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LES LIVRES ET LES IDÉES
Why We Need
a New Welfare State
Par Gøsta Esping-Andersen
QuelEtat-providence
pourle xxIe siècle ?
BRUNO PALIER*
Quatre spécialistes européens posent les principes d’une protection sociale renouvelée dans
des sociétés riches et vieillissantes : fondée sur
une stratégie de prévention et d’investissement
dans la ressource humaine, elle devrait réorienter ses efforts vers les enfants, par l’éducation et
la socialisation, vers les femmes, afin de favoriser
leur accès à l’emploi, enfin vers la formation, afin
d’ouvrir des perspectives aux moins qualifiés et
de rendre le travail plus attractif.
L
etextedecetouvrage1 reprend
etapprofonditunrapportcommandéen2001pourpréparerla
présidencebelgedel’Unioneuropéenne.Ils’agissaitd’analyserles
transformations des politiques
socialesetd’emploinécessaires
pourcontribueràl’émergence,en
Europe,d’une« économiedela
connaissance »quel’onsouhaitait
lapluscompétitiveetlaplusdynamiqueaumonde.« Pourquoinous
avons besoin d’un nouvel Etatprovidence » :àpartirdecette
question-injonctionquiconstitue
letitredel’ouvrage,lesauteurs
montrent que les Etats-provi-
dencesquisesontconstruitsen
EuropeaucoursdesTrenteGlorieusessontdemoinsenmoins
adaptésauxsociétéseuropéennes
du xxI e siècle. Dès lors, l’heure
n’estplusaurafistolagedessystèmesissusdupassé.Mêmesil’expression« nouvellearchitecture »
estemployée ,ils’agitmoins
d’élaborerunnouveauplanBeveridgeouLaroquequedemettre
enavantdenouveauxprincipes
d’action.Lesauteurs(etsurtout
A.Hemerijckdanslechapitre 6sont
eneffetsuffisammentconscients
desdifférencesentrelessystèmes
nationauxetdel’impossibilitéde
* Chargé de recherche du CNRS au Cevipof de Sciences Po. Dernier ouvrage paru : Gouverner la Sécurité sociale, PUF, 2002.
fairetablerasedupassépourne
pasprétendreproposerunnouveau
modèlesocialeuropéencléenmain.
Enfait,l’objectifdel’ouvrageest
desoulignerlesréorientations
nécessairespourpermettreaux
citoyenseuropéensdevivredans
lesmeilleuresconditionspossibles
latransitiond’uneéconomieessentiellementindustrielleàuneéconomiedeservices,quimobilisedes
emploisdeplusenplusqualifiés,
maissouventaussi,pourlesservices
àlapersonne,trèspeuqualifiés.De
nouveauxrisquesdepolarisation
socialeapparaissentaveclatransformationdenoséconomies,et
notammentavecledéveloppement
d’emploispeuqualifiésetmalrémunérés.Pourfairefaceàcesrisques,
Esping-Andersenproposedemoins
sesoucierdel’égalisationdesconditionsdevie(quiétaitundesobjectifsdel’ancienEtat-providence),que
degarantiruneégalitédeschances
toutaulongdelavie,etnotamment
d’éviteràchacunderesterpiégé
dansdesemploisdemauvaisequalité(les« MacJobs ») oudansdes
situationsdemarginalisationsociale.
Ils’agit,enadoptantuneperspectivedynamique,depenserlesproblèmessociauxentermedecycle
devieetdepasserdepolitiques
socialesréparatricesetcompen-
1
GøstaEspingAndersen,avec
DuncanGallie,
AntonHemerijck,
JohnMyles,Why We
Need a New
Welfare State,
OxfordUniversity
Press,2002,244
pages.Préfacede
Franck
Vanderbroucke,
ministrebelgedes
Affairessocialeset
desretraites.
Sociétal
N° 40
2e
trimestre
2003
129
LES LIVRES ET LES IDÉES
satricesàunestratégiedepréventionetd’investissementsocial.
LES VERTUS DES
CRÈCHES
L
elivreestdoncconçuàpartir
desdifférentesphasesducycle
devie :l’enfance(chapitre2),lacompatibilitéentreviefamilialeetvie
professionnelle,l’égalitéentreles
sexes(chapitre3),lesconditionsde
lavieactive(chapitre4),laretraite
(chapitre5),toutensoulignantles
interconnectionsentrecesproblématiques.
Alorsquelessystèmesactuelsde
protectionsocialedépensentdeplus
enpluspourlespersonnesâgées,
Esping-Andersensoulignelanécessitéd’investirdanslesenfants.Le
livreestdédicacéauxenfantsd’aujourd’hui,sourcedessolidaritéde
demain.Plutôtquedeluttercontre
l’exclusionsocialeunefoisqu’elle
estréalisée,plutôtquededevoir
re-formerunemain-d’œuvresurle
tard,ilprôneunedémarchepréventivecentréesurlejeuneâge.Luttercontrelapauvretédesenfants
etleurgarantirlesmeilleuresconditionsdegardeetd’éveildoitàlafois
permettredeprévenirl’exclusion
(lesadultesissusdemilieuxpauvres
sontlesplusexposésàlapauvreté)
et préparer une main-d’œuvre
mieuxformée,qualifiée etflexible
(lesdifficultésscolairespeuventêtre
évitéesgrâceàunesocialisationprécoceencrèche).Pourcefaire,l’auteurinsistesurladoublenécessité
degarantirunrevenuminimalà
touteslesfamilles(doncdenepas
abandonnerlesanciennespolitiques
distributives,voiredelesdévelopperdanscertainspays)etdefavoriserlesmodescollectifsdeprise
enchargedesenfants.
Sociétal
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Cettepriseenchargesertenoutre
deuxautresobjectifsprioritaires,
l’emploidesfemmesetl’égalité
entrelessexes.Développerdes
crèchesetd’autresservicessociaux
entraînelacréationd’emploispour
lesfemmes,etpermetauxmères
capacitésd’apprentissageetd’adapdetravailler.Favoriserletravailfémitabilité.Lespolitiquesd’activation
nincorrespondàunevolontédes
doiventdoncêtrecomplétéespar
intéressées(acquériruneautonodespolitiquesd’améliorationdes
mie financière), mais aussi à un
emploisetdesconditionsprofesdoublebesoinsocial :réduireles
sionnelles.
risquesdepauvretédesenfants
(moinsfréquentedanslesménages
Ilseraalorsplusaisédedemander
oùlesdeuxparentstravaillent)et
aux individus de traaugmenterlestauxgénévaillerpluslongtempset
raux d’emploi (afin de
d’augmenter les taux
dégagerdesressources Favoriser le
d’emploi,lesdeuxstrapourlesretraites).Quant travail féminin,
tégiesprincipalesproaudeuxièmeobjectif,il
c’est aussi
poséesparJohnMyles
concernebiensûrl’égapourrésoudrelesprolitédetraitemententre augmenter
blèmes des retraites
hommesetfemmesdans le taux d’emploi
engendrésparlevieillislavieprofessionnelle(ce
pour financer
sementdémographique.
quecherchentdéjààfavoAcessolutions,quipasriserlespolitiquescom- les retraites.
sentparlespolitiques
munautaires),maisaussi
d’emploi,Mylesajouteunprincipe
larépartitiondestâchesdomespourlespolitiquesderetraitesprotiques.Esping-Andersenconstate
prementdites,leprincipedeMusquelaviedesfemmes,etnotamgrave,selonlequel,quel’onmodifie
mentleurscarrières,adoptentdes
leniveaudescotisationspayéespar
traitsdeplusenplusmasculins.Une
lesactifsouceluidespensionsdes
véritablepolitiqued’égalitédevrait,
retraités,ilimportedenepasmodiselonlui,viseraussià« féminiser »
fierlerapportentrelesalairenet
certains aspects de la vie des
despremiersetlerevenunetdes
hommes,enlesincitantàs’investir
seconds,afindemaintenirl’équité
davantageauprèsdesenfantset
intergénérationnelle.
danslestâchesfamiliales.
LE CERCLE VICIEUX DE
LA DÉQUALIFICATION
I
ls’agitdoncdetransformeràla
foislaviefamilialeetlavieprofessionnelle.Lequatrièmechapitre
insistesurlanécessitéd’améliorer
laqualitédelavieactiveafindeluttercontrelamarginalisationetles
exclusionsinhérentesàl’économie
delaconnaissanceetdesservices.
Fondéessurlamobilitéetlerenouvellementdescompétences,ces
économiesrelèguentceuxdontles
qualificationsnechangentpas,voire
sedégradentaufildelacarrière.
Orlestravauxpeuqualifiéstendent
àrenforcerladéqualification.Sila
formationinitialeresteessentielle,
ilconvient,d’aprèsD.Gallie,de
transformer et d’améliorer les
emploisdefaçonàcequemême
lesemploistrèspeuqualifiéssoient
ouvertsetoffrentl’occasionde
renouvelersescompétences,ses
Leméritedecetouvrageestde
proposerunhorizonnouveaupour
lesréformesdelaprotection
sociale.Ledernierchapitresouligne
ladiversitédesvoiesnationales
empruntées,toutenrappelantque
lesinstitutionseuropéennessont
d é j à e n t r é e s d a n s l e j e u d e s
réformes,notammentparlebiais
delaméthodeouvertedecoordination,quiviseàproposerdesprincipescommunsd’actiontouten
laissantchaqueEtatlibredechoisirlesvoiesetmoyensd’atteindre
lesobjectifspartagés.Quandonvoit
àquelpointlesdébatsnationaux
autourdesréformesdelaprotectionsocialesontengluésdansles
préoccupationsconjoncturelleset
lesintérêtsconstitués,onsouhaite
quesoittraduitetdiffusélargement
cetouvrage,parfoisutopique,mais
toujoursstimulant. l