Femi Kuti What`s going on
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Femi Kuti What`s going on
MUSIC PLANET Femi Kuti What’s going on ? Documentaire de Jacques Goldstein Coproduction : ARTE France, La Huit, Barclay, FKO (France, 2000-52mn) 00.10 Samedi 22 septembre 2001 Contact presse : Frédérique Champs Cécile Braun - 01 55 00 70 45 / 44 [email protected] / [email protected] internet : www.arte-tv.com “What’s going on?” “What’s going on?” est le film portrait d’un musicien, Femi Kuti, et d’un son, l’Afro-beat”. Femi est le fils de Fela Kuti “The black president”, créateur du genre dans les années 70. L’un après l’autre, ils ont posé les bases d’une musique africaine urbaine et revendicative, contemporaine du reggae et du hip hop. L’Afro-beat est le son du Nigeria, l’un des plus grand pays d’Afrique, de part sa population et sa taille, et plus particulièrement de Lagos, sa capitale économique, une mégalopole démente où pauvreté, richesse, violence et corruption s’entrechoquent. Car Lagos est la principale ville du 5ème pays producteur de pétrole au monde et les petrodollars y coulent à flots, mais pas pour tout le monde. Hip Hop, Reggae, Afro-beat, trois sons qui partagent la même violence originelle, qui charrient la même frustration. “What’s going on?”. .2 Femi, fils de Fela Héritier politique et musical de Fela, “The Black President”, son fils Femi Kuti a repris le flambeau de l’afro-beat. De Paris à Lagos, ce musicien africain moderne dénonce la corruption. Un portrait remarquable, tout en rythme et en finesse. Persécuté par les régimes militaires du Nigeria, qu’il fut le premier à dénoncer, Fela s’est éteint en 1997 sans jamais avoir baissé les bras. À Londres, à New York et plus encore au Nigeria, Femi Kuti se fait, à son tour, le porte parole d’une Afrique meurtrie et sans avenir. Il dénonce inlassablement l’immobilisme, la corruption, les privilèges des dirigeants politiques. “Bienvenue à Lagos, la ville du bruit et de la souffrance”, sourit Kola, ami d’enfance de Femi, avant de brancher le groupe électrogène qui alimente la maison et qui permet de “vibrer dans son lit au son du moteur”. C’est de ce rythme-là, comme de celui de l’infernale circulation automobile, que s’est nourri l’afrobeat, musique de la jungle urbaine. Femi nous conduit au cœur de Lagos dans un trafic monstre, à l’image de l’Afrique où rien n’avance, où tout est bloqué. “Misère, chaos, violence, les gens luttent pour survivre. Comment peut-on être indifférent à cette misère ? Je pose la question aux gouvernements. Militaires ou civils c’est la même chose : les officiels s’en moquent et l’anarchie commence au sommet.” Femi chante “Democrazy”... Contre le deuxième esclavage L’engagement dont fait preuve aujourd’hui ce jeune musicien africain a de qui tenir ! Sa grand-mère, qui s’est battue pour l’émancipation des femmes au Nigeria, fut défenestrée par les soldats en février 1977 lors de l’assaut du Kalakuta. Le Kalakuta Republik, c’est le quartier, transformé en commune libertaire par le rebelle Fela, où il vivait entouré de ses vingt-sept femmes et des membres de son parti, le Movement of the People. Des archives permettent de revoir le Shrine, à la fois temple et club, incendié par les autorités et aujourd’hui transformé en Église chrétienne de la Rédemption, d’où Fela apostrophait le pouvoir et faisait danser son public jusqu’à l’aube. Sur les pas de son père, Femi Kuti nous accompagne sur le chantier du nouvel Africa Shrine, restaurant, salle de concert et dancing inauguré le 15 octobre 2000, où il compte faire venir des musiciens du monde entier. Ici se trouve le siège du MASS (Movement Against Second Slavery), qui dénonce les travers de la société nigériane : aliénation culturelle et religieuse, corruption politique, mépris de soi et perte de confiance en ses qualités propres. Tout ce qui, selon Femi, enchaîne toujours l’homme africain. .3 Fight to Win, l’album d’un combat sortie de l’album le 9 octobre chez Trois ans depuis la sortie de Shoki Shoki, le précédent album de Femi Kuti. Une éternité pour le Nigeria, le géant de l’Afrique aux 120 millions d’habitants et aux 256 ethnies. En 1998, lorsque le fils aîné de Fela Anikulapo Kuti prouvait enfin aux oreilles du monde qu’il n’était pas l’ombre génétique du Black Président et que la planète world pouvait compter sur lui, le pays sortait de près de 20 ans de dictature militaire. La sixième puissance pétrolière mondiale, le géant culturel du continent noir, s’apprêtait à élire librement un nouveau président. Sani Abacha, dernier kleptocrate nigérian, était mort depuis un an, victime, selon les rumeurs, d’une partouze au viagra ayant mal viré. La liberté était en marche. Trois ans depuis Shoki Shoki. Une éternité pour le Nigeria. Aujourd’hui, alors que le président élu de la Fédération aux 36 états, Olusegun Obasanjo, l’ancien militaire dénoncé par Fela dans Army Arrangement, vient de fêter ses deux ans d’investiture au palais d’Aso Rock à Abuja, il y est malheureusement souvent plus question de “Democrazy” que de Démocratie. Le retour vers la liberté du peuple tout à la fois le plus fascinant et le plus opaque du continent noir a été accompagné par de nouvelles explosions, souvent sanglantes, des revendications régionales. Un peu comme une cocotte minute mise trop longtemps sous pression, le couvercle nigérian a explosé, révélant, du nord Haussa au sud ouest Yoruba, de l’est Ibo aux myriades d’ethnies du delta pétrolifère en passant par le middle-belt Tiv, une multitude de cicatrices sociopolitiques malheureusement récurrentes depuis les années 70 : captation par une oligarchie affairiste des dividendes tirés de la manne pétrolière, déséquilibre persistant des appareils décisionnels au profit des mafias militaires nordistes, sousdéveloppement chronique du nord comme du delta méridional. Malgré les mises à la retraite forcées dans l’armée tout comme l’instauration d’une commission d’enquête sur les exactions commises sous les dictatures, ce sont malheureusement les mêmes convives qui semblent se partager le National Cake, ce gâteau qui attise tant les intérêts locaux qu’internationaux. Sur fond d’instauration de la loi islamique dans les états du nord et de montée des mouvements d’autodéfense dans le sud, le Nigeria ressemble toujours autant à un supertanker, filant dans une nuit noir d’encre, vers la tempête. Et c’est dans ce contexte incertain que surgit Fight To Win, serti de 12 morceaux comme autant d’apôtres d’un lendemain qui n’est pas encore joué, malgré ce qu’en pensent les Cassandre. Pourtant pessimiste actif, premier à reconnaître les maux qui tenaillent toujours son pays, de l’opium de la religion à la corruption, Femi n’a ni baissé la garde de son sax, ni tempéré son discours. Au contraire. Comme dopé par la nouvelle liberté d’expression réapparue dans ce pays, celui-ci n’a jamais été aussi incisif et précis. En trois ans, le gémeau yoruba a eu le temps de prendre ses marques tant vis à vis du lourd héritage paternel dont il est investi - l’Afrobeat - que des chausse-trappes ethniques liées à son propre statut social. S’il est yoruba - à l’instar de son brûlot Alkebu-Lan .4 Barclay . dénonçant le hold-up occidental effectué jusqu’aux noms même des pays du continent noir - Femi s’est affranchi de son statut de porte parole lagotien pour devenir celui qui interpelle au nom de et pour tous les nigérians. Pour tous les africains. Et à tous ceux d’ailleurs qui pensent que la musique peut encore avoir un sens. L’autre défi à relever était en effet de s’adresser une nouvelle fois à l’Ouest. A ceux qui, de New-York à Paris (où cet album a été produit par Sodi) ont déjà fait de cet homme le représentant numéro un de la Nouvelle Afrique. Fight To Win n’a pas perdu son âme dans ce va-et-vient assumé entre Nord et Sud. Né à Londres, éduqué à Lagos, nourri aux beats américains, Femi réussit même à faire venir sur ses propres territoires le New-Yorkais Mos Def (sur Do Your Best), son pair de Chicago, Common (sur Missing Link), tout comme la révélation Jag sur l’étonnant single éponyme de cet album bouillonnant de tension contenue comme un jour de trafic hold-up sur le Third Mainland Bridge de Lagos. Et pour la première fois, comme une manière de couper définitivement le cordon avec celui “qui portait la mort dans son carquois”, cet homme dont il parle enfin dans le plus poignant morceau de ce disque (97’), Femi lâche ses propres bombes politiques. Traitors Of Africa est à ce niveau emblématique des changements survenus en trois ans, une éternité, dans la tête de cet adulte de 39 ans. Quittant la métaphore, Femi y pratique pour la première fois le name-dropping développé par son père. A deux ans des prochaines élections présidentielles qui s’avèrent cruciales tant pour l’avenir de ce pays que celui, tout simplement, de la sous-région, Traitors Of Africa n’hésite pas à tirer directement sur Ibrahim Babangida, alias IBB, alias le Maradona de la politique nigériane, alias le Prince du Niger, et ce, au moment même où cet ancien dictateur du Nigeria prépare son retour dans l’arène politique fort d’un trésor de guerre estimé, par le magazine économique américain Forbes, à près de 21 milliards de dollars. Trois ans depuis Shoki Shoki. Quatre ans que Fela est enterré sous un mausolée d’Ikeja. Autant d’années que Sola et Frances, respectivement l’une des soeurs et la cousine de Femi, ont elles aussi tragiquement disparu. Une éternité. Femi Kuti ne joue plus. Il est. Avec sa femme Funke, son fils Made, son autre soeur Yeni, il est désormais une planète bien plantée dans la constellation des messagers. On l’avait quitté comme un héritier. On le retrouve comme un descendant. Mais le fils du tigre reste un tigre rappelle le proverbe yoruba. Avec Femi, la musique s’impose plus que jamais comme l’arme de l’avenir et du panafricanisme, pour reprendre la vision développée par son père. Ce musicien de l’entropie, du Lagos 2001, de ce chaos contrôlé où l’on passe sans crier gare du médiéval au portable, a seulement mis dans ce 12 coups les munitions requises par la réalité de ce vingt et unième siècle naissant. Moins de mysticisme, plus de pragmatisme. Moins de transe, plus de contrôle de soi. Le beat, resserré, passe du fébrile paludéen au calme crépusculaire. Dans la vague des cuivres, il y a désormais de l’écume électronique. Et Money Mark, homme clavier des Beastie Boys, y balade ses notes noires et blanches. Bref, Fight To Win est un album résolument planté dans l’Afrique d’aujourd’hui. Et s’il n’est qu’un écho de cette nouvelle société civile africaine qui désespère d’exorciser ses vieux démons, il est sans doute le témoignage le plus attendu de cet automne. Avec Femi, on ne peut qu’ouvrir définitivement les yeux sur les aspirations des petits enfants des Indépendances Africaines. Jean Christophe Servant .5