L`encadrement juridique de la e

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L`encadrement juridique de la e
L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
L’ENCADREMENT JURIDIQUE DE LA E-RÉPUTATION
Par Anne-Laure Roux
Institut d’Études Politiques de Toulouse
Parcours « Affaires internationales et stratégie d’entreprise »
Directeur de Master : Minda Alexandre
Directeur de mémoire : Attal Michel
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L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
Abréviations :
-
DDHC : Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, 26 août 1789
-
CEHD : Convention européenne des droits de l’homme, 4 novembre 1950
-
DUDH : Déclaration universelle des droits de l’Homme, 10 décembre 1948
-
PIDCP : Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966
-
CPCE : Code des postes et des communications électroniques
-
LCEN : Loi pour la confiance dans l’économie numérique, 21 juin 2004
Précisions de vocabulaire :
-
Par choix, dans ce propos sera utilisé le terme « l’Internet » et non « Internet », sauf en
ce qui concerne les appellations du type « fournisseurs d’accès Internet » ou « site
Internet », en référence à la thèse de Mme Roques-Bonnet, intitulée « La Constitution
et l’Internet ». Il apparaît en effet que l’utilisation du « l » soit fréquente dans les
ouvrages juridiques.
-
Dans ce propos sera également faite la différence entre les « média » et le « médium »,
cette fois en revanche en prenant le contre-pied de beaucoup d’arrêts jurisprudence.
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Le 2 mai 2006, le site Internet www.public.fr diffuse une photographie de Patrick Bruel et son
épouse, avec des commentaires précisant que cette dernière est enceinte. Le 14 septembre
2006, le tribunal de grande instance de Nanterre va condamner le médium Internet pour
article attentatoire aux droits de la personnalité des époux Bruel à payer des dommages et
intérêts d’un montant de 8.000 euros en réparation de leur préjudice1. La photographie et
l’allégation étaient déjà le sujet d’un article du magazine Voici (date du 29 avril 2006),
toutefois le juge a considéré que cela n’exonérait pas pour autant l’éditeur du site de sa
responsabilité pour atteintes aux droits de la personnalité.
Cette affaire illustre la difficulté que peut rencontrer un particulier à faire respecter les droits
de sa personne sur l’Internet. En effet, d’une part, le médium permet de faire ressurgir des
informations qui, bien que dans le cas échéant étant relativement récentes, s’étaient perdues
dans la masse d’informations produite par les média. L’Internet permet d’allonger la durée de
vie d’un article, le rendant imprescriptible de fait étant en permanence aisément disponible
pour tout internaute. D’autre part, les informations diffusées s’adressent à un public
planétaire. Cette caractéristique n’est pas sans conséquence pour l’évaluation du préjudice
subi.
Dans le cas des époux Bruel, ce sont des personnes publiques, ce qui implique que leur
renommée et leur vie privée soient ardemment surveillées et protégées par leurs conseils, et
que leurs réactions pour une atteinte à leur droit de la personnalité soient réalisées par des
experts du droit. Qu’en est-il lorsqu’un particulier, ne bénéficiant pas de cette renommée,
veuille attraire en justice une personne qui a porté atteinte aux droits de sa personnalité, à son
droit à la vie privée ?
Le respect de la vie privée implique que de nombreux aspects de notre vie puissent bénéficier
d’une protection vis-à-vis du grand public, d’autant plus dans un monde où l’Internet permet à
tout un chacun d’écrire ce qu’il pense et de le diffuser à l’échelle mondiale. Dans cette
recherche de protection d’une sphère personnelle, quelle réponse nous donne le droit ?
L’article 9 du Code civil proclame « Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges
peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que
1
TGI Nanterre, 1e chambre, 14 septembre 2006, Patrick Bruel & Amanda S. / Hachette Filipacchi
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séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie
privée ; ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé. ». Or, l’humanité,
depuis une trentaine d’années, assiste à une véritable révolution des moyens de
communication avec l’apparition d’Internet et la place prépondérante qu’il prend actuellement
dans tout type de rapport humain. L’internet impacte tous les aspects de notre vie, que ce soit
professionnellement ou personnellement, nous sommes malgré nous les sujets de cette
immense machine dont les contours sont difficiles à définir, voire à mesurer dans leur
globalité. Si ce formidable moyen de communication a permis à l’humanité de faire un bond
dans le XXIe siècle avec une information en continu et la possibilité d’être joignable en
permanence de n’importe quel point du globe, il est aussi source de danger, en ce que
justement il produit un flux incessant d’information sur tout et n’importe qui, et ce de manière
incontrôlable pour le sujet concerné.
La révolution numérique en cours depuis ces trente dernières années a considérablement fait
évoluer l’exposition du sujet de droit à une violation de sa vie privée. Certes, la loi de
confiance dans l’économie numérique, du 21 juin 20012, encadre l’atteinte à la vie privée,
notamment par une procédure de demande de retrait de contenu, qui peut s’ensuivre de
l’engagement de la responsabilité de l’hébergeur du site Internet, pour autant il semble que les
droits de la personnalité en général ne soient pas complètement et exhaustivement protégés de
la même manière. Le droit au respect de l’intégrité morale de la personne comprend le droit
au respect de la vie privée, le droit à l’image, le droit à l’honneur, le droit au secret et la
protection de la personnalité intellectuelle. Ces droits de la personnalité sont actuellement mis
à mal par le développement de la toile, les juristes ont des difficultés à établir des lois qui
puissent protéger le sujet de droit activement tout en permettant l’essor de ce moyen de
communication en lui allouant une liberté de parole qu’il s’est déjà largement arrogée.
Tout sujet de droit est potentiellement en danger, qu’il soit une personne physique ou une
personne morale, à tous les niveaux de protection de son droit au respect de l’intégrité morale.
La réputation notamment est un des domaines les plus sensibles sur la toile, or le droit
français établit que « toute personne a le droit d’exiger des autres le respect de sa propre
dignité, de sa réputation »3. Si le droit proclame la liberté d’expression comme un droit
inaliénable, pour autant elle est limitée par le respect de la personne et l’atteinte à l’honneur
2
3
Site de Legifrance (http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000801164&dateTexte=&categorieLien=id)
COURBE Patrick, Mémentos Droit civil, Dalloz, 2007, 219 p.
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notamment. L’atteinte à l’honneur d’une personne peut se concrétiser par deux actions
distinctes : la diffamation et l’injure.
La diffamation est définie par la loi du 21 juillet 18814 (art. 29 al. 1) comme « toute allégation
ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou
du corps auquel le fait est imputé ». L’injure est définie (art. 29 al. 2) comme « toute
expression outrageante, terme de mépris ou invective, qui ne renferme l’imputation d’aucun
fait. ». Les deux atteintes sont clairement distinguées dans la jurisprudence, la Cour de
cassation statue notamment, dans un arrêt de principe du 15 février 20135, que la qualification
entre injure et diffamation n’est pas cumulative et que chaque imputation doit faire l’objet
d’une qualification précise. Maître Cordelier6 explique ainsi qu’une « injure n’est pas une
diffamation et réciproquement, on ne peut pas poursuivre l’auteur de la publication pour les
deux qualifications simultanément concernant le même propos ». Ainsi, les deux fautes sont
bien différenciées, mais protègent tous deux l’atteinte à l’honneur d’une personne. Très tôt,
elles ont constitué des actes répréhensibles en droit français, par la loi du 29 juillet 1881 sur la
liberté de la presse notamment, qui précise que la diffamation et l’injure sont des fautes
pénales et quasi-délictuelles. Aujourd’hui, cet encadrement juridique s’applique en principe
aux délits sur Internet. Pour autant, les conditions d’application de la loi ainsi que la mise en
place des peines diffèrent grandement de ce qui fût écrit en 1881.
En 2000, apparaît pour la première fois le terme « e-réputation », dans un article du Journal of
Brand Management intitulé « E-reputation : the role of mission and vision statement in
positionning strategy7 », écrit par Rosa Chun et Gary Davies. Ces derniers définissent la
réputation comme « Une construction collective, un terme se référant à l’image de la
compagnie du point de vue des actionnaires. Ainsi, la réputation intègre la notion d’image
comme définie précédemment. Cette définition se différencie de celles qui considèrent la
réputation uniquement comme l’image extérieure d’une organisation. La réputation de
l’entreprise est créée par toute interaction de l’actionnaire avec l’organisation. ». Partant, ils
définissent la e-réputation comme « l’élément de la réputation qui provient uniquement de
contacts électroniques ». L’article porte sur l’importance indéniable de protéger et gérer la
4
Site de Legifrance (http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000006070722&dateTexte=20080312)
Cour de casssation, Assemblée plénière, 15 février 2013, n°11-14.637, Dominique X / société Auféminin.com
Site du cabinet (http://www.cordelier-avocat.fr/news.php?id=e-reputation-internet-diffamation-injure-photo-de-nu-vie-priv%C3%A9e)
7
CHUN Rosa, DAVIES Gary, « E-reputation : The rôle of mission and statements in positioning strategy » in Brand Management, Vol. 8,
Nos. 4 & 5, Mai 2001, 19 p.
5
6
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réputation d’une firme sur Internet, devenu aujourd’hui une des clefs du management comme
levier de popularité ou au contraire arme fatale.
Le Larousse définit la réputation comme « la manière dont quelqu’un, quelque chose est
connu, considéré dans un public ; opinion favorable ou défavorable du public pour quelqu’un,
quelque chose ; fait d’être connu, célèbre ».
Plus communément, la e-réputation est l’équivalent de l’identité numérique, la projection
digitale de notre réputation dans le monde physique8. Aujourd’hui, les entreprises ne peuvent
plus se passer d’une bonne réputation. Pour le Professeur Raghavan, professeur de finance au
SDM Institute for management development de Mysore (Inde), « le risque de réputation est le
point de départ de tous les risque. Si vous n’avez pas de réputation, vous ne faites pas de
business. »8. En ce qui concerne les individus, il s’agit de « personal branding », mais l’un et
l’autre sont liés car l’image d’une personne se reflète sur celle de son entreprise et
inversement.
Une information entièrement erronée peut faire le tour de la planète en très peu de temps et
laisser des séquelles à vie sur la réputation de la personne concernée, sans pour autant qu’elle
ait pu faire quoi que ce soit pour contrôler le phénomène qui se déroule sous ses yeux.
Comment se prémunir contre la liberté de parole sur la toile ? Comment protéger les droits
moraux face à la liberté expansive d’expression ? Comment démentir une accusation ou une
information fausse sur sa personne ou sur son entreprise ? Se bât-on de manière identique
contre la diffamation et l’injure sur l’outil informatique et ailleurs ? Quel rôle joue le
législateur pour prémunir les sujets de droit de l’atteinte à leur vie privée, leur honneur et leur
réputation? Sommes-nous tous égaux face au numérique ? Comment nous protéger sur
Internet, protéger notre image, reflet de notre vie sur la toile ? En d’autres termes, comment
protéger sa e-réputation ?
En quoi le régime dérogatoire, issu des travaux du juge et du législateur, qui encadre la
protection de la e-réputation du sujet de droit, se heurte-t-il à deux obstacles majeurs,
l’un étant un pilier fondamental de notre système juridique, la liberté d’expression,
l’autre étant un phénomène global et transnational bouleversant nos normes juridiques
8
FILLIAS Édouard, VILLENEUVE Alexandre, E-Réputation, Stratégies d’influence sur Internet, Ellipses, 2013, 325 p.
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protectrices des droits de la personnalité, la révolution numérique, au point de favoriser
une extensive liberté de parole au détriment de la victime bafouée ?
Si la e-réputation du sujet de droit est protégée par un régime dérogatoire (1), la mise en cause
du responsable est pourtant moins stricte que celle prévue par le droit commun (2), amenant la
victime à s’interroger sur l’opportunité de mener une action en contentieux pour faire valoir
son droit (3).
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1. L’ATTEINTE À L’HONNEUR ET À LA RÉPUTATION SUR L’INTERNET, UN
RÉGIME DÉROGATOIRE DE DROIT COMMUN
Afin de déterminer en quoi l’atteinte à l’honneur et à la réputation est un régime de droit
dérogatoire, il est important d’identifier les infractions de presse que sont la diffamation et
l’injure à partir des lois applicables au cadre général de l’abus de liberté d’expression, dont les
dispositions sont précisées par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 (1.1). Une
fois ces infractions identifiées, il sera question de déterminer les personnes qui peuvent être
responsables de ces fautes (1.2).
1.1. De l’abus de liberté d’expression aux infractions de diffamation et d’injure
Avant d’étudier de manière précise la protection de la personne par rapport aux infractions de
diffamation et d’injure sur le médium Internet, à travers leurs éléments constitutifs (1.1.2),
nous verrons la confrontation entre le principe fondamental de la liberté d’expression et la
protection de la vie privée (1.1.1).
1.1.1. La liberté d’expression en ligne confrontée à la protection de la vie privée
Afin d’étudier la confrontation entre la liberté d’expression et la protection des droits de la
personne qui en découle, il est important de voir le cadre général de l’encadrement juridique
de la réputation ainsi que celui des droits sur l’Internet.
Protection de la réputation
Cadre juridique international
Que ce soit dans les textes fondamentaux internationaux ou français, la liberté d’expression
est un des piliers fondateurs de notre système juridique international actuel, qu’il soit
d’obédience romano-germanique ou anglo-saxonne.
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La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 érige cette liberté au niveau de
principe fondamental à l’article 19, déclarant que « Tout individu a droit à la liberté
d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions ou celui de
chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les
idées par quelque moyens d’expression que ce soit. ». Cette formule est reprise par l’article
199 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, dans les mêmes
termes, auxquels s’ajoute au paragraphe 3 que « L’exercice des libertés (…) comporte des
devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être soumis à
certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont
nécessaires. ». L’article précise en effet qu’une des restrictions à la liberté d’expression est,
entre autres, la protection des droits et de la réputation d’autrui.
Cadre juridique européen
L’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme de 1950 le précise
également dans les termes suivants : « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce
droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des
informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans
considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les
entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations. ». Cet
esprit se retrouve dans le Pacte international de 1966, précisant « L’exercice de ces libertés
comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités,
conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures
nécessaires, dans une société démocratique (…) à la protection de la réputation ou des droits
d’autrui (…). ».
Par ailleurs, la liberté de communication peut paraître simple, mais son appréhension est
9
Article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 1996 (http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/peinedemort/pacteinternational-droits-civils-et-politiques.asp) : « 1. Nul ne peut être inquiété pour ses opinions. 2. Toute personne a droit à la liberté
d'expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans
considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix. 3. L'exercice des
libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être
soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires: a) Au respect des droits ou de
la réputation d'autrui; b) A la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. »
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complexe. L’article 11 de la DDHC10 la définie comme la libre communication des pensées et
des opinions, c'est-à-dire parler, écrire, imprimer librement. Cette liberté a évolué en fonction
des technologies. C’est l’un des droits les plus précieux de l’Homme. Tout citoyen peut donc
écrire et imprimer librement, sauf à répondre des abus de cette liberté, dans les cas prévus par
la loi. Il s’agit d’une liberté constitutionnelle.
La liberté de communication a une double dimension : la liberté d’émission et la liberté de
réception de l’information. On retrouve dans la liberté de réception de l’information celle de
liberté de réseau, qui bénéficie aux opérateurs, mais aussi aux usagers. Elle trouve donc des
prolongements dans les communications électroniques, pour les émetteurs (article L32 du
Code des postes et des communications électroniques11) et dans la loi du 30 septembre 1986
pour la télévision en particulier. La liberté de l’émetteur joue sur le contenu des accès des
destinataires.
Dans quelles mesures la liberté de l’émetteur ne bride-t-elle pas la liberté d’accès des
internautes, des usagers ? La liberté de communication ne doit être conciliée qu’avec une
série de contraintes techniques ou des objectifs à valeur constitutionnelle. Cette restriction ne
peut être opérée que dans le cadre d’une procédure juridictionnelle, car elle repose sur une
garantie légale, qui est celle du recours au juge. Le Conseil constitutionnel lors d’une décision
le 10 juin 2009 rattache la liberté d’accès au service à la liberté de communication12.
Depuis peu, l’énoncé de la liberté de communication en tant que liberté d’accès, a été
également proclamé en droit communautaire, notamment dans le Paquet télécom 313 (3ème
série de directives applicables aux télécommunications et communications électroniques). La
directive du 25 novembre 200914 fait un constat simple, l’Internet est essentiel pour
l’éducation et pour l’exercice pratique de la liberté d’expression et l’accès à l’information.
Toute restriction imposée à l’exercice de ces droits fondamentaux devra être conforme à la
10
Article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, 1789 : La libre communication des pensées et des opinions est un des
droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à réponse de l’abus de cette liberté dans
les cas déterminés par la loi.
Article L32 du CPCE : 2° Réseau de communications électroniques. On entend par réseau de communications électroniques toute
installation ou tout ensemble d'installations de transport ou de diffusion ainsi que, le cas échéant, les autres moyens assurant l'acheminement
de communications électroniques, notamment ceux de commutation et de routage. Sont notamment considérés comme des réseaux de
communications électroniques : les réseaux satellitaires, les réseaux terrestres, les systèmes utilisant le réseau électrique pour autant qu'ils
servent à l'acheminement de communications électroniques et les réseaux assurant la diffusion ou utilisés pour la distribution de services de
communication audiovisuelle.
11
12
Site du Conseil constitutionnel (http://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2009/2009-580-dc/decision-n-2009-580-dc-du-10-juin2009.42666.html)
13
Site Europa (http://europa.eu/legislation_summaries/information_society/legislative_framework/l24216a_fr.htm)
14
Site eur-lex Europa (http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2009:337:0011:0036:fr:PDF)
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Convention EDH. L’article 3 de la directive prévoit que la protection de ces droits suppose le
bénéfice pour l’internaute, non seulement de la protection de la Convention EDH, mais aussi
des Principes Généraux du droit communautaire parmi lesquels le droit à la protection
juridictionnelle effective. Ce nouveau principe n’a pas été transposé en droit interne, car
l’ordonnance du 24 août 201115 ne le transpose pas. Cela s’explique du fait que la décision du
Conseil constitutionnel du 10 juin 2009 rattache déjà la liberté d’accès à liberté de
communication. Or dans l’ordonnancement juridique la Constitution prévaut sur le traité,
selon la décision du Conseil constitutionnel intitulée SARAN16, il était donc inutile de donner
une positivité au principe puisque ce principe était déjà protégé par le Conseil.
Les traités internationaux que sont la DUDH, le PIDCP et la CEDH, proclament ainsi tous
cette liberté d’expression comme fondamentale. Néanmoins, dans la CEDH est également
exprimé, à la suite de cette affirmation, qu’il s’agit d’un échange d’idées, opinions, de
convictions entre un émetteur et un récepteur. Déjà, se profile une idée de transfert entre deux
personnes, d’une relation à double sens, impliquant ainsi des droits et des obligations pour
chacune d’entres-elles. En outre, la Convention précise aussi immédiatement que les Etats
sont libres d’encadrer cette liberté d’expression pour les entreprises de « radiodiffusion,
cinéma ou télévision », généralement désignés comme les média. Au rang des raisons de
l’encadrement de ces moyens de communication se trouve notamment la protection de la
réputation et des droits d’autrui.
L’article 12 de la DUDH stipule également que « Nul ne sera l’objet d’immixtion arbitraire
dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance. ». S’agissant du respect des
droits moraux, l’article poursuit « ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation ». Ces termes
sont repris par l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques17.
En tout état de cause, la protection de la réputation est considérée comme suffisamment
importante pour être énoncée par les textes internationaux fondateurs à vocation européenne
sinon universelle. Si ces articles servent de guide pour les Etats ayant ratifié ces traités,
15
Site Legifrance (http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000024502658&categorieLien=id)
Site du Conseil constitutionnel (http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/cahiers-du-conseil/cahier-n-7/l-arretsarran-entre-apparence-et-realite.52746.html)
17
Article 17 du PIDCP de 1966 : « 1. Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou
sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation. 2. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles
immixtions ou de telles atteintes »
16
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conformément à la hiérarchie des normes établies par Hans Kelsen, il appartient aux autorités
nationales, dans le respect de ces principes posés, de fixer ces indispensables restrictions18.
Cadre juridique français
À l’image des autres textes fondamentaux, la Déclaration des droits de l’Homme et du
Citoyen proclame la liberté d’expression et la liberté de communication aux articles 1019 et
11, dans les termes suivants : « la libre communication des pensées et des opinions est un des
droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer
librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». La
libre communication est également un élément essentiel du droit, notamment du droit des
médias. Le régime de responsabilité qui s’appliquera à celui qui utilise les libertés
d’expression et de communication de manière exagérée n’est que la conséquence, la
réalisation et la concrétisation du principe fondamental posé par ces articles 10 et 11.
Tout usage abusif de la liberté d’expression, et de la liberté de communication, peut se
traduire par une infraction portant atteinte aux droits de la personnalité, aux attributs
extrapatrimoniaux de la personne, qui, plus précisément, sont la considération, l’honneur et la
réputation. En droit français, le respect de la réputation et des droits d’autrui s’est traduit par
une sanction de l’atteinte à l’honneur et à la considération. Cette faute est considérée par le
droit national comme une infraction de presse, partant elle est encadrée par le droit des média,
et plus particulièrement par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881. Toute atteinte à
l’honneur et à la considération est condamnée par cette même loi, ainsi que par les articles 9120 et 138221 du Code civil, au titre « d’abus de liberté d’expression ».
18
DERIEUX Emmanuel, GRANCHET Agnès, Le Droit des Médias, LGDJ, 2008, 1092 p
Article 10 de la DDHC de 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble
pas l’ordre public établi par la Loi. »
19
Article 9-1 du Code civil : « Chacun a droit au respect de la présomption d'innocence. Lorsqu'une personne est, avant toute condamnation,
présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire, le juge peut, même en
référé, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l'insertion d'une rectification ou la diffusion d'un
communiqué, aux fins de faire cesser l'atteinte à la présomption d'innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable
de cette atteinte. »
20
21
Article 1382 du Code civil : « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est
arrivé à le réparer. »
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Protection des droits sur l’Internet
L’origine de la protection de la vie privée dans les NTIC
Afin de comprendre la protection de la e-réputation, il est important de cerner les premiers
droits qui sont apparus avec le développement des nouveaux moyens de communication. On
assiste à une prolifération des règles qui protègent la vie privée, en particulier dans un
contexte numérique. Les articles 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme22 et 9
du Code civil23 prévoient que toute personne a droit au respect de sa vie privée et de sa
correspondance. Le contexte de l’Internet modifie le cadre de la protection de la vie privée,
dans la mesure où celle-ci est davantage exposée au public au moyen de la communication en
ligne. De plus, le caractère transfrontalier de l’Internet conduit à ce que la protection par
l’internaute de sa vie privée puisse être sans limite, géographiquement et temporellement,
grâce à des technologies qui répercutent les données privées.
Le droit à la protection de la vie privée et des données personnelles s’applique quel que soit le
cadre informatique où ces données sont déposées. À l’origine, le législateur avait fait de la
protection des données à caractère personnel une protection contre l’administration dans
l’utilisation de ces données. Par la suite, la loi « Informatique et Libertés » du 6 janvier
197824, (modifiée par la loi du 6 août 2004 qui a transposé une directive du 24 octobre 1995)
a influencé l’émergence d’un droit communautaire sur des données personnelles. La
protection des données personnelles ne se confond pas avec celle de la vie privée, mais la
Cour européenne des droits de l’Homme a tendance à assimiler à la violation de la vie privée
toute atteinte à des données concernant des enregistrements électroniques. À titre d’exemple,
en 2008, la Cour a sanctionné l’abus de données médicales utilisées à tort car cela constitue
une atteinte à la confiance du patient25. Aujourd’hui, la protection des données personnelles
est un sujet de droit international rapprochant les pays comme le montre la 31e conférence
22
Article 8 de la CEDH : « Droit au respect de la vie privée et familiale : 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de
son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que
cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale,
à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la
santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
Article 9 du Code civil : « Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi,
prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces
mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé. »
23
24
25
Site de Legifrance (http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000886460)
CEDH, I. c. Finlande, n°20511/03, 17 juillet 2008
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L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
international « Informatique et Libertés » tenue à Madrid en novembre 200926, où les
représentant de près de 80 autorités de protection des données, à l’image de la Commission
Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) française, ont voté à l’unanimité une
résolution « visant à établir des standards internationaux sur la protection des données
personnelles et de la vie privée ». De la même manière, la protection des données
personnelles a été affirmée par les chefs d’Etat et de gouvernement des pays du G8 comme un
droit fondamental et essentiel pour assurer la confiance des utilisateurs. S’inscrivant dans la
trajectoire de la résolution adoptée à Madrid en 2009, ils avaient appelé à l’émergence d’un
« instrument international contraignant applicable dans le monde entier »27. Toutefois, aucun
organisme à l’image d’une CNIL mais à l’échelle internationale n’est encore prévue pour le
moment.
La protection des données personnelles n’a toutefois pas recours au même régime de
protection de la vie privée ni de la réputation de la personne. Néanmoins, la création d’un
organe de protection juridique à l’échelle internationale ne pourrait qu’être bénéfique à la
protection de la réputation sur l’Internet, ou la protection de la « e-réputation ».
La réputation sur l’Internet
L’abus de liberté d’expression, nous l’avons vu, est donc défini par le franchissement de la
limite entre la délivrance de la parole à son zénith et la violation de l’honneur et de la
considération de tout être humain, qui a droit à voir sa vie privée et sa réputation respectées.
H. Kelsen présente d’ailleurs la liberté individuelle comme « la liberté que l’ordre juridique
laisse aux individus de façon négative simplement par le fait qu’il ne leur interdit pas une
certaine conduite ». La seule limite de l’expression en ligne serait alors l’ordre public établi
par la loi d’une part, et le respect de l’honneur et de la dignité d’autre part. Ce dernier est
encadré par la loi de 1881, loi à portée générale qui ne s’applique plus uniquement aux
infractions commises par voie de presse, notamment depuis une ordonnance de la Chambre
criminelle de la Cour de cassation datant du 3 mars 1949.
Ainsi, au chapitre IV de cette loi « les crimes et délits commis par la voie de la presse ou par
tout autre moyen de publication », se trouve au paragraphe 3 sur les « délits contre les
26
Site Privacycommission
(http://www.privacycommission.be/sites/privacycommission/files/documents/normes_internationales_madrid_2009.pdf)
27
Site de la CNIL (http://www.cnil.fr/linstitution/actualite/article/article/le-g8-appelle-a-la-definition-dapproches-communes-dans-ledomaine-de-la-vie-privee/)
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L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
personnes », l’article 29 où sont condamnées les infractions de diffamation et d’injure. La
diffamation est définie comme « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à
l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé. ».
L’injure, elle, est définie comme « Toute expression outrageante, termes de mépris ou
invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait. ». Dès lors, ces deux infractions sont
imputées à la responsabilité pénale et civile de celui qui en est l’auteur, et dans le cas de
l’Internet, nous le verrons plus tard, de celui également qui l’a laissé faire.
S’il existe donc un régime particulier pénalisant « l’abus de liberté d’expression » dédié entre
autres à la protection de la réputation de la personne, il fût récemment mis en difficulté par la
révolution numérique en route depuis une vingtaine d’années. Cécile Hiscock-Lageot déclare
ainsi que l’Internet est la preuve de « l’universalisme de la liberté d’expression ». 28 Partant, la
révolution numérique a bouleversé les schémas traditionnels de l’encadrement juridique de la
presse et suppose à présent de redéfinir la liberté d’opinion et d’expression en fonction du
support qu’est l’Internet et des conséquences qui s’en imposent.
En ligne, l’un des défis majeurs de la liberté d’expression est la nécessité de concilier les
« bornes » de cette liberté définies à l’échelle universelle et à l’échelle de la République, selon
Marie-Charlotte Roques-Bonnet29. C. Caron précise d’ailleurs, dans sa note sur l’arrêt du 26
février 200330, que « L’Internet ne justifie pas que les concepts fondamentaux (…) soient
torturés au nom d’une liberté d’expression abusivement sollicitée. Il importe de revenir à des
notions simples et fondamentales. ». Le juge Gomez, qui a pris part à l’affaire Yahoo !31,
précise que la valeur constitutionnelle de la liberté d’expression ne légitime pas l’abus de
cette liberté, sur support électronique comme sur support papier. Elle engage la responsabilité
du commettant.
Le problème est, comme le souligne Marie-Charlotte Roques-Bonnet, dans sa thèse « La
Constitution et l’Internet », que la communication électronique fait exploser la liberté de
communication, en passant de la « rareté à l’abondance » car le support autrefois strictement
encadré par la loi de 1881 est aujourd’hui dépassé par un médium dont les contours temporels
28
HISCOCK-LAGEOT C. « La dimension universelle de la liberté d'expression dans la Déclaration des droits de l'homme de 1948 »,
RTDH, 2000, n°42, p.229.
29
ROQUES-BONNET Marie-Charlotte, La Constitution et l’Internet, thèse présentée et soutenue publiquement le 30 juin 2008, 768 p
30
CARON C., « Contrefaçon réalisée sur un site étranger et compétence du juge français », Note sous CA Paris, 26 avril 2006, SA Normalu
c/ SARL Acet, CCElectr., juillet-août 2006, n°7-8, p.28.
31
TGI Paris, 17e ch., 26 février 2002, Timothy K., Société Yahoo ! Inc. C/ Amicale des déportés d’Auschwitz et des Camps de Haute Silésie
et MRAP.
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L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
et géographiques sont difficilement limitables pour le législateur et le juge. Le trop-plein de
visibilité en ligne, tout comme l’imprescriptibilité de fait qu’impose l’Internet, avec des écrits
qui peuvent rester des années et des années en ligne, accessibles partout dans le monde, vient
surexposer la protection de la réputation du sujet de droit, le principe de libre communication
sous l’ère du numérique étant maintenu. Le juge Gomez précise ainsi, au cours d’une affaire
impliquant la société Emmaüs HLM et un site Internet la dénigrant32, que « le principe à
valeur constitutionnelle qu’est la liberté d’expression ne permet en aucun cas que de tels
propos soient tenus sur le Web. »33.
Se pose alors la question du support de communication dans un délit de presse, que nous
allons aborder à travers l’étude des éléments constitutifs de l’abus de liberté d’expression, et
notamment du fait matériel caractérisé par la publication (1), avant d’étudier le fait moral (2).
1.1.2. Éléments constitutifs de la faute pour les infractions de diffamation et
d’injure
Avant de présenter les éléments constitutifs moraux et matériels des délits de presse que sont
la diffamation et l’injure, il est important de préciser les différences entre les deux notions,
différenciation reconnue et proclamée par la Cour de cassation.
Cette dernière a en effet tenu à clairement identifier les deux notions comme indépendantes et
ne pouvant se rapporter à des mêmes faits, elle le rappelle dans un arrêt du 15 octobre 1985 34
où elle précise que l’objet de la diffamation est un fait précis, « le caractère légal des
imputations diffamatoires se détermine exclusivement par l’objet de la diffamation, c’est-àdire la nature des faits allégués ». La diffamation étant le délit le plus courant35, la loi a défini
des critères davantage précis pour l’identifier. Ainsi, on différencie la diffamation publique,
punie par la loi de 1881 et considérée comme un délit, de la diffamation non publique, punie
par l’article R621-1 du Code pénal36 et considérée comme une contravention. Cette
32
TGI Paris, formation référé, 13 décembre 2001, Sté Emmaüs / Eddy L. A., CSI Alternative, AC Alternative, Sarl Uruk
(http://www.legalis.net/?page=jurisprudence-decision&id_article=19)
33
Commentaire sur le site Legalis (http://www.legalis.net/?page=breves-article&id_article=865)
34
Cour de cassation, Chambre criminelle, audience publique du 15 octobre 1985, n°84-91598
35
DERIEUX Emmanuel, GRANCHET Agnès, Le Droit des Médias, LGDJ, 2008, 1092 p.
Article R621-1 du Code pénal : « La diffamation non publique envers une personne est punie de l'amende prévue pour les contraventions
de la 1re classe. La vérité des faits diffamatoires peut être établie conformément aux dispositions législatives relatives à la liberté de la
presse. »
36
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L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
différenciation joue un rôle important sur l’Internet tant il est difficile de déterminer si le
support par lequel la diffamation a été propagée est public ou non.
L’un et l’autre doivent être différenciés dans la mesure où les parties au procès doivent
qualifier les faits dans la citation ou l’assignation de telle manière que pour un seul propos
litigieux, la jurisprudence admet difficilement qu’il soit qualifié d’injure et de diffamation en
même temps. Cette particularité prévue par la loi de 1881 a souvent été remise en question par
la doctrine, souligné par E. Derieux et A. Granchet, qui l’expriment dans les termes suivants
« à vouloir ne faire de la diffamation et de l’injure, sans doute assez artificiellement et
inutilement, distinctes (sauf par de tels obstacles, à en limiter la répression !) qu’une seule et
même infraction. Les droits de la victime seraient ainsi mieux protégés. ». Toutefois, ils
précisent que « l’injure, mêlée à des éléments constitutifs de diffamation, se trouve ainsi
souvent absorbée par cette dernière. ».
Le fait matériel
La publication ou la publicité du propos litigieux au grand public est l’élément matériel
essentiel et constitutif de l’abus de liberté d’expression, selon l’adage « C’est la publication
qui constitue l’infraction »37. Comme il s’agit d’une loi sur la presse, le destinataire du
message incriminé est considéré comme le public auquel le support de communication est
adressé.
La publication n’est pas définie en des termes précis dans la loi de 1881, elle est simplement
identifiée à partir de l’énonciation de divers supports de communication, tels que la presse,
l’imprimerie, la librairie etc…, et de divers moyens, tels que les « discours, cris ou menaces
proférés dans des lieux de réunion publique (…), écrits, imprimés, dessins… ». Cette liste non
exhaustive de support était adaptée au temps auquel la loi a été rédigée, c’est pourquoi en
198538, le législateur ajoute à l’article 23 « tout moyen de communication audiovisuelle », qui
deviendra, avec la loi du 21 juin 200439, « tout moyen de communication au public par voie
électronique ».
37
DERIEUX Emmanuel, GRANCHET Agnès, Le Droit des Médias, LGDJ, 2008, 1092 p.
Site de Legifrance sur la loi modifiant la loi du 29 juillet 1983 et portant dispositions diverses relatives à la communication audiovisuelle
(http://legifrance.gouv.fr/jopdf/common/jo_pdf.jsp?numJO=0&dateJO=19851214&numTexte=&pageDebut=14535&pageFin=14537)
39
Loi pour la confiance dans l’économie numérique, LCEN.
38
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Anne-Laure Roux
La communication via l’Internet est ainsi définie dans les lois sur la presse et sur la confiance
dans l’économie numérique telle qu’une « communication par voie électronique », dont une
des sous-catégories est la « communication au public en ligne ». L’article 2 de la loi pour la
confiance dans l’économie numérique les définit comme suit :
-
« On entend par communication au public par voie électronique toute mise à
disposition du public ou de catégories du public, par un procédé de communication
électronique, de signes, de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de
toute nature qui n’ont pas le caractère d’une correspondance privée. ».
-
« On entend par communication au public en ligne toute transmission, sur demande
individuelle, de données numériques n’ayant pas un caractère de correspondance
privée, par un procédé de communication électronique permettant un échange
réciproque d’informations entre l’émetteur et le récepteur. ».
Grâce à ces lois, l’Internet entre dans le champ de la presse et permet ainsi aux infractions de
diffamation et d’injure d’être punies par le droit français. Tout comme dans la loi de 1881, la
loi pour la confiance dans l’économie numérique, du 21 juin 2004, prévoit des limites à la
liberté de parole allouée par l’Internet, dans les termes de l’article 1 suivant : « la
communication au public par voie électronique est libre. L’exercice de cette liberté ne peut
être limité que dans la mesure requise (…) par le respect de la dignité de la personne humaine,
de la liberté et de la propriété d’autrui ».
Les conditions de forme de la diffamation se précisent légèrement par rapport à la catégorie
générale des abus de liberté d’expression. En effet, cette dernière se caractérise non seulement
par la publication, mais aussi principalement par l’identification de la personne visée.
L’allégation ou l’imputation doit être à destination d’une personne qui peut être identifiée,
soit par désignation directe dans le propos soit de manière implicite. La Cour de Nancy le
précise notamment dans un arrêt du 9 juillet 1964, confirmé par la Cour de cassation40 dans
les termes suivants : « Lorsque la personne a été réellement visée, il importe peu qu’elle ait
été nommément ou expressément désignée (…) il suffit que son identification soit rendue
possible par les termes de l’article ou les images, et, le cas échéant, les circonstances
intrinsèques (…). ».
40
Cour de cassation, Chambre criminelle, audience publique du 23 décembre 1965, n°64-92645
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L’encadrement juridique de la e-réputation
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En outre, il est important que la diffamation comme l’injure ait un caractère public, dans la
mesure où, sur l’Internet particulièrement, il existe des lieux de rencontre plus ou moins
fermés, considérés par le juge comme des champs d’expression à caractère non-public. Ainsi,
le 20 avril 2013, la Cour de cassation a considéré qu’une publication sur le réseau social
Facebook, accessible à seulement quatre personnes agréées par le titulaire du compte, ne
constituait pas des injures publiques. Il faut que le médium de communication assure une
visibilité au grand public41.
Le fait moral
Les éléments moraux constitutifs de l’abus de liberté d’expression, catégorie englobant les
délits de presse, sont d’une part l’intention coupable et d’autre part la faute constitutive d’un
désordre social ou d’un dommage. Il est important de différencier les deux notions de
diffamation et d’injure, dans la mesure où les parties au procès doivent qualifier les propos
litigieux soit de diffamation soit d’injure, le cumul des deux étant très peu accepté par le
juge42.
L’intention coupable
L’intention coupable est la connaissance, la conscience et la volonté de commettre un acte
répréhensible43. Il en découle que ce n’est pas seulement l’auteur de l’écrit qui peut être
incriminé mais aussi la personne qui l’a publié, ce sciemment ou délibérément.
La diffamation, délit le plus commis et le plus sanctionné par la loi de 1881, se caractérise par
l’intention coupable ainsi que la faute constitutive d’un dommage36. Afin de parfaire
l’identification du dommage à partir de ses éléments constitutifs, il est important de préciser
les conditions relatives à sa nature.
In limine litis, l’allégation doit être à destination d’une personne ou d’un corps. Cela signifie
qu’une action de ce type à l’égard d’un groupe de personne n’ayant pas de personnalité
41
Cour de cassation, 1e chambre, 10 avril 2013, Catherine X… ; et autres / Maria Rosa Y.
Cour de cassation, Chambre criminelle, audience publique du 15 octobre 1985, n°84-91598
43
DERIEUX Emmanuel, GRANCHET Agnès, Le Droit des Médias, LGDJ, 2008, 1092 p.
42
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Anne-Laure Roux
juridique ne peut être qualifiée de diffamation, ou du moins une diffamation punissable par la
loi de 1881.
À titre d’information, l’honneur est la dignité morale la plus intérieure, correspondant à ce
que l’on veut ou doit être, pour soi-même, par référence à l’idée du bien ou du mal. La
considération est, elle, davantage liée à une appréciation extérieure, formulée par les autres.
La distinction entre les deux a peu d’intérêt en réalité. Ce qui importe au contraire, c’est le
discrédit injustifié, d’une personne mise en cause alors que rien de justifie dans son
comportement une telle dégradation ou appréciation défavorable, qui plus est en public. Le
tribunal correctionnel de Seine le précise d’ailleurs dans un arrêt du 20 décembre 196244 « La
simple allégation d’un fait (…) si désagréable qu’elle puisse paraître à celui qu’elle
concerne » ne constitue une diffamation « qu’autant que le fait comporte le déshonneur ou le
discrédit de cette personne et est de nature à le dégrader moralement dans l’opinion publique,
ou à la diminuer dans l’estime qu’elle s’est acquise ». Ainsi, sont aussi important le fait que
l’allégation soit à destination d’un public afin de dégrader l’image que donne la personne que
le fait qu’elle puisse avoir un effet sur la perception que cette personne a d’elle-même. De
plus, la nature même de l’Internet amplifie cette dimension, la taille internationale et
transfrontalière du réseau faisant que cette liberté de parole potentielle pour un détracteur soit
multipliée à l’extrême. C’est pourquoi le droit est dans une situation d’extrême vigilance dans
les textes, à l’image des lois de 1881 et 2004, pour punir tout acte jugé comme une
diffamation.
À titre d’exemple, dans un arrêt du 13 septembre 201045, le tribunal de grande instance de
Paris a jugé que relater sur un blog en ligne les dysfonctionnements du chantier mené par une
entreprise, tels que la présentation des retards, des dépassements de budgets etc… n’était pas
diffamatoire, au motif que les propos ne portaient pas atteinte à l’honneur ou à la
considération des sociétés en cause, et ne relevait donc pas de la loi de 1881.
En outre, il faut qu’il soit fait référence à un fait. C’est cette principale caractéristique qui
différencie la diffamation de l’injure. La Cour d’Aix-en-Provence précise ainsi, dans un arrêt
du 25 février 1954, « Pour constituer le caractère d’une imputation, il suffit de se demander si
la vérité ou la fausseté peut en être établie par une preuve ; dès lors que cette preuve aura été
possible, on est en présence d’une diffamation. ». Il faut en pratique que les propos litigieux
44
45
Dalloz 1962 jurisprudence pages 393 et s... note Adolphe Touffait et Jacques-Bernard Herzog.
TGI Paris, 5e chambre, 1e section, 13 septembre 2010, Prestige Rénovation / Luciano A.
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L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
soit en référence à un fait ou comportement précis, non à un outrage ne se rapportant à aucun
fait en particulier comme pour l’injure.
L’injure n’est pas une infraction aussi fréquente que la diffamation, cela tenant probablement
au fait qu’il soit plus aisé de porter atteinte à l’honneur et à la considération en se basant sur
des comportements et des actions existantes plutôt qu’en fabulant sur la renommé et l’image
publique d’un sujet de droit. En tout état de cause, l’élément constitutif moral de l’injure est
une expression outrageante, un terme de mépris, une invective, proférée volontairement.
L’expression outrageante est un propos susceptible de blesser moralement la victime.
L’invective prend une forme plus violente, voire grossière, de s’attaquer à la victime
verbalement. Quant au terme de mépris, il consiste à dévaloriser quelqu’un publiquement. À
titre d’exemple, l’écrivain d’une lettre ouverte sur l’Internet, portant sur un extrait d’une
conférence radiophonique d’Antonin Artaud, ayant reçu un mail de la part de l’ayant-droit de
l’auteur, avait répondu en ligne en qualifiant son destinataire d’ « ultime chiure
électronquante que Ferdière a déféquée », de « crétin chicaneur » et de « sous-fifre ». Pour
autant que ces insultes ne soient pas des plus communes, l’argument de la défense se référait
notamment à la tradition pamphlétaire française, le tribunal de grande instance de Paris46
(4/12/2008) a considéré que « le style s’assume comme les propos, en l’espèce
intrinsèquement outrageants pour la partie civile qui s’est vue ainsi publiquement injuriée en
réponse à une correspondance privée, sans que les éventuels lecteurs du textes litigieux
puissent aisément se convaincre qu’il ne s’agirait que d’un exercice littéraire sans portée ou
de métaphores vides de sens ». Le juge a ainsi condamné l’écrivain à payer des dommages et
intérêts à hauteur de 1.000 euros et une amende de 500 euros.
Ces distinctions théoriques sont sans portée en pratique devant les tribunaux. Leur tache est
plutôt de rechercher si dans les faits soumis il s’agit d’une injure. Dans certains cas, cela ne
pose pas de difficulté car certaines injures sont en elle-même insultante, toutefois dans
d’autres hypothèses, l’injure peut perdre ce caractère d’insulte, telle que l’interjection par
exemple, qui n’est pas en soi injurieuse. À titre d’exemple, les épithètes de « boch » ou
« fasciste » étaient injurieux à une certaine époque. Cela veut dire une fois de plus qu'il
appartient aux tribunaux pour déterminer l’infraction de s'attacher au contexte, sous le
contrôle de la Cour de cassation. Dans le cas précis de l’infraction de presse, il appartient
surtout à la personne qui porte plainte de qualifier les faits, les tribunaux dans ce domaine
46
TGI Paris, 17e chambre, 4 décembre 2008, Serge M. / Stéphane Z.
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L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
précis n’étant qu’utiles pour renvoyer l’affaire si elle a été mal qualifiée. En outre, concernant
l’injure, il faut conserver une certaine mesure car l'ironie, la moquerie sont des injures
tolérées si elles ne se livrent pas à des attaques personnelles.
À l’image de la diffamation, le délit d'injure suppose donc la présence d’une intention
coupable. La jurisprudence a par ailleurs consacré une présomption de mauvaise foi. Il faut
que l’auteur des propos injurieux ait une véritable intention de porter atteinte à l’honneur et à
la considération de la victime. Cependant, la loi de 1881 prévoit qu'en cas de provocation
préalable de la part de la victime, l'injure ne puisse être réprimée.
La faute constitutive de désordre social ou de dommage
La faute est également caractérisée par le fait qu’elle soit à l’origine d’un désordre social
et/ou d’un dommage, engageant la responsabilité civile ou pénale de l’auteur du propos
litigieux. C’est un élément constitutif de la faute commun aux infractions de diffamation et
d’injure. Le désordre social ne se rattache pas aux délits de diffamation et d’injure à
destination d’un particulier, en revanche le dommage causé à la victime est une
caractéristique sine qua non de la constitution de ces délits de presse. Pour que l’infraction de
presse soit constituée, il faut que l’atteinte à l’honneur et à la considération crée véritablement
un préjudice moral pour la personne diffamée ou injuriée.
La faute concernant un abus de liberté d’expression se compose ainsi d’un élément matériel,
la publication, et d’un élément moral, l’intention de vouloir nuire, que ce soit par la
diffamation ou par l’injure. Cette faute identifiée, elle peut être imputée à divers acteurs du
monde des média, et plus particulièrement sur l’Internet à des personnes dont l’activité n’est
pas d’étudier la légalité des contenus disponibles publiquement.
1.2. La mise en cause du responsable
Toute personne faisant un abus de liberté d’expression voit sa responsabilité engagée sur le
plan pénal comme sur le plan civil (1.2.1). Pour autant, le processus contentieux peut être
évité grâce à des principes et des droits propres aux normes s’appliquant à l’Internet (1.2.2).
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L’encadrement juridique de la e-réputation
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1.2.1. Responsabilité du directeur de publication
La loi du 29 juillet 1881 établit une gradation entre les responsables d’une infraction de
presse, plus particulièrement sur l’Internet encore, selon qu’ils sont les auteurs principaux du
dommage et du délit ou bien les intermédiaires techniques.
La responsabilité de l’auteur principal
Le régime de responsabilité pour délit ou crime commis par voie de presse est régi avant tout
par le droit commun et la loi de 1881 sur la liberté de la presse, auquel la loi du 21 juin 2004
vient apporter des précisions concernant ces infractions commises par des moyens de
« communication au public par voie électronique ».
Régime de responsabilité civile de la loi de 1881
Loi du 29 juillet 1881
Article 44
« Les propriétaires des journaux ou écrits périodiques sont responsables de condamnations
pécuniaires prononcées au profit des tiers conformément aux dispositions des articles 1382,
1383 et 1384 du Code civil ».
Le régime de la responsabilité civile pour tout délit ou crime de presse est plus courant et plus
classique que celui de la responsabilité pénale47.
Contrairement au régime de responsabilité pénale encadré par la loi de 1881, la responsabilité
civile du commettant dans le cas d’un délit de diffamation ou d’injure sur l’Internet est
encadrée par les articles 1382 et suivants du Code civil. Cette disposition est précisée à
47
DERIEUX Emmanuel, GRANCHET Agnès, Le Droit des Médias, LGDJ, 2008, 1092 p.
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L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
l’article 44 de la loi sur la liberté de la presse, permettant au juge d’allouer des dommages et
intérêts à la victime en compensation du préjudice subi. D’aucuns se demandent aujourd’hui
si les sommes requises par le juge ne s’apparentent pas à des dommages et intérêts punitifs, à
l’image de la tradition anglo-saxonne et contraire à notre système juridique d’obédience
romano-germanique, selon laquelle le montant des dommages et intérêts doit être équivalent
au préjudice subit, sans le dépasser48.
En revanche, la loi de 2004 apporte des précisions concernant les délits et crimes commis sur
l’Internet en son article 6. En effet, les intermédiaires techniques, que sont les fournisseurs
d’accès à Internet et les fournisseurs d’hébergement, ne voient pas leur responsabilité civile
engagée par des activités ou informations stockées en ligne, susceptibles de constituer des
crimes ou délits de presse, dans les cas suivants :
-
soit si celles-là sont accessibles sur un service qui ne porte pas leur contenu à la
connaissance de l’intermédiaire,
-
soit que ce dernier n’a pas eu effectivement connaissance de leur caractère illicite,
-
ou encore qu’il a agi « promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès
impossible. ».
Ainsi le contenu des messages n’engage pas la responsabilité civile de l’intermédiaire
technique, tout comme le fait d’impression n’engage pas la responsabilité pénale de
l’imprimeur, nous le verrons par la suite.
Responsabilité pénale de la loi de 1881
Loi du 29 juillet 1881
Chap V : DES POURSUITES ET DE LA RÉPRESSION
Article 42
Seront passibles, comme auteurs principaux des peines qui constituent la répression des
crimes et délits commis par la voie de la presse, dans l'ordre ci-après, savoir :
1° Les directeurs de publications ou éditeurs, quelles que soient leurs professions ou leurs
dénominations, et, dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article 6, de les codirecteurs de
la publication ;
48
DERIEUX Emmanuel, GRANCHET Agnès, Le Droit des Médias, LGDJ, 2008, 1092 p.
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Anne-Laure Roux
2° A leur défaut, les auteurs ;
3° A défaut des auteurs, les imprimeurs ;
4° A défaut des imprimeurs, les vendeurs, les distributeurs et afficheurs. Dans les cas prévus
au deuxième alinéa de l'article 6, la responsabilité subsidiaire des personnes visées aux
paragraphes 2°, 3° et 4° du présent article joue comme s'il n'y avait pas de directeur de la
publication, lorsque, contrairement aux dispositions de la présente loi, un codirecteur de la
publication n'a pas été désigné.
La responsabilité pénale pour une infraction de presse est un régime destiné à s’assurer qu’il y
ait toujours un responsable contre qui engager des poursuites, à en permettre l’identification et
en conséquence à faciliter l’action.
En revanche, il est important de préciser que, concernant la responsabilité pénale du
commettant, « Les abus de liberté d’expression ne pouvant être réprimés que par la loi du 29
juillet 1881, viole l’article 29 de cette loi la cour d’appel qui statue sur l’action fondée sur
l’article 1382 du Code civil, intenté par un élu contre l’auteur du blog le dénigrant. », selon la
Cour de cassation49.
Les auteurs principaux
La responsabilité pénale pour l’abus de liberté d’expression est régi par un régime de
responsabilité particulier, qualifié de responsabilité « en cascade », encadré par la loi de 1881.
L’article 42 stipule précisément que seront « passibles, comme auteur principaux, des peines
qui constituent la répression des crimes et délits commis par la voie de la presse » toute
personne entrant dans les catégories suivantes, les directeurs de publication ou éditeur, les
codirecteurs de la publication, à défaut les auteurs, à défaut les imprimeurs et à défaut les
vendeurs, distributeurs ou afficheurs. Le terme à défaut est spécialement utilisé dans l’article
et il est particulièrement important, dans la mesure où c’est lui qui établit le régime dit « en
cascade ».
Cette approche de la responsabilité du commettant prend tout spécialement de la valeur quand
49
Cour de cassation, 1e chambre civile, 6 octobre 2011, n°10-18.142
25/82
L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
le délit prend place sur l’Internet, car les responsables sont souvent difficilement identifiables.
Il permet ainsi à la victime de pouvoir, dans tous les cas, se retourner vers une personne pour
faire respecter son droit. Cette cascade fonctionne par ailleurs à double sens, dans la mesure
où le « supérieur », tel que le directeur de publication à l’échelon le plus haut, est responsable
des délits qui ne sont pas de son fait personnel mais qui ont été commis sous son autorité. À
ce titre, la LCEN identifie à l’article 6 trois types d'intervenants dans la communication en
ligne : le fournisseur d’accès à Internet, qui permet à une personne d'accéder à Internet ;
l'hébergeur, qui « stocke » le site Internet ; et l’éditeur du site, qui publie, met en forme et
gère le site. Le fournisseur d’accès à Internet et l'hébergeur sont de simples prestataires
techniques.
Les directeurs de publication selon les termes généraux de la loi de 1881 sont ainsi les
premiers responsables pour un abus de liberté d’expression. L’article 6 précise d’ailleurs que
« Toute publication de presse doit avoir un directeur de publication ». L’article identifie en
effet la personne considérée comme directeur de publication dans les cas où elle n’a pas été
nommée précisément. Elle est soit la personne physique propriétaire ou locataire-gérant d’une
entreprise éditrice, ou qui en détient la majorité du capital ou des droits de vote ; soit le
représentant légal d’une entreprise éditrice ; soit le président du directoire ou le directeur
général unique d’une société anonyme.
En outre, la « cascade » ne s’arrête pas uniquement au fait de reporter la responsabilité des
directeurs de publication aux auteurs, imprimeurs, puis vendeurs. En effet, la loi précise
également que les codirecteurs sont tenus pour responsables dans cette chaîne entre le
directeur et l’auteur. L’article 42 prévoit les cas dans lesquels la responsabilité du directeur ne
peut être engagée, c’est-à-dire les cas d’immunité. Il s’agit d’une situation où le directeur jouit
d’une immunité parlementaire, prévue à l’article 26 de la Constitution50 et les articles 9 et 10
du protocole du 8 avril 196551 sur les privilèges et immunités des communautés européennes.
L’entreprise doit alors nommer un codirecteur de la publication choisi parmi les personnes ne
50
Article 26 de la Constitution : « Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des
opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. Aucun membre du Parlement ne peut faire l’objet, en matière criminelle ou
correctionnelle, d’une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’assemblée
dont il fait partie. (...) ».
51
Article 9 du protocole du 8 avril 1965 : « Les membres du Parlement européen ne peuvent être recherchés, détenus ou poursuivis en raison
des opinions ou votes émis par eux dans l’exercice de leur fonction. » ; article 10 : « Pendant la durée des sessions du Parlement européen,
les membres de celui-ci bénéficie : a) sur leur territoire national, des immunités reconnues aux membres du parlement de leur pays ; b) sur le
territoire de tout autre Etat membre, de l’exemption de toute mesure de détention et de toute poursuite judiciaire. L’immunité les couvre
également lorsqu’ils se rendent au lieu de réunion du Parlement européen ou en reviennent. L’immunité ne peut être invoquée dans le cas de
flagrant délit et ne peut non plus mettre obstacle au droit du Parlement européen de lever l’immunité d’un de ses membres. »
26/82
L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
bénéficiant pas d’immunité, dans un délai d’un mois après le début de l’irresponsabilité du
directeur dans ce domaine précis.
Il existe par ailleurs des cas d’immunité absolue, protégeant la personne ayant commis un
abus de liberté d’expression dans les cas où ses propos ont trait à des comptes rendus de
séances publiques des assemblées parlementaires, réputés être « fait, de bonne foi, dans les
journaux », et par extension aujourd’hui par n’importe quel média. Cette disposition est
prévue à l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881, stipulant en outre qu’aucune action en
diffamation ou injure ne peut être intentée. S’il s’agit d’un compte rendu fait de bonne foi,
alors l’irresponsabilité pénale est quasi-absolue.
La loi prévoit enfin que si, contrairement aux dispositions de l’article 6 imposant à toute
publication de presse de disposer d’un directeur de la publication, il n’en existe pas, alors la
responsabilité subsidiaire des auteurs, puis imprimeurs, puis vendeurs, distributeurs et
afficheurs s’applique, selon ce principe dit de la « cascade ».
Les personnes précédemment identifiées sont considérées aux yeux de la loi comme les
auteurs principaux du dommage, par opposition aux complices ou intermédiaires techniques
étudiées par la suite.
Les personnes visées par l’article 42 sont ainsi responsables pour tout abus de liberté
d’expression commis par voie de presse, concernant ainsi également les infractions commises
par « communication au public par voie électronique », moyen de communication se
rapportant à la presse depuis la loi du 21 juin 2004. Au départ, le législateur a élargi la
responsabilité de ces infractions aux moyens de la « communication audiovisuelle », dans
l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle52, avant qu’y soit
inclue la communication par voie électronique en 2004 au titre de sous-catégorie. L’article
précise ainsi : « au cas où l’une des infractions prévues par le chapitre IV de la loi du 29
juillet 1881 sur la liberté de la presse est commise par un moyen de communication au public
par voie électronique, le directeur de communication ou le co-directeur de la publication sera
poursuivi comme auteur principal » (…) « à défaut l’auteur et à défaut de l’auteur, le
producteur sera poursuivi comme auteur principal ». Toutefois, la responsabilité pénale des
52
Site Legifrance (http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000880222)
27/82
L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
personnes morales prévue à l’article L. 121-2 du Code pénal53 ne s’applique pas aux moyens
de communication audiovisuelle prévues par l’article 93-3, selon les nouvelles dispositions de
la loi du 9 mars 2004 ajoutant un article 93-4 le prévoyant.
Ce régime de responsabilité emporte d’importantes conséquences en termes de surveillance,
le directeur de publication devant opérer un contrôle, une surveillance de ce qui est mis en
ligne. Concernant les sites où la mise en ligne de contenus dépend de tiers, le directeur de
publication doit contrôler le contenu, sous peine d’engager sa responsabilité pénale. Pour le
cas d’un blog, un directeur de publication peut engager sa responsabilité si le contenu porte
atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne.
Avec la loi HADOPI54, on assiste à une confirmation des solutions qui ont été définies
auparavant par la jurisprudence. Le Conseil constitutionnel a statué sur la constitutionnalité de
l’application du régime de responsabilité en cascade aux sites électroniques dans une
décision, nommée « Antoine J. », suite à une question prioritaire de constitutionnalité, le 16
septembre 201155, concernant la responsabilité d’un producteur de site en ligne. Le Conseil
affirme que le producteur, qui est le créateur ou l’animateur d’un site, ne peut s’exonérer des
sanctions pénales qu’il encourt en désignant l’auteur des messages, ou en démontrant que la
responsabilité pénale du directeur de la publication est encourue.
Celui qui dépose des commentaires sur un blog se retrouve comme étant l’auteur principal.
Pour autant, le producteur qui a eu l’initiative de créer le blog, est-il directeur de la
publication ? La réponse à cette question dépend de la structure du blog. S’il est rattaché à un
service éditorial, le blog du « Monde » par exemple, le directeur de publication est le service
de presse. Dans le cas d’un blog autonome, il n’y a pas de distinction matérielle entre
l’animateur du blog et le directeur de publication. La plateforme du blog reste l’hébergeur.
Mais si la plateforme agence les contenus, elle peut elle-même être hébergeur mais aussi
éditeur. Est-elle alors le directeur de publication ? Tout dépend des possibilités ouvertes par la
plateforme éditrice, de censurer ou non les contenus des blogs qu’elle supporte sur son site.
Article L. 121-2 du Code pénal : « es personnes morales, à l'exclusion de l'Etat, sont responsables pénalement, selon les distinctions
des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants. Toutefois, les collectivités
territoriales et leurs groupements ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l'exercice d'activités susceptibles de
faire l'objet de conventions de délégation de service public. La responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes
physiques auteurs ou complices des mêmes faits, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l'article 121-3. »
53
54
Site Legifrance, loi du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet
(http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000020735432&categorieLien=id)
55
Décision du Conseil constitutionnel n°2011-164, QPC du 16 septembre 2011, Antoine J.
28/82
L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
Le blog pose un certain nombre de problèmes dans la mesure où les auteurs ne sont pas
automatiquement des professionnels. Le juge du TGI de Paris, par arrêt du 17 mars 200656, a
tenu à atténuer la responsabilité du « blogger non journaliste », qui dénonçait les activités
menées par sa municipalité qu’il n’approuvait pas. S’il a retenu le caractère diffamatoire de
ses propos, le juge a également retenu l’argument de bonne foi avancé par la défense, au motif
que la personne mise en cause n’effectuait pas un travail professionnel, partant « il n’était pas
tenu de se livrer à une enquête complète et la plus objective possible sur les faits qu’il
évoquait ».
Le Conseil constitutionnel doit rechercher toutes les responsabilités dans le cadre d’un litige,
y compris en disséquant la mécanique des serveurs des sites. Dans la décision « Antoine J. »
de 2011, le Conseil a émis une réserve d’interprétation sur les conditions d’engagement de la
responsabilité pénale. Il a ainsi considéré que la responsabilité pénale du créateur d’un blog
ne devait pas être automatique dès lors qu’il n’a pas connaissance du contenu litigieux.
Rappelons que la mise en ligne rend le message public. Le créateur ne peut pas maîtriser en
permanence le flux de commentaires. Certains articles ne sont plus ouverts aux commentaires.
Celui qui exerce une modération doit le faire dans des conditions fréquentes et les plus
rapides possibles, pour éviter de voir sa responsabilité engagée, non pas comme auteur
principal mais au moins comme complice.
 Les complices
Loi du 29 juillet 1881
Article 43
Lorsque les directeurs ou codirecteurs de la publication ou les éditeurs seront en cause, les
auteurs seront poursuivis comme complices. Pourront l'être, au même titre et dans tous les
cas, les personnes auxquelles l'article 121-7 du code pénal pourrait s'appliquer. Ledit article
ne pourra s'appliquer aux imprimeurs pour faits d'impression, sauf dans le cas et les
conditions prévus par l'article 431-6 du code pénal sur les attroupements ou, à défaut de
codirecteur de la publication, dans le cas prévu au deuxième alinéa de l'article 6.
56
TGI Paris, 17e chambre, Chambre de la presse, 17 mars 2006, Commune de Puteaux / Christophe G.
29/82
L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
Toutefois, les imprimeurs pourront être poursuivis comme complices si l'irresponsabilité
pénale du directeur ou du codirecteur de la publication était prononcée par les tribunaux. En
ce cas, les poursuites sont engagées dans les trois mois du délit ou, au plus tard, dans les trois
mois de la constatation judiciaire de l'irresponsabilité du directeur ou du codirecteur de la
publication.
Article 43-1
Les dispositions de l'article 121-2 du code pénal ne sont pas applicables aux infractions pour
lesquelles les dispositions des articles 42 ou 43 de la présente loi sont applicables.
Dans un cas d’infraction pour abus de liberté d’expression, et donc pour la plupart des cas
pour diffamation ou injure, les directeurs de publication ou codirecteurs sont ainsi considérés
comme auteur principal de l’infraction. Pour autant, le législateur a pris soin de tenir pour
responsable à titre subsidiaire toute personne qui a participé à l’infraction, au titre de la
complicité. En effet, l’article 43 de la loi de 1881 précise que « Lorsque les directeurs ou
codirecteurs seront mis en cause, les auteurs seront poursuivis comme complices ». De la
même manière, toute personne sera poursuivie comme complice au titre de l’article 121-7 du
Code pénal, qui inclue la personne qui « sciemment, par aide ou par assistance, a facilité la
préparation ou la consommation » du crime ou délit. Une fois de plus, le régime de
responsabilité du commettant, en tant qu’auteur principal ou complice, est issu du droit
commun et de la loi de 1881.
En revanche, la loi a tenu à mettre à part l’engagement de la responsabilité de l’imprimeur,
précisant que leur complicité ne puisse être mise en cause pour fait d’impression. En effet,
l’objectif de cette dérogation est de garantir la liberté d’expression, dans la mesure où la
potentielle mise en cause de leur responsabilité pourrait être un argument à leur refus
d’imprimer tel ou tel propos.
Ce même régime d’exception attribué aux imprimeurs a également été prévu pour les
intermédiaires techniques dans le cadre des « communication au public en ligne », sur le plan
civil comme pénal, i.e. les fournisseurs d’accès et les fournisseurs d’hébergement.
La responsabilité des intermédiaires techniques
30/82
L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
En matière de crime ou délit commis par un moyen de communication « au public par voie
électronique », les personnes tenues pour responsables peuvent différer du régime de droit
commun, dans la mesure où la loi de 1881 a surtout prévu une réglementation pour les
supports écrits, étendu par la suite à la communication audiovisuelle. Aussi, c’est avec la loi
du 21 juin 2004, que des intermédiaires sur la chaîne de responsabilité dite « en cascade »
sont ajoutés pour les délits et crimes commis en particulier en ligne. Il s’agit des
intermédiaires techniques, qui peuvent être classés selon trois catégories différentes : les
fournisseurs d’accès à Internet, les fournisseurs d’hébergement et les éditeurs.
En matière de contenu, ces trois opérateurs peuvent être concernés. Le premier à voir sa
responsabilité engagée est l'éditeur, le second est l'hébergeur. Enfin, le fournisseur d’accès à
Internet sera responsable si la responsabilité des deux premiers ne peut pas être engagée.
Le cas particulier de l’éditeur de contenu
L’éditeur est la personne qui détermine les contenus devant être mis à la disposition du public
sur le service qu’elle a créée ou dont elle a la charge. Partant, l’éditeur assure la mise en ligne
d’une publication. Par conséquent le droit de la presse va apporter certaines de ses solutions à
la question des obligations de l’éditeur. En soit, il importe peu de quel le type de publication il
s’agit, site Internet 1.0, 2.0, blog, forum…, toute personne à l’initiative de la mise en ligne
d’un contenu est considérée comme éditrice. Cela est lié à l’acte de publication en lui-même,
l’acte est fondé sur la liberté éditoriale de l’éditeur. Ainsi, l’éditeur est celui qui choisit le
contenu, la manière dont il est organisé. La notion d’éditeur se rapproche de la notion
d’éditeur de communication audiovisuel au sens de la directive sur les services de médias
audiovisuels57.
Ceci étant, la règle spécifiant que celui qui diffuse un contenu sur le Web devient éditeur
trouve une limite dans la question de la responsabilité réelle quant à la manière dont le
contenu est organisé. C’est le cas par exemple dans un forum de discussion. On y trouve alors
deux responsabilités différentes : celui qui pose la question ouverte à la discussion et ceux qui
vont y répondre. Ces derniers font un choix conscient d’éditer un contenu, mais la réponse
apportée est structurée elle-même par le forum de discussion. Autrement dit la fonction
57
Directive 2007/65/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2007 (http://eurlex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2007:332:0027:0045:FR:PDF)
31/82
L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
d’éditeur est par nature plurielle, de surcroît il peut être difficile d’apprécier la différence
entre l’hébergeur et l’éditeur.
Certaines entreprises peuvent avoir la volonté de s'exonérer de leur responsabilité au regard
des contenus mis en ligne. À titre d’exemple, dans le cas d'un forum de discussion, à quel
moment l'administrateur du site devient hébergeur des contenus édités par ceux qui
composent un message ? La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union Européenne dans
les arrêts Google58 et Ebay59 pose le critère du rôle actif. L'éditeur est celui qui assure un rôle
actif sur le contenu. À l’inverse, l'organisateur d'un forum qui se borne à mettre en ligne les
contenus, opération purement technique, ne peut pas être considéré comme éditeur car il n'a
pas de rôle actif. Mais s’il modifie l'ordre des commentaires, il a alors une fonction éditoriale.
L’obligation d’identification
L’obligation d’identification est initialement à la charge des fournisseurs d’accès à Internet et
des fournisseurs d’hébergement, selon l’article 6 II de la LCEN. L'enjeu de l'identification est
de permettre à une victime de faire jouer ses droits en réclamant une réparation et de faire
bloquer le contenu qui déroge à ses droits. Si le site Internet ne permet pas d'identifier
l'éditeur ou l'hébergeur, il ne reste à l'internaute que le fournisseur d'accès pour pouvoir faire
bloquer le contenu illicite. La responsabilité du fournisseur d’accès à Internet est de ce fait
particulièrement dérogatoire. Lors de l’affaire « Tuto4PC.com contre la SNCF »60, le juge de
la Cour d’appel constate qu'en l'absence des mentions de l'éditeur et de l'hébergeur, la SNCF
s'est trouvée dans l'impossibilité de mettre en œuvre les dispositions de la LCEN.
Cette identification doit se faire auprès de la Commission Nationale de l’Informatique et des
Libertés (CNIL), et les fournisseurs d’accès et d’hébergement doivent la détenir et la
conserver afin qu’il soit possible à quiconque à la création du contenu ou de l'un des contenus
dont ils sont prestataires de la connaître. Toutefois, seule la juridiction peut autoriser la
communication de ces informations par la voie de saisie sur requête. Plusieurs sites ne l’ont
pas vraiment respecté, comme Youtube en 2008 qui n’a pas collecté les informations comme
58
Cour de justice de l’Union européenne, Grande chambre, 23 mars 2010, Google France / LVM, Viaticum, Luteciel, CNRRH et autres et
Google
59
CJUE, grande chambre, 12 juillet 2011, L’Oréal et autres / eBay international et autres
60
Cour d’appel de Paris, Pôle 5, Chambre 2, 28 octobre 2011, Tuto4PC.com / SNCF
32/82
L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
le nom, prénom, domicile et numéro de téléphone de l’éditeur61.
Il existe aussi une obligation d’identification à la charge de l’éditeur, mais dans une situation
bien définie par le droit. L'article 6 III de la LCEN prévoit ainsi deux hypothèses : si l'éditeur
est un professionnel ou s’il ne l'est pas. Dans les deux hypothèses, l'absence d'identification de
l'éditeur par lui-même est punie d'un an d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
L'éditeur professionnel a pour obligation de nommer un directeur de publication ainsi qu'un
co-directeur de publication. Dans un standard ouvert, l'éditeur doit indiquer des données
précises (nom, domicile, numéro SIRET ou RCS…). L’éditeur non professionnel bénéficie de
l'anonymat des données mises en ligne. Cet anonymat est limité dans la mesure où l'hébergeur
doit se voir communiquer par l'éditeur non professionnel son nom, sa dénomination, sa raison
sociale en plus des éléments que l'hébergeur doit connaître.
Il existe ainsi une jurisprudence du tribunal de grande instance de Nanterre, du 28 avril
201162, au cours de laquelle le demandeur a considéré qu'il y avait atteinte à sa vie privée
dans un quotidien. La société Corse Presse n'était pas éditrice de Var Matin, mais a vu sa
responsabilité engagée car son nom figurait parmi les mentions du site. Le juge a considéré
par la suite que bien qu’ensuite la société Corse Presse ait été retirée des hébergeurs du site
n'impliquait pas pour autant qu'au moment des faits, elle n'était pas hébergeur. La mention
d'une personne, physique ou morale, parmi les hébergeurs dans les mentions légales présume
qu'elle a réellement été hébergeur du site.
Régime de responsabilité de l’éditeur
En application du droit de la presse, celui qui met en ligne le contenu est le directeur de
publication. L’acte de publication est au cœur des fonctions éditoriales et justifie donc
l’application de ce régime. Ce régime de responsabilité en cascade est prévu par la loi 29
juillet 1881. Le régime n’est pas transposé in extenso, mais des ajustements ont été opérés,
notamment par la loi du 12 juin 2009 « Création et Internet » (HADOPI). Cette dernière a
modifié l’art 93-2 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, précisant
que tout service de communication au public par voie électronique est tenu d’avoir un
directeur de la publication et un codirecteur de publication.
61
62
TGI Paris, 3e chambre, 2e section, 14 novembre 2008, Jean-Yves Lafesse et autres / Youtube et autres
TGI Nanterre, 1e chambre, 28 avril 2011, Clovis C. / Nice Matin
33/82
L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
Le régime en cascade prévu à l’article 93-3 de 1982 identifie précisément celui dont la
responsabilité doit être recherchée en priorité, ce n’est qu’à défaut de trouver le premier
responsable que la loi détermine les autres responsables successifs, par un dispositif en
cascade. Le premier responsable étant le directeur de publication, considéré comme auteur
principal d’une infraction résultant de la mise en ligne d’un contenu, vient ensuite, par
succession des autres auteurs principaux, le codirecteur de la publication, puis l’auteur, puis
enfin le producteur. La responsabilité du prestataire technique ne peut être recherchée que si
celle de l’éditeur n’est pas prouvée et qu’aucune des étapes de la cascade n’a pu permettre de
le faire. L’éditeur ne peut voir sa responsabilité pénale engagée comme auteur principal s’il
est établi qu’il n’avait pas connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le
moment où il en a pris connaissance, il a agi promptement pour le retirer.
La responsabilité des fournisseurs d’accès à Internet et des fournisseurs d’hébergement
Loi du 21 juin 2004
Article 6-I-3 :
Les fournisseurs d’accès et d’hébergement ne peuvent voir leur responsabilité pénale engagée
« à raison des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services s’ils
n’avaient pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicites ou si, dès le
moment où elles en ont eu connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces
informations ou en rendre l’accès impossible. »
En ce qui concerne les fournisseurs d’accès à Internet et les fournisseurs d’hébergement, la loi
du 21 juin 2004 ne leur attribue pas le même statut que les producteurs au sens de l’article 933 de la loi du 29 juillet 1982. L’article précise que ces personnes « ne sont pas soumises à une
obligation générale de surveiller les informations qu’elles transmettent ou stockent, ni à une
obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités
illicites ».
La responsabilité du fournisseur d’hébergement
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L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
La définition du fournisseur d’hébergement est donnée par l’article 6-1-2 de la loi de 2004,
c’est une « personne physique ou morale, qui assure, même à titre gratuit, pour la mise à
disposition du public, par des services de communication au public en ligne, le stockage de
signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature, fournis par des
destinataires de ses services ». Un hébergeur est d’abord une personne responsable du
stockage de données sur des serveurs connectés en permanence au réseau Internet. L’idée est
qu’il s’agit d’un espace de contenu mis à la disposition des éditeurs.
Il est très vite apparu que le fondement contractuel était largement insuffisant dans la mesure
où lorsqu’un contenu porte atteinte à une personne, aux droits d’un tiers, ce dernier n’est pars
par définition en situation contractuelle avec l’hébergeur.
Le fondement est alors extracontractuel. Initialement, le mécanisme de responsabilité retenu
est celui d’une responsabilité en cascade tirée du droit de la presse. Ce mécanisme jugé
constitutionnel s’applique encore. Le problème est que la responsabilité de l’hébergeur n’est
pas la première responsabilité engagée dans le cadre de la responsabilité en cascade. En cas
d’atteinte aux droits d’un tiers la première responsabilité est celle de celui qui met en ligne,
c’est-à-dire l’éditeur. La responsabilité de l’hébergeur ne peut être que secondaire si la
première ne peut pas être engagée.
Au départ, la loi du 1er août 200063, est venue modifier la loi du 30 septembre 1986 relative à
la liberté de communication. Ce texte prévoit un principe d’irresponsabilité de l’hébergeur
sauf exception. Selon l’article 43-8 de la loi de 1986 modifiée, les hébergeurs ne sont
responsables du fait du contenu des services que si, ayant été saisis par un juge, ils n’ont pas
agi promptement pour en empêcher l’accès. Ce mécanisme n’était pas satisfaisant car
parallèlement à la loi de 2000, existait la directive du 8 juin de l’année 200064 également, sur
le commerce électronique. Or, le régime prévu par cette directive est différent de celui de la
loi du 1er août 2000. Si cette dernière prévoyait une irresponsabilité, en revanche la Directive
2000-31 prévoyait un système de responsabilité limitée de l’hébergeur. C’est l’article 14 de
cette directive qui prévoit que l’hébergeur ayant connaissance de l’activité ou de l’information
illicite voit sa responsabilité engagée s’il n’a pas agi promptement pour retirer l’information
ou en rendre l’accès impossible. Ce qui est prévu diffère grandement au niveau du régime de
63
64
Site Legifrance (http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000402408&dateTexte=&categorieLien=id)
Site Eur-Lex (http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2000:178:0001:0001:FR:PDF)
35/82
L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
responsabilité. Le juge disparaît et ne conditionne plus l’engagement de la responsabilité de
l’hébergeur.
Le régime de responsabilité des hébergeurs entraîne une responsabilité par exception qui
repose sur la connaissance positive d’une activité ou d’une information illicite. A contrario,
lors de l’opération de stockage, si un contenu illicite est mis en ligne la responsabilité de
l’hébergeur n’est pas engagée tant qu’il n’en a pas connaissance. C’est en application de ce
principe que le juge du tribunal de grande instance de Béziers65 rappelle « qu’en dehors de tel
contenu comme l’apologie des crimes contre l’Humanité, l’incitation à la haine raciale, la
pornographie infantine, l’incitation à la violence ou les atteintes à la dignité humaine » les
faits doivent être soumis à l’appréciation du juge, dans la mesure où les hébergeurs ne sont
pas astreints à une obligation de surveillance et de contrôle. Il se prononce également sur le
fait que la personne diffamée ou injuriée doive se retourner en premier lieu vers l’auteur des
propos avant de demander l’engagement de la responsabilité de l’éditeur.
Il existe en effet un principe de neutralité technologique des prestations techniques sur
Internet, qui implique que la fourniture d’hébergement est indifférente à la nature du contenu
hébergé. Pour certains contenus délictueux l’hébergeur doit veiller à mettre en œuvre tous les
moyens pour empêcher la publication. Une jurisprudence de 200766 a précisé que dès que
l’hébergeur est informé du caractère illicite, il doive mettre en œuvre tous les moyens
nécessaires en vue d’éviter une nouvelle diffusion.
Il s’agit d’une responsabilité limitée car elle est subsidiaire à celle du créateur de contenu.
Elle est aussi limitée dans la mesure où, si l’hébergeur prouve qu’il n’a pas connaissance du
contenu au moment où le juge est saisi, sa responsabilité n’est pas engagée. Ainsi tous les
sites participatifs, du Web 2.0 se trouvent dans une situation hybride.
Il s’agit d’une responsabilité de nature civile et pénale. En ce qui concerne la responsabilité
civile, le régime de la LCEN suit les prescriptions de la directive commerce électronique.
L’hébergeur ne peut pas voir sa responsabilité engagée s’il n’a pas effectivement
connaissance du caractère illicite des activités et des informations stockées ou des faits et des
circonstances faisant apparaître ce caractère si dès le moment où il en a eu connaissance il n’a
65
66
TGI Béziers, ordonnace de référé, 8 avril 2011, Jean-Marc D / JFG Networks
TGI Paris, 3e chambre, 2e section, 19 octobre 2007, Zadig productions et autres / Google Inc., Afa
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Anne-Laure Roux
pas agi promptement pour retirer ses données ou les rendre inaccessibles.
Ce régime est issu d’une jurisprudence du tribunal de grande instance de Paris 2004,
confirmée par la cour d’appel, qui établit que l’hébergeur n’est pas considéré comme
responsable car il ne peut pas lui être reproché de ne pas avoir agi promptement pour retirer
du site internet du consulat général de Turquie des documents relatifs à l’existence du
génocide arménien, dans la mesure où le caractère illicite de ces documents n’était pas établi.
En ce qui concerne la responsabilité pénale, elle est engagée dans les mêmes conditions que la
responsabilité civile. L’article 6-1-5 de la LCEN prévoit également que la notification à
l’hébergeur des informations et contenus illicites soit une condition sine qua non à
l’engagement de sa responsabilité. Cette notification créée une présomption de la
connaissance du caractère illicite du contenu par l’hébergeur. Cette connaissance peut prendre
la forme d’un courrier recommandé avec accusé de réception d’une simple dénonciation de la
mise en ligne de contenus illicites. Il suffit que la dénonciation comporte des éléments prévus
par l’article 6-1-5 pour que la notification soit prise en compte, c’est-à-dire la date de la
notification, l’identification du requérant67, les nom et domicile du destinataire,68 la
description des faits litigieux et leur localisation précise, les motifs de retrait du contenu, et, le
cas échéant, une copie de la correspondance adressée à l’éditeur, à l’auteur n’ayant pu être
joint.
Une jurisprudence de la cour de cassation du 17 février 201169 a établi que la notification doit
comporter l’ensemble des prescriptions posées par l’art 6-1-5 de la LCEN. Par exemple, cela
signifie que pour la description des faits litigieux il ne suffit pas de les exposer mais il faut les
établir, avec une copie d’écran et un procès-verbal de constat par huissier. De la même
manière, une copie de la correspondance vers l’éditeur ou l’auteur de cet élément revêt un
caractère important du fait du système de responsabilité en cascade, car la victime doit
prioritairement poursuivre l’éditeur. Si ces prescriptions sont respectées, alors c’est à
l’hébergeur de prouver son absence de faute. Or la jurisprudence est très sévère sur les
conditions de l’action d’hébergeur.
67
si c’est une personne physique : nom, prénom, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ; si c’est une personne morale :
forme, dénomination, siège social, organe qui la représente.
68
ou dénomination et siège social
69
Cour de cassation, 1e chambre civile, 17 février 2011, n°09.67-896, Société Nord-Ouest, UGC Images et autres / Dailymotion
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L’encadrement juridique de la e-réputation
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Une autre jurisprudence de la cour de cassation du 17 février 201170 confirme la
responsabilité de l’hébergeur qui a attendu le lundi, alors que notification a eut lieu le
vendredi, pour bloquer l’accès au contenu litigieux.
La responsabilité du fournisseur d’accès à Internet au regard des contenus
Les fournisseurs d’accès à Internet sont des intermédiaires techniques, normalement ils ne
devraient donc pas voir leur responsabilité engagée au regard des contenus disponibles sur
leurs sites. Pourtant, de manière subsidiaire, leur responsabilité peut être légalement engagée
sur les plans civil et pénal. En pratique, c’est lorsqu’ils sont eux-mêmes à l’origine de la
demande de la transmission litigieuse, s’ils ont sélectionné le destinataire de la transmission,
ou encore s’ils ont modifié le contenu faisant l’objet de la transmission. Dans ces trois cas,
leur responsabilité civile est engagée.
De la même manière, la personne qui exerce la fonction d'opérateur peut aussi voir sa
responsabilité engagée si elle agit en tant que fournisseur d’accès à Internet et d’hébergeur.
Dans ce cas, elle donne un espace disque pour un site Internet. Sa responsabilité en tant que
fournisseur d’accès à Internet peut être ainsi également engagée à titre dérogatoire, dans les
conditions posées à la fois par l'article 6 de la LCEN.
La responsabilité du fournisseur d’accès à Internet est engagée s’il n'a pas agi avec
promptitude pour rendre l'accès impossible à un contenu, dès lors qu'il en a eu effectivement
connaissance. Ce régime oblige cet intermédiaire technique à connaître le contenu sollicité
par ses clients.
Il existe des cas pour lesquels la responsabilité n’est pas engagée. Il s’agit des cas où, soit le
contenu a été retiré initialement du réseau, ce qu’on appelle le « filtrage a priori », soit que
l'accès au contenu ait été rendu impossible, soit qu'un blocage ait été ordonné par une
juridiction. Le fournisseur d’accès à Internet a une obligation spécifique pour prévenir les
internautes qui ne peuvent pas accéder à certains services, dans le cadre de ses obligations
d'information. Il a également l'obligation de proposer le cas échéant un moyen de restriction
pour éviter que des accès soient illégaux.
En matière pénale, tout manquement à l'obligation de conservation des données est sanctionné
70
Cour de cassation, 1e chambre civile, 17 février 2011, n°09-15.857, Sté Amen / K…X.
38/82
L’encadrement juridique de la e-réputation
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d'un an d'emprisonnement (si opérateur est une personne physique) ou de 75 000 euros
d'amende. Si l'auteur de l'infraction est une personne morale, le quantum des peines est
quintuplé.
Le régime de responsabilité civil et pénal se met en marche une fois que l’infraction est
établie, toutefois il peut être évité grâce à des normes et droits mis en place par les différentes
lois encadrant l’utilisation du médium Internet.
1.2.2. Le pré-contentieux
Le pré-contentieux correspond à un droit accordé à la victime pour répondre à l’auteur de la
diffamation ou de l’injure, mais aussi à un principe de neutralité technologique qui établit que
les intermédiaires techniques ne sont pas obligatoirement responsables des infractions qui
peuvent être commises sur le moyen de communication qu’ils ont mis en place.
Le droit de réponse
Le droit de réponse est le droit reconnu à la personne mise en cause, sur un média ou service
de communication électronique, de faire connaître ses protestations contre les affirmations qui
l’ont mise en cause selon une jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation
du 28 avril 1932.
Le droit de réponse constitue un moyen d’assurer un équilibre entre le droit à publier et le
droit de contester la publication, tout en étant une atteinte à la liberté de communication,
puisque l’effet de l’insertion du droit de réponse est de publier un contenu contre la volonté de
l’éditeur. Ce droit est directement issu de la loi de 1881. L’article 13 dispose qu’une
« personne nommée ou désignée, mise en cause dans un article, bénéficie d’un droit de
réponse, qui doit être inséré dans un délai de trois mois révolus, à compter du jour de la
publication par le directeur de celle-ci, qui ne peut s’y soustraire, sauf à engager sa
responsabilité pécuniaire, voire pénale ».
Tout d’abord, la réponse doit être proportionnée. Le droit de réponse existe aussi en matière
audiovisuelle, mais il est limité aux cas d’atteinte à l’honneur et à la réputation, et il n’y a pas
de délai pour la diffusion de la réponse. L’article 6 IV de la LCEN prévoit le principe du droit
39/82
L’encadrement juridique de la e-réputation
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de réponse, en précisant que ce droit peut se cumuler d’une demande de correction et de
suppression du message. C’est le directeur de publication qui doit accueillir la demande du
droit de réponse, peu importe que l’éditeur soit professionnel ou non. Ce droit doit être exercé
dans les trois mois à compter de la mise à disposition du public du message. Le directeur de
publication a trois jours pour mettre en ligne les éléments fournis par la victime, résultant de
son droit de réponse, à compter du jour où il la reçoit. Autrement, il s’expose à une amende
d’un montant de 3.750 €. Par ailleurs, la réponse doit toujours être gratuite. Elle est exercée
par lettre recommandée avec accusé de réception ou tout autre moyen garantissant l’identité
du demandeur et apportant la preuve de la réception de la demande.
Il existe un cas particulier, celui des blogs ouverts à commentaires, ou de tout site où
l’utilisateur peut formuler directement des observations. Dans ce cas de figure, il n’est pas
nécessaire de s’adresser au directeur de la publication par lettre recommandée avec accusé de
réception, car l’obligation du droit de réponse permet que celle-ci figure directement dans les
commentaires du blog. Toutefois, cette situation comporte le risque que le droit de réponse
soit noyé dans un flux de commentaires.
Sur le plan pratique, le message doit indiquer le nom de l’auteur et la réponse doit être
proportionnée à l’atteinte commise par l’éditeur. Il faut qu’il s’agisse d’un écrit dont la taille
est limitée. En effet, la réponse est limitée à la longueur du message qui l’a provoqué, sans
pouvoir être supérieure à 200 lignes. La réponse doit être mise à disposition du public et doit
demeurer accessible pendant la même période que celle pendant laquelle l’article qui la fonde
est mis à disposition du public.
Dans les cas où le droit de réponse n’a pas pu être exercé, la victime peut exercer une action
judiciaire. Une jurisprudence de la cour d’appel de Paris, datant du 9 octobre 2009, « SOS
Pelerin c/ Meridianis Voyages »71, a jugé que la publication d’un communiqué judiciaire du
premier juge a permis à la société victime de satisfaire aux exigences du principe du droit de
réponse. Si on est plaideur, on a intérêt à solliciter une injonction de publication d’un
communiqué judiciaire valant droit de réponse.
Le principe de net neutrality
71
Cour d’appel de Paris, Pôle 1, 4e chambre, 9 octobre 2009, SOS Pelerin / Meridianis voyages
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L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
Le principe de « net neutrality », ou neutralité technologique, est un principe technologique
avant d’être un principe juridique puisque le transport et la conservation des données
numériques sont indifférents par nature, au sens de ces données. Cette neutralité a été saisie
par le droit et est devenue un principe juridique.
Dans la directive européenne « Paquet télécom » du 7 mars 2002, ce principe de neutralité
technologique est proclamé. En droit français, il a également été inséré, puisque l’article L321 issu de la loi du 22 mars 2011. Il précise que le ministre chargé des communications
électroniques et l’ARCEP72 prennent dans des conditions objectives et transparentes, des
mesures raisonnables et proportionnées au respect de la plus grande neutralité possible d’un
point de vue technologique. Ce principe de neutralité technologique concerne la neutralité du
net, sauf que la neutralité du net n’englobe pas toute la neutralité technologique, elle comporte
d’autres aspects, et notamment la problématique de l’accès au réseau, qui ne concerne que les
opérateurs.
La seconde dimension de la neutralité est celle qui concerne la problématique de net
neutrality, qui s’analyse en la neutralité des contenus. Ce principe de net neutrality postule
que l’intermédiaire technique n’ait aucune fonction éditoriale. Ceci étant, le principe de la
responsabilité limitée issu de la LCEN tire toutes les conséquences de l’absence de fonction
éditoriale du fournisseur d’accès. La conséquence directe est que l’usager se trouve en
situation de subordonné par rapport à l’hébergeur, dans la mesure où l’hébergeur, par l’effet
du concept de net neutrality, s’il ne doit rien bloquer en principe, doit en revanche bloquer
tous les cas qu’on lui aura notifiés comme étant illicites. Le prestataire technique se retrouve
en situation de devoir porter atteinte au principe des libertés des communications parce que ce
n’est plus alors le choix de l’usager qui postule le contenu de la communication dont il est le
destinataire.
Une fois la faute, et l’auteur de la faute, identifiés, ce dernier voit sa responsabilité civile et
pénale engagée. Toutefois, d’aucuns émettent des doutes quant au régime de réparation et de
répression mis en place par la loi sur la liberté de la presse, qui pourrait, par les différentes
dispositions de la procédure, profiter davantage à l’auteur des faits qu’à la victime.
72
Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes
41/82
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L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
2. UN RÉGIME DE RÉPRESSION ET DE RÉPARATION TROP FAVORABLE À
LA LIBERTÉ D’EXPRESSION ?
Le régime de répression et de réparation de la loi de 1881 concernant les infractions de presse
et plus particulièrement la diffamation et l’injure trouve sa particularité aussi bien dans la
procédure prévue pour la poursuite (2.1) que dans celle prévue pour les sanctions (2.2).
2.1. Particularité de la poursuite
La poursuite des infractions prévues par la loi de 1881 est soumise à un régime particulier
prévu dans cette même loi, qui fût souvent souligné comme favorisant peut être un peu trop la
situation des auteurs des délits et crimes au détriment des victimes, comme le soulignent E.
Derieux et A. Granchet73. C’est également L. Pech, qui, dans une note relative à une décision
de la CEDH du 25 juin 200274, Colombani / France, écrit que la loi de 1881 « est loin d’être
systématiquement défavorable à la liberté d’expression. La conjonction du formalisme
extrême imposé à peine de nullité et de la courte prescription de 3 mois, qui rend impossible
tout rattrapage, aboutirait même (…) à une situation qui n’est pas sans évoquer, sur le plan
judiciaire, le Premier amendement américain, au contraire du principe de « libertéresponsable » et de la recherche de l’équilibre des droits et des libertés plus conforme à notre
tradition juridique nationale sinon européenne.
Ainsi, la poursuite de l’infraction qui entre dans le champ prévu par la loi de 1881 obéit à un
régime plus défavorable pour la victime que les autres infractions, soumises au droit commun.
E. Derieux et A. Granchet précisent d’ailleurs que c’est pour des raisons de procédure que la
liberté de la presse « se trouve ainsi très fortement protégée et même privilégiée au détriment
des autres droits et libertés ou du nécessaire équilibre des droits ». Pour chaque infraction, il
est donc important de savoir si elle entre dans le champ des compétences de la loi de 1881 ou
d’un autre texte. Ce dernier va même à se questionner sur le fait que le législateur a-t-il
« toujours pleinement conscience de l’impact de sa décision lorsque, adoptant des dispositions
nouvelles, il les introduit, ou non, dans la loi de 1881 ? L’équilibre des droits et des libertés
est bien mieux assuré lorsqu’il s’agit de faire application de dispositions étrangères à la loi de
1881 et qui, de ce fait, échappent normalement à ses particularités de procédures ». Ils
73
DERIEUX Emmanuel, GRANCHET Agnès, Le Droit des Médias, LGDJ, 2008, 1092 p
Note JCP G 2003.II.10136 – CEDH, 2e section, 25 juin 2009, n°51279/99, Colombani / France
(http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001-65089#{"itemid":["001-65089"]})
74
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L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
relèvent par ailleurs que la Cour de cassation a posé que « le droit au respect de la vie privée
et à la liberté d’expression revêtant, eu égard aux articles 8 et 10 de la CESDH et 9 du Code
civil, une identique valeur normative font ainsi un devoir au juge saisi de rechercher leur
équilibre et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus
légitime75. Enfin, il précise qu’en raison du régime strict de la qualification des faits instauré
par la loi de 1881, il est impossible de « tenter de donner aux faits une qualification différente
pour échapper à ces obstacles de procédure ». En tout état de cause, la diffamation et l’injure
sont des infractions qui obéissent indubitablement au régime des poursuites dérogatoires.
Quels sont donc ces obstacles de procédure tant préjudiciable à la condition de victime d’une
diffamation ou d’une injure, et ce, particulièrement lorsque ces infractions sont commises en
ligne ?
Nous allons étudier la procédure prévue pour la mise en mouvement des actions civile et
pénale (2.1.1) avant de voir les questions pratiques de l’exercice de l’action publique (2.1.2).
2.1.1. Mise en mouvement de la justice
Concernant l’engagement de l’action pénale, E. Derieux et A. Granchet76 écrivent que
les « dispositions de loi 1881 semblent, par les obligations et restrictions, n’avoir pour objectif
que d’empêcher les poursuites ou tout du moins d’en limiter le nombre de chances
d’aboutir. ». La particularité de cette même loi et du régime de responsabilité s’y rattachant se
traduit tout spécialement par trois règles concernant d’une part l’initiative, d’autre part
l’exercice et enfin l’extinction.
Initiative de la plainte
Loi du 29 juillet 1881
Article 48§6
« Dans le cas de diffamation envers les particuliers prévu par l'article 32 et dans le cas d'injure
75
76
Cour de cassation, 1e chambre civile, 9 juillet 2003, Bull. Civ. I, °172, D. 2004. 1633, osb. C. Caron.
DERIEUX Emmanuel, GRANCHET Agnès, Le Droit des Médias, LGDJ, 2008, 1092 p.
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L’encadrement juridique de la e-réputation
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prévu par l'article 33, paragraphe 2, la poursuite n'aura lieu que sur la plainte de la personne
diffamée ou injuriée. Toutefois, la poursuite, pourra être exercée d'office par le ministère
public lorsque la diffamation ou l'injure aura été commise envers une personne ou un groupe
de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à
une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. La poursuite pourra également
être exercée d'office par le ministère public lorsque la diffamation ou l'injure aura été
commise envers un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou
de leur handicap ; il en sera de même lorsque ces diffamations ou injures auront été commises
envers des personnes considérées individuellement, à la condition que celles-ci aient donné
leur accord. ».
La liberté d’initiative publique est limitée par la mise en mouvement de l’action civile. En
effet, lorsqu’il s’agit de diffamation ou d’injure, le législateur a imposé qu’une plainte de la
victime existe préalablement à l’engagement de toute poursuite par le Ministère public,
conformément aux dispositions de l’article 48§6 de la loi de 1881. Le législateur a préféré
laisser à la victime le soin d'apprécier la gravité de l'atteinte subie et l'opportunité d'une
réaction répressive. L’objectif de la loi ici est de ne pas risquer d’aggraver encore la situation
de la victime diffamée ou injuriée, en augmentant la portée de l’atteinte à son honneur et à sa
considération par une publicité devant les tribunaux, sans que celle-ci exprime son accord de
façon expresse en attrayant les auteurs elle-même.
À défaut de plainte préalable, la procédure est frappée d'une nullité d'ordre public. Cette
nullité peut être relevée a tout étape de la procédure et la cassation sera prononcée sans
renvoi. A contrario, s'il y a eu une plaine préalable, le parquet reste maître de l'exercice des
poursuites. Il est en particulier compétent pour apprécier leur opportunité et choisir la
qualification adéquate.
S’il y a eu plainte, alors l’action civile et l’action publique sont menées ensemble. Il faut que
l’infraction réponde aux éléments constitutifs essentiels que sont le désordre social ou
collectif et le préjudice personnel. L’article 46 de la loi de 1881 énonce d’ailleurs « L’action
civile résultant des délits de diffamation prévus et punis par les articles 30 et 31 ne pourra,
sauf dans les cas de décès de l’auteur du fait incriminé ou d’amnistie, être poursuivie
séparément de l’action publique ».
45/82
L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
En revanche, contrairement au droit commun, la victime ne peut pas déclencher l’action
publique par la mise en mouvement de son action civile. En droit commun, le parquet se
trouve alors lié par le déclenchement. En droit des média, la victime n'a pas le droit de mettre
en mouvement l'action publique, elle ne peut que porter plainte au procureur pour l'informer
des faits et intervenir dans l'action pénale qui aura été engagé sur l'initiative du Ministère
Public ou d'une association habilité soit ester au civil séparément de l'action civile. Le
procureur reste libre d'apprécier les suites qui doivent être données à l'affaire, mais si le
réquisitoire est nul, une plainte avec constitution de partie civile ne saurait s'y suppléer.
Il existe par ailleurs une exception à l'exigence du préjudice personnel et direct. En effet, en
droit commun, la victime peut engager une action en justice, ce sera une action publique que
si elle revendique un préjudice personnel et direct. Ce n’est pas le cas des personnes morales
pour les intérêts collectifs dont elles ont la charge. À propos des associations, dans certaines
hypothèses, la loi leur a donné le pouvoir d'agir pour défendre ces intérêts.
En droit pénal des média, on retrouve certaines de ces exceptions. Diverses associations,
régulièrement déclarées en France, depuis 5 ans minimum a la date des faits, peuvent se
constituer partie civile et mettre en mouvement l'action publique, selon les dispositions de
l’article 48-1 et suivants de la loi du 29 juillet 1881. Il peut s’agir par exemple d’associations
se proposant de défendre la mémoire des esclaves et l'honneur de leurs descendants, de
combattre le racisme, d'assister les victimes de discrimination nationale, ethnique ou
religieuse, en cas de provocation ou de diffamation.
Prescription
Des délais de prescription courts pour une imprescriptibilité de fait sur l’Internet.
Temps de poursuite et délai de prescription
Loi du 29 juillet 1881
Article 65
« L'action publique et l'action civile résultant des crimes, délits et contraventions prévus par la
présente loi se prescriront après trois mois révolus, à compter du jour où ils auront été commis
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L’encadrement juridique de la e-réputation
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ou du jour du dernier acte d'instruction ou de poursuite s'il en a été fait. Toutefois, avant
l'engagement des poursuites, seules les réquisitions aux fins d'enquête seront interruptives de
prescription. Ces réquisitions devront, à peine de nullité, articuler et qualifier les
provocations, outrages, diffamations et injures à raison desquels l'enquête est ordonnée.
Les prescriptions commencées à l'époque de la publication de la présente loi, et pour
lesquelles il faudrait encore, suivant les lois existantes, plus de trois mois à compter de la
même époque, seront, par ce laps de trois mois, définitivement accomplies. »
Le régime de prescription pour la diffamation et l’injure est établi par la loi de 1881.
Soulignons que cette prescription du délai s’applique uniquement aux infractions de presse
qui entrent dans le champ de compétence régit par la loi de 1881, les autres obéissent au
régime de droit commun.
À l’image de l’encadrement juridique de la poursuite vu précédemment, la prescription est
dérogatoire mais surtout favorable à l’auteur de l’infraction. En effet, selon l’article 65 de la
loi, le délai de prescription est de trois mois à compter du jour où l’acte a été commis, ou du
jour du dernier acte de poursuite le cas échéant, peu importe la nature de l’infraction
commise. Une fois passé, aucune action en justice, qu’elle soit civile ou pénale, ne peut être
engagée ou reprise.
Au départ, il avait été prévu aussi court pour rapprocher le temps de justice des média, mais
cela a eu depuis bien d’autres conséquences, et notamment pour le droit s’appliquant à
l’Internet. Ce délai est relativement court au regard du droit commun qui est de trois ans pour
les délits et dix ans pour les crimes. Il met la victime dans une situation de précipitation, tout
particulièrement quand il s’agit d’une infraction commise par voie de communication
électronique, l’Internet étant le moyen de communication le plus large et le plus réactif au
monde77.
Le point de départ du délai
Afin de d’adapter le droit avec la réactivité de l’Internet, le législateur et le juge se sont
interrogé sur l’existence de ce court délai, et sur la possibilité de le faire courir à partir d’un
77
FILLIAS Édouard, VILLENEUVE Alexandre, E-Réputation, Stratégies d’influence sur Internet, Ellipses, 2013, 325 p.
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L’encadrement juridique de la e-réputation
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autre moment que celui prévu par les textes de la publication.
Dans cette optique, le législateur avait souhaité que le délai court à compter du jour de la
connaissance du message en ligne, mais il fut censuré en 2004 par le Conseil constitutionnel,
qui estime qu’il faut qu’il coure à la date de la mise en ligne78. Également le changement
d’adresse d’un site Internet aurait pu être considéré comme un nouvel acte de publication.
Dans ce sens, il a ainsi été considéré « qu’en décidant de rendre son site accessible par une
nouvelle adresse », l’exploitant du site « a voulu en accroître l’accès et intervenir donc sur le
volume d’approvisionnement du public » ; « qu’en créant un nouveau mode d’accès à son
site », il « a ainsi renouvelé la mise à disposition des textes incriminés dans des conditions
assimilables à une réédition » ; et que la date de « ce nouvel acte de publication » constitue le
point de départ du délai de prescription79.
Sur ce point précis, la jurisprudence a subi de nombreuses tergiversations80, à l’image des
anciennes jurisprudence « Costes » et « Carl Lang » qui avaient posé le principe de
l’imprescriptibilité des délits de presse sur l’Internet, tout comme la doctrine81.
Délit continu ou instantané ?
Le Conseil constitutionnel va clôturer le débat le 10 juin 200478, déclarant qu’une loi votée
pour les « services de communication au public en ligne » était non conforme à la
Constitution. Une de ses dispositions principales était de faire courir le délai de prescription à
la date à laquelle le message ne serait plus accessible ou aurait été retiré, lui donnant ainsi un
caractère « continu ». Au contraire, comme le stipule l’article 6 de la loi du 21 juin 200482,
confirmé par une décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation83, le point de
départ du délai de prescription de l’action publique et civile doit être fixé sur l’Internet à la
date du premier acte de publication ou mise en ligne du contenu. On parle alors de « délit
instantané ».
78
Décision n°2004-496 DC du 10 juin 2004 du Conseil Constitutionnel, JORF n°143 du 22 juin 2004, page 11182
DERIEUX Emmanuel, GRANCHET Agnès, Le Droit des Médias, LGDJ, 2008, 1092 p.
80
Voir : TGI Paris 30 avril 1997 ; Paris 28/2/1999 ; Paris 11e ch. Licra c. Costes mars 2000 légipresse ; TGI PARIS 6/12/2000 ; cass crim
16/10/01 note Ph. Blanchetier.
81
Voir Ph. Blanchetier : « Point de départ du délai de prescription des délits de presse sur internet : vers une solution libertaire et contraire au
bon sens » Dalloz 2001 ; Dreyer E. : « Point de départ de la réflexion : la prescription sur Internet » note sous Cass crim 30/1/01 Dalloz ;
Gautier PY : « de la prescription des infractions commises sur l’Internet… et dans le monde physique » Dalloz 2002
82
Les dispositions des chapitres IV et V de la loi du 29 juillet 1881 précitée sont applicables aux services de communication au public en
ligne et la prescription acquise dans les conditions prévues par l'article 65 de ladite loi.
83
Cour de cassation, Chambre criminelle, 19 septembre 2006, Fabrice X / Alain Y
79
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Le Conseil écarte l’argument selon lequel « chaque mise à jour d’un site Internet constitue
une réédition en ce qu’elle participe d’un nouveau choix rédactionnel, et caractérise donc un
nouvel acte de publication fixant en conséquence un nouveau point de départ de la
prescription ». La Cour de cassation, de la même manière, estime que « lorsque des poursuites
pour l’une des infractions prévues par la loi [de 1881] sont engagées à raison de la diffusion,
sur le réseau Internet, d’un message figurant sur un site », le point de départ du délai de
prescription de l’action publique et de l’action civile est fixé à la date du 1e acte de
publication. Cette date est celle à laquelle le message a été mis pour la 1e fois à la disposition
des utilisateurs. Une ordonnance de référé du 7 mai 201084 va venir confirmer que le constat
n’est pas le point de départ de la prescription mais bien la mise en ligne.
Ainsi, ni la mise à jour du site ni le changement d’adresse ne constituent un nouvel acte de
publication. Toutefois, la Cour de cassation estime que si le message est modifié dans son
contenu, alors il est considéré comme un nouveau message, dont la nouvelle publication
devient le nouveau départ du délai de prescription85.
Mais le débat qui aurait pu être clôturé par la décision du Conseil constitutionnel se poursuit,
notamment par une jurisprudence du 18 mars 201386, dans laquelle le TGI de Paris a reconnu
qu’en matière de diffamation, un lien vers un nouvel article était une nouvelle mise en ligne,
qui faisait recommencer le délai de prescription de zéro.
Comme le soulignent E. Derieux et A. Granchet, une des particularités de la loi de 1881 est
d’établir des délais de prescriptions relativement courts comparativement à ceux de droit
commun, aux dépens de la personne diffamée ou injuriée sur la toile. Il va même jusqu’à
déclarer que « de façon tout à fait exceptionnelle, il met ainsi les auteurs de tels abus de la
liberté d’expression très rapidement à l’abri de toutes poursuites », et ce, pour l’action pénale
en répression comme pour l’action civile en réparation.
Le poids de la procédure dans la loi de 1881 est tel qu’un juge a refusé un dépôt de plainte
pour diffamation parce qu’elle fût acheminée au greffier une fois le délai de prescription
dépassé, bien qu’elle ait été envoyée deux jours auparavant par fax. C’est à cause de
problèmes de transport que le requérant n’a pas pu se défendre contre des propos qu’il
84
TGI Nancy, 9e chambre, 7 mai 2010, Banque Populaire Lorraine Champagne et autres / Jean M., JFG Networks
Cour de cassation, Chambre criminelle, 19 août 2006, Legipresse, 12/06, n°237.III.235-237, note B. Ader
86
TGI Paris, 17e chambre civile, 18 mars 2013, Amexs / Indigo Publications
85
49/82
L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
estimait diffamants. Cette solution fût confirmée par la Cour de cassation le 2 mars
201087.(chambre crim 2 mars 2010).
« Cela a pu conduire les victimes de dommages liées à diverses infractions définies par la loi
de 1881 à vouloir écarter toute référence à ce texte pour tenter d’échapper à ce délai de
prescription exceptionnellement raccourci ». Mais, comme vu précédemment, la Cour de
cassation a depuis interdit aux victimes de mener une action civile en réparation sur le
fondement de l’article 1382 du Code civil. L’auteur suppose que cette décision traduit la
volonté de limiter le nombre de poursuite faites aux média, « au nom d’une fausse liberté
d’expression ». Il souligne par ailleurs le paradoxe concernant l’effet des lois d’amnistie,
ayant pour effet de prolonger le délai de prescription, aligné par la suite sur le droit commun.
Ces courts délais de prescription sont considérés comme un frein par une partie de la doctrine.
O. Mouysset dans une note sous un arrêt de la Cour de cassation en qualifiant l’article 65 de
1881 de « traquenard procédural très redouté par la partie poursuivante » et estime qu’il aurait
« plus en vue l’intérêt de celui qui peut s’aider de la prescription que l’intérêt de la personne à
laquelle la prescription peut être opposée »88.
Le problème de l’infraction de presse sur l’Internet est l’imprescriptibilité de fait que le
médium instaure par sa nature en elle-même. En effet, une jurisprudence du tribunal de Paris89
instaure que « l’infraction est réputée commise à la date à laquelle le texte incriminé a été mis
à la disposition du public ». Pourtant, sur l’Internet, contrairement aux autres média, dont la
longévité devient déjà relative après la première publication, le message est non seulement
disponible de manière quasi-permanente, mais il est également adressé à un public large,
d’ordre planétaire.
E. Derieux et A. Granchet s’interrogent alors dans les termes suivants « S’agissant d’une
infraction qui, dans la réalité, ne peut être que « continue », la loi de 1881 (…) la considère,
très artificiellement, comme « instantanée », achevée, consommée ou éteinte à peine
commencée, alors que, en fait, elle se prolonge, bien souvent, beaucoup plus longtemps. Le
désordre social et le préjudice individuel ne se perpétuent-ils pas tant que dure la
publication ? »
87
Cour de cassation, Chambre criminelle, 2 mars 2010, Ahmed X / François Y
Dalloz, 2001.J.160
89
TGI Paris, 11e chambre, 10 juillet 1991
88
50/82
L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
Il semble bien que ce soit la volonté du législateur de limiter « en fonction d’une bien
contestable conception de la liberté de communication, les possibilités de poursuites et de
condamnations » qui « n’explique, sans cependant le justifier, un délai de prescription aussi
court », ajoutant par ailleurs que cela a « l’inconvénient de traiter différemment selon les
textes qui les définit, les infractions liées au contenu des médias ». Avis de l’auteur : « La
volonté du législateur ne pourrait-elle ou ne devrait-elle pas changer sur ce point ? »
Cela prive, en tout cas, le droit des médias de clarté et de cohérence. D’autres lois vont dans
le même sens et le même effet, « au bénéfice des médias et de leurs acteurs et au détriment de
l’ordre social et des personnes mises en cause »90.
Les délais de jugement
Loi du 29 juillet 1881
Article 54
« Le délai entre la citation et la comparution sera de vingt jours outre un jour par cinq
myriamètres de distance. Toutefois, en cas de diffamation ou d'injure pendant la période
électorale contre un candidat à une fonction électorale, ce délai sera réduit à vingt-quatre
heures, outre le délai de distance, et les dispositions des articles 55 et 56 ne seront pas
applicables. »
Article 57
« Le tribunal correctionnel et le tribunal de police seront tenus de statuer au fond dans le délai
maximum d'un mois à compter de la date de la première audience. Dans le cas prévu à l'alinéa
2 de l'article 54, la cause ne pourra être remise au-delà du jour fixé pour le scrutin. »
Les délais de jugement définis par la loi de 1881 sont relativement courts, à l’image des délais
de prescription, de façon à ce que la justice ait une rapidité de jugement quasiment similaire à
la réactivité du monde des média. Ainsi, le délai entre la citation et la comparution est de 20
jours91. Les tribunaux correctionnels et de simple police sont dans l’obligation de statuer au
90
91
DERIEUX Emmanuel, GRANCHET Agnès, Le Droit des Médias, LGDJ, 2008, 1092 p.
Article 54 de la loi du 29 juillet1881.
51/82
L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
fond dans le mois qui suit la première audience92. Enfin, les parties disposent de trois jours
pour former un pourvoi en cassation, là où le droit commun prévoit cinq jours en matière
pénale et deux mois en civil.
Toutefois, il existe également des dispositions favorables à la personne injuriée ou diffamée,
notamment l’existence d’un juge des référés, qui, selon les stipulations de l’article 50-1 de la
loi de 1881, peut prononcer un arrêt du service médiatique, « si [les faits] constituent un
trouble manifestement illicite ».
Les délais, qu’ils soient pour fixer la prescription ou le jugement, sont donc largement réduits
par rapport au droit commun. Ce régime dérogatoire issu de la loi de 1881 a été mis en place
pour s’adapter à la dimension journalistique des infractions, pour protéger la liberté de parole
et n’enfreindre aucune expression. Depuis l’arrivée de l’Internet, puisque nous sommes tous
journalistes sur la toile, ce régime ne serait-il pas trop en faveur de celui qui écrit aux dépens
de celui qui est dépeint ?
2.1.2. Exercice de l’action publique
Les particularités propres au régime de répression et de réparation de la loi du 29 juillet 1881
se manifestent spécialement dans la qualification des faits, alors que les difficultés qu’il pose
se retrouvent dans la compétence juridictionnelle.
Qualification des faits
La qualification des faits dans le réquisitoire et la citation diffère de celle du régime du droit
commun quand il s’agit du droit des média, et notamment pour les délits de diffamation et
d’injure. Comme vu précédemment (cf. supra), les deux infractions se différencient selon que
les propos litigieux se rapportent à un fait ou comportement de la victime précisément ou non.
La qualification des faits est ainsi strictement encadrée par la loi de 1881, et particulièrement
aux articles 50 et 53 suivants :
92
Article 57 de la loi du 29 juillet1881.
52/82
L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
Loi du 29 juillet 1881
Article 50 :
« Si le ministère public requiert une information, il sera tenu, dans son réquisitoire, d'articuler
et de qualifier les provocations, outrages, diffamations et injures à raison desquels la poursuite
est intentée, avec indication des textes dont l'application est demandée, à peine de nullité du
réquisitoire de ladite poursuite. »
Article 53 :
« La citation précisera et qualifiera le fait incriminé, elle indiquera le texte de loi applicable à
la poursuite. Si la citation est à la requête du plaignant, elle contiendra élection de domicile
dans la ville où siège la juridiction saisie et sera notifiée tant au prévenu qu'au ministère
public. Toutes ces formalités seront observées à peine de nullité de la poursuite. »
Ces deux articles imposent que les réquisitoires et la citation qualifient les faits. La
jurisprudence a étendu cette solution aux plaintes des parties civiles. Les tribunaux en ont
déduit que le juge d'instruction perd en matière médiatique son pouvoir habituel de modifier
la qualification, que ce soit lors de la mise en examen ou de l'ordonnance de renvoi.
Diverses conséquences en résultent alors, notamment si les faits sont faussement qualifiés, le
juge ne peut alors que rendre une ordonnance de non-lieu. La partie poursuivant reste ainsi
libre de recommencer la poursuite si son action n’est pas prescrite. Le magistrat instructeur
doit reprendre dans son ordonnance de renvoi l'intégralité des faits objet de sa saisine. Les
contraintes vont au-delà de l'impossibilité de disqualifier. La chambre criminelle a jugé que le
réquisitoire introductif et la plainte avec constitution de partie civile fixent les points sur
lesquels le prévenu aura à se défendre93. Une ordonnance de renvoi ne peut choisir parmi les
propos figurant dans l'acte initial de poursuite que certains d'entre eux. Si le magistrat ne peut
qualifier un délit de presse en un autre ou un délit de presse de droit commun, il peut en
revanche le disqualifier et considérer comme auteur celui qui avait été désigné comme
complice.
À l'image du juge d'instruction, la juridiction de jugement est liée par l'impossibilité de
disqualifier les faits qu'on lui soumet. Toutefois, la Cour de cassation admet une exception
pour la qualification de la diffamation en ce qu’elle est publique ou non. En effet, les juges
93
Cour de Cassation, chambre criminelle, 30 octobre 2012
53/82
L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
peuvent requalifier en diffamation non publique si la publicité fait défaut. L'argument in fine
visant à soulever une qualification erronée n'est pas une exception de procédure, c'est un
élément de fond pouvant être présenté à tout moment du débat .
À la défense du prévenu, une possibilité a été introduite par la loi de 2000, qui stipule que
lorsqu'une instruction qui a été ouverte par une constitution de partie civile se termine par un
non-lieu, les personnes visées dans la plainte ou mise en examen peuvent, sans préjudice
d'une poursuite pour dénonciation calomnieuse, demander des dommages et intérêts au
plaignant, par citation dans les trois mois devant le tribunal correctionnel. Si celui-ci accède à
la demande, il peut en outre ordonner la publication intégrale ou par extrait de son jugement
dans un ou plusieurs journaux au frais du condamné. Néanmoins, tous ces cas particuliers ne
visent que la presse écrite.
Compétence juridictionnelle
La compétence matérielle
Si lors de la rédaction de la loi, en 1881, les infractions de presse étaient jugées par les cours
d’assises, il n’en est plus ainsi aujourd’hui. Elles sont revenues dans le giron du droit
commun, « déférées aux tribunaux correctionnels », avec une particularité pour les crimes,
jugés en cour d’assise, et les contraventions, jugées par le tribunal de police, selon l’article 45.
La compétence territoriale
En matière de compétence territoriale, il s’agit de savoir identifier le juge compétent pour
statuer sur son cas. Pour autant, une atteinte sur l’Internet est particulière par sa nature même
dans la mesure où les conséquences du dommage sont partout et perdurent bien plus
longtemps que dans la presse traditionnelle.
L’article 46 du Code civil prévoit que le tribunal compétent est celui du lieu où le fait
dommageable a des répercussions. Appliqué à l’Internet, cela revient à dire tout endroit où
54/82
L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
une personne peut avoir accès à un site Internet, c’est-à-dire partout aujourd’hui. Ainsi, adapté
à l’Internet, le tribunal compétent est celui où le fait dommageable a été mis à disposition de
chaque utilisateur éventuel du site, donc chaque tribunal de grande instance. L’article 5,
paragraphe 3 du règlement européen n° 44/200194 permet à la partie demanderesse d’attraire
son contradicteur devant le tribunal où « le fait dommageable s’est produit ou risque de se
produire ».
Si, en droit commun, le tribunal compétent est celui du lieu où l’infraction a été commise ou
bien où le dommage a lieu, en droit des média l’élément matériel essentiel de l’infraction est
la publication, elle constitue la cause du dommage, ainsi le tribunal territorialement compétent
est celui où la publication a lieu.
« Dès lors que les déclarations alléguées diffamatoires ont été rapportées par des journaux
mise en vente à Paris et diffusés au cours d’émissions en provenance de la capitale, le tribunal
de Paris est territorialement compétent » selon une jurisprudence du tribunal de grande
instance de Paris95. Le problème posé par la communication par voie électronique est que, si
dans le régime commun au droit des média le juge prend en considération le lieu de la
publication, sur la toile,ce lieu est théoriquement chaque endroit où il est possible d’avoir un
accès à l’Internet. Se pose alors la question de l’internationalité et des conflits de loi et de
juridiction. Dès lors que la faute a été faite par un médium informatique, alors toute
juridiction étrangère peut également être compétente, et partant toute loi nationale.
Le tribunal correctionnel de Paris avait ainsi rejeté, dans l’affaire Yahoo !96, l’exception
d’incompétence territoriale, réaffirmant l’application de la loi pénale. Il précise qu’à « l’instar
de la décision du juge de première instance du district nord de la Californie, le juge français
demeure libre d’adopter les principes de compétence internationale qui sont les siens, pour
sanctionner certaines infractions commises toute ou pour partie à l’étranger et qui sont
susceptibles de porter atteinte aux intérêts nationaux, dans la mesure où, comme en l’espèce,
les messages ou le contenu du site sont rendus accessibles, par l’internet, sur le territoire
français ».
94
Site Eur-Lex (http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:32001R0044:fr:HTML)
TGI Paris, 1 chambre, 1er décembre 1971
96
Tribunal correctionnel de Paris, 26 février 2002, Amicale des déportés d’Auschwitz et des camps de Haute Silésie / Yahoo Inc.
95
55/82
L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
Chaque Etat, s’il est dans l’obligation de respecter les principes posés par les traités
internationaux qu’il a ratifié concernant la liberté d’expression, est libre de le transposer dans
son interne à sa bonne convenance (cf. supra). Le problème pratique pour la victime reconnue
en tant que telle est de faire obtenir l’exécution des condamnations prononcées à l’étranger97.
2.2. Régime de répression et de réparation
Avant d’étudier la sanction, aboutissement de l’exercice de l’action publique (2.2.2), nous
verrons les cas où l’engagement de la responsabilité de la personne poursuivie est écarté
(2.2.1).
2.2.1. La répression et la réparation écartée
Il existe trois cas pour lesquels la répression et la réparation peuvent être écartées :
-
pour la diffamation : l’exceptio veritatis et la bonne foi ;
-
pour l’injure : l’excuse de provocation.
L’exceptio veritatis
Loi du 29 juillet 1881
Article 35
La vérité du fait diffamatoire, mais seulement quand il est relatif aux fonctions, pourra être
établie par les voies ordinaires, dans le cas d'imputations contre les corps constitués, les
armées de terre, de mer ou de l'air, les administrations publiques et contre toutes les personnes
énumérées dans l'article 31. La vérité des imputations diffamatoires et injurieuses pourra être
également établie contre les directeurs ou administrateurs de toute entreprise industrielle,
commerciale ou financière, dont les titres financiers sont admis aux négociations sur un
marché réglementé ou offerts au public sur un système multilatéral de négociation ou au
crédit.
La vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée, sauf :
97
Pour approfondir : Derieux E. « Internationalisation de communication : loi(s) applicable(s) et juridiction(s) compétente(s) », légipresse,
mai 04, n°211.II.60-67 et dans 5e partie du livre Chap 36
56/82
L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
a) Lorsque l'imputation concerne la vie privée de la personne ;
b) (Abrogé)
c) (Abrogé)
L’article 35 de la loi de 1881 prévoit un régime d’engagement de la responsabilité original car
il offre la possibilité à la personne poursuivie pour diffamation d'invoquer l' « exceptio
veritatis », principe instaurant la possibilité de se défendre et de sortir victorieux de la
procédure en établissant l'exactitude et la véracité des imputations ou des allégations qu'on lui
reproche.
Ce fait justificatif obéit à diverses règles particulières ou générales. La règle générale est que
l'exception de vérité est régie par des conditions relatives soit à son domaine soir à ses
modalités.
Domaine de l’exceptio veritatis
L’article 35 admet ainsi que la véracité du fait diffamatoire attaqué puisse toujours être
prouvée, sauf lorsque l’imputation concerne la vie privée de la personne diffamée. Les
domaines d’exception pour lesquels l’exceptio veritatis est exclu sont l'injure et les autres
infractions de presse. À l'origine, il est limité à certaines diffamations spéciales. L’ordonnance
du 6 mai 1944 relative à la répression des délits de presse l'a généralisé à l'ensemble des
diffamations. L’exceptio veritatis peut s'appliquer même lorsque la victime est un particulier.
Toutefois, l'article 35 alinéa 3 prévoit des exceptions à ce principe. Il prévoit que la preuve de
la vérité des faits ne puisse être apportée lorsqu'il concerne la vie privée de la victime ou qu'il
a trait à une infraction amnistiée ou prescrite, ou s’il s’agit d’une condamnation réhabilité ou
révisée. Dans ces deux hypothèses, la personne poursuivie pourra être condamnée même si
par ailleurs les faits étaient vrais. Il est par ailleurs impossible de rapporter la preuve des faits
de plus de 10 ans, cela est contraire à l'article 10 de la CEDH et à la Constitution. Le Conseil
constitutionnel leur attribue en effet un caractère général et absolu dans une question
prioritaire de constitutionnalité datant de 201198. Concernant la question de la compatibilité
98
Conseil constitutionnel, QPC, 20 mai 2011, « Exception de vérité des faits diffamatoires de plus de dix ans », Mme Térésa C. et autre
57/82
L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
de l'admission des faits prescrits ou amnistiés, la Chambre criminelle de la Cour de cassation
a estimé que la preuve de la vérité à l'encontre des faits de plus de 10 ans ne peut être
rapportée.
Avant la généralisation de l'exceptio veritatis, la jurisprudence utilisait la notion de « bonne
foi » pour adapter la répression à chaque affaire et assurer de manière correct la loi. Cette
notion n'a pas perdu toute son utilité. Ainsi, lorsque la preuve de la vérité n'a pu être
administrée, soit car le fait est inexact, soit parce que c’est impossible, soit parce que le
prévenu n'a pas respecté les règles, cela peut laisser place à une relaxe éventuelle si des motifs
légitimes peuvent être invoqués.
Modalités de l’exceptio veritatis
Le législateur a encadré l’exceptio veritatis pas de strictes limites, posées par les conditions
précises des articles 55 et 56 de loi 1881.
Loi du 29 juillet 1881
Article 55 :
« Quand le prévenu voudra être admis à prouver la vérité des faits diffamatoires,
conformément aux dispositions de l'article 35 de la présente loi, il devra, dans le délai de dix
jours après la signification de la citation, faire signifier au ministère public ou au plaignant au
domicile par lui élu, suivant qu'il est assigné à la requête de l'un ou de l'autre :
1° Les faits articulés et qualifiés dans la citation, desquels il entend prouver la vérité ;
2° La copie des pièces ;
3° Les noms, professions et demeures des témoins par lesquels il entend faire la preuve. Cette
signification contiendra élection de domicile près le tribunal correctionnel, le tout à peine
d'être déchu du droit de faire la preuve. ».
Article 56 :
« Dans les cinq jours suivants, en tous cas moins de trois jours francs avant l'audience, le
plaignant ou le ministère public, suivant le cas, sera tenu de faire signifier au prévenu, au
domicile par lui élu, les copies des pièces et les noms, professions et demeures des témoins
par lesquels il entend faire la preuve du contraire sous peine d'être déchu de son droit. ».
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L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
Sur la forme, le prévenu doit, dans les dix jours à compter de la signification de la citation
devant le juge pénal, notifier au ministère public, ou au plaignant, les faits articulés dans la
citation dont il entend prouver la vérité ainsi que la copie des pièces et l'identité des témoins
qu'il produira. Le ministère public et le plaignant doivent, trois jours avant l'audience,
signifier au prévenu la copie des pièces et témoins appelés en défense.
La personne poursuivie dispose d’un délai de dix jours pour apporter la preuve de la véracité
des faits. À propos de ce délai, la Cour de cassation a exclu la possibilité d’une décision de
référé avant l’expiration des dix jours, « privant dans ce cas, de tout intérêt ou utilité le
recours à une procédure d’urgence »99. L’article 56 prévoit par ailleurs que l’incriminé puisse
aussi apporter la preuve contraire.
Ces règles processuelles constituent un véritable carcan à la jurisprudence de la CEDH. Le
juge a du préciser que ce sont des dispositions d'ordre public, de telles sortes que le juge doit
les relever d'offices. Ce moyen de défense peut être soulevé à tout moment de la procédure.
Le juge ne peut intervenir dans l'administration de la preuve, son jugement devant intervenir
sur l'ensemble des faits imputés. Le délai de dix jours ne peut être allongé en raison de la
distance seulement en cas de force majeure.
La possibilité donnée au défendeur de rechercher la preuve de la véracité des faits est
largement permissive. La loi du 4 janvier 2010, relative à la protection des sources des
journalistes, est ainsi venue compléter l'article 35 de la loi 1881 par un nouvel alinéa, selon
lequel le prévenu peut produire pour sa défense, sans que cette production puisse donner lieu
à des poursuites pour recel, des éléments provenant d'une violation du secret de l'enquête ou
de l'instruction ou de tout autre secret professionnel s'ils sont de nature à établir sa bonne foi
ou la vérité des faits diffamatoires. Le législateur a ainsi repris à son compte une
jurisprudence, devenue constante depuis 2003, selon laquelle les droits de la défense imposait
de laisser la possibilité à un juge de produire les procès verbaux d'une instruction en cours
sans craindre en retour des poursuites du chef de recel.
Les règles d’application sont cependant particulières. En effet, quand les faits révélés font
99
Voir Cour de cassation, 2e chambre civile, 5 février 1992, JF Kahn et l’Evénement du Jeudi c/ J-Ch. Mitterrand, Legipresse, février 92,
n°88.III.9 ; conclusion et commentaires Dubois de Prisque et Bertin Ph ; Burgelin JF « la loi sur la presse et le juge civil » Dalloz ; Bruntz
JM et Domingo L « Doctrine d’une rupture annoncée » et Korman Ch « L’événement du mercredi 5 février 1992 » ; Wachsmann P
« L’utilisation de la procédure de référés en matière de diffamation » Dalloz.
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L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
l'objet d'une procédure pénale à l'encontre de la personne diffamée, que l'action publique ait
été mise en mouvement par le parquet ou le diffamateur, la vérité des faits sera établie en cas
de diffamation de la personne diffamée. C'est pourquoi, l'article 35 dernier alinéa prévoit que
le tribunal sursoit à statuer sur la diffamation et à se justifier en lui permettant de trouver dans
la procédure des éléments de preuve afin que le tribunal soit mieux éclairé sur les données de
l'affaire en ayant connaissance des résultats de l'autre instance.
Progressivement la jurisprudence a précisé la portée de cette disposition. Parfois la juridiction
est obligée de surseoir à statuer, d'une part lorsque la preuve des faits diffamatoires est
prohibée par l'article 35, d'autre part quand le témoin pour être entendu dans le cadre de la
preuve de la vérité diffamatoire se trouve poursuivi pour des faits ayant un rapport étroit avec
ceux sur lesquels il doit témoigner.
Dans les autres hypothèses, la juridiction apprécie librement s'il y a lieu d'ordonner le sursis
en fonction d'une bonne administration de la justice. C'est notamment le cas quand il n'y a pas
de rapport étroit entre les faits reprochés aux témoins et les faits diffamatoires dont on veut
prouver la réalité. Toutefois, dans les deux cas, le délai est suspendu.
En conclusion, si toutes ces conditions sont réunies, que l'établissement de la preuve est
possible, que la procédure a été respectée et que les faits diffamatoires apparaissent exacts,
alors l'infraction est justifiée et la répression est écartée. C’est au juge d'apprécier si, au civil,
il existe la possibilité d'établir un caractère fautif et s’il constitue un abus du droit d'opinion
ou de critique. Le cas échéant, l’action en responsabilité civile peut prospérer.
E. Derieux et A. Granchet soulignent ici que « sont ainsi posées des exceptions à des
exceptions à l’interdiction qui est elle-même une exception… Dans ces cas, la preuve de la
vérité des faits allégués est donc permise ! Où se fixe alors la limite ou comment assurer
l’équilibre entre « le droit à l’information » et le « droit à l’oubli » ? »
La chambre criminelle de la Cour de cassation, le 17 décembre 1979100, précise que
« Lorsque, dans une poursuite de diffamation, il y a indivisibilité entre certaines imputations
qui ont trait à la vie privée du plaignant, et d’autres imputations qui sont relatives à ses
fonctions, la conséquence de cette indivisibilité est de rendre la preuve admissible pour le
tout ».
100
Cour de cassation, Chambre criminelle, 17 décembre 1979, n°77-92088.
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Effet de la preuve de l’exceptio veritatis
La preuve de la vérité d’un fait diffamatoire a pour effet la relaxe du prévenu. L’article 35 de
la loi sur la liberté de la presse précise ainsi que si « elle est rapportée, le prévenu sera
renvoyé des fins de la plainte ». Néanmoins, une corrélation doit être clairement établie entre
les faits incriminés et l’allégation qui a été ainsi prouvée.
« La preuve de la vérité des faits doit être parfaite, complète et corrélative aux imputations
diffamatoires, tant dans leur matérialité que dans leur portée ». Attendu que la cour a relaxé la
prévenue, considérant qu’elle avait notifié régulièrement une offre de preuve de la vérité des
faits diffamatoires, « alors que le mobile des faits établi par la pièce produite est différent de
celui allégué par les imputations diffamatoires », la cassation fût prononcée101.
Afin de permettre au prévenu de rechercher les éléments apportant la véracité de la preuve, la
loi a établit que soit la poursuite soit suspendue jusqu’à ce que la décision relative au fait en
cause soit rendue102.
La bonne foi
Dans le domaine de la diffamation, la personne visée par la plainte est présumée être de
mauvaise foi par la loi. Cette présomption de culpabilité se caractérise par le fait que le
prévenu d’une allégation ou d’une imputation diffamatoire ait volontairement agi avec
l’intention de nuire. La défense doit elle-même apporter la preuve de son innocence, de sa
bonne foi, malgré le principe fondateur stipulant que « tout homme est réputé innocent ».
Cependant, d’aucuns considèrent que l’entorse au principe d’innocence n’est pas trop
importante dans la mesure où, se défendant par son innocence, il répond à une plainte qui fait
suite à une accusation lancée contre la personne qui s’estime diffamée.
Ainsi, hormis les immunités prévues à l’article 41 de la loi de 1881, l’auteur de l’action
diffamatoire devra prouver son innocence, soit en prouvant sa bonne foi, soit en prouver la
véracité des faits qu’il avance.
101
102
Cour de cassation, Chambre criminelle, 29 mars 1997, Mme de Bouvier de Cachard, Légipresse, mai 1998
dernier alinéa de la loi du 29 juillet 1881
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Anne-Laure Roux
Les effets de la bonne foi
La bonne foi est prouvée une fois que l’auteur des allégations ou imputations diffamatoires est
réputé ne pas avoir agi intentionnellement avec la volonté de nuire, en d’autres termes faisant
preuve de « mauvaise foi ». Toutefois, la démonstration de l’absence de mauvaise foi est
souvent difficile, sinon matériellement impossible, à apporter. La jurisprudence est ainsi
régulièrement amenée à s’attacher à la démonstration seule de la preuve de bonne foi.
La bonne foi est le mode de défense le plus fréquemment utilisé dans les cas de diffamation,
souvent considéré comme suffisant par le juge. Cela revient à moins de complication pour la
défense qu’utiliser le principe de l’exceptio veritatis, qui, somme toute, regroupe un certain
nombre de contraintes. Toutefois, la bonne foi est également strictement encadrée : « La
croyance dans l’exactitude des faits allégués ne saurait suffire à détruire la présomption de
mauvaise foi qui pèse, de droit, sur celui qui publie une imputation diffamatoire » selon une
jurisprudence de la Cour de cassation du 18 mai 1954103.
« Les imputations diffamatoires portent en elles-mêmes l’intention de nuire (…). Celle-ci peut
être écartée seulement lorsque les juges relèvent les faits justificatifs suffisants pour faire
admettre la bonne foi (…) ni la croyance dans l’exactitude des faits alléguées, fût-elle
démontrée, ni l’intention d’éclairer le public, ni les réserves et restrictions ultérieures ne
constituent des faits justificatifs »104.
Les démonstrations de bonne foi sont ainsi la preuve de prudence et de précaution de la part
de la personne poursuivie, avec une approche journalistique professionnelle du sujet,
concernant la formulation des propos, la recherche de sources fiables ou encore les
vérifications nécessaires à tout propos incriminant un tiers. Il est important que soit prouvé
que les faits litigieux n’aient pas été inspirés par la seule intention de nuire.
La jurisprudence a dégagé quatre critères principaux afin de déterminer la preuve de la bonne
foi :
103
104
la légitimité du but poursuivi,
Cour de cassation, chambre criminelle, 18 mai 1954, JCP 1954.II.8247.
Cour de cassation, chambre criminelle, 3 janvier 1970, JCP 1970.II.16279.
62/82
L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
-
l’absence d’animosité personnelle,
-
le sérieux de l’enquête et la fiabilité des sources,
-
la prudence dans l’expression.
C’est ainsi que le 12 mai 2010, le juge du TGI de Paris a prononcé la relaxe d’un journaliste
sous le motif de la bonne foi105. En effet, ce dernier avait écrit un article en reprenant des faits
datant de quarante-cinq ans auparavant, concernant la condamnation d’une personnalité
politique, mineure à l’âge des faits. Tout en reconnaissant l’existence de propos diffamant, le
juge a retenu que l’ancienneté des faits témoignait du peu d’intention de nuire du
journaliste106.
La provocation
Si, la plupart du temps, l’injure et la diffamation sont encadrées par les mêmes principes, les
modes de défense pour chacune des infractions sont différents. Cela a trait à la nature même
de ces deux infractions. En effet, le délit d’injure ne peut être défendu par la preuve de la
vérité dans la mesure où, dans sa définition même, l’injure ne se rapporte à aucun fait en
particulier. Pour les mêmes raisons, le défendeur ne peut arguer la bonne foi. Ainsi, si les faits
et leurs qualifications sont correctement établis dans la citation ou le réquisitoire et que la
procédure a été respectée, l’auteur de l’injure verra sa responsabilité engagée, ce de manière
quasiment automatique.
Le législateur a cependant mis à disposition du prévenu une excuse absolutoire comme moyen
de défense, l’ « excuse de provocation ». S’applique alors cette cause légale d’exemption de
la peine lorsqu’il y a eut provocation préalablement à l’injure attaquée. Il s’agit d’une injure
proférée en réponse au comportement d’un tiers qui lui a fait perdre son sang-froid. Cette
cause dispense la peine, mais ne fait pas disparaître le délit car injurier n’est pas l’exercice
d’un droit en soi, même à cause d’une provocation.
Cette possibilité offerte à la défense est toutefois strictement encadrée par la loi, en effet elle
ne s’applique que pour l’injure envers le particulier et non pour les autres catégories. Par
105
TGI Paris, 17e chambre, 12 mai 2010, Patrick D. / Nice Matin, Eric D.
cf. notamment sur la bonne foi « Le droit de la presse : une spécialité légitime ou dépassée ? » d’Actes du Forum Legipresse, 29/09/05,
Legicom n°35, pp 145-178.
106
63/82
L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
ailleurs, même si elle est admise, elle n’est pas toujours facile à établir. Il faut qu’il y ait une
relation directe entre la provocation et l’injure, qu’il existe une certaine corrélation de nature
ou d’intensité, et sans doute aussi dans le temps. À défaut, l’infraction sera établie et la
condamnation devra être prononcée. Il n'est pas nécessaire que le fait soit délictueux mais elle
doit être injuste et susceptible de faire perdre son sang froid au prévenu. Le délai entre les
deux ne doit pas être long. Peu importe que la publication soit publique ou non. « La
provocation n’ayant pas été définie par la loi, doit s’entendre de tout fait accompli
volontairement dans le but d’irriter une personne et venant, par suite, expliquer ou excuser les
propos injurieux qui lui sont reprochés »107.
L'appréciation de ces conditions se fait selon le cas d'espèce. La preuve de cette cause
d'exemption revient à celui qui l'invoque. Relativement aux conséquences de la provocation,
elle supprime toute condamnation et exclue la responsabilité civile de la personne provoquée.
Toutefois, ces exemptions de bonne foi, de véracité des faits ou de provocation préalable ne
suffisent pas toujours à ne pas engendrer de sanction après une diffamation ou une injure.
2.2.2. Les sanctions
Loi du 29 juillet 1881
Article 32
La diffamation commise envers les particuliers par l'un des moyens énoncés en l'article 23
sera punie d'une amende de 12 000 euros.
Article 45
Les infractions aux lois sur la presse sont déférées aux tribunaux correctionnels sauf :
a) Dans les cas prévus par l'article 23 en cas de crime ;
b) Lorsqu'il s'agit de simples contraventions.
Particularités de la procédure de 1881
107
Cour de cassation, Chambre criminelle, 17 janvier 1936, Gaz. Pal. 1936, ï, p. 320
64/82
L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
Le régime de mise en cause de la responsabilité de l’auteur d’allégation ou d’imputation met
en place des particularités qui ont bien souvent pour résultat de freiner l’engagement de
poursuite et de sanction au détriment de la personne diffamée ou injuriée, et au bénéfice des
acteurs des média, qui lui manifestent logiquement un très fort attachement108. Certains
auteurs ont d’ailleurs qualifié cette spécificité de traquenard procédural, constituée par une
extrême complexité, disposant de nombreux obstacles juridiques avant que la victime
légitimement atteinte dans son droit au respect de la réputation ne puisse faire cesser le
préjudice qui lui est porté. Les exemples ne manquent pas, tels les courts délais de
prescription pour engager l’action en justice ou bien la manifestation de la véracité des faits
pour dédouaner l’auteur des faits litigieux d’une atteinte à la vie privée.
« C’est là une position fort contestable et, en tout cas, difficilement acceptable aujourd’hui.
Ce n’est pas ou plus, ici, la liberté qui est « formelle » mais la répression ou sanction qui
devient ou demeure tout à fait « virtuelle ». Il n’est pas bon, pour l’efficacité et l’autorité de la
loi et du droit, de prévenir ou maintenir des sanctions que l’on sait ne pas vouloir ou ne pas
pouvoir appliquer. Non retenues par les juges, ou seulement à leur taux le plus bas, de telles
sanctions sont actuellement privées du caractère dissuasif ou préventif que, dans l’intérêt de la
préservation de l’ordre social, on prétend leur donner. »104.
Les peines encourues par l’auteur des faits litigieux, les cas restrictifs de condamnation pour
récidive ou encore les faibles peines complémentaires sont autant de faits qui témoignent de la
volonté du législateur et du juge de protéger les destinataires du régime dérogatoire du droit
de la presse au détriment des droits extrapatrimoniaux de la personne.
La répression engagée
Loi du 29 juillet 1881
LA DIFFAMATION : article 32
« La diffamation commise envers les particuliers par l'un des moyens énoncés en l'article 23
sera punie d'une amende de 12 000 euros. (…) En cas de condamnation pour l'un des faits
108
DERIEUX Emmanuel, GRANCHET Agnès, Le Droit des Médias, LGDJ, 2008, 1092 p.
65/82
L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
prévus par les deux alinéas précédents, le tribunal pourra en outre ordonner : 1° L'affichage
ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l'article 131-35 du
code pénal. »
L’INJURE : article 33
« L'injure commise de la même manière envers les particuliers, lorsqu'elle n'aura pas été
précédée de provocations, sera punie d'une amende de 12 000 euros. (…) En cas de
condamnation pour l'un des faits prévus par les deux alinéas précédents, le tribunal pourra en
outre ordonner : 1° L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions
prévues par l'article 131-35 du code pénal. »
Régime commun d’engagement de la répression pour l’infraction de diffamation et
d’injure
Initialement, des peines d’emprisonnement étaient prévues dans la loi de 1881, retirées par la
suite avec la loi du 15 juin 2000, renforçant la protection d’innocence et les droits des
victimes109. Partant, les amendes sont les principales peines pour l’engagement de la
responsabilité pénale de l’auteur d’une diffamation ou d’une injure reconnue comme telle par
le juge. Beaucoup se sont interrogés sur la portée de ces amendes données par le juge, souvent
considérées comme trop importantes par rapport à l’importance du préjudice subit. En effet,
par deux jugements du 6 janvier 2011, le TGI de Nanterre a condamné deux journalistes à
payer des dommages et intérêt à hauteur de 40.000 euros à David Douillet pour diffamation,
s’ajoutant à une amende de 6.000 euros110. Or, en droit français, le principe de l’amende, ou
des dommages et intérêts alloués en civil, est qu’il faut qu’elle soit équivalente au préjudice
subit, contrairement au droit anglo-saxon où les sommes sont dites « punitives », souvent bien
plus élevé que la portée du préjudice en lui-même.
E. Derieux et A. Granchet se questionnent dans ce sens, soulevant la question de la manière
suivante : « Ne pourrait-on s’inspirer par exemple de certaines dispositions concernant les
infractions à la réglementation relative à la publicité pour l’alcool ou à la publicité
mensongère, prévoyant que « le maximum de l’amende peut être porté à 50 % des dépenses
109
Loi n°2000-516 du 15 juin 2000
(http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000765204&dateTexte=&categorieLien=id)
110
TGI Nanterre, 1e chambre civile, 6 janvier 2011, David Douillet / Bakchich et autres
66/82
L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
consacrées à la publicité illégale » et prendre en compte le volume des recettes ? Ne pourraiton ou ne devrait-on transposer ici une formule du type de celle qui est contenue à l’article 422 de la loi du 30 septembre 1986 qui, à propos du pouvoir de sanction du CSA, pose que la
sanction pécuniaire « doit être fonction de la gravité des manquements commis et en relation
avec les avantages tirés du manquement » ? »111.
Malgré des sanctions financières parfois considérées comme disproportionnées, les peines
encourues par l’auteur de l’infraction ne sont pas tant strictes que celles prévues par le droit
commun. Ainsi, les peines ne se cumulent pas, selon l’article 63 de la loi de 1881, tout
comme la récidive qui n’est pas prise en compte.
L’article 63 de la loi de 1881 ne prévoit que « l’aggravation des peines résultant de la
récidive » qu’à l’égard des seules diffamations raciales, excluant tout autre type de
diffamation.
À ce titre, à propos des diffamations et des injures sur l’Internet, il est intéressant d’étudier le
phénomène de « cyber-harcèlement ». Le terme se rapporte une « publication de manière
répétée dans le temps et/ou sur un grand nombre de sites Internet des informations destinées à
salir la e-réputation d’une personne physique ou morale »112.
En effet, le « cyber-harcèlement », s’il concerne la vie privée, entre dans le champ de
compétence de la loi sur la liberté de la presse condamnant l’abus de liberté d’expression. Le
terme en lui-même implique qu’il y ait une répétition des allégations, et pourtant la loi de
1881 ne prévoit aucune mesure particulière pour une infraction de presse répétée, à la
différence du droit commun.
Il existe cependant des peines complémentaires s’ajoutant aux peines principales, en
particulier à la suite d’une ordonnance du 13 août 1945 modifiant les articles 61 et 62 de la loi
de 1881, en matière de sanction des infractions. Au titre de ces peines complémentaires,
l’auteur des faits incriminés peut se voir confisquer, supprimer ou détruire l’écrit servant de
support, pour les infractions considérées comme les plus graves. Le juge a la possibilité
également d’ordonner la suspension du journal ou périodique, réceptacle de l’allégation. Mais
de telles sanctions ne sont-elles pas un frein à la liberté de la communication ?
111
112
DERIEUX Emmanuel, GRANCHET Agnès, Le Droit des Médias, LGDJ, 2008, 1092 p.
Site du cabinet (http://www.cordelier-avocat.fr/news.php?id=e-reputation-internet-diffamation-injure-photo-de-nu-vie-priv%C3%A9e)
67/82
L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
La répression engagée en matière de diffamation
L’auteur d’une diffamation reconnu coupable par le juge pénal s’expose à une amende de
12.000 euros, accompagnée de l’affichage ou de la diffusion, pour l’Internet notamment, de la
décision. La publication devrait jouer un rôle de dissuasion ainsi que de sanction du trouble
social, mais sa portée semble relative par rapport à l’apport théoriquement supposé de cette
obligation. L'article 63 de la loi de 1881 ajoute que les aggravations dues à la récidive sont
exclues pour la diffamation.
Le diffamatoire est condamné s’il ne peut soulever l'exception de vérité de telle sorte que,
même si les faits répandus sont exacts, la répression résultant de la mise en cause de sa
responsabilité pénale s’applique. Plusieurs hypothèses s’y rattachent, notamment si les faits
touchent à la vie privée, ou s’ils constituent des infractions prescrites ou amnistiés ou
intéressent des condamnations faisant l’objet de révision.
Dans les cas où les faits touchent à la vie privée. Le concept de vie privée est difficile à établir
et varie selon les époques. Il recouvre les faits ne concernant pas le public mais seulement la
personne, tel que sa santé...etc, à l'inverse de la profession ou de la fonction. Si la preuve d’un
fait touchant à la vie privée ne peut être établie, le droit d'expression doit alors céder devant
l'impératif du respect de la vie personnelle. Cette disposition est issue de l’article 8 de la
CEDH. Existe aussi les situations dans lesquelles les faits remontent à plus de 10 ans. Pour
que le sujet de droit ne soit pas perpétuellement troublé par la révélation ou rappel
d’événement, le législateur avait fait céder la liberté d’expression devant le droit à l'oubli.
Toutefois, la jurisprudence européenne et une décision du Conseil constitutionnel ont fait
disparaître cette clause d'exclusion. Enfin, si les faits constituent d'infractions prescrites ou
amnistiés ou intéressent des condamnations faisant l'objet de révision, la liberté d’expression
cède devant l'impératif d’ordre public de la procédure pénale. Dans ces différentes
hypothèses, le diffamateur ne pourra pas essayer d'établir la vérité des faits évoqués et sera
condamné.
Une précision toutefois, lorsque des faits diffamatoires font l'objet de condamnation pénale
dans une autre procédure, le tribunal qui juge le diffamateur a l'obligation ou la possibilité,
selon les hypothèses, de surseoir à statuer afin de prendre connaissance de la condamnation
68/82
L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
éventuelle et de modifier le cas échéant la réparation pénale et civile que devra subir le
diffamateur.
Il existe une particularité procédurale propre à certaines diffamations. En effet, la loi de
janvier 1993 a introduit dans la loi de 1881 l’article 65-2, disposant que cette particularité
prend forme dans les cas d'imputation portant sur un fait susceptible de revêtir une
prescription pénale. L’intéressé dispose de trois mois, à compter du jour où est devenue
définitive une décision pénale, intervenue sur le fait et le mettant hors de cause. Cette
disposition vise à mieux protéger le principe de la présomption d'innocence.
La répression engagée en matière d’injure
En matière d’injure, la répression est consacrée lorsque la personne incriminée ne peut pas
s’exonérer avec l’excuse de provocation. Le délit d'injure est ainsi réprimé par une amende de
12.000 euros s’ajoutant à l’obligation d’affichage ou de diffusion de la décision sur le support
de communication en cause. Si l’injure a été proférée dans des discours ou écrits à l'occasion
d'un procès, les juges peuvent ordonner la répression civile, ce même en l’absence de peine
judiciaire.
La répression de l'injure et de la diffamation obéit aux règles relatives à la récidive,
compétence, citation, ainsi qu’aux prescriptions spécifiques à l'ensemble des dispositions
médiatiques, précisées par la loi de 1881.
La réparation du préjudice
L’engagement de la responsabilité civile de l’auteur d’une diffamation ou d’une injure se
caractérise par la réparation du préjudice subit par la victime. Elle se caractérise par la
réparation du dommage causé, c’est-à-dire le paiement de dommages et intérêt, pouvant
également s’accompagner, comme pour la responsabilité pénale, d’une obligation de
publication de la décision ou d’un extrait.
69/82
L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
OPPORTUNITÉ DE LA PROCÉDURE CONTENTIEUSE
Afin d’apprécier l’opportunité d’une action devant un tribunal, il est important de comprendre
les enjeux de la e-réputation (3.1), pour analyser par la suite les effets que peut avoir une
action en justice (3.2).
3.1. Enjeux de la e-réputation
L’exposition du sujet de droit
Les enjeux de ce phénomène qu’est la e-réputation dépassent la simple gestion d’une bonne
image sur l’Internet. C’est devenu, pour les entreprises en particulier, un facteur de
différenciation et d’avantage concurrentiel, qui peut s’avérer un atout puissant pour le
développement de la structure autant qu’un facteur de chute d’une renommée, d’une
perception sur le marché. Le Professeur Raghavan, de la SDM Institute for management
development de Mysore, le précise d’ailleurs dans les termes suivants « Le risque de
réputation est le point de départ de tous les risques. Si vous n’avez pas de réputation, vous ne
faites pas de business. »113. Il est donc primordial, pour une entreprise, de conserver une
bonne réputation, tout au long de sa vie114. De la même manière, une personne qui se sert de
son image comme d’une arme de commercialisation, à l’image des vedettes de cinéma, se doit
de conserver une réputation à la hauteur de son activité, si celle-ci le requiert bien
évidemment.
C’est une des raisons de l’intérêt qu’apporte une étude juridique de l’encadrement de la eréputation. En effet, non seulement l’honneur et la considération de la personne sont
protégées en elles-mêmes, mais plus encore cette protection vient servir également les intérêts
de notre économie, à travers la protection des entreprises nationales dans leur rayonnement
international.
Aussi, si la réputation apparaît comme l’un des éléments de « Soft Power »115 si l’on peut
dire, elle est pourtant davantage mise en difficulté avec l’apparition de ce nouveau moyen de
113
FILLIAS Édouard, VILLENEUVE Alexandre, E-Réputation, Stratégies d’influence sur Internet, Ellipses, 2013, 325 p.
La vie légale d’une entreprise est de 99 ans.
115
NYE Joseph, Bound to Lead : The changing nature of American Power, New York : Basic Books, 1990 et The Future of Power, New
Yoek : PublicAffairs, p. 84.
114
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L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
communication qu’est l’Internet, et son développement à travers ce qu’on appelle aujourd’hui
le Web 2.0. Les chiffres founis par l’agence Fleishmann-Hilard & Institut Harris interactive116
parlent d’eux-mêmes, présentant dans un baromètre de l’influence numérique en 2010 que
l’Internet est deux fois plus influent que la télévision.
Les entreprises sont donc confrontées à la problématique de préserver sur l’Internet leur
réputation acquise, de manière à assurer la pérennité de leur marque, leur image, ou leur
renommée. Cette préoccupation est une conséquence directe de l’importance croissante du
poids des marques dans la valorisation financière d’une entreprise ou d’un produit. La marque
commerciale est devenue une valeur de l’entreprise, les marques sont jugées en même temps
sur le « corporate » et le commercial sur l’Internet.
Si le terme adapté pour une entreprise sur l’Internet est « l’e-réputation », pour une personne
physique il s’agit de « personal branding », bien que le principe reste le même. Comment
protéger sa réputation sur l’Internet ? Nous l’avons vu précédemment, il existe tout un attirail
juridique issu du droit des média qui prohibe la possibilité à l’internaute d’écrire et soutenir
des propos portant atteinte à la réputation et à l’honneur de tout un chacun. Les délits d’injure
et de diffamation sont théoriquement sanctionnés par le droit. Pour autant, il semble que,
d’une part, comme le soutiennent E. Derieux et A. Granchet117, ce droit est largement
favorable à la défense de l’auteur des propos au détriment de la personne bafouée, et d’autre
part, la portée d’une action juridique est à remettre en perspective.
La victime injuriée ou diffamée trouvera pourtant la possibilité de protéger sa e-réputation
grâce à des systèmes de règlement à l’amiable. Il existe en effet non seulement des instances
de protection auxquelles il est possible de recourir pour contacter la personne à l’initiative de
la diffamation ou de l’injure, afin que le différend se règle avant d’aboutir à un procès, mais
également un droit reconnu à la victime appelé « droit à l’oubli ».
Les instances de protection
L’instance de protection française
116
117
FILLIAS Édouard, VILLENEUVE Alexandre, E-Réputation, Stratégies d’influence sur Internet, Ellipses, 2013, 325 p.
DERIEUX Emmanuel, GRANCHET Agnès, Le Droit des Médias, LGDJ, 2008, 1092 p.
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L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
En France, il existe une autorité administrative indépendante, la Commission Nationale de
l’Informatique et des Libertés (CNIL)118, instituée par la loi n°78-17 du 6 janvier 1978
relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, modifiée en 2004.
Comme c’est énoncé sur son site Internet, la CNIL a pour mission principale de veiller à ce
que la protection des données personnelles sur l’Internet soit respectée. Pour ce faire, elle
dispose d’un pouvoir de contrôle, un pouvoir de sanction, un pouvoir d’alerter et de conseil,
afin de « veiller à ce que le développement des nouvelles technologies ne porte atteinte ni à
l’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles
ou publiques ».
En formation plénière, sa mission est d’adopter des délibérations, de rédiger des rapports sur
l’état du traitement et des fichiers informatiques et d’examiner des projets de loi et de décret
pour avis soumis par le Gouvernement. Elle peut également procéder à des auditions à la
demande de personnes concernées ou de sa propre initiative.
En formation restreinte, elle peut prononcer des sanctions à l’issue d’une procédure
contradictoire, en condamnant les responsables à payer des amendes ou bien de cesser leurs
activités par exemple.
Une de ses nombreuses missions, en plus d’informer, réguler ou sanctionner, et de protéger le
citoyen dans l’exercice de ses droits. Son site le proclame, « Toute personne peut s’adresser à
la CNIL en cas de difficulté dans l’exercice de ses droits ». Les droits qui sont reconnus
l’internaute sont notamment le droit d’accès, le droit d’opposition et le droit de rectification.
« Toute personne peut prendre connaissance de l’intégralité des données la concernant dans
un fichier en s’adressant directement à ceux qui les détiennent, et en obtenir une copie dont le
coût ne peut dépasser celui de la reproduction. ». Par ailleurs, « Toute personne peut faire
rectifier, compléter, actualiser, verrouiller ou effacer des informations la concernant. ».
Bien qu’elle soit dédiée à la protection des données personnelles, concernant la protection de
la e-réputation, la CNIL n’est pas à proprement parler l’instance à laquelle un particulier
doive s’adresser pour faire entendre son droit. Pour autant, il lui est possible, en amont d’une
procédure contentieuse ou pour l’éviter, de faire une demande particulière à l’instance, afin de
faire retirer les informations litigieuses.
118
Site la CNIL (www.cnil.fr)
72/82
L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
Il existe en effet, sur le site de la CNIL, une rubrique intitulée « plainte en ligne », qui est
courrier-type de demande de suppression des données litigieuses. Il est donc possible à
l’internaute de faire retirer toute information sur sa personne qu’il considère comme
personnelle et privée, grâce à l’intermédiaire que la CNIL représente.
À titre d’information, il existe également en France une section de la police nationale,
rattachée au Ministère de l’intérieur, appelée « l’Office central de lutte contre la criminalité
liée aux technologies de l’information et de la communication ». Toutefois, cette dernière
n’entre pas dans le champ de la protection de la réputation sur l’Internet, dans la mesure où
une action du Ministère public dans ce domaine est uniquement déclenchée par une plainte
préalable de la victime.
L’instance de protection européenne
Il existe par ailleurs d’autres entités au service de la défense des droits des internautes, au
niveau européen notamment, avec la mise en place en 2001 d’un « Contrôleur européen de la
protection des données »119, dont les objectifs sont sensiblement comparables à celles de la
CNIL. En accord avec le principe de subsidiarité, le stade initial pour agir dans ce genre de
cas est de s’adresser au responsable du traitement des données national. Si le résultat n’est pas
satisfaisant, alors il est possible de déposer une plainte auprès du contrôleur de la protection
des données. Si ce dernier estime qu’il y a faute, alors il peut, soit ordonner à l’institution ou à
l’organe concernés « la rectification, le verrouillage, l’effacement ou la destruction des
données à caractère personnel » faisant l’objet d’un traitement illicite.
Une instance de protection internationale ?
Si l’évolution du droit face à la révolution numérique, ou tout du moins la prise de conscience
des institutions de pouvoir, marque une réelle volonté d’encadrer la protection de la vie privée
sur l’Internet, à l’image des multiples conférences et résolutions prises par les instances
119
Site du contrôleur européen de la protection des données (https://secure.edps.europa.eu/EDPSWEB/edps/EDPS?lang=fr)
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L’encadrement juridique de la e-réputation
Anne-Laure Roux
internationales telles que la Résolution de Madrid120 ou les déclarations du G8121, la
protection de l’atteinte à l’honneur et à la réputation, pourtant proclamée dans l’article 12 de
la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, n’est pas encore strictement un
sujet d’attention à proprement parler actuellement.
Le droit à l’oubli
Le Parlement européen et le Conseil ont établi une directive concernant le traitement des
données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des
communications
électroniques,
intitulé
« Directive
vie
privée
et
communications
électroniques »122. Elle établit que « L’Internet bouleverse les structures commerciales
traditionnelles en offrant une infrastructure mondiale commune pour la fourniture de toute
une série de services de communications électroniques. Les services de communications
électroniques accessibles au public sur l’Internet ouvrent de nouvelles possibilités aux
utilisateurs, mais présentent aussi de nouveaux dangers pour leurs données à caractère
personnel et leur vie privée. »123.
Ainsi le droit communautaire reconnaît que l’Internet est venu bouleverser le monde des
télécommunications, ayant une influence jusqu’à la protection de la vie privée du sujet de
droit, droit fondamental reconnu par l’ensemble des textes internationaux. L’objectif de cette
directive est de protéger les droits et libertés fondamentaux des personnes physiques et les
intérêts légitimes des personnes morales, notamment eu égard à la capacité accrue de stockage
et de traitement automatisés de données relatives aux abonnés et utilisateurs124.
La LCEN de la même manière protège également les données à caractère personnel des
individus, c’est pourquoi l’obligation de conservation des données est aussi assortie d’une
obligation d’effacement des données de connexion.
L’obligation d’effacement est prévue par l’article L34-1 alinéa 1er du CPCE. Cet article
120
Résolution de Madrid, 4-6 novembre 2009
(http://www.privacycommission.be/sites/privacycommission/files/documents/normes_internationales_madrid_2009.pdf)
121
Article de la CNIL (http://www.cnil.fr/linstitution/actualite/article/article/le-g8-appelle-a-la-definition-dapproches-communes-dans-ledomaine-de-la-vie-privee/)
122
Directive 2002-58 du Parlement européen et du Conseil du 12 juillet 2002 (http://eurlex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2002:201:0037:0047:fr:PDF)
123
Article 6 de la directive 2002-58.
124
Article 7 de la directive 2002-58.
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prévoit également une alternative à l’effacement des données, il précise que les opérateurs
effacent ou rendent anonymes toutes données relatives au trafic. Cet article est complété par
un décret du 26 mars 2006 relatif à la conservation des données de communication
électronique. Ces dispositions figurent à l’article R20-12 et suivant du CPCE. Au titre de cet
article, les données de trafic sont des informations rendues disponibles par les procédés de
communication électronique susceptibles d’être enregistrées par l’opérateur à l’occasion de
communications électroniques dont il assure la transmission.
Ainsi, ces différentes lois se réfèrent à la protection de la personne physique ou morale contre
le stockage de données qu’elle a fournies sur un moyen de communication électronique. Pour
autant, bien que cette faculté soit initialement prévu pour supprimer un « compte » à
proprement parler, elle a par ailleurs souvent été utilisée dans l’objectif de faire supprimer une
information ou un document sur l’Internet, attentatoire à la vie privée et plus particulièrement
à l’honneur et à la réputation de la personne visée. Ainsi, le juge des référés du tribunal de
grande instance de Nanterre, le 1e septembre 2011125, a rendu une ordonnance pour une
affaire dans laquelle la demanderesse avait sollicité la communication de données conservées
depuis plus d’un an. Il s’agissait du film où l’actrice Stella apparaissait à moitié dénudée, dans
lequel elle souhaitait faire supprimer ces images. Au terme de cette procédure, le juge n’a pas
répondu à la question de savoir s’il était possible de consulter des images conservées depuis
plus d’un an, arguant que cela n’était pas de sa compétence.
Cette question présente un caractère ancien, ce droit vient du droit de la presse dont un des
fondements est que chaque individu doit avoir la possibilité de faire disparaître l’énoncé de
faits notamment diffamatoires ou de faits compromettant voir douloureux de sa vie privée.
Avec l’Internet, la problématique s’est renouvelée voire amplifiée. Est- ce que toute personne
peut revendiquer ce droit alors que le stockage des données est illimité ?
À titre d’exemple, un juge avait reconnu le droit à l’oubli à une institutrice qui avait vu
apparaître sur l’Internet un film pornographique par son ancien compagnon.
Longtemps, le droit à l’oubli a été consacré par le droit, par la loi de 1978 notamment,
l’article 28 précisant que les informations ne doivent pas être conservées sous une forme
nominative au-delà de la durée prévue à la demande d’avis ou la déclaration. C’est le principe
de finalité et proportionnalité du traitement qui s’applique. Les informations notamment
125
TGI Nanterre, Ordonnance en référé, 30 novembre 2012, UMP / Oracle.
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connues par les opérateurs peuvent être effacées au bout d’un an.
Pour autant, ce droit ne s’applique pas aux éditeurs ; de plus il y a une incertitude sur son
application directe au serveur.
Les règles communautaires, et notamment la directive du 24 octobre 1995126, ont érigé au
niveau de principe le consentement pour la conservation des données numériques. C’est le
principe de l’OT in qui se différencie du principe de l’OPT-OUT : ne pose pas le
consentement préalable comme la règle. Le opt out ne permet à l’internaute que de s’opposer
a posteriori a l’information.
L’explosion des réseaux sociaux étant postérieur à cette directive, leur développement justifie
une adaptation du droit applicable. Cela se fait en plusieurs temps. Sur le plan du médium
Internet, le 13 octobre 2010127, le ministre compétent a signé une charte sur le droit à l’oubli
avec une dizaine d’acteurs de l’Internet, Viadéo, Microsoft, Copainsd’avant, Trombi.com....
Il s’agit de garantir la protection de la vie privée en améliorant la transparence de
l’exploitation des données publiées par les internautes et faciliter la gestion de ces données.
La charte a pour but d’éduquer les internautes et protéger les mineurs. Il s’agit de la question
de l’exposition de soi. Le droit à l’oubli en tant que tel n’est pas évoqué par les textes. La
charte se contente de dire que les données personnelles ne seront plus indexées
automatiquement. Par exemple, la multinationale Google n’a pas signé cette charte, le moteur
de recherche continue à répertorier des entrées plus ou moins lointaines consacrées à la vie
perso d’un individu. Compte tenu de cette omission de la charte, la volonté de la commission
européenne est de créer un véritable droit à l’oubli. Cela apparaît dans le projet actuellement
discuté de protection des données personnelles.
Il s’agit de la réforme de la directive du 24 octobre 1995122, qui s’appuie sur un principe
relatif au droit à l’oubli. Les données personnelles appartiennent à la personne, par
conséquent, si la directive est mise en œuvre, les individus devront donner un consentement
explicite avant qu’il soit possible d’utiliser les données qu’ils auront fournies. Cela implique
un droit de reprise des données par la personne et donc un droit à l’oubli numérique.
126
Directive 95/46/CE du Parlement européen et du conseil, 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du
traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (http://eurlex.europa.eu/smartapi/cgi/sga_doc?smartapi!celexapi!prod!CELEXnumdoc&numdoc=31995L0046&model=guichett&lg=fr).
127
Article sur la Charte du droit à l’oubli (http://www.cil.cnrs.fr/CIL/IMG/pdf/CHARTE_DU_DROIT_A_L_OUBLI.pdf).
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Ainsi, même si la victime d’une diffamation ou d’une injure peut porter plainte devant le juge
français, il reste à étudier les effets d’une poursuite contentieuse sur le sujet principal de ce
propos : sa réputation.
3.2. Effets d’une action en justice
Quels sont les effets d’une action en justice ? S’il semble que l’opportunité de faire valoir ses
droits devant un tribunal est relative (3.2.1), c’est aussi parce que la e-réputation est
aujourd’hui devenu un business qui profite à de nombreux acteurs, et notamment certains
venant du monde du droit (3.2.2).
3.2.1. L’opportunité de faire valoir ses droits
Si la victime peut se défendre par des moyens de contrôle a priori, incarné par des instances
nationales ou internationales venant défendre les droits de l’internaute, ou se prémunir de
répercussion grâce au droit à l’oubli, il n’en reste pas moins que le droit aujourd’hui ne
semble pas la meilleure réponse à une attaque à sa réputation sur l’Internet. Comme le
précisent E. Fillias et A. Villeneuve128, « Une action en suppression peut rendre populaire un
contenu invisible. Si c’est un réflexe bien naturel que de faire défendre ses droits, il faut
intégrer la culture Web pour ne pas aggraver la situation. ». En effet, la publicité autour d’un
procès peut rendre un propos litigieux plus connu aux yeux du grand public qu’il ne l’était
auparavant. Or, il faut bien garder en tête que l’objectif final de la personne qui porte plainte
est de conserver sa réputation sauve, ou du moins de la laver de toute atteinte sur la place
publique.
L’effet néfaste du procès ou l’effet Streisand
Cet effet pervers créé par la publicité autour du procès a été surnommé l’ « effet
Streisand »124, issu de l’affaire menée par Barbara Streisand à l’encontre d’un photographe
aérien qui avait pris en photo sa propriété, avant de poster le cliché sur un site Internet à
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FILLIAS Édouard, VILLENEUVE Alexandre, E-Réputation, Stratégies d’influence sur Internet, Ellipses, 2013, 325 p.
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vocation géographique, qui présentait bien d’autres images de propriétés similaires. Or, le fait
qu’elle ait porté plainte a rendu la photographie populaire, bien plus qu’elle ne pouvait l’être
auparavant.
Il existe des cas pour lesquels il ne fût pas bénéfique à l’image de marque d’une entreprise ou
d’un produit d’avoir fait valoir sa protection par le biais du droit. À titre d’exemple, la société
Constantin Film, producteur du film La Chute, réalisé par Oliver Hirschbiegel, avait demandé
à Youtube et Dailymotion, les deux sites Internet les plus importants en matière de diffusion
de vidéos gratuites, de faire valoir ses droits pour toute reproduction et détournement de la
célèbre scène où apparaît le personnage jouant Hitler en train de s’énerver. Cette scène fût
l’une de celles les plus reprises récemment, entrant dans la culture de l’Internet comme une
parodie incontournable. Au contraire du producteur, le réalisateur Oliver Hirschbiegel
considérait que c’était là qu’il ne pouvait pas « avoir de meilleur compliment » pour son film.
À la suite de la demande de Constantin Film, il y eut une polémique et un refus des sites pour
retirer les parodies, au motif qu’il s’agissait un usage acceptable, et que « les individus qui
mettent en ligne ces vidéos sont typiquement les plus grands fans, et sont exactement le genre
de consommateurs que les détenteurs de droits d’auteurs devraient accepter », propos tenus
par Shenaz Zack, un chef de produit Youtube au moment de l’affaire. Au terme du débat, le
producteur Constantin Film a finalement abandonné. La volonté que l’entreprise avait émise
au départ de passer par un processus juridique pour faire valoir ses droits lui aura valu un
« bad buzz » comme définit par la culture Internet, au lieu de lui avoir permis d’utiliser ces
vidéos pour améliorer son image de marque et se faire connaître. « Une approche plus fine
aurait pu être de surfer sur ce phénomène avec le développement d’un site permettant de
visionner un « best of » des meilleurs parodies sur la scène culte », précisent ainsi E. Fillias et
A. Villeneuve.
3.2.2. Le business de la e-réputation
Une bonne gestion a priori et a posteriori favorable au procès ?
Les exemples de la mauvaise publicité autour d’une action en justice sur l’Internet se trouve
facilement, à l’image de Danone qui, ayant attaqué un site pour dénigrement, a non seulement
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perdu le procès, mais a également accusé une baisse de son action par la suite129. C’est la
raison pour laquelle aujourd’hui, la gestion de la e-réputation, autrefois faite en interne par le
service de communication, s’est transformée en véritable business, produisant entreprise,
conseil, voire assurance.
En effet, de nombreuses entreprises se sont créées ces dernières années pour protéger la eréputation du particulier ou de l’entreprise. Les missions sont à la fois en amont, avec une
veille permanente sur la toile, et en aval, avec une activité dite de « nettoyage ». Cette
dernière n’est pas véritablement experte dans l’effacement d’information à caractère
diffamatoire ou injurieux, mais fait en sorte que le propos n’apparaisse plus que dans les
troisième ou quatrième page des moteurs de recherche, lieu déserté par les internautes s’il en
est. À titre d’information, cette méthode s’appelle la technique du « upgrade », signifiant
monter sur les sites de recherches pour étouffer le reste. Elle est aussi appelée « technique de
la noyade ».
De la même manière, des célébrités en sont venues à engager des responsables de la
réputation digitale, telle Kate Moss (DONN ER ANNEE ET REF.).
Si le droit n’est pas en mesure de répondre à cette demande du particulier de protéger sa
réputation par une méthode non contentieuse de gestion, pour autant la communauté juridique
dans son ensemble peut y trouver son compte. C’est en effet de certains avocats, devenus
spécialistes dans le conseil en protection de la e-réputation. Ces derniers présentent l’avantage
de pouvoir conseiller le client sur la méthode à suivre, à la fois en prévenant le contradicteur
de ses intentions de faire valoir ses droits avant d’aller jusqu’au procès, tout comme en
menant la procédure contentieuse en elle-même.
La génération Wikileaks
Wikileaks est un site Internet, créé par Julian Assange, diffusant des informations initialement
confidentielles. L’organisation se réclame de l’œuvre de Daniel Ellsberg, ancien employé de
la Rand Corporation, qui a fourni à la presse américaine en 1971 des documents top secrets
sur la guerre du Vietnam appartenant au Pentagone. La philosophie du site est de rendre les
activités gouvernementales transparentes afin d’établir un lien de confiance solide entre l’Etat
129
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et les citoyens, pour une meilleure démocratie et moins de corruption. En 2007, soit un an
après sa création, 1,2 million de documents avaient déjà été mis en ligne, possibilité offerte à
toute personne ayant un accès Internet. Leur mode de fonctionnement est de recevoir les
fuites de la part des internautes, les « leaks », qui seront ensuite analysés par des spécialistes,
en collaboration avec la presse et des ONG. Techniquement comme juridiquement, la
diffusion d’informations est strictement encadrée, au point que le site puisse se targuer
d’écrire à son propos « Wikileaks soumet les documents divulgués à un examen bien plus
minutieux que ne pourrait le faire n’importe quel média ou organe de renseignements :
l’examen d’une communauté planétaire d’éditeurs, relecteurs et correcteurs wiki bien
formés. ».
Quant aux scandales révélés par le site, il est possible de citer la publication sur la corruption
du Président Arap Moi au Kenya en 2007, issu d’un rapport secret britannique, ou encore
l’ensemble des documents fournis par le soldat américain Bradley Manning. Pour cette
activité de révélation d’informations, données que Wikileaks considère comme devant être
accessibles au grand public, est remerciée par une partie de la communauté internationale.
Ainsi, le site a reçu le « Amnesty International Media Award » en 2009 et le Index on
Censorship Award en 2008, par The Economist130.
L’activité bénéficie donc d’une certaine renommée, il suffit d’en taper le nom sur le moteur
de recherche Google pour voir une dizaine de pages s’y affiliant. Pour autant, le site est
également critiqué pour son opacité, le fait qu’à l’heure actuelle il ne soit plus issu de données
fournies par les internautes, ainsi que son obscur mode de financement réparti dans plusieurs
pays.
Néanmoins, l’épopée Wikileaks nous apprend aujourd’hui que l’activité journalistique évolue
avec l’Internet et qu’une parole est offerte à chaque internaute, parole ayant une portée
internationale et de longue durée. Est-ce un nouveau mode de diffusion de l’information ? Il
semblerait que la loi de 1881 s’appliquant aux infractions de presse sur l’Internet, malgré les
adaptations apportées par les lois LCEN et « Informatique et Libertés », ne soit plus en
mesure de faire face à cette menace mondiale de la toute parole. Le juge Gomez l’a déjà
précisé, la liberté d’expression ne permet pas que des abus de liberté d’expression à grande
échelle soient tenus sur le Web.
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En tout état de cause, la e-réputation est un élément extrapatrimonial de la personne qui
bénéficie, comme tout droit de la personnalité, d’une protection assurée par le droit et la
jurisprudence. L’atteinte à la e-réputation se traduit par des infractions de presse, que sont
plus particulièrement la diffamation et l’injure sur l’Internet. Le droit auquel elles réfèrent se
base avant tout sur trois lois principales, la loi sur la liberté de la presse, la loi pour la
confiance dans l’économie numérique et la loi « Informatique et libertés. La jurisprudence est
également une source de ce droit s’appliquant à la e-réputation, toutefois les tergiversations
dont elle a pu faire preuve nous montre que le juge revient toujours aux principes
fondamentaux établis par ces trois lois.
Ainsi la protection de la e-réputation est un sujet en pleine évolution. Cela s’explique par le
fait que l’infraction se situe sur un médium qui, lui-même, est en pleine évolution et dont les
contours sont difficiles à discerner. Comme nous l’avons vu, il est difficile au juge d’identifier
par exemple le responsable d’une telle faute. En effet, non seulement les acteurs qui ont
participé à la publication de propos diffamants ou injurieux sont nombreux, mais en outre s’il
existe des statuts définis par la loi, ils ne s’appliquent pas parfaitement à la réalité imposée par
l’Internet. L’éditeur d’un blog de particulier peut être également fournisseur d’hébergement
ou auteur, alors que le directeur de publication du blog du Figaro est un journaliste
professionnel assumant une seule et même fonction. La multiplication des auteurs issue de la
révolution numérique engendre une complication au niveau de l’identification du responsable
de l’infraction de presse sur l’Internet. La mise en cause de l’auteur de propos diffamatoires
ou injurieux est également difficile pour la victime quand elle n’a pas eu connaissance de la
faute avant la fin du court délai de prescription des trois mois pour porter plainte.
Toutes ces difficultés que nous avons vues dans ce propos illustrent la complexité du droit qui
s’applique à l’Internet aujourd’hui. C’est aussi la raison pour laquelle s’est développé un
véritable « marché » de la e-réputation, proposant aux internautes de protéger en amont les
propos que l’on peut tenir sur eux, au lieu d’attendre qu’ils aient été proférés pour se retourner
vers un juge.
Néanmoins, malgré les complications apportées par la révolution Internet, il existe des
preuves de la volonté du législateur comme du juge de faire évoluer le droit pour qu’il
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s’adapte à ce nouveau médium. La doctrine joue également un rôle prépondérant dans la
réflexion sur ces nouvelles problématiques. Plus encore, l’avenir du droit encadrant l’Internet
se jouera sans aucun doute sur le plan international, étant donné que ce médium ne connaît
pas les frontières qui limitent les média traditionnels. Les prises de positions lors des
différentes réunions des chefs d’Etat et de gouvernement, à l’image de la résolution de
Madrid de 2009, sont sources d’espoir pour qu’une législation commune soit adoptée et
permette aux internautes de tous disposer des mêmes droits et des mêmes obligations, enfin.
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