Vol. 24, No. 3 - Association des intervenants en dépendance du
Transcription
Vol. 24, No. 3 - Association des intervenants en dépendance du
Revue sur la toxicomanie et le jeu excessif 5,00 $ VOLUME 24 NUMÉRO 03 Le dépôt du projet de loi 50 : entre la réalité et l’espoir, un premier pas! Envoi de poste–publications – Numéro de convention 40065296 La nymphomanie (2e partie) APTE : Un nouveau programme de prévention des toxicomanies bientôt disponible Réduction des méfaits, science et politique : d’hier à demain La culpabilité : sources et méthodes pour en finir avec ce sentiment AVRIL 2008 03 04 05 08 09 16 17 19 VOLUME NUMÉRO 03 Mot du président Le dépôt du projet de loi 50 : entre la réalité et l’espoir, un premier pas! Richard Lusignan La nymphomanie (2e partie) Mériza Joly APTE : Un nouveau programme de prévention des toxicomanies bientôt disponible Michel Germain Réduction des méfaits, science et politique : d’hier à demain Pierre Brisson Jean-Sébastien Fallu Info-Livres La culpabilité : sources et méthodes pour en finir avec ce sentiment Katherine Bourdon Communiqués Matériel rédactionnel Vous désirez publier dans nos pages? N’hésitez pas à nous faire parvenir tout article abordant la problématique des toxicomanies. Vos textes peuvent traiter des initiatives pratiques de groupes dans la communauté, du rôle des intervenants pour améliorer les services à la clientèle, d’études ou d’analyses de programmes, etc. 2< L’intervenant |24|03 24 Abonnement L’intervenant s’adresse aux professionnels et aux personnes intéressées au domaine de la toxicomanie. Vous pouvez obtenir un abonnement à L’intervenant au coût de 17,95 $ par an (25 $ à l’extérieur du Canada). Parutions : janvier, avril, juillet et octobre. SOMMAIRE CALENDRIER AVRIL 2008 Responsabilité de l’éditeur L’éditeur ne se tient pas responsable des opinions émises dans cette publication. Les auteurs ont l’entière responsabilité de leur texte. Les écrits sont publiés tels que soumis, qu’ils rencontrent ou non les orientations de l’AITQ, en autant qu’ils soient pertinents et d’actualité. 9 avril 2008 22e rencontre nationale des intervenants en promotion de la santé et prévention des ITSS auprès des UDI Rien à leur sujet sans elles : empowerment des personnes qui font usage de drogue par injection Hôtel Sandman, Longueuil 11 au 15 mai 2008 19e Conférence internationale de l’IRHA sur la réduction des méfaits Barcelone, Espagne 18 au 25 mai 2008 Semaine l’amitié n’a pas d’âge 6 juin 2008 Assemblée générale des membres de l'AITQ Delta, Trois-Rivières 12 et 13 juin 2008 Journées nationales de l'ANIT Addictions au quotidien, l'ordinaire des addictions Nîmes, France 10 au 12 juillet 2008 A climate for change Sommet international sur la dépendance Melbourne, Australie 26 au 29 octobre 2008 XXXVIe colloque de l'AITQ Les multiples facettes de la dépendance Delta, Trois-Rivières Dates de tombée Reproduction Matériel publicitaire : 1er mars, 1er juin, 1er septembre et 1er décembre. Toute reproduction totale ou partielle d’articles, de photos ou de graphiques est interdite à moins d’une entente écrite avec l’éditeur. Matériel rédactionnel : 15 février, 15 mai, 15 août et 15 novembre. M O T D U P R É S I D E N T Ensemble, soyons fiers du chemin parcouru et traçons l’itinéraire à venir E Voici deux expressions qui caractérisent bien l’étape que nous franchissons en tant qu’association à l’occasion de son 30e anniversaire d’existence. Il s’agit d’un moment qui est significatif et qui doit nous permettre de se donner un nouvel élan pour les prochaines années. Cette énergie qui fut préservée au fil du temps est aussi le fruit d’efforts et de collaborations entre toutes les personnes qui ont été membres des conseils d’administration qui se sont succédés et enfin par la permanence de l’association qui a, d’année en année, développé des contacts, des outils et une expertise toujours plus près des besoins des membres. Bref, un MERCI s’impose pour toutes C’est aussi par ce thème que je vous invite, ainsi que les membres ces personnes. du conseil d’administration, à participer aux activités entourant l’anniversaire de notre association qui se dérouleront lors de la Dans un autre ordre d’idée, vous trouverez dans ce numéro de la prochaine assemblée générale annuelle le vendredi 6 juin prochain, revue des articles des plus intéressants. Nous aurons un bilan de à l’Hôtel Delta de Trois-Rivières à compter de 13 h15. Ce sera le bon Pierre Brisson et Jean-Sébastien Fallu sur la réduction des méfaits, moment pour se voir, entendre le point de vue des membres et se un article sur la culpabilité, un sur le projet de loi 50 concernant doter d’outils qui guideront les administrateurs de notre association les codes de profession et enfin la deuxième et dernière partie de pour les trois prochaines années. l’article sur la nymphomanie. CONSEIL D’ADMINISTRATION Cet anniversaire permet de constater que notre association s’est Je vous souhaite une agréable lecture de la revue et au plaisir de se bâti, au fil du temps, une réputation solide qu’il faut préserver. voir lors des prochaines activités de notre association. Malgré les nuages qui l’ont survolé à quelques occasions, l’AITQ, grâce à la détermination de ses membres, a toujours su relever les Steeve Poulin Président 2007-2008 défis qui se sont présentés. C’est cette volonté qu’il nous faut renouveler pour continuer vers l’avenir. Je suis convaincu que notre désir d’aider dans chacun de nos champs d’intervention se répercutera sur l’énergie dont a besoin notre association pour continuer sa vocation auprès de ses membres et de la population. Président : STEEVE POULIN, RÉSEAU DES DÉLÉGUÉS SOCIAUX QUÉBEC ET CHAUDIÈRE-APPALACHES Vice-présidente : LUCIE LANIEL, MAISON L’ODYSSÉE Secrétaire-trésorier : SÉBASTIEN PILON ÉTABLISSEMENT ARCHAMBAULT Administrateurs : LOUIS-PHILIPPE BERTRAND MAISON JEAN-LAPOINTE DENISE DUBREUIL CONSULTANTE MYRIAM LAVENTURE UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE NATHALIE MARTEL COMMISSION SCOLAIRE DES TROIS-LACS MIGUEL THERRIAULT MAISON D’ENTRAIDE POUR TOXICOMANES LE RUCHER Éditeur : ASSOCIATION DES INTERVENANTS EN TOXICOMANIE DU QUÉBEC INC. 505, RUE SAINTE-HÉLÈNE, 2e ÉTAGE LONGUEUIL (QUÉBEC) J4K 3R5 Revue trimestrielle Mois de parution : JANVIER, AVRIL, JUILLET, OCTOBRE. Directrice : Envois de publications canadiennes : CONTRAT DE VENTE CARMEN TROTTIER no 40065296 Abonnements et secrétariat : ISSN 0823-213X (450) 646-3271 [email protected] Dépôt légal Maquette : BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DU CANADA KÉROZEN COMMUNICATION DESIGN Infographie et impression : IMPRIMERIE G.G. INC BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES DU QUÉBEC Indexée dans REPÈRE L’intervenant |24|03 > 3 R É F L E X I O N Le dépôt du projet de loi 50 : entre la réalité et l’espoir, un premier pas! Richard Lusignan Regroupement pour la création d’un ordre professionnel en criminologie Des raisons de célébrer… Le 13 novembre 2007, le ministre Dupuis déposait le projet de loi 50 « Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines ». Ce projet de loi concerne les professionnels qui sont membres d’ordres déjà reconnus, les considérations portant sur l’intégration des criminologues au système professionnel québécois dans le mémoire (pour l’instant confidentiel) du Ministre qui accompagne l’adoption du projet de loi. Le projet de loi a été présenté par le ministre Dupuis au Conseil des ministres ce qui constitue l’adoption de principe de ce projet. Les étapes qui suivront réfèrent à l’étude détaillée en commission parlementaire (début 2008) ainsi qu’à l’adoption du projet de loi possiblement modifié lors de la session du printemps. L’entrée en vigueur proprement dite ne surviendrait que dans un an (en 2009) lorsque les accommodements et les transitions nécessaires auront été effectués. Donc, selon la teneur des discussions survenues entre le Regroupement et l’Office des professions du Québec (OPQ), les criminologues seront finalement intégrés au système professionnel québécois! Cela devrait même constituer une obligation pour les criminologues pratiquant auprès des enfants, des adolescents ou des adultes porteurs d’un diagnostic psychiatrique. Précisons que l’introduction de nouvelles mesures par l’OPQ se concrétise par le désir de ne pas perturber les pratiques ayant actuellement cours. En ce sens, il n’y a pas lieu de craindre de perte d’emploi, d’activités cliniques (ex. animation de groupe thérapeutique) ou autre scénario catastrophique. Toute nouvelle mesure s’accompagne de délais afin que les personnes qui s’acquittent présentement de ces activités puissent continuer de le faire en répondant aux nouveaux critères de l’OPQ. …des négociations et des démarches à poursuivre En l’absence d’un accès aux documents et informations distribués aux parlementaires, nous remarquons cependant que 4< L’intervenant |24|03 l’activité réservée portant sur l’évaluation de la personne délinquante (pouvant faire l’objet d’une recommandation de probation ou de libération conditionnelle) ne figure pas au projet de loi 50. Puisqu’il s’agit d’une activité professionnelle dite partagée entre les membres de différents ordres professionnels (ex. travailleurs sociaux, psychologues, etc.) nous devons conclure que celle-ci ne figurera pas non plus au niveau des tâches réservées aux criminologues. On se rappellera que l’accompagnement des victimes d’actes criminels n’a pas été retenu comme élément d’une activité professionnelle réservée. Suite à ce constat, des démarches ont été entreprises par le Regroupement afin de rencontrer le président de l’OPQ ainsi que le ministre parrain de ce projet de loi. Cela afin de faire valoir l’importance de protéger l’ensemble des clientèles issues de la population qui reçoivent des services de la part de criminologues. Cela étant dit, il ne faut pas sous-estimer le pouvoir d’attraction que l’existence d’un ordre professionnel en criminologie peut exercer sur les confrères/consoeurs qui ne se trouvent pas encore devant l’obligation d’appartenir à un tel ordre. En ce sens, nous devrons poursuivre nos démarches d’information auprès des criminologues du SCC, du SCQ, etc., afin d’y étendre notre membership. Nous vous tiendrons au courant des développements au cours des prochains mois. Pour l’instant, célébrons la venue du nouvel ordre! < S E X O L O G I E La nymphomanie (2e partie) La dépendance sexuelle selon Carnes1 (2001) Mériza Joly M.A. Sexologue clinicienne et psychothérapeute Le contrôle de la motivation sexuelle Les hommes et les femmes qui n’ont pas de conflit sexuel manipulent instinctivement les stimuli psychosexuels afin d’actualiser une rencontre érotique. Une personne tend à accentuer les aspects positifs chez l’autre, à l’idéaliser lorsqu’il se trouve face à la bonne personne, au bon endroit et au bon moment. Parallèlement, il tait les stimuli qui tenteraient d’amoindrir ou de tuer son désir. L’amoureuse se prépare en anticipant sa rencontre avec plaisir et elle fantasme sur les joies érotiques qui en découleront. Les individus aux prises avec un désordre hyposexuel auraient tendance à mettre l’emphase sur les aspects négatifs d’une rencontre érotique. À moins d’un désordre neurochimique clinique, on retrouve chez les hyposexuels une pratique qui consiste à ne voir que les aspects négatifs chez l’autre ce qui contribue à empêcher une vision excitante et invitante de l’autre. La rencontre érotique est alors perçue comme un désavantage, une menace au bien-être. Cette vision psychosomatique tient pour fait que les mécanismes du désir sexuel sont sensibles tant aux facteurs biologiques qu’aux stresseurs psychologiques. Finalement, la différence entre les individus vivant de l’hypersexualité ou des désirs sexuels élevés se trouve dans le contrôle de leur pulsion. Les gens qui ont des désirs sexuels élevés ont une attitude proactive face à la recherche de plaisir sexuels. Ils ont des activités sexuelles similaires aux hypersexuels en termes de fréquence, de quantité, de difficulté à se concentrer dans leur activités lors des montées de désir mais aussi en termes de frustration lorsqu’ils ne trouvent pas d’exutoire à leur désir. Toutefois, ils sont en mesure de faire la différence lorsque l’activité sexuelle est inappropriée ou serait à leur désavantage. La plus importante des distinctions entre l’hypersexuelle et la personne chez qui la sexualité occupe une place de choix est que cette dernière ne vit pas de détresse par rapport à sa condition et son conjoint non plus. L’intense vie sexuelle dont ils sont porteurs tend à être une source d’enrichissement à leur vie de couple et à leur vie amoureuse. La dépendance sexuelle est définie comme tout comportement de nature sexuelle qui interfère avec les activités normales de la vie et qui causent des dommages ou des stress importants dans la famille, au travail, dans le budget et sur la santé mentale et physique de la personne. La dépendance n’est pas un choix mais bien l’absence de choix devant des comportements sexuels envahissants. C’est la prise de contrôle de la dépendance. La dépendance sexuelle existe sous plusieurs formes : partenaires multiples, érotomanie, séduction compulsive, masturbation compulsive, pornographie, services sexuels payants,voyeurisme/ exhibitionnisme/frotteurisme, viol, pédophilie et inceste. Les comportements hypersexuels n’amènent pas toujours une dépense en terme financier mais ils amènent toujours un coût en temps investi dans l’activité : manque de sommeil, mauvaise alimentation, isolement social, absentéisme, perte d’emploi, arrêt ou stagnation dans la carrière, diminution des autres activités de la vie. Il ne faut pas mélanger dépendance sexuelle et épisodes hypersexuels. En effet, les périodes de changement peuvent provoquer une hypersexualité temporaire : les nouveaux célibataires, le début de l’âge adulte, la masturbation compulsive à l’adolescence, les périodes de stress intenses, etc. Certaines personnes vont s’adonner à une sexualité compulsive durant un moment pour ensuite reprendre un rythme normal mieux adapté à leur besoins et à leur réalité. Avec toutes les sensations impliquées dans la sexualité, on peut dire que celles-ci altèrent les humeurs. Certains se masturbent lorsqu’ils sont stressés, d’autres pour mieux s’endormir, d’autres pour faire passer une tension, parce qu’ils ont mal au ventre, parce qu’ils sentent une pulsion sexuelle, etc. On se masturbe pour toutes sortes de raisons, toutes aussi valides les unes que les autres, mais pour le dépendant sexuel, toutes les raisons sont bonnes pour utiliser la sexualité. Les moindres sensations et émotions sont sexualisées. La dépendance sexuelle est une façon mal adaptée que la personne utilise pour altérer son senti, supporter son malaise existentielle ou pour ne rien ressentir. Au bout d’un certain moment, la sexualité trahie la personne, là où elle procurait jadis de l’apaisement, du plaisir et du réconfort, elle ne laisse plus que de la honte et du désarroi et c’est alors que la douleur devient plus forte que le soulagement escompté. ____________________ 1. Carnes, Patrick. (2001). Out of the Shadows: Understanding Sexual Addiction (3Rd Ed.) Hazelden, 219 pages. L’intervenant |24|03 > 5 Les dépendants sexuels se jugent alors très durement. Ils reconnaissent le problème, mais ils s’isolent protégeant leur intimité, cachant leur secret. Ils croient que si quelqu’un connaissait leur dépendance, ils seraient vite rejetés et abandonnés. La peur est parfois légitime lorsqu’on a commencé à mentir à son entourage. Dévoiler son problème impliquerait de lever le voile sur des situations antérieures, de révéler le mensonge. Lorsque l’identité secrète devient plus importante que l’identité publique, la famille, les amis, les collègues connaissent une fausse identité. Cette double vie a créé chez le dépendant une distance avec la communauté. La capacité de la personne à faire confiance aux autres a été minée par sa dépendance. Avant de demander de l’aide, la personne peut vivre un certain temps avec la peur d’être découverte. Le révéler peut signifier des pertes et du jugement social. Pour le dépendant sexuel la relation est avec le sexe et non avec la personne. Carnes (2001) définit 3 niveaux de dépendance sexuelle : 1. Ce sont les comportements jugés normaux, acceptables et tolérables par la société : masturbation; danseuses exotiques, travailleuses du sexe, pornographie, relations multiples, etc. 2. Ce sont des conduites nuisibles qui font des victimes et qui sont sanctionnées par la loi : exhibitionnisme, voyeurisme, frotteurisme. Au niveau 2 on parle de victimisation car l’autre ne sait pas, il n’a pas donné sa permission. 3. Ce sont des comportements qui provoquent de graves conséquences pour les victimes et des conséquences légales pour les dépendants : viol, inceste, pédophilie. Les frontières sont transgressées, les lois sont violées et les codes de déontologie sont enfreints. Le niveau III est une progression sévère de la dépendance et il y a présence des niveaux 1 et 2. Le viol est l’extension la plus tragique de la dépendance sexuelle. La majorité des dépendants sexuels se trouvent dans la première catégorie. Pour se rétablir de sa dépendance sexuelle, le dépendant doit revoir son système de croyances. En effet, Carnes (2001) croit que le cœur de la dépendance sexuelle se situe à ce niveau. Voici les 4 croyances fondamentales que le dépendant sexuel aura à revoir s’il veut se rétablir : 1. Je suis fondamentalement une mauvaise personne. 2. Personne ne m’aimerait tel que je suis. 3. Mes besoins ne seront jamais comblés si je dois me fier à quelqu’un d’autre. 4. Le sexe est mon besoin le plus important. En trouvant des alternatives à ces croyances erronées et aux autres qu’elle entretient, la personne développe une vision et des attentes plus saines et réalistes envers elle-même et envers les autres. Carnes propose l’approche des 12 étapes adaptée à la dépendance sexuelle comme programme de rétablissement. Toutefois, la finesse et la richesse de sa théorie sur la dynamique de la dépendance sexuelle et du dépendant sexuel dépasse largement les notions habituelles des programmes de 12 étapes. Le lecteur rébarbatif à cette philosophie aurait, selon nous, avantage à dépasser ses réserves en allant puiser dans cette littérature 6< L’intervenant |24|03 Invitation à l’assemblée générale des membres de l’AITQ Date : 6 juin 2008 Endroit : Delta Trois-Rivières Conférencier invité : L'honorable juge Michael Sheehan En travaillant ensemble pour la prévention du suicide, on peut tout changer L’activité est réservée aux membres de l’association. quelques explications claires et solides du phénomène qu’il pourra, à sa guise, transmettre à ses clients. Où sont les femmes? Ferree2 nous fait remarquer que l’addiction sexuelle féminine ne serait pas reconnue à cause de plusieurs mythes concernant les femmes notamment les deux suivants : a) Règle générale, les femmes ne sont pas dépendantes sexuelles, elles manquent de désir sexuel. b) Les femmes sont dépendantes affectives ou amoureuses mais non dépendantes sexuelles. Cette vision biaisée (romantique et idéalisée) de la femme porterait plusieurs cliniciens à ne pas envisager la possibilité de comportements de dépendance sexuelle chez les consultantes et à ne pas aborder la question. Cependant, lorsque les femmes sont cliniquement dépendantes sexuelles, les jugements sont stricts. Les femmes ne sontelles pas les gardiennes de la vertu? Nier la réalité de la femme dépendante sexuelle est une attitude sexiste qui ne reconnaît pas aux femmes leur détresse et leur besoin d’aide. Antérieurement, ce double standard était présent vis-à-vis la femme alcoolique et la femme toxicomane. Cette dernière était jugée encore plus dépravée que l’homme alcoolique. À conditions égales, la femme est jugée plus sévèrement et son comportement influencera plus durement son couple. Comme le mentionnait Coleman (1988)3, un homme va quitter sa conjointe alcoolique plus souvent qu’une femme ne quittera son conjoint alcoolique. Schneider et Schneider4 (1991) font le même constat dans un couple où la femme est dépendante sexuelle. ____________________ 2. Ferree, Marnie, C. (2001). « Female and sex addiction : Myths and diagnostic implications ». Sexual addiction and compulsivity. 8. p. 287-300. 3. Coleman, Eli. (1988). Chemical Dependency and Intimacy Dysfunction. Coleman, Eli Ed. NY: The Hawthorn Press, 268 p. 4. Schneider, J. et Schneider, B. (1991). « Women sex addicts and their husbands: Problems and recovery issues ». American Journal of Preventive Psychiatry & Neurology, 3, p. 1-5. Selon Carnes5 durant plusieurs années, la dépendance sexuelle était vue comme un phénomène typiquement masculin. Alors qu’on y retrouvait le même ratio homme/femme qu’en toxicomanie, c'est-à-dire 3 hommes/1 femme, ce dernier constate que depuis quelques années, il retrouve dans ses groupes sur la dépendance sexuelle un nombre égal et parfois supérieur de femmes en thérapie. Nous sommes loin du constat fait par Kaplan6 (1995) qui mentionne que de 1972 à 1992 sur 2336 femmes évaluées, seulement 2 femmes pouvaient être qualifiées de dépendante sexuelle. Devant des chiffres aussi disproportionnés provenant d’experts dans le domaine, on ne peut que constater le besoin d’un outil d’évaluation uniforme sur la dépendance sexuelle. Conclusion Ce léger survol de quelques approches dans le domaine de la dépendance sexuelle permettra, je l’espère, aux lecteurs profanes de se situer par rapport au phénomène. Plusieurs auteurs présentent des caractéristiques de la dépendance sexuelle faciles à identifier et la plupart opposent des mises en garde qui sont toujours appropriées et qui permettent au clinicien de se positionner. Dans le doute, il vaut mieux questionner la cliente sur ses motifs de croire qu’elle serait porteuse d’un trouble d’hypersexualité. A-t-elle commencé à perdre du temps, de l’argent, sa santé, ses amis, son estime? Se place-t-elle dans des situations à risque pour sa sécurité ou celle de ses enfants? Si nous voulons appliquer l’approche de la réduction des méfaits dans cette problématique, quels seraient les suggestions possibles? Avec la venue de l’Internet, les femmes font de plus en plus de rencontres anonymes. Se placent-t-elles dans des situations où elles risquent de croiser des individus violents? La dépendance sexuelle amène la personne à faire des choix qui ne sont pas judicieux et les conséquences peuvent être dramatiques. Quels sont les pas que la cliente est prête à faire pour sa sécurité lorsqu’elle ne veut pas cesser sa dépendance? La dépendance sexuelle féminine est une réalité et de plus en plus de femmes demandent de l’aide. Après quelques années de dépendance sexuelle active, plusieurs se retrouvent incapables à développer une relation affective engagée et c’est à ce moment qu’elles se retrouvent en clinique. Lors du premier ou des premiers entretiens, on peut s’attendre à ce que la cliente ne révèle qu’une partie « acceptable » de la situation. Elle teste le clinicien afin de savoir si elle peut parler, si elle sera accueillie dans sa demande d’aide. Peut-être que les conséquences de ses choix ne l’ont pas amené à modifier ses comportements et dans la honte, elle préfère taire son secret. Toutes ces réserves sont légitimes et ce sera au clinicien de gagner la confiance de la cliente et de créer une alliance thérapeutique afin de l’aider à développer une relation amoureuse et affective saine auprès d’une personne judicieusement choisie. Pour terminer, l’intervenant qui reçoit une dépendante sexuelle dans son bureau ne doit pas oublier que la séduction et les comportements sexuels de cette dernière sont ses comportements de survie, ses mécanismes de défense. Elle ou il ne doit pas s’attendre à ce qu’ils disparaissent lorsqu’elle franchit la porte. Si l’attirance est trop forte, si le clinicien commence à fantasmer sur sa cliente il doit le reconnaître et se retirer du dossier avant de devenir toxique ou de transgresser son code de déontologie. Devenir toxique pourrait impliquer de devenir rigide et froid et de ne plus être dans des dispositions bienveillantes devant l’autre. Transgresser implique de perdre sa neutralité, de rechercher des gains narcissiques avec sa cliente à son détriment, d’avoir une attitude de séduction de la part du clinicien et, au pire, de victimiser sa cliente en ayant des rapports sexuels avec elle. < ____________________ 5. Carnes, Patrick. (2006). « Women and Sex Addiction ». Counselor, The Magazine for Addiction Professionals, June, vol. 7, no 3, p. 34-39 6. Kaplan, Helen S. (1995). The sexual desire disorders. New-York, 332 p. 505, rue Sainte-Hélène, 2e étage Longueuil (Québec) J4K 3R5 Téléphone : (450) 646-3271 Télécopieur : (450) 646-3275 Courriel : [email protected] Je désire recevoir de l’information sur les formations. Je désire recevoir de l’information sur l’Association des intervenants en toxicomanie du Québec inc. (AITQ). Je désire m’abonner à la revue L’intervenant; je joins un chèque au montant de 17,95 $ pour 4 numéros (25 $ à l’extérieur du Canada). Veuillez prendre note de mon changement d’adresse à compter du : ____/____/____ Ancienne adresse : ________________________________ Nom : _____________________________________________ Adresse : ___________________________________________ App. : ___________________________________________ Ville : ______________________________________________ Code postal : ______________________________________ Téléphone : (_______)___________________________________ Télécopieur : (_______)_________________________________ Courriel : ____________________________________________ L’intervenant |24|03 > 7 R É F L E X I O N APTE : Un nouveau programme de prévention des toxicomanies bientôt disponible Michel Germain, directeur général CQLD L e Centre québécois de lutte aux dépendances (CQLD) est présentement à finaliser un programme d’Activités de Prévention des ToxicomaniEs : le programme APTE. Ce programme, développé à partir des pratiques exemplaires en prévention et fondé sur les croyances des jeunes, fournira aux intervenants de tous les milieux des outils d’intervention efficaces visant la prévention des toxicomanies auprès des jeunes de 9 à 24 ans. Dans le cadre du Fonds des initiatives communautaires de la Stratégie antidrogue, Santé Canada subventionne depuis 2005, la conception et le développement du programme. Au départ, deux constats attirent l’attention : le fait que les jeunes s’initient de plus en plus tôt aux drogues, tout en banalisant la consommation et le fait que ceux-ci reçoivent des messages contradictoires sur la question. De ce fait, même s'ils possèdent quelques croyances adéquates qui les protègent, les jeunes développent également beaucoup de croyances erronées, qui les placent à risque en matière de consommation. Le but du programme s’impose alors : agir sur leurs comportements vis-à-vis des substances psychoactives, soit en renforçant les croyances protectrices reliées à la non-consommation ou à une consommation éclairée et responsable, ou en corrigeant les croyances erronées ou à risque (pour réduire la prévalence de consommation et les méfaits qui y sont associés). Le programme APTE agit sur trois niveaux : il aide les jeunes à distinguer les fausses croyances des vraies en matière de consommation de psychotropes, à reconnaître le niveau de risque associé à la consommation et à développer une opinion personnelle sur celle-ci. Leonor Cunha Rêgo, professionnelle de recherche au CQLD, nous affirme que ce programme comporte plusieurs aspects innovateurs, « Le principal étant qu’il part des croyances des jeunes » explique-t-elle. « Nous avons procédé à des enquêtes auprès de ceuxci pour sonder leurs croyances concernant la consommation d'alcool et d'autres drogues. » Par ses activités, le programme APTE invite les jeunes à entretenir un dialogue entre eux sur le sujet. Ce programme de groupe est donc basé sur l’échange et l’interaction. Les faits sont rétablis à l'aide de messages harmonisés transmis par l'intervenant. Il corrige les idées fausses, mais renforce celles qui sont justes. Le programme vise un large public, mais sa flexibilité lui permet de rejoindre chacun d’entre eux. Il s’adresse aussi bien aux enfants de 9 ans qu’aux jeunes adultes de 24 ans, qu’ils soient consommateurs 8< L’intervenant |24|03 ou non. Il s’adapte aussi à des milieux divers : l’école, les maisons de jeunes, les milieux sportifs ou communautaires. Il guide adéquatement l’intervenant à animer les activités avec ces différents groupes. Pour ce faire, le contenu des activités est flexible, mais le déroulement de celles-ci reste identique. « Une caractéristique appréciée du programme est que l’intervenant n’a pas besoin de préparer ses activités plusieurs fois car la structure est identique, seul le contenu change selon l’âge du groupe, le niveau de consommation et le contexte. » explique Madame Cunha Rêgo. Le programme se divise en cinq activités dont les sujets touchent directement les jeunes : les amis, la famille, le milieu de vie, la communauté et les médias. On parcourt ainsi les principaux facteurs d’influence qui agissent sur les jeunes. Chaque séance commence par une période d’échanges entre les participants et se termine par un moment où l’intervenant fait le point sur ce qui a été discuté, corrigeant les croyances erronées ou à risque et renforçant celles qui sont adéquates et qui protègent les jeunes. L’exercice reste consensuel et participatif. Le ton n’est jamais moralisateur et les informations fournies restent objectives. Voici les différents aspects travaillés dans chacune des cinq activités : • LES AMIS : Connaître les risques associés à la consommation et trouver des façons de les éviter ou de les diminuer; • LA FAMILLE : Se comprendre (parents/enfants) et savoir comment agir dans des environnements à risque; • LE MILIEU DE VIE : Capacité à prendre des décisions réfléchies et éclairées; • LA COMMUNAUTÉ : Les conséquences de la consommation à plusieurs niveaux, et ce, à court et à long terme; • LES MÉDIAS : Les influences et les effets. En somme, il s’agit d’un outil pertinent car il est basé sur ce que les jeunes pensent réellement des drogues et de l’alcool. Son efficacité résulte de sa façon de rejoindre les jeunes à travers leurs croyances et de transmettre des messages clairs. Le programme APTE fait appel à une grande participation de la part des jeunes dans toutes les activités afin qu’ils puissent construire une vision juste de la consommation. L’intervenant sert ici de guide pour les aider à réaliser ce but. Le programme APTE est présentement dans sa phase finale d’évaluation en français et en anglais dans différents milieux au Québec et au Nouveau-Brunswick. Autant les intervenants impliqués, que les jeunes ayant participé au programme, sont unanimes sur la pertinence et l’utilité des moyens proposés. Le lancement du programme aura lieu en septembre 2008. Une formation sur son utilisation sera également offerte par le CQLD à partir de l’été prochain. Pour plus d’informations, consultez le site Web du CQLD : www.cqld.ca. < Pierre BRISSON Programmes de toxicomanie, Université de Montréal et Université de Sherbrooke École de travail social, Université du Québec à Montréal Jean-Sébastien FALLU École de psychoéducation, Université de Montréal Président-fondateur, GRIP Montréal N ous souhaitons, par cet article, contribuer à la discussion publique sur la place passée, présente et à venir de la réduction des méfaits dans le contexte de nos sociétés en présentant un bilan des pratiques, des données scientifiques et des enjeux politiques sur le sujet. Nous faisons d’abord le rappel des méfaits générés par le cadre politique et stratégique de la guerre à la drogue pour ensuite dresser un portrait, québécois et international, des pratiques actuelles de réduction des méfaits de même que des conclusions des évaluations menées à ce jour sur ces pratiques. Nous terminons en situant la tendance des orientations politiques des dernières années, au Canada et au Québec, en ce qui a trait à l’intégration de l’approche dans nos sociétés. Les méfaits de la guerre à la drogue En plus d’être inefficace et inefficiente dans l’atteinte de ses propres objectifs qui sont la réduction de l’offre et de la demande en drogues2, la prohibition entraîne des dommages collatéraux bien supérieurs à ceux produits par les drogues elles-mêmes, sur la santé des individus, la sécurité des populations ainsi que sur l’équilibre même de l’économie et la démocratie de nos sociétés. R É D U C T I O N D E S M É FA I T S Réduction des méfaits, science et politique : d’hier à demain1 aussi le remplacement de substances temporairement inaccessibles par d’autres souvent plus toxiques, occasionnant alors morbidité et mortalité chez les utilisateurs peu expérimentés. L’état de prohibition relègue aussi les consommateurs de drogues vers des contextes non sécuritaires d’usage tout en les éloignant des services de santé et de traitement : en effet, de peur d’être stigmatisés ou persécutés, plusieurs usagers refusent de s’adresser aux professionnels de la santé ou ne reçoivent carrément pas de traitement, ainsi que cela se produit en milieu carcéral où l’on retrouve pourtant une surreprésentation de personnes en besoin d’assistance thérapeutique. L’incarnation la plus terrible des méfaits précédemment décrits est certes la propagation de la transmission du VIH et du VHC au sein des usagers de drogues car, faut-il le rappeler, la majorité des nouvelles infections est toujours la conséquence du partage de matériel souillé chez les UDI. Méfaits sur la sécurité des populations La prohibition crée des problèmes de violence et de sécurité publique indépendants des effets des drogues elles-mêmes. Comme jadis la prohibition de l’alcool fut associée à une augmentation du crime au point qu’il en est devenu « organisé », l’actuelle guerre à la drogue voit une hausse directe de problèmes de criminalité qui ont des répercussions sur la tranquillité et la qualité de vie des citoyens : ainsi les luttes à tous les échelons pour le contrôle des marchés, au sein des trafiquants, et les problèmes d’approvisionnement en drogues chez les simples usagers pour qui le coût de certaines substances est prohibitif. Nombre d’observateurs émettent aussi l’hypothèse qu’en menant une guerre peu efficiente au trafic, cela contribue en fait à éliminer les maillons les plus faibles du marché et à créer des super puissances criminelles qui ne se gênent pas pour étendre leurs activités délictueuses à plusieurs autres secteurs de la vie sociale. Méfaits sur l’économie et la démocratie Méfaits sur la santé des usagers Enfin, la prohibition entraîne une pléiade de conséquences néfastes du point de vue de l’économie et de la démocratie. Au plan économique, en plus de la perte des revenus de la vente Au niveau sanitaire, la prohibition génère plusieurs effets pervers. D’abord, le contrôle criminel de l’offre qu’elle encourage ouvre la porte à l’adultération des produits, leur concentration accrue et l’apparition de modes d’administration plus risqués. Ces facteurs augmentent significativement les risques sociosanitaires d’intoxication, de surdoses et d’infections. Le marché noir favorise ____________________ 1. Note des auteurs : pour des raisons d’espace et afin de ne pas en rendre la lecture trop lourde, le texte est volontairement exempt des références qui toutes se retrouvent en bibliographie. 2. Notre propos n’étant pas d’élaborer sur cette démonstration, qu’il suffise de dire que, d’après les estimations des autorités policières elles-mêmes, aussi peu que de 10 à 25 % de la drogue produite sur la planète est effectivement interceptée, bon an mal an; quant à la demande, il est simple de constater que depuis la première loi antidrogue canadienne de 1908, les prévalences de consommation de tous les produits illicites ont progressé de façon continue, avec des fluctuations dans le temps qui n’ont que peu à voir avec un quelconque effet dissuasif des lois. L’intervenant |24|03 > 9 et de la taxation des produits psychotropes (et leur redistribution sociale) au profit du crime organisé et en plus d’obliger à l’investissement de sommes colossales dans la surveillance et la répression des contrevenants (plutôt qu’en éducation et en traitement), la prohibition consacre de nouveaux seigneurs de la guerre dont la fortune est à même de déstabiliser les économies licites mondiales. Cette déstabilisation est aussi politique car les puissantes organisations criminelles pratiquent la corruption des policiers et des politiciens et utilisent des «taupes» pour infiltrer et manipuler les appareils politiques. Sur le plan des droits et libertés, la guerre à la drogue transforme du jour au lendemain des centaines de milliers de citoyens respectueux des autres lois en criminels à raison du simple choix de consommer certains psychotropes plutôt que d’autres. Dans plusieurs cas, la conséquence est l’emprisonnement pour des comportements n’ayant pourtant causé aucun préjudices à autrui. Les États-Unis possèdent ainsi les ratios mondiaux d’incarcération pour question de drogues les plus élevés. Cette restriction arbitraire des libertés individuelles se double souvent de violations systématiques des droits de la personne, soit de véritables abus de pouvoir de la machine juridico-pénale à l’endroit des contrevenants en matière de drogues : c’est ainsi que, toujours aux États-Unis, les afro-américains constituent 56 % de la population incarcérée pour des offenses liées aux drogues illicites alors qu’ils ne comptent que pour 14 % des utilisateurs actuels de ces drogues. La prohibition est ultimement susceptible d’engendrer une perte de confiance envers les institutions démocratiques. À force de constater l’échec de mesures de guerre coûteuses et peu efficaces et d’une propagande souvent disproportionnée et dramatisante, la crédibilité des autorités politiques en souffre. Et puis, de plus en plus de gens sont maintenant conscients que cette propagande et ces attaques visant le « fléau » de la drogue constituent au fond une habile entreprise de détournement de l’opinion publique des véritables problèmes de notre monde, là où il nous faudrait, plutôt que des politiques antidrogues, des politiques anti-pauvreté, antipollution, anti-ignorance, etc. Les pratiques actuelles de réduction des méfaits L’approche de réduction des méfaits a aujourd’hui près de vingtcinq années d’existence depuis l’apparition des premières pratiques de prévention de l’échange de seringues souillées au sein des groupes d’utilisateurs de drogues par injection (UDI) des Pays-Bas, en 1984. La désignation de telles pratiques sous le vocable harm reduction et la diffusion rapide de l’approche en Europe devaient, au cours de la décennie 1980, créer un nouveau courant d’intervention en santé publique et en toxicomanie. Ce courant n’a cessé depuis d’être l’objet de discussion quant à sa portée et à sa signification. Pour les besoins de cet article, nous limitons notre revue aux pratiques de réduction des méfaits concernant les drogues illicites en précisant l’état de leur développement au Québec et, au besoin, ailleurs au Canada et dans le monde. Fourniture de matériel Stratégie emblématique de la réduction des méfaits depuis 10< L’intervenant |24|03 l’origine dans tous les pays d’Occident, la fourniture de matériel concerne d’abord la provision de seringues propres mais également de matériel pour le chauffage de la drogue et de pipes à crack. Au Québec, les CAMI (Centres d’accès au matériel d’injection) couvraient, en 2006, 16 régions sanitaires sur 18 à travers 820 centres déclarés pour un total de quelque 1.3 millions de seringues distribués, 500 000 ampoules d’eau stérile et 212 000 Stéricup (comprenant : contenant stérile, manchon, filtre et tampon sec). En comparaison, pour un nombre d’UDI comparable, trois millions de seringues étaient distribuées gratuitement en Colombie-Britannique, la même année. La majorité de la distribution (80 %) est le fait d’organismes communautaires à vocation multiple et spécialisées en prévention des ITSS qui ne comptent pourtant que pour 7 % des CAMI, les autres étant les établissements du réseau - pharmacies, CLSC, CH – qui dispensent 20 % du matériel. Traitements de substitution Le principal traitement de substitution est celui à la méthadone, introduit dans les années 1960 aux Etats-Unis et répandu dans tous les pays occidentaux depuis l’avènement du sida. La méthadone est un opioïde de synthèse permettant d’éliminer les symptômes de sevrage aux opiacés (héroïne, morphine et autres), sans provoquer d’euphorie et sur la base d’une administration orale quotidienne. Au Québec, le Centre de recherche et d’aide pour narcomanes (CRAN) a introduit le traitement à Montréal, en 1986. Le réseau actuel de la méthadone au Québec repose sur trois centres spécialisés (CRAN, Hôpital Juif et CHUM/St-Luc) et un centre à bas seuil, le Relais Méthadone, pour la région montréalaise ; des programmes de traitement à l’intérieur de la plupart des centres publics de réadaptation et un réseau de médecins et de pharmaciens affiliés permettent une couverture sur l’ensemble du territoire québécois. Selon les données récentes, quelque 1700 personnes ont annuellement accès à l’une ou l’autre de ces ressources, le CRAN et Relais Méthadone en desservant plus du tiers ; alors que dans plusieurs pays d’Europe, la « couverture » de services permet de rejoindre de 50 à 60 % des consommateurs (et jusqu’à 75 % aux Pays-Bas), l’offre actuelle au Québec ne permet de rejoindre que le quart des usagers québécois. Plusieurs pays européens recourent à un autre opioïde synthétique, la buprénorphine, en traitement de substitution dont les effets durent 48 heures et s’avèrent dès lors plus sécuritaires au regard du surdosage. La disponibilité du traitement avec ce produit est actuellement à l’étude au Canada. Prescription d’héroïne Implantée au Royaume Uni depuis les années 1920 (sous le nom de Bristish System) de même qu’en Suisse et aux PaysBas, au cours des années 1990, cette stratégie est actuellement à l’étude dans plusieurs autres pays (Allemagne, France, Belgique, Espagne) dont le Canada. Elle consiste à prescrire l’opiacé convoité (héroïne, morphine) afin de rejoindre les consommateurs ayant échoué leurs tentatives de traitement à la méthadone ou des programmes d’abstinence et se retrouvant dans un état de misère avancé (morbidité, itinérance). Le North American Opiate Medication Initiative (NAOMI) est une étude clinique actuellement en cours sur deux sites canadiens (Vancouver et Montréal) auprès de 470 sujets, la moitié étant traités à la méthadone (groupe contrôle) et l’autre aux opiacés naturels (héroïne ou hydromorphone). Les premiers résultats sont attendus au cours de l’année 2008. Sites de consommation supervisée (SCS) Mesure d’aménagement du milieu établie depuis les années 1980 aux Pays-Bas et en Suisse, elle s’est progressivement répandue dans nombre de villes européennes pour totaliser une cinquantaine de sites en opération au début de l’an 2000. Les SCS sont intégrés dans une approche globale d’intervention offrant, selon diverses modalités, une panoplie de services sociaux et de santé (facilités pour l’hygiène et l’alimentation, soins infirmiers, travail de proximité, counseling en toxicomanie, activités de réinsertion). Les sites sont situés dans les grands centres, près des lieux de consommation et possèdent une entrée discrète ; certains offrent également la possibilité d’inhalation de drogues. En réponse aux besoins criants de la population vulnérable des UDI du quartier Downtown Eastside de Vancouver, le premier site supervisé d’injection en Amérique du Nord a ouvert ses portes le 12 septembre 2003 sous le nom d’insite, approuvé par Santé Canada et soutenu par les associations d’usagers, les représentants municipaux et le monde universitaire. Insite est aujourd’hui un des seuls sites au monde à faire l’objet d’une évaluation scientifique rigoureuse sous la responsabilité de l’Université de la Colombie-Britannique, cette évaluation constituant un enjeu stratégique pour toute l’Amérique du Nord dont le Québec. Testing des drogues La mesure de testing n’existe en aucun endroit au Canada en dépit d’un travail de lobbying en ce sens par les organismes responsables d’interventions en milieux festifs à Vancouver (Mindbodylove), Toronto (Toronto Raver Info Project - TRIP) et Montréal (Groupe de recherche et d’intervention psychosociale - GRIP). En Europe, plusieurs pays permettent le testing, selon des modalités variables, seuls les Pays-Bas en ayant toutefois fait une partie intégrante de leur politique publique. Le testing de produits peut se faire sur le site d’événements festifs ou à l’extérieur, selon trois principales méthodes : le test de Marquis (réaction colorée), l’identification des pilules (fiches permettant la comparaison avec des substances déjà analysées) et les techniques plus sophistiquées de la chromotographie et de la spectométrie de masse qui permettent une différentiation et une quantification des composées. Les buts poursuivis sont de prévention (réduction des risques pour l’usager), de protection (communication publique sur les substances en circulation) et de surveillance (observation de l’évolution des marchés). Changements politiques Cette mesure consiste en une application « libéralisée » des lois criminelles en matière de drogues au moyen du retrait de certains contrôles au profit de règlements ou de sanctions non pénales. Les applications dans le monde concernent le chef d’accusation de possession et touchent presqu’exclusivement le cannabis. On distingue la mesure de type déjudiciarisé (changement dans le statut légal) et celle de type de facto (aucun changement mais application modifiée de la loi) donnant lieu à diverses modalités d’applications : pénalités civiles (onze états américains) ; prohibition du commerce mais non de l’usage (Colombie, Suisse, Espagne) ; arrestation avec cautionnement (Australie, Portugal, Italie) ; aucune arrestation pour des petites quantités établies (Belgique, Allemagne, Danemark, Pays-Bas). Au Canada, malgré une rhétorique récurrente favorable à des amendements ou à une application plus souple de la loi (Commission Le Dain, Bill S-19, Comité Nolin), l’approche préconisée demeure essentiellement pénale et répressive. Le Québec se distingue cependant par une tradition de non poursuite criminelle des contrevenants mineurs en matière de possession de cannabis. Information, éducation, communication (IEC) Les stratégies d’information, d’éducation et de communication, regroupées sous le sigle IEC, font partie des pratiques les plus universellement répandues de réduction des méfaits, le plus souvent en tant que composantes clés des pratiques précédemment décrites - fourniture de matériel, SIS, testing. Au Québec, plusieurs produits ont été diffusés au cours des quinze dernières années sous forme d’affiches, brochures, dépliants, guides, documents vidéo, magazines, visant la connaissance des risques liés à l’usage, des modes de consommation sécuritaires et des facteurs de protection vis-à-vis de la transmission des ITSS. Mentionnons, entre autres, la brochure et le guide FX (AITQ), le dépliant et le guide Chacun son kit, une idée fixe (MSSS), le matériel d’information pour les gens fréquentant les événements festifs (GRIP Montréal), le vidéo Faire sa veine (Concertation toxicomanie Hochelaga-Maisonneuve) et le livre Savoir plus, risquer moins (CPLT/CQLD). En outre, deux campagnes publiques de persuasion sont à mentionner : la première, de type universel et initiée par le ministère à la fin des années 1990, visait un travail sur les attitudes de la population générale dans le but de favoriser un climat social propice à la prévention des ITSS (Solidarité : moins on juge, mieux on aide) ; la seconde, de type ciblée et initiée par des chercheurs en santé publique en 2006, visait à travailler les attitudes des jeunes de la rue non UDI dans le but de prévenir le passage à l’injection (Pourquoi commencer?). Travail avec et par les usagers Il s’agit ici d’une pratique fondatrice de la réduction des méfaits dans tous les pays d’implantation et, par essence, intrinsèqueL’intervenant |24|03 > 11 ment liée au déploiement d’autres stratégies, particulièrement la fourniture de matériel, les SIS et les mesures d’IEC. Le volet du travail auprès des usagers peut revêtir plusieurs formes (prise de contact, information, éducation, provision de matériel, counseling, accompagnement, référence, soins physiques) et plusieurs appellations (travail de rue, de proximité ou de milieu pouvant être le fait d’intervenants communautaires, sociaux, en toxicomanie ou en santé). Le second volet, directement orienté vers des visées d’empowerment, individuel et collectif, concerne la contribution de pairs aidants au travail auprès des usagers de même qu’au regroupement d’usagers en groupes d’autosupport. Depuis les débuts de l’action en réduction des méfaits au Québec, le travail auprès des usagers s’est déployé au travers différents organismes (CACTUS, Relais Méthadone, Spectre de rue, Point de repères, Préfix, Pic Atouts, Concertation Toxicomanie Hochelaga-Maisonneuve, l’Anonyme, Le Bon Dieu dans la rue, etc.) ; au fil des ans, certaines initiatives impliquant des pairs aidants (projet Plaiisirs, Méta d’Âme) ou des regroupements d’usagers (magazines Pusher d’Infos et l’Injecteur, l’ADDICQ) ont vu le jour. Approches motivationnelles Largement implantées et documentées dans les contextes d’intervention du counseling et de la thérapie, les approches motivationnelles font aujourd’hui partie des stratégies de plusieurs des plans d’action en réduction des méfaits en tant qu’interventions brèves, respectant le rythme et le désir de changement des usagers. Au Québec, l’introduction du « paradigme clinique » de la réduction des méfaits à l’intérieur de plusieurs centres publics de réadaptation confirme la pertinence préventive de certaines stratégies comme les approches motivationnelles auprès d’usagers ne voulant ou ne pouvant arrêter leur consommation. Le Centre de réadaptation DollardCormier, à Montréal, est précurseur dans l’implantation et l’évaluation de telles approches de réduction des méfaits en contexte thérapeutique. L’efficacité de la réduction des méfaits Nous résumons ici les conclusions tirées des recherches évaluatives les plus récentes en relation avec les champs de pratiques que nous venons de décrire. Trois types de constats se dégagent de la littérature en regard de la prévention et du contrôle de l’épidémie des ITSS associée à l’injection de drogues mais aussi de la diminution de la criminalité et de l’amélioration des conditions de vie, au plan physique et psychologique, des usagers de drogues. Les interventions éprouvées Deux types d’intervention ont été fréquemment et rigoureusement évaluées et ont démontré leur efficacité : les programmes d’échanges de seringues et les traitements de substitution. Dans le premier cas, la provision de matériel propre a démontré prévenir la transmission du VIH et réduire les risques de transmission du VHB et du VHC ; dans le second cas, les traitements de substitution (à la méthadone et, dans certaines conditions, à la buprénorphine) ont démontré leur efficacité pour la rétention des narcomanes en thérapie, la diminution de l’usage 12< L’intervenant |24|03 d’héroïne de rue et, conséquemment, des risques de transmission du VIH, de surdoses et de criminalité associés à la dépendance aux opiacés. Les interventions prometteuses Quatre types d’interventions s’avèrent prometteuses ce qui veut dire : que davantage de recherches sont requises pour en arriver à des évidences probantes ; que le rapport coûts/bénéfices de leur utilisation est moins intéressant voire incertain en comparaison des mesures éprouvées ; que leur développement doit être maintenu mais se faire avec prudence. Les programmes de prescription d’héroïne, d’abord, s’avèreraient bénéfiques sur le plan sanitaire et social pour les usagers de longue date ayant échoué d’autres types de traitement. Les sites de consommation supervisés, en second lieu, semblent efficaces pour attirer les usagers les plus marginalisés et vulnérables, limiter les surdoses et les comportements à risque de transmission du VIH, de même que pour faciliter l’accès à une diversité de soins et aux traitements en toxicomanie. Les changements politiques relatifs aux diverses formes de dépénalisation du cannabis apparaissent ne pas entraîner d’impacts négatifs (augmentation des niveaux d’usage) tout en faisant une différence significative sur les méfaits et coûts sociaux associés à la criminalisation des usagers. De la même manière, le testing des drogues, malgré une variabilité des modèles et des contextes d’implantation, n’est pas associé à des impacts négatifs (accroissement de la consommation et du trafic des drogues) mais présenterait des bénéfices intéressants : a) en combinaison avec des mesures d’IEC comme mesure de protection publique ; b) en combinaison avec le travail de proximité pour sensibiliser des populations difficiles à rejoindre. Les interventions restant à évaluer Deux des derniers types d’interventions abordées, les mesures d’IEC et le travail avec et par les usagers, nécessitent des recherches évaluatives de leur impact en propre bien qu’ils se révèlent le plus souvent faire une différence positive dans le succès des mesures auxquelles ils sont intimement associés. Quant aux approches motivationnelles, si leur efficacité a été démontrée dans de nombreux contextes d’intervention, il reste à confirmer leur potentiel dans le cadre particulier d’interventions en réduction des méfaits. En conclusion de la revue des études sur le sujet se dégage un principe général d’efficacité : les politiques et programmes de réduction des méfaits doivent mettre en œuvre une panoplie d’interventions plutôt que des mesures isolées. Et pour en arriver à une organisation réfléchie de mesures, le questionnement stratégique suivant s’impose : quelles interventions selon quelle combinaison, à quelle intensité et selon quelle couverture permettront d’atteindre un seuil d’efficacité satisfaisant? Les orientations politiques au Canada et au Québec La réduction des méfaits a constitué un bouleversement majeur pour les autorités publiques dans la façon d’aborder la gestion de la consommation des psychotropes. Malgré son apparition au début des années quatre-vingt et son adoption graduelle par les acteurs sur le terrain, il faut attendre le milieu des années quatre-vingt dix pour qu’une majorité d’organismes plébiscitent l’approche au Québec alors que sur le plan fédéral, l’intégration de la réduction des méfaits à l’agenda politique attendra la Stratégie canadienne antidrogue de 1998. Depuis lors, la difficulté de consensus sur la définition de la réduction des méfaits et de son champ d’application a entraîné des problèmes d’incompréhension entre responsables politiques et intervenants, aboutissant à un détournement de l’approche et, ces dernières années, à un net recul. La Stratégie canadienne antidrogue (SCA) Au début des années soixante-dix, la commission Le Dain fut mise sur pied afin de conseiller le gouvernement fédéral en matière de drogues illicites. Suite à ses recommandations, le gouvernement fédéral a tenté par deux fois de décriminaliser la possession simple de cannabis (en 1972 et en 1975). Non seulement ces recommandations ne furent pas suivies mais, entre 1972 et 1975, il y eut augmentation de 400 % des condamnations pour infractions liées aux drogues. Dans les années quatre-vingt, il ne sera pas davantage donné suites aux recommandations de la commission, la répression s’intensifiant au contraire dans le contexte de la « guerre à la drogue ». En 1987, sous le gouvernement Mulroney, le fédéral adopte une politique en matière d’intervention en toxicomanie : la Stratégie canadienne antidrogue. L’adoption de cette stratégie est officiellement une réponse à l’épidémie de l’usage de drogues qui menace notre économie et nos valeurs. Pourtant, aucune épidémie n’est corroborée par les chercheurs et professionnels du domaine. Il semble que ce soit l’influence américaine et la dramatisation médiatique autour du phénomène des drogues qui aient contribué à créer un état de crise au sein de la classe politique et de la population. La SCA prétend adopter une approche équilibrée entre prévention et répression : dans les faits, plus de 90 % des fonds sont consacrés à cette dernière. Malgré son adoption sur le terrain, la réduction des méfaits est totalement absente de l’énoncé de la première SCA. Celle-ci met de l’avant la vision d’une société sans drogue dans laquelle les familles canadiennes pourront vivre dans un milieu rendu sain et sécure par la mise en œuvre d’une approche efficace de répression : réduction de l’offre (application de la loi) et de la demande (prévention, traitement et répression de l’usage). Bien qu’absente, il est tout de même possible de déceler l’influence naissante de la réduction des méfaits dans l’objectif de « réduire les torts ». Certaines idées sont donc présentes dès 1987 mais sans rupture avec les philosophies de l’abstinence et de la prohibition ; il n’est donc pas étonnant qu’aucune stratégie pour L’intervenant |24|03 > 13 faire face à la double problématique de la toxicomanie et du sida n’y figure. La SCA de 1992 semble donner lieu à un « processus d’institutionnalisation » des stratégies de réduction des méfaits. La notion de réduction des torts causés par la consommation excessive d’alcool et de drogues est préférée à celle d’abus. Il est fait mention du lien entre les UDI et la propagation du sida, sans en faire une priorité. S’il n’y a toujours pas rupture avec l’abstinence et la prohibition comme modèles, cependant, le rôle et les activités du Centre canadien de lutte à l’alcoolisme et autres toxicomanies (CCLAT), organisme chargé de la mise en œuvre la SCA, semble clairement s’orienter vers une logique de réduction des méfaits. Cela se répercute dans l’énoncé de la SCA de 1998 qui semble dorénavant prendre pour assise la philosophie de la réduction des méfaits, le but principal poursuivi n’étant plus une société sans drogues mais la réduction des méfaits liés à l’usage de toutes drogues, licites comme illicites. On note également l’inclusion de la problématique du sida et la référence à l’échange de seringues. La réduction des méfaits passe ainsi, de 1987 à 1998, d’inexistante à prédominante dans le discours du gouvernement fédéral mais sous la forme d’un but général plutôt que de stratégies spécifiques. C’est là une distinction importante : toutes les approches de régulation des psychotropes visent ultimement à en réduire les méfaits, mais toutes n’utilisent pas les stratégies de la réduction des méfaits pour y parvenir. Aussi, à partir de 1998, des approches et pratiques aux fondements contradictoires se retrouvent côte à côte et l’institutionnalisation de la réduction des méfaits consacre plutôt une approche de gestion des risques sur le plan public : ce sont bel et bien les méfaits sur la collectivité qu’il faut prévenir en « contrôlant » certaines populations et pratiques à risque (toxicomanes, UDI). On peut voir là une récupération, voire un détournement du principe humaniste à la base de la réduction des méfaits puisque le tort causé par la stigmatisation de certains usagers demeure. De plus, un tel discours fait abstraction des méfaits occasionnés par la prohibition et la répression, laissant sousentendre que les méfaits que vivent les toxicomanes ne sont en fait que la conséquence de leur consommation. Ainsi, la politique fédérale de réduction des méfaits devient une stratégie de protection de la société contre les méfaits des drogues plutôt que d’aide aux usagers aux prises avec les méfaits de la prohibition. La nouvelle Stratégie canadienne antidrogue, annoncée en novembre 2007, donne tous les signes d’un retour en arrière. Sur le site gouvernemental, trois axes sont mis de l’avant : la prévention, le traitement et l’application de la loi. Les visées sont essentiellement de prévenir l’usage, de traiter les toxicomanes et de réprimer les contrevenants aux lois, trafiquants et consommateurs. On retourne au but idyllique d’une société sans drogues et au credo de l’abstinence en abandonnant l’approche et les stratégies de réduction des méfaits. Les paroles de Stephen Harper sont à cet égard éloquentes : « la réduction des méfaits est au mieux une stratégie de second ordre ». notamment, de ne pas renouveler le permis d’insite, seul lieu d’injection supervisée en Amérique du Nord. Pourtant, cette expérience rigoureusement évaluée sur le plan scientifique a déjà démontré des résultats positifs à un point tel que le Service de police de Vancouver endosse dorénavant le projet, revenant sur sa position initiale, après en avoir constaté les bienfaits dans le Vancouver Eastside. Les retombées positives d’insite touchent pourtant deux éléments centraux, chers à l’idéologie conservatrice : une réduction de la criminalité et une réduction des coûts sociaux donc du fardeau fiscal des contribuables. Il y a donc ici clairement un conflit entre science et idéologie qui devrait forcer les conservateurs à se questionner sur le peu de cohérence de leurs prises de position. Le scandale est toutefois qu’en privant les usagers de drogues d’un service ayant fait la preuve de son efficacité et de son utilité au plan sociosanitaire, le gouvernement fédéral manque d’éthique et contribue à la maximisation des méfaits liés à l’usage des drogues au pays. Le Québec Le Québec semble participer au recul de la réduction des méfaits. C’est au milieu des années quatre-vingt dix qu’un ensemble d’organisations québécoises adhèrent aux principes de la réduction des méfaits : le Centre québécois de coordination sur le sida (CQCS), en 1994 ; l’assemblée générale de l’Association des intervenants en toxicomanie du Québec (AITQ), en 1995 ; le regroupement des centres de réadaptation Alternatives, Domrémy et Préfontaine (actuel Centre DollardCormier), en 1995. En 1996, le Comité permanent de lutte à la toxicomanie (CPLT) fait même la recommandation au gouvernement du Québec d’adopter la réduction des méfaits comme approche. Cinq ans plus tard, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec publie son projet de plan d’action en matière de toxicomanie qui repose largement sur cette approche. À la même époque, il lance un plan stratégique afin de renouveler l’approche préventive dans le contexte de la réduction des méfaits, Pour une approche pragmatique de prévention en toxicomanie, produit d’une concertation multisectorielle et avalisé par l’ensemble des acteurs québécois dans le domaine. Aujourd’hui cependant, malgré le fait que le ministère ne démente pas qu’elle soit une approche privilégiée, la réduction des méfaits est quasi absente du Plan d’action interministériel en toxicomanie adopté au printemps 2006, le plan stratégique en prévention n’y étant même pas mentionné! Il semble que les ministères associés - Sécurité publique, Justice, Éducation, Transport – se soient montrés trop frileux à cet égard. Par ailleurs, malgré la progression de l’approche sur le terrain jusqu’au début des années deux mille, on constate aujourd’hui un essoufflement des intervenants, le retour de résistances face aux mesures proposées et un retard dans l’actualisation des programmes clés que sont l’échange de seringues et l’accès à la méthadone. Conclusion Le cas d’insite Le gouvernement Harper affiche déjà ses couleurs. Il menace, 14< L’intervenant |24|03 La réduction des méfaits se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins et à la confluence de plusieurs déterminants – agendas des autorités publiques, urgence épidémiologique, mobilisation des intervenants et des usagers, mentalité des populations – qui en façonneront l’identité, d’une manière ou d’une autre, au cours des années à venir. Sera-t-elle confinée à n’être que simple mesure pragmatique de gestion du problème du sida, en parallèle à des approches préventive, curative et répressive traditionnelles? S’imposera-t-elle comme modèle nouveau d’intervention humaniste en matière de drogues, cristallisé par l’avènement du sida et redéfinissant le sens même de la prévention, du traitement et de la répression? Pourrait-elle même devenir, en dépit du ressac actuel, le cadre d’une nouvelle politique sur les drogues axée sur la compassion et la responsabilisation plutôt que sur la coercition et la stigmatisation? Cela dépendra de chacun d’entre-nous. < Bibliographie BALL, A. L. (2007) HIV, injecting drug use and harm reduction : a public health response. Addiction, 102 : 684-690. BALL, A.L, WEILER, G.A., BEG, M., DOUPE, A. (2005) Evidence for Action : A critical tool for guiding policies and programmes for HIV prevention, treatment and care among injecting drug users. International Journal of Drug Policy. 16S : S1-S6. BEAUCHESNE, L. (2006). Les drogues: légalisation et promotion de la santé. Montréal, CA : Bayard. BEAUCHESNE, L. (2003). Les drogues: les coûts cachés de la prohibition. Montréal, Lanctôt Éditeur. BRISSON, P. et MORISSETTE, C. (sous la direction de) (2003). Réduction des risques et des méfaits. Drogues, santé et société, 2 (1), 294 p. BRISSON, P. (1997) L’approche de réduction des méfaits : sources, situation, pratiques. Montréal : CPLT. 110 p. CENTRE DOLLARD-CORMIER (2005) Quand la réduction des méfaits se conjugue avec la réadaptation. Auteur. 70 p. CLOUTIER, R. (2001) Les sites d’injection supervisées : état des connaissances. Présentation dans le cadre de la 17ème Rencontre provinciale des intervenants en prévention du VIH et des hépatites auprès des UDI. 22 mars, Montréal. DÉPARTEMENT DE SANTÉ PUBLIQUE DE MONTRÉAL-CENTRE (2007) Campagne de prévention du passage à l’injection de drogues chez les jeunes de la rue. Phase 2. Auteur. 16 p. FALLU, J.-S. (2005) L’intervention dans les « raves » au Québec. Présentation dans le cadre du Congrès Rond-Point 2005, Montréal. GILLET, M. et BROCHU, S. (2006). Institutionnalisation des stratégies de réduction des méfaits au sein de l’agenda politique canadien : les enjeux et les limites de la conceptualisation actuelle. Drogues, santé et société, 4 (2): 79-139. HUNT, N., ASHTON, M., LENTON, S., MITCHESON, L., NELLES, B., STIMSON, G. (2003) A review of the evidence-base for harm reduction approaches to drug use. Forward Thinking on Drugs. A Release Initiative. http://www.neilhunt.org/pdf/2003-evidence-base-for-hr-hunt-et-al.pdf HWANG, S.W. (2007). Science et idéologie. Open Medicine, 1(2). http://www.openmedicine.ca/ article/viewArticle/128/52 KERR, T. (2005) Safe Injection Facilities (SIFs) in Canada. Présentation dans le cadre du Comité fédéral/provincial sur le sida. KERR, T., TYNDALL, M., LI, K., MONTANER, J., & WOOD, E. (2005). Safer injection facility use and syringe sharing in injection drug users. Lancet; 366 (9482) : 316-8. KERR, T., WOOD, E., SMALL, D., PALEPU, A., TYNDALL, M.W. (2003) Potential use of safer injecting facilities among injection drug users in Vancouver’s Downtown Eastside. CMAJ, 169 (8) : 759-763. MAUER, M. & King, R.S. (2007). A 25-year quagmire: The war on drugs and its impact on American society. The Sentencing Project: USA. MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX et INSTITUT NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQUE DU QUÉBEC (2007) Liste officielle des centres d’accès au matériel d’injection au Québec (distribution, vente et récupération). Auteur. MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX (2006) Le traitement de la dépendance aux opioïdes avec une médication de substitution. Cadre de référence et guide de bonnes pratiques. Auteur. 80 p. MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX (2001) Pour une approche pragmatique de prévention en toxicomanie. Orientations, axes d’intervention, actions. Auteur. MIRON, J.A., & ZWEIBEL, J. (1995). The Economic Case against Drug Prohibition. Journal of Economic Perspectives, 9 (4): 175–92. MITCHELL, C.N. (1990). The drug solution. Ottawa, Carleton University Press. OSCAPELLA, E. (2001). Witch Hunts and Chemical McCarthyism: The Criminal Law and TwentiethCentury Canadian Drug Policy. Vancouver, BC: The Fraser Institute. http://oldfraser.lexi.net/ publications/books/drug_papers/UDOscapella.pdf RÉSEAU JURIDIQUE CANADIEN VIH-SIDA (2002) Créer des lieux sécuritaires pour l’injection au Canada : questions juridiques et éthiques. Auteur. 76 p. RITTER, A. et CAMERON, J. (2006) A review of the efficacy and effectiveness of harm reduction strategies for alcohol, tobacco and illicit drugs. Drug and Alcohol Review, 25 : 611-624. STEVENSON, R. (2001). Costs of the War on Drugs. Vancouver, BC: The Fraser Institute. http://oldfraser.lexi.net/publications/books/drug_papers/UDStevenson.pdf THORNTON, M. (1991). The Economics of Prohibition. Salt Lake City: University of Utah Press. VANCOUVER COASTAL HEALTH (2006) Saving Lives. Vancouver’s Supervised Injection Site.12 p. WOOD, E, KERR, T., MONTANER, J.S., STRATHDEE, S.A., HANDKINS, C.A., SCHECHTER, M.T., TYNDALL, M.W. (2004) Rationale for evaluating North America’s first medically supervised saferinjecting facility. Lancet Infect Dis, 4 : 301-306. WOOD, E., TYNDALL, M.W., MONTANER, J.S., & KERR, T. (2006). Summary of findings from the evaluation of a pilot medically supervised safer injecting facility. JAMC, 175(11) : 1399-404. WORLD HEALTH ORGANIZATION (2004) Effectiveness of Sterile Needle and Syringe Programming in Reducing HIV/AIDS among Injecting Drug Users. Auteur. 61 p. YORK UNIVERSITY (2007) Harm reduction : Theory, Policy and Practice. Online Course. Faculty of Liberal and Professional Studies, Division of Continuing Education. Erratum Une erreur s’est glissée dans la revue de janvier 2008. Les auteurs de l’article Colloque annuel 2007 du Centre Le Passage nous ont avisé que leur prochain colloque se tiendra le 21 mai 2008 et non le 20 mai tel que mentionné. L’intervenant |24|03 > 15 Actes du colloque 2007 Publié par l’AITQ, ce document regroupe les textes ou diaporamas remis par les conférenciers suite au XXXVe colloque qui s’est tenu en octobre 2007. 292 p. Disponible à l’AITQ Le malade alcoolique Paul Kiritzé-Topor et Jean-Yves Bénard Cet ouvrage récapitule les connaissances de base sur le mésusage d’alcool (alcoolopathies et dépendance alcoolique) et dresse un tableau des différentes typologies des consommateurs d’alcool. Il apporte aussi des réponses claires et argumentées aux questions soulevées par la prise en charge de ce type de patients. Enfin dans le cadre d’une prise en charge médicale globale, sont évoqués les relais à la disposition des médecins généralistes, leurs différents partenaires médicaux et sociaux et les formations à leur disposition pour améliorer le suivi du malade alcoolique. MASSON, 2001, 232 p. Disponible à l’AITQ M’aimer pour t’aimer Brenda Schaeffer Les explications et les activités que renferme ce livre aident à vivre selon des perspectives plus spirituelles que matérielles. Le lecteur découvre au fil des pages comment mettre en équilibre, amour et pouvoir dans ses relations. HAZELDEN, 2002, 332 p. Disponible à l’AITQ Cédérom DROGUES, outil éducatif pour des activités trippantes AITQ Suite au succès remporté par la trousse DROGUES, pour des activités trippantes et pour répondre aux nombreuses demandes des intervenants en prévention, l'AITQ a produit et mis en vente un cédérom qui contient le guide d'animation en format PDF et reprend les cinq affichettes en format PDF (noir et blanc pour impression) et JPEG (couleurs pour projection) : Le cycle de l'assuétude, La loi de l'effet, Quel type de surconsommateur es-tu?, À propos du cerveau et Le tableau des drogues. Disponible à l’AITQ 16< L’intervenant |24|03 infolivres infolivres Toxicomanie et troubles concomitants Faire parvenir votre bon de commande avec votre paiement à : AITQ - commande 505, rue Sainte-Hélène, 2e étage Longueuil (Québec) J4K 3R5 Titre Qté Prix membre Prix non-membre Cédérom DROGUES, outil éducatif pour des activités trippantes 10 $ 15 $ Toxicomanie et troubles concomitants Actes du colloque 2007 35 $ 41 $ Le malade alcoolique 35,95 $ 37,95 $ M’aimer pour t’aimer 27,95 $ 29,95 $ Frais d’expédition Achat de 15 $ et moins : 8 $ Achat de plus de 15 $ : 8 $ + 5 % du coût de la marchandise Paiement ci-joint : chèque à l’ordre de l’AITQ $ VISA : __________________________ Exp. : _____/_____ Signature : _______________________________________ Nom : __________________________________________ Organisme : ______________________________________ Adresse : ________________________________________ App. : __________________________________________ Ville : ___________________________________________ Code postal : ______________________________________ Téléphone : (_______)________________________________ Katherine Bourdon Sexologue, B.A., D.E.S.S. Toxicomanie A yant œuvré dans le domaine de la thérapie pour toxicomanes, j’ai eu la chance d’observer que plusieurs sentiments sont communs à bon nombre de clients qui viennent consulter pour un problème de dépendance. Parmi ces sentiments, l’un deux prend, à mon sens, une place particulière et revient particulièrement souvent. Il s’agit de la culpabilité. La définition Pour bien comprendre la façon dont s’installe la culpabilité chez quelqu’un et de manière à la réduire, penchons-nous d’abord sur la définition de ce qu’est la culpabilité. Selon le psychologue belge Jacques Vermeulen, heureusement que le sentiment de culpabilité existe. C’est grâce à lui que nous savons que nous avons transgressé nos valeurs. Il souligne que « pouvoir reconnaître que nous avons mal agi, que nous avons blessé ou heurté quelqu’un est une qualité. » (Vermeulen, 2007). Il s’agit alors de culpabilité empathique. Par contre, lorsque la personne continue de se sentir coupable d’un fait passé il y a plusieurs années, ou encore qu’elle passe beaucoup de temps chaque jour à se demander si elle a blessé quelqu’un ou si elle a mal agi, il s’agit de culpabilité pathologique. C’est principalement à cette sorte de culpabilité que nous allons nous intéresser dans ce présent article. Par contre, comme la culpabilité pathologique peut souvent venir d’une culpabilité réelle vécue par une personne (par exemple un parent qui aurait été très culpabilisant dans l’enfance peut engendrer de la culpabilité pathologique dans la vie adulte), nous prendrons quelques lignes pour tenter de comprendre le mécanisme de la culpabilité lorsque utilisée volontairement. Pour les psychothérapeutes et conseillers conjugaux et familiaux Jacques et Claire Poujol, « le sentiment de culpabilité est de l’ordre du subjectif : ainsi, une personne peut ne pas se sentir coupable d’un acte répréhensible et se sentir coupable d’un acte qui ne l’est pas » (Poujol, 2000-2004). Toujours selon ces thérapeutes, ce sentiment n’apparaît pas comme ça, mais il se cache derrière certains comportements répétitifs. Ces comportements sont de l’ordre I N T E R V E N T I O N La culpabilité : sources et méthodes pour en finir avec ce sentiment de l’inconscient et auraient pour but de faire diminuer la culpabilité ressentie par une personne, par exemple, en sabotant une partie de sa vie si elle se sent coupable que cette partie aille bien. La psychanalyse émet la théorie selon laquelle il existerait des « crimes imaginaires », donc des fautes graves que les gens puissent se sentir très coupables de commettre. Et si la personne, à ses yeux à elle, a commis un « crime », elle transformera certainement son bonheur en malheur, pour se punir de ce crime commis. Les crimes dont il est question sont « surpasser les membres de sa famille, être un fardeau, voler l’amour de ses parents, abandonner ses parents, trahir les siens et être fondamentalement mauvais ». Pour cet article, nous nous attarderons sur le crime « abandonner ses parents », qui consiste en se séparer de ses parents, physiquement ou émotionnellement. Les gens qui sont le plus susceptibles de souffrir de ce genre de crime imaginaire sont les enfants dont les parents jouent les martyrs et font comprendre à leurs enfants que s’ils deviennent indépendants, ils sont cruels de ne pas prendre soin de leurs parents. Il y a également le crime de « trahir les siens », qui revient un peu au crime précédent, dans le sens où la personne se sent coupable d’avoir déçu les espoirs et les attentes de ses parents en ayant des opinions ou des façons d’agir différentes des leurs. La façon la pire de « trahir » les siens est de les critiquer ou d’admettre les défauts de ses parents (Poujol, 2000-2004). Selon l’approche de l’analyse transactionnelle la culpabilité est l’expression d’un déséquilibre émotionnel contraire. Nous reviendrons à cette théorie lorsque nous aborderons la question du mécanisme de la culpabilité. Le mécanisme de la culpabilité Comme l’a écrit Claire Colvin, la culpabilité réelle, celle qui est utilisée par quelqu’un pour blesser une autre personne, est une mesure disciplinaire pour faire souffrir l’autre, pour qu’il change au goût de la personne culpabilisante. Les conséquences d’utiliser un tel stratagème sont multiples. Entre autres, cela fait comprendre à l’autre personne que l’amour est conditionnel. La personne culpabilisante est en relation de pouvoir par rapport à la personne culpabilisée, qui a compris que si elle ne fait pas comme la personne culpabilisante veut, celle-ci cessera de l’aimer (Colvin, 2007). Comme nous parlons de la culpabilité et de la personne qui est culpabilisée, il m’apparaît important de glisser un mot sur la personne qui utilise la culpabilité comme façon de conserver son pouvoir sur l’autre personne. Toujours selon Colvin, utiliser la culpabilité « c’est vouloir blesser et faire céder. La culpabilité vise à faire souffrir l’autre personne. » Les personnes qui ont recours à cette technique L’intervenant |24|03 > 17 se sentent menacées, non aimées ou non valorisées. Elles essaient de regagner le contrôle de cette façon (Colvin, 2007). Althermath ajoute que quand une personne culpabilise une autre intentionnellement, elle supprime sa liberté. Et « qui dit suppression de la liberté, dit aussi renforcement de la servitude ». Donc la personne qui se sent coupable fera tout pour l’autre, afin qu’elle l’aime. Comme nous l’avons mentionné antérieurement, lorsqu’une personne est aux prises avec une culpabilité pathologique, le thérapeute ira voir dans l’enfance de la personne et dans son éducation. Dans ces cas, il arrive souvent que la culpabilité ait été utilisée comme « moyen d’interaction principal, comme moyen de pression ou de punition ou de contrôle » (Vermeulen, 2007). Althermath (2005) abonde dans le même sens en expliquant quant à elle que si les parents punissent les fautes des enfants plutôt que de leur enseigner l’art de réparer, « le pardon n’est jamais acquis et le coupable n’arrive jamais à se débarrasser de sa dose de culpabilité ». Par rapport au sentiment de culpabilité, pathologique ou non, Jacques Vermeulen introduit la notion de responsabilité. Il émet la théorie que comme nous sommes responsables de nos actes, nous sommes coupables en cas d’infraction ou si nous avons franchi une barrière. Les barrières sont quant à elles une question de valeurs et de perceptions individuelles et dépendent de chaque personne. Ainsi, quelqu’un peut ressentir de la culpabilité d’avoir posé un geste, et une autre personne ne se sentira nullement coupable d’avoir agi de la même façon. Althermath (2005), intègre aussi le concept de responsabilité dans la notion de culpabilité. La théorie basée sur l’analyse transactionnelle fonctionnerait donc ainsi. Elle explique que « dans toute relation, nous avons un bourreau et une victime. Dans tout conflit, le bourreau utilise son pouvoir pour forcer l’autre à affronter les peurs qu’il ne veut pas voir en lui. La victime se croit obligée d’assumer des responsabilités qui ne lui reviennent pas. Althermath croit que la personne qui se sent coupable n’est pas responsable, car selon elle « dans notre perception des conflits, le bourreau est responsable de tous les torts et la victime d’aucun. Mais être responsable, c’est assumer la conséquence uniquement de ses actes, donc une partie des responsabilités, mais pas toutes. » Ainsi, nous ne sommes pas responsables des actes du bourreau, ou de la personne culpabilisante. Il s’agirait donc de départir ce qui nous revient de ce qui ne nous appartient pas. Cela exige du temps, mais la responsabilité s’apprend, selon elle. de culpabilité, le psychologue dit qu’il « faut repérer s’il y a des situations de manipulation (parfois c’est le cas, parfois non), apprendre à y répondre, mais aussi se questionner sur l’enracinement en nous de ces sentiments impertinents ». Althermath, quant à elle, croit qu’il s’agit de « considérer les événements qui nous arrivent comme une sorte de baromètre. On ne peut juger un baromètre, puisqu’il n’est pas responsable du temps qu’il fait, il nous indique juste ce qu’il nous reste à faire ». Il s’agit en fait de mesurer quel effet l’événement a sur nous et qu’est-ce qu’on fait à partir de là. Elle continue en disant que le fait de « s’appesantir sur le passé en se disant qu’on aurait pu faire ceci ou cela ne nous permet pas de modifier notre trajectoire présente. C’est la raison pour laquelle le pardon ne nous est jamais acquis ». Il faut modifier notre comportement vis-à-vis notre culpabilité. Il faut aussi se libérer de la personne qui exerce de la culpabilité sur nous en se demandant si la personne désire nous protéger nous ou si elle désire se protéger elle-même. Il vaut mieux apprendre à devenir son propre chef et son propre guide, de façon à pouvoir assumer totalement ses actes et ses conséquences (Althermath, 2005). Althermath (2005) souligne qu’il est important de faire preuve de compassion envers soi-même et alors les gens nous donneront le droit à l’erreur parce qu’on se l’accorde soi-même. La culpabilité est un sentiment complexe et ses sources sont multiples et elles débordent le cadre de ce présent article. Il y aurait une grosse recherche à faire sur le sujet et la présente recension des écrits ne rend pas compte de la complexité du thème. Par contre, cet exercice a permis de creuser une peu plus d’où vient la culpabilité et de comprendre certains facteurs qui peuvent faire qu’une personne est aux prises avec ce sentiment. De plus, ce peut avoir été l’occasion de préciser certains agissements de nos clients et de donner quelques pistes sur les façons de gérer ce sentiment qui assaille presque tout le monde de temps à autre… < Comment gérer son sentiment de culpabilité Altermath, I.H. (2005) Colère et culpabilité : comment s’en défaire? Selon Jacques et Claire Poujol, la personne aux prises avec un sentiment excessif de culpabilité doit obligatoirement suivre une thérapie qui lui fera devenir consciente de ses fausses culpabilités. Les thérapeutes précisent que ce processus est long et complexe. Le client doit comprendre ce qui lui est arrivé lorsqu’il était enfant et il pourra ensuite comprendre ses crimes imaginaires et les régler. Alors, les conduites de sabotage et d’autopunition cesseront (Poujol, 2000-2004). Jacques Vermeulen explique quant à lui que la solution est d’aller consulter et de trouver des façons pour pouvoir archiver le comportement ou la pensée qui nous rend coupable. Il s’agit en fait d’une situation de réconciliation avec soi-même. Dans tous les cas 18< L’intervenant |24|03 Bibliographie Vermeulen, J. (2007) La culpabilité en tant que sentiment normal et sain http://www.lepsychologue.be/psychologie/culpabilite-normale.asp Vermeulen, J. (2007) La culpabilité pathologique ou morbide http://www.lepsychologue.be/psychologie/culpabilite-pathologique.asp Poujol, J., Poujol, C. (2002-2004) Comment se manifeste le sentiment de culpabilité? La bibliothèque de Psycho-Ressource http://www.psycho-ressources.com/bibli/culpabilite.html Colvin, S. (2007) Utilisez-vous la culpabilité comme une arme? Femme d’aujourd’hui, http://femmesaujourdhui.com/living/guilt.html http://vulgum.org/spip.php?article955 L’année 2008 marque les 50 ans d’existence de DomrémyMCQ. Le lancement officiel des activités marquant le 50e anniversaire du centre a eu lieu le 31 janvier dernier. Le centre profite de cette occasion pour dévoiler une nouvelle image corporative. Alcool et santé – Les niveaux de consommation d’alcool à faible risque 23450 Cette monographie publiée par Éduc’alcool propose des conseils à qui veut prendre des décisions éclairées quant à sa consommation d’alcool. L’objectif de cette publication est donc de faire la part des choses et d’offrir à ceux qui désirent consommer de l’alcool des directives d’ordre général, mais claires, à ce sujet. Le document est disponible en format PDF sur le site Web d’Éduc’alcool. On peut aussi en commander des exemplaires gratuitement. Un DVD pour et par des jeunes Un DVD intitulé « Le Déclic » a été réalisé par des cliniciens de l’équipe jeunesse qui ont su mettre en vedette des jeunes inscrits au Centre de réadaptation Ubald-Villeneuve qui témoignent de leur cheminement face à leur consommation, avant et après les services reçus en toxicomanie. Message d’espoir lancé aux jeunes, aux parents et à l’entourage, ce DVD a été largement diffusé depuis sa réalisation. Le guide d’animation qui l’accompagne permet aux intervenants impliqués auprès d’adolescents de l’utiliser comme moyen de sensibilisation et de prévention. Disponible au Service des communications du CRUV (418 6635008) Santéscope L’Institut national de santé publique du Québec rend accessible, à partir du site Web Santéscope <www.inspq.qc.ca/ santescope> des statistiques particulièrement utiles et, à travers ses multiples volets, Association des intervenants en toxicomanie du Québec inc. fournit plusieurs informations selon différentes perspectives : le volet Évolution pour le Québec permet de suivre l’évolution temporelle de nombreux indicateurs de santé au Québec; le volet Comparaisons rurales/urbaines affiche des statistiques pour divers types de milieux urbains et ruraux au Québec. Il permet notamment d’apprécier les disparités entre ces milieux; le volet Atlas par RLS présente une cartographie interactive par réseaux locaux de services (RLS) d’une cinquantaine d’indicateurs de l’état de santé de la population dans les diverses régions du Québec ; les volets Comparaisons canadiennes, Comparaisons nordaméricaines, Comparaisons internationales et Comparaisons Québec/France fournissent des statistiques pour le Québec visà-vis d’autres provinces, états ou pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Ces volets permettent ainsi de mettre en perspective la situation vécue au Québec pour de nombreux aspects de la santé et du bien-être. Enfin, Santéscope propose des analyses thématiques de la santé de la population ainsi que des liens vers des références connexes produites par différents partenaires. Les Guides pratiques pour une Gouvernance Stratégique – Guide no 4 Le procès-verbal (et l’ordre du jour) Communiqués 50e anniversaire de Domrémy Mauricie/Centre-du-Québec L’ordre du jour et le procès-verbal sont des documents plus importants qu’il n’y paraît. Ce guide pratique, dont l’auteur est Roméo Malenfant, Ph. D., est surtout destiné aux directeurs généraux et aux personnes qui ont à préparer des réunions et assemblées et à rédiger les procès-verbaux, abordant clairement plusieurs questions. Éditions DPRM, 2007. Disponible chez DPRM inc.<www.dprm.ca> et Programme de formation continue 2008 PSYCHOTROPES, SANTÉ MENTALE ET INTERACTIONS MÉDICAMENTEUSES Lieu : Longueuil Date : 18 avril 2008 Information : 450 646-3271 L’intervenant |24|03 > 19 Faculté de l’éducation permanente La faculté d’évoluer Certificat en toxicomanies : prévention et réadaptation Une formation de pointe afin de comprendre les composantes biologiques, psychologiques et sociales de la dépendance et de développer des compétences spécifiques en intervention. Cours du soir ou de fin de semaine. • • • • • • • • • • • • Contextes d'utilisation des psychotropes Effets des substances psychotropes Prévention des toxicomanies : théorie Étiologie et modèles d'intervention Santé mentale et traitement en toxico Conception d'un programme de prévention Approches motivationnelles Intervention clinique en toxicomanie Animation de groupe en toxicomanie Évaluation en toxicomanie Intervention auprès des jeunes en toxico Stage en milieu d'intervention Cours à distance. • • • • • Prévention sida et toxicomanies Psychotropes en milieu de travail Jeu pathologique Héroïne et interventions spécifiques La réduction des méfaits Responsable du programme par intérim Cécile Baillargeon : [email protected] AUTOMNE 2008 Demande d’admission acceptée jusqu’au 1er août Possibilité d’inscription à titre d’étudiant libre 514 343.6090 1 800 363.8876 www.fep.umontreal.ca/toxicomanies