Vol. 24, No. 3 - Association des intervenants en dépendance du

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Vol. 24, No. 3 - Association des intervenants en dépendance du
Revue sur la toxicomanie et le jeu excessif
5,00 $
VOLUME
24 NUMÉRO 03
Le dépôt du projet de loi 50 : entre la réalité et l’espoir,
un premier pas!
Envoi de poste–publications – Numéro de convention 40065296
La nymphomanie (2e partie)
APTE : Un nouveau programme de prévention des
toxicomanies bientôt disponible
Réduction des méfaits, science et politique :
d’hier à demain
La culpabilité : sources et méthodes pour en finir avec
ce sentiment
AVRIL 2008
03
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19
VOLUME
NUMÉRO
03
Mot du président
Le dépôt du projet de loi 50 : entre
la réalité et l’espoir, un premier pas!
Richard Lusignan
La nymphomanie (2e partie)
Mériza Joly
APTE : Un nouveau programme de
prévention des toxicomanies bientôt
disponible
Michel Germain
Réduction des méfaits, science et
politique : d’hier à demain
Pierre Brisson
Jean-Sébastien Fallu
Info-Livres
La culpabilité : sources et méthodes
pour en finir avec ce sentiment
Katherine Bourdon
Communiqués
Matériel
rédactionnel
Vous désirez publier dans
nos pages? N’hésitez pas
à nous faire parvenir tout
article abordant la problématique des toxicomanies.
Vos textes peuvent traiter
des initiatives pratiques de
groupes dans la communauté, du rôle des intervenants pour améliorer les
services à la clientèle,
d’études ou d’analyses de
programmes, etc.
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24
Abonnement
L’intervenant s’adresse
aux professionnels et aux
personnes intéressées au
domaine de la toxicomanie.
Vous pouvez obtenir
un abonnement à
L’intervenant au coût de
17,95 $ par an (25 $ à
l’extérieur du Canada).
Parutions : janvier, avril,
juillet et octobre.
SOMMAIRE
CALENDRIER
AVRIL 2008
Responsabilité
de l’éditeur
L’éditeur ne se tient pas
responsable des opinions
émises dans cette publication. Les auteurs ont
l’entière responsabilité de
leur texte. Les écrits sont
publiés tels que soumis,
qu’ils rencontrent ou non
les orientations de l’AITQ,
en autant qu’ils soient
pertinents et d’actualité.
9 avril 2008 22e rencontre nationale des
intervenants en promotion
de la santé et prévention des
ITSS auprès des UDI
Rien à leur sujet sans elles :
empowerment des personnes
qui font usage de drogue par
injection
Hôtel Sandman, Longueuil
11 au 15 mai 2008 19e Conférence internationale de l’IRHA sur la
réduction des méfaits
Barcelone, Espagne
18 au 25 mai 2008 Semaine l’amitié n’a pas d’âge
6 juin 2008 Assemblée générale des
membres de l'AITQ
Delta, Trois-Rivières
12 et 13 juin 2008 Journées nationales de
l'ANIT
Addictions au quotidien,
l'ordinaire des addictions
Nîmes, France
10 au 12 juillet 2008 A climate for change
Sommet international sur la
dépendance
Melbourne, Australie
26 au 29 octobre 2008 XXXVIe colloque de l'AITQ
Les multiples facettes de la
dépendance
Delta, Trois-Rivières
Dates de tombée
Reproduction
Matériel publicitaire :
1er mars, 1er juin,
1er septembre et
1er décembre.
Toute reproduction totale
ou partielle d’articles, de
photos ou de graphiques
est interdite à moins
d’une entente écrite avec
l’éditeur.
Matériel rédactionnel :
15 février, 15 mai,
15 août et 15 novembre.
M O T D U
P R É S I D E N T
Ensemble, soyons fiers du chemin
parcouru et traçons l’itinéraire à venir
E
Voici deux expressions qui caractérisent bien l’étape que nous franchissons en tant qu’association à l’occasion de son 30e anniversaire d’existence. Il s’agit d’un moment qui est significatif et qui
doit nous permettre de se donner un nouvel élan pour les
prochaines années.
Cette énergie qui fut préservée au fil du temps est aussi le fruit
d’efforts et de collaborations entre toutes les personnes qui ont été
membres des conseils d’administration qui se sont succédés et
enfin par la permanence de l’association qui a, d’année en année,
développé des contacts, des outils et une expertise toujours plus
près des besoins des membres. Bref, un MERCI s’impose pour toutes
C’est aussi par ce thème que je vous invite, ainsi que les membres ces personnes.
du conseil d’administration, à participer aux activités entourant
l’anniversaire de notre association qui se dérouleront lors de la Dans un autre ordre d’idée, vous trouverez dans ce numéro de la
prochaine assemblée générale annuelle le vendredi 6 juin prochain, revue des articles des plus intéressants. Nous aurons un bilan de
à l’Hôtel Delta de Trois-Rivières à compter de 13 h15. Ce sera le bon Pierre Brisson et Jean-Sébastien Fallu sur la réduction des méfaits,
moment pour se voir, entendre le point de vue des membres et se un article sur la culpabilité, un sur le projet de loi 50 concernant
doter d’outils qui guideront les administrateurs de notre association les codes de profession et enfin la deuxième et dernière partie de
pour les trois prochaines années.
l’article sur la nymphomanie.
CONSEIL D’ADMINISTRATION
Cet anniversaire permet de constater que notre association s’est Je vous souhaite une agréable lecture de la revue et au plaisir de se
bâti, au fil du temps, une réputation solide qu’il faut préserver. voir lors des prochaines activités de notre association.
Malgré les nuages qui l’ont survolé à quelques occasions, l’AITQ,
grâce à la détermination de ses membres, a toujours su relever les
Steeve Poulin
Président 2007-2008
défis qui se sont présentés. C’est cette volonté qu’il nous faut renouveler pour continuer vers l’avenir. Je suis convaincu que notre désir
d’aider dans chacun de nos champs d’intervention se répercutera
sur l’énergie dont a besoin notre association pour continuer sa
vocation auprès de ses membres et de la population.
Président : STEEVE POULIN,
RÉSEAU DES DÉLÉGUÉS SOCIAUX
QUÉBEC ET CHAUDIÈRE-APPALACHES
Vice-présidente : LUCIE LANIEL,
MAISON L’ODYSSÉE
Secrétaire-trésorier : SÉBASTIEN PILON
ÉTABLISSEMENT ARCHAMBAULT
Administrateurs : LOUIS-PHILIPPE BERTRAND
MAISON JEAN-LAPOINTE
DENISE DUBREUIL
CONSULTANTE
MYRIAM LAVENTURE
UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE
NATHALIE MARTEL
COMMISSION SCOLAIRE DES TROIS-LACS
MIGUEL THERRIAULT
MAISON D’ENTRAIDE POUR TOXICOMANES
LE RUCHER
Éditeur :
ASSOCIATION DES INTERVENANTS
EN TOXICOMANIE DU QUÉBEC INC.
505, RUE SAINTE-HÉLÈNE, 2e ÉTAGE
LONGUEUIL (QUÉBEC) J4K 3R5
Revue trimestrielle
Mois de parution :
JANVIER, AVRIL, JUILLET, OCTOBRE.
Directrice :
Envois de publications
canadiennes : CONTRAT DE VENTE
CARMEN TROTTIER
no 40065296
Abonnements et secrétariat :
ISSN 0823-213X
(450) 646-3271 [email protected]
Dépôt légal
Maquette :
BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DU
CANADA
KÉROZEN COMMUNICATION DESIGN
Infographie et impression :
IMPRIMERIE G.G. INC
BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES
NATIONALES DU QUÉBEC
Indexée dans REPÈRE
L’intervenant |24|03 > 3
R É F L E X I O N
Le dépôt du projet de loi 50 :
entre la réalité et l’espoir, un premier pas!
Richard Lusignan
Regroupement pour la création d’un ordre professionnel en criminologie
Des raisons de célébrer…
Le 13 novembre 2007, le ministre Dupuis déposait le projet de
loi 50 « Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives dans le domaine de la santé mentale et
des relations humaines ». Ce projet de loi concerne les professionnels qui sont membres d’ordres déjà reconnus, les considérations portant sur l’intégration des criminologues au système
professionnel québécois dans le mémoire (pour l’instant confidentiel) du Ministre qui accompagne l’adoption du projet de loi.
Le projet de loi a été présenté par le ministre Dupuis au
Conseil des ministres ce qui constitue l’adoption de principe de
ce projet. Les étapes qui suivront réfèrent à l’étude détaillée en
commission parlementaire (début 2008) ainsi qu’à l’adoption
du projet de loi possiblement modifié lors de la session du
printemps. L’entrée en vigueur proprement dite ne surviendrait
que dans un an (en 2009) lorsque les accommodements et les
transitions nécessaires auront été effectués.
Donc, selon la teneur des discussions survenues entre le
Regroupement et l’Office des professions du Québec (OPQ), les
criminologues seront finalement intégrés au système professionnel québécois! Cela devrait même constituer une obligation
pour les criminologues pratiquant auprès des enfants, des adolescents ou des adultes porteurs d’un diagnostic psychiatrique.
Précisons que l’introduction de nouvelles mesures par
l’OPQ se concrétise par le désir de ne pas perturber les pratiques
ayant actuellement cours. En ce sens, il n’y a pas lieu de craindre de perte d’emploi, d’activités cliniques (ex. animation de
groupe thérapeutique) ou autre scénario catastrophique. Toute
nouvelle mesure s’accompagne de délais afin que les personnes
qui s’acquittent présentement de ces activités puissent continuer
de le faire en répondant aux nouveaux critères de l’OPQ.
…des négociations et des démarches à poursuivre
En l’absence d’un accès aux documents et informations distribués aux parlementaires, nous remarquons cependant que
4< L’intervenant |24|03
l’activité réservée portant sur l’évaluation de la personne délinquante (pouvant faire l’objet d’une recommandation de probation ou de libération conditionnelle) ne figure pas au projet de
loi 50. Puisqu’il s’agit d’une activité professionnelle dite
partagée entre les membres de différents ordres professionnels
(ex. travailleurs sociaux, psychologues, etc.) nous devons
conclure que celle-ci ne figurera pas non plus au niveau des
tâches réservées aux criminologues.
On se rappellera que l’accompagnement des victimes
d’actes criminels n’a pas été retenu comme élément d’une
activité professionnelle réservée.
Suite à ce constat, des démarches ont été entreprises par
le Regroupement afin de rencontrer le président de l’OPQ ainsi
que le ministre parrain de ce projet de loi. Cela afin de faire valoir l’importance de protéger l’ensemble des clientèles issues de
la population qui reçoivent des services de la part de criminologues.
Cela étant dit, il ne faut pas sous-estimer le pouvoir
d’attraction que l’existence d’un ordre professionnel en criminologie peut exercer sur les confrères/consoeurs qui ne se trouvent pas encore devant l’obligation d’appartenir à un tel ordre.
En ce sens, nous devrons poursuivre nos démarches
d’information auprès des criminologues du SCC, du SCQ, etc.,
afin d’y étendre notre membership.
Nous vous tiendrons au
courant des développements
au cours des prochains mois.
Pour l’instant, célébrons la
venue du nouvel ordre! <
S E X O L O G I E
La nymphomanie (2e partie)
La dépendance sexuelle selon Carnes1 (2001)
Mériza Joly M.A.
Sexologue clinicienne et psychothérapeute
Le contrôle de la motivation sexuelle
Les hommes et les femmes qui n’ont pas de conflit sexuel manipulent instinctivement les stimuli psychosexuels afin d’actualiser
une rencontre érotique. Une personne tend à accentuer les
aspects positifs chez l’autre, à l’idéaliser lorsqu’il se trouve face à
la bonne personne, au bon endroit et au bon moment.
Parallèlement, il tait les stimuli qui tenteraient d’amoindrir ou de
tuer son désir. L’amoureuse se prépare en anticipant sa rencontre
avec plaisir et elle fantasme sur les joies érotiques qui en
découleront.
Les individus aux prises avec un désordre hyposexuel
auraient tendance à mettre l’emphase sur les aspects négatifs
d’une rencontre érotique. À moins d’un désordre neurochimique
clinique, on retrouve chez les hyposexuels une pratique qui consiste à ne voir que les aspects négatifs chez l’autre ce qui contribue à empêcher une vision excitante et invitante de l’autre. La
rencontre érotique est alors perçue comme un désavantage, une
menace au bien-être. Cette vision psychosomatique tient pour fait
que les mécanismes du désir sexuel sont sensibles tant aux facteurs biologiques qu’aux stresseurs psychologiques.
Finalement, la différence entre les individus vivant de
l’hypersexualité ou des désirs sexuels élevés se trouve dans le contrôle de leur pulsion. Les gens qui ont des désirs sexuels élevés ont
une attitude proactive face à la recherche de plaisir sexuels. Ils ont
des activités sexuelles similaires aux hypersexuels en termes de
fréquence, de quantité, de difficulté à se concentrer dans leur activités lors des montées de désir mais aussi en termes de frustration
lorsqu’ils ne trouvent pas d’exutoire à leur désir. Toutefois, ils sont en
mesure de faire la différence lorsque l’activité sexuelle est inappropriée ou serait à leur désavantage. La plus importante des distinctions entre l’hypersexuelle et la personne chez qui la sexualité
occupe une place de choix est que cette dernière ne vit pas de
détresse par rapport à sa condition et son conjoint non plus.
L’intense vie sexuelle dont ils sont porteurs tend à être une source
d’enrichissement à leur vie de couple et à leur vie amoureuse.
La dépendance sexuelle est définie comme tout comportement de nature sexuelle qui interfère avec les activités normales
de la vie et qui causent des dommages ou des stress importants
dans la famille, au travail, dans le budget et sur la santé mentale
et physique de la personne. La dépendance n’est pas un choix
mais bien l’absence de choix devant des comportements sexuels
envahissants. C’est la prise de contrôle de la dépendance. La
dépendance sexuelle existe sous plusieurs formes : partenaires
multiples, érotomanie, séduction compulsive, masturbation compulsive, pornographie, services sexuels payants,voyeurisme/
exhibitionnisme/frotteurisme, viol, pédophilie et inceste.
Les comportements hypersexuels n’amènent pas toujours
une dépense en terme financier mais ils amènent toujours un coût
en temps investi dans l’activité : manque de sommeil, mauvaise
alimentation, isolement social, absentéisme, perte d’emploi, arrêt
ou stagnation dans la carrière, diminution des autres activités de
la vie.
Il ne faut pas mélanger dépendance sexuelle et épisodes
hypersexuels. En effet, les périodes de changement peuvent provoquer une hypersexualité temporaire : les nouveaux célibataires, le
début de l’âge adulte, la masturbation compulsive à
l’adolescence, les périodes de stress intenses, etc. Certaines personnes vont s’adonner à une sexualité compulsive durant un
moment pour ensuite reprendre un rythme normal mieux adapté
à leur besoins et à leur réalité.
Avec toutes les sensations impliquées dans la sexualité,
on peut dire que celles-ci altèrent les humeurs. Certains se
masturbent lorsqu’ils sont stressés, d’autres pour mieux
s’endormir, d’autres pour faire passer une tension, parce qu’ils
ont mal au ventre, parce qu’ils sentent une pulsion sexuelle, etc.
On se masturbe pour toutes sortes de raisons, toutes aussi
valides les unes que les autres, mais pour le dépendant sexuel,
toutes les raisons sont bonnes pour utiliser la sexualité. Les
moindres sensations et émotions sont sexualisées. La dépendance sexuelle est une façon mal adaptée que la personne
utilise pour altérer son senti, supporter son malaise existentielle
ou pour ne rien ressentir. Au bout d’un certain moment, la
sexualité trahie la personne, là où elle procurait jadis de
l’apaisement, du plaisir et du réconfort, elle ne laisse plus que
de la honte et du désarroi et c’est alors que la douleur devient
plus forte que le soulagement escompté.
____________________
1. Carnes, Patrick. (2001). Out of the Shadows: Understanding Sexual Addiction (3Rd Ed.) Hazelden, 219 pages.
L’intervenant |24|03 > 5
Les dépendants sexuels se jugent alors très durement. Ils
reconnaissent le problème, mais ils s’isolent protégeant leur intimité, cachant leur secret. Ils croient que si quelqu’un connaissait
leur dépendance, ils seraient vite rejetés et abandonnés. La peur
est parfois légitime lorsqu’on a commencé à mentir à son
entourage. Dévoiler son problème impliquerait de lever le voile sur
des situations antérieures, de révéler le mensonge. Lorsque
l’identité secrète devient plus importante que l’identité publique,
la famille, les amis, les collègues connaissent une fausse identité.
Cette double vie a créé chez le dépendant une distance avec la
communauté. La capacité de la personne à faire confiance aux
autres a été minée par sa dépendance. Avant de demander de
l’aide, la personne peut vivre un certain temps avec la peur d’être
découverte. Le révéler peut signifier des pertes et du jugement
social. Pour le dépendant sexuel la relation est avec le sexe et non
avec la personne.
Carnes (2001) définit 3 niveaux de dépendance sexuelle :
1. Ce sont les comportements jugés normaux, acceptables et
tolérables par la société : masturbation; danseuses exotiques, travailleuses du sexe, pornographie, relations multiples, etc.
2. Ce sont des conduites nuisibles qui font des victimes et
qui sont sanctionnées par la loi : exhibitionnisme,
voyeurisme, frotteurisme. Au niveau 2 on parle de victimisation car l’autre ne sait pas, il n’a pas donné sa permission.
3. Ce sont des comportements qui provoquent de graves conséquences pour les victimes et des conséquences légales
pour les dépendants : viol, inceste, pédophilie. Les frontières sont transgressées, les lois sont violées et les codes
de déontologie sont enfreints. Le niveau III est une progression sévère de la dépendance et il y a présence des
niveaux 1 et 2. Le viol est l’extension la plus tragique de la
dépendance sexuelle.
La majorité des dépendants sexuels se trouvent dans la première
catégorie.
Pour se rétablir de sa dépendance sexuelle, le dépendant
doit revoir son système de croyances. En effet, Carnes (2001) croit
que le cœur de la dépendance sexuelle se situe à ce niveau. Voici
les 4 croyances fondamentales que le dépendant sexuel aura à
revoir s’il veut se rétablir :
1. Je suis fondamentalement une mauvaise personne.
2. Personne ne m’aimerait tel que je suis.
3. Mes besoins ne seront jamais comblés si je dois me fier à
quelqu’un d’autre.
4. Le sexe est mon besoin le plus important.
En trouvant des alternatives à ces croyances erronées et aux
autres qu’elle entretient, la personne développe une vision et des
attentes plus saines et réalistes envers elle-même et envers les
autres.
Carnes propose l’approche des 12 étapes adaptée à la
dépendance sexuelle comme programme de rétablissement.
Toutefois, la finesse et la richesse de sa théorie sur la dynamique
de la dépendance sexuelle et du dépendant sexuel dépasse largement les notions habituelles des programmes de 12 étapes. Le
lecteur rébarbatif à cette philosophie aurait, selon nous, avantage
à dépasser ses réserves en allant puiser dans cette littérature
6< L’intervenant |24|03
Invitation à l’assemblée
générale des membres
de l’AITQ
Date : 6 juin 2008
Endroit : Delta Trois-Rivières
Conférencier invité :
L'honorable juge Michael Sheehan
En travaillant ensemble pour la prévention
du suicide, on peut tout changer
L’activité est réservée aux membres
de l’association.
quelques explications claires et solides du phénomène qu’il pourra, à sa guise, transmettre à ses clients.
Où sont les femmes?
Ferree2 nous fait remarquer que l’addiction sexuelle féminine ne
serait pas reconnue à cause de plusieurs mythes concernant les
femmes notamment les deux suivants :
a) Règle générale, les femmes ne sont pas dépendantes
sexuelles, elles manquent de désir sexuel.
b) Les femmes sont dépendantes affectives ou amoureuses mais
non dépendantes sexuelles.
Cette vision biaisée (romantique et idéalisée) de la femme
porterait plusieurs cliniciens à ne pas envisager la possibilité de
comportements de dépendance sexuelle chez les consultantes et
à ne pas aborder la question.
Cependant, lorsque les femmes sont cliniquement dépendantes sexuelles, les jugements sont stricts. Les femmes ne sontelles pas les gardiennes de la vertu? Nier la réalité de la femme
dépendante sexuelle est une attitude sexiste qui ne reconnaît pas
aux femmes leur détresse et leur besoin d’aide. Antérieurement, ce
double standard était présent vis-à-vis la femme alcoolique et la
femme toxicomane. Cette dernière était jugée encore plus
dépravée que l’homme alcoolique. À conditions égales, la femme
est jugée plus sévèrement et son comportement influencera plus
durement son couple. Comme le mentionnait Coleman (1988)3,
un homme va quitter sa conjointe alcoolique plus souvent qu’une
femme ne quittera son conjoint alcoolique. Schneider et
Schneider4 (1991) font le même constat dans un couple où la
femme est dépendante sexuelle.
____________________
2. Ferree, Marnie, C. (2001). « Female and sex addiction : Myths and diagnostic implications ». Sexual addiction
and compulsivity. 8. p. 287-300.
3. Coleman, Eli. (1988). Chemical Dependency and Intimacy Dysfunction. Coleman, Eli Ed. NY: The Hawthorn
Press, 268 p.
4. Schneider, J. et Schneider, B. (1991). « Women sex addicts and their husbands: Problems and recovery issues ».
American Journal of Preventive Psychiatry & Neurology, 3, p. 1-5.
Selon Carnes5 durant plusieurs années, la dépendance
sexuelle était vue comme un phénomène typiquement masculin.
Alors qu’on y retrouvait le même ratio homme/femme qu’en toxicomanie, c'est-à-dire 3 hommes/1 femme, ce dernier constate
que depuis quelques années, il retrouve dans ses groupes sur la
dépendance sexuelle un nombre égal et parfois supérieur de
femmes en thérapie. Nous sommes loin du constat fait par
Kaplan6 (1995) qui mentionne que de 1972 à 1992 sur 2336
femmes évaluées, seulement 2 femmes pouvaient être qualifiées
de dépendante sexuelle. Devant des chiffres aussi disproportionnés provenant d’experts dans le domaine, on ne peut que constater le besoin d’un outil d’évaluation uniforme sur la dépendance
sexuelle.
Conclusion
Ce léger survol de quelques approches dans le domaine de la
dépendance sexuelle permettra, je l’espère, aux lecteurs profanes de
se situer par rapport au phénomène. Plusieurs auteurs présentent
des caractéristiques de la dépendance sexuelle faciles à identifier et
la plupart opposent des mises en garde qui sont toujours appropriées et qui permettent au clinicien de se positionner. Dans le
doute, il vaut mieux questionner la cliente sur ses motifs de croire
qu’elle serait porteuse d’un trouble d’hypersexualité.
A-t-elle commencé à perdre du temps, de l’argent, sa santé, ses
amis, son estime? Se place-t-elle dans des situations à risque pour
sa sécurité ou celle de ses enfants? Si nous voulons appliquer
l’approche de la réduction des méfaits dans cette problématique,
quels seraient les suggestions possibles? Avec la venue de l’Internet,
les femmes font de plus en plus de rencontres anonymes. Se placent-t-elles dans des situations où elles risquent de croiser des individus violents? La dépendance sexuelle amène la personne à faire
des choix qui ne sont pas judicieux et les conséquences peuvent être
dramatiques. Quels sont les pas que la cliente est prête à faire pour
sa sécurité lorsqu’elle ne veut pas cesser sa dépendance?
La dépendance sexuelle féminine est une réalité et de plus
en plus de femmes demandent de l’aide. Après quelques années
de dépendance sexuelle active, plusieurs se retrouvent incapables
à développer une relation affective engagée et c’est à ce moment
qu’elles se retrouvent en clinique.
Lors du premier ou des premiers entretiens, on peut
s’attendre à ce que la cliente ne révèle qu’une partie « acceptable »
de la situation. Elle teste le clinicien afin de savoir si elle peut
parler, si elle sera accueillie dans sa demande d’aide. Peut-être
que les conséquences de ses choix ne l’ont pas amené à modifier
ses comportements et dans la honte, elle préfère taire son secret.
Toutes ces réserves sont légitimes et ce sera au clinicien de
gagner la confiance de la cliente et de créer une alliance
thérapeutique afin de l’aider à développer une relation amoureuse
et affective saine auprès d’une personne judicieusement choisie.
Pour terminer, l’intervenant qui reçoit une dépendante
sexuelle dans son bureau ne doit pas oublier que la séduction et
les comportements sexuels de cette dernière sont ses comportements de survie, ses mécanismes de défense. Elle ou il ne doit
pas s’attendre à ce qu’ils disparaissent lorsqu’elle franchit la
porte. Si l’attirance est trop forte, si le clinicien commence à fantasmer sur sa cliente il doit le reconnaître et se retirer du dossier
avant de devenir toxique ou de transgresser son code de déontologie. Devenir toxique pourrait impliquer de devenir rigide et
froid et de ne plus être dans des dispositions bienveillantes
devant l’autre. Transgresser implique de perdre sa neutralité, de
rechercher des gains narcissiques avec sa cliente à son détriment,
d’avoir une attitude de séduction de la part du clinicien et, au pire,
de victimiser sa cliente en ayant des rapports sexuels avec elle. <
____________________
5. Carnes, Patrick. (2006). « Women and Sex Addiction ». Counselor, The Magazine for Addiction Professionals,
June, vol. 7, no 3, p. 34-39
6. Kaplan, Helen S. (1995). The sexual desire disorders. New-York, 332 p.
505, rue Sainte-Hélène, 2e étage
Longueuil (Québec) J4K 3R5
Téléphone : (450) 646-3271
Télécopieur : (450) 646-3275
Courriel : [email protected]
Je désire recevoir de l’information sur les formations.
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des intervenants en toxicomanie du Québec inc. (AITQ).
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montant de 17,95 $ pour 4 numéros (25 $ à l’extérieur du Canada).
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L’intervenant |24|03 > 7
R É F L E X I O N
APTE : Un nouveau programme de prévention
des toxicomanies bientôt disponible
Michel Germain, directeur général
CQLD
L
e Centre québécois de lutte aux dépendances (CQLD) est
présentement à finaliser un programme d’Activités de Prévention des ToxicomaniEs : le programme APTE. Ce programme,
développé à partir des pratiques exemplaires en prévention et
fondé sur les croyances des jeunes, fournira aux intervenants de
tous les milieux des outils d’intervention efficaces visant la prévention des
toxicomanies auprès des jeunes de 9 à 24 ans.
Dans le cadre du Fonds des initiatives communautaires de la
Stratégie antidrogue, Santé Canada subventionne depuis 2005, la
conception et le développement du programme.
Au départ, deux constats attirent l’attention : le fait que les
jeunes s’initient de plus en plus tôt aux drogues, tout en banalisant la
consommation et le fait que ceux-ci reçoivent des messages contradictoires sur la question. De ce fait, même s'ils possèdent quelques
croyances adéquates qui les protègent, les jeunes développent également beaucoup de croyances erronées, qui les placent à risque en
matière de consommation. Le but du programme s’impose alors :
agir sur leurs comportements vis-à-vis des substances psychoactives,
soit en renforçant les croyances protectrices reliées à la non-consommation ou à une consommation éclairée et responsable, ou en corrigeant les croyances erronées ou à risque (pour réduire la prévalence
de consommation et les méfaits qui y sont associés).
Le programme APTE agit sur trois niveaux : il aide les jeunes à distinguer les fausses croyances des vraies en matière de consommation
de psychotropes, à reconnaître le niveau de risque associé à la consommation et à développer une opinion personnelle sur celle-ci.
Leonor Cunha Rêgo, professionnelle de recherche au CQLD,
nous affirme que ce programme comporte plusieurs aspects innovateurs, « Le principal étant qu’il part des croyances des jeunes »
explique-t-elle. « Nous avons procédé à des enquêtes auprès de ceuxci pour sonder leurs croyances concernant la consommation d'alcool et
d'autres drogues. » Par ses activités, le programme APTE invite les
jeunes à entretenir un dialogue entre eux sur le sujet. Ce programme de
groupe est donc basé sur l’échange et l’interaction. Les faits sont rétablis à l'aide de messages harmonisés transmis par l'intervenant. Il corrige les idées fausses, mais renforce celles qui sont justes.
Le programme vise un large public, mais sa flexibilité lui permet
de rejoindre chacun d’entre eux. Il s’adresse aussi bien aux enfants de
9 ans qu’aux jeunes adultes de 24 ans, qu’ils soient consommateurs
8< L’intervenant |24|03
ou non. Il s’adapte aussi à des milieux divers : l’école, les maisons de
jeunes, les milieux sportifs ou communautaires. Il guide adéquatement
l’intervenant à animer les activités avec ces différents groupes. Pour ce
faire, le contenu des activités est flexible, mais le déroulement de
celles-ci reste identique. « Une caractéristique appréciée du programme est que l’intervenant n’a pas besoin de préparer ses activités
plusieurs fois car la structure est identique, seul le contenu change
selon l’âge du groupe, le niveau de consommation et le contexte. »
explique Madame Cunha Rêgo.
Le programme se divise en cinq activités dont les sujets
touchent directement les jeunes : les amis, la famille, le milieu de vie,
la communauté et les médias. On parcourt ainsi les principaux facteurs d’influence qui agissent sur les jeunes. Chaque séance commence par une période d’échanges entre les participants et se termine
par un moment où l’intervenant fait le point sur ce qui a été discuté,
corrigeant les croyances erronées ou à risque et renforçant celles qui
sont adéquates et qui protègent les jeunes. L’exercice reste consensuel
et participatif. Le ton n’est jamais moralisateur et les informations
fournies restent objectives. Voici les différents aspects travaillés dans
chacune des cinq activités :
• LES AMIS : Connaître les risques associés à la consommation et
trouver des façons de les éviter ou de les diminuer;
• LA FAMILLE : Se comprendre (parents/enfants) et savoir comment
agir dans des environnements à risque;
• LE MILIEU DE VIE : Capacité à prendre des décisions réfléchies et
éclairées;
• LA COMMUNAUTÉ : Les conséquences de la consommation à
plusieurs niveaux, et ce, à court et à long terme;
• LES MÉDIAS : Les influences et les effets.
En somme, il s’agit d’un outil pertinent car il est basé sur ce que
les jeunes pensent réellement des drogues et de l’alcool. Son efficacité
résulte de sa façon de rejoindre les jeunes à travers leurs croyances et
de transmettre des messages clairs. Le programme APTE fait appel à une
grande participation de la part des jeunes dans toutes les activités afin
qu’ils puissent construire une vision juste de la consommation.
L’intervenant sert ici de guide pour les aider à réaliser ce but.
Le programme APTE est présentement dans sa phase finale
d’évaluation en français et en anglais dans différents milieux au
Québec et au Nouveau-Brunswick. Autant les intervenants impliqués,
que les jeunes ayant participé au programme, sont unanimes sur la
pertinence et l’utilité des moyens proposés. Le lancement du programme aura lieu en septembre 2008. Une formation sur son utilisation sera également offerte par le CQLD à partir de l’été prochain. Pour
plus d’informations, consultez le site Web du CQLD : www.cqld.ca. <
Pierre BRISSON
Programmes de toxicomanie,
Université de Montréal et Université de Sherbrooke
École de travail social,
Université du Québec à Montréal
Jean-Sébastien FALLU
École de psychoéducation,
Université de Montréal
Président-fondateur,
GRIP Montréal
N
ous souhaitons, par cet article, contribuer à la discussion publique sur la place passée, présente et à
venir de la réduction des méfaits dans le contexte de
nos sociétés en présentant un bilan des pratiques,
des données scientifiques et des enjeux politiques
sur le sujet. Nous faisons d’abord le rappel des
méfaits générés par le cadre politique et stratégique de la guerre
à la drogue pour ensuite dresser un portrait, québécois et international, des pratiques actuelles de réduction des méfaits de
même que des conclusions des évaluations menées à ce jour sur
ces pratiques. Nous terminons en situant la tendance des orientations politiques des dernières années, au Canada et au Québec,
en ce qui a trait à l’intégration de l’approche dans nos sociétés.
Les méfaits de la guerre à la drogue
En plus d’être inefficace et inefficiente dans l’atteinte de ses propres objectifs qui sont la réduction de l’offre et de la demande
en drogues2, la prohibition entraîne des dommages collatéraux
bien supérieurs à ceux produits par les drogues elles-mêmes, sur
la santé des individus, la sécurité des populations ainsi que sur
l’équilibre même de l’économie et la démocratie de nos sociétés.
R É D U C T I O N D E S
M É FA I T S
Réduction des méfaits, science et
politique : d’hier à demain1
aussi le remplacement de substances temporairement inaccessibles par d’autres souvent plus toxiques, occasionnant alors morbidité et mortalité chez les utilisateurs peu expérimentés. L’état de
prohibition relègue aussi les consommateurs de drogues vers des
contextes non sécuritaires d’usage tout en les éloignant des
services de santé et de traitement : en effet, de peur d’être stigmatisés ou persécutés, plusieurs usagers refusent de s’adresser
aux professionnels de la santé ou ne reçoivent carrément pas de
traitement, ainsi que cela se produit en milieu carcéral où l’on
retrouve pourtant une surreprésentation de personnes en besoin
d’assistance thérapeutique. L’incarnation la plus terrible des
méfaits précédemment décrits est certes la propagation de la
transmission du VIH et du VHC au sein des usagers de drogues
car, faut-il le rappeler, la majorité des nouvelles infections est toujours la conséquence du partage de matériel souillé chez les UDI.
Méfaits sur la sécurité des populations
La prohibition crée des problèmes de violence et de sécurité
publique indépendants des effets des drogues elles-mêmes.
Comme jadis la prohibition de l’alcool fut associée à une augmentation du crime au point qu’il en est devenu « organisé »,
l’actuelle guerre à la drogue voit une hausse directe de problèmes
de criminalité qui ont des répercussions sur la tranquillité et la
qualité de vie des citoyens : ainsi les luttes à tous les échelons
pour le contrôle des marchés, au sein des trafiquants, et les
problèmes d’approvisionnement en drogues chez les simples
usagers pour qui le coût de certaines substances est prohibitif.
Nombre d’observateurs émettent aussi l’hypothèse qu’en menant
une guerre peu efficiente au trafic, cela contribue en fait à éliminer les maillons les plus faibles du marché et à créer des super
puissances criminelles qui ne se gênent pas pour étendre leurs
activités délictueuses à plusieurs autres secteurs de la vie
sociale.
Méfaits sur l’économie et la démocratie
Méfaits sur la santé des usagers
Enfin, la prohibition entraîne une pléiade de conséquences
néfastes du point de vue de l’économie et de la démocratie. Au
plan économique, en plus de la perte des revenus de la vente
Au niveau sanitaire, la prohibition génère plusieurs effets pervers.
D’abord, le contrôle criminel de l’offre qu’elle encourage ouvre la
porte à l’adultération des produits, leur concentration accrue et
l’apparition de modes d’administration plus risqués. Ces facteurs augmentent significativement les risques sociosanitaires
d’intoxication, de surdoses et d’infections. Le marché noir favorise
____________________
1. Note des auteurs : pour des raisons d’espace et afin de ne pas en rendre la lecture trop lourde, le texte est
volontairement exempt des références qui toutes se retrouvent en bibliographie.
2. Notre propos n’étant pas d’élaborer sur cette démonstration, qu’il suffise de dire que, d’après les estimations des autorités policières elles-mêmes, aussi peu que de 10 à 25 % de la drogue produite sur la planète
est effectivement interceptée, bon an mal an; quant à la demande, il est simple de constater que depuis la
première loi antidrogue canadienne de 1908, les prévalences de consommation de tous les produits illicites
ont progressé de façon continue, avec des fluctuations dans le temps qui n’ont que peu à voir avec un
quelconque effet dissuasif des lois.
L’intervenant |24|03 > 9
et de la taxation des produits psychotropes (et leur redistribution sociale) au profit du crime organisé et en plus d’obliger à
l’investissement de sommes colossales dans la surveillance
et la répression des contrevenants (plutôt qu’en éducation et
en traitement), la prohibition consacre de nouveaux seigneurs
de la guerre dont la fortune est à même de déstabiliser les
économies licites mondiales. Cette déstabilisation est aussi
politique car les puissantes organisations criminelles pratiquent
la corruption des policiers et des politiciens et utilisent des
«taupes» pour infiltrer et manipuler les appareils politiques.
Sur le plan des droits et libertés, la guerre à la drogue
transforme du jour au lendemain des centaines de milliers de
citoyens respectueux des autres lois en criminels à raison du
simple choix de consommer certains psychotropes plutôt que
d’autres. Dans plusieurs cas, la conséquence est
l’emprisonnement pour des comportements n’ayant pourtant
causé aucun préjudices à autrui. Les États-Unis possèdent ainsi
les ratios mondiaux d’incarcération pour question de drogues les
plus élevés. Cette restriction arbitraire des libertés individuelles
se double souvent de violations systématiques des droits de la
personne, soit de véritables abus de pouvoir de la machine
juridico-pénale à l’endroit des contrevenants en matière de
drogues : c’est ainsi que, toujours aux États-Unis, les afro-américains constituent 56 % de la population incarcérée pour des
offenses liées aux drogues illicites alors qu’ils ne comptent que
pour 14 % des utilisateurs actuels de ces drogues.
La prohibition est ultimement susceptible d’engendrer
une perte de confiance envers les institutions démocratiques. À force de constater l’échec de mesures de guerre coûteuses et peu efficaces et d’une propagande souvent disproportionnée et dramatisante, la crédibilité des autorités politiques en souffre. Et puis, de plus en plus de gens sont maintenant conscients que cette propagande et ces attaques visant
le « fléau » de la drogue constituent au fond une habile entreprise de détournement de l’opinion publique des véritables
problèmes de notre monde, là où il nous faudrait, plutôt que
des politiques antidrogues, des politiques anti-pauvreté, antipollution, anti-ignorance, etc.
Les pratiques actuelles de réduction des méfaits
L’approche de réduction des méfaits a aujourd’hui près de vingtcinq années d’existence depuis l’apparition des premières pratiques de prévention de l’échange de seringues souillées au
sein des groupes d’utilisateurs de drogues par injection (UDI)
des Pays-Bas, en 1984. La désignation de telles pratiques sous
le vocable harm reduction et la diffusion rapide de l’approche
en Europe devaient, au cours de la décennie 1980, créer un
nouveau courant d’intervention en santé publique et en toxicomanie. Ce courant n’a cessé depuis d’être l’objet de discussion
quant à sa portée et à sa signification. Pour les besoins de cet
article, nous limitons notre revue aux pratiques de réduction
des méfaits concernant les drogues illicites en précisant
l’état de leur développement au Québec et, au besoin, ailleurs
au Canada et dans le monde.
Fourniture de matériel
Stratégie emblématique de la réduction des méfaits depuis
10< L’intervenant |24|03
l’origine dans tous les pays d’Occident, la fourniture de matériel
concerne d’abord la provision de seringues propres mais
également de matériel pour le chauffage de la drogue et de
pipes à crack. Au Québec, les CAMI (Centres d’accès au
matériel d’injection) couvraient, en 2006, 16 régions sanitaires
sur 18 à travers 820 centres déclarés pour un total de quelque
1.3 millions de seringues distribués, 500 000 ampoules d’eau
stérile et 212 000 Stéricup (comprenant : contenant stérile,
manchon, filtre et tampon sec). En comparaison, pour un nombre d’UDI comparable, trois millions de seringues étaient distribuées gratuitement en Colombie-Britannique, la même année.
La majorité de la distribution (80 %) est le fait d’organismes
communautaires à vocation multiple et spécialisées en prévention des ITSS qui ne comptent pourtant que pour 7 % des CAMI,
les autres étant les établissements du réseau - pharmacies,
CLSC, CH – qui dispensent 20 % du matériel.
Traitements de substitution
Le principal traitement de substitution est celui à la
méthadone, introduit dans les années 1960 aux Etats-Unis et
répandu dans tous les pays occidentaux depuis l’avènement du
sida. La méthadone est un opioïde de synthèse permettant
d’éliminer les symptômes de sevrage aux opiacés (héroïne,
morphine et autres), sans provoquer d’euphorie et sur la base
d’une administration orale quotidienne. Au Québec, le Centre
de recherche et d’aide pour narcomanes (CRAN) a introduit le
traitement à Montréal, en 1986. Le réseau actuel de la
méthadone au Québec repose sur trois centres spécialisés
(CRAN, Hôpital Juif et CHUM/St-Luc) et un centre à bas seuil,
le Relais Méthadone, pour la région montréalaise ; des programmes de traitement à l’intérieur de la plupart des centres
publics de réadaptation et un réseau de médecins et de pharmaciens affiliés permettent une couverture sur l’ensemble du
territoire québécois. Selon les données récentes, quelque
1700 personnes ont annuellement accès à l’une ou l’autre de
ces ressources, le CRAN et Relais Méthadone en desservant
plus du tiers ; alors que dans plusieurs pays d’Europe, la « couverture » de services permet de rejoindre de 50 à 60 % des
consommateurs (et jusqu’à 75 % aux Pays-Bas), l’offre actuelle
au Québec ne permet de rejoindre que le quart des usagers
québécois.
Plusieurs pays européens recourent à un autre opioïde
synthétique, la buprénorphine, en traitement de substitution
dont les effets durent 48 heures et s’avèrent dès lors plus sécuritaires au regard du surdosage. La disponibilité du traitement
avec ce produit est actuellement à l’étude au Canada.
Prescription d’héroïne
Implantée au Royaume Uni depuis les années 1920 (sous le
nom de Bristish System) de même qu’en Suisse et aux PaysBas, au cours des années 1990, cette stratégie est actuellement à l’étude dans plusieurs autres pays (Allemagne, France,
Belgique, Espagne) dont le Canada. Elle consiste à prescrire
l’opiacé convoité (héroïne, morphine) afin de rejoindre les consommateurs ayant échoué leurs tentatives de traitement à la
méthadone ou des programmes d’abstinence et se retrouvant
dans un état de misère avancé (morbidité, itinérance). Le North
American Opiate Medication Initiative (NAOMI) est une étude
clinique actuellement en cours sur deux sites canadiens
(Vancouver et Montréal) auprès de 470 sujets, la moitié étant
traités à la méthadone (groupe contrôle) et l’autre aux opiacés
naturels (héroïne ou hydromorphone). Les premiers résultats
sont attendus au cours de l’année 2008.
Sites de consommation supervisée (SCS)
Mesure d’aménagement du milieu établie depuis les années
1980 aux Pays-Bas et en Suisse, elle s’est progressivement répandue dans nombre de villes européennes pour totaliser une
cinquantaine de sites en opération au début de l’an 2000. Les
SCS sont intégrés dans une approche globale d’intervention
offrant, selon diverses modalités, une panoplie de services sociaux et de santé (facilités pour l’hygiène et l’alimentation, soins
infirmiers, travail de proximité, counseling en toxicomanie, activités
de réinsertion). Les sites sont situés dans les grands centres, près
des lieux de consommation et possèdent une entrée discrète ;
certains offrent également la possibilité d’inhalation de drogues.
En réponse aux besoins criants de la population vulnérable des UDI du quartier Downtown Eastside de Vancouver,
le premier site supervisé d’injection en Amérique du Nord a
ouvert ses portes le 12 septembre 2003 sous le nom d’insite,
approuvé par Santé Canada et soutenu par les associations
d’usagers, les représentants municipaux et le monde universitaire. Insite est aujourd’hui un des seuls sites au monde à faire
l’objet d’une évaluation scientifique rigoureuse sous la responsabilité de l’Université de la Colombie-Britannique, cette évaluation constituant un enjeu stratégique pour toute l’Amérique
du Nord dont le Québec.
Testing des drogues
La mesure de testing n’existe en aucun endroit au Canada en
dépit d’un travail de lobbying en ce sens par les organismes
responsables d’interventions en milieux festifs à Vancouver
(Mindbodylove), Toronto (Toronto Raver Info Project - TRIP) et
Montréal (Groupe de recherche et d’intervention psychosociale
- GRIP). En Europe, plusieurs pays permettent le testing, selon
des modalités variables, seuls les Pays-Bas en ayant toutefois
fait une partie intégrante de leur politique publique. Le testing
de produits peut se faire sur le site d’événements festifs ou à
l’extérieur, selon trois principales méthodes : le test de
Marquis (réaction colorée), l’identification des pilules (fiches
permettant la comparaison avec des substances déjà
analysées) et les techniques plus sophistiquées de la chromotographie et de la spectométrie de masse qui permettent une
différentiation et une quantification des composées. Les buts
poursuivis sont de prévention (réduction des risques pour
l’usager), de protection (communication publique sur les substances en circulation) et de surveillance (observation de
l’évolution des marchés).
Changements politiques
Cette mesure consiste en une application « libéralisée » des lois
criminelles en matière de drogues au moyen du retrait de certains contrôles au profit de règlements ou de sanctions non
pénales. Les applications dans le monde concernent le chef
d’accusation de possession et touchent presqu’exclusivement le
cannabis. On distingue la mesure de type déjudiciarisé
(changement dans le statut légal) et celle de type de facto
(aucun changement mais application modifiée de la loi) donnant lieu à diverses modalités d’applications : pénalités civiles
(onze états américains) ; prohibition du commerce mais non de
l’usage (Colombie, Suisse, Espagne) ; arrestation avec cautionnement (Australie, Portugal, Italie) ; aucune arrestation pour des
petites quantités établies (Belgique, Allemagne, Danemark,
Pays-Bas). Au Canada, malgré une rhétorique récurrente favorable à des amendements ou à une application plus souple de
la loi (Commission Le Dain, Bill S-19, Comité Nolin), l’approche
préconisée demeure essentiellement pénale et répressive. Le
Québec se distingue cependant par une tradition de non poursuite criminelle des contrevenants mineurs en matière de
possession de cannabis.
Information, éducation, communication (IEC)
Les stratégies d’information, d’éducation et de communication,
regroupées sous le sigle IEC, font partie des pratiques les plus
universellement répandues de réduction des méfaits, le plus
souvent en tant que composantes clés des pratiques précédemment décrites - fourniture de matériel, SIS, testing. Au Québec,
plusieurs produits ont été diffusés au cours des quinze
dernières années sous forme d’affiches, brochures, dépliants,
guides, documents vidéo, magazines, visant la connaissance
des risques liés à l’usage, des modes de consommation sécuritaires et des facteurs de protection vis-à-vis de la transmission
des ITSS. Mentionnons, entre autres, la brochure et le guide FX
(AITQ), le dépliant et le guide Chacun son kit, une idée fixe
(MSSS), le matériel d’information pour les gens fréquentant les
événements festifs (GRIP Montréal), le vidéo Faire sa veine
(Concertation toxicomanie Hochelaga-Maisonneuve) et le livre
Savoir plus, risquer moins (CPLT/CQLD). En outre, deux campagnes publiques de persuasion sont à mentionner : la première, de type universel et initiée par le ministère à la fin des
années 1990, visait un travail sur les attitudes de la population
générale dans le but de favoriser un climat social propice à la
prévention des ITSS (Solidarité : moins on juge, mieux on aide) ;
la seconde, de type ciblée et initiée par des chercheurs en santé
publique en 2006, visait à travailler les attitudes des jeunes de
la rue non UDI dans le but de prévenir le passage à l’injection
(Pourquoi commencer?).
Travail avec et par les usagers
Il s’agit ici d’une pratique fondatrice de la réduction des méfaits
dans tous les pays d’implantation et, par essence, intrinsèqueL’intervenant |24|03 > 11
ment liée au déploiement d’autres stratégies, particulièrement la
fourniture de matériel, les SIS et les mesures d’IEC. Le volet du
travail auprès des usagers peut revêtir plusieurs formes (prise
de contact, information, éducation, provision de matériel, counseling, accompagnement, référence, soins physiques) et
plusieurs appellations (travail de rue, de proximité ou de milieu
pouvant être le fait d’intervenants communautaires, sociaux, en
toxicomanie ou en santé). Le second volet, directement orienté
vers des visées d’empowerment, individuel et collectif, concerne
la contribution de pairs aidants au travail auprès des usagers
de même qu’au regroupement d’usagers en groupes
d’autosupport. Depuis les débuts de l’action en réduction des
méfaits au Québec, le travail auprès des usagers s’est déployé au
travers différents organismes (CACTUS, Relais Méthadone,
Spectre de rue, Point de repères, Préfix, Pic Atouts, Concertation
Toxicomanie Hochelaga-Maisonneuve, l’Anonyme, Le Bon Dieu
dans la rue, etc.) ; au fil des ans, certaines initiatives impliquant
des pairs aidants (projet Plaiisirs, Méta d’Âme) ou des regroupements d’usagers (magazines Pusher d’Infos et l’Injecteur,
l’ADDICQ) ont vu le jour.
Approches motivationnelles
Largement implantées et documentées dans les contextes
d’intervention du counseling et de la thérapie, les approches
motivationnelles font aujourd’hui partie des stratégies de
plusieurs des plans d’action en réduction des méfaits en tant
qu’interventions brèves, respectant le rythme et le désir de
changement des usagers. Au Québec, l’introduction du « paradigme clinique » de la réduction des méfaits à l’intérieur de
plusieurs centres publics de réadaptation confirme la pertinence préventive de certaines stratégies comme les approches
motivationnelles auprès d’usagers ne voulant ou ne pouvant
arrêter leur consommation. Le Centre de réadaptation DollardCormier, à Montréal, est précurseur dans l’implantation et
l’évaluation de telles approches de réduction des méfaits en
contexte thérapeutique.
L’efficacité de la réduction des méfaits
Nous résumons ici les conclusions tirées des recherches
évaluatives les plus récentes en relation avec les champs de
pratiques que nous venons de décrire. Trois types de constats
se dégagent de la littérature en regard de la prévention et du
contrôle de l’épidémie des ITSS associée à l’injection de
drogues mais aussi de la diminution de la criminalité et de
l’amélioration des conditions de vie, au plan physique et psychologique, des usagers de drogues.
Les interventions éprouvées
Deux types d’intervention ont été fréquemment et rigoureusement évaluées et ont démontré leur efficacité : les programmes
d’échanges de seringues et les traitements de substitution.
Dans le premier cas, la provision de matériel propre a démontré
prévenir la transmission du VIH et réduire les risques de transmission du VHB et du VHC ; dans le second cas, les traitements
de substitution (à la méthadone et, dans certaines conditions,
à la buprénorphine) ont démontré leur efficacité pour la rétention des narcomanes en thérapie, la diminution de l’usage
12< L’intervenant |24|03
d’héroïne de rue et, conséquemment, des risques de transmission du VIH, de surdoses et de criminalité associés à la dépendance aux opiacés.
Les interventions prometteuses
Quatre types d’interventions s’avèrent prometteuses ce qui
veut dire : que davantage de recherches sont requises pour en
arriver à des évidences probantes ; que le rapport
coûts/bénéfices de leur utilisation est moins intéressant voire
incertain en comparaison des mesures éprouvées ; que leur
développement doit être maintenu mais se faire avec prudence.
Les programmes de prescription d’héroïne, d’abord,
s’avèreraient bénéfiques sur le plan sanitaire et social pour les
usagers de longue date ayant échoué d’autres types de traitement. Les sites de consommation supervisés, en second lieu,
semblent efficaces pour attirer les usagers les plus marginalisés
et vulnérables, limiter les surdoses et les comportements à
risque de transmission du VIH, de même que pour faciliter
l’accès à une diversité de soins et aux traitements en toxicomanie. Les changements politiques relatifs aux diverses
formes de dépénalisation du cannabis apparaissent ne pas
entraîner d’impacts négatifs (augmentation des niveaux
d’usage) tout en faisant une différence significative sur les
méfaits et coûts sociaux associés à la criminalisation des
usagers. De la même manière, le testing des drogues, malgré
une variabilité des modèles et des contextes d’implantation,
n’est pas associé à des impacts négatifs (accroissement de la
consommation et du trafic des drogues) mais présenterait des
bénéfices intéressants : a) en combinaison avec des mesures
d’IEC comme mesure de protection publique ; b) en combinaison avec le travail de proximité pour sensibiliser des populations difficiles à rejoindre.
Les interventions restant à évaluer
Deux des derniers types d’interventions abordées, les mesures
d’IEC et le travail avec et par les usagers, nécessitent des
recherches évaluatives de leur impact en propre bien qu’ils se
révèlent le plus souvent faire une différence positive dans le
succès des mesures auxquelles ils sont intimement associés.
Quant aux approches motivationnelles, si leur efficacité a été
démontrée dans de nombreux contextes d’intervention, il reste
à confirmer leur potentiel dans le cadre particulier
d’interventions en réduction des méfaits.
En conclusion de la revue des études sur le sujet se
dégage un principe général d’efficacité : les politiques et programmes de réduction des méfaits doivent mettre en œuvre une
panoplie d’interventions plutôt que des mesures isolées. Et
pour en arriver à une organisation réfléchie de mesures, le questionnement stratégique suivant s’impose : quelles interventions selon quelle combinaison, à quelle intensité et selon
quelle couverture permettront d’atteindre un seuil d’efficacité
satisfaisant?
Les orientations politiques au Canada et au
Québec
La réduction des méfaits a constitué un bouleversement majeur
pour les autorités publiques dans la façon d’aborder la gestion
de la consommation des psychotropes. Malgré son
apparition au début des années quatre-vingt et son
adoption graduelle par les acteurs sur le terrain, il faut
attendre le milieu des années quatre-vingt dix pour
qu’une majorité d’organismes plébiscitent l’approche au
Québec alors que sur le plan fédéral, l’intégration de la
réduction des méfaits à l’agenda politique attendra la
Stratégie canadienne antidrogue de 1998. Depuis lors,
la difficulté de consensus sur la définition de la réduction
des méfaits et de son champ d’application a entraîné
des problèmes d’incompréhension entre responsables
politiques et intervenants, aboutissant à un détournement de l’approche et, ces dernières années, à un net
recul.
La Stratégie canadienne antidrogue (SCA)
Au début des années soixante-dix, la commission Le
Dain fut mise sur pied afin de conseiller le gouvernement
fédéral en matière de drogues illicites. Suite à ses recommandations, le gouvernement fédéral a tenté par deux
fois de décriminaliser la possession simple de
cannabis (en 1972 et en 1975). Non seulement ces
recommandations ne furent pas suivies mais, entre 1972
et 1975, il y eut augmentation de 400 % des condamnations pour infractions liées aux drogues. Dans les
années quatre-vingt, il ne sera pas davantage donné
suites aux recommandations de la commission, la
répression s’intensifiant au contraire dans le contexte de
la « guerre à la drogue ». En 1987, sous le gouvernement Mulroney, le fédéral adopte une politique en
matière d’intervention en toxicomanie : la Stratégie
canadienne antidrogue. L’adoption de cette stratégie est
officiellement une réponse à l’épidémie de l’usage de
drogues qui menace notre économie et nos valeurs.
Pourtant, aucune épidémie n’est corroborée par les
chercheurs et professionnels du domaine. Il semble que
ce soit l’influence américaine et la dramatisation médiatique autour du phénomène des drogues qui aient contribué à créer un état de crise au sein de la classe politique et de la population. La SCA prétend adopter une
approche équilibrée entre prévention et répression : dans
les faits, plus de 90 % des fonds sont consacrés à cette
dernière.
Malgré son adoption sur le terrain, la réduction des
méfaits est totalement absente de l’énoncé de la première SCA. Celle-ci met de l’avant la vision d’une
société sans drogue dans laquelle les familles canadiennes pourront vivre dans un milieu rendu sain et
sécure par la mise en œuvre d’une approche efficace de
répression : réduction de l’offre (application de la loi) et
de la demande (prévention, traitement et répression de
l’usage). Bien qu’absente, il est tout de même possible
de déceler l’influence naissante de la réduction des
méfaits dans l’objectif de « réduire les torts ». Certaines
idées sont donc présentes dès 1987 mais sans rupture
avec les philosophies de l’abstinence et de la prohibition ;
il n’est donc pas étonnant qu’aucune stratégie pour
L’intervenant |24|03 > 13
faire face à la double problématique de la toxicomanie et du
sida n’y figure.
La SCA de 1992 semble donner lieu à un « processus
d’institutionnalisation » des stratégies de réduction des
méfaits. La notion de réduction des torts causés par la consommation excessive d’alcool et de drogues est préférée à celle
d’abus. Il est fait mention du lien entre les UDI et la propagation du sida, sans en faire une priorité. S’il n’y a toujours pas
rupture avec l’abstinence et la prohibition comme modèles,
cependant, le rôle et les activités du Centre canadien de lutte à
l’alcoolisme et autres toxicomanies (CCLAT), organisme chargé
de la mise en œuvre la SCA, semble clairement s’orienter vers
une logique de réduction des méfaits.
Cela se répercute dans l’énoncé de la SCA de 1998 qui
semble dorénavant prendre pour assise la philosophie de la
réduction des méfaits, le but principal poursuivi n’étant plus une
société sans drogues mais la réduction des méfaits liés à
l’usage de toutes drogues, licites comme illicites. On note
également l’inclusion de la problématique du sida et la
référence à l’échange de seringues.
La réduction des méfaits passe ainsi, de 1987 à 1998,
d’inexistante à prédominante dans le discours du gouvernement
fédéral mais sous la forme d’un but général plutôt que de
stratégies spécifiques. C’est là une distinction importante :
toutes les approches de régulation des psychotropes visent
ultimement à en réduire les méfaits, mais toutes n’utilisent pas
les stratégies de la réduction des méfaits pour y parvenir. Aussi,
à partir de 1998, des approches et pratiques aux fondements
contradictoires se retrouvent côte à côte et l’institutionnalisation
de la réduction des méfaits consacre plutôt une approche de
gestion des risques sur le plan public : ce sont bel et bien les
méfaits sur la collectivité qu’il faut prévenir en « contrôlant » certaines populations et pratiques à risque (toxicomanes, UDI). On
peut voir là une récupération, voire un détournement du
principe humaniste à la base de la réduction des méfaits
puisque le tort causé par la stigmatisation de certains usagers
demeure. De plus, un tel discours fait abstraction des méfaits
occasionnés par la prohibition et la répression, laissant sousentendre que les méfaits que vivent les toxicomanes ne sont en
fait que la conséquence de leur consommation. Ainsi, la politique
fédérale de réduction des méfaits devient une stratégie de protection de la société contre les méfaits des drogues plutôt que
d’aide aux usagers aux prises avec les méfaits de la prohibition.
La nouvelle Stratégie canadienne antidrogue, annoncée
en novembre 2007, donne tous les signes d’un retour en
arrière. Sur le site gouvernemental, trois axes sont mis de l’avant :
la prévention, le traitement et l’application de la loi. Les visées
sont essentiellement de prévenir l’usage, de traiter les toxicomanes et de réprimer les contrevenants aux lois, trafiquants et
consommateurs. On retourne au but idyllique d’une société sans
drogues et au credo de l’abstinence en abandonnant l’approche
et les stratégies de réduction des méfaits. Les paroles de
Stephen Harper sont à cet égard éloquentes : « la réduction des
méfaits est au mieux une stratégie de second ordre ».
notamment, de ne pas renouveler le permis d’insite, seul lieu
d’injection supervisée en Amérique du Nord. Pourtant, cette
expérience rigoureusement évaluée sur le plan scientifique a
déjà démontré des résultats positifs à un point tel que le
Service de police de Vancouver endosse dorénavant le projet,
revenant sur sa position initiale, après en avoir constaté les
bienfaits dans le Vancouver Eastside. Les retombées positives
d’insite touchent pourtant deux éléments centraux, chers à
l’idéologie conservatrice : une réduction de la criminalité et
une réduction des coûts sociaux donc du fardeau fiscal des
contribuables. Il y a donc ici clairement un conflit entre
science et idéologie qui devrait forcer les conservateurs à se
questionner sur le peu de cohérence de leurs prises de position.
Le scandale est toutefois qu’en privant les usagers de drogues
d’un service ayant fait la preuve de son efficacité et de son
utilité au plan sociosanitaire, le gouvernement fédéral manque
d’éthique et contribue à la maximisation des méfaits liés à
l’usage des drogues au pays.
Le Québec
Le Québec semble participer au recul de la réduction des
méfaits. C’est au milieu des années quatre-vingt dix qu’un
ensemble d’organisations québécoises adhèrent aux principes
de la réduction des méfaits : le Centre québécois de coordination sur le sida (CQCS), en 1994 ; l’assemblée générale de
l’Association des intervenants en toxicomanie du Québec
(AITQ), en 1995 ; le regroupement des centres de réadaptation
Alternatives, Domrémy et Préfontaine (actuel Centre DollardCormier), en 1995. En 1996, le Comité permanent de lutte à la
toxicomanie (CPLT) fait même la recommandation au gouvernement du Québec d’adopter la réduction des méfaits comme
approche. Cinq ans plus tard, le ministère de la Santé et des
Services sociaux du Québec publie son projet de plan d’action
en matière de toxicomanie qui repose largement sur cette
approche. À la même époque, il lance un plan stratégique afin
de renouveler l’approche préventive dans le contexte de la
réduction des méfaits, Pour une approche pragmatique de
prévention en toxicomanie, produit d’une concertation multisectorielle et avalisé par l’ensemble des acteurs québécois
dans le domaine. Aujourd’hui cependant, malgré le fait que le
ministère ne démente pas qu’elle soit une approche privilégiée,
la réduction des méfaits est quasi absente du Plan d’action
interministériel en toxicomanie adopté au printemps 2006, le
plan stratégique en prévention n’y étant même pas mentionné!
Il semble que les ministères associés - Sécurité publique,
Justice, Éducation, Transport – se soient montrés trop frileux à
cet égard.
Par ailleurs, malgré la progression de l’approche sur le
terrain jusqu’au début des années deux mille, on constate
aujourd’hui un essoufflement des intervenants, le retour de
résistances face aux mesures proposées et un retard dans
l’actualisation des programmes clés que sont l’échange de
seringues et l’accès à la méthadone.
Conclusion
Le cas d’insite
Le gouvernement Harper affiche déjà ses couleurs. Il menace,
14< L’intervenant |24|03
La réduction des méfaits se trouve aujourd’hui à la croisée des
chemins et à la confluence de plusieurs déterminants – agendas
des autorités publiques, urgence épidémiologique, mobilisation des intervenants et des usagers, mentalité des populations – qui en façonneront l’identité, d’une manière ou d’une
autre, au cours des années à venir. Sera-t-elle confinée à n’être
que simple mesure pragmatique de gestion du problème du
sida, en parallèle à des approches préventive, curative et
répressive traditionnelles? S’imposera-t-elle comme modèle
nouveau d’intervention humaniste en matière de drogues,
cristallisé par l’avènement du sida et redéfinissant le sens
même de la prévention, du traitement et de la répression?
Pourrait-elle même devenir, en dépit du ressac actuel, le cadre
d’une nouvelle politique sur les drogues axée sur la compassion
et la responsabilisation plutôt que sur la coercition et la stigmatisation? Cela dépendra de chacun d’entre-nous. <
Bibliographie
BALL, A. L. (2007) HIV, injecting drug use and harm reduction : a public health response.
Addiction, 102 : 684-690.
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MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX (2006) Le traitement de la dépendance aux
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MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX (2001) Pour une approche pragmatique de
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YORK UNIVERSITY (2007) Harm reduction : Theory, Policy and Practice. Online Course. Faculty
of Liberal and Professional Studies, Division of Continuing Education.
Erratum
Une erreur s’est glissée dans la revue de janvier 2008. Les auteurs de l’article Colloque annuel 2007 du Centre
Le Passage nous ont avisé que leur prochain colloque se tiendra le 21 mai 2008 et non le 20 mai tel que mentionné.
L’intervenant |24|03 > 15
Actes du colloque 2007
Publié par l’AITQ, ce document
regroupe les textes ou diaporamas
remis par les conférenciers suite au
XXXVe colloque qui s’est tenu en
octobre 2007. 292 p.
Disponible à l’AITQ
Le malade alcoolique
Paul Kiritzé-Topor et Jean-Yves Bénard
Cet ouvrage récapitule les connaissances de base sur le mésusage
d’alcool (alcoolopathies et dépendance alcoolique) et dresse un
tableau des différentes typologies des consommateurs d’alcool. Il
apporte aussi des réponses claires et argumentées aux questions
soulevées par la prise en charge de ce type de patients. Enfin dans
le cadre d’une prise en charge médicale globale, sont évoqués les
relais à la disposition des médecins généralistes, leurs différents
partenaires médicaux et sociaux et les formations à leur disposition pour améliorer le suivi du malade alcoolique. MASSON, 2001,
232 p.
Disponible à l’AITQ
M’aimer pour t’aimer
Brenda Schaeffer
Les explications et les activités que
renferme ce livre aident à vivre selon
des perspectives plus spirituelles
que matérielles. Le lecteur découvre
au fil des pages comment mettre en
équilibre, amour et pouvoir dans ses
relations. HAZELDEN, 2002, 332 p.
Disponible à l’AITQ
Cédérom DROGUES, outil éducatif pour des activités trippantes
AITQ
Suite au succès remporté par la
trousse DROGUES, pour des activités
trippantes et pour répondre aux nombreuses demandes des intervenants
en prévention, l'AITQ a produit et mis
en vente un cédérom qui contient le
guide d'animation en format PDF et
reprend les cinq affichettes en format
PDF (noir et blanc pour impression) et
JPEG (couleurs pour projection) : Le cycle de l'assuétude, La loi de
l'effet, Quel type de surconsommateur es-tu?, À propos du cerveau
et Le tableau des drogues.
Disponible à l’AITQ
16< L’intervenant |24|03
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outil éducatif pour
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Katherine Bourdon
Sexologue, B.A., D.E.S.S. Toxicomanie
A
yant œuvré dans le domaine de la thérapie pour toxicomanes, j’ai eu la chance d’observer que plusieurs sentiments sont communs à bon nombre de clients qui viennent
consulter pour un problème de dépendance. Parmi ces sentiments, l’un deux prend, à mon sens, une place particulière
et revient particulièrement souvent. Il s’agit de la culpabilité.
La définition
Pour bien comprendre la façon dont s’installe la culpabilité chez
quelqu’un et de manière à la réduire, penchons-nous d’abord sur la
définition de ce qu’est la culpabilité.
Selon le psychologue belge Jacques Vermeulen, heureusement que le sentiment de culpabilité existe. C’est grâce à lui que
nous savons que nous avons transgressé nos valeurs. Il souligne que
« pouvoir reconnaître que nous avons mal agi, que nous avons blessé
ou heurté quelqu’un est une qualité. » (Vermeulen, 2007). Il s’agit
alors de culpabilité empathique. Par contre, lorsque la personne continue de se sentir coupable d’un fait passé il y a plusieurs années,
ou encore qu’elle passe beaucoup de temps chaque jour à se
demander si elle a blessé quelqu’un ou si elle a mal agi, il s’agit de
culpabilité pathologique. C’est principalement à cette sorte de culpabilité que nous allons nous intéresser dans ce présent article. Par
contre, comme la culpabilité pathologique peut souvent venir d’une
culpabilité réelle vécue par une personne (par exemple un parent qui
aurait été très culpabilisant dans l’enfance peut engendrer de la culpabilité pathologique dans la vie adulte), nous prendrons quelques
lignes pour tenter de comprendre le mécanisme de la culpabilité
lorsque utilisée volontairement.
Pour les psychothérapeutes et conseillers conjugaux et familiaux Jacques et Claire Poujol, « le sentiment de culpabilité est de
l’ordre du subjectif : ainsi, une personne peut ne pas se sentir
coupable d’un acte répréhensible et se sentir coupable d’un acte qui
ne l’est pas » (Poujol, 2000-2004). Toujours selon ces thérapeutes,
ce sentiment n’apparaît pas comme ça, mais il se cache derrière certains comportements répétitifs. Ces comportements sont de l’ordre
I N T E R V E N T I O N
La culpabilité : sources et méthodes pour
en finir avec ce sentiment
de l’inconscient et auraient pour but de faire diminuer la culpabilité
ressentie par une personne, par exemple, en sabotant une partie de
sa vie si elle se sent coupable que cette partie aille bien.
La psychanalyse émet la théorie selon laquelle il existerait des
« crimes imaginaires », donc des fautes graves que les gens puissent
se sentir très coupables de commettre. Et si la personne, à ses yeux
à elle, a commis un « crime », elle transformera certainement son
bonheur en malheur, pour se punir de ce crime commis. Les crimes
dont il est question sont « surpasser les membres de sa famille, être
un fardeau, voler l’amour de ses parents, abandonner ses parents,
trahir les siens et être fondamentalement mauvais ».
Pour cet article, nous nous attarderons sur le crime « abandonner ses parents », qui consiste en se séparer de ses parents,
physiquement ou émotionnellement. Les gens qui sont le plus susceptibles de souffrir de ce genre de crime imaginaire sont les enfants
dont les parents jouent les martyrs et font comprendre à leurs
enfants que s’ils deviennent indépendants, ils sont cruels de ne pas
prendre soin de leurs parents. Il y a également le crime de « trahir
les siens », qui revient un peu au crime précédent, dans le sens où
la personne se sent coupable d’avoir déçu les espoirs et les attentes
de ses parents en ayant des opinions ou des façons d’agir différentes
des leurs. La façon la pire de « trahir » les siens est de les critiquer
ou d’admettre les défauts de ses parents (Poujol, 2000-2004).
Selon l’approche de l’analyse transactionnelle la culpabilité
est l’expression d’un déséquilibre émotionnel contraire. Nous reviendrons à cette théorie lorsque nous aborderons la question du
mécanisme de la culpabilité.
Le mécanisme de la culpabilité
Comme l’a écrit Claire Colvin, la culpabilité réelle, celle qui est utilisée par quelqu’un pour blesser une autre personne, est une mesure
disciplinaire pour faire souffrir l’autre, pour qu’il change au goût de la
personne culpabilisante. Les conséquences d’utiliser un tel stratagème sont multiples. Entre autres, cela fait comprendre à l’autre personne que l’amour est conditionnel. La personne culpabilisante est
en relation de pouvoir par rapport à la personne culpabilisée, qui a
compris que si elle ne fait pas comme la personne culpabilisante
veut, celle-ci cessera de l’aimer (Colvin, 2007).
Comme nous parlons de la culpabilité et de la personne qui
est culpabilisée, il m’apparaît important de glisser un mot sur la personne qui utilise la culpabilité comme façon de conserver son pouvoir sur l’autre personne. Toujours selon Colvin, utiliser la culpabilité
« c’est vouloir blesser et faire céder. La culpabilité vise à faire souffrir
l’autre personne. » Les personnes qui ont recours à cette technique
L’intervenant |24|03 > 17
se sentent menacées, non aimées ou non valorisées. Elles essaient
de regagner le contrôle de cette façon (Colvin, 2007).
Althermath ajoute que quand une personne culpabilise une
autre intentionnellement, elle supprime sa liberté. Et « qui dit suppression de la liberté, dit aussi renforcement de la servitude ». Donc
la personne qui se sent coupable fera tout pour l’autre, afin qu’elle
l’aime.
Comme nous l’avons mentionné antérieurement, lorsqu’une
personne est aux prises avec une culpabilité pathologique, le
thérapeute ira voir dans l’enfance de la personne et dans son éducation. Dans ces cas, il arrive souvent que la culpabilité ait été utilisée comme « moyen d’interaction principal, comme moyen de pression ou de punition ou de contrôle » (Vermeulen, 2007).
Althermath (2005) abonde dans le même sens en expliquant
quant à elle que si les parents punissent les fautes des enfants
plutôt que de leur enseigner l’art de réparer, « le pardon n’est jamais
acquis et le coupable n’arrive jamais à se débarrasser de sa dose de
culpabilité ».
Par rapport au sentiment de culpabilité, pathologique ou non,
Jacques Vermeulen introduit la notion de responsabilité. Il émet la
théorie que comme nous sommes responsables de nos actes, nous
sommes coupables en cas d’infraction ou si nous avons franchi une
barrière. Les barrières sont quant à elles une question de valeurs et
de perceptions individuelles et dépendent de chaque personne.
Ainsi, quelqu’un peut ressentir de la culpabilité d’avoir posé un geste,
et une autre personne ne se sentira nullement coupable d’avoir agi
de la même façon.
Althermath (2005), intègre aussi le concept de responsabilité
dans la notion de culpabilité. La théorie basée sur l’analyse transactionnelle fonctionnerait donc ainsi. Elle explique que « dans toute
relation, nous avons un bourreau et une victime. Dans tout conflit, le
bourreau utilise son pouvoir pour forcer l’autre à affronter les peurs
qu’il ne veut pas voir en lui. La victime se croit obligée d’assumer des
responsabilités qui ne lui reviennent pas. Althermath croit que la personne qui se sent coupable n’est pas responsable, car selon elle
« dans notre perception des conflits, le bourreau est responsable de
tous les torts et la victime d’aucun. Mais être responsable, c’est
assumer la conséquence uniquement de ses actes, donc une partie
des responsabilités, mais pas toutes. » Ainsi, nous ne sommes pas
responsables des actes du bourreau, ou de la personne culpabilisante. Il s’agirait donc de départir ce qui nous revient de ce qui ne
nous appartient pas. Cela exige du temps, mais la responsabilité
s’apprend, selon elle.
de culpabilité, le psychologue dit qu’il « faut repérer s’il y a des
situations de manipulation (parfois c’est le cas, parfois non), apprendre à y répondre, mais aussi se questionner sur l’enracinement en
nous de ces sentiments impertinents ».
Althermath, quant à elle, croit qu’il s’agit de « considérer les
événements qui nous arrivent comme une sorte de baromètre. On ne
peut juger un baromètre, puisqu’il n’est pas responsable du temps
qu’il fait, il nous indique juste ce qu’il nous reste à faire ». Il s’agit en
fait de mesurer quel effet l’événement a sur nous et qu’est-ce qu’on
fait à partir de là. Elle continue en disant que le fait de « s’appesantir
sur le passé en se disant qu’on aurait pu faire ceci ou cela ne nous
permet pas de modifier notre trajectoire présente. C’est la raison
pour laquelle le pardon ne nous est jamais acquis ». Il faut modifier
notre comportement vis-à-vis notre culpabilité.
Il faut aussi se libérer de la personne qui exerce de la culpabilité sur nous en se demandant si la personne désire nous protéger
nous ou si elle désire se protéger elle-même. Il vaut mieux apprendre à devenir son propre chef et son propre guide, de façon à pouvoir assumer totalement ses actes et ses conséquences (Althermath,
2005).
Althermath (2005) souligne qu’il est important de faire preuve
de compassion envers soi-même et alors les gens nous donneront le
droit à l’erreur parce qu’on se l’accorde soi-même.
La culpabilité est un sentiment complexe et ses sources sont
multiples et elles débordent le cadre de ce présent article. Il y aurait
une grosse recherche à faire sur le sujet et la présente recension des
écrits ne rend pas compte de la complexité du thème. Par contre, cet
exercice a permis de creuser une peu plus d’où vient la culpabilité et
de comprendre certains facteurs qui peuvent faire qu’une personne
est aux prises avec ce sentiment. De plus, ce peut avoir été l’occasion
de préciser certains agissements de nos clients et de donner
quelques pistes sur les façons de gérer ce sentiment qui assaille
presque tout le monde de temps à autre… <
Comment gérer son sentiment de culpabilité
Altermath, I.H. (2005) Colère et culpabilité : comment s’en défaire?
Selon Jacques et Claire Poujol, la personne aux prises avec un sentiment excessif de culpabilité doit obligatoirement suivre une
thérapie qui lui fera devenir consciente de ses fausses culpabilités.
Les thérapeutes précisent que ce processus est long et complexe. Le
client doit comprendre ce qui lui est arrivé lorsqu’il était enfant et il
pourra ensuite comprendre ses crimes imaginaires et les régler. Alors,
les conduites de sabotage et d’autopunition cesseront (Poujol,
2000-2004).
Jacques Vermeulen explique quant à lui que la solution est
d’aller consulter et de trouver des façons pour pouvoir archiver le
comportement ou la pensée qui nous rend coupable. Il s’agit en fait
d’une situation de réconciliation avec soi-même. Dans tous les cas
18< L’intervenant |24|03
Bibliographie
Vermeulen, J. (2007) La culpabilité en tant que sentiment normal et sain
http://www.lepsychologue.be/psychologie/culpabilite-normale.asp
Vermeulen, J. (2007) La culpabilité pathologique ou morbide
http://www.lepsychologue.be/psychologie/culpabilite-pathologique.asp
Poujol, J., Poujol, C. (2002-2004) Comment se manifeste le sentiment de culpabilité?
La bibliothèque de Psycho-Ressource
http://www.psycho-ressources.com/bibli/culpabilite.html
Colvin, S. (2007) Utilisez-vous la culpabilité comme une arme?
Femme d’aujourd’hui, http://femmesaujourdhui.com/living/guilt.html
http://vulgum.org/spip.php?article955
L’année 2008 marque les 50
ans d’existence de DomrémyMCQ. Le lancement officiel des
activités marquant le 50e
anniversaire du centre a eu lieu
le 31 janvier dernier. Le centre
profite de cette occasion pour
dévoiler une nouvelle image
corporative.
Alcool et santé – Les
niveaux de consommation d’alcool à faible risque
23450
Cette monographie publiée par
Éduc’alcool propose des conseils à qui veut prendre des
décisions éclairées quant à sa
consommation d’alcool. L’objectif
de cette publication est donc de
faire la part des choses et
d’offrir à ceux qui désirent consommer de l’alcool des directives d’ordre général, mais
claires, à ce sujet. Le
document est disponible en format PDF sur le site Web
d’Éduc’alcool. On peut aussi en
commander des exemplaires
gratuitement.
Un DVD pour et par des
jeunes
Un DVD intitulé « Le Déclic » a
été réalisé par des cliniciens de
l’équipe jeunesse qui ont su
mettre en vedette des jeunes
inscrits au Centre de réadaptation Ubald-Villeneuve qui
témoignent de leur cheminement face à leur consommation, avant et après les services
reçus en toxicomanie. Message
d’espoir lancé aux jeunes, aux
parents et à l’entourage, ce
DVD a été largement diffusé
depuis sa réalisation. Le guide
d’animation qui l’accompagne
permet aux intervenants impliqués auprès d’adolescents de
l’utiliser comme moyen de
sensibilisation et de prévention.
Disponible au Service des communications du CRUV (418 6635008)
Santéscope
L’Institut national de
santé publique du Québec rend
accessible, à partir du site Web
Santéscope <www.inspq.qc.ca/
santescope> des statistiques
particulièrement utiles et, à
travers ses multiples volets,
Association des intervenants en
toxicomanie du Québec inc.
fournit plusieurs informations
selon différentes perspectives :
le volet Évolution pour le
Québec permet de suivre
l’évolution temporelle de nombreux indicateurs de santé au
Québec; le volet Comparaisons
rurales/urbaines affiche des
statistiques pour divers types
de milieux urbains et ruraux au
Québec. Il permet notamment
d’apprécier les disparités entre
ces milieux; le volet Atlas par
RLS présente une cartographie
interactive par réseaux locaux
de services (RLS) d’une cinquantaine d’indicateurs de l’état de
santé de la population dans les
diverses régions du Québec ;
les volets Comparaisons canadiennes, Comparaisons nordaméricaines, Comparaisons internationales et Comparaisons
Québec/France fournissent des
statistiques pour le Québec visà-vis d’autres provinces, états
ou pays membres de l’Organisation de coopération et de
développement économiques
(OCDE). Ces volets permettent
ainsi de mettre en perspective
la situation vécue au Québec
pour de nombreux aspects de la
santé et du bien-être. Enfin,
Santéscope propose des analyses thématiques de la santé de
la population ainsi que des
liens vers des références connexes produites par différents
partenaires.
Les Guides pratiques
pour une Gouvernance
Stratégique – Guide no 4
Le procès-verbal (et l’ordre du
jour)
Communiqués
50e anniversaire de
Domrémy
Mauricie/Centre-du-Québec
L’ordre du jour et le procès-verbal sont des documents plus
importants qu’il n’y paraît. Ce
guide pratique, dont l’auteur
est Roméo Malenfant, Ph. D.,
est surtout destiné aux
directeurs généraux et aux personnes qui ont à préparer des
réunions et assemblées et à
rédiger les procès-verbaux,
abordant clairement plusieurs
questions. Éditions DPRM,
2007. Disponible chez DPRM
inc.<www.dprm.ca>
et
Programme de formation
continue 2008
PSYCHOTROPES, SANTÉ MENTALE ET INTERACTIONS MÉDICAMENTEUSES
Lieu : Longueuil
Date : 18 avril 2008
Information : 450 646-3271
L’intervenant |24|03 > 19
Faculté de l’éducation permanente
La faculté d’évoluer
Certificat en toxicomanies :
prévention et réadaptation
Une formation de pointe afin de comprendre les composantes biologiques,
psychologiques et sociales de la dépendance et de développer
des compétences spécifiques en intervention.
Cours du soir ou de fin de semaine.
•
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Contextes d'utilisation des psychotropes
Effets des substances psychotropes
Prévention des toxicomanies : théorie
Étiologie et modèles d'intervention
Santé mentale et traitement en toxico
Conception d'un programme de prévention
Approches motivationnelles
Intervention clinique en toxicomanie
Animation de groupe en toxicomanie
Évaluation en toxicomanie
Intervention auprès des jeunes en toxico
Stage en milieu d'intervention
Cours à distance.
•
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Prévention sida et toxicomanies
Psychotropes en milieu de travail
Jeu pathologique
Héroïne et interventions spécifiques
La réduction des méfaits
Responsable du programme par intérim
Cécile Baillargeon : [email protected]
AUTOMNE 2008
Demande d’admission acceptée jusqu’au 1er août
Possibilité d’inscription à titre d’étudiant libre
514 343.6090
1 800 363.8876
www.fep.umontreal.ca/toxicomanies