GDM 2010 - Laboratoire Turing
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Actes du colloque du Groupe des didacticiens des mathématiques du Québec GDM 2010 L’ENSEIGNEMENT DE MATHÉMATIQUES DANS ET À TRAVERS DES CONTEXTES PARTICULIERS : QUEL SUPPORT DIDACTIQUE PRIVILÉGIER? UNIVERSITÉ DE MONCTON 10-12 JUIN 2010 Actes préparés par Viktor Freiman, Université de Moncton, Anne Roy, Université du Québec à Trois-Rivières et Laurent Theis, Université de Sherbrooke TABLE DES MATIÈRES L‘enseignement de mathématiques dans et à travers des contextes particuliers : quel support didactique privilégier? ................................................................................................................. 6 CONFÉRENCES PLÉNIÈRES Laurie Landry L‘enseignement des mathématiques au Nouveau-Brunswick francophone : vers la réussite scolaire et des apprentissages durables pour tous les élèves........................................................ 12 Christine Knipping L‘émergence de disparités en classe de mathématiques .............................................................. 21 Lucie DeBlois La didactique, un levier pour tenir compte des contextes; les contextes, un levier pour théoriser le genre didactique ...................................................................................................... 40 COMMUNICATIONS Geneviève Barabé, Hassane Squalli et Claudine Mary Une étude du développement professionnel d‘enseignants par le biais de leur travail sur des ressources pédagogiques liées au développement du potentiel mathématique et de l‘insertion de celles-ci dans leur pratique : .................................................................................................. 48 Ildikó Pelczer Origami comme contexte mathématique: des bénéfices et limitations ........................................ 58 Jean Labelle Communauté d‘apprentissage professionnelle et méthodes statistiques ...................................... 66 Elena Polotskaia, Viktor Freiman et Annie Savard Développement d‘un outil virtuel pour favoriser le raisonnement algébrique lors de la résolution de problèmes chez les élèves du primaire .................................................................. 80 Anne Roy Vers un modèle didactique favorisant une pensée réflexive chez des futurs enseignants du primaire dans le domaine de l‘éducation mathématique ............................................................. 90 Mathieu Gauthier L‘emploi de la stratégie PIE (prédire-investiguer-expliquer) et les outils technologiques pour aider les élèves à mieux comprendre les graphiques de fonctions ............................................. 100 Annie Savard Enseigner les sciences et apprendre les mathématiques: Dans quel contexte et selon quelles conditions? .............................................................................................................................. 111 Evguenii Vichnevetskii, Paul Deguire, Diane Pruneau, Viktor Freiman, Jackie Kerry et Jimmy Therrien Adaptation aux changements climatiques : compétences mathématiques et leurs utilisations ... 119 Carmen Paz Oval Soto et Izabella Oliveira Différents cadres d‘analyse pour les pratiques d‘enseignement :Quelle(s) perspective(s) choisir? .................................................................................................................................... 132 Elena Polotskaia et Ildikó Pelczer Jeu de classification des quadrilatères. ..................................................................................... 140 Jacinthe Giroux Pour une différenciation de la dyscalculie et des difficultés d‘apprentissage en mathématiques......................................................................................................................... 148 Daniela Furtuna Géométrie du plan – géométrie de l‘espace : continuité ou rupture dans le contrat didactique? .............................................................................................................................. 159 Claudine Mary et Laurent Theis Implicites dans la tâche mathématique : les décalages entre les activités potentielle, attendue et effective de l‘élève ................................................................................................. 171 Nadine Bednarz et Jérôme Proulx De quel contexte parle-t-on ? Une entrée sur les « mathématiques professionnelles » des enseignants ........................................................................................................................ 182 Isabelle Arsenault et Caroline Lajoie Attitudes de futurs enseignants du primaire par rapport à la résolution de problèmes mathématiques : quelques résultats d‘une recherche effectuée dans le cadre d‘un cours de mathématiques à l‘université ................................................................................................... 191 Mireille Saboya Réflexions autour de la formation initiale des futurs enseignants du secondaire : la place du « contrôle » ............................................................................................................................. 205 Guylaine Cotnoir Évolution de l‘utilisation des contextes dans les chapitres introductifs à l‘algèbre dans les manuels scolaires québécois de 1960 à nos jours ..................................................................... 216 Vincent Martin et Claudine Mary Particularités de l‘enseignement des mathématiques à des élèves en difficulté en classes régulières ou spéciales ............................................................................................................. 229 Lily Bacon Construction négociée en contexte de stage d‘un savoir-enseigner les mathématiques au primaire au sein de la triade de formation. ........................................................................... 241 Sophie René de Cotret Rapprocher mathématiques et réalité à l‘école : une bonne intention pavée de quelques difficultés ................................................................................................................................ 253 Laurent Theis et Annie Savard Recours à un simulateur pour enseigner les probabilités: quels défis et occasions pour des enseignants du début du secondaire? ........................................................................................ 263 Doris Jeannotte L‘apport pour la formation et la pratique enseignante : analyse et synthèse de différents modèles de raisonnement mathématique dans la littérature scientifique ................................... 273 Dominic Manuel Étude de la créativité mathématique dans les solutions aux problèmes proposés dans la communauté virtuelle CASMI ................................................................................................. 283 L’enseignement de mathématiques dans et à travers des contextes particuliers : quel support didactique privilégier? INTRODUCTION Le Colloque 2010 du Groupe des didacticiens des mathématiques du Québec (GDM) s‘est tenu, pour la première fois dans son histoire, en Acadie, à l‘Université de Moncton, la seule université francophone au Nouveau-Brunswick. Toutes les activités scientifiques du colloque ont eu lieu au Campus de Moncton, Pavillon Jeanne-de-Valois, à la Faculté des sciences de l‘éducation qui forme les futures enseignantes et futurs enseignants pour le secteur scolaire francophone du Nouveau-Brunswick et la francophonie scolaire pancanadienne. Le thème et le programme du colloque ont été élaborés par le comité de coordination du GDM, composé en 2008-2010 de Laurent Theis, de l‘Université de Sherbrooke, Anne Roy, de l‘Université du Québec à TroisRivières et de Viktor Freiman, de l‘Université de Moncton. Remercions ici tous celles et ceux qui ont contribué à l‘organisation locale du colloque, avec parmi eux Laurie Landry, Isabelle Arsenault, Mathieu Gauthier, Dominic Manuel et Julie Mallet qui ont bien accueilli plus de 50 participantes et participants du colloque provenant du Québec et du Nouveau-Brunswick. Soulignons également la présence d‘une vingtaine d‘enseignantes et d‘enseignants de la province qui ont profité d‘une rare activité scientifique en didactique des mathématiques dans cette province où les francophones vivent en minorité linguistique et qui ne compte qu‘une trentaine des milliers d‘élèves dans ces écoles francophones, tous les niveaux M-12 confondus. Un merci spécial à l‘équipe du site CAMI (Communauté d‘apprentissages multidisciplinaires interactifs, www.umoncton.ca/cami) qui a alloué son espace web pour le site du colloque avant et pendant sa tenue, à la Faculté des études supérieures et de la recherche de l‘Université de Moncton pour son appui au programme scientifique et à la Ville de Moncton qui ont accueilli les participants à l‘Hôtel de Ville pour une rencontre sociale. LE THÈME DU COLLOQUE - L’ENSEIGNEMENT DE MATHÉMATIQUES DANS ET À TRAVERS DES CONTEXTES PARTICULIERS : QUEL SUPPORT DIDACTIQUE PRIVILÉGIER? Les recherches didactiques de dernières années soulignent le rôle important de différents contextes de l‘enseignement et d‘apprentissage de mathématiques (DeBlois, 2009). Au sens large, les deux courants d‘idées se retrouvent dans les problématiques étudiées, soit l‘enseignement de mathématiques dans des contextes particuliers, soit à travers des contextes particuliers. Une réflexion profonde sera donc portée sur la nature du support didactique qu‘il faudra privilégier dans ces deux optiques. Lorsqu‘on traite du premier courant, l‘on constate que la prise en compte de différents contextes représente un défi de taille pour tout enseignant et enseignante. Citons comme exemple le contexte du milieu francophone minoritaire comme celui du Nouveau-Brunswick, peu étudié en didactique. Ce contexte amène plusieurs défis particuliers à l‘enseignement et à l‘apprentissage des toutes les matières incluant les mathématiques (Gilbert, Le Touzé, Thériault et Landry, 2004; Landry et Allard, 2004). Autre que la nécessité de défendre quotidiennement sa langue et de 6 L’enseignement de mathématiques dans et à travers des contextes particuliers : quel support didactique privilégier? développer un sens identitaire plus aigu, les communautés font face à un manque de ressources matérielles et humaines ainsi qu‘une situation démographique précaire (Miller, 2004, Freiman et Lirette-Pitre, 2007). Comment ceci affecte-t-il l‘enseignement et l‘apprentissage des mathématiques? Comment ce milieu qui est aux prises avec plusieurs changements dans les programmes d‘études et les cadres théoriques interagit-il avec le système québécois et autres systèmes éducatifs? L‘étude de particularités de l‘enseignement et l‘apprentissage dans différents contextes inclura aussi les classes d‘accueil, les classes de mise à niveau, les classes adaptées aux élèves en difficulté, les classes dans des milieux défavorisés, etc. (Poirier, 1997; Thème 7-EMF2006, DeBlois et Squalli, 2001; DeBlois, L., Galerneau, L., Tremblay, L., 2006). D‘autres contextes présentent également des contraintes particulières. Quelle didactique pourra supporter l‘enseignement et l‘apprentissage des mathématiques dans ces contextes? Quant au deuxième courant mentionné ci-haut qui traite des contextes particuliers pouvant influencer le processus d‘enseignement et d‘apprentissage des mathématiques, l‘on s‘intéresse, entre autres, au contexte de vie réelle qui joue un rôle de plus en plus important dans les programmes d‘études. Par exemple, le programme du Nouveau-Brunswick, secteur francophone, mentionne explicitement que tous les élèves doivent atteindre des résultats généraux d‘apprentissage en démontrant des habiletés de résoudre des problèmes dans un contexte de vie réelle (MENB, 2005). Il s‘agit alors de la gestion de particularités de contextes dans lesquels se situe la classe / l‘enseignement, ainsi que le contexte utilisé par l‘enseignant dans les activités mathématiques (Savard et DeBlois, 2008; Ongstad, 2006). Knipping, Reid, et Gellert (2009) ont évoqué la complexité de pratiques en salle de classe affectées par le processus de recontextualisation lors de l‘introduction aux nouvelles procédures mathématiques et l‘élaboration de tâches de modélisation. Comment gérer cette complexité et atteindre de buts fixés dans le programme d‘études? Comment peut-on aider l‘élève à voir les applications de savoirs mathématiques dans la vie réelle? Comment le contexte de vie réelle pourrait-il être transposé en savoir mathématique plus abstrait et généralisé? Quel rôle joue la langue dans le processus d‘enseignement/apprentissage des mathématiques? Quelles sont les difficultés posées par les différents contextes utilisés dans les activités des enseignants et des manuels? Le colloque s‘intéressait également à de nouveaux contextes allant au-delà d‘une salle de classe, tels que le contexte virtuel dans des environnements techno-pédagogiques ou les réseaux Internet (Petit, 2005; Pallascio, 2003; Morin et Corriveau, 2006; Freiman, 2008). Comment les savoirs mathématiques se construisent-ils dans ce type de contextes? Un espace didactique complexe formé par cette multitude de contextes qui forme devrait être examiné en profondeur sur les deux plans, soit le plan de l‘enseignement et celui de l‘apprentissage (Bednarz, 2002). Pour mieux comprendre cette complexité, on s‘interroge aussi sur des aspects didactiques plus généraux. Les programmes d‘études tiennent-ils compte de toutes ces particularités? La réussite des élèves doit-elle être définie différemment en fonction de chaque contexte? La formation des enseignants doit-elle tenir compte de ces contextes? Un appel aux propositions lancé avant le colloque a ainsi invité les didacticiens, les chercheurs en didactique et les étudiants gradués et tout autre formateur intéressé par le sujet « du contexte » dans l‘apprentissage et l‘enseignement des mathématiques à présenter des communications autour du rôle du contexte en didactique des mathématiques selon les cinq thèmes suivants : 7 GDM 2010 - INTRODUCTION 1) didactique et contexte scolaire (cela pourrait inclure la dimension des perspectives théoriques, la dimension du type de clientèle spécifique, etc.), 2) didactique et contexte de vie réelle (mathématiques comme outil d‘appropriation du réel et outil pour apprendre à apprendre), 3) didactique et contexte linguistique minoritaire (cela pourrait inclure la dimension des minorités linguistiques, la dimension socioculturelle et socioéconomique, etc.), 4) didactique et contexte technologique (cela pourrait inclure la formation à distance, la formation à l'aide des TIC, etc.) 5) didactique et contexte pratique de formation/enseignement (l‘apport du contexte dans les pratiques d‘enseignant en incluant la formation initiale et dans les stages). LE DÉROULEMENT DU COLLOQUE Le colloque s‘est déroulé pendant trois jours. Les présentations de la première journée ont débuté par une conférence plénière prononcée par Laurie Landry du ministère de l‘Éducation du Nouveau-Brunswick qui a dressé le portrait de l‘enseignement des mathématiques au NouveauBrunswick francophone : vers la réussite scolaire et des apprentissages durables pour tous les élèves. Huit communications et un atelier ont suivi cette conférence. Elles ont été présentées par Geneviève Barabé, Ildikó Pelczer, Jean Labelle, Elena Polotskaia, Anne Roy, Mathieu Gauthier, Annie Savard, Viktor Freiman, et Carmen Paz Oval-Soto qui ont amorcé la réflexion sur le thème du colloque. Un souper du groupe a clôturé cette journée. La deuxième journée du colloque a commencé par Christine Knipping de l‘Université Acadia qui a donné sa conférence plénière portant sur l‘émergence de disparités en classe de mathématiques. Ses réflexions ont été approfondies par douze communications et deux ateliers donnés par Robert Levesque, Elena Polotskaia et Ildikó Pelczer, Jacinthe Giroux, Daniela Furtuna, Claudine Mary et Laurent Theis, Dominic Voyer et Viktor Freiman, Nadine Bednarz et Jérôme Proulx, Isabelle Arsenault, Mireille Saboya, Jimmy Bourque, Manon LeBlanc, Sophie René de Cotret, Guylaine Cotnoir, Vincent Martin et Claudine Mary. Lors d‘une réception à l‘Hôtel de Ville de Moncton, en fin de journée, Jérôme Proulx et Jacinthe Giroux ont présenté de nouvelles parutions en didactique des mathématiques. La dernière, troisième journée a poursuivi les discussions sur différents aspects du thème du colloque animées lors de cinq communications par Jérôme Proulx, Lily Bacon, Laurent Theis et Annie Savard, Doris Jeanotte, Dominic Manuel. Lucie DeBlois, de l‘Université Laval, a mis sa touche finale pour souligne le succès du colloque lors de sa conférence plénière nous éclairant sur la complexité de liens entre la didactique, un levier pour tenir compte des contextes et les contextes, un levier pour théoriser le genre didactique. 8 L’enseignement de mathématiques dans et à travers des contextes particuliers : quel support didactique privilégier? LES PARTICIPANTS Arsenault, Isabelle Giroux, Jacinthe Nowlan-Bastarache, Renée Arsenault, Josée Gaudet, Jolène Olscamp, Jocelyne Bacon, Lily Gauthier, Mathieu Ouellet, Marie-Pierre Barabé, Geneviève Jeannotte, Doris Oval-Soto, Carmen Beaulieu Bonenfant, Nathalie Knipping, Christine Pelczer, Ildikó Bednarz, Nadine Labelle, Jean Polotskaia, Elena Bisson, Caroline Landry, Laurie Proulx, Jérôme Bossé-Perron, Lisa Landry, Robert René de Cotret, Sophie Boudreau, Carole Laplante, Diane Richard, Shawn Bourque, Jimmy LeBlanc, Manon Robichaud, Monique Boutot, Michelle LeBouthillier, Kathy Roy, Anne Chiasson, Cynthia Levesque, Robert Roy, Lise Cotnoir, Guylaine Luce, Ghislaine Saboya, Mireille DeBlois, Lucie Mai Huy, Khôi Savard, Annie Doucette, Marc Maillet, Chantal Theis, Laurent Dubé, Jacques Mallet, Julie Thébeau, Renée Durelle, Gloria Manuel, Dominic Voyer, Dominic Freiman, Viktor Martin, Vincent Furtuna, Daniela Mary, Claudine LES ACTES DU COLLOQUE Les actes du colloque présentent la version texte des conférences plénières et des communications réalisées au cours du colloque. Nous tenons à remercier particulièrement Laurie Landry, Christine Knipping et Lucie DeBlois pour nous avoir livré des conférences plénières si enrichissantes ainsi que tous les présentateurs de communications et participants, pour avoir alimenté et approfondi les discussions au cours du colloque. Merci tout particulier à Laurie Landry pour son aide dans la rédaction des Actes ainsi qu‘à Jérôme Proulx pour ses commentaires enrichissants et encourageants. Viktor Freiman, Anne Roy et Laurent Theis 9 GDM 2010 - INTRODUCTION BIBLIOGRAPHIE Bednarz, N. (2002). Pourquoi et pour qui enseigner les mathématiques? Une mise en perspective historique de l‘évolution des programmes au Québec au XXème siècle. Zentralblatt für Didaktik der Mathematik (ZDM), vol. 34 (4), 146-157. DeBlois, L. (2009). Les contextes et les besoins à l'origine de la recherche collaborative. Annales de didactique et de sciences cognitives, 14, 213-229 DeBlois, L., Galerneau, L., Tremblay, L. (2006). Construire des savoirs mathématiques en milieux défavorisé. Vivre le primaire, septembre-octobre 19 (3). DeBlois L. et Squalli H. (2001). Une modélisation des savoirs d‘expérience des orthopédagogues intervenant en mathématiques. Difficultés d’apprentissage et enseignement : évaluation et intervention. Sherbrooke : Éditions du CRP. 155-178. Espace Mathématique Francophone (2006). Thème 7 : Enseignement des mathématiques auprès de publics spécifiques ou dans des contextes difficiles. http://emf2006.educ.usherbrooke.ca/emf_theme_07.htm Freiman, V. (2008). « Exploration des scénarios interdisciplinaires dans le cadre de l‘accès direct à l‘ordinateur portable (ADOP) avec les élèves de 7e et 8e années. » In Theis L. (Dir.) Enseignement des mathématiques et interdisciplinarité. Actes du colloque du Groupe des didacticiens des mathématiques du Québec, Université de Sherbrooke, 22-23 mai, 2008, p. 89-96. Freiman, V., & Lirette-Pitre, N. (2007). PISA2000 Case Study: New Brunswick. In: Arbeitsgruppe Internationale Vergleichstudie (HRSG) Schullleistungen unde Steurung des Schulsystems in Bundesstaat: Kanada und Deutschland im Vergleich. Waxmann, Muenster, New-York, Muenchen, Berlin, pp. 336-362. Gilbert, A., Le Touzé, S., Thériault, J.-Y. et Landry, R. (2004). « Le personnel enseignant face au défi de l'enseignement en milieu minoritaire francophone ». Rapport de recherche. Ottawa : Centre interdisciplinaire de recherche sur la citoyenneté et les minorités (CIRCEM), Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques/Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants. Knipping, C., Reid, D., Gellert, U. (2009) From everyday contexts to institutionalised knowledge: Implicit initiation into school mathematics. Presented at CIEAEM 61. Landry, R. et Allard, R. (2004). « Résultats pancanadiens des élèves francophones en milieu minoritaire aux évaluations du PIRS : variables contextuelles et conséquences pédagogiques ». Rapport soumis au Conseil des ministres de l'Éducation (Canada). Sur Internet : http://www.cmec.ca/else/francophone/RapportTechniqueVoletA.fr.pdf Miller, A. (2004). Le grand défi de l‘enseignement en français dans un milieu anglophone. Infobourg, 4 Octobre, 2004. http://www.infobourg.qc.ca/sections/editorial/editorial.php?id=9158 Morin, M.-P. et A. Corriveau (2006). « L’utilisation d’un logiciel de géométrie dynamique par les futurs enseignants du primaire peut-elle favoriser une meilleure compréhension de la géométrie ? » Actes de la 58e rencontre de la Commission internationale pour l‘étude et l‘amélioration de l‘enseignement des mathématiques (CIEAEM). République Tchèque, 9 au 14 juillet. Ongstad, S. (2006) Mathematics and Mathematics Education - Language and/or Communication? Triadic Semiotics Exemplified. Educational Studies in Mathematics, 61/1-2. Pallascio, R. (2003). L‘Agora de Pythagore: une communauté virtuelle philosophique sur les mathématiques. In Taurisson A. et Senteni A. (Dir.) Pédagogies.net : L’essor des communautés virtuelles d’apprentissages. Presses de l‘Université du Québec, pp. 193-210. 10 L’enseignement de mathématiques dans et à travers des contextes particuliers : quel support didactique privilégier? Petit, M. (2005). L‘apport du matériel didactique virtuel dans l‘enseignement et l‘apprentissage des mathématiques. http://spip.cslaval.qc.ca/mathvip/article.php3?id_article=46 Poirier, L. (1997). Rôle accordé aux interactions entre pairs dans l'enseignement des mathématiques - une illustration en classe d'accueil. Éducation et francophonie, Volume XXV No 1, printemps-été 1997, http://www.acelf.ca/c/revue/revuehtml/25-1/rxxv1-06.html Savard, A., & DeBlois, L. (2008). Intégrer les dimensions historique et culturelle dans l'enseignement des mathématiques : Peut-on faire autrement qu'un placage de connaissances? CD-Rom des Actes du colloque Espace Mathématique Francophone 2006, thème 3, Sherbrooke, Québec. 11 L’enseignement des mathématiques au Nouveau-Brunswick francophone : vers la réussite scolaire et des apprentissages durables pour tous les élèves. Laurie Landry Agent pédagogique provincial en mathématiques Ministère de l’Éducation du Nouveau-Brunswick RÉSUMÉ. L‘école francophone au Nouveau-Brunswick vit plusieurs défis à différents niveaux. Allant du déclin de sa population étudiante aux restrictions budgétaires, la recherche de solutions innovatrices sont nécessaires pour assurer notre mandat éducatif. Depuis quelques années, les acteurs principaux du système scolaire néo-brunswickois ont redoublé d‘effort en mettant en place diverses initiatives visant l‘amélioration des apprentissages et des résultats en mathématiques chez nos jeunes francophones du Nouveau-Brunswick. Ces initiatives font partie d‘un nouveau plan stratégique dont la mise en œuvre est prévue pour septembre 2010 et s‘alignent avec d‘autres initiatives déjà en cours. Les détails de ce plan stratégique seront accompagnés d‘un bref aperçu de l‘école francophone au Nouveau-Brunswick ainsi que le cheminement de l‘enseignement des mathématiques au primaire et au secondaire des derniers dix ans. INTRODUCTION L‘éducation mathématique francophone au Nouveau-Brunswick a vécu plusieurs changements dans les dix dernières années. Que ce soit le renouvellement des programmes d‘études en mathématiques, tant au primaire (de la maternelle à la 8 e année) qu‘au secondaire (de la 9e à la 12e année) ou la mise en place d‘une variété de stratégies ciblées pour améliorer les apprentissages et les résultats en mathématiques, ces actions ont permis de cheminer à l‘échelle provinciale tant au niveau pédagogique que didactique. Afin de mieux comprendre l‘évolution des changements en mathématiques dans les dernières années, il est important de bien saisir la particularité du Nouveau-Brunswick en éducation. PORTRAIT ÉVOLUTIF DE L’ÉCOLE FRANCOPHONE AU NOUVEAU-BRUNSWICK La province du Nouveau-Brunswick, seule province officiellement bilingue au Canada, se doit d‘offrir des programmes et des services dans les deux langues officielles, soit l‘anglais et le français. Le ministère de l‘Éducation, responsable de l‘élaboration des programmes d‘études et de l‘évaluation des apprentissages, est composé de deux secteurs linguistiques totalement indépendants, tant au niveau organisationnel que décisionnel. Cette dualité permet donc à la communauté francophone de s‘approprier de leurs institutions et d‘avoir le plein pouvoir sur les choix éducatifs à offrir à nos jeunes. La mission de l‘école francophone et acadienne au Nouveau-Brunswick est double. D‘une part, elle se doit d‘« assurer une solide formation générale aux élèves et favoriser leur développement global; d‘autre part, participer à la transmission de la langue et de la culture » (MÉNB, 2009, p. 2). Cette double mission fait donc partie intégrante des actions posées dans le système éducatif afin d‘assurer la survie des communautés francophones et acadiennes de notre province. Laurie Landry Le déclin de la population étudiante pose également un défi de taille au maintien des programmes et des services dans notre milieu scolaire. La population étudiante de la province est présentement composée de 71 % d‘élèves anglophones et 29 % d‘élèves francophones, alors que les élèves francophones représentaient 31 % de la population étudiante en 1999. La dénatalité et la migration de familles dans l‘Ouest canadien où les emplois sont plus alléchants provoquent la fermeture d‘écoles dans le nord de la province, sans compter la migration de la population francophone du nord de la province vers le sud où se trouvent les grands centres. Ce phénomène a provoqué un surpeuplement dans les écoles du sud de la province où deux nouvelles écoles ont dû être construites depuis 2006. Sur une période de dix ans, la population étudiante francophone a diminué de près de 25 % et la situation ne semble pas s‘inverser. Sachant que le financement du système scolaire est en lien direct avec la population étudiante, les budgets alloués pour le système francophone diminuent à tous les paliers. Tableau 1 Évolution de l’effectif scolaire par district scolaire, du 30 septembre 1999 au 30 septembre 2009 (MÉNB, 2010, p. 42) District scolaire francophone Sept. 1999 Sept. 2000 Sept. 2001 Sept. 2002 Sept. 2003 Sept. 2004 Sept. 2005 Sept. 2006 Sept. 2007 Sept. 2008 Sept. 2009 DS 01 6 845 6 913 6 914 6 915 6 891 6 936 7 055 7 123 7 297 7 568 7 721 DS 03 8 727 8 365 8 024 7 716 7 448 7 235 6 966 6 576 6 402 6 196 5 947 DS 05 7 289 7 069 6 722 6 476 6 255 6 087 5 934 5 724 5 500 5 273 5 057 DS 09 9 272 8 827 8 442 8 126 7 903 7 675 7 412 7 102 6 911 6 646 6 402 DS 11 Total (francophone) 7 377 7 213 7 001 6 792 6 573 6 393 6 093 5 828 5 615 5 436 5 293 39 510 38 787 37 103 36 025 35 070 34 326 33 460 32 353 31 725 31 119 30 420 127 003 124 942 122 792 120 600 118 869 117 145 114 820 112 013 110 288 108 407 106 394 Total (province) Tableau 2 Évolution du nombre d’écoles par district scolaire, du 30 septembre 1999 au 30 septembre 2009 (MÉNB, 2010, p. 41) District scolaire francophone Sept. 1999 Sept. 2000 Sept. 2001 Sept. 2002 Sept. 2003 Sept. 2004 Sept. 2005 Sept. 2006 Sept. 2007 Sept. 2008 Sept. 2009 DS 01 13 13 13 13 13 13 13 14 15 15 15 DS 03 25 25 25 25 23 23 21 21 20 20 20 DS 05 22 22 22 22 22 22 21 21 21 21 20 DS 09 26 26 25 24 23 23 22 22 22 22 22 DS 11 21 21 21 21 21 21 21 21 20 20 20 Total (francophone) 107 107 106 105 102 102 98 99 98 98 97 Total (province) 352 351 349 342 338 336 330 328 326 326 322 À noter que le programme d‘immersion française en place dans notre système scolaire relève du secteur anglophone du Ministère et se vit dans les écoles anglophones de la province. 13 GDM 2010 – CONFÉRENCES PLÉNIÈRES APERÇU GLOBAL DU DÉVELOPPEMENT DES PROGRAMMES D’ÉTUDES Depuis 1999, les programmes d‘études ont vécu des changements significatifs. Tant au primaire qu‘au secondaire, la mise en œuvre des programmes d‘études actuels a été effectué sur plusieurs années et pas nécessairement dans un ordre logique. Les années indiquées dans le tableau 3 correspondent à l‘entrée en vigueur des programmes au primaire et au secondaire dès la rentrée scolaire de septembre et dont les changements ont été majeurs. Quelques mises à jour ont été faites depuis au secondaire. Tableau 3 Entrée en vigueur des programmes actuels en mathématiques au primaire et au secondaire Niveau scolaire Année de mise en œuvre M 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 2004 1999 1999 2004 2004 2005 2005 1999 1999 2003 2004 2005 2005 Ces programmes, basés sur des résultats d‘apprentissages, couvrent les mêmes domaines mathématiques que les programmes d‘études des autres provinces. Les fondements pédagogiques énoncés dans le cadre théorique se basent sur un enseignement centré sur la résolution de situations-problèmes, ce qui demeure un défi dans la pratique enseignante. Dans la pratique, la culture d‘orienter les activités mathématiques en respect au développement de compétences (défini dans notre cadre théorique par des principes didactiques) demeure également un défi chez nos enseignants. Ces principes didactiques se résument à : Gérer et résoudre des situations-problèmes Raisonner mathématiquement Communiquer mathématiquement Établir des liens Malgré certaines initiatives1 mises en place dans les salles de classe depuis les derniers cinq ans, un renouvellement des programmes au primaire s‘impose. Le désir d‘améliorer davantage la compréhension des attentes, la communication d‘un continuum des apprentissages plus cohérent, le soutien de chaque résultat d‘apprentissage par des directives pédagogiques claires et une rédaction plus uniforme des attentes d‘un niveau scolaire à l‘autre motivent l‘élaboration de ces nouveaux programmes. La mise en œuvre de la maternelle à la 4 e année est prévue à partir de septembre 2011 et à partir de septembre 2012 pour les élèves de la 5 e à la 8e année. Au secondaire, la programmation en mathématiques est basée sur les fondements de l‘école secondaire renouvelée, qui est en vigueur dans nos écoles depuis septembre 2003. Ces fondements se veulent plus intégrantes où chaque élève doit développer son plein potentiel. Cette approche a donc influencé le développement des cours de mathématiques où chaque élève vie le même parcours en mathématiques et, selon ses forces et ses défis, explore certains concepts mathématiques plus en profondeur. Jusqu‘à présent, ce modèle a généré plusieurs défis dont la difficulté de gérer la différentiation des apprentissages. La proposition d‘un nouveau modèle basé sur les passions, les intérêts et les projets de vie-carrière a été développé suite à la recherche d‘autres modèles à l‘échelle canadienne. Ce modèle propose trois différents parcours en mathématiques, où chaque parcours présente des mathématiques et des approches pédagogiques 1 Certaines de ces initiatives sont discutées plus loin dans le texte. 14 Laurie Landry qui sont différentes. La mise en place de ces parcours est prévue pour septembre 2011, ce qui nécessitera le développement de nouveaux programmes d‘études au secondaire. RESSOURCES HUMAINES ET DIDACTIQUES EN MATHÉMATIQUES À l‘échelle provinciale, peu de ressources humaines sont allouées pour l‘accompagnement des enseignants en mathématiques. La province du Nouveau-Brunswick étant divisée en cinq districts scolaires francophones, elle peut compter sur l‘aide d‘une ou d‘un agent pédagogique par district scolaire lié au dossier des mathématiques. La plupart d‘entre eux ont également d‘autres dossiers à gérer, soit une ou plusieurs autres matières, soit d‘autres dossiers pédagogiques. Depuis quelques années, chaque agent pédagogique a pu bénéficier de l‘aide d‘un mentor en numératie, qui a permis de mieux accompagner un plus grand nombre d‘enseignants tant au primaire qu‘au secondaire. L‘accès à ces mentors dépend grandement des priorités et des budgets accordés à certains dossiers à l‘échelle des districts scolaires. Au niveau du Ministère, trois agents pédagogiques provinciaux assurent les liens entre les programmes d‘études, l‘évaluation des apprentissages et les intervenants des districts scolaires. Un agent pédagogique est attitré, entre autres, pour le développement des programmes d‘études au primaire et au secondaire, alors que les deux autres agents pédagogiques sont responsables des évaluations provinciales des apprentissages en mathématiques en 3 e, 5e, 8e et 11e année. Une étroite collaboration entre l‘équipe du Ministère et les agents pédagogiques des districts scolaires a été développée au cours des années, ce qui facilite grandement l‘avancement des mathématiques dans les écoles francophone de la province. À partir de l‘année scolaire 2004-2005, une série de formations a été organisée avec les intervenants des districts scolaires afin d‘offrir un accompagnement soutenu auprès des enseignants de 6e, 7e et 8e année. Sur deux ans, pratiquement tous les enseignants de mathématiques de 6e, 7e et 8e année ont reçu un total de 7 journées de formation. Ces formations visaient à rendre plus pertinentes les interventions en salle de classe et de contrer l‘insécurité vécue par les enseignants face aux mathématiques. Dans les années subséquentes, d‘autres formations basée sur les mêmes orientations ont été livrées aux enseignants de la 4 e et la 5e année sur une période de trois jours (parfois moins selon les districts scolaires). Plus récemment, le mouvement des communautés d‘apprentissages professionnelles (CAP) a pris de l‘ampleur au sein des districts scolaires, permettant aux enseignants de fixer des objectifs SMART en lien avec les défis que vivent leurs élèves en mathématiques. Un des exercices effectués par les enseignants, accompagnés par les intervenants des districts scolaires, consistait à cibler les apprentissages essentiels à prioriser dans les programmes d‘études. Chaque résultat d‘apprentissage spécifique (RAS) a été classifié en étant soit prioritaire, soit complémentaire. Les résultats d‘apprentissage prioritaires dits « essentiels » devaient répondre à certains critères, dont l‘importance d‘être un apprentissage préalable à des apprentissages des années suivantes. Quant aux apprentissages complémentaires dits « intéressants », ils servaient à renforcir la compréhension des RAS essentiels, enrichissant davantage le bagage mathématique de chaque élève. Ce mouvement a donc eu pour effet de questionner les enseignants sur les résultats d‘apprentissage à atteindre dans leur programme d‘études, mieux comprendre la nature des attentes en discutant entre collègues et modifier leur enseignement au besoin. De plus, cet 15 GDM 2010 – CONFÉRENCES PLÉNIÈRES exercice a eu pour effet d‘aligner les représentations des attentes prescrites par les programmes d‘études de mathématiques, principalement au primaire. Au niveau des ressources, les enseignants utilisaient principalement les collections mathématiques disponibles pour les élèves, accompagnés du guide d‘enseignement. Peu de ressources directement liées à la didactique des mathématiques étaient accessibles, encore moins en français. Lors de la parution de la ressource didactique traduite en français « L‘enseignement des mathématiques – l‘élève au centre de ses apprentissages » de John A. Van de Walle et de LouAnn H. Lovin, il a été décidé de fournir une copie par enseignant, de la maternelle à la 8 e année. Cette ressource a été très utile lors des formations car les enseignants étaient en mesure de s‘y référer afin d‘identifier des approches à privilégier pour enseigner les mathématiques. Suite à l‘achat de cette ressource didactique, le besoin de se procurer une ressource qui structure les apprentissages mathématiques sur un continuum, basée sur la recherche en didactique des mathématiques, s‘est fait sentir alors qu‘un modèle similaire est utilisé en littératie. Le besoin d‘offrir aux enseignants une ressource permettant d‘approfondir leurs connaissances mathématiques, tout en proposant des approches didactiques efficaces pour accompagner les élèves dans leurs apprentissages devenait une nécessité pour poursuivre la vision d‘améliorer les apprentissages des élèves. La ressource PRIME développée par Marian Small cadrait bien avec cette orientation et a donc été fournie à tous les enseignants de la maternelle à la 8 e année. La ressource comprend également des outils diagnostiques qui permettent aux enseignants de situer l‘élève dans une échelle de développement (continuum des apprentissages). Des formations sur l‘utilisation de cette ressource ont suivi la livraison du matériel. PLAN STRATÉGIQUE POUR L’AMÉLIORATION DES APPRENTISSAGES ET DES RÉSULTATS EN MATHÉMATIQUES ET EN NUMÉRATIE Suite à un mouvement concerté entre les différents partenaires en éducation pour améliorer le système éducatif dans son ensemble, l‘amélioration des apprentissages et des résultats en mathématiques a alors été définie comme une priorité. Dans le plan Les enfants au premier plan élaboré par le précédent gouvernement, plusieurs cibles ont été fixées pour permettre de « faire de notre système d‘éducation publique le meilleur au Canada » (MÉNB, 2007, p. 8). Plus précisément, en mathématiques, des cibles ont été définies pour permettre à nos élèves de se démarquer à l‘échelle nationale et internationale : 90% des enfants atteignent le niveau prévu en numératie en troisième et en cinquième année; 20% des élèves le dépassent. 85% des élèves de la 6 e à la 12e année atteignent ou dépassent le niveau prévu aux examens provinciaux de littératie, numératie et sciences. Le Nouveau-Brunswick se classe parmi les trois meilleures provinces canadiennes aux évaluations nationales et internationales en lecture, mathématiques et sciences. En réponse à ces attentes, un comité d‘experts œuvrant dans le milieu de l‘éducation et étroitement lié à l‘enseignement des mathématiques a alors été formé en 2009 afin de rédiger un plan d‘amélioration des apprentissages et des résultats en mathématiques et en numératie. Ce groupe a proposé une série de mesures basées sur la recherche et sur des expériences concluantes vécues dans le système scolaire au cours des dernières années. Ces mesures visent à la fois les 16 Laurie Landry élèves, les enseignants, les directions d‘écoles, ainsi que les intervenants des districts scolaires et du Ministère. L‘élaboration du plan stratégique a premièrement été influencée par des recherches en lien avec les facteurs influençant l‘amélioration des apprentissages. Parmi les écrits recensés par le comité, celui de McEwan (2000) a ressorti six principes 2 qui assurent une influence positive des apprentissages et des résultats en mathématiques : Intervenir au niveau des contenus mathématiques. Intervenir sur la coordination et l‘articulation des mathématiques au sein de l‘école. Changer le matériel utilisé pour enseigner les mathématiques. Modifier les approches utilisées pour enseigner les mathématiques. Modifier les attentes et communiquer clairement ces attentes aux élèves. Changer la façon dont on évalue les élèves. Suite à une étude longitudinale, Hattie, Biggs et Purdie (1996) souligne l‘importance de fournir, à chaque élève, une rétroaction sur le progrès de ses apprentissages. De ces principes et lectures, les quatre priorités et axes d‘intervention du Plan d’amélioration des apprentissages et des résultats en mathématiques et numératie, ont été ressorti : Fournir des programmes d‘études répondant aux besoins des élèves et définissant des attentes claires. Fournir les ressources didactiques, pédagogiques et humaines nécessaires à l‘amélioration de la qualité de l‘enseignement. Améliorer la qualité de l‘enseignement des programmes de mathématiques. Soutenir les initiatives gagnantes déjà en place dans les districts scolaires. Les échéanciers ont été définis dans le plan stratégique, mais le début de la mise en œuvre du plan dans son ensemble est toujours en attente au moment de la rédaction de ce texte. Toutefois, certaines de ces initiatives sont déjà en place dans le milieu scolaire; l‘ajout de ces initiatives dans le plan se voulait une façon de les valoriser et d‘assurer la poursuite de ces actions efficaces déjà en place. Fournir des programmes d’études répondant aux besoins des élèves et définissant des attentes claires Tel qu‘expliqué précédemment, l‘amélioration des apprentissages et des résultats en mathématiques passe, entre autres, par une programmation qui est clairement définie, en respect avec la recherche, et qui valorise des approches pédagogiques efficaces centrées sur l‘élève. Le renouvellement des programmes d‘études de mathématiques, tant au primaire qu‘au secondaire, consiste les points majeurs de cette priorité. Au primaire, ces changements seront en lien direct avec les défis mentionnés, dont la nécessité d‘avoir une programmation plus cohérente, présentée à l‘aide d‘un continuum et dont les résultats d‘apprentissages sont accompagnés de directives pédagogiques. Au secondaire, le développement des nouveaux programmes sera en lien avec le nouveau modèle défini pour mieux répondre aux besoins des élèves, c‘est-à-dire en se basant sur les intérêts, les passions et les projets de vie-carrière de chaque élève. 2 Traduction libre des principes présentés par McEwan. 17 GDM 2010 – CONFÉRENCES PLÉNIÈRES Fournir les ressources didactiques, pédagogiques et humaines nécessaires à l’amélioration de la qualité de l’enseignement L‘accès à des ressources didactiques de qualité en mathématiques, en français, a toujours été un défi dans notre système scolaire. Cette initiative permet d‘assurer non seulement l‘achat de ressources matériel mais aussi un accompagnement dans la compréhension didactique derrière ces ressources et leur utilisation en salle de classe auprès de leurs élèves. Fournir à chaque enseignant le matériel dont ils ont besoin constitue l‘essentiel de cette priorité. L‘achat des trousses PRIME, en plus du matériel pour accompagner les suggestions pédagogiques proposées dans ce matériel, la ressource de Van de Walle et Lovin (2007), sans oublier les nouveaux programmes d‘études au primaire, constituent une combinaison qui permet aux enseignants d‘intervenir plus efficacement auprès d‘un plus grand nombre élèves, qu‘ils vivent ou non des difficultés en mathématiques. D‘autres ressources qui sont proposées par ce plan font référence à la technologie qui est de plus en plus présente en salle de classe. Nombreuses sont les classes où la présence de tableaux blancs interactifs n‘est plus une nouveauté, mais où l‘accès à des ressources numériques permettant de maximiser le potentiel pédagogique de ce matériel est déficient. Depuis quelques années, un ordinateur portable est fourni à chaque enseignant, lui permettant de faire ce virage nécessaire, dont s‘adapter à l‘omniprésence des technologies dans notre quotidien et aussi celui des élèves. Le besoin d‘accéder rapidement à des ressources en lien avec les apprentissages prescris dans les programmes d‘études est une demande venant de la part du personnel enseignant depuis un certain temps. Le développement d‘un Carrefour virtuel en mathématiques, regroupant des ressources selon une variété de critères (domaines mathématiques, principes didactiques, etc.), est une solution proposée dans ce plan. Le développement de vidéos pédagogiques contenant des exemples de séquences d‘enseignement axées sur des approches pédagogiques efficaces s‘ajouteraient aux ressources présentes dans ce carrefour. En lien avec la double mission de notre système éducatif, l‘idée de développer des vidéos présentant des gens actifs dans les communautés francophones de la province utilisant des mathématiques à différents niveaux fait partie d‘une stratégie de développement de la construction identitaire de nos jeunes. Ces vidéos présenteraient des entrepreneurs, des artistes ou des gens influents dans la société qui exposeraient quelles mathématiques ils utilisent dans leur domaine d‘expertise, tout en démontrant le rôle que jouent les mathématiques dans leur travail ou leur passion. Ces vidéos seraient accompagnées de scénarios pédagogiques exposant des mises en situations à résoudre, en lien avec les mathématiques présentées. Dans le désir de valoriser davantage les mathématiques chez tous les élèves, ce plan propose la mise en place d‘un concours de mathématiques destiné aux élèves de la 3 e à la 12e année. Un concours, organisé par le Département de mathématiques et de statistique de la Faculté des sciences de l‘Université de Moncton existe déjà pour les élèves de la 7 e à la 9e année, mais mise davantage sur l‘élite en mathématiques. Le concours proposé dans ce plan complémenterait ce concours de l‘Université de Moncton en misant sur le plaisir de faire des mathématiques, tout en étant accessible à tous les élèves. Améliorer la qualité de l’enseignement des programmes de mathématiques Cette initiative est directement liée aux initiatives précédentes, où elle précise des échéanciers pour assurer la livraison de formations en lien avec les nouveaux programmes d‘études et la 18 Laurie Landry ressource PRIME. Des stratégies pour permettre aux enseignants de partager des pratiques pédagogiques gagnantes sont également présentes dans ce plan, que ce soit par le biais d‘un colloque avec un lieu de rencontre précis ou en utilisant les technologies afin de minimiser les coûts. Soutenir les initiatives gagnantes déjà en place dans les districts scolaires À l‘intérieur de chaque district scolaire, les communautés d‘apprentissage professionnelles (CAP) permettent aux enseignants d‘améliorer leurs pratiques pédagogiques, tout en ciblant des mesures efficaces pour remédier à diverses problématiques. Chaque district scolaire offre à son personnel enseignant une structure bien définie dans l‘atteinte d‘objectifs SMART (spécifiques, mesurables, atteignables, réalistes, temporels) identifiés par les équipes collaboratives, en suivant un cycle d‘analyse propre à chaque district scolaire. Ces cycles d‘analyse guident les enseignants vers l‘identification d‘actions ciblées pour répondre à la problématique en jeu, éléments essentiels à l‘atteinte de l‘objectif initial. Pour permettre d‘évaluer les apprentissages chez les élèves, plusieurs projets d‘évaluations communes ont pris forme dans certaines écoles de la province et parfois même à l‘échelle du district scolaire. Des évaluations diagnostiques, formatives et sommatives ont été élaborées en équipe d‘enseignants et administrées aux élèves. La création de ses évaluations a permis aux enseignants de discuter des apprentissages qui sont essentiels pour les élèves et d‘aligner leur représentation des attentes prescrites dans les programmes d‘études. Ce travail a également permis à la fois aux enseignants de mieux connaître les forces et défis de leurs élèves, et d‘intervenir en conséquence, en plus de permettre aux élèves de mieux connaître les attentes visées. Dans l‘analyse de ces résultats, on retrouve habituellement des élèves ayant des difficultés, d‘autres qui nécessitent que quelques interventions ciblées et des élèves qui réussissent bien. Afin d‘intervenir de façon plus stratégique auprès de tous les élèves, une école a expérimenté une approche visant à réorganiser les élèves en différents groupes à quelques occasions. Les groupes d‘intervention permettent donc d‘intervenir auprès de tous les élèves, que ce soit pour les accompagner dans leurs difficultés ou d‘animer des activités d‘enrichissement pour ceux désirant des défis supplémentaires en mathématiques. PISTES DE RECHERCHE FUTURE AU NIVEAU DIDACTIQUE Un défi majeur qui demeure présent dans les écoles francophones au Nouveau-Brunswick en mathématiques est d‘assurer le développement de compétences en mathématiques, surtout dans la compréhension et l‘apport des situations-problèmes au développement de la pensée mathématique chez les élèves. La philosophie énoncée dans le cadre théorique, plus précisément dans les principes didactiques, préconise une approche qui amène les élèves à résoudre des problèmes complexes, qu‘ils puissent « appliquer les processus de modélisation mathématique à des problèmes bien réels. » (MÉNB, 2008, p. 29). À ceci s‘ajoute l‘absence d‘une définition accessible d‘une situation-problème dans les programmes d‘études, d‘où en découle un manque de compréhension et de savoir-faire dans la mise en œuvre d‘une telle approche. De plus, la communication mathématique des élèves dans un contexte francophone minoritaire demeure un défi de taille. Dans un contexte où l‘interprétation des informations présentes dans un problème, la communication du processus utilisé pour résoudre un problème, la communication de sa pensée mathématique et l‘argumentation doit être au cœur des apprentissages de chaque élève, 19 GDM 2010 – CONFÉRENCES PLÉNIÈRES l‘insécurité linguistique que vivent nos élèves dans plusieurs régions francophones de la province demeure un frein vers le développement de cette compétence importante en mathématiques. CONCLUSION Les initiatives en place depuis les dernières années ont permis à nos enseignants d‘améliorer leurs pratiques pédagogiques et de miser davantage sur les apprentissages des élèves. De plus, l‘approche axée sur l‘unique développement de procédures mathématiques commence à faire place peu à peu au développement de compétences, tout en favorisant une approche par la résolution de problèmes. Toutefois, le défi d‘intégrer ces approches en salle de classe demeure présent chez bon nombre d‘enseignants. Le changement des programmes d‘études au primaire et au secondaire, l‘accès à des ressources pédagogiques de qualité, la formation et l‘accompagnement du personnel enseignant sur les approches pédagogiques à préconiser en salle de classe, et la mise en place d‘initiatives valorisant les mathématiques auprès des élèves permettront sûrement à atteindre la cible d‘améliorer les apprentissages et les résultats en mathématiques de nos élèves francophones. RÉFÉRENCES HATTIE, J.A., BIGGS, J., & PURDIE, N. (1996). Effects of learning skills intervention on student learning: A meta-analysis. Review of Research in Education, 66, 99-136. McEWAN, E. (2000). The Principal’s Guide to Raising Math Achievement. Thousand Oaks, California: Corwin Press. MINISTÈRE DE L‘ÉDUCATION DU NOUVEAU-BRUNSWICK. (2009). L’éducation en Acadie au Nouveau-Brunswick : une voie vers l’autosuffisance linguistique et culturelle (Rapport LeBlanc de la Commission sur l’école francophone). Fredericton : Gouvernement du Nouveau-Brunswick. En ligne: http://www.gnb.ca/0000/publications/comm/Rapport%20CEF.pdf MINISTÈRE DE L‘ÉDUCATION DU NOUVEAU-BRUNSWICK. (2003). Le secondaire renouvelé… pour un monde nouveau – Document d’information à l’intention du personnel enseignant. Fredericton : Gouvernement du Nouveau-Brunswick. En ligne: http://www.gnb.ca/0000/publications/servped/Secondaire_Renouvele_Enseignant.pdf MINISTÈRE DE L‘ÉDUCATION DU NOUVEAU-BRUNSWICK. (2007). Les enfants au premier plan. Fredericton : Gouvernement du Nouveau-Brunswick. En ligne: http://www.gnb.ca/0000/publications/4578_rapport.pdf MINISTÈRE DE L‘ÉDUCATION DU NOUVEAU-BRUNSWICK. (2004). Programme d’études en mathématiques 5e année. Fredericton : Gouvernement du Nouveau-Brunswick. MINISTÈRE DE L‘ÉDUCATION DU NOUVEAU-BRUNSWICK. (2008). Programme d’études en mathématiques 10e année. Fredericton : Gouvernement du Nouveau-Brunswick. MINISTÈRE DE L‘ÉDUCATION DU NOUVEAU-BRUNSWICK. (2010). Statistiques sommaires, année scolaire 2009-2010. Fredericton : Gouvernement du Nouveau-Brunswick. En ligne: http://www.gnb.ca/0000/publications/polplan/stat/Statistiquessommaires2009-2010.pdf SMALL, M. (2008). PRIME : Sens des nombres et des opérations. Montréal : Duval Éducation. VAN DE WALLE, J. A. et LOVIN, L. H. (2007). L‘enseignement des mathématiques – L‘élève au centre de son apprentissage (tome 1), Montréal: ERPI. 20 L’émergence de disparités en classe de mathématiques Christine Knipping Acadia University RÉSUMÉ. L‘émergence de disparités en réussite est un phénomène connu en classe de mathématiques. Enseignants et élèves perçoivent ce phénomène, souvent en peu de temps. Dans un projet de recherche international, nous nous intéressons au processus d‘émergence de disparités en classe de mathématiques. Notre cadre théorique se fonde sur Basil Bernstein et nous permet d‘analyser ce phénomène par les pratiques sociales en classe. Dans cette communication, je présente et analyse une leçon de mathématiques dans lequel nous observons des pratiques différentes, favorisant ou décourageant la participation des élèves au discours. En classe, les pratiques sociales deviennent soit un avantage, soit un désavantage pour l‘élève et entraînent l‘émergence de disparités. INTRODUCTION En classe de mathématiques, il est facile d‘identifier les élèves qui ont un bon rendement et ceux pour qui ce n‘est pas le cas. Ceci se produit même dans les classes où des processus de sélection sont utilisés pour former des classes homogènes et dans des contextes où les élèves sont ensemble pour la première fois. Dans le cadre de cette recherche, nous étudions comment cette stratification se produit dans la première semaine d‘école. Nous nous concentrons sur la classe de mathématiques en 1re année après l‘école élémentaire (c‘est-à-dire à l'école secondaire, en 6e ou 7e année), où les élèves et l‘enseignant sont ensemble pour la première fois dans un nouveau contexte. Nous analysons les interactions en classe dans trois pays — au Canada, en Allemagne et en Suède — dont les systèmes scolaires diffèrent en matière de groupement par aptitudes (streaming). Partant d‘une perspective sociologique, nous étudions les interactions qui risquent de créer des disparités en classe de mathématiques. Notre question de recherche principale est la suivante : Quels mécanismes discursifs et interactionnels suscitent la stratification de la réussite scolaire en classe de mathématiques? Dans cet article, nous nous concentrons sur les premières leçons de l‘année scolaire. Bien que les élèves et leur enseignant ne se connaissent pas, une stratification a déjà lieu lors des premières rencontres. REVUE DE LA LITTÉRATURE L‘existence et l‘émergence d‘inégalités en matière d‘éducation en mathématiques ont fait l‘objet de nombreuses études empiriques. La plupart de ces études sont basées sur des théories sociologiques qui supposent qu‘enseigner est une action moins libre qu‘on ne le croyait, mais qui est toutefois restreinte par des éléments structurels qui font en sorte que les actions des élèves et des enseignants soient influencées par des facteurs émanant de l‘extérieur de la classe. Deux perspectives théoriques provenant de la sociologie qui ont été utiles dans la recherche qualitative GDM 2010 – CONFÉRENCES PLÉNIÈRES qui étudie les différences en matière de réussite en mathématiques sont celles de Bourdieu (1991) et de Bernstein (1990). Les études suivantes sont un échantillon d‘études qui illustrent les multiples façons subtiles et indirectes que les écoles produisent (au lieu de reproduire) des identités de classe, un thème sur lequel s‘est penchée la recherche empirique basée sur la théorie sociologique critique au cours des 20 dernières années (Arnot et al., 2003; Arnot, 2002). Par exemple, Teese (2000) identifie des relations quantitatives significatives entre l‘origine socioéconomique des élèves et leur réussite aux examens finaux dans l‘État de Victoria en Australie. Il explique ces relations en utilisant une analyse qualitative dans un cadre théorique basé sur les travaux de Bourdieu (1991, 1992). Il fait valoir que ce potentiel de discrimination est implicite dans un programme qui hausse les exigences cognitives au fil des différents niveaux en mathématiques, en faisant de plus en plus appel aux attitudes et aux comportements scolaires ancrés. Teese remarque que le choix du contenu, l‘importance relative accordée aux différentes tâches, la compression du contenu et le rythme d‘enseignement se basent tous sur l‘idée implicite de l‘élève idéal, c'est-à-dire « le jeune érudit-intellectuel » (« the young scholar-intellectual », Teese, 2000, p. 4). La recherche de Zevenbergen (2001, 2003) révèle que l‘habitus linguistique des étudiantes et élèves provenant de la classe moyenne en Australie prend la forme de capital culturel, car à l‘école — du moins sur le plan discursif — les pratiques discursives sont similaires aux pratiques courantes au sein des familles de la classe moyenne. Cooper et Dunne (1999) examinent comment les élèves issus de différents milieux socioéconomiques réagissent aux problèmes à énoncé écrit (‗word problems‘) et aux problèmes liés au contexte (‗context problems‘). Ils ont analysé de grands ensembles de données des tests Key Stage 2 qui s‘adressent aux élèves âgés de 10 ans en Angleterre. L‘étude documente que les élèves provenant de familles dans lesquelles les parents font un travail manuel ou physique atteignent un niveau de réussite significativement inférieur. Cooper et Dunne utilisent les travaux de Bourdieu (1990, 1992) et le cadre de Bernstein (1990, 1996) pour expliquer leurs résultats. Les chercheurs observant que ces élèves ont tendance à mal interpréter les problèmes et à les résoudre en se basant sur leurs savoirs quotidiens, ce qui signifie que leurs compétences mathématiques sont systématiquement sous-estimées dans les tests. Boaler (2000) analyse des entrevues effectuées avec des élèves de 9e année provenant de groupes de différents niveaux de réussite scolaire. Grâce à ces analyses, elle montre que ce n‘est pas seulement la différence entre le discours quotidien et le discours mathématique qui fait en sorte que les élèves trouvent difficile de donner un sens aux tâches mathématiques. En fait, les élèves à Londres se sentent déconnectés dans les classes démographiquement hétérogènes. Ces études sont importantes pour notre recherche puisqu‘elles tentent d‘identifier les mécanismes qui expliquent s‘il est possible de trouver des éléments structurels dans les interactions en classe et comment ces éléments se manifestent. Il y a également de la recherche qui ne se concentre pas sur l‘enseignement des mathématiques, mais qui est toutefois pertinente pour notre étude, car les interactions en classe sont analysées d‘une perspective basée sur la théorie sociologique. Morais et Miranda (1996) étudient si les élèves connaissent les critères d‘évaluation formative et sommative utilisés par leurs enseignants, et s‘ils sont en mesure de les utiliser pour évaluer les solutions émises par leurs pairs, dans un contexte d‘enseignement des sciences en 5 e année au Portugal. En utilisant un cadre théorique basé sur le travail de Bernstein, ces auteurs observent 22 Christine Knipping des liens entre la réussite des élèves et l‘origine familiale et sociale, les attentes des enseignants, et le degré d‘explicité de critères d‘évaluation en classe (voir aussi Morais et Antunes, 1994). Bourne (1992, 2003) étudie les écoles urbaines en Grande-Bretagne où les élèves possédant peu de scolarité et issus de milieux sociaux désavantagés réussissent mieux que les élèves au profil similaire dans d'autres écoles. Bourne se sert des concepts du discours « vertical » et « horizontal » de Bernstein pour montrer de quelle manière l‘enseignant réussit à obtenir une distribution normale de la réussite. À cette fin, il effectue des micro-analyses du discours d‘élèves bilingues lors de cours d‘anglais dans une école élémentaire. Elle démontre comment l‘enseignant atteint ce but en attribuant aux élèves des « talents naturels » lors des interactions verbales et non verbales. Le concept du discours vertical et horizontal de Bernstein fait partie d‘un cadre théorique qui est également fondamental à notre recherche et à nos analyses des interactions en classe. Je présente et discute les éléments de ce cadre théorique dans la section suivante. CADRE THÉORIQUE Bernstein s‘intéresse à l‘explicitation « de la logique interne du discours pédagogique et de ses pratiques » (Bernstein, 2007, p. 26). Plus particulièrement, il tente de développer un cadre théorique qui fait « l‘analyse interne de la structure du discours lui-même. Or, c‘est la structure du discours, la logique de ce discours, qui fournissent les moyens par lesquels il peut véhiculer les relations externes de pouvoir » (p. 26). Bernstein voit le discours comme étant le produit d‘un réseau complexe de relations sociales qui établit et maintient les relations de pouvoir. Bourne explique que le discours n‘est pas la parole (ou du « texte ») produite lors d‘interactions : « Pour Bernstein, le discours est essentiellement un moyen important par lequel l‘ordre social dominant (dans lequel il s‘inscrit et qu‘il produit) est géré. Les discours situent les sujets en « classifiant » leur statut (ex. : les enseignants et les élèves) et déterminant ainsi comment ils peuvent participer de façon légitime aux pratiques sociales produites et reproduites par les discours. [Notre traduction] » (Bourne, 1992, p. 231) La théorie du discours pédagogique émise par Bernstein se penche sur la production, la distribution et la reproduction du savoir et comment ce savoir est lié aux relations de pouvoir d‘origine structurelle. Selon lui, les discours du savoir, que les enfants apprennent, reflètent ces structures de contrôle social. Discours horizontal et vertical Une préoccupation importante dans les dernières œuvres de Bernstein (ex. : 1999, voir 2007 pour la traduction vers le français) est la structure du discours lié aux différents pouvoirs sociaux et la position des individus d‘origines sociales différentes à l‘intérieur de ces discours. Bernstein classe le discours dans la catégorie de dichotomie structurelle : le discours horizontal par opposition au discours vertical. « Nous avons tous conscience, et nous l‘utilisons tous, d‘une forme de savoir du type quotidien ou de ―sens commun‖ [discours horizontal]. […] elle est le plus souvent orale, locale, spécifique 23 GDM 2010 – CONFÉRENCES PLÉNIÈRES et dépendante du contexte, tacite, à niveaux multiples, contradictoire entre les contextes, mais pas à l‘intérieur d‘un contexte donné. » (p. 229–230) « En bref, un discours vertical prend la forme d‘une structure cohérente, explicite et possédant systématiquement des principes; structure organisée hiérarchiquement comme en sciences, ou bien prenant la forme d‘une série de langages spécialisés […] comme dans les sciences sociales et les humanités. » (p. 230) Puisque nous sommes tous familiers avec la structure du discours quotidien, c‘est-à-dire du discours horizontal, il est généralement connu sous le nom de discours « naturel ». Par conséquent, tandis que les écoles pourraient choisir d‘utiliser un discours horizontal (quotidien) pour établir une relation de sympathie avec le vécu familial des élèves, le savoir scolaire, dans son ensemble, est plutôt structuré selon un discours vertical. Dans la tradition de Bernstein, plusieurs chercheurs soulignent que le discours vertical est le discours dominant dans la culture et la scolarisation occidentales (ex. : Bourne, 2003; Hasan, 2001; Martin, 2007). « Les discours scolaires laissent peu de place pour la négociation en classe, ni pour les enseignants ni pour les élèves, car ils sont axés sur l‘atteinte des objectifs, centrés sur le programme, séquentiels et hiérarchiques, et orientés vers des buts fixés par la société. Cette caractéristique essentielle peut être soit « cachée » de la vue des participants ou de quelques participants soit clarifiée ou rendue explicite pour que tous puissent la comprendre [notre traduction]. » (Bourne, 2003, p. 500) Hasan montre dans ses études qu‘alors que le discours horizontal est fréquemment le seul discours dans les familles d‘enfants de classe ouvrière, les enfants de classe moyenne rencontrent souvent des dimensions du discours vertical et sont ainsi plus susceptibles de s‘orienter vers elles (Hasan, 2001). Dans ses travaux de recherche, Hasan approfondit les idées trouvées dans les premières œuvres de Bernstein (1962, 1971) et démontre la pertinence des codes sociolinguistiques dans les interactions de la pratique pédagogique. Depuis le milieu des années 1990 (2007), Bernstein étend sa compréhension du code pédagogique et décrit l‘apprentissage comme étant l‘expérience des frontières. Le cadre qu‘il utilise pour catégoriser les différents domaines du savoir, ou de ce qui est enseigné, est fondamental dans le contexte scolaire. La classification, comme il l‘appelle, est soit forte soit faible. Une classification forte indique la présence de frontières bien cloisonnées entre les matières et les contenus disciplinaires. Par exemple, un programme de mathématiques traditionnel garde ses frontières bien délimitées, en laissant peu de place aux liens avec d‘autres disciplines. La forme verticale du discours est évidente dans cette pédagogie. Toutefois, un programme de mathématiques par projet contient des frontières faibles, car l‘enseignement des mathématiques est intégré aux autres matières scolaires ou aux activités à l‘extérieur de l‘école. Ceci signifie que le savoir quotidien et les savoirs disciplinaires sont moins isolés les uns des autres. Ce discours paraît plus informel et les gens semblent mieux le connaître. Par contre, un programme de mathématiques qui contient des frontières faibles ne fait tout de même pas partie d‘un discours horizontal. Comme mentionné ci-dessus, les discours scolaires ont des objectifs centrés sur le programme, sont séquentiels et hiérarchiques, et s‘inscrivent dans un discours vertical. Le concept du discours vertical et du discours horizontal expliquent pourquoi l‘affaiblissement des frontières peut cacher cette rigidité du savoir scolaire, contribuant ainsi à l‘émergence de disparités. 24 Christine Knipping Bernstein révèle que l‘accès au code pédagogique est essentiel au succès et à l‘expérience scolaire des élèves (Bernstein, 2007). D‘autres concepts, que je présenterai ci-dessous, permettent à Bernstein de décrire et de comprendre ces mécanismes de reproduction sociale à l‘école, et ce que cela signifie pour les élèves issus de familles provenant de différents milieux socioéconomiques. Les règles de reconnaissance et de réalisation Pour Bernstein (2007), les règles de reconnaissance permettent de comprendre que la classification du savoir est essentielle : c'est-à-dire que le fait de reconnaître ce que quelque chose est censé être, est la clé pour décrypter le code pédagogique. Par exemple, comprendre les tables de valeurs et ce qu‘elles représentent en classe de mathématiques est capital pour que les élèves puissent donner des solutions adéquates aux questions portant sur les tables (voir également la section 5). Comme mentionné ci-dessus, selon Bernstein, les élèves n‘ont pas tous le même accès à ce code. « Certaines distributions de pouvoir donnent naissance à des distributions sociales différentes des règles de reconnaissance et, sans celles-ci, la communication, légitime dans un contexte donné, n‘est pas possible. À un niveau plus concret, il se peut que des enfants de classes défavorisées soient silencieux à l‘école en raison de la distribution inégale des règles de reconnaissance. » (Bernstein, 2007, p. 44) Si les règles de reconnaissance demeurent implicites, les élèves qui ne les possèdent pas déjà éprouveront de la difficulté à participer activement dans les conversations en classe. Même si les élèves sont en mesure de reconnaître ce que quelque chose est censé être, comme une table dans un contexte mathématique, il risque d‘être impossible pour un élève de fournir une réponse explicite et cohérente qui révèle les principes mathématiques sous-jacents d‘une table. Dans la terminologie de Bernstein, ces élèves ne possèderaient pas les règles de réalisation nécessaires pour produire une réponse légitime. « La règle de reconnaissance permet, essentiellement, de réunir les réalisations appropriées. La règle de réalisation détermine comment nous assemblons des significations et comment nous les rendons publiques. […] La règle de réalisation est nécessaire à la production du texte légitime. […] Beaucoup d‘enfants des classes défavorisées possèdent sans doute une règle de reconnaissance. Ils peuvent reconnaître des relations de pouvoir dans lesquelles ils sont impliqués, et leur position dans ces relations, mais ils ne possèdent pas toujours la règle de réalisation. S‘ils n‘en disposent pas, ils ne peuvent pas formuler le texte légitime attendu. À l‘école, ces enfants n‘auront pas acquis le code pédagogique légitime, mais ils auront acquis leur place dans le système de classification. Pour ces enfants, l‘expérience de l‘école est essentiellement une expérience du système de classification et de leur place dans ce système. » (Bernstein, 2007, p. 45) En enseignement des mathématiques, les règles de reconnaissance et de réalisation sont particulièrement importantes puisqu‘elles régissent la légitimité du savoir quotidien, du sens commun et le parler familier dans les interactions en classe. Comme mentionné ci-dessus, les frontières faibles ou fortes établissent cette relation avec le savoir quotidien et, par conséquent, la contribution des élèves en classe peut paraître plus ou moins appropriée. Dans cet article, je décris comment ces concepts nous permettent de décrire les pratiques d‘enseignement qui 25 GDM 2010 – CONFÉRENCES PLÉNIÈRES favorise l‘émergence de disparités en classe de mathématiques. Je l‘illustre avec un exemple tiré de ma recherche. MÉTHODOLOGIE La littérature scientifique et nos perspectives théoriques appuient l‘hypothèse voulant que les disparités en matière de réussite, telles que perçues par les enseignants et les élèves peuvent être attribuées aux facteurs sociaux externes ainsi qu‘aux dynamiques sociales internes en salle de classe. Lorsque nous avons développé notre méthodologie et conçu les études dont ce programme de recherche est composé, nous avons tenté d‘examiner la stratification de la réussite de plusieurs manières de façon à cerner les dynamiques internes en classe et les facteurs externes. En premier lieu, la collecte de données s‘est effectuée dans des lieux dont les contextes diffèrent : des écoles urbaines à recrutement sélectif en Allemagne et des écoles publiques en milieu rural au Canada (Nouvelle-Écosse). En Allemagne, les écoles font un recrutement sélectif à partir de la 5e ou de la 7e année. À ce niveau, le choix des élèves (ou celui de leurs parents ou de leurs enseignants) de l‘école secondaire, et leur admissibilité les orientent vers différents avenirs scolaires et opportunités professionnelles. Certains (environ 40 % en milieu urbain) vont au Gymnasium (la plus prestigieuse école, dont la réussite de l‘examen final Abitur est exigée pour entrer à l‘université), d‘autres au Realschule et au Gesamtschule, et d‘autres encore au Hauptschule (cette dernière étant la moins prestigieuse des écoles, une sorte d‘école de formation aux métiers). En revanche, en Nouvelle-Écosse l‘approche inclusive fait partie de la politique officielle des écoles publiques, au moins jusqu‘en 10e année. C‘est à ce moment que commence le processus de groupement par aptitudes en mathématiques et en sciences. Il n‘y a pas de processus de sélection lorsque les élèves passent du primaire à l‘école intermédiaire (middle school) ou au premier cycle du secondaire (junior high school) en 6e ou 7e année. À cette étape, les élèves provenant de plusieurs écoles nourricières (feeder schools) sont placés ensemble dans de nouvelles classes. La principale exception à cette approche inclusive est l‘existence du régime d‘immersion en français dans certaines écoles. Celles-ci procèdent à un recrutement sélectif. Dans le cadre de notre recherche, nous avons incorporé les classes de mathématiques au Gymnasium et au Hauptschule en Allemagne ainsi que les classes d‘immersion en français et non français au Canada. En deuxième lieu, les méthodes utilisées pour construire les données concernent principalement la stratification de la réussite au moyen des interactions en classe et d‘une perspective extérieure qui se sert de facteurs sociologiques. Il est important d‘étudier la stratification de la réussite de l‘intérieur de la classe, car c‘est dans ce cadre que les enseignants et les élèves construisent leur connaissance des différences qui existent entre les élèves. Pour suivre les interactions en classe, des enregistrements vidéo sont réalisés au début de l‘année scolaire et se poursuivent sur une période de six semaines. De plus, des copies des travaux remis à l‘enseignant ou notés et rendus à l‘élève sont rassemblées, puisque de tels documents s‘inscrivent dans l‘interaction communicative en classe. Les enseignants sont interrogés deux fois : au début de l‘année scolaire et à la fin des observations en classe. L‘entretien initial traite des attentes des enseignants au sujet du nouveau groupe et de leurs expériences de classe en matière de diversité. Le dernier entretien se penche sur le point de vue émergent des enseignants en ce qui a trait aux élèves en classe. Des groupes d‘environ six élèves sont également interrogés à partir de la cinquième semaine 26 Christine Knipping d‘observation. Ces entretiens mettent en évidence la manière dont les élèves perçoivent et expliquent la diversité sur le plan de la réussite en mathématiques en classe. Pour recueillir les données d‘une perspective extérieure, les élèves ont rempli un questionnaire contenant des renseignements d‘ordre général (ex. : indicateurs socio-économiques et ressources pédagogiques à la maison) qui, dans le cadre d‘études à grande échelle (ex. : TIMSS et PISA), présentent une corrélation avec la réussite en mathématiques. Des entretiens individuels sont menés au besoin pour obtenir des données plus détaillées ou pour expliquer les données erronées. En troisième lieu, l‘analyse des données est effectuée selon une « analyse d‘incidents critiques » (Kroon et Sturm, 2000; Wilcox, 1980; Erickson, 1986). « L‘analyse d‘incidents critiques est essentielle dans la mesure où elle représente des exemples concrets du fonctionnement de certains principes abstraits de l‘organisation sociale [notre traduction] » (Wilcox, 1980, p. 9). Cette méthode vise le développement d‘études de cas comparatives qui utilise une perspective empirique et interprétative. L‘analyse des données est réalisée selon une approche interprétative théorique qui examine les mécanismes d‘interactions par lesquelles les éléments structurels des inégalités sociales sont produits en classe (Mehan 1992). EXEMPLE EMPIRIQUE - LE CAS DE M. WHITE Dans cette section, je présente les données tirées des premières rencontres d‘une classe de 6 e année en Nouvelle-Écosse. Les élèves proviennent de deux écoles élémentaires dans la région. Certains d‘entre eux ont déjà été dans la même classe au primaire, mais ceux-ci ne sont pas nombreux. D‘autres se connaissent parce qu‘ils fréquentaient la même école élémentaire, mais pour plusieurs d‘entre eux c‘est la première fois qu‘ils se rencontrent. L‘enseignant, monsieur White, a rencontré quelques élèves lors d‘une journée d‘orientation organisée par l‘école secondaire (junior high school) où il travaille, au mois de juin. Il a possiblement eu l‘occasion de jeter un coup d‘œil sur les bulletins des élèves, mais sa « philosophie » personnelle veut qu‘il n‘ait aucune « idée préconçue » des élèves, comme il le révèle au cours des entretiens. En ce qui a trait à ce qui suit, nous ne prétendons pas que l‘émergence de disparités en classe soit le résultat d‘un acte intentionnel. Nous abondons plutôt dans le sens de Bourne, qui écrit : « Il est important de bien comprendre que je ne prête aucune intention consciente aux enseignants, dans leur rôle d‘agents au sein d‘une vaste conspiration pour le maintien du statu quo pour ce qui en est des relations de pouvoir. Il ne s'agit pas non plus que l‘éducation réprime les personnes ou qu'elles sont triées machinalement et regroupées en catégories à l'intérieur desquelles ces personnes agissent de façon passive. Quant aux théories du pouvoir élaborées par Foucault, Sheridan (1980) explique que dans le cadre des institutions et les pratiques de socialisation ―les forces associées au corps sont formées et développées dans le but de les rendre productives‖ [notre traduction]. » (Bourne 1992, p. 219) « Le pouvoir produit au lieu de simplement reproduire [notre traduction]. » (Bourne 1992, p. 233) Selon nous, il est essentiel de garder ceci à l‘esprit lorsque nous observons les pratiques de classe telles que décrites dans les sections suivantes. 27 GDM 2010 – CONFÉRENCES PLÉNIÈRES La rentrée scolaire avec monsieur White Au cours des premiers jours de l‘année scolaire, monsieur White passe beaucoup de temps à organiser les fournitures scolaires, à donner des renseignements au sujet des horaires individuels d‘élèves, à fournir d‘autres informations scolaires connexes et à préparer ses cours de façon générale. Monsieur White souligne les règles explicites de l‘ordre social; par exemple, il explique aux élèves comment organiser leurs cahiers et il insiste sur la nécessité d‘être attentif. L‘accent est mis sur l‘établissement des normes sociales, par l‘entremise de ce que Bernstein appelle un « discours régulateur ». Dans les premières rencontres du cours de mathématiques, les élèves subissent plusieurs tests préliminaires sur les opérations de base (addition, soustraction, multiplication et division) et la connaissance des tables de calcul mental. Les élèves font ces tests de façon individuelle pendant la classe, mais ne les discutent pas en classe. De plus, ceux-ci ne sont pas rendus aux élèves. Préalablement, l‘enseignant les informe que le résultat n‘apparaîtra pas sur leur bulletin. Toutefois, l‘enseignant les considère comme un instrument de diagnostic important (révélé lors du premier entretien), qu‘il utilise environ trois semaines après la rentrée : M. White : J‘ai déjà pas mal une bonne idée de qui éprouvera plus de difficulté que les autres, qui eux auront moins de difficulté et qui apprendront des concepts assez facilement. Je comprends déjà assez bien. Et une partie de ça vient des tests préliminaires, tous ces pré-tests que j‘ai réalisés. Une partie de ça, après les pré-tests, quand j‘aborde d‘autres sujets. Bien que ces tests contribuent sans aucun doute aux perceptions que monsieur White a de ses élèves, notre intention n‘est pas d‘analyser leur contribution à la stratification des élèves dans sa classe. Nous souhaitons plutôt attirer l‘attention sur les dynamiques discursives et interactives dans le contexte de « conversations publiques » (ex. : les discussions en grand groupe). Ainsi, la sixième rencontre du cours de mathématiques est décrite en détail, car c‘est la première fois que des discussions en grand groupe ont lieu dans cette classe et que les règles de bases sont expliquées. Puisque les tests préliminaires occupent les cinq premières classes, celle-ci est la première de l‘année dans laquelle du contenu est transmis. Les tables de valeurs sont discutées en classe de mathématiques Le discours dans cette classe se divise en cinq étapes : Remplir les cases vides, Trouver une régularité, Comparer les côtés, Reformuler et De retour à l‘arithmétique simple. Combler les trous Dans la classe précédente, les élèves ont étudié une table de valeurs dans leur manuel (voir Figure 1) qu‘ils ont ensuite reproduite dans leur cahier. Comme devoir, ils devaient « remplir les cases vides (marquées par les points d‘interrogation) ». Monsieur White a commenté : « Si vous pouvez remplir ces cases, vous êtes sur la bonne voie pour comprendre les tables de valeurs. Je me demande combien parmi vous allez réussir cet exercice. L‘enseignant ne mentionne pas que le manuel fait allusion à un contexte établissant un lien entre l‘année scolaire de Kevin et l‘âge d‘Alice. Au début de la classe, monsieur White place les élèves en groupes de quatre, généralement deux garçons et deux filles. Il décide qui travaille avec qui, mais permet à ceux qui sont assis côte à côte de rester ensemble. Les élèves doivent nommer un responsable qui les aidera à ne pas s‘écarter du sujet. 28 Christine Knipping L’année scolaire de Kevin L’âge d’Alice 6 4 7 5 8 6 9 7 ? ? ? ? ? ? Kevin utilise une régularité. Il prédit l’âge de sa sœur à chacune de ses années scolaires. [Notre traduction] Figure 1 : Table de valeurs et texte tirés du manuel scolaire Mathquest 2000, p. 8 Kevin 6 7 8 9 Alice 4 5 6 7 Figure 2 : La table de valeurs telle que reproduite par l‘enseignant sur le tableau. Après avoir présenté les règles du travail de groupe, l‘enseignant demande aux élèves de partager avec les membres de leur petit groupe les réponses qu‘ils ont trouvées à l‘exercice. 34 M. White : Et quelles sont vos réponses et comment les avez-vous trouvées? --- Voici les trois questions de nouveau. Écoutez bien. Quelles sont vos trois réponses? Comment les avezvous trouvées? --- Et, bien sûr, est-ce que vos réponses sont pareilles pour tout le monde du groupe? Alors, les deux plus importantes : quelles sont vos trois réponses et comment les avezvous trouvées? Alors, vous devez vérifier ça, vous devez en discuter, parce que je vais demander à quelqu‘un de se porter volontaire pour nous dire comment vous avez réussi à trouver les réponses. Vous comprenez? Vous pouvez commencer à partager les réponses et comment vous les avez trouvées, commencez. Non seulement les élèves doivent comparer leurs « réponses », ils doivent également expliquer « comment ils les ont trouvées ». Bien que monsieur White donne l‘impression de répéter les trois questions aux élèves, juste les deux premières (formuler et comparer les réponses) ont été mentionnées auparavant. Expliquer comment ils ont trouvé leurs réponses, qu‘il souligne comme étant important à ce moment, n‘a pas encore été mentionné. Ceci marque le commencement du passage de l‘étape « Remplir les cases vides » à celle de « Trouver une régularité ». Après que les élèves ont travaillé en groupe pendant deux minutes et demie, monsieur White attire leur attention vers lui. Il demande que quelqu‘un se porte volontaire pour combler les trous dans la table de valeurs qu‘il a reproduite sur le tableau (voir Figure 2). Veuillez noter que cette reproduction est une « version abrégée » de la table de valeurs, comme l‘appelle l‘enseignant. Il ne renvoie au contexte que par l‘entête « Kevin/Alice ». Alice se porte volontaire. Elle va au tableau et insère les nombres manquants dans la table de valeurs. Elle se présente seule en avant, même si l‘enseignant permet aux élèves « d‘amener un GDM 2010 – CONFÉRENCES PLÉNIÈRES membre de leur groupe ». Elle n‘est pas responsable du groupe, mais se porte volontaire de façon autonome. Personne ne fait de remarques sur ses résultats, alors l‘enseignant poursuit. Avant et pendant qu‘Alice écrit au tableau, les autres élèves en classe sont attentifs; ils participent au travail de groupe et regardent ce qu‘Alice écrit. Dès qu‘Alice a terminé, certains élèves deviennent distraits; ils ne sont plus aussi attentifs à l‘échange qui suit. Trouver une régularité M. White demande maintenant aux élèves : 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 M. White : Est-ce qu‘il y a quelqu‘un de son groupe, en plus d‘Alice, qui peut nous dire comment ces nombres vont-ils ensemble? Qu‘avez-vous fait? [il attend] [Max lève la main.] M. White : D‘accord. Max : J‘ai ajouté un, chaque fois. M. White : De quel côté parles-tu? Du côté gauche ou du côté droit? Nick : Des deux côtés. Max : N‘importe lequel ou les deux. Parce que Kevin, une année il est en sixième et Alice a quatre ans. Alors l‘année d‘après, il va être en septième année et elle aura cinq ans. Alors on ajoute un de chaque côté. M. White : Autrement dit, tu ajoutes vers le bas, en ajoutant un. Est-ce que c‘est ça que tu veux dire? Si tu commences, si tu commences ici tu n‘ajouterais qu‘un pour avoir dix. Max : Oui. M. White : Tu n‘ajoutes qu‘un pour avoir onze. Tu n‘ajoutes qu‘un pour avoir douze? C‘est ça que tu as fait? Max : Oui. L‘attention est maintenant sur la procédure. La question que monsieur White pose, « … comment ces nombres vont-ils ensemble? » (58) laisse entrevoir que pour comprendre, il est nécessaire de faire plus que combler les trous. Les nombres et leur structure sont ce qui intéresse l'enseignant désormais. Max explique non seulement comment il a comblé les trous, mais également sa perception de comment « les nombres fonctionnent ensemble ». La question que pose monsieur White, « De quel côté parlons-nous : du côté gauche ou du côté droit? » (62), met l‘accent sur les deux colonnes de la table. Il est possible que ceci annonce que nous passerons bientôt à la relation qui se trouve entre la colonne de gauche et la colonne de droite. Les réponses d‘Éric et de Max montrent qu‘ils sont conscients des deux endroits (la colonne de gauche et la colonne de droite) où l‘on peut observer une régularité. Les explications contextuelles de Max Max fournit ensuite une explication (64), renvoyant au contexte indiqué dans le manuel. Il mentionne donc l‘année scolaire de Kevin et l‘âge d‘Alice, donnant une raison pour la structure propre à chaque colonne. La raison que Max fournit est contextuelle, ce que Bernstein (2007, p. 60) appelle « banal ou ordinaire ». Lorsque monsieur White fait semblant de reformuler l‘énoncé de Max, « Alors, en d‘autres mots… » (65), l‘enseignant omet la raison et la référence 30 Christine Knipping contextuelle que Max a mentionnées, et donne un exemple. En pointant au numéro 9, situé dans la colonne de gauche, monsieur White explique : « … si vous commencez ici, vous n‘avez qu‘à ajouter un pour vous rendre à dix » (65). Max ne semble pas dérangé par le fait que l‘enseignant ne réagit pas à ses raisons et confirme, en disant « oui » (66), que c‘est en gros ce qu‘il avait en tête. La conversation entre les deux se poursuit. L‘enseignant met maintenant l‘accent sur le côté droit de la table (69). 69 70 71 72 73 74 75 M. White : Alors, qu‘avez-vous fait ici? Max : La même chose. J‘ai mis sept parce que je savais qu‘elle avait deux M. White : Celui-ci? Max : Oui. M. White : Oui. Max : Parce que je savais qu‘elle avait deux ans de moins que l‘âge scolaire dans lequel se trouve Kevin. J‘ai simplement ajouté un [sur les nombres?] à partir de là. Max explique qu‘il a fait « la même chose » (70) du côté droit de la table. Il décrit aussi la relation entre les deux colonnes, en formulant son explication encore une fois de façon à renvoyer au contexte indiqué (74). Comparer les côtés M. White ne fait aucun commentaire sur le fait que Max identifie la relation entre les colonnes. Il soulève plutôt le sujet en le présentant comme une nouvelle question qu‘il pose à la classe entière. 75.1 75.2 75.3 75.4 76 77 78.1 78.2 79 80 81 82 M. White : J‘ai une question. La réponse peut provenir de n‘importe quel groupe. Vous pouvez regarder la table de valeurs ici ou celle que vous avez créée dans votre cahier. Est-ce que quelqu‘un peut deviner ou me dire la relation entre le côté gauche de cette table de valeurs et le côté droit de la table? [Max est le seul à lever la main.] M. White : OK. Max : La différence entre les nombres, il y a une différence de deux pour chaque nombre. M. White : Une différence de deux. Que veux-tu dire par différence? Max : Oui, un en a deux de plus. M. White : Alors, en d‘autres mots, celui-ci en a deux de plus. Max : Oui. Il est intéressant de noter que le langage utilisé par Max change ici. En premier, il décrit la relation en termes relevant du contexte (74) et puis en faisant référence à la « différence » entre les deux nombres (78). Finalement, Max décrit la relation en précisant non seulement la différence, mais également quel nombre est plus grand (80). Dans cette interaction, l‘élève démontre qu‘il est à l‘aise de passer d‘une explication contextuelle (qu‘il a fournie avant) à une explication mathématique (que l‘enseignant semble vouloir entendre). 31 GDM 2010 – CONFÉRENCES PLÉNIÈRES Cependant, aucune de ces formulations ne semble satisfaire les attentes de monsieur White, puisqu‘il reformule la question : 83 M. White : J‘ai une question. Comment passez-vous de ce nombre à celui-ci? Vous souvenez-vous que vous avez dit qu‘on doit ajouter vers le bas ou que vous avez ajouté vers le bas? Comment passer de ce côté si vous regardiez ces nombres, et si vous dites qu‘on dirait qu‘ils, qu‘ils vont ensemble d‘une certaine façon? Comment passer de ce côté à celui-ci? L‘enseignant efface les nombres 8, 9 et 10 du côté droit de la table et demande plus spécifiquement quelle est la relation entre 6 et 4, 7 et 5, et 9 et 7. Cette fois, plusieurs élèves lèvent la main pour donner une réponse. Par exemple, Éric y voit une structure. 104 105.1 105.2 105.3 105.4 105.5 106 107.1 107.2 107.3 108 109 110 Éric : Vous avez soustrait deux, chaque fois. M. White : Quelqu‘un dit qu‘on soustrait deux, chaque fois. Supposons que nous donnions une lettre à chacun de ces nombres. Supposons que chaque nombre représente X, alors quand on souhaite insérer un nombre, on remplace X par un nombre. Et si on dit « qui donne un nombre », [cloche] bon! Larry : Ça, c‘est la cloche de 10 h 15 du deuxième cycle. M. White : Est-ce que quelqu‘un d‘autre, quelqu‘un d‘autre peut deviner ce qu‘on peut mettre ici comme petite mini-équation? Pour finir de combler les trous? [M. White pointe vers Éric.] Qu‘est-ce qu‘il vient de dire? Qu‘est-ce qu‘il a dit qu‘on doit faire? Plusieurs élèves : Soustraire deux. M. White : Insérons-le. Soustraire deux donne le nombre. [M. White écrit au tableau : X-2=N.] Ici, on observe le passage d‘une description de la relation fonctionnelle entre les deux côtés en utilisant des mots (104) à une représentation symbolique. De retour à « l’arithmétique simple » M. White insiste ensuite sur la valeur générale de l‘exemple tiré de la table de valeurs et tente de montrer aux élèves les avantages de l‘algèbre : 112.1 112.2 112.3 112.4 112.5 112.6 112.7 113 114 32 M. White : Maintenant, voyons si on peut le faire fonctionner. Parce que, devinez quoi, plusieurs tables de valeurs ont une structure comme celle-ci, où on peut insérer une petite mini-équation. Si vous comprenez ça ici, vous comprendrez la plupart de ce qui se passe dans le reste des tables de valeurs. Regardez cette petite équation ici? Ça devient un peu plus difficile, mais ça fonctionne de la même façon, grosso modo. Alors, voyons si on peut – vous montrer comment ça fonctionne. Si on dit que X moins deux donne le nombre qu‘on veut, qui est ici. Si on dit que six moins deux ça donne... Élève : Quatre. M. White : Quatre. Alors, tout d‘un coup, on est en train de faire de l‘arithmétique simple. Christine Knipping À tour de rôle, l‘enseignant et plusieurs élèves examinent d‘autres exemples, dont il écrit quelques-uns au tableau. À la fin, monsieur White résume la conversation : 141 M. White : Alors, maintenant nous avons deux façons. Au début, nous n‘avons qu‘à ajouter ‗un‘ vers le bas et nous avons juste ajouté ‗un‘ vers le bas. Alors, maintenant je vous ai montré une autre façon. Devinez quoi? Vous venez juste de voir que des fois dans les maths il y a plus qu‘une façon d‘obtenir une solution ou une réponse. Essayez de vous en souvenir. Il est possible que je puisse résoudre ces maths avec plus d‘une façon. Alors, comment Max le fait peut être différent de comment Alice le fait, mais il est possible qu‘ils arrivent à la même solution. Et ceci n‘est que le début de ce que vous allez voir. Quels sont les principes qui sous-tendent le discours instructeur et régulateur dans la classe de monsieur White et de quelle manière pourraient-ils contribuer à l‘émergence de disparités en classe de mathématiques lors des premières semaines d‘école? La première leçon sur les tables de valeurs offre non seulement un aperçu de ce qui est attendu des élèves lorsqu‘ils « décodent » les tables de valeurs, mais aussi comment cette matière est transmise (et acquise). Ce n‘est pas clair dès le début et est annoncé comme n‘étant que « le début de ce que vous allez voir » (141.8). J‘examine ce point de façon plus détaillée dans la section Analyses. ANALYSES Le cadre théorique que j‘ai décrit ci-dessus peut être utilisé de plusieurs façons pour analyser la séquence présentée ici. J‘utilise en premier lieu la distinction entre le discours horizontal et le discours vertical pour analyser ce que l‘enseignant répond aux explications émises par Max aux lignes 64 et 74. Ensuite, j‘utilise le concept de praxéologie de Chevallard (2006a, 2006b) pour analyser deux tâches données aux élèves : « combler les trous dans la table » et « trouver la règle ». Finalement, j‘explore comment l‘idée des règles de reconnaissances et de réalisation de Bernstein nous aide à comprendre l‘émergence de disparités en classe. Le discours horizontal et le discours vertical et l’explication de Max La transformation de la signification du « décodage » d‘une table de valeurs est l‘élément clé qui ressort de cette séquence. Ainsi, en ce qui a trait au premier devoir, les attentes sont différentes au début et à la fin de la leçon. Ce qui est perçu ici comme une réponse mathématique légitime ne prend son sens que dans la discussion en grand groupe. Au début, il est acceptable de simplement « combler les trous »; le savoir lié au « sens commun » semble être requis dans ce contexte. Il est possible d‘interpréter ceci comme étant une façon d‘encourager les élèves, en donnant pour premier devoir en mathématiques une tâche que la majorité est en mesure d‘accomplir. Lorsqu‘Alice a correctement rempli la table de valeurs au tableau, l‘enseignant attire l‘attention des élèves sur les nombres et leur structure. C‘est un moment important de la leçon, car la classification devient soudainement plus forte. Le discours devient plus vertical : les structures et les principes mathématiques sont les aspects privilégiés plutôt que le contexte « banal ou ordinaire » de la tâche. Max décrit la structure comme « ajouter un chaque fois » (61) et l‘enseignant exige de l‘élève qu'il précise la colonne dont il parle. La réponse de Max est intéressante. 33 GDM 2010 – CONFÉRENCES PLÉNIÈRES 64 Max : N‘importe lequel ou les deux. Parce que Kevin, une année il est en sixième et Alice a quatre ans. Alors l‘année d‘après, il va être en septième année et elle aura cinq ans. Alors on ajoute un de chaque côté. Max dit clairement que la structure qu‘il décrit s‘applique aux deux colonnes et il donne une raison qui explique pourquoi la structure devrait s‘appliquer aux deux colonnes. La rétroaction de l‘enseignant ne tient pas compte de cette explication et se concentre plutôt sur la structure en explorant des exemples. L‘enseignant demande à quelle colonne la structure s‘applique, mais quand un élève répond à la question en donnant une raison, l‘enseignant continue comme si rien ne s‘est passé. Pourquoi estce ainsi? Il est possible que l‘enseignant soit axé sur le discours vertical, tandis que l‘explication de Max est un discours horizontal, car il puise dans le savoir quotidien. D‘une part, la réponse de Max est correcte et utile, mais d‘autre part, la réponse est inadéquate en ce qui concerne le type de discours que l‘enseignant souhaite établir comme étant approprié dans sa classe de mathématiques : ici, on parle vertical! Max établit des connexions non seulement à l‘intérieur d‘une même colonne, mais également entre les colonnes et propose de nouveau une logique qui se base sur des arguments contextuels. Il identifie spontanément une relation entre les colonnes pour justifier pourquoi la même structure s‘applique à l‘intérieur des deux colonnes. 74 Max : Parce que je savais qu‘elle avait deux ans de moins que l‘âge scolaire dans lequel se trouve Kevin. Encore une fois, l‘enseignant ne tient pas compte de l‘explication émise par Max. Avec d‘autant plus de force, il demande immédiatement au groupe d‘identifier « la relation entre le côté gauche de cette table de valeurs et le côté droit de la table. » En utilisant le discours vertical, l‘enseignant pose la question à laquelle Max vient de répondre avec le discours horizontal. Toutefois, Max lève la main et la conversation entre l‘enseignant et Max continue. Max ne répète pas sa réponse, mais dit plutôt qu‘ « il y a une différence de deux pour chaque nombre » (78). Cette fois, Max souligne la relation entre les colonnes en employant des termes mathématiques et des élèves comprennent aussi bien ce qu‘il veut dire grâce à la nature de son discours. Lors de ses interactions entre Max et monsieur White, l‘enseignant insiste sur le discours vertical, indiquant implicitement que l‘argument contextuel n‘est pas une contribution valable. Par contre, ce cheminement vers le discours vertical et le principe de classification sous-jacent ne sont pas rendus explicites. Cette analyse de la séquence met en évidence un autre aspect à considérer : le rôle des explications dans la classe de monsieur White. Sa façon d‘enseigner est principalement préoccupée par les procédures. Dans la prochaine section, je discute de comment ceci pourrait mener les élèves à utiliser le discours horizontal. « Remplir les cases vides » et « Trouver la règle » Selon Chevallard (2006b), le savoir est inséparable de la pratique et toute praxis doit s‘inscrire dans une logique. 34 Christine Knipping « Une praxéologie est, d‘une certaine manière, l‘unité de base avec laquelle il est possible d‘analyser l‘action humaine en général. […] Qu‘est-ce que la praxéologie au juste? L‘étymologie sert de guide pour répondre à cette question. Il est possible d‘analyser les actions humaines d‘après deux composantes principales qui sont interreliées : d‘une part, la praxis (c.-à-d. la partie pratique) et d‘autre part, le logos. « Logos » est un mot grec qui provient de l‘époque présocratique et qui est utilisé régulièrement pour faire référence à la pensée et au raisonnement humain – particulièrement à propos du cosmos […] [Selon] un des principes fondamentaux de la TAD — la théorie anthropologique du didactique — aucune action humaine ne peut exister sans être, au moins partiellement, « expliquée », rendu « intelligible » ou « justifiée », par quelle que « logique » que ce soit de manière à ce qu‘une explication ou une justification puisse être proposée. Ainsi, la praxis suppose un logos qui, à son tour, soutient la praxis. Celle-ci a besoin de soutien, car à long terme toute action humaine est remise en question. Bien sûr, il est possible qu‘une praxéologie ne soit pas bonne, si la partie « praxis » est composée d‘une technique inefficace — « technique » étant l‘appellation officielle pour exprimer « la façon de faire » — et si la composante « logos » est constituée presque entièrement d‘absurdités — du moins, du point de vue d‘un praxéologue! [notre traduction] » (Chevallard, 2006b, p. 23) Dans la classe de monsieur White, les tâches de « combler les trous » et de « trouver la règle » exigent un savoir-faire (une technique), une certaine manière de résoudre chaque tâche. Toutefois, l‘usage des techniques pour accomplir ces tâches doit être justifié, par une explication ou un logos, pour employer les mêmes termes que Chevallard. Tout en analysant la séquence présentée ci-dessus à partir de cette perspective, je vais illustrer dans quelle mesure les élèves sont obligés d‘entamer un discours horizontal lorsqu‘ils justifient la façon de « combler les trous » et de « trouver la règle ». Lorsque l‘enseignant présentait pour la première fois la tâche de « combler les trous », celle-ci se limitait à trouver les nombres afin de compléter la table de valeurs. Par contre, un autre élément s‘ajoute à la tâche pendant que les élèves discutent à propos de leur travail en petits groupes. Monsieur White leur demande : « quelles sont vos réponses et comment les avez-vous trouvées? » (34). L‘enseignant souhaite donc que les élèves décrivent non seulement les réponses qu'ils ont trouvées, mais également une technique utilisée pour les trouver. Il veut le logos de leur praxis. Mais quels genres d‘explications peuvent-ils donner? Ce n‘est que le contexte qui offre suffisamment d‘information pour découvrir les prochains nombres dans les séquences. Du point de vue des mathématiques, le prochain nombre dans la séquence « 6, 7, 8, 9 » pourrait être autre chose. Cependant, le vécu scolaire des élèves leur permet de supposer que la neuvième année précède la dixième année. Par conséquent, la seule explication apportée qui justifie la structure à l‘intérieur des colonnes (Max, 64) se base sur le contexte. La situation est similaire pour la tâche « trouver la règle ». Plusieurs fonctions pourraient être créées qui incorporeraient les paires (6, 4), (7, 5), (8, 6), (9, 7), mais comme l‘explique Max (74), c‘est le contexte qui dicte la fonction. 35 GDM 2010 – CONFÉRENCES PLÉNIÈRES L‘enseignement de monsieur White inclut une demande implicite d‘utiliser le discours vertical et exige des explications dans des situations dans lesquelles seulement des explications exprimées par le discours horizontal sont possibles. Dans la prochaine section, j‘examine comment ces aspects de l‘enseignement de monsieur White contribuent à l‘émergence de disparités dans sa classe. L’émergence de disparités En gardant la séquence présentée ci-dessus en tête, il est possible de poser la question suivante : « Qu‘enseigne-t-on réellement dans cette classe de mathématiques et pourquoi l'enseigne-t-on de cette façon? » À la fin de la leçon, monsieur White spécifie ses deux attentes principales concernant les acquis des élèves lors de cette leçon : 112.1 112.2 112.3 112.4 M. White : ... plusieurs tables de valeurs ont une structure comme celle-ci, où on peut insérer une petite mini-équation. Si vous comprenez ça ici, vous comprendrez la plupart de ce qui se passe dans le reste des tables de valeurs. 141.1 141.2 M. White : Vous venez juste de voir que des fois dans les maths il y a plus qu‘une façon d‘obtenir une solution ou une réponse. Cependant, la description d‘une relation fonctionnelle entre les deux colonnes d‘une table de valeurs à l‘aide d‘une équation, ni la recherche de plusieurs solutions au problème, n‘étaient pas explicités comme objectifs de l‘activité par l‘enseignant. Au contraire, la tâche initiale est bien différente : de combler des trous dans une table qui résume des informations provenant d‘un contexte quotidien. « Comprendre les tables de valeurs » dans la classe de monsieur White ne signifie pas de combler les trous sur la base des connaissances du monde de tous les jours, mais plutôt de formuler une relation fonctionnelle en termes symboliques. Pourquoi l‘enseignant ne le rend-il pas explicite dès le commencement? Plusieurs raisons pourraient expliquer ceci. Au début de l‘année scolaire dans une nouvelle école, les enseignants ne connaissent pas leurs élèves et les élèves ne savent pas à quoi s‘attendre en classe. Les enseignants comme monsieur White tentent d‘accueillir leurs élèves en les encourageant, en leur donnant des tâches que les élèves pourront sûrement réaliser et en les orientant pas à pas afin de les aider à comprendre ce qui est attendu d‘eux. Il est possible que le fait de rendre explicite ce que l‘on attend des élèves en mathématiques risque de les surcharger et que ce ne soit pas approprié pour la première leçon de l‘année. De plus, les enseignants pourraient essayer d‘adoucir la transition plutôt brusque entre le primaire et le premier cycle du secondaire en utilisant des activités centrées sur l‘apprenant que les élèves ont déjà vues dans les années précédentes. La présentation de la table de valeurs dans le manuel que monsieur White utilise en classe peut être perçue comme un exemple dans lequel le contenu mathématique est recontextualisé dans un contexte apparemment quotidien. Toutefois, cette approche risque de contribuer à la stratification de la classe. Ci-dessus, j‘ai décrit comment l‘attente d‘un logos de leur praxis pousse les élèves vers le discours horizontal, tandis qu‘en même temps l‘enseignant souhaite établir que c‘est le discours vertical qui est approprié en mathématiques. Ceci est également évident lorsque monsieur White guide la classe dans la reformulation en termes symbolique de la relation entre les colonnes. L‘équation X-2=N fait 36 Christine Knipping manifestement partie du discours vertical. Elle n‘a plus de lien avec le contexte quotidien dans lequel la tâche s‘inscrivait. De plus, même les lettres choisies pour représenter les variables (X et N) ne renvoient plus aux étiquettes initiales « L‘année scolaire de Kevin » et « L‘âge d‘Alice ». Pourtant, cette décontextualisation s‘est opérée entièrement de façon implicite. Seulement les élèves qui sont en mesure de passer du discours horizontal au discours vertical peuvent reconnaître correctement lequel est valable à tel ou tel moment. Ils possèdent la règle de reconnaissance nécessaire pour leur permettre de juger qu‘un discours différent est de mise et la règle de réalisation pour se lancer et l‘appliquer. Les étudiants qui ne possèdent pas la règle de reconnaissance risquent d‘être un peu perdus, car le principe de classification est implicite, ce qui signifie que la situation en classe leur offre moins d‘occasions d‘apprentissage. Seulement quelques étudiants, les étudiants doués comme Max, semblent savoir ce qui est attendu d‘eux et sont capables d‘adopter les comportements que l‘enseignant favorise. Ces étudiants possèdent à la fois les règles de reconnaissance et de réalisation nécessaires pour jouer dans le nouvel environnement avec succès. Soit les autres élèves se rendent compte qu‘ils ne reconnaissent pas ce qu‘on attend d‘eux, soit ils se sentent incapables de satisfaire les attentes de l‘enseignant. Puisque l‘enseignant ne rend pas explicite ce qui est important de reconnaître et de réaliser, plusieurs élèves quitteront leurs premières rencontres en mathématiques sans avoir le sentiment de réussite, bien que l‘enseignant tente possiblement de créer pour eux un environnement favorable. Les pratiques d‘enseignement de monsieur White sont fortement classées, mais le genre de discours qu‘il valorise n‘est indiqué que de façon implicite. De telles pratiques sont très sélectives, donnant l‘avantage à ceux qui possèdent déjà les règles de reconnaissance et de réalisation nécessaires. Hasan (2001) met de l‘avant un point similaire dans le contexte du passage de l‘environnement scolaire de la maternelle à celui du primaire : « Avec leur plus grande classification du contexte et leur cadrage du discours plus serré, avec leurs significations plus largement décontextualisées […] il semble très improbable que les écoles puissent fournir le meilleur environnement pour apprendre comment utiliser ce genre de langage, en ce qui a trait aux enfants qui ne possèdent pas encore cette expertise dans une certaine mesure avant d‘entrer à l‘école. [notre traduction] » (p. 74) En examinant la séquence présentée ci-dessus, il est tout de même évident que les élèves ne s‘impliquent pas de façon égale. Certains élèves sont silencieux, tandis que d‘autres (Alice, Nick, Éric, Larry et Max) participent plus activement. Il est néanmoins possible d‘observer des différences même parmi ces derniers. Alors que la majorité peut contribuer au plan procédural ou opérationnel, ce n‘est que Max qui semble se lancer complètement dans les multiples niveaux de la conversation que monsieur White propose. Il arrive même que Max « devance » la conversation, discutant de différents aspects de la table de valeurs, en même temps, bien que l‘enseignant choisisse d‘aller plus lentement, pas à pas. Quelques-unes des explications que Max donne sont tout simplement ignorées, mais ceci ne paraît pas l‘intimider. Il répond plutôt à la demande de l‘enseignant et montre qu‘il est en mesure de passer d‘une perspective à l‘autre (ex. : une explication contextuelle et une explication mathématique). La rhétorique de multiples solutions est utile aux élèves comme Max qui ne sont pas intimidés par ce qu‘on attend d‘eux, mais qui tiennent à leur propre logique et sont capables de passer facilement des attentes à ce qu‘ils pensent. D‘autres élèves dépendent plus des critères et des 37 GDM 2010 – CONFÉRENCES PLÉNIÈRES standards de l‘enseignant. Comme nous l‘avons observé dans cette séquence, certains élèves ne participent que lorsque l‘enseignant rend ses attentes explicites. D‘autres encore ne participent pas du tout et une des raisons pourrait bien être qu‘ils ne comprennent pas bien ce que l‘enseignant souhaite entendre. CONCLUSIONS Monsieur White ne cherche pas dès le départ à cerner les élèves qui ont la bosse des mathématiques, bien qu‘il croit que certains l‘ont. Plutôt, il tente de créer un environnement de classe dans lequel tous les élèves peuvent réussir. Ceci le conduit à mettre l‘accent sur des procédures par étapes, pour utiliser des concepts quotidiens dans les tâches, et à demander aux élèves d‘expliquer leur raisonnement. Cependant, la combinaison de ces composantes, ainsi que la valorisation implicite du discours vertical par monsieur White, contribue à la stratification de sa classe. Les concepts émis par Bernstein : de classification forte et faible, de discours vertical et horizontal, et des règles de reconnaissance et de réalisation, avec la praxéologie de Chevallard, nous offrent un cadre théorique selon lequel il est possible de décrire l‘émergence de disparités en classe de mathématiques. Ce cadre descriptif, avec l‘étude comparative des classes dans des systèmes scolaires qui sont explicitement sélectifs et nominalement inclusifs, assure le fondement pour étudier les mécanismes qui sous-tendent l‘émergence de disparités en classe de mathématiques à l‘école. BIBLIOGRAPHIE ARNOT, M. (2002). Making the difference to sociology of education: Reflections on family-school and gender relations. Discourse, 23(3), 347-355. ARNOT, M., MCINTYRE, D., PEDDAR, D. et REAY, R. (2003). Consultation in the classroom: Pupil perspectives on teaching and learning. Cambridge : Pearson Publishers. BERNSTEIN, B. (2007). 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La didactique étudie les relations entre l‘apprentissage et l'enseignement d‘une discipline pour cerner les conditions d‘apprentissage. Dans cet article, je discuterai de l‘influence du contexte sur l‘apprentissage des élèves qui résolvent des problèmes. Je présenterai aussi des recherches exposant l‘influence des contextes sur l'interprétation des concepts mathématiques et sur la communication mathématique. Enfin, je distinguerai l‘influence du contexte sur l‘enseignement avec des élèves en difficultés d'apprentissage, avec des élèves en milieux défavorisés et avec des élèves en milieu minoritaire francophone. Nous terminerons en évoquant des éléments de réponses aux questions relatives au rôle de la didactique compte tenu des programmes d‘études et des préoccupations à l‘égard de la formation des enseignants et de la réussite scolaire des élèves. INTRODUCTION La notion de « compétence » ou de « Learning outcomes » utilisées au Nouveau-Brunswick, exige de créer des tâches qui permettent aux élèves de prendre des décisions à la lumière des savoirs développés en classe. En effet, une compétence s‘exerce en contexte. Cela conduit les enseignants à observer davantage d'erreurs chez leurs élèves, ce qui est inévitable lorsqu‘une approche par la résolution de problème est privilégiée. Il y a donc nécessité de questionner la place du contexte et son rôle dans l‘enseignement et l'apprentissage des mathématiques et, par conséquent, le rôle de la didactique. Cet article vise à discuter la notion de contexte pour cerner son influence dans l‘enseignement et l'apprentissage des mathématiques. Afin d‘atteindre ce but, je distinguerai l‘apprentissage des mathématiques à travers les contextes et l‘enseignement des mathématiques dans des contextes. C‘est ainsi que je m‘attarderai d'abord à des problèmes, à des concepts mathématiques qui s‘inscrivent à travers une variété de contextes et à la communication générée. Je questionnerai ensuite l‘enseignement des mathématiques dans des contextes comme les milieux socioéconomiquement faibles, les élèves en difficultés d‘apprentissage et les milieux minoritaires francophone. Il deviendra ainsi possible de définir la notion de contexte pour apporter des éléments de réponses aux défis posés. L’APPRENTISSAGE DES MATHÉMATIQUES À TRAVERS DES CONTEXTES J‘ai d‘abord cherché à répondre à la question suivante : Quelles sont les difficultés posées par les différents contextes utilisés dans les activités des enseignants et des manuels? Comment les contextes des problèmes et des tâches jouent-ils sur l‘apprentissage des mathématiques. Pour ce faire, j‘ai recensé certains résultats de recherches portant sur les problèmes proposés aux élèves, les contextes dans lesquels certains concepts mathématiques sont enseignés aux élèves et les contextes suscitant le développement d‘une communication en mathématiques. Lucie DeBlois Les problèmes proposés aux élèves La théorie des champs conceptuels de Vergnaud (1981) convie à jouer sur les variables didactiques, des éléments du contexte d‘un énoncé mathématique. Considérées comme élément d‘un contexte, l‘utilisation de nombres plus grands influence les procédures des élèves. En effet, alors que le dessin permet de représenter de petites quantités pour trouver une somme ou un reste, l‘algorithme de l'addition et de la soustraction deviennent nécessaires aux opérations comportant de grands nombres. En outre, les problèmes d‘ajout ou de retrait, comportant la recherche du terme manquant, élargissent l‘interprétation des nombres. Ces derniers ne représentent plus seulement le cardinal d‘une collection, mais une transformation positive ou négative. Il y a plus de dix ans, Radford (1996) comparait deux tâches proposées à des élèves du secondaire : l‘une proposait le contexte de l‘achat de fruits alors que la deuxième offrait un contexte mathématique faisant intervenir la même structure et les mêmes nombres : On peut acheter 3 kg de bananes pour le même prix que 2 kg de pêches. Si le kg de pêches coûte 40 cents de plus que le kg de bananes, combien coûte un kg de bananes? On prend un nombre, on lui ajoute 0,40 et ce qui en résulte est multiplié par 2. Cela donne le triple du nombre pris au départ. Quel était ce nombre? Il observait que la première tâche conduisait certains élèves à confondre « le kg de pêches coûte 40 cents » avec le kg de pêches « coûte 40 cents de plus », ce qui ne se produisait pas pour le deuxième problème. Dans ce cas, le contexte semble faire obstacle à une compréhension relationnelle de l‘énoncé de la part des élèves. Durant la même période, une étude portant sur les problèmes de réunion d‘ensembles et de complément d‘un ensemble offre un contexte de fruits (DeBlois, 1997a). Des élèves de 8 ans, identifiés en difficulté d'apprentissage, résolvent le problème par une comparaison entre les moments de l‘histoire (avant-après). Par la suite, une comparaison entre les sous-ensembles et l‘ensemble total ou encore entre les nombres, les conduit à reconnaître la relation d‘inclusion qui est alors interprétée comme « un manque ». Ces élèves utilisent ainsi des expériences issues de tâches portant sur l‘ajout et le retrait de collections d‘objets (avant-après) pour interpréter les relations entre les données du problème, puis élaborer une compréhension de la relation d‘inclusion. Alors que dans l‘exemple de Radford (1996), le contexte semble faire obstacle à l‘interprétation des élèves; dans l‘exemple de DeBlois (1997), il pourrait favoriser l‘interprétation des élèves. Voyer (2010) s‘est attardé à l‘influence de la lecture impliqué lors de la résolution de problèmes mathématiques auprès de 750 élèves de 11- 12 ans. Ses résultats montrent que les habiletés en lecture des élèves, bien qu‘elles favorisent le contrôle des intentions de lecture des élèves, n‘expliquent que 20% de la variance des résultats obtenus. Il a aussi distingué, notamment, les éléments situationnels et les éléments explicatifs d‘un problème. Les éléments situationnels d‘un problème visent à décrire le contexte du problème et à situer le questionnement mathématique, comme le problème des fruits de Radford ou de DeBlois. Les éléments explicatifs ont pour but de rendre explicites les relations entre les données du problème. Ses résultats montrent que les éléments situationnels et les éléments explicatifs contribuent de manière différente à la compréhension de l‘énoncé mathématique. Ainsi, les éléments explicatifs d‘un énoncé contribueraient davantage à une première représentation du problème par les élèves, plus particulièrement chez les élèves faibles en mathématiques. En précisant les relations entre les 41 GDM 2010 – CONFÉRENCES PLÉNIÈRES données, l‘enjeu du problème se trouve toutefois dévoilé. L‘ajout d‘éléments explicatifs risque de livrer aux élèves les enjeux du problème, leur évitant ainsi de construire les relations mathématiques visées. Les concepts enseignés aux élèves Les recherches réalisées en didactique ont permis d‘identifier comment jouent les contextes durant l'apprentissage de plusieurs concepts mathématiques comme les statistiques, la moyenne les fractions et les décimaux. Par exemple, les travaux de Parker et Lienhart (1994) ont permis de préciser que, selon les contextes, le pourcentage pouvait être interprété comme un nombre, notamment lorsqu‘il était possible de réaliser des opérations sur ce dernier. Il pouvait aussi être interprété comme une statistique ou comme un rapport exprimant une augmentation, une diminution ou encore une grandeur entre deux parties selon les contextes. En outre, les travaux de Mary et de Gattuso (2005) sur la notion de moyenne nous ont sensibilisés à l‘influence du contexte. Elles observent que les élèves réussissent mieux les problèmes de moyenne dans le contexte du poids plutôt que ceux d‘âges ou de notes. L‘hypothèse posée pour expliquer cette situation tient au sens que les élèves attribueraient au total. Enfin, les fractions sont utilisées dans une variété de contextes. Une étude de Mercier et DeBlois (2004) a permis de reconnaître que les manuels scolaires québécois exploitent plus particulièrement la fraction comme partie d‘un tout, comme mesure et comme nombre pour calculer ou pour le situer sur la droite numérique. Certains contextes, plus fréquents que d‘autres dans les manuels scolaires, influencent l‘interprétation des élèves, ce qui pourrait expliquer leur difficulté avec ce type de nombres. Le contexte opérateur serait l‘un des moins présents dans ces manuels. C‘est pourtant celui à partir duquel la multiplication d‘un naturel par une fraction est facilitée. Le contexte « partie d‘un ensemble » prend un peu plus d‘importance dans les manuels scolaires du primaire, alors que les contextes « quotient » et « probabilité » sont plus importants en sixième année. Enfin, le contexte « rapport » occupe le quatrième rang en première secondaire, ce qui devient nécessaire compte tenu de l'apprentissage des proportions. Enfin, les travaux de Roditi (2008) sur les décimaux montrent comment le matériel devient un contexte qui influence la représentation de la notion en jeu chez l‘élève. On sait que plusieurs élèves comparent les nombres décimaux en comptant la quantité de chiffres après la virgule. Roditi (2007) a posé l‘hypothèse selon laquelle les élèves privilégient l‘aspect syntaxique de l‘écriture, contournant une procédure utilisant une valeur approximative ou la mesure. Il a donc proposé aux élèves de comparer ces nombres en utilisant des pièces de monnaie, des graduations, des carrés quadrillés, du papier blanc, une règle graduée et une paire de ciseaux. Il leur a ensuite demandé de déterminer quelle affirmation, ci-dessous, était vraie. « Un élève m‘a expliqué que comme 7 était plus petit que 14, 8,7 était plus petit que 8,14. Qu‘est-ce que tu en penses? » « Un autre élève comme toi avec qui je travaillais m‘a dit que 7 dixièmes c‘était pareil que 70 centièmes, et que 70 étant plus grand que 14, c‘était 8,7 qui était plus grand que 8,14. Qu‘est-ce que tu en penses? » Il a pu observer que le fait de mettre en relation la représentation décimale des nombres et différentes procédures pour les situer entre eux, ou pour appréhender leur distance, s‘avérerait efficace pour susciter une compréhension. 42 Lucie DeBlois Des contextes social, historique et culturel pour développer une communication dans un langage mathématique Ruhal (1996) reconnaît que le contrôle du sens dans des activités géométriques se fait dans un sens d‘ordre culturel et non mathématique. Annie Savard (2008) fait une observation semblable à l‘égard de l'apprentissage des probabilités. En effet, en proposant à des élèves de 9 ans d‘étudier la notion de probabilités, au moyen de lectures portant sur l‘évolution de la fabrication des dés et sur l‘utilisation de différentes sortes de dés (6 faces, 8 faces, 100 faces…), elle a repéré comment leurs préoccupations sur les aspects géométriques des dés ont conduit ses élèves à utiliser un langage géométrique juste (cube, carré, triangle, forme rectangulaire, forme triangulaire). Ce type de langage a ensuite permis de discuter des rapports des cas favorables sur les cas possibles entre les différents dés pour prendre conscience des probabilités théoriques. En conclusion, l’apprentissage des mathématiques à travers des contextes variés semble jouer sur le contrôle du sens que l‘élève accorde aux problèmes et aux concepts mathématiques. En effet, la compréhension d‘un énoncé mathématique montre qu‘un énoncé mathématique exige davantage que la lecture. En outre, l‘interprétation à donner aux concepts en jeu exige davantage que la connaissance d‘un algorithme. Le contexte pourrait répondre aux questions portant sur la transposition ou le transfert de la vie réelle à un savoir mathématique comme la manifestation d’un passage. Ce dernier transforme en contexte mathématique des situations issues d‘un contexte socioculturel. ENSEIGNEMENT DES MATHÉMATIQUES DANS DES CONTEXTES Le conseil canadien de l'apprentissage publiait en 2010 une étude portant sur différentes pratiques enseignantes afin d‘en comparer la pertinence. Il conclut que : « Le rendement des élèves dépendrait davantage du niveau adéquat de ressources allouées au renforcement des capacités et des connaissances des enseignants, ainsi qu‘au recrutement de bons candidats, qu‘au choix d‘une approche d‘enseignement plutôt qu‘une autre ». (Conseil canadien sur l‘apprentissage, 2009). Ces résultats auraient-ils été comparables en considérant les contextes dans lesquels évoluent les enseignants? Les élèves en difficulté d’apprentissage en mathématique Il convient d‘abord de préciser ce que nous entendons par difficultés d‘apprentissage en mathématiques. Pour certains la difficulté d‘apprentissage correspond à une erreur persistante (adaptation, mobilisation) et ce, malgré plusieurs interventions de l‘enseignante ou de l‘enseignant et les conditions d‘apprentissage optimales (complexité, situations réelles, régulations par les pairs…). Pour d‘autres, l‘élève, placé devant une tâche semblable à celle de ses pairs ou face aux notions des programmes d‘études, ne progresse pas suffisamment pour une période de temps déterminé. Il ne peut repérer les connaissances pertinentes au contexte proposé à la suite de l‘aide proposé. Les études portant sur le développement de la pensée des élèves en difficultés que j‘ai menées montrent les défis à relever. J‘ai présenté à des élèves de 8 ans le probleème de comparaison suivant : « Tu as 14 billes. Tu as 5 billes de plus que ton ami. Combien de billes ton ami a-t-il? » (DeBlois, 1997a). Malgré sa procédure correcte lorsqu‘il soustrait 5 de 14, l‘élève ne peut expliquer à quoi correspond le nombre 9. Il ne peut concevoir que le résultat obtenu correspond 43 GDM 2010 – CONFÉRENCES PLÉNIÈRES au nombre de billes de l‘ami. En effet, ce type de problème exige que les élèves reconnaissent l‘implication de la relation « si… alors », d‘abord par une évaluation qualitative de l‘ensemble le plus grand ou le plus petit, pour réaliser une correspondance terme à terme entre les éléments de chacun des ensembles. Le dénombrement de ce qui manque permet ensuite d‘interpréter le résultat obtenu autrement que comme un reste. Ce type de contexte exige l‘étude des interactions élèves-tâche pour cerner la logique des élèves et proposer une intervention adaptée. La manifestation d‘erreurs persistantes se dévoile surtout lors des activités de décontextualisation et de recontextualisation et lors des passages d‘un registre numérique à un registre algébrique ou géométrique. Il devient ainsi fondamental d‘identifier « ce qui a été transféré » et comment ce transfert a été réalisé de la part des élèves. L‘enseignement des mathématiques, dans le contexte de l‘intervention auprès d‘élève qui éprouvent des difficultés d‘apprentissage, exige donc de se préoccuper des interactions élèvestâches, ce qui nécessite de revoir le rôle de l‘enseignant qui évalue. Les résultats de notre dernière recherche portant sur les relations entre l‘interprétation des enseignants et l‘intervention devant des erreurs d‘élèves (DeBlois, 2009a; 2009b, 2009c ; 2010a ; 2010b) permettent de cerner comment la sensibilité des enseignants oriente leurs préoccupations, puis le choix des interventions lorsqu'ils étudient les productions de leurs élèves. Le développement de leur sensibilité à de nouveaux « milieux » alimente leurs interprétations et leurs interventions. L’enseignement des mathématiques dans le contexte des milieux défavorisés Une variété de réalités recouvre cette appellation. Par exemple, ces milieux regroupent des parents scolarisés, mais pour qui la charge monoparentale les place dans des situations difficiles. D‘autres sont analphabètes ou éprouvent des problèmes de santé mentale. L‘accompagnement des parents est alors variable puisque plusieurs facteurs jouent sur leur disponibilité. La proportion d‘élèves à risque de devenir en difficultés plus grande prend alors son origine dans la valorisation de l‘école, dans l‘acquisition du rôle d‘élève, dans la pauvreté de la communication entre parents et enfants ou encore dans l‘influence du climat de la famille sur celui de la classe. Quels défis pour l‘enseignement des mathématiques dans le contexte du milieu défavorisé? Giroux (2005) a étudié les procédures chez des élèves de première année issus de milieux favorisés et de milieux défavorisés montréalais. Elle a constaté peu de différence dans les conduites des enfants sur la suite numérique selon leur milieu social. Elle a plutôt observé comment certaines connaissances servaient de tremplin aux élèves pour développer des procédures (opérations). Par exemple, les connaissances-décades (20-30-40, etc.) semblent favoriser la composition de mot-nombre de la même décade (21-22-23, etc.). Des connaissances charnières « plus un c‘est le suivant », « moins un c‘est le précédent », « juste un peu plus grand que », « juste un peu plus petit que », « après », « avant » faciliterait le passage du nombre aux opérations. Toutefois, malgré le fait que le cheminement des élèves soit le même, les élèves issus de milieux défavorisés utiliseraient moins leurs connaissances pour opérer sur des nombres ou résoudre des problèmes. Une expérience réalisée avec des enseignantes et des stagiaires en milieu défavorisé (Boily, 2006) a permis de constater que le vocabulaire et les expériences familiales influencent la compréhension des notions mathématiques (partage, après vs sur, rabais, solde). Cette expérience a aussi permis de questionner les raisons pour lesquelles on choisit d‘enseigner, de même que celles pour lesquelles on enseigne les mathématiques. Ces questions ont amené une réflexion sur 44 Lucie DeBlois les intentions d'enseignement et le rôle à jouer en classe. En effet, ce questionnement a permis de revoir le sens accordé aux mathématiques, notamment par la confrontation des conceptions des enseignants et des stagiaires. Ce questionnement a aussi permis de relativiser les maladresses d‘enseignement, de distinguer les signes de difficultés d‘apprentissage (l‘élève attend, a le regard vide…) et les signes d‘apprentissage (cherche ses mots pour exprimer ce qu‘il observe…). Enfin, un modèle a permis d‘intégrer les notions de capital social et de résilience (Zang et al., 2008, Power et DeBlois, 2011). Ce modèle a conduit à préciser trois dimensions importantes dans lesquelles s‘inscrivent les observations des recherches : la dimension structurale, la dimension normative et la dimension interactive. Par exemple,. la dimension structurale se manifeste par la modulation des intentions pédagogiques. Ces intentions permettent l‘ancrage des apprentissages des élèves selon les besoins du milieu. La dimension normative contribue à préciser l‘attribution d‘une variété de rôles aux élèves et l‘identification des moments propices à une évaluation, ce qui peut modifier les habitudes d‘enseignement. Enfin, la dimension interactive est dynamique. L‘attention est alors portée, par exemple, aux conceptions des enseignants à l‘égard des notions mathématiques, conceptions qui filtrent l‘observation des élèves et l‘attention portée au code restreint évoqué par Knipping (2010). Une sensibilité à d‘autres « milieux » de l‘environnement que ceux habituellement utilisés peut émerger d‘un changement de conceptions. Les défis de l‘enseignement des mathématiques dans ce contexte concernent donc davantage les intentions pédagogiques en fonction des besoins du milieu et la capacité à transformer sa pratique. L’enseignement des mathématiques dans le contexte du milieu minoritaire Certains problèmes sont fréquemment évoqués lorsqu‘il est question d‘enseignement et d‘apprentissage en milieu minoritaire. Ainsi, d‘Entremont (2000) rappelle le manque de ressources humaines et matérielles, les effets de la langue à la maison et avec les pairs sur la littératie, les relations entre les compétences en littératie et la numératie. Les travaux de Lewthwaite, Stoeber et Renaud (2007) montrent que les exigences à l‘égard de l‘expertise des enseignants semblent plus complexes en raison des capacités langagières des élèves. Par exemple, les aspirations de la communauté scolaire, à l‘égard de l'acquisition de la langue par exemple, pourraient se faire au détriment de l'expérience offerte aux élèves. Les évaluations Pisa 2003 (Rousseau, Freiman, Savard et DeBlois, 2008) en mathématiques nous apprennent que, si on ne tient pas compte du niveau de littératie des élèves francophones vivant en milieu minoritaire, ces derniers ont des résultats inférieurs à ceux de leurs homologues anglophones vivant en milieu majoritaire. Par contre, à niveau de littératie égal, les élèves francophones en milieu minoritaire présentent une plus grande compétence en numératie que les anglophones. Ainsi, les différences en mathématiques entre les élèves francophones minoritaires et les élèves anglophones majoritaires sont moins importantes chez les élèves qui ont un haut niveau de compétence en littératie. En juin 2010, un accord sur l‘éducation autochtone établit un nouveau cadre permettant la révision des programmes universitaires et de nouveaux partenariats avec ces communautés afin de mieux refléter les valeurs et objectifs éducatifs des peuples autochtones (Nouvelles Réseau AMEQ en ligne, 2 juin 2010). Cette approche favoriserait l‘élaboration de méthodes d‘enseignement qui respectent les besoins et les références culturels spécifiques des Premières nations. Par exemple, on remet en question le fait d‘enseigner la circonférence sur la Côte Nord du Québec en utilisant l‘illustration de la Grande Roue à La Ronde ou encore la notion de parallèles en l‘illustrant par un chemin de fer. 45 GDM 2010 – CONFÉRENCES PLÉNIÈRES Le contexte minoritaire invite donc à porter une attention non seulement au niveau de littératie des élèves, mais aussi aux aspirations de la communauté. Kahn et al. (1998) présentent alors l‘apprentissage comme « changement de points de vue ». EN CONCLUSION Il semble que la notion de contexte se décline différemment selon que les questions se formulent à travers les contextes ou dans des contextes. Quelle didactique pourra supporter l‘enseignement et l‘apprentissage des mathématiques à travers et dans ces contextes? Des contextes variés semblent jouer sur le contrôle du sens que l‘élève accorde à l’apprentissage des mathématiques. Dans ces conditions, la didactique peut contribuer à préciser les interprétations des élèves et les obstacles créés afin de proposer des conditions d‘apprentissage favorables. En effet, comme le rappelle Ruhal (1996), la didactique se donne le projet de déterminer si les conditions qui sont faites auraient pu permettre d'apprendre. Des recherches portant sur les passages de situations issues d‘un contexte socioculturel à un contexte mathématique pourraient éclairer les enseignants qui doivent créer des conditions dans des contextes particuliers. Les défis qui se posent sont alors nouveaux. BIBLIOGRAPHIE BOILY, J., GALERNEAU, L., RIVEST, F. et DEBLOIS, L. (2006). L‘accompagnement des stagiaires en mathématiques : une expérience à partager. Vie Pédagogique, 140, 52-53. CONSEIL CANADIEN SUR L‘APPRENTISSAGE. (2009). Pratiques prometteuses en matière d‘enseignement des mathématiques au primaire. 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Dans le cadre d‘une recherche collaborative ayant pour but le développement professionnel d‘orthopédagogues et d‘enseignants, effectuée par des chercheurs de l‘Université de Sherbrooke, des ressources pédagogiques visant le développement du potentiel mathématique des élèves en difficulté ont été conçues, adaptées et modifiées. Nous appuyant sur l‘approche documentaire du didactique de Geudet et Trouche (2008), nous étudierons l‘intégration de ces ressources pédagogiques dans les pratiques enseignantes. UN CONTEXTE ENSEIGNANTE DE PROFESSIONNALISATION DE LA PROFESSION Au Québec, depuis quelques années, la professionnalisation de l‘enseignement est un sujet de premier plan. En effet, en 2001, le ministère de l‘Éducation a rédigé un énoncé de politique de formation des enseignants qui a contribué à relancer le mouvement de professionnalisation initié depuis le rapport de la Commission royale d‘enquête sur l‘enseignement dans la province de Québec, le rapport Parent. En 1964, le rapport Parent a eu une influence majeure sur le développement du système d‘éducation québécois notamment en proposant la création d‘un ministère de l‘Éducation du Québec, la scolarisation obligatoire jusqu‘à l‘âge de 16 ans, la création des CÉGEP pour remplacer les collèges classiques, la formation poussée des enseignants, ainsi que la facilitation de l‘accès aux Universités. Le ministère de l‘Éducation ainsi créé décida, en 1964, de confier la formation et le perfectionnement des enseignants aux Universités afin que ceux-ci reçoivent une formation davantage scientifique : « Pour en faire de vrais éducateurs, on veut donner à tous les futurs maîtres une véritable formation pédagogique, basée sur des études assez poussées en psychologie et en sciences sociales » (Commission Parent, 1964, p. 18). Ce faisant, ce rapport a donc amorcé les réflexions au sujet de la professionnalisation de l‘enseignement par le souci de la formation prodiguée aux enseignants. Par la suite, le modèle de formation des enseignants a continué d‘évoluer au sein des différentes universités québécoises. Mais, bien que le ministère de l‘Éducation imposait aux Universités certaines exigences, celles-ci n‘étaient pas tenues de les appliquer rigoureusement. Plus tard, en 1992, le ministère de l‘Éducation donnait aux Universités un document contenant des savoirs et des savoir-faire qui devaient être enseignés aux futurs enseignants. Toutefois, le concept de compétence, que l‘on retrouvait dans le document n‘était pas défini ce qui laissait place à Geneviève Barabé, Hassane Squalli et Claudine Mary diverses interprétations, plus ou moins près des exigences ministérielles, de la part des Universités (Mellouki et Gauthier, 2005). Le développement du modèle professionnel continuait donc tranquillement son chemin jusqu‘à la réforme de 2001 qui a été encore plus favorable à la professionnalisation. En effet, Mellouki et Gauthier (2005) avance l‘idée que la nécessité d‘une formation à caractère professionnelle a été sans cesse rappelée depuis le rapport Parent, sans toutefois apparaître dans les textes officiels du ministère de l‘Éducation jusqu‘à l‘énoncé de politique de formation des enseignants en 2001. Ainsi, ce nouveau document clarifie les orientations de l‘approche de formation par compétences notamment en établissant et définissant douze compétences professionnelles que les enseignants doivent développer non seulement au cours de leur formation, mais tout au long de leur carrière. Ces compétences professionnelles se veulent être une réponse pour transformer les pratiques enseignantes suite à la révision des curriculums scolaires. Cette approche par compétence favoriserait donc, chez les enseignants, une conception de l‘apprentissage axée sur les processus eux-mêmes afin de répondre à la réforme du curriculum et des programmes (Conseil supérieur de l‘Éducation, 2004). Ce faisant, pour le Conseil supérieur de l‘Éducation, la réforme de 2001 appuie le mouvement de professionnalisation de l‘enseignement en conviant les enseignants au développement de compétences professionnelles liées à l‘autonomie et à l‘exercice du jugement professionnel. Par ailleurs, le Conseil y entrevoit l‘élargissement de la sphère des compétences des enseignants qui se situe à l‘intérieur de la classe et aussi dans le partenariat avec les autres acteurs de l‘éducation en vue de favoriser l‘apprentissage des élèves (Ibid.). Ainsi, dans cette perspective de professionnalisation, les enseignants sont appelés à développer des compétences professionnelles tout au long de leur carrière. À cet effet, dans le document de formation à l‘enseignement, le ministère de l‘Éducation a défini le concept de professionnalisation. Ce dernier renvoie à deux concepts, ceux de professionnalité et de professionnisme. La professionnalité réfère au développement et à la construction de compétences nécessaires pour exercer une profession tandis que le professionnisme a trait au statut social de la profession, c‘est-à-dire à une reconnaissance sociale et légale de la profession (Gouvernement du Québec, 2004). Parmi les douze compétences professionnelles devant être développées par les enseignants, l‘une traite spécifiquement du développement professionnel afin de résoudre des problèmes d‘enseignement et de perfectionner les pratiques. Effectivement, la compétence 11 du référentiel de compétences professionnelles invite les enseignants à « s‘engager dans une démarche individuelle et collective de développement professionnel » (Ibid., p. 125). Notamment, dans les composantes de la compétence, on retrouve l‘importance de mener des projets pédagogiques pour résoudre des problèmes d‘enseignement ainsi que de réfléchir sur sa pratique et réinvestir les résultats de sa réflexion dans l‘action (Ibid.). Qui plus est, « Gersten, Vaugh, Deshler et Schiller (1997) précisent que pendant un bon moment, le développement professionnel visait à amener les enseignants à maîtriser des savoirs procéduraux, alors que de plus en plus les activités de développement professionnel visent à amener les enseignants à prendre conscience de leurs pratiques, des connaissances qui influencent leurs prises de décision, et ce, en fonction des problèmes qu‘ils rencontrent » (Brodeur, Deaudelin et Bru, 2005, p. 7). Ce passage à une pratique réflexive se situe dans les visées de professionnalisation puisqu‘elle traduit bien la pratique professionnelle dans laquelle l‘autonomie et la responsabilité sont des caractéristiques essentielles. 49 GDM 2010 – COMMUNICATIONS Dans cette idée de professionnalisation, le ministère de l‘Éducation du Québec (MEQ) « […] convie le personnel enseignant à envisager le développement professionnel de manière plus large et à : 1) dépasser la notion de perfectionnement pour l‘inclure dans un concept de formation continue ou, autrement dit, de passer d‘activités ponctuelles à un processus de développement intégré; 2) cesser de voir la formation continue comme une adaptation à des ―caprices bureaucratiques‖ pour la voir comme le développement des compétences nécessaires pour relever les nouveaux défis auxquels l‘école fait face; […] » (CSE, 2004) Ainsi, le MELS encourage la formation continue des enseignants afin que ceux-ci perfectionnent leurs compétences professionnelles pour mieux répondre aux besoins des élèves, en particulier ceux en difficulté d‘apprentissage. À cet égard, la recherche collaborative et la recherche-action sont des voies à favoriser (Poupart Groulx, Mayer, Deslauriers, Laperrière et Pires, 2008). D‘ailleurs, le MELS encourage la tenue de ces types de recherche en octroyant des subventions afin de faciliter le transfert entre le milieu de la recherche et le milieu pratique. Par ailleurs, dans le cadre du Programme de soutien à la formation continue du personnel scolaire du MELS (2009), les universités québécoises reconnues sont invitées à offrir des formations continues afin d‘améliorer ou de modifier les pratiques professionnelles du personnel scolaire. Dans le même ordre d‘idée, Uwamariya et Mukamurera (2005) affirment que la formation continue est la clé du développement professionnel sur les plans individuel et collectif et que par ses diverses formes, elle est un moyen et un lieu d‘échanges, de rencontre, de discussion et de partage entre des enseignants désireux d‘apprendre. CONTEXTE DANS LEQUEL SE DÉROULE NOTRE PROJET À ce titre, une formation donnée dans le cadre d‘un projet de recherche collaborative effectuée en 2009-2010 par des chercheurs de l‘Université de Sherbrooke en partenariat avec la commission scolaire des Navigateurs et le ministère de l‘Éducation, des Loisirs et du Sport (MELS) avait pour but d‘aider les enseignants à perfectionner leur pratique. À cet égard, des enseignants et des orthopédagogues du primaire ont été réunis, sur une base volontaire, dans le but de travailler autour d‘une problématique commune, soit celle de l‘intervention en mathématique auprès de l‘élève en difficulté d‘apprentissage intégré à la classe régulière. Effectivement, de plus en plus d‘élèves en difficulté d‘apprentissage sont intégrés à la classe régulière ce qui pose problème aux enseignants qui sont peu outillés pour intervenir auprès de ce type d‘élève. Un besoin de partenariat entre les enseignants et les orthopédagogues se fait donc sentir pour mieux répondre au besoin des élèves. Ainsi, dans le cadre de cette recherche collaborative, des formateurs universitaires ont présenté une approche d‘intervention axée sur le développement du potentiel mathématique de l‘élève en difficulté d‘apprentissage et ont plongé les enseignants et les orthopédagogues dans cet esprit afin qu‘ils conçoivent, en collaboration, des situations d‘apprentissage en mathématique qui exploitent cette approche et qu‘ils les expérimentent en classe. Voyons en quoi consiste cette approche. Il s‘agit d‘une approche préconisant des interventions axées sur les connaissances et les capacités de raisonnement des élèves. Pour ce faire, il faut placer l‘élève dans des activités mathématiques riches où il devra construire des raisonnements et chercher. Il ne s‘agit plus de voir l‘apprentissage comme un processus linéaire où les préalables doivent être bien consolidés avant 50 Geneviève Barabé, Hassane Squalli et Claudine Mary de passer à autre chose, mais plutôt de considérer que l‘élève peut émettre de bons raisonnements malgré certaines lacunes. Cange et Favre (2003) énoncent que « la mise en œuvre d‘activités mathématiques plus diversifiées, c‘est-à-dire qui ne se centrent pas seulement sur le versant numérique des mathématiques ou plus ouvertes et au sein desquelles les élèves seront peut-être susceptibles de mieux distraire leurs enseignants (à nouveau au sens de divertir), tout en leur donnant l‘occasion de mieux se laisser distraire (cette fois au sens de détourner) de leurs difficultés habituelles » (p. 16). Par cette affirmation, les auteurs signifient que les activités plus ouvertes permettent aux élèves de montrer leurs connaissances ce qui détourne leur prise de conscience de leurs difficultés habituelles tout en permettant à l‘enseignant de prendre plaisir à observer les connaissances que peuvent mettre en œuvre les élèves. Conne (1999) rejoint aussi cette voie d‘intervention lorsqu‘il stipule que « la centration sur les performances est un moyen très économique pour obtenir que l‘élève rejoigne le savoir » (p. 43). Pour ce chercheur, il faut « faire faire des mathématiques » aux élèves, c‘est-à-dire qu‘il faut placer l‘élève dans de vraies pratiques mathématiciennes. Lemoyne et Lessard (2003) vont dans le même sens que Conne (1999) en parlant de problématisation de l‘enseignement des mathématiques pour désigner les activités mathématiques pertinentes permettant aux élèves de réaliser de vraies pratiques mathématiciennes. Selon ces auteures, cette problématisation de l‘enseignement permet de faire surgir les connaissances des élèves. En somme, cette voie d‘intervention axée sur les connaissances et les capacités de raisonnement permettant aux enseignants de travailler sur des situations d‘apprentissage riches dans lesquelles les élèves sont amenés à raisonner, à réfléchir et à chercher, sans tenir compte des difficultés particulières de chacun. On ne cherche donc pas à intervenir une nouvelle fois sur les difficultés, mais plutôt à mettre les élèves dans des situations propices à l‘exploitation et au développement du raisonnement mathématique. Cette approche de développement du potentiel mathématique bouleverse les pratiques des enseignants et des orthopédagogues qui travaillent traditionnellement sous un angle de remédiation des difficultés ce qui nourrit le désir d‘une collaboration interprofessionnelle. D‘ailleurs, lors de la formation, les enseignants et les orthopédagogues ont affirmé avoir un intérêt à travailler en collaboration afin de trouver de nouvelles manières d‘intervenir auprès des élèves en difficulté en mathématique, et de pouvoir partager leur expérience et leur formation (notes de terrain). Ainsi, dans le cadre de la recherche collaborative, les enseignants, en collaboration avec les orthopédagogues, ont donc produit, adapté et modifié des ressources pédagogiques en s‘appuyant sur des principes didactiques présentés par les chercheurs afin d‘exploiter cette perspective de développement du potentiel mathématique. Selon Geudet et Trouche (2008) ainsi que Sokhna (2006), le travail des enseignants sur des ressources pédagogiques traduit leur développement professionnel, car « […] à travers ce travail, un enseignant construit ce qui est nécessaire pour faire son métier (Clot, 2007), c‘est-à-dire que ce travail est porteur de développement professionnel » (Geudet et Trouche, 2008, p. 2). En effet, ces chercheurs soulignent que les enseignants passent une bonne partie de leur temps à la production, à l‘adaptation et à la modification de ressources pédagogiques, ce qui place le travail sur ces ressources au cœur de l‘activité des enseignants et donc intervient dans leur développement professionnel. Toutefois, ils attestent que l‘intégration de ressources pédagogiques dans la pratique ne va pas de soi. Dans le même ordre d‘idée, plusieurs recherches témoignent de la difficulté à modifier les pratiques enseignantes. Il nous semble donc utile de chercher à voir comment les enseignants ont intégré ces ressources pédagogiques en classe. Notre question générale de recherche se formule donc ainsi : Comment les enseignants intègrent les ressources pédagogiques liées au développement du 51 GDM 2010 – COMMUNICATIONS potentiel mathématique des élèves dans leur pratique auprès des élèves en difficulté intégrés à la classe régulière? Selon Geudet et Trouche (2008) ainsi que Sokhna (2006) peu de recherches ont été faites pour la prise en compte de la conception et de l‘usage de ressources mathématiques par les enseignants. Selon ces derniers, il s‘agit d‘une voie à explorer. Voyons comment nous allons l‘étudier. LE CADRE DE RÉFÉRENCE Cette recherche s‘appui sur l‘approche documentaire du didactique de Geudet et Trouche (2008) qui prend son origine de l‘approche instrumentale de Rabardel (1995). Cette approche instrumentale permet d‘étudier la médiation par un instrument d‘une activité entre un sujet et un objet. Pour nous, le sujet deviendra un enseignant, les ressources pédagogies visant le développement du potentiel mathématique conçues lors de la formation constitueront les instruments et l‘objet est l‘approche de développement du potentiel mathématique de l‘élève en difficulté d‘apprentissage. Approche instrumentale de Rabardel (1995) Cette approche s‘inscrit dans une perspective vygotskienne des instruments, c‘est-à-dire que l‘instrument est vu comme un médiateur et non seulement un dispositif avec lequel on est en interaction. À cette vision vygotskienne des instruments, Beguin et Rabardel (2000) ajoutent que ceux-ci sont également composés par le sujet et par l‘artefact (In Sokhna, 2006). Dans le même ordre d‘idée, Vérillon et Rabardel (1995) stipulent qu‘un instrument est un objet que le sujet associe à ses actions dans le but de réussir une tâche. On peut donc voir l‘instrument comme étant un intermédiaire entre le sujet et l‘objet. La figure ci-dessous illustre le rôle de médiateur attribué à l‘instrument mis en perspective selon notre projet. Figure 1. Modèle d‘une situation d‘activité instrumentée (Tiré de Vérillon et Rabardel, 1995, p. 11) 52 Geneviève Barabé, Hassane Squalli et Claudine Mary Vérillon et Rabardel (1995) distinguent l‘artefact de l‘instrument en stipulant que l‘artefact est un objet matériel ou symbolique alors que l‘instrument est la construction psychologique de l‘artefact. D‘ailleurs, l‘instrument résulte de l‘établissement, par le sujet, d‘une relation instrumentale avec un artefact, matériel ou non, produit par une autre personne ou par lui-même (Ibid.). Selon Rabardel (1999), les instruments possèdent une double fonction. D‘abord, ils permettent aux élèves, dans leur usage, de construire leur savoir et ils influencent grandement leur processus de conceptualisation. Ensuite, les enseignants peuvent agir sur les instruments pour contrôler et concevoir des situations pédagogiques. Le processus par lequel l‘artefact devient un instrument est appelé la genèse instrumentale (nous y reviendrons sous peu). Outre l‘artefact, ce processus s‘accompagne de l‘élaboration de structures qui permettent au sujet d‘organiser son action. Il s‘agit des schèmes d‘utilisation. Notons que la notion de schème telle qu‘utilisée par Rabardel (1995a) prend, pour sa part, une perspective piagétienne. En effet, pour Piaget un schème d‘action est « ce qui, dans une action, est transposable, généralisable ou différentiable, d‘une situation à la suivante, autrement dit ce qu‘il y a de commun aux diverses répétitions ou aux applications de la même action » (1967, p. 16). Pour sa part, Vergnaud (1996) définit un schème comme étant « une organisation invariante de l‘activité, qui comporte notamment des règles d‘action, et est structurée par des invariants opératoires qui se forgent au cours de cette activité, dans différents contextes rencontrés pour la même classe de situation » (In Geudet et Trouche, 2008, p. 3). Ainsi, Vergnaud complète la définition donnée par Piaget en insistant sur le fait que c‘est l‘organisation qui est invariante et non l‘activité (Sokhna, 2006). Ces schèmes d‘utilisation des artefacts sont caractérisés d‘une part par une capacité d‘assimilation et d‘autre part par une capacité d‘accommodation. D‘abord, la capacité d‘assimilation réfère à l‘adaptation des schèmes en vue de répéter l‘action dans des situations appartenant à une même classe. On considère que des situations appartiennent à une même classe si elles font intervenir les mêmes invariants opératoires, donc les mêmes schèmes. Ensuite, la capacité d‘accommodation permet aux schèmes d‘être appliqués à des objets et à des classes de situations différentes. En somme, on peut dire que l‘instrument est formé de l‘artefact ainsi que des schèmes d‘utilisation de l‘artefact. La figure 2 illustre ces interactions et ces médiations entre sujet, instrument et objet : Figure 2. Interaction et médiations entre sujet, instrument et objet.1 (Tiré de Rabardel, 1995b) 1 Légende : S-I (interaction entre sujet et instrument); I-O (interaction entre objet et instrument); S-Od (interaction directe entre sujet et objet) et S-Om (relation médiée entre sujet et objet). 53 GDM 2010 – COMMUNICATIONS Les schèmes d‘utilisation ont une dimension individuelle et sociale puisqu‘ils font parties d‘un individu et qu‘ils font l‘objet d‘une transmission sociale. De plus, l‘émergence des schèmes d‘utilisation est partiellement due à un processus collectif composé du sujet et du concepteur de l‘artefact. Ainsi, pour Sokhna (2006) l‘étude de l‘émergence des schèmes d‘utilisation doit prendre en compte les formes de collaboration entre les pairs (nous y reviendrons plus tard). Pour sa part, le processus de genèse instrumentale, soit l‘appropriation et la transformation de l‘artefact en un instrument par un individu pour résoudre un problème donné, possède deux dimensions soit l‘instrumentation et l‘instrumentalisation. L‘instrumentation concerne l‘évolution des schèmes d‘utilisation et d‘assimilation de nouveaux artefacts aux schèmes existants. En d‘autres mots, il s‘agit du processus qui fait émerger les fonctions constituantes de l‘artefact, soit les modes opératoires de l‘artefact prévus par le concepteur. Par ailleurs, l‘instrumentalisation fait référence à l‘évolution des composantes de l‘artefact, c‘est-à-dire les fonctions constituées par le sujet durant l‘utilisation de l‘artefact. Afin de bien distinguer ces deux processus duaux, Contamines et al. (2003) précisent que durant le processus d‘instrumentation c‘est l‘utilisateur qui évolue et qui apprend alors qu‘au cours du processus d‘instrumentalisation c‘est l‘artefact qui évolue. Finalement, pour Rabardel (1999), les instruments formés à la suite des genèses instrumentales ne sont pas les seuls qui auraient pu surgir. En effet, à partir d‘un artefact plusieurs instruments peuvent être construits, car le sujet aurait pu mobiliser d‘autres schèmes d‘utilisation, mais ne l‘a pas fait à cet instant précis. Dans la classe, il se peut donc que les élèves et les enseignants ne construisent pas les mêmes instruments. L‘enseignant doit donc anticiper et gérer les genèses instrumentales afin de s‘assurer que l‘instrument ait l‘effet souhaité dans le processus d‘apprentissage. La genèse documentaire du didactique Pour Geudet et Trouche (2008) et Sokhna (2006), l‘approche instrumentale est un outil pertinent pour étudier et analyser les pratiques enseignantes. À cette fin, Geudet et Trouche (2008) ont exploité cette approche instrumentale de Rabardel (1995) pour un cas particulier d‘instrument, les documents. En effet, les enseignants passent une bonne partie de leur temps à concevoir la matière de leur enseignement. Dans cette perspective, ces chercheurs définissent le travail documentaire comme étant cette conception de la matière, et la matière comme étant les documents. Ainsi, dans leur approche documentaire du didactique, Geudet et Trouche parlent plutôt de genèse documentaire pour spécifier de quel instrument il s‘agit. Cette genèse documentaire donne naissance à un document formé de ressources et de schèmes d‘utilisation des ressources tout comme l‘instrument est formé d‘artefacts et de schèmes d‘utilisation des artefacts. Ainsi, la genèse documentaire est un processus de constitution d‘un document à partir de ressources qui fait intervenir les processus d‘instrumentation et d‘instrumentalisation. L‘instrumentalisation est donc le processus par lequel l‘enseignant s‘approprie et modifie les ressources alors que l‘instrumentation est le processus par lequel l‘enseignant exploite les ressources pour orchestrer son action didactique. De plus, cette genèse documentaire est un processus dynamique étant donné qu‘elle donne lieu à un document à partir de ressources et que ce document permettra d‘engendrer des ressources qui à leur tour finiront par constituer de nouveaux documents. En fait, tout comme la genèse instrumentale, la genèse documentaire marque l‘évolution progressive de l‘utilisation de l‘artefact, ici la ressource, en un instrument, ici le document. Le schéma ci-dessous basé sur celui de la genèse instrumentale fait par Contamines et al. (2003) illustre la genèse documentaire en situant ses processus duaux. 54 Geneviève Barabé, Hassane Squalli et Claudine Mary Figure 3. La genèse documentaire et ses processus duaux. Par ailleurs, le travail documentaire de l‘enseignant ne se fait pas de manière isolée. En effet, les échanges dans la classe, le partage de ressources entre les enseignants ainsi que le travail coopératif des enseignants d‘une même discipline ou d‘un même niveau scolaire permettent de caractériser le travail documentaire de collectif. Geudet et Trouche (2008) parlent alors de travail documentaire communautaire qui met en relation un répertoire et une communauté. Au travers des genèses documentaires communautaires, un vivier de ressources est créé. Il s‘agit en fait de l‘ensemble des ressources matérielles partagées par la communauté. Cet ensemble évolue au fil du temps, car les membres de la communauté ajouteront de nouvelles ressources, utiliseront les ressources du vivier qui seront alors retravaillées et qui permettront le développement de nouveaux documents à partager. Chaque membre de la communauté s‘approprie et modifie les ressources ce qui traduit un processus d‘instrumentalisation qui contribue à faire évoluer le répertoire. Pour sa part, le répertoire permet à un membre donné d‘exploiter les nouvelles ressources ce qui traduit un processus d‘instrumentation du travail documentaire de la communauté. L‘aspect collectif du travail documentaire est donc une dimension à considérer. Toutefois, l‘approche documentaire du didactique ne présente pas de cadre complet pour son analyse. Nous ne tiendrons donc pas compte de l‘aspect collectif dans notre projet de maîtrise, mais nous sommes conscients que cela constitue une limite à notre recherche. Vers une opérationnalisation de notre projet En somme, dans notre projet, nous nous intéressons à l‘intégration des principes sur le développement du potentiel mathématique dans les pratiques enseignantes. Les principes agissent donc à titre d‘artefacts que les enseignants doivent transformer pour qu‘il devienne un instrument. Dans notre cas, les situations d‘apprentissage et leur réalisation en classe constituent les instruments, c‘est donc dire les documents. Le schéma ci-dessous illustre notre projet vu sous ce cadre théorique. 55 GDM 2010 – COMMUNICATIONS Figure 4. Opérationnalisation du cadre de référence Une étude des processus d‘instrumentation et d‘instrumentalisation mis en œuvre par les enseignants lors de l‘intégration dans leur pratique de ressources pédagogiques (principes didactiques) liées au développement du potentiel mathématique des élèves sera donc à même de nous renseigner sur l‘évolution du développement professionnel des enseignants. En effet, la genèse documentaire explique la transformation d‘une ressource en un document, c‘est-à-dire une ressource qui est intégrée par les enseignants. Notre objectif de recherche sera donc de décrire les schèmes d‘utilisation mis en œuvre dans les processus d‘instrumentation et d‘instrumentalisation des enseignants lors de leur travail sur des ressources pédagogiques liées au développement du potentiel mathématique et de l‘insertion de celles-ci dans leur pratique. Nous sommes maintenant rendus à élaborer notre méthodologie afin d‘effectuer nos analyses. BIBLIOGRAPHIE BRODEUR, M., DEAUDELIN, C. et BRU, M. (2005). Introduction : Le développement professionnel des enseignants : apprendre à enseigner pour soutenir des élèves. Revue des sciences de l’éducation, 31(1), 5-14. CANGE, C. et FAVRE, J-M. (2003). L‘enseignement des mathématiques dans l‘enseignement spécialisé est-il pavé de bonnes analyses d‘erreurs? Éducation et francophonie, 31(2), 199-216. COMMISSION PARENT (1964). Rapport de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec (Vol. 2). Québec : Gouvernement du Québec. CONNE, F. (1999). 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Pendant la construction d'une figure origami, on suit les instructions sur pliage en évaluant le résultat visuellement. Le but de cet atelier est d‘amener l‘élève à « mathématiser » des plis qui ont été « visuellement compris ». À l‘aide d‘un raisonnement déductif visant à expliquer et à évaluer les conséquences d'une étape de la séquence de pliage, l‘élève pourra faire la distinction entre les parties « donnée » et « demandée » de la situation et ainsi mieux saisir les deux aspects clés de l‘activité - la nature séquentielle de la construction et la structure mathématique sous-jacente aux plis. Cette expérience pratique peut augmenter de manière significative l'engagement des élèves tout en enrichissant leurs apprentissages de géométrie. INTRODUCTION Depuis longtemps, la motivation et l‘engagement sont considérés comme facteurs principaux de l‘apprentissage chez les élèves, et les enseignants sont appelés à concevoir des activités pouvant contribuer à leur développement. Toutefois, la recherche d‘un équilibre entre l'enseignement formel et le divertissement représente tout un défi pour ce type d‘activités. Je propose l'utilisation de l'origami comme contexte pour des explorations géométriques. Il y a quelques décennies, les activités origami étaient considérées plutôt comme un passe-temps amusant, mais des études récentes ont mis en évidence leurs avantages dans différents domaines, notamment dans la thérapie, l‘enseignement, les arts et les mathématiques. La nature même de l'origami, comme l‘art du papier plié, explicite son lien direct avec la géométrie. Plusieurs d'études confirment que l'origami a un impact positif sur l'intérêt, l'engagement et la perception de soi-même. Cependant, dans le contexte de l‘enseignement de mathématiques, l‘origami doit contribuer plus : il doit assurer l‘engagement des apprenants dans les explorations mathématiques qui enrichiront leur expérience avec des objets physiques et, par la suite, les aideront à mieux comprendre les relations entre les concepts et les structures mentales impliquées. CADRE DE RÉFERENCE Dans une brève revue de littérature, je vais me concentrer sur des éléments nouveaux qu‘apporte l'origami pour l‘enseignement et l‘apprentissage de la géométrie. Cette revue donnera un aperçu des trois grandes lignes de l'utilisation et des avantages potentiels de l'origami. Il n‘y a pas d‘études concluantes sur les bénéfices de cette approche comparées aux approches dites ‗classiques‘. Toutefois, l‘on y trouve suffisamment d‘indices sur la «valeur didactique ajoutée» de l‘origami. Ildikó Pelczer Tout d'abord, je me réfère aux manipulations concrètes avec des objets physiques. Ces « objets qui font appel aux plusieurs sens et qui peuvent être touchés, réarrangés, ou autrement manipulés par les enfants » (Kennedy, 1986, p.6). En vertu de cette définition, un morceau de papier plié, tourné, poussé, etc., devient l‘objet de manipulation concrète. Dans leur étude, Martin, Lukong et Reaves (2007) ont conclu que l‘utilisation du matériel de manipulation en géométrie aide les enfants à étendre leurs investigations sur le monde physique et, en conséquence, font avancer leur pensée. L‘exploration de liens entre le monde physique (concret) et le monde mental (abstrait) peut être initiée à l‘aide de l‘origami grâce à sa double nature: un morceau de papier peut être tourné, encore plié, transformé en une forme 3D - des actes physiques qui conduisent à de nouveaux contextes et invitent à de nouvelles questions. Les nouvelles situations des problèmes viennent spontanément, presque par jeu, tandis que dans d'autres circonstances (comme une figure dessinée sur une feuille de papier) il faudrait avoir une forte imagerie mentale. Au même temps, des études récentes en neurologie et neuropsychologie suggèrent que l'imagerie mentale se manifeste à la fois visuellement et de façon kinesthésique (Parsons, 1987, 2003). En origami, les deux manifestations sont également présentes, alors je m'attends à ce que l'expérience en origami contribue à atteindre une meilleure imagerie mentale. Ce phénomène est propre à toute la géométrie plane dont tous les théorèmes déductibles doivent avoir un correspondant physique. Cela signifie, par exemple, que chaque hypothèse dans le théorème de congruence de triangles « peut être vérifiée» par des mouvements physiques: l'égalité des segments ou des angles signifie qu‘ils peuvent être complètement superposés. En tant que telle, on a en permanence une connexion bidirectionnelle entre l'abstrait (ce qui peut être exprimé par des relations formalisées) et l'acte physique qui « illustre» une telle relation. En même temps, afin de saisir ce lien à double sens, l'étudiant doit faire un effort pour exprimer les plis de base sous forme de relations abstraites. En conclusion de cette première ligne de pensée, je vois l‘origami comme un cadre pour: développer chez l‘élève la capacité de communiquer mathématiquement, en modélisant les plis comme relations entre les objets mathématiques; stimuler la création d'une image mentale correspondant à certains concepts; améliorer l'imagerie mentale, en particulier l'imagerie spatiale et rotationnelle; motiver les élèves à étudier plus profondément le contexte d‘un problème donné et de formuler de nouvelles questions. Deuxièmement, je me réfère brièvement a des études relatives à la preuve en géométrie. Dans son étude relative à la preuve déductive, Heinze (2004) a identifié trois niveaux de compétences: (I) des compétences de base, (II) la compétence argumentative (une étape-argumentation) et (III) la compétence argumentative (combinant plusieurs étapes de l'argumentation). Sur la base de l'expérimentation réalisée auparavant, il conclut que la plupart des élèves ont des difficultés avec le niveau 3 (III) de cette échelle. Celui-ci peut être exprimé comme la capacité de mettre des arguments ensemble et de les ordonner pour en faire une preuve valide. J‘émets l'hypothèse que l'origami peut contribuer ici à expliciter clairement les conséquences d'une certaine action (pli). La nature séquentielle d'une construction origami permet d'identifier les relations qui sont des conséquences d'un pli particulier (évidemment, combiné à un 59 GDM 2010 – COMMUNICATIONS précédent). On pourrait dire que toutes les constructions de la géométrie sont séquentielles, cependant, en origami souvent nous avons besoin de «préparer» un pli, en marquant préalablement les autres plis. Par une telle contrainte, nous avons les prémisses et les conséquences d'une action (pli). La construction avec règle et compas est similaire à l'origami en ce sens, mais très peu d'étudiants dessineraient de telle façon pendant la résolution des problèmes de géométrie. Devant une figure complexe, les élèves pourraient avoir des difficultés à identifier l'argument particulier qui garantit certaine relation, mais dans une construction séquentielle explicite (comme l'origami), on peut directement mettre le doigt dessus. De manière inattendue, certains plis pourraient également déterminer les lignes qui ne sont pas strictement nécessaires. Cependant, leur présence peut donner des indices sur ce qui se passe. Il faudrait toutefois souligner que l‘origami, même étant considéré ici comme cadre facilitateur, n'est pas une garantie que les élèves apprennent à argumenter. L‘effort, l‘attention et l‘exploration active du côté des élèves ont été identifiés comme des éléments clés pour l'apprentissage des mathématiques (Mason, 1989; NMAP, 2008; Stevens, 2001). Étant donné que le pliage d‘une figure origami les engage dans une activité pratique avec un but clair et tangible, les étudiants pourront y mettre plus d'efforts et d'attention en elle, car ils se sentiront plus motivés (Smith, 1987). De plus, en manipulant avec un morceau de papier à plier, les élèves peuvent explorer différents plis et visuellement évaluer les conséquences. Toutefois, il est nécessaire que l'enseignant approfondisse l‘activité de plage à l‘aide de réflexions et d‘actions mentales de nature mathématique plus abstraite afin de pouvoir bénéficier pleinement du potentiel d‘origami d‘enrichir l‘apprentissage de mathématiques. En concluant la deuxième partie, on dirait que l'origami peut favoriser le développement des compétences suivantes: identifier les prémisses et les conséquences d'un pli particulier (ce qui est, en fait, l'expression d‘une relation spécifique dans le problème); classer des arguments dans un ordre cause-conséquence. Troisièmement, dans de nombreux programmes d'études il y a une demande explicite de développement de liens entre les mathématiques scolaires et la vie de tous les jours ; donc, les compétences les plus complexes qui doivent être développées en donnant aux élèves des outils pour résoudre des problèmes concrets rencontrés dans leur vie. Les programmes d'études au Québec mentionnent spécifiquement (MELS, 2006) des compétences comme la collecte d'informations pertinentes, la formulation des questions dans une situation donnée, la recherche des solutions multiples. Dans les activités de l'origami, l‘élève peut rencontrer des situations dans lesquelles il devra mobiliser ses ressources faisant appel à ces compétences, entre autres, lorsque certaines étapes ne sont pas décrites dans tous les détails. Dans ces occasions, l'élève a besoin d‘un raisonnement vers l'arrière (comme: qu‘est-ce qui est nécessaire pour en arriver là?) afin de déterminer les conditions initiales plutôt que de simplement exécuter les séquences linéaires de plis (Tateishi, 2009). Finalement, je mentionne ici une particularité de certaines tâches origami par rapport aux constructions avec la règle et le compas. L‘une des usages possibles du compas dans les 60 Ildikó Pelczer constructions géométriques est de mesurer une longueur et, par conséquent, de déterminer facilement les intersections de segments de longueur donnée. La principale différence arrive de la détermination d'un point d'intersection: afin de le trouver, d'une manière rigoureuse, l'élève a souvent besoin de se concentrer sur les propriétés d'un objet géométrique plutôt que sur une définition descriptive. En tant que tel, le contexte origami est celui qui facilite le progrès des élèves selon les niveaux de la pensée géométrique établis par van Hiele (1986). En conclusion de la troisième partie, je considère que l'origami peut être un contexte pour: explorer activement une situation (faire une collecte d'informations nécessaires, construire le raisonnement à l'envers, en utilisant et en extrapolant la contrainte, analyser et tirer profit de situations symétriques et contre-symétriques; concentrer sur les propriétés des objets géométriques et leur rapport avec d‘autres formes. MATÉRIEL POUR L’ATELIER On propose cinq activités pour l'atelier. La première consiste dans une construction, par le pliage, d‘un triangle équilatéral à partir d‘un carré et puis dans une recherche d‘un triangle équilatéral ayant une aire maximale. Si le temps le permet, l‘exercice est répété pour construire un hexagone. Nous comparons cette construction à celle effectuée à l‘aide d‘un compas et d‘une règle. La deuxième activité décrit les principales étapes de la construction d‘une étoile origami et comporte une série de questions sur les propriétés géométriques de la figure finale. La troisième donne des indications pour le pliage d'une carte de souhaits, mais les diagrammes n'indiquent pas tous les détails de la construction. En observant la figure finale, les participants ont besoin de penser de façon « marche-arrière » pour trouver, par la voie d‘exploration, les détails manquants. La quatrième prévoit la construction d'un tétraèdre et d'un cube modulaires dans le but de découvrir les relations entre les longueurs, les aires et les volumes initiaux et finaux. Dans ce contexte, l'accent est mis sur le raisonnement et l‘argumentation. La cinquième activité porte sur la géométrie spatiale et demande de calculer le volume d‘un nombre de figures géométriques. Cependant, puisque seulement un élément de base est connu (longueur du carré), on doit effectuer une série de déductions par rapport aux dimensions de la figure finale. PRÉSENTATION DÉTAILLÉE D’UNE ACTIVITÉ Il s'agit de la troisième activité, le pliage d'un modèle traditionnel de certificat-cadeaux à partir d'un morceau de papier recto-verso, sous forme de carré: (modèle pris www.origami-club.com, voir figure 1) : 61 GDM 2010 – COMMUNICATIONS Figure 1. Modèle utilisé dans l‘activité 3 Dans la section précédente, nous avons énuméré les contextes, liés à la tâche d‘origami, qui peuvent appuyer de diverses façons un élève qui apprend la géométrie. Nous allons ressortir quelques-unes en parcourant les étapes du pliage. 1. Malgré le fait que la tâche particulière est sur le pliage, on peut poser des « questions géométriques »: Quelle est la longueur du nouveau carré ? Quelle partie de la figure 1 est blanche (en pourcentage) ? Est-il possible d‘agrandir le modèle? A travers ces questions on facilite l'exploration mathématique. 2. On peut demander aux élèves de formaliser leur manipulations : comment peut-on décrire les plis en terme de relations mathématiques? Cette tâche pourra contribuer au développement de la compétence liée à la communication mathématique. Considérons les trois premiers plis (figure 2) : 2a. Premier pli 2b. Deuxième pli 2c. Troisième pli Figure 2. Les trois premiers plis du modèle Afin de « décrire mathématiquement » le premier pli (ce qui veut dire: « plier la diagonale »), il faut utiliser des symboles en leur attribuant une signification particulière. Dans la figure 3 (a, b), nous montrons deux façons d‘indiquer la construction d‘une diagonale (hypothétiques) effectué par les élèves. 62 Ildikó Pelczer a. b. Figure 3. Deux façons d‘indiquer la construction d‘une diagonale Considérons que la construction représentée sur la figure 3a est décrite par l'élève comme suit : |AO|=|OC|=|DO|=|OB| et AC DB. En même temps, la construction de la figure 3b, décrite comme: l1=l2, où l1 se référant à la longueur d'un segment. Tenant compte des différentes façons de décrire une construction, l'enseignant peut mener une discussion à propos de l‘utilité, l‘expressivité et l‘exhaustivité de chaque forme de communication. 3. Comme on voit sur la figure 2 (image 2b), la position de la ligne de pliage n‘est pas précisée. Est-il possible de la déterminer en faisant de déductions à partir de la figure 2c? Cela peut être une question difficile pour les élèves, car visuellement, ils peuvent avoir un indice, mais cela ne suffit pas pour « le prouver ». Dans ce cas-là, on a besoin d‘analyser la figure suivante, ici illustrée par la Figure 4a. Les élèves intéressés pourront trouver une belle chaîne de relations, qui conduisent au calcul de la valeur demandée. Nous présentons, à l‘aide de la figure 4b, le début de ce raisonnement en marquant avec un trait vertical des segments ayant la même longueur (exemple, LO et OF). 4a. Le quatrième pli 4b. Relations entre les longueurs des segments Figure 4. Le quatrième pli (4a) et relations entre les longueurs des segments (4b) 63 GDM 2010 – COMMUNICATIONS Il faudra également revenir en arrière et expliquer pourquoi l‘angle FEB est de 90°. Afin de bénéficier pleinement de cette tâche origami, l'enseignant aurait besoin de pousser la réflexion plus loin et demander : que doit-on justifier dans le contexte donné et que peut servir d'argument pour cette justification? Cette étape a été décrite afin d'illustrer comment pouvons-nous stimuler la recherche d'arguments et de les ordonner afin d‘obtenir une explication satisfaisante. 4. À ce stade, on peut se demander ce qui se passe lorsqu‘on plie le long de la ligne FL. Qu'advient-il de point E? Une fois toutes ces questions répondues, il est facile de répondre à celles posées au point 1) ci-haut : Quelle est la longueur du carré final? Quel pourcentage représente la partie blanche de la zone du carré? On voit le potentiel réel d'une activité origami, car elle stimule le questionnement et la recherche de l‘argumentation et du raisonnement. Il appartient à l'enseignant de voir sur quel aspect il veut se concentrer: trouver des arguments, le raisonnement, la prédiction ou le calcul. Ainsi, l'activité offre un nouveau contexte pour apprendre la géométrie, qui peut être très motivant pour les élèves. CONCLUSION Parmi les avantages immédiatement identifiables lors de l‘utilisation de l'origami dans les activités scolaires se trouvent, entre autres : La possibilité d‘inciter les élèves à penser aux propriétés de la figure, puisque la définition seule ne donne pas toujours la procédure de construction. Le besoin de manipuler du papier pour observer les changements des angles et des aires; et aussi, le besoin de prévoir les conséquences d'une telle transformation. « Recherche de l‘information manquante » afin de valider les résultats finaux. Et encore, les relations entre les entités sont essentielles afin de construire le raisonnement. Raisonner sur la manière qu‘une figure plane devienne tridimensionnelle : quelles parties sont maintenues inchangées, quelles sont les limites et les valeurs optimales. Développement de la compétence de communiquer mathématiquement à l‘aide d‘un langage mathématique formel. Amélioration de l‘imagerie mentale chez les élèves. En ce qui concerne les limites, on peut dire que l‘origami offre un environnement pour l'exploration des figures géométriques qui ne peut pas être trouvé dans d'autres circonstances qui proposent, pour la plupart du temps, des problèmes bien formulés. Habituellement, les problèmes bien formulés nous mènent au processus de résolution de problème bien défini et, en tant que tels, laissent peu d‘espace à l'exploration. En même temps, l‘activité purement mathématique exige la reformulation continue des propriétés, la découverte des nouvelles relations; et tout cela peut être réalisé par l‘intermédiaire des activités d'origami. BIBLIOGRAPHIE HEINZE, A. (2004). 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Langage de base des sciences pures, on retrouve également les mathématiques en sciences humaines, notamment en sciences de l‘éducation. Toutefois, pour plusieurs intervenants scolaires, il n‘est pas facile d‘entrevoir de quelles manières les mathématiques peuvent contribuer à améliorer significativement leur pratique et la connaissance qu‘ils en ont. Or, cette préoccupation concerne directement un des thèmes du présent colloque, soit celui de montrer comment les mathématiques peuvent constituer un outil d‘appropriation du réel pour apprendre à apprendre. Au demeurant, cette idée se trouve à la base d‘une de nos recherches qui tente de connaître dans quelle mesure un ensemble de méthodes statistiques choisies peut améliorer l‘efficacité et l‘efficience d‘une communauté d‘apprentissage professionnelle. Dans le cadre de cette communication, nous présenterons la problématique en amont de la recherche, nous définirons le concept de communauté d‘apprentissage professionnelle et nous terminerons en identifiant des méthodes statistiques permettant à une communauté d‘apprentissage professionnelle de répondre à sa mission première, soit celle d‘apprendre à apprendre. PROBLÉMATIQUE Depuis déjà une bonne décennie et à l‘instar de plusieurs pays, certaines provinces canadiennes ont entrepris de réformer leur système scolaire (Alberta, 1998 ; Ministère de l‘Éducation du Nouveau-Brunswick 1993, 1995 ; Ministère de l‘Éducation de l‘Ontario, 1994, 2004 ; Ministère de l‘Éducation, du loisir et du sport, 1996a). À l‘origine de ces réformes, on retrouve de nombreux facteurs tels que le démantèlement des États-providence (OCDE 1995a, 1995b); la déréglementation des marchés financiers et l‘exploitation des ressources par des entreprises qui déménagent en fonction des économies anticipées (Petrella, 2000); des changements démographiques importants (UNESCO, 2009), l‘avènement des technologies d‘information et des communications (OCDE, 2000) de même que plusieurs facteurs intrinsèques, notamment en matière de gestion scolaire (Ministère de l‘Éducation, 1996b). Afin de mieux s‘adapter à ses transformations, on suggère aux établissements d‘enseignement d‘améliorer leur fonctionnement en s‘inspirant de modèles qui prônent la décentralisation et la collaboration (Beaumont, 2010 ; Candoli, 1995 ; Conseil supérieur de l‘éducation (1993); Howden et Kopiec, 2002 ; Laferrière, 2006). C‘est dans cette foulée que l‘on parle de plus en plus de communauté d‘apprentissage professionnelle. COMMUNAUTÉ D’APPRENTISSAGE PROFESSIONNELLE (CAP) Pris au sens large, l‘idée d‘une communauté d‘apprentissage en tant que regroupement de personnes désirant acquérir et partager des connaissances pour mieux comprendre, faire et se comporter, n‘est pas nouvelle : il suffit de penser aux écoles milésienne et pythagoricienne, à l‘académie de Platon ou au lycée d‘Aristote pour s‘en convaincre. De même, depuis le début du XXe siècle, la volonté de restructurer le travail avait déjà germé au sein des sciences Jean Labelle administratives avec le courant de gestion participative par l‘entremise de structure matricielle, de structure par projet, de force opérationnelle (task force) ou de cercle de qualité (Côté, 1996 ; Dolan, 2007). Partant, la collaboration et le travail d‘équipe furent aussi préconisés au sein des établissements d‘éducation de même qu‘à l‘intérieur des classes via l‘interdisciplinarité, l‘apprentissage par projet, l‘apprentissage coopératif et la communauté d‘apprentissage professionnelle. En éducation, Hord (2004) mentionne que l‘expression « Professional Learning Community » est plutôt récente dans la littérature. En effet, selon nos recherches, ces descripteurs ne figurent pas encore au sein du vocabulaire contrôlé de plusieurs bibliothèques et bases de données telles qu‘Education Resources Information Center où on lui préfère l‘expression « Communities of Practice » (communauté de pratiques). En dépit de cela, Walker (2002) et Wong (2010) soulignent que la notion d‘une CAP pénètre le discours des milieux scolaires nord-américains depuis les années 90. C‘est qu‘à cette époque, Fullan (1993) montre comment les changements dans l‘environnement exigent la restructuration des établissements d‘éducation, Senge (1990; 1993; 1996) avance le concept d‘organisation apprenante, puis Cuban (1992) et McLaughlin (1992) signalent que les problématiques liées à l‘éducation sont systémiques et doivent interpeller toute la collectivité. Ce faisant, pour que les processus éducatifs aboutissent à un résultat maximal, Hord (1997) de même que DuFour et Eaker (1998) proposent d‘unir les forces vives de l‘organisation tout entière et de travailler en CAP. Outre le fait que l‘expression « communauté d‘apprentissage professionnelle » soit empruntée de la langue anglaise, Dufour (2004 ; 2010), Hord (1997), Roberts et Pruitt (2009) de même que Williams, Brien, Sprague et Sullivan (2008) mentionnent qu‘il existe plusieurs acceptions de cette expression, ce qui contribue à semer de la confusion. Dès lors, afin de jeter un peu de lumière sur cet objet d‘étude, mentionnons brièvement que l‘expression « communauté d‘apprentissage professionnelle » est construite respectivement d‘un nom féminin (sujet), d‘une préposition élidée, d‘un nom masculin (complément du nom communauté) et d‘un adjectif qualificatif (épithète du nom communauté). Selon Rey (1998), le mot « communauté » est emprunté au latin communitas et désigne un ensemble de personnes et, abstraitement, l‘état de ce qui est commun à plusieurs personnes. Le mot « apprentissage » est dérivé de apprenti pour signifier : formation technique et artisanale. Apprenti est lui-même dérivé de apprehendere qui a donné le verbe « apprendre » (saisir par l‘esprit ; acquérir pour soi des connaissances). En ce qui a trait au mot « professionnelle », il tire son origine de « professio » (déclaration ; action de se donner comme, d‘où état, condition, métier). En français, le mot « professionnel » qualifie ce qui se rapporte à, qui est fait selon le métier ou la profession. Il est substantivé en parlant d‘un spécialiste, d‘une personne de métier, par opposition à un amateur. Le mot a donné professionnalisme qui est devenu usuel pour désigner les qualités de sérieux et de compétences professionnelles. Par ailleurs, plusieurs auteurs, dont Astuto et al. (1993), Eaker, DuFour et DuFour (2004) et Hord (1998, 2009) définissent une CAP en faisant référence à l‘idée d‘un groupe ou d‘une équipe. Toutefois, ces notions demandent à être précisées. Par exemple, Saint-Arnaud (2008) définit le groupe comme un champ psychologique produit par l‘interaction de trois personnes ou plus, réunies, en situation de face à face, dans la recherche, la définition ou la poursuite d‘une cible commune : ses personnes étant en interaction avec la cible commune et aussi entre elles. De même, pour Maisonneuve (2010), l‘équipe évoque des images d‘élan, d‘effort collectif et de 67 GDM 2010 – COMMUNICATIONS solidarité où la notion de cohésion apparaît tout à fait centrale, spécialement chez les chercheurs qui s‘inscrivent à la suite de Lewin (1959). Ainsi, au terme de ces éclaircissements, nous proposons la définition opérationnelle suivante de l‘expression à l‘étude. Une communauté d‘apprentissage professionnelle est un groupe, pouvant inclure ou non d‘autres groupes, dont les membres interagissent entre eux dans le but d‘améliorer une situation qui les concerne, en partageant des connaissances et des pratiques selon les valeurs et les normes relatives à leur fonction. Comme il est possible de le constater, cette définition s‘appuie sur la théorie des ensembles en mathématiques et laisse place à différentes configurations d‘une communauté d‘apprentissage professionnelle. Toutefois, à l‘égard de son essence, la communauté d‘apprentissage professionnelle doit, dans tous les cas, posséder d‘abord les trois caractéristiques d‘un groupe (plus de deux personnes ; en interaction ; pour atteindre un but), puis s‘articuler de manière à favoriser le partage des connaissances et des pratiques selon des valeurs et des normes liées à la fonction des membres. MÉTHODES STATISTIQUES PROPOSÉES D’APPRENTISSAGE PROFESSIONNELLES POUR LES COMMUNAUTÉS Pour qu‘une communauté d‘apprentissage professionnelle acquière des connaissances, elle doit s‘inspirer de stratégies et d‘approches qui se déclinent en pratiques par l‘entremise de méthodes et de techniques. Or, en ce qui a trait aux méthodes mises de l‘avant par les communautés d‘apprentissage professionnelles, la recension des écrits met en évidence que peu ou pas de techniques quantitatives sont utilisées par ces dernières (Labelle, 2007; Labelle, Weva, Leclerc et Moreau, sous presse, Leclerc et al. 2009). Cependant, à notre avis, les mathématiques pourraient contribuer à l‘amélioration continue des processus d‘apprentissage, notamment par le biais de la statistique. Ainsi, dans le seul dessein de mieux garnir le coffre à outils des communautés d‘apprentissage professionnelles, nous présentons sept méthodes statistiques permettant de mettre en évidence des faits plutôt que des opinions, de réduire la part de la subjectivité lors de la prise de décision et d‘autoriser la généralisation grâce à l‘apport des probabilités. Utilisées au sein de différentes disciplines académiques et de nombreuses organisations appliquant le mode de management de la qualité par l‘entremise des cercles de qualité, ces méthodes sont : le diagramme en arrête de poisson, le tableau de fréquence, le diagramme à bâton, l‘histogramme, le diagramme de Pareto, le diagramme de dispersion et la carte de contrôle. Afin de démontrer la pertinence de ces méthodes statistiques pour une communauté d‘apprentissage professionnelle, nous nous proposons de les articuler à l‘aide d‘un cas fictif. Le cas. La direction d‘une école XYZ est aux prises avec un sérieux problème de gestion du personnel. C‘est que depuis le début de l‘année scolaire, un nombre croissant de plaintes sont formulées à l‘égard du professeur de mathématiques, Monsieur Euler. Le taux de réussite de ses élèves est particulièrement bas et la moyenne de groupe de même que celle de plusieurs de ses élèves sont peu reluisantes. Pourtant, dans les classes de Madame Agnesi, qui enseigne également les mathématiques au même niveau que lui, tout semble fonctionner à la perfection, et ce, même si les élèves ont été distribués de façon aléatoire pour former les groupes en mathématique. Ironie du sort, depuis le début de l‘année, Monsieur Euler participe activement à une CAP où il échange avec ses collègues de travail à propos de ses pratiques d‘enseignement, des modes 68 Jean Labelle d‘apprentissage des élèves et les contenus de programme, ce qui contribue, de l‘aveu même de Madame Agnesi, au succès de tous les élèves. Cependant, la direction de l‘école, qui exerce un style de leadership plutôt autoritaire, croit pour sa part que « si l‘union fait la force, la chaîne est aussi résistante que son maillon le plus faible». Bref, comme M. Euler occupe un poste à statut précaire, le service du personnel de la commission scolaire où il œuvre l‘a avisé formellement qu‘il ne renouvellerait pas son contrat de travail pour l‘an prochain. Cette nouvelle a eu l‘effet d‘une bombe. Par chance, ses collègues, dont la majorité bénéficie du même statut que lui, ont sympathisé à sa cause. Aussi, au moment où devait débuter la CAP en mathématiques de cette école, Madame Agnesi a profité de l‘occasion pour tenter d‘y voir plus clair et d‘améliorer l‘apprentissage en mathématiques des élèves de Monsieur Euler. Emploi des méthodes. D‘abord, M. Tartaglia, un des membres de la CAP en mathématiques, a rapidement tracé un diagramme en arêtes de poisson sur l‘ardoise. Cela fut suivi d‘un remue-méninges où M. Lambert jouait le rôle d‘animateur, Mme Barnum agissait comme experte et Mme Noether, comme professeure. La figure 1 montre le fruit de leur travail. Figure 1. Diagramme en arêtes de poisson La figure 1 illustre un diagramme en arêtes de poisson sur lequel on a inscrit l‘effet ou le problème à résoudre dans la tête du poisson. Par la suite, les membres de la CAP ont identifié les grandes catégories de facteurs au bout des arêtes (enseignement, apprentissage, matière à enseigner, personnel et milieu de travail). Puis, un remue-méninges a permis de faire ressortir des sous-facteurs, visibles sur les arêtes secondaires. Après avoir posé le problème et identifié des causes, la CAP a passé à l‘expérience et à la cueillette de données factuelles. Il ne fut donc pas question de prioriser une cause en vertu d‘une opinion, mais plutôt de tester chacune des hypothèses. Parmi les causes pouvant expliquer le faible taux de réussite en mathématiques des élèves de M. Euler, les membres de la CAP avaient identifié les sous-facteurs « composition du groupe » et 69 GDM 2010 – COMMUNICATIONS « taille de la classe » de la catégorie « Milieu ». La figure 2 présente deux diagrammes à bâtons offrant de l‘information à ce sujet. Figure 2. Diagrammes à bâtons Le premier diagramme à bâtons de la figure 2 montre que le nombre de filles est légèrement supérieur à celui des garçons dans le groupe de M. Euler. La taille de ce groupe est de 32 élèves. Le deuxième diagramme à bâtons indique que le nombre de garçons est presque équivalent à celui des filles dans le groupe de Mme Agnesi. La taille de ce groupe est également de 32 élèves. Ainsi, les hypothèses voulant que la composition des groupes — du moins selon le genre — ou le rapport élèves/enseignant puissent expliquer le faible taux de réussite des élèves de M. Euler deviennent beaucoup moins plausibles. En effet, non seulement les deux groupes sont de taille égale, mais le nombre de garçons ou de filles dans chacun des groupes est presque équivalent soit, 14 garçons pour un groupe contre 15 dans l‘autre et 18 filles dans un groupe contre 17 dans l‘autre. Par ailleurs, les membres de la CAP ont analysé d‘autres données. Celles-ci portaient sur les résultats académiques des élèves de Monsieur Euler et de Madame Agnesi. Voici un tableau de fréquences résumant cette information. Tableau 1 Classement des élèves de M. Euler et des élèves de Mme Agnesi selon leur moyenne générale en mathématiques Résultats (%) Élèves de M. Euler Élèves de Mme Agnesi [0 – 40 [ 0 0 [40 – 50 [ 6 0 [50 – 60 [ 20 2 [60 – 70 [ 6 15 [70 – 80 [ 0 14 [80 – 90 [ 0 1 [90 – 100] 0 0 Total 32 32 70 Jean Labelle Le tableau 1 montre que les élèves de Mme Agnesi affichent un meilleur taux de réussite en mathématiques que ceux de M. Euler, la note de passage étant fixée à 60 %. Effectivement, alors que le taux de réussite des élèves de M. Euler se situe à 18,75 % (6/32), celui des élèves de Mme Agnesi est de 93.75 % (30/32). Le tableau 2 présente les moyennes et les écarts-types des deux groupes d‘élèves. Le test de Levene et le Test T sont mentionnés à titre indicatif, car ils ne font pas partie des sept méthodes statistiques de base proposées aux CAP. Tableau 2 Comparaison des moyennes de groupe de M. Euler et de Mme Agnesi Statistique Groupe de M. Euler Groupe de Mme Agnesi Moyenne 55,12 67,12 Écart-type 4,835 5,966 a. Test de Levene sur l‘égalité des variances : F = 1,502 ; Sig. = .225 b. Test T : t = 9,286 ; Sig. (bilatérale) = .000 Le tableau 2 compare la différence de moyennes pour les groupes de M. Euler et de Mme Agnesi. Le test T démontre que la différence de moyennes entre les élèves de M. Euler et ceux de Mme Agnesi est statistiquement significative. À la suite de l‘analyse de ses données, la CAP s‘interroge sur ce que représentent vraiment les moyennes générales présentées au tableau 2. Elle porte son attention sur la catégorie relative à la « Matière » que l‘on retrouve au sein du diagramme en arêtes de poisson. Après avoir constaté que trois grands ensembles de connaissances et de compétences entraient dans le calcul de la moyenne générale, la CAP décide alors d‘affiner son analyse au sujet de ce score composite. Le tableau 3 juxtapose les moyennes des groupes pour chacune des composantes pondérées en mathématiques. Tableau 3 Statistiques pour chacune des composantes en mathématiques Groupe Résoudre des problèmes (40 %) Euler Agnesi Raisonner (30 %) Euler Agnesi Communiquer (30 %) Euler Agnesi Moyenne Écart-type 43,58 7,025 76,69 6,656 48,95 6,751 Mathématiques 67,69 9,072 70,73 8,265 64,91 5,653 Le tableau 3 montre que le groupe d‘élèves de M. Euler présente des résultats inférieurs à ceux de Mme Agnesi en résolution de problèmes et en communication à l‘aide du langage mathématique. Ces deux composantes comptent pour 70 % de la moyenne générale. Cependant, le groupe d‘élèves de M. Euler montre une moyenne plus élevée que le groupe de Mme Agnesi en ce qui a trait au déploiement du raisonnement en mathématiques. Cette situation rend perplexe M. Argand, qui se demande s‘il n‘existerait pas une relation entre les différentes composantes. La CAP trace alors quelques diagrammes de dispersion, dont celui présenté à la figure 3 à propos de la résolution de problèmes et de la communication à l‘aide du langage mathématique. 71 GDM 2010 – COMMUNICATIONS Figure 3. Diagramme de dispersion : résolution de problèmes – communication La figure 3 montre un diagramme de dispersion illustrant une corrélation linéaire forte et positive entre les scores obtenus en résolution de problèmes et en communication par les élèves de M. Euler (à titre indicatif, r = .865 ; Sig. bil. = .000). Même s‘il ne s‘agit pas nécessairement d‘une relation de cause à effet, tout semble indiquer qu‘en connaissant le score d‘un élève du groupe de M. Euler en communication à l‘aide du langage mathématique, il est possible de prédire son score en résolution de problèmes. En outre, cette corrélation peut signifier qu‘il existe un ou des facteurs communs à ces deux composantes. Si tel était le cas, ce ou ces facteurs seraient évalués deux fois plutôt qu‘une. Enfin, l‘existence d‘un ou des facteurs communs à ces deux variables pourrait bien constituer la véritable cause du faible taux de réussite des élèves de M. Euler. À cet effet, Mme Noether, à titre de professeure du remue-méninges, apporte de l‘information supplémentaire à propos de la rubrique « main-d‘œuvre » du diagramme en arêtes de poisson. C‘est qu‘après avoir effectué une recherche rapide portant sur cette catégorie de causes, elle s‘est rendu compte que la direction de l‘école avait dû embaucher plusieurs suppléantes et suppléants pour remplacer un enseignant de français déclaré malade depuis le début de l‘année. Or, le taux de roulement élevé du personnel enseignant dans le domaine de la langue française touche particulièrement les élèves fréquentant la classe de M. Euler. Mme Barnum, en tant qu‘experte de ce remue-méninges, pose alors le problème de savoir dans quelle mesure ce facteur pourrait contribuer à expliquer le faible taux de réussite en mathématiques des élèves de M. Euler. Pour parvenir à mieux explorer cette piste, la CAP procède à une cueillette de données qu‘ils présentent sous la forme d‘histogrammes. La figure 4 montre des histogrammes faisant état des résultats en français des élèves de M. Euler et de Mme Agnesi pour la composante « Comprendre des textes variés en français ». 72 Jean Labelle Figure 4. Histogramme Le premier histogramme de la figure 4 montre que tous les élèves fréquentant la classe de mathématiques de M. Euler échouent la composante « Comprendre des textes variés en français », le seuil de réussite étant établi à 60 %. Seulement neuf d‘entre eux ont obtenu un score supérieur ou égal à 50 %, mais inférieur à 60 %. Il n‘en va pas de même pour le deuxième histogramme de la figure 4 qui montre que, parmi les 32 élèves fréquentant la classe de Mme Agnesi, 27 ont réussi la composante « Comprendre des textes variés en français ». Près du tiers de la classe présente des résultats supérieurs ou égaux à 70 %. Dans le cas qui nous concerne, il semble donc exister un lien entre la compréhension des textes en français et le faible taux de réussite des élèves de M. Euler. Le diagramme de dispersion suivant démontre cette relation. Figure 5. Diagramme de dispersion La figure 5 montre un diagramme de dispersion illustrant une corrélation linéaire entre les scores obtenus en mathématiques et ceux observés en compréhension de textes variés par les élèves de 73 GDM 2010 – COMMUNICATIONS M. Euler (r = .879, Sig. bil. = .000). Par conséquent, sans nécessairement affirmer que la difficulté de comprendre des textes variés en français constitue la cause du faible taux de réussite des élèves de M. Euler en mathématiques, il est tout de même possible, grâce au diagramme de dispersion et au calcul du coefficient de corrélation, de voir qu‘il existe une relation statistiquement significative entre ces deux variables. Il y aurait donc lieu, pour cette CAP, d‘explorer ce facteur et de travailler, en collaboration avec les enseignantes et enseignants de français, à améliorer la compréhension de textes chez les élèves de M. Euler. (À titre indicatif, la corrélation entre la résolution de problèmes et la compréhension de textes en français pour les élèves de M. Euler était de r = .929, Sig. bil. = .000 ; celle relative à la communication à l‘aide du langage mathématique et à la compréhension de textes en français était de r = .919 ; Sig. bil. = .000 et celle touchant le raisonnement mathématique et la compréhension de textes en français était de r = -.112 ; Sig. bil. = .541). Toutefois, avant d‘apporter des améliorations à une ou plusieurs causes pour expliquer le faible taux de réussite des élèves de M. Euler, ils ont tracé un diagramme de Pareto. Le diagramme de Pareto permet d‘ordonner en ordre décroissant les causes d‘un problème, d‘établir des objectifs d‘amélioration et de comparer les résultats obtenus avant et après les actions correctives. Pour ce faire, après avoir confronté les causes énumérées au sein du diagramme en arêtes de poisson à des faits, un des membres de la CAP a effectué une enquête auprès des 64 élèves des deux groupes de mathématiques. Il s‘agissait, pour ces derniers, de choisir, parmi une liste de causes, celle qui pouvait le plus nuire à leurs apprentissages en mathématiques. La figure 6 montre un diagramme de Pareto qui fait état de leurs opinions. Figure 6. Diagramme de Pareto La figure 6 présente un diagramme de Pareto qui met en évidence quatre facteurs à améliorer en vue d‘augmenter le taux de réussite des élèves en mathématiques, spécialement ceux de M. Euler. Ces facteurs sont classés sur l‘axe des abscisses par ordre décroissant d‘importance. De même, on retrouve sur l‘axe des ordonnées le nombre d‘élèves qui ont choisi une cause en particulier. De l‘autre côté de l‘axe des ordonnées, les effectifs ont été traduits en pourcentages. Cela permet 74 Jean Labelle d‘évaluer rapidement que le facteur relatif à la compréhension de textes variés en français a été choisi par 39 élèves ce qui correspond à environ 60 % de la population de cette enquête. Enfin, une courbe de pourcentages cumulés a été tracée afin de mieux apprécier la somme des contributions de chacun des facteurs et d‘évaluer le bénéfice encouru à la suite des améliorations qui seront apportées ultérieurement. Ainsi, il est possible de constater qu‘environ 80 % des causes mentionnées au diagramme de Pareto porte sur la compréhension des textes variés en français et la motivation des élèves. Le facteur « climat de la classe » a retenu l‘attention de 14 % des élèves et, contrairement à la direction de l‘école, il y a seulement 5 % des élèves qui croient que le manque de compétences de leur enseignant ou de leur enseignante pourrait expliquer le faible taux de réussite en mathématiques. En corollaire, la CAP a tout de suite mis ses énergies sur l‘amélioration de la compréhension de textes variés en français au point que, après quelques mois de récupération en ce domaine de savoirs, non seulement la moyenne du groupe d‘élèves en français s‘était considérablement améliorée, mais il en fut de même en mathématiques. Le tableau 4 présente différentes statistiques relatives au groupe d‘élèves de M. Euler en mathématiques avant et après l‘amélioration de la compréhension de textes variés en français. Tableau 4 Statistiques relatives au groupe d’élèves de M. Euler en mathématiques avant et après l’amélioration de la compréhension de textes variés en français Groupe M. Euler Résoudre des problèmes (40 %) Avant Après Raisonner (30 %) Avant Après Communiquer (30 %) Avant Après Moyenne Écart-type 43,58 7,025 63,74 6,737 76,69 6,656 75,57 6,536 48,95 6,751 67,24 6,480 Minimum Maximum 25 57 46 77 63 90 62 89 31 63 52 81 38,87 43,40 49,49 60,00 63,40 69,31 72,13 77,35 80,49 71,54 75,51 79,49 44,57 48,91 54,91 62,04 66,91 72,91 0% 81 % 100 % 100 % 3% 97 % Mathématiques Centiles 25 50 75 Taux de réussite Les données du tableau 4 montrent que les taux de réussite des élèves de M. Euler en résolution de problèmes et en communication à l‘aide du langage mathématique se sont améliorés de beaucoup après avoir effectué de la récupération en compréhension de textes variés en français. Alors qu‘aucun élève de la classe de M. Euler ne réussissait en résolution de problèmes avant la récupération en français, 26 sur 32 réussissent après l‘avoir effectuée. Le taux de réussite en raisonnement mathématique est demeuré le même et celui de la communication à l‘aide du langage mathématique est passé de 3 % à 97 %. Une fois le processus d‘enseignement et d‘apprentissage contrôlé, c‘est-à-dire exempt de causes spéciales, il est devenu intéressant pour les membres de la CAP de tracer une carte de contrôle. Il s‘agit d‘un graphique qui permet de suivre les fluctuations d‘une caractéristique et de repérer des causes spéciales, c‘est-à-dire des causes qui ne relèvent pas de variations aléatoires normales que 75 GDM 2010 – COMMUNICATIONS l‘on nomme causes communes. La figure 7 montre une carte de contrôle portant sur les variations des moyennes des élèves de M. Euler en résolution de problèmes durant les trois mois qui ont suivi la récupération en compréhension de textes variés en français. La figure 7 présente une carte de contrôle portant sur 12 moyennes de petits échantillons aléatoires de 4 élèves en résolution de problèmes durant les trois mois qui ont suivi la récupération en français. Par exemple, lors de la première semaine, M. Euler a tiré au hasard 4 copies d‘élèves en résolution de problèmes en mathématiques, les a évaluées et a calculé la moyenne de ces résultats, soit 64,5 % qu‘il a porté sur la carte de contrôle. Il a fait de même pour toutes les autres semaines. Une fois ces données colligées, M. Euler a calculé la moyenne des 12 moyennes d‘échantillons. Cela lui a donné une moyenne générale de 61,723 qu‘il a représentée par une ligne horizontale pleine sur la carte de contrôle. Enfin, M. Euler a calculé la limite de contrôle supérieur (LCS = 71, 892) et la limite de contrôle inférieure (LCI = 51,553) qu‘il a représentées par des lignes horizontales en pointillés. Ces limites prennent en considération un intervalle de confiance (ici, de plus ou moins 3 écarts-types des moyennes d‘échantillonnage), permettant de prédire que, sous certaines conditions, 99,74 % des données devraient se trouver à l‘intérieur des limites de contrôle. Si bien que, si une donnée se situe à l‘extérieur de ces limites (c‘est le cas de l‘échantillon 10), il est possible d‘affirmer, avec un risque d‘erreur déterminé, qu‘elle ne résulte pas d‘une cause commune (due au hasard), mais bien d‘une cause spéciale (comme d‘un mauvais calcul de la moyenne de l‘échantillon ou l‘apparition d‘une nouvelle cause qui pourrait contribuer à perturber le processus d‘enseignement et d‘apprentissage jusqu‘alors sous contrôle). Bref, en guise de synthèse, plusieurs motifs sont à la base des réformes actuelles de nombreux systèmes éducatifs occidentaux. Actuellement, la tendance est d‘évoluer vers de nouvelles formes de travail en éducation qui favorisent la participation, la collaboration et le travail en équipe. C‘est dans cette foulée que l‘on parle de plus en plus de communauté d‘apprentissage professionnelle. Figure 7. Carte de contrôle des moyennes en résolution de problèmes 76 Jean Labelle Il existe plusieurs acceptions d‘une communauté d‘apprentissage professionnelle. Toutefois, nous proposons la définition opératoire suivante : une communauté d‘apprentissage professionnelle est un groupe, pouvant inclure ou non d‘autres groupes, dont les membres interagissent entre eux dans le but d‘améliorer une situation qui les concerne, en partageant des connaissances et des pratiques selon les valeurs et les normes relatives à leur fonction. Cette définition permet différentes configurations d‘une communauté d‘apprentissage professionnelle. Cependant, dans tous les cas, la communauté d‘apprentissage professionnelle doit posséder les trois caractéristiques d‘un groupe, soit plus de deux personnes qui interagissent pour atteindre un but. En outre, elle doit favoriser le partage des connaissances et des pratiques, et ce, dans le respect des valeurs et des normes relatives à la fonction des membres. Pour qu‘une communauté d‘apprentissage professionnelle acquière des connaissances, elle doit s‘inspirer de stratégies, de pratiques, de méthodes et de techniques. Or, en ce qui a trait aux méthodes mises de l‘avant par les communautés d‘apprentissage professionnelles, la recension des écrits révèle que peu ou pas de techniques quantitatives sont utilisées par ces dernières. Conséquemment, nous avons présenté sept méthodes statistiques afin de mieux outiller les communautés d‘apprentissage professionnelles. Ces méthodes sont le diagramme en arêtes de poisson, le tableau de fréquence, le diagramme à bâton, l‘histogramme, le diagramme de Pareto, le diagramme de dispersion et la carte de contrôle. Utilisées à bon escient, ces méthodes contribuent à la mission première d‘une communauté d‘apprentissage professionnelle, soit celle d‘apprendre à apprendre et… à bien d‘autres choses. Parlez-en à M. Euler! BIBLIOGRAPHIE ALBERTA LEARNING. (1998). Three years regulatory reform 1998 workplan update . Alberta: Alberta Education: Planning. ASTUTO, TERRY, CLARK, D., READ, A-M., MCGREE, K., & FERNANDEZ, L. (1993). Challenges to dominant assumptions controlling educational reform. Andover, MA: Regional Laboratory for the Educational Improvement of the Northeast and Islands. BEAUMONT, C., LAVOIE, J. et COUTURE, C. (2010). Les pratiques collaboratives en milieu scolaire : cadre de formation pour soutenir la formation. 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Nous décrivons différentes réactions des élèves face à une situation où l‘élève est explicitement invité à analyser le problème sans avoir vu les données numériques. INTRODUCTION La résolution de problèmes mathématiques occupe une place centrale au primaire comme en fait foi le Programme de formation de l’école québécoise 2001. Plusieurs chercheurs en didactique ont identifié les difficultés des élèves à résoudre des problèmes dès jeune âge dues, entre autres, à la perception et l‘interprétation de l‘énoncé (Stacey et MacGregor, 1995), à la stratégie ou la planification de la solution (Schumann, 1997), à la cognition et à la métacognition (Vergnaud, 1982). Malgré de nombreuses recherches dépistant les difficultés et proposant des stratégies d‘enseignement dites plus efficaces, la problématique demeure toujours actuelle (Barrouillet, Camos, 2002; Ducharme et Polotskaia, 2008; Xin, 2008; Gamo et al., 2009; Thevenot, 2010). Une analyse sémantique de l‘énoncé du problème et de la structure mathématique du problème sous-jacente à la compréhension a permis aux chercheurs de classifier les problèmes arithmétiques de nature additive (Nesher et al. 1982; Riley et al. 1984; Vergnaud, 1982). En gros, les problèmes sont classifiés selon deux caractéristiques mathématiques et cognitives : l‘action principale : o composition (deux ensembles ou deux quantités décrites dans l‘énoncé composent un troisième) o changement (un ensemble ou une quantité a été augmenté ou diminué) ou o comparaison (deux ensembles ou deux quantités sont comparés de façon additive); la position de l‘inconnue dans la structure mathématique du problème. Elena Polotskaia, Viktor Freiman et Annie Savard Cette classification nous aide à préciser les caractéristiques des problèmes qui posent plus de difficultés, notamment, lorsque l‘inconnu n‘est pas en état final de la transformation, et surtout quand le signe d‘opération ne correspond pas au sens direct de l‘action ou de la relation dans l‘énoncé verbal du problème (Nesher et al. 1982; Riley et al. 1984; Vergnaud, 1982; Valentin, 2004). Un autre axe de recherche vise la modélisation du raisonnement de l‘élève lors de la résolution de problèmes (Nesher et al. 1982; Kintsch et Greeno‘s, 1985; Staub et Reusser, 1995). Les auteurs suggèrent que l‘amélioration des capacités des élèves en résolution de problèmes passe par le développement d‘un raisonnement algébrique (Davidov, 1982; Bednarz et Janvier, 1996; Schmidt et Bednarz, 1997; Lins et Kaput, 2004; Carraher et al. 2000). La recherche sur le développement du raisonnement algébrique chez les élèves du primaire se centre souvent sur leur capacité de généraliser à partir d‘une suite des nombres ou des régularités (Lee et Freiman, 2006). Blanton et Kaput (2005) ont étudié le développement du raisonnement algébrique au primaire à partir de structures arithmétiques généralisées. Dans notre recherche précédente, nous nous sommes penchées sur la possibilité d‘utilisation de la résolution de problèmes à l‘énoncé verbal pour promouvoir le développement du raisonnement algébrique chez les jeunes (Ducharme et Polotskaia, 2009); notamment, nous avons cherché à développer la capacité d‘analyser et de communiquer la structure mathématique du problème. Dans le cadre de cet article, nous explorons de nouvelles perspectives qui s‘ouvrent avec l‘utilisation des interfaces virtuelles permettant d‘augmenter le niveau d‘interactivité de l‘élève avec l‘énoncé du problème. Nous nous sommes inspirés de l‘idée des énoncés ‗à trous‘ (René De Cotret, 2006) pour construire un environnement virtuel permettant à l‘élève de créer des phrases mathématiques à partir de données du problème, soit sous forme concrète (nombres) ou sous forme plus générale (en utilisant les lettres). Nous allons analyser dans les prochaines sections comment les trois aspects : le raisonnement algébrique, la résolution de problèmes à l‘énoncé verbal et la technologie contemporaine, peuvent se joindre dans une création et mise à l‘essai d‘un outil didactique virtuel que nous avons expérimenté avec un groupe d‘élèves de 2 e cycle du primaire. Nous débutons avec quelques éléments de chaque aspect précisant nos choix théoriques et méthodologiques. CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES Les différentes sources consultées donnent plusieurs explications du terme « raisonnement algébrique » (Driscoll, 1999; Squalli 2007; Krieger, 2007). Les auteurs mentionnent, entre autres, les composantes suivantes : le raisonnement qualitatif, l'habilité de résolution de problèmes, l'habilité de représentation, généralisation de structures, raisonnement à l‘aide d‘inconnues. Schmidt (1996, p. 280) définit plutôt « la procédure algébrique » en la contrastant avec « la procédure arithmétique ». La procédure arithmétique Une procédure est jugée « arithmétique » lorsque, à l'analyse, il ressort que le sujet a entrepris une démarche de résolution de type synthétique où, constamment, il a pris appui sur des nombres connus pour effectuer les opérations successives qu'il croyait requises. 81 GDM 2010 – COMMUNICATIONS La procédure algébrique Une procédure est jugée « algébrique » lorsque le sujet, dans une approche de type analytique, a axé sa démarche de résolution sur un nombre inconnu, momentanément remplacé par une notation quelconque (une lettre ou un mot). Ce substitut est utile pour organiser globalement les relations fournies dans le problème, mais surtout pour effectuer les opérations nécessaires : le sujet, dans sa démarche, travaille directement sur l'inconnue. On peut se demander alors quel rôle jouent les nombres concrets dans le choix du raisonnement d‘un élève et quel sera ce choix si une procédure « algébrique » est demandée explicitement. La résolution de problèmes est reconnue par les chercheurs et les praticiens comme un outil indispensable pour l'enseignement de la mathématique (MEQ, 2001; Barrouillet et Camos, 2002). Toutefois, le sens et la valeur éducative de la résolution de problèmes peuvent varier dépendamment du scénario didactique dans lequel cette résolution est enrobée. Les auteurs remarquent que dans la situation de résolution d‘un problème arithmétique à l‘énoncé verbal (un procédé dit classique), l‘élève peut se concentrer soit sur les données (nombres concrets) et les opérations pour calculer la réponse, soit sur les relations entre les quantités (le rôle de chaque donnée dans la situation) et les différentes méthodes de solution (Chevallard, 1989; Schmidt, 1996; Squalli, 2007; Ducharme et Polotskaia 2009). Dans le premier cas, la perception de l‘élève est concrète et son raisonnement est plutôt arithmétique, ce qui amène l‘élève à entreprendre une procédure arithmétique. La décision sur l‘opération à utiliser peut découler implicitement de l‘analyse intuitive du texte du problème. Les relations mathématiques entre les données ne sont pas isolées ni modélisées par l‘élève. Il fait plus attention à l‘exécution de l‘opération choisie et il modélise au besoin les nombres concrets à l‘aide des objets physiques ou d‘un dessin. Ce raisonnement peut être réussi en se basant principalement sur l‘objet mental « nombre concret ». L‘objet mental « inconnu » n‘est pas nécessaire ici (Ducharme et Polotskaia, 2009). Dans le deuxième cas, la perception de l‘élève est globale (Krutetskii, 1976). La compréhension globale de la sémantique du texte permet ainsi à l‘enfant de décrire explicitement ou de modéliser la structure mathématique du problème à l‘aide de mots, de dessins, de schémas ou de symboles. Dans cette compréhension de la structure, les valeurs concrètes des nombres ne jouent pas de rôle important. Sans modifier cette structure du problème, chaque nombre concret peut être remplacé par un autre nombre. Dans ce cas, il y a potentiellement une occasion d‘attirer l‘attention de l‘enfant aux relations entre les quantités décrites dans l‘énoncé. L‘élève peut alors entreprendre une procédure algébrique en construisant un raisonnement basé sur l‘objet mental « inconnu ». Ici, l‘emploi du terme « inconnu » se réfère à « nombre quelconque » plutôt qu‘à la notion formelle de variable au sens algébrique. Au cœur de la différence entre le raisonnement dit arithmétique basé sur le nombre concret et celui basé sur le « nombre quelconque », il y a un phénomène décrit, entre autres, par Deledicq (2003). Pour alimenter les débats terminologiques, posons-nous la question : jusqu‘à quel point peut-on considérer ce dernier type de raisonnement comme « algébrique »? D‘une part, la notion formelle de l‘inconnue n‘intervient pas explicitement dans ce cas-là, on parle plutôt de nombres dont les valeurs concrètes ne jouent pas de grand rôle dans le 82 Elena Polotskaia, Viktor Freiman et Annie Savard raisonnement. Toutefois, il nous semble que ce raisonnement est centré sur des relations entre les valeurs (« nombres quelconques »), ce qui est le sujet d‘algèbre. Il se rapproche donc au raisonnent algébrique, mais ne lui est pas identique. Nous proposons ainsi de distinguer dans la situation de la résolution de problèmes à l‘énoncé verbal au primaire : Un « raisonnement quantitatif numérique » centré sur les nombres concrets ou codés et Un « raisonnement quantitatif relationnel » centré sur les relations entre les nombres et la structure mathématique du problème. Dans notre recherche, nous tentons d‘expliciter le raisonnement des élèves lors de la résolution de problèmes à énoncé écrit ayant une structure additive. Pour nous aider à établir différents types de raisonnement, nous avons élaboré un outil virtuel proposant à l‘élève un énoncé ayant des nombres « cachés » (déguisés) sous forme de boutons-lettres (étiquettes) et où on note la réaction de l‘élève face à cet énoncé. Dans notre prochaine section, nous expliquerons cette démarche en détail. NOTRE EXPÉRIMENTATION Le site du Marathon virtuel des mathématiques (http://www8.umoncton.ca/umcmmmv/index.php) a été utilisé pour créer une banque de problèmes, une banque d‘utilisateurs (élèves) ainsi que les interfaces appropriées pour les chercheurs (administrateurs) et les élèves (participants). Une expérimentation a été réalisée lors d‘ateliers de tutorat donnés par la chercheuse principale auprès de 10 élèves de deuxième cycle du primaire, dont 9 sont considérés par leurs parents comme ayant besoin d‘aide en mathématique. Le 10 e élève est un élève « régulier » qui s‘est joint au groupe par curiosité. Les ateliers se sont déroulés après les classes et les élèves y ont participé sur une base volontaire. Lors de ces ateliers, les élèves recevaient de l‘aide aux devoirs en mathématiques. L‘outil virtuel a été présenté à chaque élève lors de l‘un de ces ateliers par l‘auteure première qui, également, expliquait les règles aux élèves et supervisait leur travail à l‘ordinateur. Les traces numériques du travail de chaque élève ont été enregistrées en format électronique et analysées par les chercheurs. L‘outil virtuel proposait à l‘élève l‘énoncé d‘un problème dans lequel les nombres étaient « couverts » de boutons-lettres. L‘élève était assis devant l‘écran d‘ordinateur et essayait de formuler la phrase mathématique permettant de résoudre le problème. L‘élève pouvait donc prendre la décision de découvrir la lettre pour voir le nombre « caché » et l‘utiliser par la suite dans sa phrase, ou bien écrire sa phrase en se servant de lettres. Même si ces règles de jeu autorisaient l‘élève à faire afficher le nombre caché en cliquant sur le bouton-lettre, le but du jeu lui a été présenté explicitement comme étant d‘écrire cette phrase de façon « algébrique » (avec les lettres). La chercheuse présente incitait explicitement l‘élève à découvrir ces lettres seulement en cas de besoin. Ainsi, notre variable didactique a été choisie dans le but d‘encourager l‘élève à analyser la structure mathématique du problème en s‘appuyant sur le raisonnement quantitatif relationnel plutôt que sur le raisonnement quantitatif numérique. Toutefois, l‘élève avait toujours le choix d‘adapter son environnement à son « niveau de confort » en « ouvrant » un ou plusieurs nombres. Une autre variable didactique était d‘ajouter une donnée superflue dans l‘énoncé dans le but d‘assurer que le choix de données de l‘élève n‘est pas fait « au hasard » et reflète donc sa vision de la structure du problème. Chaque élève a résolu de deux à quatre problèmes selon sa volonté. 83 GDM 2010 – COMMUNICATIONS La première tentative de chaque élève a été utilisée pour s‘assurer que l‘enfant comprenait bien les règles du « jeu » et se sentait à l‘aise devant l‘ordinateur. Comme il a été mentionné ci-haut, les actions des élèves ont été observées et leurs résultats ont été enregistrés par l‘ordinateur. En faisant notre analyse préliminaire, nous nous sommes intéressés par la capacité de l‘outil virtuel d‘expliciter le type de raisonnement employé par l‘élève. Les exemples de réactions des élèves que nous avons observées sont présentés dans la section suivante. RÉSULTATS PRÉLIMINAIRES Dans notre analyse du travail des élèves dans l‘environnement informatique proposé, nous avons pu observer et distinguer quatre réactions différentes des élèves face aux problèmes différents. Les exemples suivants illustrent chaque type de réaction observée. Réaction 1. L‘élève découvre tous les boutons au début de son travail en se servant, par la suite, des nombres pour écrire sa phrase (correcte ou incorrecte). Élève 1, problème de composition avec des données superflues et le total inconnu : Élève 3, problème de composition avec des données superflues et le total inconnu : Réaction 2. L‘élève découvre les boutons représentant les données pertinentes seulement et fournit une phrase numérique correcte. Élève 2, problème de composition avec des données superflues et le total inconnu : Dans l‘exemple qui suit, l‘expérimentateur a proposé à l‘élève de travailler avec des lettres; toutefois, l‘élève a préféré de continuer avec des nombres en écrivant une phrase correcte. 84 Elena Polotskaia, Viktor Freiman et Annie Savard Élève 4, problème composé de deux changements consécutifs avec des données superflues et l‘état final inconnu Le cas de l‘élève 5 mérite d‘être présenté également, car l‘élève, malgré le fait de garder la lettre d intacte, l‘a toutefois remplacée dans sa phrase par un nombre (4 – pattes d‘un chien). Élève 5, problème de composition impliquant une multiplication, le total est inconnu Réaction 3. Les élèves acceptent la proposition de l‘expérimentateur à ne pas ouvrir les boutons, mais ils ne réussissent pas le problème. On ignore les raisons de leur échec, mais elles ne semblent pas être liées à la façon de travailler avec le problème (utiliser les lettres). Ainsi, l‘élève 2 n‘a peut-être pas remarqué que les lettres b et d représentent les distances et non le nombre de colis livrés. L‘élève 3 n‘a peut-être pas compris la question et a juste additionné toutes les lettres. Élève 2 (demandé à ne pas ouvrir les boutons), problème composé de deux changements consécutifs avec des données superflues et l‘état final inconnu. Élève 3, problème de composition avec des données superflues et le total inconnu 85 GDM 2010 – COMMUNICATIONS Réaction 4. L‘élève travaille avec des lettres sans ouvrir les boutons; la phrase mathématique fournie à l‘aide des lettres est correcte. Il s‘agit donc de la réussite de la tâche dans sa forme la plus généralisée. Élève 1, problème de composition avec des données superflues et le total inconnu Les exemples démontrent que certains élèves de notre groupe ont été capables de résoudre un problème ayant une structure additive de façon générale, sans se préoccuper des valeurs numériques concrètes, et même à exprimer la solution à l‘aide des lettres. Les réactions d‘un élève pouvaient également varier d‘un problème à l‘autre. Par exemple, l‘élève 1 a démontré la réaction 1 face au premier problème et la réaction 4 face au deuxième. Les deux problèmes ont été résolus correctement. Une étude plus poussée devrait être conduite pour expliquer ce phénomène. Certains élèves ont eu besoin d‘avoir quelques boutons ouverts (réaction 2). L‘élève 4 de ce groupe, même sans avoir travaillé avec des lettres, semble être capable d‘identifier les données pertinentes et fournir la solution numérique correcte. Sans pouvoir, pour l‘instant, d‘expliquer sa réaction, on peut se demander en quoi son raisonnement est différent de celui de l‘élève 1. Une combinaison de réactions fort intéressantes a été observée chez l‘élève 2 (les réactions 2 et 3). Comme dans le cas précédent, nous pouvons constater que l‘élève est capable de résoudre le problème, car dans la situation du libre choix, il utilise les nombres pertinents et fournit une bonne solution. Toutefois, dans une situation où elle est « incitée » à ne pas ouvrir les butons, l‘élève utilise le nombre (un seul ouvert) différemment des lettres. Le nombre est traité respectivement à son rôle dans le problème : total de colis qu‘on doit utiliser pour en soustraire les colis distribués. Tous les autres boutons (les lettres) ont été traités comme ayant le rôle identique : les valeurs à soustraire du total. Le logiciel permet donc d‘observer cette différence, mais d‘autres outils seraient nécessaires pour l‘expliquer. Les réactions semblables à celles du cas précédent sont identifiables chez l‘élève 3. Une fois « incité » à travailler avec des lettres, il traite toutes les lettres du problème de la même façon : additionne tout : la décision prise, en plus, très rapidement (selon le journal de la ). Une fois tous les nombres ouverts, le même type de problème est bien réussi, cette fois-ci après une réflexion plus longue (voir les réactions 2 et 3 ci-haut). Dans le cas des réactions 2 et 3 manifestées par plusieurs élèves de notre groupe – un refus de travailler avec les lettres ou l‘utilisation incorrecte des lettres pourrait indiquer les difficultés à percevoir globalement le « nombre quelconque » désigné par une lettre. Nos résultats ne nous permettent pas toutefois d‘attribuer cette réaction à un facteur ‗raisonné‘ (comme, par exemple, cet objet mental n‘est probablement pas développé) ou d‘autres, plutôt situationnels ou/et affectifs. 86 Elena Polotskaia, Viktor Freiman et Annie Savard DISCUSSION ET CONCLUSION Dans ce texte, nous avons présenté quelques exemples de raisonnements mathématiques employés par des élèves de deuxième cycle du primaire (3-4 années) qui résolvaient des problèmes à énoncés écrits de structure additive dans lesquels les nombres ont été « cachés » par des lettres. Un environnement virtuel a été construit pour permettre à l‘élève d‘écrire de façon interactive une phrase mathématique pour résoudre le problème donné en se servant de la forme initiale (nombres cachés) ou en la modifiant en découvrant les nombres (les valeurs numériques des données). Comme le précisent les écrits recensés, les élèves peuvent manifester différents types de raisonnement. Dans l‘environnement virtuel qui explicitement sollicite un raisonnement à l‘aide de « nombre quelconque » et l‘analyse de structure mathématique du problème, les réactions des élèves ont été différents. Nous avons décrit quelques types de réactions démontrées par des élèves de notre groupe qui peuvent témoigner une différence dans le potentiel des élèves de mettre en place un raisonnement quantitatif relationnel face à un problème arithmétique. Cette observation se résume ainsi : Dans certain cas, l‘élève est capable d‘identifier les données pertinentes dans l‘énoncé où les nombres sont « cachés » et en même temps il est incapable de s‘appuyer sur l‘objet mental « nombre quelconque » pour construire la phrase mathématique sous une forme abstraite : à l‘aide de lettres. Doit-on conclure que la capacité de percevoir les relations mathématiques dans une situation donnée est indépendante de la capacité de raisonner à l‘aide du « nombre quelconque »? Pourquoi certains élèves sont-ils capables de construire la phrase mathématique pour résoudre le problème si les nombres sont ouverts et ne sont pas capables de le faire si les nombres sont cachés? De manière générale, cette première expérimentation suscite plusieurs questionnements en ce qui a trait aux raisonnements des élèves lors de l‘utilisation de l‘outil virtuel : Si l‘élève est capable de voir la structure mathématique du problème, pourquoi choisit-il de travailler avec des nombres? Pourquoi certains élèves traitent-ils les lettres de façon particulière? Quel raisonnement est sous-jacent à deux objets mentaux : le nombre caché (nombre quelconque) et le nombre concret (nombre codé)? Comment aider l‘élève à développer une compréhension plus profonde de structures mathématiques? Une expérimentation plus détaillée ainsi qu‘une analyse approfondie seraient donc nécessaires pour vérifier notre hypothèse et pour répondre à ces questions. 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The effect of schema-based instruction in solving mathematics word problems: an emphasis on prealgebraic conceptualization of multiplicative relations. Journal for Research in Mathematics Education, 39(5), 526-551. 89 Vers un modèle didactique favorisant une pensée réflexive chez des futurs enseignants du primaire dans le domaine de l’éducation mathématique 1 Anne Roy Université du Québec à Trois-Rivières RÉSUMÉ. L'étude explore le développement d‘habiletés réflexives chez des futurs enseignants du primaire alors qu‘ils utilisent une approche basée sur des discussions à visée philosophique (DVP) dans le domaine de l‘éducation mathématique. L‘étude de cas vise notamment à comprendre le processus développemental de la forme et du contenu de la pensée réflexive afin d‘aider les futurs enseignants à planifier de meilleures situations d‘enseignement-apprentissage en mathématiques. Sur le plan méthodologique, une analyse qualitative a été effectuée sur les habiletés de pensée émergentes du discours des participants. Les outils méthodologiques sont des verbatim de cinq discussions, la rédaction de courriel après chaque discussion et la transcription d‘entrevues individuelles effectuées avec cinq participants à la fin de l‘étude. Ce texte montre qu‘en utilisant une approche didactique et philosophique, des futurs enseignants ont développé leur pensée réflexive en regard de leurs représentations idéologiques de l‘éducation mathématique. PROBLÉMATIQUE Une majorité de futurs enseignants au primaire ressentent un malaise pour planifier des situations d‘enseignement-apprentissage en mathématiques qui seront porteuses de signifiance pour les élèves. Au Québec, comme ailleurs, différents dispositifs ont été mis au point pour contrer ce problème (Proulx et Gatusso, 2010). Néanmoins, les efforts consentis ne donnent pas les résultats escomptés car la plupart des futurs enseignants reprennent, dans leur pratique, leurs anciennes représentations et habitus à l‘égard du savoir enseigné (Deblois, 2010; Marchand, 2010). De plus, ils manifestent encore souvent des résistances à utiliser des approches mathématiques correspondantes aux nouvelles exigences curriculaires (Roy, 2010). Or, en continuité avec l‘avancement de la recherche en éducation, une avenue prometteuse dans la formation à l‘enseignement selon plusieurs chercheurs est l‘utilisation d‘une pratique réflexive (Boutet, 2004; Gauthier et Tremblay, 2006; Guillemette, 2006; Lafortune, 2007; Lebuis et Lamer, 1999; Roy, 2008a). Une pratique réflexive permettrait au futur enseignant de questionner sa pratique éducative et de développer notamment une pensée complexe et réflexive mettant en œuvre des habiletés cognitives de niveau supérieur qu‘il pourrait réutiliser dans sa future pratique. OBJECTIF L‘objectif ultime de la recherche consistait à mettre au point un modèle didactique pour soutenir le développement d‘habiletés réflexives chez les futurs enseignants du primaire afin de les aider à planifier de meilleures situations d‘enseignement-apprentissage en mathématiques. La 1 Cette étude a été subventionnée par le Fonds Institutionnel de recherche (FIR) de l‘Université du Québec à TroisRivières. Anne Roy présomption didactique sous-jacente à ce modèle était de développer graduellement une réflexivité chez les futurs enseignants en intervenant dans les DVP en utilisant une forme d‘habileté langagière adjuvante aux types de pensée réflexifs (Roy, 2005), qui permettrait au futur enseignant de vivre moins de résistance par rapport aux nouvelles exigences du programme de formation en mathématiques et de concevoir des activités mathématiques plus signifiantes pour les élèves du primaire. Pour ce faire, nous avons d‘abord mis en lumière le type de pensée réflexif (Roy, 2005) utilisé par chaque futur enseignant. Par la suite, nous avons analysé le développement de la forme et du contenu des habiletés réflexives chez des participants alors qu‘ils utilisent une approche basée sur des DVP dans le domaine de l‘éducation mathématique. CADRE THÉORIQUE Fondée sur une épistémologie de l‘apprentissage socioconstructiviste et une philosophie de l‘éducation pragmatiste, nous avons fait appel à une approche didactique et philosophique en mathématiques où le questionnement sur les pratiques éducatives des futurs enseignants en mathématiques s‘est effectué dans le contexte de communauté de recherche philosophique à l‘aide de DVP en mathématiques. Cette approche est inspirée de l‘approche philosophique en mathématiques mise au point par Daniel, Lafortune, Pallascio et Sykes (1996) pour les élèves de la fin du primaire et du début du secondaire, laquelle nous avons adaptée à la formation des maîtres. La démarche de l‘approche didactique et philosophique en mathématiques utilisée se déroule selon les huit étapes suivantes : 1) L‘évaluation préalable du type de pensée réflexive ; 2) La lecture d‘une mise en situation ; 3) La formulation et la collecte des questions soulevées par les étudiantes et étudiants ; 4) La réflexion individuelle avant la discussion de groupe; 5) La discussion à visée philosophique en communauté de recherche ; 6) La planification d‘une situation d‘enseignement-apprentissage; 7) La discussion pédagogique en communauté de recherche philosophique ; 8) La réflexion individuelle après la discussion pédagogique2. Les cinq types de pensée réflexifs développés dans le cadre de notre recherche doctorale (Roy, 2005) tiennent compte de la forme et du contenu de la pensée complexe. La forme de la pensée a été analysée à l‘aide de la théorie de Matthew Lipman (1995) en termes d‘habiletés de pensée complexe associées aux modes de pensée critique, créatif, responsable et métacognitif 3 . Le contenu de la pensée a été analysé à l‘aide du modèle épistémologique des idéologiques de l‘éducation mathématique de Paul Ernest (1991) en termes de représentations idéologiques. À partir de ces deux cadres théoriques, une première grille d‘une pensée complexe et réflexive a été élaborée afin de réaliser une analyse qualitative homogène pour les cinq niveaux idéologiques d‘Ernest. Cette première grille a nécessité une analyse itérative et une validation inter-juges (Miles et Huberman, 2003). À partir de cette première grille, cinq grilles d‘habiletés de pensée ont été constituées pour chaque type de pensée réflexif à l‘aide des manifestations émergentes du 2 Pour avoir plus d‘informations sur les étapes de l‘approche didactique et philosophique, voir le texte de Roy (2008b) publié dans les actes du colloque du GDM 2008. 3 Les modes de pensée critique, créatif et responsable sont basés sur la théorie de Lipman, tandis que le mode métacognitif a été étudié dans le cadre de nos travaux de recherche (voir Roy, 2008-2009) à partir des travaux de l‘équipe de Pallascio, Daniel et Lafortune (2004). Voici une courte définition des modes de pensée complexe. Le mode de pensée critique facilite la recherche de validité. Le mode de pensée créatif contribue à la recherche du sens. Le mode de pensée responsable s‘attarde à la recherche éthique pour mieux savoir-vivre ensemble. Le mode de pensée métacognitif s‘attarde à la prise de conscience des actes mentaux. 91 GDM 2010 – COMMUNICATIONS discours des futurs maîtres. Après une analyse rigoureuse de ces grilles, cinq types de pensée réflexifs sont ressortis en lien avec des formes d‘habiletés langagières. Pour donner un aperçu des types de pensée réflexifs, voici une très brève définition de chacun d‘eux. 1) une pensée a-réflexive s‘énonce sur le plan de la forme à l‘aide d‘énoncés affirmatifs fondés sur une autorité ou des croyances absolues. Sur le plan du contenu, les mathématiques sont vues comme la discipline à éviter. On ne retrouve pas de réflexivité dans ce type de pensée, lequel est souvent chargé d‘émotivité. 2) une pensée non réflexive s‘énonce sur le plan de la forme à l‘aide d‘énoncés descriptifs fondés sur des aspects d‘ordre personnel, pratique ou utilitariste. Sur le plan du contenu, les notions mathématiques sont abordées strictement dans leur dimension physique et la dimension mathématique est complètement évacuée du raisonnement. On retrouve un manque de réflexivité dans ce type de pensée, qui est souvent supplée par des considérations personnelles, pratiques ou utilitaristes. 3) une pensée pré-réflexive s‘énonce sous la forme d‘énoncés explicatifs fondés sur une logique. Sur le plan du contenu, les mathématiques sont vues comme structurées selon une logique préétablie qu‘ils doivent suivre stricto sensu plutôt que de faire appel à leur propre jugement. 4) une pensée quasi-réflexive s‘énonce sous la forme d‘énoncés justificatifs logiques fondés sur une compréhension logique mettant l‘emphase sur l‘évolution d‘un savoir. Sur le plan du contenu, les mathématiques sont vues comme une construction de la pensée humaine. 5) une pensée réflexive s‘énonce sous la forme de justifications logiques d‘ordre social. Sur le plan du contenu, les mathématiques sont vues comme une construction sociale toujours en développement. En guise de résumé, le tableau 1, ci-dessous, expose la forme d‘habileté langagière correspondante à chaque type de pensée réflexif. Tableau 1 Type de pensée réflexif avec leur forme d’habileté langagière Type de pensée réflexif Forme des habiletés A-réflexif Affirmation Non réflexif Description Pré réflexif Explication Quasi réflexif Justification Réflexif Justification sociale QUESTION DE RECHERCHE La question principale qui a guidé notre étude est la suivante : « Est-ce que le futur enseignant du primaire qui a développé des habiletés réflexives de niveau supérieur dans le cadre de discussions 92 Anne Roy à visée philosophique (DVP) en mathématiques élabore alors des situations d‘enseignementapprentissage porteuses de signifiance pour les élèves du primaire ? ». MÉTHODOLOGIE L‘étude de cas s‘est déroulée de septembre 2008 à février 2009 avec un groupe de sept futurs maîtres inscrits volontairement à un projet de recherche financé par l‘Université du Québec à Trois-Rivières dans le cadre de subventions internes (FIR). Bimensuellement, une discussion à visée philosophique (DVP) était cédulée sur un thème mathématique. Chaque discussion a duré approximativement une heure. Une analyse qualitative a été effectuée à partir du discours des futurs enseignants pour examiner le type de pensée réflexif que ces derniers développent lorsqu‘ils sont amenés à concevoir des situations d‘enseignement-apprentissage en mathématiques. La collecte des données a été assurée par l‘enregistrement vidéo de cinq discussions en communauté de recherche philosophique, la rédaction de courriel après chaque discussion et l‘enregistrement audio d‘entrevues individuelles à la fin du projet avec cinq participants. Comme matériel, pour initier les DVP, nous avons utilisé une histoire élaborée dans notre recherche doctorale (Roy, 2005) qui a pour titre : « Opus en spectacle » portant sur les notions de hasard, infini et perspectives 4. RÉSULTATS À la lumière de nos analyses, nous estimons que tous les participants ont développé une plus grande réflexivité par rapport au domaine de l‘éducation mathématique en participant à des communautés de recherche philosophique en mathématiques. Néanmoins, dans le cadre de notre étude, nous n‘avons pas réussi à démontrer que les interventions dans les DVP, utilisant une forme d‘habileté langagière adjuvante aux types de pensée réflexifs, aident les futurs enseignants à planifier de meilleures situations d‘enseignement-apprentissage en mathématiques. Ultimement, nous pouvons seulement confirmer que l‘utilisation de DVP dans le contexte de la didactique des mathématiques favorise le développement d‘une pensée réflexive de niveau supérieur chez les participants aux discussions. Dans ce texte, nous nous attarderons donc au contenu de la pensée en présentant des extraits de verbatim qui révèlent que des futurs enseignants du primaire qui ont participé à l‘étude reconnaissent avoir développé des habiletés réflexives dans le domaine de l‘éducation mathématique grâce à l‘approche didactique et philosophique en mathématiques. Dans les paragraphes suivants, premièrement, nous présentons des extraits d‘entrevue qui témoignent de ce fait pour deux participants : une étudiante et un étudiant. Pour chacun de ces deux participants, nous donnons d‘abord le type de pensée réflexif que nous avons analysé à l‘aide des extraits de leur discours provenant des DVP. Deuxièmement, nous présentons des caractéristiques communes pour les trois premiers types de pensée réflexifs. Les deux derniers types de pensée, quasi-réflexif et réflexif, ne se sont pas manifestés suffisamment dans le discours des participants pour en ressortir des caractéristiques communes en termes de développement professionnel. 4 Pour avoir plus d’information sur les histoires, voir notre thèse Roy (2005). 93 GDM 2010 – COMMUNICATIONS La participante no 1 Selon notre analyse, la participante no 1 manifestait, au début de notre étude, le type de pensée aréflexif. Voici un extrait de verbatim d‘une DVP sur le hasard qui a été apportée par la participante no 1 : « Pour moi le hasard est un concept un peu difficile à expliquer, car je n‘y crois pas. Le hasard je n‘y crois pas, puis nécessairement je crois au destin étant donné que je crois en Dieu c‘est pour cela que je ne crois pas au hasard ». Question no 1 Animatrice : Qu‘est-ce que tu retiens le plus des DVP en mathématiques? Participante no 1 : Bien ça m‘a aidée à mettre des mots, puis à comprendre. Si je pense par exemple au concept comme l‘infini. C‘était des mots que j‘avais déjà entendus, mais de devoir expliquer, de mettre des mots à ce concept, c‘était difficile. Mais là avec l‘approche philosophique en mathématiques, je n‘ai pas eu le choix de me questionner, puis de dire quel mot je devrais mettre. C‘est difficile d‘essayer de clarifier ma pensée parce que des fois c‘est un concept qui est dans ma tête, mais là, de l‘expliquer, de le dire avec des mots, c‘est difficile, mais j‘ai réalisé que quand je n‘étais pas capable de le dire dans mes mots, c‘est que je ne le comprenais pas. Question no 2 Animatrice : Est-ce que tu pourrais expliquer comment tu vois maintenant les mathématiques? Participante no 1 : Je vois quelque chose qui est dans le quotidien. C‘est dans la vie de tous les jours. Ce n‘est plus seulement des exercices répétitifs sur les fractions ou peu importe. Animatrice : Qu‘est-ce qui t‘amène à penser de cette façon présentement ? Participante no 1 : Je ne sais pas comment dire, c‘est que par exemple si je parle de l‘infini ou des autres concepts comme le hasard. Il a fallu que je me questionne; c‘était quoi la différence entre le hasard et la chance. J‘ai pu voir un peu c‘était quoi. Puis quand je suis arrivée en didactique des mathématiques où là on a parlé de ça, là c‘était plus clair : « ah, c‘est ça le hasard ». Puis là, je me voyais plus expliquer aux élèves c‘était quoi le hasard parce que j‘avais tellement cherché à comprendre que là je pouvais mieux l‘expliquer, parce que là j‘avais cherché. Puis là c‘était comme plus clair dans ma tête c‘était quoi le hasard parce que toute ma vie j‘ai entendu parlé du hasard. Mais là en essayant de chercher vraiment c‘est quoi, de le définir, de l‘expliquer, de se questionner, de réfléchir sur ce concept là, c‘est là que c‘est venu comme plus clair. Bien, le hasard maintenant je peux faire des liens avec les mathématiques. Question no 3 Animatrice : Maintenant, comment tu penses que tu vas faire pour enseigner les mathématiques dans tes classes au primaire? Participante no 1 : De les faire discuter. Que ce soit avant ou après avoir présenté un concept mathématique pour être certain qu‘en discutant les enfants mettent des mots à ce qu‘ils ont compris. Puis souvent on dit : « un enfant apprend en parlant, c‘est en parlant qu‘on apprend ». 94 Anne Roy Puis je pense que, les mathématiques, là je ne le vois plus juste comme des feuilles de répétition d‘exercices, non, il va falloir que l‘enfant explique qu‘est-ce qu‘il pense, qu‘est-ce qu‘il fait puis c‘est beaucoup par la discussion. Question no 4 Animatrice : Quelle activité tu pourrais faire faire à un élève pour qu‘il soit capable justement de développer des compétences? Participante no 1 : Leur montrer un problème concret de la vie de tous les jours. Par exemple, il faut construire une cabane. Ils ont une petite mangeoire d‘oiseau. C‘est sûr que derrière ce problème, j‘aurais en tête de faire apprendre le concept de mesure. Je peux prendre un problème quelconque de la vie de tous les jours : ma chambre n‘est pas assez grande, il faut l‘agrandir : qu‘est-ce qu‘on fait? Puis là, c‘est tout le processus de réflexion pour qu‘après ça, l‘enfant fasse son raisonnement. … Puis là, ils vont discuter de leur processus puis là, à la fin, ils vont réussir à résoudre le problème. Question no 5 Animatrice : La dernière question. Au niveau de tes habiletés de pensée, est-ce que tu vois une différence entre aujourd‘hui et avant qu‘on fasse le projet? Participante no 1 : La philosophie m‘a aidée aussi à faire plus de liens avec ce que j‘ai vécu durant la session, d‘essayer de clarifier ma pensée, de mettre des mots. Puis ça, c‘est pour les habiletés de pensée. Je suis plus capable de me questionner ou de comparer ou surtout d‘utiliser ce que les autres disent, de profiter des autres là, mais, j‘ai réalisé que c‘est tellement important de discuter avec les autres parce que souvent, je n‘arrivais pas à mettre des mots sur ce que je pensais. Puis là le fait qu‘ils le disent, j‘étais comme : « ah oui, c‘est ça que je voulais dire», puis là, ça, ça m‘a aidée dans le fond. Le participant no 2 Selon notre analyse, le participant no 2 manifestait, au début de notre étude, le type de pensée pré-réflexif. Voici un extrait de verbatim d‘une DVP sur le hasard qui a été apportée par le participante no 2 : « Si l‘on met tous nos noms dans un chapeau et si je pige son nom. Est-ce qu‘il y a une raison? C‘est que son nom était dans le chapeau et qu‘elle avait la chance que son nom soit tiré mais, je ne pense pas qu‘il y ait une chance que ce soit elle particulièrement car nous avons tous une probabilité que notre nom sorte, mais elle, elle a mis son nom dans le chapeau». Question no 1 Animatrice : Qu‘est-ce que tu retiens le plus des DVP qu‘on a eues en rapport avec les mathématiques? Participant no 2 : Bien, ce que je retiens le plus c‘est les habiletés de pensée. Bien la première partie, si on contredisait mes arguments, bien je le prenais personnel. Et ça venait comme atteindre mon intégrité même si c‘était une question mathématique. Et ensuite, je prenais la contre-argumentation pour construire avec l‘autre au lieu d‘essayer de détruire l‘argument de 95 GDM 2010 – COMMUNICATIONS l‘autre. Et c‘est avec les habiletés de pensée que je pense, j‘ai pris conscience de l‘utilité de construire au lieu d‘être comme en combat cognitif avec l‘autre. Question no 2 Animatrice : Comment tu vois les mathématiques maintenant, après avoir fait de la philo pour enfants en mathématiques? Participant no 2 : Bien même si ça n‘a pas été super long puis qu‘on n‘a pas eu énormément de rencontres, cela a quand même été très positif et ma vision des mathématiques, je les vois beaucoup moins fermées qu‘avant. Je pourrais même voir une notion de plaisir dans les mathématiques. Question no 3 Animatrice : Comment tu vas faire pour enseigner les mathématiques au primaire? Participant no 2 : Bien, moi j‘irais dans le concret, beaucoup dans le concret, mais maintenant que j‘ai vu la philo pour enfants, avant d‘aller dans le concret, je pense que je lancerais des discussions. Je vais lancer des discussions pour qu‘on puisse en discuter et permettre à l‘enfant de se prononcer, puis d‘émettre des hypothèses, puis de se questionner sur le sujet, pour ensuite le laisser aller manipuler. Parce qu‘il va savoir quoi aller manipuler. Ce ne sera pas de la manipulation pour de la manipulation. On fait de la manipulation, mais il va y avoir un but à ça puisqu‘on va en avoir discuté, on va en avoir parlé, les enfants vont s‘être questionnés, sans que ce ne soit moi qui aie la vérité absolue et le savoir incontestable. Question no 4 Animatrice : Quel type d‘activités tu vas privilégier avec tes élèves? Participant no 2 : L‘apprentissage par le jeu en maths, pour qu‘ils aient cette notion de plaisir-là. Moi je pense que je privilégierais beaucoup l‘apprentissage par le jeu en mathématiques, parce qu‘en ayant du plaisir, là, si l‘enfant me dit : « ah ouais, mais pour continuer dans mon jeu, j‘aurais besoin de ça, ça, ça ». « Ah, tu as besoin de multiplication, tu as besoin d‘apprendre la division, bien je vais te le montrer si tu veux continuer ». Mais ça vient de l‘enfant. Bien pour qu‘il y ait un apprentissage, créer un besoin pour que ça vienne de l‘enfant puis il a besoin d‘apprendre la division. Et je pense que ça va être encore plus significatif et il va pouvoir faire des transferts sur les connaissances qu‘il va avoir apprises. Question no 5 Animatrice : Il restait la dernière question. Est-ce qu‘il y aurait d‘autres habiletés de pensée qui se sont manifestées depuis qu‘on a fait l‘expérimentation et le moment où on a fini nos rencontres? Participant no 2 : Oui, analyser, c‘est quelque chose que je ne faisais pas. Et comme je suis un très bon communicateur et que je suis capable d‘influencer, avec plus d‘aisance que les autres, si tu veux. J‘ai une facilité à rendre l‘autre de mon côté, qu‘il soit d‘accord avec moi. Bien j‘utilisais toujours ça. Puis si je veux pousser plus loin mes apprentissages, bien j‘ai vu qu‘il faut que j‘aille voir un peu plus loin que ça, puis analyser ce que l‘autre dit : pourquoi il le dit, 96 Anne Roy pourquoi moi je réponds ça, faire preuve de métacognition. Je le fais, mais pourquoi je le fais? Je pense que c‘est quelque chose qui peut m‘amener encore plus loin. En étant capable d‘analyser les choses maintenant, je pense que je le faisais avant, là, je n‘étais pas une cruche non plus, mais j‘en n‘étais pas conscient. Maintenant que j‘en suis conscient, je peux m‘analyser quand je le veux. Bien ça me permet de me dire : « Oui, je ne suis pas parfait là-dessus, mais ce n‘est pas grave, ça me permet de travailler puis de m‘améliorer». Enfin, pour terminer la partie des résultats portant sur le contenu de la pensée et fournir des pistes pour ébaucher un modèle didactique en mathématiques, dans le cadre de cette étude de cas, nous avons aussi constaté des caractéristiques communes pour les trois premiers types de pensée réflexifs. Le type de pensée a-réflexif semble se développer en: faisant attention à l‘estime de soi concrétisant l‘apprentissage des mathématiques à des aspects utiles faisant vivre l‘expérience de la DVP en mathématiques sans évaluation Le type de pensée non réflexif semble se développer en: expliquant clairement les mots utilisés explicitant la logique des concepts mathématiques accordant beaucoup plus de temps à la prise de parole Le type de pensée pré réflexif semble se développer en : favorisant la métacognition accordant plus de temps à la réflexion (prises de conscience) ajouter encore plus d‘écriture aux DVP en mathématiques CONCLUSION En guise de conclusion, nous sommes d‘avis que l‘utilisation d‘une seule approche didactique et philosophique en mathématiques ne peut à elle seule régler tous les maux qui subsistent dans la formation à l‘enseignement des mathématiques au préscolaire-primaire et adaptation scolaire dans les universités au Québec. Au regard de l‘enseignement en didactique des mathématiques, nous pensons que la pratique réflexive dans un contexte de communauté de recherche philosophique en mathématiques est une voie prometteuse pour développer des habiletés réflexives et complexes chez les futurs enseignants du primaire dans le domaine de l‘éducation mathématique. Il nous semble par ailleurs important de créer une solidarité au sein des formateurs pour avoir une cohérence dans la formation (Roy, 2010). Au regard de la recherche en didactique des mathématiques, nous sommes amenée à penser, à la suite de cette étude, que le développement des types de pensée devrait se concevoir en termes de profil de pratique enseignante. Autrement dit, il semble pertinent de poursuivre l‘étude des types de pensée réflexifs, mais dans une perspective plus globale où les travaux de recherche (Boutet, 97 GDM 2010 – COMMUNICATIONS 2004) sur les profils de pratique enseignante devraient être pris en compte pour enrichir la conception de modèles didactiques à mettre en place pour mieux soutenir le développement de compétences professionnelles chez les futurs enseignants dans le domaine de l‘éducation mathématique. BIBLIOGRAPHIE BOUTET, M. (2004). La pratique réflexive : un apprentissage à partir de sa pratique. www.mels.gouv.qc.ca/reforme/Boite_outils/mboutet.pdf profil réflexif DANIEL, M.-F., LAFORTUNE, L., PALLASCIO, R. et SYKES, P. (1996). Philosopher sur les mathématiques et les sciences. Québec : Le loup de gouttière. DEBLOIS, L. (2010). Développer une formation à l‘enseignement : trois entrées possibles. In J. Proulx et L. Gattuso (éd.) 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Thèse de doctorat inédite, Université du Québec à Montréal, Canada. 99 L’emploi de la stratégie PIE (prédire-investiguer-expliquer) et les outils technologiques pour aider les élèves à mieux comprendre les graphiques de fonctions Mathieu Gauthier Université de Moncton RÉSUMÉ. L‘article présente les résultats d‘une mini-recherche sur l‘utilisation de la stratégie PIE et d‘un logiciel graphique pour la compréhension des paramètres de la fonction racine carrée en mathématiques en 12e année au secondaire. La recherche a été réalisée dans le cadre d‘un cours au niveau de la maîtrise en éducation à l‘Université de Moncton. La compréhension des paramètres dans les diverses fonctions est une tâche complexe pour les élèves du secondaire et nous avons tenté de mesurer l‘impact de l‘utilisation d‘un logiciel de mathématiques sur la motivation et la compréhension des élèves sur le sujet. L‘analyse des données mène, entre autres au fait que le logiciel de mathématiques n‘améliore pas les performances des élèves concernant des tâches simples, mais au fait qu‘elle y apporte une différence significative lorsque les tâches sont complexes. INTRODUCTION Le présent travail consiste en une recherche-action portant sur l‘enseignement des paramètres des fonctions en mathématiques et est inspiré d‘un projet soumis au Fonds d‘innovation en apprentissage (FIA) en avril 2009, des fonds n‘ont pas été accordés malgré le fait que le projet en question répondait positivement aux critères du FIA. Le Ministère a toutefois permis aux projets déjà soumis en 2009 d‘être resoumis en 2010, où nous avons eu une réponse positive. Ce travail sera amélioré et modifié quelque peu afin de réaliser une thèse de maîtrise. PROBLÉMATIQUE ÉTUDIÉE Description du contexte Mes analyses du programme d‘études du N.-B. m‘amènent à constater que le graphique est une partie importante de ce dernier. De plus, on y parle des connaissances mathématiques comme étant « un réseau de connaissances qui se donnent mutuellement du sens » (MENB, 2008, p. 26). Les programmes d‘étude du N.-B. sont basés sur les principes du National Council of Teachers of Mathematics (NCTM) qui propose, dans ses principes et standards, que les élèves de la 9e à la 12e année puissent : Comprendre et performer des transformations telles que des combinaisons arithmétiques, des compositions et l‘inversion de fonctions communément utilisées, utiliser la technologie afin de performer de telles opérations sur des expressions symboliques plus compliquées. (NCTM, 2000, p. 296, traduction libre) Mathieu Gauthier De plus, on dénote que l‘un des résultats d‘apprentissages généraux du domaine forme et espace des programmes d‘étude en mathématiques au N.-B. traite spécifiquement des graphiques : « Utiliser des transformations pour analyser leurs effets et faciliter une conception graphique du monde réel. » (MENB, 2008, p. 27). Ce même document avance l‘importance de la communication mathématique (p. 29-30) qui engendre une association entre les diverses représentations, un principe repris dans le cadre d‘évaluation du dernier cours de mathématiques obligatoire du secondaire (MENB, 2009). Selon Leinhardt, Zaslavsky et Stein (1990), cités dans Knuth (2000), la représentation graphique des fonctions algébriques constitue un des premiers endroits où les élèves peuvent utiliser deux schèmes de représentation distincts pour travailler avec un seul objet, dans ce cas-ci, les fonctions. Or, plusieurs chercheurs se sont penchés sur la problématique de la compréhension des graphiques et des liens que les élèves ne semblent pas faire avec ce qu‘il représente. Dans ma pratique, je constate que les élèves n‘apprécient pas cette partie de mes cours de mathématiques et ils semblent ne pas maîtriser l‘utilité du graphique. Cette recherche consistera en une mise à l‘essai d‘une méthode d‘enseignement assisté par la technologie pour l‘enseignement des paramètres en mathématiques 30411 (12e année). Description du problème Les graphiques sont de plus en plus présents dans notre société. Pourtant, peu nombreux sont les personnes qui les comprennent. C‘est notamment le cas dans le cours de mathématiques 30411, où les élèves doivent apprendre à tracer les graphiques de 11 différentes fonctions de base, en faisant l‘utilisation de 4 paramètres qui affectent tous les graphiques de façon similaire (MENB, 2008). Cette tâche semble être un obstacle insurmontable pour certains élèves qui ne constatent pas l‘utilité des paramètres dans l‘étude des fonctions, tentant de mémoriser, fonction par fonction, l‘effet particulier des différents paramètres. Au début de chaque section où le papier graphique est requis pour faire l‘esquisse de graphique, des soupirs se font retentir en salle de classe. Par la suite, une quantité phénoménale de questions sont posées par les élèves sur les différents aspects du sujet. Ceci se fait à chaque fonction et le but ultime de pouvoir maîtriser les paramètres ne semble pas atteint à la fin du semestre. Comment l‘utilisation d‘un logiciel permettant de tracer instantanément des graphiques influence la compréhension et la motivation des élèves par rapport aux paramètres dans le cadre du cours de mathématiques 30411? Cette recherche tentera de proposer une approche alternative à l‘enseignement traditionnel qui fera intervenir un logiciel de représentation graphique afin de permettre à l‘élève de maîtriser l‘effet de ces paramètres. OBJECTIF DU PROJET Formulation de l’objectif Ce projet va permettre aux élèves de mes cours de mathématiques 30411 (12e année) d‘étudier le concept des paramètres dans les représentations graphiques des fonctions racines carrées présentées à l‘aide de diverses activités guidées sur un logiciel permettant de faire des graphiques en appliquant la stratégie Prédire-Investiguer-Expliquer (PIE) dans le but d‘analyser leur 101 GDM 2010 – COMMUNICATIONS performance et mesurer leur motivation face à cette approche en les comparant à un groupe témoin n‘ayant pas le logiciel. Justification théorique De nombreux auteurs (Saboya et Bednarz, 2008; Kramarski, 2004; Mavers, 2009; Knuth, 2000) étudient la problématique des graphiques. Blubaugh et Emmons (1999) avancent que la plupart des graphiques faits en salle de classe requièrent simplement de placer les points prédéterminés à l‘aide d‘une table de valeur. Cette approche suggère que les enseignants font des graphique puisque « ça fait partie du programme ». Ainsi, toujours selon Blubaugh et Emmons (1999), la relation essentielle entre les variables est perdue. De son côté, Patterson (1999) a développé une façon intuitive pour amener les élèves à mieux comprendre les paramètres m et b dans les droites d‘équation y = mx + b, en utilisant la formule de conversion de °C et °F et la calculatrice graphique. L‘approche préconisée s‘inspire de l‘approche POE de White et Gunstone (1992) où l‘élève doit prédire, observer et expliquer un phénomène dans un cours de sciences. En mathématiques, cette approche se nomme PIE (Minister of Education, New-Zealand, 2009), puisque l‘élève doit investiguer au lieu d‘observer. L‘investigation en relation avec les paramètres d‘un graphique peut se faire à l‘aide d‘un logiciel permettant de créer des graphiques. Lim et al. (2007) avance 3 bienfaits de l‘utilisation des prédictions en mathématiques : 1. La prédiction peut révéler les conceptions de l‘élève, 2. La prédiction joue un rôle important dans le raisonnement, 3. La prédiction faciliterait l‘apprentissage des mathématiques. En effet, l‘utilisation de la prédiction dans l‘enseignement permet à l‘élève de voir un portrait global de ce qu‘il va apprendre et ceci active donc ses connaissances antérieures sur le concept. La prédiction peut donc être la phase de préparation de l‘élève dans le processus d‘apprentissage, tel que décrit dans le cadre théorique des programmes d‘études du N.-B., et tel que présenté, notamment, dans MENB (2008). Pour les paramètres, Kukla (2007) propose une activité où les élèves doivent étudier les paramètres des fonctions et décrire le rôle de chacun à l‘écrit. Cette approche est intéressante, mais il faut trouver une façon de faire progresser l‘élève au niveau suivant qui est d‘appliquer les différentes transformations faites par les paramètres de façon simultanée. Arcavi (2003) parle de l‘importance de la représentation visuelle dans l‘apprentissage des mathématiques. Ainsi, il avance que la représentation visuelle permet de voir des choses qui passent inaperçues autrement, ce qui a pour effet de convaincre la personne qui visualise. Le rôle du graphique est en effet de voir de façon globale le comportement d‘une relation, et les paramètres sont les différentes façons dont on peut modifier l‘allure globale d‘une courbe donnée. À mon avis, il y a deux façons différentes d‘amener les élèves à voir les transformations faites par chaque paramètre : la première est de fournir une série de graphiques avec des paramètres différents et la seconde est de demander à l‘élève de tracer, par lui-même ou à l‘aide d‘un logiciel, les différents graphiques. SRI International (2007) a ressorti plusieurs études liant l‘utilisation des TIC, notamment de la calculatrice graphique, en mathématiques à la théorie de l‘autorégulation des apprentissages. 102 Mathieu Gauthier Zimmerman et al. (2000) écrivent que les apprentissages autorégulés sont des investissements dans le développement des élèves dans trois voies principales : 1. Une meilleure compréhension du contenu de la matière 2. Une plus grande efficacité de l‘apprentissage 3. Un sentiment accru de leur propre efficacité à accomplir d‘autres tâches d‘apprentissage. (pp. 161-162) En mathématiques, les élèves ne semblent pas COMPRENDRE le concept, ils semblent plutôt le mémoriser et le recracher sur l‘évaluation sommative. Ainsi, lorsque l‘enseignant propose une tâche ou un problème différent, il arrive fréquemment que l‘élève ne persévère pas dans la tâche et abandonne immédiatement après le premier essai. En ayant ces trois voies principales de développement, il est facile de comprendre pourquoi Zimmerman et al. (2000) parlent de l‘autorégulation comme étant une « approche indispensable tout au long du parcours scolaire (p. 163). Ormrod (2008) recense quatre processus de l‘apprentissage autorégulé, d‘une perspective des théories de la cognition sociale : a) l‘élaboration de standards et de buts; b) l‘autoobservation; c) l‘auto-évaluation et d) l‘auto-réaction (p. 140). MÉTHODOLOGIE Groupe-sujets et mode d’investigation Les sujets font partie des deux cours de math 30411 qui sont enseignés par le chercheur au premier semestre de l‘année scolaire 2009-2010. Les 40 sujets sont des élèves de 12e année qui suivent le cours de math 30411 pour la première fois. La recherche consiste en une rechercheaction qui comporte un groupe expérimental (22 sujets), qui a utilisé un logiciel pour représenter les graphiques, et un groupe témoin (18 sujets), qui a eu des pages avec des graphiques imprimés. Afin de comparer les résultats des deux groupes, les données ont été recueillies de deux façons : les élèves ont complété le même questionnaire en ligne lors de la réalisation de l‘activité et une entrevue a été réalisée avec 10 sujets, quatre du groupe témoin et 6 du groupe expérimental. Moyens d’intervention Les sujets de chaque groupe étaient groupés en dyades lors de leur arrivée au local d‘ordinateur. Certains élèves qui ne participaient pas à la recherche étaient eux aussi regroupés et ont aussi réalisé l‘activité, mais les données recueillies n‘ont pas été analysées dans ce projet pour respecter leur droit de refuser à la participation au projet. Activités L‘activité en salle de classe était séparée en trois phases : 1. Prédiction; 2. Investigation et 3. Explication afin de respecter la stratégie pédagogique PIE. Dans leur dyade, les élèves devaient tout d‘abord faire une prédiction de l‘allure générale des graphiques dans lesquels on faisait varier différents paramètres. Par la suite, le groupe expérimental devait suivre le didacticiel sur GraphEasy pour ensuite pouvoir faire leur investigation sur le rôle des paramètres. Du côté du groupe témoin, les élèves avaient des pages avec des graphiques déjà imprimés qui faisaient varier les paramètres et où la fonction de base était toujours présente. Suite à la réalisation de leur investigation, les élèves devaient compléter le questionnaire en ligne, créé à l‘aide de Google 103 GDM 2010 – COMMUNICATIONS Documents. Le questionnaire était le même pour les deux groupes. La plupart des dyades ont complété la partie du questionnaire reliée au paramètre qu‘elle venait d‘étudier. Dans la semaine suivant l‘activité en salle de classe, le chercheur réalisait des entrevues semi-dirigées avec les sujets des deux groupes. Ressources Ressources matérielles Laboratoire informatique avec des ordinateurs ayant accès à Internet et le logiciel GraphEasy, Photocopies des documents nécessaires, Enregistreur numérique et logiciel d‘accompagnement, Guide d‘entretien. Moyens d’évaluation Le premier moyen d‘évaluation est l‘enquête par questionnaire. Le codage des données provenant du questionnaire est basé sur le modèle de Hiebert et al. (2009). Chaque réponse est cotée avec un score de 0, 1 ou 2. Un score de 0 présente une conception erronée ou inappropriée du concept, un score de 1 présente une compréhension partielle du concept, d‘une façon qui peut cacher une compréhension incomplète tandis qu‘un score de 2 présente une référence explicite et complète du concept. Lors de l‘analyse des résultats, le chercheur a dû tenir compte du fait que les sujets n‘avaient pas le vocabulaire spécifique aux transformations des paramètres dans les graphiques. Avant l‘analyse des données, le chercheur avait établi préalablement une réponse attendue à l‘aide du vocabulaire exact. Le tableau 1 présente les réponses des élèves pour différents scores. Pour ce qui est de la dernière question du questionnaire, qui englobait le rôle de tous les paramètres, le chercheur avait déterminé 5 étapes de transformation et cotait les résultats de 0 à 5, un point accordé par étape de transformation correctement expliquée. Tableau 1 Exemple de scores pour les réponses fournies par les élèves à la deuxième question du questionnaire en ligne. Dans tes mots, décris le rôle du paramètre a dans le graphique de y = a √ lorsque 0<|a|<1. Réponse attendue : Le graphique subit un rétrécissement vertical par un facteur a Score de 0 Score de 1 Score de 2 Au point (1,Y), Y va être C'est la même chose que la Il rapetisse verticalement le un nombre décimal. question précédente. Ceci graphique (multiplie y) dit, quand le =1, y=a donc a=0.5 alors ton graphique est moins haut que le graphique de base. 104 Mathieu Gauthier Le second moyen d‘évaluation est l‘enquête par questionnaire. Les entrevues étaient enregistrées à l‘aide de l‘enregistreur numérique pour être ensuite retranscrites mot par mot. Les entrevues ont été relues pour dégager un court texte résumant le propos du sujet. Par la suite, les résumés des propos ont été relus et regroupés dans des rubriques. Les rubriques ont été analysées pour ensuite dégager les aspects importants qui s‘y retrouvent et ils seront présentés plus loin dans le texte. Calendrier du projet Le tableau 2 présente le calendrier des opérations. Tableau 2 Calendrier des opérations Activité Date de réalisation Date de l’analyse Réalisation de la tâche en salle de classe et complétion du questionnaire 17 novembre 2009 1er décembre 2009 et 12 décembre 2009 Entretiens 17 au 26 novembre 2009 23 au 30 novembre 2009 RÉSULTATS Résultats du questionnaire Le tableau 3 présente les moyennes et les écart-types des scores des élèves du groupe témoin, tandis que le tableau 4 présente les mêmes données pour le groupe expérimental. Tableau 3 Résultats du groupe témoin au questionnaire en ligne. Q1 Q2 Q3 Q4 Q5 Q6 Q7 Moyenne 1,78 1,67 1,78 1,44 1,67 1,78 2,88 Écart-type 0,44 0,71 0,44 0,71 0,50 0,44 1,36 Résultats du groupe exprimental au questionnaire en ligne. Q1 Q2 Q3 Q4 Q5 Q6 Q7 Moyenne 1,45 1,45 1,73 1,18 1,80 1,20 3,25 Écart-type 0,52 0,82 0,74 0,40 0,42 1,03 1,75 Tableau 4 À la lumière de ces résultats, on constate que les sujets du groupe témoin ont, en moyenne, mieux réussi à décrire tous les paramètres (Q1 à Q6) que le groupe expérimental. Ceci peut s‘expliquer en partie en raison du fait que plusieurs sujets du groupe témoin faisaient partie du programme du 105 GDM 2010 – COMMUNICATIONS baccalauréat international (BI), un programme accéléré et plus avancé, l‘an passé et avaient déjà vu cette matière. Par contre, les sujets du groupe expérimental ont obtenu une moyenne plus élevée que ceux du groupe témoin. Ceci veut donc dire que les sujets du groupe expérimental ont réussi à mieux expliquer les transformations faites par plusieurs paramètres simultanément, et ce, en dépit du fait qu‘ils ont moins bien su expliquer les rôles des paramètres de façon individuelle. Résultats des entretiens Thèmes communs aux deux groupes Effet nouveauté Tous les sujets interviewés dans les deux groupes n‘ont jamais vécu une expérience semblable, sauf un sujet qui évoquait un vaste souvenir possible d‘une expérience similaire au niveau primaire. Apprentissage autonome Le fait que les sujets ne pouvaient pas poser des questions sur les concepts étudiés les a forcés à trouver des stratégies pour réussir à réaliser la tâche. Cet aspect a augmenté la motivation de certains sujets face à la réalisation de la tâche et au concept des paramètres. D‘autres ont avancé explicitement que cette forme d‘apprentissage leur a permis d‘augmenter la confiance qu‘ils ont face à l‘apprentissage qu‘ils viennent de réaliser. Un sujet a dit vouloir refaire des activités semblables. La prédiction Dans la plupart des cas, les prédictions des sujets étaient fausses. Ils ont apprécié pouvoir vérifier leur prédiction et réaliser quelles étaient les bonnes réponses et faire le changement conceptuel. Un sujet a mentionné que cette approche l‘aidait dans la rétention du concept présenté, tandis que d‘autres ont fait des liens avec des concepts déjà vus préalablement. Vitesse de l‘apprentissage Les élèves ont apprécié pouvoir apprendre le concept à leur rythme : prendre plus de temps où ils en avaient besoin et moins lorsque c‘était facile. De plus, ils ont apprécié pouvoir revenir en arrière, une chose qui n‘est pas possible en salle de classe selon un sujet. De plus, un sujet a parlé de la vitesse du logiciel pour tracer les graphiques comme étant un aspect positif et un autre a avancé que l‘enseignement de ce concept de façon traditionnelle aurait pris beaucoup plus de temps. Confiance Aucun sujet a mentionné être plus confiant dans l‘ensemble des mathématiques suite à la réalisation de l‘activité, mais quelques-uns ont admis l‘être dans le cas des graphiques et des paramètres. D‘autres sujets ont mentionné que leur confiance n‘était pas modifiée puisque dans un cas c‘était la pratique qui augmentait sa confiance et dans l‘autre cas, le sujet ne pouvait pas savoir quels étaient ses forces et ses défis suite à la réalisation de l‘activité puisqu‘elle n‘avait pas reçu de rétroaction. 106 Mathieu Gauthier Motivation Voici les aspects qui ont affecté positivement la motivation des sujets : L‘apprentissage autonome / le défi d‘apprendre le concept par soi-même L‘activité a piqué la curiosité du sujet La possibilité de vérifier les prédictions La vision globale des contenus qui allaient être enseignés Travailler sur un ordinateur Activité différente de ce qui se retrouve dans les livres Le fait de se concentrer simplement sur l‘analyse des graphiques au lieu d‘avoir besoin de les tracer L‘aspect visuel de l‘activité Voir les différents effets des paramètres sur les graphiques Thèmes exclusifs au groupe expérimental Aspect visuel Le logiciel GraphEasy offrait un support visuel aux sujets qui a été très apprécié. Selon eux, le support visuel a aidé à comprendre les concepts, apprendre le rôle des paramètres, faire la différence entre les différents changements et susciter leur intérêt. Certains sujets ont même déploré le fait que l‘enseignement des mathématiques, et d‘autres sujets, n‘apporte pas l‘aspect visuel qu‘ils ont besoin pour maîtriser la matière, mais que cette activité atteignait ce niveau. Niveau de difficulté de l‘activité Deux sujets du groupe expérimental ont avancé que l‘activité était facile tandis qu‘un sujet du groupe témoin a avancé que l‘activité était difficile. Technologie Les sujets ont avancé que les technologies occupent une place importante dans le quotidien des jeunes de leur génération. Le logiciel pouvait tracer les graphiques rapidement et les sujets ont aussi apprécié pouvoir faire apparaître et disparaître les graphiques instantanément à leur guise. Finalement, trois sujets ont parlé du degré de motivation accru relié au travail sur un ordinateur par rapport au travail traditionnel en salle de classe. Analyse et interprétation des résultats À la lueur des résultats du domaine cognitif, on constate que les deux groupes présentent des résultats similaires, légèrement à l‘avantage du groupe témoin, sauf dans le cas de la tâche la plus complexe, qui présente un avantage du côté du groupe expérimental. Ceci vient renforcer voire confirmer que l‘utilisation d‘un ordinateur dans le cadre de la stratégie PIE augmente l‘autorégulation des apprentissages chez les élèves et leur permet de réaliser de meilleurs apprentissages. En effet, plusieurs élèves ont pu se servir du logiciel GraphEasy pour vérifier étape par étape les transformations faites au graphique, ce qui s‘avère une stratégie intéressante qui n‘a pas d‘équivalent pour le groupe témoin. 107 GDM 2010 – COMMUNICATIONS De façon générale, la stratégie PIE dans l‘enseignement des graphiques s‘avère une approche judicieuse qui réussit à capter la motivation des élèves en plus de leur permettre de réaliser des apprentissages autonomes tangibles. Plusieurs élèves ont vu la tâche proposée comme étant un défi et ils ont investi beaucoup d‘effort pour le relever. Après avoir réalisé ces apprentissages autonomes, l‘élève voit sa confiance augmenter face à ce sujet et il a l‘impression de l‘apprendre plus rapidement que dans un enseignement traditionnel. Les sujets ont apprécié l‘activité, évoquant à maintes reprises que l‘activité était « le fun », un terme qui n‘est pas couramment utilisé par un élève de douzième année en parlant de son cours de mathématiques. Le fait de compléter le questionnaire à l‘ordinateur a probablement été un facteur qui a encouragé l‘élève à compléter le questionnaire au lieu de simplement leur demander de les compléter sur une feuille de papier. L‘utilisation de la prédiction avant l‘enseignement est une pratique qui se prête bien à l‘enseignement des paramètres dans les graphiques et capte l‘attention des élèves. Ces derniers veulent savoir s‘ils avaient raisonné correctement et semblent plus déterminés à comprendre le concept. Ils cherchent ainsi à faire des liens avec des connaissances antérieures, qui sont par le fait même activées. Cette partie de la tâche semble effectivement avoir facilité l‘apprentissage des mathématiques. L‘utilisation d‘un logiciel pour tracer les graphiques aide les élèves à voir les rôles des paramètres : ils peuvent faire apparaître et disparaître instantanément les différents graphiques pour ainsi faire des hypothèses ou des inférences et pouvoir les vérifier par la suite. Le fait que le tout se passe sur un écran, où l‘élève peut modifier la couleur, la taille et l‘échelle du graphique, rend l‘aspect visuel plus attrayant que les mêmes graphiques imprimés sur des feuilles blanches inertes. Les élèves ont l‘impression que la tâche est moins difficile lorsque l‘ordinateur est utilisé comme outil. Ces aspects rejoignent donc la théorie sur la Génération NET, dont fait partie la clientèle scolaire actuelle. CONCLUSION Résumé La stratégie PIE appliquée sur les paramètres à l‘aide d‘un logiciel graphique motive les élèves et les amène à faire des apprentissages autonomes. La prédiction active des connaissances antérieures des élèves, l‘investigation permet à l‘élève de faire des hypothèses et de les vérifier, et l‘explication permettent à l‘élève de mettre par écrit ses constatations. Les résultats trouvés concordent avec les écrits scientifiques et viennent confirmer les bienfaits de la stratégie PIE et de la technologie. Présentation des limites du projet Certaines limites peuvent avoir affecté les résultats du projet : 108 L‘inexpérience du chercheur a affecté le processus de recherche et aurait pu influer sur les résultats. L‘analyse des données du questionnaire aurait pu être révisée par un autre collègue pour rendre les données plus justes. De plus, les données auraient pu être analysées avec des tests statistiques plus approfondies pour obtenir des résultats scientifiques plus concluants. Mathieu Gauthier La contrainte de temps pose une limite importante au résultat, puisque le processus d‘analyse des données a été accéléré et n‘a pas mérité la révision requise par le chercheur. La validation des éléments d‘analyse n‘a pas été faite adéquatement en raison du temps restreint. Le chercheur était l‘enseignant régulier des élèves et ils savaient que le travail était fait dans le cadre de la maîtrise de ce dernier. La relation des sujets avec le chercheur peut avoir influencé positivement ou négativement leurs propos face à l‘activité. Le vocabulaire utilisé lors de l‘entretien était inaccessible pour certains élèves, cela a eu pour effet que les réponses fournies ne concordent pas nécessairement avec les questions posées. Prospective Il faut trouver des façons d‘amener les élèves à réaliser des apprentissages autonomes en mathématiques 12e année afin d‘avoir des apprentissages durables et d‘augmenter la motivation et la confiance des élèves. La stratégie PIE peut s‘avérer une voie intéressante, surtout avec l‘aide de la technologie, mais le contexte économique et la réticence des gouvernements à investir de façon massive en éducation posent des limites à l‘implantation d‘une telle approche. BIBLIOGRAPHIE ARCAVI, A. (2003). The Role of Visual Representations in the Learning of Mathematics. Educational Studies in Mathematics (52-3). pp. 215-241. BLUBAUGH, W., & EMMONS, K. (1999). Graphing for all students. Mathematics Teacher (92-4). pp. 323-334. GUNSTONE, R., & WHITE, R. (1992). Probing Understanding. Grande-Bretagne: Falmer Press. HIEBERT, J., MORRIS, A., & SPITZER, S. (2009). Mathematical knowledge for teaching in planning and evaluating instruction: what can pre-service teachers learn? Journal for Research in Mathematics Education, 40(5), 491-529. KUKLA, D (2007). Graphing Families of Curves Using Transformations of Reference Graphs. Mathematics Teacher, 100(7), 503-509. KNUTH, E. (2000). 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ZIMMERMAN, B., BONNER, S., et KOVACH, R. (2000). Des apprenants autonomes. France : De Boeck Université. 110 Enseigner les sciences et apprendre les mathématiques: Dans quel contexte et selon quelles conditions? Annie Savard Université McGill RÉSUMÉ. Ce texte présente des résultats obtenus à la suite d‘un projet de recherche effectué auprès des enseignants d‘une école primaire. La particularité du projet réside dans le fait que le développement professionnel proposé, qui s‘est étalé sur trois ans, avait pour but l‘appropriation d‘une méthode d‘enseignement et d‘apprentissage contextualisée dans le cours de science et de technologie. Les résultats suggèrent que les intentions d‘apprentissage des enseignants rencontrés sont orientées vers trois milieux identifiés dans le cadre de cette recherche : les caractéristiques des élèves; les règles institutionnelles ainsi que les connaissances et processus de la science et de la technologie. Les mathématiques sont également présentes dans ce milieu. Toutefois la sensibilité des enseignants a été plutôt faible. L’ENSEIGNEMENT DES SCIENCES AU PRIMAIRE AU QUÉBEC : ÉTAT DES LIEUX Au Québec, l‘enseignement des sciences au primaire revêt un caractère particulier. Passant d‘un programme des sciences de la nature (1980) à un programme en science et technologie (2001), cette discipline veut développer une culture scientifique et technique pour tous afin « de comprendre le monde dans lequel nous vivions et pour s‘y adapter » (Ministère de l'Éducation du Québec, 2001, p. 144). Toutefois, des défis importants se posent. Premièrement, les compétences à développer telles que présentées dans le programme de formation de 2001 présentent un défi certain quant à leur développement et à leur évaluation. La diversité des savoirs ainsi que leur niveau de complexité amènent les enseignants à faire des choix didactiques importants quant au concepts et procédés présentés aux élèves. Du plus, le programme du primaire propose le développement des quatre compétences pour les six années du primaire. Les compétences sont réparties selon les cycles d‘apprentissage des élèves. Ainsi, au premier cycle du primaire, soit la première et de la deuxième année, les élèves doivent développer la compétence Explorer le monde de la science et de la technologie Au deuxième et au troisième cycle du primaire, trois compétences sont à développer : C1) Proposer des explications ou des solutions à des problèmes d‘ordre scientifique ou technologique ; C2) Mettre à profit les outils, objets et procédés de la science et de la technologie ; C3) Communiquer à l‘aide des langages utilisés en science et technologie. Deuxièmement, le temps d‘enseignement alloué pose un autre important défi. Au premier cycle du primaire, le domaine de la science et de la technologie n‘est pas inscrit à la grille matières du temps d‘enseignement. La compétence doit donc se développer au travers les autres domaines d‘apprentissage. Au deuxième et au troisième cycle, il n‘y a pas de temps accordé de façon officielle, toutefois la science et la technologie doit être enseignée durant les 11 heures à se répartir avec cinq autres disciplines : les arts (2 disciplines), langue seconde, éthique et culture religieuse, géographie, histoire et éducation à la citoyenneté. Considérant l‘importance accordée à GDM 2010 – COMMUNICATIONS la science et à la technologie ainsi qu‘au nombre de compétences à développer, il semble contradictoire que si peu de temps consacré à cet enseignement soit alloué. Un troisième défi, mais non le moindre, a trait à la formation initiale des maîtres du primaire qui est généralement assez élémentaire, tant du point de vue notionnel que didactique (Minier & Gauthier, 2006). L‘enseignement dispensé reflète cet état et prend trop souvent l‘allure d‘un enseignement magistral et dogmatique s‘appuyant sur des connaissances déclaratives et des démonstrations (Minier & Gauthier, 2006). Le matériel pédagogique utilisé sert alors d‘outil incontournable en classe avec ses guides pédagogiques pour le maîtres et ses cahiers à compléter par les élèves. Afin de proposer un enseignement de la science et de la technologie beaucoup plus significatif pour les élèves, différents projets ont vu le jour depuis 2001, dont L‘île du savoir à Montréal (http://www.liledusavoir.org/) et l‘implantation de la démarche d‘investigation raisonnée à Québec. En 2003, des formateurs affiliés à La main à la pâte sont venus de France et ont accompagné le personnel des services éducatifs à former le personnel enseignant intéressé, de la maternelle à la sixième année. Le développement a été rapide, soutenu par un dispositif articulant formation, accompagnement et matériel didactique pour l‘expérimentation. Depuis 2006, toutes les commissions scolaires de la région de la Capitale Nationale sont impliquées dans l‘implantation de la démarche d‘investigation raisonnée dans le cours de science du préscolaire et du primaire. LA DÉMARCHE D’INVESTIGATION RAISONNÉE EN CONTEXTE Cette démarche s‘inspire de l‘approche américaine « Hands on ». L‘approche «Hands on» a été développée vers la fin des années 1980 afin de permettre à des enfants de 5 à 12 ans provenant des quartiers défavorisés de Chicago de se familiariser avec les sciences. Cette approche permettait à des enfants moins nantis de manipuler des objets, de poser des hypothèses, de discuter entre eux des lois et des principes scientifiques, d‘échanger avec un enseignant sur le pourquoi et sur le comment de ces expériences, afin de mettre tous ces résultats par écrit à l‘aide de phrases ou de dessins. En 1996, l‘académicien et prix Nobel de physique Georges Charpak a décidé de rapatrier cette approche en France. Avec le support de l‘Académie des sciences, La Main à la pâte est implantée dans certaines écoles primaires de France (Charpak & Académie des sciences (France), 1996). Depuis 2005, La main à la pâte fait un rapprochement entre cette approche et l‘enseignement des mathématiques, comme en fait foi le colloque tenu en septembre 2005 en France. La démarche d‘investigation raisonnée propose une pédagogie ouverte basée sur des expérimentations effectuées par les élèves. Les élèves observent un phénomène de la vie courante au sujet duquel ils s‘interrogent, posent un problème à résoudre et formulent des hypothèses. Ils conçoivent et réalisent des expériences pour confirmer ou infirmer leurs hypothèses. Au cours des activités, ils échangent, argumentent, partagent leurs idées, confrontent leurs points de vue en équipe de travail, en grand groupe ou avec l‘aide de l‘enseignant. La classe formule des résultats provisoires ou définitifs. Il s‘agit d‘une pratique et d‘un apprentissage de la science faits dans l‘action, l‘interrogation, l‘exploration, l‘investigation, la construction de connaissances collectives et la discussion. C‘est un parcours par étapes où les acquisitions se font par restructurations successives; le résultat global n‘est visible qu‘à la fin du parcours. L‘étude de chaque sujet dans la démarche d‘investigation raisonnée se fera sur une période de temps assez 112 Annie Savard longue afin d‘accorder aux élèves le temps nécessaire aux apprentissages (environ une douzaine de séances réparties sur six semaines). L‘élève garde les traces de ses activités à chaque étape de son investigation dans son cahier d‘expérience. Les informations recueillies sont inscrites dans ce cahier qui est propre à chacun et différent d‘un élève à l‘autre. Le cahier témoigne et renseigne sur le cheminement de l‘élève : sur les questions qu‘il s‘est posées, sur les prédictions et hypothèses qu‘il a formulées, sur les expériences et les observations qu‘il a réalisées, sur les résultats obtenus, même s‘ils peuvent être incomplets. L‘enseignant peut mettre à la disposition des élèves des outils pour les aider à s‘organiser: tableaux d’observations, tableaux de résultats, schémas, dessins, courts textes, graphiques, listes de documents, résumés de procédures… L‘élève utilise son cahier comme aidemémoire pour revenir sur des notions déjà vues et comme outil pour structurer davantage sa pensée ou pour communiquer. Les étapes de la démarche ne sont pas linéaires, mais plutôt itératives. C‘est à la suite d‘observations tangibles qu‘émergent chez l‘enfant des questions ainsi que des hypothèses, et que s‘élabore une argumentation. Dans le cadre de l‘utilisation de cette approche en classe du primaire, c‘est le contexte socioculturel qui sert de contexte scientifique puisque que l‘on utilise des objets quotidiens afin de développer des connaissances à leurs propos: bulles, l‘eau, os et squelette, les déchets. Leur étude par l‘observation, l‘expérimentation, la formulation de questions amène l‘utilisation de processus intellectuels abondamment utilisés en contexte mathématique, par exemple : observer, c‘est chercher des régularités, c‘est qualifier et quantifier; expérimenter, c‘est mesurer, classifier, représenter, quantifier; formuler des questions: c‘est utiliser, entre autres, des raisonnement déductif, inductif, probabiliste… La formulation des résultats définitifs ou provisoires lors des discussions menées en classe développent des compétences citoyennes telle la pensée critique ou la prise de décision (Savard, 2008). Soulignons que le contexte citoyen peut être aussi entendu comme contexte sociopolitique dans lequel les décisions politiques, les phénomènes économiques et les règles de vie en société se manifestent. Le contexte mathématique est riche et offre un énorme potentiel. Toutefois, nous nous interrogeons : est-ce que les enseignants sont sensibles à ce milieu mathématique? Que font les enseignants avec les mathématiques lorsqu‘ils enseignent les sciences lors de situations d‘apprentissage ouvertes? Est-ce que leurs intentions sont également orientées vers l‘apprentissage des mathématiques de façon générale ou bien ont-ils ciblés des objets d‘apprentissage (Jonnaert & Vander Borght, 1999) issus du programme de mathématiques? À cet effet, Bednarz et Proulx (2009) nous disent que les intentions des enseignants de mathématiques du secondaire sont imbriquées : elles peuvent être mathématiques, didactiques ou pédagogiques. Dans le cadre de ce projet, il nous apparaît pertinent de les étudier séparément afin de pouvoir identifier les savoirs mathématiques planifiés et enseignés intentionnellement par les enseignants. Nous pourrons par la suite cerner leur sensibilité au milieu (DeBlois, 2006), lors de l‘utilisation de la démarche en classe avec les élèves. LE PROJET DE RECHERCHE Depuis 2003, deux commissions scolaires du Québec ont décidé à leur tour d‘innover et de faire profiter les élèves du primaire de cette même approche : la commission scolaire de la Capitale et 113 GDM 2010 – COMMUNICATIONS la commission scolaire de la Beauce-Etchemin. Des formateurs affiliés à La main à la pâte sont venus de France et ont accompagné le personnel des services éducatifs à former le personnel enseignant intéressé, de la maternelle à la sixième année. Depuis 2007, deux écoles, une pour chaque commission scolaire, ont adopté la démarche d‘investigation raisonnée comme projetécole pour favoriser la réussite éducative des élèves. Ce projet s‘est étalé sur trois ans. Le projet d‘école a été planifié en concert entre les services éducatifs de chacune des commissions scolaires et par l‘équipe d‘une école située en milieu socio-économique défavorisé. Afin de mettre en lumière le processus d‘implantation ainsi que les retombées de l‘utilisation de la démarche, l‘équipe a demandé la collaboration d‘une chercheure qui connaissait bien la démarche (Savard & Morin, 2005). Le dispositif de formation et d‘accompagnement des enseignants a été l‘objet d‘un travail collaboratif avec les conseillers pédagogiques et les directions d‘école. Des entrevues de groupes et individuelles, des groupes de discussion, des questionnaires, des observations dans les classes ainsi que des discussions avec les élèves nous ont permis de collecter des données de recherche. L‘analyse des représentations (Brun et Conne, 1990) des enseignants nous a permis de dégager leurs intentions d‘apprentissage, que nous avons ensuite catégorisées selon qu‘elles sont didactique ou pédagogiques. En ce qui a trait aux intentions didactiques, nous n‘avons pas spécifié les disciplines. Toutefois, il est surtout question de la science et de la technologie, du français et des mathématiques. Nous présenterons les résultats d‘une école située en milieu urbain, qui accueille des classes d‘élèves dysphasiques et des classes spéciales, c‘est-à-dire des élèves ayant d‘importants retards académiques. QUELQUES RÉSULTATS PRÉLIMINAIRES De prime abord, les enseignants ont utilisé la démarche d‘investigation raisonnée dans le cours de science. Les raisons motivant leur engagement à apprendre et à utiliser la démarche d‘investigation raisonnée ont été de former une équipe ou une communauté pour se soutenir. Puisque le milieu est reconnu comme étant défavorisé, l‘idée d‘un projet rassembleur a séduit les enseignants. Ce projet rassembleur avait aussi comme fonction d‘engager les élèves dans leurs apprentissages pour favoriser la réussite scolaire et de susciter la motivation des élèves par l‘enseignement des sciences. Des intentions implicites Les enseignants ont eu beaucoup de difficulté à parler de leurs intentions, avant, pendant et après l‘action. Un travail d‘accompagnement de la part de la direction et de la conseillère pédagogique a permis de dégager une planification globale des apprentissages en S et T, pour que les enseignants ciblent des apprentissages à développer et la portée des ses apprentissages, tout au long de l‘année scolaire. Par la suite, la conseillère pédagogique a accompagné les enseignants dans le cadre de l‘élaboration du document Normes et modalités d’évaluation des apprentissages demandés par la direction. Ce document comprend, entre autres, le choix des sujets d‘études ainsi que des intentions d‘apprentissage reliés à ces sujets d‘études. Le tableau 1 présente les intentions d‘apprentissage en science et technologie d‘une équipe-école. 114 Annie Savard Tableau 1 Les intentions pédagogiques sont en fait des compétences transversales que les enseignants doivent favoriser le développement. Puisque l‘utilisation de la démarche d‘investigation raisonnée nécessite un travail collaboratif, les enseignants ont rapidement choisi la coopération et ses valeurs d‘entre- aide comme un atout pour leurs élèves. En ce qui a trait à la didactique, la communication via le développement langagier et la prise de notes est très présente. Des processus communs à la science et la technologie et aux mathématiques sont aussi présents. Des connaissances scientifiques sont présentes à tous les cycles d‘enseignement. La sensibilité au milieu Les intentions pédagogiques identifiées dans le tableau 1 n‘ont pas été choisies par hasard par les enseignants de cette école. Le milieu dans lequel ces enseignants évoluent a influencé ces choix. Ainsi, des intentions pédagogiques et didactiques que les enseignants se sont donnés sont liées au premier milieu identifié par cette recherche, soit les caractéristiques des élèves. Puisque ceux-ci sont issus d‘un milieu socio-économique faible, les intentions pédagogiques choisies par les enseignants cherchent à pallier principalement à des habiletés relationnelles ou langagières. Conséquemment, les enseignants ont voulu aussi leur donner des structures d‘apprentissage liées aux français, à la science et la technologie et aux mathématiques. Des intentions didactiques que 115 GDM 2010 – COMMUNICATIONS les enseignants se sont donnés sont alors liées au fait que la majorité des élèves sont identifiés comme ayant de très grands troubles d‘apprentissage. Le deuxième milieu identifié trait aux règles institutionnelles. Les enseignants ont l‘obligation de proposer un enseignement du programme de formation. À cet effet, des intentions pédagogiques identifiées concernent la nécessité de développer des compétences transversales. La prépondérance et l‘importance accordée au français dans les documents ministériels, notamment en terme de temps d‘enseignement prescriptif expliquent le fait que les intentions didactiques des enseignants soient orientées vers l‘apprentissage du français dans le cours de science. Rappelons qu‘au premier cycle, il n‘y a pas de temps d‘enseignement alloué à cette matière. Les enseignants veulent travailler le français, qui est une partie importante du programme. Le troisième milieu identifié dans le cadre de ce projet a trait aux connaissances et processus scientifiques et technologiques. Notons que certains processus scientifiques et technologiques sont communs aux processus mathématiques, tels le recours aux raisonnements inductifs et déductifs, la saisie et la transmission de l'information au moyen de graphisme, notation, symbolisme et codification ainsi que l‘utilisation de stratégies appropriées permettant d'atteindre un résultat ou de trouver une solution qu'il sera possible par la suite d'expliquer, de vérifier, d'interpréter et de généraliser (MELS). Toutefois, même si nous observons que les processus mathématiques sont présents dans ce milieu, les enseignants n‘y ont pas été sensibles. Leurs intentions didactiques ont plutôt été orientées la deuxième compétence en science et technologie. Par conséquent, la majorité des enseignants n‘avaient pas vraiment conscience de favoriser le développement des compétences mathématiques: « Les maths, l‘intégration des maths là, ça c‘est super difficile. On revient toujours sur la mesure. Ah ça, de la mesure ça c‘est facile. C‘est parce que, un diagramme à barre, oui c‘est correct. Mais les maths c‘est autre chose. C‘est les fractions. Là oui, les fractions dans mes os j‘en ai, les maths là, j‘en trouve pas » (Corinne, 20:28) Cet extrait issu d‘un entretien de groupe nous montre que cette enseignante trouve difficile le fait d‘intégrer les mathématiques aux contenus scientifiques et technologiques. Pourtant, le milieu était propice à développer des savoirs mathématiques. Cependant, lorsque les élèves avaient à collecter et représenter les données à l‘aide des processus mathématiques, les enseignants, de façon générale, s‘attendaient à ce que les élèves soient en mesure de le faire seul dès le départ. Ils ne mettaient donc pas l‘accent sur ces apprentissages. Par exemple, le sujet d‘étude « Rien ne se perd » offert aux élèves du troisième cycle proposait, lors de la première de ses situations, de collecter des déchets afin d‘en calculer le poids et le volume afin d‘imaginer comment les évacuer. Les objectifs déclarés dans le document de l‘enseignant étaient de définir ce qu‘est un déchet, de prendre conscience de la quantité de déchet produite et enfin d‘identifier les différentes façons et les différents endroits pour s‘en débarrasser. Le matériel suggérait que les élèves utilisent, entre autres, un mètre ruban gradué en cm, un rouleau de ficelle, une balance en kg et un sac poubelle de 100 litres. Un tableau indiquait les mesures à prendre en compte afin de calculer le volume des sacs de déchets. Le tableau 2 présente cet extrait tiré du guide du maître sur le calcul du volume des déchets. 116 Annie Savard Tableau 2 Extrait du guide du maître sur le calcul du volume des déchets Une feuille support remises aux élèves permettait de colliger le volume et le poids des déchets par jour, par semaine et par an. Par la suite, les élèves devaient identifier la provenance de certains déchets et de spécifier comment et où s‘en débarrasse-t-on. Une enseignante de sixième année nous a présenté l‘affiche support du retour en grand groupe. Elle a écrit le poids des cinq sacs de déchets en livres, pour ensuite calculer le total pour la classe. Elle a ensuite indiqué le poids total pour la semaine et pour l‘année, toujours en livres. Sur la même affiche, elle a reproduit le tableau présenté dans le guide du maître et elle a entré les données des élèves en centimètres et en centimètres cubes. Elle a inscrit le volume en mètres cubes mais en écrivant cm3 plutôt que m3. Il nous semble que les intentions de cette enseignante n‘aient pas été orientées vers les mathématiques, même si le milieu offert présentait un fort potentiel. Il aurait été intéressant de faire discuter les élèves de l‘emploi de deux systèmes de mesure différents et de leur demander de convertir le poids et le volume dans un autre système de mesures. Il nous semble que le potentiel mathématique de cette situation n‘a pas été exploité à sa pleine envergure. Dans la classe voisine, sa collègue de sixième année a créé un modèle pour illustrer un mètre cube afin d‘illustrer le volume des déchets. Elle a dit qu‘elle voulait que les élèves se représentent visuellement le volume des déchets en mètres cubes. Ses intentions didactiques envers les mathématiques sont survenues dans l‘action : elles voulait ainsi répondre à l‘un des objectifs de la situation qui était de prendre conscience de la quantité de déchet produite. Toutefois, elle a été sensible au fait que ce sont les mathématiques qui lui permettaient d‘atteindre ce but. DISCUSSION ET CONCLUSION Il semblerait que la sensibilité au milieu des enseignants du primaire rencontrés dans le cadre de ce projet de recherche se situe en contexte citoyen en ce qui a trait aux règles institutionnelles et aux caractéristiques de l‘élève. En effet, les caractéristiques sociopolitiques de ce contexte semblent particulièrement présentes dans la classe puisque les enseignants y ont manifesté une très grande sensibilité. Le programme de formation de l‘école québécoise ainsi que le milieu socio-économique faible des élèves fréquentant cette école amènent les enseignants à prioriser certains des choix didactiques et pédagogiques qui s‘offrent à eux. Ces milieux auxquels les enseignants sont sensibles apportent une couleur locale de cette école. La discipline enseignée serait un autre milieu auquel les enseignants sont sensibles. Ainsi, les enseignants du deuxième et du troisième cycle ont manifesté une plus grande sensibilité cours de science et de technologie que les enseignants du premier cycle, qui n‘avaient pas à inscrire de résultats académiques au bulletin des élèves pour cette discipline. Malgré le potentiel 117 GDM 2010 – COMMUNICATIONS mathématique présent dans tous les sujets d‘études, peu d‘enseignants se sont montrés sensibles aux mathématiques. Les savoirs semblent contextualisés et figés dans un contexte, soit dans le cas présent le cours de science et de technologie. Très peu de liens interdisciplinaires en mathématique et en science et technologie ont été l‘objet d‘une attention de la part des enseignants. Cette recherche pose certaines limites. En effet, il semble difficile pour les enseignants de parler de leurs intentions avant et pensant l‘action. Les intentions semblent implicites. Nous avons donc utilisé un travail collectif pour avoir accès à leurs intentions. Il est possible que certaines intentions spécifiques n‘y apparaissent pas. Quels dispositifs méthodologiques nous permettraient d‘y avoir accès? Comment amener les enseignants à cibler explicitement des intentions d‘apprentissages? De plus, si les intentions sont clairement identifiées, comment amener les enseignants à tenir compte du contexte mathématique? BIBLIOGRAPHIE BEDNARZ, N., & PROULX, J. (2009). Knowing and Using Mathematics in Teaching: Conceptual and Epistemological Clarifications. For the Learning of Mathematics, 29(3), 11-17. CHARPAK, G., & ACADÉMIE DES SCIENCES (FRANCE). (1996). La Main à la pâte : les sciences à l'école primaire. [Paris]: Flammarion. DEBLOIS, L. (2006). Influence des interprétations des productions des élèves sur les stratégies d'intervention en classe de mathématique. Educational Studies in Mathematics, 62(3), 307-309. JONNAERT, P. et VANDER BORGHT, C. (1999). Créer des conditions d'apprentissage : un cadre de référence socioconstructiviste pour une formation didactique des enseignants. Paris ; Bruxelles: De Boeck Université. MINIER, P. et GAUTHIER, D. (2006). Représentations des activités d'enseignement-apprentissage en sciences en liens avec les stratégies pédagogiques déployées par les enseignants du primaire. Journal International sur les Représentations Sociales, 3(1), 35-46. MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION DU QUÉBEC. (2001). Programme de formation de l'école québécoise. Enseignement primaire: Gouvernement du Québec SAVARD, A. (2008). Le développement d'une pensée critique envers les jeux de hasard et d'argent par l'enseignement des probabilités à l'école primaire: Vers une prise de décision. Thèse inédite. Université Laval, Québec. SAVARD, A. et MORIN, É. (2005). Amorce d'une pensée critique au primaire. Vie Pédagogique (135, avril-mai 2005), 1-8. 118 Adaptation aux changements climatiques : compétences mathématiques et leurs utilisations Evguenii Vichnevetskii, Paul Deguire, Diane Pruneau, Viktor Freiman, Jackie Kerry et Jimmy Therrien Université de Moncton, Groupe Littoral et vie RÉSUMÉ. Le groupe Littoral et vie à l‘Université de Moncton étudie différentes problématiques liées à l‘éducation à l‘environnement depuis plus de 10 ans. Dans le cadre d‘un projet portant sur diverses compétences manifestées par les employés de la ville lors de la résolution d‘une situation-problème d‘adaptation aux changements climatiques, nous nous sommes particulièrement intéressés aux compétences mathématiques. Quatre ateliers de demi-journée avec un groupe d‘employés municipaux ont été vidéo-enregistrés, transcrits et analysés par notre équipe. Dans notre article, nous discutons du contexte de la recherche, du cadre de référence et de résultats préliminaires. Des stratégies de développement de compétences mathématiques dans le contexte d‘adaptation aux changements climatiques sont proposées. INTRODUCTION Au Nouveau-Brunswick, province canadienne le long de l'océan Atlantique, plusieurs impacts des changements climatiques sont prévus, dont l'élévation du niveau de la mer et d'importantes ondes de tempêtes (ministère de l‘Environnement du Nouveau-Brunswick (MENB), 2006). Ces événements présentent des risques pour la santé des citoyens des communautés côtières : blessures (en cas d'inondation, d'effondrement des maisons), refroidissement des maisons (lors de panne d‘électricité), manque de nourriture, dégradation de l'eau potable, etc. Ces événements menacent également l'économie des communautés côtières : dommages aux quais des pêcheurs, salinisation des sources d‘eau, diminution des ressources marines, réduction du nombre de touristes, etc. (Santé Canada, 2008). Depuis 2006, le groupe Littoral et Vie de l‘Université de Moncton, groupe reconnu pour son implication en éducation relative à l'environnement, s‘intéresse aux compétences humaines qui facilitent l'adaptation des citoyens aux changements climatiques (Pruneau et coll., 2009). En effet, les citoyens doivent être en mesure de se préparer et de réagir à des événements inattendus et nouveaux ainsi qu‘à des discontinuités dans les tendances météorologiques (Gunderson, 2003). Ils doivent démontrer leur résilience aux changements climatiques, c‘est-à-dire leur capacité d‘absorber ce type de choc et de poursuivre, renouveler ou réorganiser leur fonctionnement (Folke, 2006). L‘importance d‘éduquer les citoyens en matière d‘adaptation est donc omniprésente dans les discours des chercheurs travaillant sur les dimensions humaines des changements climatiques (Yohe & Tol, 2002). Ce besoin éducatif suscite deux questions en éducation relative à l‘environnement : quelles sont les compétences citoyennes (ressources et pratiques cognitives, affectives, sociales) qui facilitent l'adaptation aux changements climatiques? Comment pourrait-on accompagner des citoyens afin de renforcer leurs compétences d’adaptation? Les deux questions précédentes sont pertinentes en éducation relative à l'environnement puisque, dans les régions affectées par les changements climatiques, ce ne sont GDM 2010 – COMMUNICATIONS souvent pas les scientifiques qui implanteront des adaptations, mais les citoyens ordinaires. La recherche présentée dans cet article tentait principalement de répondre à la première question. En effet, comme il existe actuellement peu de recherches sur les compétences citoyennes qui facilitent l'adaptation aux changements climatiques, nous voulions amorcer la description des compétences facilitant l'adaptation et vérifier la présence de compétences mathématiques parmi ces compétences. De façon générale, être compétent implique l‘utilisation quotidienne et judicieuse de ses habiletés de communication, de ses connaissances, de ses habiletés techniques, de son raisonnement, de ses émotions, de ses valeurs et de sa capacité de réflexion dans ses pratiques quotidiennes afin de contribuer au bien-être individuel et communautaire (Epstein & Hundert, 2002, dans Rubin & al. 2007). La compétence est une faculté incrémentale qui se développe et se manifeste dans certains contextes. Les compétences sont définies comme un ensemble complexe et dynamique de concepts et de procédures, de capacités et d‘habiletés, de comportements et de stratégies, d‘attitudes, de croyances et de valeurs, de dispositions et de caractéristiques personnelles, comprenant aussi les perceptions et les motivations (Mentkowski, 2000, cité dans Rubin & al., 2007). De la même façon, pour Joannert, Barrette, Boufrahi et Masciotra (2004), le concept de compétence comprend un ensemble de ressources cognitives et métacognitives (savoirs, savoirs faire, savoirs agir ; savoirs observer, contrôler et améliorer ses stratégies cognitives…), conatives (motivation à agir), physiques, sociales (recourir à un expert), spatiales (utilisation efficace de l‘espace), temporelles (organisation pertinente du temps), matérielles (utilisation d‘un livre, d‘un outil) et affectives. Afin d'élaborer et d'implanter des mesures d‘adaptation adéquates aux changements climatiques, il est opportun de démontrer des compétences qui permettent de résoudre efficacement les problèmes engendrés par ce phénomène. Ces compétences ne sont pas nécessairement propres au domaine de l‘environnement, bien au contraire. Souvent, celles-ci sont d‘ordre général ou elles sont empruntées d'autres domaines. C‘est le cas des compétences mathématiques. En adaptation aux changements climatiques, les compétences mathématiques pourraient s'avérer d‘une grande utilité. En effet, dans une société fonctionnelle, il importe d‘avoir une population éduquée qui utilise efficacement et de façon appropriée ses connaissances, ses intuitions et ses habiletés dans le domaine des mathématiques, et ce, dans une variété de situation et de contextes (Niss, 1999). De plus, l‘environnement est un domaine où les compétences mathématiques sont particulièrement importantes. Déjà en 1966, les écologistes s‘entendaient pour dire que les interactions complexes entre la société et l‘environnement engendreraient d‘énormes problèmes dont la résolution nécessiterait des compétences mathématiques telles l‘analyse, la synthèse et la manipulation de données (Patten, 1966). Toutefois, malgré la présence courante, variée et abondante de données quantifiables dans la société moderne et le rôle de plus en plus important de ces données dans la vie quotidienne, plusieurs adultes éduqués et expérimentés ont de la difficulté à analyser celles-ci et à les utiliser de façon appropriée pour résoudre des problèmes complexes (The Quantitative Literacy Design Team, 2009). Les concepts liés aux ratios de toutes sortes (incluant les fractions, les proportions et les raisonnements probabilistes) sont particulièrement difficiles pour les adultes (Reyna, 2007). Dans le cadre de notre recherche, des employés municipaux d'une petite communauté côtière ont été observés pendant qu'ils étudiaient et résolvaient le problème des risques d‘inondation engendré par les changements climatiques. Pendant que les participants cherchaient des mesures 120 Evguenii Vichnevetskii, Paul Deguire, Diane Pruneau, Viktor Freiman, Jackie Kerry et Jimmy Therrien d‘adaptation à ce problème, nous avons examiné leurs discussions dans le but d'identifier les diverses compétences qu'ils mettaient à profit tout au long de leur démarche. Le repérage de compétences mathématiques constituait l'objectif principal de l'étude. COMPÉTENCES MATHÉMATIQUES ET PROBLÈMES ENVIRONNEMENTAUX De par le monde, les citoyens se trouvent de plus en plus souvent confrontés à des tâches impliquant des concepts mathématiques quantitatifs, spatiaux, statistiques ou autres. Les individus sont assaillis d‘informations sur le réchauffement de la planète, la croissance démographique, le déversement d‘hydrocarbures, la disparition des espaces verts, etc. Dans ce contexte, les mathématiques peuvent exercer un rôle clé dans la compréhension des systèmes complexes non linéaires, comme les écosystèmes et les phénomènes naturels, et elles peuvent contribuer aux processus d'atténuation ou d‘adaptation aux changements environnementaux (Haines et Blum, 2007). Il est donc pertinent de développer chez les individus des facultés de raisonnement quantitatif ou spatial, et d‘autres compétences mathématiques qui facilitent la clarification, la définition ou la résolution de problèmes variés et complexes. Ces compétences peuvent s'exprimer lors de la résolution des différents types de problèmes à l'école et dans la vie courante. Les auteurs parlent également de la mise en pratique des compétences mathématiques dans un contexte moins structuré, où les consignes ne sont pas claires et où les citoyens doivent prendre des décisions sur les informations qui pourraient être pertinentes et sur la manière d'appliquer celles-ci à bon escient (OCDE, 2006; Jan de Lange, 2003; The Quantitative Literacy Design, 2009). Malgré la reconnaissance de l‘importance des mathématiques dans la vie quotidienne, la nature et les caractéristiques des compétences mathématiques que l'on souhaite développer chez les citoyens ne sont pas encore clairement définies. De même, il y a lieu de se questionner à savoir si l'on doit se donner un cadre théorique général sur les compétences mathématiques ou des cadres spécifiques adaptés à des contextes particuliers (métiers, situations, cultures...). Les écrits présentent une vision générale des compétences mathématiques et spécifient que tous les individus devraient être en possession d'un certain niveau de culture mathématique afin de mener une vie organisée et harmonieuse. La définition de cette culture mathématique par le PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) est la suivante : "La culture mathématique est l‘aptitude d‘un individu à identifier et à comprendre le rôle joué par les mathématiques dans le monde, à porter des jugements en appuyant leurs propos et à s‘engager dans des activités mathématiques, en fonction des exigences de sa vie et en tant que citoyen constructif, impliqué et réfléchi." (OCDE, 2006, p. 82). Dans ce modèle, l‘accent est mis sur la triade contexte – contenu – processus (compétences) qui traite des relations mathématiques (telles que la comparaison), des idées majeures (telles que les variations et les relations) et des opérations (telles qu‘effectuer des calculs et employer des raisonnements - idée de quantité). Des définitions similaires de ces habiletés sont aussi présentes dans les publications d'autres chercheurs tels Jan de Lange (2003) et Neubrand et coll. (2001). Parmi les compétences mathématiques essentielles recensées, on retrouve : a) Penser mathématiquement: poser des questions à caractère mathématique et être conscient des types de réponses que peuvent offrir les mathématiques. Cette compétence 121 GDM 2010 – COMMUNICATIONS consiste aussi à comprendre et à manipuler l‘étendue et les limites d‘un concept donné, et à pouvoir étendre ce concept en le généralisant à d‘autres objets. b) Poser et résoudre les problèmes mathématiques, purs ou appliqués (Niss, 1999; OCDE, 2003). c) Raisonner mathématiquement: une compétence qui joue un rôle important dans la compréhension des mathématiques en permettant de développer des idées, d‘explorer des phénomènes, de justifier des résultats et de formuler des hypothèses (NCTM, 2000, dans Barmby, Harries, Higgins et Suggate, 2008). Une bonne utilisation du raisonnement mathématique comprend l‘analyse d‘une situation problème à l'aide de la géométrie, l‘arithmétique, les probabilités, les statistiques, l‘algèbre ou les mesures, dépendamment de la situation. d) Représenter les entités mathématiques de différentes façons: comprendre, distinguer, interpréter et décoder différentes représentations d‘objets, de phénomènes et de situations à caractère mathématique. e) Comprendre (analyser et interpréter) des contenus mathématiques dans des textes. f) Utiliser différents outils pour trouver l‘information et les moyens nécessaires pour résoudre des problèmes. À cette liste, s'ajoutent les soi-disant habiletés pratiques permettant de résoudre les problèmes quantitatifs que les gens rencontrent dans la vie quotidienne ou au travail (The Quantitative Literacy Design Team, 2007). Pour poursuivre dans le même ordre d‘idées, on peut parler de problèmes relevant de la réalité et des habiletés d‘un individu d‘organiser les problèmes en fonction de concepts mathématiques, d‘effacer la réalité (formaliser, généraliser), de résoudre les problèmes et d‘appliquer les résultats dans la situation réelle et d'en évaluer les effets (avantages et limites). Les compétences mathématiques se manifestent différemment chez différents individus, dans différentes situations et en fonction des différents niveaux de confiance et de confort envers les idées quantitatives. Les auteurs utilisent les termes littératie mathématique et littératie quantitative (numératie) pour décrire cette subtilité. Comme De Lange (2003), ils distinguent la littératie quantitative des mathématiques dites académiques. Ainsi, la littératie quantitative serait moins formelle, moins abstraite, moins symbolique et plus contextuelle que la littératie académique (Jan de Lange, 2003). MÉTHODOLOGIE Contexte et interventions Afin d‘atteindre nos objectifs de recherche, une étude de cas, qui se situe dans un paradigme compréhensif en permettant d'observer l'adaptation dans son contexte naturel (Savoie-Zajc & Karsenti, 2000), a été choisie. En effet, l'étude réalisée se caractérise «par la complexité, la 122 Evguenii Vichnevetskii, Paul Deguire, Diane Pruneau, Viktor Freiman, Jackie Kerry et Jimmy Therrien recherche de sens, la prise en compte des intentions, des motivations, des attentes, des raisonnements, des croyances et des valeurs des acteurs» (Mucchielli, 2009, p.28). Une communauté côtière du Nouveau-Brunswick a été retenue comme contexte de la recherche, car, dans cette région, la quantité et l‘intensité des précipitations, et les ondes de tempête risquent d‘augmenter, ce qui pourrait engendrer des inondations plus fréquentes et le débordement des rivières. Il est aussi possible qu‘une intrusion d‘eau salée dans les réservoirs souterrains d‘eau douce se produise ainsi que des dommages économiques aux propriétés, commerces, infrastructures et entreprises touristiques (Ressources naturelles Canada, 2007). Sept employés de cette municipalité (six hommes et une femme) se sont portés volontaires pour participer à l'étude : deux ingénieurs, un géographe, un biologiste, un informaticien, un spécialiste en environnement et un conseiller municipal. Afin de relever leurs compétences d‘adaptation, les participants ont été observés pendant qu‘ils cheminaient dans la proposition d‘adaptations à l'élévation du niveau de la mer, qui, avec les ondes de tempêtes, risque d'entraîner des inondations. Cinq ateliers de trois heures ont été vécus avec les participants, ateliers limités en nombre par les ressources financières du projet et par la disponibilité épisodique des participants. Les ateliers ont été animés par un chercheur de l'équipe et une démarche générale de résolution de problèmes y a été privilégiée, pour permettre aux participants d'exprimer leurs compétences. Ce sont les participants qui ont choisi, analysé et résolu le problème des risques d'inondation. Ils ont été régulièrement incités à exprimer leurs besoins d‘information et l'équipe a répondu à ces besoins par l'apport de cartes et l'invitation d'experts. Certaines interventions ont toutefois été choisies par l'équipe de recherche : présenter des informations sur les changements climatiques et des exemples d'impacts locaux; consigner par écrit les idées d'impacts et d'adaptation des participants. Les participants ont également été avisés que leurs compétences seraient observées durant les ateliers. Le dernier atelier exigeait spécifiquement l‘emploi de compétences mathématiques par les participants. Deux tâches ont été proposées à ceux-ci. La première faisait appel à des compétences mathématiques de base nécessaires à l'analyse de la capacité d'adaptation du système d‘aqueduc de la municipalité. La deuxième, plus complexe consistait en l'analyse d'une simulation portant sur l‘élévation du niveau des eaux avec les changements climatiques. Voici la description plus détaillée de deux tâches (a et b) : Mise en situation L‘animateur a demandé aux participants de comparer la capacité d‘un système d‘aqueduc de répondre aux besoins de sa population et à la fois d'évacuer les eaux de pluies torrentielles. Tâches : L‘un des impacts des changements climatiques est l‘augmentation de la fréquence et de l‘amplitude des événements extrêmes. En prenant pour modèle l‘ouragan Igor qui, à TerreNeuve, avait déversé 20 cm d‘eau en cinq heures en septembre 2010, les tâches suivantes ont été proposées aux participants. a) À l‘aide d‘une carte topographique de leur région, les participants devaient identifier la zone urbaine de la ville (la zone de densité élevée de population) et déterminer la quantité d‘eau par heure qui tomberait sur cette zone lors d‘une tempête de même intensité que l‘ouragan Igor. Prenant pour acquis que 60 % de cette eau serait évacuée de façon naturelle vers la lagune, il leur fallait évaluer la capacité du système d‘aqueduc d'évacuer le reste de 123 GDM 2010 – COMMUNICATIONS l‘eau. L‘observation de la carte et le calcul devaient mener les participants à estimer à environ 80 millions de litres par heure la capacité nécessaire à l‘évacuation des eaux lors d‘une tempête de grande amplitude. Par la suite ils devaient passer au deuxième exercice leur demandant d‘estimer la capacité du système d‘aqueduc de répondre aux besoins de la population. b) Toujours à l‘aide de la carte topographique et d‘estimations réalistes de la densité de population, les participants devaient estimer la population de la zone à l‘étude. Par la suite, en sachant qu‘en moyenne une personne utilise en moyenne 200 litres d‘eau par jour et que 40 % de cette quantité est utilisée lors des périodes de pointe du matin et du soir (d‘une durée d‘une demi-heure chacune), ils devaient calculer la capacité d‘un réseau d‘aqueduc municipal de traiter le triple de la quantité d‘eau utilisée aux heures de pointes. Le calcul devait mener les participants à une évaluation de la capacité minimale de 360 000 litres par heure. De plus, les participants devaient comparer les estimations de capacité d‘évacuation et de capacité de réponse aux besoins de la population pour conclure ultérieurement qu‘un système d‘aqueduc qui répond adéquatement aux besoins de la population (360 000 litres par heure) ne suffit pas aux besoins d‘évacuation en cas d‘événement climatique extrême (80 millions de litres par heure). Par la suite, ils auraient pu réfléchir à la validité des hypothèses formulées dans les deux tâches et envisager des solutions au problème local d‘évacuation des eaux. Collecte et analyse des données Afin d'identifier les compétences d'adaptation des participants, l‘observation directe et l'enregistrement vidéo des ateliers ont été mis à profit. Pour identifier des compétences, Évéquoz (2004) suggère d'observer les personnes à la tâche dans un contexte où les compétences pourraient se manifester. Afin d‘éviter la subjectivité, l'observation s'effectue à l'aide d'indicateurs précis. Afin d'identifier les compétences des participants, des fiches descriptives de compétences ont été préparées. Ces fiches ont été créées en référence à une recension des écrits sur plusieurs compétences de vie (Pruneau et al., soumis). Les fiches consistaient en une liste d‘indicateurs pour chacune des compétences susceptibles d'être démontrées par les participants : résolution de problèmes, prédiction des risques, pensée prospective, compétences mathématiques, prise de décision, communication, créativité, curiosité, ouverture d‘esprit, amour de l'apprentissage, perspective, courage, persévérance, intégrité, citoyenneté, altruisme, intelligence (sociale ou émotionnelle), justice, leadership, prudence, autorégulation, goût du beau, espoir et humour. Pour décrire spécifiquement les compétences mathématiques une grille a été élaborée. Dans la grille, les nombreuses compétences mathématiques se regroupaient à l‘intérieur de trois grandes catégories de compétences : la résolution de problèmes, le raisonnement mathématique et la communication mathématique. Nous estimions que, bien que leur utilité soit incontestable dans plusieurs situations quotidiennes, les compétences mathématiques pourraient aussi jouer un rôle important dans des domaines où leur fonction n‘est pas immédiatement évidente, tel l‘environnement. En effet, bien que les indicateurs des compétences mathématiques soient très spécifiques, celles-ci peuvent néanmoins être utilisées dans divers contextes. Ainsi, il est possible que les compétences reliées à la résolution de problème soient essentielles pour résoudre des problèmes liés aux changements climatiques. Le raisonnement mathématique risque d‘avoir un 124 Evguenii Vichnevetskii, Paul Deguire, Diane Pruneau, Viktor Freiman, Jackie Kerry et Jimmy Therrien rôle prépondérant pour comprendre, manipuler, modéliser et interpréter ces problèmes. De plus, il est probable que la communication mathématique soit nécessaire pour discuter de l‘ampleur des impacts ainsi que des caractéristiques des solutions proposées (Kerry, 2010). Dans notre recherche, l'analyse situationnelle phénoménologique et structurale, consistant en un recueil de cas décrivant les actions des acteurs et en une série d‘analyses débouchant sur une interprétation globale du sens de l‘action (Paillé & Muchielli, 2003), a été appliquée en deux opérations : l‘analyse thématique des discours et la construction de récits de pratique. Le verbatim des ateliers a d'abord été soumis à une analyse thématique par six chercheurs, selon un modèle semi-ouvert, en utilisant les fiches descriptives pour faciliter l'identification des compétences et de leurs indicateurs. Les propos des participants aux ateliers ont été consignés dans un tableau comprenant quatre colonnes, la première étant consacrée à chaque intervention verbale des participants, la deuxième à l'identification d'une ou de plusieurs compétences, la troisième à la liste des indicateurs démontrant la ou les compétences et la dernière à des commentaires descriptifs sur la ou les compétences retrouvées. Les six analystes ont ensuite comparé leur travail et calculé le pourcentage d'accord inter-codeurs (95 %). Certaines compétences initialement décrites dans les fiches sont ressorties de l'analyse, d'autres se sont avérées moins présentes et de nouvelles compétences ont émergé. Des récits de pratique ont ensuite été construits pour chacun des ateliers par deux chercheuses de l'équipe, de façon individuelle puis en concertation. La construction de récits permet la réduction des données, à l‘intérieur d‘un cadre structuré, tout en illustrant la séquence des évènements et en démontrant la complexité du phénomène étudié (Patton, 2002). Dans les récits, nous avons tenté de répondre aux questions : que s’est-il passé durant cet atelier? Comment les participants s’y sont-ils pris pour choisir un problème, l'analyser et pour proposer des adaptations? Quelles compétences ont été démontrées? La grille de construction des récits a progressivement émergé de l'écriture des premiers récits. Une analyse critique des récits a finalement été effectuée afin de ressortir les implications des résultats obtenus. RÉSULTATS Nous présentons d'abord les compétences démontrées par les participants, lors des quatre premiers ateliers, ateliers durant lesquels ils ont librement analysé le grand problème des changements climatiques et tenté de résoudre le sous-problème des inondations côtières. Par la suite, nous nous attardons à la description des compétences mathématiques démontrées par les employés municipaux lors du cinquième atelier, atelier durant lequel nous avons suscité spécifiquement l'usage de ces compétences. Compétences démontrées spontanément lors des quatre premiers ateliers Le tableau 1 présente les compétences observées chez les participants, compétences qui semblent avoir facilité leur processus d'adaptation. Parmi celles-ci, on remarque un petit nombre de compétences mathématiques, démontrées parfois de façon élémentaire. Dans le tableau 1, on retrouve également une interprétation de l'utilité de ces compétences en adaptation. 125 GDM 2010 – COMMUNICATIONS Tableau 1 Compétences des employés municipaux et utilité de celles-ci en adaptation Compétences démontrées Pensée prospective Connaissance endogène du milieu Prédiction des risques Pensée rétrospective Résolution de problèmes: poser le problème, trouver des solutions, identifier les contraintes, inférer Pensée critique Planification Compétences mathématiques Utilités possibles en adaptation Pour prédire plusieurs impacts probables ou possibles des changements climatiques, pour ressortir les contraintes qu'ils pourraient rencontrer lors de leurs actions Pour déterminer ce qui se produit avec les variations climatiques, comment cela se produit et les éléments vulnérables Pour déterminer les zones et éléments à risque, cibler les principaux risques, en évaluer la probabilité Pour se rappeler des détails d‘événements climatiques passés et pour en tirer des leçons pour l‘avenir Pour définir le problème des inondations sous plusieurs aspects et proposer diverses solutions Pour évaluer leurs solutions et celles des experts Pour choisir certains moyens de communication avec le public et déterminer les étapes à suivre pour agir Pour comprendre et situer le problème et ses risques dans l'espace, pour en estimer certains aspects quantitatifs, notamment l‘ampleur des dégâts et les couts associés Durant les quatre premiers ateliers, les participants se servent à la fois de leur connaissance du milieu et de leur pensée prospective pour prédire les secteurs de leur communauté qui seront affectés par les inondations. Ils identifient des risques physiques, socioculturels et économiques, c'est-à-dire des impacts sur les résidences, l‘agriculture, la foresterie, la pêche, la marina, le quai, l'aquaculture, le site d'épuration, la disponibilité de l‘eau potable, les activités touristiques, etc. Ils mettent en évidence plusieurs composantes du problème, dont la topographie du milieu qui diminue les dangers d'inondation à certains endroits. Leur perspective est surtout à court terme, mais certains participants considèrent un peu le long terme. Ils font aussi appel à leur pensée rétrospective (penser au passé), se remémorant la dernière tempête importante, pour prédire les endroits qui seront inondés à l'avenir. Ils identifient des contraintes relatives aux coûts engendrés par l‘adaptation. Ils font aussi quelques inférences logiques et pertinentes. Par exemple, un participant déduit que les eaux plus chaudes pourraient potentiellement augmenter la présence de parasites dans l‘eau, ce qui pourrait affecter l‘aquaculture. Ils évaluent certaines capacités d'adaptation de leur communauté et proposent des solutions à plusieurs impacts d‘une inondation, comme par exemple déménager les bâtiments, placer des sacs de sable autour des maisons, louer de vieux bateaux pour déplacer les voitures en cas d'inondation des chemins, etc. Le groupe évalue également un peu les solutions, en utilisant la pensée critique, et identifie les contraintes de leur mise en œuvre, à l‘aide de la pensée prospective. Les employés municipaux planifient aussi certaines actions : la communication avec le public et l'évaluation du plan d'urgence municipal. Ils font ici preuve d‘habiletés de planification et d'action lorsqu‘ils discutent de la poursuite du travail, identifiant l‘information manquante et déterminant les actions ultérieures. Ils agissent finalement en préparant une demande de subvention pour faire cartographier les infrastructures souterraines de la municipalité. 126 Evguenii Vichnevetskii, Paul Deguire, Diane Pruneau, Viktor Freiman, Jackie Kerry et Jimmy Therrien Pour ce qui est des compétences mathématiques, les participants démontrent une capacité de lire et d'interpréter des cartes pour déterminer les zones, infrastructures et populations à risque. Parfois ils expriment également un intérêt pour des mesures telles les quantités (de maisons, de citoyens touchés), les dénivellations (du terrain), le temps (les changements à long terme) et les coûts (des adaptations). Toutefois, les participants n'émettent pas spontanément le désir de mesurer ces quantités, dénivellations, temps et coûts de façon exacte. Leur discours consiste surtout en une estimation des conséquences quantifiables de certains aspects de l'inondation: Mon budget de neige change à tous les années; on dirait qu'il monte à tous les ans. Habituellement, on la voyait à tous les 5 ans, cette grosse pluie, puis maintenant, on la voit probablement tous les 2 ans, 3 ans. Mon contrat de neige a monté de 25%. La façon dont la ville est conçue, on est plus ou moins chanceux que toutes nos infrastructures soient protégées par la gravité; toute l’eau coule à l’eau. Si tu vas près de la côte, il y a des grosses concentrations de maisons là. Il y a eu comme 5 tempêtes si je ne me trompe pas. Deux participants font aussi usage d'autres compétences mathématiques. Le participant ingénieur décrit la situation réelle, en utilisant des raisonnement de nature mathématique: Donc, on pourrait faire des petits lacs si on veut. Souvent les terrains de golf sont bons à cause des petits lacs. On va utiliser des endroits comme ceci pour retenir l’eau puis on remet l’eau dans les conduites à un plus petit débit. Quand il tombe une grosse pluie, ça retient l’eau puis là on la relâche tranquillement. Un autre participant construit une représentation cartographique du problème des inondations, plus précisément une carte en SIG des zones à risque. Enfin à quelques reprises, certaines hypothèses vérifiables sont émises: Puis je crois bien que plus loin qu'on est de la côte, moins il y a de possibilités de salinisation? Est-ce que ceci aurait un impact ? Compétences mathématiques démontrées lors du cinquième atelier Pendant cet atelier, les participants ont de nouveau montré une facilité à utiliser une carte topographique et à en tirer les informations convenables. Les estimations de superficie et de population ont été également faites de façon adéquate. Dans le problème de calcul de la capacité du système d‘aqueduc pour rencontrer les besoins de la population, ils ont estimé convenablement cette capacité (360 000 litres par heure). Ils ont ainsi montré une certaine aisance à effectuer des calculs sur une calculatrice (surtout des multiplications) et ils semblaient non rebutés par l‘utilisation de pourcentages. Cependant, lors de l‘évaluation de la quantité d‘eau lors d‘une tempête de pluie extrême, les participants sont arrivés à une réponse trop petite (35 000 litres par heure au lieu de 80 millions de litres par heure). Est-ce que le fait d‘obtenir une valeur environ 2000 fois plus petite que la valeur réelle pourrait être attribuée à la difficulté d‘opérer avec les grands nombres (compétence faisant appel au sens de nombres et de grandeurs). Cette erreur pourrait également ‗cacher‘ une autre difficulté liée la manipulation de mesures en utilisant différentes unités, donc une autre compétence à examiner. Ou bien, c‘est la combinaison de ces deux éléments, soit le calcul sur les grands nombres et la manipulation simultanée de plusieurs unités de mesures, qui ait empêché la détection de cette erreur de calcul. On observe ainsi que dans la tâche bien réussie portant sur les besoins de la population, il ne fallait essentiellement qu‘opérer avec des litres. Par contre, dans la tâche portant sur la capacité d‘évacuation, il fallait manipuler simultanément des volumes (litres), des surfaces (kilomètres carrés) et des hauteurs (centimètres) pour résoudre adéquatement le problème. L‘utilisation 127 GDM 2010 – COMMUNICATIONS simultanée de ces mesures distinctes pourrait augmenter les possibilités d‘erreurs, car elle demande la mobilisation de plusieurs compétences dans une situation plus complexe (Dans le sens de Scallon, 2004). CONCLUSION Dans notre article, nous avons mis en évidence l‘importance d‘une étude portant sur les compétences mathématiques chez les employées de la ville qui ont eu à travailler sur le problème d‘adaptation aux changements climatiques et plus précisément sur les risques associés à l‘élévation extrême du niveau de la mer dans une petite municipalité côtière. Faisant partie d‘un projet d‘envergure mené par le groupe de recherche Littoral et Vie à l‘Université de Moncton, dans le but de décrire différentes compétences démontrées par nos participants, notre étude exploratoire se concentrait sur les compétences mathématiques. Tandis que la problématique de notre étude nous semblait suffisamment claire, car elle touchait le domaine d‘actualité accrue, celle d‘adaptation de citoyens aux changements climatiques, peu de recherches nous nourrissent dans le choix de cadre de référence, particulièrement dans ce qui concerne les mathématiques et leurs liens multiples avec la résolution de problèmes de la vie de tous les jours. Les programmes scolaires mettent de plus en évidence la nécessité de rendre ces liens plus explicites. Par exemple, au Nouveau-Brunswick, où s‘est déroulée notre recherche, chaque domaine de mathématiques défini par le programme d‘études (nombres et opération, formes et espace, relations et régularités, statistiques et probabilités) fait appel aux résultats d‘apprentissage généraux qui explicitent le besoin d‘établir des liens de chaque concept avec la via réelle dans une situation de résolution de problèmes (MENB, 2005). À l‘international, le cadre de la culture mathématique développé par l‘étude PISA, insiste sur le développement de compétences axées sur le processus de résolution de problèmes dans lequel tout jeune citoyen âgé de 15 ans devrait démontrer sa capacité de raisonner sur les relations entre les quantités dans des situations de vie courante ainsi que de communiquer son raisonnement de façon mathématique (OCDE, 2006). Le marché de travail commence, à son tour, à définir les compétences mathématiques propres à un domaine professionnel (Hoyles, et al., 2002). Quelque soit le cas spécifique, chaque citoyen éduqué est interpellé par la nécessité d‘utiliser las mathématiques de façon plus intense et complexe (Niss, 1999), tel est le cas d‘adaptation aux changements climatiques. Nos participants, tous impliqués dans la gestion de diverses tâches municipales ont différentes spécialités et différents niveaux de formation, ce qui comprend différents niveaux de familiarité et d‘usage de mathématiques. Notre projet nous a permis de les observer dans un effort collectif de résoudre le problème nouveau (pour chacun d‘eux) et fort complexe et ainsi décrire les compétences qu‘ils démontrent spontanément. Une grille d‘observation qu‘on a créée en intégrant différents cadres mentionnés ci-haut a été utilisée pour noter nos observations. Ainsi, nous avons repéré peu d‘usage de mathématiques lors des premiers ateliers, donc, les participants n‘ont pas eu à faire face explicitement à des compétences mathématiques. Toutefois, dans leurs discussions, ils ont utilisé des raisonnements de nature quantitative tels que l‘estimation du niveau d‘eau, de capacité de systèmes de pompage et les tendances démographiques. Cependant, le questionnement et les réflexions partagés n‘ont pas amené les participants à poser les problèmes mathématiquement, à chercher (définir) les données, les 128 Evguenii Vichnevetskii, Paul Deguire, Diane Pruneau, Viktor Freiman, Jackie Kerry et Jimmy Therrien représenter à l‘aide d‘un modèle mathématique ou faire des calculs nécessaires (par exemple, pour évaluer les coûts). Nos résultats démontrent que ces raisonnements sont demeurés trop souvent généraux avec un faible recours aux nombres (calcul). Le dernier atelier conçu spécifiquement pour amener quelques éléments de compétences mathématiques dans une situation plus cadrée sur la modélisation mathématique d‘un phénomène climatique extrême (élévation du niveau de la mer lors d‘une tempête hors commune pour la région). Nos données recueillies lors de cet atelier, ont permis d‘observer la présence de nombreux calculs et raisonnements quantitatifs plus élaborés. Toutefois, la réflexion sur les mesures à prendre en cas de phénomène climatique extrême n‘a pu avoir lieu puisque l‘erreur de calcul d‘ordre de trois grandeurs aurait empêché les participants de réaliser la capacité du système d‘aqueduc pour faire face à une tempête dépasse de beaucoup les besoins d‘utilisation normale du système. Une certaine difficulté à manipuler de grands nombres et à effectuer des calculs complexes dans lequel il fallait passer d‘un type de mesure à un autre suscite des questionnements; d‘autres études sont nécessaires. Ces résultats nous amènent à nous questionner sur les capacités qu‘ont les employés municipaux à prendre les bonnes décisions quantitatives sans faire appel à des experts. Dans les grands centres où de tels experts sont facilement disponibles, cela ne pose pas de problèmes. Dans les petites communautés, la situation semble plus problématique et l‘autonomie des dirigeants locaux suscite des interrogations. Notre recherche n‘apporte pas de solutions à ce niveau, mais soulève de questionnements concernant l‘encadrement possible des employés de petites municipalités en terme de formation, accompagnement et d‘autre type d‘aide. D‘autres pistes de recherche : Un certain manque de disponibilité de participants dû à leurs responsabilités quotidiennes nous a empêchés de leur proposer d‘autres tâches, plus complexes, qui pourraient émerger de l‘analyse de la situation de la région suite à une élévation importante probable du niveau de la mer et de l‘accroissement de l‘intensité des tempêtes. Entre autres, il serait intéressant d‘observer les compétences liées à la capacité de gérer les contraintes budgétaires en cas des évènements catastrophiques faisant appel à une prise de décision éclairée. Malgré l‘absence des résultats concluants, notre étude exploratoire contribue d‘un côté, à l‘élaboration de cadre de référence sur les compétences mathématiques nécessaires pour que les citoyens de différents niveaux de formation en mathématiques puissent agir sur un problème d‘adaptation aux changements climatiques. Notre travail devra se poursuivre ainsi dans l‘analyse de compétences chez d‘autres groupes de citoyens (par exemple, chez les agriculteurs). D‘un autre côté, nos résultats nous amènent sur la façon d‘aider les citoyens à développer les compétences mathématiques afin de renforcer leurs capacités de résoudre des problèmes d‘adaptation aux changements climatiques et d‘autres problèmes de complexité semblable. BIBLIOGRAPHIE BARMBY, P., HARRIES, T., HIGGINS, S. & SUGGATE, J. (2008). The array representation and primary children‘s understanding and reasoning in multiplication. Educational Studies in Mathematics, 70, 217-241. ÉVÉQUOZ, G. (2004). Les compétences clés. 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Carmen Paz Oval Soto1 Universidad de Magallanes Izabella Oliveira CRIRES - Université Laval RÉSUMÉ. Dans ce texte, nous cherchons à faire ressortir comment certaines perspectives dans le domaine de la didactique des mathématiques définissent le rôle de l‘enseignant, de l‘élève et du savoir. Pour cela, nous nous appuierons sur trois cadres d‘analyse tels que la théorie des situations didactiques, la double approche et la notion de sensibilité (Brousseau, 1986, 1998 ; Robert et Rogalski, 2002 ; DeBlois, 2001, 2006). Les analyses faites nous ont permis de remarquer que chacune de ces perspectives envisage l‘enseignant, l‘élève et le savoir d‘une manière particulière. D‘après nos résultats et selon la perspective d‘où nous nous plaçons, nous ne pouvons aborder que certaines composantes ou caractéristiques de la pratique enseignante. Ceci nous amène à un questionnement sur les concessions qui doivent être faites par le chercheur au moment de procéder au choix du cadre théorique. INTRODUCTION Depuis les dernières années, les pratiques d‘enseignement font l‘objet de recherches en didactique des mathématiques. Ces recherches portent, entre autres, sur les contraintes et les marges de manœuvre, sur l'analyse de séquences, sur l'influence de certains savoirs dans la pratique de l'enseignant. En tant qu'intervenantes dans la formation des maîtres, nous avons pu constater que chez les futurs maîtres la présence de certaines lacunes concernant les mathématiques et la planification d‘activités d‘enseignement au moment de planifier une séquence d'enseignement ou encore lors de sa mise en place. Un autre constat porte sur le fait que les futurs maîtres se centrent souvent sur le manuel scolaire et qu‘ils ne prennent pas trop en compte le travail des élèves lors de la préparation de leurs séquences d'enseignement. Ces constats nous ont amenées, lors d‘études doctorales 2 , à se questionner sur la façon dont les enseignants en exercice enseignent la résolution de problèmes en mathématiques : Que font-ils pour enseigner la résolution de problèmes aux élèves ? Sur quoi basent-ils leurs choix didactiques ? Comment prennent-ils en compte le travail de l‘élève ? Utilisent-ils les manuels scolaires ? Comment ces derniers sont-ils utilisés ? Dans ce texte, nous partirons de ces questions pour aborder celles liées au rôle des enseignants, des élèves et du savoir selon différentes perspectives théoriques afin de contribuer à la réflexion portant sur les choix de cadres théoriques dans le développement d'une thèse ou d'un mémoire et aux liens entre ces derniers et les questions auxquelles nous nous proposons de répondre. 1 2 Étudiante au Doctorat en Didactiques des Mathématiques, Université Laval. Ce texte a comme point de départ les questions posées par Oval-Soto dans ces études doctorales. Carmen Paz Oval Soto et Izabella Oliveira PERSPECTIVES THÉORIQUES ABORDÉES Dans cette partie, comme mentionné précédemment, nous aborderons très brièvement les trois cadres d‘analyse qui nous permettront de dégager les différents rôles des acteurs de la relation didactique (enseignant-élève-savoir). Nous commencerons par la Théorie des situations didactiques de Brousseau (1986) pour continuer, ensuite avec la Perspective de la double approche de Robert et Rogalski (2002) et conclure avec la Notion de sensibilité de DeBlois (2006) Théorie des situations didactiques La théorie des situations didactiques (TSD) modélise la situation didactique en se référant à la théorie des jeux, théorie à laquelle Brousseau s‘est intéressé dans les années 60 et qui a influencé sa façon d‘envisager l‘enseignement. Dans la TSD, la relation didactique joue un rôle important. Cette relation (enseignant-élève-savoir) est observée par le chercheur sous trois points de vue : comme mathématicien, en considérant que l‘enseignant a les connaissances nécessaires dans le domaine des mathématiques; comme enseignant, parce que c‘est son rôle face aux élèves; et comme élève pour comprendre les processus par lesquels il faut passer pour apprendre les savoirs enseignés. Dans ce sens, un des objectifs principaux de la TSD est de comprendre comment la relation didactique intervient dans l‘apprentissage de l‘élève. En classe, la situation didactique est gérée par l‘enseignant et a comme finalité, entre autres, de modéliser les apprentissages de l‘élève. L'analyse de cette situation prend en considération les interactions entre l'enseignant, les élèves et le savoir, de même que les attentes de l‘enseignant lui-même et celles de l‘élève en fonction du savoir en jeu. Donc, c'est le rôle de l‘enseignant d‘aider l‘élève à sélectionner les connaissances antérieures qui lui seront utiles pour l‘acquisition de nouvelles connaissances lors d‘une situation didactique comme c‘est le rôle de l‘élève d‘apprendre en s‘adaptant à un milieu qui lui permet de donner des réponses nouvelles, preuves de son apprentissage. La double approche Une autre perspective sur laquelle nous nous appuierons pour décrire le rôle de l'enseignant, de l'élève et du savoir est la perspective de la double approche. Cette perspective est située dans une double dimension. D‘un côté, elle possède une dimension psychologique de l‘activité d‘enseignement (théorie d‘ergonomie cognitive 3 ) et d‘un autre, elle possède une dimension didactique qui concerne la théorie des situations didactiques 4 (TSD). La perspective de la double approche cherche à cerner la façon dont l‘enseignant gère sa classe en considérant, entre autres, son histoire personnelle. Robert et Rogalski (2002) considèrent que le sujet à l‘étude, dans notre cas l‘enseignant, est un composant de la problématique, comme acteur/sujet professionnel. Les auteures considèrent cette perspective comme un éclairage qui permet de prendre en compte la variabilité des pratiques, d‘identifier ce qui, d‘une part, peut (ou non) modifier les acquisitions des élèves, et d‘autre part peut modifier les conditions de leur activité enseignante. Rogalski (2003) précise que l'objectif de la double approche est de 3 4 Leplat (1997) Guy Brousseau (1986) 133 GDM 2010 – COMMUNICATIONS « chercher à situer la nature de la tâche 5 de l‘enseignant dans sa situation de travail par rapport à d‘autres champs d‘activité professionnelle » (p. 348). C‘est dans le contexte de l‘enseignement des mathématiques que Rogalski (2003) explique que l‘enseignant est un acteur engagé dans une situation de travail qui est celle d‘enseigner aux élèves un contenu donné, dans un contexte institutionnel particulier. Roditi (2003), en suivant la même ligne que celle des recherches faites par Robert et Rogalski, a signalé que la cohérence de la pratique de l‘enseignant porte sur les décisions locales qui concernent le contenu et son organisation. La notion de sensibilité La notion de sensibilité de l‘enseignant a été développée par DeBlois (2006, 2008) à partir de la notion de sensibilité de l‘élève développée par René de Cotret (1999). René de Cotret a considéré les concepts de milieu de Guy Brousseau et d‘environnement de Maturana et Varela pour définir la sensibilité de l‘élève, en faisant la distinction entre milieu et environnement de l‘élève. Pour René de Cotret, le milieu est défini à partir de la sensibilité de l‘élève (les élèves ne sont pas tous sensibles de la même façon, à l‘environnement mis en place par l‘enseignant), c‘est-à-dire, ce à quoi l‘élève est attentif. En ce qui concerne l‘environnement, l‘auteure explique qu‘il relève de la description de l‘observateur (enseignant). À partir de ces points de vue, DeBlois a défini la sensibilité de l‘enseignant comme étant le milieu de l‘enseignant (ce à quoi l‘enseignant est attentif) vers un environnement qui est, dans ce cas présent, les discussions portant sur les productions des élèves. C‘est cette distinction entre milieu et environnement qui permet à l‘auteure d‘utiliser le concept de sensibilité avec des enseignants du primaire pour discuter de leurs interprétations à l‘égard des productions de leurs élèves. Autrement dit, DeBlois (2008, 2006) emploie la notion de sensibilité comme un moyen permettant au chercheur d‘analyser les différentes interprétations des enseignants lorsqu'ils étudient les erreurs issues des productions écrites de leurs élèves. MÉTHODOLOGIE Pour dégager les rôles de l‘enseignant, de l‘élève et du savoir en jeu, nous avons procédé à une recension d‘écrits en didactique des mathématiques portant sur les pratiques enseignantes. Comme annoncé précédemment, nous nous sommes appuyées, plus précisément, sur la théorie des situations didactiques, la double approche et la notion de sensibilité. Dans un premier moment, pour chacune de perspectives étudiées, nous avons réalisé une analyse conjointe des rôles de l‘enseignant, de l‘élève et du savoir, de façon descriptive. Ensuite, nous avons fait une analyse de la place de chacun de ces partenaires à l‘intérieur de chaque perspective. Il est important de signaler que même si nous faisons l‘effort de décortiquer chacun des rôles pour cette analyse, ceux-ci sont en interactions constantes et, en réalité, inséparables. 5 Ici le mot tâche est considéré en étant l‘activité enseignant en situation de travail. 134 Carmen Paz Oval Soto et Izabella Oliveira ANALYSES Le premier niveau d'analyse porte sur le rôle de chacun des partenaires situés à l‘intérieur des trois perspectives abordées. Dans la théorie des situations didactiques (TSD), nous pouvons observer que l‘enseignant est vu comme celui qui enseigne une situation qui a été construite précédemment par le chercheur. Dans ce cas, les analyses peuvent porter, entre autres, sur comment l'enseignant travaille cette situation en classe. C'est alors que la situation d‘enseignement est l‘objet d‘étude du chercheur. En ce qui concerne le rôle de l‘élève dans la TSD, ce dernier, étant celui qui apprend, est au centre de la relation entre l‘enseignant et le savoir en jeu. On s'intéresse à la manière dont il apprend et aux influences qu'ont la situation et le savoir sur ses apprentissages. Le savoir est lié tant à l'enseignant qu'aux élèves. Les situations sont construites en fonction d'un savoir précis et il détermine, d'une certaine manière, les interactions entre les élèves et l'enseignant. Dans le cas de la double approche, le chercheur observe l‘activité de l‘enseignant sous l'angle du métier. Autrement dit, l‘enseignant est étudié en tant que professionnel dans l‘exercice d‘un métier. L'enseignant est alors au centre de cette approche qui s‘intéresse à ce que l‘enseignant dit et fait tant à l‘extérieur qu‘à l‘intérieur de la classe : ses prises de décisions en action, ses actions en classe, ses justifications, etc. En ce qui concerne l‘élève, il est étudié du point de vue des apprentissages (activité de l'élève) développés, le tout passant par l'analyse des tâches proposées par l‘enseignant. Quant au savoir, il est organisé par l‘enseignant, à partir des diverses tâches, dans le but de faire apprendre aux élèves. Il influence d'une certaine manière tant l'activité de l'enseignant que celle des élèves. Dans la notion de sensibilité, c‘est également l‘enseignant qui est l‘objet d‘étude du chercheur. Néanmoins, il est étudié sous un autre angle, comparativement à la double approche. Ici il est étudié à partir de la manière dont il analyse et interprète les productions écrites des élèves et à partir de l'influence que ce regard qu'il pose sur la production des élèves a sur sa pratique en classe. L'élève est ici considéré comme l'outil qui permet l'analyse de la pratique enseignante, car il n‘est présent qu‘à travers ses productions écrites. En ce qui concerne le savoir, c‘est le point de départ de l‘analyse et de l‘interprétation que fait l‘enseignant des productions écrites des élèves. Le deuxième niveau d'analyse se veut plus imbriqué. Il permettra de porter un regard plus croisé sur le rôle de chacun de partenaires : enseignant, élèves et savoir. Rôle de l’enseignant Comme nous avons pu le constater, le rôle de l‘enseignant est assez différent dans chacune des perspectives présentées. Dans la TSD, l‘enseignant a un rôle secondaire, il n‘est pas, normalement, l‘objet d‘étude le plus important. Il est vu comme celui qui va permettre au chercheur d'étudier les apprentissages des élèves ou encore le fonctionnement et la mise en place d'une situation didactique. Tandis que dans la double approche et dans la notion de sensibilité, l‘enseignant prend une place plus centrale. Ici, ce sont les autres partenaires (élèves et savoir) qui vont venir contribuer à une étude plus approfondie, on dirait même croisée, de la pratique de l'enseignant. 135 GDM 2010 – COMMUNICATIONS Rôle de l’élève Dans le cas de l‘élève, on peut remarquer que son rôle ou l‘intérêt qui lui est porté est aussi différent selon la perspective envisagée, différence tout à fait normal qui nous permet de conclure de manière anticipée que selon où l‘on se place théoriquement, on ne peut qu‘aborder certains aspects de l‘élève 6 . Par exemple, dans la TSD, l‘élève occupe une place centrale puisque le chercheur s‘intéresse à dégager les connaissances des élèves et les apprentissages effectués à partir des situations créées par le chercheur et mises en place par l'enseignant, lors du cours de mathématiques. Tandis que, dans la double approche, l'élève est perçu comme celui pour qui l'enseignant construit des tâches qui devront être résolues. À son tour, la manière dont l'élève résout les tâches qui lui sont proposées influence l'activité de l'enseignant et par conséquent sa pratique. Dans la notion de sensibilité, l'élève est vu et analysé à travers ses productions écrites. La façon dont l'enseignant regarde celles-ci définit en quelque sorte sa pratique. Rôle du savoir Quant au savoir, nous remarquons qu'il est toujours présent dans l'analyse du rôle des deux autres partenaires, enseignant et élève, et toujours, en interaction avec eux. Cette interaction étant plus au moins explicite. Par exemple : dans le cas de la TSD, tout est construit et analysé sous l'angle du savoir. Il joue alors un rôle primordial. Tandis que dans le cas de la notion de sensibilité, il sert de toile de fond pour analyser la manière dont l'enseignant interprète les productions des élèves (interprète-t-il les productions des élèves différemment selon le savoir en jeu?). Il est important de mentionner que dans les trois perspectives présentées, les analyses faites sont toujours imbriquées autour d'un savoir mathématique. Nous considérons cette remarque importante, car sans ce savoir, l‘enseignant n‘a rien à enseigner et l‘élève n‘a rien à apprendre. En guise de conclusion Nous avons commencé ce texte en nous interrogeant sur les apports possibles de ces trois perspectives à l'analyse du rôle de l'enseignant, de l'élève et du savoir lors de notre choix de cadre théorique. Nous tenterons de regarder les apports qu‘offre chacune de ces perspectives selon des focus d'intérêts différents. Il est important de mentionner avant d'aller plus loin dans ce texte, que ce décorticage que nous faisons (arbitraire en soi) a, comme seul objectif, d‘attirer l'attention sur l'impact des choix et des intérêts du chercheur sur le choix du cadre théorique. 6 Lorsqu‘on s'intéresse, en tant que chercheur, à l’enseignant, il est possible de s'appuyer sur la TSD. Cette théorie nous permet, par exemple, d'analyser la manière dont l‘enseignant gère une situation-didactique en termes de dévolution ou d‘institutionnalisation qui ont lieu,. Par contre, si ce que nous intéresse est la pratique de l‘enseignant sous l'angle du métier (comment planifie-t-il ses séances, comment les gèret-il en classe, comment prend-il en compte le travail des élèves?), nous appuyer sur la double approche nous parait plus pertinent, car elle nous permet d‘analyser la pratique de l'enseignant prenant en considération ces différents aspects de la pratique de manière plus globale et imbriquée. La notion de sensibilité nous permet, à son tour, de connaître comment l‘enseignant interprète les difficultés de l‘élève à partir de leurs productions et de quelle manière cette façon de les interpréter influence sa pratique en classe. Cet aspect est aussi valide pour les autres acteurs de la relation didactique: l‘enseignant et le savoir. 136 Carmen Paz Oval Soto et Izabella Oliveira Quand le focus est mis principalement sur l’élève, les trois perspectives abordées dans ce texte nous permettent de faire ressortir des éléments différents. Par exemple, si ce qui nous intéresse, c‘est l‘apprentissage d‘un savoir précis à partir d‘une séquence d'enseignement construite d‘après une analyse didactique, la théorie des situations didactiques nous parait le cadre d‘analyse le plus adéquat. Tandis que si nous nous intéressons, par exemple, à une comparaison entre apprentissages potentiels et effectifs en fonction d‘une pratique enseignante mise en place par un enseignant, la double approche pourrait être la plus pertinente. Par contre, la notion de sensibilité ne s'intéresse qu'à l'enseignant et à l‘analyse qu‘il fait des productions de l'élève et que l'élève n'est ici que l'outil qui permet cette analyse, comme nous l'avons souligné précédemment. Il nous apparait que cette perspective ne soit pas un choix judicieux si le focus de l'intérêt du chercheur porte sur l'élève en tant que sujet de la recherche. Lorsque l'intérêt premier passe par le savoir mathématique en jeu et même s'il est imbriqué de manière très étroite dans l'interaction avec les deux autres partenaires de la situation didactique (élève et enseignant), tel que mentionné plus haut, il est tout de même possible d‘identifier certains aspects que ressortent davantage selon la perspective d‘où l‘on se place en tant que chercheur. Par exemple, pour faire une analyse en termes du potentiel des tâches prescrites ou encore entre les tâches prescrites et les tâches effectives, la double approche nous parait la perspective la plus pertinente. Tandis que, lorsqu‘on s'appuie sur la notion de sensibilité, nous pouvons voir l'impact du savoir en jeu dans la manière dont les enseignants interprètent les productions des élèves. Dans le cas de la TSD, c'est à partir du savoir mathématique que les séquences d'enseignement sont bâties et que les connaissances des élèves sont analysées. Des exemples à partir des quelques-unes de nos questions de recherche Jusqu‘ici, nous avons fait l'effort de décortiquer les différents rôles de l'enseignant, de l'élève et du savoir pour montrer des apports possibles de chacune des perspectives abordées. Avec l'objectif de rendre le choix de la perspective d'analyse plus concret, nous nous appuierons sur nos questions de recherche en guide d'exemples. Notre première question, Dans sa planification sur l’enseignement des problèmes de structure additive, comment l’enseignant aborde-t-il la résolution de problèmes en classe en conciliant les tâches prescrites et leur sensibilité à l’égard des élèves?, aborde la planification de l‘enseignant. Pour analyser cette planification, faite a priori, nous pouvons nous appuyer sur les trois cadres d‘analyse. Par exemple, pour analyser le choix de problèmes fait par l'enseignant, une analyse conceptuelle du savoir nous parait un choix pertinent. Dans le cadre d'une analyse des tâches prescrites, tant la double approche que la TSD nous paraissent pertinentes comme choix. À cette analyse nous pouvons inclure la notion de sensibilité, si notre objectif est celui de comprendre comment l‘enseignant considère les difficultés des élèves au moment de planifier sa séquence d'enseignement Notre deuxième question de recherche, Comment se caractérisent les pratiques effectives des enseignants en classe du point de vue des gestes professionnels mis en place et de tâches effectives associées à ces gestes?, aborde l'analyse des pratiques en classe, sous l‘angle des pratiques effectives et gestes professionnels en mathématiques. À notre avis, parmi les 137 GDM 2010 – COMMUNICATIONS perspectives que nous avons abordées, la seule qui nous permet de répondre à cette question est celle de la double approche. CONCLUSION Le travail de réflexion que nous avons mené dans ce texte a comme objectif d'expliciter des possibles conséquences quant au choix de notre cadre d'analyse. En effet, nous pouvons noter que selon la perspective d‘où l‘on se place en tant que chercheur, certains cadres d'analyse sont plus porteurs que d'autres. Même si cette affirmation peut paraître évidente, le fait de la rendre explicite nous semble important, surtout pour la formation des étudiants aux cycles supérieurs. Le choix du cadre d'analyse est un choix judicieux et difficile à faire lors des premiers pas en recherche et loin d'être évident. Il demande à l'étudiant une réflexion approfondie sur son sujet de recherche. Comme nous avons pu le noter dans la dernière section de ce texte, la relation très étroite qui existe entre questions de recherche et cadre d'analyse fait en sorte qu'il existe une relation d'interdépendance entre eux. Le cadre d'analyse délimite, d'une certaine manière, les questions de recherche que nous posons et les questions que nous avons au départ guident notre choix de cadre d'analyse. Cela dit, si nous décidons de nous appuyer sur un seul cadre d‘analyse, nous serons amenées, en tant que chercheuses, à faire des choix quant à ce que nous pouvons étudier. Si nous choisissons de nous appuyer sur différents cadres d‘analyse, ces derniers auront un aspect complémentaire et ils nous permettront d‘étudier différents aspects de notre sujet qui ne seraient pas possibles d‘aborder autrement. En fait, il faut parfois faire le « deuil » sur ce qu‘on peut faire. BIBLIOGRAPHIE BROUSSEAU, G. (1986). Fondements et méthodes de la didactique des mathématiques, Recherches en Didactiques des Mathématiques, 7(2), 33-115. BROUSSEAU, G. (2003). Glossaire de quelques concepts de la théorie des situations didactiques des mathématiques. 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Of particular significance is a tendency toward the elimination of formal proof (Carson & Rowlands, 2007) Houdement et Kuzniak (1999) nous expliquent pourquoi cette tendance est-elle installée dans les écoles en France pour l‘enseignement de la géométrie (p. 284) : En effet, on assiste, à ce niveau, à un phénomène de double évacuation de la géométrie: La tendance concrète tend à réduire la géométrie à une appropriation de connaissances spatiales basée sur la manipulation de différents matériels. La tendance abstraite fait évoluer la géométrie, et les mathématiques en général, vers une étude des structures (groupe, espace vectoriel, programme d'Erlangen de Klein 1872) et regroupe des secteurs ‘anciens‘ par analogies structurales; dans cette conception, la géométrie élémentaire n'existe plus en tant que telle; elle n'est plus qu'une partie de l'algèbre linéaire. Or l'algèbre linéaire n'est pas un objet d'étude mathématique de l'école (ni des professeurs d'école) (Houdement et Kuzniak, 1999) Est-il surprenant que les élèves qui arrivent au secondaire ne sont pas prêts à l‘apprentissage de la géométrie formelle et de la notion de preuve (Usiskin, 1982; Craine et Rubenstein, 1993)? Traditionnellement, l‘enseignement de quadrilatères commence par la reconnaissance et la distinction des figures géométriques et l‘apprentissage des leurs noms mathématiques. Même si les propriétés géométriques de différents quadrilatères deviennent éventuellement l‘objet d‘une discussion avec les élèves, ce ne sont pas les propriétés qui sont décrites pour déterminer la figure, mais au contraire, c‘est la figure déjà distinguée des autres qui possède certaines propriétés. L‘accent est ainsi mis sur la distinction empirique plutôt que sur l‘analyse théorique Elena Polotskaia et Ildikó Pelczer des propriétés. Comme conséquence, les élèves pensent que « le carré n‘est pas un losange » et « le parallélogramme n‘est pas un trapèze ». En proposant le jeu de quadrilatères que nous présentons dans cet article, nous voulons remettre l‘accent de l‘enseignement sur l‘analyse de propriétés plutôt que sur la distinction purement visuelle des figures. Nous ne sommes pas les premiers à nous tourner vers cette direction (Fischbein, 1999; Leung, 2008). Le jeu de classification met l‘enfant dans un contexte un peu plus formel, de géométrie plane, de classification inclusive et de diagramme de Venn comme un moyen de représentation. À notre avis, l‘enseignement de quadrilatères ne doit pas se limiter uniquement au développement de connaissances et de savoirs-faire utiles dans la vie de tous les jours. En travaillant profondément les propriétés géométriques et les relations entre les classes de figures, nous pouvons contribuer à la formation de la base nécessaire pour la géométrie théorique du secondaire. LA CONCEPTION DU JEU Nous allons maintenant expliquer les principes de construction du jeu. Vous pouvez trouver la description complète des deux versions du jeu dans l‘annexe. Le champ du jeu est un diagramme de Venn, commode pour classifier les quadrilatères selon leurs propriétés. Nous proposons aux élèves de percevoir les lignes du diagramme comme des frontières à traverser de l‘extérieur vers l‘intérieur du Pays de Quadrilatères. Le joueur doit placer les quadrilatères (découpés ou dessinés sur des cartons) dans des régions appropriées du pays (diagramme) selon les propriétés de la figure. Les différentes frontières correspondent aux propriétés suivantes : être quadrilatère, être convexe, avoir au moins deux côtés parallèles, avoir deux paires de côtés parallèles, avoir quatre côtés égaux, et avoir quatre angles droits. Pour placer la figure sur le champ du jeu (ou pour traverser une frontière), l‘élève doit d‘abord retrouver sur la figure et démontrer aux autres joueurs les propriétés en question. Plus il trouve de propriétés dans un quadrilatère donné, plus la figure peut être avancée vers le centre du diagramme. Selon les règles du jeu, l‘élève est invité donc à discuter les propriétés avant même que la figure ne soit nommée ou classifiée. La position d‘un quadrilatère sur le diagramme peut varier durant le jeu. Différentes figures peuvent se trouver dans une même région du champ du jeu. Ceci peut donner aux élèves la possibilité d‘apprécier la ressemblance et la différence entre les propriétés d‘un carré et d‘un losange, d‘un parallélogramme et d‘un trapèze. Au fur et à mesure, les élèves peuvent découvrir des relations entre les quadrilatères de différentes classes. Toutefois, ces relations et ces classes n‘apparaissent pas au hasard, mais plutôt intégrées dans une structure suggérée au préalable par le diagramme étant axé principalement sur les propriétés géométriques des figures. 141 GDM 2010 – COMMUNICATIONS NOS EXPÉRIMENTATIONS Tout d‘abord, nous avons réalisé une petite expérimentation (15 élèves au total dans les trois groupes) auprès des élèves du deuxième et du troisième cycle du primaire (8-11 ans). Le but de cette expérimentation était de voir si on peut amener les élèves à discuter des propriétés géométriques de quadrilatères à l‘aide du jeu proposé. Les activités ont été organisées après les classes pour les élèves qui fréquentent le service de garde. Premièrement, nous avons proposé la version 1 du jeu à un groupe des élèves de cinquième année (1ère année du 3e cycle, 6 élèves). Les élèves se sont engagés dans cette mission avec intérêt; mais très rapidement nous avons aperçu qu‘il leur manque de clarté sur la terminologie et les notions connexes. Par exemple, en se référant à un parallélogramme, un élève a demandé : « côtés parallèles et égales, n‘est-ce pas la même chose? ». Le jeu alors a été transformé en une discussion sur les notions géométriques de base : ligne droite, droites parallèles, perpendiculaires, côtés égaux, etc. Ensuite, nous sommes retournés au Pays des Quadrilatères pour finaliser la partie. Nous avons remarqué que l‘enthousiasme des élèves augmente vers la fin du jeu en nous donnant des indices qu‘une certaine connaissance émerge chez eux lors de l‘explicitation des propriétés géométriques des figures qu‘ils manipulaient. Ils étaient capables de démontrer aux autres les propriétés en question. À la fin du jeu, nous avons discuté des questions de classification des quadrilatères. Ensuite, nous avons rencontré deux autres groupes du deuxième cycle (5 et 4 élèves) pour la version 2 du jeu. Dans ces deux groupes, les questions sur les notions associées aux propriétés de quadrilatères ont été posées dès le début. Nous avons donc proposé aux élèves une session d‘introduction sur le vocabulaire et le sens de chaque propriété utilisée dans le jeu avant le début du jeu. Malgré le fait que l‘introduction soit assez courte (30 min. environ), les élèves ont été capables de débuter la partie du jeu « armés » d‘un vocabulaire plus éclairé. Lors de la partie, nous revenions à la clarification de chaque notion si le besoin se présentait. Au fur et à mesure, les élèves devenaient de plus en plus à l‘aise dans le jeu. Dans la phase 2 (voir l‘annexe), certains élèves étaient capables d‘identifier les propriétés qui n‘étaient pas identifiées lors de la phase 1 et ainsi « améliorer » les positions de plusieurs figures. Nous avons terminé l‘activité par une discussion sur une possibilité de donner plusieurs noms à la même figure. Dans toutes les trois sessions, nous avons abordé les questions suivantes : si un parallélogramme peut être nommé « trapèze », si un carré peut être nommé « losange », etc. Il nous semble qu‘à la fin de l‘activité, les élèves étaient plus ouverts à ces idées qui n‘étaient pas évidentes pour eux au début. DISCUSSION ET CONCLUSIONS La question de relation entre le savoir empirique et le savoir théorique en géométrie au primaire est très difficile. D‘une part, la géométrie est un domaine très visuel. Il est possible de construire un savoir géométrique pratique « au besoin de tous les jours » sans être nécessairement entré dans l‘espace théorique et abstrait. Par exemple, les Égyptiens savaient construire un angle droit à l‘aide du triangle à proportion 3 : 4 : 5 bien avant que Pythagore ne prouve son théorème (Arnold, 2005). 142 Elena Polotskaia et Ildikó Pelczer D‘autre part, on ne peut pas s‘imaginer aujourd‘hui un citoyen éduqué qui n‘est pas capable de s‘engager dans un raisonnement déductif ou développer une preuve formelle. La géométrie euclidienne est une excellente occasion pour s‘initier à ce domaine. Malheureusement, après six ans d‘observations et de manipulations au primaire, l‘initiation au raisonnement théorique au secondaire se réalise difficilement pour plusieurs élèves. Par où et comment commencer le développement du raisonnement théorique de l‘élève? On est d‘accord avec van Hiele (1999) que … development is more dependent on instruction than on age or biological maturation and that types of instructional experiences can foster, or impede, development (van Hiele, 1999, p. 311) Quelles instructions peuvent-elles promouvoir le raisonnement théorique en géométrie au primaire? Van Hiele distingue trois niveaux de raisonnement sur les figures géométriques : l‘appréciation visuelle globale des figures, l‘appréciation des propriétés géométriques des figures, et l‘appréciation des relations entre les propriétés des figures (van Hiele, 1999). À l‘école primaire, les élèves commencent à manipuler avec les figures dès la première année. Arrivés en cinquième année, ils commencent à classifier les quadrilatères. On classifie les quadrilatères selon leurs propriétés géométriques. Or, les propriétés géométriques se définissent en utilisant les concepts de base, par exemple, droite, point, angle, segment, parallèles, égales, perpendiculaire. Dans notre expérimentation (cinquième année), nous avons constaté que ces notions de base ne sont pas bien maitrisées par les élèves. Nous avons plutôt observé une perception globale et souvent naïve. Donc, les élèves ne maîtrisent pas les outils cognitifs nécessaires pour comprendre la classifiassion des quadrilatères établie dans notre culture mathématique. Toutefois, nous avons constaté que les élèves aussi jeunes qu‘âgés de 8-9 ans (2e cycle; troisième et quatrième année) étaient capables d‘entrer assez rapidement dans un monde géométrique un peu plus formel, et par le biais d‘un jeu discuter de propriétés des quadrilatères dans le cadre de la classification inclusive de ces derniers. Oui, dans l‘histoire de l‘école nord-américaine ainsi qu‘européenne, nous avons connu une déception suite à une introduction précoce du formalisme mathématique (van Hiele, 1999). Il nous semble qu‘aujourd‘hui la balance s‘est penchée vers le côté de manipulation et d‘utilisation pratique. Doit-on tenter de se diriger vers le milieu d‘or? Et où est-il? BIBLIOGRAPHIE ARNOLD, V. (2005). La mathématique http://www.mefeedia.com/watch/29440367. expérimentale. IREM; Available at: CARSON, R., & ROWLANDS, S. (2007). Strategies for Affecting the Necessary Course Curricular and Instructional Planning. Interchange. 38(2), 137-165. CRAINE, T., & RUBENSTEIN, R. (1993). A quadrilateral hierarchy to facilitate learning in geometry. The mathematics Teacher. 86(1), 30. FISCHBEIN, E. (1999). Intuitions and schemata in mathematical reasoning, Educational Studies in Mathematics, 38, 11–50. 143 GDM 2010 – COMMUNICATIONS VAN HIELE, P. M. (1999). Developing geometric thinking through activities that begin with play. Teaching Children Mathematics. 5(6):310-316. HOUDEMENT, C. et KUZNIAK, A. (1999). Un exemple de cadre conceptuel pour l‘etude de l‘enseignement de la geometrie en formation des maitres. Educational Studies in Mathematics. 40, 283-312. Available at: http://www.springerlink.com/index/T5238X3655527785.pdf. LEUNG, I. (2008). Teaching and learning of inclusive and transitive properties among quadrilaterals by deductive reasoning with the aid of SmartBoard. ZDM- Mathematics Education 40, 1007-1021. USISKIN, Z. (1982). Van Hiele levels and achievement in secondary school geometry. Final report of the cognitive development and achievement in secondary school geometry project. Chicago: University of Chicago, Department of education. ERIC. Document reproduction service no. SE 038 813. 144 Elena Polotskaia et Ildikó Pelczer Annexe Jeu de quadrilatères, version 1 Vous voyez devant vous le Pays des Quadrilatères. Il ressemble un peu à une forteresse entourée de plusieurs murs. Chaque mur est protégé par des gardiens de façon que seulement celui qui a des droits spéciaux peut entrer; mais celui qui est déjà à l‘intérieur peut y sortir librement. La personne peut entrer et sortir par les portes seulement. Pour les portes de différents murs, les droits d‘entrée sont différents. Habituellement chaque habitant du Pays des Quadrilatères a un seul papier lui donnant le droit de traverser certains murs. Vous êtes un étranger en mission spéciale. Votre gouvernement vous a délégué pour rencontrer le roi du Pays des Quadrilatères pour lui proposer la paix. En arrivant à chaque porte pour traverser le mur, vous devez présenter un papier vous donnant le droit d‘entrée. Car vous êtes un étranger, le gardien du mur va vous laisser passer, mais il est obligé de confisquer votre papier. L‘agence d‘affaires secrètes de votre pays vous a fourni plusieurs papiers qui vous aideront à traverser les différentes portes pour arriver au centre du pays où le roi habite. On vous suggère néanmoins de vous débarrasser de tous les « faux » papiers le plus vite possible. Le papier est considéré faux s‘il ne donne pas le droit de traverser tous les murs à l‘intérieur desquels le visiteur se trouve actuellement. Si vous présentez un papier faux au gardien de la porte, le papier va être confisqué et vous allez perdre un tour dans le jeu. En plus, les gardes du roi vérifient tous les papiers du visiteur. La loi exige que la personne ayant sur lui des papiers faux ne puisse pas être admise à la cour du roi et doit être emprisonnée immédiatement. On peut y avoir jusqu‘à quatre missionnaires de pays différents. Celui qui arrive le premier à la cour du roi va signer l‘accord et procurer la paix à son pays. 145 GDM 2010 – COMMUNICATIONS Pour commencer le jeu, il faut traverser la première porte. Ensuite, lancez le dé et avancez le long du prochain mur dans n‘importe quelle direction selon la valeur indiquée sur le dé. Une fois devant la porte, traversez-la en respectant les règles. Bonne mission! Jeu de quadrilatères, version 2 Vous voyez devant vous la cible de tir à l‘arc géométrique. La cible est divisée en quelques régions par des lignes colorées. Chaque ligne exige une propriété spécifique de la figure géométrique. Vous devez essayer d‘atteindre la cible dans des régions différentes avec les flèches magiques. Chaque flèche a un plumage en forme d‘une figure géométrique. Chaque flèche peut atteindre les régions où son plumage est reconnu comme valide. Ça veut dire que la figure géométrique en question possède les propriétés demandées par chaque ligne qui entoure la flèche. Prenez une flèche de la pile ou d‘un sac noir par hasard. Vous avez 5 secondes pour choisir la région à atteindre. Déposez la flèche dans la région choisie. Tous les joueurs vérifient la validité de votre tire. Si la tire est valide, la flèche reste dans la région et vous pouvez prendre de « la caisse » le nombre de jetons indiqué dans la région + 10 jetons. Si la tire n‘est pas valide, retournez la flèche dans le sac et déposez à la caisse le nombre de jetons indiqué dans la région + 10 jetons. Si vous n‘avez pas de jetons, vous n‘avez rien à perdre. Phase 1 : On joue à tour de rôles jusqu‘au l‘épuisement de la pile des flèches. On observe à quelle région les figures sont-elles arrivées. Quelles sont les propriétés de ses figures? Pourquoi certaines « losanges » sont dans la même région que les « parallélogrammes »? 146 Elena Polotskaia et Ildikó Pelczer Phase 2 : À tour de rôles, chaque joueur a le droit « d‘améliorer » la position d‘une figure, en la plaçant, si possible, vers le centre de la cible. Si le joueur « améliore » la position d‘une flèche, il peut prendre de la caisse le nombre de jetons indiqué dans la nouvelle région + 20 jetons. S‘il fait une erreur, il doit déposer à la caisse le nombre de jetons indiqué dans l‘ancienne région + 10 jetons. Le joueur a le droit de ne rien améliorer. Le jeu s‘arrête quand personne ne peut rien améliorer. Celui qui a le plus de jetons gagne. 147 Pour une différenciation de la dyscalculie et des difficultés d’apprentissage en mathématiques Jacinthe Giroux Université du Québec à Montréal RÉSUMÉ. Prenant acte de la confusion dans les appellations relatives aux difficultés en mathématiques en milieu scolaire, le texte rappelle certaines définitions et fait le point sur la dyscalculie. Il présente ensuite les thèses, en différenciant leur posture épistémologique, des sciences cognitives et de la psychologie développementale sur la dyscalculie ainsi que celles de la didactique des mathématiques sur les difficultés d'apprentissage. Des propositions didactiques relatives à l‘évaluation et l‘intervention mathématiques auprès des élèves en difficulté sont enfin présentées. INTRODUCTION En éducation, il est relativement courant d‘emprunter à d‘autres disciplines, particulièrement la psychologie, certains concepts pour éclairer la réalité que l‘on veut étudier ou sur laquelle on veut intervenir. Mais l‘emprunt se fait souvent en extrayant les concepts des théories qui leur donnent sens. Le risque est alors grand de les banaliser, de les traiter avec superficialité (Schoenfeld, 2009) ou, de procéder à de l‘«applicationnisme». Étudiant les rapports entre psychologie et didactique, la position applicationniste décrit par Brun, «considère l‘enseignement comme un terrain modelable au bon gré des avancées des sciences de l‘enfant, qui deviennent alors normatives pour l‘enseignement» (1994, p.69) en procédant à une substitution d‘objets d‘enseignement qui exclut les contenus disciplinaires. L‘expansion des sciences cognitives et plus récemment de la neuropsychologie fournit un répertoire de savoirs et de concepts dans lequel puisent certains courants des sciences de l‘éducation mais aussi de la didactique 1 . L‘applicationnisme tel que décrit par Brun, à propos de la psychologie développementale, peut dès lors s‘étendre bien au-delà des frontières des sciences de l‘enfant. Pour se préserver de tels glissements, il est incontournable de se saisir des finalités poursuivies par les théories d‘origine des concepts empruntés. Étant donné que la notion de dyscalculie a été développée dans le cadre de la neuropsychologie et qu‘elle est par ailleurs de plus en plus utilisée dans le milieu scolaire, ce texte resitue, bien que brièvement, dans les théories qui lui ont donné sens, la notion de dyscalculie. Il éclaire également la notion de «difficultés d‘apprentissage en mathématiques», à laquelle la dyscalculie est liée par son usage en milieu scolaire, à partir des thèses didactiques qui en font l‘étude. La première section du texte fait d‘abord le point sur différentes appellations utilisées pour circonscrire la réalité des difficultés scolaires en mathématiques. 1 Comme en témoigne l‘émergence de courants en éducation tels la neuroéducation ou la neurodidactique. Jacinthe Giroux DIFFICULTÉS D’APPRENTISSAGE, TROUBLES SPÉCIFIQUES D’APPRENTISSAGE ET DYS… Plusieurs appellations sont utilisées, et parfois confondues lorsqu‘il est question des difficultés scolaires en mathématiques. Certaines appellations n‘ont que peu de valeur scientifique alors que d‘autres réfèrent clairement à des objets d‘étude scientifique. Dans cette section, les définitions et les critères des expressions les plus courantes – difficultés d’apprentissage, troubles spécifiques d’apprentissage et dyscalculie – sont rappelés et discutés. De plus, quelques pistes d‘interprétation concernant ce qui motive l‘usage de ces expressions par les intervenants du milieu scolaire sont esquissées. Les difficultés d’apprentissage L‘expression «difficulté d‘apprentissage en mathématiques» a pénétré profondément la culture scolaire depuis la fin des années ‘70 et ce, bien qu‘aucune de ces définitions ne puisse prétendre répondre aux critères de scientificité. Brunet (2000) a effectué une recension des définitions de la notion Difficultés d’apprentissage et conclut à l‘absence d‘un consensus autant sur la définition que sur la nature des difficultés ou encore sur les instruments d‘évaluation ou de rééducation. La notion de Difficultés d’apprentissage ne renvoie pas à ce qu‘est une difficulté d‘apprentissage, ni même à ses déclinaisons ou ses spécificités selon les contenus ou les situations dans lesquelles elles se manifestent ou sont observées. Identifier un élève en difficulté d’apprentissage ou encore un élève à risque 2 selon les nouvelles orientations ministérielles, c‘est constater un écart de performance entre celle attendue et celle produite par l‘élève étant donné son âge. C‘est reconnaître, autrement dit, une difficulté scolaire qui justifie administrativement la mise en place d‘un plan d‘intervention. Les troubles spécifiques d’apprentissage La notion de troubles spécifiques d‘apprentissage réfère quant à elle, à des difficultés scolaires qui ne relèveraient ni de facteurs socioculturels, ni d‘un retard de développement, ni d‘un handicap sensoriel ou encore d‘une pédagogie inappropriée. La dyscalculie fait partie de la liste des troubles spécifiques d‘apprentissage tels que recensés par le DSM-IV ou encore le CMI-103. Le trouble spécifique d‘apprentissage est associé à une dysfonction cognitive. Faire l‘étude de ces troubles revient donc à s‘intéresser aux mécanismes neurobiologiques d‘apprentissage. Les principaux critères pour identifier un trouble spécifique d‘apprentissage, que ce soit de lecture, d‘écriture (dyslexie, dysorthographie) ou de calcul (dyscalculie) sont les suivants : « 1) les critères de discordance entre les difficultés à des épreuves liées au trouble en question et les bonnes performances à d‘autres épreuves cognitives (il s‘agit souvent du QI); 2) les critères d‘exclusion : les troubles ne doivent pas avoir comme cause primaire ni un retard global, ni un handicap sensoriel, ni un environnement défavorable (pédagogie inadaptée, niveau socioculturel insuffisant, diversité linguistique), ni troubles mentaux avérés; 2 Avant 2000-2001, cette appellation correspondait aux difficultés légères ou graves d‘apprentissage ainsi qu‘aux troubles du comportement, de la déficience intellectuelle légère et de la déficience intellectuelle légère et TCC. Maintenant les élèves à risque sont une catégorie d‘élève EDAA sans code. 3 Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, le DSM-IV (American Psychiatric Association, 2004) et Classification internationale des maladies, la CIM-10 (OMS, 1994), et dans le 149 GDM 2010 – COMMUNICATIONS 3) le trouble est dû à des facteurs intrinsèques à l‘enfant (ce point dérive directement des deux précédents et met l‘accent sur l‘origine neurobiologique des troubles). » (INSERM, 2007, p. 160). Ces critères ne font pas consensus au sein de la communauté et les définitions sont en constante transformation. Certaines propositions de modification visent, par exemple, à introduire l‘origine héréditaire voire génétique de certains troubles (INSERM, 2007). D‘autres transformations sont souhaitées afin que l‘appellation «trouble d‘apprentissage» soit attribuée lorsqu‘une intervention spécialisée ne donne pas les résultats escomptés (Vaughn et Fuchs, 2003). Cette résistance à l‘intervention spécialisée serait le critère par lequel se distinguerait essentiellement la difficulté du trouble d‘apprentissage. La dyscalculie La dyscalculie est le trouble spécifique d‘apprentissage du calcul. Il est clair qu‘aucune définition de la dyscalculie ne fait l‘unanimité des chercheurs. Cependant, la définition la plus courante est celle du trouble dans l‘apprentissage du calcul non lié à des déficiences intellectuelles qui a son origine dans un désordre cérébral (Fischer, 2009). Les critères du DSM-IV servant au diagnostic sont les suivants : Critère A : Aptitudes en mathématiques, évaluées par des tests sont nettement en dessous du niveau escompté compte tenu de l‘âge chronologique du sujet, de son niveau intellectuel (mesure par des tests) et d‘un enseignement approprié à son âge Critère B : La perturbation, décrite dans le critère A, interfère de façon significative avec la réussite scolaire ou les activités de la vie courante faisant appel aux mathématiques; Critère C : S‘il existe un déficit sensoriel, les difficultés en mathématiques dépassent celles habituellement associées à celui-ci. (APA, 2004 voir Vannetzel, Eynard et Meljac, 2009). Alors que le trouble spécifique de la dyscalculie est fondé sur l‘hypothèse d‘un dysfonctionnement neurologique, la dyscalculie ne peut être diagnostiquée par des marqueurs biologiques mais seulement par des critères comportementaux. De plus, le respect des critères pose d‘importants problèmes. Par exemple, de quelles informations et surtout de quel cadre théorique dispose-t-on pour déterminer la qualité de l‘enseignement reçu par l‘élève évalué ? Fischer (2009), quant à lui, attire l‘attention sur le cercle vicieux entre la définition et les critères diagnostiques qui oblige à exercer une vigilance non seulement sur la définition de la dyscalculie mais également sur la nature même du trouble. L‘identification de la prévalence est très difficile à établir du fait de l‘absence d‘une définition et de critères clairs et consensuels. Ainsi, plusieurs chercheurs se sont confectionnés eux-mêmes des définitions de la dyscalculie (Van Hout, 2001). De plus, les critères d‘exclusion et d‘inclusion varient selon le nombre de sujets impliqués dans les études. Cependant, selon l‘INSERM (2007), les résultats des principales études de prévalence révèlent des taux qui varient de 2,3 à 7 %. L‘écart entre ces taux est si important qu‘on se demande même sur quoi porte la prévalence établie par les différentes études. Portent-elles sur un même objet ? Et quelle est la nature de cet «objet» ? 150 Jacinthe Giroux Les recherches traitant des manifestations de la dyscalculie adoptent un point de vue cognitif à partir duquel sont recueillies et analysées les données. Ce point de vue sous-tend des postulats sur le fonctionnement cérébral et fait appel, pour l‘interprétation des données, à des modèles cognitifs sur le traitement numérique 4 qui sont encore en débats (INSERM, 2007). C‘est dans ce contexte qu‘est identifiée comme principale manifestation de la dyscalculie, la récupération des faits arithmétiques dont la cause relèverait d‘un déficit mémoriel. On a repéré, également chez ces élèves, un retard de développement dans les procédures de résolution d‘additions simples. Ainsi, les procédures de comptage se développeraient plus tardivement chez les élèves dyscalculiques. On a relevé également une certaine lenteur d‘exécution dans l‘application de ces procédures. Ces manifestations sont très liées entre elles. En effet, si les élèves peinent à apprendre leurs faits additifs, ils se rabattent nécessairement sur des stratégies élémentaires. Cependant, les conduites «dyscalculiques» ne sont pas de nature différente de celles des élèves tout venant mais seraient plus lentes à se développer et à devenir efficaces. Les causes de la dyscalculie ne sont pas encore bien connues. Certains auteurs évoquent un déficit mémoriel, d‘autres, un déficit des fonctions visuo-spatiales comme dans le cas de la dyslexie. Certains suspectent des origines développementales entraînant l‘immaturité de la fonction inhibitrice du cerveau. D‘autres encore pointent un trouble du développement du schéma corporel et de la latéralisation (INSERM, 2007; Fisher, 2009; Van Hout et Meljac, 2001). Les causes n‘étant pas connues, les études sur les programmes d‘intervention sont très rares et la plupart d‘entre elles ne présentent pas d‘activités numériques différentes de celles proposées dans l‘enseignement usuel ou, autrement dit, d‘activités qui cibleraient des processus dysfonctionnels chez les élèves dyscalculiques (INSERM, 2007). En conclusion de cette partie, le qualificatif «dyscalculique» semble avoir un effet attractif en milieu scolaire bien que son usage, s‘il n‘est appuyé par une évaluation neuropsychologique sérieuse, semble se substituer à celui «d‘élèves en difficultés graves d‘apprentissage». Cette substitution s‘explique sans doute en grande partie par le développement relativement récent de différents types de diagnostics des troubles d‘apprentissage dans le domaine de la lecture et de l‘écriture : dyslexie, dysorthographie, dysgraphie, etc. Il semble qu‘on en vienne implicitement à penser qu‘à chaque difficulté doit nécessairement correspondre un dysfonctionnement cognitif pour lequel existent à la fois un diagnostic assuré et un traitement conséquent. La résurgence, depuis quelques années, du diagnostic de la «dyslexie» ainsi que la multiplication des diagnostics de type «dys» a sans doute favorisé l‘emploi du terme «dyscalculique» et du coup, la réification de la dyscalculie 5 . Le diagnostic de la dyscalculie est cependant lourd de conséquence considérant qu‘il renvoie à un dysfonctionnement des fonctions cognitives dont l‘origine serait héréditaire. De plus, il faut bien reconnaître qu‘actuellement, aucune intervention spécifique qui permettrait une rééducation de ce trouble n‘est connue. 4 La section suivante précise les postulats des modèles cognitifs sur la dyscalculie Beaucoup de définitions de la dyscalculie ont été élaborées par les chercheurs en s‘inspirant de la définition de la dyslexie. Cependant, contrairement à la dyslexie, le caractère spécifique des difficultés de calcul paraît très rare (Van Hout, 2001). 5 151 GDM 2010 – COMMUNICATIONS DISCIPLINES QUI ÉTUDIENT LES « DIFFICULTÉS » ET LES D’APPRENTISSAGE EN MATHÉMATIQUES TROUBLES Les disciplines qui contribuent à l‘étude soit de la dyscalculie, soit des difficultés d‘apprentissage portent des regards différents sur le phénomène de la difficulté ou du trouble en mathématique, depuis la finalité qu‘elles poursuivent ou, autrement dit, depuis leur posture épistémologique. Le schéma 1 présente les principales disciplines qui ont, entre autres, comme objet d‘études les difficultés d‘apprentissage en mathématiques. La flèche est à l‘image d‘un spectre sur lequel sont distribuées les disciplines selon la finalité qu‘elles poursuivent. Le déplacement vers la gauche symbolise un intérêt croissant pour l‘étude du fonctionnement cognitif et donc une centration sur les caractéristiques des individus. C‘est le traitement symbolique qui est ici étudié, davantage que le contenu. Le déplacement vers la droite symbolise un intérêt croissant pour l‘étude du fonctionnement du savoir en situation d‘enseignement ou d‘apprentissage et donc une centration sur les phénomènes interactifs nécessaires à la transmission et à l‘acquisition de savoirs. C‘est le contenu de la connaissance qui fait l‘enjeu des interactions. SCIENCES COGNITIVES NEUROPSYCHOLOGIE PSYCHOLOGIE COGNITIVE Étude du siège cérébral Étude des des fonctions mentales processus cognitifs / formation de connaissances PSYCHOLOGIE DÉVELOPPEMENTALE Étude du développement cognitif de l’enfant DIDACTIQUE DES MATHÉMATIQUES Études des conditions d’enseignement et d’apprentissage des mathématiques ---------------------------------------------------------------------------------------------------------- Fonctionnement cognitif Traitement symbolique Caractéristiques individuelles Fonctionnement du savoir Contenu de la connaissance Interactions sujet/savoir/milieu SCHÉMA 1 : Organisation des disciplines qui étudient les difficultés en mathématiques selon les finalités poursuivies Chaque discipline, ou sous discipline, vise à développer des modèles théoriques explicatifs de certains pans de la réalité. Depuis leur position épistémologique, elles construisent des hypothèses sur la base des connaissances dont elles disposent, des méthodes pour découper la réalité qu‘elles se proposent d‘étudier et des cadres interprétatifs pour les données recueillies. Les difficultés arithmétiques sont un objet d‘étude pour la neuropsychologie, elles le sont aussi pour la psychologie développementale mais d‘une toute autre manière. Les difficultés d‘apprentissage en mathématiques intéressent également quelques didacticiens des mathématiques. Leur perspective les conduit cependant à traiter ces difficultés, en prenant en compte la particularité du savoir en jeu et le fonctionnement du système didactique. 152 Jacinthe Giroux La thèse explicative de la neuropsychologie cognitive et des sciences cognitives La notion de dyscalculie découle des sciences cognitives et plus particulièrement de la neuropsychologie et de la psychologie cognitive. Plusieurs chercheurs qui publient sur les difficultés en mathématiques (entre autres, des américains) s‘inscrivent davantage dans le courant de la psychologie cognitive que celui de la neuropsychologie du fait qu‘ils étudient les erreurs et les difficultés du point de vue des processus cognitifs sans investir directement, toutefois, la recherche d‘un substrat neuronal. La neuropsychologie cognitive est issue de la neurologie et de la psychologie cognitive. Elle fait partie de la famille des neurosciences cognitives qui étudient les relations entre les systèmes nerveux et la cognition afin d‘élaborer des modèles généraux sur le fonctionnement cognitif. C‘est donc une approche à caractère fortement biologique. La neuropsychologie vise à localiser le siège cérébral des fonctions mentales supérieures (attention, mémoire, etc.) et à comprendre les mécanismes qui en assurent le contrôle (Parent, 2009). Selon Seron (1997), l‘approche cognitive met l‘accent sur la signification d‘un trouble pour la compréhension des traitements qui sous-tendent les conduites normales. Ainsi, les troubles du calcul sont étudiés pour proposer des modèles généraux de traitement des nombres. Les difficultés d‘apprentissage sont, dans cette perspective, considérées comme des dysfonctionnements sur le plan neurologique et relèveraient de facteurs héréditaires voire innés. Les nouvelles technologies, en particulier l‘imagerie fonctionnelle, sont fort utiles pour formuler des hypothèses neuroanatomiques (l‘identification d‘un substrat neuronal) sur le traitement des nombres. Le postulat à partir duquel travaillent les sciences cognitives se rapporte au fonctionnement modulaire du cerveau (Fodor, 1986). Ce postulat est largement dominant depuis une vingtaine d‘années. L‘esprit ne fonctionnerait pas comme un tout unifié mais selon des modules spécialisés. Chaque module serait spécifique à une opération précise, aurait un fonctionnement autonome, rapide et conscient, et aurait une localisation neuronale précise. Les relations entre les informations traitées par les différents modules seraient assurées par un système central. Trois modèles cognitifs ont été proposés au cours des 25 dernières années pour rendre compte du traitement cognitif des nombres et du calcul. L‘architecture générale du traitement des nombres et du calcul, proposée par McCloskey et al. (1985), comporte plusieurs modules qui fonctionnent de manière indépendante. Ces modules correspondent à des systèmes de compréhension, de production, de calcul et de représentation sémantique. Le modèle de transcodage de Deloche et Séron (1987) a beaucoup servi à l‘analyse d‘erreurs en lecture et écriture des nombres. Il est régi par un lexique de nombres (unités, particuliers et dizaines) et une syntaxe pour la structuration de ce lexique dans la lecture ou l‘écriture. Le modèle du triple code de Dehaene et Cohen (1995) fait souvent référence dans le monde francophone. C‘est un modèle fonctionnel structuré autour de trois modules qui correspondent à des substrats neuronaux différents. À chaque module, relié entre eux par un système de traduction, est associé des opérations spécifiques. Les modules sont autant de représentations différentes : a) la représentation visuelle à laquelle sont associés les calculs mentaux et les jugements de parité; b) la représentation auditive verbale à laquelle sont associés le comptage, l‘addition simple et les «tables» de multiplication (et l‘opération de multiplication); c) la représentation analogique à laquelle sont associés le calcul approximatif, la comparaison numérique, l‘addition de grandes quantités, la soustraction ainsi que certaines opérations nécessaires à la division (Lemer, 2003). Selon les travaux de l‘équipe de Dehaene, la dyscalculie s‘expliquerait par une anomalie dans le sillon intra-pariétal, région réputée essentielle pour les traitements numériques. Des voix s‘élèvent contre les tenants d‘une dyscalculie d‘origine 153 GDM 2010 – COMMUNICATIONS génétique (Fisher, 2009). La perspective neuroconstructiviste de Karmiloff-Smith (2009) propose que la position innéiste soit remplacée par une approche dynamique dans laquelle les gènes, le cerveau, la cognition et l‘environnement sont en interaction. Selon cette perspective, il faut envisager des modules qui se spécialiseraient par les interactions avec l‘environnement et par les occasions qu‘il nous est donné d‘apprendre. La thèse explicative de la psychologie développementale La psychologie développementale étudie, quant à elle, plus spécifiquement les processus d'apprentissage ou encore l'influence du milieu social et éducatif sur le développement de l‘individu. Elle accorde donc une place plus importante que les théories cognitivistes précédentes, à la dimension conceptuelle impliquée dans le fonctionnement de l‘intelligence. D‘inspiration piagétienne, la psychologie développementale s‘appuie sur le postulat de la nécessité du processus d‘abstraction réfléchissante dans l‘acquisition de concepts mathématiques 6. Les chercheurs en ce domaine, intéressés par l‘apprentissage mathématique 7 ont développé une position très critique de l‘approche cognitiviste des troubles du calcul en se fondant sur une série d‘arguments théoriques et méthodologiques. Sur le plan théorique, la critique la plus vive porte sans aucun doute sur l‘approche modulaire pour l‘étude du fonctionnement cognitif qui, selon les psychologues, morcelle les systèmes organisateurs de notre pensée. Cette citation de DuquesneBelfais et Meljac (2001) tirée d‘un texte intitulé Les concepts sont-ils démodés ? illustre clairement cette position critique: ««De quoi parlons-nous précisément ? En vrac, de mémoire, base de données, traitement des informations, format, représentation, sémantique, contrôle exécutif, calepin visuo-spatial (p. 263)». Selon les psychologues développementaux, c‘est le processus d‘abstraction réfléchissante qui est insuffisant chez les élèves en difficultés numériques, que ces difficultés soient spécifiques (comme l‘est la dyscalculie) ou non (Fisher, 2009). Ils réfutent donc l‘hypothèse d‘une origine neurologique voire héréditaire ou innée des troubles du calcul. Sur le plan méthodologique, les études menées en psychologie développementale remettent en question les pourcentages de prévalence établie par les études en sciences cognitives. Ainsi, l‘étude menée par Meljac (2009) sur la population d‘enfants consultant un centre de référence pour troubles d‘apprentissage établit à 1% le taux d‘enfants correspondant aux critères diagnostiques de la dyscalculie et ce, en recourant à trois méthodes d‘identification différentes. Fisher (2009) en arrive au même pourcentage dans une analyse critique de 14 études portant sur la dyscalculie. Il résume ainsi la position des psychologues sur l‘existence même d‘un trouble dyscalculique. «Si une origine directement génétique d‘un trouble aussi spécifique que la dyscalculie pure paraît difficile à concevoir, en revanche le calcul ou les mathématiques possèdent des spécificités qu‘aucune autre discipline, fut-elle scientifique ne possède. Il en résulte l‘hypothèse que les spécificités du calcul, ou des mathématiques plus généralement, peuvent engendrer des difficultés spécifiques.» (Fischer, 2009, p.128) 6 L'abstraction réfléchissante comporte deux aspects inséparables: un réfléchissement, c'est-à-dire la projection sur un palier supérieur de ce qui est tiré du palier inférieur (par exemple de l'action à la représentation), et d'autre part une réflexion en tant qu'acte mental de reconstruction et réorganisation sur le palier supérieur de ce qui est ainsi transféré de l'inférieur. (Piaget, 1977). 7 Fisher et Meljac en sont les représentants les plus connus. 154 Jacinthe Giroux Cette dernière hypothèse pourrait être formulée par les didacticiens des mathématiques qui placent au cœur des études didactiques, les caractéristiques du savoir à enseigner. Les théories de la didactique des mathématiques ne sont pas compatibles avec une approche centrée sur l‘étude du fonctionnement (ou dysfonctionnement) cognitif de l‘enfant puisque les approches qui y sont développées visent l‘étude du fonctionnement du système didactique auquel participe l‘élève. La thèse de la didactique des mathématiques La didactique des mathématiques étudie les conditions d‘enseignement et d‘apprentissage des mathématiques. Elle prend donc en compte la spécificité du savoir, c‘est à dire, l‘épistémologie du savoir dans l‘étude de ces conditions. Les difficultés d‘apprentissage ne sont pas considérées sous l‘angle strict de dysfonctionnements propres à l‘élève mais plutôt du système didactique par l‘étude, en particulier, des relations entre la production de l‘élève, la situation d‘enseignement et la spécificité du savoir (obstacles qui y sont liées, erreurs récurrentes qui y sont rattachées etc.). L‘observation et l‘analyse de systèmes didactiques en adaptation scolaire ont conduit à l‘identification d‘un certain nombre de phénomènes didactiques qui seraient spécifiques à l‘enseignement auprès d‘élèves déclarés en difficulté. Ces phénomènes circonscrivent ce qui, dans le fonctionnement de l‘enseignement, marque et altère non seulement l‘avancée du savoir mais également la manière dont se négocie, à travers les échanges entre l‘enseignant et ses élèves, cette avancée. Un des phénomènes marquants est celui du surinvestissement de certains savoirs emblématiques de l‘école primaire tels la numération et les algorithmes de calcul (Cherel, 2005). L‘algorithmisation ou encore le morcellement des savoirs sont des phénomènes parents qui ont aussi été repérés (Cherel, 2005; Giroux et De Cotret, 2001). Quelques études ont également relevé que l‘enseignement dans les classes de l‘adaptation scolaire surinvestit le traitement des erreurs produites par les élèves. Les échanges très serrés sur les erreurs, pour que l‘élève l‘explique, rende compte des raisons qui les justifient et les corrigent, semblent produire un effet d‘évanouissement du sens en jeu (Favre, 2003 ; Giroux, 2001 ; Giroux et De Cotret, 2004). Ces phénomènes témoignent de la manière dont les contenus d‘enseignement sont affectés, transformés par des intentions d‘adapter l‘enseignement aux caractéristiques des élèves en difficulté. À ces phénomènes, nous pouvons ajouter les résultats récents de Roiné (2009) sur la cécité didactique. L‘idéologie psychologisante qui serait institutionnellement imposée aux enseignants les rendrait aveugles aux propriétés didactiques de l‘enseignement pouvant être à l‘origine des erreurs des élèves. L‘idéologie psychologisante, ou mentaliste, entretiendrait ainsi une conception déculturalisée de l‘enseignement et de l‘apprentissage. Le travail de Roiné rappelle le caractère culturel et social autant des pratiques mathématiques que de l‘enseignement et de l‘apprentissage. Nous avons proposé deux hypothèses de travail pour la didactique des mathématiques sur la problématique des difficultés d‘apprentissage. La première est à l‘effet que, principalement centrée sur les caractéristiques des élèves, la fonction du savoir est actuellement négligée dans les approches cognitives ou psychologiques. La seconde est à l‘effet que les caractéristiques exprimées en termes de déficit du côté de l‘élève et en termes d‘habiletés professionnelles du côté de l‘enseignant sont surdimensionnées dans l‘analyse des rapports enseignement/apprentissage (Giroux, 2007). Il nous semble en effet que la didactique doit éviter que la perspective «mentaliste» de l‘enseignement à l‘égard des élèves se déplace pour interpréter les pratiques des enseignants. Dans la foulée de ces hypothèses, nous énonçons trois principes didactiques à partir desquels sont développées des balises pour une intervention mathématique auprès d‘élèves pour 155 GDM 2010 – COMMUNICATIONS lesquels les pratiques d‘enseignement usuelles ne fonctionnent guère (Giroux et Ste-Marie, 2007). Nos propositions s‘inspirent, en partie, de la théorie des situations didactiques, en particulier des concepts de situation didactique et de dévolution Brousseau (1998). Un premier principe s‘appuie sur la distinction connaissance/savoir de Conne (1992) selon laquelle le savoir est une connaissance utile. Les difficultés récurrentes et les échecs en mathématiques de certains élèves ne relèvent pas uniquement d‘un «manque» ou d‘une carence en termes de connaissances mais aussi et surtout, des relations inopérantes entre ces connaissances et les situations mathématiques pour lesquelles ces connaissances sont utiles. Les difficultés sont donc liées à la reconnaissance de l‘utilité des connaissances et sans cette reconnaissance, les élèves ne peuvent «savoir». Dans cette perspective, le premier principe énonce la nécessité d‘élargir le caractère d‘utilité des connaissances. Les balises d‘intervention développées sur ce principe sont : 1) la nécessité de développer des situations dont la solution engage le savoir mathématique visé par l‘enseignement; 2) la nécessité de varier les situations mathématiques et leurs supports (calculette, jeux, environnement informatique, papier); 3) la nécessité de favoriser le repère de régularités mathématiques qui lui-même favorise la transformation de connaissances en savoirs. Les élèves en difficulté nous ont semblé particulièrement sensibles aux régularités mathématiques du fait qu‘une fois abstraites, elles leur permettent d‘anticiper les transformations mathématiques des situations et donc de les contrôler. Un second principe est le maintien d‘un enjeu mathématique pour soutenir l‘engagement mathématique et cognitif des élèves. Dans la foulée de ce principe, les balises d‘interventions suivantes nous paraissent essentielles: 1) le savoir comme enjeu d‘enseignement ne doit pas être écrasé par la lourdeur du matériel ou du contexte ; 2) les élèves doivent bénéficier d‘une rétroaction rapide sur la justesse des connaissances qu‘ils ont engagées; 3) les situations didactiques doivent miser sur la confrontation entre anticipation et vérification. Un dernier principe porte sur l‘évaluation et rappelle qu‘évaluer c‘est interpréter. Ainsi, l‘évaluation devrait : 1) privilégier une analyse croisée des productions d‘un élève à différentes tâches plutôt qu‘une évaluation par tâche; 2) prendre en compte la dynamique des relations entre connaissances et situation (par un usage éclairé de la notion de variables didactiques); 3) tenir compte de l‘enchaînement des tâches dans un contexte d‘évaluation. CONCLUSION Au-delà de la prudence qui s‘impose, fautes de définitions et de critères clairs et consensuels, de recourir à la notion de dyscalculie, le milieu scolaire doit réfléchir à ce qui lui est propre pour ne pas perdre ses repères : ses finalités, ses outils conceptuels et ses moyens didactiques. L‘objet qu‘étudie les sciences cognitives et celui sur lequel travaille le milieu scolaire n‘est pas le même. Enseigner et apprendre des mathématiques sont des actes non seulement cognitifs mais également culturels et sociaux. Imaginons un dispositif par lequel seraient levées les difficultés, de l‘élève dyscalculique, à apprendre les faits additifs. Suffira-t-il alors à l‘enseignant que cet apprentissage soit réalisé pour qu‘il considère que son élève est engagé dans une pratique mathématique ? Non, bien sûr, bien que cet apprentissage soit précieux. Apprendre l‘addition, c‘est apprendre à reconnaître et lier les situations pour lesquelles l‘opération est utile, c‘est penser autrement le nombre, c‘est dégager des régularités pour abstraire les propriétés de l‘opération, c‘est, autrement dit «faire» l‘addition comme on fait des mathématiques. C‘est l‘objet de la didactique de travailler à trouver les moyens d‘enseignement pour y parvenir. C‘est pour elle, un défi à relever. 156 Jacinthe Giroux BIBLIOGRAPHIE ANSARI D, & KARMILOFF-SMITH A. (2002). Atypical trajectories of number development: a neuroconstructivist perspective. Trends Cognition Science, 6, 511–516. BRUN, J. (1994). Évolution des rapports entre la psychologie du développement cognitif et la didactique des mathématiques In M. Artigue, R. Gras, M C. Laborde, P. Tavignot (éd.) Vingt ans de didactique des mathématiques en France (p.67-83). Grenoble : La Pensée Sauvage. BRUNET, J-P. (2002). Pour une définition des difficultés d‘apprentissage. 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Les notions de micro-espace, de méso-espace et de macroespace nous ont permis d‘analyser ces deux postulats, qui regardent de très près l‘articulation et le passage 2D – 3D. 1. INTRODUCTION Selon les auteurs des Principles and Standards for School Mathematics (NTCM, 2000), le thème visualisation ou représentation mentale, qui a ses racines dans la façon d‘analyser et modéliser l‘espace, est présente parmi trois autres grands thèmes qui résument le contenu de la géométrie : figures et propriétés, transformations, position, et visualisation (représentation mentale). Une brève synthèse, suivant les quatre grands thèmes, a été faite par Van de Walle et Lovin (2008, Tome 2, p. 215) : Le thème figures et propriétés vise l‘étude des propriétés et des relations des figures à deux et à trois dimensions. Le thème transformations comprend l‘étude des translations, des réflexions, des rotations et des réflexions glissées. Le thème position s‘intéresse à la géométrie en coordonnées et aux autres modes de description de la position dans le plan et l‘espace. Le thème visualisation ou représentation mentale traite de la reconnaissance des figures dans l‘environnement de l‘élève, des relations entre des objets à deux ou à trois dimensions et la capacité de dessiner et de reconnaître ces objets observés sous différentes perspectives. Il s‘agit ici de la représentation de l‘espace à travers un processus de modélisation et de représentations planes et en perspective. D‘une certaine manière, le sujet de cet article touche presque tous les thèmes mentionnés, mais nous allons nous situer plutôt dans le thème visualisation ou représentation mentale, et plus spécifiquement dans la visualisation de l’espace à travers un processus de modélisation des objets 3D sur un espace 2D. À cet effet, le passage 2D – 3D est envisagé, ainsi que la sensibilisation des élèves par rapport à la notion d‘espace dans un contexte pédagogique adapté plutôt à la géométrie du plan. Les règles connues pour la représentation des modèles 2D ne sont pas les mêmes pour la représentation des modèles 3D. Et comme pour chaque concept de la géométrie de l‘espace, on doit prendre conscience d‘un certain nombre de propriétés, on peut GDM 2010 – COMMUNICATIONS supputer qu‘à leur tour, ces propriétés sont une source de difficultés dans le développement des connaissances spatiales. À cela s‘ajoute la représentation de ces propriétés (3D) dans un environnement 2D ; mentionnons à cet égard la représentation des propriétés liées au parallélisme dans l‘espace, à la perpendicularité dans l‘espace, ainsi que toutes les propriétés liées à l‘incidence dans l‘espace. Ayant en vue les difficultés bien connues en rapport avec l‘étude de l‘espace et ses concepts adjacents, avec le raisonnement géométrique et les différentes façons de raisonner, nous croyons que poser la question de la présence du concept d’espace dans la conscience de l’élève du secondaire en train de résoudre des problèmes de géométrie est pertinent pour le didacticien. Selon Grenier et Tanguay (2008), les enseignants s‘entendent sur le fait que les habiletés et les connaissances nécessaires à la conceptualisation de l‘espace ne sont pas bien installées chez les élèves.Toujours selon ces auteurs, cela serait dû au fait que généralement, tant en France qu‘au Québec, l‘étude des objets de l‘espace se réduit (Grenie et Tanguay, 2008, p.26-27) : La construction, la reconnaissance et la classification de certains solides (prismes, pyramides, cylindres, cônes et sphère) au primaire; Une liste des différentes formules de volume et d‘aire (avec ou sans justification) des solides précités au secondaire; La présentation des cinq polyèdres réguliers, exhibés au primaire, accompagnés ou non de la formule d‘Euler, et revus au secondaire, éventuellement et sans démonstration, le statut de leur existence y étant énoncé comme théorème du corpus historique mathématique classique. (op. cit., pp. 26-27). Gonseth (1945, p. 78) affirme que nous ne pouvons pas apprendre ou enseigner la géométrie s‘il n‘existe pas quelque chose de naturel dans chacun de nous par quoi nous voyons (et nous imaginons) l’espace et tout ce qui y prend forme. D‘après nous, à cela s‘ajoute qu‘il manque à nos programmes d‘étude une stratégie logique de développement et d‘enrichissement de cette « chose naturelle ». Le fait, de se représenter soi-même en tout temps dans l‘espace, n‘implique pas nécessairement sa conceptualisation. Les allers-retours entre l‘espace sensible et l‘espace géométrique, visant la construction des connaissances fondamentalement liées à une géométrie de type euclidien à travers la conscience de l'apprenti-géomètre, semble être un processus à long terme. Puisqu‘on est plutôt habitué d‘enseigner la géométrie sur le papier, il y a le risque, d‘après nous, d‘oublier l‘espace, les objets de l‘espace et leurs propriétés, et les liens qui s‘établissent entre tous ces objets d‘études. On sait que les propriétés des objets plans ne coïncident pas avec les propriétés des objets de l‘espace, sauf dans la mesure où les représentations des objets plans servent à concevoir les représentations des objets de l‘espace. Mais, dans quelle mesure, l‘apprenant utilise-t-il et trouve-t-il les moyens pour mieux conceptualiser des propriétés spatiales dans un « décor » qui est plutôt plan, cela reste encore à apprécier. À l‘école, la plupart des représentations géométriques, visant les propriétés des objets géométriques et le raisonnement sur ces représentations, se font dans une perspective plane. Pour ce qui est des objets de l‘espace et leurs propriétés, nous croyons qu‘il reste encore un travail à développer. Entre la géométrie du plan et de l‘espace, à l‘école secondaire, il n‘existe pas nécessairement une continuité (Furtuna, 2009). Ce manque des liens dans l‘ensemble du contrat didactique de la géométrie du secondaire, entre la géométrie plane, fondamentalement euclidienne, et la géométrie de l‘espace, abordée selon un paradigme fondamentalement empirico-perceptif, est encore aujourd‘hui le lot d'un bon nombre de programmes d‘étude, dont celui du Québec. Est-ce que les difficultés reconnues pour la géométrie plane vont s‘ajouter à celles de l‘espace ? Nous croyons que oui, puisque de façon 160 Daniela Furtuna naturelle, tout ce qu‘on étudie dans la géométrie plane devrait être à la base de l‘étude de la géométrie de l‘espace. De plus, l‘espace euclidien vient avec des « règles » qui s‘ajoutent à tout ce qui est connu dans le plan. Le raisonnement, tel qu‘il est compris dans l‘étude de la géométrie plane, devrait être à la base de tout raisonnement dans la géométrie de l‘espace, alors qu‘à l‘école secondaire, cela n‘est pas le cas. La représentation de l‘espace et des objets de l‘espace sur un espace à deux dimensions, semble être une autre difficulté reconnue depuis longtemps. En effet, il semble qu‘imaginer l‘espace sur la feuille de papier ait été un problème jusqu‘à la Renaissance. Dans un article traitant de l‘histoire de la géométrie, de la figure et de l‘espace, Lombard (1993), montre que la représentation en perspective a été un obstacle, au sens de Bachelard, pour à peu près 2000 ans, autrement dit un obstacle épistémologique, et cela jusqu‘à l‘apparition de la géométrie projective. À la rencontre d‘une partie de toutes ces difficultés, le programme ministériel de mathématiques du secondaire nous propose le développement de ce qu‘on y appelle le sens spatial : «pour développer son sens spatial en trois dimensions, un apprentissage qui nécessite du temps, l’élève représente des solides à l’aide d’un dessin à main levée».1 En ce sens, nous croyons qu‘une bonne amorce pour l‘apprentissage de la géométrie de l‘espace au secondaire consisterait à soumettre des exercices visant à développer la représentation mentale de l’espace, dans les deux sens suivants. Premièrement, en réfléchissant sur l’espace même, sur les objets, leur position, leurs caractéristiques, leurs attributs, leurs mesures, etc., à travers les propriétés qui lient ces différents objets. Représentation en perspective Visualisation Figures, propriétés Espace physique Position Transformation Concepts Géométriques 1 Raisonnement Programme de formation de l’école québécoise, enseignement secondaire, premier cycle, chapitre IV, page 261. 161 GDM 2010 – COMMUNICATIONS Deuxièmement, en développant la capacité de se représenter et de représenter l’espace 3D dans un espace 2D. Il s‘agit ici du développement de la capacité à associer aux objets physiques un modèle mathématique, à travers un processus de transposition de l‘espace réel, l‘espace 3D, dans un espace 2D (la représentation en perspective telle qu‘elle est pratiquée en géométrie). Deux postulats seront à la base de notre travail : P1 : Si l‘élève n‘est pas habitué à penser dans l‘espace (à partir de la position relative des droites et des plans dans l‘espace), il va continuer à donner des solutions aux problèmes de l‘espace dans la géométrie plane. P2 : Le sens spatial se développe à partir du moment où l‘élève construit des connaissances sur l‘espace lui-même, sinon l‘élève va donner la solution de tout problème dans la géométrie plane. Nous considérons que le premier postulat n'est qu‘une conséquence d‘un effet visible du contrat didactique : les élèves, ou, peut-être, certains élèves restent dans le plan et n'envisagent la solution au problème que dans le plan, parce qu'ils sont convaincus que ce qu'on leur demande est un problème à résoudre dans le plan. C‘est comme si l‘élève savait d‘avance que l‘enseignante ne lui demande de résoudre que des problèmes de géométrie du plan. À cet effet, la situationproblème présentée ici vise les connaissances et les habiletés des élèves par rapport à la représentation des objets à l‘étude de la géométrie du plan (Tâche 1) et de l‘espace (Tâche 2), tout en sachant que le passage plan – espace n’est pas explicitement sollicité dans la situation; et d‘autre part, une sensibilisation des élèves à la notion d’espace (Tâche 3). En effet, c‘est dans la résolution de la Tâche 3, qui comporte la manipulation des objets, que les élèves vont trouver une solution réelle à la Tâche 2. Nous avons donc envisagé le passage 2D – 3D, à travers le passage entre la Tâche 1 et la Tâche 2. Pour résoudre la Tâche 1, l‘élève est obligé d‘utiliser ses connaissances de la géométrie plane alors que pour la Tâche 2, un passage vers l‘espace est envisagé et donc, la représentation mentale de l‘espace est sollicitée. La Tâche 3, dans laquelle l‘élève doit construire les vrais objets demandés à la Tâche 2, va répondre aux questions supposant le passage 2D – 3D. 2. UN CADRE THÉORIQUE POUR L’EXPÉRIMENTATION La théorie des situations, initiée par Brousseau en 1983, a été à la base de plusieurs recherches en didactique des mathématiques mais aussi, a conduit à la construction d‘un cadre spécifique à la géométrie. Brousseau (1983) et Galvez (1985) ont développé une théorie qui montre la pertinence de l‘étude des interactions entre un sujet et les trois types d‘espace : micro-espace, méso-espace et macro-espace. Dans leur thèse de doctorat, Berthelot et Salin (1992) ont associé les trois types d‘espace aux à certains concepts de la géométrie élémentaire : le point, la droite, l‘angle, le segment, la longueur, la distance, la hauteur, la profondeur, la mesure, la forme, le lieu, le trajet, l‘objet, l‘espace, etc. Berthelot et Salin (2000, p. 16) expliquent, en se référant aux travaux de Brousseau et Galvez, que les concepts de base qui caractérisent les rapports spatiaux correspondants à ces trois types d‘espaces ne sont pas nécessairement ceux de la géométrie. En ce sens, les deux chercheurs retracent les définitions du micro-espace, du méso-espace et du macroespace. Le micro-espace est défini comme « un espace où les rapports spatiaux correspondent à la manipulation familière des petits objets, et la plupart des problèmes que le sujet rencontre dans cet espace ne nécessitent pas de conceptualisation » (Berthelot et Salin 2000, p. 16). Dans le 162 Daniela Furtuna micro-espace, la résolution des problèmes se fait à travers une action dirigée par les sens sur des objets qui demeurent sous le contrôle de la vue et de la préhension. Dans notre expérimentation, le micro-espace correspond à l‘espace de la feuille de papier, où les objets à l‘étude sont les triangles, les quadrilatères, les pyramides et les prismes, vers lesquels l‘élève est constamment dirigé. Dans cet espace, l‘élève reproduit les dessins correspondant à la tâche, mais il n‘est pas obligé d‘utiliser les propriétés des objets. Certaines caractéristiques des triangles ou des quadrilatères doivent être reconnues pour arriver à la tâche. En ce sens, l‘élève utilise la feuille de papier pour reproduire d‘une manière semblable des objets correspondant à une géométrie 2D (triangles, quadrilatères) ainsi que des objets correspondant à une géométrie 3D (pyramides, prismes). Le méso-espace est défini comme un espace où « les rapports spatiaux s’apparentent à la détermination et à la modification des positions à l’intérieur d’un domaine de déplacements domestiques, et les actions du sujet se font dans une partie de l’espace sous le contrôle d’une vision partielle » (Berthelot et Salin, 2000, p. 17). Dans cet espace, les notions centrales sont celles de lieux, de trajets et d‘objets. Y intervient également la notion de longueur, articulée autour de la distance, de la profondeur, de la hauteur. Ainsi, une trajectoire est perçue comme un trait, une suite de positions temporelles. Les angles permettent de repérer la position d‘une ligne droite par rapport à une autre. Le méso-espace gagne à être représenté sur une feuille de papier et se posent les questions des propriétés conservées. En effet, la représentation des objets provenant de l‘espace méso dans un espace micro passe par une forte conceptualisation de l‘espace méso où les trois dimensions des objets méso sont conceptualisées de façon naturelle. Dans le macroespace, on parle surtout d‘un « travail d’ordre intellectuel sur des représentations » (Berthelot et Salin, 2000, p. 17). Dans cet espace, la perception n‘est pas suffisante pour donner du sens aux rapports à l‘espace. Le sujet ne peut pas obtenir une vision globale de l‘espace avec lequel il est en interaction ; il s‘agit plutôt d‘une succession d‘espaces locaux séparés entre eux par les déplacements du sujet sur la surface terrestre. Pour orienter les déplacements, dans un macroespace, il doit y avoir des repères bien identifiés et une représentation globale de l‘espace. Dans cet espace, les notions importantes sont celles d‘angle et de repérage. Les mêmes chercheurs, faisant référence aux travaux de Brousseau sur la géométrie comme modèle de l‘espace, développent trois problématiques associées à des rapports à l'espace : 1. La Problématique géométrique : [...] les problèmes qui font spécifiquement appel aux connaissances permettant de maîtriser les questions de consistance théorique du discours sur l'espace, questions qui caractérisent l'émergence historique d'une géométrie de la démonstration chez les grecs. 2. La Problématique de modélisation : [...] un type de rapport avec l'espace, finalisé en partie par l'efficacité dans l'espace sensible ou objectif, mais aussi par la recherche d'une solution dépassant le problème immédiat, qui soit communicable à d'autres, s'appuyant sur un modèle explicite dont la fonction doit pouvoir être éprouvée. 3. La Problématique pratique : [...] le type de rapport caractéristique d'une famille de problèmes spatiaux non didactiques, particulièrement importants dans la vie de tous les jours, dans lesquels l'individu contrôle ses rapports spatiaux de manière immédiate, empirique, et contingente. (op. cit., pp. 11-14) 163 GDM 2010 – COMMUNICATIONS Ces trois problématiques, on les retrouve dans la situation-problème. Les élèves doivent résoudre une situation qui traite plutôt de l‘espace sensible dans un espace géométrique et, à la fin de la situation, une tâche de manipulation avec des objets réels nous invite à penser à une problématique pratique de notre séquence. 3. DESCRIPTION DE LA SÉQUENCE ET DE LA SITUATION-PROBLÈME. La séquence dure une heure en classe et s‘adresse à des élèves du secondaire, environ deux classes par niveau, dont une classe régulière et une classe enrichie (approximativement 30 élèves par classe). Nous avons donné aux élèves un Test sur papier contenant deux tâches, la Tâche 1 et la Tâche 2. La Tâche 3, qui est une tâche de manipulation, reprend les questions posées à la deuxième tâche. Les élèves, en groupes de trois ou quatre, disposent des objets réels, afin de pouvoir répondre de façon pratique à la deuxième question. Tâche 1 (environ 20 minutes) 1. Si on a 6 bâtons (leur longueur n‘est pas importante), est-ce qu‘on pourrait construire 4 triangles avec ceux-ci ? Indication : Essayez de dessiner ce que vous imaginez et expliquez en quelques mots ce que vous avez obtenu ! 2. Si on a 12 bâtons (leur longueur n‘est pas importante), est-ce qu‘on pourrait construire 6 quadrilatères avec ceux-ci ? Indication : Essayez de dessiner ce que vous imaginez et expliquez en quelques mots ce que vous avez obtenu ! Le contenu de la Tâche 1 reste dans la géométrie plane et vise un retour sur les connaissances : triangles, quadrilatères, polygones et leurs propriétés. En effet, les élèves doivent dessiner, sur la feuille de papier, des triangles et des quadrilatères à partir de propriétés qu‘ils doivent reconstituer et reconnaître dans l‘énoncé. À cet effet, ils devraient dessiner des polygones avec des côtés et des intérieurs communs ou avec des côtés qui se coupent. Tâche 2 (environ 15 minutes) Pour les deux problèmes présentés à la Tâche 1, est-ce que vous avez des solutions dans le cas où les bâtons sont de même longueur ? Indication : Essayez de dessiner ce que vous imaginez et expliquez en quelques mots ce que vous avez obtenu ! Dans la Tâche 2, les restrictions (la même longueur) ajoutées aux contraintes (6 segments 4 triangles, 12 segments 6 quadrilatères), obligent, pour résoudre le problème, à construire « le passage » vers l‘espace. Les élèves doivent, en effet, s‘imaginer et dessiner des pyramides et des prismes, qui satisferont aux conditions imposées à la Tâche 2. Comme dans la Tâche 1, l‘enseignant ne donnera pas d‘indices qui pourraient inciter l‘élève à chercher les solutions dans l‘« espace ». Tâche 3 (environ 20 minutes) : On va faire des constructions ! On demande aux élèves de répondre à la deuxième tâche, mais cette fois-ci, en s‘aidant des vrais objets (des bâtonnets en plastiques). Au début, dans les tâches 1 et 2, l‘élève doit reconnaître les contraintes d‘un problème de la géométrie plane ou de la géométrie de l‘espace et dessiner des 164 Daniela Furtuna polygones ou polyèdres dans certaines conditions. On voit bien les limites de l‘espace de travail par rapport aux outils : la feuille de papier, la règle et les crayons sont toujours utilisés pour représenter des objets d‘étude de la géométrie dans un espace qui est fortement à deux dimensions. L‘étape de manipulation, la Tâche 3, sera celle par laquelle l‘élève arrive à donner des solutions aux problèmes de « l‘espace » 3D. Dès qu‘il aura sur la table des outils qui ne sont pas utilisés dans les représentations sur la feuille de papier, les bâtonnets et la pâte adhésive, l‘élève devrait remarquer que les contraintes de la Tâche 2 lui imposent la construction des vrais « objets » en trois dimensions : des prismes ou des pyramides. Dans l’hypothèse des représentations spontanées, on considère que les représentations des connaissances sur l‘espace 2D n‘ont aucune raison d‘être articulées entre elles : une partie des erreurs persiste parce que la presque totalité des problèmes est posée dans un contexte spécifique, l‘espace de la feuille de papier qui présente un certain nombre de composantes contextuelles micro-spatiales (Berthelot et Salin, 2000). La représentation des objets et le raisonnement associé à la géométrie de l‘espace ne se fait pas nécessairement de façon identique dans les géométries plane et de l‘espace. En ce sens, dans la Tâche 2, nous avons omis intentionnellement des informations qui pourraient suggérer à l‘élève des moyens clairs pour qu‘il puisse arriver à la solution de la Tâche. Comme nous l‘avons précisé, les allers-retours entre les deux espaces sont nécessaires pour que l‘élève trouve une solution à la Tâche 3. Représentation mentale de « l’espace » (Dans la conscience de l‘élève, à travers ses connaissances spontanées) Le micro-espace (L‘espace de la feuille de papier) Le méso-espace (L‘espace où l‘élève développe de façon naturelle les connaissances géométriques) Résolution des situations-problèmes (L‘élève doit « visualiser » les solutions, dans le micro-espace, à des situations provenant de l‘espace méso ou macro) 4. ANALYSE DES RÉSULTATS. Dans ce qui suit, nous allons présenter trois productions d‘élèves, ainsi qu‘une analyse quantitative des résultats. Nous avons considéré la feuille de papier comme étant le micro-espace de l‘élève, un espace à deux dimensions. Dans cet espace, l‘élève est obligé de donner des solutions aux problèmes de l‘espace qui l‘entoure, le méso-espace. Comme nous l‘avons précisé antérieurement, notre intérêt de recherche vise le passage de la dimension du plan à celle de l‘espace à travers la représentation mentale de l‘espace. Ce passage doit se réaliser, dans un premier temps, de façon individuelle, dans la conscience de l‘élève, à partir des informations qu‘il a déjà dans la tâche 1, mais aussi en tenant compte du fait que les segments ont la même longueur (tâche 2). La tâche 2 est aussi un travail individuel. En effet, le passage du plan à l‘espace se fait à partir du moment où l‘élève commence à lire la tâche 2. Les restrictions 165 GDM 2010 – COMMUNICATIONS imposées à la Tâche 2 devraient conduire l‘élève vers des solutions qu‘il lui faut chercher dans l‘espace méso. Dans la tâche 1, l‘élève se limite à penser la solution du problème dans un espace micro (la feuille de papier). Dans la deuxième tâche, il doit cependant élargir son horizon de pensée à l‘espace méso pour arriver à donner une solution. Analyse de la production d’un élève de 2e secondaire Chez cet élève, l‘utilisation des couleurs est remarquable. Non seulement les bâtons sont dessinés avec différentes couleurs, mais aussi les intérieurs des triangles. En utilisant les couleurs pour les intérieurs, la séparation des triangles est plus évidente, et ne donne pas le choix de dire que le dessin n‘est pas seulement formé de quatre triangles (on peut facilement voir d‘autres quadrilatères). Dans le cas de 12 bâtons, l‘élève trouve aussi une solution. Il utilise les chiffres de 1 à 6 pour mettre en évidence sa façon de penser les 6 quadrilatères, mais il ne donne pas d‘explications. Tâche 1 Triangles Quadrilatères Tâche 2 Le dessin réalisé à la tâche 2 nous conduit à remarquer que, pour cet élève de 2e secondaire, le passage entre les deux espaces n‘a pas été fait. Il cherche les solutions du problème seulement dans le microespace. 166 Daniela Furtuna Analyse de la production d’un élève de 4e secondaire La tâche 1 ne pose pas de difficulté à cet élève. Il donne trois solutions dans les deux cas (6 bâtons = 4 triangles, 12 bâtons = 6 quadrilatère) : « Faire un carré et le séparer en 4 avec 2 bâtons » ou « Un gros triangle et un petit triangle dans le gros pour en faire 4 ». La remarque qui suit la construction de quadrilatères, c‘est en fait ce que nous avons cherché à faire dégager chez l‘élève : « On peut faire n‘importe quoi si on peut avoir des bâtons de longueurs différentes ». Tâche 1 Triangles Quadrilatères Tâche 2 Pour cet élève, le passage vers l‘espace a été fait dès qu‘il a résolu la première tâche, mais de façon très restrictive. Il ne pense qu‘à des prismes. Même si, à la tâche 1, le premier dessin pourrait être vu comme une pyramide, il ne pense pas à cela. Il trouve des solutions à la deuxième tâche pour le cas 12 bâtons = 6 quadrilatères, mais pas pour le cas 6 bâtons = 4 triangles. Il n‘est pas le seul à avoir agit ainsi. À la tâche 2, les élèves donnent plus facilement une solution dans le cas 12 bâtons = 6 quadrilatères, que dans le cas 6 bâtons = 4 triangles, comme nous l‘avons observé lors des derniers dessins. 167 GDM 2010 – COMMUNICATIONS Analyse de la production d’un élève de 5e secondaire On remarque une séparation complète des bâtons, pour trouver la solution dans le cas 12 bâtons = 6 quadrilatères. Dans ce cas, l‘élève nous explique : « Dans ces figures il y a 12 bâtons et 6 quadrilatères ». Nous avons trouvé, parmi les productions des élèves, ce type de réponses, mais pas très souvent. Nous avons choisi cette réponse pour faire en sorte que, dans le cas de 12 bâtons = 6 quadrilatères, on pourrait bien jouer sur la séparation des objets. Cet aspect n‘a pas été pris en compte lors de notre analyse a priori, mais de façon générale, il ne joue pas sur le passage vers l‘espace. En ce qui concerne la tâche 1, pour les triangles, l‘élève donne aussi comme solution une réponse devenue standard : « Un losange divisé en 2 parties, donc 4 triangles avec 6 bâtons ». Comme dans plusieurs cas, cet élève de 5e secondaire cherche les solutions du problème dans un espace qui lui est familier : la feuille de papier. Il nous explique : « Je pense que ce problème est impossible ». Pour lui le passage de l‘espace micro vers l‘espace méso ne se produit pas. Il considère que les restrictions imposées à la tâche 2 (les bâtons ont la même longueur) ne conduisent pas à une solution acceptable. Tâche 1 Quadrilatères Triangles Tâche 2 Pendant la « manipulation » des bâtonnets, Tâche 3, les élèves d‘une même équipe ont discuté entre eux, ont donné différentes solutions et se sont posés des questions par rapport aux deux premières Tâches. Quelques-uns ont dit, en se référant aux corps géométriques : « … Ah! C‘est ça, ce que vous avez voulu qu‘on « dessine » ! ». Le nombre d‘élèves qui ont réussi à donner une réponse à la deuxième Tâche est réparti à peu près en mode égal entre les deux types de classes. C‘est pourquoi nous n‘avons pas spécifié cette distinction dans ce qui suit. Nous allons donc prendre en considération le nombre total des élèves par niveau et le nombre total des élèves du secondaire qui ont participé à la recherche. La proportion d‘élèves qui ont réussi à donner une solution à la Tâche 1 se situe entre 77 % et 100 % en fonction du niveau de la classe. Dans le 168 Daniela Furtuna tableau, nous donnons le nombre d‘élèves qui ont réussi à donner des solutions à la Tâche 2. Nous n‘entrerons pas dans les détails des dessins que les élèves ont produits à la Tâche 2. I II III IV V Total Nb. d‘élèves Secondaire Nb. d‘élèves qui ont réussi le tétraèdre 72 64 32 67 57 292 3 4 1 12 7 27 Nb. d‘élèves qui ont réussi le cube 4% 6% 3% 18% 12% 9% 3 3 9 20 9 44 4% 5% 28% 30% 16% 15% Nb. total d‘élèves qui ont réussi le passage 2D – 3D. 3 4 9 20 9 44 4% 6% 28% 27% 14% 15% Comme nous l‘avions prévu, la plupart des élèves ont recherché des solutions à la Tâche 2 tout en se limitant à l‘espace de la feuille de papier (micro-espace). Parfois, ils ont remarqué que les restrictions imposées aux bâtons (la même longueur) impliquaient de trouver d‘autres solutions. À ce moment, plusieurs ont donné comme réponses, « il n‘y a pas des solutions », « impossible », « je ne crois pas que c‘est possible », etc., ou ils n‘ont rien écrit. Nous remarquons que très peu d‘élèves du premier cycle du secondaire ont pu trouver une solution à la deuxième Tâche. Les suppositions émises dans notre analyse a priori se sont donc confirmées. Les élèves du deuxième cycle du secondaire ont davantage réussi à donner des solutions à la Tâche 2, dans une proportion un peu plus élevée que ceux du premier cycle. Pour la Tâche 3, les équipes de trois ou quatre élèves ont été placées séparément. Chaque équipe avait sa table, ses propres bâtonnets et de la pâte adhésive. Il n‘y avait pas d‘échange entre les équipes. Au début, les élèves n‘ont pas pris en considération les possibilités du 3D. Plusieurs d‘entre eux, même ceux de quatrième et de cinquième secondaire, ont eu quelques moments d‘hésitation mais, dès qu‘ils ont mis le bâtonnet en position verticale, les solutions sont venues de façon naturelle et sans difficulté. Quelques groupes, surtout ceux du premier cycle, ont « construit » avec les bâtons ce qu‘ils ont « dessiné » en 2D : des triangles et des quadrilatères. À la fin, tous les élèves ont réussi à construire des objets en 3D. La mise en situation consistant à utiliser le méso-espace a donc permis à un grand nombre d‘élèves d‘obtenir des solutions à la Tâche 3. Le rôle du méso-espace apparaît donc important dans le passage 2D – 3D. Nous considérons que l‘articulation entre les deux espaces, le micro-espace et le méso-espace, passe par une forte représentation mentale de l‘espace dans la conscience de l‘élève. 5. CONCLUSION Les résultats de notre expérimentation ont validé nos postulats. Seulement un petit nombre d‘élèves du secondaire a réussi à donner de bonnes solutions à la deuxième tâche de la situationproblème. Les résultats obtenus à la deuxième tâche, à tous les niveaux du secondaire, suggèrent que certaines difficultés sont dues à l‘ancrage de l‘élève à l‘espace de la feuille de papier, où l‘élève utilise cet espace comme un «espace» de base dans ses démarches de résolution de problèmes. Le passage 2D à 3D ne s‘est pas fait de façon spontanée. La construction de vrais objets, dans la troisième tâche, a permis à un grand nombre d‘élèves d‘obtenir des solutions correspondantes à la problématique de modélisation. Nous avons considéré que l‘articulation 169 GDM 2010 – COMMUNICATIONS entre les deux espaces, le micro-espace et le méso-espace, passe par la visualisation de l‘espace dans la conscience, à travers ses connaissances. À cet effet, nous avons constaté que, même si l'on parle des connaissances de base, celles-ci doivent être développées par les allers-retours entre l‘aspect 3D de l‘espace méso et l‘aspect 2D de l‘espace micro (l‘espace de la feuille de papier). Ces articulations entre les deux espaces (le « problème de l‘espace ») font partie intégrante d‘un processus de modélisation des objets 3D (la « problématique de la géométrie ») dans un espace 2D (la « problématique de modélisation »), mais aussi de modélisation des objets 3D dans un espace 3D (la « problématique pratique »). Dans le même temps, nous croyons qu‘une discontinuité dans le contrat didactique de la géométrie, articulation plane – espace ou espace – plane, au secondaire, à travers les trois problématiques de l‘espace décrites par Berthelot et Salin (1992, 2000), ne permet pas aux élèves de bien comprendre les relations qui s‘établissent entre les objets d‘étude de la géométrie plane et de l‘espace. BIBLIOGRAPHIE BERTHELOT, R. et SALIN, M.-H. (1992). L’enseignement de l’espace de la géométrie dans la scolarité obligatoire. Thèse de Doctorat, Université Bordeaux : LADIST BERTHELOT, R. et SALIN, M.-H. (2000). L'ENSEIGNEMENT DE LA GEOMETRIE AU DEBUT DU COLLEGE. Comment concevoir le passage de la géométrie du constat à la géométrie déductive?, « petit x », no 56, pp. 5 - 34. BROUSSEAU, G. (1983). Etudes de questions d'enseignement. Un exemple: la géométrie. Séminaire oe didactique des mathématiques et de l'informatique, LSD IMAG, Université J. Fourier: Grenoble FURTUNA, D. (2009). Modélisation de l‘espace: obstacles du 2D au 3D. Mémoire de maîtrise. Université du Québec à Montréal. GALVEZ, G. (1985). El aprendizage de la orientadon en el espado urbano: Una proposicion para la ensenanza de la geometria en la escuela primaria, Tesis, Centro de Investigacion deI IPN Mexico. GONSETH, F. (1945-1955). La géométrie et le problème de l’espace, I. La doctrine préalable, Éditions du Griffon Neuchatel, Diffusion Dunod Paris. GRENIER, D. et TANGUAY, D. (2008). L‘angle dièdre, notion incontournable dans les constructions pratique et théorique des polyèdres réguliers. Petit x, n°78, pp. 26-52. LOMBARD, P. (1991). La representation en perspective comme obstacle epistemologique. La figure et l‘espace, Actes du 8ème Colloque INTER-IREM , Épistémologie et Histoire des Mathématiques, Lyon, 31 mai – 1er juin 1991, Editions : IREM de Lyon, pp. 139 – 169. NATIONAL COUNCIL of TEACHERS of MATHEMATICS (2000). Principles and standars for school mathematics, Reston (Virgine), NTCM. Programme de formation de l‘école québécoise, enseignement secondaire, premier cycle, Ministère de l‘Éducation, 2003, Dépôts légaux -Bibliothèque nationale du Québec, 2004. Programme de formation de l‘école québécoise, secondaire, 2e cycle, Version approuvée par le ministre de l‘Éducation, du Loisir et du Sport, 2006. VAN DE WALLE, J. et LOVIN, L.-H. (2008). L‘enseignement des Mathématiques. L‘élève au centre de son apprentissage, Tome 2, Editions du Renouveau Pédagogique : Saint-Laurent. 170 Implicites dans la tâche mathématique : les décalages entre les activités potentielle, attendue et effective de l’élève Claudine Mary et Laurent Theis Université de Sherbrooke RÉSUMÉ. Cet article présente les résultats préliminaires d‘une étude visant à analyser des problèmes conçus ou choisis par des enseignants dans une approche d‘enseignement qu‘ils qualifient eux-mêmes de situations problèmes ou d‘approche par problèmes. Nous visons à mettre en évidence les implicites dont sont porteurs les problèmes en étudiant les décalages entre ce qu‘il est possible de faire du point de vue de l‘élève compte-tenu de l‘énoncé du problème, ce qui est attendu par l‘enseignant et ce qui est effectivement fait par l‘élève. Notre but est d‘éclairer les choix des enseignants sur les tâches potentiellement porteuses dans une perspective de formation. INTRODUCTION Le choix des problèmes à soumettre aux élèves qu‘il s‘agisse d‘un problème utilisé dans le but de provoquer l‘apprentissage d‘un concept ou qu‘il s‘agisse d‘un problème d‘application, est une dimension de la pratique enseignante qui mérite attention. Les enseignants sont confrontés à différentes formulations de ce qu‘est un problème ou une situation-problème et sont soumis à différentes pressions ou sollicitations du système éducatif dans ce sens : les SAÉ – situations d‘apprentissage-évaluation - des évaluations ministérielles, l‘approche par problème préconisée par le PFÉQ et par certaines formations, comme celle du Centre de recherche sur l‘enseignement et l‘apprentissage des sciences (CREAS1) qui en fait une de ses préoccupations. Les critères qui guident les enseignants pour la conception ou le choix de problèmes ne sont pas toujours clairs. Même si des caractéristiques sont explicitées par les formateurs, ceux-ci constatent des décalages entre ce qu‘eux-mêmes envisageaient et ce que les enseignants produisent, les références des uns et des autres n‘étant pas les mêmes. Quel critère adopter pour juger d‘un problème ? Derrière la sollicitation au problème et à une approche par problème, il y a bien celle de mettre l‘élève en activité mathématique. C‘est cette activité mathématique potentielle et effective qui nous intéresse. Cette activité est fonction d‘un certain nombre de variables dont des implicites que l‘élève aura à interpréter, à expliciter ou avec lesquels il devra négocier. C‘est sous cet angle que nous proposons donc d‘étudier les problèmes choisis ou conçus par les enseignants lors de journées de formation d‘enseignants des mathématiques au secondaire, journées prises en charge par le CREAS. Après avoir présenté le contexte de l‘étude et ses objectifs, nous présenterons ce que dit la recherche sur les implicites en résolution de problème puis notre cadre conceptuel et méthodologique. Nous analyserons ensuite un problème pour envisager la suite de la recherche que nous avons amorcée. 1 Notre recherche a été réalisée dans le cadre du CREAS subventionné par le conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG). GDM 2010 – COMMUNICATIONS LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE Notre étude se situe dans le cadre des travaux du CREAS (Sherbrooke) qui visent l‘amélioration de la qualité de l‘enseignement des sciences, des technologies et des mathématiques (STM) au secondaire. Cet objectif général est réalisé en partenariat avec le milieu de la pratique, notamment des écoles et Commission scolaire préoccupées de la qualité de l‘enseignement des STM. Les démarches d’enseignement-apprentissage en STM constituent un des axes de recherche du Centre avec l‘objectif, entre autres, d‘analyser les pratiques d‘enseignement (actions des enseignants en relation avec les actions des élèves) mises en œuvre lors du recours à des démarches d‘enseignement-apprentissage propres aux STM telles les approches par problèmes en mathématiques. Lors de trois journées de formation, les enseignants sont appelées à concevoir ou à adapter des problèmes qu‘ils expérimenteront en classe. Les expérimentations en classe sont enregistrées puis un retour réflexif en groupe permet aux participants d‘exposer le bilan qu‘ils font à la suite de la conception et de l‘expérimentation en classe. Dans le cadre de ces formations, nous avons recueilli un corpus d‘une douzaine de problèmes proposées aux élèves avec les enregistrements de classe correspondants. Ces problèmes ont été choisis pour analyse parce que les enseignants qualifient eux-mêmes leur démarche d‘approche par problèmes ou de situations problèmes. Notons que si des ateliers sont donnés par les formateurs sur différents sujets menant à réflexion, les enseignants dont les problèmes ont été sélectionnés n‘ont pas forcément assisté à des ateliers portant spécifiquement sur l‘approche par problèmes en mathématiques. OBJECTIFS Notre étude s‘inscrit dans l‘objectif du CREAS d‘analyser les pratiques d‘enseignement mises en œuvre lors du recours à une approche par problème en mathématiques. Plus spécifiquement, nous nous préoccupons de mettre en évidence les implicites dont sont porteurs les problèmes en étudiant les décalages entre ce qu‘il est possible de faire du point de vue de l‘élève compte-tenu de l‘énoncé du problème, ce qui est attendu par l‘enseignant en termes d‘activité mathématique et ce qui est effectivement fait par l‘élève. C‘est dans les écarts entre ces différentes activités que nous situons les implicites. Dans ce texte, nous nous penchons sur le cas d‘un problème proposé aux élèves par une enseignante et sur l‘activité de classe autour de ce problème. Nous rendons compte de l‘état d‘avancement de nos travaux au moment du colloque du GDM 2010. RECHERCHE SUR LES IMPLICITES Plusieurs auteurs ont mis en évidence les conséquences potentielles des implicites sur l‘activité de l‘élève et en particulier sur des élèves plus vulnérables de notre système éducatif, les élèves dits en difficultés d‘apprentissage ou provenant de milieux défavorisés. Cerquetti-Aberkane (1987) décrit un certain nombre de difficultés qu‘elle qualifie d‘« extramathématiques » et qui peuvent s‘interpréter en termes d‘implicites. Par exemple, elle montre que les élèves ont tendance à injecter des données de la vie de tous les jours dans des contextes réels (les élèves comptent trois élèves par banc dans un autobus ou les sièges sont à deux places). Plus récemment, des travaux en didactique des mathématiques se sont développés en prenant comme cadre théorique celui du sociologue Bernstein sur le discours éducatif. Celui-ci (Bernstein, 2007) défend l‘hypothèse forte que l’instruction est une institution aux règles spécifiques implicites dont la 172 Claudine Mary et Laurent Theis maîtrise est la clé du succès scolaire. Gellert (2009), en référence aux concepts de Bernstein de classification et de cadrage, fait l‘hypothèse que les tâches ou approches « fortement classifiées » (aux exigences fortes quant au un type de discours attendu) mais « faiblement cadrées » (aux approches peu directives) sont favorables à créer le clivage entre les élèves qui réussissent et ceux qui ne réussissent pas. Knipping, Reid & Gellert (2009) cherchent à mettre en évidence les disparités créées par les implicites dans la classe: plus spécifiquement, ils montrent que le contexte est subordonné aux mathématiques à enseigner. Dans le processus de recontextualisation2 des mathématiques, le contexte réel s‘évanouit. Seuls quelques élèves s‘en rendent compte. Par ailleurs, la notion d‘implicites est au cœur même du contrat didactique défini comme l‘ensemble des attentes ou obligations mutuelles des élèves et de l‘enseignant à propos du contenu d‘enseignement-apprentissage (Brousseau, 1996). Si un décalage entre ces différentes attentes est nécessaire à l‘apprentissage (Sarrazy, 1995), les effets du contrat didactique nuisibles à l‘apprentissage sont aussi bien documentés. (Schubauer-Leoni, 1986 ; Perrin-Glorian, 1993; Brousseau et Warfield, 2002). Ces constats ou résultats peuvent mener à s‘interroger sur le degré d‘implicites souhaitables ou la nature des implicites en jeu. Toutefois, notre préoccupation est plutôt de mettre en évidence les décalages dont il est question plus haut pour comprendre les tensions qui s‘exercent entre les différentes composantes en jeu. ÉLÉMENTS DU CADRE CONCEPTUEL: POSITION À L’INTERFACE ENTRE ENSEIGNEMENT ET APPRENTISSAGE Le cadre d‘analyse que nous utilisons est inspiré de Robert et Rogalski (2002). Il permet justement de mettre en évidence différents décalages qui éclairent sur les implicites dont sont potentiellement porteurs les problèmes. Du cadre d‘analyse des pratiques de Robert et Rogalski (2002), nous retenons les notions de tâches et d‘activité. Une tâche (prescrite)3 est un « énoncé d‘exercice (ou problème) proposé aux élèves, dans l‘acceptation mathématique du terme » (Robert, 2001, p.64) ; « le mot d‘activité désigne ce que les élèves vont faire pour résoudre l‘exercice (avec une partie non visible). » (Robert, 2001, p.64). Nous retenons également la distinction que les auteurs font entre tâche prescrite et tâche effective ainsi qu‘entre activités attendues et activités effectives (cf. schéma 1). 2 3 Recontextualisation : processus de remettre en contexte les contenus mathématiques décontextualisés (en référence à Bernstein, 2007). Les parties entre parenthèses sont ajoutées par nous. 173 GDM 2010 – COMMUNICATIONS Schéma 1 : Schéma de l‘activité de l‘enseignant 4 L‘objet de l‘analyse de pratique est l‘activité de l‘enseignant schématisée ci-dessus. L‘enseignant propose des tâches à ses élèves (des problèmes à résoudre) dans le but de provoquer ou de consolider un apprentissage. Lors de la conception ou du choix des tâches, l‘enseignante ou l‘enseignant a des attentes en termes d‘activités mathématiques qu‘il veut provoquer chez ses élèves compte-tenu de ses objectifs d‘apprentissage. Or, les tâches prescrites (dévoilées dans l‘énoncé des problèmes) sont potentiellement susceptibles de provoquer des activités différentes chez les élèves que celles qui sont attendues. Ainsi, les tâches effectivement réalisées par les élèves peuvent différer de celles proposées par l‘enseignant et les activités effectives des élèves, par conséquent, différer des activités attendues. Lorsque l‘enseignant constate, par l‘intermédiaire de l‘activité effective des élèves, que ceux-ci réalisent une tâche différente de celle attendue, l‘enseignant peut alors, modifier en partie ou en totalité la tâche initiale. L‘analyse de l‘activité de l‘enseignant en classe consiste à analyser la dynamique de ce schéma. La différence entre l‘activité attendue de l‘élève et son activité effective peut s‘expliquer au moins en partie par le potentiel plus ou moins grand d‘activité mathématique possible comptetenu de l‘énoncé du problème; il peut donc y avoir décalage aussi entre ce qu‘il est possible de faire selon ce qui est annoncé et ce qui est attendu par l‘enseignant ainsi qu‘entre ce qu‘il est possible de faire et ce qui est effectivement fait par l‘élève. Nous nous distançons donc du schéma précédent de l‘activité de l‘enseignant pour considérer, en plus du décalage entre l‘activité attendue et l‘activité effective de l‘élève, les décalages entre ces activités et celles dont est potentiellement porteur le problème tel qu‘énoncé. ÉLÉMENTS DE MÉTHODOLOGIE Inspiré des travaux de Robert et Rogalski (2002), nous avons procédé à une analyse selon trois dimensions : 1) une analyse a priori des tâches prescrites pour faire émerger ce qu’il est possible de faire du point de vue de l‘élève selon ce qui est annoncé ; 2) une analyse de l‘activité effective de l‘élève dans sa partie visible, ce que l’élève fait, à partir des enregistrements vidéos, et 3) une 4 Ce schéma a été conçu par Patricia Marchand, Claudine Mary et Hassane Squalli (ordre alphabétique) lors d‘une rencontre de travail autour des travaux de Robert et Rogalski. 174 Claudine Mary et Laurent Theis analyse de ce que l’enseignant attend selon ce qu‘il renforce, encourage ou refuse, réoriente, etc. Le schéma 2 résume notre méthodologie. Schéma 2 : schéma de la méthodologie Ainsi, ce qui nous intéresse, ce sont les décalages entre chacune des parties du schéma. C‘est dans ces décalages que nous situons les implicites. En effet, les décalages reflètent la part d‘implicite qui fait que la tâche à réaliser est celle-là et non une autre dans l‘ensemble des possibilités que le problème offre au départ. LE PROBLÈME ANALYSÉ : LE LECTEUR MP3 Le problème suivant a été soumis à des élèves de 1ère secondaire. Julien s‘est acheté un lecteur MP3 de 4 Go. Il a transféré ses disques compacts sur celui-ci. Présentement, il a 571 chansons dans son lecteur. Lorsqu‘il se rend dans son menu pour connaître la capacité utilisée, l‘information indique 1,64 Go. 1) Combien de chansons pourra-t-il ajouter dans son lecteur pour atteindre sa capacité maximale? 2) S‘il veut ajouter 15 photos à la capacité actuelle de son lecteur et qu‘il sait qu‘une photo peut se situer entre 350 kilooctets et 1200 kilooctets. Combien pourra-t-il ajouter de chansons pour atteindre sa capacité maximale? Pour avoir une idée de l‘espace que peut occuper chaque photo, voici un graphique représentant la valeur de chaque photo.5 5 Dans le cahier de l‘élève, la formulation de la tâche est légèrement différente d‘un endroit à l‘autre. Sur la page couverture, qui rassemble toutes les questions, seul l‘intervalle est mentionné (Il sait qu‘une photo peut se situer entre 350 et 1200 kilooctets). Par contre, sur la feuille de réponse, où les questions sont répétées, seul le graphique est indiqué (Pour avoir une idée de l‘espace que peut occuper chaque photo, voici un graphique représentant la valeur de chaque photo), mais l‘intervalle ne s‘y retrouve plus. 175 GDM 2010 – COMMUNICATIONS Valeur en Ko La valeur des photos en Ko 1200 1000 800 600 400 200 0 1041 997 618 740 584 384 1 2 3 4 5 6 Photos 1) Julien désire conseiller un ami pour l‘achat d‘un lecteur MP3. Son ami veut insérer 25 CDs de 12 chansons ainsi que 50 photos. (3 choix sont offerts aux élèves sous forme de pictogrammes : 2 Go pour 169,99$, 4 Go à 229,99$ et 30 Go à 299,99$) Un tableau montre comment passer de l‘octet (considéré comme unité) au kilo, au méga, au giga puis tétra octet et inversement. Les élèves sont invités à amener leur lecteur MP3. ANALYSE DES RÉSULTATS Précisons d‘abord quelques éléments relatifs aux données dont nous disposons. Des entrevues ont été réalisées auprès des enseignants ou enseignantes de manière à connaître leurs intentions de façon globale. La séance en classe a été filmée et transcrite sous forme de verbatim. L‘analyse des données est effectuée à partir du schéma 2. Le schéma 3 résume brièvement nos résultats selon les trois dimensions : ce qui est possible selon ce qui est annoncé, ce que l‘enseignant attend d‘après ses médiations en classe et ce que l‘élève fait effectivement dans la classe. 176 Claudine Mary et Laurent Theis Schéma 3 : résumé des résultats selon les trois dimensions analysées Ce qui est possible selon ce qui est annoncé Une des caractéristiques du problème soumis est qu‘il est fortement ancré dans la réalité. Le problème traite d‘un lecteur MP 3, en demandant à l‘élève de calculer le nombre de chansons qu‘il peut y ajouter pour arriver à pleine capacité (en ajoutant seulement des chansons à la première question ou des chansons et des photos à la deuxième). Par ailleurs, la troisième question demande à l‘élève de « conseiller un ami » sur l‘achat d‘un lecteur MP3, en fonction du nombre de chansons et de photos qu‘il veut insérer. Sur le plan des données disponibles, plusieurs informations numériques très précises sont données mais aucune information n‘est donnée sur les possibilités du marché, ce qui pourrait être pertinent pour conseiller un ami. Comment est-il possible de traiter ce contexte pour un élève ? Des questions se posent sur le type et la forme des réponses à produire. Faut-il donner une réponse précise ou bien une estimation suffit-elle comme ce serait le cas dans la vie réelle ? En effet, une estimation pourrait être satisfaisante pour conseiller un ami (question 3) ou même avoir une idée du nombre de chansons qu‘il est possible d‘ajouter (questions 1 et 2). À la question 2, faut-il donner une réponse unique ou bien une réponse sous forme d‘intervalle ? Considérer la taille maximale des photos afin de ne pas cibler un nombre de chansons trop élevé pourrait être une décision judicieuse, par exemple. De plus, l‘élève peut s‘interroger sur le meilleur modèle mathématique à utiliser du fait que les chansons ou les photos occupent un espace variable sur le MP3 : il peut considérer l‘utilisation d‘un modèle proportionnel ou bien l‘utilisation d‘une moyenne compte-tenu de l‘échantillon de 571 chansons (question 1). Pour la question 3, la tâche de conseiller un ami, dans la vie de tous les jours, peut soulever un grand nombre de questions. Est-ce qu‘il suffit que la capacité 177 GDM 2010 – COMMUNICATIONS corresponde exactement aux nombres de chansons et de photos indiqués ou serait-il plus prudent de garder de l‘espace pour des chansons ou des photos qui seront installées plus tard sur l‘appareil ? Que faut-il faire si la capacité d‘aucun appareil sur le marché ne correspond pas exactement à l‘espace occupé par les 12 CD et les 25 photos ? Est-ce que le budget d‘achat est illimité ou est-ce qu‘il faut choisir l‘option la moins chère en fonction des critères donnés ? Etc. D‘un autre côté, comment pourrait-on traiter de ce problème en classe ? On peut imaginer, entre autres, que les différentes questions qui peuvent se poser aux élèves seraient l‘occasion de discuter des modèles mathématiques les plus appropriés pour résoudre une situation de la vie réelle, celle du problème en l‘occurrence. D‘un autre point de vue, cela peut être aussi l‘occasion d‘utiliser des outils préalablement enseignés, vraisemblablement la moyenne, les procédures reliés au raisonnement proportionnel, l‘estimation, ou d‘en introduire de nouveaux plus pertinents. Ce que l’enseignant attend / Ce que l’élève fait Selon l‘entrevue qui précède l‘expérimentation, l‘enseignante indique que le problème porte sur les nombres décimaux et le système international. On peut penser que, du point de vue de l‘enseignant, l‘activité porte sur la conversion des mesures (octets, kilo octets, méga octets, giga octet, etc.) et sur les calculs avec nombres décimaux. Ceci semble d‘ailleurs aussi ressortir dans les transcrits. Pour aller plus finement dans les attentes de l‘enseignant, nous avons analysé les interactions enseignante-élève : les réactions de l‘enseignante à ce que l‘élève fait est un indicateur de ce qui est attendu. Cette analyse permet de faire ressortir différents implicites qui régissent l‘interaction didactique en classe. Un premier de ces implicites concerne les attentes de l‘enseignante concernant la précision de la réponse attendue. Même si ce n‘est pas formulé explicitement dans le et qu‘une estimation pourrait suffire compte-tenu du contexte du problème, l‘enseignante s‘attend à une réponse exacte et n‘accepte pas d‘estimation, comme en témoigne l‘extrait suivant, qui est similaire à celui qu‘elle a eu avec plusieurs autres groupes d‘élèves. Élève : On pense qu‘on a 1327 chansons. Enseignante : Est-ce que vous êtes arrivés à calculer ? Élève : Environ là. Enseignante : Mais avez-vous cherché pour une chanson ? Élève : Pourquoi ? Enseignante : Une chanson Élève : Non. Enseignante : Qu‘est-ce que vous avez fait ? Élève : On a genre additionné ça 2 fois, puis on a divisé. Enseignante : Divisé par quoi ? Élève : C‘est bien compliqué, M. va expliquer… Mais à la fin, on a fait fois 2, ensuite on a divisé la réponse, ça a donné… Enseignante : Ça a donné quoi ? Élève : Ça a donné 82, ensuite on a additionné les trois. Enseignante : Mais le 82 c‘est quoi ? Élève : C‘est pour avoir le plus proche de 4 Go. Enseignante : Ok, vous y alliez par essai-erreur ! 178 Claudine Mary et Laurent Theis Élève : Oui M. : Ça a donné 4,10. E3 : Oui ça a donné 4,10. Ben c‘était pas pire, pis ça a donné la réponse. Enseignante : Mais vous n‘avez pas la réponse juste là, vous êtes en estimation. La stratégie de ces élèves est la suivante : pour répondre à la première question, ils ont d‘abord multiplié 1,64 et 571 par 2 pour trouver que 3,28 Go correspondent à 1142 chansons. Ils ont par la suite divisé 1,64 et 571 par 2 et ont déterminé que 0,82 Go correspondent à 285 chansons. En additionnant 3,28 et 0,82 ainsi que 1142 et 285, ils sont arrivés à 1327 6 chansons pour 4,1 Go, réponse que les élèves considéraient être suffisamment proche de 4 Go pour être acceptable. L‘extrait montre clairement que l‘enseignante s‘attend à une réponse exacte et qu‘une estimation n‘est pas suffisante (dernière ligne). D‘ailleurs, elle désigne la démarche des élèves comme étant de l’essai-erreur . L‘enseignante s‘attend aussi à une méthode précise. Elle demande aux élèves s‘ils ont calculé l‘espace occupé par une chanson (4e ligne), puis immédiatement après cet extrait, elle pousse les élèves à avoir recours à la règle de trois ou au produit croisé (3 e ligne ci-dessous): Enseignante : vous êtes capables d‘avoir une réponse juste… Élève : Ben non ! Enseignante : Souvenez-vous des proportions qu‘on a apprises ? La règle de trois ? Le produit croisé ? Cette procédure consiste pour l‘enseignante à trouver la taille pour une chanson. Elle insistera à plusieurs reprises auprès de différents élèves même si la procédure des élèves ne va pas dans ce sens. Par exemple, des élèves ont divisé 571 par 1,64, ce qui correspond au nombre de chansons par Go, et malgré cela, l‘enseignante utilise un exemple avec des nombres plus faciles à traiter (100 chansons à 2 Go) pour leur demander de trouver la taille d’une chanson. Cela déstabilisera certains élèves. Pour la deuxième question, la méthode attendue semble consister à faire une moyenne pour évaluer la taille d‘une photo. En effet, l‘enseignante a fourni un diagramme aux élèves dans lequel sont inscrites les tailles de 6 photos fictives. Lors du travail d‘une équipe d‘élèves sur ce diagramme, elle semble les orienter explicitement vers le recours à la moyenne des six données du diagramme. Enseignante: 15, combien ils valent les 15 (photos)? Élève 2: ben ça dépend Enseignante: ça dépend, ça dépend de quoi? (Elle montre sur la feuille) Élève 1: ça dépend de... (Elle regarde sur la feuille) Enseignante: ça dépend des photos? Qu'est-ce que vous allez faire avec ça? Est-ce que vous pouvez faire une moyenne? Un peu plus tard, elle fait part de ses exigences très précises concernant la façon d‘arrondir les nombres obtenus à la suite du calcul de la moyenne. La pertinence d‘utiliser cette moyenne et le sens de la réponse obtenue ne sont pas discutés. 6 A noter qu‘ici, les élèves ont fait une erreur de calcul, probablement due à une erreur au niveau de la retenue. La somme correcte devrait être de 1427 chansons pour 4,1 Go. 179 GDM 2010 – COMMUNICATIONS Les décalages Ainsi, l‘enseignante semble s‘attendre à l‘utilisation d‘une méthode spécifique et à une réponse précise sans discussion sur la pertinence des méthodes ni sur le sens à donner aux réponses obtenues. Le contexte, avec ce qu‘il est pertinent de faire dans ce contexte, n‘est pas non plus pris en considération. Du côté de l‘élève, différentes méthodes sont mises en œuvre et des réponses approximatives sont envisagées. Par ailleurs, certains vont directement référer au contexte de la vie réelle, comme nous le voyons dans l‘extrait ci-dessous : Élève : Est-ce que la couleur a un rapport là dedans ? Enseignante : Non Élève : Est-ce qu‘il y a des iPods gris qui ont moins de chansons ? Des iPods de couleur… Cette élève se réfère probablement à la dernière génération d‘appareils, de couleurs différentes et plus performants que les anciennes versions grises ou blanches. Il y a donc décalage entre l‘activité potentielle que révèle une analyse a priori du problème et l‘activité attendue par l‘enseignant ; il y a décalage également entre l‘activité attendue par l‘enseignant et l‘activité de l‘élève. Quant à l‘activité effective des élèves, on peut constater que ceux-ci se situent souvent dans le champ d‘action possible que permettrait l‘énoncé du problème. S‘ils se font rediriger par l‘enseignante, ce n‘est souvent pas parce qu‘ils se situent à côté de l‘énoncé, mais parce que leurs actions ne correspondent pas aux attentes de l‘enseignante. CONCLUSION Les problèmes soumis aux élèves, tels qu‘énoncés, sont porteurs d‘activités potentielles chez les élèves. Dans le cas analysé, le potentiel d‘activités apparaît plus grand que l‘activité qui est attendue des élèves par l‘enseignant. Comme le montre l‘analyse, des indices nous permettent de dire que l‘enseignante réduit le champ des possibilités. Le décalage observé est lié, en partie tout au moins, aux caractéristiques du problème et en particulier à son ancrage dans le réel. Cet ancrage dans le réel oblige à réfléchir sur les outils les plus appropriés pour répondre aux questions posées ce qui n‘est pas fait. Ainsi, nous pouvons dire que l‘utilisation d‘une méthode consistant à trouver l‘espace d‘une chanson, le fait qu‘il faille donner une réponse précise et le fait qu‘il ne faut pas considérer les aspects du contexte, par exemple, sont des attentes implicites de l‘enseignante, au départ, pour le problème. Nous pouvons traduire ces attentes implicites en deux implicites plus généraux : Le contexte n‘est pas à prendre en considération dans la résolution du problème Le choix des outils mathématiques ne se discute pas Le premier, rejoint les résultats de Knipping, Reid & Gellert (2009) comme quoi le contexte est subordonné aux mathématiques à enseigner. Le deuxième est lié à l‘activité mathématique de modélisation qui est complètement absente la discussion dans l‘activité de classe analysée. Dans cette tendance que l‘on observe dans les programmes d‘études, à valoriser l‘utilisation de contextes de la vie de tous les jours dans les problèmes proposés aux élèves, il apparaît important 180 Claudine Mary et Laurent Theis de se pencher sur la question avec les enseignants qui participent à nos formations compte-tenu de l‘orientation des formations données pas le CREAS. Pour la suite des travaux, nous nous proposons de poursuivre l‘analyse de notre corpus de données pour répondre aux questions suivantes : Les décalages sont-ils toujours dans le même sens (celui d‘une réduction du potentiel en termes d‘activité)? Peut-on tous les interpréter en termes d‘implicites? Si oui, ces implicites sont-ils toujours les mêmes? En terminant, précisions que les médiations de l‘enseignante, consistant à suggérer la méthode à utiliser ou à exiger une réponse précise, peuvent être interprétées comme une façon de réduire le décalage entre ce qu‘elle attend et ce que l‘élève fait pour solutionner une difficulté d‘enseignement ou pour répondre au besoin d‘avancement du temps didactique. Toutefois, nous faisons l‘hypothèse que dans cette situation-ci, le décalage le plus grand est entre le potentiel qu‘offre l‘énoncé et le problème tel que le conçoit l‘enseignant. Ce décalage pourrait être spécifique au type de tâches en jeu, des tâches complexes avec ancrage dans le réel. RÉFÉRENCES BERNSTEIN, B. (2007). Pédagogie, contrôle symbolique et identité : théorie, recherche, critique. Québec : Presses de l‘Université Laval. BROUSSEAU, G. (1996). Fondements et méthodes de la didactique des mathématiques. In J. Brun (éd.): Didactique des mathématiques. Lausanne : Delachaux et Niestlé (45-143). 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Nos projets de recherche en cours, centrés sur le développement d‘approches possibles de formation mathématique des enseignants en lien avec leur pratique professionnelle, nous ont amenés graduellement à nous intéresser à la nature des mathématiques mobilisées par les enseignants au travail. Nous revenons plus particulièrement dans ce texte sur une des caractéristiques de ces mathématiques au travail (leur caractère situé et leur ancrage en contexte), en montrant plus spécifiquement comment le contexte agit comme une ressource structurante des significations mathématiques élaborées par l‘enseignant dans l‘action. INTRODUCTION Les programmes de formation des enseignants au Québec, dans leurs intentions tout au moins, ont repris clairement à leur compte une visée de professionnalisation, en insistant sur la reconnaissance du caractère professionnel de l‘acte d‘enseigner. La formation d‘un professionnel de l‘intervention en enseignement des mathématiques se veut ainsi le pivot central d‘une formation professionnelle initiale universitaire de 4 ans. Cette finalité n‘est pas sans conséquences, comme nous l‘avons montré antérieurement (Bednarz et Perrin-Glorian, 2003) sur les diverses composantes de cette formation. Elle suppose notamment que soit pensée l‘articulation de ces diverses composantes avec la pratique professionnelle du futur enseignant. La composante mathématique de cette formation, en particulier, n‘échappe pas à ce besoin d‘articulation. Répondre à la visée de professionnalisation renvoie ainsi dans ce cas à un certain nombre de questions: quelles mathématiques (autant sur le plan du contenu que des pratiques) sont pertinentes pour la formation d‘un futur professionnel de l‘intervention en enseignement des mathématiques ? Comment penser l‘articulation de cette formation avec la pratique professionnelle d‘enseignement des mathématiques de ces futurs enseignants? Quelles approches sont possibles pour « rapprocher » cette formation mathématique de la pratique professionnelle en enseignement des mathématiques?1 Ce questionnement est au centre de nos intérêts de recherche et de projets de recherche en cours (Bednarz et Proulx, 2010 ; Proulx et Bednarz, 2009, 2010-b). Nos réflexions nous ont conduit progressivement à voir la nécessité de mieux cerner la spécificité des mathématiques mobilisées par les enseignants, telle qu‘elles se vivent au quotidien de leur travail, et ce de manière à pouvoir fonder à plus long terme des approches possibles de formation (initiale et continue) mieux 1 Les analyses que nous avons conduites antérieurement mettent en évidence, avec d‘autres chercheurs dans le monde, les discontinuités, voire les ruptures, entre les expériences mathématiques que vivent les futurs enseignants dans cette formation et les expériences mathématiques qu‘ils auront à vivre dans leur pratique professionnelle (Proulx et Bednarz, 2010-a; Moreira et David, 2005, 2008). Nadine Bednarz et Jérôme Proulx articulées sur cette pratique professionnelle. C‘est sur ce travail parallèle de conceptualisation (en cours) que nous revenons dans cet article. 1. UNE PREMIÈRE L’ENSEIGNANT CONCEPTUALISATION DES MATHÉMATIQUES DE On pourrait être tenté de faire la correspondance entre les mathématiques de l‘enseignant (celles qu‘il mobilise au travail dans ses différentes tâches) et les mathématiques qu‘il enseigne aux élèves (le contenu du curriculum qu‘il aborde), puisque sa fonction première est celle d‘enseigner les mathématiques aux élèves. Ces mathématiques scolaires agissent bien sûr comme ressource structurante (Lave, 1988) dans cette pratique mathématique des enseignants au travail, comme nous le verrons dans les illustrations reprises par la suite, mais elles ne sont en aucun cas restreintes à celles-ci. La réflexion que nous avons amorcée sur ces mathématiques mobilisées en contexte de travail par l‘enseignant nous a conduit à une première conceptualisation de ce que signifie « connaître et utiliser les mathématiques dans l‘enseignement des mathématiques» (Bednarz et Proulx, 2009-a). Cette conceptualisation, dont nous reprenons ci-dessous les grandes lignes, prend appui sur des données issues de recherches collaboratives menées depuis plusieurs années avec des enseignants (voir entre autres Bednarz, 2004, 2009 ; Saboya, 2010), qui permettent de mettre en évidence les connaissances et pratiques mises à contribution par les enseignants dans l‘élaboration, la réalisation de situations d‘enseignement ou le retour sur celles-ci. Quatre caractéristiques fondamentales de ces mathématiques au travail ressortent de cette analyse. (1) Le caractère imbriqué de ces connaissances. Pour l‘enseignant, une situation donnée puise simultanément à diverses ressources : didactiques, pédagogiques, mathématiques, voire même institutionnelles. Ces dimensions sont constamment prises en compte dans la compréhension de la situation par l‘enseignant, faisant ressortir le caractère imbriqué des connaissances mathématiques mobilisées, qui ne sont jamais seulement mathématiques. (2) La nature de ces connaissances, de l‘ordre d‘un savoir-agir ou de connaissances-en-acte. Ce sont des connaissances qui se déploient et se développent dans l‘action en lien avec les tâches effectives réalisées par l‘enseignant (par exemple, le choix de problèmes et d‘activités à donner aux élèves; la mise en route d‘une activité par les élèves; le choix de productions des élèves à des fins de retour sur celles-ci; le retour collectif sur les solutions; ou encore la correction de devoirs ou travaux d‘élèves). (3) Le caractère situé de ces connaissances. Pour l‘enseignant, une situation mathématique est toujours enracinée dans un contexte d‘enseignement et d‘apprentissage et est interprétée tout naturellement en lien avec ce contexte. (4) Le caractère imprévisible et émergent de ces connaissances, nécessitant pour l‘enseignant la capacité de réagir sur le moment (ce que Mason et Spence, 1999, appellent « knowing-to act in the moment »). L‘enseignant est appelé à s‘adapter en temps réel à la situation, il doit s‘inventer des réponses sur le coup, lorsque par exemple il interagît avec les élèves sur leurs questions et compréhensions ou lorsque la dynamique de classe l‘oblige à sortir de sa planification habituelle. C‘est sur la nature située de ces mathématiques au travail, sur l‘ancrage des significations mathématiques élaborées en contexte, que nous nous attardons plus particulièrement dans la suite de ce texte. 183 GDM 2010 – COMMUNICATIONS Les données utilisées comme illustration pour montrer cet ancrage en contexte des connaissances mathématiques des enseignants, et le rôle que joue le contexte, proviennent de deux sources : d‘une part, des extraits provenant d‘une recherche collaborative qui nous permettent d‘entrer sur les mathématiques mobilisées en action dans une situation d‘enseignement en classe (Saboya, 2010) ; d‘autre part, un extrait provenant d‘un projet de recherche-formation (en cours) avec un groupe d‘enseignants du secondaire, qui nous permet de mettre en évidence les mathématiques sous-jacentes aux choix professionnels que font les enseignants au quotidien de leur pratique. 2. UN ANCRAGE DES SIGNIFICATIONS MATHÉMATIQUES EN CONTEXTE : DEUX ILLUSTRATIONS Les deux illustrations suivantes visent pour nous avant tout à sensibiliser le lecteur à la nature des mathématiques mobilisées in situ par l‘enseignant. Toutefois, des précautions s‘imposent d‘entrée de jeu. Le lecteur se doit, pour pouvoir véritablement se prêter au jeu auquel nous voulons le convier, de prendre une distance par rapport à des a priori susceptibles d‘être des obstacles à cette entrée. En premier lieu, il nous semble important que le lecteur évite de porter un regard sur l‘élève et son apprentissage au regard de ce qui est enseigné. Nous ne sommes en effet pas du tout sur l‘élève, c‘est plutôt l‘enseignant qui nous intéresse dans cette analyse et notre analyse porte sur les connaissances qu‘il mobilise dans cette activité professionnelle in situ. En deuxième lieu, le lecteur doit aussi éviter d‘avoir un regard a priori sur les contenus mathématiques travaillés à l‘intérieur des extraits cités : il ne s‘agit pas en effet pour nous de juger de la pertinence ou de la « qualité » des mathématiques activées au travail par l‘enseignant, mais bien d‘en comprendre leur nature. 2.1 Une première illustration : le travail des exposants La première illustration est issue d‘une recherche collaborative portant sur l‘élaboration de situations d‘enseignement visant le développement d‘une activité de contrôle en mathématiques (Saboya, 2010). Elle reprend deux vignettes d‘enseignement autour du travail sur l‘écriture exponentielle. Nadia, l‘enseignante de secondaire 3 impliquée dans cette recherche a donné à ses élèves différentes expressions avec des exposants à simplifier. Nous revenons ci-dessous, en parallèle, sur le retour en classe sur deux de ces exercices, de manière à mieux dégager par la suite la nature des connaissances-en-acte mobilisées dans ce retour. Extrait 1 (Retour avec les élèves sur 10 5 10 8 10 ) 10 2 Laure : Bon, je ne suis pas certaine, mais ce que je ferais est 10 à la 5, donc 5 moins 2 puis 8 moins 2 puis 10 … 10 à la 1 moins 2. Maintenant, je ne peux pas les mettre ensemble parce que c‘est des additions parce que la loi des exposants 184 Extrait 2 (Retour avec les élèves sur 10 4 10 5 ) 10 2 10 3 10 4 10 5 Nadia : 2 , on ne peut rien faire 10 10 3 avec ça. Ça reste comme ça, on ne peut rien faire. Lidia : Pourquoi ça ne… Nadia : Quand c‘est des « plus » qu‘il y a Nadine Bednarz et Jérôme Proulx ne marche pas, donc ça ferait 10 à la 3 plus 10 à la 6 plus 10 à la moins 1. entre les deux on laisse ça comme ça, on ne peut rien faire. Marc : Est-ce qu‘on peut écrire 1013? France : On peut séparer… D’autres élèves : Non parce que c‘est des « plus ». Nadia : Non on ne peut pas séparer ça… Nadia : Tu vois il y a un plus, et qu‘estce qu‘on avait dit dans ce temps là « il y a un "plus" qui gâche le party. » Le plus m‘empêche de tout mettre ensemble. Marie : Est-ce que ça ça veut dire que 10 5 108 10 c‘est égal à 2 2 2 ? 10 10 10 Nadia : Quand j‘ai quelque chose comme ça (elle montre le deuxième morceau), quand j‘ai une somme de ce genre sur un dénominateur, c‘est comme si j‘avais coupé la fraction en trois. Dans le fond ici c‘est le même principe : 10 5 10 8 10 10 5 10 8 10 2 2 2. 10 2 10 10 10 Fred : Au lieu de 1/10 on pourrait écrire « – 10 ». Nadia : Vous voyez, il y en a qui ont commencé à dire que c‘est « – 10 » ou que c‘est « moins quelque chose ». C‘est pour ça que je ne veux pas d‘exposants négatifs, parce que vous vous trompez et ça ne marche pas. France : Ah non? Nadia : Là si tu le sépares ça fait 10 4 10 5 . Ça veut dire que lorsque tu 10 2 10 3 additionnes des fractions, tu additionnes en haut et en bas. Est-ce qu‘on a le droit? France : Non. Nadia : Non, donc quand tu sépares ça en deux, c‘est ça que tu fais. Anne-Julie : Mais est-ce qu‘on peut 10 4 faire juste 2 ? 10 Nadia : Non. Qu‘est-ce que tu fais quand 10 4 10 5 tu fais ça là 2 3 . C‘est ça que tu 10 10 as fait Anne-Julie? Anne-Julie : Oui. Nadia : Ça ne marche pas ça, parce que quand tu me dis que tu additionnes deux fractions, tu additionnes en haut et tu additionnes en bas. Carmen : Mais elles sont additionnables les fractions. Nadia : Elles sont additionnables, mais uniquement lorsqu‘elles ont le même dénominateur. Ces vignettes permettent de faire ressortir les connaissances-en-acte, imbriquées, mobilisées par l‘enseignante dans ce retour en classe : (1) Un regard dans l’action sur le type d’expression numérique/algébrique en jeu et sa structure (focalisant sur la structure additive de celle-ci, et pas seulement multiplicative), guidée par une sensibilité de l‘enseignante aux erreurs des élèves – des erreurs que l‘on voit effectivement apparaître dans les deux extraits (voir la question de Marc dans l‘extrait 1 ; voir aussi ce qui est avancé par France dans l‘extrait 2 avec l‘idée de « on peut séparer… »). Ce regard sur la structure additive de l‘expression apparaît à différents endroits dans les deux vignettes (voir extrait 1 « il y 185 GDM 2010 – COMMUNICATIONS a un "plus" qui gâche le party », ou encore « ça ne marche pas ça, parce que quand tu me dis que tu additionnes… » dans l‘extrait 2). Il va amener Nadia, dans l‘action, à dire que l‘on ne peut simplifier l‘expression et que cela « reste comme ça » (voir extrait 2). Toutefois, ceci ne veut pas dire du tout que l‘enseignante ne voit pas que c‘est simplifiable ou qu‘elle ne perçoit pas la structure multiplicative sous-jacente. La discussion que Nadia aura avec la chercheure lors d‘une rencontre réflexive préalable à cette séance en classe le montre bien : a2 a3 Nadia explicitera à propos de 5 : a a2 a a2 . Et là on a4 a 1 a regarde est-ce qu‘on peut encore simplifier ? Je redivise encore par a. Je vais avoir 3 a 1 et là je ne peux plus rien faire. Et j‘ai toujours le « plus » qui est là, on ne peut plus simplifier. Moi je pense que cette approche permettrait de contourner le problème (sousjacent les erreurs que les élèves font avec la simplification d‘expressions)». « Je divise par a en haut et en bas mais j‘ai a 2 a 3 , donc ça va faire Sa décision, dans les vignettes ci-dessus, est en fait guidée sur le moment par son intention de prendre en compte les erreurs des élèves. La connaissance-en-acte mobilisée met ainsi en jeu des dimensions mathématiques et didactiques, fines et fortement imbriquées. (2) Une conceptualisation des expressions avec exposants par ailleurs guidée dans l’action par un parallèle avec les fractions (explicitée dans la décomposition additive de l‘expression dans l‘extrait 1, et dans la référence nécessaire à un même dénominateur dans l‘extrait 2). Ce parallèle sera d‘ailleurs confirmé dans la rencontre réflexive avec la chercheure. Nadia a retenu le parallèle avec les fractions comme quelque chose d‘intéressant. Elle teste alors cette explication sur un exemple : 10 4 10 5 10 4 10 5 10 4 10 5 10 2 10 2 10 4 ». , certains élèves vont écrire 10 2 10 3 10 2 10 3 10 2 10 3 Nadia précise ensuite qu‘il est possible d‘intervenir auprès des élèves sur l‘égalité fausse 10 4 10 5 10 4 10 5 de la façon suivante : 10 2 10 3 10 2 10 3 « Si on a « Ce ne sont pas des dénominateurs communs. Si on revient en arrière, vous êtes en train de dire que quand on additionne des fractions, on additionne les numérateurs et les dénominateurs entre eux ». (3) Un passage dans l’action entre les expressions numériques et algébriques, qui met en évidence des liens pour l‘enseignante entre ces deux domaines : elle s‘appuie sur une compréhension du travail sur les expressions numériques pour le travail sur les expressions algébriques, comme on le voit bien dans les extraits précédents. 186 Nadine Bednarz et Jérôme Proulx (4) Une prise en compte de notations possibles. On observe en effet dans l‘action le retrait temporaire (volontaire) de certaines notations par l‘enseignante, telle celle de l‘exposant négatif pour contrer là encore une erreur qu‘elle a repérée chez les élèves (voir extrait 1, « -10 » au lieu de « 1/10 »). Ainsi, ces extraits montrent bien que des connaissances imbriquées sont en jeu in situ. Les ressources activées pour réagir dans l‘action, sur le moment (aux questions d‘élèves, aux erreurs qui se manifestent, etc.) ne sont jamais que purement mathématiques : elles sont toujours imbriquées, au croisement donc de plusieurs dimensions. Des dimensions mathématiques et didactiques sont ici en jeu, elles forment un tout et ne sont pas du séparables pour l‘enseignante (voir aussi Proulx, 2008). Ces extraits permettent par ailleurs de montrer le rôle que joue le contexte, qui agit pour cette enseignante comme ressource structurante dans les pratiques mathématiques mobilisées en action. Le fait, par exemple, de décider dans l‘action (voir extrait 2) de ne pas simplifier, de ne pas aller plus loin, de ne pas faire apparaître un facteur commun est enraciné en contexte. C‘est le contexte, plus précisément ici les erreurs des élèves, qui façonne les décisions prises et les connaissances « mathématiques » mobilisées : un regard méta sur le type d‘expression numérique et algébrique en jeu et leur structure, leur développement, simplification possible s‘appuyant sur une analyse fine d‘un ensemble des erreurs. 2.2 Une deuxième illustration : la forme des expressions algébriques La seconde illustration provient d‘un projet de recherche-formation en cours. Les données sont issues d‘une des rencontres réflexives (au départ du projet) avec un groupe d‘enseignants du secondaire (9 enseignants de secondaire 1 à 5). Elle concerne une composante importante des mathématiques en usage au travail, soit celle des notations symboliques, et met de plus en évidence la délibération autour de choix professionnels dans lesquels des connaissances sont mobilisées concernant la façon d‘exprimer les expressions algébriques. Après avoir exploré un certain nombre de tâches autour des fractions, une discussion est initiée par deux enseignantes de secondaire 2 concernant une tâche d‘évaluation récemment passée aux élèves de secondaire 2 de leur école en lien avec l‘expression algébrique (2x 1) . Les enseignants 4 seront ici amenés à expliciter à ce propos ce qu‘ils voient sous les notations et leurs attentes d‘enseignants par rapport à leurs élèves. Marie (secondaire 2) : J‘aimerais qu‘ils m‘écrivent l‘expression (2x+1)/4 en utilisant le symbole de division (), parce que j‘ai travaillé avec eux en classe la division d‘un polynôme par une constante. Donc, je voudrais voir (2x+1) 4 = (2x4) + (14). Je m‘attendrais à ce que dans cette question d‘examen ils utilisent le symbole de division et qu‘ils fassent le passage (dans la notation) à la division. [Elle dira plus tard « je ne veux pas voir x2 dans un résultat, mais bien x/2 ». Et, dans l‘interaction avec les autres enseignants du groupe qui la questionnent sur ce choix, elle dira : « sauf dans les cas où nous avons x/2 x/3, je ne veux pas voir 2 3 1 4 parce là il y a une possible confusion pour les élèves s‘ils transforment le signe de division en barre de fraction (par 2 2 1 exemple, 3 est 3 4 et non 2 3 1 4 )» 1 4 187 GDM 2010 – COMMUNICATIONS Clara (secondaire 2 et 4) : J‘aimerais que les élèves dans cette question m‘écrivent ½x + ¼, parce que je veux préparer mes élèves à la forme générale utilisée pour la fonction linéaire. Déjà, à travers cette discussion, on peut entrevoir les réflexions engagées par les enseignantes d‘un même niveau scolaire autour d‘une notation en algèbre et de sa signification possible, justifiant des choix d‘aller vers tel développement plutôt que tel autre (barre de fraction, division, forme générale d‘une fonction linéaire, conventions d‘écriture en algèbre et en arithmétique, etc.). Ces significations sont profondément ancrées dans leur contexte de travail : la façon d‘exprimer le résultat est guidée soit par la finalité du travail en algèbre fait dans leur classe (par le travail sur la division de polynômes; par la préparation au travail ultérieur sur les fonctions linéaires) mais aussi par le besoin de prévenir une possible confusion de la part des élèves dans des notations plus complexes (telles x/2/x/3). Par la suite, les autres enseignants du groupe vont à leur tour réagir et expliciter les choix qu‘ils feraient comme enseignants concernant les réponses attendues/voulues chez leurs élèves. Cathy (secondaire 1) : J‘utiliserais aussi dans ce cas le symbole de division (), même si je n‘enseigne pas l‘algèbre comme telle en secondaire 1. Pour moi, le but serait que mes étudiants reconnaissent cette opération dans une telle notation et ses propriétés (2 51 1) 4 (2 51) 4 (1 4) . Sandra (secondaire 3) : Avec (2x 1) , je continuerais avec mes élèves. J‘écrirais 4 2x 1 x 1 parce que je veux qu‘ils voient le taux de variation dans l‘expression obtenue. 4 4 2 4 Jerry et Robert (secondaire 4 et 5) : J‘écrirais 2(x 1 2) pour mettre en évidence les paramètres à ces paramètres. et les transformations associées On peut voir de nouveau dans cet extrait comment les mathématiques mobilisées par les enseignants dans cette discussion, autour des notations algébriques, sont finement articulées sur leur activité professionnelle en contexte et sur leurs finalités comme enseignants. Les mathématiques de ces enseignants sont en quelque sorte façonnées par leur activité professionnelle. Ce contexte (référence à la situation d‘enseignement à un niveau donné, aux confusions possibles des élèves, aux aspects que l‘on veut mettre en évidence, etc.) agit comme une ressource structurante, qui façonne les connaissances mathématiques mobilisées in situ. Ce contexte est aussi façonné en retour par ce travail fait par l‘enseignant : le contexte n‘est pas statique et évolue. De plus, ce contexte fait ressortir la richesse des interprétations mathématiques possibles pour une même notation, alors que la perspective de chacun des enseignants met en évidence différents sens à une expression pourtant perçue comme étant simple : (2x 1) . On y 4 voit en effet apparaître la notion de division, de forme générale associée à une fonction linéaire, de taux de variation, de paramètres dans la notation et de transformations, de respect de conventions d‘écriture, etc. 188 Nadine Bednarz et Jérôme Proulx REMARQUES ADDITIONNELLES ET FINALES Les analyses précédentes nous montrent que les connaissances mathématiques utilisées en action par ces enseignants, pour manipuler des expressions numériques ou algébriques avec exposants (1ère illustration), ou en lien avec le travail sur les notations en algèbre (2ème illustration), font appel à une connaissance intime de l‘expression elle-même : sa structure (des expressions avec exposants avec additions ou non, avec additions ou non au dénominateur, impliquant des exposants négatifs, etc. ); sa signification possible lorsqu‘elle réfère à une notation fractionnaire (la division, les fonctions linéaires, le taux de variation, les paramètres, etc.) ; des significations construites en contexte inter-reliées à une connaissance des difficultés et des confusions possibles des élèves, à une sensibilité aux erreurs que font les élèves dans de telles expressions, à des intentions de prendre en compte ces erreurs, de les prévenir, ou à certaines finalités (mettre en évidence le taux de variation, le fait qu‘il s‘agit d‘une fonction linéaire, le besoin de respecter certaines conventions d‘écriture, etc.). Le fait par exemple que Nadia ne poursuive pas la simplification (extrait 2), même si cela eut été possible, est lié à l‘intention de prendre en compte certaines erreurs d‘élèves – ce qui change complètement l‘entrée mathématique et la nature des explications mathématiques offertes aux élèves. Cette intention façonne la façon dont elle agit, de sorte que la mise en évidence d‘un facteur commun au numérateur et au dénominateur ne sera pas utilisée, pas plus qu‘elle n‘ira vers le développement ou le calcul des exposants proposés. Nos résultats rejoignent ceux d‘autres études ethnographiques portant sur les mathématiques au travail, menées auprès d‘autres groupes professionnels (Noss et al., 2002, 1996 ; Pozzi et al., 1998). Ainsi, de la même façon que chez les infirmières, par exemple, les stratégies utilisées pour calculer le dosage de médicaments à administrer au patient sont ancrées dans une connaissance du médicament lui-même (type de médicament, contraintes d‘emballage, etc.), les connaissances en acte mobilisées chez les enseignants in situ sont intimement liées à leur activité professionnelle, à leur connaissance des élèves, aux intentions qu‘ils poursuivent, etc. Au coeur de la pratique professionnelle d‘un enseignant se trouve donc une connaissance spécifique, enracinée en contexte, et composée de dimensions multiples imbriquées. Une constante négociation entre l‘activité professionnelle de l‘enseignant et les mathématiques en usage y est présente, de sorte que les connaissances en acte mobilisées sont adaptées à la situation locale rencontrée. BIBLIOGRAPHIE BEDNARZ, N. (2004). Collaborative Research and Professional Development of Teachers in Mathematics. In M. Niss, E. Emberg (Eds.) 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Université du Québec à Montréal 190 Attitudes de futurs enseignants du primaire par rapport à la résolution de problèmes mathématiques : quelques résultats d’une recherche effectuée dans le cadre d’un cours de mathématiques à l’université Isabelle Arsenault Université de Moncton Caroline Lajoie GREFEM, UQAM RÉSUMÉ. Les attitudes qu‘adoptent les élèves à l‘égard des mathématiques sont parfois influencées par celles de leurs enseignants. Or, plusieurs recherches suggèrent que les attitudes des futurs maîtres du primaire à l‘égard des mathématiques sont souvent négatives, un constat que font aussi plusieurs formateurs. Nous nous sommes donc attardées à ces attitudes, plus particulièrement en fait à celles en lien avec la résolution de problèmes mathématiques, chez un groupe de futurs maîtres du primaire. Nous présenterons dans ce qui suit notre problématique, notre cadre théorique et notre méthode de recherche, pour ensuite présenter nos résultats de recherche et conclure. PROBLÉMATIQUE Les attitudes des futurs maîtres du primaire à l'égard des mathématiques dont font état les formateurs et les chercheurs sont souvent négatives. Ainsi, il n‘est pas rare de lire que de nombreux futurs enseignants du primaire trouvent les mathématiques difficiles, qu‘ils n‘aiment pas cette discipline ou encore qu‘ils ont une faible estime de leur compétence en mathématiques (Ball, 1990, Gellert, 2000, Philippou et Christou, 1998, Ruffell, Mason et Allen, 1998 et Theis et al., 2007). Plusieurs de ces formateurs et chercheurs vont même jusqu‘à suggérer que plusieurs futurs enseignants du primaire souffrent d‘anxiété dans les cours de mathématiques ou même qu‘ils présentent plusieurs signes d'une mathophobie sérieuse. Si ces attitudes sont préoccupantes, plusieurs des idées entretenues par les futurs enseignants du primaire à l‘égard des mathématiques le sont tout autant. Ainsi, il semblerait que pour plusieurs, les mathématiques consistent en un ensemble de règles et de procédures à appliquer, plutôt qu‘en une discipline où le raisonnement et la généralisation sont importants (Ernest, 1989 et Foss et Kleinsasser, 1996, dans Schuck, 1997). Suivant divers travaux de recherche, les attitudes qu‘adoptent les enseignants par rapport aux mathématiques influenceraient celles qu‘adopteront leurs élèves (Australian Education Council, 1991 et National Council of Teachers of Mathematics, 1989, dans Schuck, 1997, Phillips, 1973 et Aiken, 1970, dans McMillan, 1976). Ces attitudes joueraient un rôle aussi sur les pratiques d‘enseignement privilégiées (Bush, 1989, Ernest, 1988, dans Thompson, 1992, Gellert, 2000), des attitudes négatives entraînant souvent un enseignement axé davantage sur les règles et les procédures que sur la résolution de problèmes et la compréhension de concepts (Bush, 1989, Carroll, 1995 et Schuck, 1995, dans Gellert, 2000). GDM 2010 – COMMUNICATIONS La formation initiale apparaît comme un terrain propice pour modifier les attitudes des futurs maîtres. Cependant, comme le remarque (Bishop, 2001), la modification d‘attitudes n‘est pas facile et nécessite un certain temps. Certaines recherches suggèrent tout de même que la formation didactique et les stages peuvent avoir une influence sur les attitudes des futurs enseignants (Collier, 1972 et Hilton, 1970, dans Kulm, 1980, Reys et Delon, 1988, dans Philippou et Christou, 1998). D‘autres recherches suggèrent quant à elles que la résolution de problèmes mathématiques pourrait aider à diminuer le niveau d‘anxiété chez les étudiants, tout en aidant à augmenter la confiance en soi, la persévérance et l‘intérêt à l‘égard des mathématiques. La résolution de problèmes pourrait aussi aider les futurs maîtres à abandonner l‘idée que les mathématiques ne sont qu'un amas de règles apprises par cœur et pourrait permettre aux apprenants de chercher le pourquoi derrière des notions apprises (Mohammed Yusof et Tall, 1999, Owens et al., 1998 et Szydlik, Szydlik et Benson, 2003). Étant donné que la résolution de problèmes occupe une place importante dans les programmes d'étude actuels en mathématiques (MELS, 2001, 2004; MÉNB, 2000), nous avons cru bon nous attarder spécifiquement, dans le cadre de cette recherche, aux attitudes de futurs enseignants du primaire à l'égard de la résolution de problèmes. De manière plus précise, nous avons cherché, dans un premier temps, à prendre connaissance de ces attitudes et, dans un deuxième temps, à suivre l‘évolution de ces attitudes au fil d'un cours de mathématiques comportant une activité récurrente de résolution de problèmes. CADRE CONCEPTUEL Les concepts-clés que nous sentons le besoin de définir ici sont ceux d‘« attitude » et de « problème ». Pour ce faire, nous référons au travail d‘Arsenault (2008), qui s‘est elle-même inspirée de divers auteurs en didactique des mathématiques. Attitudes Selon Arsenault (2008), une personne adopte une attitude, de manière consciente ou non, à partir de ses connaissances et expériences antérieures, et cette attitude se manifeste dans son comportement : « (…) une attitude, selon nous, est un état d‘esprit, ce qui inclut les croyances, les perceptions et les sentiments, qu‘un individu adopte par rapport à une personne, une situation, une idée, un objet ou autre (Lafortune et St-Pierre, 1994). Cette disposition intérieure peut être influencée par ses expériences antérieures et ses connaissances (Allport, 1935) et elle se manifeste dans les comportements de la personne, qu‘ils soient favorables ou non (Lafortune et St-Pierre, 1994). Cependant, l‘individu n‘est pas toujours conscient des attitudes qu‘il adopte (Bloom, Hastings et Madaus, 1971, dans Kulm, 1980) » (Arsenault, 2008, p. 25). À l‘instar de Simon et Schifter (1993), nous considérons qu‘une attitude peut être d‘ordre affectif, cognitif ou social. Les attitudes d‘ordre affectif (telles que la joie ou la frustration ressentie en cours de résolution de problèmes) sont reliées aux sentiments, les attitudes cognitives (telles que l‘idée suivant laquelle la mémorisation est importante en résolution de problèmes) sont liées à des croyances et des perceptions, et les attitudes sociales sont liées en particulier aux relations avec les autres. 192 Isabelle Arsenault et Caroline Lajoie Problèmes La notion de problème apparaît dans plusieurs écrits en didactique des mathématiques. Si la plupart des auteurs s‘entendent pour distinguer un problème d‘un exercice, tous ne s‘entendent pas sur les conditions que doit satisfaire un problème (Lajoie et Bednarz, sous presse). Nous reprenons ici les conditions retenues par Arsenault (2008). Un problème peut précéder ou suivre l‘enseignement, tout dépendant si l‘apprentissage visé est en lien avec la construction de nouvelles connaissances mathématiques (Astolfi, 1993, MEQ, 2001, Pallascio, 2005), avec l‘établissement de liens entre des connaissances antérieures (Charnay, 1992-1993) ou avec l‘élaboration de nouvelles méthodes de résolution (Arsac, Germain et Mante, 1988, dans Charnay, 1992-1993). Un problème présente un défi à la portée de l‘élève (MEQ, 2001, Astolfi, 1993, MENB, 2000) et les moyens de la solution ne sont pas connus a priori de l‘élève (Astolfi, 1993, MEQ, 2001, NCTM, 2000). Quant aux conseils relatifs à l‘utilisation des problèmes dans l‘enseignement des mathématiques, nous retenons les suivants, qui ont été pris en compte dans le choix des problèmes utilisés dans la présente recherche. D‘abord, l‘élève doit faire face à des problèmes dont les contextes et contenus mathématiques varient (MEQ, 2001, MENB, 2000, NCTM, 2000), des problèmes aussi qui appellent différentes méthodes de résolution, des problèmes divers quant au nombre de leurs solutions (aucune, une seule, plusieurs, …) (NCTM, 2004, MEQ, 2004), et des problèmes enfin qui rendent possible la validation de la solution par l‘élève lui-même (plutôt que par l‘enseignant) (MENB, 2000, MEQ, 2001). MÉTHODE DE RECHERCHE Notre expérimentation a eu lieu au cours de la session d‘hiver 2006, dans un cours obligatoire de mathématiques destiné aux futurs enseignants du primaire à l‘Université de Moncton, au Nouveau-Brunswick. Ce cours est le deuxième d‘une série de quatre ou cinq cours obligatoires (dépendant de la spécialisation choisie par l‘étudiant, soit maternelle - 4e année ou 5e- 8e année). Quatre-vingt-quinze étudiants étaient alors inscrits au cours, et ils étaient répartis dans deux groupes, tous deux sous la responsabilité d‘une des chercheuses. Au cours de la session d‘hiver 2006, pour les besoins de notre recherche, une activité de résolution de problèmes a été intégrée à notre cours. Cette activité a pris la forme d‘un journal de bord dédié à la résolution de problèmes, que les étudiants devaient alimenter régulièrement, semaine après semaine, tout au long de la session. En fait, à chaque semaine, des problèmes étaient proposés aux étudiants et ceux-ci devaient les résoudre en laissant toutes les traces de leurs démarches dans leur journal de bord. De plus, les étudiants devaient aussi y écrire ce qu‘ils ressentaient en cours de résolution et ils devaient répondre à même leur journal de bord à quelques questions visant à connaître leur niveau de confiance en regard de chaque problème, leur appréciation des problèmes, le temps consacré à leur résolution, etc. Enfin, au début et à la fin de la session, deux questionnaires portant sur les attitudes affectives, cognitives et sociales ciblées lors de l‘élaboration du projet ont été intégrés au journal de bord. Ces questionnaires visaient, d‘une part, à faire prendre conscience aux étudiants de leurs attitudes à l‘égard de la résolution de problèmes, et, d‘autre part, à mieux percevoir de notre côté une évolution éventuelle de ces attitudes au cours de la session. Nous avons attendu que la session soit terminée pour solliciter la participation de nos étudiants à notre projet de recherche. Nous souhaitions ainsi que l‘activité soit perçue par nos étudiants 193 GDM 2010 – COMMUNICATIONS comme une activité d‘apprentissage plutôt que comme une expérimentation de recherche. Nous avons donc présenté notre projet de recherche à nos étudiants et nous avons sollicité leur participation à notre projet de recherche au cours de la dernière semaine de cours. Nous leur avons évidemment assuré le respect de leur anonymat et nous les avons informés que leur décision n‘aurait aucune influence sur leurs résultats. En tout, cinquante-sept personnes (sur une possibilité de quatre-vingt-quinze) nous ont laissé leurs écrits. Comme nous souhaitions réaliser une analyse en profondeur des journaux de bord, pour dégager en particulier des signes d‘évolution des attitudes des étudiants à l‘égard de la résolution de problèmes, nous avons dû faire un choix parmi tous les volontaires. Notre choix s‘est arrêté sur 11 étudiants. Selon leurs questionnaires avant et après, ces étudiants semblaient présenter des profils différents quant à la manifestation et à l‘évolution de leurs attitudes. ANALYSE Attitudes d’ordre affectif À la fin de notre expérimentation, environ la moitié de nos sujets affirment aimer la résolution de problèmes et certains d‘entre eux disent aimer la résolution de problèmes davantage qu‘ils ne l‘aimaient au début de la session. Cette augmentation de l‘appréciation de la résolution de problèmes pourrait probablement s‘expliquer en grande partie du fait que ces personnes ont connu des succès pendant la session. Les autres sujets, soit ceux qui affirment ne pas aimer, et même détester la résolution de problèmes à la fin de la session, expliquent qu‘ils se sentent ainsi parce qu‘ils éprouvent de la difficulté à résoudre les problèmes, parce qu‘ils trouvent que cette activité prend beaucoup de temps ou encore parce que cette activité demande beaucoup trop de logique. Nous avons toutefois remarqué que, dans la majorité des cas, ces attitudes négatives étaient déjà présentes au début de la session, ce qui nous fait croire qu‘elles n‘ont pas été engendrées par l‘activité de résolution de problèmes proposée dans le cours. Même si la moitié de nos sujets terminent leur cours en affirmant ne pas aimer, de façon générale, la résolution de problèmes, tous reconnaissent avoir aimé certains, et même plusieurs problèmes pendant la session. Les étudiants ont surtout aimé les problèmes qu‘ils ont trouvés faciles, ceux pour lesquels ils avaient confiance en leur solution et en leur démarche, ainsi que ceux qu‘ils ont pu résoudre rapidement. Certains problèmes ont aussi été appréciés parce qu‘ils étaient amusants, intéressants ou encore parce qu‘ils faisaient réfléchir. Dans des cas plus isolés, certains problèmes ont été appréciés parce qu‘ils représentaient des défis ou encore parce qu‘ils permettaient d‘apprendre quelque chose de nouveau. Si nos sujets affirment tous avoir aimé certains problèmes pendant la session, ils affirment tous aussi ne pas en avoir aimé d‘autres ! De manière générale, les problèmes les moins appréciés sont ceux que les étudiants trouvent difficiles, ceux pour lesquels ils ne parviennent pas à proposer une solution, ceux pour lesquels ils n‘ont pas confiance en leur solution et/ou en leur méthode, ainsi que ceux qui prennent plus de temps à résoudre. Certains étudiants mentionnent aussi ne pas avoir aimé résoudre un problème dont ils ont eu de la difficulté à comprendre l‘énoncé alors que d‘autres ne semblent pas apprécier les problèmes qu‘ils ne peuvent résoudre seuls. L‘appréciation d‘un problème semble donc souvent reliée au niveau de difficulté perçu par l‘étudiant, à la confiance qu‘il a en sa solution et/ou en sa démarche ainsi qu‘au temps qu‘il consacre à sa résolution. De manière générale, plusieurs sujets ont plus confiance en eux-mêmes à la fin de la session qu‘au début. La majorité d‘entre eux ont raison d‘être confiants puisqu‘ils ont résolu plusieurs 194 Isabelle Arsenault et Caroline Lajoie des problèmes correctement. Leur succès pourrait d‘ailleurs avoir eu un rôle à jouer sur l‘augmentation de leur niveau de confiance. Il y a tout de même deux personnes qui ont moins confiance en leurs moyens à la fin de la session qu‘au début de celle-ci, et deux autres qui ne se considèrent pas bonnes du début à la fin de la session. Pour chacun de nos sujets, le niveau de confiance exprimé à l'endroit d'un problème à résoudre fluctue selon les problèmes proposés. De manière générale, nos sujets ont confiance en leurs habiletés à résoudre un problème quand celuici leur semble relativement facile ou lorsqu‘ils ont une idée de la manière dont ils devront s‘y prendre pour le résoudre, tandis qu‘ils ont moins confiance lorsque le problème leur semble difficile. Certains étudiants semblent aussi avoir moins confiance lorsqu‘ils ont de la difficulté à comprendre l‘énoncé du problème. Quant au degré de familiarité avec un problème, un degré élevé de familiarité peut s‘avérer rassurant pour les étudiants lorsque ceux-ci se rappellent comment résoudre ce type de problème, mais il peut avoir l‘effet inverse lorsque les étudiants se souviennent que ce type de problèmes était difficile, ou lorsqu‘ils ne se souviennent pas d‘une manière dont ils pourraient le résoudre. En contrepartie, beaucoup d‘étudiants ont une faible confiance en leur solution et/ou en leur méthode lorsqu‘ils se sentent forcés d‘abandonner la résolution d‘un problème, lorsque leur solution n‘est pas la même que celle de leurs pairs, lorsqu‘ils sont conscients de ne pas avoir pris toutes les données du problème en considération, lorsque leur méthode de résolution n‘a pas été vue en classe ou lorsqu‘ils utilisent l‘essai-erreur, les observations ou la logique, moyens qu‘ils ne considèrent pas toujours comme des « méthodes » de résolution. Les étudiants expriment d‘autres sentiments pendant la session et ceux-ci varient d‘un problème à l‘autre et d‘une personne à l‘autre. Les sentiments plus « négatifs », tels que la frustration, le doute et la déception, sont exprimés dans les problèmes qui causent des difficultés aux étudiants. Les sentiments plus « positifs », tels que la satisfaction et la confiance sont exprimés quant à eux lorsque les étudiants éprouvent peu ou pas de difficultés à résoudre un problème ou lorsqu‘ils réussissent à surmonter une difficulté en cours de résolution. Nous avons remarqué aussi qu‘au cours de la session certains étudiants semblent devenir plus « indifférents » face aux problèmes proposés, surtout lorsque les problèmes en question ne leur causent pas de difficultés. En fait, nous avons remarqué que, de manière générale, les étudiants expriment davantage de sentiments au début de la session qu‘à la fin. Qu‘ils aiment ou non la résolution de problèmes, qu‘ils aient ou non confiance en leurs moyens, tous les étudiants tentent de résoudre tous les problèmes qui leur ont été proposés pendant la session. Cependant, tous ne semblent pas avoir le même degré de persévérance. En effet, certains travaillent plusieurs heures à la résolution de quelques problèmes et ils n‘abandonnent jamais avant d‘arriver à une solution tandis que d‘autres abandonnent quelques problèmes pendant la session, parfois en affirmant n‘y avoir travaillé que 30 minutes. D‘autres encore n‘abandonnent pas souvent, mais se tournent rapidement vers des collègues pour de l‘aide lorsqu‘ils n‘arrivent pas à résoudre le problème. À la fin de la session, personne ne se dit moins persévérant qu‘avant l‘expérimentation et plusieurs affirment même être plus persévérants. Il est possible que cette plus grande persévérance soit due au fait que l‘activité est évaluée dans le cadre du cours. Attitudes d’ordre cognitif Le fait que l‘activité de résolution de problèmes soit évaluée ne semble toutefois pas être l‘unique raison pour laquelle les étudiants persévèrent en résolution de problèmes. En effet, certains semblent vouloir trouver une solution aux problèmes pour leur satisfaction personnelle. Leur 195 GDM 2010 – COMMUNICATIONS persévérance est donc probablement influencée par ce goût d‘arriver à une solution valide. Cette idée de la recherche d‘une solution valide pour satisfaction personnelle est d‘ailleurs présente dans les réponses de certains étudiants au questionnaire final. En effet, lorsque questionnés sur l‘importance d‘obtenir une solution valide en résolution de problèmes, certains affirment que c‘est important pour eux parce qu‘ils aiment avoir une bonne réponse ou encore parce qu‘ils ont besoin d‘une bonne solution pour avoir l‘impression d‘avoir terminé le problème. Ces étudiants précisent tout de même qu‘ils savent que l‘aspect le plus important en résolution de problèmes n‘est pas la solution, mais plutôt le travail et le raisonnement, propos qui va rejoindre les idées de tous les autres étudiants. Cette idée, et le fait que la majorité des étudiants pensent encore moins qu‘avant que l‘importance en résolution de problèmes est d‘arriver à une bonne solution, a probablement été influencée par la faible importance accordée à la validité de la solution lors de la correction. Cette importance accordée ou non par les étudiants à l‘obtention d‘une solution valide pourrait avoir influencé les habitudes de vérification de certains de nos sujets. Ainsi, pour ceux qui accordent une importance au fait d‘obtenir une solution valide, la vérification de la solution devient pratiquement une habitude alors que pour d‘autres qui n‘y accordent que peu d‘importance, la vérification de la solution est effectuée de moins en moins souvent. Enfin, il est à noter que plusieurs étudiants affirment vérifier souvent leurs solutions, mais rares sont ceux qui précisent comment ils ont effectué ces vérifications ou encore qui laissent des traces de leurs vérifications. Selon ce que nous avons pu observer, les vérifications se limitent souvent à une validation auprès des pairs ou à une relecture de la démarche et de la solution. Les problèmes présentés pendant la session semblent avoir influencé l‘idée que plusieurs étudiants avaient du nombre de solutions qu‘un problème peut admettre ainsi que du nombre de méthodes avec lesquelles un problème peut être résolu. Nous avons toutefois remarqué que certains en sont venus à la conclusion que tous les problèmes admettent plus d‘une solution et/ou que tous les problèmes peuvent être résolus de différentes manières, ce qui n‘est évidemment pas le cas ! Attitudes d’ordre social Lorsque nous leur demandons s‘ils aiment ou non discuter de leurs solutions et de leurs méthodes avec leurs amis, plusieurs affirment effectivement aimer comparer pour voir s‘ils utilisent une bonne méthode et si la solution qu‘ils ont obtenue est la même que celle de leurs collègues. Certains mentionnent aussi aimer voir les différentes méthodes utilisées par leurs amis. Plusieurs étudiants affirment aimer davantage discuter de leurs solutions et méthodes à la fin de la session qu‘au début. De plus, lorsqu‘ils bloquent devant un problème, certains semblent aller voir leurs amis plus souvent qu‘avant et plusieurs vont voir l‘enseignante moins souvent qu‘avant. Même si plusieurs vont voir l‘enseignante moins souvent qu‘avant lorsqu‘ils bloquent, la majorité des étudiants qui affirment au début de la session que la compréhension de l‘énoncé est l‘un des aspects les plus difficiles vont voir l‘enseignante pour des précisions sur l‘énoncé d‘un ou deux problèmes pendant la session. Les difficultés de ces étudiants ne sont toutefois pas toujours reliées à l‘énoncé, parfois elles sont reliées au problème lui-même, aspect avec lequel l‘enseignante n‘aide qu‘au dernier problème de la session. À la fin de la session, environ la moitié de ceux qui trouvaient la compréhension de l‘énoncé difficile comparativement aux autres aspects de la résolution de problèmes au début de la session ont changé d‘avis à la fin de la 196 Isabelle Arsenault et Caroline Lajoie session. Il est possible qu‘ils trouvent l‘énoncé vraiment moins difficile à comprendre qu‘avant, mais il est aussi possible qu‘ils trouvent les autres aspects de la résolution de problèmes plus compliqués qu‘avant, ce qui diminuerait alors relativement la difficulté de la compréhension de l‘énoncé. CONCLUSION Notre recherche a aussi suscité chez nous d‘autres questionnements en lien avec les attitudes des futurs maîtres par rapport à la résolution de problèmes et à l‘enseignement à l‘aide de la résolution de problèmes. Nous présentons ci-dessous quelques questions portant sur les liens entre les caractéristiques d‘un problème et les attitudes des étudiants, sur l‘influence qu‘a le temps sur les attitudes et l‘évolution de celles-ci, et d‘autres questions portant sur les attitudes par rapport à l‘enseignement à l‘aide de la résolution de problèmes. Toutes ces questions proviennent du travail d'Arsenault (2008). Quelles caractéristiques d‘un problème influencent l‘appréciation que les futurs enseignants ont de ce problème? Quelles caractéristiques semblent influencer le plus les étudiants en ce qui a trait à la confiance qu‘ils ont avant de résoudre le problème? Les sentiments exprimés lors de la résolution d‘un problème semblent-t-ils être influencés par les caractéristiques du problème en question? En laissant un certain temps s‘écouler après notre recherche ou après une recherche similaire à la nôtre, est-ce les attitudes des futurs enseignants par rapport à la résolution de problèmes sont les mêmes que celles exprimées à la fin de l‘expérimentation ou, est-ce que, comme dans la recherche de Mohammad Yusof et Tall (1999), elles reviennent comme elles étaient avant l‘expérimentation? Est-ce que certaines attitudes qui ne semblaient pas avoir évolué immédiatement après l‘activité de résolution de problèmes ont changé avec le temps? Après un certain temps, est-ce que les étudiants ont les mêmes perceptions de leurs changements d‘attitudes que celles qu‘ils avaient immédiatement après l‘activité? Est-ce qu‘ils expriment les mêmes attitudes que celles exprimées lors de la résolution de problèmes spécifiques lorsqu‘ils sont questionnés par rapport à ces problèmes après avoir pris un certain recul? Quelles sont les attitudes des futurs enseignants du primaire par rapport à l‘enseignement à l‘aide de la résolution de problèmes mathématiques? Est-ce qu‘ils trouvent cela important? Pertinent? Comment se sentent-ils face à l‘idée d‘enseigner à l‘aide d‘une activité mathématique? Est-ce que leurs attitudes par rapport à la résolution de problèmes ainsi qu‘à son enseignement évoluent davantage lorsqu‘ils deviennent à leur tour, enseignants? En plus de retenir certaines pistes de recherche, nous retenons aussi de cette recherche quelques idées pour la formation des futurs maîtres du primaire. Tout d‘abord, notre analyse suggère que les attitudes des futurs enseignants ne sont pas aussi négatives que nous le pensions, et que la résolution de problèmes pourrait permettre de faire évoluer (du moins légèrement) celles qui le sont vers des attitudes plus positives. Si les attitudes affectives semblent difficiles à modifier, il nous apparaît tout de même pertinent, compte tenu de nos résultats, de proposer aux futurs maîtres du primaire des problèmes présentant différents niveaux de difficulté, pour que chacun ait l'occasion de relever des défis à sa portée et ainsi ressentir de la confiance et de la satisfaction. Comme nous l'avons vu précédemment, l‘accessibilité d‘un problème semble en effet influencer l‘appréciation de celui-ci. Selon nous, il est important pour les futurs maîtres de connaître des succès en résolution de 197 GDM 2010 – COMMUNICATIONS problèmes pour qu‘ils aient la chance d‘apprécier cette activité, et pour qu'ils adoptent éventuellement des attitudes positives à l'égard de cette activité mathématique qu'ils seront appelés éventuellement à exploiter avec leurs élèves. Les sentiments « négatifs » ainsi que les difficultés à surmonter ne sont toutefois pas à éviter complètement. D‘ailleurs, certaines personnes semblent davantage satisfaites lorsqu‘elles réussissent à résoudre un problème dans lequel elles ont éprouvé des difficultés et/ou exprimé de la frustration, du doute ou autres sentiments « négatifs ». Comme nous l'avons mentionné précédemment, le choix des problèmes n‘a pas seulement un impact sur les attitudes affectives des étudiants, mais aussi sur leurs attitudes cognitives. Certains affirment d‘ailleurs à la fin de la session qu‘un problème se résout toujours de plusieurs façons et d‘autres pensent qu‘un problème admet toujours une seule solution ou encore que le nombre de solutions dépend de l‘interprétation que fait le lecteur du problème. Il nous semble important de confronter davantage ces attitudes lors de la formation des maîtres pour que les étudiants soient conscients que certains problèmes ne se résolvent que d‘une seule façon et qu‘il y a des problèmes auxquels il est possible de trouver plus d‘une solution, mais indépendamment de l‘interprétation que nous en faisons. La pertinence de la généralisation en résolution de problèmes semble être une autre attitude cognitive sur laquelle il faut travailler avec les futurs enseignants puisque très peu ressentent le besoin d‘utiliser une généralisation pour montrer l‘unicité de leur solution et, même lorsque demandés, ils ont de la difficulté à faire une généralisation. La correction des résolutions de problèmes devrait aussi être faite minutieusement puisque celleci semble avoir une influence sur certaines attitudes exprimées par les étudiants. Après avoir remarqué que certains étudiants semblent accorder une moins grande importance à la validité de la solution à la fin de la session puisqu‘il n‘y avait aucune ponctuation attribuée à cet aspect de la résolution de problèmes dans le cadre de notre cours, nous pensons qu‘il est important d‘y attribuer une certaine importance lors de la correction. Quoique la démarche de la résolution de problèmes est importante, la validité de la solution ne devrait pas être banalisée par de futurs enseignants puisqu‘ils vont enseigner aux futurs médecins, ingénieurs et autres professionnels pour lesquels le résultat final est tout aussi important, sinon plus important, que la démarche utilisée pour s‘y rendre. Tout comme la validité de la solution, la vérification de celle-ci ne semble pas aussi présente que nous l‘aurions souhaité chez de futurs enseignants et elle se limite souvent à la relecture de la résolution ou encore à la validation par les pairs. Certains d‘entre eux mentionnent d‘ailleurs ne pas savoir comment vérifier leur solution. Il serait donc important dans la formation des maîtres de les aider à développer différentes stratégies de vérification puisqu‘ils devront eux-mêmes encourager leurs élèves à valider leur solution tout en les aidant parfois à le faire. Enfin, comme la résolution de problèmes est une activité d‘apprentissage aux yeux du Ministère de l‘éducation du Nouveau-Brunswick, du Ministère de l‘éducation, des loisirs et du sport (du Québec), et de nombreux chercheurs en didactique des mathématiques, et comme peu d‘étudiants mentionnent dans leurs écrits les apprentissages qu‘ils ont faits, nous pensons qu‘il serait bon de faire des retours en salle de classe pour conscientiser les étudiants aux apprentissages effectués ainsi qu‘à l‘utilité de la résolution de problèmes comme outil d‘apprentissage et de découverte en mathématiques. 198 Isabelle Arsenault et Caroline Lajoie ANNEXE – PROBLÈMES UTILISÉS Blocs Chantale s‘amuse à disposer des blocs sur une table de manière à former des rangées de même longueur. Lorsqu‘elle place les blocs en rangées de 5, il lui en reste 4. Lorsqu‘elle place les blocs en rangées de 4, il lui en reste 1. Comme elle n‘est pas satisfaite du résultat, elle décide alors de les disposer de manière à obtenir un carré. Cette fois, elle réussit! Si Chantale décidait maintenant de disposer ses blocs en rangées de 10, quel reste obtiendrait-elle? (Tiré d‘un examen du cours MAT101 - UQAM) Métiers Trois hommes ont chacun deux métiers. Le chauffeur blesse le musicien en riant de ses cheveux longs. Le musicien et le jardinier ont l‘habitude de pêcher avec Jean. Le peintre achète une bouteille de gin au médecin consultant. Le chauffeur courtise la sœur du peintre. Jacques doit 5$ au jardinier. Joseph bat Jacques et le peintre au jeu de palet. Un des trois hommes est coiffeur et pas deux exercent le même métier. Qui fait quoi? (Tiré de Mason, 1994, p. 155) Pommes Un vendeur vend des pommes. Se sentant généreux, il donne la moitié du contenu de son panier plus une pomme au premier étranger qu‘il rencontre, la moitié de ce qu‘il lui reste moins une pomme au second étranger et la moitié de ce qu‘il lui reste plus une pomme au troisième étranger rencontré. S‘il lui reste ensuite une seule pomme, combien en avait-il au départ? (Provient d‘un document manuscrit d‘Ivan Constantineau, UQAM – inspiré de Musser et Burger, 1991) Neuf points Joindre neuf points, disposés en un arrangement carré de trois fois trois points, par quatre segments rectilignes consécutifs, sans lever le crayon du papier ni repasser sur une partie du trajet. (Tiré de Mason, 1994, p. 95) Généalogie des abeilles Les abeilles mâles éclosent d‘œufs non fécondés. Elles ont donc une mère, mais pas de père. Les abeilles femelles éclosent d‘œufs fécondés. Combien d‘ancêtres de 12e génération une abeille mâle a-t-elle ? De ces ancêtres, combien sont des mâles ? (Tiré de Mason, 1994, p. 78) 199 GDM 2010 – COMMUNICATIONS Balances Sur une balance, je mets une cafetière, des assiettes, des bols et des verres. J‘obtiens trois équilibres représentés par les trois dessins suivants : 1 - Quel objet est le plus lourd? Quel objet est le moins lourd? 2 - Est-ce que cette balance est en équilibre? 3 - Ajoute ce qu‘il manque à cette balance pour atteindre l‘équilibre. (Tiré de Philippe Clapponi, 1992-1993) Fourmi sur l’élastique Une fourmi marche sur un élastique à partir d‘une extrémité. Elle parcourt 6 cm à la minute. Au repos, l‘élastique a 24 cm. Après chaque minute, l‘élastique est allongé uniformément de 12 cm. Il peut s‘allonger à l‘infini. La fourmi se rendra-t-elle à l‘autre bout de l‘élastique? Si oui, en combien de temps? Sinon, pourquoi? (Problème classique tiré des notes de cours MAT 1011, UQAM) 200 Isabelle Arsenault et Caroline Lajoie Âge de l’homme Un homme est resté enfant le sixième de sa vie; il a joué au hockey le douzième suivant (de sa vie); puis il s‘est marié après avoir passé un septième (de sa vie) de plus; il a eu une fille née cinq ans après son mariage; sa fille a vécu la moitié du temps de vie du père. Si l‘homme est mort 4 ans après sa fille, quel âge avait-il lorsqu‘il est mort? (Tiré d‘une banque de problèmes du cours MAT1011 – UQAM, inspiré du problème classique du Tombeau de Diophante) Théorème de Pythagore Le théorème de Pythagore est probablement le premier théorème appris à l‘école et peut-être même le seul. Il existe plusieurs preuves de ce fameux résultat mathématique. Certaines seront à la portée de vos élèves, d‘autres nécessitent des connaissances mathématiques plus avancées que celles qu‘ils possèderont. Toutefois, vous devriez être en mesure de présenter le « pourquoi » de ce théorème de plusieurs façons. Je vous demande donc de m‘expliquer une preuve visuelle du théorème de Pythagore, autre que celle qui est présentée dans votre livre, qu‘elle soit compréhensible par un élève du primaire ou non. (Notre problème) Verres Si nous voulions remplir un verre avec de l‘eau à un débit constant, 1cm2 par minute par exemple, il serait possible de dessiner le graphique de la hauteur de l‘eau dans le verre en fonction du temps. B A C 1 - Suppose que nous remplissions les trois verres A, B et C à un débit constant. Essaie d‘associer chaque verre avec le graphique qui correspondrait le mieux au comportement de l‘eau en fonction du temps. N‘oublie pas d‘expliquer clairement pourquoi tu as choisi un certain graphique plutôt qu‘un autre. 2 - Décris à quoi ressemblerait le verre associé au graphique qui n‘a pas été utilisé. (Problème et illustration tirés du site CAMI de l‘Université de Moncton, 2005) 201 GDM 2010 – COMMUNICATIONS Carrés d’un échiquier Combien de carrés un échiquier ordinaire a-t-il ? Qu‘en est-t-il pour un échiquier n par n ? (Réadaptation d‘un problème tiré de Mason, 1994, p. 15) Prédiction mystérieuse Inscris sur une feuille un nombre compris strictement entre 50 et 100. Ajoute 50 à ce nombre. Maintenant fais la somme du chiffre le plus à gauche avec le nombre formé des autres chiffres. (Exemple : avec une somme de 153, tu obtiens 1 + 53 = 54) 1. Tu enlèves ce dernier nombre obtenu, au premier nombre que tu avais inscrit sur ta feuille. Regarde bien... Tu viens d'écrire 49 sur ta feuille. Explique le fonctionnement de ce mystère. (Réadaptation d‘un problème tiré de Thérèse Eveilleau, 2005) Le nombre « 4 » Retrouvez tous les nombres de 0 à 10 en vous servant, à chaque fois, de quatre « 4 ». Vous pouvez vous servir de l‘addition, de la soustraction, de la multiplication et de la division. (Notre traduction d‘un problème tiré d‘Adams, 1989, p. 193) Casino Au jeu de dés, un joueur professionnel accepte de parier sur la sortie d‘un six en quatre coups, car il sait qu‘il y a 671 chances sur 1296 de sortir un six, contre 625 sur 1296 de n‘en sortir aucun. Par contre, le même joueur professionnel n‘acceptera pas de parier sur la sortie d‘un double six en 24 lancers de deux dés. Pourquoi? (Tiré des notes de cours MAT1011 – UQAM, problème classique du Chevalier Méré) BIBLIOGRAPHIE ADAMS, V. M. (1989). Affective Issues in Teaching Problem Solving: A Teacher‘s Perspective. In D. B. McLeod et V. M. Adams (éds.), Affect and Mathematical Problem Solving, A New Perspective. New York: Springer-Verlag. AIKEN, L. R. (1970). Attitudes toward mathematics, Review of Educational Research, 40, 551-596. ALLPORT, G. W. (1935). Attitudes. In C. Murchison (éd.), A Handbook of Social Psychology. 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Plusieurs recherches montrent l‘importance de cette composante dans l‘activité mathématique chez l‘élève et chez les mathématiciens, cette activité apparaissant également centrale dans le programme de formation. Suite à notre étude, différentes composantes du contrôle ont été cernées ainsi que des situations et des stratégies d‘intervention susceptibles de favoriser le développement d‘une activité de contrôle. Dans ce texte, nous proposons des approches possibles auprès des futurs enseignants afin de les sensibiliser à ce cadre de référence. INTRODUCTION Certaines tâches requièrent de la part des élèves, et ce, à différentes niveaux de scolarité, une activité de contrôle sous l‘angle d‘une vérification du résultat obtenu, la justification d‘un énoncé, d‘une proposition ou de la démarche adoptée dans un problème. Certaines de ces dimensions se retrouvent dans les travaux de chercheurs en didactique des mathématiques qui explicitent des difficultés des élèves pouvant être associées au contrôle qu‘ils exercent sous l‘angle d‘une attitude à se vérifier, à s‘engager de façon réfléchie dans une tâche et dans la capacité à choisir stratégiquement entre plusieurs possibilités (Richard, 1998; Coppé, 1993; Dib, 2000-01; Vivier, 1998; Chalancon, Coppé et Pascal, 2002; Artigue, 2002; Cortés et Kavafian, 1999; Bednarz et Janvier, 1992; Schmidt, 1994; Butlen et Pezard, 1990-91; Schoenfeld, 1985). Plusieurs études montrent l‘importance de ces composantes dans l‘activité mathématique de l‘élève (Balacheff, 1987; Artigue, 1993; Butlen et al., 1989) et chez les mathématiciens (Hadamard, 1975; Nimier, 1989), cette activité apparaissant également centrale dans le contexte scolaire (MELS, 2003, 2006). Ainsi, en didactique des mathématiques, nous rattachons l‘acquisition d‘une certaine rationalité1 mathématique présentée par Balacheff (1987) à la capacité d‘exercer un contrôle sur l‘activité mathématique, l‘élève y faisant appel à la raison. Pour ce chercheur, l‘importance d‘une conduite rationnelle chez l‘élève devrait occuper, dans l‘enseignement, le même statut que la construction de savoirs : « Très tôt, disons dès la sixième 2 , doit être posé le problème de l‘évolution des fondements rationnels de l‘activité mathématique des élèves en même temps, et avec le même statut, que celui de la construction des savoirs. » (Balacheff, 1987, p. 170). 1 La rationalité mathématique n‘est réductible ni à la démonstration ni à la logique. Comme présenté par Ourahay, Houdement et Hitt (2007) dans la présentation du thème 8 (Le développement de la rationalité au fil de la scolarité) lors du Colloque EMF2006 à Sherbrooke (Québec) : il n‘existe pas qu‘une rationalité, pur produit du raisonnement, mais « la rationalité s‘applique à des procédures aussi bien de pensée que de raisonnement. (…) La rationalité semble être un objet soit explicite, soit implicite de l‘enseignement des mathématiques. » (p. 1) 2 Les élèves qui sont en sixième ont 11-12 ans. GDM 2010 – COMMUNICATIONS D‘après Balacheff, on devrait ainsi, dans l‘enseignement, accorder la même place au processus de construction des connaissances mathématiques qu‘au développement de la rationalité de l‘élève, ce que nous pouvons associer au développement d‘une activité de contrôle. Dans notre recherche doctorale (Saboya, 2010) une analyse du concept de contrôle a été menée, il s‘en dégage différentes composantes. 1. UNE CLARIFICATION DU CONCEPT DE CONTRÔLE L‘activité de contrôle est associée à un processus qui se développe, se construit sur du long terme chez l‘élève. Le contrôle se traduit par : une réflexion de la part de l‘élève, sur toute action, sur tout choix tout au long de la tâche : au début, en cours ou à la fin de la résolution. la capacité à prendre des décisions de façon réfléchie, rationnelle. une prise de distance par rapport à la résolution. le recours aux fondements sur lesquels on s‘appuie pour valider. L‘analyse des recherches que nous avons menée confirme que dans une certaine mesure le concept de contrôle a été étudié sous plusieurs angles, même si tous les auteurs n‘utilisent pas explicitement dans leurs écrits le mot « contrôle ». Différentes composantes du contrôle sont mises de l‘avant qui ont été opérationnalisées dans l‘intervention que nous avons menée auprès d‘élèves du secondaire, l’anticipation, la vérification, la validation, l’engagement réfléchi, le discernement/choix éclairé, la perception des erreurs/la sensibilité à la contradiction et les métaconnaissances. Anticipation (Cipra, 1985; Coppé, 1993) Il s‘agit de poser une condition de validité du résultat avant de le connaître : une estimation de l‘ordre de grandeur, une anticipation de la nature du nombre obtenu, une analyse préalable des propriétés que doit posséder le résultat. L‘anticipation est liée à un retour sur la réponse en lien avec la question, le problème posé. Vérification (Richard, 1998; Cipra, 1985; Coppé, 1993; Hadamard, 1945/1975) Il y a deux types de vérification : Une vérification provenant d‘une anticipation, on anticipe le résultat et on exerce ensuite une vérification face au résultat obtenu pour le confronter à celui anticipé. Une vérification sans anticipation préalable, une fois le résultat obtenu on se pose les questions suivantes « a-t-il du sens dans le contexte? », « est-il conforme à ce qui est demandé? ». La vérification requiert un retour à la tâche, à la question posée. Elle peut porter sur la démarche, la méthode utilisée, le choix de la méthode utilisée, et/ou le résultat lui-même. Elle se manifeste à travers un questionnement sur le caractère pertinent de ce résultat, sur sa nature, sur sa forme globale. La vérification permet de dépasser le doute. 206 Mireille Saboya Validation (Perkins et Simmons, 1988; Lee et Wheeler, 1989) La validation s‘appuie sur des fondements (qui vont être explicités) qui permettent de juger du caractère vrai, faux, partiellement vrai de ce qui est avancé. Dans le cas d‘énoncés algébriques, elle se traduit par une coordination entre arithmétique et algèbre, par la capacité de passer d‘un cadre à l‘autre. Ce type de validation permet le développement d‘une sensibilité aux erreurs, aux difficultés. La validation peut également s‘exprimer à travers l‘utilisation d‘écritures équivalentes, une flexibilité dans le passage d‘une écriture à l‘autre; elle requiert un retour au sens des concepts en jeu. Engagement réfléchi (Kargiotakis, 1996; Margolinas, 1989) L‘engagement réfléchi peut s‘exprimer à travers : Une prise de distance, un arrêt devant la tâche, un esprit critique avant la résolution. Un retour aux fondements, une recherche de sens (savoir par exemple d‘où proviennent les conventions d‘écriture, les règles, les concepts en jeu). Une appropriation du problème en donnant du sens en contexte, faisant appel au choix d‘une interprétation du problème parmi d‘autres interprétations possibles. Un jugement réfléchi dans des contextes qui se prêtent à différentes interprétations possibles. Discernement / Choix éclairé (Krustetskii, 1976; Schoenfeld, 1985) Le discernement/choix éclairé se traduit par une capacité à choisir parmi différentes écritures et/ou différentes stratégies celle qui est la plus appropriée, la plus efficace et la moins coûteuse en temps en ayant préalablement écarté celles qui sont inappropriées. Perception des erreurs/sensibilité à la contradiction (Piaget, 1974) La sensibilité à la contradiction peut provenir d‘une anticipation déçue, d‘un effet de surprise face à un résultat qui ne correspond pas à celui attendu. Dans une classe, la sensibilité à la contradiction peut s‘exprimer à travers une mise en commun des résultats obtenus dans le groupe qui ne sont pas équivalents les uns des autres. Le dépassement de la contradiction est issu d‘un retour sur les concepts en jeu, sur leur signification. Métaconnaissances (Artigue, 1993; Lenfant, 2002) Les métaconnaissances sont le fruit : d‘une réflexion sur les connaissances, elles expriment un savoir sur la pertinence, l‘efficacité d‘une notion, d‘une écriture dans une tâche donnée. d‘une réflexion sur la combinaison de deux ou plusieurs connaissances qui débouche sur une connaissance plus élaborée. Ce cadre de référence sur le contrôle autour de ces sept composantes a servi dans notre expérimentation comme base pour l‘élaboration de situations susceptibles de favoriser une attitude de contrôle. L‘expérimentation a permis d‘opérationnaliser ces composantes autour de 207 GDM 2010 – COMMUNICATIONS l‘algèbre et plus particulièrement autour des exposants. À titre d‘exemple, la situation suivante requiert un engagement réfléchi et une vérification de la part de l‘élève. Abeilles3 Un essaim d‘abeilles compte environ 60 000 individus. Une pauvre petite abeille a attrapé une maladie contagieuse et mortelle, sans le savoir elle revient dans sa ruche. Cette maladie se propage au rythme suivant : tous les jours, chaque individu atteint transmet la maladie à 5 autres individus puis meurt. Dans combien de temps, l‘essaim sera-t-il complètement décimé? Nous pouvons remarquer que le contexte se prête à plusieurs interprétations et débouche sur plusieurs réponses possibles. Par exemple, on peut supposer que les abeilles meurent la journée où elles sont infectées ou alors qu‘elles meurent la journée d‘après, la réponse donnée au problème n‘étant plus la même. Ainsi, l‘élève s‘il s‘approprie le problème en donnant du sens en contexte, peut aller vers différentes interprétations, ce qui demande un certain engagement réfléchi. De plus, dans le cas où l‘élève cherche quel est l‘exposant de 5 donnant comme réponse 60 000 (le nombre total d‘abeilles dans la ruche), le nombre qu‘il va trouver est un irrationnel, ce qui oblige à une interprétation, à un retour sur la réponse et amène ainsi à une activité de vérification. L‘expérimentation que nous avons menée auprès d‘élèves de troisième année du secondaire autour des exposants a mis de l‘avant d‘autres composantes du contrôle propres à ce contenu, la flexibilité d’une écriture à l’autre et le contrôle sémantique et syntaxique. Flexibilité d’une écriture à l’autre La flexibilité d‘une écriture à l‘autre a été explicitée sur le terrain en termes de difficultés de contrôle dans le passage d‘une écriture à l‘autre. Par exemple les élèves ont ressenti de la 5 5 5 ; ; difficulté à voir l‘égalité entre ces écritures ou encore à être flexibles dans le 6 6 6 passage entre les registres de représentation décimal, verbal, fraction (0,008 c‘est 8 millièmes, on 8 peut l‘écrire ). 1000 Contrôle syntaxique / contrôle sémantique Pour Brousseau (1986), le contrôle syntaxique permet d‘appliquer les axiomes alors que le contrôle sémantique est relié à savoir de quoi on parle et « connaître les paradoxes attachés à certains usages pour les éviter » (Brousseau, 1986, p.43). Bednarz et Saboya (2007) et Kouki (2007) se sont intéressés quant à eux aux contrôles syntaxique et sémantique dans le contexte de résolution de problèmes en algèbre et de la résolution d‘équations. Le contrôle syntaxique est 3 Ce problème est tiré de Breton et Morand, 1995, p. 227. 208 Mireille Saboya défini comme la capacité à gérer des règles de transformation alors que le contrôle sémantique est attaché à la capacité à ne pas se détacher de la signification des grandeurs qu‘on manipule. À titre d‘exemple la tâche suivante requiert une activité de contrôle sémantique. Émilie a calculé 53, elle a trouvé 125. En te servant de ce résultat, elle te propose de relever le défi de trouver la valeur de chacun des nombres ci-dessous, sans faire de calculs. Es-tu capable de relever le défi? 53 (5) 3 (5) 3 (53 ) Le contrôle sémantique est attaché au sens, à la signification des exposants. Ainsi, trouver le signe de l‘expression (sans avoir recours au calcul) fait appel à un contrôle sémantique (exercé sur cette écriture, ce qu‘elle signifie) de la part de l‘élève : il faut ici par exemple distinguer le nombre (-5) multiplié par lui-même 3 fois, du nombre 5 multiplié par lui-même 3 fois, dont on prend ensuite l‘opposé. Cette tâche se distingue de celle qui suit par le type de contrôle exercé, un contrôle plus syntaxique est requis dans la tâche ci-dessous, il s‘agit de gérer des règles, on s‘éloigne ainsi de la signification et de l‘interprétation. Réduis, si possible, les expressions suivantes sans calculatrice en te servant des propriétés des nombres que tu connais. 1015 10 8 1010 10 2 5ab 15b 5b 2(3ab 2 6ab 4b) 2ab 2 3b 10 4 10 5 10 2 10 3 42 x 43 x 40 38 x 33 36 82 x 84 82 + 81 Le contrôle syntaxique est ainsi lié à un travail sur l‘écriture à travers l‘utilisation, l‘application de règles portant sur les lois des exposants et sur une flexibilité dans l‘utilisation de ces règles qui débouche dans certains cas sur différentes simplifications. Comme nous l‘avons vu, Balacheff (1987) souligne l‘importance de favoriser dans l‘enseignement le développement en parallèle du savoir et d‘une conduite rationnelle (qui se traduit pour nous par une activité de contrôle). Ce double enjeu, construction du savoir et développement d’une activité de contrôle nous a amené à élaborer des situations susceptibles de favoriser une activité de contrôle et à nous questionner sur les possibles interventions en classe pouvant favoriser le développement d‘une activité de contrôle chez les élèves autour de ces tâches. Il ressort de notre recherche (Saboya, 2010) différentes stratégies d‘intervention susceptibles de favoriser une activité de contrôle. 2. DES STRATÉGIES D’INTERVENTION SUSCEPTIBLES DE FAVORISER LE DÉVELOPPEMENT D’UNE ATTITUDE DE CONTRÔLE Certaines recherches explicitent différentes stratégies d‘intervention favorisant une activité de contrôle (les auteurs n‘en parlent pas dans ces termes), donner du sens, renvoyer la validation aux élèves et faire des liens. Ces stratégies sont également présentes dans notre expérimentation. 209 GDM 2010 – COMMUNICATIONS Donner du sens / un contrôle sémantique « Donner du sens » est un des principes porteurs d‘une activité de contrôle provenant de la pratique de l‘enseignante avec qui nous avons menée l‘expérimentation. Il est présent dans la mise en route d‘une tâche, l‘enseignante insistant sur la justification, sur l‘explicitation du « pourquoi ». De plus, Nadia reformule les tâches proposées en axant sur le sens comme on peut le voir dans l'exemple ci-dessous : Tâche initiale Sachant que x, y et z sont des nombres, dans chacune des expressions ci-dessous, attribue une valeur possible à ces lettres de manière à obtenir une égalité vraie. 2x . 2x . 2y = 210 215 . 210 = 2z 10x . 10y = 105 . 10z 5x = 56 . 56 10x = 106. 10y . 10z 33 = 3x. 3y . 3z Ce que la tâche est devenue Les égalités ci-dessous peuvent-elles être vraies? Explique pourquoi. Égalités vraies? Démarche 2x . 2x . 2y = 210 215 . 210 = 2z 10x . 10y = 105 . 10z 2x 20 2x (x + y)3 = x3 + y3 33 = 3x. 3y .3z Cette stratégie d‘intervention se manifeste également quand l'enseignante justifie chacune des a5 a2 a3 étapes de la simplification, les éléments implicites sont ainsi décodés ( 2 2 , le facteur 1; a a 1 l‘exposant 1 dans a a1 ). L‘enseignante relance également les élèves sur une autre validation que l‘utilisation de la calculatrice (les calculs versus le sens). Renvoyer la validation aux élèves Margolinas (1992) met de l‘avant l‘importance du rôle de l‘enseignant en lien avec la validation lors des phases de retour sur les solutions, de conclusion. Elle précise que la phase de conclusion est une phase d‘évaluation (et non de validation) quand l‘enseignant délivre un jugement de validité sans appel sur la réponse de l‘élève. Ce jugement n'appelle pas de réflexion de la part de l‘élève sur la validité de sa procédure, l‘élève sait tout de suite si sa procédure a marché ou pas, il n‘a rien à faire pour valider. C‘est quand la phase de conclusion se présente selon une phase de validation qu‘elle devient intéressante pour nous en ce qui a trait au développement d‘une activité de contrôle, l‘élève décidant lui-même de la validité de sa réponse et étant appelé à justifier 210 Mireille Saboya pourquoi ça fonctionne ou non. Il est alors amené à justifier son travail, à vérifier sa démarche et le résultat obtenu. Dans le cadre d‘une tâche dans laquelle différentes formules avaient été produites par les élèves, l‘enseignante présente en premier à la classe les formules erronées et force une validation de la part des élèves, elle renvoie à une explication, à une signification des formules « Comment peuton expliquer cette formule? Est-elle valide? Si oui, pourquoi? Et si non, pourquoi?». L‘enseignante favorise également des éclaircissements des propos des élèves pour les pousser à aller plus loin, pour mieux comprendre « Qu’est-ce que ça veut dire? » Elle reprend la question d‘un élève et la renvoie à l‘élève qui a produit la démarche en question, elle sensibilise les élèves au fait qu‘on ne peut pas dire n‘importe quoi, renforçant ainsi l‘importance de la justification. Faire des liens Margolinas (1992) distingue également la phase de bilan qui permet la formulation publique des méthodes de résolution par les élèves qui doivent formuler leurs stratégies. Les connaissances mises en œuvre par les élèves sont alors portées à la classe toute entière pour être discutées et validées. Dans l‘expérimentation nous pouvons remarquer que l‘enseignante dirige la discussion en classe en ayant préalablement repéré les stratégies utilisées, elle laisse la place à l‘argumentation, à différents points de vue en encourageant une discussion. Dans une telle phase, les élèves font des liens entre les différentes démarches ressorties. Au moment de l‘introduction des exposants négatifs, l‘enseignante exploite les réponses des élèves et les amène à faire des liens entre les différentes écritures proposées en axant sur le sens, sur un travail entre les différents registres de représentation (décimal, fraction, verbal), sur des écritures équivalentes. Ainsi l‘enseignante demande aux élèves comment calculer 5 -3. Plusieurs réponses sont avancées par différents élèves, l‘enseignante prend soin de toutes les noter au tableau sans se prononcer sur leur validité : Calculatrice : 0,008 1 divisé par 5 divisé par 5 divisé par 5 : 1 5 5 5 1 1 1 sur 5 à la 3, 1 sur 125 : 3 125 5 -125 5 divisé en 5 divisé en 5 divisé en 5, divisé en 5, cinq fois : 5 5 5 5 5 Une discussion a ensuite lieu dans la classe autour de la validité de ces formules, discussion menée par l'enseignante. Les élèves instituent la réponse 0,008 comme valide puisque donnée par la calculatrice, à partir de là un travail sur les écritures équivalentes et leur sens a lieu. Par exemple, le nombre décimal 0,008 s‘exprime comme 8 millièmes et peut s‘écrire 8 , 1000 fraction que l‘on peut réduire à 1 et comme 125 est équivalent à 53, il en ressort que 125 8 1 1 0,008 3. 1000 125 5 D'autres stratégies d‘intervention porteuses d‘une activité de contrôle sont ressorties après l‘analyse des données, l’effet clash, piquer la curiosité des élèves et tendre des pièges. 211 GDM 2010 – COMMUNICATIONS L’effet clash Il s‘agit de déstabiliser les élèves, de les mettre en doute de manière à forcer un retour sur la réponse (qui provient d‘une anticipation) et/ou un retour sur la tâche. Les élèves s‘attendent à quelque chose et ils sont surpris quand ce n‘est pas ce qu‘ils ont prévu qui sort. Piquer la curiosité des élèves Dans la tâche ci-dessous co-construite par l‘enseignante et la chercheure, Nadia pique la curiosité des élèves pour les pousser vers une stratégie plus efficace. Placement d’argent Émilien avait 18 ans quand il a commencé à placer son argent à un taux annuel de 10% par an. Combien d‘argent va-t-il avoir quand il aura pris sa retraite? Et s‘il meurt à 98 ans et qu‘il cotise jusque là quel héritage va-t-il laisser à ses enfants? L‘intention en proposant cette tâche était de pousser les élèves à trouver une façon rapide, efficace de calculer le montant obtenu après plusieurs années (en utilisant le fait que calculer le 10% d‘un nombre revient à multiplier par 1,1), à passer à une méthode générale, plus efficace (les élèves sont portés à calculer le 10% du premier montant, à l‘ajouter au premier montant, ils obtiennent ainsi un deuxième montant, ils calculent par la suite le 10% de deuxième montant auquel ils ajoutent ce deuxième montant et ainsi de suite. Pour piquer la curiosité des élèves et les pousser à rechercher cette méthode plus efficace et générale, l‘enseignante passe par une mise en scène où elle est debout face à la classe une calculatrice à la main s‘amusant à calculer le montant de l‘héritage quelle que soit la date du décès d‘Émilien, dates proposées par les élèves. Nadia : là je suis avec ma calculatrice et je fais (sans leur dire) « ok, 65 moins 18 ça fait 47 ans, fait que je fais 1,1 exposant 47… et là le gars il va avoir tant » et là je leur demande « est-ce que vous avez fini? » « mais là c‘est long! », « mais vous n‘êtes pas vite » et ça fait comme un clic et en plus je prends mon temps là. Je leur dis « l‘avez-vous la réponse? Vous n‘êtes pas vite! » Puis là il y en a un « mais là vous avez un truc ou vous l‘aviez faite d‘avance. » Et là je leur dis non, mais ça c‘est le fun qu‘ils pensent que je l‘ai fait d‘avance, alors je leur dis « mettons qu‘il prend sa retraite à 59 ans, mais que je ne le sais pas là. » Tu leur demandes « à quel âge est-ce qu‘il va prendre sa retraite? » Comme ça ils ne peuvent pas dire que j‘ai calculé d‘avance là ou que j‘ai un truc. Tendre des « pièges » L‘enseignante cherche à provoquer l‘erreur en présentant aux élèves des expressions qui ne « marchent » pas comme 5 2 53 . Elle cherche à travers cette stratégie à développer une sensibilité à l‘erreur chez les élèves. Il ressort ainsi de notre recherche, différentes composantes du contrôle, une panoplie de tâches, de situations et de stratégies d‘intervention susceptibles de favoriser une attitude de contrôle chez les élèves. Comme formateurs auprès de futurs enseignants du primaire et du secondaire, une appropriation du cadre de référence du contrôle chez nos étudiants est à privilégier. Mais comment procéder pour sensibiliser nos étudiants à ce cadre? 212 Mireille Saboya 3. QUELQUES PISTES D’APPROPRIATION DU CONCEPT DE CONTRÔLE PAR LES FUTURS ENSEIGNANTS Les résultats de notre recherche nous informent sur l‘émergence d‘un savoir nouveau venant éclairer une didactique d‘intervention visant le développement du contrôle sous différents aspects, un concept de contrôle explicité en lien avec la pratique; des problèmes, des exercices, des questions dont on précise les caractéristiques en lien avec le développement du contrôle et sur le plan de l‘enseignement, des stratégies d’intervention explicitées favorisant le développement du contrôle. Tout d‘abord une question importante à se poser est « Qu‘en est-il du développement d‘une activité de contrôle chez nos étudiants? Selon la tâche proposée, est-ce qu‘ils vérifient leurs résultats, leurs démarches, est-ce qu‘ils anticipent, est-ce qu‘ils possèdent de l‘engagement réfléchi, un contrôle sémantique et syntaxique?.... » Avant de les sensibiliser au développement d‘une activité de contrôle chez les élèves du primaire et du secondaire, il faudrait s‘assurer que nos futurs enseignants exercent du contrôle face à différentes tâches, situations, problèmes et/ou questions. Le choix de telles tâches par le formateur est essentiel et ce, quel que soit le concept mathématique choisi, ce sont des tâches susceptibles de développer une activité de contrôle. En s‘appuyant sur les différentes stratégies d‘intervention relevées dans la thèse, le formateur pourra ainsi favoriser une attitude de contrôle chez les futurs enseignants. Les étudiants sont à ce stade dans le rôle d‘élèves. À un autre niveau, une fois une certaine activité de contrôle mise en place 4, le formateur demanderait aux étudiants de se pencher sur l‘analyse des situations, activités, problèmes, questions qu‘ils ont résolus sous l‘angle du contrôle. Il s‘agira ici de faire ressortir à travers des exemples concrets les différentes composantes du contrôle travaillées. On place ici les étudiants dans le rôle de futurs enseignants. Les stratégies d‘intervention susceptibles de développer une activité de contrôle peuvent être mises de l‘avant en revenant avec les étudiants sur la façon dont le formateur a présenté les tâches, comment il les a récupérées afin de les sensibiliser aux gestes, aux décisions prises par le formateur, décisions qui ont un certain rationnel en arrière. Une autre possibilité serait de partir avec les futurs enseignants des tâches co-construites entre l‘enseignante et la chercheure. Dans notre étude, nous avons mené une recherche collaborative, des situations, tâches, questions, problèmes étaient tout d‘abord proposés par la chercheure à l‘enseignante. Celles-ci étaient pendant les rencontres enseignante-chercheure discutées et modifiées, on obtenait ainsi des tâches co-construites par les deux partenaires. Certaines de ces tâches initiales (telles que proposées par la chercheure) avec leurs tâches redéfinies (ce que la tâche est devenue après discussion) pourraient être proposées aux étudiants et on leur demanderait d‘analyser ces tâches et l‘apport des modifications sous l‘angle du contrôle. Nous pourrions également demander aux étudiants de construire par eux-mêmes ou de modifier des tâches, des situations, des questions afin qu‘elles permettent de développer une activité de contrôle. Une autre variante possible serait à partir d'une composante du contrôle de construire une tâche susceptible de travailler cette composante. Pour analyser les différentes stratégies d‘intervention susceptibles de développer une activité de contrôle, le formateur pourrait présenter aux futurs enseignants des transcriptions de séances en classe, transcriptions provenant de la recherche menée (Saboya, 2010). 4 La question sur les indicateurs de contrôle chez les élèves et étudiants n‘a pas été traitée ici. 213 GDM 2010 – COMMUNICATIONS Au-delà de la formation académique des futurs enseignants, le cadre de référence sur le contrôle et les stratégies d'intervention susceptibles de développer une telle activité pourraient être mis à contribution dans les stages au moment de la planification des leçons. Il ne reste plus maintenant qu‘à tenter ces pistes d‘appropriation dans la formation pour pouvoir étudier leurs apports et leurs limites. BIBLIOGRAPHIE ARTIGUE, M. (1993). Connaissances et métaconnaissances – une perspective didactique. Dans M. Baron A. Robert A. 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La tâche de l‘élève et l‘auto-contrôle. Revue française de pédagogie, 82, 61-64. 215 Évolution de l’utilisation des contextes dans les chapitres introductifs à l’algèbre dans les manuels scolaires québécois de 1960 à nos jours Guylaine Cotnoir Université de Sherbrooke RÉSUMÉ. Des travaux de recherche, tant théoriques qu‘empiriques, soulignent l‘importance de l‘utilisation des contextes dans l‘enseignement et l‘apprentissage des mathématiques Depuis les années 1970, le recours aux contextes est une recommandation de plus en plus forte dans les programmes d‘études. C‘est notamment, l‘une des orientations principales que l‘on retrouve dans le Programme de formation de l’école québécoise. À cet effet, nous nous sommes questionnés à savoir, comment au fil des réformes des ces dernières années, les contextes ont été exploités dans les manuels scolaires. Le chapitre introductif à l‘algèbre d‘un manuel par réforme, depuis la parution du programme-cadre, a été sélectionné sur la base du nombre de rééditions. Une grille de collecte de données étoffée nous permet de quantifier la présence des contextes et de qualifier le type de contexte également. Les résultats montrent une variation dans le recours aux contextes à travers les époques. On remarque un glissement quant à l‘utilisation des contextes dans ces manuels. CONTEXTE DE LA RECHERCHE L‘apparition soudaine d‘une grande quantité de textes dans les manuels scolaires de mathématiques des années 1990 nous a amenés à nous questionner sur la ou les raisons de cet effort évident d‘utilisation des contextes. Ces contextes se présentent sous la forme d‘histoires avec des personnages, des lieux et une action (Maurer, Lopez, Millette et De La Grange, 1994). Un peu plus tard, des recherches montrent l‘importance du recours aux contextes dans l‘enseignement et l‘apprentissage des mathématiques (Kurz et Batarelo, 2005; Li et Silver, 2000; Sharp et Adams, 2002). Plusieurs façons de mettre l‘élève en contexte et plusieurs fonctions attribuables aux contextes ressortent de l‘analyse de la documentation scientifique. Tout d‘abord, de nombreux auteurs constatent que bon nombre de connaissances mathématiques sont apprises sans pour autant être réutilisées par la suite par les élèves (Choi et Hannafin, 1995; Gravemeijer et Doorman, 1999). En utilisant les contextes dans l‘enseignement et l‘apprentissage de concepts mathématiques, les élèves développent des connaissances conditionnelles tout en réalisant les champs d‘application des concepts en appropriation. Certaines études montrent même que l‘utilisation de contextes permet de développer de nouvelles connaissances par les élèves (Sharp et Adams, 2002). Parallèlement, une analyse de la documentation officielle au Québec, du programme cadre au renouveau pédagogique, permet de voir des changements quant aux directives ministérielles en lien avec l‘utilisation des contextes. Le recours aux contextes, avant la venue du programmecadre, était axé sur l‘utilité des mathématiques dans la vie d‘un citoyen tandis qu‘avec ce programme, cette vision de l‘utilisation des contextes semble disparue (Bélanger, Gauthier et Tardif, 1993). Toutefois, nous remarquons une petite allusion au fait que les mathématiques trouvent des applications de plus en plus nombreuses dans les sciences (Gouvernement du Québec, 1969). Guylaine Cotnoir Ce n‘est pas avant les années 1980 qu‘apparaissent des directives plus précises quant au recours aux contextes pour amener les concepts. Selon ce programme, les enseignants doivent rechercher des mises en situation tirées de la vie courante, des situations concrètes. Ces directives se retrouvent également dans les programmes des années 1990. Nous y percevons toujours le même souci qu‘en 1980 en ce qui concerne l‘utilisation des contextes, en apprentissage des concepts mathématiques ainsi que lors de la résolution de problèmes, pas juste lors de l‘application des concepts (Gouvernement du Québec, 1981; 1993; 1994). Cependant, malgré la place accordée à la résolution de problèmes, le ministère de l‘époque (1993-1994), à l‘instar de celui de 1981, n‘élabore pas sur les contextes à utiliser. Ils ne qualifient pas les types de contextes. Aucune information, autre qu‘une ―situation‖ ou ―activité originaleˮ, ―variée‖ et ―concrèteˮ, ne guide le lecteur sur le genre de contextes à utiliser lors de l‘élaboration des problèmes ou des situations d‘apprentissage. Lenoir et Laforest (2004) avancent que l‘application de ces programmes relevait des commissions scolaires et que ces dernières ont éprouvé beaucoup de difficulté lors de leur application. Plusieurs enseignants ont ainsi continué d‘adopter une façon plus traditionnelle d‘enseigner. Selon Lenoir et Laforest (2004), des ressources didactiques manquantes pourraient venir expliquer en partie le fait que les enseignantes et les enseignants n‘aient pas adhéré aux prescriptions. Il semblerait donc que la mise en contexte de l‘enseignement et de l‘apprentissage, telle que prônée dans le discours officiel des années 1981 et 1993, ne se soit pas déroulé sans heurts. Nous reviendrons sur cette difficulté de mise en œuvre des programmes un peu plus loin. Avec le programme de formation des années 2000, l‘utilisation des contextes prend tout son sens tant pour la mise en œuvre des compétences disciplinaires et transversales, que pour l‘apprentissage des concepts à l‘étude étant donné l‘approche par compétence (Gouvernement du Québec, 2003). Nous venons de dresser le portrait des prescriptions ministérielles de 1970 à nos jours quant à la place accordée aux contextes dans l‘enseignement et l‘apprentissage des mathématiques. Il serait maintenant intéressant de se questionner sur l‘actualisation de ces directives par les enseignantes et les enseignants. Ainsi, nous aimerions savoir quelles ont été les modifications apportées à l‘enseignement des mathématiques durant ces différentes périodes. Il serait d‘autant plus intéressant de s‘y pencher puisque nous avons soulevé précédemment des difficultés quant à la mise en œuvre des directives ministérielles des années 1980 et 1990. Nous ne pouvons jeter un regard inquisiteur sur les pratiques enseignantes des différentes époques faute de matériel concret et pertinent. Cependant, il existe un témoin de ces années d‘enseignement, de ces nombreuses pratiques influencées ou non par les programmes ministériels: le manuel scolaire. Le manuel scolaire s‘avère un incontournable (Spallanzani, Biron, Larose, Lebrun, Lenoir, Masselter et Roy, 2001) et nous permet, en même temps, de découvrir une possible évolution. Dans le but de circonscrire le champ d‘étude, nous avons cerné un domaine des mathématiques à étudier et à documenter, soit l‘algèbre. Ce choix se justifie à différents égards. L‘enseignement et l‘apprentissage de l‘algèbre, matière nouvelle et difficile pour les élèves, se fait de façon plus symbolique comparativement à l‘apprentissage d‘autres concepts. Mais des recherches (Gravemeijer et Doorman, 1999; Kurz et Batarelo, 2005; Li et Silver, 2000; Sharp et Adams, 2002) tendent à montrer l‘utilité du recours aux contextes dans ce domaine mathématique et dans d‘autres également. Toutefois, peu de recherches se sont intéressées à l‘enseignementapprentissage de l‘algèbre dans les manuels scolaires. 217 GDM 2010 – COMMUNICATIONS Bien que ces recherches (Marchand et Bednarz, 1999; Spallanzani, Biron, Larose, Lebrun, Lenoir, Masselter et Roy, 2001; Ducharme-Rivard, 2007) soient des plus intéressantes, elles s‘éloignent de nos préoccupations à plusieurs points de vue. Premièrement, le regard des auteurs porte sur la structure mathématique sous-jacente des problèmes présentés aux élèves par ces manuels scolaires et non sur la place des contextes des problèmes. Une autre étudie les manuels utilisés au primaire, ce qui n‘est pas propice à l‘étude de l‘enseignement et de l‘apprentissage de l‘algèbre. Une autre demeure dans un autre domaine que le nôtre, soit l‘enseignement et l‘apprentissage de l‘arithmétique. À notre connaissance, il n‘existe pas d‘études qui portent spécifiquement sur l‘utilisation des contextes en algèbre à travers différentes époques (algèbre-contexte-évolution), ce qui, selon nous, justifie la pertinence de notre recherche dans les manuels scolaires québécois. Pour en apprendre davantage sur l‘utilisation des contextes en classe de mathématiques ainsi que sur les types de contextes proposés, le manuel scolaire s‘avère un inévitable et nous permet, en même temps, de découvrir une possible évolution de l‘utilisation des contextes que nous avons choisis de documenter à l‘aide des chapitres introductifs à l‘algèbre dans les manuels scolaires québécois de 1960 à nos jours. Dans le souci de répondre adéquatement à cette question, nous proposons au lecteur un cadre conceptuel visant à documenter l‘usage des contextes à partir de la documentation scientifique. CADRE CONCEPTUEL Kulm (1984) et Webb (1984) ont développé le concept de ―contexte‖ (context) qu‘ils distinguent du concept de ―contenu‖ (content). Le contexte du problème réfère à la forme de l‘énoncé du problème, à sa présentation. Caldwell (1984) et Kulm (1984) indiquent à ce propos que le contexte comprend la partie non mathématique du problème. Pour eux, de façon générale le contexte d‘un problème peut se présenter en trois éléments contextuels: la présentation, le contexte verbal et le contexte de la tâche. Quant au terme ―contenuˮ (content) de l‘énoncé d‘un problème, il réfère à l‘aspect mathématique de cet énoncé. Selon Webb (1984), l‘aspect mathématique regroupe quatre grandes subdivisions, soit : 1) le sujet mathématique sélectionné (mathematical topic) (arithmétique, géométrie, algèbre etc.), 2) les informations décrivant le champ d‘application du sujet mathématique choisi (field of application) (de la vraie vie, de la physique, de la chimie etc.), 3) les informations décrivant le contenu sémantique (semantic content) (mots clés, vocabulaire mathématique utilisé) et 4) les informations décrivant les éléments du problème (problem elements) (information donnée sur les relations, information sur le but: trouver, construire, prouver). Pour Webb (1984), le contenu réfère ainsi à la substance du problème, aux notions mathématiques abordées, à la sémantique mathématique de l‘énoncé, ainsi qu‘à la composition de l‘énoncé du problème contenant des directives sur le but du problème. 218 Guylaine Cotnoir Tableau 1 Représentation organisée des concepts de contexte et de contenu Symbolique Présentation Verbale Imagée Manipulation Contexte Contexte verbal Arrangement des éléments de personnages, de lieu et de temps Éléments nécessaires à la résolution Contexte de la tâche Indices Façon de répondre Contenu Sujet mathématique Arithmétique, géométrie, algèbre… Information décrivant le champ d‘application Chimie, biologie… 1 Information décrivant le contenu sémantique Mots-clés. Vocabulaire mathématique utilisé Information décrivant les éléments du problème Les relations, le but (trouver, construire, prouver…) Pour nous, le point 2 sur les informations décrivant le champ d‘application (field of application) du sujet mathématique, s‘apparente davantage au contexte qu‘au contenu. En effet, en décrivant un champ d‘application, on met en contexte le domaine mathématique abordé en le représentant dans un lieu, une action ou des personnages. Nous partageons le point de vue de Simpson et Zakeria (2004), qui, lors d‘une recherche empirique, présentent des problèmes de chimie physique à leurs étudiants dans le cadre du cours sur les fonctions différentielles et intégrales. Or, selon eux, le contexte est le thème abordé dans le problème, en l‘occurrence, la chimie. Pour sa part, Janvier (1990, 1991), avec l‘exemple d‘un schéma d‘un circuit électronique, contextualise en utilisant le domaine scientifique. Nous pensons que cette vision plus étendue du contexte d‘un problème (Janvier, 1990; 1991; Simpson et Zakeria, 2004), est plus actuelle étant donné la mise en place de la récente réforme de l‘éducation qui prône l‘intégration des disciplines et particulièrement celles des mathématiques et des sciences (Gouvernement du Québec, 2003). Ce programme axé sur le développement de compétences, tel que mentionné précédemment dans la problématique, se veut justement basé sur l‘utilisation de situations complexes, contextualisées et riches. Pour ce faire, l‘intégration d‘autres disciplines est à privilégier. Nous présentons dans le tableau 1 un résumé de ce que représente le contexte et le contenu tel que les auteurs Caldwell (1984), Kulm (1984) et Webb (1984) l‘entendent. En résumé, nous définissons le contexte d‘un problème comme étant la façon de présenter l‘énoncé (symbolique, verbale, imagée ou avec manipulations) (Caldwell 1984; Kulm, 1984; 1 Nous considérons cet aspect du contenu comme étant une forme de mise ne contexte de l’aspect mathématique. 219 GDM 2010 – COMMUNICATIONS Webb, 1984). Les situations qui y sont présentées peuvent être issues de la vie de tous les jours, de la vie du jeune, des mathématiques ou d‘autres disciplines scolaires. Ainsi, le contexte ne réfère pas uniquement au vocabulaire utilisé. Les fonctions attribuables aux contextes Nous avons également répertorié plusieurs fonctions principales attribuables aux contextes. Tout d‘abord, selon Huang (2004), Koedinger et Nathan (2004), en utilisant des contextes de la vie de tous les jours, les connaissances antérieures sont activées et permettent ainsi à l‘élève de s‘engager vers la solution appropriée. Le contexte sert donc de point de départ pour engendrer la mise en œuvre de la bonne stratégie de résolution, puisqu‘il active des schèmes de résolution déjà connus. Puis, d‘autres chercheurs (Cooper et Harries, 2002; Doerr et English, 2003; Forman et Steen, 2000) attribuent aux contextes, le pouvoir de provoquer et de déployer le raisonnement, c‘est-à-dire de permettre à l‘élève de justifier, d‘expliquer, d‘organiser et de créer à partir des contextes. Ensuite, des contextes amenés en début de séquence d‘enseignement favorisent la construction de connaissances par les élèves eux-mêmes (Doerr et English, 2003; Herrington et Oliver, 2000; Kurz et Batarelo, 2005; Kwon, 2002; Li et Silver, 2000; Nunokawa, 2005; Sharp et Adams, 2002). Par la suite, plusieurs auteurs s‘accordent à dire que le contexte permet de donner du sens aux concepts à apprendre (Cooper et Harries, 2002; Doerr et English, 2003; Pape, 2004; Sharp et Adams, 2002), aux procédures apprises (Simpson et Zakeria, 2004), aux nombres utilisés dans l‘énoncé (Koedinger et Nathan, 2004) et aux relations entre les concepts et les procédures (Doerr et English, 2003). Le fait d‘introduire les objets mathématiques dans une histoire avec des objets de la vie quotidienne permet à l‘élève de donner un sens à tous ces éléments mathématiques en mettant des mots, des images, des liens sur ces éléments disciplinaires. Ensuite, les contextes servent également dans l‘application des connaissances nouvellement acquises (Huang, 2004; Nguala, 2005, 2006; Nunokawa, 2005). Selon ces auteurs, ces contextes doivent être nombreux, variés et se retrouver en fin de séquence d‘enseignement. Ajoutons à cela une autre fonction qui se concentre plus particulièrement sur la discipline, celle de montrer l‘utilité des mathématiques dans la vie de tous les jours. Les élèves ne sont pas toujours convaincus de la pertinence de ce qu‘ils apprennent en classe et c‘est à ce moment que l‘utilisation des contextes prend, encore une fois, beaucoup de sens en présentant des moments de la vie quotidienne où les notions vues en classe sont utilisées (Cooper et Harries, 2002; Griesser, 2001; Kurz et Batarelo, 2005; Nunokawa, 2005). Puis, une autre fonction du contexte est celle de permettre de faire des liens entre les mathématiques et d‘autres disciplines (Forman et Steen, 2000; Gouvernement du Québec, 2003; Janvier, 1990, 1991; Nunokawa, 2005; Simpson et Zakeria, 2004). Ensuite, l‘utilisation des contextes permet également de motiver les élèves à la tâche (De Bock et al., 2003; Doerr et English, 2003; Griesser, 2001; Kurz et Batarelo, 2005; Nunokawa, 2005; Sharp et Adams, 2002). Cette fonction renvoie donc à une dimension plus affective. Pour terminer quant aux fonctions attribuables aux contextes, leur utilisation permet aussi de mettre à profit les connaissances informelles de l‘élève pour favoriser, par exemple, la construction d‘un algorithme (Doerr et English, 2003; Kwon, 2002; Li et Silver, 2000; Sharp et Adams, 2002). La typologie des contextes Pour élaborer une liste des types de contextes utilisés, nous partirons d‘une nomenclature bien établie en mathématiques par le MEQ depuis plusieurs années (Gouvernement du Québec, 1988a, 220 Guylaine Cotnoir 1988b). Cependant, nous peaufinerons certaines catégories et en ajouterons d‘autres à la lumière de la récente documentation scientifique consultée pour ce mémoire. Pour le MEQ un contexte est réel: « s‘il se produit effectivement dans la réalité » (Gouvernement du Québec, 1988a, p. 20). Dans ce type de contexte, l‘élève est engagé dans la tâche et l‘effectue réellement. L‘exemple suivant est amené: «Trouve l‘aire du local de classe dans le but d‘y installer vraiment un tapis» (p. 20). À la lumière des travaux de Lave (1988) et de sa façon de voir la mise en contexte, nous pouvons penser que l‘individu et son activité sont inclus dans le contexte. Pour notre part, cette terminologie ―réelle‖ est davantage attribuable à la tâche qu‘au contexte lui-même. Nous retiendrons que les contextes réalistes sont des contextes issus de la vie de tous les jours ou des contextes issus de la réalité sociale qui s‘inspire du réel. Un troisième type de contexte apporté par le MEQ est le contexte fantaisiste: « un contexte est fantaisiste s‘il est le fruit de l‘imagination et qu‘il est sans fondement dans la réalité » (Gouvernement du Québec, 1988a, p. 23). Les auteurs amènent, comme exemples, la création d‘un plan de maison contenant des pièces de forme triangulaire, la création d‘un conte mathématique futuriste, la venue d‘extra-terrestres, etc. Nous préférons la terminologie « imaginaire » puisqu‘elle se réfère directement à la définition apportée. Le dernier type de contexte amené par le MEQ est le contexte purement mathématique. Selon la classification, un contexte est purement mathématique « s‘il fait exclusivement référence à des objets mathématiques: nombres, relations et opérations arithmétiques, figures géométriques, etc. » (Gouvernement du Québec, 1988a, p. 23). Nous ajouterons à ces types de contextes développés par le MEQ un autre type répertorié dans la documentation scientifique. Plusieurs auteurs utilisent le mot « authentique » sans pour autant lui donner le même sens, ni la même portée. Nous allons dans cette section faire ressortir les différentes visions du contexte authentique. Donc, en résumé, en contexte authentique, selon ces auteurs, l‘élève effectue une tâche réelle que l‘on retrouve dans une pratique sociale et cette tâche est située dans un macrocontexte qui vient justifier la pertinence de la tâche à effectuer. Toutefois, pour nous, l‘authenticité d‘un contexte ne renvoie pas seulement à une pratique véhiculée dans la société, mais doit comporter une tâche qui est tirée de la réalité. La tâche est donc ici très importante. Dans ces conditions, une tâche authentique est nécessairement contenue dans un contexte réaliste, elle peut être réalisée pour vrai ou être simulée. ÉLÉMENTS DE MÉTHODOLOGIE La collecte de données s‘est concentrée sur les manuels québécois les plus utilisés à leur époque. Un manuel a été sélectionné sur la base de sa popularité avant la venue du programme cadre, Mathématiques: 8e et 9e années (Beaudry, Levasseur et Prescott, 1968), un autre après la parution de ce programme, Mathématiques nouvelles (Ménard, 1970), un troisième édité après la parution du programme des années 1980, Maths Soleil (Breton, et al., 1983), le quatrième lors de la parution du programme des années 1990, Carrousel Mathématique (Breton et Fortin, 1994) et un dernier sélectionné lui également sur sa popularité et issu du renouveau pédagogique, Panoramath (Cadieux et al., 2005a). Notre grille de collecte des données comprend plusieurs éléments. Premièrement, le titre de l‘activité ou le numéro du problème. Deuxièmement, le contexte de l‘activité proposée, cette section comprend les trois choix suivants: réel, imaginaire et purement mathématique. Ces termes servent à qualifier le contexte amené par le ou les concepteurs du manuel. Par la suite, notre grille comprend la section Type de réalité correspondant. Cette partie concerne le texte accompagnant l‘activité d‘apprentissage et vient préciser les contextes réels sélectionnés dans la 221 GDM 2010 – COMMUNICATIONS rubrique précédente. Cette section ne comprend donc pas les contextes imaginaires et purement mathématiques. Puis Section 4: Tâche rattachée à l‘activité proposée. Cette partie vient encore une fois des activités issues des contextes qualifiés de réels. Elle découle donc de la partie précédente et comprend trois choix de réponse. Nous nous demanderons si la tâche rattachée à l‘activité est vraiment une tâche qui émane du type de réalité sélectionné en amont (activité humaine ou du domaine naturel). Section 5: Pertinence du contexte pour le raisonnement. Cette partie vient encore une fois des activités issues des contextes qualifiés de réels. Dans cette partie, nous nous penchons sur la pertinence de ce contexte pour soutenir le raisonnement de l‘élève lors de la résolution ou de la recherche de solutions. Section 6: Contenu algébrique. Puisque nous nous intéressons à l‘enseignement et à l‘apprentissage de l‘algèbre, nous indiquons plus spécifiquement le contenu algébrique abordé lors de l‘activité ciblée. Section 7: Selon l‘auteur. Cette partie contient tous les extraits du guide pédagogique ou du manuel du maître qui pourraient nous éclairer quant aux choix faits par le ou les auteurs sur l‘utilisation des contextes dans le chapitre. L‘élaboration de cette grille a débuté après l‘écriture du cadre conceptuel. Des manuels de différentes époques avec des activités variées ont servi d‘exemples pour la mise en place des catégories suivantes: type de réalité, type de contexte, pertinence pour le raisonnement, moment dans la situation d‘apprentissage, intention pédagogique, contenu algébrique, façon de mettre en contexte. Les grandes catégories de la grille étaient posées. Des problèmes ont été soumis à notre équipe de direction avec la grille de recueil de données pour des fins de validation. Nous devions chacun de notre côté remplir la grille et apporter nos commentaires sur sa fiabilité. Des discussions ont eu lieu sur certaines portions de la grille notamment la pertinence pour le raisonnement et le contexte de l‘activité. Deux autres rencontres ont été nécessaires, avec une version légèrement modifiée de la grille et d‘autres problèmes issus des manuels, pour arriver au produit final présenté dans l‘annexe A. RÉSULTATS Succinctement, les résultats obtenus quant à l‘évolution de l‘utilisation des contextes en enseignement et en apprentissage de l‘algèbre se résument de la façon suivante: 2) une tendance à l‘augmentation de l‘utilisation des contextes réels à travers les années, phénomène en étroite relation avec le type d‘entrée privilégiée, 3) une augmentation des contextes issus du domaine naturel en 1970, puis une diminution du recours à ce type de réalité (de 1983 à 2005), 4) une remontée des contextes du domaine de l‘activité humaine pour représenter 90 % des contextes réels en 2005, 5) une diminution des tâches qualifiées d‘artificielles qui passent de 94 % en 1968 à 60% en 2005, 6) les tâches authentiques, elles se voient augmenter de façon significative à travers les époques étudiées, nous remarquons toutefois l‘absence de ce type de tâche en 1970, 7) une diminution de la présence de contextes pertinents pour le raisonnement à travers les différents manuels, ce qui pourrait s‘expliquer par, 8) une augmentation des contextes essentiels pour le raisonnement de l‘élève, mais également par, 9) une augmentation des contextes non pertinents pour le raisonnement. Notamment, nous constatons de nouvelles fonctions quant à l‘utilisation des contextes. Premièrement un prétexte de discussion sur des objets autres que les mathématiques pour permettre, selon nous, à l‘élève de s‘impliquer davantage dans son apprentissage et augmenter par le biais des échanges sa culture générale. Deuxièmement, le recours en grand nombre aux contextes du domaine de l‘activité humaine suppose une visée sociale quant à la formation d‘un citoyen préparé, connaissant et productif. 222 Guylaine Cotnoir DISCUSSION Outre son apport au niveau de la compréhension de l‘organisation de certains manuels et de la fréquence d‘apparition de plusieurs variables, notre recherche amène un cadre sur ce qui est entendu quant au concept de contexte. À notre connaissance, il n‘existait pas de recherche consacrée exclusivement sur ce concept, les différents auteurs qui abordaient ce concept de contexte le faisaient tous à leur façon, sans pour autant définir ce concept central. Nous avons également su intégrer la terminologie utilisée par différents auteurs et la rattacher à la vision contemporaine du concept de contexte. De plus, notre cadre conceptuel vient asseoir des fonctions attribuables aux contextes qui sont, toujours à notre connaissance, répertoriées pour la première fois dans un même document. Nous avons, de surcroît, pu dégager des failles importantes dans l‘utilisation abusive des contextes dans le seul but de répondre à une commande des instances officielles. En fait, nous présentons un autre cadre d‘analyse des manuels scolaires présents en classe pour permettre ainsi d‘éclairer davantage les personnes responsables du choix du matériel didactique à utiliser en classe. Toutefois, il est important de considérer les résultats obtenus à la lumière de la principale limite de notre recherche. Notre choix d‘analyser un seul manuel par époque peut sembler discutable surtout pour ce qui est des années 2000. Nous savons pertinemment que les enseignantes et les enseignants ne se limitent pas à l‘utilisation d‘un seul manuel lors de la planification de leurs leçons, mais vont souvent se référer à un ensemble de ressources tant papier qu‘électroniques. Ajoutons à cela que nous avons analysé le contexte des différentes activités proposées aux élèves sans jamais tenir compte du genre de problèmes soumis (ouvert ou fermé), de la complexité de la tâche, ni de la charge cognitive engendrée par cette tâche. Un dernier aspect limitatif à notre recherche, mais qui amène à des recherches futures, se situe au niveau de la pertinence du contexte pour soutenir un raisonnement quant au concept mathématique présenté. Dans notre analyse, nous nous sommes demandée si l‘élève devait tenir compte des éléments du contexte lors de l‘élaboration de sa réponse. Cependant, il serait intéressant de pousser plus en avant en se demandant si ce contexte soutient et enrichit effectivement le sens donné au concept et permet à l‘élève de construire ou de peaufiner sa conception du concept mathématique. Il faudrait, pour ce faire, s‘intéresser à l‘activité de l‘élève engendrée par le contexte de l‘activité proposée. Ceci ne constitue pas la seule avenue possible à cette recherche, nous supposons que la publication des résultats de cette étude peut amener les concepteurs de manuels à ajuster leur emploi des contextes lors de la présentation des concepts mathématiques. BIBLIOGRAPHIE AUBIN, P. (2008). Les manuels scolaires québécois. Site téléaccessible <http//www.bibl.ulaval.ca/ress/manscol>. Consulté le 3 avril 2008. à l‘adresse BARDIN, L. (2005). L’analyse de contenu (11e éd.). Paris: Presses Universitaires de France (1 re éd. 1977). BEAUDRY, G., LEVASSEUR, R. et PRESCOTT, N. (1968) Mathématiques: 8e et 9e années. (2e éd). 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Consulté le 18 juin 2009. 227 ANNEXE A Grille de collecte de données Titre de l’activité Contexte de l’activité proposée Type de réalité correspondant Tâche rattachée à l’activité proposée Pertinence du contexte pour le raisonnement Contenu algébrique Selon l’auteur # 11 Réel Coût des colis Naturelle Artificielle 113 Imaginaire Purement mathématique Activité humaine Authentique fictive Authentique réelle Essentiel Pertinent Non pertinent Interprétation d‘un graphique, mode de représentation Problème 11: Les graphiques de ce type … représentent bien certaines situations de la vie de tous les jours. » (p. 42) Particularités de l’enseignement des mathématiques à des élèves en difficulté en classes régulières ou spéciales Vincent Martin Doctorant en éducation Centre de recherche sur l’enseignement et l’apprentissage des sciences (CREAS) Université de Sherbrooke Claudine Mary Professeure agrégée Centre de recherche sur l’enseignement et l’apprentissage des sciences (CREAS) Université de Sherbrooke RÉSUMÉ. Notre contribution vise à éclairer, à partir d‘une recension des écrits réalisée dans le cadre de notre processus doctoral, certaines particularités de l‘enseignement des mathématiques à des élèves en difficulté en classes régulières ou spéciales. Dans ce sens, nous présentons d‘abord brièvement deux visions des élèves en difficultés d‘apprentissage en mathématiques et certains phénomènes d‘enseignement se dégageant des écrits scientifiques consultés. Puis, nous exposons une perspective alternative de l‘enseignement des mathématiques aux élèves en difficulté reposant sur des interventions non remédiatives. DESCRIPTION DE LA DÉMARCHE La réflexion que nous présentons est issue d‘un travail réalisé en tutorat au cours de l‘année 2009 sur l‘enseignement des mathématiques aux élèves en difficulté ou l‘apprentissage des mathématiques par ces derniers. Au départ, cette réflexion s‘est trouvée alimentée par les deux questions suivantes: Qu‘est-ce que certains écrits scientifiques peuvent nous apprendre sur les élèves ou les classes « en difficulté » et plus particulièrement sur leur spécificité? Qu‘est-ce que certains écrits scientifiques peuvent nous apprendre sur l‘enseignement des mathématiques ou sur les interventions en mathématiques auprès de ces élèves ou classes? Pour tenter de répondre à ces questions, nous avons porté un regard sur une trentaine d‘écrits scientifiques portant sur les élèves en difficulté 1 en classe régulière ou spéciale et sur l‘enseignement ou l‘apprentissage des mathématiques. Ces textes sont issus de trois horizons 1 Dans les faits, les articles parlent différemment des élèves: élève faible, élève en échec électif en mathématiques, élève en difficulté d‘apprentissage ou student with learning disabilities. Nous choisissons cependant de les nommer élèves en difficulté dans un sens large et inclusif, en considérant que cette appellation pourrait inclure l‘ensemble des élèves rencontrant des difficultés dans le contexte scolaire. GDM 2010 – COMMUNICATIONS sociogéographiques: les textes québécois, les textes franco-européens, ainsi que les textes étatsuniens.2 Notre démarche réflexive nous a amenés à lire chacun des textes ciblés, puis à remplir des grilles de lecture et à rédiger de brèves synthèses d‘idées. Parallèlement à ceci, plusieurs rencontres se sont tenues pour nous permettre d‘analyser et de discuter les textes et leurs relations, notamment sur les bases jetées par les grilles de lectures et les synthèses. De riches échanges sont survenus, desquelles ont émergé un grand nombre d‘idées. Nous choisissons d‘en aborder quelques-unes dans ce texte, en l‘occurrence celle des différentes des visions des élèves en difficulté, celle des phénomènes d‘enseignement associés à l‘enseignement des mathématiques aux élèves en difficulté, ainsi que celle liée à une certaine perspective d‘enseignement des mathématiques aux élèves en difficulté. Visions de l’élève en difficulté Plusieurs écrits scientifiques révèlent deux perspectives relativement à la problématique des élèves en difficulté d‘apprentissage en mathématiques (DeBlois et Giroux, 1998; Giroux, 2007; Giroux et Ste-Marie, 2006; Lemoyne et Lessard, 2003; Mary, Squalli et Schmidt, 2008; Roiné, 2009; Salin, 2006a). La première perspective est centrée sur l‘identification et la description de dysfonctionnements propres à l‘élève, tandis que la seconde perspective est axée sur l‘identification des phénomènes didactiques qui sont spécifiques aux interactions dans l‘enseignement des mathématiques aux élèves en difficulté ou leur apprentissage par ces derniers. Ces deux perspectives reposent sur des fondements théoriques et méthodologiques particuliers, ainsi qu‘elles sont alimentées et supportées par différents foyers (surtout universitaires) de recherche. De plus, elles influencent l‘enseignement des mathématiques à un certain groupe d‘élèves et par extension, elles influencent également l‘apprentissage de cette discipline par ce même groupe d‘élèves. Dans la première perspective, qui s‘appuie surtout sur des travaux issus de la psychologie développementale, de la neuropsychologie et des sciences cognitives (Giroux, 2007; Goupil, 2007; Lemoyne et Lessard, 2003), les difficultés d‘apprentissage sont attribuées directement à l‘élève, c'est-à-dire qu‘elles paraissent liées à ses caractéristiques fonctionnelles et structurales (Lemoyne et Lessard, 2003). Dans ce sens, l‘élève est vu comme un sujet dont les caractéristiques doivent être comprises et mesurées, étant donné que d‘elles découlent ces difficultés d‘apprentissage. De son côté, l‘enseignant cherche à aider l‘élève à pallier ses difficultés à travers des interventions de nature remédiative qui visent à modifier les processus cognitifs généraux. L‘élève se trouve alors dans la position de celui qui a besoin d‘aide; il se trouve en attente d‘interventions adaptées à ses lacunes. Dans la seconde perspective, qui s‘appuie essentiellement sur des fondements propres à la didactique des mathématiques, les difficultés d‘apprentissage sont vues comme la résultante de la rencontre de l‘élève et du système didactique au sein duquel celui-ci est plongé pour apprendre. Dans ce sens, l‘élève est vu comme un apprenant rencontrant certaines difficultés face à 2 Cependant, il convient de souligner que l‘état de la réflexion présentée ici ne repose pas uniquement sur cet ensemble original de textes, non seulement parce que des textes se sont ajoutés, mais également car certains textes ont été délaissés. Ainsi, le corpus a été élargi par de nouvelles lectures sur le sujet, mais il a également été réduit par la mise de côté de certains textes qui ne portaient pas sur les idées que nous avons choisi de rapporter dans ces lignes. 230 Vincent Martin et Claudine Mary l‘apprentissage des mathématiques au sein d‘un certain type de contrat didactique 3 passé entre l‘enseignant (ou les enseignants) et lui (Brousseau et Warfield, 2002; Perrin-Glorian, 1993). De son côté, l‘enseignant cherche à prendre en compte les connaissances mathématiques de l‘élève pour mettre en place des conditions favorables à l‘apprentissage à travers des interventions de nature didactique. En bref, l‘élève, qui présente un potentiel d‘apprentissage des mathématiques (Mary et al., 2008) en dépit des difficultés d‘apprentissage qu‘il rencontre, est vu comme un apprenant actif face à un milieu didactique conçu par un enseignant prenant en compte ses connaissances et son potentiel. Phénomènes d’enseignement aux élèves en difficulté L‘étude par Brousseau du cas de Gaël durant les années 70 (Brousseau et Warfield, 2002) et la recherche dans des classes « faibles » de Perrin-Glorian (1993) constituent des travaux fondateurs du champ de la didactique des mathématiques sur les élèves en difficultés d‘apprentissage. Ceuxci illustrent bien ce passage à une vision plus systémique de cette problématique que représente la seconde perspective présentée ci-haut. En bref, ces travaux de recherche réalisés en Europe ont permis de mettre en exergue diverses caractéristiques propres aux élèves en difficulté, mais ils ont surtout soulevé l‘idée que l‘origine de certaines difficultés rencontrées par des élèves dans l‘apprentissage des mathématiques pourrait notamment être attribuable à des effets du contrat didactique. À la suite de ces travaux, une multitude de recherches en didactique des mathématiques ont questionné les interactions didactiques propres à l‘enseignement des mathématiques aux élèves en difficultés d‘apprentissage. Ces travaux ont permis de mettre en évidence différents phénomènes didactiques spécifiques à l‘enseignement de cette discipline à ce type d‘élèves (Salin, 2006b). Selon Giroux (2007, p. 6), ces phénomènes didactiques « témoignent de la manière dont les contenus d‘enseignement sont affectés, transformés par des intentions d‘enseignement adapté à une catégorie d‘élèves pour lesquels l‘enseignement régulier, avec ses méthodes, a échoué ». Un des phénomènes didactiques mis en lumière par des travaux en didactique des mathématiques est lié à la progression plus lente du temps didactique 4 en classe spéciale qu‘en classe régulière (Cherel, 2005; Favre, 1997; Giroux et René de Cotret, 2001; René de Cotret et Giroux, 2003). En effet, plusieurs travaux de recherches en didactique des mathématiques ont porté sur la comparaison de l‘enseignement et de l‘apprentissage des mathématiques dans des classes ordinaires et spécialisées (Cherel, 2005; Favre, 1997; Giroux et René de Cotret, 2001; René de Cotret et Giroux, 2003). Ces travaux ont tous montré que le temps didactique progresse différemment dans le système régulier et dans le système spécialisé, c'est-à-dire qu‘il est moins rapide dans la classe spéciale que dans la classe ordinaire. Dans la recherche de Cherel (2005), qui a permis d‘étudier l‘intégration partielle de deux élèves d‘une classe spéciale aux leçons de 3 Le contrat didactique relève, au regard d‘une connaissance mathématique visée, d‘une « relation qui détermine – explicitement pour une petite part, mais surtout implicitement – ce que chaque partenaire, l‘enseignant et l‘enseigné, a la responsabilité de gérer et dont il sera, d‘une manière ou d‘une autre, responsable devant l‘autre » (Brousseau, 1998, p. 61). 4 Le temps didactique se rapporte à l‘introduction des objets de savoir à enseigner et à leur progression dans la classe. Pour assurer cette progression, l‘enseignant découpe les objets de savoir à enseigner en fonction du temps d‘enseignement dont il dispose et des échéances ponctuant le rythme de la vie scolaire (Giroux et René de Cotret, 2001; René de Cotret et Giroux, 2003). 231 GDM 2010 – COMMUNICATIONS mathématiques dans deux classes régulières, il a été constaté que les manuels et le programme de mathématiques déterminent l‘avancée du temps didactique dans le milieu régulier, alors que ce sont les objectifs de compréhension que l‘enseignante se fixe à l‘égard des élèves qui semblent régir la progression du temps didactique dans la classe d‘adaptation. Par ailleurs, certains auteurs, dont Cherel (2005) et Giroux (2007) jugent que plusieurs phénomènes didactiques participent au ralentissement du temps didactique dans l‘enseignement des mathématiques aux élèves en difficulté. Giroux et René de Cotret (2001) parlent dans ce sens de marqueurs du ralentissement du temps didactique dans ce contexte, quoique chaque marqueur puisse représenter un phénomène didactique en soi. Un premier phénomène didactique participant au ralentissement du temps didactique réfère à une certaine économie dans l‘exposé du savoir (Cherel, 2005; Giroux et René de Cotret, 2001; René de Cotret et Giroux, 2003). Ainsi, dans l‘enseignement des mathématiques aux élèves en difficulté, les contenus mathématiques sont généralement présentés avec moins de profondeur ou de manière plus abrégée que dans l‘enseignement ordinaire. René de Cotret et Giroux (2003) ont donné un exemple de ce phénomène lorsqu‘elles ont comparé l‘enseignement des nombres relatifs par la même personne enseignante dans deux classes (classe d‘élèves doubleurs et classe régulière). Celles-ci ont ainsi constaté que les caractéristiques des opposés, la distinction soustraction-négatif et l‘idée de valeur absolue n‘ont pas été abordées dans la classe de doubleurs, alors qu‘elles l‘ont été dans la classe régulière. En lien avec l‘exposé du savoir dans l‘enseignement des mathématiques aux élèves en difficulté, Brousseau et Warfield (2002) et Merri et Vannier (sous presses) ont décrié l‘existence d‘un phénomène didactique référant à une intervention remédiative qualifiée par Watzlawick (1988) d‘« ultrasolution ». À des fins de rééducation, l‘enseignant cherche dans cette perspective des remèdes aux difficultés rencontrées par l‘élève dans l‘apprentissage des mathématiques par le recours à plus de problèmes du même type. Pour sa part, Conne (1999) atteste que l‘enseignant court le danger d‘une « reconduction dans l’ignorance » consistant à faire faire et refaire aux élèves ce qu‘ils ont déjà réussi dans le but inconscient d‘une réassurance des élèves et de l‘enseignant. Un second phénomène didactique contribuant au ralentissement du temps didactique est en lien avec l‘algorithmisation des objets de savoir dans l‘enseignement des mathématiques aux élèves en difficulté, qui amène ces derniers à travailler longtemps et de manière répétitive sur le même contenu. Ce phénomène se traduit par un exposé qui tend plus directement vers la règle qui permettra de résoudre les problèmes, c'est-à-dire à une transmission de règles à appliquer au détriment de la construction de sens (Butlen, Charles-Pezard et Masselot, sous presse; Giroux, 2007; Giroux et René de Cotret, 2001; René de Cotret et Giroux, 2003; Salin, 2006a). En lien avec cette idée de fournir hâtivement à l‘élève ce dont il a besoin pour accomplir une tâche, certains auteurs (Cherel, 2005; Favre, 1997, 1999; Giroux et René de Cotret, 2001; René de Cotret et Fiola, 2006) ont souligné le caractère directif de l‘enseignement des mathématiques promulgué aux élèves en difficulté. Ainsi, ces études ont mis en lumière le fait que dans l‘enseignement des mathématiques à des élèves en difficulté, la personne enseignante cherche souvent à orienter les élèves vers la bonne solution, par exemple en les guidant par une série de questions ou en leur fournissant trop rapidement les outils nécessaires à la réalisation de la tâche. 232 Vincent Martin et Claudine Mary Un troisième phénomène didactique prenant part au ralentissement du temps didactique est lié à l‘investissement du savoir dans l‘enseignement des mathématiques aux élèves en difficulté, que certains auteurs évoquent en termes de surinvestissement et de désinvestissement du savoir (Cange et Favre, 2003; Cherel, 2005; Conne, 1999, 2003; Conne, Favre et Giroux, 2006; Giroux, 2007; Lemoyne et Bisaillon, 2006; Merri et Vannier, sous presses; Salin, 2006b). Effectivement, certains contenus sont évacués de l‘enseignement spécialisé afin d‘étirer le temps consacré aux objets de savoir jugés essentiels (Cherel, 2005). À l‘opposé, les objets de savoir qui se trouvent désinvestis le sont soit parce qu‘ils semblent moins primordiaux ou au contraire parce qu‘ils semblent trop difficiles (Ibid.). Dans ce sens, un fort accent est souvent mis dans l‘enseignement des mathématiques aux élèves en difficulté sur la numération (Ibid.) et sur les habiletés de base (Cange et Favre, 2003; Conne, 1999), alors qu‘à l‘opposé, la résolution de problèmes est souvent négligée dans un tel contexte (Cherel, 2005; René de Cotret et Giroux, 2003). Un quatrième phénomène didactique relié au ralentissement du temps didactique dans l‘enseignement des mathématiques aux élèves en difficulté relève d‘un manque d‘institutionnalisation (Butlen et al., sous presse; Cherel, 2005). Cherel (2005) a décrit le fait que l‘enseignante de la classe spéciale qu‘elle a observée avait tendance à différer l‘institutionnalisation, c'est-à-dire à ne pas établir de rapport clair entre les connaissances ayant fonctionné en situation et le savoir institué. Selon l‘auteure, la coexistence de différents faits didactiques, notamment des termes, des méthodes ou des références à du matériel divers, apparus au cours de l‘apprentissage était donc maintenue par l‘enseignante, sans qu‘elle en élimine de peur que les élèves ne perdent les sens qui leur sont rattachés. De plus, celle-ci avance que cette situation surcharge de connaissances fortement contextualisées la mémoire didactique de la classe, ce qui peut rendre les échanges didactiques confus et empêcher le changement de statut des connaissances (Brousseau et Centeno, 1991). De leur côté, Butlen et al. (sous presses) ont également été témoin de ce manque d‘institutionnalisation dans l‘enseignement des mathématiques aux élèves en difficulté, par le biais d‘un travail réalisé dans des écoles de ZEP en France sur les pratiques effectives de professeurs des écoles débutants enseignant les mathématiques à des élèves issus de milieux très défavorisés. Ainsi, ces auteurs soutiennent que dans ce contexte, les enseignants prennent en compte les productions de tous les élèves sans s‘autoriser à en écarter certaines en fonction du niveau de raisonnement et de leur pertinence, afin de maintenir la paix sociale dans la classe. Les productions sont donc présentées sans hiérarchisation, ce qui peut être dommageable pour les apprentissages des élèves. Un cinquième phénomène didactique contribuant au ralentissement du temps didactique dans l‘enseignement des mathématiques aux élèves en difficulté est en lien avec une gestion à chaud des erreurs et de l‘échec. Ce phénomène a été abordé par nombre de recherche en didactique des mathématiques (Brousseau et Warfield, 2002; Cange et Favre, 2003; Cherel, 2005; Favre, 1997, 1999; Giroux, 2004, 2007; Giroux et René de Cotret, 2001; Perrin-Glorian, 1993; René de Cotret et Giroux, 2003). Par exemple, une enseignante enseignant à des élèves en difficulté cherche à résoudre les erreurs et les manifestations d‘incompréhension repérées chez les élèves. Ainsi, afin de s‘assurer que tout a été bien compris, celle-ci prend le temps d‘interroger chaque élève ou de vérifier toutes les productions. Cette constatation rejoint les résultats de Favre (1997, 1999), dont le travail a porté sur la comparaison de l‘enseignement et de l‘apprentissage de la multiplication dans une classe spécialisée et dans une classe ordinaire du primaire. Celui-ci a pointé le fait que la résolution de toutes les incompréhensions dont font preuve les élèves durant les leçons de mathématiques par l‘enseignante ralentit le temps didactique de la classe spéciale par rapport à 233 GDM 2010 – COMMUNICATIONS celui de la classe ordinaire, dans laquelle l‘enseignante semble pouvoir se contenter de la compréhension d‘une majorité d‘élèves pour introduire de nouveaux objets de savoirs. Giroux (2007), en référence aux travaux de Favre (1997, 1999) et de Giroux (2004), que ce phénomène didactique mène souvent à la dissolution et à l‘évanouissement du savoir en jeu dans l‘échange didactique. Ce phénomène de gestion à chaud des erreurs et de l‘échec se traduit selon Giroux (2004) par un autre phénomène didactique, se traduisant par un recours à des échanges didactiques serrés pour l‘enseignement des mathématiques aux élèves en difficulté. En effet, dans ce contexte, les échanges didactiques sont souvent menés dans un mode question-réponse (Cherel, 2005; René de Cotret et Giroux, 2003). Giroux (2004) attribue ce phénomène au fait que la personne enseignante de la classe spéciale cherche dans le hic et nunc les occasions d‘accorder son enseignement aux difficultés ou aux erreurs de l‘élève au moment où elles se présentent. Également relié aux échanges didactiques survenant lors de l‘enseignement des mathématiques à des élèves en difficulté, Minnasian et Munoz (sous presses) et Cherel (2005) ont mis en lumière un phénomène didactique d‘exclusion des élèves en difficulté des débats ou des discussions. Ainsi, Minassian et Munoz (sous presses) ont souligné que les élèves jugés faibles sont parfois exclus des discussions au profit des élèves jugés « tête de la classe ». L‘enseignant, qui ne semble pas opérer cette exclusion volontairement, l‘argumente cependant en soutenant que les erreurs ne doivent pas être visualisées par les élèves. Allant dans ce sens, Cherel (2005) souligne le fait que la personne enseignante, en voulant prioriser l‘obtention de la procédure la plus économique et qui pourra être réutilisable ultérieurement, peut évacuer les réponses non conformes ou divergentes pour ne retenir que celles qui vont dans la direction voulue. Un autre phénomène didactique associé à la progression du temps didactique dans l‘enseignement des mathématiques aux élèves en difficulté a été mis en lumière dans une étude qui a cherché à caractériser les interactions dans les classes de mathématiques d‘élèves faibles (Giroux et René de Cotret, 2001; René de Cotret et Giroux 2003). Celui-ci renvoie à un défilement des objets de savoir, c'est-à-dire à une obsolescence rapide des objets de savoir (Sensevy, 1998, In René de Cotret et Giroux, 2003). Ainsi, l‘élève se trouve témoin d‘une succession d‘objets sans qu‘il puisse construire des relations entre ces objets, ce qui rend difficile la réalisation d‘apprentissages s‘inscrivant dans la durée et fondés sur la compréhension. Ce phénomène de succession rapide et déconnectée des savoirs nous semble lié à un phénomène didactique pouvant aussi être observé dans l‘enseignement des mathématiques aux élèves en difficulté, qui relève de ce que Cange et Favre (2003) ont appelé un morcellement des savoirs. Évoquant vraisemblablement le même phénomène, René de Cotret et Giroux (2003) traitent de la segmentation des objets de savoir qui n‘offre pas l‘opportunité de construction dans la durée et dans la continuité, alors que Butlen et al. (sous presse) mentionnent le découpage du savoir en micro tâches. Ce phénomène semble pouvoir être expliqué par le fait que la personne enseignante œuvrant avec des élèves en difficulté tente de travailler dans une logique de réussite à court terme, voire instantané, et qu‘elle veut éviter de lasser les élèves (Ibid.). Ce phénomène didactique renvoie à l‘investissement des erreurs par la personne enseignante dans l‘enseignement des mathématiques aux élèves en difficulté (Butlen et al., sous presse; Cange et Favre, 2003). 234 Vincent Martin et Claudine Mary Par ailleurs, Roiné (2009) a identifié dans le cadre de sa thèse deux nouveaux phénomènes didactiques associés à l‘enseignement des mathématiques à des élèves en difficulté et découlant de ce qu‘il a appelé une cécité didactique. Cette dernière est liée à une absence de visibilité dans l‘enseignement des conditions didactiques susceptibles de faire progresser l‘acquisition de savoir chez les élèves. Ainsi, l‘enseignant cherche à agir directement sur les mécanismes mentaux qui sont supposés expliquer les difficultés des élèves, plutôt que d‘agir sur la situation d‘enseignement, c'est-à-dire « d‘organiser en amont et de piloter en aval un milieu didactique structuré par une situation pertinente, et enrichi par des interactions finalisées par l‘acquisition d‘un savoir spécifique » (Ibid., p. 255). D‘abord, le premier phénomène didactique, appelé « effet pharmakéia » par l‘auteur, fait référence à l‘ajout par l‘enseignant de dispositifs d‘aide à la représentation ou au transfert censés aider l‘élève à surmonter ses difficultés, mais qui complexifie la tâche de l‘élève et qui modifie le contrat didactique en œuvre dans la classe. Ainsi, de remède, les dispositifs se révèlent des poisons potentiels puisque l‘enseignant ne prend pas en compte les conditions didactiques associées à leur utilisation. À notre sens, ce phénomène n‘est pas sans rappeler le glissement métadidactique ou métacognitif identifié par Brousseau (1996). Puis, le second phénomène didactique est lié à des mises en commun provoquées par l‘enseignant cherchant à faire expliciter leurs procédures aux élèves, entre autres lorsqu‘elles sont erronées. Ces mises en commun, qui permettent de mettre en lumière les erreurs des élèves et qui incitent ces derniers à adopter un regard métacognitif sur leur procédure, ne mettent pas en place les conditions didactiques pour que ces erreurs puissent réellement être surmontées. Ce phénomène fait écho à celui de gestion à chaud des erreurs et de l‘échec, puisque les deux rapportent une véritable chasse à l‘erreur dans l‘enseignement des mathématiques aux élèves en difficulté. Il peut également être mis en lien avec le phénomène didactique d‘exclusion des élèves en difficulté des débats ou des discussions, survenant lors des phases de mise en commun du travail des élèves. Ce phénomène de mise en commun dont parle Roiné (2009) apparaît lié à un phénomène didactique, relevé par Favre (1997) et par Cherel (2005), qui relève d‘une plus grande part publique du travail de l‘élève dans l‘enseignement des mathématiques aux élèves en difficulté qu‘aux autres élèves. Dans ce sens, Favre (1997) a constaté qu‘en fonction du type de classe dans lequel l‘élève évolue, une plus ou moins grande part de son travail peut être traitée publiquement. D‘un côté, l‘élève de la classe ordinaire travaille en général de façon privée et il doit rarement justifier sa réponse, faire état de sa démarche ou prouver ce qu‘il avance, et ce, même lorsqu‘il est interrogé par la personne enseignante. De l‘autre côté, l‘élève de la classe spéciale est davantage sollicité par la personne enseignante pour expliciter sa démarche et pour démontrer sa compréhension. Cherel (2005) a également souligné l‘existence de ce phénomène dans des classes étudiées dans sa recherche. Cette augmentation de la part publique du travail de l‘élève en difficulté par l‘enseignant afin de s‘assurer de la compréhension de celui-ci apparaît reliée au phénomène de gestion à chaud de l‘erreur et de l‘échec abordé précédemment. Finalement, Butlen et al. (sous presse) ont souligné l‘existence d'un phénomène didactique plus général lié à l‘enseignement des mathématiques aux élèves en difficulté, qui consiste en une diminution des exigences, à un aplanissement des difficultés ou à une simplification des situations. En effet, ceux-ci ont remarqué, dans le contexte de l‘enseignement des mathématiques à des élèves en difficultés en zone d‘éducation prioritaire (ZEP), que les enseignants encouragent, 235 GDM 2010 – COMMUNICATIONS rassurent et félicitent leurs élèves le plus souvent possible afin de créer un climat de confiance dans la classe. Ceci les amène souvent à abaisser leurs exigences et à aplanir les difficultés que les élèves rencontrent. Un cercle vicieux s‘instaure alors, puisque plus les tâches sont simplifiées, moins les élèves s‘investissent, ce qui au final, met en péril la construction de nouvelles connaissances par les élèves. En somme, ces phénomènes d‘enseignement ne découlent pas d‘interventions mal intentionnées, mais plutôt d‘interventions visant à conduire l‘élève à la réussite et à lui éviter d‘être confronté (à nouveau) à l‘échec. Toutefois, plusieurs de celles-ci tendent plutôt à provoquer des effets négatifs chez les élèves. D‘une part, elles peuvent priver l‘élève du défi ou de la confrontation nécessaire, ce qui peut le mener à un désengagement ou à une démobilisation (René de Cotret et Fiola, 2006). D‘autre part, celles-ci peuvent amener l‘élève à adopter une position d‘attente ou des stratégies d‘évitement face à la tâche (Brousseau, 1980; Brousseau et Warfield, 2002; Cherel, 2005; DeBlois, 2008; Mary et al., 2008; René de Cotret et Fiola, 2006). PERSPECTIVE ALTERNATIVE D’ENSEIGNEMENT AUX ÉLÈVES EN DIFFICULTÉ Nous pouvons penser que plusieurs des phénomènes recensés découlent d‘une vision déficitaire de l‘élève en difficulté en mathématiques: le morcellement des savoirs, leur algorithmisation, l‘effet pharmakéia, le surinvestissement et de désinvestissement du savoir, pour ne citer que ceux-là. Avec cette vision déficitaire, c‘est aussi une vision de l‘enseignement des mathématiques qui est en jeu. Pour Roiné (2009), les interventions mises en œuvre par les enseignants en cohérence avec l‘idée que les difficultés sont inhérentes à l‘élève tendent à provoquer une démathématisation de l‘enseignement et une dédidactisation du regard de l‘enseignant. Dans le même sens, Mary et al. (2008) ont fait écho à de nombreux écrits scientifiques en mentionnant que les interventions remédiatives misant sur l‘individualisation et le surenseignement placent l‘élève dans un état d‘attente qui réduira son niveau d‘autonomie, en plus de l‘amener à développer la conception d‘une mathématique indiscutable et sur laquelle il n‘a pas de réel pouvoir. Dans la seconde perspective, où les difficultés sont vues comme découlant du système didactique dans lequel l‘élève est plongé, les actions de l‘enseignant s‘orientent vers les conditions d‘apprentissage mises en place pour permettre à l‘élève d‘apprendre. Cette perspective implique donc, selon Roiné (2009), que les actions de l‘enseignant soient directement orientées vers le milieu didactique. Et même si les connaissances et les capacités de raisonnement des élèves sont prises en compte par les interventions de l‘enseignant, ce ne sera pas parce qu‘il les juge lacunaires, mais plutôt pour les exploiter (Mary et al., 2008). Ainsi, l‘enseignement, qui n‘aura pas comme objectif de remédier aux lacunes des élèves, visera au contraire le développement du potentiel d‘apprentissage des mathématiques de l‘élève à travers des situations exigeant réflexion et construction de raisonnements (Mary et al., 2008; Mary et Theis, 2007), quitte à accepter que l‘élève ne dispose pas de tous les préalables mathématiques (Cange et Favre, 2003). Pour y arriver, l‘enseignant doit faire des choix didactiques pour concevoir et proposer de telles situations, ainsi que pour pouvoir intervenir lorsque les élèves leur font face. Dans le sens d‘un tel enseignement des mathématiques, différents auteurs suggèrent des interventions face aux difficultés rencontrées par les élèves dans l‘apprentissage. Ainsi, Salin (2006a, 2006b) propose la mise en place de situations intermédiaires et de situations à dimension 236 Vincent Martin et Claudine Mary adidactique, c'est-à-dire des situations de prévision permettant d‘entraîner les élèves à anticiper un résultat. Elle suggère également de confronter les élèves à des situations retournées, c'est-àdire des situations qui les forcent à questionner les liens existants entre un milieu matériel sur lequel l‘action doit être réalisée et un résultat à obtenir, considérant qu‘elles établissent des conditions à propos du résultat à obtenir. Pour sa part, Giroux suggère de plonger les élèves dans des dialectiques d‘action variées qui sollicitent un même objet de savoir (Giroux, 2007) tout en contribuant par un jeu de relances à mailler chacune de ces situations de manière à faire porter l‘apprentissage non pas sur l‘appropriation des différents contextes, mais sur l‘enjeu mathématique sous-jacent (Giroux et Ste-Marie, 2006). Mary et Theis (2007) ainsi que Mary et al. (2008) proposent de faire entrer les élèves dans une réelle activité mathématique. La résolution se trouve alors en partie à la charge de l‘élève, la méthode de résolution n‘étant pas fournie à l‘élève, contrairement aux pratiques consistant à enseigner d‘abord les méthodes et à les appliquer ensuite. Cette approche compte sur les connaissances des élèves pour mettre en branle des méthodes de résolution qui seront discutées, validées et revues. La résolution du problème sert alors au développement de nouvelles connaissances. De nombreux travaux en didactique des mathématiques ont récemment placé les élèves dits en difficulté en situation de résolution de problèmes complexes pour étudier ou bien leurs raisonnements dans de telles situations ou bien le potentiel des situations pour favoriser le développement de certaines connaissances. Ces travaux sont effectués autour de différents contenus mathématiques, notamment les nombres rationnels (Blouin et Lemoyne, 2002), l‘arithmétique (Giroux et Ste-Marie, 2006), l‘algèbre (Lemoyne et Bisaillon, 2006; René de Cotret et Fiola, 2006) et le raisonnement algébrique (Mary et al., 2008), les statistiques (Mary et Theis, 2007; Theis et Martin, 2007), ainsi que les probabilités (Martin et Theis, sous presse). Plusieurs de ces travaux misent sur les interactions entre les élèves, ce qui rejoint l‘idée de Mary et al. (2008), qui insistent sur l‘importance de la dimension sociale des situations, puisque « les interactions sociales servent en grande partie à la confrontation des stratégies ou des méthodes de résolution de problèmes et à la progression du savoir en classe » (p. 174). En somme, ces mesures proposées par les différents didacticiens vont toutes dans le sens d‘un enseignement qui, face aux difficultés rencontrées par certains élèves dans l‘apprentissage des mathématiques, se trouve à intervenir sur le plan didactique, c'est-à-dire à réaliser des interventions pour modifier les conditions d‘apprentissage au regard des contenus mathématiques à enseigner tout en misant sur le potentiel mathématique de tous les élèves. Remarques conclusives L‘originalité de notre contribution à la question des particularités de l‘enseignement des mathématiques à des élèves en difficulté en classes régulières ou spéciales est double. D‘une part, elle présente une recension plus complète et mise à jour des phénomènes d‘enseignement des mathématiques aux élèves en difficulté par rapport à d‘autres travaux ayant abordé cette question. D‘autre part, elle a permis de recenser un certain nombre d‘écrits scientifiques rapportant des interventions non remédiatives pour l‘enseignement des mathématiques aux élèves en difficulté, essentiellement issus du champ québécois de la didactique des mathématiques. 237 GDM 2010 – COMMUNICATIONS Notre contribution se trouve divisée en trois parties. Nous avons d‘abord présenté deux visions des élèves en difficultés d‘apprentissage en mathématiques et ensuite certains phénomènes d‘enseignement associés à une vision déficitaire de l‘élève en difficulté. Nous avons également mis en lumière une perspective alternative de l‘enseignement des mathématiques aux élèves en difficulté, qui est soutenue par des auteurs dont les travaux s‘inscrivent en cohérence avec la vision d‘un élève rencontrant des difficultés au sein d‘un système didactique, mais présentant néanmoins un potentiel mathématique. Une telle perspective d‘enseignement des mathématiques aux élèves en difficulté soulève à notre avis divers questionnements. Que font les enseignants lorsqu‘ils présentent des problèmes mathématiques complexes à des élèves en difficulté? Comment enseignent-ils les mathématiques dans ce contexte? De leur côté, quelle expérience mathématique vivent les élèves en difficulté dans une telle perspective? Notre recherche doctorale permettra dans une certaine mesure de chercher des réponses à quelques-unes de ces questions, puisqu‘elle visera à décrire et comprendre le rôle de l‘enseignant dans l‘enseignement des mathématiques à des élèves en difficulté dans le sens d‘une telle perspective. BIBLIOGRAPHIE BLOUIN, P. et LEMOYNE, G. (2002). L‘enseignement des nombres rationnels à des élèves en difficulté d‘apprentissage: une approche didactique de la rééducation et ses effets. Petit x, 58, 7-23. BROUSSEAU, G. (1980). L‘échec et le contrat. Recherches, 41, 177-182. BROUSSEAU, G. (1996). 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Nous avons assisté à des séances d‘enseignement des mathématiques de la stagiaire auprès de ses élèves et nous avons participé, avec la stagiaire et son enseignante-associée, aux rencontres de préparation des situations d‘enseignement de même qu‘aux rencontres consacrées à l‘analyse des situations d‘enseignement observées et de l‘activité mise en œuvre par la stagiaire. Nous faisons appel au cadre de la didactique professionnelle pour poser le potentiel que représentent les échanges issus de la collaboration quant à leur contribution à la transformation de la pratique d‘enseignement des mathématiques des futurs enseignants. Nous y avons également recours surtout pour explorer les objets de discussion et d‘analyse relevés par les différents partenaires de la formation au cours des rencontres pré et post leçons. Pour la didactique professionnelle, la médiation sociale issue des situations de travail et de formation contribue à rendre visibles les éléments-clés des situations professionnelles à prendre en compte pour une activité efficace. Ces éléments, nommés concepts organisateurs, sont conçus comme des variables qui orientent l‘action. Leur verbalisation et partage lors des échanges constituent en quelque sorte le savoir de référence lié à la pratique professionnelle concernée. Nous proposons quelques exemples d‘interactions entre la stagiaire, l‘enseignante-associée et la didacticienne qui seront abordés de manière à rendre compte du savoir-enseigner les mathématiques de référence qui s‘organise pour cette triade. Dans ce but, nous ferons ressortir les concepts organisateurs qui se construisent à travers la négociation entre les différents partenaires de la formation pour les situations d‘enseignement des mathématiques observées. PROBLÉMATIQUE Nous intervenons depuis plusieurs années en tant que didacticienne des mathématiques dans le programme de baccalauréat en éducation préscolaire et en enseignement primaire (BEPEP) de l‘Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT). Notre implication à la fois dans les cours liés aux mathématiques et à la didactique des mathématiques de même que dans la supervision du 3e stage du BEPEP 2 nous a offert une position privilégiée pour observer la 1 2 École élémentaire Ce programme comprend 4 stages : un à chacune des 4 années prévues au cheminement GDM 2010 – COMMUNICATIONS pratique d‘enseignement des mathématiques que développent les futures enseignantes. Au fil de nos expériences comme superviseure en stage nous avons été interpellée, comme didacticienne, par la mise en scène par les stagiaires de situations d‘enseignement que l‘on pouvait juger insatisfaisantes sur le plan des apprentissages mathématiques. Comme formatrice, nous étions également préoccupée par le fait que ces stagiaires ne relevaient pas spontanément les aspects problématiques des situations vécues et n‘avaient souvent aucunement conscience des enjeux didactiques à côté desquels elles étaient passées. Ces observations qui ne constituaient pas des exceptions sont à l‘origine de notre questionnement de recherche. Depuis 2001, la formation à l‘enseignement au Québec s‘inscrit dans un contexte de réforme de son curriculum pour la formation des jeunes et de nouvelles orientations pour la formation des maîtres. Contexte qui a influencé ce qui est attendu de la pratique enseignante, sa nature et son développement. L‘épistémologie de l‘agir professionnel qui a pris de l‘ampleur autour des travaux de Schön et les visées de professionnalisation retenues par le MELS 3 ont orienté la formation à l‘enseignement vers le développement de compétences professionnelles visant un enseignant connaissant et compétent qui est en mesure d‘argumenter ses choix et interventions en s‘appuyant sur des savoirs disciplinaires, pédagogiques et didactiques et qui est capable d‘adapter avec pertinence son action aux particularités des situations professionnelles rencontrées (MEQ, 2001b). De cette pratique enseignante il est également attendu qu‘elle soit centrée sur les apprentissages de manière à répondre à l‘une des missions de l‘école qui est de donner du sens et une portée aux savoirs (MEQ, 2001a; Carbonneau et Legendre, 2002). Ainsi pour l‘enseignement des mathématiques, cela signifie que le renouvellement de l‘enseignement est envisagé dans le sens de la mise en œuvre de compétences didactiques qui vont permettre aux enseignantes de comprendre et d‘agir sur cette « relation sociale particulière » dans laquelle elles se retrouvent avec leurs élèves au sujet de l‘activité et des objets mathématiques (Jonnaert, 1997, p. 175). Assurer le développement de compétences qui tiennent compte de la dimension didactique de la pratique professionnelle devient donc l‘un des enjeux majeurs de la formation en enseignement (MEQ, 2001b). Cette perspective du développement professionnel a également influencé sur les moyens de formation privilégiés. D‘abord, l‘ancrage du développement professionnel des enseignants aux milieux réels d‘exercice s‘est trouvé réaffirmé et explicité : les stages prévus aux programmes de formation sont clairement définis dans les écrits officiels non comme un lieu d‘application, mais bien comme un temps et un espace de formation où collaborent milieux scolaire et universitaire (MEQ, 2001b). Deuxièmement, la pédagogie de l‘alternance action-réflexion s‘est imposée comme moteur pour le développement des compétences professionnelles de manière à dépasser la dimension anecdotique de l‘expérience et assurer une réelle portée éducative au stage (Ball et Cohen, 1999). Or, ce dispositif de formation, s‘il est posé comme condition nécessaire au développement professionnel, ne peut toutefois être considéré comme garant d‘apprentissage (Perrenoud, 2000). Pour Samurçay et Pastré (2004) cela s‘exprime par une nuance importante entre « prendre de l‘expérience » et « apprendre de l‘expérience ». La pratique réflexive parce qu‘elle constitue un outil nécessaire à la profession sera envisagée comme objet de formation et de nombreux efforts sont fournis afin d‘amener les futures enseignantes à développer cette métacompétence. Cependant, il faut parallèlement considérer que ce sont les objets d‘analyse qui se trouvent être la pierre angulaire du développement des compétences professionnelles. Car, 3 Ministère de l‘éducation, du loisir et du sport 242 Lily Bacon comme le soulignait Schön (1996), les enjeux de la pratique à adresser ne sont pas donnés. La dimension construite des problèmes soumis à la réflexion place le praticien et l‘interprétation qu‘il fait des situations d‘action rencontrées au premier plan de cette démarche (Couture et Bouissou, 2003). Comme nos observations nous l‘ont fait constater, les étudiantes conçoivent peu les situations d‘enseignement des mathématiques d‘un point de vue didactique. Diverses hypothèses ont été avancées pour mieux comprendre ce fait. Ball et Cohen (1999) ont pointé du doigt la connaissance des contenus mathématiques davantage procédurale que conceptuelle souvent notée chez les futures enseignantes du primaire soulignant que ce type de maîtrise n‘est pas suffisant pour permettre une analyse pertinente des situations. Il a aussi été rapporté que ce sont davantage les dilemmes liés à la gestion de classe qui sont au cœur des préoccupations des étudiantes à la fois parce que les situations d‘exercice en stage les placent en mode survie (Wideen, MayerSmith et Moon, 1998), mais aussi parce que les phénomènes liés à cette dimension sont plus accessibles et plus rapidement que ceux liés à l‘apprentissage (Durand, 1996). De plus, la médiation assurée par l‘enseignante-associée et le superviseur universitaire aborde peu cette dimension didactique. Souvent ces derniers vont considérer la pratique de la stagiaire en regard de leur propre pratique ou encore vont l‘aborder sous l‘angle psychopédagogique et ne considèreront pas la spécificité disciplinaire des apprentissages proposant même parfois à la stagiaire des pistes de solution en contradiction avec certains principes didactiques (Gattuso, 2000). Ce constat a fait dire à de nombreux chercheurs et didacticiens québécois qu‘ils avaient un rôle important à jouer dans les stages afin de faire émerger l‘enjeu des apprentissages qui est au cœur de la dernière réforme (MEQ, 2001). Ainsi compte tenu de notre position privilégiée sur le terrain des stages nous avons orienté notre questionnement de recherche vers cette médiation de formation particulière qui s‘organise à travers les interactions entre la stagiaire, son enseignante-associée et la superviseure universitaire qui est également didacticienne des mathématiques et les objets d‘analyse que ceux-ci retiennent. Qu‘est-ce qui se dégage de ces échanges entre les membres de la triade de formation dans le cadre des stages et qui nous renseigne sur les situations professionnelles liées à l‘enseignement des mathématiques? Les expertises praticienne et didacticienne, qui s‘y rencontrent, permettentelles l‘émergence d‘objets de réflexion non seulement liés aux impératifs du contexte de classe, mais aussi liés aux apprentissages mathématiques des élèves qui mériteraient d‘être abordés afin d‘enclencher un changement souhaitable de la pratique de la stagiaire pour l‘enseignement des mathématiques? CADRE CONCEPTUEL Parce qu‘elle s‘intéresse aux phénomènes liés au développement et à la transmission des compétences professionnelles en situation de travail et de formation (Samurçay et Pastré, 1998), la didactique professionnelle nous est apparue comme un cadre pertinent pour éclairer les situations de formation en stage. C‘est à ses fondements et modèles théoriques que nous faisons appel dans le but de préciser la perspective dans laquelle nous envisageons le développement professionnel et le rôle qu‘y tiennent les acteurs impliqués en stage et ainsi mieux cerner notre questionnement initial. 243 GDM 2010 – COMMUNICATIONS Vision du métier et du savoir professionnel L‘une des balises théoriques qui apportent un premier éclairage sur le phénomène du développement professionnel est empruntée au domaine de l‘ergonomie. La didactique professionnelle s‘appuie, entre autres, sur les travaux en ergonomie cognitive française (notamment ceux de l‘ergonome Jacques Leplat) qui ont mis en évidence l‘écart inévitable entre la tâche définie et attendue du prescripteur (de l‘employeur) et l‘activité que met de l‘avant le travailleur pour répondre de façon pertinente aux situations de travail réelles qui se posent à lui (Rogalski, 2003). Il s‘agit là d‘une perspective en rupture avec la vision taylorienne du travail qui a longtemps dominé. L‘individu n‘est plus perçu comme un simple exécutant des tâches conçues apriori par un tiers (Montmollin, 1996). Il est plutôt considéré comme celui qui bricole, à travers son activité, une réponse adaptée aux conditions et contraintes des situations réelles d‘exercice. C‘est ce qui est appelé la part vive de tout travail qui permet l‘adaptation aux spécificités des situations (Pastré, 2001). On conçoit alors le savoir détenu par l‘individu comme un savoir à double face. D‘une part, la forme opératoire de la connaissance de l‘individu qui lui permet d‘agir en situation et d‘autre part, la forme prédicative de la connaissance qui relève d‘une mise en mots, de l‘explicitation d‘une certaine compréhension de l‘action (Vergnaud, 1996). L‘idée de compétence en didactique professionnelle est associée à cette forme opératoire de la connaissance des individus (Barbier, 1996) à cette « intelligence des situations » dont font preuve les travailleurs (Montmollin, 1996). La didactique professionnelle se fonde sur les propositions de Vergnaud (1996) qui instaure un rapport dialectique entre action et connaissance et met au premier plan les situations dans le processus de développement de la pensée et de l‘activité d‘un sujet. Ce choix épistémologique confère ainsi des caractères situé et cognitif à l‘agir professionnel. Pour Samurçay et Pastré (1995) la compétence est envisagée « comme un rapport du sujet aux situations de travail » (p.15). C‘est donc à partir de cette perspective que nous abordons la vision du MELS (MEQ, 2001) concernant les compétences professionnelles à développer dans les programmes de formation à l‘enseignement. Celui-ci décrit la compétence comme un savoir-mobiliser les ressources qui sont jugées pertinentes en fonction des situations professionnelles rencontrées, de leurs exigences et contraintes telles qu‘interprétées par l‘enseignante. On y considère donc la compétence comme étroitement liée à la situation et également indissociable de l‘enseignante et son regard sur la situation. Nous sommes d‘avis que cela rejoint l‘idée de compétence considérée en didactique professionnelle. Processus de développement et d’apprentissage des compétences professionnelles Cette hypothèse d‘activité comme connaissance opératoire autonome qui émerge en action appelle une perspective de développement et d‘apprentissage qui tient compte de cette nature particulière. Que l‘on se situe en situation de travail ou de formation, lorsqu‘il est question de développement de compétences professionnelles, à quoi forme-t-on au juste et comment? Les situations professionnelles comme objet de formation Pour la didactique professionnelle le développement des compétences professionnelles est à penser non pas uniquement à partir de l‘appropriation des savoirs du domaine, mais également à 244 Lily Bacon partir de la conceptualisation des situations liées à la profession (Samurçay et Pastré, 1995). Apprendre des situations représente alors l‘élaboration par le sujet d‘une organisation de son activité de manière à assurer une certaine efficacité de son action et ainsi maîtriser ou à tout le moins se débrouiller 4 dans la situation professionnelle concernée (Pastré, 1994). Ces organisateurs de l‘activité qui s‘élaborent dans l‘action sont appelés des concepts pragmatiques. La didactique professionnelle fait appel à Vergnaud (1996) et à sa définition du schème pour parler de cette organisation de l‘activité. Un concept pragmatique pourra ainsi être détaillé en explicitant les buts auxquels il se rattache, les anticipations qu‘il rend possible, les règles d‘action qui y sont associées autant pour la prise d‘information, l‘exécution et le contrôle de l‘action de même que les inférences qu‘il nécessite en regard de la situation spécifique. Les concepts pragmatiques constituent un outil pour l‘action parce qu‘ils permettent au sujet de prélever des informations signifiantes qui servent d‘indicateurs dans l‘interprétation de la situation. On dira dans ce cas qu‘ils ont une visée pragmatique. Les concepts pragmatiques ont également une visée épistémique en ce sens qu‘ils représentent les dimensions, les variables de la situation de travail à prendre en compte pour une activité efficace. Le réseau de relation entre les dimensions ou variables d‘une classe de situation va représenter ce qu‘on a appelé la structure conceptuelle de la situation. À partir d‘une analyse des situations de travail et de l‘activité des travailleurs dans ces situations, on repère les dimensions prélevées et jugées pertinentes en regard avec l‘évolution souhaitée de la situation de travail de même que les différents liens qui les unissent (Pastré, 2001; Samurçay et Pastré, 1995). Au fur et à mesure de son expérience, un individu peut construire graduellement les différentes dimensions des situations de travail et les relations qui les lient. Il élabore ainsi une forme schématique et déformée de la situation constituée des éléments considérés pertinents pour l‘action efficace (Samurçay et Pastré, 1995). Les concepts pragmatiques se retrouvent également dans le discours des gens du métier et font ainsi partie du savoir de référence transmissible (Pastré, 2001). Un concept pragmatique est donc considéré à la fois comme un savoir détenu pas un individu et un savoir externe partagé par une communauté de pratique au sujet d‘une classe de situations. Les situations d’action et d’analyse de l’activité comme moyen de formation La didactique professionnelle postule que le processus de développement et d‘apprentissage des compétences professionnelles se présente comme l‘interaction des représentations et du processus de conceptualisation d‘un individu avec la détermination des situations d‘action et avec la médiation des pratiques collectives (Rogalski, 2004). Cette hypothèse suppose l‘idée d‘une double source au processus de conceptualisation et trouve ses fondements dans la théorie de la conceptualisation dans l‘action de Vergnaud et la théorie socioculturelle du développement de la pensée proposée par Vygotski. On conçoit une construction des concepts liés à l‘organisation de l‘activité professionnelle qui s‘effectue à travers l‘action du sujet, l‘utilisation d‘outils culturels liés au métier de même qu‘à travers les interactions sociales qui surviennent en situation de travail. On considère un deuxième niveau de conceptualisation dans le cadre de situations de communication et d‘analyse de l‘activité réalisée avec les collègues plus expérimentés et les formateurs. Lors de ces occasions les savoirs de référence sont explicités et validés avec autrui 4 Nuance apportée par P. Mayen lors d‘un séminaire sur la didactique professionnelle qui s‘est tenu à l‘UQAM en avril 2008 245 GDM 2010 – COMMUNICATIONS (Beckers, 2007). La médiation sociale est donc considérée comme étant une clé essentielle pour la transformation de l‘expérience en apprentissage (Mayen, 2002). Et pour les tenants de la didactique professionnelle les objets que cette médiation aborde à travers ses échanges ce ne sont pas que des connaissances, mais également de l‘activité en situation c.-à-d. les éléments propres à l‘organisation de l‘action (Mayen, 2002). À partir de l‘analyse de l‘activité, les discussions entre le formé, ses collègues et ses formateurs vont porter sur « l‘identification du but à atteindre et des anticipations à opérer, à la sélection des informations pertinentes et à leur catégorisation, au réglage de la conduite par la validation ou la présentation de règles d‘action, de prise d‘information ou de contrôle, au réglage des raisonnements. » (Mayen, 2002, p. 97). Un savoir-enseigner les mathématique de référence négocié en contexte de stage C‘est dans cette perspective que sont envisagées les situations de stage. Nous considérons ce qui émerge des situations professionnelles vécues en stage et leur interprétation par les différents partenaires de formation (stagiaire, enseignante-associée, superviseure universitaire) comme une contribution potentielle à la structuration d‘une certaine pratique enseignante par la stagiaire. La médiation sociale explicite les diverses lectures qui peuvent être faites des situations vécues par la stagiaire rendant visibles du même coup les concepts pragmatiques qui servent d‘indicateur au diagnostic de la situation et qui orientent l‘organisation de l‘action. En raison du contexte de collaboration de formation entre milieu scolaire et universitaire, nous sommes d‘avis que les organisateurs de l‘action ne sont pas uniquement partagés, ils sont également négociés. C‘est un savoir de référence qui est co-construit par les praticiennes et la didacticienne en présence (Desgagné, 1998). La supervision pédagogique est conçue comme une zone de dialogue et d‘apprentissage entre praticiens et didacticiens à travers la négociation de sens et la restructuration des situations et des interventions (Couture et Bouissou, 2003). Dans cette optique d‘apprendre des situations, la didactique des mathématiques sera considérée comme outil de formation et servira de cadre pour baliser les interventions autant de la didacticienne, de l‘enseignante-associée que de la stagiaire (Bednarz, 2001). C‘est à travers la mise en dialogue de leurs cadres d‘analyse et d‘action respectifs que les acteurs de la triade seront appelés à construire le sens des situations et de leurs solutions possibles en cherchant à répondre autant à l‘exigence de la viabilité des situations d‘apprentissage en contexte réel de classe qu‘à celle liée à la fécondité des situations élaborées et réalisées en classe pour les apprentissages mathématiques des élèves (Bednarz, 2001). Objectifs de la recherche Notre projet de recherche vise à rendre compte de l‘univers co-construit par la stagiaire, son enseignante-associée et la didacticienne des mathématiques dans le cadre des stages en regard d‘un savoir-enseigner les mathématiques au primaire. À partir du cadre de la didactique professionnelle, ce plan social de la formation est abordé par le biais de ce qu‘il structure à travers les situations d‘analyse de l‘activité de la stagiaire : nous sommes intéressée à éclairer les situations professionnelles d‘enseignement des mathématiques qui sont interprétées et verbalisées par les différents acteurs du stage et les tâches qui y sont rattachées. Dans ce but, nous nous attardons à repérer et décrire les concepts pragmatiques qui sont partagés et négociés à travers les échanges entre les praticiennes et la didacticienne ainsi que les relations qu‘ils entretiennent entre eux. 246 Lily Bacon ORIENTATIONS MÉTHODOLOGIQUES Notre intention de mieux comprendre ce plan social et ce qu‘il offre en contexte réel de formation inscrit notre recherche dans la perspective des sciences humaines dont la finalité selon Anadon (2004) vise la compréhension des phénomènes humains tels qu‘ils peuvent s‘appréhender dans leur complexité en milieu naturel en prenant en compte les significations des acteurs des situations et de leurs actions. L‘orientation méthodologique générale qui nous apparaît la plus appropriée à cette perspective est l‘approche qualitative-interprétative. Le savoir qui en résulte est « vu comme enraciné dans une culture, un contexte, une temporalité » (Savoie-Zajc, 2004, p. 126). Comme le soulève Anadon (2004), cette perspective appelle une approche méthodologique qui prend en considération les interactions entre chercheure et acteurs ainsi que leur subjectivité respective. Elle suppose également une approche méthodologique qui puisse prendre en compte la dialectique théorie-pratique qui va se jouer dans les échanges et l‘interaction déterminante avec le contexte. On parle alors d‘une approche de recherche participative. C‘est donc dire que dans notre recherche, la chercheure ne se place pas dans une position d‘observateur externe, mais participe plutôt tout comme les autres acteurs (praticiens en exercice et en formation) à cette situation de formation et y joue l‘un des rôles formalisés i.e. superviseur universitaire. L‘étude de cas est la démarche retenue pour notre étude. Comme Merriam (1988, pris dans Karsenti et Demers, 2004, p. 212) l‘a précisé, une étude de cas effectuée dans le cadre d‘une recherche qualitative-interprétative présente les natures suivantes : heuristique pour permettre une meilleure compréhension du phénomène étudié i.e. la négociation des concepts pragmatiques pour l‘enseignement des mathématiques dans le cadre de la supervision pédagogique en stage; descriptive puisque nous nous proposons de décrire le savoir-enseigner les mathématiques coconstruit au sein de la triade de formation; particulariste parce qu‘il s‘agit d‘un phénomène considéré comme situé; et finalement inductive car l‘étude de cas s‘effectue dans le rapport entre le raisonnement du chercheur et les faits observés sur le terrain. Pour cette étude, deux types de données ont été recueillis. D‘abord des données qui nous renseignent sur l‘activité mise de l‘avant par le stagiaire en situation d‘enseignement des mathématiques dans sa classe d‘accueil. Puis d‘autres données qui permettent de prendre connaissance du sens que les acteurs de la triade de formation accordent aux situations et aux actions proposées par le stagiaire. Les enregistrements audio et vidéo des situations d‘enseignement – apprentissage sur les mathématiques menées par le stagiaire auprès des élèves ainsi que des rencontres de préparation et de l‘analyse de l‘activité du stagiaire par la triade de formation constituent le matériel qui sera soumis à l‘analyse. Une démarche d‘analyse inductive de type théorisation ancrée est empruntée pour examiner les interactions entre les partenaires de la collaboration de formation de manière à rendre visibles l‘interprétation des observables par les différents acteurs et les variables des situations d‘enseignement que ces derniers retiennent comme pertinentes pour l‘avancement de la situation. ANALYSE DES ÉCHANGES DE LA TRIADE EN LIEN AVEC LA TÂCHE DE GESTION DE L’INTERACTION EN CLASSE À partir d‘un exemple d‘échanges qui se sont déroulés après une leçon menée par la stagiaire nous vous offrons un premier regard sur ce qui peut être dégagé du discours de la triade de formation. Dans cet extrait, un même événement est examiné par la stagiaire et ses formatrices : 247 GDM 2010 – COMMUNICATIONS La stagiaire, dans le but de permettre à ses élèves d‘apprendre le comptage par bonds, a offert à ceux-ci une tâche de comptage par bonds de 2 d‘un ensemble de jetons et par la suite un comptage à l‘aide une bande numérotée. Ces deux tâches sont menées en grand groupe. En cours de comptage, une élève exprime à la stagiaire qu‘elle n‘a pas le temps de trouver la suite du comptage que déjà d‘autres élèves ont énoncé la réponse. Les échanges permettent d‘avoir accès à la lecture que chaque acteur de la triade de formation fait de l‘événement et des éléments qui sont retenus comme pertinents pour l‘organisation de l‘activité. S : stagiaire E : enseignante-associée C : chercheure E : C‘est ça dans une classe, il y a tellement de différence entre les enfants que c‘est de trouver la ligne pour que tout le monde y trouve son compte. Un moment donné, cette élève a dit : « On n‘a pas le temps de le faire! ». Faudrait penser un peu à qu‘est-ce qu‘on fait avec ceux qui vont moins vite? Ceux qui avaient déjà tout compris le principe, auraient peut-être pu passer à l‘exercice tout de suite. [Ceux] qui auraient eu besoin davantage d‘explications là, je les assois par terre, dans le petit coin de rassemblement parce qu‘on les connaît quand même les élèves après un trois semaines. On sait déjà d‘avance avec qui ça va aller très bien. Pour récupérer un peu les amis qui avaient plus de misère. Pour l‘enseignante, cet événement représente l‘une des réalités complexes auxquelles on fait face dans une classe : les élèves n‘en sont pas tous au même point. Elle explicite ici que la situation actuelle d‘enseignement de comptage par 2, comme toute situation d‘enseignement, exige une gestion des différences chez les élèves. Elle formule également l‘enjeu important de cette situation qui est de répondre aux besoins de tous, signalant ainsi le but vers lequel devraient tendre les actions de la stagiaire. Elle offre une solution en termes de gestion des tâches : lorsqu‘émergent des différences de rythme entre les élèves, elle suggère de diviser la classe en sous-groupes. S : J‘allais plus vite et je les perdais moins. Ceux qui participent, qui comprennent, eux autres m‘amenaient à aller plus vite. Quand elle m‘a dit ça, j‘ai dit t‘as bien raison. Puis là, je me suis dit avec les feuilles [exercice], on va pouvoir aller à notre rythme. Mais là, je me suis dit : qu‘est-ce que je fais avec les plus rapides, les plus lents … La stagiaire, pour sa part, exprime dans un premier temps l‘une de ses préoccupations qui est de maintenir l‘attention des élèves. Par la suite, elle verbalise l‘influence qu‘ont eue les réactions des élèves sur la régulation du déroulement de l‘activité : le rythme de l‘activité s‘est articulé sur les élèves qui savent déjà. Au fur et à mesure du comptage collectif, parce que des élèves énonçaient rapidement et spontanément le nombre suivant dans la suite par 2, elle avait tendance à accélérer la cadence et à demander aussitôt « ensuite? ». Le commentaire de l‘élève lui a fait réaliser que la tâche n‘est pas entreprise avec succès par tous. Dans l‘action la stagiaire a décidé de devancer le passage à une tâche individuelle qui était prévue pour plus tard, afin que chacun y aille à son rythme. Elle soulève finalement son questionnement quant au travail à entreprendre avec les 2 sous-groupes identifiés. Pour les deux praticiennes (l‘enseignante-associée et sa stagiaire), les informations signifiantes sont celles qui renseignent sur ceux qui réussissent la tâche et ceux qui ne la réussissent pas. Les 248 Lily Bacon observables sont donc considérés en termes de rythme de réussite à la tâche chez les élèves : Il y a des rapides qui ont compris et d‘autres plus lents qui seront plus loin dans la discussion considérés comme élèves en difficulté. L‘activité préconisée est orientée par les différents rythmes de réussite de la tâche par les élèves. Un changement de format (travail collectif à travail individuel) et la différenciation des tâches (exercice pour les rapides et explications supplémentaires pour les plus lents) sont envisagés comme solution à l‘enjeu vécu et verbalisé. C : Si on essayait de penser à un portrait [de classe] qui n‘est pas en termes de rythme mais plus en termes de qu‘est-ce que [les élèves] comprennent … S : Je pourrais dire qu‘ils sont capables de faire la suite dans leur tête. Ils vont dire deux, quatre, six là ça va être réglé. Ah oui ! Je l‘avais remarqué. Y a des élèves je pourrais dire : Ah ! Ils se trompent. Des fois, ils comptaient, puis ils en avaient un seul [jeton], mais ce n‘était pas supposé. C : Alors ce que ça exige quand je compte par bonds de deux … D‘abord c‘est de connaître la comptine qui est différente de la comptine un à un. Et je vais te ramener à la petite qui t‘a fait un commentaire. Elle disait : « je n‘ai pas été en mesure de le faire avant que les autres le disent », c‘est que elle, elle ne maîtrise pas la comptine par deux. Donc, toi, quand tu leur demandais de faire [le comptage par bonds de deux] avec toi, tu leur demandais à la fois de mettre en application la comptine alors que certains ne la possédaient pas et tu leur demandais de faire le travail de coordination et là on voyait bien que ce n‘est pas tout le monde qui était en mesure de le faire… S : Avant que tu me l‘expliques, j‘avais un peu de difficulté. Qu‘est-ce que je vais faire si elle n‘a pas compris, sur quoi je reviens pour l‘aider ; on n‘a pas à revenir sur tout … La chercheure-didacticienne quant à elle, amène la stagiaire à faire une lecture de ces mêmes indices en termes de compréhension chez les élèves. Elle entreprend de rendre visibles le niveau de complexité de la tâche proposée et les connaissances mathématiques que l‘accomplissement de cette tâche exige : entre autres l‘apprentissage de la comptine par bonds de 2; la coordination de cette nouvelle comptine avec le geste nouveau de prendre deux éléments à la fois. Il y a sousjacent au commentaire de la didacticienne une certaine analyse conceptuelle du nombre et des processus associés tel le comptage de même qu‘une analyse de la tâche de comptage offerte aux élèves par la stagiaire. Les réactions des élèves sont interprétées en fonction de ce cadre. La chercheure-didacticienne fait ressortir l‘importance de lire ce qui surgit chez les élèves en fonction autant de la situation aménagée que du savoir en jeu. Pour la didacticienne, les besoins d‘apprentissage qui s‘expriment chez les élèves représentent l‘un des éléments organisateurs de l‘action en situation d‘enseignement du comptage par bonds. Ce court échange permet de faire ressortir les variables qui sont retenues pour le diagnostic de la situation par les acteurs de la formation et qui constituent les organisateurs pertinents de l‘action ou les concepts pragmatiques. Nous constatons que la stagiaire, l‘enseignante-associée et la didacticienne ont des perspectives différentes sur la situation d‘enseignement-apprentissage telle qu‘elle s‘est déroulée. En effet, l‘échange entre les praticiennes et la didacticienne met en tension deux façons de lire la situation : d‘une part, en termes de rythmes de réussite aux tâches à concilier (concept pragmatique) et d‘autre part, en termes de besoins d‘apprentissage à considérer liés aux connaissances mathématiques observées (concept pragmatique). L‘exemple nous montre néanmoins que ces deux perspectives peuvent être considérées comme convergentes quant à l‘enjeu soulevé qui est de gérer les différences dans le groupe-classe en s‘assurant que tous progressent (but). En effet, la suggestion de l‘enseignante de constituer des sous-groupes afin de répondre à des rythmes distincts (règles d’action) est bonifiée par l‘éclairage de la didacticienne 249 GDM 2010 – COMMUNICATIONS qui permet une formulation des intentions pédagogiques pertinentes à poursuivre auprès de chacun des sous-groupes en regard du contenu mathématique visé (anticipation). La mise en relation de ces deux interprétations ouvre la voie à une organisation négociée de l‘activité où la gestion des différences de rythme de réussite s‘articule à la gestion des différences de connaissance des élèves. L‘activité a pour but que chacun progresse et que l‘attention et l‘engagement de tous à la tâche soient maintenus. Les indices verbaux et non-verbaux observés en situation sont construits non seulement en termes d‘indicateurs quant à la réussite spontanée ou non des élèves à la tâche de comptage, mais également en termes de besoins d‘apprentissage en regard du savoir mathématique en jeu et de la tâche proposée. Voici une présentation schématisée des éléments liés à l‘organisation de l‘action dans le cadre d‘une situation d‘enseignement-apprentissage portant sur le comptage par bonds de 2 en 1 re année du 1er cycle (6 ans) où la tâche à accomplir consiste à gérer les différences qu‘il y a entre les élèves de la classe. Indices verbaux : Élèves énoncent la comptine par bonds de 2 Élève verbalise qu‘elle n‘a pas le temps de trouver la réponse que celle-ci est déjà dite. Indices non-verbaux : Des élèves ne savent plus où on est rendu Des élèves n‘ont pris qu‘un seul jeton au lieu de 2. (Sta; Ens; Did) But : Trouver la ligne pour que chacun y trouve son compte Indicateurs : Connaissances variés liées au comptage Concept pragmatique : Intervention sur besoins d‘apprentissage (Did) Anticipation : Analyse conceptuelle et analyse de la tâche Maîtrise ou non de la comptine par 2; Capacité ou non à coordonner l‘énonciation de cette comptine avec le geste de prendre 2 jetons (Did) 250 Indicateurs : Rythmes variés de réussite à la tâche But : Garder équilibre entre exécution tâche et l‘attention des élèves Ne pas perdre les plus rapides, ni les plus lents (Sta) Concept pragmatique : Intervention sur indice de difficulté (élèves qui ont de la misère) (Ens) Règles d’action : Changer format activité (collectif à individuel) (Sta) Former sous-groupes avec tâches différentes (Ens) Offrir des explications supplémentaires articulées sur les compréhensions des élèves (Sta) Anticipation : L‘expérience apporte connaissance quant à la variété des rythmes d‘apprentissage dans la classe. On sait qui sont les élèves les plus rapides et ceux qui ont besoin de plus d‘explication (Ens) Lily Bacon CONCLUSION Cet exemple permet d‘appréhender les différents sens du travail fait par la stagiaire en classe tels que construits par les différents acteurs de la triade (stagiaire, enseignante-associée, superviseuredidacticienne) et de faire ressortir les différents éléments de la situation jugés pertinents pour l‘action qui sont verbalisés par les partenaires de la formation comme un savoir de référence. À notre avis, cet exemple permet également d‘apprécier le potentiel qu‘une telle mise en dialogue entre praticiennes et didacticienne peut représenter pour la négociation d‘un savoir-enseigner les mathématiques qui prend en compte autant la viabilité des situations que leur fécondité en regard des apprentissages mathématiques en jeu. BIBLIOGRAPHIE ANADON, M. (2004). Quelques repères sociaux et épistémologiques de la recherche en éducation au Québec. In T. Karsenti et L. 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L‘intention de rapprocher mathématiques et réalité se manifeste notamment dans les programmes d‘études axés sur les compétences de même que dans des propositions de recherche et d‘enseignement telles que celles véhiculées par les Parcours d‘Étude et de Recherche (PER) (Chevallard 2007), la didactique des domaines d‘expérience (Boero et al. 2009, Boero & Douek 2008, Douek 2003) et la didactique du sens commun (René de Cotret & Larose 2006 et René de Cotret, sous presse). Bien qu‘ils apparaissent souhaités par plusieurs et qu‘ils visent, à terme, à la fois une meilleure compréhension des mathématiques, un plus grand pouvoir d‘action sur le monde et une plus grande autonomie, les rapprochements entre mathématiques et réalité ne sont pas faciles à mettre en place ni à gérer. À partir de quelques situations d‘enseignement, tirées de la didactique des domaines d‘expérience, nous identifierons et nous analyserons quelques difficultés que pose le recours à la réalité dans le cadre de l‘enseignement des mathématiques. Cette analyse conduira à un questionnement à propos du travail de modélisation et, plus particulièrement, à propos du choix des variables et de la base sur laquelle repose la validité des solutions produites. Le type de contrat didactique en jeu dans de telles situations sera aussi mis en évidence. 1. RAPPROCHER MATHÉMATIQUES ET RÉALITÉ La velléité de rapprocher les mathématiques et la réalité à l‘école est formulée par divers intervenants du milieu de l‘éducation. Elle transparaît notamment dans les programmes de formation de l‘école québécoise. 1 La réflexion menée dans cet article s‘inscrit dans le cadre d‘un projet de recherche sur la didactique du sens commun subventionné par le CRSH-Canada. GDM 2010 – COMMUNICATIONS 1.1 Du point de vue du Ministère de l’éducation Le ministère de l‘éducation des loisirs et des sports du Québec (MELS) préconise de faire un lien entre la réalité et les mathématiques à l‘école. Les trois visées du programme de formation de l‘école québécoise, soit la construction d‘une vision du monde, la structuration de l‘identité et plus particulièrement le développement d‘un pouvoir d‘action, témoignent de l‘intention de faire en sorte que les savoirs appris à l‘école soient mis en œuvre dans le quotidien des jeunes. « Elle [l‘école] n‘est pas sa propre finalité et doit en conséquence préparer à la vie à l‘extérieur de ses murs. Le décloisonnement entre l‘école et son environnement encourage l‘élève à entreprendre une démarche de réflexion sur l‘utilité et l‘applicabilité de tel ou tel apprentissage dans différents contextes. » (MELS, 2003, p.11) Le programme de mathématique contribue à cette préparation à la vie extérieure notamment parce que la mathématique « permet d‘appréhender la réalité » et « se trouve dans une multitude d‘activités de la vie courante. » (MELS, 2003, p. 231). Ainsi l‘apprentissage des mathématiques outille les élèves pour leur vie courante. De plus, selon le MELS, non seulement les mathématiques sont-elles utiles pour appréhender la réalité, mais réciproquement la confrontation avec la réalité est utile à l‘enseignement des mathématiques au secondaire puisque celui-ci : « … est plus efficace lorsqu‘il prend appui sur des objets concrets ou des éléments de situations tirées de la réalité. » (MELS, 2003, p. 232). En visant à relier mathématiques et réalité, l‘école cherche à remplir son mandat qui est : « de continuer à transmettre les savoirs des générations précédentes, tout en aidant tous les élèves à développer les habiletés qui leur permettront d‘être des individus instruits et cultivés, des citoyens engagés, des travailleurs compétents. En somme, on s‘attend à ce qu‘elle forme des personnes autonomes » (MELS, 2003, p.4) Cette autonomie, qui devrait se manifester notamment à travers l‘usage des savoirs appris à l‘école dans des situations de la vie courante, ne semble toutefois pas facile à atteindre. Nous avons en effet observé, directement ou via des résultats de recherche, plusieurs manifestations du fait qu‘un savoir appris n‘était pas utilisé lorsqu‘il aurait pourtant été pertinent qu‘il le soit. (René de Cotret, sous presse). En voici un exemple tiré d‘une observation faite en 2006 dans le cadre d‘un atelier mathématique d‘un collège de Marseille auquel participaient, sur une base volontaire, des élèves de 13-14 ans. À la question « pourquoi les gros bateaux flottent-ils ? » des élèves ont répondu que c‘est parce qu‘on y introduit une substance flottante. Afin d‘étudier ce phénomène, les élèves ont travaillé pendant plusieurs mois sur l‘activité des boîtes flottantes (tirée de Chevallard 1989a) pour arriver à conclure que l‘enfoncement dans l‘eau est constant pour une boîte cubique dans un matériau donné. Il en découle que plus la boîte est grosse plus elle flotte, ou plus la partie émergeante est grande. Ce résultat ne semble toutefois pas avoir été utilisé par les élèves lorsqu‘on leur a posé de nouveau la question lors de la dernière séance sur les boîtes flottantes. Voyons un extrait de l‘échange qui a alors eu lieu en classe : « 8 h 52 Prof : Vous avez maintenant une meilleure idée de pourquoi les gros bateaux flottent ? E : Il y a du métal autour de quelque chose qui flotte ou fait flotter dedans. 254 Sophie René de Cotret E : Les ingénieurs calculent pour plus grand. Quelques minutes plus tôt, il y avait eu cet échange : 8 h 40 Prof : On a réfléchi sur une grande quantité de boîtes sans avoir à les fabriquer. On a travaillé et réfléchi sur le modèle. En quoi c‘est avantageux ? E : Ça enlève du travail. E : Oui, ça enlève du temps. Mais c’est la pratique qui prouve plus que la théorie. Si on le met dans l‘eau et qu‘il coule !... P : Les fabricants de bateaux, ils doivent être de quel côté ? Théorique ou pratique ? E : Des deux ! » (René de Cotret, 2007, p. 307) Cet extrait montre qu‘en réponse à une question de la vie quotidienne, Pourquoi les gros bateaux flottent-ils ?, ces élèves n‘ont pas utilisé les savoirs nouvellement appris, et ce, même si ces savoirs avaient été précisément développés en réponse à cette question. Le lien entre le savoir appris et la réalité apparaît donc ici plutôt fragile. 1.2 Du point de vue de la didactique du sens commun Plusieurs autres phénomènes de non-usage d‘un savoir appris dans une situation quotidienne, tel que celui évoqué ci-dessus, ont été observés et c‘est pour en faire l‘étude de manière plus systématique que nous avons développé la didactique du sens commun. La question à l‘origine de ce développement est la suivante : Pourquoi n‘utilise-t-on pas ce qu‘on a appris quand il serait pourtant pertinent qu‘on le fasse ? Notre hypothèse de travail est que, si que si le savoir scolaire appris n‘est pas utilisé, lorsqu‘il serait pertinent qu‘il le soit, c‘est qu‘autre chose l‘est à sa place et nous proposons qu‘il pourrait s‘agir du sens commun. Cette réflexion nous a conduits à développer deux pistes de recherche. D‘une part, nous tentons de développer des outils conceptuels qui permettront d‘appréhender la dynamique entre les savoirs appris et les savoirs de sens communs et de décrire les articulations entre ces savoirs. Il nous importe d‘étudier les conditions dans lesquelles le savoir scolaire appris pourrait être davantage utilisé dans des contextes quotidiens. Nous nous intéressons notamment aux conditions de validité des savoirs scolaires dans la sphère du quotidien et tentons de définir quel apprentissage scolaire favoriserait un usage quotidien des savoirs ainsi appris. Cela revient, entre autres, à se demander : Avec quel « équipement » le savoir doit-il être « livré » pour qu‘il puisse être mis en usage de manière pertinente dans un contexte social et culturel quelconque ? Nous référons pour le moment à cet équipement par l‘appellation de « bassin épistémologique » (René de Cotret, sous presse). D‘autre part, de façon plus pragmatique, nous cherchons à faire en sorte que les savoirs scolaires que les élèves apprennent soient utilisés dans leur quotidien. Nous développons à cet effet une stratégie pour que les élèves se munissent d‘une « clochette de vigilance » laquelle les alerterait du fait qu‘ils disposent peut-être d‘un savoir plus pertinent que celui qu‘ils s‘apprêtent à utiliser. 255 GDM 2010 – COMMUNICATIONS Bien que le but de cet article ne soit pas de présenter la didactique du sens commun 2, une brève description est apparue utile pour éclairer la position depuis laquelle nous observons et questionnons les rapprochements entre mathématiques et réalité à l‘école. 1.3 Didactique des domaines d’expérience La didactique des domaines d‘expérience (DDE) s‘intéresse aussi, depuis plus de 20 ans, aux liens entre mathématiques et réalité. Elle a été développée, par Paolo Boero et l‘équipe de Gênes, pour répondre à un besoin de concevoir autrement les rapports entre les mathématiques et la réalité dans la classe, notamment à cause de l‘insatisfaction qui résultait d‘un usage du réel à simple fin de présenter des applications standardisées pour la construction des concepts mathématiques (Boero sous presse). La recherche de moyens pour « dépasser certaines difficultés des élèves, liées au recours à la réalité » (Douek, 2003, p.3) est ainsi à l‘origine de cette didactique. Trois ordres de nécessité sous-tendent le développement de la DDE : « Assurer en même temps un traitement systématique de la réalité ET des contenus mathématiques que l‘on met en jeu pour la connaître; traiter les divers domaines des mathématiques comme domaines de la réalité (culturelle) […] ; encadrer la construction des connaissances (mathématiques et non mathématiques) dans la classe comme processus évolutif d‘enculturation […] » (Boero 2009) C‘est en s‘appuyant sur la dialectique concept quotidien/concept scientifique de Vygotsky que les rapports entre les usages quotidiens et les usages scientifiques des savoirs sont pris en charge par la DDE. « Elle [la théorie des domaines d‘expérience] prend en considération les deux tendances dans l‘usage des concepts, l‘une « quotidienne » et l‘autre « scientifique » que l‘école cherche à développer. Toutefois il ne s‘agit pas de distinguer spécialement des concepts qui seraient quotidiens et d‘autres qui seraient scientifiques, mais des usages. » (Boero & Douek, 2008, p.99)3. Puisque la DDE travaille depuis 20 ans à développer un enseignement qui reliera mathématiques et réalité selon un usage culturel, et non seulement comme exemple ou un prétexte, il s‘agit d‘un terrain privilégié pour observer la mise en œuvre d‘un tel enseignement et pour étudier les difficultés qu‘elle peut engendrer. 2. TROIS QUESTIONS QUE POSE LE RECOURS À LA RÉALITÉ EN CLASSE À partir de trois situations issues de la DDE nous soulèverons quelques questions que pose le recours à la réalité en classe. Bien que ces questions soient illustrées à travers des situations proposées par la DDE, elles n‘y sont pas exclusives et alimentent d‘une manière plus générale la réflexion sur les façons de mettre en scène et d‘exploiter le rapprochement entre mathématiques et réalité en classe. 2 Pour en savoir plus sur la didactique du sens commun, le lecteur pourra se référer, notamment, aux textes suivants : René de Cotret, S. & Larose, R. (2006), René de Cotret, S. & Vincent, S. (2009), René de Cotret, S. (sous presse) 3 Pour en savoir davantage sur la didactique des domaines d‘expérience, le lecteur pourra se référer aux publications de Boero et de Douek en bibliographie et aussi consulter le site : http://didmat.dima.unige.it. 256 Sophie René de Cotret 2.1 À propos du choix des variables (ou la question du « frottement ») : les ombres du soleil Une des difficultés rencontrées lors du traitement mathématique de la réalité est liée à la complexité du phénomène étudié. Cette difficulté se manifeste notamment lors du processus de modélisation, lequel requiert d‘abord de définir le système étudié en « en précisant les "aspects" pertinents par rapport à l'étude que l'on veut faire de ce système, soit l'ensemble des variables par lesquelles on le découpe dans le domaine de réalité où il nous apparaît. » (Chevallard, 1989, p. 53). Ce choix des variables est difficile. Quelles variables retenir, quelles variables laisser tomber ? En fonction de quels buts et de quels besoins ces choix sont-ils faits ? Dans les problèmes proposés à l‘école, le système réel étudié n‘est souvent qu‘évoqué (Chevallard 1989b) et, de ce fait, le travail de définition du système s‘en trouve réduit de sorte que la question d'un choix pertinent de variables ne se pose pas vraiment. La modélisation d‘une situation réelle, proposée par la DDE, ne peut, pour sa part, faire l‘économie du choix des variables et l‘on doit s‘attendre autant à ce que les élèves prennent « trop » ou « trop peu » de variables en compte dans leur modèle (à cet égard, voir Viennot 1992). Par le type de travail qu‘elle fait avec les élèves, la didactique des domaines d‘expérience a le mérite de s‘attaquer à ce problème du choix des variables. Le domaine des ombres du soleil, travaillé avec les élèves de 10 à 14 ans, en fournit un exemple. Diverses questions y sont étudiées telles que l‘espace d‘ombre engendré par un objet, l‘inclinaison des rayons du soleil, le déplacement de l‘ombre en fonction de l‘heure, le déplacement de l‘ombre selon la position de l‘objet, etc. La modélisation conçue pour étudier ce dernier phénomène conduit à se confronter à la délicate question du parallélisme des rayons du soleil. Depuis qu‘ils sont tout petits les enfants dessinent les rayons du soleil en étoile et non parallèles les uns aux autres. La DDE propose un dispositif qui conduit les élèves à observer des rayons parallèles. Or, ce parallélisme n‘est admis qu‘étant donné la très grande distance terre-soleil. On pourrait dire que le fait d‘admettre le parallélisme des rayons du soleil s‘apparente, d‘une certaine façon, au fait d‘admettre l‘absence de frottement dans l‘étude de la chute des corps. Dans la chute des corps, le frottement existe mais on l‘omet lors de la modélisation pour plus facilement étudier le phénomène, pour le simplifier. De même, dans l‘étude des ombres du soleil, on omet de préciser que la perception des rayons parallèles est liée à la différence d‘échelle entre le phénomène observé et la distance de la source lumineuse. En fait, dans un cas comme dans l‘autre, on omet – volontairement pour le professeur, mais est-ce le cas pour les élèves ? – certaines variables pour faciliter la conception du modèle. Cette question de l‘omission d‘une variable à dessein, que l‘on appellera par analogie la question du « frottement », ne pose pas de problème en soi puisque l‘omission est utile pour organiser l‘étude du phénomène, pour concevoir un modèle. Toutefois, il importe de se demander jusqu‘à quel point les élèves sont conscients de ce jeu d‘omission et comment celui-ci est abordé et négocié. On peut aussi s‘interroger sur la façon de réintroduire éventuellement la variable omise. L‘important, me semble-t-il, n‘est pas d‘avoir une représentation « fidèle » de la réalité, mais de reconnaître explicitement la difficulté de modéliser des situations réelles et, en conséquence le besoin éventuel de « jouer » avec le frottement. Il devrait être possible d‘avouer qu‘en réalité ce n‘est pas nécessairement comme en théorie; il y a du flou et de l‘incertitude. Il importe de 257 GDM 2010 – COMMUNICATIONS clarifier la situation avec les élèves et d‘admettre simplement avec eux qu‘on a parfois un modèle flou et qu‘on fera parfois comme si c‘était clair … 2.2 À propos de la validation : la Morra chinoise La validation inhérente au processus de modélisation pose aussi certaines difficultés. On peut l‘observer lors d‘un travail avec jeu de la Morra chinoise qui s‘inscrit dans des séances sur la probabilité (6 à 16 ans). Nous verrons que le travail décrit par Boero, Consogno, Guala & Gazzalo (2009), à propos de ce jeu, incite les élèves à référer à une validité contingente. Avant d‘introduire le jeu de la Morra chinoise, une première situation cruciale est présentée aux élèves, il s‘agit de savoir si, lorsqu‘on lance deux dés, il est mieux de choisir une somme paire ou une somme impaire pour gagner. Plusieurs répondent qu‘il est mieux de choisir une somme paire puisqu‘il y a six possibilités (2, 4, 6, 8, 10 et 12) contre cinq (3, 5, 7, 9 et 11) pour les sommes impaires. Un débat dans la classe est engagé et il conduit les élèves à comprendre que toutes les sommes, de 2 à 12, ne sont pas également possibles. La définition classique de la probabilité est alors introduite (cas favorables/cas possibles) sous la condition de cas possibles également possibles. Suit la situation de la « Morra chinoise » dans laquelle chacun des deux joueurs doit présenter, en même temps, une main avec un certain nombre de doigts ouverts (de 0 à 5) en disant s‘il pense que la somme de ses doigts ouverts et de ceux de son adversaire sera paire ou impaire. On peut s‘attendre à ce qu‘une analogie soit établie avec la première situation. En effet, les 36 cas possibles illustrant le nombre de doigts levés dans les mains des deux joueurs pourraient être mis en correspondance avec ceux du lancer des deux dés. Toutefois, les élèves n‘utilisent pas cette correspondance parce qu‘ils réalisent, soit en discutant, soit en l‘expérimentant, que, malgré l‘apparente analogie, on ne peut pas utiliser la définition puisque les 36 cas ne sont pas également possibles. En effet, certaines sommes sont privilégiées du fait qu‘il est plus facile de présenter sa main avec cinq doigts ouverts plutôt qu‘avec un seul par exemple. Il y a donc un effet lié aux choix des joueurs. « L‘exemple de la probabilité élémentaire est intéressant parce que dans le domaine d‘expérience des événements aléatoires on ne peut pas séparer strictement l‘élaboration théorique de la référence aux situations aléatoires « physiques » considérées. En particulier, dans la « Morra chinoise » les joueurs sont là avec leur corps et leur psychologie, et on les prend en compte dans un cadre d‘argumentation théorique » (Boero 2009). Les élèves ne vont donc pas, dans cette situation, omettre le frottement ! Un peu comme lors de l‘étude des boîtes flottantes, les élèves ne se fient pas nécessairement à ce que propose la théorie pour conclure et préfèrent plutôt s‘appuyer sur la pratique pour prendre une décision. Cette observation soulève une question quant à la base sur laquelle repose la validité des solutions produites. Sur une validation par le réel, par le sens commun, ou par le savoir disciplinaire? Selon les situations, le type de validation choisi peut conduire à des modèles différents. 2.3 À propos du contrat : les plantes dans le pot Un dernier exemple de difficulté issue du rapprochement entre mathématiques et réalité en classe est celle qui consiste à savoir si la réponse attendue est celle qui permet de résoudre 258 Sophie René de Cotret « réellement » le problème ou celle qui conduit à faire des mathématiques (étant entendu que l‘une ne s‘oppose pas nécessairement à l‘autre). La mesure des plantes dans le pot est une des tâches proposées aux élèves dans le cadre du domaine d‘expérience de la croissance des plantes (Boero, sous presse). Les élèves de deuxième année du primaire ont pour tâche de mesurer une plante sans l‘abîmer. Ils disposent pour cela d‘une règle graduée dont le zéro ne correspond pas au bord de la règle. Il ne leur est pas permis d‘enfoncer la règle dans la terre de manière à ce que le zéro arrive au niveau du sol, car cela risquerait de briser des racines. Le travail avec les élèves s‘organise donc autour de différentes façons de translater la mesure de la plante qui a été obtenue sans enfoncer la règle dans le sol afin de retrouver la mesure « réelle» de la plante. Si le but est effectivement de trouver la mesure de la plante (ce qui peut être le cas car les élèves se posent toutes sortes de questions à propos de la croissance de la plante), alors accepterait-on comme solution qu‘un élève prenne une corde ou un papier, qu‘il le place le long de la plante et en reporte ensuite la longueur sur la règle en partant bien à zéro comme il se doit ? Cette solution, plutôt simple et efficace, satisfait tout à fait à la tâche, c‘est-à-dire qu‘elle permet de trouver la mesure de la plante. Étonnamment, ce n‘est pas le cas de la solution travaillée et admise en classe. En effet, la solution travaillée avec les élèves passe par le report du « petit bout » (celui qui fait que le zéro ne correspond pas au bord de la règle) et vise à faire ressortir certaines propriétés de la mesure. Elle ne permet pas, toutefois, de trouver la mesure réelle de la plante puisqu‘il faut, pour cela, pouvoir mesurer ce petit bout. Avec une seule règle on n‘y arrive pas ! (à moins de prendre une corde ou un papier, auquel cas il est alors plus simple de s‘en servir pour mesurer directement la plante comme proposé ci-dessus). La question qui survient alors est : Qu‘est-ce qui motive la recherche de la mesure de la plante ? Trouver la réponse ou apprendre des mathématiques ? Et, en conséquence, qu‘est-ce qui permettra de juger de la validité de la solution réalisée ? Boero et Douek répondent en partie à ces questions : « La validation par l'expérience est marginale dans la résolution des situations problèmes (elle a lieu seulement quand « il faut faire marche arrière » ou avec des élèves en très grande difficulté pour les aider entrer en contact avec le travail de la classe). La place de l'expérimentation et de la prise en considération des résultats qu'on peut en tirer par observation se trouve surtout dans les phases de mise en place d‘un domaine d'expérience et de son contexte externe. Autrement elle romprait le contrat didactique et fragiliserait certains apprentissages. En effet, la validation par l‘expérimentation réduit la nécessité d‘élaborer une expression verbale sur le mode plus « scientifique » (il suffirait de montrer), et la nécessité d'argumenter. Du même coup, on affaiblit les objectifs d'apprentissage du raisonnement et la formation d'une rationalité sur le mode scientifique. » (Boero & Douek 2008, p. 110) On voit bien la difficulté de demeurer dans une résolution « réelle » du problème, celle qui peut se permettre de passer par l‘expérimentation, car elle empêche la réflexion nécessaire à l‘apprentissage. Le rapprochement entre mathématiques et réalité doit donc respecter tout de même une certaine distance afin de ne pas porter préjudice aux apprentissages mathématiques visés. Et pour que cette distance soit comprise et acceptée par les élèves, il faut installer un contrat didactique en conséquence. Les deux modalités, résoudre et apprendre, peuvent très bien se compléter et s‘enrichir dans certains cas, mais dans d‘autres, comme celui-ci, elles peuvent se heurter et il importe de ne pas 259 GDM 2010 – COMMUNICATIONS laisser les élèves dans une hésitation quant à ce qui est attendu. C‘est une question de contrat qu‘il importe d‘expliciter afin que les élèves sachent quelles sont les règles du jeu auquel on les convie et qu‘ils aient ainsi la possibilité d‘y gagner ! Les élèves doivent savoir jusqu‘où la modélisation réalisée a pour fonction la résolution du problème « réel », auquel cas il faut garder le frottement, ou bien la modélisation a pour fonction de nous apprendre quelque chose de plus général, auquel cas il peut valoir le coût de laisser tomber le frottement au profit de nouvelles connaissances. Il importe donc d‘installer une dynamique pour que les élèves opèrent dans le contrat souhaité et s‘y retrouvent. 3. L’ÉCOLE PEUT-ELLE FORMER AUTRE CHOSE QUE DES ÉLÈVES? DES CITOYENS PAR EXEMPLE? Quelles conclusions peut-on tirer des observations précédentes ? Il ressort que le rapprochement entre mathématiques et réalité à l‘école demande certaines précautions liées les unes aux autres. Tout d‘abord, dans le processus de modélisation de situations réelles, une première précaution consisterait à traiter explicitement la question du « frottement » » dans le choix des variables, c‘est-à-dire à préciser avec les élèves les variables qui seront éventuellement et temporairement omises afin de faciliter l‘étude du phénomène en jeu ; le phénomène alors étudié ne correspondra pas nécessairement au phénomène initial, mais ce qui aura été perdu en fidélité sera peut-être gagné en efficacité. Le choix des variables, lors de la conception du modèle, conduira dans la foulée à se questionner sur la validité du modèle conçu afin de décider si on s‘en remettra à une validité théorique ou contingente (deuxième précaution). Par exemple, le jeu de la Morra chinoise pourrait, a priori, être modélisé par le lancer des deux dés, mais lorsqu‘ils y jouent, les élèves constatent que les nombres de doigts levés ne sont pas également possibles, à l‘opposé des faces des dés. Ils souhaitent donc tenir compte de ces contingences physiques dans l‘élaboration du modèle. Enfin, comme le travail sur la réalité en classe vise, notamment, à développer de nouvelles connaissances mathématiques, le but de la résolution des problèmes proposés peut s‘écarter de la simple solution « pratique », laquelle serait suffisante dans la vie quotidienne. Ainsi, une autre précaution consiste à prendre soin d‘installer un contrat didactique qui fera en sorte que l‘élève sait à quel jeu on lui demande de jouer : trouver un résultat ou faire des mathématiques. Ces précautions, qui ne sont que quelques-unes parmi d‘autres, remettent-elles en question la possibilité que l‘école enseigne des savoirs par l‘entremise de situations très proches de celles qui peuvent être vécues dans la vie quotidienne ou hors de ses murs, pour reprendre l‘expression du MELS ? En d‘autres termes, l‘école, dans sa forme actuelle, peut-elle former autre chose que des élèves, des citoyens par exemple ? Ou pour cela devrait-elle changer de paradigme et passer du paradigme de la visite des savoirs à celui du questionnement du monde, tel que le propose Chevallard (2010) pour la mise en oeuvre de parcours d‘étude et de recherche ? 260 Sophie René de Cotret BIBLIOGRAPHIE BOERO, P. (sous presse). Les domaines d'experience: Lier le travail scolaire a l'experience des eleves In : Margolinas, C., Abboud-Blanchard, M., Bueno-Ravel, L., Douek, N., Fluckiger, A., Gibel, P., Vandebrouck, F., & Wozniak, F. (éd.), En amont et en aval des ingénieries didactiques. 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Pour ce faire, nous avons développé un programme de simulation, qui permet de générer un grand nombre d‘essais dans un court laps de temps. L‘analyse de la réalisation des activités en classe révèle que les enseignants se servent généralement des simulateurs pour démontrer aux élèves que les jeux de hasard génèrent des pertes à long terme pour les joueurs. Cependant, le travail sur d‘autres concepts probabilistes que la loi des grands nombres s‘avère plus difficile: le lien entre probabilités théoriques et fréquentielles n'est pas toujours établi et les variables didactiques utilisées ne permettent pas toujours une exploitation optimale des concepts probabilistes. INTRODUCTION Depuis2 l‘implantation, au Québec, des nouveaux programmes de formation au primaire et au secondaire (Gouvernement du Québec, 2001, 2004), l‘enseignement des probabilités et du concept de hasard est obligatoire et ce, dès le début de l‘enseignement primaire. Ainsi, des concepts comme la variabilité des résultats d‘une expérience aléatoire sont abordés dès le début du primaire (Gouvernement du Québec, 2008a), mais se complexifient au fur et à mesure que l‘élève progresse. Au début du secondaire, l‘élève formalise davantage ses connaissances sur les probabilités. C‘est au premier cycle du secondaire qu‘apparaissent des termes comme l‘univers des possibles et le recours à des grilles, des schémas et des diagrammes de Venn (Gouvernement du Québec, 2008b). En pratique, cet enseignement des probabilités ne s‘appuie cependant que rarement sur des contextes authentiques et est réalisé principalement à travers une approche exclusivement théorique des probabilités plutôt que d‘une approche qui inclut également les probabilités fréquentielles. L‘approche fréquentielle nécessite de simuler des phénomènes aléatoires afin de dégager une fréquence. Il semblerait qu‘étudier la fréquence d‘apparition d‘un événement à très large échelle dans la vie courante demeure cependant un phénomène plutôt rare (Bordier, 2001), ce qui justifie le fait d‘en proposer en classe afin de favoriser l‘apprentissage des structures probabilistes. Toutefois, dans la pratique, les enseignants de mathématiques du secondaire ne se 1 Une version raccourcie de cet article a été publiée dans les Actes de la rencontre ICOTS de 2010 (Theis, L. et Savard, A. (2010). Linking probability to real-world situations : how do teachers make use of the mathematical potential of simulation programs? Actes de colloque de l‘International Conference on teaching statistics (ICOTS), Ljubljana, Slovénie, 11 au 16 juillet 2010) 2 Cette recherche a obtenu un soutien financier du FQRSC (# 2008-JA-124845), du CRSH (# 410-2007-2500) et du MELS (Direction des ressources didactiques). GDM 2010 – COMMUNICATIONS sentent pas suffisamment outillés pour utiliser les probabilités fréquentielles en classe avec les élèves. Une difficulté à proposer une approche fréquentielle des probabilités de la part des enseignants réside dans la quantité d‘expérimentations requises pour obtenir des résultats valables. En effet, lancer une pièce de monnaie une centaine de fois ne permet qu‘une approximation rudimentaire des probabilités théoriques. Plus le nombre d‘essais est grand, plus les résultats se rapprochent de la loi des grands nombres. L‘apport d‘un outil virtuel permettrait donc de simuler un très grand nombre de fois en très peu de temps. D‘autre part, des études soutiennent le rôle important que les outils virtuels pourraient jouer sur la motivation des élèves et la meilleure compréhension de concepts mathématiques (Freiman et al., 2010; Vahey, 2000). Malheureusement, peu d‘enseignants ont des simulateurs en classe et ils se risquent peu à aborder les probabilités fréquentielles, préférant plutôt présenter les probabilités théoriques. Dès lors, les élèves sont initiés à un apprentissage des probbailités théoriques et ils développent fréquemment des conceptions (Konold, 1995) sur les probabilités, basées sur un raisonnement et des conceptions déterministes (Savard, 2008). Ceux-ci sont utilisés dans différentes situations de la vie qui impliquent les probabilités et influencent à la fois les performances scolaires et leur comportement en dehors de l‘école (Musch et Ehrenberg, 2002). Par ailleurs, des adolescents sont fréquemment exposés à des publicités faisant la promotion des jeux de hasard et d‘argent, dans lesquelles ceux-ci sont socialement acceptées (Griffiths, 2003). Ils semblent également attirés par l‘image de réussite véhiculée par les séries mondiales de Poker, les publicités pour les jeux de hasard et d‘argent et les casinos en ligne. Dans une autre partie de la recherche décrite dans cet article, nous avons documenté, à l‘aide de questionnaires, les pratiques de jeux de hasard et d‘argent de 256 élèves fréquentant trois écoles différentes. Ce sont les élèves des quatre enseignants ayant participé à ce projet. Nos résultats préliminaires montrent que presque tous les participants connaissent quelqu‘un dans leur entourage qui utilise certaines stratégies pour déterminer les numéros avec lesquels ils jouent dans des loteries. En même temps, si les élèves plus jeunes croient que la chance joue un rôle important dans les jeux de hasard et d‘argent, ceux qui sont plus vieux croient davantage qu‘ils peuvent contrôler l‘issue de ces jeux, manifestant ainsi une conception appelée « illusion de contrôle » (Langer, 1975). Il est également intéressant de constater que, parmi les 256 élèves interrogés, 41 % ont déjà joué au Poker et 15 % ont déjà participé à des jeux de hasard et d‘argent en ligne, alors que l‘âge légal pour participer à des jeux de hasard et d‘argent est de 18 ans. MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE Afin de sensibiliser les élèves du début du secondaire aux enjeux liés aux jeux de hasard et d‘argent, nous avons développé un programme de recherche à travers duquel nous avons formé des enseignants du premier cycle du secondaire à enseigner les probabilités. Nous avons poursuivi différents objectifs à travers ces formations : Tout d‘abord, au niveau de l‘enseignement des probabilités, nous espérions que les enseignants soient en mesure de faire évoluer leurs pratiques d‘un enseignement des probabilités largement basé sur une approche théorique et algorithmique vers un enseignement qui intègre également une approche fréquentielle. Le projet visait également à faire thématiser les jeux de hasard et d‘argent dans la pratique d‘enseignement des participants. Au niveau des élèves, nous espérions leur permettre de 264 Laurent Theis et Annie Savard construire une meilleure compréhension des probabilités à travers les activités développées par les enseignants et de développer des attitudes plus réalistes envers les jeux de hasard et d‘argent. Afin d‘atteindre ces objectifs, nous avons mis en place une recherche de formation continue d‘enseignants (in-service teacher development study, Cobb et al., 2003), à l‘intérieur de laquelle nous avons formé quatre enseignants du premier cycle du secondaire à l‘enseignement des probabilités dans un contexte de jeux de hasard et d‘argent. Pour ce faire, nous avons donné une formation théorique aux enseignants sur les enjeux liés à l‘enseignement des probabilités, la pensée probabiliste, et les jeux de hasard et d‘argent. Nous avons également mis à leur disposition et analysé différents outils pouvant servir lors de l‘enseignement des probabilités. Parmi ceux-ci se retrouvaient des publicités de Loto-Québec, que nous avions sélectionnées parce qu‘ils avaient un potentiel d‘exploitation de différentes conceptions liées aux probabilités en classe. Nous avons finalement développé dans le cadre de ce projet, et conjointement avec Net Maths et les enseignants participants, un logiciel de simulation des probabilités. Ce logiciel sera présenté plus en détails dans une des sections suivantes. Nous avons accompagné les enseignants à mettre sur pied des situations-problèmes qui permettraient aux enseignants de faire développer des conceptions probabilistes plus adéquates chez leurs élèves. De manière générale, notre rôle de formateur lors de ce travail de construction se situait au niveau de l‘aide aux enseignants pour formater l‘activité afin de maximiser les occasions d‘apprentissage des élèves. Notre rôle consistait alors à questionner les situations proposées, à faire expliciter leurs choix aux enseignants et à confronter ces choix aux éléments théoriques vus dans la formation. Les enseignants ont par la suite expérimenté les situations-problèmes développées en classe. Pour chaque enseignant, une des activités de leur séquence d‘enseignement des probabilités a été enregistrée. Il est important de mentionner dans ce contexte que cette activité ne concernait pas nécessairement la situation-problème élaborée dans la formation, mais pouvait également toucher d‘autres aspects de leur enseignement des probabilités, comme l‘utilisation des simulateurs dans un contexte autre que ces situations-problèmes. Des transcrits des interventions de l‘enseignant et de ces interactions avec les élèves ont été réalisés et ces transcrits sont à la base de notre analyse. Dans le cadre de cet article, nous nous intéressons spécifiquement à la manière dont les enseignants se servent du logiciel de simulation dans leur enseignement. DESCRIPTION DU LOGICIEL DE SIMULATION Comme mentionné précédemment, un des outils que nous avons fourni aux enseignants est un logiciel de simulation. La figure 1 en donne un aperçu. Notre logiciel comporte plusieurs caractéristiques. Tout d‘abord, il comporte différents jeux, dont une simulation du paradoxe de Monty Hall, des dés, des tirages dans un boulier, des roulettes, un jeu de Black Jack, une simulation de la loterie 6/49 et des tirages « pile ou face », tels qu‘illustrés dans la figure 1. Nous allons nous servir de ce dernier exemple pour illustrer ces différentes fonctions. Le simulateur peut être utilisé en trois modes différents. Dans une premier, appelé « pas à pas », l‘utilisateur voit chacun des tirages se faire un à un. Dans le jeu illustré, dans lequel on lance 3 pièces et on gagne si les trois sont des « pile », chaque tirage est initié manuellement par 265 GDM 2010 – COMMUNICATIONS l‘utilisateur et le logiciel affiche de manière séparée chacun des résultats. Le mode « rapide » affiche également chacun des résultats, mais le fait de manière automatique et le mode « turbo » permet de faire un grand nombre de simulations en un court laps de temps. Dans ce dernier mode, on ne peut cependant pas voir chacun des résultats intermédiaires. Les deux premiers modes, plus lents, nous semblaient essentiels pour que les élèves qui l‘utilisent puissent bien comprendre le fonctionnement du jeu qu‘ils simulent. Par ailleurs, il peut aussi être utile pour augmenter la crédibilité du logiciel aux yeux des élèves : s‘ils savent pas comment le logiciel procède, ils pourraient avoir tendance à attribuer les résultats à la manière dont le logiciel fonctionne. Dépendamment des objectifs poursuivis, les paramètres des différentes activités peuvent être ajustés. Pour le jeu de « pile ou face » illustré ici, le nombre de pièces de monnaie peut être ajusté selon le nombre de pièces lancées, le mode d‘utilisation, le nombre de simulations ainsi que la règle du jeu. Il en est de même pour la condition gagnante, qui pourrait être changée en « que des face », « que des pareilles » ou encore « que des différentes ». Figure 1. Simulation d‘un jeu de « pile ou face » Le simulateur permet également l‘affichage des résultats obtenus de différentes manières. D‘un côté, les quantités de gains et de pertes sont affichées directement. Ces nombres sont également accompagnés du pourcentage de gains et de pertes ainsi que d‘un diagramme à bandes qui représente ces pourcentages. D‘un autre côté, un graphique montre l‘évolution des pourcentages de gain au fur et à mesure que le nombre de tirages augmente. Finalement, le logiciel permet d‘ajuster les gains et les pertes réalisés dans les jeux de hasard et d‘argent. Les paramètres de l‘activité peuvent être modifiés pour que le montant gagné dans 266 Laurent Theis et Annie Savard chacune des parties soit plus ou moins grand et les gains et pertes totales sont affichées en fin de simulation. Le logiciel de simulateur a alors le potentiel d‘aborder différents concepts avec les élèves : Le graphique permet d‘illustrer la loi des grands nombres : si, au début, les pourcentages varient encore beaucoup, ils se stabilisent lorsque le nombre de tirages augmente. Il permet également d‘illustrer la variabilité des résultats. En faisant successivement des séries de 1000 essais, avec les mêmes paramètres, on peut se rendre compte que les résultats seront similaires, mais probablement pas identiques d‘un essai à l‘autre. A un niveau didactique, il offre également l‘opportunité pour l‘enseignant d‘obtenir rapidement des probabilités fréquentielles pour un jeu donné, qui permettent ensuite de développer une réflexion sur les probabilités théoriques sousjacentes. Cet élément est alors particulier à un outil de simulation, parce que lors de la réalisation d‘essais manuels, il devient souvent trop long d‘en réaliser assez pour avoir des probabilités élevées de se rapprocher des probabilités théoriques. Finalement, l‘illustration des gains et des pertes obtenues à la fin de chaque série de simulations permet d‘aborder le concept d‘espérance de perte ou de gain et d‘illustrer les pertes à long terme encourus par les utilisateurs des jeux de hasard et d‘argent. La simulation de la loterie 6 / 49 diffère sensiblement des autres jeux, puisqu‘elle n‘offre que des résultats bruts, et ne fournit pas des graphiques des gains obtenus. Comme le montre la figure 2, le logiciel dénombre l‘apparition de chacune des 7 issues possibles de la loterie (aucun numéro correct, 1 numéro correct, 2 numéros corrects, etc.) et les pourcentages correspondants. Par sa nature, cette activité, dont la structure probabiliste sous-jacente est plus complexe que les autres jeux et probablement inaccessible à des élèves du début du secondaire, ne permet alors pas de travailler les mêmes objets que les autres outils. Ainsi, cet outil peut s‘avérer efficace pour illustrer les pertes encourues en jouant à ce type de loteries. Il est par exemple possible de faire un grand nombre d‘essais, de calculer le montant dépensé et des gains récupérés, pour ainsi avoir une meilleure idée des pertes qui s‘accumulent. L‘outil de simulation permet également d‘illustrer plus concrètement ce que signifient les probabilités théoriques sous-jacentes à la loterie 6/49. Les probabilités d‘une chance sur presque 14 millions de gagner le gros lot peuvent alors se traduire par le fait que l‘ensemble de la classe fait 10 000 essais et que les chances que, parmi tous les essais, un seul soit gagnant, sont toujours très petites. Une telle expérience pourrait alors contribuer à évaluer avec plus de justesse l‘ordre de grandeur qui se cache derrière la probabilité d‘1 chance sur presque 14 millions. Par contre, contrairement aux autres simulations, cet outil ne présente que peu de potentiel pour faire le lien entre les probabilités fréquentielles et théoriques. Le gain du gros lot survient beaucoup trop rarement pour pouvoir se baser sur les résultats obtenus à partir du logiciel pour tirer des conclusions sur les probabilités théoriques. Par ailleurs, les probabilités théoriques des autres événements (obtenir 4 numéros gagnants, par exemple), sont, dans ce contexte, moins intéressants à investiguer. 267 GDM 2010 – COMMUNICATIONS Figure 2. Simulation de la loterie 6 / 49 RÉSULTATS Nous sommes actuellement en cours d‘analyse des transcrits des activités des enseignants dans lesquels ils ont utilisé les logiciels de simulation en classe. Dans cet article, nous allons présenter les résultats préliminaires de nos analyses. Les constats suivants seront discutés : a) La principale utilisation que font les enseignants de leur logiciel de simulation est de leur montrer que les jeux de hasard et d‘argent génèrent des pertes à long terme, et b) Les enseignants ont de la difficulté à maximiser le potentiel d‘utilisation des logiciels de simulation lors de l‘exploitation de différents concepts probabilistes qui auraient potentiellement pu être travaillés. A) Recours aux simulateurs pour montrer que les jeux de hasard génèrent des pertes à long terme Les quatre enseignants dont nous avons analysé les pratiques d‘utilisation du logiciel de simulation en classe ont utilisé celui-ci pour montrer à leurs élèves que les jeux de hasard et d‘argent génèrent des pertes à long terme. Justin, par exemple, propose aux enfants de sa classe de choisir un jeu pour voir si les loteries permettent de faire des gains à long terme. Un des jeux exploités est alors un jeu de pile ou face, dans lequel 3 pièces de monnaie sont utilisées et où, pour gagner, il faut avoir trois symboles identiques. La mise est de 1$, et les gains de 2$. Après avoir fait 1000 simulations, Justin explique aux élèves que ce jeu génère des pertes à long terme. Finalement! Après avoir joué mille fois! Quand j‘ai une chance sur quatre de gagner, j‘ai gagné 249 fois. Ce qui m‘a rapporté 498 dollars. Malheureusement, étant donné que j‘ai perdu 751 fois, ça veut dire que j‘ai perdu 751 dollars, ce qui revient à un total d‘une perte de 253 dollars. Et, juste après, c‘est marqué espérance de gain par partie. Point 25 ici. Ça veut dire que à la longue, si je continuais c‘est l‘équivalent de perdre 25 sous par partie. Donc, c‘est pas un jeu gagnant. Ce ne sont donc pas les élèves qui développent des constats sur les pertes encourues ou encore sur les chances de gagner, mais c‘est l‘enseignant qui les explique aux élèves. Par ailleurs, 268 Laurent Theis et Annie Savard l‘espérance de perte n‘a pas été calculée par les élèves, mais directement fournie par le logiciel de simulation. Par contre, même si l‘espérance de gain ou de perte n‘a pas fait l‘objet d‘approfondissement ici, il est possible que cela ait été le cas dans une activité précédente. Les gains ou les pertes réalisées à long terme dans des jeux de hasard et d‘argent sont également discutés dans la classe de Michèle. Pour le faire, Michèle effectue 1000 essais avec le logiciel de simulation de la loterie 6 / 49. Les résultats, selon lesquels elle aurait récupéré 130 $ en gains, pour avoir eu 3 numéros corrects à 13 reprises, sont confrontés au coût des 1000 billets, soit 2000 $. Michèle demande alors aux élèves s‘il s‘agit d‘un bon investissement ou non. Cette situation ne sert cependant pas la suite à investiguer d‘autres concepts probabilistes. Emma et Christina ont utilisé les simulations de la loterie 6 /49 d‘une façon similaire afin de trouver si le jeu permet à l‘utilisateur de gagner plus d‘argent qu‘il n‘en a dépensé. Leurs étudiants devaient faire un certain nombre de simulations avec le logiciel du 6 / 49 et comparer les gains que ces essais auraient généré dans la vie réelle avec les dépenses encourues pour acheter les billets. Dès lors, les enseignants essaient de faire comprendre de manière explicite et directe que les jeux de hasard et d‘argent génèrent des pertes à long terme. Pour le faire, ils ont principalement utilisé la capacité du logiciel de générer un très grand nombre d‘essais dans un court laps de temps. La plupart ont eu recours à un contexte réaliste d‘une loterie 6 / 49, dans laquelle le logiciel leur permet de recréer des conditions similaires à la vie réelle. Seulement Justin a choisi un jeu différent, à savoir le « pile ou face », qui n‘est pas offert par Loto-Québec. Il est également intéressant de constater que les enseignants ne se sont pas vraiment basés sur un raisonnement probabiliste dans ces situations. Elles permettaient essentiellement de comparer les gains aux dépenses, mais n‘étaient pas l‘occasion d‘aborder d‘autres concepts reliés aux probabilités. B) Difficultés des enseignants dans l’utilisation des logiciels pour travailler sur des concepts reliés aux probabilités Même si les simulateurs ont permis d‘illustrer les pertes à long terme encourus dans des jeux de hasard et d‘argent, les enseignants ont eu beaucoup plus de difficultés à faire ressortir d‘autres concepts probabilistes. Par exemple, à la fois Emma et Christina avaient comme objectif que les élèves déterminent si le choix de certains nombres dans la loterie 6 / 49 (dates d‘anniversaire, nombres chanceux, etc.) permet d‘augmenter les chances de gagner. En principe, ces activités auraient pu être une opportunité intéressante pour les enseignants de discuter de l‘efficacité de ces stratégies. D‘ailleurs, de nombreux élèves entretiennent des conceptions erronées à cet égard. Cependant, de la manière dont ces activités ont été abordées en classe, il a été difficile pour les élèves d‘en arriver à des constats concluants et de modifier leurs conceptions. Dans la classe de Christina, les élèves devaient proposer six numéros en se servant de différentes stratégies (des schémas particuliers sur le billet de loterie, des nombres chanceux, etc.). Les nombres choisis ont été simulés par l‘enseignante sur son propre ordinateur (entre 200 et 500 essais) et les étudiants devaient déterminer s‘ils ont gagné plus d‘argent qu‘ils n‘en ont dépensé. La manière dont les variables de la situation sont placées ne permet cependant pas de répondre à la question posée. Ainsi, les essais permettent de déterminer si les gains excèdent les dépenses, mais ne permettent pas de comparer les résultats obtenus avec des nombres choisis au hasard avec ceux de nombres choisis en fonction de certains critères. De toute manière, même si le dispositif avait permis de répondre à la question, le nombre d‘essais (entre 200 et 500) n‘aurait pas été suffisant pour répondre de manière convaincante à la question posée. Par ailleurs, les concepts de hasard ou de 269 GDM 2010 – COMMUNICATIONS l‘illusion de contrôle n‘ont pas été discutés par la suite. Dès lors, des étudiants qui croient qu‘ils ont de meilleures chances de gagner s‘ils choisissent des nombres particuliers n‘auront pas eu l‘occasion de voir cette conception ébranlée lors de l‘activité proposée. Le dispositif expérimental dans la classe d‘Emma pour répondre à la même question était légèrement différent, mais comportait aussi, comme nous allons le voir, des lacunes. Dans sa classe, les étudiants ont été séparés en deux groupes distincts. Un des groupes devait effectuer 500 simulations de la loterie 6 / 49, en ayant recours à des numéros choisis au hasard. L‘autre groupe devait faire la même chose, mais en utilisant des nombres qui avaient été choisis en fonction d‘une certaine stratégie (dates d‘anniversaire, nombres chanceux). Ils devaient alors déterminer laquelle des deux stratégies permettait de trouver un premier événement de 5 numéros corrects. Dans cette configuration, les étudiants ne réfléchissent alors pas sur le nombre d‘événements dans lesquels on obtient 5 numéros gagnants dans chacun des dispositifs, mais ils se basent sur la première apparition d‘un tel événement. Par ailleurs, comme l‘obtention de 5 numéros corrects est un événement très rare dans ce type de loterie, choisir ce critère n‘est pas adéquat pour déterminer l‘efficacité d‘une stratégie par rapport à une autre. De toute manière, dans le cas de stratégies équiprobables, il faut bien qu‘une des deux stratégies amène une apparition plus rapide de l‘événement recherché. Cela ne permet cependant pas de conclure sur une plus grande efficacité de cette stratégie. Par ailleurs, en plaçant le dispositif expérimental de la sorte, les étudiants sont amenés à réfléchir sur un événement unique plutôt que sur un ensemble d‘événements. Notre analyse préliminaire révèle également qu‘il était difficile pour les enseignants d‘aborder d‘autres concepts probabilistes que les pertes encourues à long terme. Par exemple, dans l‘extrait précédent, la comparaison des différentes stratégies n‘est plus mentionnée plus tard dans l‘activité. Dans les activités des trois autres enseignants, on peut également constater que les leçons se terminent souvent par un travail en équipes, qui n‘est pas suivi d‘un retour en grand groupe. Une telle discussion aurait alors permis aux étudiants de discuter des concepts appris et à l‘institutionnalisation des connaissances de s‘opérer. Il faut également mentionner que les extraits dans lesquels les enseignants ont effectivement utilisé les logiciels de simulation n‘étaient pas nécessairement en lien avec les situations-problèmes probabilistes qu‘ils ont élaborées au cours des rencontres de formation. Une autre caractéristique générale des activités analysées est qu‘ils se basent exclusivement sur des probabilités fréquentielles et n‘établissent pas le pont entre les fréquences observées et les probabilités théoriques sous-jacentes. En tant que tel, la transition d‘une approche essentiellement théorique vers une approche qui incorpore les probabilités fréquentielles constituait un pas important pour les enseignants. En effet, en début d‘année, les enseignants nous avaient confirmé qu‘ils se basaient exclusivement sur une approche théorique dans l‘enseignement des probabilités. Cependant, l‘absence de lien entre les approches théoriques et fréquentielles dans les activités observées peut être problématique dans le sens qu‘elle pourrait mener les élèves à considérer les deux approches comme des entités complètement différentes. La manière dont sont placées les variables didactiques dans les différentes activités peut alors contribuer à la difficulté à concilier les différentes approches des probabilités. Par exemple, lorsqu‘ils travaillent avec les simulateurs du jeu de roulette, à la fois Michèle et Justin laissent aux étudiants la liberté de décider s‘ils vont miser sur les nombres pairs ou impairs ou encore rouges ou noirs. Dans les deux classes, les élèves ont fini par utiliser les quatre possibilités dans 270 Laurent Theis et Annie Savard le désordre, ce qui les a empêchés de tirer des conclusions sur l‘équiprobabilité sous-jacente à cette situation. Il en va de même pour les liens entre les probabilités théoriques et fréquentielles. Comme les étudiants ne se sont pas servis d‘une méthode systématique pour recueillir leurs données, il est devenu difficile de tirer des conclusions sur les résultats obtenus et les probabilités théoriques de gagner. Avec une approche plus systématique, ces situations pourraient alors mener à une discussion avec les élèves sur les différences entre les probabilités théoriques de gagner et les résultats obtenus après un certain nombre d‘essais. CONCLUSION Nos résultats préliminaires montrent que les enseignants participants se sont principalement servis des simulateurs pour faire comprendre aux élèves que les loteries génèrent des pertes à long terme. Dans ce sens, les simulateurs leur ont permis d‘aller au-delà de ce qui aurait été possible avec des essais effectués manuellement ou encore un enseignement basé sur les probabilités théoriques. De la même manière, ils ont réussi à réorienter leurs stratégies d‘enseignement vers une approche davantage expérimentale. Cependant, les enseignants ont eu des difficultés importantes à aborder d‘autres concepts liés aux probabilités à travers l‘utilisation des simulateurs. Les contraintes utilisées rendaient difficile la construction de ces concepts et d‘établir des liens entre les probabilités fréquentielles et théoriques. Quelles sont alors les causes de ces difficultés? Est-ce qu‘il aurait été pertinent de renforcer certaines parties de la formation que nous avons offerte aux enseignants? Par exemple, même si nous avons présenté quelques conceptions erronées fréquemment observées, il aurait été pertinent d‘approfondir les discussions sur ces conceptions. Par ailleurs, le potentiel de l‘utilisation des logiciels des simulateurs aurait également pu faire l‘objet de plus de discussions explicites. En effet, ceux-ci ont été présentés aux enseignants et ils ont pu les expérimenter lors des formations, mais nous n‘avons peut-être pas suffisamment travaillé sur l‘intégration des outils dans les activités proposées. Par ailleurs, le fait que les enseignants les ont utilisés principalement dans des activités autres que celles développées au cours de la formation a fait en sorte que celles-ci échappent d‘une certaine façon aux discussions menées dans le groupe. Nos résultats semblent alors montrer que l‘intégration des logiciels de simulation dans l‘enseignement n‘est pas nécessairement facile et qu‘elle bénéficierait également d‘un accompagnement plus structuré. BIBLIOGRAPHIE BORDIER, J. (2001). Les règles normatives des jugements sur la probabilité. Bulletin AMQ, XLI(3), 2838. COBB, P., CONFREY, J., DISESSA, A., LEHRER, R., & SCHAUBLE, L. (2003). Design Experiments in Educational Research. Educational Researcher, 32(1), 9-13. GOUVERNEMENT DU QUÉBEC (2008a). Programme de formation de l‘école québécoise. Progression des apprentissages au primaire. Québec: Ministère de l‘Éducation, du Sport et des Loisirs. GOUVERNEMENT DU QUÉBEC (2008B). Programme de formation de l‘école québécoise. 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Université Laval, Quebec. 272 L’apport pour la formation et la pratique enseignante : analyse et synthèse de différents modèles de raisonnement mathématique dans la littérature scientifique Doris Jeannotte Université du Québec à Montréal RÉSUMÉ. L‘insistance sur la nécessité de développer le raisonnement mathématique en classe prend de plus en plus d‘importance depuis les trente dernières années. Plusieurs écrits de recherche se sont penchés sur la question. Toutefois, plusieurs auteurs mentionnent encore la difficulté pour les enseignants d‘en favoriser le développement (Lithner, 2008; Stylianides, 2005). Le texte suivant se veut une réflexion sur l‘apport possible de trois modèles du raisonnement mathématique, soit celui de Cabassut (2005), Lithner (2008) et Stylianides (2005) pour l‘enseignement des mathématiques et le développement du raisonnement mathématique. PROBLÉMATIQUE Les programmes de formation de l‘école québécoise [PFEQ] octroient une place de choix au raisonnement mathématique en lui attribuant le rôle d‘une des trois compétences du programme de mathématiques au primaire comme au secondaire (ministère de l'Éducation, 2007). De ce fait, les enseignants doivent favoriser le développement de cette compétence et l‘évaluer. En fait, le Québec n‘est pas le seul endroit au monde où le raisonnement mathématique est placé au premier plan. C‘est aussi le cas par exemple des États-Unis (National Council of Teachers of Mathematics [NCTM], 2000) et de l‘Ontario (ministère de l'Éducation de l'Ontario [MEO], 2005) . Ces orientations politiques sont entre autres motivées par une réaction courante. En effet, certains disent que les apprentissages faits dans les écoles sont sans compréhension (rote learning) (Lithner, 2008; Stylianides, 2005). Tel que le mentionnent Ball & Bass (2003, p. 28), « the notion of mathematical understanding is meaningless without a serious emphasis on reasoning ». Ces changements de programmes amènent des besoins particuliers pour la formation des maîtres et la formation continue. « The aim of developing mathematical reasoning in classrooms calls on the research community to clarify what is mathematical reasoning and what it looks like in school contexts » (Reid, 2002, p. 6). Ces dernières années, les écrits et les projets de recherches portants sur le raisonnement mathématique se sont multipliés et quelques modèles ou cadres d‘analyse ont été développés. D‘ailleurs, il est maintenant de mise de considérer que le raisonnement mathématique couvre plus que le raisonnement déductif. Chacun contribue à sa façon à la recherche sur le raisonnement mathématique, à la formation des maîtres ou à l‘enseignement et à l‘apprentissage du raisonnement mathématique. De façon plus précise, on peut se demander comment développer le raisonnement mathématique en classe. L‘objectif de ce papier est de faire la synthèse des apports possibles pour la formation des maîtres et l‘enseignement des mathématiques au secondaire de trois modèles développés au cours des dernières années. Plus particulièrement, nous nous intéressons aux apports concernant le développement du raisonnement mathématique en classe de mathématique. GDM 2010 – COMMUNICATIONS CADRE D’ANALYSE Pour permettre l‘analyse des modèles en fonction des apports pour le développement du raisonnement mathématique autant du point de vue de la formation des maîtres que de l‘enseignement, une première réflexion sur le raisonnement mathématique, ainsi qu‘une sur le concept de modèle, sera approfondie. De plus, nous déterminerons différents angles possibles pour l‘analyse de l‘apport des modèles à la formation des maîtres et à l‘enseignement des mathématiques au secondaire quant au développement du raisonnement mathématique. Le raisonnement mathématique Dans le PFEQ, il est spécifié que le raisonnement mathématique est constitué de raisonnements généraux (déductif, inductif, analogique et par réfutation) ainsi que de raisonnements spécifiques à chacun des champs de la mathématique (ministère de l'Éducation, 2007). Dans le cadre de ce texte, seuls des modèles s‘intéressant au raisonnement mathématique d‘un point de vue général seront analysés. De façon très large, nous parlerons pour l‘instant du raisonnement mathématique comme d‘une activité intellectuelle (un processus de pensée), ou comme du résultat de cette activité qui met en relation des objets de la pensée pour en arriver à une conclusion. Le modèle Legendre (2005) définit le modèle, dans le domaine de la recherche en éducation, comme une « représentation fonctionnelle et simplifiée d‘une classe d‘objets ou de phénomènes à l‘aide de symboles, organisés en une forme plus ou moins structurée, dont l‘exploration et la manipulation, effectuée de manière concrète ou abstraite, entraînent une compréhension accrue et permettent l‘énoncé d‘hypothèses de recherche » (p. 892). Un modèle permet donc une réflexion sur l‘objet d‘étude (ici le raisonnement mathématique) par une simplification du réel en s‘attardant sur les composantes et relations jugées pertinentes dans le contexte de la recherche (Sauvé, 1992). Il permet aussi une meilleure communication sur l‘objet d‘étude en fournissant un vocabulaire et des symboles communs (Lee, 1997). Un cadre d‘analyse (analytic framework) est donc un modèle au sens de Legendre. Un cadre pour l’analyse des modèles Les différents modèles de raisonnement mathématique élaborés par les chercheurs en didactique des mathématiques peuvent avoir différentes utilités comme mieux comprendre le raisonnement mathématique utilisé par les élèves, mieux comprendre le développement du raisonnement mathématique, mieux comprendre les pratiques d‘enseignement liées au développement du raisonnement mathématique par les élèves ou encore développer des tâches d‘enseignementapprentissage, analyser l‘apprentissage en fonction des tâches, etc. Ces modèles peuvent aussi avoir une visée d‘amélioration de la formation des maîtres ou des pratiques d‘enseignement. C‘est avec ces différents buts en tête que les apports des différents modèles seront explorés. DÉMARCHE MÉTHODOLOGIQUE Afin de guider notre exploration des différents modèles, l‘anasynthèse a été privilégiée comme démarche méthodologique. « L‘anasynthèse est un cadre général qui permet de baliser l‘analyse 274 Doris Jeannotte et la synthèse d‘une pluralité de données conceptuelles ou empiriques pour la conceptualisation de modèles théorique » (Guay, 2004, p. 19) (voir figure 1). Ensemble de départ Analyse Synthèse Prototype Simulation Modèle Boucles de rétroaction Figure 1. L‘anasynthèse (Legendre, 2005; adapté de Sylvern, 1972) Cette démarche de recherche permet l‘atteinte de certains critères de scientificité par différents processus tels qu‘établis par Gohier (1998). En effet, les boucles de rétroactions et les étapes de validation (validation par différents intervenants responsables (prototype) et extérieurs au projet (simulation)) permettent de s‘assurer par exemple, de la pertinence et de la cohérence du modèle développé. Toutefois, aux fins de ce papier, seules les trois premières étapes ont été exploitées. En effet, le prototype correspond à une synthèse inédite ayant subi plusieurs boucles de validation, ce qui n‘est pas le cas ici. L’ensemble de départ La première étape de l‘anasynthèse consiste en une revue de la littérature pour identifier les éléments pertinents à l‘objectif de la recherche, ici les écrits rapportant des modèles de raisonnement mathématique. L’analyse L‘analyse du corpus de départ est la seconde étape de l‘anasynthèse. Elle permet l‘identification et la cueillette des données pertinentes dans l‘ensemble de départ (Legendre, 2005). Durant l‘étape d‘analyse, différents types d‘analyses sont utilisés, entre autres l‘analyse de contenu permet d‘extraire l‘information du corpus sélectionné pour mieux comprendre ce que les auteurs disent du raisonnement en mathématiques. Il est alors possible de mettre les divergences, les convergences et les absences en relief entre les différents modèles. À l‘instar de Guay (2004) et Rocque (1994), une adaptation de L‘Écuyer (1978) a été retenue pour la mise en œuvre de l‘analyse de contenu : 1. Lectures préliminaires et établissement d‘une liste des énoncés; 2. Choix et définition des unités de classification : types d‘unités, définitions et critères de choix; 3. Processus de catégorisation et de classification : définition d‘une catégorie, sous-étapes de classification, qualités essentielles des catégories; 4. Description scientifique : analyse qualitative; 5. Interprétation des résultats. La synthèse Enfin, une synthèse est produite à partir de l‘analyse de documents qui portent sur les différents modèles de raisonnement mathématique (ensemble de départ). À ce moment, les données 275 GDM 2010 – COMMUNICATIONS recueillies lors des analyses sont réunies pour former un discours cohérent et structuré. Dans cette synthèse, les convergences, les divergences et les absences seront mises en évidence. Elle permet aussi de préciser les relations entre les descripteurs. La synthèse est ensuite étudiée pour y repérer les manques et les sections vagues. Un retour à l‘analyse et à l‘ensemble de départ permettra d‘améliorer le champ notionnel, l‘analyse et la synthèse jusqu‘à l‘élaboration du prototype QUELQUES MODÈLES DE RAISONNEMENT MATHÉMATIQUE – RÉSULTAT DE L’ANALYSE DE CHACUN DES MODÈLES Quelques modèles ont été développés pour l‘étude du raisonnement mathématique. Entre autres, Lithner (2008), Stylianides (2005), Cabassut (2005) ont chacun élaboré un cadre d‘analyse du raisonnement en mathématique ayant chacun un but différent. Ces modèles étant relativement récents, ils n‘ont pas été, à notre connaissance, explorés, repris ou critiqués par d‘autres chercheurs que les auteurs eux-mêmes. Comme ces modèles n‘ont pas été conçus a priori pour apporter à la formation et à l‘enseignement des mathématiques directement, peu d‘indicateurs de la variable « cadre organisationnel » seront présents. Le modèle de Cabassut Pour son étude de la démonstration en France et en Allemagne, Cabassut a développé un cadre, qu‘il dit philosophique, basé sur le cadre de Toulmin (triplet données, règle de validation, conclusion). Il représente le raisonnement par le schéma suivant : Raisonnement: activité de l'esprit qui infère une proposition conclusion à partir de propositions prises comme prémisses Raisonnement qui ne valide pas la vérité d'une proposition Raisonnement de validation de la vérité d'une proposition (ou validation en abrégé) Argumentation (de validation): validation de la plausibilité/probabilité de la vérité d'une proposition Démonstration/preuve: validation de la nécessité/certitude de la vérité d'une proposition Figure 2. Le raisonnement tiré de Cabassut (2005), p. 24 Selon Cabassut (2005), il y a donc deux types de raisonnements. Les raisonnements de validation (ou uniquement validation) visent « à établir la connaissance de la vérité d‘une proposition » (p.26). Les raisonnements mathématiques appartiennent, selon lui, à cette première catégorie. Les raisonnements qui ne valident pas la vérité d‘une proposition visent plutôt « la connaissance d‘une proposition suivant certains critères de bien, de beau, de souhaitable ou autres » (p.26). Il classe parmi ce deuxième type de raisonnement, les raisonnements pour décider, pour persuader ou pour découvrir. Toutefois, il mentionne que ces visées peuvent aussi être celles du raisonnement de validation, mais qu‘elles ne sont pas nécessaires. Ainsi, il est possible de décider, de persuader ou de découvrir sans s‘appuyer sur la vérité des propositions. Dans ce cas, le raisonnement n‘en est pas un de validation. 276 Doris Jeannotte Cabassut différencie deux types de raisonnement de validation : le raisonnement de nécessité et le raisonnement de plausibilité, ce qui peut être lié au raisonnement démonstratif et au raisonnement plausible de Pòlya (1958). Selon la conception de vérité de l‘institution où se produit le raisonnement, un raisonnement peut être considéré comme plausible pour un niveau scolaire et de nécessité dans un autre. Pour ce qui est de l‘application des algorithmes, s‘il est impossible à l‘auteur d‘expliciter la règle de validation alors il est impossible de dire s‘il s‘agit d‘un raisonnement de validation. Quelques apports Ce modèle ayant été construit pour étudier la place des raisonnements de validation en classe de mathématique ne se positionne pas sur les pratiques d‘enseignement lié au raisonnement. Toutefois, il permet de prendre en compte différents types de raisonnements en mathématiques selon l‘institution dans laquelle il a été produit. Il permet d‘étudier quels types d‘arguments sont mis de l‘avant dans les raisonnements (visuel, mathématique, d‘autorité) tout en tenant compte de sa visée et de l‘institution dans laquelle il se manifeste. Il permet de mentionner aussi que l‘enseignant cherchant à développer le raisonnement mathématique chez ces élèves doit valoriser les raisonnements de validation autant pour la plausibilité (par exemple par la conjecture) que pour la nécessité de la validation (par exemple par la démonstration). On peut aussi souligner l‘importance pour l‘enseignant d‘expliciter (à tout le moins pour lui-même) sa propre conception du raisonnement mathématique. En effet, pour mieux comprendre les raisonnements des élèves, les enseignants s‘appuient sur leur propre conception comme référence. Pour que le jugement soit le plus cohérent possible, une prise de conscience s‘avère nécessaire. Le modèle de Lithner (2008) Premièrement, Lithner (2008) présente un modèle conceptuel du raisonnement dans les classes de mathématiques lors de la résolution de problème. Il définit le raisonnement comme « the line of thought adopted to produce assertions and reach conclusions in task solving. It is not necessarily based on formal logic, thus not restricted to proof, and may even be incorrect as long as there are some kinds of sensible (to the reasoner) reasons backing it » (p.257). Il met ici un élément clé du raisonnement en lumière : il doit être supporté par des raisons valables (du point de vue du raisonneur). Par tâche, il est entendu ce que l‘on demande de faire à l‘élève en classe. Il ajoute qu‘il ne prend en compte que le raisonnement en tant que produit qui s‘observe comme une séquence de raisonnement qui débute avec la tâche et se termine avec la réponse. Il divise le raisonnement en deux grandes classes : le raisonnement par imitation et le raisonnement créatif (voir figure 1). Le raisonnement par imitation se divise en raisonnement mémorisé (par exemple, se rappeler une preuve apprise par cœur et la recopier) et raisonnement algorithmique (AR). Le raisonnement algorithmique, pour sa part, satisfait les deux conditions suivantes : la stratégie est de se rappeler un algorithme, il n‘y a pas de création de nouvelles solutions; le reste du raisonnement est dit trivial pour l‘agent qui raisonne. Toutefois, la définition de raisonnement utilisée par Lithner nécessite des raisons pour supporter le raisonnement. Il s‘agit d‘un élément clé aussi souligné par Cabassut (2005). Un raisonnement est qualifié de créatif (raisonnement créatif mathématiquement fondé) s‘il répond aux trois critères suivants : la séquence de raisonnement est nouvelle (on peut penser que certaines parties de la séquence peuvent être partiellement remémorées) ; la validité ou la 277 GDM 2010 – COMMUNICATIONS plausibilité de la conclusion est supportée par des arguments; les arguments sont fondés sur les mathématiques pertinentes (connaissances et propriétés) aux raisonnements. Le raisonnement créatif ne peut donc pas être décliné en un argument d‘autorité. Raisonnement raisonnement imitatif raisonnement mémorisé (MR) AR familier raisonnement créatif raisonnement algorithmique (AR) AR circonscrit AR guidé Figure 3. Les différents types de raisonnement selon Lithner (2008) Quelques apports Ce modèle met en parallèle les raisonnements qui selon l‘auteur sont souhaitables (raisonnements créatifs) de ceux non souhaitables. Il met en lumière différents supports des raisonnements autres que les connaissances mathématiques et qui, tout en pouvant être un passage obligé, nécessitent d‘être changé par des supports valables du point de vue de l‘activité mathématique. Ce modèle peut aussi permettre à un enseignant souhaitant favoriser le développement du raisonnement en mathématique de choisir des problèmes à résoudre qui nécessitent de la part des élèves une séquence de raisonnement nouvelle ou reconstruite basée sur des arguments valides et mathématiquement fondés, comme les problèmes non routiniers. De plus, la théorie des situations didactiques permet à l‘auteur de cibler différents rôles de l‘enseignant et de l‘élève comme la création d‘une bonne situation didactique sous la forme d‘un problème par l‘enseignant et la part de responsabilité de l‘élève dans la résolution du problème. Pour l‘auteur, l‘enseignant est un médiateur, il ne doit pas transmettre des savoirs qui eux sont plutôt construits par l‘élève. Selon Lithner, l‘utilisation de manuels scolaires est à l‘origine de certains raisonnements imitatifs. On peut donc inférer que Lithner suggère une diminution de son utilisation ou à tout le moins une réécriture des manuels permettant une meilleure dévolution des tâches aux élèves. Le modèle de Stylianides (2005) Pour sa thèse de doctorat, Stylianides (2005) a élaboré un cadre d‘analyse du raisonnement mathématique et de la preuve cohérente, selon l‘auteur, avec la nature du raisonnement et de la preuve en mathématique. Ce cadre a été conçu a priori pour l‘analyse de manuels (curriculum analysis) pour l‘enseignement des mathématiques en début de secondaire (middle school). Ces analyses ont pour but de déterminer quelles sont les opportunités de développer le raisonnement 278 Doris Jeannotte mathématique (inductif ou déductif) rencontrées dans les manuels scolaires. La figure 4 présente son modèle. En ce sens, il axe l‘analyse du raisonnement sur les activités mathématiques où il se manifeste. En particulier sur l‘activité de faire des généralisations mathématiques et d‘appuyer des affirmations mathématiques. Raisonnement-et-preuve Faire des généralisations Appuyer des affirmations mathématiques 1 mathématiques Composantes et sous-composantes du raisonnement et de la preuve Identifier un pattern Pattern plausible Pattern défini Précurseur de Visée du pattern, de conjecture la conjecture et de Non-précurseur la preuve de conjecture Contexte Établir des conjectures Fournir une preuve2 Preuve générique Démonstration Fournir un argument (autre qu‘une preuve)3 Argument Empirique rationnel Explication Vérification Réfutation Génération de nouveau savoir Extra-mathématique Quasi-mathématique Mathématique Précurseur de preuve Non-précurseur de preuve Figure 4. Traduction du cadre analytique de raisonnement-et-preuve (Stylianides, 2005, p.21). Quelques apports Pour lui, le raisonnement-et-preuve couvre une vaste étendue d‘activités mathématiques qu‘il a séparées en quatre groupes : identifier un pattern, conjecturer, fournir une preuve et fournir un argument (autre qu‘une preuve). En ce sens, un enseignant qui veut favoriser le développement du raisonnement mathématique doit organiser et planifier les contenus à apprendre, peu importe le sous-domaine, à travers ce type d‘activités. Plus précisément, les trois premiers types d‘activités sont dits souhaitables puisqu‘ils demandent à l‘élève de raisonner inductivement (deux premières) et déductivement (troisième). Les visées des différentes activités peuvent aussi guider l‘organisation et la planification des activités pour permettre à l‘élève d‘avoir un portrait global de l‘activité mathématique dans laquelle le raisonnement mathématique est utile. D‘un autre côté, ce modèle invite aussi à une réflexion sur les types d‘activités mathématiques réalisés en classe à savoir si ces quatre types couvrent ou non l‘ensemble des activités mathématiques. Par exemple, l‘activité de définir, de résoudre, de symboliser, en mathématique sont-elles couverte par ce modèle? Ensuite, un des rôles sous-entendus de l‘enseignant est, pour Stylianides de promouvoir le raisonnement mathématique en classe : « Teachers lack images of what it means to promote reasoning and proving in the classroom » (Stylianides, 2005, p.5). C‘est par la réalisation des activités explicitées dans son modèle que les élèves sont en mesure d‘utiliser diverses formes de 1 Ces deux activités sont liées au raisonnement inductif Cette activité est liée au raisonnement déductif 3 Cette activité n‘est pas souhaitable 2 279 GDM 2010 – COMMUNICATIONS raisonnements en classe de mathématiques. Ces raisonnements s‘appuient sur un bagage de savoirs partagés par la classe. On peut donc extrapoler qu‘un des rôles de l‘enseignant est de gérer, d‘une façon ou d‘une autre, ce savoir pour s‘assurer qu‘il est partagé par l‘ensemble de la classe. L‘enseignant nécessite alors des modèles d‘activités mathématiques, des connaissances et des patterns de raisonnement impliqué dans ces raisonnements. Ce modèle s‘occupe d‘une partie des activités. Enfin, le modèle de Stylianides présuppose une organisation temporelle sur plusieurs années, débutant dès le primaire, les tâches étant adaptées au niveau de l‘élève. Le raisonnement mathématique n‘est pas l‘affaire d‘un chapitre ou d‘un niveau scolaire, une cohérence est nécessaire à travers tout le parcours scolaire. SYNTHÈSE DES APPORTS DES DIFFÉRENTS MODÈLES Premièrement, les trois modèles, selon les auteurs, prennent en compte la nature inductive et déductive du raisonnement. Le raisonnement par analogie n‘est pas abordé directement, même si deux des auteurs en mentionnent l‘existence (Cabassut, 2005; Stylianides, 2005). Ces modèles ne fournissent donc pas d‘exemples de ce que pourrait être un raisonnement par analogie en classe de mathématique ni d‘exemples d‘activités liés à ce type de raisonnement. Dans la littérature sur le raisonnement mathématique, on retrouve d‘autres types de raisonnement comme le raisonnement abductif aussi traité comme un raisonnement général. Le type d‘inférence utilisé dans ce cas est quelque peu différent du raisonnement inductif ou déductif. Deuxièmement, remarquons que ces trois modèles répondent à différents besoins et portent un regard différent sur le raisonnement en mathématiques. Tout en traitant le raisonnement mathématique d‘un point de vue général (sans lien avec un sous-domaine des mathématiques), les deux premiers modèles le rattachent à une activité de l‘esprit, ce qui permet l‘étude des raisonnements des élèves en tant que produit. Toutefois, les classifications de Lithner et de Cabassut diffèrent puisque ce dernier fait une classification en fonction de raisonnement de validation ou non et le premier en fonction de raisonnement « souhaitable » ou non. Le dernier modèle, quant à lui, le rattache à un type d‘activités mathématiques, ce qui permet l‘étude des tâches d‘apprentissage et piste sur la structuration et la mise en œuvre des contenus par l‘enseignant. Le modèle de Stylianides (2005) a été développé pour l‘analyse de curriculum et non de raisonnement d‘élèves. Troisièmement, à l‘instar de Lithner (2008), Cabassut (2005) considère l‘utilisation d‘algorithmes comme un raisonnement, pourvu qu‘il soit possible d‘expliciter la justification. Toutefois, Stylianides (2005), pour sa part, n‘en tient pas compte dans son modèle. Ceci ne veut pas dire qu‘il ne la considère pas. En fait, il ne la considère pas lorsqu‘elle est utilisée dans une activité autre que les quatre incluses dans son modèle. On pourrait se questionner sur la place des algorithmes. En postulant que le raisonnement mathématique est une activité complexe, les automatismes ont leur place (Morin, 2005), mais ne doivent pas limiter la création de séquences inédites de raisonnements. En ce sens, positionner l‘utilisation d‘algorithmes comme raisonnement imitatif et non souhaitable apparaît réducteur. Dans un même ordre d‘idée, les trois modèles ne donnent que peu d‘indices sur la place qu‘occupent les algorithmes dans le raisonnement mathématique, leur fonction. Comprendre en quoi les algorithmes viennent favoriser un raisonnement flexible peut s‘avérer utile au développement du raisonnement. 280 Doris Jeannotte En plus des algorithmes, quelques mots sur la place des connaissances s‘avèrent nécessaires. Le PFEQ les inclut comme composante du raisonnement, ce qui est mis en lumière par les modèles de Lithner et Stylianides. En effet, ces deux auteurs mentionnent l‘importance des connaissances mathématiques en stipulant que le raisonnement doit être mathématiquement fondé. En s‘appuyant tous les deux sur Ball et Bass (2003), ils mentionnent que le raisonnement mathématique s‘appuie sur un ensemble de connaissances partagées par une communauté (par exemple la classe). Le raisonnement, en plus d‘utiliser différents patterns de raisonnement, s‘appuie sur des connaissances mathématiques de l‘élève, mais aussi de la classe. Mais ces connaissances se développent aussi par le raisonnement, et ainsi de suite. Comment caractériser cette relation entre développement des connaissances et développement du raisonnement? CONCLUSION Pour l‘enseignement des mathématiques, plusieurs aspects du raisonnement sont nécessaires à conceptualiser. Pour pouvoir choisir les activités d‘enseignement/d‘apprentissage, un premier aspect est la caractérisation des activités mathématiques permettant le développement du raisonnement mathématique, ce que Stylianides (2005) a fait avec son modèle. Toutefois, on peut se questionner sur les deux grandes catégories d‘activités du modèle de Stylianides à savoir, existe-t-il d‘autres types d‘activités mathématiques qui ne sont pas pris en charge par ce modèle? De plus, le raisonnement mathématique s‘appuie aussi sur des contenus mathématiques qui eux sont spécifiques (dans certains cas) à un sous-domaine des mathématiques. En effet, la compréhension que l‘on a de ces contenus joue certainement un rôle dans les raisonnements que l‘on met en place pour réaliser une activité mathématique. Par exemple, l‘interprétation que l‘élève fait de la lettre en algèbre peut favoriser ou nuire à son raisonnement lors de la résolution d‘équations. Aucun de ces modèles ne prend en considération ces contenus. Il s‘agit ici d‘un élément qui reste à développer. Un second aspect est la caractérisation du raisonnement en tant qu‘activité intellectuelle. Quelles formes prennent les raisonnements mathématiques? Cabassut (2005) parle plutôt en termes de raisonnement de validation. Lithner (2008) mentionne les raisonnements imitatifs et créatifs, opposant les premiers au second. Cette opposition ne fait qu‘expliciter le pourquoi de l‘insistance sur le raisonnement mathématique dans les programmes et n‘apporte selon nous qu‘un faible éclairage sur le type d‘activité à privilégier. Enfin, ces modèles du raisonnement parlent peu du rôle des connaissances dans le développement du raisonnement mathématique. Une conceptualisation du raisonnement mathématique en didactique des mathématiques devrait apporter des éléments de réponses à ces différentes questions dans le but de guider la formation initiale et continue des maîtres. REMERCIEMENTS Je tiens à remercier mes directeurs madame Kieran et monsieur Cyr ainsi que mes collègues Claudia et Sarah qui, par leurs commentaires pertinents sur des versions préliminaires de ce papier, ont su alimenter ma réflexion. 281 GDM 2010 – COMMUNICATIONS BIBLIOGRAPHIE BALL, D. L. et BASS, H. (2003). Making mathematics reasonable in school. In J. Kilpatrick, W. G. Martin et D. Schifter (éd.), A research companion to Principles and Standards for School Mathematics. Reston, VA: National Council of Teachers of Mathematics. CABASSUT, R. (2005). Savoir scientifique : épistémologie, histoire des sciences, didactique des disciplines. Thèse non publiée, Paris 7, Paris. GOHIER, C. (1998). La recherche théorique en sciences humaines: réflexions sur la validité d'énoncés théoriques en éducation. Revue des sciences de l'éducation, 24(2), 267-284. GUAY, M.-H. (2004). 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Investigating students' opportunities to develop proficiency in reasoning and proving: a curricular perspective. Thèse non publiée, University of Michigan, Michigan. 282 Étude de la créativité mathématique dans les solutions aux problèmes proposés dans la communauté virtuelle CASMI Dominic Manuel Université de Moncton RÉSUMÉ. Même si plusieurs chercheurs en didactique des mathématiques recommandent la résolution de problèmes riches et le développement de la créativité mathématique en salle de classe, le changement est encore attendu. L‘article présente les résultats d‘une recherche effectuée sur la résolution de problèmes provenant du site CASMI, une communauté virtuelle d‘apprentissage. Selon les chercheurs, il existe un lien entre la richesse de problèmes et la créativité mathématique. Notre étude, à caractère quantitatif, tend à répondre aux objectifs suivants : (1) vérifier scientifiquement si les problèmes mathématiques posés sur ce site sont réellement riches, (2) vérifier à quel point les solutions soumises aux problèmes posés sur le site sont créatives, et (3) vérifier s‘il existe une relation entre les deux composantes (la richesse des problèmes et la créativité mathématique des solutions). Nous présentons et discutons des résultats de recherche et nous proposons des recherches futures possibles. PROBLEMATIQUE ET BUTS DE LA RECHERCHE La créativité mathématique est un sujet de recherche relativement récent et peu développé. Pourtant, le besoin de former des gens capables de résoudre des problèmes complexes de façon créative et innovatrice devient de plus en plus important dans la société du XXIe siècle. Ceci ne fait qu‘augmenter les attentes à l‘égard de l‘enseignement et de l‘apprentissage des mathématiques. Ainsi, les programmes d‘études de mathématiques au Nouveau-Brunswick et ailleurs dans le monde mettent l‘accent sur le développement d‘habiletés de haut niveau. Or, plusieurs auteurs mentionnent que les changements en salle de classe se font attendre (Chan, 2008; Sheffield, 2008). La résolution de problèmes, occupant une place de plus en plus centrale en enseignement des mathématiques, demeure l‘affaire d‘application de procédures et de techniques routinières (Poirier, 2001). Pourtant, il existe quelques recherches qui démontrent que les problèmes ouverts semblent laisser plus de place aux défis cognitifs et aux stratégies variées et originales inventées par les élèves (Klavir et Hershkovitz, 2008) pouvant mener à une multitude de solutions (Leikin, 2007). D‘autres chercheurs stipulent que l‘utilisation des communautés virtuelles d‘apprentissages pourrait possiblement contribuer à ce changement de paradigmes (Piggott, 2007; Renninger et Shumar, 2004). Cependant, nous n‘avons pas trouvé de recherches qui appuient cet aspect, ni de définition de créativité ou de façon de l‘évaluer dans un tel contexte. Notre recherche traite ainsi de la créativité mathématique en utilisant le site CASMI 1 , une communauté virtuelle d‘apprentissage mettant au premier plan la résolution de problèmes en mathématiques par les élèves francophones du Nouveau-Brunswick, d‘autres provinces canadiennes et d‘ailleurs dans le monde en utilisant le format électronique (Freiman, Lirette-Pitre 1 Le site porte maintenant le titre CAMI pour Communauté d‘apprentissages multidisciplinaires interactifs au lien www.umoncton.ca/cami. Nous utilisons l‘acronyme CASMI dans ce texte puisque la communauté portait ce nom lors de la recherche. GDM 2010 – COMMUNICATIONS et Manuel, 2007). Ceci permet de produire un espace virtuel collectif de solutions (dans le sens introduit par Leikin (2007)) qui pourrait possiblement contenir des solutions créatives à des problèmes riches. Le but de cet article est de présenter un sommaire des résultats de notre recherche dont les objectifs sont : (1) vérifier scientifiquement si les problèmes mathématiques posés sur ce site sont réellement riches, (2) vérifier à quel point les solutions soumises aux problèmes posés sur le site sont créatives, et (3) vérifier s‘il existe une relation entre les deux composantes (la richesse des problèmes et la créativité mathématique des solutions). Le ministère de l‘Éducation du Nouveau-Brunswick propose six résultats d‘apprentissages transdisciplinaires qui doivent être développés dans toutes les matières scolaires incluant les mathématiques, et ce, chez tous les élèves de la maternelle à la 12 e année (MÉNB, 2005). Un de ces résultats d‘apprentissage retrouvé dans ce cadre théorique est la pensée critique, où l‘élève doit être en mesure de « manifester des capacités d‘analyse critique et de pensée créative dans la résolution de problèmes et la prise de décision individuelle et collective » (MÉNB, 2005, p. 11). Par contre, le programme ne précise pas ce qu‘est une pensée créative et ne donne aucune stratégie permettant de la développer en mathématiques. Comme retombée, notre recherche permet de définir la créativité mathématique et de l‘opérationnaliser dans un contexte de résolution de problèmes. Cette recherche permet aussi de donner un premier aperçu sur l‘impact d‘une communauté virtuelle d‘apprentissages quant au développement de la créativité mathématique chez les élèves. Nos définitions de recherche accompagnées des grilles d‘analyse créées peuvent servir d‘outils pour les enseignants afin de leur permettre de choisir les problèmes riches dans la communauté virtuelle ainsi qu‘évaluer la créativité mathématique des solutions de leurs élèves. De plus, étant donné que nous avons déterminé un lien entre ces 2 variables, les résultats sont aussi des pistes pour l‘équipe pédagogique du site CASMI qui leur permettront d‘améliorer la richesse des problèmes posés et de pouvoir cultiver le développement de la créativité mathématique chez les membres qui résolvent les problèmes. CADRE CONCEPTUEL : DEFINITIONS DE RECHERCHE Pour pouvoir définir le problème mathématique riche, nous avons effectué une recension des écrits par rapport à ce que les chercheurs en didactique des mathématiques considéraient comme étant un bon problème mathématique. Nous avons retenu les critères que nous pouvions évaluer dans les énoncés de problèmes. Nous avons ainsi défini le problème mathématique riche de la façon suivante : le problème mathématique riche est un problème qui va respecter le maximum des caractéristiques suivantes : est ouvert (Diezmann et Watters, 2004; Takahashi, 2000) ; est complexe (Diezmann et Watters, 2004; OCDE, 2000) ; est mal défini (Murphy, 2004) ; est contextualisé (Greenes, 1997) ; possède diverses interprétations possibles (Hancock, 1995). Nous nous sommes inspirés des idées de Mann (2005), Haylock (1997) et Singh (1988) pour définir la créativité mathématique et ainsi, notre définition est la suivante : la créativité mathématique se définit par la fluence, la flexibilité et l’originalité des solutions correctes de qualité à un problème mathématique. Nous avons aussi défini l‘espace virtuel collectif de solutions (en nous inspirant de la définition d‘espace collectif de solutions énoncé par Leikin (2007)) comme étant l‘ensemble des solutions soumises de façon électronique dans une communauté virtuelle d‘apprentissage par des membres à un problème. Nous avons défini la 284 Dominic Manuel fluence comme étant le nombre de réponses correctes dans l‘espace virtuel collectif de solutions, tandis que la flexibilité représentait le nombre de bonnes stratégies dans ce même regroupement de solutions. Finalement, nous avons défini l‘originalité comme étant les réponses et stratégies correctes statistiquement peu fréquentes dans l‘espace collectif. CADRE METHODOLOGIQUE ET OUTILS DE COLLECTE DE DONNEES Notre recherche était à caractère quantitatif respectant la typologie de la recherche exploratoire de Van der Maren (1996). Notre démarche était divisée en 3 parties dont chaque partie étudiait un de nos buts de recherche. En premier lieu, nous avons analysé la richesse des 180 problèmes qui étaient posés dans la communauté virtuelle CASMI en utilisant une grille que nous avons validée. En second lieu, nous avons évalué la créativité mathématique des espaces virtuels collectifs de solutions de 50 problèmes, choisis aléatoirement à l‘aide du logiciel SPSS, en utilisant une grille que nous avons créée et validée. Finalement, nous avons déterminé s‘il existait une relation entre la richesse des problèmes posés sur le site CASMI et la créativité mathématique des solutions. La grille créée pour évaluer la richesse d‘un problème mathématique consistait en une série de critères que nous avons élaborés pour chacun des types (caractéristiques) de problèmes faisant partie de notre définition de recherche. Par exemple, pour un problème ouvert, nos 2 critères étaient : le problème contient au moins une question pour laquelle il peut y avoir plusieurs réponses possibles ; et le problème contient au moins une question pour laquelle plusieurs stratégies possibles peuvent être utilisées pour le résoudre. Pour chaque critère, nous attribuions le score 1 s‘il était respecté et le score 0 si non. La richesse du problème était donc la somme des critères respectés. La grille est présentée à l‘annexe A. Pour ce qui est de notre grille d‘évaluation de la créativité mathématique, nous ajoutions 1 point pour chaque bonne réponse (fluence) et 1 point pour chaque bonne stratégie (flexibilité) retrouvée dans l‘espace virtuel collectif de solutions. Pour la variable « originalité », nous comptions le nombre de bonnes réponses et le nombre de bonnes stratégies utilisées par 5 % ou moins des membres ayant résolu le problème et nous multipliions cette valeur par 2 (noté TO). Par la suite, nous comptions le nombre de bonnes réponses et de stratégies utilisées par entre 5 % et 20 % (inclusivement) des membres (notée MO). Le score pour la variable « originalité » était donc la somme entre TO et MO divisé par le nombre total de solutions dans l‘espace virtuel collectif de solutions. RESULTATS DE LA RECHERCHE Après avoir effectué des analyses préliminaires des données (Tabachnick et Fidell, 2007), même si nos 2 variables principales (richesse du problème et créativité mathématique) étaient des valeurs continues, nous avons dû apporter des corrections à nos données en créant des catégories pour toutes nos variables. En utilisant les tests de normalités, nous avons conclu que la richesse des problèmes posés sur le site CASMI était presque uniformément distribuée (asymétrie de 0,099 avec erreur type de 0,181 et voussure de 0,176 avec une erreur type de 0,36) avec une moyenne de 4 sur une possibilité maximale de 8. En évaluant les fréquences relatives de chaque critère de notre grille, nous avons remarqué que 4 critères étaient presque toujours respectés (plusieurs bonnes réponses : 61,1 %, 285 GDM 2010 – COMMUNICATIONS plusieurs bonnes stratégies possibles : 94,4 %, problèmes contextuels : 90,6 % et problèmes se résolvant en utilisant plusieurs étapes : 87,8 %) tandis que les 4 autres étaient plutôt négligés (problèmes menant à la découverte des régularités et à la généralisation des résultats : 28,9 %, problèmes demandant de faire des choix et les justifier : 11,7 %, problèmes menant à la création et à l‘étude d‘autres questions : 2,8 %, et problèmes mal définis : 22,8 %). Pour ce qui est de nos composantes de la créativité, nous avons utilisé les statistiques descriptives afin de déterminer la présence de chacune dans les espaces virtuels collectifs de solutions. Nos tests préliminaires ont démontré que la très grande majorité de membres se limitent à une seule réponse et une seule stratégie lorsqu‘ils résolvent les problèmes et ces dernières sont souvent semblables à celle des autres. Toutefois, nous avons pu quand même observer des traces de créativité mathématique dans les espaces virtuels collectifs de solutions. Pour la variable « fluence », nous avons observé que plus d‘une bonne réponse était trouvée dans les espaces virtuels collectifs dans 48 % des problèmes. Pour ce qui est de la variable « flexibilité », nous avons observé une bonne variation dans les stratégies utilisées. Dans 24 % des problèmes, seulement une stratégie était utilisée. Par contre, dans 36 % des problèmes, 2 stratégies différentes étaient utilisées. Dans 24 % des problèmes, on trouvait 3 différentes stratégies et le reste des problèmes (14 %), on trouvait plus de 3 différentes stratégies. Nous avons quand même remarqué que quelques stratégies, par exemple, procéder par tâtonnement, étaient très souvent utilisées. Finalement, pour la variable « originalité », nous avons trouvé des solutions originales dans 44 % des problèmes analysés. Par contre, nous avons remarqué que plusieurs solutions étaient semblables au niveau du contenu. Nous avons alors présumé que ceci était dû au fait que les membres travaillaient en groupe pour résoudre les problèmes et chacun soumettait la solution, ce qui a probablement influencé les résultats au niveau de l‘originalité. Nous présentons quelques exemples de problèmes riches et moins riches à l‘annexe B. De plus, quelques exemples de solutions d‘un espace virtuel collectif de solutions à un problème sont présentés dans cette même annexe afin de voir la créativité mathématique trouvée dans celles-ci. Nous avons utilisé le test du rapport de vraisemblance (chi-carré) pour évaluer la possibilité d‘une relation entre la richesse des problèmes posés sur le site CASMI et la créativité mathématique des espaces virtuels collectifs de solutions aux problèmes. Les résultats nous démontrent qu‘il existe un lien de dépendance statistiquement significatif (L 2 [2] = 9,706, p = 0,008) entre la variable « fluence » et « richesse du problème mathématique » selon l‘examen des fréquences résiduelles standardisées. La taille de l‘effet est moyenne (V = 0,422) entre ces deux variables. Il existe aussi un lien de dépendance statistiquement significatif (L 2 [2] = 10,07, p = 0,007) entre les variables « originalité » et « richesse du problème mathématique » selon l‘examen des fréquences résiduelles standardisées. La taille de l‘effet est moyenne (V = 0,441) entre ces deux variables. Par contre, il n‘y a pas de lien de dépendance statistiquement significatif (L2 [2] = 7,718, p = 0,26) entre les variables « flexibilité » et « richesse du problème mathématique ». Nous présenterons plus de détails dans les résultats lors du congrès. DISCUSSION PAR RAPPORT À LA RICHESSE DES PROBLÈMES POSÉS SUR LE SITE CASMI Après avoir déterminé la richesse de tous les 180 problèmes posés sur le site CASMI, nous avons remarqué que la distribution de celle-ci était presque parfaitement normale. Étant donné que la 286 Dominic Manuel moyenne de la richesse des problèmes en général était de 4,17, nous pouvons conclure que les problèmes posés sur le site CASMI sont en général moyennement riches (selon les catégories de notre codage En observant les histogrammes obtenus dans les résultats, nous pouvons conclure qu‘en général, environ trois quarts des problèmes ont une richesse variant de trois à cinq. La vision de l‘équipe pédagogique du site CASMI, qui est de proposer des problèmes riches sur le site, n‘est donc pas tout à fait respectée, car le site contient une bonne part de problèmes peu ou moyennement riches. Nous pouvons aussi conclure que parmi les huit critères qui étaient utilisés pour évaluer la richesse des problèmes, quatre étaient souvent respectés, tandis que les autres étaient plutôt négligés. Dans la catégorie des problèmes ouverts, 61,1 % des problèmes avaient plusieurs bonnes réponses possibles et 94,4 % des problèmes pouvaient être résolus en utilisant au moins deux différentes bonnes stratégies possibles. Ce type de problèmes était l‘un des plus utilisés. Pour ce qui est des problèmes complexes, nous avons pu conclure que seulement les problèmes qui se résolvaient en utilisant plus d‘une étape étaient nombreux (avec un taux de 87,7 %). Les autres critères : celui qui demandait explicitement à l‘élève de faire des choix et de les justifier (11,7 %) ; celui qui demandait à l‘élève de se créer d‘autres problèmes (2,8 %) ; et celui qui demandait à l‘élève de découvrir des régularités, de généraliser et/ou de prouver mathématiquement des résultats (28,9 %) était plutôt négligé dans les énoncés des problèmes. Les problèmes mal définis étaient aussi assez négligés. Effectivement, seulement 22,8 % des problèmes respectaient cette caractéristique. Par contre, les problèmes contextuels étaient grandement présents dans les problèmes posés sur le site CASMI, car 90,6 % de ces derniers respectaient ce critère. Par contre, nous pouvons encore nous questionner sur les définitions de certains critères de la richesse des problèmes. Selon notre définition de recherche, le problème ouvert est un problème qui possède plusieurs réponses et stratégies correctes (Takahashi, 2000). En revenant sur l‘étude réalisée par Klavir et Hershkovitz (2008) dans laquelle les élèves devaient identifier le nombre qui n‘appartenait pas dans la suite de nombres 15, 20, 23, et 25. Malgré le fait que ce problème corresponde à notre définition de problème ouvert, il est « trop ouvert » en admettant tous les nombres comme réponse possible. Par exemple, un élève peut dire que la bonne réponse est le nombre 20, car c‘est son numéro préféré ou encore c‘est la date de son anniversaire. Il est donc difficile d‘observer de traces de raisonnement mathématique dans ce type de réponses. Nous pouvons donc nous questionner sur l‘influence de ce type de problème sur notre score de richesse. D‘autres critères sont intéressants à explorer, Entre autres, Piggot (2008) a ressorti comme critère de richesse du problème son potentiel d‘enrichir les habiletés mathématiques des élèves ainsi que de les faire découvrir de nouveaux concepts mathématiques. Nos résultats nous amènent ainsi vers un ajustement à faire dans notre grille. Nos résultats nous permettent également de faire des suggestions aux concepteurs de problèmes qui d‘inclure les critères de richesse qui sont plutôt négligés dans les problèmes, sans toutefois laisser tomber ceux qui sont respectés régulièrement. Tout d‘abord, nous recommandons fortement la formulation de problèmes mal définis, car ces problèmes sont souvent les types de situations que les gens de la société vivent dans leur vie quotidienne (Murphy, 2004). Des problèmes dont certaines données sont manquantes, ou qui contiennent des informations en surplus, ou encore qui ne peuvent pas être résolus compte tenu des données peuvent permettre aux membres de développer davantage les habiletés à : 287 GDM 2010 – COMMUNICATIONS définir ou rechercher les informations manquantes ; pouvoir choisir les données qui sont essentielles ; pouvoir découvrir et justifier pourquoi un problème ne peut pas être résolu. De plus, les problèmes mal définis peuvent apporter la possibilité aux élèves d‘être plus créatifs, car chacun peut interpréter les informations manquantes ou en surplus de leur propre façon. Par conséquent, ceci peut enrichir l‘espace virtuel collectif de solutions. De plus, nous recommandons de concevoir des problèmes qui permettent aux élèves de faire des choix et de les justifier. En procédant ainsi, nous pouvons avoir un espace virtuel collectif de solutions contenant des choix avec des justifications créatives. Ceci peut aussi créer des occasions de faire des discussions mathématiques dans lesquelles la construction du sens mathématique est promue dans un processus de communication où les idées mathématiques importantes sont partagées sous forme de dialogues (Steinbring, Sierpinska et Bartolini-Bussi, 1998). Aussi, nous recommandons de concevoir des problèmes qui vont permettre aux élèves de découvrir des régularités, de généraliser des résultats ou encore de prouver mathématiquement des résultats. En procédant ainsi, les élèves auront la chance de jouer le rôle de mathématicien et de découvrir des régularités tout en développant des habiletés de haut niveau cognitif. Ces types de problèmes permettent une étude plus profonde au niveau mathématique comparativement à ceux dont il faut seulement trouver une ou plusieurs réponses (Brousseau, 1997). Finalement, nous recommandons aux concepteurs pédagogiques du site CASMI de donner des occasions aux élèves de continuer leurs explorations du problème en leur permettant de poser d‘autres questions ou d‘autres problèmes. Des exemples de questions ou de problèmes qui pourraient être posés par les élèves seraient de déterminer comment la réponse d‘un problème varie si nous changeons certaines contraintes aux données. Ceci ne ferait que développer la créativité mathématique, car plusieurs pourraient explorer différentes options originales du problème. DISCUSSION PAR RAPPORT À LA CRÉATIVITÉ MATHÉMATIQUE DES ESPACES VIRTUELS COLLECTIFS DE SOLUTIONS AUX PROBLÈMES POSÉS SUR LE SITE CASMI De façon générale, nous avons trouvé que les solutions retrouvées dans l‘espace virtuel collectif CASMI ne répondent pas toujours aux critères de créativités qui sont l‘originalité, la fluence et la flexibilité. Nous avons remarqué que pour la variable « fluence », dans 52 % des problèmes, seulement une bonne réponse était trouvée. Lorsque le problème demandait de trouver plusieurs réponses, nous avons remarqué que la fluence était plus élevée. Nous pouvons quand même voir que dans 42 % des problèmes, d‘autres bonnes réponses ont été trouvées. Les résultats obtenus lors du test de normalité démontrent que la très grande majorité des espaces virtuels collectifs de solutions aux problèmes ne contient que quelques bonnes réponses. Nous remarquons quand même une petite part des problèmes dont l‘espace virtuel collectif de solutions contenait un grand nombre de bonnes réponses. 288 Dominic Manuel Nous avons remarqué pour la variable « flexibilité » qu‘il semble y avoir une plus grande variété de stratégies utilisées. Effectivement, dans 76 % des problèmes, plus d‘une stratégie étaient utilisée. Nous avons quand même remarqué que les stratégies étaient quand même limitées. La procédure par tâtonnement était utilisée fréquemment. Les résultats des tests de normalité nous montrent qu‘en général, deux à trois stratégies différentes sont utilisées pour résoudre les problèmes. Pour ce qui est de la variable « originalité », en observant les résultats des tests de normalité, nous pouvons remarquer que très peu de problèmes analysés (5 de 50) contenaient plusieurs solutions originales (les scores pour cette variable étaient supérieurs à 0,5). Dans presque la moitié de problèmes (23 de 50), nous avons identifié certaines solutions originales. Toutefois, un grand nombre de problèmes (22 de 50) ne contenaient pas de solutions originales. Comme le démontrent les résultats de notre recherche, il semble y avoir des traces de créativité dans les espaces virtuels collectifs de solutions. Par contre, pourquoi les solutions ne sont-elles pas plus créatives? Nous aurions cru que les solutions auraient été plus créatives surtout pour les problèmes plus riches puisque certains auteurs avaient déjà mentionné cet aspect (Cline, 1999; Freiman, 2006; Freiman et Sriraman, 2007; Sheffield, 2003). Est-ce dû au fait que les problèmes ne sont pas assez riches? Est-ce dû au fait que les élèves ont tendance à suivre les méthodes proposées par leurs enseignants? Ou encore, est-ce le fait que les enseignants ainsi que les élèves n‘ont pas la formation nécessaire par rapport au développement de la créativité mathématique? En revenant sur la notion du contrat didactique défini par Poirier (2001), il semble que les élèves se contentent davantage d‘obtenir une bonne réponse et d‘utiliser une stratégie pour arriver à cette réponse. Par contre, nous retrouvons quand même des traces de créativité mathématique dans un petit nombre de solutions. On peut se demander comment augmenter ce nombre de solutions. Les auteurs comme Sheffield (2009) avancent qu‘un travail sur la compréhension plus profonde de concepts et de propriétés mathématiques soit nécessaire. Et ce travail devrait se faire sous forme de partage et de discussion entre les élèves. Cette forme de travail est non seulement possible en salle de classe, mais aussi dans la communauté virtuelle CASMI à l‘aide du forum de discussion (Freiman et Lirette-Pitre, 2009). Par contre, nous avons observé que le forum de discussion est rarement utilisé (Freiman et Lirette-Pitre, 2009). En fait, les élèves semblent davantage utiliser cet outil de communication lorsqu‘une activité d‘apprentissage est associée aux échanges en ligne. Dans un tel cas, l‘exploitation du forum de discussion donne accès à un environnement riche d‘informations, et ce, autant pour l‘enseignant que pour l‘élève. Effectivement, lorsque le travail se fait sur papier, seuls les résultats des échanges à l‘oral sont présentés. Dans le forum de discussion, des interactions écrites, qui ne correspondent pas nécessairement au résultat final, sont conservées sous forme de traces. Dès lors, le forum s‘avère un outil intéressant pour la conceptualisation, car il présente des informations qui, en plus de permettre à l‘enseignant de mieux comprendre le raisonnement des élèves, permet aussi aux élèves de mieux comprendre leur propre raisonnement. Il existe aussi de recherches menées par l‘équipe du site MathForum sur les équipes mathématiques virtuelles (Virtual Math Teams) (Stahl, 2009). Dans ces recherches, les élèves résolvent des problèmes en petits groupes en ligne et ont les occasions de donner un sens aux problèmes et aux concepts mathématiques qui y sont reliés. Des recherches plus poussées dans cette direction seront toutefois nécessaires. Nous pouvons faire plusieurs recommandations afin d‘aider au développement de la créativité mathématique dans les solutions aux problèmes posés sur le site CASMI. Dans un premier temps, 289 GDM 2010 – COMMUNICATIONS il serait bon que les enseignants aient des formations par rapport à la créativité mathématique. Étant donné qu‘en général, les solutions aux problèmes posés sur le site CASMI ne sont pas créatives, il est possible que ce concept soit inconnu de leur part. Alors, il serait bénéfique de les sensibiliser au sujet et de les amener à découvrir des stratégies pédagogiques efficaces afin d‘aider l‘élève à développer leur créativité mathématique. De plus, en utilisant le site CASMI de façon plus pédagogique, nous pouvons augmenter les chances des élèves à développer la créativité mathématique. Premièrement, nous avons mentionné dans le premier chapitre qu‘il est recommandé de donner aux élèves la chance de faire des discussions mathématiques dans lesquelles la construction du sens mathématique est promue dans un processus de communication où les idées mathématiques importantes sont partagées sous forme de dialogues (Steinbring, Sierpinska et Bartolini-Bussi, 1998). Le forum de discussion peut possiblement être un environnement étant capable de permettre ces occasions. Nous recommandons alors à l‘équipe pédagogique du CASMI de proposer des forums dans lesquels les membres pourront discuter des problèmes mathématiques posés sur le site et débattre leurs idées. Il est donc suggéré aux enseignants de profiter de cet environnement et d‘encourager les élèves à débattre leurs solutions aux différents problèmes. Cette recommandation nous semble très importante et pertinente même si elle ne découle pas directement de nos résultats. En effet, puisque les solutions soumises par les membres aux problèmes proposés ne peuvent pas être consultées par toute la communauté, les enseignants peuvent jouer un rôle important en alimentant les piratages et les discussions entre les élèves et en les guidant dans ce processus collectif de création. Nos résultats discutés dans la sous-section précédente démontrent que le développement de la créativité pourrait se faire si les idées mathématiques derrière les solutions étaient partagées entre les membres de la communauté d‘apprenants. Le forum de discussion disponible sur le site peut possiblement offrir ces occasions. Deuxièmement, le CASMI possède une section dans laquelle une analyse des problèmes est effectuée après que ce dernier a été affiché. Nous recommandons à l‘équipe pédagogique du CASMI de mettre l‘accent sur les idées créatives ressorties dans l‘espace virtuel collectif de solutions, c‘est-à-dire de faire un bilan de toutes les différentes réponses possibles trouvées ainsi que les différentes stratégies qui ont été utilisées. Parmi les solutions exemplaires ressorties, il serait alors bon aussi de mettre l‘accent sur celles qui contiennent des idées originales. Troisièmement, nous avons aussi mentionné que chaque membre qui résout un problème sur le site CASMI reçoit une rétroaction formative personnalisée. Nous recommandons que ces rétroactions mettent davantage l‘accent sur le développement de la pensée créative en incitant les élèves à essayer de trouver d‘autres réponses possibles ou de trouver différentes stratégies possibles qui lui permettraient de résoudre le problème. De plus, il serait aussi possible de lancer le défi de trouver des idées originales par rapport aux problèmes mathématiques. En procédant ainsi, les élèves ainsi que les enseignants seront possiblement en mesure d‘enrichir leurs idées en voyant d‘autres possibilités de solutions. De plus, ils pourront faire des analyses critiques par rapport aux différentes idées qui sont ressorties dans le forum de discussion ainsi que dans les solutions exemplaires ressorties, ce qui leur permettra de développer davantage la pensée critique ; un des résultats d‘apprentissage transdisciplinaires qui se trouve dans les programmes d‘études du Ministère de l‘Éducation du Nouveau-Brunswick. 290 Dominic Manuel DISCUSSION PAR RAPPORT À LA RELATION EXISTANT ENTRE LA RICHESSE DES PROBLÈMES POSÉS SUR LE SITE CASMI ET DE LA CRÉATIVITÉ MATHÉMATIQUE DES ESPACES VIRTUELS COLLECTIFS DE SOLUTIONS Selon les résultats obtenus, il semble y avoir un lien entre la richesse d‘un problème mathématique posé sur le site CASMI et la créativité mathématique de l‘espace virtuel collectif de solutions avec les variables « fluence » et « originalité ». Nous pouvons alors conclure que les problèmes plus riches proposés sur le site CASMI semblent être liés à des solutions plus créatives. De même, les problèmes moins riches sur le site CASMI semblent être liés à des solutions moins créatives. Nous recommandons ainsi aux enseignants de choisir des problèmes riches, c‘est-à-dire des problèmes qui vont respecter le plus de critères parmi les suivants : qui ont plusieurs réponses possibles ; qui peuvent être résolus en utilisant plusieurs bonnes stratégies possibles ; qui se résolvent en utilisant plusieurs étapes (actions, utilisation de plusieurs stratégies ou la même à plusieurs reprises, utilisation de différentes opérations, etc.) ; qui demandent aux élèves de faire des choix et de les justifier ; qui demandent aux élèves de se poser d‘autres questions ou problèmes en lien avec celui résolu et de l‘explorer en profondeur ; qui demandent aux élèves de découvrir des régularités, de généraliser des résultats et/ou de prouver mathématiquement les résultats ; qui contiennent des informations ou données manquantes. L‘élève devra par conséquent faire une recherche pour trouver ces informations manquantes ou créer ses propres définitions de travail (valeurs) ; qui sont contextualisés. RECHERCHES FUTURES Nous avons mentionné au premier chapitre que notre recherche était une démarche initiale afin de vérifier si les communautés virtuelles d‘apprentissages telles que le CASMI pourraient être de ressources utiles afin de développer la créativité mathématique chez les jeunes. Nous voyons donc plusieurs possibilités d‘autres recherches qui pourraient nous aider à répondre davantage à cette question de recherche. Comme première idée, nous pourrions effectuer cette même recherche dans une autre communauté virtuelle, par exemple Math Forum. Nous avons démontré dans notre recherche que les problèmes plus riches posés sur le site CASMI sont liés à plusieurs solutions originales possédant plusieurs bonnes réponses. En effectuant une étude dans une autre communauté virtuelle d‘apprentissage, nous pourrons comparer les résultats entre les deux recherches. Nous avons mentionné comme limite que les caractéristiques choisies pour évaluer la richesse d‘un problème mathématique touchaient seulement les contenus des problèmes. Une deuxième piste de recherche pourrait consister à élargir la définition de la richesse d‘un problème mathématique en ajoutant des caractéristiques se reliant à l‘élève et faire une observation en salle de classe. Cette recherche pourrait possiblement nous donner des pistes quant aux problèmes que 291 GDM 2010 – COMMUNICATIONS les élèves membres de la communauté virtuelle CASMI préfèrent. Comme retombée, nous pourrons voir s‘il existe un lien entre la richesse des problèmes et les préférences des élèves. Une troisième piste de recherche serait d‘étudier davantage la pensée créative chez chaque élève membre de la communauté virtuelle CASMI. Nous avons mentionné que notre choix d‘objet à l‘étude était d‘évaluer la créativité mathématique non pas chez un individu, mais plutôt chez l‘ensemble de membres qui ont produit un espace virtuel collectif de solutions de chaque problème. En nous penchant sur les solutions soumises comme produit d‘un élève, nous pourrions évaluer les espaces individuels de solutions de ceux qui participent régulièrement à la résolution de problèmes sur le site CASMI et voir à quel point la créativité évolue au cours des cycles. Nous pourrions aussi former un groupe d‘élèves et les observer lors du processus de résolution de problèmes sous forme d‘entrevues ou de dialogues afin de connaître davantage leurs idées, leurs émotions et leurs perceptions. Une quatrième idée de recherche serait de développer des ateliers de formation avec les élèves et les enseignants portant sur la créativité mathématique et d‘en évaluer l‘impact. En effet, nous pourrions procéder avec une recherche expérimentale en ayant un pré-test et un post-test. La formation aurait lieu dans une période située entre le passage des deux tests afin de voir l‘effet de la formation. Dans un ordre d‘idées semblable, nous pourrions aussi créer des ateliers de formations pour les enseignants et réaliser des entrevues à différents moments afin de déterminer comment leurs pratiques pédagogiques ont évolué depuis le début de la formation. Une cinquième idée possible de recherche serait de faire une comparaison entre la créativité mathématique de problèmes provenant de manuels scolaires ainsi que ceux qui proviennent du site CASMI. En évaluant la créativité mathématique des espaces collectifs de solutions dans les deux cas, nous serions en mesure de voir si la créativité mathématique est plus présente dans l‘espace collectif des solutions sous format papier ou sous format électronique. Une dernière idée possible d‘une recherche future serait de faire une analyse plus qualitative des problèmes les plus riches ainsi que les espaces virtuels collectifs de solutions les plus créatives. Nous pouvons voir des traces d‘espaces collectifs de solutions créatives (dont plusieurs bonnes réponses étaient trouvées et qui contenaient plusieurs idées originales). Il serait intéressant d‘analyser en détail les contenus de chaque solution ainsi que les problèmes auxquels les solutions sont associées. Cette recherche pourrait possiblement nous donner des idées plus profondes sur les caractéristiques de problèmes qui apportent des solutions créatives. RÉFÉRENCES BOTTGE, B. A. (1999). Effects of Contextualized Math Instruction on Problem Solving of Average and Below-Average Achieving Students. Journal of Special Education, 33(2), 81-92. BROUSSEAU, G. (1997). Théorie des situations didactique. Grenobe: La pensée sauvage. CHAN, C. M. E. (2008). 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Hibou OUI = 1 NON = 0 Le problème contient au moins une question ou un objectif (but) pour lequel il peut y avoir plusieurs bonnes réponses possibles. O N On demande explicitement de trouver le plus de solutions possibles dans l‘énoncé du problème (n‘est pas calculé dans le total).* O N Le problème contient au moins une question ou un objectif (but) pour lequel au moins deux bonnes stratégies peuvent être utilisées pour le résoudre.** O N Le problème contient au moins une question ou un objectif (but) pour lequel au moins 2 étapes (actions, utilisation de plusieurs stratégies ou la même à plusieurs reprises, utilisation de différentes opérations, etc.) doivent être utilisées pour trouver la ou les réponses (1 étape = 1 opération). O N Le problème demande explicitement ou implicitement à l‘élève de faire un choix et de le justifier. O N Le problème demande explicitement à l‘élève de se poser d‘autres problèmes ou d‘autres défis ou encore de se poser des questions de la forme suivante : « Que se passerait-il si on avait… ? » « Que se passerait-il si on n‘avait pas… ? » ou « Et si les contraintes du problème changent? ». Aussi il pourra tenter de les résoudre. O N Le problème amène implicitement ou explicitement l‘élève à découvrir des régularités et/ou à généraliser des résultats mathématiques et/ou à prouver mathématiquement des résultats. O N Le problème ne contient aucune donnée ou information disponibles dans l‘énoncé pour le résoudre ou il manque des données ou informations nécessaires pour le résoudre. Par conséquent, l‘élève doit rechercher ou définir par luimême les données ou les informations nécessaires pour le résoudre. O N Le problème est impossible à résoudre, car les informations ou les données sont insuffisantes et ne peuvent être recherchées ou définies (l‘élève doit donc découvrir que le problème ne peut pas être résolu et l‘indiquer dans sa réponse). O N O N Numéro du problème : ____________ Niveau : Liste des critères CATÉGORIE : PROBLÈME OUVERT CATÉGORIE : PROBLÈME COMPLEXE CATÉGORIE : PROBLÈME MAL DÉFINI CATÉGORIE : PROBLÈME CONTEXTUEL Le contenu mathématique du problème est placé dans un contexte réel ou fictif (histoire quelconque) en lien avec les mathématiques. *** RICHESSE DU PROBLÈME _______ *Ce critère sert surtout à faire la comparaison entre les problèmes demandant explicitement de trouver le plus de solutions possible et ceux qui ne le demandent pas. C‘est pourquoi nous ne calculons pas ce résultat dans le score de la richesse du problème puisqu‘il est calculé dans le critère précédent. **On peut sélectionner au moins deux différentes stratégies qui se trouvent au tableau 1 ***Nous ne considérons pas une situation dans laquelle une personne résout un problème dans un manuel scolaire ou un livre d‘énigmes comme une situation contextuelle. Nous considérons ces cas comme étant des contextes purement mathématiques. 295 GDM 2010 – COMMUNICATIONS ANNEXE B Tableau 2 Exemples de problèmes accompagnés d’une analyse Exemple de problème Analyse Maria a fait des économies en plaçant de pièces de monnaie dans sa tirelire. Un beau jour de printemps, elle a décidé de compter son argent. Elle a commencé à former des piles de 1 $. En regroupant ensemble ses pièces de 1, 5, 10 et 25 cents et en s'assurant que chaque fois, elle obtenait une pile différente. D'après-vous, peut-elle en faire beaucoup? Dressez la liste des possibilités que vous pouvez trouver. Ce problème est considéré comme étant riche. Tout d‘abord, il est contextualisé, car le contenu mathématique est placé dans une situation d‘un jeune et sa tirelire. De plus, ce problème contient plusieurs solutions possibles. Plusieurs stratégies peuvent être utilisées pour résoudre le problème (matériel de manipulation, essais et erreurs, calcul). Même si le problème n‘est pas mal défini, car toutes les informations nécessaires pour le résoudre sont présentes, ce problème peut donner l‘occasion aux élèves de déterminer des régularités qui pourraient les aider à trouver les possibilités plus facilement. Score de richesse : 5 L‘horloge de la Gare Le P’tit Train indique 15 h 48. Quel angle forment les aiguilles? Score de richesse : 3 Il existe des superstitions par rapport aux nombres. Par exemple, le nombre 13 est reconnu comme étant malchanceux. Dans les grandes villes, les immeubles n'ont pas d'étages qui portent ce numéro. Le nombre 666 est un autre nombre « mal aimé ». Pourtant, il est très spécial et mérite une attention particulière de la part des mathématiciens. En effet, il peut être décomposé comme une suite de plusieurs nombres naturels consécutifs. Nous vous lançons le défi de trouver ces nombres. Pouvezvous trouver plus d'une solution? Score de richesse : 4 296 Ce problème est considéré comme étant peu riche. Les solutions sont quand même nombreuses, car la question n‘est pas spécifique. Un élève peut répondre que l‘angle est obtus ou il peut aussi déterminer la mesure exacte de l‘angle en degrés. Cette mesure peut aussi varier, car la position des aiguilles peut varier un peu (selon la position où l‘aiguille des heures et des minutes). Plusieurs stratégies peuvent être utilisées pour résoudre ce problème (ex : matériel de manipulation, calcul). Finalement, le problème est aussi contextualisé. Par contre, ce problème n‘est pas mal défini et il ne permet pas aux élèves de développer des habiletés de plus haut niveau, par exemple, déterminer des régularités, généraliser des résultats, etc. Ce problème est considéré comme étant moyennement riche. Ce problème est contextualisé, car il fait un lien avec les superstitions connues dans la société. De plus, ce problème contient plusieurs bonnes réponses possibles (221 à 223, 1 à 36, 165 à 168, etc). Ce problème peut aussi être résolu en utilisant différentes stratégies, par exemple, l‘utilisation des propriétés des nombres, former des équations algébriques, utilisation de la calculatrice, essais et erreurs, etc. Le défi de trouver différentes réponses possibles peut apporter une certaine complexité au problème. Ce problème n‘est toutefois pas mal défini et ne permet pas de développer les habiletés de haut niveau, comme par exemple, généraliser des résultats. Dominic Manuel Solutions au dernier problème du tableau précédent Solution 1 : salut Moi pour commencer jai alors diviser 666 par 3 qui ma donner 222 alors jai essayer 22 mais sa ne fonctionnait pas alors jai essayer 221 qui ma donner la bonne réponse -221,222,223=666. Apres jai commencer par essaie erreur jai trouver en 2ieme 70,71,72,73,74,75,76,77,78=666. En 3ieme jai trouver 165,166,167,168=666. En 4ieme j'ai du chercher pour un bout et jai trouvé 50,51,52,53,54,55,56,57,58,59,60,61. et en dernier jai trouver 1 à 36. Se qui donne tout se que j'ai trouver BYE!! Dans cette solution, l‘élève a trouvé 4 bonnes réponses, donc l‘espace virtuel collectif de solution aurait un score de 4 comme fluence en considérant cette solution. Pour ce qui est des stratégies utilisées, on peut en reconnaître 2 selon les explications de sa solution. Pour trouver la première réponse, l‘élève s‘est servi des propriétés des nombres en divisant 666 par 3 et en ajoutant et soustrayant 1 du quotient trouvé pour obtenir les 2 autres nombres. L‘autre stratégie utilisée est essais et erreurs. En cherchant, l‘élève a réussi à trouver 3 autres solutions. Bref, le score de la flexibilité serait de 2. Solution 2 : Bonjour!!!!! Moi j'ai commencer par calculer avec la calculatrice et j'ai eu l'idée de esayer 1+2+3+4+5+6+7+8+9+10+11+12+13+14+15+16+17+18+19+20+21+22+23+24+26+27+28+29 +30+31+32+33+34+35+36 et s'est égale à 666 après j'ai fait 666/3 et j'ai trouver 222 et j‘ai trouver221+222+223 et c'est égale à 666 et j'ai fait esaie et erreur et j'ai trouver 50+51+52+53+54+55+56+57+58+59+60+61 et sa ma donner 666 ey j'ai trouver trois solution en tout. Dans cette solution, l‘élève confirme qu‘il a trouvé 3 réponses, qui sont correctes. Pour trouver les 3 différentes solutions, l‘élève a utilisé 3 différentes stratégies. Pour la première, il a utilisé la calculatrice comme matériel de manipulation et a additionné les nombres jusqu‘à ce qu‘il obtienne la réponse voulue. Par la suite, il a utilisé la même propriété des nombres décrite dans la solution 1 pour trouver la même réponse. Finalement, l‘élève a procédé par essais et erreurs pour trouver sa dernière solution. En conclusion, les scores pour la fluence ainsi que la flexibilité sont de 3. 297 GDM 2010 – COMMUNICATIONS Solution 3 : 1. Façon 3/666 = 222 221 + 222 + 223= 666 2. Façon x + x + 1 + x + 2 = 666 3x + 3 = 666 3x = 666 – 3 3/3x = 663/3 3/663 = 221 x = 221 Dans cette solution, l‘élève a seulement trouvé une bonne réponse : 221 à 223. Ceci donne un score de 1 pour la fluence. Cependant, ce qui rend la solution intéressante est le fait qu‘il a obtenu cette même réponse en utilisant 2 stratégies différentes. Comme première stratégie, l‘élève a utilisé cette même propriété des nombres qui fut décrite dans les 2 autres solutions. Comme seconde stratégie, l‘élève s‘est créé une équation algébrique pour obtenir la même solution. Un score de 2 est attribué pour la flexibilité. Il est à noter que la représentation des fractions dans cette solution n‘est pas bien indiquée. Nous négligeons cet aspect étant donné que cette erreur n‘influence pas les composantes de la créativité mathématique. Il est à noter que dans les 3 solutions, nous n‘avons pas mentionné l‘originalité comme composante de la créativité. Nous aurions besoin de l‘ensemble de l‘espace virtuel collectif de solutions pour pouvoir comparer les fréquences relatives des réponses ainsi que les stratégies trouvées. 298