Toujours prier - Eglise protestante de Bruxelles

Transcription

Toujours prier - Eglise protestante de Bruxelles
« Toujours prier »
Luc 18, 1-8
« Jésus dit à ses disciples une parabole pour montrer qu’il faut toujours prier sans cesse. »
Toujours prier sans cesse…
Lorsque j’ai lu ce passage biblique indiqué pour la célébration du culte de ce jour, je n’ai pu
m’empêcher de penser au film Bruce tout-puissant, joué notamment par Jim Carrey. Parce
que son personnage insiste et se révolte, Dieu vient personnellement à sa rencontre. Il
reproche notamment à Dieu de ne pas écouter les prières qui montent vers lui, de ne pas les
exaucer. Alors, Dieu, pour quelques jours, lui laisse sa place. Et Bruce, de simple journaliste
dans une télévision locale, devient tout-puissant. Un rêve… qui finit par tourner au
cauchemar, car Dieu lui a aussi donné le pouvoir de répondre à toutes les prières humaines
qui arrivent sur un ordinateur. Dans sa grande générosité Bruce clique sur : répondre oui à
toutes les prières. S’en suit un désordre le plus total. J’imagine volontiers ce que cela
donnerait si Dieu accédait à chacune des demandes des hommes, des femmes et des enfants
de ce monde… l’un demande la pluie pour arroser ses plantations, tandis que son voisin
demande le soleil et la chaleur car il a organisé un barbecue.
Si toutes les prières étaient réellement exaucées par Dieu, ne serait-ce pas une catastrophe
voire un cataclysme tant elles sont contradictoires parce que bien souvent égocentriques,
voire égotiques ? Le travers de la prière, c’est lorsque celui ou celle qui pense s’adresser à
Dieu ne parle qu’à lui-même qu’à elle-même, de lui-même, d’elle-même… et c’est la
confusion entre le prie-Dieu et le divan d’un psychanalyste… encore que là aussi la présence
réelle même invisible d’un tiers est nécessaire. Lorsque la prière est égocentrée, uniquement
centrée sur celui ou celle qui la prononce, sur ses besoins, ses attentes, ses états d’âme, ses
joies et ses peines, lorsqu’elle n’est pas partage dans la confiance à un autre, à l’Autre en
puissance… elle n’est pas prière.
Dès lors, si la plupart de nos prières sont inexauçables, faut-il encore prier… sans se lasser ?
Peut-être d’ailleurs, et la parabole peut y faire songer, que c’est Dieu, à l’image du juge, qui
se lasserait le premier ? – si ce n’est déjà fait.
Dans un deuxième temps, je me suis dit que je ne peux pas affirmer comme cela que toutes
nos prières ou presque sont vaines. Je n’oublie pas que j’ai fait partie du groupe des
concepteurs et des rédacteurs du Livre de prières. Plus de 400 prières récoltées ou écrites,
triées, répertoriées, mises en page, une par jour sur toute l’année, plus les fêtes, pour guider
celles et ceux qui souhaitent une vie de prière quotidienne. Chacune de celles qui
composent ce livre, nous l’avons priée, entre nous ou avec la communauté des Sœurs
diaconesses du Hohrodberg chez qui nous nous réunissions.
Si prier était vain, que faisions-nous là ? Pourquoi avoir édité ce livre qui en est à sa
troisième édition en quelques années ? Que faisions-nous dans cette communauté religieuse
qui pratique l’accueil et la prière ? Et je pense encore à toutes ces moniales et à tous ces
moines, à toutes ces communautés ou fraternités religieuses – quelle que soient leur religion
– qui prient plusieurs fois par jour lors d’offices communautaires, ou seuls, chez eux, dans
une église ou dans un petit oratoire, ou plus simplement là où ils sont. Il me souvient lorsque
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j’étais jeune et me rendait au lycée à Paris en métro, d’un homme musulman qui, au petit
matin, allait tout au bout du quai, se mettait derrière une cabine technique, déroulait son
tapis et priait… discrètement. Il m’a impressionné par sa foi et sa discrétion.
Depuis que je prie, j’ai en moi la conscience que ma prière n’est pas solitaire. Elle s’inscrit
dans un mouvement beaucoup plus large qui la dépasse et l’englobe. Je sens, je sais que je
ne suis jamais seul à prier, même si personne n’est avec moi. Je sais, je sens qu’à travers le
monde, il y a en chaque seconde, à tout moment, quelqu’un qui prie, ici, ailleurs ou en un
autre ailleurs, que je ne connais pas, et pourtant je prends ma part dans cette chaine d’une
prière ininterrompue. J’en deviens un acteur, un actant. Je suis un des orants de la grande
prière qui monte vers Dieu dans les siècles des siècles.
Ce matin, depuis que l’orgue a ouvert notre célébration, nous avons principalement prié. Ne
sommes-nous pas venus pour cela ? Prière de louange en ouverture, parce que Dieu est
grand et qu’il faut le proclamer haut et fort. Encore que, Maïmonide, dans son infinie
sagessei se méfiait de ce genre de prière, parce que, écrit-il, Dieu est tellement grand
qu’aucune expression issue d’une langue humaine ne peut le contenir. Dieu est au-delà de
notre langage. Les mystiques affirment alors qu’il est inatteignable par le langage qui trouve
en lui sa limite, que seul le silence peut tenter de l’approcher, Dieu au-delà de tout. C’est
pourquoi, précisément dans nos cultes qui ne peuvent se passer de mots, je laisse de la place
au silence. Prière articulée pour « que toute langue confesse que Jésus Christ est Seigneur à
la gloire de Dieu le Père »ii, chante l’hymne aux Philippiens ; prière inarticulée afin que toute
âme rejoigne Dieu dans les hauteurs.
Puis, nous nous sommes présentés, en toute humilité, devant Dieu et les uns les autres.
Prière de repentance, demande de pardon. Si « Dieu est Dieu, nom de Dieu » – suivant
l’expression de Maurice Clavel –, l’homme est homme, nom d’un petit bonhomme ! La
toute-puissance n’est pas pour nous, elle conduit au chaos – Bruce en a fait l’expérience – ou
à la dictature, ou au meurtre, en tous les cas à la négation de l’humain. De ce point de vue, la
théologie et la psychanalyse convergent pour dénoncer le mal absolu.
Ensuite, une nouvelle prière. Après l’annonce que l’amour de Dieu est plus grand que tout,
nous nous sommes tournés une fois de plus vers Dieu pour lui demander un peu de son
Esprit afin de comprendre au mieux sa Parole en notre temps.
Enfin, après avoir entendu et médité cette Parole re-suscitée, nous ouvrons notre prière aux
dimensions du monde qui en a tant besoin.
Entretemps, nous aurons chanté. Nos cantiques sont aussi des prières. Martin Luther ne
disait-il pas que chanter c’est prier deux fois. Une fois par l’esprit (l’intelligence des paroles)
et une autre par le cœur (la sensibilité de la musique). Nous devrions faire davantage
attention aux paroles que nous chantons. Pouvons-nous toujours les faire nôtres ? Je me
rappelle de ces paroissiens de Lyon qui aimaient chanter le cantique de Siméon à la fin du
culte :
« Laisse-moi désormais
Seigneur aller en paix.
Car selon ta promesse
Enfin mes yeux ont vu
La gloire du salut
Que j’attendais sans cesse. »
Prière du vieux Siméon dans le Temple de Jérusalem lorsqu’il tient l’enfant Jésus entre ses
bras.
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Il peut mourir maintenant, s’en aller en paix, il le dit.
Et nous, sommes-nous également prêts à mourir ? J’espère bien que non.
La musique porte notre prière. J’ai rédigé cette prédication en écoutant une œuvre du
compositeur contemporain Guido Morini Vivifice Spiritus… tout y est prière. Les paroles, bien
sûr. La musique, aussi. Toute la musique.
Toute musique est-elle prière ? Je n’en suis pas certain.
Cependant, celle qui est jouée ici, oui. Par sa composition, par son exécution, par son
audition. Et lorsque parfois – non, souvent, à la fin du culte, après le retentissement des
dernières notes, vous applaudissez, c’est plus que la musicienne que vous remerciez… c’est
toute la musique. Vos applaudissements sont aussi, à leur façon, une prière d’action de
grâce. Jouer de la musique dans une église ou une chapelle n’est pas neutre. Il y a dans ces
murs, dans nos murs, une tradition de prière qui s’y inscrit de génération en génération,
depuis tant de décennies.
Dès lors, comment concilier la vie de prière – prier, c’est le métier du chrétien, disait Martin
Luther – et l’inexauçabilité de la plupart des prières humaines ? Irénée de Lyon disait déjà au
deuxième siècle de notre ère qu’il fallait au croyant travailler comme si Dieu n’existait pas, et
prier comme s’il existait. Je connais un couvent bénédictin dont le père abbé m’a dit un jour
que les frères ne priaient jamais en communauté en faveur de ce pour quoi ils ne pouvaient
pas s’engager concrètement d’une manière ou d’une autre. Prier pour les victimes de la faim
dans le monde sans faire ne serait qu’un geste contre la faim n’avait pas de sens pour eux. La
prière ne devrait pas être l’exutoire dans lequel nous déversons nos manquements, nos
incapacités, nos impuissances. Prier, ce n’est pas demander à Dieu de résoudre nos
problèmes tout humains à notre place.
Un sage chinois a écrit : « Vous priez pour qu’il pleuve et il pleut. Pourquoi cela ? C’est une
simple coïncidence. Il aurait plu avec ou sans vos prières. »iii
Alors, qu’est-ce que prier ? Je n’en connais pas de définition qui arrive à en cerner
totalement l’espace, et c’est bien ainsi. Car prier, c’est d’abord une attitude et une
ouverture. Souvent, suivant en cela les images d’Épinal, on enseigne aux enfants que pour
prier il est bon de joindre les mains en signe de recueillement. Certes, à condition que le
cœur soit ouvert. Parfois, il est mieux d’ouvrir les mains, de les tendre devant soi paumes
ouvertes tournées vers le ciel de Dieu.
Prier, c’est s’ouvrir à une dimension autre que celle de la terre sur laquelle reposent nos
pieds.
Prier, c’est ouvrir son espace intérieur, l’espace de son être, à la verticalité, au-delà de toute
pensée.
Confucius a écrit : « Lorsque le cœur atteint son plus haut point, la poésie atteint alors le sien.
Lorsque la poésie atteint son plus haut point, les rites – comprenez les prières – atteignent le
leur. »
La prière est une disposition du cœur ouvert sur un espace autre où s’écrivent et s’inscrivent
la poésie, la musique – les arts en général –, et où elle peut enfin s’exprimer.
J’ajouterais que puisque prier est ouvrir une voie iv qui va symboliquement de la terre des
humains au ciel de Dieu, avant de laisser entendre la voix, c’est s’ouvrir simultanément au
chemin réciproque du ciel à la terre. En cela, la prière fait advenir Dieu et s’épanouir
l’homme.
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Irénée de Lyon, encore lui, a écrit : « Si Dieu venait à manquer totalement à l’homme,
l’homme cesserait d’exister. »v Si plus aucune prière n’était prononcée sur cette terre, Dieu
en serait comme chassé – à l’image d’Adam et Ève du jardin en Éden. Peut-être même
cesserait-il d’exister, d’une certaine manière, puisque plus aucune langue ne lui prêterait vie.
En même temps, l’homme en se privant de cet élément essentiel à son humanité qu’est la
spiritualité, cesserait d’exister en tant qu’être humain, d’une certaine manière, puisqu’il
aurait perdu une part de son langage.
« Le plaisir de Dieu, c’est l’homme vivant »vi.
Le plaisir de l’homme, c’est Dieu vivant.
Le plaisir de Dieu, c’est l’homme priant.
Prière dans le jour.
Prière dans les nuits.
Prière de chaque jour qui jamais ne s’achève.
Prière en toute nuit qui toujours élève.
Prière où tout devient possible.
Où tout, enfin, peut être dit.
« Que j’aie été jadis ou que je sois, qu’importe : tu t’avances, toi,
et passes au-dessus de moi, obscurité infinie de lumière.
Et tout ce que tu apprêtes de sublime dans l’espace,
je l’accueille, moi, méconnaissable, sur mon éphémère visage. »vii
Bruneau Joussellin
Bruxelles-Musée
Le 15 oct. 2016
i
cf. le traité des égarés
Philippiens 2, 11
iii
Xunzi
iv
Le tao, en chinois
v
Irénée de Lyon, Contre les hérésies, Livre IV, 20, 7
vi
idem
vii
Rainer Maria Rilke, Poèmes à la nuit, éd. Verdier, 1994, p. 41
ii
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