La puissance imaginaire de Poeta en Nueva York: analyse et

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La puissance imaginaire de Poeta en Nueva York: analyse et
La puissance imaginaire de Poeta en Nueva York:
analyse et comparaison de deux traductions françaises
Séminaire de traductologie
Giordano Righetti
Università degli Studi di Bologna
© Giordano Righetti 2005
Table des matières
1. Les traducteurs et les traductions de Federico García Lorca
2. Procès de traduction
2.1 Problématiques de la traduction de Poeta en Nueva York: édition posthume
2.2 Débat sur les modalités de collection et rédaction
3. Le langage visionnaire complexe et élaboré de Lorca
3.1 Préserver la littéralité ou rendre la puissance imaginative
3.2 Différences et modifications successives
3.3 Lexique plus élaboré et recherché
4. Analyse lexicométrique avec le logiciel Concordance
5. Conclusions
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Introduction
Cette analyse prendra en considération le recueil de poésies Poeta en Nueva York de
Federico García Lorca et le confrontera avec ses deux premières traductions françaises, pour y
souligner la cohérence ou les différences avec le texte original et les choix de traduction opérés par
chacun des deux traducteurs. De plus, on retiendra en ce qui concerne les choix d’interprétations,
qu´une traduction italienne qui s´intercale chronologiquement entre les deux françaises.
Le texte de García Lorca a été écrit pendant les deux années de son séjour à New York en
tant que étudiant à la Columbia University, de 1929 et 1930 ; toutefois, il fut diffusé seulement
après la morte de l’auteur (1936) par l’éditeur auquel le poète a laissé son manuscrit, qui fut publié
en 1940.
Il s’agit d’un texte poétique assez complexe, avec une grande discontinuité concernant les
thèmes et le style des compositions. Cet œuvre constituait donc un défi assez absorbant pour un
traducteur qui voulait transmettre le texte de Lorca, probablement le plus complexe de l’auteur
grenadin, au public des lecteurs de poésie de sa nation.
Dans le cas de la France, l’éditeur qui avait acquis les droits de traduction du texte,
Gallimard de Paris, confia le travail à Pierre Darmangeat, dont la traduction sortira en 1954 ;
ensuite, presque trente années plus tard, le même éditeur commissionnera une nouvelle traduction
de Poeta ne Nueva York à André Belamich : cette nouvelle version du texte de Lorca sera terminée
et publiée en 1981.
La traduction italienne, comme on a dit, s’intercale à l’intérieur de cette période de trente
années entre les deux traductions françaises : l’éditeur Guanda pu se garantir vers la fin des années
Quarante les droits de traduction du texte, et choisit pour l’édition italienne du poème l’écrivain
Carlo Bo, dont la traduction sera publiée en 1962.
1. Les traducteurs et les traductions de Federico García Lorca
Federico García Lorca a été beaucoup étudié et révisé autant en France qu’en Italie déjà de
son vivant, et encore plus après sa mort prématurée en 1936. Plusieurs poètes et écrivains s’étaient
appliqués dans la lecture et l’interprétation de ses œuvres, tant en poésie qu’en prose et en théâtre.
C’est le cas par exemple de l’écrivain français Jean Prévost, qui étudia dans les années trente de
façon approfondie Romancero gìtano, le célèbre recueil de poésies sur les Gitanes de l’Andalousie
native de Lorca. Il réalisa la première traduction française de plusieurs poésies de ce recueil (La
mujer adultera, parmi d’autres). Jean Pierre Rosnay lui, avait extrêmement aimé Lorca pour sa
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poésie encore plus que pour son théâtre. Rosnay a écrit des lectures critiques des poèmes de l’auteur
grenadin qui demeurent encore aujourd’hui très actuelles. Il connaissait et appréciait tellement
Lorca qu’il admit lui-même avoir eu une influence très évidente dans sa poésie :
« […] Mais voilà que je me prends pour Federico García Lorca. C'est très mal, il ne faut pas
voler les grappes des vignes d'autrui. Le soleil est à tout le monde, mais d'abord à celui qui
l'allume. Lire Lorca, c'est participer à l'un des plus fabuleux carnaval de mots nés de la plume
des poètes ».1
Parmi ces nombreuses lectures critiques, Poeta en Nueva York arrivera au public français
assez tard par rapport aux autres recueils poétiques de Lorca ; la raison est celle que on a cité, à
savoir sa publication posthume et tardive (quatre années après la mort de l’auteur).
En raison de ce retard, la première traduction française de l’œuvre sera incluse dans la
grande anthologie2 des poésies de Lorca qui sort en France en 1954, et à laquelle participe une
équipe considérable des écrivains et critiques français, dans le rôle de traducteurs.
L’anthologie sort en trois tomes : outre Belamich et Darmangeat, les traducteurs sont, parmi
d’autres, l’écrivain Prévost, Jules Supervielle3, poète français dont les formes étaient proches au
Surréalisme et Claude Couffon, hispaniste couronné par plusieurs grands prix de traduction, qui
avait traduit la plus grande partie des œuvres de García Márquez, de Pablo Neruda, de Rafael
Alberti.
Les deux traducteurs en question, ceux de Poeta en Nueva York, sont André Belamich qui
avait traduit les œuvres des nombreuses poètes espagnols du début du 1900 ainsi que d’écrivains
anglais tels que D.H. Lawrence, et qui connaissait bien la poésie de García Lorca: en fait il écrit la
préface de cette importante anthologie, comme il avait déjà traduit le Poema del Cante Jondo, en
1943, qui sera aussi publié dans le premier tome de cet ouvrage ensemble avec les autres
traductions précédentes de Lorca par Pierre Darmangeat.
Celui-ci est probablement le moins connu de l’équipe de traducteurs : c’est pourquoi, il
pourrait être difficile de comprendre pourquoi il lui a été conféré la tache délicate de la première
traduction de Poeta en Nueva York, qu’on a dit être parmi les livres plus complexes de Lorca, plutôt
que la remettre à Jean Prévost ou à un poète qui maîtrisait bien les formes visionnaires et surréelles
comme Jules Supervielle. D’ailleurs, Darmangeat, quant à lui avait aussi traduit beaucoup de poètes
espagnols (Machado, Salinas ; mais aussi Gongora) et latino-américains de son époque en
s’affirmant comme hispaniste.
1
ROSNAY, Jean Pierre. Extrait de la Préface du N° 25 de «Vivre en Poésie». Paris, Club des Poétes, 1989.
GARCÍA LORCA, Federico. Poèsies (3 Tomes). Paris, Gallimard, 1954.
3
1884-1960.
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En général donc, il est vraisemblablement assez difficile d’évaluer, même pour un éditeur,
s’il est mieux confier un texte de grande complexité et abstraction tels que Poeta en Nueva York à
un poète proche au Surréalisme plutôt qu’à un critique hispaniste de longue expérience. Et en ce
sens, il est probable que après plusieurs années il se rende nécessaire de toute façon une révision et
correction de la traduction originale, ou une nouvelle édition, comme il fut précisément le cas avec
Belamich.
2. Procès de traduction
2.1 Problématiques de la traduction de Poeta en Nueva York: édition posthume
Quand on considère le procès de traduction de Poeta en Nueva York, on doit le rattacher à la
problématique de l´édition, qui comme on a dit fut très décalée par rapport á l´écriture du manuscrit.
Le livre fut en fait publié quatre ans après que l´écrivain eut été fusillé dans les premiers jours de la
Guerre Civil Espagnole. Ce n'était qu'entre le 8 et le 10 juillet 1936, soit à la veille de cette guerre,
que le poète remet son recueil en vue de le faire publier à la secrétaire de José Bergamin, le
directeur de la revue littéraire Cruz y Raya car il était absent. Un mois et un jour plus tard Lorca
sera exécuté.
Dans les années suivantes, deux éditions légèrement différentes de l´oeuvre de Lorca
apparaissent: celle de José Bergamín (ou édition Seneca) dérivante du manuscrit original, qui fut
publiée au Mexique, en 1940 ; et une édition Norton, publiée en février de la même année en
version bilingue à New York.
2.2 Débat sur les modalités de collection et rédaction
Bien que les trente-trois poèmes avaient tous été écrits durant les sept mois de séjour du
poète aux Etats-Unis, les discussions et les polémiques autour des modalités de collections de ces
poésies furent assez complexes.
Lorca avait en fait laissé une grande quantité de compositions partagée par sections ; mais il
n´avait donné aucune indication sur l´ordre á suivre au moment de les réunir dans un recueil. Ainsi
certaines des poésies pouvaient être considérées soit en appendice à Poeta en Nueva York, soit
faisant partie d´un autre recueil (notamment la section Tierra y luna) ; de plus, même sur les
dédicaces et sur les notes á marge de l´auteur il y avait beaucoup des discordances entre les deux
édition. Le manuscrit de Bergamin représente finalement seulement une partie, même désorganisée,
du total des poésies : car, comme l´éditeur expliquait, en conséquence de son «histoire feuilleton»,
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« Le manuscrit original -ayant subi vicissitudes et tribulations- est en partie perdu ou caché [...]
Et l'on ne sait pas à ce jour de quoi il se composait. »4
L'édition Seneca fut celle retenue par la «Bibliothèque de La Pléiade» de Gallimard, avec
sept pièces complémentaires de Tierra y Luna, en raison de «sérieuses présomptions les rattachant
au recueil» : elle comprenait aussi notamment le poème d'Antonio Machado sur la mort de Lorca
«Le Crime eut lieu à Grenade».
En raison de ça, probablement, l´éditeur Gallimard retint nécessaire une révision successive
de la première traduction : presque trente années plus tard, on avait découvert d´autres détails
importants portant sur le texte original, l´ordre de poésies, l´exacte graphie des quelques vers, etc.
Ainsi, la nouvelle traduction fut confié á André Belamich, qui au-delà d’être un critique et
traducteur de grande expérience, avait aussi participé á la première édition de l´anthologie poétique
lorquienne en traduisant certaines parties.
3. Le langage visionnaire complexe et élaboré de Lorca
3.1 Préserver la littéralité ou rendre la puissance imaginative
En raison du long et problématique procès de l´édition et de la révision du texte original
espagnol, des questions importantes se posaient pour les traducteurs. Surtout, si face à un texte déjà
en soi très complexe et difficile à interpréter, il valait mieux préserver la littéralité du texte
espagnol, dont on avait même pas la certitude d´authenticité totale, en lui traduisant avec les mots et
les expressions françaises les plus proches aux termes espagnols de l´auteur ; ou bien, il valait
mieux pénétrer et interpréter les constructions abstraites du langage visionnaire et ensuite le rendre
en Français, avec des choix de traductions parfois moins littéraux mais qui pouvaient mieux rendre
la puissance expressive et imaginative des compositions new-yorkaises.
C’est le dilemme face auquel ils se trouveront, avec trente années de distance, les deux
traducteurs français, et aussi Carlo Bo au moment de la traduction italienne, dans l´interprétation de
ce poème si difficile et fuyant.
4
BERGAMIN, José. “Nuevos documentos relativos a la edición de las obras de García Lorca”, en Anales de Literatura
Española, pp. 67-107. Alicante, Anales de L.E., 1988.
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3.2 Différences et modifications successives
Si l´on compare les deux traductions françaises du point de vue de ces choix particuliers de
traduction, on voit que les différences et les variations entre les deux version se cristallisent
principalement autour des trois type de modifications.
Premièrement, en raison des nombreuses lectures et analyse successives qui se sont
déroulées depuis les années Cinquante, on a découvert des imprécisions dans la lecture et
interprétation de la calligraphie lorquienne et des certaines lettres ou paroles qui avaient été
transcrites dans les deux premières éditions de 1940. Conséquemment, on a pu opérer des
corrections de grammaire ou bien de syntaxe dans les nouvelles traductions. Pour exemple, dans la
traduction de 1954, Darmangeat avait traduit
« Soledad sin onda »
comme
« solitude sans une onde »5
Mais dans les décades successives on a découvert que le mot espagnol devait être lu comme
« sin honda », avec une «h» qui avait été perdue dans les rééditions. En raison de la nouvelle lecture
critique, Belamich propose une traduction radicalement différente, où les mêmes mots
« Soledad sin honda »
deviennent
« solitude sans fond »6
Carlo Bo lui, qui relit et traduit Poeta en Nueva York au début des années 1960, hésite
encore, de son coté, entre les deux différents solutions françaises, en proposant une troisième
interprétation plus ambiguë.
« Soledad sin honda »
était réélaborée en
«solitudine senza fronda »[= sans branche]7
Ailleurs, un même verbe a subi deux lectures interprétatives différentes, et conséquemment
deux traductions qui ne sont pas de tout similaires. Pour exemple, quand Lorca utilise le verbe
espagnol soñar, très important dans cet œuvre, Darmangeat et Belamich interprètent sa signification
de façon différente : le traducteur de l´édition de 1981 opte pour le verbe français plus directement
connecté á celui espagnol, á savoir «rêver», le traducteur de la première édition avait proposé une
5
Toutes les citations de Darmangeat, dorénavant, proviennent de la traduction: DARMANGEAT, Pierre. Poète à New
York. Paris, Gallimard, 1954.
6
Toutes les citations de Belamich, dorénavant, proviennent de la traduction: BELAMICH, André. Poète à New York.
Paris, Gallimard, 1981.
7
Toutes les citations de Bo, dorénavant, proviennent de la traduction: BO, Carlo. Poeta a New York. Modena, Guanda,
1962.
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version (qui demeurera pour presque trente années), qui reconduisait ce verbe au champ sémantique
de montrer/indiquer ; toutefois, cette signification est plus propre des verbes espagnols sonar ou
señalar. Il n´est donc pas impossible que Darmangeat ait mal interprété le verbe original et
conséquemment traduit avec une expression qui renvoie á tout autre sens. En fait, déjà Carlo Bo
traduira quelques années après en reconduisant le verbe á sa propre signification :
•
“te soñaban” pour Darmangeat peut être rendu avec: “te montrent du doigt”(1954);
•
“te soñaban” est maintenu par Bo en “ti sognavano”(1962);
•
pour Belamich aussi, vingt années plus tard (1981): “rêvaient de toi”
Dans un autre poésie, Darmangeat modifie même la syntaxe originale du texte espagnol : il
traduit la phrase
« caeran sobre tì »
avec
« vous tomberez sur elle »
où l´on trouve un déplacement du sujet et du complément objet du verbe, probablement pour rendre
plus fortement l´effet de ce dernier en en changeant le positionnement de l´auteur. Belamich en ce
cas maintient la syntaxe originale en ce qui concerne le sujet et l´objet de la phrase ; toutefois, pour
renforcer le verbe il ajoute l´adjectif « tous » (en fonction prédicative), qui on ne trouve pas dans le
texte de Lorca :
« caeran sobre tì »
est quasi également
« tous tomberons sur toi »
Carlo Bo, en ce cas, choisi plus prudemment de traduire littéralement de l´espagnole :
« caeran sobre tì »
reste simplement
« cadranno su di te »
3.3 Lexique plus élaboré et recherché
Depuis ces premières différences on peut déjà imaginer que les traducteurs ont eu un rôle
important et assez actif dans la transmission du texte de Lorca au publique de leur pays. Par rapport
á cette responsabilité, ils ont opté parfois pour une littéralité majeure, parfois pour des
interprétations plus subjectives.
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Cette ambivalence se retrouve aussi à un deuxième niveau, celui lexical, dans le choix des
mots françaises qui puissent refléter les particularités du vocabulaire new-yorkais de García Lorca.
En ce sens, il vaut mieux confronter plutôt les deux versions françaises, en raison du fait que
la richesse lexicale globale change d´une langue á l´autre, donc les singles mots employées pour
exemple par Carlo Bo sont moins directement comparables avec celles de deux hispanistes
Français. D´ailleurs, il faudrait relever aussi que même á l´intérieur de la langue française, la
différence de presque trente années qui sépare les deux traducteurs peut aussi expliquer, en sens
diacronique, la différence de richesse lexicale.
Si l´on considère celle-ci en Darmangeat et Belamich, en fait, on voit que en général, dans
l´ensemble de l´oeuvre, il est le traducteur plus récent qui se prend plus de liberté dans la reddition
des mots espagnols, en employant souvent un vocabulaire plus recherché et plus propre du registre
poétique.
Nombreuses cas confirment cette tendance, parmi lesquels:
Darmangeat
Belamich
guitare
cithare
ivres
soûlés
lombric
ver de terre [etc.]
Dans d’autres cas encore, les choix de traduction plus libres et interprétatives concernent
parfois des expressions ou propositions entières: le traducteur saisit le sens global d´une phrase, et
essaye de le rendre dans sa langue par l´intermédiaire d´une périphrase ou d´une expression
apparemment différente de l´originale espagnole.
Cette tendance est d´autant plus évidente, autant que les vers de Lorca sont abstraits et
métaphoriques : pour exemple, quand Federico exprime
“..que no radian las agonías”,
Darmangeat et Bo traduisent simplement «qui ne diffusent pas» et «che non trasmettono» (=pareil);
Belamich par contre arrive à proposer une interprétation assez subjective, voire «moderniste», avec
“qui n’annoncent pas à la radio”.
Dans un autre poème, la série répétée
“los ninós de Cristo (2 fois)…las ninás de Cristo”
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est différente dans chaque traducteur. Pour Darmangeat, elle reste
“les enfants (2f.)...les filles”
Pour Belamich, de façon plus élaborée, on distingue entre
“les enfants…les petits fils…les petites filles”
Pour Carlo Bo, plus littéralement : “i bambini (2f.)…le bambine”.
Autrefois on se permet d´utiliser des mots d’un registre plus ou moins populaire : où Lorca
mentionne “los maricas”, les trois différentes mots dérivent de registres diverses :
Darmangeat
Belamich
Bo
“les ‘tantes’”
“les efféminés”
“i pederasti”
Ailleurs, dans une des invectives des Lorca, le “salvaje Norteamerica” sera d´abord
“sauvage Amérique du Nord” (1954) et “selvaggio Nordamerica” (1961), ensuite en 1981 sera
étendu par Belamich, pour métonymie, á toute la “sauvage Amérique”. Encore Belamich transforme
le titre "Oficina y denuncia" en "Bureau des réclamations", ce qui confère à la voix du poète une
autre résonance toute particulière: quand on réclame, on attend, on exige une réponse.
4. Analyse lexicométrique avec le logiciel Concordance
On va encore considérer les deux traductions françaises du point de vue de l´analyse
statistique et lexicométrique de termes et des expressions les plus récurrentes : on se servira d´un
logiciel d´analyse textuel, le logiciel Concordance.
Ce logiciel a été conçu pour l´analyse de longs textes en prose, où le nombre total
d´occurrences (á savoir, de répétitions) d´un terme peut être assez élevé ; et où, en raison de ces
résultantes quantitatives, il est possible d´en dériver certaines considérations sur le style, le ton et la
richesse d´un texte de prose.
Toutefois, avec les textes poétiques les outils d´analyse textuelle sont toujours (jusqu´a
aujourd´hui) moins «puissants» : ça signifie que, comme le nombre d´occurrences est sensiblement
plus limité et la structure de la poésie plus complexe de celle de la prose, on doit toujours faire très
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attention aux considérations qu´on en dérive, les maintenir au niveau d´hypothèses ou suppositions
générales autour du texte, les motiver et les justifier avec précision.
Avec ces réserves, cependant, il est quand même possible d’essayer de soumettre un texte
comme celui de Lorca et sa traduction à ce logiciel et en observer (avec les précautions
mentionnées) les résultats.
En prenant en considération, parmi toutes les poésies de Poeta en Nueva York, celles des
sections qu´on peut définir plus «modernes» (Los negros ; Calles y sueños ; Vuelta á la Ciudad ;
Dos odas), on observe avant tout la donnée qui dérive du rapport entre occurrences totales de
termes et termes différents. On peut vraisemblablement interpréter ce rapport comme une
expression directe de la richesse lexicale du texte.
Dans le cas du texte original espagnol du manuscrit de Lorca(comme il fut rédigé dans
l´édition du 1940), ils résultent 5234 occurrences totales; parmi celles-ci, le nombre de mots
différents est de 1681. En calculant le rapport, dit “Type-tokens ratio”, on obtient un coefficient lié
á la richesse lexicale de 3,11.
Il s´agit d’un coefficient assez élevé, qui témoigne une fois plus la richesse du vocabulaire
poétique de Lorca, dans le cas particulier de ce recueil américain.
On peut ensuite comparer ces données (nombre des occurrences et richesse lexicale) avec
une de traductions du texte, celle de Darmangeat.8
Dans la traduction de 1954 de Darmangeat, en ce qui concerne ces mêmes sections
modernes, le nombre total d´occurrences est de 5266, donc supérieur par rapport à celui du texte
original. Le nombre de termes différents est aussi supérieur : 1756. Toutefois, quand on calcule le
rapport entre les deux, il résulte un “Type-tokens ratio” de 2,98 : il s´agit d’une différence assez
importante, en termes statistiques, par rapport á la richesse lexicale de Lorca.
En ce qui regarde la traduction de Belamich, n’ayant pas la possibilité de la soumettre au
logiciel, on peut seulement supposer que, en raison de toutes les lectures et les comparaisons qu´on
a fait précédemment pour des singles mots et expressions, il est vraisemblable retenir que il ait une
coefficient de richesse lexicale légèrement supérieur à la traduction de Darmangeat; probablement,
un coefficient compris entre celui, de la traduction de 1954 et celui, du texte espagnol. Mais cette
évaluation reste seulement au niveau de hypothèse.
Une autre indication importante qu´on peut considérer, quand on effectue une analyse
lexicométrique, est celle qui regard l´analyse des mots le plus fréquents d’un texte : ce paramètre
peut nous révéler quelques indications autour des champs sémantiques et des thèmes dominants
d’un texte.
8
La copie du livre de Belamich n´a malheureusement pas pu être scannée en raison de son matériel délicat.
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Dans le cas considéré, pour exemple, on peut voir grâce au logiciel Concordance que les
mots les plus fréquents dans la partie considérée de l’original de Poeta en Nueva York sont :
1. sangre (=sang, avec 23 occurrences)
2. amor (=amour, avec 17 occurrences)
3. mundo (=monde, avec 16 occurrences)
Ce qui nous transmet efficacement le caractère tragique du recueil : il est en fait très
significatif que dans ces sections, qui regardent la description d´une grande métropole et de la vie
contemporaine, les deux mots les plus fréquents ne regardent pas les grands bâtiments, les lumières,
les habitants, mais sont «sang» et «amour».
De plus, cela peut nous reconduire, une fois encore, à la coexistence dans le texte de Lorca
d’une composante négative de dénonciation de la violence, et d’une positive qui met en évidence les
facteurs actifs et la possibilité d´un rachat.
Dans le cas de la traduction de Darmangeat, le résultat est légèrement différent :
1. sang (22 occ.);
2. mort (15 occ.)
3. amour (12 occ.)
Les deux premiers mots appartiennent tout deux au champ sémantique de la
violence/désespérance ; l´amour a là moins d’occurrences. Mais à ce regard il faut remarquer et
souligner les différences importantes entre le lexique de deux langues, ce qui explique bien ce
décalage au niveau des occurrences.
Dans la langue française, en fait, le terme «mort» peut être le participe passé de «mourir»
(utilisé comme adjectif ou substantif) mais peut être aussi le substantif «la mort». En raison de ça,
les occurrences totales du terme sont majeures par rapport á l´Espagnol, où les deux référents sont
dénotés par deux mots différents : «muerto/a» (participe passé) et «la muerte» (substantif).
Finalement, on a vu confirmé aussi á l´aide du logiciel Concordance ce que on avait affirmé
autour de Poeta en Nueva York : ce texte de Lorca est assez riche du point de vue lexical ainsi que
complexe du point de vue sémantique et du contenu.
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5. Conclusions
Par toutes les situations considérées, on a donc vu que le traducteur peut choisir de se
maintenir au plus au texte original, et en préserver la littéralité en évitant des traductions trop
subjectives ; ou au contraire, il peut choisir d’interpréter le langage de Lorca, qu’on a vu être très
complexe, dans le but de rendre au mieux possible l’efficace des images du poète à travers la
richesse lexicale et expressive propre de sa langue.
Dans le cas des traductions ici considérées, il en ressort que la subjectivité de l’interprétation
et de la traduction, ainsi que la richesse lexicale de la version française, dépendent directement de
l’époque de la traduction, et de la relative connaissance approfondie sur l’œuvre, soit new-yorkaise
que générale, de García Lorca.
En particulier, il résulte dans plusieurs poésies que Belamich, en 1981, pouvait compter sur
une connaissance, partagée par la critique, des thèmes et des sens lorquens, en raison de laquelle il
pouvait se concentrer plutôt à rendre la puissance imaginative du langage lorquen, sans se
préoccuper trop d’en respecter chaque mot.
Au contraire, à l’époque de la traduction de Darmangeat, le texte étais encore motif de
discussion et de débat, comme on a vu, tant au niveau de la graphie exacte du manuscrit, quant à
l’organisation et le nombre de poèmes, ainsi que, de façon encore plus marquée, du point de vue des
contenus profonds des compositions.
Il est en ce sens qu’on doit interpréter les modifications successives entre les deux
traductions françaises ; et il est éloquent aussi, en cette direction, le fait que il fut proprement le
même éditeur de la première édition que, à distance de trente années, retenait nécessaire une
révision et un enrichissement de la première version de Poète à New York.
De plus, il nous dit encore quelque chose sur cette longue histoire d’éditions, révisions et
traductions successives, le fait que Carlo Bo, dans sa traduction italienne du texte, opte le plus
souvent pour des choix de traductions qui se situent à la moitié entre les deux tendances, l’une plus
conservative, l’autre plus interprétative, de ses collègues français.
Les deux traductions françaises, autant que celle de Carlo Bo, ont cherché de rendre de
façon la plus efficace la richesse de la poésie visionnaire de Poeta en Nueva York, surtout en ce qui
concernait l’univers imaginaire de Federico García Lorca. Mais elles ont aussi essayé, au même
temps, de s´éloigner le moins possible du langage lorquien original ; en ce sens, la liberté pour le
traducteur par rapport à les interprétations et réélaboration subjectives des complexes métaphores
lorquennes a été mineure (Darmangeat) ou majeure (Belamich) aussi en relation à l’affirmation
d’une version partagée du manuscrit original, en raison de ses vicissitudes pendant tout le long
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procès d´édition, et de conséquence en relation á la maîtrise du texte par la critique et à son
expérience cumulée par rapport à ce-ci, variables sur lesquelles chaque traducteur pouvait compter
de façon différente à son époque.
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Bibliographie
Œuvres et traductions de Federico García Lorca
•
Obras completas. Barcelona, RBA, 1998.
•
Poésies (3 Tomes). Paris, Gallimard, 1954.
•
Poète à New York. Traduction française de Pierre Darmangeat. Paris, Gallimard, 1954.
•
Poète à New York. Traduction française de André Belamich. Paris, Gallimard, 1981.
•
Poeta a New York. Traduction italienne de Carlo Bo. Modena, Guanda, 1962.
Ouvrages critiques
•
BERGAMIN, José. “Nuevos documentos relativos a la edición de las obras de García
Lorca”, en Anales de Literatura Española, pp. 67-107. Alicante, Anales de L.E., 1988.
•
GIBSON, Ian. Federico García Lorca: une vie. Paris, Seghers, 1990.
•
MENARINI, Piero. “Poeta en Nueva York” di Federico García Lorca. Lettura critica.
Firenze, La Nuova Italia, 1975.
•
ROSNAY, Jean Pierre. Extrait de la Préface du N° 25 de «Vivre en Poésie». Paris, Club des
Poètes, 1989.
Ouvrages sur la théorie de la traduction
•
BENJAMIN Walter. “Die Aufgabe des Übersetzers”, in Illuminationen. Ausgewählte
Schriften. Frankfurt am Mein, Suhrkamp, 1923.
•
BUFFONI, Franco (ed.). La traduzione del testo poetico. Milano, Guerini e Associati, 1989.
•
CERCIGNANI, Fausto; MARIANO, Emilio; ERRANTE, Vincenzo (eds.). La traduzione di
poesia ieri e oggi. Milano, Cisalpino, 1993.
•
SCARPA, Federica. La traduzione della metafora. Roma, Bulzoni, 1989.
15

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