Cour de cassation de Belgique Arrêt

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Cour de cassation de Belgique Arrêt
20 NOVEMBRE 2014
C.13.0435.F/1
Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.13.0435.F
SOCIÉTÉ
DES
TRANSPORTS
INTERCOMMUNAUX
DE
BRUXELLES, dont le siège est établi à Bruxelles, rue Royale, 76,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation, dont
le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de
domicile,
contre
UNION NATIONALE DES MUTUALITÉS SOCIALISTES, dont le siège
est établi à Bruxelles, rue Saint-Jean, 32-38,
défenderesse en cassation.
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I.
C.13.0435.F/2
La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 25 janvier
2013 par le tribunal de première instance de Bruxelles, statuant en degré
d’appel.
Le 4 novembre 2014, l’avocat général Thierry Werquin a déposé des
conclusions au greffe.
Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport et l’avocat général
Thierry Werquin a été entendu en ses conclusions.
II.
Les moyens de cassation
La demanderesse présente deux moyens libellés dans les termes
suivants :
Premier moyen
Dispositions légales violées
-
articles 1er et 29bis, § 1er, de la loi du 21 novembre 1989 relative à
l’assurance obligatoire de la responsabilité civile en matière de véhicules
automoteurs, ce dernier dans sa version en vigueur avant la modification
intervenue par la loi du 19 janvier 2001 ;
-
principes généraux du droit dits de bonne administration,
spécialement principe de sécurité juridique et principe de confiance légitime ;
-
article 28 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour
constitutionnelle ;
-
articles 10 et 11 de la Constitution.
Décisions et motifs critiqués
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Le jugement attaqué, après avoir reçu l’appel de la demanderesse,
déclare cet appel non fondé et confirme la condamnation de celle-ci à payer à
la défenderesse une somme provisionnelle de 3.657,18 euros à augmenter des
intérêts judiciaires et des dépens, par application de l’article 29bis de la loi du
21 novembre 1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité civile
en matière de véhicules automoteurs dans sa version en vigueur au moment des
faits, « sans donner suite à ceux des termes de cet article générant l’inégalité
sanctionnée par la Cour constitutionnelle » dans son arrêt n° 92/98 du
15 juillet 1998, aux motifs suivants :
« En effet, l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989, dans sa
version en vigueur au moment de l’accident litigieux, créait une discrimination
entre les personnes ayant subi un accident de la circulation impliquant un
véhicule sur rails et les personnes ayant subi un accident de la circulation
n’impliquant pas un tel véhicule. […]
7. La Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnelle la
discrimination dénoncée. […]
8. La question se pose alors de savoir si le tribunal peut appliquer la
disposition querellée à la catégorie de personnes (ici, la catégorie de
personnes ayant subi un accident de la circulation impliquant un véhicule lié à
la voie ferrée) qui a été considérée, par la Cour constitutionnelle, comme étant
privée, inconstitutionnellement, du bénéfice d’une disposition légale. En
d’autres termes, le juge a-t-il le pouvoir, voire l’obligation, de combler la
lacune de la loi, en y ajoutant ce qui lui manque pour devenir compatible avec
la Constitution ou doit-il au contraire s’abstenir de toute initiative, dès lors
que celle-ci l’amènerait illégitimement sur le terrain législatif ?
Une partie de la doctrine, à laquelle le tribunal se rallie, considère que,
sauf en droit pénal, où le principe de légalité interdit toute création
‘prétorienne’ du droit et empêche dès lors le juge de créer une peine ou une
base légale pour asseoir une condamnation, ‘le juge a quo peut, et doit,
toujours, remédier à l’inconstitutionnalité constatée par la Cour d’arbitrage en
rétablissant
la
partie
discriminée
dans
son
droit
et
ce,
que
l’inconstitutionnalité réside dans une disposition expresse ou dans une
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« lacune »’ (B. Renauld, obs. sous C. trav. Bruxelles, 8 février 2006, J.L.M.B.,
2006, 637). Cette position est confortée tant :
- par l’arrêt 111/2008 du 31 juillet 2008 de la Cour constitutionnelle,
qui précise que, ‘pour ce qui est de l’observation du conseil des ministres selon
laquelle la Cour peut constater une lacune législative mais ne peut la combler,
c’est au juge a quo qu’il appartient, si la lacune est située dans le texte soumis
à la Cour, de mettre fin à l’inconstitutionnalité constatée par celle-ci, lorsque
ce constat est exprimé en des termes suffisamment précis et complets pour
permettre que la disposition en cause soit appliquée dans le respect des
articles 10 et 11 de la Constitution’
- que par l’arrêt prononcé le 3 novembre 2008 par la Cour de
cassation, aux termes duquel ‘le juge est tenu de remédier dans la mesure du
possible à toute lacune de la loi qui viole les articles 10 et 11 de la
Constitution dont la Cour constitutionnelle a constaté l’existence. Le juge ne
peut pallier cette lacune que si celle-ci le permet. Ainsi, il peut et doit pallier la
lacune s’il peut mettre fin à l’inconstitutionnalité en suppléant simplement à
l’insuffisance de la disposition légale litigieuse dans le cadre des dispositions
légales existantes, de manière à la rendre conforme aux articles 10 et 11 de la
Constitution’ (Cass., S.07.0013.N, 3 novembre 2008, sur www.juridat.be).
Dans son arrêt n° 62/38 (lire : 92/98) du 15 juillet 1998, la Cour
constitutionnelle a dit pour droit que ‘l’article 29bis de la loi du 21 novembre
1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de
véhicules automoteurs viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il
exclut du régime d’indemnisation qu’il prévoit les véhicules qui sont liés à une
voie ferrée’, sanctionnant ainsi l’exclusion des accidents impliquant des
véhicules liés à la voie ferrée du régime d’indemnisation instauré par l’article
29bis.
Le tribunal constate que l’insertion de la locution ‘en ce que’ par la
Cour constitutionnelle dans son dispositif limite le constat d’invalidité qu’elle
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pose à la partie de la norme soumise à son contrôle (voy. à cet égard V. Thiry,
La Cour d’arbitrage, compétence et procédure, Kluwer, n° 213 et sv. ; B.
Lombaert, Les techniques d’arrêt et la Cour d’arbitrage, in Revue belge de
droit constitutionnel, 1996, pp. 320 et sv.).
En application de l’article 28 de la loi précitée du 6 janvier 1989, et
constatant que la Cour constitutionnelle n’a invalidé qu’un aspect particulier
de l’article 29bis, le tribunal estime qu’il y a lieu de faire application de cet
article 29bis au cas d’espèce, sans donner suite à ceux de ses termes générant
l’inégalité sanctionnée par la Cour constitutionnelle (en ce sens, mutatis
mutandis, B. Lombaert, op. cit., p. 322), anticipant de la sorte raisonnablement
la réaction qu’a eue le législateur suite à cet arrêt de la Cour constitutionnelle.
Le constat d’invalidité est ainsi circonscrit à la partie précise de
l’article 29bis litigieux, qui crée une inégalité entre personnes victimes d’un
accident de la circulation mettant en cause ou non un véhicule lié à une voie
ferrée (B. Lombaert, op. cit., pp. 320-321), l’usage de locutions telles que ‘en
ce sens que’, ‘dans la mesure où’, […] ayant pour objectif de limiter au
maximum la portée de l’invalidation, en l’espèce, par une délimitation précise
de la partie de la disposition anticonstitutionnelle ».
Griefs
Les juges d’appel ont constaté que, dans sa version en vigueur au
moment de l’accident, l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 relative à
l’assurance obligatoire de la responsabilité civile en matière de véhicules
automoteurs excluait expressément du régime d’indemnisation qu’il instaurait
tout accident mettant en cause « un véhicule sur rails ».
Dans son arrêt n° 92/98 du 15 juillet 1998, la Cour d’arbitrage
(actuellement dénommée Cour constitutionnelle) a dit pour droit que l’article
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29bis de cette loi « viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il
exclut du régime d’indemnisation qu’il prévoit les véhicules qui sont liés à une
voie ferrée ».
Cet arrêt a été publié au Moniteur belge du 13 octobre 1998.
L’article 29bis précité de la loi du 21 novembre 1989 sera par la suite
modifié par une loi du 19 janvier 2001 élargissant la portée de cette
disposition légale aux accidents de la circulation liés à des véhicules sur rails.
Le jugement attaqué fonde sa décision sur l’article 29bis dans sa
version en vigueur au moment des faits « sans donner suite à ceux de ses
termes générant l’inégalité sanctionnée par la Cour constitutionnelle ».
L’article 28 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour
constitutionnelle prévoit que « la juridiction qui a posé la question
préjudicielle, ainsi que toute autre juridiction appelée à statuer dans la même
affaire, sont tenues, pour la solution du litige à l’occasion duquel ont été
posées les questions visées à l’article 26, de se conformer à l’arrêt rendu par
la Cour constitutionnelle ».
En l’espèce, les juges d’appel, bien que statuant dans une autre affaire,
ont décidé de se conformer à cet arrêt pour la solution du litige dont ils étaient
saisis, en vue de « respecter une justice rapide et équitable, puisque la
jurisprudence de la Cour constitutionnelle en la matière est constante ».
Mais, s’il appartient au juge de tenir compte de l’inconstitutionnalité
constatée pour la solution du litige dont il est saisi, il ne peut le faire qu’en
respectant les exigences de la confiance légitime et de la sécurité juridique
érigées en principes généraux du droit.
Ces principes s’opposent à ce que l’obligation d’indemnisation qui est
prévue à l’article 29bis, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 21 novembre 1989
s’applique aux accidents de la circulation impliquant des véhicules
automoteurs liés à une voie ferrée qui se sont produits avant la publication de
l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 15 juillet 1998.
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Il en résulte qu’en condamnant la demanderesse à indemniser la
défenderesse sur pied de l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 précité
dans sa version en vigueur au moment des faits, tel qu’il a été corrigé et
complété par l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 15 juillet 1998, alors
qu’au moment des faits, le 10 novembre 1997, ledit arrêt n’avait pas encore été
publié, les juges d’appel ont méconnu les principes généraux du droit et violé
les dispositions légales visées au moyen.
Second moyen (subsidiaire)
Dispositions légales violées
-
articles 1er, 2 et 29bis, §§ 1er et 3, de la loi du 21 novembre 1989
relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité civile en matière de
véhicules automoteurs, ce dernier dans sa version en vigueur avant la
modification intervenue par la loi du 19 janvier 2001 ;
-
principe général du droit de la non-rétroactivité des lois, consacré
par l’article 2 du Code civil ;
-
article 28 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 relative à la Cour
constitutionnelle ;
-
articles 10 et 11 de la Constitution.
Décisions et motifs critiqués
Le jugement attaqué, après avoir reçu l’appel de la demanderesse,
déclare cet appel non fondé et confirme la condamnation de celle-ci à payer à
la défenderesse une somme provisionnelle de 3.657,18 euros à augmenter des
intérêts judiciaires et des dépens, par application de l’article 29bis de la loi du
21 novembre 1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité civile
en matière de véhicules automoteurs en rejetant « l’exception du site propre »,
aux motifs suivants :
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C.13.0435.F/8
« En application de l’article 28 de la loi précitée du 6 janvier 1989 et
constatant que la Cour constitutionnelle n’a invalidé qu’un aspect particulier
de l’article 29bis, le tribunal estime qu’il y a lieu de faire application de cet
article 29bis au cas d’espèce, sans donner suite à ses termes générant
l’inégalité sanctionnée par la Cour constitutionnelle (en ce sens, mutatis
mutandis, B. Lombaert, Les techniques d’arrêt de la Cour d’arbitrage, in
Revue belge de droit constitutionnel, 1996, 322), anticipant de la sorte,
raisonnablement, la réaction qu’a eue le législateur suite à cet arrêt de la Cour
constitutionnelle. […]
Surabondamment, quant à l’exception de site propre :
14. À cet égard, le tribunal renvoie à la jurisprudence de la Cour de
cassation qui enseigne dans son arrêt du 11 janvier 2010 qu’‘il ressort des
travaux préparatoires de la loi du 19 janvier 2001 modifiant diverses
dispositions relatives au régime de l’indemnisation automatique des usagers de
la route les plus vulnérables et des passagers de véhicules, qui a inséré l’alinéa
2 précité dans l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989, que le législateur
a entendu viser tout accident impliquant un véhicule automoteur lié à une voie
ferrée, dont un usager serait victime, quel que soit le lieu de la survenance
d’un tel accident’, ce qui inclut les endroits où la voie ferrée se situe sur un site
propre (Cass., 11 janvier 2010, C.09.0165.F., sur www.juridat.be, et les
conclusions du ministère public).
Cette décision interprétant une disposition légale existante au moment
des faits, elle s’applique au cas d’espèce quand bien même cet arrêt lui est-il
postérieur (voir en ce sens également : Civ. Nivelles, 8 février 2011)».
Griefs
Dans sa version en vigueur au moment des faits, l’article 29bis de la loi
précitée du 21 novembre 1989 disposait comme suit :
« § 1er. À l’exception des dégâts matériels, tous les dommages résultant
de lésions corporelles ou du décès, causés à toute victime d’un accident de la
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circulation ou à ses ayants droit, dans lequel est impliqué un véhicule
automoteur, sont indemnisés par l’assureur qui couvre la responsabilité du
propriétaire, du conducteur ou du détenteur de ce véhicule automoteur
conformément à la présente loi. […]
§ 3. Il faut entendre par véhicule automoteur tout véhicule visé à
l’article 1er de la présente loi, à l’exclusion des fauteuils roulants automoteurs
susceptibles d’être mis en circulation par une personne handicapée ».
L’article 1er de cette loi précisait que, « pour l’application de la
présente loi, on entend par véhicule automoteur : les véhicules destinés à
circuler sur le sol et qui peuvent être actionnés par une force mécanique, sans
être liés à une voie ferrée ».
Comme le constate le jugement attaqué, ce texte a été modifié par la loi
du 19 janvier 2001 qui a ajouté un alinéa 2 à l’article 29bis, § 1er, de la loi du
21 novembre 1989 : « en cas d’accident de la circulation impliquant un
véhicule automoteur lié à une voie ferrée, l’obligation de réparer les
dommages prévue à l’alinéa précédent incombe au propriétaire de ce
véhicule ».
Il en résulte qu’en vertu de la législation en vigueur au moment des
faits, le régime particulier d’indemnisation prévu par l’article 29bis ne
s’appliquait pas encore en faveur des victimes d’accidents de la circulation
dans lesquels étaient impliqués les véhicules de la demanderesse qui étaient
liés à une voie ferrée.
Ces victimes n’avaient donc droit à aucune indemnisation sur pied de
l’article 29bis en raison du fait que l’application de cette disposition ne
s’étendait pas aux véhicules sur rails.
Ce n’est que par la loi du 19 janvier 2001, entrée en vigueur le 3 mars
2001, qu’il a été mis fin à cette exclusion, considérée par la Cour
constitutionnelle comme violant les articles 10 et 11 de la Constitution.
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Mais cette loi du 19 janvier 2001 ne s’est pas contentée de gommer
l’exclusion critiquée ; elle a, en outre, alourdi au détriment des seuls
propriétaires de véhicules sur rails l’obligation d’indemnisation de l’article
29bis précité.
En effet, dans sa version en vigueur au moment des faits, l’article 29bis
précité ne désignait comme débiteur de l’indemnisation que l’assureur du
véhicule automoteur et, en vertu de l’article 2, § 1er, de la loi, l’assurance
n’était obligatoire que pour les véhicules automoteurs « admis à la circulation
sur la voie publique, les terrains ouverts au public et les terrains non publics
mais ouverts à un certain nombre de personnes ayant le droit de les
fréquenter ».
La loi du 19 janvier 2001 n’a pas alourdi le régime d’indemnisation de
l’article 29bis en ce qui concerne l’assureur des véhicules automoteurs. Elle a
simplement précisé que le devoir d’indemnisation de celui-ci ne joue que
lorsque l’accident en cause a lieu sur la voie publique ou sur les terrains déjà
précédemment identifiés dans l’article 2, § 1er, de cette loi.
« Article 29bis, § 1er. En cas d’accident de la circulation impliquant un
ou plusieurs véhicules automoteurs, aux endroits visés à l’article 2, § 1er, […]
sont réparés solidairement par les assureurs qui, conformément à la présente
loi, couvrent la responsabilité du propriétaire, du conducteur ou du détenteur
de véhicules automoteurs ».
Les assureurs ne sont en conséquence, avant comme après la loi du
19 janvier 2001, tenus de l’obligation d’indemnisation de l’article 29bis
précité que lorsque les véhicules automoteurs sont admis à la circulation sur la
voie publique ou en des endroits y assimilés, à l’exclusion des terrains privés.
En revanche, en ce qui concerne les seuls véhicules sur rails, le nouvel
alinéa 2, inséré au premier paragraphe de l’article 29bis par la loi du
19 janvier 2001, identifie désormais expressément le propriétaire du véhicule
comme le débiteur de l’indemnisation.
Mais, en outre, la nouvelle loi précise désormais que, pour ces seuls
véhicules sur rails, à l’inverse des autres véhicules automoteurs, le droit à
indemnisation de la victime ne dépend plus d’une quelconque manière de
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« l’endroit » où circulent ces véhicules : « en cas d’accident de la circulation
impliquant un véhicule automoteur lié à une voie ferrée, l’obligation de
réparer les dommages prévue à l’alinéa précédent incombe au propriétaire de
ce véhicule ».
À la lumière des travaux préparatoires de la loi du 19 janvier 2001, le
jugement attaqué relève ainsi que, par « la loi du 19 janvier 2001 modifiant
diverses dispositions relatives au régime de l’indemnisation automatique des
usagers de la route les plus vulnérables […], qui a inséré l’alinéa 2 précité
dans l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989, le législateur a entendu
viser tout accident impliquant un véhicule automoteur lié à une voie ferrée,
dont un usager vulnérable serait victime, quel que soit le lieu de la survenance
d’un tel accident […], ce qui inclut les endroits où la voie ferrée se situe sur un
site propre ».
Le jugement attaqué constate en conséquence que, par la loi du
19 janvier 2001, il a non seulement été mis fin à l’exclusion (critiquée par la
Cour constitutionnelle) des véhicules sur rails du régime d’indemnisation
prévu par l’article 29bis précité mais, en outre, que cette même loi, en insérant
un alinéa 2 au premier paragraphe de cet article 29bis, avait étendu, pour les
seuls accidents dans lesquels un véhicule sur rails est impliqué, et ce, à
l’inverse des autres véhicules automoteurs, le droit à l’indemnisation de la
victime « quel que soit le lieu de la survenance d’un tel accident, ce qui inclut
les endroits où la voie ferrée se situe sur un site propre », ce site se situerait-il
même en un endroit non ouvert au public.
En vertu du principe général du droit de la non-rétroactivité des lois,
tels qu’il est consacré à l’article 2 du Code civil, la loi qui n’interprète pas une
disposition légale existante ou qui ne se borne pas à remédier à une lacune
mais la complète ou, comme en l’espèce, la modifie, ne peut être appliquée à
une situation survenue avant l’entrée en vigueur de la disposition nouvelle.
Contrairement à ce que soutient le jugement attaqué, cette loi n’était
nullement interprétative « d’une disposition légale existante au moment des
faits ».
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Au contraire, le jugement attaqué constate lui-même que c’est par
l’intervention d’un nouvel alinéa 2 dans l’article 29bis précité que la loi du
19 janvier 2001 a alourdi le régime d’indemnisation particulier de l’article
29bis en ce qui concerne les seuls véhicules automoteurs liés à une voie ferrée,
son application aux véhicules sur rails ne dépendant plus, comme pour les
autres véhicules automoteurs, de l’endroit où survient l’accident.
Ce nouveau régime de responsabilité pour les seuls véhicules
automoteurs liés à une voie ferrée résulte exclusivement de la loi nouvelle et
non d’une quelconque « interprétation » de la disposition légale antérieure.
Autrement dit, le jugement attaqué fait plus que remédier à une lacune
de l’article 29bis dans sa version originaire. Il étend le champ d’application de
cette disposition non seulement aux véhicules liés à une voie ferrée mais il juge
que l’obligation d’indemniser la victime faible prévue par l’article 29bis
incombait désormais à tout propriétaire d’un véhicule sur rails, quel que soit
le lieu de l’accident, qu’il soit ouvert au public ou non, ou encore aménagé
pour la circulation des véhicules sur rails ou non.
Ce faisant, c’est en violation de l’article 28 de la loi spéciale du
6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle que le jugement attaqué décide
que l’obligation d’indemniser les usagers faibles en cas d’accident impliquant
un véhicule sur rails – obligation consacrée notamment par l’arrêt de la Cour
constitutionnelle du 15 juillet 1998 – s’applique « même aux endroits où la
voie ferrée se situe sur un site propre ».
Car, si le juge est tenu en vertu de l’article 28 de la loi du 6 janvier
1989 de remédier dans la mesure du possible à toutes les lacunes de la loi dont
la Cour constitutionnelle a constaté l’existence et qui violent les articles 10 et
11 de la Constitution, il ne peut en revanche pas compléter la loi en étendant le
champ d’application de l’article 29bis ancien dans une mesure qui excède le
remède commandé par l’arrêt de la Cour constitutionnelle.
Il s’ensuit qu’en rejetant l’exception de site propre en considérant que
le régime d’indemnisation automatique prévu par l’article 29bis, alinéa 2
(nouveau), trouve à s’appliquer en l’espèce, quel que soit le lieu de la
survenance de l’accident, ce qui inclut les endroits où la voie ferrée se situe en
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site propre, au motif que l’arrêt du 15 juillet 1998 de la Cour constitutionnelle
a invalidé l’ancien article 29bis en ce qu’il excluait les accidents dans lesquels
était impliqué un véhicule sur rails et que le juge a l’obligation de se
conformer à cet arrêt en application de l’article 28 de la loi du 6 janvier 1989
sur la Cour constitutionnelle, le jugement attaqué viole les dispositions légales
citées en tête du moyen et plus spécialement ledit article 28, l’article 29bis,
§ 1er, avant sa modification par la loi du 19 janvier 2001 et le principe général
du droit de la non-rétroactivité des lois, énoncé par l’article 2 du Code civil.
III.
La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Suivant l’article 29bis, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 21 novembre 1989
relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules
automoteurs, avant sa modification par la loi du 19 janvier 2001, à l’exception
des dégâts matériels, tous les dommages résultant de lésions corporelles ou du
décès, causés à toute victime d’un accident de la circulation ou à ses ayants
droit, dans lequel est impliqué un véhicule automoteur, sont indemnisés par
l’assureur qui couvre la responsabilité du propriétaire, du conducteur ou du
détenteur de ce véhicule automoteur conformément à cette loi.
Conformément au paragraphe 3 de cet article, qui renvoie à l’article 1er
de la même loi, il faut entendre par véhicule automoteur tout véhicule destiné à
circuler sur le sol et qui peut être actionné par une force mécanique sans être lié
à une voie ferrée.
Par l’arrêt préjudiciel n° 92/98 rendu le 15 juillet 1998, la Cour
constitutionnelle a dit pour droit que l’article 29bis de la loi du 21 novembre
1989 viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il exclut du régime
d’indemnisation qu’il prévoit les véhicules automoteurs qui sont liés à une voie
ferrée.
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En vertu de l’article 28 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour
constitutionnelle, la juridiction qui a posé la question préjudicielle, ainsi que
toute autre juridiction appelée à statuer dans la même affaire, sont tenues, pour
la solution du litige à l’occasion duquel ont été posées les questions, de se
conformer à l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle.
Conformément à l’article 26, § 2, 2°, de la loi spéciale, lorsque la Cour
constitutionnelle a déjà statué sur une question ou un recours ayant un objet
identique, la juridiction devant laquelle est soulevée une telle question n’est pas
tenue de la poser à nouveau.
Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l’arrêt préjudiciel
constatant l’inconstitutionnalité de l’article 29bis de la loi du 21 novembre
1989, sans que la Cour constitutionnelle en ait limité les effets dans le temps,
est déclaratoire et s’impose tant à la juridiction qui a posé la question
préjudicielle qu’à celle qui en est dispensée.
Les principes généraux du droit de bonne administration n’autorisent
pas les cours et tribunaux à s’écarter du respect de ces dispositions légales.
Le moyen, qui est tout entier fondé sur ce que, pour les juridictions non
visées par l’article 28 de la loi spéciale, l’effet de l’arrêt préjudiciel constatant
l’inconstitutionnalité de l’article 29bis précité est limité aux accidents de la
circulation impliquant un véhicule automoteur lié à une voie ferrée survenus
après la publication de cet arrêt, manque en droit.
Sur le second moyen :
Le jugement attaqué relève qu’« un accident de la circulation s’est
produit le 10 novembre 1997 à Anderlecht, à l’occasion duquel madame A. a
été heurtée par un tram de [la demanderesse] », et que le wattman a relaté les
circonstances de l’accident comme suit : « ‘en quittant l’arrêt Cureghem, j’ai
regardé à droite pour savoir s’il n’y avait pas de véhicules qui arrivaient. À ce
moment, j’ai vu une dame sur le coin de la rue qui me tournait le dos ; j’ai
ralenti et sonné. Cependant, lorsque je suis arrivé à sa hauteur, elle s’est
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retournée et a traversé. J’ai continué à sonner et j’ai actionné les freins
d’urgence, mais le tram a commencé à glisser et a heurté cette personne’ ».
« S’agissant de l’hypothèse d’une circulation sur voie ferrée
complètement isolée de la circulation », le jugement attaqué considère, par une
appréciation en fait des éléments de la cause, que « ce […] n’est pas le cas
ici ».
Ces considérations non critiquées, d’où il résulte que, aux yeux des
juges d’appel, l’accident de la circulation impliquant un tram ne s’est pas
produit sur un site propre complètement isolé de la voie publique mais à un
endroit ouvert au public, suffisent à fonder la décision du jugement attaqué que
la demanderesse a l’obligation d’indemniser la victime en application de
l’article 29bis, § 1er, dans sa version antérieure à sa modification par la loi du
19 janvier 2001.
Dirigé contre des motifs surabondants, le moyen est dénué d’intérêt,
partant, irrecevable.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
20 NOVEMBRE 2014
C.13.0435.F/16
Les dépens taxés à la somme de cinq cent septante-huit euros deux centimes
envers la partie demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où
siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Didier
Batselé, Martine Regout, Michel Lemal et Marie-Claire Ernotte, et prononcé en
audience publique du vingt novembre deux mille quatorze par le président de
section Christian Storck, en présence de l’avocat général Thierry Werquin,
avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont
M.-Cl. Ernotte
M. Lemal
M. Regout
D. Batselé
Chr. Storck