Expérience nostalgique et stabilité des souvenirs
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Expérience nostalgique et stabilité des souvenirs
Session 14 - 1 Expérience nostalgique et stabilité des souvenirs : Une analyse longitudinale Aurélie KESSOUS Professeur assistant INSEEC Business Schools Chercheur affilié CERGAM (EA 4225) [email protected] 21, rue Alsace-Lorraine 69001 LYON Résumé : L’objet de cet article est d’étudier la stabilité des souvenirs associés aux éléments de l’expérience nostalgique : moments, individus, objets/marques. Deux collectes de données ont ainsi été réalisées, à onze mois d’intervalle, auprès du même échantillon de répondants (T1 : juillet-août 2005 ; T2 : juin-juillet 2006). Une analyse lexicale comparative de leur discours souligne la permanence des souvenirs et l'ancrage des produits et des marques, évocatrices de nostalgie, dans leur construction identitaire. Elle met par ailleurs en évidence, les principales caractéristiques des éléments de l’expérience nostalgique. Abstract : The aim of this article is to consider the stability of memories associated with elements of nostalgic experience: times, people, objects/brands. Two data collection have been performed, within eleven months, from the same sample of respondents (T1: July-August 2005; T2: JuneJuly 2006). A lexical analysis of their discourse underlines the permanence of memories and the anchorage of products and evokes brand nostalgia, through the construction of participants’ identity. It also highlights the main characteristics of the of nostalgic experience elements. Session 14 - 2 Expérience nostalgique et stabilité des souvenirs : une analyse longitudinale La nostalgie est aujourd’hui un concept marketing à la mode. Quel que soit le secteur concerné, les marques sont au rendez-vous et ce marché s’organise. Des agences de publicité se développent dans ce domaine, comme « Family & Compagnie », spécialisée dans la création de liens entre les marques et les familles. Bien plus, du design à la distribution, le phénomène touche l’ensemble du mix-marketing (Robert-Demontrond et Boulbry, 2003). Dans le domaine vestimentaire par exemple, American Retro met l’accent sur le vintage. Dans le secteur de la décoration d’intérieur, l’enseigne Comptoir de Famille rappelle que « l’on a tous en nous des émotions oubliées. Il suffit d’un objet pour les retrouver ». Des campagnes publicitaires font également appel à des icônes intemporelles. Marilyn Monroe et John Lennon assurent la promotion de la DS3, via une posture « Anti-rétro » qui encourage à vivre pleinement la modernité sans pour autant oublier son histoire. Des marques surfent aussi, sur la « vague transgénérationnelle ». Certaines, pour élargir leur cible, comme Vilebrequin qui étend sa gamme adulte auprès des 2-12 ans. D’autres, pour renforcer leur image de qualité et de pérennité, comme Absorba qui en l’honneur de ses 60 ans, lance une collection vintage et ressort ses vêtements phares pour bébés (3 à 18 mois), enfants (2 à 8 ans) et mamans (en S, M, L). Enfin, quelques points de vente jouent la carte de la nostalgie. Tel est notamment le cas des enseignes « Résonances », dont l’offre produits se réfère aux patrimoines, métiers et traditions d’antan. Mais si pour les praticiens, la nostalgie apparaît comme un facteur de réussite, peu d’études ont examiné en profondeur ce concept (Robert-Demontrond, 2002). Seules, deux types de recherches ont jusqu’ici été conduites : - Celles qui se sont intéressées à ses antécédents (Holbrook, 1990, 1993 ; Holbrook et Schindler, 1989, 1994, 1996, 2003 ; Loveland, Smeesters et Mandel, 2010 ; Wildschut et alii, 2006), à ses conséquences sur les relations des consommateurs aux marques (Kessous et Roux, 2010) et à ses évocations affectives (Vignolles et Bonnefont, 2007) - Et celles qui se sont attachées à sa mesure avec différents champs d’application (Boulbry, 2003 ; Perrusson, 2003 ; Vignolles, 2009). Aucune étude ne s’est néanmoins, penchée sur la question de l’exactitude des souvenirs qui lui sont associés. Or, si la véracité de certains faits peut être établie à partir d’éléments objectifs (ex : l’âge, une date), plusieurs facteurs peuvent affecter la fiabilité d’une étude sur la nostalgie : la durée substantielle séparant un événement et son rappel (Berscheid, 1994), « l’amnésie de l’enfance » (Wetzler et Sweeney, 1986), la rationalisation a posteriori (Forgues et Vandangeon-Derumez, 2003) ou la transformation du système cognitif avec l’âge (Guiot, 2006 ; Rubin, Wetzler et Nebes, 1986 ; Schwarz, 2003). C’est pourquoi, l’objet de cet article est d’étudier la stabilité des souvenirs liés aux éléments de l’expérience nostalgique : moments, individus, objets/marques. Pour ce faire, une analyse lexicale compare le discours d’un même échantillon de répondants, interrogés deux fois, à onze mois d’intervalle. Outre la stabilité du récit, elle souligne l’intérêt des marques à utiliser la nostalgie pour favoriser des associations positives et influencer durablement les souvenirs des consommateurs. Session 14 - 3 Ainsi, nous exposons tout d’abord, le concept de nostalgie et les problèmes de fiabilité de son étude. Nous présentons ensuite, les choix méthodologiques engagés. Nous aboutissons enfin aux résultats de notre recherche. 1. LA NOSTALGIE : CONCEPT ET CARACTERISTIQUES 1.1 Nostalgie : approche pluridisciplinaire du concept Découverte par la médecine au XVIIème siècle, la nostalgie est présentée comme la pathologie des sujets éloignés physiquement de leur pays (nostos = retour ; algos= douleur). On lui attribue des symptômes mentaux (déambulation, insomnies, pensée obstinante d’un retour au pays natal) puis physiques (pertes d’appétit, palpitations cardiaques, angoisses) qui correspondent, selon Hofer (1688), à « un égarement dans la tristesse ». Pour la première fois, on reconnait les effets du mental sur le corps : la nostalgie marque donc une rupture avec la doctrine médicale traditionnelle (Martin, 1954). Parallèlement au courant médical, les grands philosophes du XVIIIème siècle, Rousseau et Kant, offrent les prémices d’une définition moderne de la nostalgie. Selon eux, ce n’est pas l’espace mais le temps qui en est la cause : l’objet du regret n’est pas le pays ou le domicile mais « la quête du temps perdu » (Proust, 1913). Ce terme emprunt de scientificité se diffuse à partir du XXème siècle, dans le langage populaire. La nostalgie s’inscrit dans un processus de « dépsychologisation » et devient l’explication de certains phénomènes sociologiques (Davis, 1979). L’accroissement de la mobilité géographique met définitivement un terme, aux interprétations fondées sur le mal du pays. La nostalgie est alors présentée comme le moyen de conserver son identité face aux transitions majeures du cycle de vie. Enfin, la psychologie appréhende la nostalgie selon deux perspectives temporelles distinctes. La première, se fonde sur le rapport des individus au présent et entend la nostalgie comme une inadaptation à l’environnement (Rose, 1948). La seconde, repose sur leur relation au futur et voit la nostalgie comme une angoisse de l’avenir (Nawas et Platt, 1965). Ce n’est qu’en 1989, à l’initiative de Holbrook et Schindler, que la nostalgie fait l’objet de recherches en marketing. Plusieurs travaux ont alors cherché à définir ce concept entendu tour à tour comme : une évocation (Davis, 1979), une humeur (Belk, 1990), une préférence (Holbrook et Schindler, 1991), une émotion (Bellelli, 1991), un état (Stern, 1992), un désir (Baker et Kennedy, 1994 ; Sierra et McQuitty, 2007) ou plus généralement comme une réaction affective (Divard et Robert-Demontrond, 1997). Nous nous inscrivons dans le cadre de cette dernière référence car elle insiste sur les caractéristiques affectives et cognitives de la nostalgie : "La nostalgie est une réaction affective douce-amère, éventuellement associée à une activité cognitive, et qui est éprouvée par un individu lorsqu’un stimulus externe ou interne a pour effet de le transposer dans une période ou un événement issu d’un passé idéalisé, s’inscrivant ou non dans son propre vécu " (Divard et Robert-Demontrond, 1997). Session 14 - 4 1.2 Les caractéristiques de la nostalgie La nostalgie comme réaction affective L’affect est au sens de Lazarus (1981), un état impliquant des sensations de plaisirdéplaisir ou encore associé au registre agréable-désagréable. De son côté, la nostalgie est un concept ambigu (Robert-Demontrond, 2002), tantôt qualifié « d’émotion douce-amère », (inclination statique) (Divard et Robert-Demontrond, 1997; Havlena et Holak, 1991; Baker et Kennedy, 1994), tantôt considéré comme un phénomène exclusivement morbide ou heureux (inclination dynamique) (Bellelli, 1991). L’INCLINATION STATIQUE suppose que les états positifs et négatifs de la nostalgie coexistent simultanément (Robert-Demontrond, 2002). La dimension positive relève du rappel d’événements passés, idéalisés avec le temps (Havlena et Holak, 1991; Hirsch, 1992) et de « l’ipséité », cette part subjective de l’identité personnelle (Ricoeur, 1990). La dimension négative se réfère à l’irréversibilité du temps qui passe (Hirsch, 1992) et à « l’altérité », cette transformation irrémédiable des choses (Robert-Demontrond, 2002, p. 22). De son côté, L’INCLINATION DYNAMIQUE rend compte des déséquilibres affectifs que la nostalgie implique, étant vécue soit comme un phénomène heureux, soit comme un phénomène morbide (Robert-Demontrond, 2002). Elle renvoie ainsi à deux formes de nostalgie (Bellelli, 1991; Boulbry, 2003) : la nostalgie de type mémoire, dont le caractère positif tient à la possibilité de retrouver mentalement un objet absent et la nostalgie de type désir, dont l’aspect négatif relève de l’incapacité d’atteindre physiquement un objet aimé. La nostalgie peut donc être subie (le sujet est dans l’impossibilité de s’en dégager) ou désirée (le sujet convoque volontairement ses souvenirs) (Robert-Demontrond, 2002). Etant parfois assimilée à « la quête du bonheur d’être triste » (Greimas, 2002, p.598), elle se dote d’une activité cognitive importante. La nostalgie comme réaction cognitive La cognition a trait à la perception, au traitement et à l’acquisition de l’information. Deux raisons justifient sa mise en relation avec la nostalgie. D’une part, la nostalgie repose sur un processus de reconstruction mémorielle, qui tend à idéaliser les souvenirs a posteriori. D’autre part, elle juxtapose des souvenirs personnels et collectifs et se réfère ainsi, à différentes formes de mémoire : individuelle, collective et historique (Halbwachs, 1950). LE PROCESSUS DE RECONSTRUCTION MEMORIELLE repose sur deux types d’informations : celles qui sont issues de la mémoire active (mémoire permettant la réflexion intellectuelle quotidienne) et celles qui sont liées à la mémoire passive (mémoire regroupant les vieux souvenirs) (Sperber, 1974). Les informations sensori-motrices étant une source primordiale dans le contrôle de la pensée (Glenberg, 1997), ce processus se déclenche lorsqu’une nouvelle information se présente. Il l’assimile d’abord à la mémoire active puis la stocke ensuite, dans la mémoire passive (Sperber, 1974). Session 14 - 5 La nostalgie répond à ce type de mécanisme (Braun-La Tour et alii, 2004). Elle se manifeste via un transfert émotionnel sur des « objets-souvenirs », des stimuli, qui vont faire « remonter à la surface » les données de la mémoire passive. Les souvenirs auxquels elle se réfère sont rappelés au présent et ne correspondent donc pas à une reproduction identique du passé (Hirsch, 1992). Au-delà des défaillances mémorielles imposées par le vieillissement, la nostalgie tend à filtrer les aspects négatifs des événements (Hirsch, 1992). Elle se rapproche en ce sens, de la mémoire écran (Fenichel, 1927 ; Hirsch, 1992), permettant de s’abstraire de la réalité douloureuse du présent et d’idéaliser le passé via la pensée (Kaplan, 1987). Divard et Robert-Demontrond (1997, p.47) rappellent à cet effet que, le regard nostalgique est informatif (sélectif des faits selon l’idée a priori de ce que fut le passé), transformatif (changeant le contenu sémantique des événements passés) et créatif (inventant des événements). Il traduit non pas un décalage entre les évaluations des situations actuelles et passées, mais un écart entre les évaluations des représentations de ces situations par « enjolivation ». La distinction entre LES DIFFERENTS TYPES DE MEMOIRE est également importante car elle met en évidence des niveaux de nostalgie distincts (Baker et Kennedy, 1994 ; Havlena et Holak, 1996). Longtemps, la mémoire a été envisagée sous un angle purement individuel : « on détachait l’individu de la société », pour comprendre ses opérations mentales. Néanmoins, il est courant de replacer ses souvenirs dans un espace et dans un temps dont les divisions, les dates et faits marquants sont identiques à ceux des autres groupes. C’est ce que Bergson (1896) nomme « une reconnaissance par image ». De cette observation est née la distinction entre « mémoire individuelle » et « mémoire collective ». La mémoire collective est le propre d’un ensemble de personnes, relativement permanent et ne correspond pas à la simple somme des mémoires individuelles (Halbwachs, 1950). Ces deux formes de mémoire ne s’opposent pas mais s’enrichissent et se complètent. Elles dépendent toutes deux « des cadres sociaux » - langage, espace et temps - indispensables à la reconstruction du passé (Halbwachs, 1950). Mémoire collective et mémoire historique se distinguent également sur deux points : la conception du temps (continue vs discontinue) et la dimensionnalité (unique vs multiple) (Halbwachs, 1950). D’une part, la mémoire collective est un courant de pensée continue qui ne retient du passé que des préoccupations communes et partagées, par l’ensemble du groupe. A l’inverse, la mémoire historique est discontinue. Elle divise les siècles en périodes, sélectionne puis juxtapose des faits selon leur importance, sans qu’ils aient nécessairement de significations entre eux. D’autre part, si l’Histoire est unique, tel n’est pas le cas de la mémoire collective qui est multiple. Elle se construit au fil du temps, via le récit des différentes générations et se rapproche en ce sens, de la notion d’héritage (Ramshaw et Gammon, 2005). Elle emprunte à l’histoire des éléments d’étude, mais ne cherche pas à savoir ce qui s’est réellement passé. Les travaux sur la nostalgie ont très tôt opposé, nostalgie individuelle et collective ou encore, directe et indirecte (Havlena et Holak, 1991). De cette distinction sont nées les premières typologies des niveaux de nostalgie (Baker et Kennedy, 1994 ; Havlena et Holak, 1996). Celle de Baker et Kennedy (1994) distingue : - La nostalgie réelle qui repose sur une expérience personnelle, un vécu, et qui est suscitée par des stimuli « authentiques » (Belk, 1990) (ex : une chanson de l’époque du lycée, une photographie d’enfance…) ; Session 14 - 6 - La nostalgie simulée, liée à une époque antérieure la naissance et transmise via le récit des personnes qui en sont natives ; La nostalgie collective qui relève des éléments symboliques d’une nation, d’une génération ou d’une culture (ex : parcs à thème, drapeau national…). La typologie de Havlena et Holak (1996) croise les aspects direct vs indirect et individuel vs collectif, de la nostalgie. Elle reprend sous différentes appellations (nostalgie personnelle, interpersonnelle et virtuelle), les types de nostalgie de Baker et Kennedy (1994) et intègre la nostalgie culturelle, nostalgie d’un vécu culturel commun (cf. : Tableau 1). AUTEURS EXPERIENCE DIRECTE EXPERIENCE INDIRECTE Havlena et Holak (1996) Baker et Kennedy (1994) Havlena et Holak (1996) Baker et Kennedy (1994) EXPERIENCE INDIVIDUELLE EXPERIENCE Nostalgie personnelle Nostalgie culturelle COLLECTIVE Nostalgie réelle Nostalgie interpersonnelle Nostalgie simulée X Nostalgie virtuelle Nostalgie collective Tableau 1. Les différents niveaux de nostalgie 2. LES CHOIX METHODOLOGIQUES La fiabilité des recherches sur la nostalgie est questionnée (Golden, 1992; Dex, 1994) et dépend étroitement de l’instrument de recueil utilisé (Miller, Cardinal et Glick, 1997). Afin de minimiser les biais inhérents à ce type d’étude, la littérature préconise plusieurs méthodes comme : - Le renouvellement des entretiens ; - La répétition des mêmes questions à différents moments de l’interview ; - La mise en place d’enquêtes indépendantes durant lesquelles des questions similaires, mais non identiques sont posées ; - La méthode des relevés visant à comparer les déclarations des individus à leur comportement ; - La corrélation des segments temporels (Dex, 1994). Dans le cadre de notre recherche, nous avons choisi « le renouvellement des entretiens », auprès du même échantillon. Nous avons ainsi, interrogé les mêmes personnes à onze mois d’intervalle (T1 : juillet-août 2005 ; T2 : juin-juillet 2006). Nous avons ensuite suivi les recommandations de Yin (1994), qui portent certes sur des études de cas, en recoupant les informations issues des deux collectes. Des analyses lexicales comparatives du discours des répondants, ont enfin été conduites entre les différents recueils. Même si le souvenir relaté n’est qu’un fragment d’existence, le fait d’en reparler suppose qu'il ait une certaine importance pour l’individu et révèle une incidence sur ses comportements de consommation. Session 14 - 7 Dans les sous-sections suivantes, nous exposons plus en avant la procédure de recueil des données (§.2.1) et la méthode d’analyse utilisées (§.2.2). 2.1 La procédure de recueil des données La phase de terrain de cette étude s'est déroulée en deux vagues d’entretiens, sur une période de onze mois. La première collecte de données comprend vingt entretiens individuels, menés auprès de répondants de profils différenciés. Afin de satisfaire les critères de représentativité habituels, nous avons retenu quatre classes d’âges distincts (de 20 à plus de 50 ans), une proportion d'hommes équivalente à celle de femmes et des CSP variées. Les entretiens se sont déroulés du 17 Juillet au 15 Août 2005 (T1) à Marseille, au domicile des interrogés ou sur leur lieu de travail. Ils ont été conduits à partir d’un guide d’entretien (Annexe A1), listant un certain nombre de thèmes à aborder (Evrard, Pras, Roux, 2003) et ont duré en moyenne une heure. Afin de ne pas orienter leurs réponses, la consigne de départ ne mentionne pas le terme « nostalgie » : « Pouvez-vous me citer des produits et/ou des marques liés (ées) à des bons moments de votre vie ? ». Deux difficultés principales ont été rencontrées lors de leur déroulement. La première, tient à la légitimation du sujet auprès des répondants. Associer des marques à des instants agréables, peut avoir une connotation péjorative, synonyme de matérialisme. Lorsque tel était le cas, nous omettions les termes « marque » et « produit » et recentrions la consigne sur les « bons moments de la vie ». Ceci a progressivement modifié l’atmosphère des entretiens, faisant passer les individus d’une attitude défensive à empathique et les incitant à raconter des histoires autour de marques et d’objets. La seconde difficulté, tient à la grande sensibilité des thèmes abordés. Une attention particulière a été portée aux éléments non verbaux comme les oscillations de la voix, les tremblements des mains, la multiplication des soupirs ou les changements d’expressions physiques. L’observation de ces signes, a systématiquement conduit l’enquêteur à relancer sur des anecdotes heureuses du passé. En dépit des vigilances apportées, bon nombre de répondantes se sont mises à pleurer et ont demandé l’interruption momentanée des interviews. Dans la seconde collecte de données, seize personnes ont pu être réinterrogées, du 1 er Juin au 15 Juillet 2006. Quatre individus ont disparu de l'échantillon en T2: Patrick et Francis ont déménagé dans le Nord de la France, Christophe a refusé de consacrer plus de temps à l'étude et Adriana était en vacances à l'étranger (Tableau 2). Afin de solliciter la mémoire autobiographique des interviewés, nous avons utilisé une technique projective et présenté des photographies des produits ou des marques qualifiés(es) de « nostalgiques » en T1. La consigne était cette fois de raconter spontanément les souvenirs associés à l’image présentée. Lors des deux collectes de données, les principes de non directivité ont été respectés, impliquant une attitude positive et empathique vis-à-vis de l’interviewé(e). Les deux séries d’entretiens, ont été enregistrées et intégralement retranscrites pour ensuite, faire l’objet d’une analyse de contenu thématique et lexicale. La méthode d’analyse est détaillée dans la soussection suivante. Session 14 - 8 Classe d’âge [20-30] [31-40] [41-50] [51 et + [ 2005 Prénom Pascale Eddy Chloé Sandy Michaël Nathalie Christophe Bréchard Adriana Aurore Chantal Annie Michel Yves Franck Sophie Patrick Christian Eliane Francis 2006 Age 22 24 24 24 25 39 33 31 37 32 44 43 44 49 45 52 53 57 66 53 Prénom Pascale Eddy Chloé Sandy Michaël Nathalie Bréchard Aurore Chantal Annie Michel Yves Franck Sophie Christian Eliane Genre Age 23 25 25 25 26 40 NA 31 NA 33 45 44 45 50 46 53 NA 57 66 NA F H F F H F M F F F M M M F M F Tableau 2. Evolution de la structure de l’échantillon entre T1 et T2 2.2 La méthode d’analyse Le corpus étudié correspond à la retranscription intégrale des entretiens conduits en T1 et en T2, ce qui équivaut à deux recueils d’interviews, de plus de trois cents pages chacun. Pour trier, regrouper et comparer l’information qui en était issue, nous avons mené une Analyse de Données Textuelles automatisées (ADT), via le logiciel Sphinx Lexica. L’ADT permet de décomposer le texte en unités d’analyse (mots, groupes de mots et propositions) et de le lemmatiser. Des indicateurs statistiques (taille, richesse, répétition moyenne) sont également calculés, pour approximer la totalité du corpus (Helme-Guizon et Gavard-Perret, 2004). Afin d’appréhender la stabilité du récit des interrogés, nous avons suivi une analyse lexicale comparative de celui-ci, entre les deux vagues d’entretiens. 3. L’ETUDE DE LA STABILITE DES SOUVENIRS ENTRE LES DEUX COLLECTES DE DONNEES Nous étudions ici la stabilité des souvenirs associés aux éléments de l’expérience nostalgique : 1- moments, 2- individus et 3- objets. Session 14 - 9 3.1 Les moments sources de nostalgie Les moments sources de nostalgie ont tantôt un caractère habituel et banal (ex : nostalgie des petits-déjeuners en famille), tantôt un caractère occasionnel et unique (ex : nostalgie du premier amour). Les verbatim ci-dessous mettent en évidence deux conceptions temporelles distinctes, « continue » et « discontinue», et illustrent la stabilité du discours des répondants. MOMENTS CONTINUS Petit-déjeuner – Banania « Un produit essentiel de mon enfance, c’est le Banania. J’ai grandi seule avec mon père et le matin avant de partir travailler, il était ouvrier, il se levait très tôt, il préparait mon petit déjeuner. Il travaillait très dur et rentrait tard le soir. Il privilégiait le petit déjeuner, un petit moment de tendresse ». (Aurore, 32 ans, 2005) « Ah…Banania…que de bons souvenirs avec mon papa! Tous les matins, il me préparait mon petit-déjeuner. Je n’avais pas la chance comme les autres enfants de passer beaucoup de temps avec lui car il était ouvrier… Il a toujours essayé de compenser l’absence de ma mère à sa manière… » (Aurore, 33 ans, 2006) Enfance – Malabar « Le malabar c’est le chewing-gum de mon enfance. Dès que j’avais les centimes nécessaires, je me précipitais pour en acheter, je le gardais, je le mâchouillais, je le récupérais dans son papier, je le remâchouillais, je respirais le papier pour avoir l’odeur le plus longtemps possible dans les narines ». (Annie, 43 ans, 2005) « Encore aujourd’hui, quand j’ai un malabar, j’ai toujours le réflexe de le sentir et ça réveille des souvenirs d’enfance. Je sens le papier et j’ai l’impression que ce parfum est immortel, il ne part jamais, il ne s’évapore jamais et le papier a toujours l’odeur. Le malabar, c’est l’odeur de mon enfance». ». (Annie, 44 ans, 2006) MOMENTS DISCONTINUS Perte d’un être cher – Parfum « Mon père, le pauvre avant de mourir, a « C’était vraiment quelque chose de commandé une bouteille de parfum, Fleur spéciale quand mon père offrait Fleur de de Rocaille de Caron. C’était pour la fête Rocaille à ma mère […] Fleur de Rocaille des mères. Il est décédé quelques mois me rappelle mon père qui est aujourd’hui après. Cette bouteille est restée longtemps décédé mais ce parfum était offert durant dans la salle de bain de ma mère, en dans des moments heureux, pas dans la souvenir de…C’était son premier parfum, peine, pendant des moments privilégiés ». elle l’a toujours gardé ». (Chantal, 44 ans, (Chantal, 45 ans, 2006) 2005). Premier emploi – Véhicule « Ma première voiture, c’était mon premier salaire, c’était une 2CV. Je ne l’avais pas payée très cher car je ne gagnais pas très « Ca c’est mes dix-huit ans, c’est ce que j’ai vécu avec ma première voiture, une 2CV. Devant j’avais mis pleins Session 14 - 10 bien ma vie, mais elle me plaisait beaucoup. Comme elle était très, très ancienne, je l’avais maquillée avec des autocollants, des yeux, un nez, une bouche que j’avais mis sur le capot et on aurait dit une personne ». (Sophie, 52 ans, 2005). d’autocollants avec un nez, une bouche, des yeux, elle était trop belle avec des fleurs sur les portes […] C’est une belle voiture que j’ai payée avec mon premier salaire ». (Sophie, 53 ans, 2006) 3.2 Les individus dans l’expérience nostalgique : Havlena et Holak (1996) et Holak et Havlena (1992) ont montré que deux types de personnes pouvaient susciter de la nostalgie : - Celles que l’on a connues personnellement (type 1). - Celles que l’on n’a pas connues personnellement mais dont l’existence a été médiatisée (type 2). L’analyse qualitative des entretiens montre quant à elle, que : - Seul le premier type d’individus intervient dans l’expérience nostalgique des interrogés. - Et dans cette catégorie de personnes, les acteurs se distinguent selon la durabilité de leur influence : pérenne (ex : parents) versus temporaire (ex : premier amour). Les verbatim suivants illustrent l’opposition entre relation pérenne et temporaire et soulignent la stabilité du discours des répondants. Session 14 - 11 RELATION PERENNE Parents – Adidas « Adidas, je me suis toujours senti mieux dans cette marque que dans d’autres marques, j’ai l’impression d’être mal à l’aise dans les autres […]. Je pense savoir aussi pourquoi…mon père jouait aussi avec des Adidas et je crois que c’est peut-être plus la nostalgie de quelqu’un que j’ai perdu…» (Bréchard, 30 ans, 2005). « Adidas, ça me fait revenir aux souvenirs de mon père […]. C’était mon père qui s’était décarcassé pour m’offrir mon premier survêt. Comme mon père est décédé, je me souviens du visage heureux qu’il avait […]. Depuis, moi je me sens mieux dans cette marque…» (Bréchard, 31 ans, 2006). Famille – Nestlé « Le lait concentré sucré Nestlé que l’on prenait au goûter me rappelle mon enfance. Je suis nostalgique parce qu’on se retrouvait pour le goûter, tous ensembles, avec mes frères et sœurs, mes parents qui malheureusement ne sont plus là. Le lait Nestlé, c’était des moments privilégiés qui n’existent plus…» (Sophie, 52 ans, 2005). « Le lait Nestlé, c’était presque une récompense et on était tous assis autour d’un table […].On le mettait sur du pain, c’était trop bon ou alors on le buvait à même le tube. Ca me rappelle ma mère avec tout ce qui a été mon enfance et tout ce qui a été l’amour qu’elle m’a donné… » (Sophie, 53 ans, 2006). RELATION TEMPORAIRE Premier amour – Cigarette Session 14 - 12 « Ma première cigarette… je l’ai fumée avec celui qui est devenu le premier homme de ma vie […]. J’avais juste dix-huit ans […]. Ce garçon a fait partie de ma vie quelques années et maintenant qu’il en est sorti, j’ai gardé une nostalgie de cette cigarette et comme je fume de temps en temps, je pense à lui chaque fois que j’en allume… » (Sophie, 52 ans, 2005). « Mon premier amour fumait des Pall Mall et m’a quasiment incité à fumer puisque j’ai voulu faire la grande et j’ai fumé parce qu’il m’avait offert ma première cigarette… C’était un chirurgien qui m’avait opéré, il était venu la veille de mon opération et m’avait offert une cigarette…et c’est comme ça que j’ai commencé à fumer…» (Sophie, 53 ans, 2006). Premier employeur – Maroquinerie « Je m’en rappellerai toujours... Je suis d’une famille peu aisée et j’ai toujours rêvé de goûter au luxe. Quand j’ai réussi mon bac pro, mon premier employeur m’a offert un sac Vuitton. C’était un moment particulier, plein d’émotion, j’avais les larmes aux yeux…Pour moi c’était réaliser un rêve de petite fille, dépasser les barrières sociales…» (Aurore, 32 ans, 2005). « Vuitton, c’est le sac que m’a offert mon premier employeur quand j’ai eu mon bac pro. Pour moi, c’était comme dans un rêve parce que mes parents n’avaient pas beaucoup d’argent et n’auraient donc pas pu m’en payer un. Et là, j’étais passée audelà des barrières de classes sociales…» (Aurore, 33 ans, 2006). 3.3 Les objets sources de nostalgie : marque versus objet Les marques sources de nostalgie (Tableau 3) : Les marques les plus fréquemment liées à des réminiscences nostalgiques correspondent à des produits alimentaires traditionnellement consommés durant l’enfance (Havlena et Holak, 1996 ; Vignolles et Bonnefont, 2007). Cette période, qualifiée de « périodeempreinte » (Bowlby, 1982) est importante dans la formation des préférences durables de consommation (Braun-La Tour, La Tour et Zinkhan, 2007). C’est à ce stade, que l’enfant s’imprègne des significations symboliques de la marque (Hite et Hite, 1995 ; Chaplin et John, 2005) et son rappel, une fois adulte, rassure et sécurise (Winicott, 1983 ; Braun-La Tour, 2007). C’est l’effet Madeleine de Proust (1913). Type Catégorie de produits Marque Alimen taire Les marques nostalgiques, non alimentaires, sont relatives à des catégories de produits socialement « visibles » (ex : automobiles, cyclomoteurs, vêtements, stylos…). Elles sont associées à une période transitoire (fin de l’adolescence, début de l’âge adulte) et ont un rôle majeur dans la construction identitaire des individus (Belk, Bahn et Mayer, 1982 ; Myers, 1985). Confiserie Kinder Haribo Malabar Nombre de citations 60 fois dans 21 observations 43 fois dans 21 observations 23 fois dans 10 observations Non-Alimentaire Session 14 - 13 Petit déjeuner Nutella Benco Banania 90 fois dans 39 observations 22 fois dans 8 observations 20 fois dans 12 observations Aliments pour bébé Floraline Guigoz Blédina 19 fois dans 9 observations 6 fois dans 2 observations 2 fois dans 2 observations Vêtements/chaussures Petit Bateau Adidas 19 fois dans 12 observations 23 fois dans 9 observations Stylos Parker Waterman 19 fois dans 9 observations 10 fois dans 7 observations Jeux Hello Kitty Bisounours Nintendo 35 fois dans 6 observations 1 fois dans 1 observation 1 fois dans 1 observation Voitures 2CV Peugeot BMW 3 fois dans 1 observation 2 fois dans 2 observations 1 fois dans 1 observation Motocycle XT500 Mobylette 3 fois dans 2 observations 2 fois dans 2 observations Tableau 3. Marques associées à des réminiscences nostalgiques les plus fréquemment citées par les répondan Deux éléments permettent de distinguer les marques suscitant de la nostalgie : - Le type (alimentaire versus non alimentaire) ; - La fréquence d’utilisation (quotidienne versus occasionnelle). Les verbatim suivants illustrent ces distinctions et attestent de la stabilité du récit des répondants. UTILISATION QUOTIDIENNE Marque alimentaire – Contrex « Dans la cuisine de la maison, il y avait toujours une bouteille de Contrex… C’était la bouteille de maman, personne ne pouvait la boire, interdit. Quand je dois acheter de l’eau, j’achète de la Contrex et, ça me rappelle quand j’étais petite et pareille, je dis à mes enfants, « vous ne touchez pas ! » » (Chantal, 44 ans, 2005). « J’associe la Contrex à ma mère parce que quand j’étais jeune il n’y avait qu’elle qui en buvait. Depuis j’ai pris le flambeau, je me suis mise à en boire…Sa bouteille était dans la cuisine et d’ailleurs à mon tour, elle est dans ma cuisine, c’est sa place. Contrex/cuisine, cuisine/Contrex…». (Chantal, 45 ans, 2006). Marque non-alimentaire – Bonux Session 14 - 14 « Bonux c’est vraiment pour le cadeau. Il n’y a pas de lien direct avec le produit parce quand on est enfant, le nettoyage on n’en a rien à faire. Ma mère achetait des grands barils et dedans tu trouvais un cadeau… » (Michel, 44 ans, 2005). « Bonux le cadeau […] quand ma mère l’achetait, chose qui était rare, j’étais content. J’étais content pour le cadeau, c’est comme le Kinder surprise, le Bonux c’est le Kinder surprise des vieux…». (Michel, 45 ans, 2006). UTILISATION OCCASIONNELLE Marque alimentaire – Floraline « Mes enfants connaissent mon histoire avec la Floraline car je leur en ai fait aux mêmes moments, quand eux aussi étaient fatigués. J’ai transposé mon enfance sur eux. Je leur disais ma mère me faisait ça quand j’étais fatiguée, vous êtes fatigués, ça ne peut vous faire que du bien…» (Eliane, 66 ans, 2005). « Moi quand j’étais fatiguée, ma mère me faisait de la semoule. On mangeait ça, c’était délicieux. Donc j’ai perpétué la tradition […]. Parce que quand ma fille était fatiguée et qu’elle n’avait pas envie de manger, souvent c’était de la Floraline…». (Eliane, 67 ans, 2006). Marque non-alimentaire : Parker « J’ai un stylo, un Parker noir, que ma tante « C’est mon stylo favori, mon stylo qui me m’a acheté pour le Bac, mon premier vrai fait réussir mes examens, celui que j’ai dit examen. Depuis je suis obligée de l’utiliser qui était magique […]. C’est mon stylo à chaque fois que je passe des exams, j’ai porte-bonheur […]. C’est un peu fétichiste l’impression qu’il me porte chance […] parce que c’est une superstition de le C’est un rite, c’est magique, c’est le stylo considérer comme un élément de des exams, je ne peux pas l’utiliser à réussite…». (Sandy, 25 ans, 2006). d’autres fins sinon il perdrait ses pouvoirs…» (Sandy, 24 ans, 2005). Les marques que les répondants agrègent le plus souvent à des réminiscences nostalgiques sont anciennes, « familiales » et de grande consommation. Ainsi, nous pouvons d’ores et déjà appréhender la notion de « marque perçue comme nostalgique » à partir des critères suivants : - L’ancienneté de la marque : les marques citées couvrent l’intégralité du XXème siècle. - La notion d’achat familial ou de cadeau : les marques mentionnées symbolisent essentiellement une relation interpersonnelle et des moments de partage entre amis ou en famille. - Le type de marques : les marques nostalgiques les plus fréquemment évoquées sont de grande consommation. Les objets sources de nostalgie : Csikszentmihalyi et Rochberg-Halton (1981) montrent que deux types d’objets génèrent de l’attachement : Session 14 - 15 - Les objets de contemplation, qui ont surtout une fonction expressive (ex : photographie d’un être cher) ; - Les objets d’action, qui assurent plus des fonctions utilitaires (ex : voiture). Heilbrunn (2001) positionne quant à lui, les objets d’attachement le long d’un continuum opposant : - Le régime de sacralisation (ex : objets transmis familialement) ; - Au régime de banalisation (ex : objet jetable). Basés sur ces classifications, les verbatim ci-dessous présentent les objets sources de nostalgie, les plus fréquemment cités par les répondants et soulignent la stabilité de leur récit. OBJETS TRANSMIS FAMILIALEMENT « Un jour mon père a trouvé un stylo plume, avec une belle plume en or, j’adorais ce stylo. Il représentait beaucoup pour mon père. Le jour de mon mariage, il me l’a fait cadeau…» (Annie, 43 ans, 2005). Stylo « Le stylo Parker, c’est le lien avec le père […] il avait acheté tous ces petits accessoires pour me l’offrir donc c’était mon mariage, mon papa adoré, le cadeau surprise, voilà, c’était très touchant…» (Annie, 44 ans, 2006). OBJETS DU QUOTIDIEN INTIME Télévision « Je me rappelle de ma première « La télé, ça devait être un objet télévision, c’était une télé Avia, en noir et magique…J’avais envie de dormir derrière blanc. J’avais trois ans, c’était marquant, pour savoir quand les personnages allaient je me souviens quand elle est arrivée. en sortir. J’avais trois ans. Ca correspondait C’était un mois de salaire de mon père…» à un mois de salaire de mon père…» (Michel, 44 ans, 2005). (Michel, 45 ans, 2006). Session 14 - 16 OBJETS DU QUOTIDIEN URBAIN Bicyclette « Quand j’ai eu ce vélo, ça a été un pas vers un peu plus de liberté pour aller à l’école seul, pour aller voir les copains seul […] C’est un peu comme avoir la voiture à dix-huit ans…» (Michaël, 25 ans, 2005). « Ce vélo, c’est un sentiment d’indépendance puisque je pouvais aller enfin à l’école et chez les copains tout seul…» (Michaël, 26 ans, 2006). OBJETS JETABLES Cigarette « Ma première cigarette je l’ai fumée avec celui qui est devenu le premier homme de ma vie […] J’avais tout juste dix-huit ans…» (Sophie, 52 ans, 2005) « Mon premier amour fumait des Pall Mall et m’a quasiment incité à fumer […] parce qu’il m’avait offert ma première cigarette…» (Sophie, 53 ans, 2006). CONCLUSION Cette étude qualitative apporte un éclairage nouveau sur les éléments de l’expérience nostalgique et leur incidence sur le comportement du consommateur. Elle montre en effet que: - Les moments qui suscitent de la nostalgie peuvent être HABITUELS ou EN RUPTURE AVEC LE QUOTIDIEN. - Les marques nostalgiques se distinguent selon leur TYPE (marques alimentaires versus non-alimentaires) et leur FREQUENCE D’UTILISATION (quotidienne versus occasionnelle). - Les objets liés à des réminiscences nostalgiques peuvent avoir un caractère TRANSMISSIBLE (ex : bijou de famille), faire partie du QUOTIDIEN INTIME (ex : parfum) ou URBAIN (ex : véhicule), mais également être des objets JETABLES (ex : cigarette). Les apports de cette recherche sont donc triples, se situant aux niveaux théorique, méthodologique et managérial. Sur le plan théorique, cette étude est la première à souligner la stabilité des souvenirs associés aux éléments de l’expérience nostalgique d’un même échantillon et l'ancrage des produits et des marques, évocatrices de nostalgie, dans leur construction identitaire. Session 14 - 17 Sur le plan méthodologique, une analyse de type longitudinal utilisant deux méthodes de recueil distinctes, permet d’obtenir des données dont la profondeur et la qualité n’auraient pu être appréhendées via une étude qualitative en coupe instantanée (Wilk, 2001 ; Linclon et Guba, 2003 ; Andreani et Conchon, 2003). Sur le plan managérial, cette recherche souligne l’intérêt que peuvent avoir les entreprises à utiliser la nostalgie dans leur stratégie de marque afin de créer des associations positives et d’influencer durablement les souvenirs des consommateurs. Au niveau méthodologique, cette recherche présente trois limites majeures. Tout d’abord, le taux de mortalité de l’échantillon interrogé (20% ; nT1 = 20; nT2 = 16) nécessiterait de répliquer cette étude sur un échantillon de taille plus importante. Ensuite, même si les évocations des répondants sont très stables dans le temps, le fait de les solliciter à différentes reprises, pour qu’ils se rappellent d’événements particuliers, peut rendre leurs souvenirs erronés plus fiables, mais sans les rendre moins erronés. C’est « l’effet de halo » souligné par Dex (1994). Cette limite doit cependant être relativisée. L’objet de cette recherche n’était pas de vérifier la véracité des faits relatés mais de savoir si leurs traces perduraient dans le présent. Le fait que la nostalgie puisse altérer les souvenirs n’est pas un frein à son emploi en marketing, puisqu’elle idéalise le passé et minimise ses aspects négatifs. Son utilisation peut influencer durablement la relation consommateur-marque, en jouant rétroactivement sur les souvenirs et en créant des associations positives (Braun-La Tour, La Tour, Pickrell et Loftus, 2004). Enfin, on pourrait se demander si le laps de temps écoulé entre les deux collectes de données est suffisamment long, pour tester la stabilité des souvenirs, d’un même échantillon de répondants. Que représentent « onze mois » pour des souvenirs ayant plus d’une dizaine d’années ? Cette question ouvre ainsi, la voie à des recherches futures. D’une part, il serait intéressant d’interroger une troisième fois, les mêmes participants, en utilisant des méthodes de recueil et d’analyse distinctes. D’autre part, nous pourrions considérer l’influence du discours des « marques sources de nostalgie » sur la perception mémorielle des répondants. La question étant de savoir si, de nouvelles campagnes de communication peuvent modifier les souvenirs des sujets qui y ont été exposés, depuis leur entretien. BIBLIOGRAPHIE Andreani J.C. et Conchon F. 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