La loi applicable au cautionnement

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La loi applicable au cautionnement
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La loi applicable au cautionnement
le 29 septembre 2015
AFFAIRES | Banque - Crédit
CIVIL | Contrat et obligations | Droit international et communautaire | Sûretés
EUROPÉEN ET INTERNATIONAL | Contrat et obligations - Responsabilité
Les articles 1326 du code civil et L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation ne sont pas des
lois dont l’observation est nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale et
économique du pays au point de régir impérativement la situation et de constituer une loi de police.
Civ. 1re, 16 sept. 2015, FS-P+B+I, n° 14-10.373
Une banque italienne accorde un prêt à une personne qui réside habituellement en Italie. Un tiers,
qui réside habituellement en France, se porte caution par un acte séparé, conclu en Italie. Par la
suite, la banque assigne l’emprunteur et la caution en paiement.
C’est au regard de ces faits d’une grande simplicité que la Cour de cassation prononce l’arrêt
rapporté, du 16 septembre 2015, qui fournit de très intéressantes précisions sur l’office du juge
face à la loi étrangère, sur la loi applicable au cautionnement et sur la qualification, au regard de la
notion de loi de police, de certains des principes applicables à ce dernier.
L’office du juge à l’égard du droit étranger
La banque faisait valoir que le contrat de prêt était soumis à la loi italienne. Pour rejeter sa
demande de condamnation en paiement de l’emprunteur, les juges d’appel retinrent que cette
banque ne produisait aucun justificatif sérieux du montant de la créance dont elle se prévalait et
que le décompte qu’elle produisait était dépourvu de valeur probante.
L’arrêt rapporté censure leur décision.
Cette position se situe dans la ligne de la jurisprudence habituelle de la Cour de cassation relative
au régime procédural de la loi étrangère. On sait, à ce sujet, que depuis un arrêt de la première
chambre civile du 28 juin 2005 (Civ. 1re, 28 juin 2005, n° 00-15.734, D. 2005. 2853, et les obs. ,
note N. Bouche ; ibid. 2748, obs. H. Kenfack ; ibid. 2006. 1495, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke
; Rev. crit. DIP 2005. 645, note B. Ancel et H. Muir Watt ), il est acquis, lorsque les droits litigieux
sont disponibles, qu’« il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger, d’en
rechercher, soit d’office, soit à la demande d’une partie qui l’invoque, la teneur, avec le concours
des parties et personnellement s’il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution
conforme au droit positif étranger ». On peut déduire trois enseignements de cette formule : en
premier lieu, le juge n’a pas l’obligation d’appliquer d’office la règle de conflit de lois ; il n’en
demeure pas moins, en second lieu, qu’il en a la faculté ; en troisième lieu, l’une des parties peut
toujours prendre l’initiative d’invoquer elle-même la règle de conflit de lois ou de se référer à la loi
étrangère applicable. Et si l’une des parties a pris cette initiative, il est également acquis, depuis un
arrêt de la première chambre civile du 1er février 2009 (Civ. 1re, 11 févr. 2009, n° 07-13.088, D.
2009. 565, obs. V. Egéa ), qu’« il incombe au juge français saisi d’une demande d’application d’un
droit étranger de rechercher la loi compétente, selon la règle de conflit, puis de déterminer son
contenu, au besoin avec l’aide des parties, et de l’appliquer ».
C’est ce principe que reproduit l’arrêt rapporté. La censure de l’arrêt d’appel s’explique dès lors
aisément.
La banque ayant fait valoir que la loi italienne était applicable, les juges du fond étaient saisis, au
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sens de ce principe, d’une demande d’application d’un droit étranger. Ils auraient donc dû
rechercher si, en application de la règle de conflit de lois, cette loi italienne était effectivement
applicable et, si tel était bien le cas, ils auraient dû rechercher son contenu. Or, en écartant la
demande en paiement formée par la banque au motif que la banque ne fournissait pas un
décompte suffisamment probant au soutien de sa demande, les juges du fond se sont prononcés
sans déterminer au préalable si la loi applicable était la loi française ou la loi italienne. Pourtant,
avant de retenir, en substance, que la banque n’avait pas rapporté la preuve de sa créance, les
juges du fond auraient dû déterminer s’il y avait lieu d’appliquer les règles de preuve françaises ou
celles italiennes.
La loi applicable au cautionnement
Sur le fond, les juges d’appel ont par ailleurs considéré que le contrat de cautionnement était régi
par la loi française, aux motifs que ce contrat est autonome et que c’est bien avec la France qu’il
présentait les liens les plus étroits puisque la caution y résidait lors de sa conclusion et que la
prestation était susceptible d’y être exécutée en cas de défaillance du débiteur principal.
L’arrêt rapporté censure également la décision d’appel sur ce point, au regard de l’article 4 de la
Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, qui
trouvait application en l’espèce car le contrat de cautionnement litigieux a été conclu le 21 avril
2006. Le règlement n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles,
dit Rome I, s’applique en effet aux seuls contrats conclus après le 17 décembre 2009.
Cette Convention permet, par son article 3, aux parties à un contrat de choisir la loi applicable. En
l’absence de choix par les parties, le contrat est régi, selon l’article 4, § 1, par la loi du pays avec
lequel il présente les liens les plus étroits. Dans ce cadre, d’après l’article 4, § 2, est présumé
présenter de tels liens le pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a, au
moment de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle. Toutefois, cette présomption est
écartée lorsqu’il résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus
étroits avec un autre pays, selon l’article 4, § 5.
L’arrêt rapporté retient que les juges du fond ont violé cet article 4 en donnant compétence à la loi
française. Le contrat de cautionnement présentait en effet, selon la Cour de cassation, des liens
plus étroits avec l’Italie qu’avec la France, puisque ce contrat, rédigé en italien, avait été conclu en
Italie, que le prêteur avait son siège dans ce pays, que l’emprunteur y avait sa résidence habituelle
et que le contrat de prêt dont l’acte de cautionnement constituait la garantie était régi par la loi
italienne.
Cette position appelle quelques commentaires.
En premier lieu, même s’il ne l’indique pas expressément, cet arrêt repose sur l’idée que le contrat
de cautionnement est soumis à sa loi propre et non pas nécessairement à la loi de l’obligation
garantie, comme la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de l’indiquer (V. Com. 8 juin 2010, n°
08-16.298, Dalloz jurisprudence).
En deuxième lieu, cet arrêt montre que la Cour de cassation entend, en ce domaine, exercer un
large contrôle sur les décisions des juges du fond, dans la mise en œuvre de la clause d’exception
prévue par l’article 4, § 5, de la Convention de Rome. Il reproche en effet à la décision d’appel non
pas un simple manque de base légale mais bien une violation de l’article 4 de la Convention. Ce
faisant, la Cour en vient à exercer un contrôle sur l’appréciation de fait des éléments de
rattachement effectuée par les juges du fond, ce qui la conduit à déterminer elle-même la loi qui
entretient les liens les plus étroits avec le contrat litigieux.
En troisième lieu, sur le fond, la solution qui est ainsi promue mérite l’attention compte tenu de son
importance pratique. Il est vrai que l’arrêt n’a été rendu qu’au regard de circonstances d’espèce, ce
qui réduit sa portée. Néanmoins, ces circonstances sont sans doute assez communes, de sorte que
l’approche consacrée ici a vocation à être reproduite dans d’autres affaires.
Cautionnement et loi de police
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L’arrêt conduit enfin à s’intéresser à la qualification, dans le perspective du droit international privé,
de textes incontournables du droit français du cautionnement, à savoir de l’article 1326 du code
civil (qui fait obligation à la partie qui s’engage seule envers une autre à lui payer une somme
d’argent de porter sur le titre constatant cet engagement sa signature ainsi qu’une mention écrite
par elle-même de la somme en toutes lettres et en chiffres) et des articles L. 341-2 et L. 341-3 du
code de la consommation (qui imposent à la personne physique qui se porte caution envers un
créancier professionnel de faire précéder sa signature d’une mention manuscrite).
La cour d’appel avait considéré que ces dispositions devaient être appliquées en l’espèce en raison
de leur caractère impératif, lié au fait que leur objectif est, par la prévision d’un formalisme, la
protection de la caution. Elle avait donc, en substance, considéré que ces dispositions devaient être
qualifiées de loi de police, au sens du droit international privé, ce qui devait conduire à les faire
prévaloir, indépendamment du jeu de la règle de conflit de lois. L’article 7 de la Convention de
Rome, relatif aux lois de police, prévoit en effet que les dispositions de la Convention ne pourront
pas porter atteinte à l’application des règles de la loi du pays du juge qui régissent impérativement
la situation, quelle que soit la loi applicable au contrat.
Il est vrai que la question est délicate et que la doctrine s’interroge depuis longtemps sur la
qualification éventuelle de loi de police des dispositions françaises protectrices de la caution (pour
une présentation récente de la problématique, V. M. Audit, S. Bollée et P. Callé, Droit du commerce
international et des investissements étrangers, LGDJ, 2014, n° 628).
À nouveau, la position des juges du fond est toutefois censurée, sur le fondement d’un motif qui
mérite d’être reproduit : « ni l’article 1326 du code civil […] ni les articles L. 341-2 et L. 341-3 du
code de la consommation […] ne sont des lois dont l’observation est nécessaire pour la sauvegarde
de l’organisation politique, sociale et économique du pays au point de régir impérativement la
situation, quelle que soit la loi applicable, et de constituer une loi de police ».
Cette solution mérite la plus grande attention car elle semble être énoncée par la Cour de cassation
pour la première fois. Elle appelle, dans le cadre de ce bref commentaire, deux remarques.
D’une part, l’arrêt fournit lui-même une définition des lois de police, au sens de l’article 7 de la
Convention de Rome. Elle est évidemment proche de celle retenue par la Cour de justice le 23
novembre 1999 (aff. 369/96, § 30), qui énonçait que les lois de police sont des dispositions
nationales dont l’observation a été jugée cruciale pour la sauvegarde de l’organisation politique,
sociale ou économique de l’État membre concerné, au point d’en imposer le respect à toute
personne se trouvant sur le territoire national de cet État membre ou à tout rapport juridique
localisé dans celui-ci.
D’autre part, compte tenu de la définition des lois de police qui est ainsi retenue, il apparaît justifié
d’écarter cette qualification à propos des articles 1326 du code civil et L. 341-2 et L. 341-3 du code
de la consommation. Si ces articles permettent d’instaurer une protection de la caution, il serait en
effet excessif de considérer qu’ils concourent à la sauvegarde de l’organisation sociale ou
économique de la France. Peut-être les juges de cassation ont-ils d’ailleurs eu à l’esprit la nouvelle
définition des lois de police fournie par le règlement n° 593/2008 du 17 juin 2008, selon laquelle
une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la
sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique (art.
9). Même si ce règlement n’était pas applicable en l’espèce, la référence qui est ainsi faite à la
sauvegarde des intérêts publics ne peut en effet qu’inciter à la modération lorsqu’il s’agit de
déterminer, au regard de la notion de loi de police, la qualification de dispositions qui visent avant
tout la protection d’intérêts particuliers.
Site de la Cour de cassation
par François Mélin
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