entretien | Abd Al MAlik

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entretien | Abd Al MAlik
entretien
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Abd Al MAlik
| No 48, 25 Novembre 2013 |
Migros MAgAzine |
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ENTRETIEN
MIGROS MAGAZINE | No 48, 25 NOVEMBRE 2013 |
ABD AL MALIK | 27
«L’amour
aujourd’hui est
contestataire»
Rencontre avec le musicien, auteur et poète Abd al Malik à l’occasion du
passage à Vevey de son spectacle autour d’Albert Camus, «L’Art et la révolte.»
Albert Camus et Abd al Malik, c’est avant tout
une rencontre?
C’est une rencontre fraternelle. Et avant
tout un bouleversement de vie au départ.
J’ai 12 ou 13 ans, à l’école on a lu L’Etranger qui me remue, déjà. Puis il y a le vrai
choc de L’Envers et l’Endroit.
Pourquoi?
Parce que tout à coup Camus devient
mon frère. Comme moi, il a été élevé par
une mère seule. Comme moi, il avait
rencontré des enseignants qui croyaient
en lui et il avait été arraché à la misère
par la culture. Dans ce livre, Camus
parle de la vie dans un milieu et un endroit populaires, qui ressemble à ma cité (Abd al Malik a passé son enfance à
Neuhof, près de Strasbourg, ndlr.). Il
parle du fait de rester fidèle aux siens. Et
pas pour se ghettoïser, mais pour mieux
aller vers les autres. Pour demeurer en
accord avec ce que l’on est. C’est soudain comme un grand frère qui s’assied
à côté de moi et qui me dit: tu veux être
artiste, eh bien voilà ce que cela signifie.
Voilà ce que tu dois faire, le chemin à
parcourir. Et ça, c’est un vrai bouleversement.
Pour Abd
al Malik, toute
l’œuvre de
Camus est
une déclaration
d’amour
à l’Homme.
Vous avez suivi des études de lettres et
de philo avant de chanter. Les mots avant
tout?
J’ai fait du rap parce que j’écrivais. Les
écrivains sont mes héros, ceux qui m’ont
appris qu’il fallait être humain jusqu’au
bout.
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«Les écrivains m’ont
appris qu’il fallait être
humain jusqu’au bout.»
L’art, c’est forcément de la révolte?
Oui. Parce que même si un auteur ou
poète écrit quelque chose sur la beauté
de votre lac (la rencontre a lieu à Vevey,
ndlr.), en fait il écrit: j’existe. Je suis vivant, je suis là, il faut compter sur mon
regard. La révolte, ce n’est pas forcément être contre. C’est de dire que l’on
est tout aussi important que n’importe
qui sur cette planète.
Camus aurait eu 100 ans. Quelle partie de son
œuvre vous paraît la plus contemporaine, la
plus parlante aujourd’hui?
Pour moi, tout reste. Il a été quelqu’un
d’à la fois très en phase avec son époque,
et de décalé. J’ai le sentiment que lire
Camus aujourd’hui nous apprend aussi
quelque chose de notre époque. Il n’était
pas en train d’ériger sa statue. Il était
dans une démarche où il avait vraiment
mal pour les autres. Pour de vrai. Il l’a dit
et écrit: être humain, c’est une responsabilité. Exercer au mieux ce métier-là
vaut au début du XXIe siècle comme
pour hier ou demain.
A l’époque de la parution de votre livre
«Qu’Allah bénisse la France», vous affirmiez
vouloir désormais privilégier davantage
l’amour et moins la contestation. Comme
chez Camus?
Mais vous savez, en réalité, l’amour est
contestataire. Aujourd’hui plus que jamais. Selon moi, la subversion de nos
jours, c’est précisément être capable de
dire «Je t’aime.» C’est être capable de
tendre la main, à l’heure des replis identitaires et de la crispation d’une certaine
Europe face aux autres cultures ou à
l’immigration. Toute l’œuvre de Camus
est une déclaration d’amour à l’Homme.
Y avez-vous retrouvé de cette spiritualité, si
importante chez vous?
Profondément. Il ne croit pas en Dieu,
mais il est éminemment spirituel. La
croyance, se réclamer de telle ou telle religion, appartient à chacun, à chaque
histoire de vie. La religion, à chacun de
voir selon son parcours. Mais la spiritualité, elle, est vitale. Quelqu’un qui vivrait
sans spiritualité, je le vois comme un
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ENTRETIEN
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ABD AL MALIK
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Biographie
Né à Paris en 1976, le petit Régis Fayette-Mikano déménage avec ses parents et ses frères à
Strasbourg, dans le quartier difficile du Neuhof. Délinquant «pas par méchanceté mais
pour être accepté par les autres» le soir, il se
passionne très vite pour le savoir et la littérature à l’école. A la séparation de ses parents, il
prend conscience de la nécessité de s’éloigner
de son quartier et grâce à une enseignante
s’inscrit dans un collège catholique privé. «La
scission était encore plus grande entre la vie
dans le quartier et la vie au collège.»
Il crée le groupe de rap NAP (New African
Poets), qui dénonce non sans violence
verbale les injustices sociales. Il se convertit à
l’islam à l’âge de 15 ans, prenant le nom d’Abd
al Malik, ou «serviteur de Dieu». D’abord Tabligh (mouvance piétiste et très «encadrante»
de l’islam), il chante ses textes en cachette le
soir sur des petites scènes. Et lorsqu’on lui demande de choisir entre sa musique et l’appartenance au Tabligh, il quitte ce dernier.
Rappeur, slameur, il découvre plus tard le soufisme, la voie spirituelle de l’islam. Au Maroc au
sein d’une confrérie soufie, il y rencontre celui
qu’il appelle son «maître bien-aimé», Sidi
Hamza. Un maître spirituel qui lui apprend, dira-t-il, «l’amour de l’autre et l’absence de dénigrement». Musicalement, il s’éloigne peu à peu
d’un rap purement contestataire, réalisant que
dans la musique, comme dans la spiritualité, il
avait jusqu’alors «une posture de paraître et
non d’être. Mais rien de bon ne peut sortir hors
de l’amour et de l’acceptation de l’autre.» Son
livre «Qu’Allah bénisse la France» (2004)
évoque ce cheminement spirituel et intellectuel. Abd al Malik a remporté quatre Victoires
de la musique, en 2007, 2008, 2009 et 2011.
Marié depuis quinze ans à la chanteuse de R’n’B
Wallen, il est papa de Mohamed Hamza, 12 ans.
Abd al Malik a déjà remporté quatre Victoires de la musique, en 2007, 2008, 2009 et 2011.
Slameur et écrivain, Français mais revendiquant ses origines africaines, rappeur mais
rassembleur: vous n’êtes pas facile à cerner.
Tout mon travail, d’une certaine manière, tourne autour de l’identité.
L’identité de Camus est claire. Evidemment cela me touche, parce que cela me
ressemble. Mes parents sont originaires
du Congo-Brazzaville, mes racines sont
africaines. C’est le continent de mes ancêtres. C’est là d’où je viens. Mais je me
sens complètement Français et complètement Européen. Cette complexité n’en
est pas une. Pas plus qu’il n’y a contradiction. J’essaie depuis toujours de dire
qu’il ne faut y voir aucune schizophrénie. Et j’essaie de l’expliciter à travers des
spectacles comme celui-ci, ainsi qu’à
travers des rencontres artistiques, des
disques ou des livres. Je recolle les mor-
ceaux. Et je suis un, tout en restant en
connexion avec les autres.
Les extrémismes en tout genre deviennent
les plus visibles et les plus bruyants. Vous
êtes plutôt dans la recherche du consensus,
de la main tendue, vous combattez les divisions. Difficile de se faire entendre parce que
d’une certaine manière vous êtes critiqué des
deux côtés (musulman, il l’est par les islamistes. Alors que les belliqueux du hip-hop le
voient comme un traître à la subversion du
rap, ndlr.)?
Je veux parler de ce qui rassemble. Et je
croise beaucoup de gens qui pensent
comme moi. Ou avec lesquels moi je
peux entrer en résonance. C’est vrai,
nous vivons dans un monde qui nous dit:
vous êtes seul, ça ne marchera pas; vous
êtes un rêveur. J’assume d’être un utopiste. C’est parce que des gens l’ont été
que l’on peut parler de valeurs républicaines ou de Droits de l’homme. Qu’importe ce que nous dit le «système».
Nous sommes des êtres vivants, et la
Photos: Getty Images (portrait) / AFP (entretien) / AFP (concert)
corps sans âme. C’est la lettre sans l’esprit. Camus est autant dans l’intellect,
la raison, qu’il est dans l’émotion ou le
sentiment.
Dans son dernier CD Abd al Malik rend
hommage à Albert Camus.
| No 48, 25 Novembre 2013 |
machine n’est qu’une machine. On doit
se battre pour l’espoir. Et des personnalités comme Camus, justement, nous
donnent le cap. Nous poussent à croire
que c’est possible, qu’il faut continuer.
Les mous, finalement, ce sont ceux qui vous
reprochent d’être consensuel?
Bien sûr. Comme si tenter de faire du
lien, d’amener un peu d’intelligence, serait un signe de faiblesse.
Végé
t al
Outre ce spectacle, vous avez scénarisé votre
premier livre qui raconte votre histoire. Le
tournage a-t-il commencé?
Oui, au Neuhof à Strasbourg, là où j’ai
Nez
bouché?
Sinupret
Dragées
libèrent!
Dissolvent le mucus et dégagent le nez
à l’aide des plantes.
«J’assume
d’être
un utopiste.»
grandi. Nous tournons avec des jeunes
du quartier entourant le comédien belge
Marc Zinga, qui tient le rôle principal.
Vous créez un spectacle librement inspiré de
l’œuvre de Camus, vous tournez votre premier
film, vous avez écrit deux livres: une partie de
votre premier public n’a-t-elle pas du mal à
vous suivre?
Disponible dans votre pharmacie.
Veuillez lire la notice d’emballage.
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Peut-être. Et à la limite, tant mieux. Un
artiste, quelqu’un donc de forcément
engagé, doit prendre des chemins de traverse et aller là où on ne l’attend pas forcément.
Entretien: Pierre Léderrey
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