reconstruction du centre-ville, réalisateur de Zennar el-Nar, pense qu’un cinéma
peut posséder une identité qui lui est propre. Mais celle-ci n’est intéressante que lorsqu’elle
n’est pas liée à « une certaine idéologie, à un certain nationalisme, à la défense de certaines
valeurs un peu figées qui peuvent induire à un comportement xénophobe ou raciste qui peut
se révéler dangereux. « L’identité dans un cinéma, ajoute Hojeige, c’est un bagage que le
cinéaste porte en lui, c’est une lumière, un lieu, des comportements, des visages, un air
qu’on respire et qu’on veut transmettre dans un film. »
Un air qu’on respire et qu’on veut transmettre dans un film. Au Liban, l’air est en partie
marqué par son passé. Un passé qui a fait souffrir le pays à plusieurs reprises et qui le
place dans un état de questionnements. Dans Beyrouth fantôme de Ghassan Salhab, sorti
en 1998, la voix y dit un texte symptomatique sur l’acte de filmer au Liban : « Peut-être
que cela finira d’achever, une fois pour toutes, cette fichue ville. Je veux dire que cela lui
donnera enfin une vraie mort, une mort franche, parce qu’après tout c’est là notre problème.
On voudrait se relancer, renaitre. Alors que nous ne sommes pas vraiment morts. Nous
sommes justes des mourants ».
2.2 – Malgré des regards différents, un même
objectif semble se démarquer de la part du travail
des réalisatrices dans un pays en constante
reconstruction : la recherche d’une identité pour une
population tiraillée entre traditions et modernité.
La partie qui suit consiste à analyser des extraits de films afin de voir en quoi ils
peuvent s’appliquer au quotidien. Bien sûr nous nous attacherons à garder à l’esprit que
c’est difficile de réduire des fictions à des études sociologiques, les différentes motivations et
volontés exprimées par les réalisatrices ci-dessus témoignent de cette pluralité de réalités.
La dédicace de Nadine Labaki « A mon Beyrouth » en est le meilleur exemple. Même
plusieurs films ne peuvent résumer ni représenter tout un pays.
Cependant force est de constater que les deux films choisis, A perfect day et Caramel
ont connu à leur sortie un véritable succès en France comme au Liban.
Pourquoi ces deux films ? Tout d’abord parce qu’ils sortent de mains et d’esprits
complètement différents. Nadine Labaki et Joana Hadjithomas n’ont pas grandi de la même
manière. L’une a toujours vécu au Liban et a fait ses études à Beyrouth, l’autre est parti à
47 7
Entretien réalisé avec Jeanne et Kelvan, le 9 juin 2008.
Fontaine Aline - 2008
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L'essor des réalisatrices libanaises
l’étranger pour étudier. Elles ont donc toutes deux des regards distincts sur leur ville. Ce
regard se transmet à travers leurs films. L’une, Joana, réalise plutôt un film d’ambiance,
l’ambiance des rues de Beyrouth, l’autre, donne plus l’impression d’une introspection dans
la société. Un film assez sombre, l’autre plus colorée. Deux films qui se complèteraient afin
de permettre à tous les pans de la société de se reconnaître ? C’est justement ce que nous
verrons en les étudiant.
2.2.1. La notion de crise d’identité
La représentation médiatique du Liban à l’étranger, et en France notamment, en dit
beaucoup sur l’état de la société. A chaque fois que le pays traverse une période de guerre,
les médias repartent au galop en rapportant le côté belliqueux du pays et en insistant sur
la situation politique. Mais très peu osent étudier la société de l’intérieur. Ce n’est pas la
prétention que j’ai ici, justement ce manque d’explications sur les dessous de la société
libanaise montre qu’elle est difficile à cerner et surtout qu’elle est en constant mouvement.
Cette idée de mouvement vient des différents groupes et volontés qui se « cohabitent »
dans la société libanaise. Avant d’aborder des points plus théoriques sociologiquement
parlant, on peut se référer à un moment de l’histoire libanaise de ces dernières années
qui illustre cette divergence de points de vue sur la vie que doivent mener les Libanais.
Cet exemple est l’assassinat de Rafik Hariri, premier ministre de 1992 à 1998 et de 2000
à 2004, à la tête du mouvement du futur, en février 2005. Ce dernier, certes richissime, a
fait investir énormément pour le pays. Beaucoup de bâtiments, détruits pendant la guerre
civile, ont été reconstruits. Economiquement parlant également, le pays s’était remis sur les
rails. Mais il s’est franchement opposé à l’ingérence syrienne, ce qui lui a certainement valu
d’être assassiné. Plus que cette vengeance politique, c’est plutôt la réaction de la société,
que l’assassinat a généré, qui est intéressante pour ce propos. Dans les jours qui suivirent
l’événement, des milliers de Libanais ont défilé non seulement en hommage à Hariri qui
avait voulu donner, comme le nom de son parti l’indique, une assise au Liban pour les
années à venir, mais surtout pour affirmer leur volonté d’indépendance et de poursuivre les
mesures entamées par Hariri pour que le pays aille vers l’avant. Et parmi ces manifestants,
on comptait de nombreux jeunes, qui avaient réussi à dépasser les clivages confessionnels
et revendiquaient, personnellement comme collectivement plus d’autonomie.
Mais cet élan n’a pas duré longtemps puisque Hassan Nasrallah, leader du Hezbollah,
avait juste après réussi à rassembler autant voire plus de personnes, pour replacer le pays
dans le droit chemin, selon ses priorités bien sûr.
Ceci est un exemple, mais on a donc toujours ce clivage d’intérêts, religieux pour
l’épisode relaté ci-dessus, entre ceux qui souhaiteraient plus de modernité pour le pays et
ceux qui veulent le garder dans des traditions qui normalisent la société.
La société libanaise a tous les attraits d’une société traditionnelle, où règne en théorie,
comme l’a développé Emile Durkheim, une solidarité mécanique. Une notion qu’il a précisée
dans De la division du travail social (1893). Ce travail de mémoire ne se prête pas à
une étude approfondie de la société libanaise mais la théorie développée par Durkheim
permettra de mettre en évidence certaines caractéristiques de la société libanaise. Ce
type de solidarité résulte donc de la proximité. Les individus vivent ensemble dans des
communautés. Le poids du groupe est très important. La famille est très importante dans la
société libanaise, comme on le verra par la suite mais aussi la religion. La religion est un
marqueur d’identité d’ailleurs dans la société, car les Libanais, presque avant même d’être
46
Fontaine Aline - 2008
Chapitre 2 : Parce que les réalisatrices libanaises mettent en scène de multiples réalités de leur
pays méconnus par les étrangers mais partagés par leurs compatriotes.
Libanais ils sont membres d’un groupe religieux, d’une confession, qui est précisément
inscrite sur leur carte d’identité. Aussi les Libanais se reconnaissent-ils en partie par leur
religion.
Ils partagent ainsi normalement des valeurs communes très fortes : la conscience
collective est élevée et aucun écart à la norme n’est toléré car, en remettant en cause la
conscience collective, c’est la cohésion sociale dans son ensemble qui peut être mise en
question.
Malgré des normes bien définies qui orientent la vie de la personne dans un moule bien
précis, la société libanaise traverse une crise qui influence et perturbe la vie de l’individu,
de la famille et du groupe. Cette société semble tiraillée entre deux concepts, « l’holisme »
et « l’individuation ». Des concepts qui mènent généralement au « changement social ».
Dans la société holiste, l’individu est une simple partie de la totalité qui l’englobe :
l’avenir est un destin fixé d’avance, la vérité et la morale sont imposées collectivement,
l’identité personnelle elle-même est définie par la place occupée dans le groupe. Tout est
organisé autour d’une finalité prioritaire, la survie du groupe. Chacun est censé trouver
son identité dans sa position sociale, dans ses rôles sociaux et familiaux. On l’a d’ailleurs
vu précédemment dans les interventions des réalisatrices. Les femmes libanaises ont une
destinée plus « familiales » que les hommes. Avant même de se lancer dans des études ou
de travailler, elles doivent s’assurer qu’elles pourront assurer une présence familiale digne
de leur titre. C’est une des contraintes qui s’imposent à la femme, sinon elle est mal vu par
le reste de sa famille. Les hommes, en échange, doivent apporter une certaine rentabilité
pour faire vivre sa famille. C’est pourquoi les professions artistiques, qui ne promettent pas
des rentrées forcément stables, ne sont pas vraiment acceptées dans la société.
Mais parallèlement à ces exigences sociétales, une majorité de jeunes démontrent
qu’ils veulent plus d’autonomie.
Contrairement au rôle inhibiteur que la société holiste pourrait avoir sur l’individu,
« l’individuation » a un sens positif.
L’individuation signale moins un repli généralisé sur la vie privée que la montée de la
norme d’autonomie : se comporter en individu signifie décider de sa propre autorité pour
agir par soi-même, avec les libertés, les contraintes et les inquiétudes qu’une telle posture
implique.
Si l’individuation « relève de normes et de rapports sociaux, il est moins repli qu’appui
sur le privé. L’inflation de la vie privée ne doit donc pas être comprise comme un étalage
narcissique – c’est un épiphénomène – elle est ce que devient la vie privée quand elle se
modèle sur la vie publique : un espace où l’on communique pour négocier et aboutir à des
48 8
compromis au lieu de commander et d’obéir ».
L’individuation est coûteuse et ne va pas de soi : en effet, pour le gain indéniable de
liberté qui se trouve ainsi introduit, que de souffrances psychiques mais aussi sociales, car
l’impossibilité où se trouve placé l’individu de s’en remettre à un ordre des choses extérieur
le conduit à devoir assumer seul des choix de vie, des choix moraux, des choix existentiels
qu’en d’autres temps il n’aurait pas eu à faire, car ceux-ci lui étaient dictés, quoi qu’il lui
en coûte, par la structure sociale. Assumer ses choix, c’est aussi s’en sentir responsable,
redevable, et se voir contraint par eux.
Le sujet abandonne les contraintes sociales, la vie sociale pour se consacrer à sa
destinée propre. Si l’individuation doit apparaître dans une société du type traditionnel,
48 8
in Le Murmure des fantômes , CYRULNIK.
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L'essor des réalisatrices libanaises
holiste, ce sera en opposition à la société et comme une sorte de supplément par rapport à
elle, c’est-à-dire sous la forme de l’individu hors du commun.
Cette idée est bien exprimée dans le livre, écrit par Mohamed Kacimi et Darina alJoundi, d’après le récit de cette dernière, Le jour où Nina Simone a cessé de chanter. Le
résumé du livre commence par : « Quel est le prix de la liberté ? Liberté sexuelle, amoureuse,
politique, sociale ou religieuse… […] Toute l’histoire du Liban contemporain concentrée en
l’histoire d’une personne, fidèle au rêve persistant d’un père journaliste et écrivain pour qui
la liberté n’est pas négociable. Ce rêve va pourtant se fracasser sur la violence et la haine
de la guerre civile, là où tout devient possible, le sexe défie la peur, la drogue défie la vie, le
refus de toutes les règles sociales et des convenances religieuses défie une société qui va
se venger durement contre la jeune insoumise… » En effet à la fin de son histoire, Darina
termine dans une sorte d’asile pour femmes folles, après la demande de sa famille. Cette
histoire se déroule pendant la guerre civile mais elle pourrait très bien avoir lieu aujourd’hui.
Un exemple, les services consacrés aux femmes qui se dévient de la société existe toujours.
Si le fond de l’histoire a changé, il reste difficile de mener une vie totalement émancipée
de toutes normes sociales.
On a donc vu que la société libanaise portait en elle des caractéristiques de société
traditionnelle mais que l’individu cherchait à s’affirmer en dépit des contraintes qu’on lui
impose. Ce phénomène est censé conduire à un changement social.
49 9
Au sens où Mandon
le définit : « Le changement social est le produit observable
d’une action qui résulte dans certaines conditions, de processus et de mécanismes sociaux
mettant en cause un certain nombre d’agents ou de facteurs plus u moins déterminants. »
Il est beaucoup répandu que l’innovation technique entraîne un changement
économique, qui cause un changement des institutions et des pratiques sociales, puis, avec
un certain retard, le changement des idéologies. Un changement des rapports humains va
forcément résulter de ces transformations sociologiques. Aussi assiste-on à une remise en
question de l’autorité : l’individu, s’éveillant à la conscience et à la culture, désire devenir
acteur de son propre destin, et participer à part entière à son élaboration, au lieu de le
recevoir « tout fait ».
Une des théories du changement social s’applique particulièrement au processus
exprimé dans les films dont l’étude suit : la modernisation. La modernisation est le passage
des sociétés traditionnelles aux sociétés modernes. Moderniser, c’est se rapprocher de la
modernité mais quand peut-on vraiment dire d’une société qu’elle est plus moderne qu’une
autre ou plus moderne qu’avant ?
La modernisation consiste à éliminer ou à réactualiser les valeurs, les normes, les rôles
et les statuts relevant encore du modèle traditionnel.
Le processus de modernisation se heurte à la résistance et à l’inadaptation à la
modernité des acteurs individuels et collectifs qui ont été socialisés aux valeurs, normes,
rôles et statuts du système social antérieur, et qui ont intériorisé ainsi une mentalité
conservatrice.
Pour que les mentalités puissent évoluer et changer, il faut que trois conditions
générales soient réalisées simultanément :
1. que la situation exerce une pression suffisamment forte sur le groupe pour que, d’une
part, un malaise existe et que, d’autre part, cette pression soit ressentie par la majorité
49 9
48
in Culture et changement Social,Mandon.
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Chapitre 2 : Parce que les réalisatrices libanaises mettent en scène de multiples réalités de leur
pays méconnus par les étrangers mais partagés par leurs compatriotes.
des acteurs. Cette théorie s’est vérifiée lors de l’assassinat de Rafik Hariri, à la suite
duquel s’étaients soulevés des milliers de personnes et créées de nombreuses associations,
surtout jeunes, au-delà des divergences confessionnelles. J. fait mention de cette pression
quand elle dit que : « l’atmosphère devenait pesant. On sentait qu’il fallait faire quelque
chose, que le pays s’éveille. Pour preuve, juste après avoir terminé le montage, l’assassiant
50 0
de Rafik Hariri avait lieu. »
;
2. qu’il existe des zones de libertés dans la situation ou la société. Des comportements
nouveaux doivent pouvoir s’exprimer dans la situation, le groupe ou la société. Les blocages
et les freins moraux doivent être levés. Les contrôles sociaux doivent se faire moins pesants,
les traditions moins rigides ;
3. que les acteurs aient connaissance de modèles socioculturels nouveaux, répondant
aux nouvelles exigences et suffisamment valorisés. Les modèles socioculturels nouveaux
sont souvent véhiculés par des individus qui ont vécu d’autres expériences en dehors
de leur groupe culturel et qui y reviennent chargés de prestige et ayant acquis des
modèles comportementaux nouveaux. Ici on retrouve notamment le rôle des réalisateurs et
réalisatrices, en l’occurrence. De telles personnes qui sont pour la plupart parties de leur
pays pendant la guerre civile pour étudier ont un regard différent sur leur pays et à la fois ont
vécu différemment à l’étranger. Par conséquent, ils ont envie de parler de leur pays et d’en
montrer une certaine image, qu’ils définissent chacun. Mais ils parviennent ainsi à mélanger
des regards, qui, ils espèrent, pourront réveiller la population.
Aujourd’hui, dans la société libanaise, malgré la prédominance du groupe sur l’individu,
ce dernier tente de se détacher peu à peu du groupe, en cherchant plus d’autonomie et de
liberté. Il s’agit donc d’un rapport conflictuel. L’individu intériorise et sélectionne ce que le
groupe social lui donne. Il y a une reconnaissance du sujet non englobé par le groupe social.
Le concept d’identité représente l’articulation du psychologique et du social chez un
individu. L’identité est la résultante des interactions complexes entre l’individu, les autres
et la société.
La notion d’identité comporte deux pôles : le pôle individuel, traduit par le concept
du Soi, c’est-à-dire les caractéristiques individuelles que quelqu’un s’attribue et qui lui
permettent de se dire et de montrer qui il est ; le pôle social, défini par le système des
normes, et qui s’exprime, d’une part, à travers l’ensemble des rôles auxquels un individu
se conforme pour répondre aux attentes des autres, d’un groupe social ; et, d’autre part, à
travers l’expression d’une appartenance à un groupe social.
51 1
Selon Camilleri
, l’identité est abordée dans une "perspective dynamique". Elle est
considérée comme le produit d’un processus qui intègre les différentes expériences de
l’individu tout au long de la vie. Au sein des réseaux d’interaction, familiaux et sociaux,
qui situent l’individu dans le monde, se construit et se reconstruit l’ensemble de traits qui
définissent un individu et par lesquels il se définit face aux autres.
Quand on parle "identité", on accorde une importance à "l’interaction" entre le sujet
et le monde qui l’environne, c’est-à-dire d’autres individus, des groupes, ou des structures
sociales. Dès le début de la vie, le regard de l’autre renvoie à chacun une image, une
personnalité, des modèles culturels et des rôles sociaux que le sujet peut rejeter ou
accepter, mais par rapport auxquels il ne peut éviter de se déterminer. Au sein des réseaux
d’interaction, familiaux et sociaux, qui situent un individu dans le monde à chaque moment
50 0
51 1
Entretien réalisé avec Jeanne et Kelvan, le 9 juin 2008.
in Stratégies identitaires, Camilleri
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L'essor des réalisatrices libanaises
de sa vie, se construit et se reconstruit l’ensemble de traits qui le définit, par lequel il se
définit face aux autres, et est reconnu par eux.
La dimension sociale de notre identité découle de l’appartenance aux groupes auxquels
nous participons et des sentiments et représentations associés à cette appartenance.
52 2
Verbunt
: « L’identité n’est pas innée : elle se construit dans le processus de
socialisation, qui est une forme de transmission. La conformité au modèle est impérative
dans le milieu traditionnel, car l’objectif de la socialisation est plus du côté de l’apprentissage
des rôles que du côté de l’épanouissement d’une individualité.”
Selon Camilleri, l’équilibre de l’individu est atteint quand les représentations et valeurs
auxquelles il s’identifie, par lesquelles il fixe une signification à son être, sont celles-là même
qui lui permettent de s’accorder avec son environnement. Tout au moins elles doivent être
homologues, c’est-à-dire, relever d’un même modèle.
C’est donc bien entre ces deux aspirations, aux traditions et à la modernité, que le Liban
se trouve tiraillé, qui met la population à la recherche d’identité.
N. Labaki concrétise ces données théoriques : « Je me suis toujours posée
des questions à propos de la femme libanaise, oscillant moi-même entre deux
mondes, la culture occidentale moderne, qui nous offre l’image d’une femme
émancipée, et l’univers oriental, lourd de traditions, Chrétiennes ou musulmanes,
nous subissons le poids de l’éducation rigide, de la religion toujours très
présente. Nous avons la volonté de bien faire, de ne pas décevoir, et vivons
dans la crainte du regard des autres, dans la hantise du jugement. Le Liban
est considéré comme un exemple d’ouverture, de libération, mais ce n’est pas
toujours le cas. La femme libanaise n’est pas très bien dans sa peau. Elle cherche
son identité, parfois à travers le jeu des apparences, et souffre de l’hypocrisie du
système. Je n’ai pas résumé, loin de là, la société libanaise. J’ai fait ce film parce
que je me pose beaucoup de questions sur les femmes libanaises. Obsédées
par leur apparence, elles cherchent leur identité entre l’image de la femme
53
occidentale et celle de la femme orientale. » 3
Aussi même si les scénarii se bâtissent à partir d’histoires personnelles, il reste qu’ils
émergent dans une région du monde où les communautés religieuses, le poids de la famille
semblent commander toutes les hystéries et déterminer les destins. Ainsi des contradictions
naissent entre ce que les gens sont, ce qu’ils ont envie d’être et ce qu’on leur permet d’être.
Des tentatives d’exister en tant qu’individu malgré ou au-delà du groupe.
2.2.2 - La représentation d’une population en quête de modernité mais
prisonnière des traditions :
2.2.2.1 – Une apparence de modernité…
Extrait A : 35’10 – 37'04: Après que la mère épie au bout de la rue toutes les voitures,
espérant voir descendre son époux, c’est au tour de Malek d’attendre son ex-petite amie,
52 2
53 3
50
in La société interculturelle, vivre la diversité humaine ,Verbunt, p.13.
Dossier de presse de Caramel.
Fontaine Aline - 2008
Chapitre 2 : Parce que les réalisatrices libanaises mettent en scène de multiples réalités de leur
pays méconnus par les étrangers mais partagés par leurs compatriotes.
Zeina. Malek scrute le balcon de l’appartement des parents de Zeina, mais personne ne
sort dehors. Il reste au pied de l’immeuble dans sa voiture. A la radio, l’intégration du Liban
à l’OMC est discutée, des manifestations ont eu lieu revendiquant le respect de l’individu
dans la société. Puis les derniers résultats de l’équipe de football libanaise à la coupe d’Asie
en Indonésie sont proclamés. Les deux grands-pères qui passent leurs journées au pied
de l’immeuble viennent voir Malek, qui leur donne immédiatement une cigarette. Malek en
allume une aussi. La caméra est ensuite posée dans la voiture de Malek, apparemment, qui
conduit dans les rues de Beyrouth, à la recherche de Zeina. Au début la voiture longe une
série de bars, où femmes et surtout hommes sont assis. Il passe devant plusieurs groupes
de filles. Un premier de trois qui marchent sur le trottoir. L’une est voilée, les autres non.
Elles le regardent. Puis on en voit deux de dos, dont l’une en jean moulant et tee-shirt rose.
Mais toujours pas de Zeina. La caméra zoome sur les hanches et le bas du buste d’une
femme. Elle marche seule, son sac à main à l’épaule, ses clés dans la main. Elle porte une
chemise à manches courtes et se déhanche à grands pas. Malek continue à conduire en
donnant des coups d’œil autour de lui pour chercher Zeina. Il passe devant d’autres groupes
de filles, vainement. Il suit ensuite un camion, genre express, dont les portes arrières sont
recouvertes d’une publicité pour Pepsi. Une femme brune, les cheveux longs dans le vent,
tend une cannette de pepsi. Bien bronzée, elle porte un débardeur, à fines bretelles, avec un
décolleté assez prononcé. Il passe au-dessous d’autres panneaux publicitaires. Le premier
montre le visage d’une femme, maquillée, avec des anneaux roses, en guise de boucles
d’oreilles. Le slogan du produit est : « Envers et contre tout ». Sur un autre on peut aussi
voir le visage d’une femme. Ses cheveux, ondulés, lui tombent sur le visage. Le slogan est :
« N’exister que pour toi ». Le plan suivant se focalise sur la mère de Malek qui vide l’armoire
des chemises de son époux pour en faire le deuil.
Extrait B : 56’11 – 1'00'02 : Malek est donc rentré chez lui le soir. Sur son lit, il feuillette
les journaux qu’il a récupérés le matin. Il reçoit un sms de Zeina, lui annonçant qu’elle sort
rue Monot et elle lui demande de ne pas venir. Aussitôt Malek referme les journaux et les
cache sous son lit. Une seconde plus tard, Malek se retrouve dans les encombrements
de la rue Monot, avec les multiples coups de klaxon. La rue est remplie de voitures et de
piétons. Malek scrute pour voir s’il n’aperçoit pas Zeina. Après avoir garé sa voiture, il erre
tout d’abord dans les rues en vérifiant si elle n’est pas à l’extérieur d’un bar. Ça grouille de
monde. Il entre dans un club, puis un autre. Ils sont aussi remplis l’un que l’autre. Femmes
et hommes dansent. Zoom sur des couples qui se trémoussent. Dans le second, il tombe
sur Zeina.
Analyse : A travers ces descriptions, il est difficile de nier que le Liban n'a pas un pied
dans la modernité. En effet la vie nocturne est très développée au Liban. Les discothèques
abondent dans la rue Monot. Les réalisateurs montrent bien ici, en filmant de façon assez
documentariste que la vie dans les rues beyrouthines ressemble beaucoup à celle des pays
européens de la Méditerranée, où les gens vivent tard le soir, sont souvent dehors.
Un deuxième aspect de la modernité est montrée par l’émancipation des femmes. De
fait dans les rues, l’idée de la femme voilée ne pointe pas dans les esprits. Elles semblent
très émancipées, portent des vêtements légers, qui montrent leur corps. Les publicités sont
assez évocatrices, surtout celle de Pepsi. De fait des tenues aguicheuses à la chirurgie
esthétique, tous les moyens sont bons pour attirer l’attention des cibles potentielles. Cette
image d’une gent féminine libérée, parfaitement relayée dans la région par les chaînes
satellitaires, est celle que la capitale donne aux touristes. Mais elle loin de refléter les réalités
complexes d’un pays aux identités multiples, pour ne pas dire schizophrène.
Fontaine Aline - 2008
51
L'essor des réalisatrices libanaises
Les réalisateurs mettent en scène ce côté schizophrène avec des personnages, à
moitié autistes dans leurs bulles respectives, qui peinent à communiquer et ne semblent
pouvoir lâcher prise et démontrer leur attachement que quand leur vis-à-vis sombre dans
un sommeil réparateur. C’est ainsi un film sur la reconstruction. Une reconstruction qui part
de l’insondable, du gouffre, y revient et s’en empare pour remonter vers une forme d’éveil.
L’individu se libère de ses entraves, du passé, du clan, et la rupture se fait graduellement,
par étapes.
Extrait C : 1’16’20 – 1'17'14 : Zeina vient de quitter la voiture de Malek, soudainement.
La voiture de Malek se trouve à un feu. Il ne redémarre pas aussitôt, sa voiture ne bouge
pas. Tous les autres autour klaxonnent et le contournent. Quelques chauffeurs s’arrêtent et
descendent. Ils frappent à la vitre de Malek mais il ne réagit pas. Ils ouvrent la portière. L’un
d’eux dit : « Qu’est-ce qu’il y a ? Sortez-le de là. Soulevez-le. » Ils le portent tous, Malek
commence à se débattre en criant : « Lâchez-moi. » Malek tombe. Après un léger « il n’a
rien », tous les autres s’en vont. Malek, se tenant la tête, s’assoit contre sa voiture. Toutes
les autres voitures le contournent.
Extrait D : 16’59 – 20'16 : Malek et sa mère sont dans la voiture de Malek, coincés
dans les embouteillages, en fin de matinée. Après le rendez-vous chez l’avocat pour signer
l’avis de décès du mari disparu en 1988 pendant la guerre civile et être passé chez le frère
du mari pour récupérer des articles de journaux signalant la disparition, Claudia s’ouvre à
Malek sur ses sentiments. Ce qui la fait commencer c’est un coup de téléphone. Elle regarde
le téléphone et dit : « Qu’est qu’elle me veut ? Qu’est-ce que je peux lui dire ? » A partir
de là Claudia commence ses interrogations : « Tu crois qu’il faut qu’on le dise aux gens ?
Qu’on reçoive des condoléances ? » Malek répond : « Il a disparu il y a 15 ans. » Sa mère
continue : « On devrait peut-être porter le deuil, je ne sais pas peut-être qu’on devrait. »
Jusqu’à présent la caméra était installée à l’arrière de la voiture. Pour la suite de la scène
on voit les visages. Claudia soupire et commence à raconter la difficulté de la situation :
« J’ai peur, s’il revient un jour, qu’il m’en veuille, se venge et me demande des comptes :
« Comment aurai-je pu revenir ? Tu ne m’as pas attendu assez longtemps. » Chaque nuit
je l’attends, j’écoute chaque voiture qui passe, une à une. Chaque fois je crois que c’est
lui. » Malek appuie sa tête contre le repose-tête. Alors que Claudia continue, Malek ferme
les yeux : « Je me dis, c’est lui, c’est le bruit de sa voiture, le bruit de son moteur, de ses
roues, de ses freins. Je l’entends dans l’escalier. Sa clé tourne dans la serrure. J’entends ses
pas dans le salon. Il m’appelle, je lui réponds. ». L’image devient noire. On entend toujours
la voix de Claudia : « Mais non. » Soudainement l’image revient, on entend les coups de
klaxon, Claudia secoue Malek : « Réveille toi. Qu’est-ce que tu as ? » Malek redémarre
et rassure sa mère. Ils arrivent devant le lotissement. Claudia regarde son fils : « Tu ne te
gares pas ? » Il répond « Non. Descends. Je ne vais pas tarder. » Claudia reprend : « Tu
ne veux pas te reposer ? Ne me laisse pas toute seule. Je ne suis pas allée travailler, reste
avec moi. » Elle insiste : « Je viens avec toi. J’attendrai dans la voiture. » Malek ouvre sa
portière et la presse : « Descends, j’en ai pas pour longtemps. » Elle s’accroche à la portière,
Malek démarre.
Analyse : Une identité en recherche, qui s’enfouit sous le poids de la présence/absence
d’un deuil inachevé, est effectivement présente dans A perfect day. Le sujet, au lieu de
surgir et de s’assumer, préfère sombrer dans le sommeil et l’oubli. Cette évacuation de
la conscience de soi par le syndrome de l’apnée, dont souffre le héros du film, est la
métaphore de l’abandon pour une société qui n’arrive pas à se réapproprier sa propre
identité. Pour Hadjithomas et Joreige, l’émergence de l’individu passe par la réappropriation
de son propre corps et celui de l’autre, avant de se réveiller et de se retrouver dans une
52
Fontaine Aline - 2008
Chapitre 2 : Parce que les réalisatrices libanaises mettent en scène de multiples réalités de leur
pays méconnus par les étrangers mais partagés par leurs compatriotes.
société communautaire assez complexe. L’identité reconquise passe donc par la capacité
de l’individu à se réconcilier avec soi-même en assumant son passé et son devenir. Cette
recherche identitaire dissimulée, est vécue dans une temporalité de deuil et de mélancolie
qui baigne l’univers du film, où le temps suspendu représente un passé qui revient sans
réconcilier le présent avec l’autrefois. Le fantôme du Père hante les esprits de l’épouse et
du fils, empêchant tout dépassement ou passage de frontières. Aussi c omment gérer le
présent quand le passé est aussi complexe que singulier et que la nation est déchirée entre
le souci de préserver la mémoire et la tendance à la rejeter.
Et de façon importante le couple mère-fils relève de la plus importante question au
Liban – le conditionnement des gens depuis leur enfance dans l’appartenance à une
certaine communauté et la façon dont cela peut influencer la perception des autres sur
eux – et entraîne un questionnement sur ce qu’est un individu.
Quant à la situation de Malek, il est atteint du syndrome de l’apnée du sommeil, maladie
qui se manifeste par des interruptions de la respiration et provoque une grande fatigue dans
la journée. Dès qu’il n’est plus en activité, il s’endort. Par ce procédé, il fait ainsi preuve d’une
absence à soi et au monde, et d’une incapacité à être vraiment avec les autres dans le plan.
Donc il n’est jamais tout à fait là. C’est un peu un zombie, qui s’exprime peu, et brille par sa
tiédeur. On voit bien ici les signes d’une communication qui cherche à s’établir, se rétablir.
J. justifie cet emploi du SAS : « Dans la vie, en général, et au Liban, en particulier, il n’y
a pas forcément de relation de cause à effet, de linéarité. Par contre on ressent les différents
états d’âme. Rapport à la modernité, à la globalisation, sur le fait de trouver son rythme
propre au sein de la société, comment être un individu au sein d’un tumulte. Malek a un
rythme différent des autres. On a ainsi voulu montrer le rapport qu’on peut avoir au rythme.
Comment aujourd’hui on peut vivre le présent avec le poids du passé et l’idée d’un futur
hypothétique. Nous voulions faire quelque chose sur le sommeil car ce pays est en train de
dormir. Quand va-t-il se réveiller ? Tout le film fonctionne sur cette idée de changement. »
54 4
Une idée de changement qui reste floue…
Extrait E : 1’13’32 – 1'14'12 : Zeina et Malek, dans la voiture de Malek, ont décidé d’aller
chez Omar pour la nuit. Ils repartent. Les lumières autour d’eux sont toutes pixellisées,
comme des gros ballons, comme quelqu’un qui n’a plus ses lunettes. De fait Zeina a enlevé
ses lentilles. Malek est au volant, Zeina, la cigarette à la main, repose sa tête sur l’épaule de
Malek. Ils sont tous les deux enlacés. Les lumières, floues, troubles, de toutes les couleurs,
défilent et clignotent sous leurs yeux.
1’20’57 – 1'23'50 : Une situation similaire a lieu quand Malek, après s’être fait lâcher par
Zeina et s’être endormi au milieu du trafic, reprend la route et s’arrête soudainement. Il reste
un moment le regard dans le vide puis remarque que Zeina a oublié ses lentilles. Il les met
et reprend le volant. Il voit tout flou. Les klaxons résonnent au loin. Un motard s’approche de
lui. On le voit voilé jusqu’à ce qu’il se rapproche du rétroviseur. Malek continue à conduire.
Il pénètre dans un tunnel. Au début les lumières forment un néon puis se détachent les
unes des autres, des spots rouges, blancs, bleus, et s’écartent. Pour donner sur l’horizon
de la mer.
Extrait F : 1’24’06 - fin : Après avoir quitté les lumières floues de Beyrouth, Malek est
allongé sur un banc de la Corniche, au bord de la mer. Le soleil vient de se lever, il n’y a
personne dehors. Malek se réveille et voit passer une femme qui fait de la marche rapide.
54 4
www.hadjithomasjoreige.com
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53
L'essor des réalisatrices libanaises
Il se lève, remue les bras, fait quelques montées de genoux puis des sprints. La dernière
image du film se pose sur un banc d’oiseaux dans le ciel qui vole et tourbillonne les uns
derrière les autres.
Analyse : Voir comme l’autre, vivre en synchronie avec l’autre. On peut voir ici la
métaphore d’un profond désir de fusion sans cesse contrarié dans son élan par les
pesanteurs d’un pays qui n’en finit plus de panser ses plaies, mais qui ne demande qu’à
renaître dans la ferveur d’un temps nouveau. Les réalisateurs expliquent ce procédé : « Il
existe un état de latence dans cette ville où les choses sont là mais ne sont pas claires. »
Le flou sur la modernité s’explique par la clarté des contraintes traditionnelles que
comprend la société libanaise et qui vient mettre un frein à cette recherche de modernité.
2.2.2.2 –… face à une remise en question des traditions.
1 – l’importance du mariage
le mariage comme norme sociale
Une de principales valeurs est la famille fondée sur le mariage. La famille libanaise a
son origine dans le mariage. Qui plus est un mariage religieux, sinon sa validité est remise en
question. Chaque société a ses propres règles qui organisent l’alliance. Elles sont variables
55 5
selon les objectifs que chaque société souhaite atteindre :
- pour favoriser les échanges sociaux entre groupes, on peut obliger un individu à
trouver son conjoint à l’extérieur de son propre groupe social (village, famille, clan, tribu) :
c’est la règle d’exogamie.
- pour renforcer la cohésion sociale d’un groupe, on peut à l’inverse obliger un individu à
trouver son conjoint à l’intérieur de son propre groupe social (aristocratie, groupes religieux,
castes) : c’est la règle d’endogamie.
- pour faciliter la transmission d’un patrimoine ou pour le rendre plus important, on peut
même recourir aux « mariages arrangés » grâce auxquels les parents utilisent l’union de
leurs enfants pour atteindre leurs propres objectifs économiques ou sociaux.
Tout cela pour dire que le mariage ne peut jamais être une affaire privée.
Pour parler du mariage libanais au Liban, il est nécessaire de comprendre la notion de
couple dans le contexte libanais.
Dans la société libanaise, le concept du « couple” est seulement lié au concept du
« mariage”. On ne parle de « couple” que s’il est marié. La loi s’oppose à la cohabitation de
l’homme et de la femme et aux relations sexuelles en dehors du mariage.
Le chemin du couple vers le mariage se trace avec d’autres individus. Car, par le
mariage, la communion sexuelle et l’affection mutuelle des couples prennent place dans
l’histoire de la société libanaise. On le célèbre et surtout on le vit comme une alliance
publique devant les familles, les amis et devant les représentants des communautés
religieuses.
Extrait 1 : 14’04 – 15'50: Un militaire se promène dans la rue où la voiture de Bassam
est stationnée, après le dîner avec Nisrine dans sa famille. Il fait nuit, seule la lumière de
deux guirlandes éclairent la rue. Et pour seul son, on entend la voix de Bassam et un chat
crier. Le soldat jette un coup d’oeil en arrière avant de s’avancer jusqu’à la voiture pour en
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in L'exogamie libanaise : catégorisation religieuse et stratégies identitaires dans le couple mixte (thèse), Gisèle Boughaba.
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Chapitre 2 : Parce que les réalisatrices libanaises mettent en scène de multiples réalités de leur
pays méconnus par les étrangers mais partagés par leurs compatriotes.
inspecter la plaque et regarder à travers la vitre arrière. Le soldat fait le tour de la voiture.
Bassam et Nisrine le suivent du regard, Bassam se demande ce que peut être son problème.
Il s’arrête du côté de Bassam et frappe sur la vitre lui faisant signe de la baisser. Le soldat,
debout dehors, demande à Bassam s’il est en panne. Bassam, assis au volant de sa voiture,
répond non et en retour lui demande s’il y un problème. Le militaire demande : « La donzelle
est votre femme ? » Bassam regarde Nisrine puis se retourne vers le soldat lui disant :
« La donzelle est ma fiancée. » Le soldat renchérit : « Que faites-vous en plein nuit ? »
Bassam explique : « On rentre d’une soirée. Là on discute. Je l’ai ramenée chez elle. Un
problème ? » Pendant la discussion on aperçoit Nisrine se titiller le visage en arrière-plan.
Le soldant insiste : « Pourquoi vous ne discutez pas chez elle. Ici, c’est une atteinte à la
pudeur. » Bassam s’énerve : « Deux personnes discutant dans la rue, c’est une atteinte
à la pudeur ? » Le soldat provoque Bassam : « Qui me dit qu’elle habite ici ? » Bassam
s’emporte, en faisant des gestes avec ses mains : « Ses parents habitent ici. Vous voulez
qu’on monte sonner et vérifier ensemble ? » Nisrine murmure quelque chose d’agacement
en attrapant le bras de Bassam mais il ne l’écoute pas. Elle lui demande de baisser la voix.
Bassam lui rétorque : « Tais-toi je discute. » Le soldat hausse la voix : « Qui me dit que c’est
votre fiancée ? » Bassam réplique : « Vous laissez courir les criminels pour vous occuper
de nous ? » Le soldat se défend : « ça me regarde ». Bassam profère : « Par le prophète,
on ne va pas y arriver. » Le soldat lui demande immédiatement ses papiers. Nisrine le prie
de les donner. Bassam objecte : « Pas question ! » Nisrine répète : « Donne-les-lui et ne
fais pas de scandale. » Bassam persiste : « Jamais de la vie. » Le soldat s’exclame : « Une
vraie tête de mule ! Tes papiers ou tu sors de la voiture ! » Bassam se lamente : « Personne
ne me comprend dans ce monde. » Le soldat continue, en répétant : « Veuillez sortir du
véhicule, s’il vous plaît. » Bassam s’emballe : « Je sors pas ! Montez, vous ! »
Analyse : Ce passage met en valeur plusieurs points de l’ambiance qui règne dans les
rues de Beyrouth. Déjà la présence de l’armée, qui depuis les accords Taëf a gardé un pied
dans la vie beyrouthine. Il se peut que des soldats patrouillent de nuit également. D’ailleurs
l’extrait cité ici l’illustre. L’extrait fait surtout allusion à l’incertitude concernant le statut de
la femme. A en croire la façon dont Bassam répond au soldat quand il lui demande si la
« donzelle » est sa femme, le soldat manque de respect envers la femme. Bassam insiste
sur le mot « donzelle » comme s’il reprenait le soldat insinuant qu’il aurait pu employer un
autre terme. En effet, d’après le petit Larousse illustré, « donzelle » est un terme familier,
signifiant : femme, fille prétentieuse, vaniteuse. Ce terme n’est donc pas très éloquent. Le
soldat s’interroge donc sur le statut de la femme. Il demande d’abord si c’est la femme de
Bassam. Bassam lui répond que c’est sa fiancée. Le soldat ne semble pas croire Bassam
mais plutôt, si on ose dire le mot que le soldat n’ose dire, imagine que Nisrine est une
prostituée. De fait il provoque Bassam : « Que faites-vous en pleine nuit ?…Deux personnes
discutant dans la rue, c’est une atteinte à la pudeur. » Etant donné que le soldat a l’autorité
sur Bassam, il se permet de mettre en doute ses paroles et d’interpréter la situation à son
goût. Mais ceci n’est pas forcément propre aux autorités libanaises. Ce qui est propre ici au
Liban, c’est que si les deux personnes ne sont pas mariées, elles n’ont pas, pour le « bienêtre » public, le droit d’être dehors le soir, dans un endroit qui ne soit pas privé. Le mariage
s’apparente ici à une porte d’entrée à la vie publique, du moins nocturne. L’homme peut
être dehors, mais la femme si elle n’est pas mariée et en compagnie de son mari, on peut
facilement la prendre pour une prostituée.
Extrait 2 : 41’40 – 43'10 : Cette séquence alterne avec celle de Jamale qui passe un
casting. On lui demande de poser sous toutes les positions, il fait chaud, elle est gênée par
la lumière. On voit qu’elle a du mal à garder son calme. Elle se trompe de côté, se gratte
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L'essor des réalisatrices libanaises
les cheveux. Au moment où on veut évaluer son aisance à marcher, une autre séquence
démarre. Layale est en train de marcher dans la rue, elle part à la recherche d’une chambre
d’hôtel pour se retrouver avec Rabih et fêter son anniversaire. Layale n’est pas vêtue comme
d’habitude, elle porte un tailleur gris qui la rend plus âgée. Elle entre dans un premier
hôtel. Le réceptionniste lui demande si c’est pour un groupe. Layale répond non, pour
deux personnes. « Deux filles ? » « Non, répond Layale, mon mari et moi. ». L’homme
reprend : « Ah, vous êtes mariée. » Avec un sourire, il demande précision : « Un lit double, je
suppose ? » Il vérifie si pour le samedi, des chambres sont disponibles. Pendant ce temps
Layale jette un coup d’oeil autour d’elle. Le réceptionniste lui demande son nom. Layale lui
répond : « Rosette Baddour ». Après l’avoir complimentée sur son nom, beau comme l’aube,
il raconte à Layale qu’il connaît des Baddour, de Beït-Méry et lui demande s’il vient de làbas, si elle connaît le propriétaire du supermarché du même nom. Layale dandine la tête,
comme si elle avait des tics, essayant de cacher son embarras et acquiesce. Il continue :
« Au fait, c’est vous qui étiez au Canada ? » « Ah, non », répond Layale. Le réceptionniste
s’excuse. Il reprend sa fonction la priant de présenter « sa carte d’identité ou tout autre
document prouvant qu’elle est mariée, c’est le réglement », ajoute-t-il. Layale cherche dans
son sac un moment, jette un coup d’oeil au réceptionniste, qui lui dit de prendre son temps.
Au final elle relève la tête ave un « euh.. »
On revient aussitôt sur Jamale, ce n’est pas l’intérêt de la scène ici. La responsable
du casting demande à Jamale de se placer ainsi puis dans une autre position, puis lui fait
remarquer qu’elle a un morceau de scotch collé sur le visage. Jamale récite son texte mais
au bout d’un moment, elle craque, elle ne peut plus.
Alors on retrouve Layale dans la rue qui a donc quitté le premier hôtel. Elle se rend
dans un deuxième hôtel. Ce réceptionniste lui demande avec qui elle vient puis son nom.
Cette fois Layale s’appelle Liliane Chakkhour mais quand l’homme lui demande un papier
d’identité, elle a envie de parler mais pose son coude sur le comptoir, renonçant. La seconde
après on la voit au volant de sa voiture, se tenant la tête. On la retrouve alors dans un
troisième endroit où le réceptionniste est cette fois non plus en costard mais en marcel,
la cigarette derrière l’oreille. Dans le couloir est assise une femme, maquillée, aux talons
hauts, en robe, cigarette à la main. L’homme sourit : « Un bonjour plein de roses et de
jasmin ». Juste après, Layale est dans la chambre, avec un sac poubelle, pour nettoyer
toute la crasse qui règne. Elle dévoilera à ses amies par la suite :
« Qu’elle aura même dû se faire passer pour une pute pour obtenir une chambre. »
Extrait G : 1’12’24 – 1'12'50 : Malek est resté dans le club où se trouvait Zeina, malgré
son désaccord et il s’est endormi sur un canapé. Zeina est allée le voir et commence à le
caresser. Zeina et Malek se retrouve alors dans la voiture de Malek. Ils deviennent de plus
en plus excités. Zeina demande à Malek : « Où on va ? » Malek répond : « Chez toi ? »
Zeina rétorque : « Mes parents sont à la maison. »
Analyse : Quand Layale cherche un hôtel pour passer un moment avec son amant et
célébrer son anniversaire, on lui demande de prouver qu’elle est mariée à plusieurs reprises.
Déjà elle se sent obligée de cacher son identité, de peur qu’elle n’ait des problèmes par
la suite et certainement pour que ses parents ne soient pas mis au courant si jamais il lui
arrive quelque chose, car ils ne sont pas au courant de sa relation avec un homme marié.
Le fait de demander une preuve d' « appartenance à son époux » ne se fait pas dans
les hôtels touristiques mais dans les autres si. On voit bien d’ailleurs dans le film que les
réceptionnistes regardent à chaque fois Layale d’un air suspicieux. Légalement, on n’a pas
le droit d’aller à l’hôtel si on n’est pas marié. Ce phénomène révèle un côté puritain de la
société libanaise.
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Chapitre 2 : Parce que les réalisatrices libanaises mettent en scène de multiples réalités de leur
pays méconnus par les étrangers mais partagés par leurs compatriotes.
A moindre mesure, ce phénomène s’opère dans A perfect day, quand Malek et Zeina
ne peuvent pas s’adonner au plaisir sexuel en toute liberté. Ils ne sont pas mariés et n’ont
pas de foyer. Et ne peuvent pas aller chez les parents de Zeina. Il n’est même pas évoqué
la mère de Malek, c’est peut-être ce côté que Zeina reproche à Malek, mais ceci dépasse
le point étudié. Donc on peut au moins voir qu’ils seraient obligés d’agir clandestinement
s’ils allaient plus loin.
Extrait 3 : 37'40 – 38'42 : La séquence suivante a lieu le lendemain matin, dans la
cuisine de la maison de Layale. La mère de Layale et deux amies sont en train de boire
le café. Layale apparaît à la porte, pas tout à fait réveillée. La mère de Layale l’invite à les
rejoindre, Layale fait la moue avant de forcer un sourire et de les rejoindre. L’une d’elles
aperçoit un cheval blanc : « Tu sais ce que ça veut dire ? », demande-t-elle à Layale, et
ajoute la réponse : « Un mari ! » Layale taquine sa maman : « Tu les crois, maman ? » « Mais,
bien sûr ! », répond-elle. Une des amies s’adresse à Layale : « Si tu as un prétendant, fais un
vœu à présent. » Layale tend la main. « Il y a un mari. Regarde-moi cette bague ! Regarde
comme elle brille ! » L’autre amie ajoute : « C’est bon. Tu vas la marier ! » Layale sourit :
« Tu crois ces bobards ? » Sa maman acquiesce : « Elle m’a dit des choses vraies. » Et les
femmes finissent par des youyous. Layale sourit, se tenant la tête.
Extrait 4 : 1’19’32 – 1'21'40: Le mariage de Nirsine approche, les femmes s’improvisent
une séance d’épilation. On entend le klaxon de Rabih et le téléphone de Layale sonner
mais elle se résout à ne pas décrocher. La séquence choisie ici commence avec la sœur de
Nisrine qui siffle en sortant une culotte rose fushia. Les sœurs et la mère de Nisrine l’aident
à faire sa valise. La sœur dit que c’est osé et là-dessus, la mère réplique : « C’est bien pour
une mariée. » Les sœurs ouvrent les boîtes découvrant soutien-gorge, robes de chambre
en lycra,…et s’émerveillent. Sa mère en fait de même et continue à remplir la valise de sa
fille. Elle reste toutes les deux dans la chambre de Nisrine. Sa mère lui raconte, en versant
quelques gouttes, combien elle est fière d’elle, combien cette dernière nuit chez eux lui brise
le cœur. Elle poursuit en lui disant que « Demain, ce sera ta nuit. Tu sais ce que ça veut dire.
Tu passes d’une étape à une autre. Ce sera la seconde étape de ta vie de femme. Toutes
les filles passent par là. J’ai vécu cela aussi. Il ne faut pas avoir honte avec lui. C’est ton
mari, ton seigneur. » Nisrine baisse la tête et sa mère continue : « Pour le meilleur et pour
le pire. Petit à petit tu apprendras à le connaître. Ainsi va la vie. Dieu seul sait ce qu’elle
te réserve. »
Analyse : On voit ici que Layale habite chez ses parents. Le mariage semble se prêter
à de nombreuses superstitions. Et en même temps ce passage révèle l’importance que
représente le mariage dans la mesure où ces femmes, à partir d’un moustique (un cheval),
annoncent un mariage dans l’année. Elles mettent ainsi une lourde pression sur les épaules
de Layale car on voit bien que la maman croit à cette superstition. Et si l’on s’en tient au
film, Layale donne l’impression qu’elle appréhende de saluer les amies de sa maman. Peutêtre n’est-elle pas tout à fait réveillée, peut-être a-t-elle peur qu’elles ressassent encore des
commentaires sur le mariage. En même temps, le meilleur moyen d’accéder à une forme
d’indépendance, en quittant le foyer parental, reste le mariage. Quelque soit le niveau de
leurs rémunérations, la norme veut que les célibataires vivent avec leur famille jusqu’au
« grand jour ». Ce phénomène est explicitement évoqué dans l’extrait de Nisrine. Le fait
de quitter la maison, de passer la dernière et surtout de préparer la valise est un véritable
protocole et on voit bien que c’est une étape dans la vie de la femme. Cependant un
décalage se note entre Nisrine et sa mère. Quand cette dernière évoque la nuit prochaine, la
grande nuit, Nisrine baisse les yeux. Peut-être n’ose-t-elle pas affronter sa mère, du moins
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L'essor des réalisatrices libanaises
elle sait ce que c’est. Elle n’a pas vraiment besoin des paroles de sa mère. Mais sa mère
a besoin de se rassurer en rassurant sa fille car pour elle, c’est un changement de perdre
sa fille. On ne ressent pas autant cette idée chez Nisrine, qui semble déjà prête à vivre son
indépendance.
le mariage comme barrière sexuelle
Extrait 5 : 52’50 – 53'40 : Layale vient d’expliquer son désarroi à ses amies, après avoir
attendu Rabih des heures dans une chambre d’un bordel, qu’elle a transformé en chambre
d’hôtel. Elle leur décrit la honte qu’elle ressent vis-à-vis de ses parents. Layale n’est pas la
seule à pleurer. Nisrine, d’un coup, s’y met aussi. Nisrine arrête Layale : « Tu crois que tu es
la seule à avoir des problèmes ? » Layale s’excuse. « Mon prince charmant ne sera pas le
premier », avoue-t-elle. Jamale ne comprend pas. Nisrine, en pleurs, la regarde : « Bassam
ne sera pas mon premier homme. » Puis elle répond à Layale qui lui avait demandé s’il le
savait : « il ne sait rien ». Jamale rétorque : « T’inquiète pas. On égorgera deux pigeonszaghlouls. » Nisrine, désabusée, secoue la tête et balance un ballon, Layale interloquée :
« Qu’est-ce que tu nous chantes ? » Jamale ajoute très sérieusement, en premier Nisrine par
l’épaule : « Il paraît que si une fille a fauté, quelques gouttes de sang de zaghloul suffisent. »
Rima ironise : « Et pourquoi pas de moineau ? » Jamale continue : « J’en sais rien. C’est
peut-être mieux. » Layale s’interroge : « Et le mari, il est où ? » Jamale, convaincue : « Alors
là, elle devra se débrouiller. C’est à elle de voir. » Layale la reprend : « Tu en as de ces
idées ! » Nisrine rétracte ses sourcils et son nez, Jamale lui rétorque : « Qu’est-ce que tu as
à proposer ? » Puis comme le lieu s’y prête, les murs de la chambre se mettent à trembler,
les filles rigolent et mettent fin à cette conversation.
Extrait 6 : 54’02 – 56'20 : Après que Layale a convoqué ses amies dans « l’hôtel » qu’elle
avait trouvé et que Nisrine s’est confiée sur la vie sexuelle, on retrouve les trois femmes,
Jamale, Nisrine et Layale à l’arrière d’un taxi. Toutes portent des lunettes de soleil. Et Nisrine,
une casquette rose. Elles sont en train de discuter sur un nom. Nisrine interpelle Layale :
« Souad Abdel Sater ? Où as-tu trouvé ce nom ? T’aurais pu choisir un nom chrétien. »
Layale pose son doigt sur ses lèvres faisant signe à Nisrine de parler moins fort et lui répond :
« Rita ou Thérèse, par exemple ? » Nisrine continue : « Marie, Julie, j’ai le droit d’être Marie
un fois ! » Layale commente : « Oui ça te va bien ! », d’un air indifférent. Jamale s’agace :
« Tu crois que tu vas au Moulin rouge ou au Lido ? C’est juste une clinique, arrête ton
cinéma. » Nisrine la repousse de la main. Layale insiste : « Tu sais pas dire deux mots en
français. T’as redoublé ta maternelle ! » Nisrine enchaîne : « Je n’ai pas à parler. » Layale
renchérit : « Tu serais une Française muette ? » Nisrine se justifie : « Ne t’en déplaise,
je parle français. Je m’appelle Julie, je viens de Paris (en français dans le film). Je viens
pour la « hot » couture. » Layale s’énerve : « Tais-toi il va nous entendre. », en montrant le
chauffeur de taxi. Nisrine concède un « Bon, je me tais. » Une dame monte dans le taxi et
annonce au chauffeur qu’elle veut aller au musée. On voit que le taxi est coincé dans les
embouteillages. Layale s’adresse au chauffeur : « On ne va pas faire ce détour. » La dame
lui répond : « Pas peur, madame. Je connais le chemin. »
Les trois femmes se retrouvent ensuite à l’accueil d’un service de l’hôpital. Une femme
inscrit sur une feuille le « nouveau » prénom de Nisrine. « Julie » est la troisième sur la liste.
On lui demande : « Julie, comment ? » Nisrine répond : « Pompidou ». Layale serre les lèvres
en faisant la moue. Alors que Nisrine sereine, tortille ses cheveux, la dame lui demande :
« Docteur Stambouli, n’est-ce pas ? » Nisrine acquiesce. La dame lui indique la direction
difficilement : « 4e étage, à gauche, ascenseur. » Layale lui fait signe d’y aller. La dame les
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Chapitre 2 : Parce que les réalisatrices libanaises mettent en scène de multiples réalités de leur
pays méconnus par les étrangers mais partagés par leurs compatriotes.
rappelle : « Demoiselle Pompidou, il faut signer, euh. » Layale attrape Nisrine et lui traduit
en arabe pour que Nisrine lise sur ses lèvres puis elle signe, d’une façon très saccadée.
Elles attendent ensuite dans le couloir. Layale assure : « Deux points stambouliens et
tu nous reviendras neuve. » Jamale ajoute : « Eh, une fille de 15 ans, oui. » Layale dessine
un sourire du bout des lèvres. Une porte s’ouvre au fond du couloir. Jamale puis Layale
et enfin Nisrine tournent la tête vers l’homme qui en sort. Le docteur appelle la demoiselle
Pompidou. Avant de se lever, Nisrine chuchote aux deux autres : « Vous direz à M.Pompidou
que je suis chez la couturière. » Et Nisrine marche vers l’homme.
Extrait 7 : 1’08’50 – 1'09'17 : Nisrine est en train de coiffer Rose. Cette dernière a été
invitée par Charles, un Français, à prendre le café dans un bar. Elle décide donc d’aller se
faire arranger les cheveux. Nisrine s’en occupe et lui fait une couleur. On voit Rose sourire
pendant la coupe puis elle demande à Nisrine comment vont les préparatifs du mariage.
Nisrine baisse la tête et lui dit : « il reste un petit truc à régler. » Puis elle redresse la tête :
« Mais ça va aller. Si Dieu le veut. » Rose s’arrête sur le visage de Nisrine sentant de
l’inquiétude.
Extrait 8 : 1’12’35 – 1'12'56 : Layale vient de quitter la maison de Rabih où elle a fait un
soin à sa femme. Pendant toute la rencontre elle contient son agacement et quand elle sort
elle lâche ses nerfs puis repart, comme si elle était décidée à vivre un nouveau départ. C’est
ce qui arrive à Nisrine dans ce passage. On voit une femme remplir la même feuille qu’à
la première visite, avec « Julie Pompidou ». Nisrine est assise sur un lit d’opération, une
charlotte sur la tête avec une blouse de protection. Elle est toute seule dans la pièce. Puis
on la voit allongée, juste sa tête. Elle fait de grandes respirations en regardant tout autour
d’elle. Pour quelques secondes, on voit Rose en train de coudre un tissu avec sa machine
à coudre. Et on revient sur Nisrine, qui semble plus calme.
Analyse : Le problème de virginité est très présent dans le film, il revient à plus de
quatre reprises. Nisrine va se marier mais elle a déjà eu des relations sexuelles. Or chez
les musulmans comme chez les chrétiens, la virginité reste une valeur. C’est quelque chose
de très représentatif de la société libanaise. On voit bien dans le film qu’il faut éviter d’en
parler dans le taxi pour ne pas que les autres entendent. Idem, Nisrine le tait à Rose. Elle tait
d’ailleurs sa véritable identité et choisit un nom à consonance occidentale. Si on s’attache à
l’intonation de Nisrine, on a l’impression qu’elle veut juste se donner un air occidental. Layale
lui propose des noms à consonance musulmane, mais on peut penser que Nisrine, en se
donnant un nom français veut diminuer les chances d’être repérée. Et beaucoup de femmes
appliquent ce principe de virginité sans s’en plaindre, celles qui s’y plient ne comprennent
d’ailleurs pas souvent celles qui enfreignent cette tradition. La pureté est quelque chose de
très important. On évalue difficilement le nombre d’interventions car ce n’est pas accepté
dans la société. Toujours privilégier l’apparence avec cette peur de ne pas correspondre
au modèle. Quand il y a intervention, elles sont faites en cachette mais souvent dans des
cliniques qui ont pignon sur rue. Mais les hommes ne sont pas très clairs sur cette question.
Du coup, on ne sait jamais ce qu’ils pensent vraiment. Même s’ils prétendent avoir les idées
larges, devant la réalité, comment vont-ils réagir ? Entre la modernité et la tradition, les
hommes sont souvent aussi perdus que les femmes. Mais, là encore, il ne faut pas faire
de généralités.
Comme dans toutes les sociétés arabes, le sexe avant le jour J est moralement
condamné. Dans les faits, elles sont de plus en plus nombreuses à franchir le pas, mais
toujours aussi rares à l’assumer. Pas de vie de couple hors de l’institution du mariage, c’est
une des principales normes de la société libanaise.
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L'essor des réalisatrices libanaises
2 – le regard des autres
Il s’agit d’une grande pression exercée par le système « communauté » sur l’individu.
On parle plutôt de « groupe », représentant un ensemble de personnes, qui ont, les unes
avec les autres, un mode d’interaction défini. La notion de groupe désigne le lieu par
excellence où se joue l’articulation entre l’individuel et le collectif, où se définit le sentiment
d’appartenance et d’exclusion, où s’élabore l’identité de chacun.
Dans les sociétés modernes, rôles et statuts sont mobiles. Une femme peut devenir
Premier ministre, un père de famille peut pousser le landau et langer le bébé ; les rôles
et les statuts collent moins à la peau des personnes. Dans une société moderne, rôles et
statuts sont aussi dissociés les uns des autres ; les collègues de travail ne savent souvent
pas si l’un des leurs est célibataire ou marié, catholique ou musulman, etc.
Dans les sociétés traditionnelles, où le regard de l’autre est très important, où les
« on-dit » témoignent d’un contrôle social serré, le mot-clé est « réputation ». La bonne
et la mauvaise réputation dépendent surtout de la façon dont l’individu a assumé les
responsabilités découlant de son statut. Le statut désignant la position objective occupée
en fonction du niveau social ; il englobe un ensemble de caractéristiques objectives qui
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déterminent la place d’un individu sur une échelle sociale.
Il s’agit de bien jouer le rôle
que la société lui a attribué. D’ailleurs, c’est souvent le but principal de l’éducation dans
ces sociétés.
En revanche, lorsqu’il y a divergence entre les attentes du groupe et le comportement
rél d’un individu, il existe un conflit de rôles. Moyennant que la notion de rôle permet de
distinguer la position de l’individu dans le système.
Analyse : « Dans cet univers typiquement féminin, ces femmes - qui souffrent de
l’hypocrisie d’un système traditionnel oriental face au modernisme occidental - s’entraident
dans les problèmes qu’elles rencontrent avec les hommes, l’amour, le mariage, le sexe… ».
Aujourd’hui, dans cette partie du monde, le Liban apparaît comme un exemple d’ouverture,
de libération et d’émancipation. Mais ce n’est pas toujours vrai. Derrière cette façade, nous
subissons encore beaucoup de contraintes, la crainte permanente du regard des autres
et la hantise de leur jugement. Dans ce contexte, la femme libanaise est minée par les
remords et la culpabilité. Dans ce salon de coiffure et d’esthétique, mes héroïnes se sentent
en confiance. C’est un lieu où, même si l’on est regardé dans ce qu’on a de plus intime, on
n’est jamais jugé. La femme qui nous épile nous voit toute nue, au sens propre comme au
sens figuré, car c’est un moment où l’on ne triche pas.
- ne pas décevoir la famille
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7
Benabent
: « La famille peut se définir juridiquement comme un groupe de
personnes qui sont reliées entre elles par des liens fondés sur le mariage et la filiation. La
simple affection, même avec vie commune, n’y suffit pas : malgré l’extension actuelle du
concubinage, personne ne parle de véritable famille avant le lien créé par un enfant, lien
de filiation »
Dans les sociétés holistes, les familles semblent considérer comme particulièrement
nécessaire d’avoir un point fixe auquel se référer et au besoin de se raccrocher. Le premier
argument invoqué est la valeur de l’affection échangée entre membres de la même famille.
De plus le devoir de reconnaissance envers les parents ou celui de la responsabilité envers
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in L'exogamie libanaise : catégorisation religieuse et stratégies identitaires dans le couple mixte (thèse), Gisèle Boughaba.
in Droit civil, la famille , Benabent, p 3.
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Chapitre 2 : Parce que les réalisatrices libanaises mettent en scène de multiples réalités de leur
pays méconnus par les étrangers mais partagés par leurs compatriotes.
les enfants paraît fortement inscrit : la famille est plus que le sacré, c’est privilégié. Cette
conviction que les parents se sont sacrifiés, ont travaillé dur pour élever leurs enfants,
induit la conséquence que les parents méritent les témoignages d’affection et le respect.
Cependant, dans un tel système, on peut se demander où est la place de l’individu ? Malgré
ce grand soutien affectif, moral… est-ce que l’individu se sent libre, autonome, responsable
de lui-même ?
La famille serait ainsi perçue « comme un processus d’efforts permanents pour
maintenir la paix ; celle-ci résulterait d’un ordre négocié, d’un arrangement non pas définitif
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mais ouvert à une incessante re-négociation ».
« Comme toute société close, la famille peut tomber dans un égoïsme collectif. Le secret
familial apparaît comme l’exclusion d’autrui, où le privé n’est qu’une barrière hargneuse
contre le dehors, où l’intimité signifie seulement étroitesse d’esprit et du cœur vis-à-vis de
l’extérieur.
On voit les conséquences en ce qui concerne la famille : communauté ouverte sur
l’absolu, elle personnalise l’homme ; société close sur elle-même, elle le déshumanise.
Telle est cette famille fermée au reste du monde, exerçant une pression interne sur ses
membres, leur interdisant la jouissance d’un espace privé, et entravant le développement
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de leur personnalité. »
Dire ainsi que la famille est une institution dans une société, c’est donc observer que
ses membres ne peuvent agir suivant leur bon plaisir, et que leurs conduites sur les points
essentiels sont programmées – et de la même manière pour tous – par la société. Les
femmes surtout prennent conscience qu’à ce jeu, elles sont perdantes, que la prospérité
est surtout l’affaire des hommes, en un mot, que la famille les tient éloignées d’une société
florissante qui leur demande beaucoup et de laquelle elles ont le sentiment de recevoir peu.
Il y a quelques années, les rôles dans les familles étaient bien définis : le père avait le
rôle « instrumental » ; chargé des contacts avec l’extérieur, il était le pourvoyeur économique
du ménage ; la mère chargée de tout ce qui était affectif, avait le rôle « expressif ».
Demeurant dans le réseau familial, les femmes seraient vouées à une situation
d’infériorité ; parce que ce rôle n’est pas reconnu à sa juste valeur dans les sociétés
contrôlées par les hommes. Les rôles d’autorité accordés à l’homme dans le mariage
donneraient à la femme une image dévalorisante d’elle-même qui se traduit par un
déséquilibre familial.
Ajoutons que le rôle économique du mari entraînait un statut de dépendance pour la
femme. Dans les échanges matrimoniaux, l’avantage sur le plan de la décision appartenait
à celui qui apportait le plus de ressources dans ses relations conjugales : l’éducation, la
qualification professionnelle et un salaire élevé étant des avantages considérables dans
les tractations entre conjoints. Celui qui apporte l’argent dispose souvent d’un pouvoir,
pouvoir de le dépenser, mais aussi pouvoir sur l’autre. La demande d’argent dont peut faire
une femme à son mari, la met en situation de dépendance vis-à-vis de lui : dépendance
économique, mais aussi dépendance plus subtile dans les relations qu’ils entretiennent.
Le travail professionnel constitue pour la femme une véritable ressource qui lui permet
d’améliorer son statut dans le couple et dans la société de façon notable.
58 8
59 9
in Sociologie de la famille et du mariage, Michel, p.220.
L'exogamie libanaise : catégorisation religieuse et stratégies identitaires dans le couple mixte (thèse), Gisèle Boughaba
(chap.2, p.10).
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L'essor des réalisatrices libanaises
Le métier a donné de l’assurance, de la distinction, ouvert des horizons. Les femmes,
de plus en plus présentes dans l’espace public, accèdent en masse à une individualité,
produite de l’égalisation.
Dans un état multiconfessionnel comme le Liban, on est tenté de croire que les
différences culturelles sont essentiellement d’ordre religieux. Mais ce serait beaucoup trop
simple. Au pays des Cèdres, la question de l’émancipation des femmes dépasse les clivages
confessionnels.
Globalement, malgré les apparences, les valeurs traditionnelles et la mentalité orientale
restent bien ancrées dans la société. Certaines plient sous le poids de pression, d’autres
se rebellent en s’identifiant au modèle occidental. Mais la plupart opte pour le compromis,
et quand elles s’émancipent, le font « en cachette ».
Extrait 9 : 11’25 – 12'04: Après la frustration de Rima, qui dans un bus, jette des regards
intéressés sur la jeune fille qui s’assoit à côté, mais n’ose pas faire plus, on retrouve Nisrine,
assise dans la voiture de Bassam, son fiancé. Ils sont en train de rouler, de nuit. D’un regard
désabusé et désœuvré, le premier geste qu’elle fait est d’enlever l’élastique qui nouait
quelques-uns de ses cheveux et se les attacher à nouveau en prenant cette fois tous les
cheveux. La scène se déroule sans parole, juste la musique mélancolique accompagne ses
mouvements, la même musique qui rythmait les regards de Rima précédemment. Pendant
ce temps, Bassam ne détourne pas le regard, il continue à conduire. Puis Nisrine boutonne
le col de sa chemise qu’elle avait laissée ouverte, en faisant une bulle avec son chewinggum. Elle finit par déplier les ourlets de sa chemise qu’elle avait fait à ses poignets, et
vérifie son allure dans le miroir de la voiture, tout en continuant de mâcher son chewing-gum
nerveusement. Elle demande alors à Bassam, d’un ton assez sec : « Tu préfères comme
ça ? ». Il lui répond : « Je préfère sans chewing-gum ». Elle soupire puis le crache par la vitre.
Extrait 10 : 13’58 : Après le dîner avec la famille de Bassam, Nisrine et Bassam se
retrouvent de nouveau à bord de la voiture de Bassam. On ne voit que la tête de chacun,
Bassam de derrière et Nisrine de profil. Bassam est tourné vers Nisrine. Il lui dit, en haussant
les épaules : « Nisrine, combien de fois faudra-t-il en parler, ma chérie ? » Nisrine, énervée,
touchant sa chemise avec un geste d’énervement, s’exclame : « C’est pas ça, mais je me
sens déguisée ! »
Extrait 11 (séquence entre-deux) : 12’07 – 13'09: Nisrine est à table avec la famille de
Bassam, chez Bassam. Elle a dû, comme on l’a vu précédemment recouvrir sa peau. Elle est
assise à la droite de Bassam. Autour de la table, on trouve deux femmes accompagnées de
leurs époux et leurs enfants, plus deux autres seules plus les parents. Les femmes s’activent
avec les plats. On entend « Bienvenue à la fiancée. Vous illuminez la maison. Vous nous
comblez. Dieu vous garde. » Bassam remonte la jupe de Nisrine et commence à lui caresser
la cuisse. Surprise, Nisrine le prie discrètement d’arrêter. Il se défend en disant que personne
ne les voit. Juste après on voit justement qu’un des enfants est assis sous la table en train
d’observer la scène. Une des femmes s’approchent de Bassam et sert son visage entre ses
mains, l’embrasse plusieurs fois sur la joue, lui clamant : « Comme tu es beau, prunelle de
mes yeux ! » Alors que deux femmes se chamaillent pour rapporter les plats à la cuisine,
le petit garçon en profite pour soulever la jupe de Nisrine et se cache sous la jupe jouant
avec ses mains. Nisrine est attirée vers le bas et s’agite un peu. Le petite poursuit son petit
jeu pendant que le père de Bassam demande à Nisrine si elle va bien, si elle a des tracas,
l’interroge sur son travail. Nisrine se contente de répondre : « Non, tout va bien. Merci beaupère. ». Le père lui souhaite la bienvenue, lui précisant qu’elle est ici comme chez elle.
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Chapitre 2 : Parce que les réalisatrices libanaises mettent en scène de multiples réalités de leur
pays méconnus par les étrangers mais partagés par leurs compatriotes.
Analyse : Les deux premiers passages laissent entendre que Nisrine ne peut pas
s’habiller comme elle veut si elle va dans la famille de Bassam, comme s’il fallait éviter de
choquer les parents. Le fait de devoir se couvrir laisse à comprendre que si Nisrine s’était
habillée d’une façon plus ouverte et libérée, elle aurait été mal perçue par la famille. On peut
facilement penser que la famille de Bassam l’aurait prise pour une débauchée, même si
elle est musulmane, comme l’est Bassam. De fait les sœurs de Bassam portent le voile. On
voit également comment Bassam est hanté par l’idée de ne pas décevoir sa famille. Dans
la voiture, il parle d’une façon très sèche à Nisrine, elle ne peut pas faire comme elle veut
mais doit se plier aux attentes de la famille mais si elle ne se sent pas bien dans sa peau.
C’est encore plus flagrant que Bassam la caresse. Elle ne le veut pas mais ne peut pas
tellement s’opposer. Ceci révèle sur le comportement de Bassam que le jugement est très
important mais qu’à l’écart des regards, peu importe, alors qu’il met Nisrine mal à l’aise. Le
statut de Bassam est aussi souligné par l’intervention de la sœur. Quand elle lui dit : « Tu es
la prunelle de mes yeux », elle est pourtant en présence de son mari, ceci ne l’empêche pas
de donner de la valeur à son frère. De fait le garçon dans la famille libanaise reçoit beaucoup
d’affection. De plus même si ce n’est pas clairement exprimé, on devine que Bassam est le
seul garçon de la famille. Ses sœurs sont mariées et ont pour certaines des enfants. Aussi
Bassam est le deuxième homme de la famille. Pour cela il ne veut pas décevoir non plus
car il tient à garder sa reconnaissance dans la famille. Par ailleurs, la discussion dans la
voiture après le repas montre bien que Bassam est accroché à ses valeurs familiales et
Nisrine doit faire la concession et s’adapter. En lui répétant, « combien de fois en a-t-on
parler ? », il insinue ici que la situation a déjà eu lieu et que ça ne changera pas. La famille
reste importante à ses yeux aussi.
Extrait 12 : 13’24 –13'58: La porte de la chambre de Layale est ouverte et on l’aperçoit se
dandiner sous son drap. Une légère lumière transparaît à travers son drap. On l’entend dire :
« Je ne peux pas parler plus fort. Mon petit frère dort. » En effet elle partage une chambre
avec son petit frère qui dort dans le lit à côté, à un mètre d’elle. Son visage, caché sous le
drap, apparaît. Elle est en train de parler au téléphone. Elle chuchote : « Je ne peux pas
aller au salon. Mes parents vont m’entendre. » Elle se mord les lèvres et ajoute : « Attends
je vais à la salle de bain. » Dans la séquence suivante, on la retrouve donc dans la salle
bain, en train d’ouvrir le robinet. Pendant que l’eau coule, elle demande à son interlocuteur
s’il l’entend mieux.
Extrait 13 : 35’49 – 37'35: On quitte une maison pour une autre. La séquence qui fait
écho à la précédente. Rose vient d’accueillir Charles, un Français, pour faire quelques
retouches à son pantalon. Mais Lily fait encore du cinéma et dérange la rencontre des
deux personnes. Ici on se retrouve dans la maison de Layale, le soir. Les parents, d’une
soixantaine d’années, et leur fils sont assis sur un canapé, devant la télé. La femme est en
train de s’aérer avec un petit ventilateur, le garçon picore dans un bol. Le père en pyjama,
qui paraît plus âgé que la femme, ne bouche pas d’un sourcil. Layale est assise à côté des
deux. Impatiente au point de se mordiller les doigts, elle vérifie son portable qu’elle tient
désespérément dans la main. Elle demande à son frère, Walid, d’aller l’appeler de l’entrée
pour vérifier son portable. Il répond qu’il n’a pas envie mais son père, toujours autant de
marbre, lui pousse la cuisse et la mère, idem, dit à son fils d’obéir à sa soeur. Le portable
marche. Layale regarde ses parents, elle se lève, sa mère lui demande où elle va. Elle
répond qu’elle revient. Layale, assise sur son lit, compose un numéro de téléphone. Elle
appelle Rabih, mais il ne l’entend. Au bon on entend la voix de sa femme, en bruit de fond qui
implore sa fille de parler à son papa. Layale recommence, ça sonne occupé. Elle balance
le téléphone sur sa table de chevet. Sa mère l’appelle, car les piles de son ventilateurs sont
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L'essor des réalisatrices libanaises
mortes, elle veut savoir si Layale en a d’autres. Layale, toujours assise sur son lit, lève les
yeux au ciel et soupire.
Extrait 14 : 51’47 – 52'40: Layale a passé la journée à chercher une chambre d’hôtel
pour l’anniversaire de Rabih. Une fois qu’elle l’a trouvée elle doit la nettoyer de fond en
comble car l’endroit est d’ordinaire réservé à d’autres activités. Elle a métamorphosé la
chambre en véritable chambre d’hôtel avec de la décoration, ballons, guirlandes, pour
l’occasion. Elle attend et attend Rabih mais celui-ci au bout de quelques temps lui envoie
un texto, alors qu’elle s’est endormie, pour la prévenir qu’il n’a pas pu échapper à sa
femme. Ses amies du salon viennent la consoler. Elle décrit comme elle se sent bête d’être
dépendante d’un coup de klaxon, à savoir, celui de Rabih, signe qu’ils peuvent se voir. Elle
avoue alors : « Je ne peux même pas regarder mes parents dans les yeux. Tellement j’ai
honte. Je reviens le soir : « Où étais-tu ? » « Au salon. » « On te marie quand ? » Que
veux-tu que je leur dise. »
Analyse : La relation avec la famille est ici à nouveau dénoncée. Ici on voit
particulièrement la pression que Layale ressent chez elle. Elle a peur du regard, du jugement
de ses parents. Chez elle n’ose pas parler au téléphone à Rabih, elle est obligée de se
cacher, de peur que ses parents ne l’entendent. Idem elle avoue ressentir de la honte. On
ne sait pas au début ce qu’elle pense de sa relation avec Rabih, mais on comprend au
moins qu’elle appréhende la réaction de sa famille et aussi dit-elle qu’elle joue double jeu
avec ses parents. Elle a honte de mentir cependant elle est obligée de mentir pour faire ce
qu’elle désire et ne pas choquer ses parents. Mais elle est obligée de le faire en catimini
pour que personne ne s’en rende compte.
Extrait 15 : 56’26 – 57'26 : Après que Nisrine rejoint le docteur pour discuter de son
opération à l’hôpital, on retrouve Rima, en train de masser, le temps d’un shampooing, les
cheveux mouillés de la femme inconnue, avec qui elle a auparavant échangé des regards
complices. La femme ferme les yeux puis regarde Rima qui a son casque sur les oreilles.
Elle lui demande ce qu’elle écoute. Rima enlève son casque car elle n’a pas entendu. La
femme ne lui répète pas sa question mais la complimente plutôt sur ses cheveux. Rima la
remercie et retourne le compliment mais ajoute : « ça vous irait bien le court. Vous avez un
beau visage. » La femme soupire : « Je voudrais bien. » Rima s’empresse de lui demander :
« On le fait maintenant ? » La femme fronce les sourcils puis met sa main sur sa bouche :
« Les couper ? Ça les rendrait fous, chez moi ! » Rima sourit avec elle. Nisrine l’appelle :
« Rima, y’a plus d’eau chaude ! Je fais quoi maintenant ? » Les deux femmes sourient.
Analyse : On voit à nouveau ici comment la pression des autres pèse sur le choix, le
libre-arbitre de l’inconnue quand Rima lui propose de lui couper les cheveux. Aussitôt elle
se sent honteuse, elle se demande ce qu’on penserait d’elle chez elle. Aussi le regard de sa
famille est une entrave à sa liberté. On peut se demander comment serait interprété le fait
d’avoir les cheveux courts. Dans le film, Rima est la seule jeune à avoir les cheveux courts,
et de fait la tendance est plutôt d’avoir les cheveux longs, on voit dans la rue dans A perfect
day que toutes les filles ont une longue tignasse. Le fait d’avoir les cheveux courts a-t-il une
connotation péjorative. En voyant Caramel on pourrait croire, et en soi c’est un cliché, que
cela est une marque d’homosexualité. Un sujet qui reste d’ailleurs tabou. Mais quand on
voit la réaction, la joie qui habite l’inconnue, après s’être coupée les cheveux, elle se soucie
peut-être de la réaction des siens néanmoins elle se sent libérée.
Extrait H : 44’20 – 45'25 : Malek rentre chez lui, le soir. Il fait nuit. Il s’empare de
l’enveloppe contenant les articles de journaux sur la disparition de son père et du pistolet
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Chapitre 2 : Parce que les réalisatrices libanaises mettent en scène de multiples réalités de leur
pays méconnus par les étrangers mais partagés par leurs compatriotes.
qu’il a récupéré de l’ancien bureau de son père. Au bout de la rue du lotissement, se trouvent
les trois hommes qui gardent l’entrée. Ils sont en train de jouer à un jeu avec des cailloux.
Malek arrive. L’un d’eux le salue et vient le voir lui faisant signe avec sa main contre la
bouche de lui donner une cigarette. Malek lui en donne une ainsi qu’aux deux autres. Le
dernier qu’il salue lui dit : « Arrête de faire souffrir ta mère. » Malek acquiesce de la tête.
Le premier l’interpelle et lui donne le service avec le thé que sa maman avait apporté, pour
qu’il le remonte chez lui. Les hommes reprennent leur jeu et Malek rentre chez lui.
Analyse : Précédemment dans la journée, la mère était venue servir du thé aux
'gardiens' du lotissement. Elle en avait profité pour regarder dans la rue. C’est vrai qu’à ce
moment le spectateur peut se demander si Claudia espère voir se garer la voiture de son
époux ou celle de son fils ou celles des deux. Mais les gardiens, eux, ne pensent qu’au
fils, car ils ne sont pas au courant de l’épisode du père. De fait quand Malek revient le soir,
les hommes lui font comprendre qu’il ne doit pas être ingrat envers sa mère mais plutôt la
respecter et surtout ne pas lui faire de mal. Ils insinuent qu’il la fait souffrir pour lui faire
comprendre qu’il ne doit pas être indigne envers sa mère, qu’elle ne le mérite pas.
Extrait I : 1’03’10 – 1'06'10 : Malek a retrouvé Zeina dans une des discothèques de la
rue Monot mais elle ne veut pas lui parler. Il est assis au milieu des danseurs. Il a posé son
téléphone sur la table. Au bout d’un moment il se met à vibrer, sa maman est en train de
l’appeler. Il pose son téléphone dans un verre et ne décroche pas. Il met sa tête entre ses
genoux. De l’autre côté du fil, au milieu du couloir dans la pénombre se trouve la mère de
Malek, pendue au téléphone, attendant que son fils décroche. Elle va voir à la fenêtre et
change de fenêtre. Elle s’assoit dans le canapé et allume la lumière. Elle entend des bruits
de pas à l’extérieur, s’immobilise. Elle retourne s’asseoir sur son lit, attend un moment puis
reprend le téléphone et rappelle Malek à nouveau. Malek s’est endormi au beau milieu des
danseurs et la musique très forte.
+ Extrait D
Analyse : On voit ici combien la maman cherche à être présente dans la vie de son fils,
et voudrait que son fils lui redonne l’appareil. Elle veut rester avec lui mais il ne veut pas,
il donne l’impression d’avoir besoin d’air et que sa mère l’étouffe. Certes il a envie de s’en
détacher mais on voit qu’elle impose une certaine pression dans sa vie. Il a beau laisser
son téléphone vibrer dans un verre, elle le traque quand même. On a l’impression qu’elle
veut retrouver dans son fils l’affection qu’elle ne reçoit pas de son mari disparu. Ce qui est
propre au Liban ici c’est que ce cas de figure doit être assez fréquent, dans la mesure où il
y a eu plus de 17 000 disparus pendant la guerre donc peut-être autant de veuves.
Aussi la famille, auprès des filles comme des garçons, reste un poids car les parents,
qui sont d’une autre génération, n’ont pas forcément grandi dans cette contemporanéité
d’individualisme.
- le respect de la religion
Extrait 16: 15’53 – 16'50: Séquence qui succède aux parlementations entre le militaire
et Bassam. On retrouve Bassam dans un bureau, assis sur une chaise contre le mur, en
présence de deux militaires. Celui qu’il a rencontré dans la rue est debout et l’autre est en
train d’écrire. Bassam a l’œil droit au beurre noir, une égratignure dans le coin de la bouche
et son nez ensanglanté. Le soldat présent dans la scène précédente a la joue droite enflée.
Le militaire assis retranscrit la plainte du militaire engagé dans l’affaire, on entend quelqu’un
la taper à la machine : « Le policier ayant donc insisté demandant… ». A ce moment,
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L'essor des réalisatrices libanaises
Bassam tourne la tête vers Nisrine. Nisrine est assise à l’extérieur de la pièce et à côté
d’elle se trouvent une dizaine de personnes assises également, alignées en rang d’oignon.
Pendant qu’on entend le soldat continuer : «… à plusieurs reprises au conducteur… »,
on voit Nisrine, énervée, fixer Bassam et secouer la tête. Derrière elle, tous les yeux des
personnes qui attendent sont tournés en direction de Bassam. Nisrine détourne le regard,
les autres aussi et font semblant de regarder autre part. Le soldat marque une pause et
demande : « Comment s’appelle-t-il, notre Roméo ? » L’autre soldat répond : « Bassam
Vantard. » Le soldat s’étonne ironiquement : « Vantard ! » Bassam a la chemise défaite, ses
mains sont accrochées derrière la chaise. Le militaire reprend sa dictée : «… de sortir du
véhicule… » Nisrine scrute Bassam, et lui fait un signe de tête sous-entendant « tu es fier de
toi, c’est malin, nous voilà dans de beaux draps, tu nous as fait la risée de tous. » Bassam
répond de même insinuant : « C’est bon, t’en mêle pas. C’est rien. » Le soldat demande à
son collègue frappé : « Qu’a-t-il répondu ? » Ce dernier reprend les paroles de Bassam :
« Même Dieu ne me fera pas sortir. » Il laisse un temps de suspend. Nisrine s’agace, elle
tourne la tête vers les autres, hochant la tête. La femme assise à côté de Nisrine se mord
les doigts. A ce moment le militaire interroge : « Allah ? », puis il s’appuie sur le dossier
de sa chaise en soupirant. Il reprend sa dictée : « Même Dieu ne me fera pas sortir du
véhicule… » La caméra est alors située au fond de la salle d’attente et la porte entre celle-ci
et la salle d’interrogatoire est ouverte. Un soldat surveille juste l’entrée. Le principal soldat
s’écrie : « Il est gonflé ! Tu sais qu’il y a ici de quoi t’envoyer en prison. Tu y entendras
sonner les cloches de l’enfer ! »
Analyse : Ici la pression du regard de l’autre se fait particulièrement sentir. Nisrine
et Bassam sont à une espèce de commissariat. A la droite et en face de Nisrine attend
une dizaine d’autres personnes. Les regards se rivent sur Bassam et Nisrine par la
même occasion, puisqu’ils se trouvent dans le même alignement. Nisrine se sent vraiment
humiliée. Dans les regards noirs qu’elle jette à Bassam, elle montre qu’elle lui en veut,
qu’elle lui en veut de lui infliger une telle honte car ils sont l’objet d’une humiliation publique.
Et encore plus quand le policier insiste sur le recours à Dieu, disant que Bassam est gonflé.
Il a blasphémé et on note bien que les autres trouvent cela honteux d’utiliser la région pour
provoquer l’autorité publique. La religion est un des piliers de la société libanaise. Sur sa
carte d’identité, on est autant chrétien maronite, druze, sunnite que Libanais. La religion
est un pilier de la société et il semble impensable sauf au risque d’être renié de la société
qu’elle soit utilisée pour jurer.
Extrait 17 : 1’04’54 – 1'05'30 : Une procession a lieu dans la rue alors qu’au salon
Youssef, le policier, est venu pour un soin, en remerciement du service qu’il avait rendu à
Nisrine et Bassam, en le libérant de sa punition. Layale le prend en charge. Elle commence
par les quelques sourcils au milieu du front. Puis au moment de lui faire la manucure, alors
que Layale cherche ses outils, Youssef s’arrête sur la main de Layale et la fixe. Layale
lève la tête puis esquisse un sourire. Puis Layale tourne la tête ainsi que Youssef, la porte
d’entrée du salon s’ouvre. Les prêtres avec les enfants entrent pour bénir le salon. Tout
le monde se lève, Layale et Youssef le font en étant très collés. Chacun se met face aux
prêtres et entonne une chant. On entend la voix de Rima. Youssef chante également, avec
beaucoup de sérieux : « A l’ombre de ta protection, nous nous réfugions, Sainte Marie. »
Layale, derrière Youssef, rigole en regardant ce dernier et essaie de se retenir. Il fait un
signe de croix, et elle sourit encore, en levant les yeux vers le policier. Puis on retrouve le
policier dehors, rasé, sans moustache, souriant.
Analyse : La religion, d’une autre manière, est présente ici. Voire omniprésente dans la
mesure où elle rythme la vie. Une procession a lieu. Tout le monde y participe, c’est comme
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Chapitre 2 : Parce que les réalisatrices libanaises mettent en scène de multiples réalités de leur
pays méconnus par les étrangers mais partagés par leurs compatriotes.
un rite populaire. Dans la rue comme dans une structure privée. Ici les prêtres et le convoi
entrent dans le salon et le bénissent en jetant des pétales en l’air. Et tout le monde se lève.
On voit que Layale sourit. En effet, Youssef, depuis qu’il est entré dans le salon, ne fait
que l’admirer or quand la procession entre, il fait comme les autres, se lève aussitôt pour
se mettre à chanter et prier, comme si les simples regards qu’il venait d’adresser à Layale
étaient péché. Or on voit bien qu’il est déstabilisé, comme si le plaisir était contradictoire
à la religion, pilier sacré.
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L'essor des réalisatrices libanaises
Conclusion
L’essor des réalisatrices libanaises, ces dernières années, est indéniable. Elles ne sont
pas forcément passées par des études de cinéma mais ont souvent décidé de passer
derrière la caméra par conviction et par besoin. Le fait d’être une femme est-il un atout dans
ce pays pour devenir réalisatrice ? Cette hypothèse est ici validée dans la mesure. Tout
d'abord les formations audiovisuelles se sont fortement développées après la guerre civile
et les statistiques de ces dernières années montrent que les filles sont les plus nombreuses
parmi les étudiants en cinéma. Contrairement aux filles, on a vu que les garçons reçoivent
une pression de la part de la société qui correspond plutôt à une attente de rentabilité. On
attend plus d’un homme qu’il fasse preuve d’une rentabilité immédiate qui lui permette de
nourrir sa famille et encore plus une sécurité à l’emploi. Ce que n'assure pas forcément le
métier de cinéaste. Pour les femmes, le métier de cinéaste s'apparente à une victoire. De
fait la caméra leur permet de s'exprimer, de sortir des poids et traditions qui les obligent
avant tout à se marier, à fonder une vie de famille. Et surtout avec la caméra, elles ont
une indépendance qu'elles n'auraient pas dans d'autres corps de métiers. Le fait d'être une
femme est un atout encore plus pertinent au Liban que dans les autres pays du monde
arabe car même si elles sont poursuivies par ces traditions, le caractère multiconfessionnel
fait qu'elles ne sont pas soumises à une seule loi, religieuse dans beaucoup des pays du
Moyen-Orient, mais peuvent exprimer plus librement une multitude de points de vue.
Quant au contenu de leurs films, et particulièrement ceux étudiés ici, force est de
constater que les femmes veulent battre en brèche les contraintes auxquelles la société
toute entière, et pas seulement les femmes, est soumise et qui empêchent l’individu de
s'affirmer pleinement. Même si les points de départ des films de chacune sont différents,
elles illustrent toutes ce manque d'identité au sein de leur société.
Cependant le succès de A perfect day auprès des jeunes surtout démontre bien que
la société est lente à s’adapter et a comme un blocage au changement. Il y a toujours
des réticents. Et au Liban, particulièrement ces deux pans de la société s’équilibre, en
témoignent le décalage et l'incompréhension entre traditions et modernité qui hantent
certains des personnages des films. Pour preuve lorsqu’un mouvement se crée et manifeste
pour aller de l’avant, deux jours après, un mouvement opposé défile pour rappeler la
population à ses traditions.
Aussi savoir si le contenu des films réalisés par ces réalisatrices vient justifier leur essor,
ça reste délicat. Pour Caramel, la réalisatrice a surtout montré les poids qui pèsent sur la
condition des femmes libanaises. Apparemment beaucoup de personnes se sont reconnues
à travers les personnages puisque le film a totalisé de nombreuses entrées pour un film
libanais, en comparaison avec les blockbusters américains, et a été diffusé au Liban avant
d'arriver en France. Ce n'est pas forcément le cas des autres films libanais. En dehors des
festivals, ils ne sont pas tellement diffusés dans les salles. Il est vrai que Caramel aborde
des problèmes de la société mais les effleurent surtout, l'histoire est plus romanesque, à
l'eau de rose. Mais quand on s'intéresse à des films plus "crus" qui par exemple mettent
beaucoup plus en avant le côté moderne du Liban, l'accueil est différent et la tranche d'âges
des spectateurs qui se sent concernée est nettement plus réduite.
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Conclusion
Les femmes ont beau vouloir s'exprimer et montrer ce qui les dérange dans la société
par l'intermédiaire de la caméra, il reste certaines représentations que la société ne semble
pas vouloir accepter.
Un constat que ce travail a révélé m'interpelle particulièrement. Le fait qu’il ne semble
pas exister de culture cinématographique. S’il fallait que je continue ce travail, je choisirais ce
point de vue, à savoir, étudier l’intérêt, le degré de sensibilité de la population pour la culture
et surtout ce que les Libanais entendent par culture. A voir que les cinémas indépendants
où les films libanais ont une chance d'être diffusés sont si peu nombreux en comparaison
avec les salles d'Empire et de Planète, on a l'impression que les Libanais négligent leur
patrimoine culturel. Il faudrait comprendre pourquoi ils sont moins attirés par leur propre
production. Je me souviens avoir vu, lorsque j'ai visité ce pays, des télévisions allumées un
peu partout, des familles passer leurs journées devant le petit écran, regardant et écoutant
des clips musicaux ou des émissions de télé-réalité à tue-tête. Il serait ici intéressant de
voir la fréquentation des salles de cinéma, des festivals, d'interroger sur les goûts de la
population, pourquoi ils préfèrent tels films à tels films, ce qu'ils pensent de la production
de leur pays, s'ils connaissent tout d'abord les films de leur pays et ce qu'ils pensent des
initiatives mises en place par le gouvernement et/ou des indépendants. C’est un travail qui
demande à être réalisé sur place bien sûr, mais il pourrait parfaitement faire l’objet d’un
autre mémoire, à réaliser lors d’un stage prochain !
Fontaine Aline - 2008
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L'essor des réalisatrices libanaises
Bibliographie
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Fontaine Aline - 2008
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Fontaine Aline - 2008
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L'essor des réalisatrices libanaises
Annexes
Annexe 1 : grille d'entretien :
Comme j'ai rencontré à la fois Joana et Khalil, j'ai adapté les questions au fur et à mesure.
Idem pour les questionnaires que j'ai envoyés aux autres réalisatrices, je l'ai adapté en
fonction des films réalisés.
Annexe 2 : Entretien Joana Hadjithomas et Khalil
Joreige, réalisé le 10 juin 2008, à Paris
A consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon
Annexe 3 : Interventions de Joana Hadjithomas, lors
de la caravane euro-arabe à Paris, le 9 mars 2008.
« Je travaille toujours avec Khalil Joreige donc mon travail est peut-être un peu différent de
celle des réalisatrices qui sont là aujourd'hui. En fait je voudrais d'abord raconter un petit
peu mon parcours. Moi je suis née dans une famille où j'étais le deuxième enfant et on
attendait un garçon. Et c'était un problème à ce moment-là parce que mon grand-père tenait
absolument à avoir un garçon. Mon père avait déjà eu une fille et il n'y a pas eu de garçon.
Donc j'ai toujours pensé cette idée-là que j'étais venue à la place d'un garçon et j'ai toujours
voulu défendre cette qualité de femme.
J'ai gardé mon nom par exemple, je me suis mariée jeune et je travaillais avec Khalil,
qui est mon mari, je n'ai jamais voulu prendre son nom pour des raisons justement qui font
partie de ce combat-là. Je suis une réalisatrice qui a ce nom-là et je fais très attention à ça
car je pense que les petits combats sont aussi importants que les grands. A l'université où
j'enseigne on me met toujours Joana Joreige et moi je change toujours. C'est un combat
que je mène depuis deux ans. Je barre toujours disant non c'est ça mon nom. Ce sont de
petites choses que je trouve très importantes parce que le Liban est un pays très contrasté.
On peut avoir énormément de liberté. Je n'ai pas senti dans mon parcours, quand
j'étudiais et grandi de véritables entraves à mon désir d'étudier la littérature, de faire des
films, à mon émancipation féminine, en apparence. Parce que de façon latente il y autre
chose qui apparaît et qui est ce que nous nous essayons de lutter contre. Il y a une loi
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Fontaine Aline - 2008
Annexes
éducative en même temps nous donne accès à l'enseignement, à l'université. En même
temps l'exemple qu'on nous donne n'est pas celui de la réussite professionnelle mais celui
de la réussite familiale. Il est très important de fonder une famille, d'avoir des enfants, ça
c'est d'abord quelque chose et ne pas faire partie de ces personnes-là c'est toujours un
handicap. C'est-à-dire que j'ai toujours senti que ma réussite professionnelle n'intéressait
ma famille que vraiment au second plan et que j'essayais de mettre en péril « ma réussite
familiale ».
Et moi ça m'a toujours donné envie dans mon enseignement d'expliquer pourquoi notre
établissement était très important au niveau professionnel. Les entraves qu'on a sont des
entraves de tous les jours et c'est vrai qu'il y a des grandes injustices dans nos pays à
chacune mais de façon très différente et qu'il faut lutter aussi contre un recul, dû parfois à
un fondamentalisme, mais c'est vrai qu'au quotidien, je trouve que des petites luttes sont
très très importantes aussi pour s'affirmer en tant que femme.
Moi dans mon expérience avec Khalil, quand on a commencé à travailler ensemble,
j'étais toujours considérée comme l'assistante, donc j'étais l'assistante de Khalil. Donc il a
fallu aussi oeuvrer pour s'imposer au risque parfois de se faire traitée agressive. Voilà on
m'a toujours dit « t'es trop forte » parce que tout simplement je voulais une vraie égalité
avec mon partenaire de travail. Je pense que ça ce sont des chose très importantes qui se
gagnent progressivement aussi.
On se faisait la remarque tout à l'heure avec Houda que au Liban il y a autant, voire
plus de réalisatrices que de réalisateurs et que ça veut dire quelque chose aussi sur notre
société. Parce que justement ce qui est difficile quand on parle de la femme libanaise c'est
qu'on ne peut parler que des femmes libanaises car les exemples sont très divers. Si tout
à coup on part dans une situation extrême, elle représenterait très peu le pays. Donc il faut
toujours faire très attention à l'image qu'on donne de cette femme-là car c'est une femme
très contrastée. Et moi justement en tant que réalisatrice, je veux parler de ce qu'elle doit
vivre par rapport à sa société mais en même temps on ne peut pas prétendre jamais pouvoir
montrer la femme libanaise et je fais aussi très attention quand je fais mes films à mes
personnages féminins parce que je n'aimerais pas non plus qu'ils soient récupérés par
rapport à une certaine idée plus générale, plus cliché qu'on se fait de la femme arabe. Parce
que ces personnages-là sont des personnages qui justement représentent une société
libanaise très contrastée. Donc il faut un peu naviguer entre tout ça, ne pas faire trop le jeu
d'un certain regard occidental, en même temps défendre certaines fins, certaines ambitions
féminines en tout cas, ce serait tout à fait légitime et dénoncer la situation. Par rapport à ça
c'est toujours un peu complexe. Mais voilà c'est ce qu'on essaie de faire dans nos travaux. »
« On peut dire qu'il y a plusieurs genres de censure. Il y a d'abord chez nous une
censure officielle, c'est-à-dire que quand on écrit un scénario, avant de tourner on le
présente à la Sûreté Générale parce que la censure en dépend. Et sur ce scénario on est
censuré, c'est-à-dire que s'il y a des choses qui ne vont pas il y a des avertissements qui
sont posés. C'est ce que nous on a eu par exemple pour le scénario de « A perfect day »
et cette censure pouvait aller de, il y avait une scène d'embrassade assez chaude, disons,
jusqu'au fait que j'avais écrit dans le scénario avec Khalil, qu'il y a des femmes habillées
avec des vêtements armées, c'était à la mode à l'époque, on s'habillait beaucoup en treillis
tout ça et par contre j'ai eu un avertissement là-dessus parce que ça faisait comme si je me
moquais de l'armée. Et si tous ces avertissements se retrouvent dans le film au tournage,
on peut couper ces moments- là. Donc il y a ces choses-là, une censure réelle. Tout doit être
écrit, montré, il y a des choses qui passent et des choses qui passent pas. Etonnamment
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L'essor des réalisatrices libanaises
par contre le film « A perfect day » n'a pas été du tout censuré alors qu'il y a des scènes
assez intenses.
Mais un autre genre de censure c'est qu'il a été très difficile de trouver une actrice pour
jouer ce rôle-là. La société libanaise est petite, où les gens se connaissent en général et pour
les actrices ce n'est pas toujours facile. C'est-à-dire que quand elles acceptent des rôles,
où elles montrent une partie de leur corps ou quand elles sont prises dans des situations
ou scènes sexuelles un peu fortes qui dépassent le simple bisou, elles peuvent avoir des
problèmes, parce que les gens leur font une réflexion. Ça peut être le portier, le cafetier ou
les parents ou enfin. Moi j'ai eu beaucoup de problèmes avec beaucoup de comédiennes
par rapport à ça et il n'est pas question non plus de piéger . Ça a été un très long casting
pour trouver quelqu'un qui accepte ce rôle-là. On travaille beaucoup sur l'improvisation, très
souvent avec les comédiens et je ne savais pas jusqu'où on allait aller donc il fallait une
certaine liberté par rapport à ça. Et le problème de faire des films où il y a des films comme
ça c'est que c'est pas très facile à montrer dans certains festivals ou sur certaines télévisions
arabes. Voilà ce n'est pas encore vendu aux télévisions arabes mais je ne désespère pas
car il n'est pas question non plus de couper.
Il y a ce genre de censures, qui sont des censures effectives, bien sûr il y a aussi des
censures psychologiques, qui sont de plusieurs ordres. Premier ordre de censure quand
on écrit un film c'est que nous on n'est pas là pour caresser les choses dans le sens du
poil, mais on est là pour dénoncer certaines choses dans notre société et le public parfois
et disons les producteurs – les financiers privés car au Liban c'est surtout aux privés qu'on
demande – nous disent : « oui mais ça ne va pas donner une bonne image du Liban ». Donc
ça aussi c'est un gros problème. Nous sommes supposés faire des films joyeux, colorés, qui
poussent au tourisme. Alors que ceux qui connaissent le Liban savent qu'au Liban, c'est un
pays formidable mais qu'il y a quand même beaucoup beaucoup de problèmes, et nous on
est là pour mettre le doigt sur ce qui fait un peu mal et ça c'est très difficile. Je me souviens de
beaucoup de recherche de sponsors où les gens disaient : « oui mais il faut que tu changes
la fin parce que là c'est pas possible ou ce personnage est négatif ». Voilà ils voulaient
faire une intervention dans le scénario pour que l'image soit positive. Et pareil, le public dit
aussi, c'est pas représentatif. Donc il y a tout un ensemble de choses à gérer par rapport à
une bonne image que le cinéma est supposé donner or nous nous ne sommes pas censés
faire des films-carte postale, mais des films pour parler de notre société, réfléchir sur les
problèmes qui nous agitent.
Et puis la question qui me perturbe beaucoup c'est quelle influence ces films peuvent
avoir d'une façon ou d'une autre sur les sociétés qu'on a. Moi je n'ai pas fait d'études de
cinéma. Je suis venue au cinéma par réel besoin de faire des choses après la guerre civile
parce qu'aussi je me disais c'est pas du tout réglé cette histoire. Dire que c'est fini non, il reste
encore énormément de problèmes, ces problèmes j'avais tellement peur qu'il y ait quelque
chose qui se passe de nouveau que j'ai commencé à faire des travaux artistiques avec
Khalil. Le cinéma c'était pas notre ambition à la base mais c'était pour essayer d'éveiller, en
tout cas de poser les questions qui nous perturbaient énormément. Donc justement notre
but est d'aller contre les censures mais la question centrale est d'aller contre tout en restant
en contact avec la société à laquelle on s'adresse et qui est la nôtre à la base. »
« Je sais que tout le monde est très pessimiste, et moi-même. En même temps quand
on fait des films, notre premier désir c'est évidemment de parler à la société, de dire ce qui
ne va pas, de dénoncer mais c'est aussi de trouver un public, un spectateur, je dirais moi
plutôt qu'un public, des gens qui dans les salles viennent voir les films et comprennent que
ce sont des situations où la nuance est très importante, il faut qu'on continue à mettre de
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Annexes
la nuance dans nos films, à dire qu'il y a cette réalité, il y a une autre réalité aussi. Voilà
les Arabes, ce n'est pas « ça », il n'y a pas quelque chose qui s'appelle les arabes, il y
a les individus qui se battent à chaque fois pour des raisons différentes et comment. Ça
c'est très très important, ça me motive énormément pour travailler. En me disant à chaque
fois je vais essayer de montrer une image différente, de produire des images qui ne sont
pas celles que l'on voit sur les télévisions, de produire des images qui sont peut-être pas
spectaculaires mais qui peuvent donner une nuance différente des visages qu'on a un peu
trop tendance à amalgamer. »
Annexe 4 : Tableau des réalisatrices du monde arabe
A consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon
Résumé
THE HAYDAY OF LEBANESE WOMEN FILMAKERS
As a film alcoholic and a person extremely interesting in the Arab world, when Caramel
got on in the French movie theatres, I couldn’t help rushing into a theatre. Another film was
on at the same time (September 2007) The lost man, by Danielle Arbid. When I noticed that
there was only films made by women, in a country of an area rather know for being quite
sectarian concerning the fair sex, I decided to deepen the subject. Lebanon is the country
which produces the most numerous women directors in the Arab world. Therefore my essay
deals with the boom of Lebanese women filmakers and especially aims at explaining this
fact. First of all, I made an overview of the Lebanese film activity so as to understand where
women stand in this field. Then I enquired whether being a women is an asset to succeed in
the film industry in Lebanon, compared to other Arab countries. And to put it more concretely,
I tried to study extracts of their films to see how they are in line with the Lebanese society.
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