Remarques sur Oui, Non et les

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Remarques sur Oui, Non et les
Remarques sur Oui, Non et les -istes1
Il est, selon nous, dangereux d’établir d’avance une distinction entre des éléments grammaticaux d’un côté et certains autres qu’on appelle extra-grammaticaux, de l’autre, entre un langage intellectuel et un langage affectif. Les
éléments dits extragrammaticaux ou affectifs peuvent en effet obéir aux règles grammaticales, en partie peut-être à des règles grammaticales qu’on n’a
pas encore réussi à dégager. (Hjelmslev 1928: 240)
0. Introduction
Il est des événements politiques, sociaux ou économiques qui voient fleurir des
néo-créations lexicales particulièrement intéressantes: le référendum français du
29 mai 2005 pour ou contre le traité de constitution européenne fait partie de ceuxlà. Ce référendum n’a pas vu seulement les partisans et les détracteurs de cette
constitution s’affronter comme ils ne l’avaient pas fait depuis longtemps; il a vu
également s’affronter des désignations diverses et variées des uns et des autres
dont on se proposera de présenter ici quelques exemples, sans bien sûr prétendre
à une quelconque exhaustivité. Il n’est pas dit non plus que ces désignations soient
particulièrement nouvelles, mais le Net offre l’avantage et l’opportunité de récolter et de compiler en assez peu de temps des attestations multiples et variées. On
verra également, s’agissant de formes en -iste, les implications qu’il est possible de
tirer du bref excursus qui suit, et l’on s’interrogera sur la place qu’il convient de
faire aux données qui seront présentées.
1. La sémantique du suffixe -iste
Il convient avant d’aller plus loin de dire quelques mots sur le sens véhiculé par les
dérivés en -iste et plus spécifiquement sur l’instruction associée à ce suffixe. D’une
manière plus ou moins prototypique, on pense immédiatement à l’orientation ou
à l’inclination privilégiée d’un individu vers un objet donné, ce dernier étant entendu au sens le plus large possible de ce vers quoi tendent l’attention et l’affect
de l’individu en question. Cette orientation ou cette inclination privilégiée implique à son tour que l’objet de cette tension soit valué positivement, sans quoi celle-ci n’aurait aucune raison d’être. Ce type d’instruction est particulièrement bien
représenté dans les formations dé-onomastiques, où précisément le nom en -iste
1 Je tiens à remercier de leurs commentaires et observations Georgette Dal, Lucia Molinu,
Fabio Montermini, Marc Plénat, Josette Rebeyrolles, et tout particulièrement Michel Roché.
Naturellement, je porte seul la responsabilité des idées exprimées dans cette contribution.
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désigne un partisan de l’individu désigné par le nom base: il en est ainsi des dérivés tels que Lepeniste, Chevénementiste, Bonapartiste, Pétainiste2, etc. Dans le cas
des formations du type Staliniste ou Marxiste, la base morphologique est là aussi
le nom propre correspondant (i. e. Staline et Marx), mais sémantiquement, un Staliniste et un Marxiste sont moins des idolâtres de Joseph Staline et de Karl Marx
que des partisans des idéologies auxquelles ces derniers ont donné naissance (le
stalinisme et le marxisme respectivement). On pourrait en déduire que Staliniste
et Marxiste sont construits morphologiquement sur Stalinisme et Marxisme; mais
rien a priori ne justifie une telle analyse, si ce n’est le postulat d’une correspondance absolue entre information morphologique et information sémantique.
L’analyse la plus simple et la plus immédiate est que Staliniste et Marxiste sont
construits respectivement sur Staline et sur Marx3.
Bien qu’a priori éloignés de ces formations-ci, il semble que l’on puisse proposer
une analyse assez proche des désignations d’individus dont l’activité s’organise
d’une manière privilégiée autour de l’objet qui leur sert de base morphologique.
On pense ici à des formations telles que flûtiste, accordéoniste, guitariste, saxophoniste, etc., qui certes renvoient à la classe hypéronymique des musiciens, mais qui
surtout désignent des individus qui entretiennent une relation privilégiée avec
l’objet qui leur sert de base morphologique: la flûte, l’accordéon, la guitare et le
saxophone ne sont pas pour le flûtiste, l’accordéoniste, le guitariste, et le saxophoniste des objets quelconques, mais des objets qui interviennent d’une manière
constitutive dans leur dénomination, et qu’on serait presque tentés de rapprocher
des membres du corps ou de la parenté dans les relations de type inaliénable. De
2 Il est intéressant de remarquer que le nom Pétain ([petẽ]) donne lieu à deux types de dérivés
en -iste: pétainiste ([petenist]) et pétiniste ([petinist]), de la même manière que le nom Villepin donne soit villepeniste ([vilpenist]), soit villepiniste ([vilpinist]). Aussi ces deux types de dérivation résultent-ils de l’action de deux schémas de structuration distincts: d’un côté les alternances telles
que fin :fine, de l’autre les alternances telles que serein: sereine. Or, comme le remarque Martinet
1965: 22-23, la première d’entre elles est de loin la plus fréquente, d’où il s’ensuit que «lorsque la
question se pose de former un dérivé à partir d’un mot en /-æ̃/ c’est /-in-/ que l’on choisit de préférence à /-en-/ ou à /-iñ-/ (cf. pétainiste, malignité) parce que /-in-/ est dans ce cas beaucoup plus
fréquent.» Sans doute ceci explique-t-il que les occurrences de la variante villepiniste soit beaucoup plus nombreuses que celles de la forme villepeniste – sans parler en outre du fait que villepeniste contient lepeniste, comme le montre l’exemple suivant où la «fusion» des deux désignations est signalée typographiquement:
Si je prends mon cas (c’est celui que je connais le mieux, lol!) je suis français, athée, de culture juive, fortement antiraciste ancré à l’extrême gauche. Je lutte contre le gouvernement
raciste «chiraco-sarko-vilLEPENiste» comme je milite pour la reconnaissance d’un État palestinien et le retour d’Israël dans les frontières de 67, pour des états démocratiques où tous
les habitants auraient les mêmes droits. Tout cela est très logique et je suis loin d’être le seul
dans cette mouvance. (http://toulouse.indymedia.org/article.php3?id_article=5419)
3 Ce qui ne veut pas dire, évidemment, que les termes du couple -iste/-isme ne soient pas liés
l’un à l’autre d’une manière très étroite. Mais la prolifération et l’extrême polysémie des formations en -iste interdisent de poser comme «règle» que le terme en -iste dériverait de la forme en
-isme (pour une discussion de cette question, cf. Dubois 1962: 162s. et Guilbert 1975: 169s.).
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ce point de vue, il est sans doute possible d’établir un continuum dans le degré de
solidarité et de cohésion entre un objet, un concept ou une notion donnés, et un
individu. Une même désignation peut d’ailleurs afficher un type de relation sémantique différent entre le dérivé et le terme sur lequel il est construit: pointilliste se dit soit des néo-impressionnistes adeptes du pointillisme (i. e. la technique du
pointillé), soit de quelque pratique dont les caractéristiques évoquent de près ou
de loin le pointillisme. On peut ainsi parler d’une «écriture pointilliste» (cf. 1a),
d’une «temporalité pointilliste» (cf. 1b) ou d’un «intérêt pointilliste» (cf. 1c), sans
qu’évidemment il n’y ait plus ici aucun rapport avec la technique picturale au sens
strict ou le mouvement artistique du même nom:
(1a) C’est un espace où les repères topographiques aussi bien que scripturaux s’organisent
autour de la notion centrale de point. On verra comment une écriture pointilleuse et
pointilliste vaporise les lieux en une constellation de points épars. La section urbaine
est bien le lieu du désappointement. Mais on verra aussi comment le temps revisite ces
mêmes lieux pour agrandir l’espace entre ces pointillés et tracer, dans le vide interstitiel, la volatile existence de fantômes errants. (http://www.remue.net/cont/echenoz_
ChrisJer_Piano.html)
(1b) Le deuxième objectif de cette discipline tient à l’évolution des conceptions de la temporalité.Après une conception cyclique (agricole et liturgique) au Moyen Âge, puis une
conception linéaire et orientée à l’époque des Lumières (le temps du progrès), notre société voit l’émergence d’une temporalité pointilliste, constituée d’une succession de moments forts, qui exclut le projet et même la continuité. (http://eduscol.education.fr/
index.php?./D0126/hist_geo_table_ronde1.htm)
(1c)
Le politologue Marc Lazar juge que «les militants de LO se sont enfermés dans un
sectarisme sans bornes». Il s’agit là de la première entrée dans le journal. Il en est une
seconde. L’hebdomadaire consacre en effet la moitié de sa pagination à des correspondances d’entreprise avec un intérêt pointilliste pour les luttes revendicatives et une tonalité bien plus anti-patrons, et plus encore anti-petits chefs, qu’anticapitaliste proprement dite. (http://www.regards.fr/archives/1995/199507/199507cit06.html)
À partir du moment où les formations en -iste peuvent être utilisées pour déterminer la notion signifiée par un terme régissant – et c’est le cas d’un grand nombre de ces formations – on peut s’attendre à ce qu’une partie seulement des traits
ou des propriétés du X-iste soit convoquée dans l’opération de détermination à laquelle ils participent. C’est dans ses emplois comme «adjectif de relation» que le
X-iste voit le plus le faisceau de propriétés qui le constitue se réduire à un sous-ensemble. Et cette restriction du faisceau de propriétés constitutives du X-iste n’est
à son tour possible que parce que l’information que porte le suffixe -iste est au fond
de nature assez générale et s’articule autour de deux pôles essentiels: d’un côté, un
pôle où prévaut la dimension agentive ou volitive de l’entité ou de la propriété à
laquelle réfère le X-iste, et de l’autre, un pôle où prévaut la dimension de localisation spatio-temporelle d’un individu en tant que son activité s’inscrit dans un événement ou un ensemble d’événements auxquels il prend part. À cette deuxième
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dimension se rattachent des expressions telles que mardiste ou samediste, qui comme l’explicitent les deux extraits ci-dessous désignent des individus ayant pour
habitude de se rencontrer respectivement le mardi et le samedi:
(2a) Les Poètes maudits de Verlaine et À rebours de Huysmans devaient naturellement
conduire au petit appartement du 89, rue de Rome un public plus nombreux et plus fervent qui recevait comme un signe d’élection spirituelle l’invitation tant convoitée. Dans
un décor et selon un rituel immuables, «le mardi de 4 à 7» du début d’octobre à la fin
du mois de mai, la petite cohorte des Mardistes prenait place dans le salon déserté par
les dames . . . (http://www.adpf.asso.fr/adpf-publi/folio/mallarme/mallarme10.html)
(2b) À peine sortis du conservatoire, six jeunes compositeurs ont coutume de se retrouver
tous les samedis soir dans un petit restaurant parisien. Mais Darius Milhaud, Francis
Poulenc,Arthur Honegger, Georges Auric, Louis Durey et Germaine Tailleferre ne sont
pas seuls . . . Après le dîner, le groupe des samedistes se rend à la Foire du Trône ou va
admirer les mimes des frères Fratellini au cirque Médrano. Les soirées se terminent
chez Darius Milhaud ou au bar Gaya pour écouter Jean Wiéner jouer de la musique nègre. (http://www.scena.org/lsm/sm6-1/coq-fr.html)
On retrouve donc ici le schéma évoqué plus haut, où un objet donné, une notion
donnée ou une qualité donnée forme un pôle de structuration privilégié autour
duquel gravite le référent du X-iste.
2. Remarques sur la morphologie des X-iste
Précisons que si dans les exemples ci-dessus la base morphologique du X-iste est
un nom propre ou un substantif, ce n’est évidemment pas la seule possibilité et le
X des X-istes peut être représenté par bien autre chose que par des substantifs4. Y
compris en laissant de côté les cas où le suffixe s’attache au dernier terme d’une
entité phrastique (cf. 3a et 3b), d’un syntagme nominal (cf. 3c et 3d) ou d’un syntagme adverbial (cf. l’exemple 3e daté de 1870!), on peut noter que le X-iste prend
également pour base morphologique la forme féminine d’un adjectif, la forme d’un
adverbe ou encore celle d’une abréviation ou d’une interjection.
(3a) Les stock-option-istes, les actionnaires-principaux-istes, les experts-libéro économistes,
les MEDEF-istes, les flux-tendus-istes, les il-y-a-qu’en-France-que-ça-existe, les que-lesmeilleurs-gagnent-istes, les fils-à-papa-istes, les dents-longues-istes, et les travaille-ettais-toi-istes ont beau mettre leurs grosses phrases sur la bouche de Marianne, qui écoute la radio à sept heures du matin: elle crie, elle crie Marianne au SMIC, que c’est du pain
pas cher qu’elle veut, trente mètres carrés au moins pour se loger, trente-cinq heures de
vrai boulot, de la santé gratuite, une bonne école, des transports écolos économiques et
un peu de rire aussi . . . (http://www.humanite.fr/popup_print.php3?id_article=381352)
4 De ce point de vue, on s’inscrit totalement en faux avec des conceptions qui partiraient du
postulat qu’il existe un schéma de sous-catégorisation tel que -ist → / N__, qui stipulerait que le
suffixe -iste ne peut prendre pour base qu’un nom.
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(3b) Se taire sur l’injustice précipite la violence. Le silence, notre silence est lui-même une
violence! Censeurs, tripatouilleurs d’informations, trieurs de nouvelles, menteurs, étouffeurs de vagues, toutvabienistes, jeteurs de voiles pudiques, autocenseurs peureux, complices par omission, vous êtes tous des allumeurs de violence! (http://kropot.free.fr/
Servat-loups.htm)
(3c)
Tout le monde n’a pas vécu au dedans,ou tout près (affectivement) d’une POUDRIÈRE.
Et la redondance sécuritaire, le déballage fait-divertiste, la surexposition poéticide,
même avec un distingo politico-religieux/ethnique à la clef, profitent surtout à ceux qui
en ont fait leur bizness (au sens large), et qui, eux, parlent rarement de religion ou de
philo, et se foutent d’avoir raison5. (http://bertignac.com/forum_bleu/index.php? debut=
2045)
(3d) Loin d’être malheureuse ou gênante, cette situation permet à des discours «Fin-dumondistes» fort questionnables de franchir les murs sécurisants et trop souvent clos des
églises. (http://www.samizdat.qc.ca/cosmos/sc_nat/findu_cp.htm)
(3e) Voilà comme il faut être entre gens d’esprit. Quant à l’infaillibilité, ce sera dans le carême que le grelot [sera] attaché, ce sera un surcroît de pénitence pour les inopportunistes, que l’on appelle aussi les Pas-encoristes et également les Trop-tôttistes.
(http://www.la-croix.com/sdx/alzon/document.xsp?id=b02762&qid=sdx_q0&n=1)
En (4a), la forme intensiviste est associée au SN «agriculture intensive» et désigne
la qualité de ce qui offre de hauts rendements, alors qu’en (4b) le terme intensiviste désigne le médecin spécialiste des soins intensifs. Alors que le premier fonctionne comme déterminant d’un concept dont il augmente la compréhension, le
second fonctionne quant à lui essentiellement comme substantif. Que ce dernier
prenne appui sur la notion désignée par le syntagme «soins intensifs» ou sur celle
désignée par le syntagme «médecine intensive», il reste que la base morphologique de ces deux X-istes est adjectivale, et qu’elle présente en position finale une
consonne qui se trouve être précisément celle qui constitue l’exposant du féminin6.
(4a) Elles aboutissaient aussi à doubler le prix de l’eau de consommation, ce qui revenait à
faire payer deux fois les contribuables: une première par leur facture d’eau, une seconde
par la part de leurs impôts allant au financement d’une politique agricole européenne directement responsable de ce système intensiviste destructeur. (http://www.ens-lsh.fr/
geoconfluence/doc/transv/DevDur/DevdurScient4.htm)
5 Wahlund relevait déjà en 1898: «(Le journaliste d’Hennepont) pensait y avoir rivalisé de verve narrative avec les faits-diversistes parisiens les plus éminents.» (cf. Wahlund 1898: 28).
6 Cf. à ce propos Bally 1944: 162: « . . . les dérivés de l’adjectif sont formés sur la base du féminin pris comme radical: grand(e), – grandeur, gross(e) – grossesse, bavard(e) – bavard-age,
blanch(e) – blanch-ir, vieill(e) – vieillir, etc. Les adverbes en -ment sont particulièrement instructifs: nouvelle-ment, heureuse-ment, etc. car ici, il y a coïncidence fortuite entre un sentiment qui
est en train de se créer et l’origine du type; on sait que le radical de ces adverbes a été autrefois
un adjectif féminin (claire-ment = clarñ mente). On peut rappeler encore que la liaison de l’adjectif masculin amène souvent une forme identique au féminin: bo-n» ouvrage, heureux z époux,
premie-r» ordre, etc.»
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(4b) Tout le matériel de réanimation est naturellement disponible, et un cardiologue intensiviste peut intervenir immédiatement. (http://www.chuliege.be/chuchotis/chuchotis10/
dossier.html)7
La même observation vaut naturellement pour des formations telles que blanchiste (cf. 5a), fraîchiste (cf. 5b), ou encore parfaitiste (cf. 5c), où de toute évidence
les segments [∫] et [t] qui apparaissent à la frontière droite de la base sont ceux des
formes blanche, fraîche et parfaite.
(5a) Les Américains ont beaucoup à partager avec l’Afrique car au moins il y a une élite
moins «blanchiste» que la France. Le rapprochement avec mon pays, le Sénégal et les
USA est déjà en marche et nul ne saurait le contrarier car l’élite est consciente du manque de considération de l’ancienne puissance coloniale devenu un pays comme les autres. (http://www.amadoo.com/forum/topic.php?forum=3&numMax=30&tid=4593&lg)
(5b) Autodidacte en peinture, et soucieux de le rester, il crée un mouvement fraîchiste, qui
nous apporte ses sensations, sans tentative de rationalisation. Le fraîchisme peut se
définir en quelques mots: il s’agit d’une peinture de sensation et non de convention, loin
de toute technique imposée, de tout académisme et de toute routine, qui permet à
chacun de s’exprimer, et qui livre au spectateur la sensation toute fraîche de l’artiste . . .
«Le fraîchisme, c’est faire passionnément ce que l’on aime», vous expliquera Yug. (http://
www.anovi.fr/fraichisme.htm)
(5c)
Ce roman de politique-fiction se passe en 2073, soixante ans après la prise du pouvoir
à Marseille par une Coalition Parfaitiste. La ville a été divisée en trois: le Ghetto, le
Souk et la Cité Parfaite, cette dernière drainant toutes les ressources du pouvoir et de
la richesse. La Coalition Parfaitiste s’est cantonnée dans la Cité Parfaite, devenant le
Parti Unique qui n’a plus jamais perdu d’élections8. http://www.revue-solaris.com/
numero/2004/148-lectures.htm
7 Cf. également les deux exemples suivants, où les dérivés en -iste indiqués en cursif prennent
respectivement pour base les formes adjectivales émotive, prescriptive et souveraine:
(4c) Toute la philosophie morale analytique, qu’elle soit émotiviste, prescriptiviste ou réaliste, est fondée sur la notion d’énoncé moral (ou plus récemment, normatif): or c’est
bien cette notion d’énoncé moral (ou, tout aussi fréquente, de «langage moral») qui est
mise en cause dans la démarche du second Wittgenstein . . . (http://forum.hardware.fr/
hardwarefr/Discussions/sujet-20205-25.htm)
(4d) En France, la campagne du référendum a enflammé le non européen au référendum.
Ses porte-parole vont jusqu’à se prétendre les seuls vrais européens. Ils oublient que
sa victoire l’affaiblirait, puisqu’elle déclencherait un antagonisme radical avec le non
souverainiste, villiériste et Front national. (http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@
2-3232,36-653733@51-641597,0.html)
8
Cf. aussi l’extrait suivant:
(5d) N’ayez pas une vision trop «parfaitiste» de la vie; il faut un peu de tout pour faire un
monde. (http://www.maliweb.net/services/forums/archive/index.php/t-26.html)
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On sera peut-être étonnés de voir affleurer ici comme base morphologique une
entité pourvue d’un exposant de genre féminin, alors que ce dernier est par ailleurs supposé constituer le membre marqué de l’opposition masculin/féminin. Il
convient toutefois de garder à l’esprit la distinction essentielle entre fondement
structural et fondement sémantique. Comme l’observe Kurylowicz 1977: 10:
Il faut soigneusement distinguer entre fondement fonctionnel (sémantique), comme p. ex.
dans la dérivation, et un fondement purement structural. On dira que dans le premier cas B
est dérivé de A, dans le dernier cas bâti sur A. Beaucoup d’adjectifs français à motion, c-à-d.
avec distinction formelle entre les deux genres, ont au fém. une consonne finale (blanche, verte, ronde, longue . . .) dont le manque est caractéristique pour le masc. (blanc, vert, rond, long
. . .). Au point de vue de la fonction sémantique c’est le masc. qui est la forme-base puisqu’il
est le représentant général de l’adjectif, p. ex. les blancs pour désigner une population de race
blanche sans distinction de sexe. Mais quant à sa structure le masc. est bâti sur le fém. moyennant la suppression de la consonne finale, tandis qu’en partant du masc. la forme fém. est imprévisible (-á, -t, -d, -g . . .).
Précisons tout d’abord que dans la perspective de Kurylowicz, le point essentiel
est qu’il existe une relation d’implication unilatérale entre le masculin et le féminin (cf. Kurylowicz 1969: 373-74): là où il existe une distinction formelle entre le
masculin et le féminin, la forme du masculin est généralement prédictible à partir
de celle du féminin, alors que l’inverse n’est pas vrai. On remarquera d’autre part
que l’exposant du féminin peut être de nature inframorphémique: dans des couples tels que naïf/naïve, sportif/sportive, etc., ce n’est pas n’importe quel segment
qui marque l’opposition du masculin et du féminin, mais le trait de voisement du
segment final de la forme masculine. Or, c’est justement le segment pourvu du
trait de voisement qui apparaît dans le dérivé en -iste, comme du reste dans d’autres dérivés:
(6a) On pourra avoir une vision superficielle de cet album, dont l’empreinte «naïviste» est
cependant indéniable: innocence, nonchalance, joie de vivre et rigolade sont ici aussi
au menu, et cela grâce au langage simple inventé par Emmanuelle Robert. (http://
www.livresautresor.net/livres/li3droite.php?livre=4228&exclu=ok)
(6b) Relevant aussi de la brièveté, il y a l’écriture de bréviste, qui n’est pas tout à fait la même
chose que le style de bréviste: l’«écriture» garde une aura de scientificité parce qu’elle
a été le terme élu par la sémiologie des années soixante-dix . . . Si l’on passe à la manière, terme emprunté à la peinture, et dont la notion «subjective» revient après deux décennies, c’est encore autre chose. Elle est nécessaire, liée au rapport exclusif du sujet au
langage et à sa façon de sentir le monde et d’être au monde. On trouve dans les fictions
brèves des manières de «longuistes» – et ce n’est pas un paradoxe, comme nous l’avons
expliqué plus haut. (http://www.adpf.asso.fr/adpf-publi/folio/lanouvelle/06.html)
Naturellement, il est toute une série de formes adjectivales qui ne distinguent pas
morphologiquement le masculin et le féminin, auquel cas le dérivé en -iste prend
pour base un élément dont on peut considérer qu’il est en deçà de l’opposition
masculin – féminin:
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(7a) Nous avons constaté que les conditions objectives mentionnées se traduisent et s’expriment dans le domaine subjectif,c’est-à-dire précisément dans l’idéologie dominante avec
sa pratique correspondante, jusqu’à aujourd’hui et nonobstant les efforts de transformation sociale entrepris par la Révolution Bolivarienne, dans l’égoïsme, l’individualisme, la
compétition à la vie à la mort, et dans les attitudes de mépris ouvert de son prochain (héritage des rapports de production capitaliste), où se mêle une attitude passive-réceptive,
faciliste et dépourvue de tout esprit de responsabilité propre (héritage de l’État paternaliste). (http://quebec.indymedia.org/fr/node.php?id=21618)
(7b) . . . il importerait que se mette en place un travail interdisciplinaire entre médiévistes et
antiquistes car beaucoup de choses se jouent dans l’Antiquité tardive et le très haut Moyen Âge. (http://www.mae.u-paris10.fr/arscan/Cahiers/FMPro?-db=cahiers.fp5&-format=
detailfasc.htm&-lay=cahiers&Theme=Controle*&-recid=33089&-find=)
(7c)
Qu’est-ce qu’une juvéniste? C’est le terme que j’ai proposé ailleurs – m’inspirant en cela des
appellations en iste dont on gratifie mes collègues,qui dix-huitiémiste,qui vingtiémiste,etc.–
pour désigner les chercheurs qui œuvrent en littérature pour la jeunesse. Nous ne sommes
pas légion. La recherche en littérature pour la jeunesse est, dit-on, un axe de recherche en
émergence. Dans les départements de littérature du monde francophone, et bien qu’elle ait
ses supporteurs depuis près de trois décennies – ce qui n’est rien quand on pense à la
longueur d’avance qu’ont d’autres champs disciplinaires sur le nôtre –, la littérature pour la
jeunesse devient,peu à peu,un objet d’étude.Cette juvéniste là tient un blog,qui risque d’intéresser du monde (qui passera par là sans trop oser le dire):Au cours des dernières années,
j’ai pu constater combien grandissant était le nombre des lecteurs adultes cachés entre les
rayonnages des sections jeunesse des librairies9. (http://www.dicodunet.com/actualites/
culture/66280--la-litterature-francophone-se-porte-tres-bien-17-03-2006-18-16-.htm)
On pourrait se demander a priori si les formes faciliste et antiquiste des exemples
(7a) et (7b) ne résultent pas d’une dissimilation de facilitiste ( facilité) et antiquitiste ( antiquité). Il nous semble toutefois peu économique en l’espèce de poser une règle d’effacement de la séquence -it- dont la justification serait de résoudre la configuration dissimilative10. Les exemples présentés plus haut montrent en
9 Marc Plénat (c. p.) me fait observer que juvéniste pourrait fort bien être construit sur la base
latine juven. Ce n’est bien sûr pas exclu, mais il est tout aussi évident que la forme adjectivale
juvénile offre une prégnance dont on peut supposer qu’elle est susceptible de déclencher plus encore que la forme juven l’activation d’un schème de dérivation.
10 Nous n’excluons pas, bien évidemment, que des contraintes dissimilatives puissent être à
l’œuvre dans la suffixation en -iste (comme dans les phénomènes de suffixation en général). Sans
doute peut-on imputer à une contrainte de ce type la réduction de la diphtongue initiale du nom
Bayrou dans la variante barouiste illustrée en (7d), moins fréquente certes que la forme bayrouiste en (7e) mais attestée néanmoins:
(7d) Quel radicalisme de la part des «socialistes»! Mais c’est pas vrai, on passe plus de
temps à s’expliquer entre Barouistes/Ségoïstes plutôt que de critiquer ensemble le
programme de Sarko/Le Pen! (http://www.liberation.com/php/pages/pageReactionsList.php?rubId=445&docId= 247877&s2=&pp=&next=10)
(7e) François Bayrou est-t-il Strauss-Kahnien? Ou Dominique Strauss-Kahn est-il «bayrouiste», tout dépend de votre degré de compatibilté centriste. (http://politique.fluctuat.net/blog/10663-bayrouiste-ou-strauss-kahnien-.html)
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effet que les dérivés en -iste peuvent tout à fait prendre comme base des formes
adjectivales, et il semble bien que ce soit le cas ici. Naturellement, la sélection des
formes adjectivales facile ([fasil]) et antique ([ãtik]) offre l’avantage de ne pas présenter la configuration dissimilative qu’implique les termes facilité et antiquité, et
surtout d’être plus courtes (bisyllabiques en l’occurrence). L’effet de cette
contrainte-ci apparaît d’une manière particulièrement nette dans le dérivé juvéniste de l’exemple (7b), qui de toute évidence est bâti sur l’adjectif juvénile ([yvenil]) et non sur le substantif jeunesse11. Il n’est du reste pas exclu que cette
contrainte éclaire également – ne serait-ce qu’en partie – la forme particulière que
prennent les dérivés en -iste de formations nominales et adjectivales en -ique. Les
exemples (8a)–(8d) montrent en effet que les formes politique, catholique, magnifique, ou encore ludique donnent respectivement politiste, catholiste, magnifiste et
ludiste plutôt que politiquiste, catholiquiste, magnifiquiste, ou ludiquiste:
(8a) Ce que remarque également Bourdieu, c’est le décalage entre le discours démocratique
universaliste et la pratique élitiste du système représentatif. Au fond, hormis quelques
théoriciens et politistes honnêtes cités précédemment, rares sont ceux, notamment parmi les hommes politiques, à reconnaître l’aspect ouvertement élitiste du gouvernement
représentatif. (http://www.sens-public.org/article_paru1.php3?id_article=59)
(8b) Que des royalistes soient individuellement de fervents catholiques, tant mieux, et qu’ils
prient ensemble comme Paul Turbier les y invite, parfait! Mais l’idée de fonder au
XXIème siècle une royauté «catholiste», à l’instar des régimes islamistes, ne me paraît
ni réaliste, ni raisonnable. (http://home.tiscali.be/vexilla/Cesoclequinousunit.htm)
(8c)
Mauvaise surprise pour les adeptes du «vendredi magnifique»: les policiers ont raflé les
boissons étalées sur les capots et toitures des voitures présentes, qui étaient plus nombreuses que d’habitude sur la Place du 13-Mai à la veille du week-end de la Pentecôte.
. . . D’ailleurs, les victimes étaient très furieuses en interprétant l’ordre du maire d’Antananarivo de «tout casser, selon les rumeurs, comme une entrave à la liberté individuelle. «Ce n’est pas à Patrick Ramiaramanana de nous dicter ce que nous devons faire ou boire», se sont plaints de nombreux «magnifistes» en déplorant que la municipalité interdit aussi l’ouverture des débits de boissons à partir d’une certaine heure.
(http://www.lagazette-dgi.com/v2/pagefr.php?genre=readarchive&id=30374&rubune=politics&MONTH=Mai%202005)
(8d) Outre le jeu de rôle, tous les jeux de société me plaisent: je suis un ludiste impénitent.
Les jeux divers et variés comme les cartes (à collectionner ou pas), les jeux de plateaux,
de stratégie, de lettres, les wargames, les casse-tête, etc. . . . sont mon dada. Et si j’em-
11
Notons que juvéniste existe également comme dérivé de juvénat (cf. 7f):
(7f)
En 1950, le Frère Pancrace Gartiser est nommé directeur du Juvénat. Il réorganise le
Juvénat, d’abord en sélectionnant mieux les élèves, puis en améliorant le recrutement
et aussi les études. Depuis 1948 déjà, les juvénistes préparaient l’examen du C. E. P.
sous la direction du professeur Alfred Klingler. En 1953, avec le concours du professeur Jung, on ouvrit le cours du Brevet. On notera seize élèves en 1948. http://
perso.wanadoo.fr/sentheim/sentheim/sjdd.htm
Remarques sur Oui, Non et les -istes
113
ploie le mot «ludiste», c’est parce que je considère le terme de «joueur» trop lié aux jeux
d’argent dont j’ai une profonde aversion12. (http://www.fulgan.com/players/present/
moi.html)
On pourrait penser a priori à une sorte de «règle de cacophonie» qui interdirait la
finale -iquiste, où la voyelle haute [i] apparaît dans deux syllabes successives, mais
une telle règle n’expliquerait absolument pas le cas de formes telles que Ségoliste
(en face de Ségoleniste), où la troncation a lieu bien que le suffixe ne soit précédé
d’aucun [i]13:
(8f)
Les socialistes, qui ont en commun avec tous les groupes humains (et même animaux)
d’avoir l’instinct de survie, ont compris depuis bien longtemps que la seule façon de ne pas
en prendre pour 15 ans de sarkozisme, c’est de devenir royalistes (ou royalien ou ségoliste). Bref, de muter. (http://delais.blog.20minutes.fr/archive/2006/05/19/la-manipulation.
html)
Il semble donc bien que les formations telles que ségoliste, catholiste, etc. soient au
moins en partie conditionnées par des contraintes de «taille».
Les formations dé-adverbiales quant à elles semblent nettement plus rares; elles sont néanmoins parfaitement attestées, comme le montre un terme tel que encoriste et peut-êtriste qui désignent respectivement les partisans à la participation
gouvernementale d’un parti francophone belge, et les indécis face au projet de
constitution européenne:
(9a) Mais si Philippe Defeyt décide de s’engager pour un nouveau mandat, plusieurs possibilités s’ouvrent à lui. Soit il présidentialise la fonction en s’entourant de 2 proches qui
agiraient en retrait, notamment pour la gestion du parti; soit il compose une équipe as-
12 Le cas de «ludiste» se distingue un peu des précédents dans la mesure où on peut difficilement dire que «ludiquiste» soit détrôné pour des raisons de taille prosodique: ludique est bisyllabique et devrait donc pouvoir s’attacher le suffixe -iste. Comme le montre l’extrait (8e), il est
probable que la structure du complexe «ludiste» s’aligne sur d’autres qui présentent un schéma
analogue (cf. rôliste, nudiste, etc.):
(8e)
J’aime bien ludiste,ça fait un parallèle avec rôliste.. . .comme ça l’été on dira «je vais jouer
sur une plage de ludistes.» (http://www.orleans.tv/jeux/forum/viewtopic.php?t=8869
&postdays=0&postorder=asc&start=45&sid=05e4fa1d47b32d2726ee118d3f05e897)
13 Le dérivé ségoliste n’est pas sans évoquer gaulliste, comme le montre l’extrait suivant où les
deux termes sont explicitement mis en parallèle:
(8g) Les partisans de Madame Royal sont désormais regroupés sous le fier étendard du
«Ségolisme». On ne sache pas que jadis, les fans de Jospin étaient Lionelistes ou ceux
de Balladur Édouardistes. C’est qu’évidemment, baptiser Royalistes ces partisans du
renouveau ferait tout de même question, au pays de Saint-Just et Jean Moulin. Royalien n’ayant pas été retenu, va donc pour Ségolisme. Qui deviendra vraiment croustillant quand des hommes de droite rejoindront la bannière de la candidate: on évoquera alors «ces gaullistes ségolistes», et ça fera sourire les enfants. (http://blog-hrc.
typepad.com/ressepire/rever/index.html)
114
Franck Floricic
surant la synthèse des courants. On a pris l’habitude des confrontations entre réalistes
et fondamentalistes, entre participationistes et oppositionistes, on a parfois dit «encoristes» et «stoppistes». Ils se sont baptisé «Horizon» et «Groupe Citadelle». http://
www2.rtbf.be/jp/matin/2002/06/26/6.html)
(9b) Le peut-êtriste plutôt noniste que je suis, pense juste qu’il est étonnant de nous faire voter
pour des textes . . .qui s’appliquent déjà14.(www.liberation.fr/page_forum.php? Template=
FOR_MSG&Message=2263785)
Comme on l’a dit plus haut, il n’est pas jusqu’aux pronoms indéfinis, aux abréviations et autres sigles qui participent des formations en -iste, signe à la fois de l’extrême productivité de ce suffixe et de la polyvalence sémantique qui est la sienne.
À partir de l’indéfini rien, de la forme tronquée prof et du sigle P. R. I. («Parti Révolutionnaire Institutionnel»), on peut ainsi former respectivement les dérivés
rieniste, profiste et priste:
(10a) Ici la noblesse, le clergé, les femmes, les vieux (du peuple) sont royalistes. les gens du
gouvernement, le commerce: juste milieu. La partie vivante du peuple: napoléoniste-républicaine. – la jeunesse: rieniste. (F. Tristan, Le tour de France, journal inédit (18431844), Paris,1973: 162-64; http://www.lgf-team.com/forum/index.php?act=Print&client=
printer& f=22&t=472)
(10b) Disons d’abord (point de vue «profiste») que la différence entre cours particulier et
cours en classe n’est pas seulement qu’une question de vitesse; c’est surtout une question de demande. (http://forum.lokanova.net/viewtopic.php?t=5915&postdays=0&postorder=asc& start=180)
(10c) Las Abejas, en tant qu’organisation politique, est également un moyen pour les Indigènes de se défendre contre la répression des autorités municipales PRIstes15. (http://
membres.lycos.fr/elcompanero/acteal.html)
Je remercie Marc Plénat de m’avoir signalé cet exemple.
Par le choix de distinguer le sigle en mettant en majuscules ses éléments constitutifs, l’exemple (10c) montre d’une manière assez claire que P. R. I. est oralisé par épellation, mais le caractère de nouveauté du sigle ainsi que son monosyllabisme peuvent induire une certaine fluctuation
dans son mode d’oralisation, et ce d’autant que PRI est parfaitement oralisable par lecture. De ce
point de vue, l’oralisation de la forme PRDiste en (10d) laisse moins de marge de variation que
n’en laisse la forme priste en (10e):
14
15
(10d) López Obrador pourrait alors être poursuivi pour avoir procédé à des expropriations
illégales au cours de son mandat. Les perspectives ne sont pas très bonnes, puisque les
149 députés du PAN ont affirmé qu’ils voteraient pour la perte de l’immunité, tandis
que les 97 PRDistes ont déclarés qu’ils étaient contre, en signe de soutien à AMLO.
Les députés du PRI feront donc la différence: il faut 251 voix au maire de Mexico pour
éviter le jugement. (http://www.lepetitjournal.com/content/view/540/310/)
(10e) Au total, 360 voix pour et 129 contre, seuls onze «pristes» et quelques jeunes du parti Vert écologiste ont su, aux côtés du PRD et du Parti du travail (PT), résister aux
pressions et aux chantages. (http://www.humanite.presse.fr/popup_print.php3?id_
article=460052)
Remarques sur Oui, Non et les -istes
115
On pourrait naturellement multiplier les exemples pour illustrer les propriétés sémantiques et morphologiques du type de suffixation auquel participe le formant
-iste. On se contentera de signaler, pour clore ce (trop) bref panorama, que l’un des
cas de figure les plus intéressants de suffixation met en jeu des entités que l’on reconnaît traditionnellement comme des interjections. Il s’agit sans doute d’un type
de formations aux marges de ce qu’autorisent les «règles» de la morphologie, mais
qui précisément pour cette raison mérite toute notre attention. L’un des exemples
les plus connus est celui de la forme zut, qui donna dans les années 1870 le dérivé
zutiste, terme désignant les membres du cercle de poètes regroupés autour de Antoine Cros:
(11a) Antoine Cros était médecin et écrivain. Il traduisit le Prométhée enchaîné d’Eschyle. Il fit
partie d’un groupe auquel appartenaient Verlaine et Rimbaud. Ce groupe avait la spécialité de dire zut à tout, aussi l’appelait-on les zutistes. (http://www.academie-francaise.fr/
immortels/discours_reponses/vallery_radot.html)
Sans doute l’interjection perd-elle une partie de ses propriétés constitutives à partir du moment où elle sert de base morphologique à des processus dérivationnels16.
À titre d’exemple, la syllabe initiale de l’interjection peut faire l’objet d’un allongement (consonantique ou vocalique) de nature emphatique qui n’a de chance
d’affleurer qu’à partir du moment où il y a identification entre l’instance dont elle
émane et l’affect dont elle est le signe, et qui naturellement n’a plus de fondement
dans le dérivé, ce dernier faisant partie d’une classe dont elle participe et à laquelle
elle se conforme peu ou prou, indépendamment de toute variation individuelle (cf.
[z:::yt]/[zy:::t] vs. *[z:::ytist]/*[zy:::tist]). Ce nonobstant, c’est bien l’interjection qui
sert de base morphologique au dérivé zutiste, et non par exemple un quelconque
verbe sous-jacent *zuter, même si par ailleurs on peut reconnaître que dans la plupart des cas zutiste se dit de «ceux qui disent zut». Précisons d’autre part que le cas
de zutiste est loin de constituer un hapax, et il serait sans doute possible de faire
une liste assez longue de dérivés analogues. Pour ne prendre qu’un ou deux autres
exemples, on citera le cas de vroomiste, de aïste et de bofiste, qui appellent le même
type d’observations:
(11b) Bienvenue à toi . . . parmi les vroomistes et les autres, tu verras que dans la rubrique
«ballades» tu auras le choix entre différents groupes qui partent tous les week-ends en
promenades, suffit de faire connaissance, parfois t’inscrire sur le forum, et après on part
en ballade certains plus vite que d’autres mais toujours dans une bonne ambiance.
(http://www.vroom.be/fr/forum/forums/printer-friendly.asp?tid=6249)
16 Cf. Wegener (1885/1971: 150): «This appropriating of a direct utterance of another person
in a reporting statement, whereby the original tone of sensation is lost, makes it even possible to
build actual linguistic words with fully developed natural form from interjectional sounds. And
so it was possible from the interjection ach: das Ach und Weh [alas! The Oh and Woe] to build
the verb ächzen [to lament] or perhaps even the Greek πxo+ [ache], or oïmqzw, stenázw [to wail,
to groan, etc].»
116
Franck Floricic
(11c) Ajoutez à cela que Pirlipate avait apporté, en venant au monde, deux rangées de petites dents, ou plutôt de véritables perles, avec lesquelles, deux heures après sa naissance,
elle mordit si vigoureusement le doigt du grand chancelier, qui, ayant la vue basse, avait
voulu la regarder de trop près, que, quoiqu’il appartînt à l’école des stoïques, il s’écria,
disent les uns: Ah diantre! Tandis que d’autres soutiennent, en l’honneur de la philosophie, qu’il dit seulement: Aïe! aïe! aïe! Au reste, aujourd’hui encore, les voix sont partagées sur cette grande question, aucun des deux partis n’ayant voulu céder. Et la seule chose sur laquelle les diantristes et les aïstes soient demeurés, d’accord, le seul fait qui
soit rest incontestable, c’est que la princesse Pirlipate mordit le grand chancelier au doigt.
Le pays apprit dès lors qu’il y avait autant d’esprit qu’il se trouvait de beauté dans le charmant petit corps de Pirlipatine. (http://216.239.59.104/search?q=cache:dhnuqrKAy2YJ:
www.diogene.ch/textes%2520libres/contes-nouvelles/Dumas%25201.pdf+a%C3%
AFstes&hl=fr&lr=lang_fr)
(11d) En gros je ne suis ni Ouiouitiste ni noniste mais Bofiste. Celui qui désire ne pas donner
de mauvaises réponses à de mauvaises questions. (http://66.102.9.104/search?q=cache:
m63cH5W1kBIJ:www.cahiersdufootball.com/ sujet.php%3FpageNum_replies
%3D129%26totalRows_replies%3D2085%26id%3D257+bofiste&hl=fr&lr=
lang_fr)
L’extrait (11d) est particulièrement intéressant et nous conduit directement au
cœur du problème que nous allons examiner: la même phrase contient trois formes en -iste qui toutes trois sont construites sur une interjection, à savoir oui (dans
le cas présent sa forme rédupliquée oui oui), non et bof. Nous allons consacrer la
suite de cette contribution aux formes dérivées de oui et non telles qu’elles ont pu
voir le jour à l’occasion du referendum du 29 mai 2005, et l’on verra que leur extrême variabilité est au moins en partie liée au statut interjectionnel de ces marqueurs holophrastiques17.
17 Nous n’avons pas évoqué le cas des emprunts, mais il est clair que les dérivés en -iste peuvent prendre pour base des entités qui ne font pas partie du stock lexical de la langue cible, et
qui (en partie) pour cette raison peuvent offrir une certaine variabilité dans leur réalisation. On
ne citera que deux exemples de ce cas de figure, mais il s’agit d’exemples intéressants car ils mettent en jeu tout un syntagme:
(11e) Pendant ce temps, de l’autre côté de l’Atlantique, la RIAA préparait sa vengeance.
Elle collectait ainsi de nombreuses IP sur les réseaux d’échanges de fichiers, obtenait
de façon plus ou moins douteuse des email de peer-to-peeriste, et lançait des menaces,
par mail. (http://www.forum-pc.net/news/article-416-limewire-clone-frostwire.html)
(11f) Bref, on a à faire à un parfait profil-type du anti-héros (un peu (mais pas beaucoup)
comme Perry Cox dans Scrubs, mais en moins sitcomesque et plus real-lifiste), et ça,
c’est cool. (http://www.tv-haven.net/index.php?2005/08/17/2-house)
Remarques sur Oui, Non et les -istes
117
3. Oui, non et les dérivés en -iste
On ne cherchera pas ici à se défendre d’une objection que pourraient soulever les
quelques remarques qui précédent: les formes telles que oui et non sont des «monstres linguistiques» au sens où l’on serait tentés de dire qu’elles participent de plusieurs catégories à la fois. Ces formes se distinguent des interjections «primaires» en
ceci qu’elles passent sans problème des tests tels que l’enchâssement, la coordination
ou la focalisation; non seulement ces marqueurs peuvent constituer le membre total
d’une subordonnée, mais ils peuvent aussi fonctionner comme principale d’une phrase complexe et avoir sous leur dépendance un constituant phrastique (cf. Tesnière
1936). De ce point de vue, oui et non seraient apparentés au «adverbes de phrase»
tels que peut-être ou sûrement dont ils partagent l’essentiel de la distribution syntaxique. En même temps, il convient d’observer toutefois que ces marqueurs peuvent
faire l’objet de modulations formelles quasi infinies, ce qui fondamentalement les
rattache aux interjections (cf. Brøndal 1948: 64). Lorsqu’elles ne sont pas monosyllabiques, les interjections se présentent en effet comme des formes particulièrement
brèves, et tout se passe comme si les variations que subit une base en faisant jouer
des substitutions sur l’axe syntagmatique opéraient dans les interjections sur l’axe
paradigmatique, assignant ainsi aux modulations segmentales et suprasegmentales le
même rôle que par exemple les alternances suffixales. On va voir du reste que le suffixe -iste s’attache à des formants extrêmement variables dont la valeur interjectionnelle laisse assez peu de doute.
3.1 «Tronquer ou ne pas tronquer»: that is the question . . .
Comme on l’a dit plus haut, le referendum du 29 mai 2005 a donné lieu à un foisonnement de désignations renvoyant aux partisans et aux détracteurs du projet
de constitution européenne. Parmi les multiples questions que pose la construction
des formes dérivées des marqueurs holophrastiques oui et non, on peut signaler le
problème des «contraintes de taille» ainsi que des contraintes de «fidélité».
3.1.1 Seuil phonologique et seuil informationnel
Les contraintes de taille font partie des contraintes dont les effets ont le plus d’impact
sur la forme des entités linguistiques. On considère généralement qu’il existe un seuil
en deça duquel il n’est pas possible de descendre, et que des formes sub-minimales
peuvent voir mises en œuvre des stratégies dont la raison d’être est d’optimiser des
configurations qui autrement seraient de quelque manière «marquées». Pour ce qui
est du français, il est peu probable que le seuil minimal puisse être identifié comme un
pied monosyllabique et bimoraïque, car le français n’oppose pas des voyelles brèves
et des voyelles longues, et l’inexistence d’alternances accentuelles comme celles de
l’italien ne permet pas d’inférer quoi que ce soit sur la lourdeur vs. légèreté de certaines syllabes et sur la pertinence corrélative de la more comme unité fondamentale de
118
Franck Floricic
la phonologie du français.Naturellement,une syllabe telle que sait [se] est moins complexe en terme de structure que celle de secte [sekt], mais il n’est pas possible pour
autant d’en conclure que cette différence de structure doive être analysée en termes
moraïques. L’autre hypothèse consiste à poser que l’unité fondamentale de la phonologie du français est non pas la more, mais la syllabe, et que les contraintes de minimalité qui pourraient émerger des données du français devraient prendre en compte
plutôt cette unité-ci. La phonologie des hypocoristiques apporterait du reste des arguments en ce sens, et la structure de formes telles que [sekt] pourrait dans cette perspective être analysée comme contenant une syllabe dégénérée ou catalectique. On
aura donc pour une forme telle que [sekt] une représentation comme la suivante18:
(12a)
L’assignation de la consonne [t] à une seconde syllabe dont elle fournirait l’attaque trouverait du reste confirmation dans la construction des dérivés, puisque régulièrement cette consonne est syllabifiée comme attaque (cf. sectaire, sectariser,
sectateur, sectariste, etc.). Précisons que ce n’est naturellement pas la seule solution
possible, et l’on pourrait également concevoir une structure pourvue d’une superrime, dans l’esprit de Dell 199519:
18 Bien qu’elle s’en distingue à certains égards,une analyse en termes de syllabe épenthétique telle que celle de Piggott 1994 n’est au fond pas très éloignée de celle qu’illustre la représentation (12a).
19 Une autre perspective ouverte par Plénat 1987 est d’admettre une structure dans laquelle
une consonne qui s’ajoute aux deux segments constitutifs de la rime est extrasyllabique et marquée comme étant pourvue d’un appendice, d’où une représentation telle que (12c):
(12c)
D’une manière typique, la rime est constituée d’une voyelle et d’une sonante, et toute obstruente ultérieure aura donc le statut d’élément flottant au regard du «core» de la syllabe, d’où
son association à l’appendice syllabique.
Remarques sur Oui, Non et les -istes
119
(12b) 
Il n’est évidemment pas question ici de discuter de problèmes qui dépassent de
loin l’objectif de cette contribution et qui attendent encore un traitement satisfaisant. Remarquons simplement que si les structures bisyllabiques fournissent
sans doute un patron rythmique idéal, il ne s’ensuit pas qu’il faille les reconnaître comme les seuls schémas auxquels serait soumise la phonologie du français.
Car autant des exemples tels que [sekt] semblent légitimer l’introduction d’un
constituant prosodique supplémentaire à la frontière droite du mot, autant il
semble peu fondé d’autoriser une prolifération de syllabes vides ou dégénérées
dans des formes telles que rat [ra] ou pas [pa], qui au demeurant sont particulièrement nombreuses en français. Dans des cas de ce genre, il convient simplement de constater que la syllabe est formée d’une attaque et d’un noyau, et rien
de plus.
En revanche – et la question est directement pertinente à notre propos – il est
bien connu que pour être mémorisées et reconnaissables, les entités linguistiques
doivent être dotées d’une information segmentale suffisante pour permettre leur
identification. C’est dire qu’il existe une contrainte qui tend à préserver un minimum d’information lexicale, et que cette contrainte intervient d’une manière
cruciale dans l’élidabilité ou la non élidabilité du matériel segmental à la frontière droite du mot. Or, cette contrainte opère d’une manière d’autant plus impérieuse dans le cas des monosyllabes du type CV, où l’élimination de la voyelle
en dérivation rendrait à peu près méconnaissable la forme source. C’est au fond
ce que reconnaissent Corbin/Plénat 1994: 149-50, qui observent:
Quand la voyelle en position d’être tronquée est distincte de /i/, la troncation est impossible
avec les monosyllabes, variable avec les dissyllabes, et catégorique avec les mots plus longs (cf.
(5a) – i. e. Dr. No noiste (*niste)) – quand c’est un /i/, la troncation est également impossible avec les monosyllabes, mais elle est catégorique dès que le mot atteint deux syllabes (cf.
(5b) – i. e. Pie X piiste (*piste); Gandhi gandhiste (*gandhiiste)). . . . quand le mot de base
est monosyllabique, l’évitement de l’hiatus entraînerait la disparition de toutes les syllabes du
mot de base (*niste et *piste ne conserveraient du mot de base que l’attaque initiale); cette in-
120
Franck Floricic
fraction à la contrainte de seuil est trop sévère pour que le principe d’évitement de l’hiatus
soit respecté (d’où noiste et piiste)20.
De l’analyse de Corbin/Plénat, il ressort que les formations en -iste qui prennent
pour base une syllabe constituée d’une consonne et d’une voyelle ne devraient pas
permettre l’élision de la voyelle (cf. aussi Roché 1993: 76)21. Or, les formations en
-iste construites sur le marqueur holophrastique oui montrent qu’il n’en est rien,
et que la voyelle de ce dernier peut parfaitement être élidée.
3.1.2 La structure phonologique de oui et de non
Avant d’aller plus loin, il est nécessaire de dire quelques mots de la structure morpho-phonologique de oui et de non. Comme on a déjà eu l’occasion de le préciser,
ces formes offrent une extrême variabilité quant à leur réalisation, et il convient
20 Le cas des sigles que nous avons évoqué plus haut est à cet égard instructif. Les deux extraits
suivants fournissent des exemples particulièrement intéressants de séries où la voyelle finale du
sigle est tantôt tronquée, tantôt conservée en fonction de l’opacification que provoquerait l’opération en jeu:
(13a) Le commissaire (français) européen aux transports J. Barrotstein est un être exquis,
d’une douceur extrême, paisible, qui ne ferait pas de mal à une punaise Cgtiste, un
ver Cdtiste, un moustique Fo, un ditique Ctciste, un cafard Unsiste, une marmotte
Fsuiste, une libellule Sudiste, il n’y a qu’a le voir se plaindre des misères que certains
malveillants se mettent à divulguer. (http://ce-sera-non.over-blog.com/)
(13b) Toujours pour France-Telecom, faut pas pousser, le personnel dans une grande majorité (CFDTistes, CGTistes, FOistes et même SUDistes) ont acceté de prendre des
actions de l’entreprise. Comprenne qui pourra. (http://forum.aceboard.net/p-6148603-4707-1.htm)
Si la voyelle finale du sigle UNSA (Union Nationale des Syndicats Autonomes) est élidée, c’est
qu’elle fait partie d’une série relevant d’un même hypéronyme (i. e. la notion signifiée par le terme «syndicat»), ce qui rend possible l’identification du référent à partir de l’information véhiculée par la suite segmentale [yns]. Dans le cas de FOiste ([efoist]) en revanche, l’élimination du
segment [o] rendrait méconnaissable la base, d’où le maintien de la voyelle. L’exemple de Fsuiste ([efesyist]) montre clairement que le seuil n’est pas tant phonologique (la suite [efes] constitue un bisyllabe bien formé) qu’informationnel: le référent ne peut être identifié à partir des deux
seules initiales FS, qui au demeurant interviennent dans la structure de plus d’un sigle.
21 Dans certains cas où la base est constituée d’une suite CV, on peut relever une oscillation
entre le maintien de la voyelle et sa glidification. C’est ce qu’illustre la forme huiste de l’exemple
(9c), qu’a priori on peut segmenter soit comme [yist], soit comme [ɥist]:
(13c) Une position défendue dans la presse, il y a quelques semaines, par Robert Hue. Il n’a
pas souhaité la développer devant le Comité national mais a tenu, pour «tordre le cou
à la rumeur», à répondre à certaines réactions qu’elle avait alors suscité: «À celles et
ceux qui cherchent, dans mes propos, je ne sais quelle manifestation d’une stratégie
de pouvoir, je dis simplement: vous gaspillez votre temps et votre énergie.» Et il a
poursuivi: «Je ne sais pas ce que ‹huiste› signifie. Robert Hue ne s’organise avec
personne et n’organise personne autour de lui.» (http://www.humanite.fr/journal/
2003-09-29/2003-09-29-379716)
Remarques sur Oui, Non et les -istes
121
de garder à l’esprit cette donnée fondamentale lorsqu’on en propose une caractérisation22. La première question que pose la forme oui concerne le statut du glide
initial: faut-il l’analyser comme premier membre d’une diphtongue associée au nucléus et formant un noyau complexe, ou faut-il l’analyser comme attaque syllabique? En réalité, la combinatoire syntaxique semble indiquer a priori que le glide
fonctionne comme attaque syllabique. D’une part, alors qu’une forme telle que
ami ([ami]) sélectionne la forme asyllabique de l’article défini, d’où l’ami ([lami]),
la forme oui quant à elle sélectionne la forme syllabique de l’article, d’où le oui
([lΔwi]) plutôt que l’oui ([lwi]) (cf. Gorra 1893: 485). De même au pluriel, alors que
l’ami donne les amis ([lezami]) avec le marqueur de pluriel [z] devant initiale vocalique, le pluriel du syntagme le oui donne en revanche les ouis ([lewi]) plutôt que
les [lezwi]. On a donc de bons arguments pour assigner à la forme oui la représentation (14a) plutôt que la représentation (14b):
(14a)
(14b)
La représentation du marqueur non pose quant à elle des difficultés de nature différente; alors que dans sa variante neutre le marqueur oui est constitué simplement d’une suite Glide – Voyelle associée respectivement à l’attaque et au noyau
de la syllabe, le marqueur non soulève le problème épineux de la représentation
des consonnes nasales. Il s’agit d’une question particulièrement débattue à laquelle il n’est évidemment pas question de proposer ici une quelconque solution.
On fera avec Paradis/Prunet 2000: 341 l’hypothèse que la voyelle nasale est associée à une position squelettale et deux nœuds racine. On aura dans ce cas comme représentation possible le schéma en (15a):
(15a)
(unités squelettales)
(nœuds racine)
22 Parmi les multiples variantes de ces formes, certaines se sont également imposées comme
des entités relativement autonomes. Que l’on pense par exemple aux expressions voui [vwi],
ouais [we]/[wɑ], ouiche [wiç], etc.
122
Franck Floricic
Dans une perspective telle que (15a), aucune unité temporelle n’est donc associée
à la consonne nasale, mais seulement le nœud racine23. Aussi le trait nasal de la
consonne est-il associé par défaut à la voyelle orale qui précède.
Naturellement, d’autres analyses sont techniquement envisageables, mais
d’une manière générale, la position défendue ci-dessus constitue une solution
tout à fait possible et appuyée par certains phénomènes de dérivation et de phonosyntaxe. Il est bien connu que l’élément nasal de la voyelle nasale est dissocié
de la voyelle dans des suites telles que bon ami, ce qui impose du reste de spécifier dans la représentation sous-jacente que l’élément nasal associé à l’attaque
de la syllabe suivante n’est pas n’importe quel segment nasal, mais le segment
[n]. On va voir que la même observation vaut pour la forme non, dont l’un des
dérivés en -iste offre précisément une suite voyelle orale + N, à savoir noniste
([nɔnist]).
3.2 Les dérivés en -iste du marqueur oui
Comme on l’a dit plus haut, le foisonnement de formes auquel a donné lieu le
referendum du 29 mai est tel qu’il n’est possible de signaler qu’un nombre très
restreint des très nombreuses expressions nées (ou recréées . . .) à cette occasion. Il n’est pas possible non plus d’effectuer un décompte précis du nombre
d’attestations des diverses variantes. Une donnée essentielle émerge toutefois
d’une rapide enquête réalisée en interrogeant le moteur de recherche Google:
la forme ouiste est de loin la plus fréquente des variantes répertoriées sur le
web.
23 Dans la littérature sur la question, on a également proposé que la voyelle nasale soit analysée comme une séquence voyelle orale + un élément nasal, d’où une représentation telle que
(15b):
(15b)
Dans la représentation ci-dessus, la voyelle [ɔ̃] est donc constituée de la voyelle orale [ɔ] plus
une consonne nasale flottante associée par défaut à la même position squelettale.
Remarques sur Oui, Non et les -istes
123
3.2.1 À propos de la forme ouiste
Il est en effet particulièrement frappant de constater que la forme ouiste est la plus
fréquente de toutes celles que l’on a pu répertorier24. On n’en fournira ici qu’un
exemple, mais que l’on pense relativement représentatif de ce qu’il est possible de
relever:
(16) J’ai lu dans Libération que les compagnons d’Emmaüs et l’Abbé Pierre étaient favorables au traité. Pourquoi n’en parle t-on que peu? Sans faire de la récupération de la politique, cela aurait au moins le mérite de tordre le cou à l’idée reçue propagée par le
PCF selon laquelle les ouistes sont des nantis socialement favorisés. http://www.ouisocialiste.net/article.php3?id_article=937
La première remarque qu’il convient de faire est que la forme ouiste ([wist])
contredit le principe énoncé par Corbin/Plénat 1994 selon lequel la troncation
des bases en /i/ est impossible avec les monosyllabes25. Il est néanmoins possible
de maintenir l’esprit de l’observation de Corbin/Plénat en analysant la forme ouiste comme un cas de coalescence. Dans cette perspective, on analysera cette forme
comme en (17), où la suite [wist] constitue le point de convergence de deux séries
de relations: celles qui lient chacun des formants [wi] et [ist] à sa propre représentation, et celles qui les associent à la structure où ils convergent:
24 C’est également la seule dont on ait pu relever des dérivés, comme le montrent les exemples suivants, où la forme ouiste constitue respectivement la base de dérivés en -ment, -ard, -eur,
et -(e)rie:
i.
Le gouvernement,Anastasie et ses sbires de France Télévision, ont donc jugé que d’ici
le 29 mai, les Français ne devaient être gavés que de sujets «ouistement corrects», foutant eux-mêmes à la boîte aux ordures le fumeux concept de «concurrence libre et non
faussée» qu’ils voudraient nous ériger en dogme d’airain. (http://www.lcr-rouge.org/
article.php3 ?id_article=1750)
ii.
Il n’est peut être pas encore trop tard pour les «ouistards», vous pourriez même vous
organiser un petit pélerinage à «Lourdes» entre vous, les 45% du Loto perdant
(«Lourdes moi la constit’ j’en suis constip’»!! ça fera un super slogan). (http://origine.liberation.fr/page_forum.php?Template=FOR_MSG&Message=253195)
iii. L’exemple précedent d’un ami ici faisant «confiance» à Badinter montre un peu dans
quel guépier nous sommes les uns et les autres, et il faudrait un peu l’avouer et le reconnaitre, ce texte est une horreur . . . pour les nonistes, ça on le savait, mais également
pour les ouisteurs . . . (http://www.pro-at.com/forums/topic.asp?TOPIC_ID=16385&
whichpage=20)
iv. Marrant, j’ai fait la même analyse ce matin en regardant pour la nième fois un journal
balancer une ouisterie ridicule et en faisant l’analogie avec les élections US.
(http://www.liberation.fr/page_forum.php?Template=FOR_MSG&Message=281009)
25 En réalité, Corblin/Plénat (op. cit.) précisent (N4) que « . . . la contrainte du seuil ne permet pas vraiment d’éliminer piste, qui contient intégralement Pie, comme gandhiste contient intégralement Gandhi.»
124
Franck Floricic
(17) 
Il est intéressant de remarquer que De Lacy (1999) propose précisément une analyse en termes de coalescence, mais il invoque à ce titre la forme ouiste comme étant
impossible. Il note en effet que « . . . -iste cannot haplologize with a root that is too
small. More precisely, the root must consist of more than a single mora (i. e. a vowel) if haplology is to apply to it.» En réalité, si l’on suit l’argumentation de De
Lacy, la forme ouiste serait malformée car l’unité lexicale qu’elle constitue serait
sub-minimale au sens où elle ne contient pas en propre au moins un élément moraïque26. La représentation (18c) montre en effet qu’une seule ligne d’association
(en dehors de celle de l’attaque syllabique) relie le segment de la base à la rime:
(18a) Root-Deletion
(18b) Affix-Deletion
(18c) Coalescence
Root Affix
Root Affix
Root Affix
w i s t
w i s t
w i s t
On a déjà dit plus haut que la pertinence de la more pour la phonologie du français est une question loin d’être résolue; mais même en laissant de côté cette question, il ne nous semble pas que la restriction apportée par De Lacy affaiblisse en
quoi que ce soit l’approche de la coalescence. Du point de vue de la reconnaissance
de l’information lexicale, l’élément oui est parfaitement identifiable dans la suite
ouiste ([wist]), de la même manière qu’elle l’est dans les blends dont on fournira
plus loin quelques exemples. De notre point de vue, non seulement rien ne s’oppose à admettre une représentation telle que (17) ou même (18c), mais en plus elle
offre l’avantage de préserver toute l’information segmentale (et sémantique) associée à chacun des morphèmes. On peut donc dire que l’intégrité lexicale du marqueur oui est bel et bien préservée, et son identification dans le dérivé est d’autant
plus aisée que l’ensemble des termes qui offrent la séquence initiale oui- ([wi]) est
particulièrement restreint: en ce sens, le «scanning mental» qui s’opère en produisant la forme ouiste épuise rapidement l’ensemble des termes dont on peut envisager qu’ils lui soient associés27. Il convient enfin de préciser un point sur lequel
26 « . . . a lexical morpheme must contain at least one moraic element that is unique to it (i. e.
not an exponent of another morpheme).»
27 Le Robert électronique signale, outre les variantes ouiche et oui-da du marqueur oui, les
termes ouï-dire, ouïe, ouïes, ouïg(h)our, ouïr, et ouistiti. Quant aux expressions qui présentent
Remarques sur Oui, Non et les -istes
125
on aura l’occasion de revenir plus loin: la valeur ludique d’une forme telle que
ouiste ainsi que le réseau d’associations qu’elle est susceptible de déclencher avec
tout un ensemble de formes apparentées sémantiquement et phonétiquement est
tout autant responsable de son succès (sinon plus!) que ses propriétés phonologiques, qui en l’occurrence sont assez loin d’être «optimales». Le formant ouiste est
en somme pourvu d’un coefficient d’expressivité qui n’est sans doute pas étranger
à son succès, et on peut constater que le gradient d’expressivité suit souvent une
pente inverse de celle de la «bonne formation» phonologique (cf. à ce sujet les formations onomatopéiques discutées dans Floricic sous presse).
3.2.2 Les formes rédupliquées ouiouiste et ouiouitiste
La forme qui d’une manière assez nette arrive en seconde place après ouiste est
une forme dont a priori on ne s’attendrait pas à ce qu’elle occupe une place aussi
proéminente: il s’agit de la forme ouiouiste ([wiwist]) ainsi que de sa variante
ouiouitiste ([wiwitist]), l’une et l’autre dérivées de la réduplication de oui. Comme
le montrent les extraits (19a), (19b) et (19c), les deux variantes ouiouiste et ouiouitiste présentent une valeur ludique – voire ironique – nettement palpable et indissociable de la forme à redoublement.
(19a) Liberation relate l’appel lance par le collectif «Sauvons l’Europe». L’appel concerne
avant tout des personnes de gauche qui étaient favorables a la constitution europeenne. J’en fais partie, et en ce sens, je serais pret a signer des deux mains si je faisais abstraction de la situation desastreuse de la gauche politique francaise . . . Ce qui me pousse a réfléchir avant de signer, c’est la peur de voir cet appel elargir un peu plus le fosse
entre «ouistes» (ou ouitistes, ou ouiouistes, ou toute autre appellation stupide) et les
«nonnistes». Mais d’un autre cote, je veux prouver aux «nonnistes» que les «ouitistes»
sont toujours la, et qu’ils representent toujours une partie importante de la gauche francaise . . . (http://welcometothefold.canalblog.com/archives/2005/10/01/)
(19b) C’est bientôt fini de parler de ouiouitiste et autre béni oui oui? C’est pas un peu péjoratif comme termes ça? Je ne sais pas pour les autres media mais moi je trouve que le
NON se rattrape bien sur internet . . . C’est quasiment mon seul vecteur d’information
et je doit dire qu’on est plutôt bien servi! (http://66.102.9.104/search?q=cache:jF4Wn
L85BAcJ: www.novaplanet.com/forums/viewtopic.php%3Fid%3D3552%26p%3D4+
ouiouitiste&hl=fr
(19c) Je trouve que le terme de oui ouiste est méprisant pour tous ceux qui ont voté «oui» au
référendum. J’aurai souhaité un résultat bien différent de celui qui est arrivé, c’est sûr!
(http://www.liberation.fr/page_forum.php?Template=FOR_DSC&Message=298171)
l’initial w(h)i-, il s’agit essentiellement d’anglicismes (ou de flamandismes) dont on peut douter
qu’ils fassent tous partie du stock lexical dont disposent les locuteurs francophones (cf. whig,
whiggisme, whip, whipcord, whisker, whisky, whist, wicket, williams, winch, winchester, windsurf,
windsurfiste, winglet, wintergreen, wishbone, wiski, witérite et witloof.)
126
Franck Floricic
Sémantiquement, la forme rédupliquée oui oui a par rapport à la forme simple
soit un effet intensif d’emphase, soit un effet minoratif d’atténuation. En ce sens,
il est évident que les deux variantes en (19a) et (19b) sont dotées d’un fort quotient d’expressivité. D’un certain point de vue, on remarquera d’ailleurs qu’a
priori ces formes ne devraient pas être beaucoup plus licites que ne le sont
*[z:::ytist] ou *[zy:::tist], dont on a dit plus haut qu’elles étaient exclues en vertu
du fait que le dérivé est construit sur une entité hors corrélation, un membre total dont la forme et la valeur sont indissociables de l’instance dont il émane et
avec laquelle s’instaure une relation d’identification. Aussi, les expressions
ouiouiste et ouiouitiste devraient-elles être morphologiquement aussi peu naturelles que par exemple une forme telle que ??fifillette ( fifille), ou qu’en syntaxe l’enchâssement de la forme rédupliquée oui oui ou non non au sein d’une
subordonnée (cf. ??il m’a dit que oui oui; ??je pense que non non, etc.). Si ouiouiste et ouiouitiste sont possibles, il convient de garder à l’esprit que ce n’est qu’en
se maintenant aux marges du système morphologique (mais non à l’extérieur dudit système!), où les cantonne une valeur ludique et ironique que tout un chacun
reconnaît comme telle. Pour preuve des extraits tels que (20a) et (20b), où le
scripteur effectue des observations métalinguistiques particulièrement pertinentes pour notre propos:
(20a) Désolé si ma réponse de tout à l’heure était un peu vive, mais quand je vois ouiouiste
j’ai tendance à être un peu piqué, du fait de la repetition enfantine «ouioui» qui ne se
trouve pas dans noniste, ce qui fait que noniste est plus neutre comme terme que
ouiouiste, qui je trouve prend une connotation pejorative, ouiouiste = simplet qui dit
oui. (http://forums.telerama.fr/forums/messages.asp?forum=147&msgID=218684&parentmsgID=0&threadID=63964&forumid=1431)
(20b) Je suppose que le ouiouiste renvoie un peu au ouistiti et aussi à Noddy, personnage
d’Enid Blyton appelé Oui-Oui en français. Et en bon anarchistes, les journalistes tirent
sur tout ce qui bouge . . . j’imagine qu’ils avaient aussi pensé au fait que les guignols (célèbre émission satirique à la télé) avaient un moment parodié Jospin (pour le oui) en
ouioui cité au-dessus28. (http://babel.lexilogos.com/forum/viewtopic.php?t=1047)
Comme on l’a fait remarquer plus haut et comme il ressort également des deux extraits ci-dessus, les variantes rédupliquées sont induites par et déclenchent à leur
tour tout un ensemble de connexions sémantiques qui forment un réseau intriqué
où naturellement certaines connexions sont plus prégnantes que d’autres. Le schéma en (20d) donne une idée approximative de ce que pourrait être ce réseau:
28
Cf. aussi l’extrait suivant:
(20c) Le terme même de «Oui-ouiste» illustre bien le niveau du débat actuel: c’est «OuiOui va voter», après «Oui-Oui à la plage» et «les vacances de Oui-Oui». (http://
new.udf.org/viewtopic.php?t=4197&view=next&sid=3abd8bcdfdeff701ee18b5e8e
413ff9c)
Remarques sur Oui, Non et les -istes
127
(20d)
Précisons tout de suite que la variante ouiouitiste est nettement moins fréquente
que la forme ouiouiste, et que le réseau d’associations qui se crée autour de
ouiouiste risque de ne pas être exactement le même que celui qui se noue autour
de ouiouitiste. Par exemple, la forme ouistiti ([wistiti]) a plus de chance d’être évoquée par ouiouitiste que par ouiouiste, et ce pour la simple raison que l’ensemble
des correspondances qui lient la suite segmentale du premier à ouistiti implique
davantage de connexions (cf. 20d). A contrario, et pour les mêmes raisons, on peut
s’attendre à ce que l’interjection oust ([ust]) ne soit quant à elle évoquée que d’une
manière tout à fait marginale par les variantes ouiouiste et ouiouitiste, alors qu’elle le serait davantage par la forme ouiste29. Pour ce qui est de la raison d’être de
l’asymétrie entre les deux variantes concernant leur fréquence respective, il est
sans doute possible de la ramener (au moins en partie) à des propriétés structurales. Alors que la forme ouiouiste ([wiwist]) est bisyllabique, la variante ouiouitiste
([wiwitist]) est trisyllabique et se trouve donc pénalisée par sa taille prosodique.
On va voir cependant que les variantes en -tiste peuvent être pénalisées sur un autre tableau: que le -t soit analysé comme épenthétique ou qu’il soit analysé com-
29
Pour preuve l’extrait (20e) ci-dessous:
(20e) Je pense exactement comme C. Legay, les zelateurs beni OUI-OUI ne parlent que de
ce qui les arrange dans ce texte usine a gaz incomprehensible. Des qu’on aborde ce
qui fâche il n’y a plus personne. Moi je ne vote pas pour me faire arnaquer, j’ai déjà
donné. J’attendais mieux que ca d’une zélatrice de l’UMP bcbg bien pensante. Les
arguments du OUI n’arrivent pas à la cheville de ceux du NON, c’est pour ca que les
OUIstes salissent les partisans du NON a longueur d’antenne. OUIste deviendra
bientot OUste. (http://www.lesamisduoui.com/oui/2005/05/la_charte_des_d_2.html)
128
Franck Floricic
me résultant d’une généralisation paradigmatique, il reste qu’il est absent de la
base et entraîne donc une violation de la fidélité à la base. Or, ce paramètre intervient d’une manière cruciale dans l’évaluation des deux variantes ouiiste et ouitiste.
3.2.3 À propos des «ouiistes» et des «ouitistes»
Les expressions ouiiste ([wiist]) et ouitiste ([witist]) arrivent en très bonne place
parmi les variantes les plus fréquentes que nous avons enregistrées. L’exemple (21)
fournit une illustration de la première de ces variantes:
(21) Ne pas rêver: la bien-pensance antilibérale, altermondialiste, pacifiste, antiaméricaine,
antiblairiste, anti-israélienne, a encore de beaux jours. Et les nonistes de gauche, qui auront dénoncé la pensée unique, le lynchage et le terrorisme intellectuel des ouiistes, ne
semblent pas disposés, concernant la défense de leurs susdites convictions, à adopter
pour eux-mêmes la pensée plurielle, le dialogue et l’ouverture d’esprit. Mais ces imprécateurs radotants ont pris un coup de vieux. (http://www.atlantis.org/publications_rioufol021.html)
Si contrairement à ouiste, la forme ouiiste présente l’avantage de préserver intacte l’information lexicale de la base, elle présente en revanche un hiatus d’autant
plus marqué qu’il implique deux segments identiques. En réalité, tout se passe
comme si dans le cas présent, la tendance à l’évitement du hiatus était détrônée
par la satisfaction simultanée d’au moins deux contraintes: d’une part, comme on
l’a dit, la forme ouiiste préserve toute l’information lexicale de la base, mais elle
présente en outre un gabarit bisyllabique qui, lui, constitue un schème rythmique
idéal. Dans l’exemple (21), il est du reste intéressant de constater que la forme
ouiiste ([wiist]) fait écho à la forme noniste ([nɔnist]) qui apparaît dans la même
phrase et qui offre la même structure rythmique30. Si dans le cas présent on peut
30 Ceci ne vaut que si l’on considère la forme ouiste comme monosyllabique. Si en revanche
on lui assigne une représentation telle que (22a), analogue à (12a), il faudra alors reconnaître que
la forme ouiiste est quant à elle trisyllabique (cf. 22b):
(22a)
(22b)
En réalité, l’association de l’obstruante à l’attaque d’une syllabe adjacente fournit une configuration qui préjuge de sa resyllabification en dérivation notamment; mais rien n’empêche d’admettre que par défaut, la consonne la plus périphérique s’associe au nœud syllabique de la même
Remarques sur Oui, Non et les -istes
129
penser à une certaine harmonisation structurelle entre les deux formes sémantiquement opposées, le terme ouiiste apparaît dans de nombreux contextes où on ne
peut pas lui trouver une telle justification. De toute évidence, la conjonction des
deux contraintes sus-mentionnées joue un rôle crucial dans la promotion de la forme ouiiste.
La variante ouitiste dont l’extrait (23) fournit un exemple appelle pour une part
des observations semblables:
(23) Devant la difficulté qu’ils éprouvent à défendre un texte indéfendable, les ouitistes de
gauche développent donc deux arguments défensifs: le texte est mieux que l’existant et
son rejet ne mènerait nulle part. (http://www.versailles.snes.edu/spip/article.php3?id_
article=175)
D’un côté, cette variante préserve la structure de la base, et de l’autre elle se conforme au schème bisyllabique. Mais en plus de ces deux paramètres, elle résout la configuration hiatique de ouiiste en même temps qu’elle pourvoit la seconde syllabe d’une
attaque (cf. Stein 1971: 54s.). On pourrait certes objecter que la forme ouitiste implique l’insertion d’un segment consonantique absent de la forme source, mais ce segment fait partie d’une classe dont on a déjà reconnu le caractère «non-marqué», et il
contribue d’autant à optimiser la structure syllabique, ce qui de ce point de vue en
fait a priori un candidat meilleur que ouiiste, pourtant plus fréquent. Nous devons reconnaître que la prépondérance numérique de ouiiste sur ouitiste demeure mystérieuse. Il est toujours possible d’invoquer dans des cas de ce genre l’action de
contraintes dissimilatives qui expliqueraient le moindre rendement de ouitiste, mais
de telles contraintes devraient exclure ou pénaliser tout autant (sinon plus!) la variante ouiiste – que l’on pense à des formes verbales telles que créer ([kree]), qui
connaissent de ce fait des variantes avec insertion de glide (v. [kreje] (cf.Ricken 1885,
Gorra 1893: 485, etc.). Sans doute la forme ouitiste prend-elle appui sur l’existence
de séries en -tiste auxquelles elle se conforme et dont elle contribue à augmenter la
pression paradigmatique – ces séries en -tiste constituent d’ailleurs elles-mêmes un
sous-ensemble des formes en -t(x) qui accentuent cette pression (cf. -taire, -teur,
syllabe, un peu dans l’esprit de ce que propose Plénat 1987 (cf. 22c), l’autre solution étant de lui
assigner un statut clairement extra-prosodique (cf. 22d):
(22c)
(22d)
130
Franck Floricic
-tude, -té, etc.)31. En d’autres termes, et malgré les apparences, la forme ouitiste est
mieux formée et donc moins marquée qu’il n’y paraît, ce qui d’un certain point de
vue peut lui faire perdre en expressivité ce qu’elle gagne en termes de structure interne. La forme ouiiste présente quant à elle des propriétés qui sous cet aspect s’avèrent diamétralement opposées, mais il convient de reconnaître que la prééminence
numérique de cette dernière reste quoi qu’il en soit assez mystérieuse. On ajoutera
qu’il serait sans doute pertinent de déterminer le point d’origine de l’irradiation de
chacune de ces variantes; il n’est pas rare en effet qu’une forme «prenne» à un moment donné pour des raisons qui n’ont rien à voir avec des considérations d’ordre
phonologique ou morphologique – que l’on pense au succès que peuvent connaître
certaines expressions du fait du prestige dont joui(ssen)t leur(s) promoteur(s).
3.2.4 Ouiniste(s), Ouiquiste(s), Ouiciste(s), Ouiviste(s) & Co.
Les formes qu’on a mentionnées jusqu’ici étaient relativement bien représentées
numériquement. Il en est cependant dont on ne rencontre que de très rares attestations, mais qui pour autant n’en sont pas moins intéressantes. Aussi convient-il
d’opérer une hiérarchie entre les diverses attestations dont on dispose. À titre
d’exemple, sans être aussi fréquente que les variantes signalées plus haut, la forme
ouiniste est relativement bien représentée32, alors que la forme ouiquiste apparaît
presque comme un hapax et n’est mentionnée que pour être aussitôt disqualifiée
comme étant non harmonique:
(24b) Pourquoi tant de cris et de haine? N’est-il pas possible de discuter sur un sujet aussi important sans employer des invectives ou chercher systématiquement à blesser l’autre.
Moi je suis plutôt un ouiniste, pourtant je dois avouer sincèrement que nombres d’arguments du camp du non me semblent juste et je crois que la victoire du non ne sera
pas une catastrophe pour l’Europe. (http://www.liberation.fr/page_forum.php?Template=FOR_MSG& Message=238889)
(24c) Noniste, c’est pas pire que ouiquiste. Et puis c’est hygiénique. Je n’en serai pas. Je le regrette déjà! (http://embruns.net/logbook/2005/05/03.html)
De la même manière, une forme telle que ouiciste (et sa variante orthographique
ouissiste) est attestée notamment sur le «blog» de Dominique Strauss-Kahn (cf.
31 D’après Stein 1971: 61, la consonne [t] constitue de loin le segment «intercalaire» le plus
fréquent de ceux qui apparaissent entre une base et un dérivé à initiale vocalique.
32 On ne peut pas exclure a priori que ouiniste ait pu subir l’influence d’un ensemble de termes formant constellation: noniste, winner, ouinie, etc., certains d’entre eux pouvant du reste être
associés dans le même contexte.
(24a) Et voilà c’est fait. Nous les Ouineur avons perdu. Le non a gagné avec 54 % des suffrages (29% d’abstention), c’est triste. Bon Chichi, entends la voix du peuple, vire
Rafi et prends ta retraite! El, le Ouiniste l’ourson. Sous le choc de la victoire des gens
qui ignorent la communauté et prônent l’individualisme. (http://okedomia.blogspot.com/2005_05_01_okedomia_archive.html)
Remarques sur Oui, Non et les -istes
131
25a), alors qu’on relève tout au plus quatre ou cinq occurrences de ouidiste (cf.
25b):
(25a) Les pays ouissistes acceptent la nouvelle forme de presidence de l’union mais les noniens garde la forme ancienne. A priori on ne peut pas imposer la nouvelle de presidence aux noniens. (http://www.blogdsk.net/dsk/2005/05/visionnez_le_dv.html)
(25b) Je n’ai pas vu de ouidiste soutenir le manque de démocratie mediatique proposé au
nondistes. (http://216.239.59.104/search?q=cache:XIejxmSGsSUJ: www.onnouscachetout.com/ forum/ index.php%3Fshowtopic%3D8529%26st%3D280+ouidiste
&hl=fr&lr=lang_fr
On relèvera aussi,parmi les hapax qu’on a pu enregistrer,les formes ouiviste (cf.26a)
et ouichiste (cf. 26b), dont on dénombre respectivement quatre et une occurrences:
(26a) L’Agriculture concerne tout les gens qui se nourrissent autrement qu’avec seulement l’air
du temps et tout ceux aussi qui vont parfois hors des villes, la campagne, pas le désert. Yannick, tes arguments tiennent encore moins la route que ceux des Ouivistes. Il faut dire que
Chirac ne fut pas trés convaincant, pas trés bon, mais peut-être qu’il a dit quelques phrases
convaincantes.Les Nonvistes,eux,ne savent que parler de leur peur,la peur de situations squi
sont inéluctables. http://laurence.blog.lemonde.fr/laurence/2005/04/je_compte_sur_v.html
(26b) crévindieu, cet aprem, vla ti pas qu’on a été bombardé par les ouichistes . . . (http://
216.239.59.104/search?q=cache:ChlgVgF3z5sJ:www.terre-net.fr/forums/default.
asp%3Fpage%3D8%26c%3Ddtl%26idSujet%3D295%26ordre%3Ddte_depot%26typOrdre%3Ddesc%26affList%3D%26thread%3D00064707+ouichistes&hl=fr)
Il n’est pas toujours aisé de déterminer les principes qui président à l’émergence
de telle ou telle forme et à l’inexistence de telle ou telle autre – inexistence étant
entendu ici au sens d’absence d’attestation sur le web, ce qui bien évidemment ne
signifie pas que dans l’absolu d’autres variantes n’aient pas pu voir le jour. Dans
le cas des formes ouiciste ([wisist]) et ouidiste ([widist]), il est probable que l’existence de paradigmes de formes en -ciste et -diste ait pu contribuer à promouvoir
ces variantes – comme me le fait observer Georgette Dal (c. p.), on ne peut pas exclure que la forme oui-da ait participé à la promotion de la variante ouidiste33. Pour
ce qui est du hapax ouichiste, il est vraisemblable qu’il soit construit sur la variante ouiche ([wiç]) du marqueur holophrastique34. Pour autant, on ne voit pas très
On pourrait penser aussi à une influence possible de ouï-dire sur la formation de ouidiste.
La variante ouijiste ([wiist]) avec consonne sonore est également attestée, mais elle constitue un dérivé de ouija, et non du marqueur oui:
33
34
(27) Ouija est sans conteste le jeu paranormal le plus populaire chez les adolescents. Les
enquêtes démontrent que 60% des élèves, à la fin de leur secondaire, ont joué ou assisté à un scéance de Ouija. En fait, le cinéma et les médias ne cessent de favoriser la
croyance en l’existence des phénomènes paranormaux. Le sujet sera abordé avec une
approche «sceptique». Des exemples de planches ouijistes, des textes, des extraits
audiovisuels accompagnent l’atelier. (http://www.geocities.com/danielcoulombe/
INTERNETConference.htm)
132
Franck Floricic
bien ce qui exclurait ouiguiste ([wigist]) au profit de ouiquiste ([wikist]). Sans prétendre apporter de réponse à cette question, il est intéressant de constater que la
variante sonore des segments précédant -iste implique en général la variante sourde: en d’autres termes, toutes choses égales par ailleurs, c’est le segment dépourvu
du trait de voisement qui émerge en contexte intervocalique, et lorsque le segment
pourvu du trait de voisement est également attesté, la variante [-F] est de loin la
plus fréquente (i. e. [widist] implique [witist] et la seconde est plus fréquente que
la première). La forme ouiviste constitue une exception évidente à ce principe,
puisqu’on n’a relevé aucune occurrence de ouifiste ([wifist]). En réalité, [wifist] est
bel et bien attesté, mais il s’agit d’un dérivé de wifi, et non pas de oui. Tout se passe donc comme si la forme ouifiste était pénalisée en vertu du fait qu’elle constitue une «naming unit» déjà installée comme désignation d’un référent donné. Cette contrainte agit du reste d’une manière cruciale dans la sélection de variantes par
ailleurs également viables: rien ne s’oppose à ce qu’un sigle tel que S. I. D. A. (Swedish International Development Agency) soit oralisé par lecture, si ce n’est le clash
que ce mode d’oralisation induirait de sa coïncidence avec le nom de la maladie.
De la même manière, Fabio Montermini (c. p.) me fait observer que les règles qui
président à la construction des hypocoristiques italiens devraient en principe autoriser Fic(c)a comme diminutif de Federica. De toute évidence, le fait que le formant fica ([fica]) désigne (entre autres) la vulve pénalise cet hypocoristique, qui
par ailleurs est parfaitement bien formé phonologiquement.
3.2.5 Des formes prosthétiques?
Pour clore ces quelques remarques sur les dérivés de oui, on attirera l’attention sur
un ou deux types de formations dont la structure se distingue légèrement de celles qu’on a signalées jusqu’à présent. Parmi les dérivés qu’on a examinés, certains
présentent entre la base et le suffixe un élément consonantique qu’on peut a priori analyser soit comme une consonne épenthétique, soit comme partie intégrante
de l’un des allomorphes du suffixe, soit encore comme un résultat de l’extension
de la finale -tiste (cf. ouitiste [witist]). Il est cependant possible d’enregistrer des
formes telles que vouiste ou nouiste, où un segment apparaît à la frontière gauche
de la base qui ne fait pas non plus partie de cette dernière:
(28a) L’Europe des crétins, la peur des nonistes et l’émulsion des vouistes, c’est pareil, ça tue.
(http://35heures.blog.lemonde.fr/35heures/2005/05/pentecte_cest_n.html)
(28b) J’ai du mal à comprendre a quoi peut servir de discutter la réforme du Canada alors que
la formule d’amendement ne permet que très très difficilement le moindre changement
et surtout que ceux qui veulent du changements sont plus que minoritaires. Les fédéralistes du Canada et Québécois (PLC), les nouistes (ni oui, ni non=ADQ) n’en réclament
pas. La seule question est de savoir si nous restons annexés ou si on veut un pays bien à
nous. (http://216.239.59.104/search?q=cache:6z0U7WIXyPQJ:www.souverainete.info/
forum/read.php%3Ff%3D7%26i%3D4440%26t%3D4313%26v%3Dt+nouistes
&hl=fr)
Remarques sur Oui, Non et les -istes
133
La forme vouiste est de toute évidence construite sur la variante voui de oui, où la
consonne initiale peut s’analyser comme résultat d’un processus de fortition.
Quant à la variante nouiste, elle est particulièrement intéressante car elle fournit
a priori des arguments en faveur de l’analyse en termes de coalescence. L’extrait
(28c) explicite d’ailleurs d’une manière on ne peut plus claire le processus dont
cette forme est le résultat:
(28c) Avertissement: Ce n’est pas politique! c’est mieux, c’est de l’art! Confronté, comme
beaucoup de nos concitoyens, à la schizophrénie politique ambiante incarnée par cette
division des forces politiques entre le oui et le non, nous ne voyons pas d’autre alternative que de faire fusionner les contraires dans une formule poétique: le NOUI. Qu’est
ce que le NOUI? Le NOUI est une contraction de NON et OUI: NON-OUI . . . NONOUI . . . NOOUI . . . NOUI (http://www.provisoire.net/noui/)
Si l’on reprend le schéma présenté en (17), on analysera comme en (29) la structure de la forme nouiste:
(29) 
Le fait que la forme nouiste sélectionne la consonne initiale du marqueur non
(et pas n’importe quelle consonne) laisse peu de doute. Il apparaît donc que si
elles offrent une structure semblable, les variantes vouiste et nouiste sont pourvues d’une consonne initiale dont la raison d’être est dans les deux cas différente.
Le cas de la forme nouiste nous amène directement aux formations en -iste
construites sur le morphème non, dont on vu quelques exemples plus haut mais
dont on a dit assez peu de choses jusqu’à présent.
3.3 Les dérivés de non
À vrai dire, une partie des observations que l’on a faites à propos des dérivés du
marqueur oui valent également pour les dérivés de non, et il est du reste intéressant de remarquer que les deux types de formations fonctionnent souvent de
concert, se faisant l’écho l’une de l’autre.
134
Franck Floricic
3.3.1 À propos des nonvistes et des nontistes
Un des exemples les plus éclairants de ce fonctionnement «en miroir» des formes
dérivées de oui et de non est celui de l’expression nonviste dont l’extrait (26a) signalé plus haut fournit une illustration:
(30a) (= 26a) L’Agriculture concerne tout les gens qui se nourrissent autrement qu’avec seulement l’air du temps et tout ceux aussi qui vont parfois hors des villes, la campagne, pas
le désert. Yannick, tes arguments tiennent encore moins la route que ceux des Ouivistes. Il faut dire que Chirac ne fut pas trés convaincant, pas très bon, mais peut-être qu’il
a dit quelques phrases convaincantes. Les Nonvistes, eux, ne savent que parler de leur
peur, la peur de situations squi sont inéluctables. (http://laurence.blog.lemonde.fr/laurence/2005/04/je_compte_sur_v.html)
S’il constitue un hapax, il n’en demeure pas moins que le terme nonviste ([nɔ̃vist])
est formé sur le modèle de ouiviste qui apparaît dans le contexte immédiatement
à gauche – la constrictive [v] résulte probablement de la fortition du glide de la forme rédupliquée ouioui ([wiwi]). De toute évidence, le mode de formation du dérivé de non suit le schéma de la proportionnelle:
(30b) Oui ([wi])
Non ([nɔ̃])
:
:
ouiviste ([wivist])
x
(x = nonviste [nɔ̃vist])
À priori, on serait tenté d’en dire autant de la forme nontiste, qui dans l’extrait
(31a) apparaît juste après le dérivé ouitiste:
(31a) Et comble de la manipulation perverse, les Ouitistes brandissent à nouveau le danger
de l’extrême droite, et accusent les Nontistes d’en être les responsables! Faut-il que la
raison et les arguments pour le NON fassent peur, pour ressortir ces vieilles lunes ténébreuses! (http://www.specios.net/ondiraitvous/article.php3?id_article=180)
Naturellement, il est possible que de telles formations analogiques résultent de la
présence dans l’entourage immédiat d’une forme qui sert de modèle35. Mais la variante nontiste apparaît dans de nombreux contextes où la forme ouitiste est absente, ce qui tendrait à indiquer que si elles sont naturellement liées, ces deux expressions ne sont pas forcément faites l’une sur l’autre. Comme on a eu l’occasion
de le signaler, il est probable que le paradigme des formes en -tiste exerce une certaine pression susceptible de promouvoir la variante nontiste. On ne peut pas exclure non plus que l’exposant de troisième personne du singulier et du pluriel -t-
35
C’est également ce que tendrait à confirmer un exemple tel que (31b):
(31b) (= 25b) Je n’ai pas vu de ouidiste soutenir le manque de démocratie mediatique
proposé au nondistes. (http://216.239.59.104/search?q=cache:XIejxmSGsSUJ:www.
onnouscachetout.com/forum/index.php%3Fshowtopic%3D8529%26st%3D280+
ouidiste&hl=fr&lr=lang_fr)
Remarques sur Oui, Non et les -istes
135
qui affleure en contexte de liaison contribue à faire émerger ou à promouvoir la
finale -tiste. Les extraits (32a) et (32b) montrent en effet que s’agissant d’entités
dont il est question et autour desquelles s’articule la prédication, l’exposant du verbe à la troisième personne peut se voir propager en vertu du fait qu’il constitue un
«zéro morphologique» (cf. Koch 1994):
(32a) Je crois en la sincérité de CERTAINS nontistes quand ils disent qu’il veulent une autre
Europe, une Europe davantage sociale. . . . Comment vont-ils pouvoir s’unir ces nontistes de bord si différents pour présenter AUTRE chose? c’est croire au Père Noël, comme dit Alain (http://coumarine.canalblog.com/archives/2005/05/30/536763.html)
(32b) Il faudra trouver un compromis, cela prendra du temps des mois et mêmes des années
et ce compromis sera validé par les élus en place => dans 3/4 ans ou plus, l’Europe politique penchera à gauche ou à droite et la nouvelle proposition de traité sera-t-elle
meilleure ou moins bonne, seule madame Irma avec sa boule cristal peut vous le dire!
et certains «nontistes» trouveront une amélioration et deviendront «ouitistes» et certains «ouitistes» deviendront «nontistes». (http://www.u-blog.net/constitution/note/17)
Aussi le point fondamental réside-t-il en ceci qu’indépendamment de tout critère
de bonne formation phonologique, des contraintes purement morphologiques
peuvent s’exercer et donner la priorité à telle ou telle forme.
3.3.2 Les nonistes & Co.
Nous avons eu plus haut l’occasion de dire quelques mots de la structure phonologique du marqueur non. Nous avons signalé qu’une analyse possible de la
voyelle [ɔ̃] était de la reconnaître comme une suite formée d’une voyelle orale
plus le trait de nasalité dont elle hérite par propagation de la consonne nasale
suivante. Dans la mesure où cette consonne a au niveau sous-jacent le statut
d’élément flottant, la nécessité d’assigner à la syllabe une attaque implique l’association de cet élément à l’attaque suivante dès lors qu’elle est vide36. Une forme telle que noniste, dont l’extrait (33a) fournit un exemple, aura donc la représentation en (33b):
36 Cf. Paradis/Prunet 1998: 215: «The unanchored nasal consonant may, in some words and/
or languages, be prelinked to the vowel, as shown in (4a), but in most cases, the link is added during phonological derivations. Formally, the unpacking in borrowings consists of providing the
unanchored nasal consonant with a timing unit, and delinking the nasal feature from the vowel
if this feature is already linked to the vowel, as in (4b), which is usually the case at the moment
borrowings are introduced into the target language (cf. Paradis and LaCharité 1997)».
(4a)
(4b)
136
Franck Floricic
(33a) Tout ce qu’il va dire de positif et de vrai va perdre de sa susbstantifique moëlle puisque
cela sortira de sa bouche et toutes les boulettes catastrophistes, démagogiques et/ou fausses qu’il ne manquera pas de pondre (je lui fais confiance) seront montées en épingle par
les nonistes (néologisme personnel). En définitive l’effet sera négatif et au vu des derniers sondages, les ouistes (vous aurez reconnu un autre néologisme directement dérivé
du précédent) ont du souci à se faire. (http://paupolette.blog.lemonde.fr/paupolette/
2005/03/)
(33b)
Bien que les formes écrites puissent difficilement rendre compte de la manière
dont sont effectivement prononcées les nombreuses variantes du dérivé de non,
l’utilisation de conventions typographiques particulières semble autoriser l’interprétation selon laquelle l’expression [nɔnist] connaît également une variante
[nɔ̃nist] où la consonne nasale est associée à l’attaque de la syllabe suivante et où
la voyelle reste en même temps nasale (cf. 34a et 34b):
(34a) Je suis devenu non-niste, depuis deux mois seulement, après de longs débats, discussions, recherche d’informations et lecture du TCE. (http://www.liberation.fr/page_
forum.php?Template=FOR_DSC&Message=232185)
(34b) Je suis convaincu que la raison et la fraternité sauront emporter l’esprit du congrès. Je
n’ai pas signé la fameuse contribution du premier secrétaire en poste. Grand bien m’y
a fait, car l’esprit de liberté de pouvoir discuter avec tous sans aucun à priori est devenu possible. Et rien n’oppose en l’espèce les «oui-ouistes» et les «non-nistes». Je veux
dépasser cela; viser l’excellence et l’unité du parti, en tendant la main à toutes celles et
tous ceux qui veulent être d’abord en phase avec les attentes et espoirs des salariés et
des plus démunis. (http://gilbert-roger.typepad.com/gilbert_roger/2005/08/)
De toute évidence, la forme non fonctionne ici comme dans les formations préfixales où, devant initiale vocalique, elle présente soit le formant [nɔn], soit le formant [nɔ̃n] (cf. des expressions telles que non-ingérence ([nɔnẽerãs]/[nɔ̃nẽerãs]).
On peut a priori considérer que le trait de nasalité de la consonne est associé à la
fois à la voyelle orale qui précède et à la position d’attaque de la syllabe suivante.
Il n’est évidemment pas question, dans le cadre de cette contribution, de rentrer
davantage dans les détails du fonctionnement des voyelles nasales en phonosyn-
Remarques sur Oui, Non et les -istes
137
taxe. Qu’il nous suffise de remarquer que les dérivés en -iste du marqueur non exploitent la nasalité pour élargir l’éventail de variantes associées à ce marqueur.
3.3.3 Les formes rédupliquées de non
Les observations qui valent pour la forme simple valent en partie également,
concernant du moins la nasalité, pour les dérivés en -iste de la variante rédupliquée
de la négation, à savoir non non. Il semble en effet que les variantes avec et sans
dénasalisation des deux voyelles nasales soient également attestées, comme le
montrent les exemples (35a) et (35b):
(35a) J’ai vu que beaucoup de «partisans du non» appelaient les «partisans du oui» des ouiouistes . . . C’est charmant . . . Alors j’hésite . . . je vais vous appelez les nonos?? Les nononistes?? Les nonettes?? Les nonuttes?? (http://www.comlive.net/sujet-63959-304.html)
(35b) Les ouiouitistes diabolisent le Non alors que les nonnontistes apparaissent comme de gentils sauveurs de brebis égarés. (http://www.les-marcheurs.net/article.php3? id_article=194)
Il convient de préciser que ces formes n’offrent que quelques rares occurrences, et
qu’elles sont en ce sens relativement marginales en termes de fréquence. Ce faible
rendement résulte sans doute de ce que la forme rédupliquée de la négation est
beaucoup plus du côté de l’interjection que ne l’est la forme simple, et que l’interjection constitue une base de dérivation non prototypique. On a déjà signalé plus
haut que la forme rédupliquée oui oui et son dérivé présentaient une valeur ludique et ironique indéniable; or, cette valeur se retrouve de toute évidence dans le
dérivé de la forme rédupliquée non non, qui offre donc le même type de pondération entre le coefficient d’expressivité et le coefficient de bonne formation morpho(no)logique.
3.3.4 À propos des ouistes et des nonstes
Nous allons clore ces quelques considérations sur les dérivés en -iste de oui et de
non en signalant une forme des plus intéressantes. Les extraits (36a) et (36b) montrent qu’à côté des dérivés du type noniste ([nɔnist]), on peut relever toute une série d’occurrences où le suffixe prend la forme -ste ([st]):
(36a) Pour être honnête, jusqu’à une période récente, je voulais voter oui. Par idéal européen,
par volonté de ne pas être dans le même camps qu’un borgne facho et un baron fin de
race. Puis j’ai écouté les uns les autres, j’ai entendu des remarques cruelles et sans objet, de la propagande vile et niaise, des imprécations de ouistes, de nonstes, des rancoeurs et des vieilles haines recuites . . . (http://hecate.tooblog.fr/?General/2005/05)
(36b) Il serait tentant d’aller voir ailleurs.Mais ce serait une réaction de fuite.Je vais donc continuer à vous lire, chers ouistes et nonstes, peut-être intervenir à l’occasion, certainement
essayer quelques synthèses sur divers points évoqués ici. (http://origine.liberation.fr/
page_forum.php?Template=FOR_DSC&Message=311628)
138
Franck Floricic
On pourrait dans un premier temps penser qu’il s’agit d’erreurs typographiques
comme on en relève beaucoup sur le web. Mais la régularité des attestations de la
variante nonste interdit de la considérer comme une coquille. Pour interpréter correctement la structure de cette dernière, il convient de rappeler l’analyse que nous
avons proposée de la forme ouiste (cf. 37a):
(37a) (=17)
Nous avons en effet suggéré une analyse où la suite [wist] constitue le point de
convergence de deux séries de relations qui lient respectivement chacun des formants [wi] et [ist] à sa propre représentation et à la structure où ils convergent. Il
apparaît donc que la voyelle [i] assume ici un double statut: elle s’interprète en
même temps comme élément constitutif de la base, et comme élément constitutif
du suffixe. L’apport sémantique relativement abstrait et sous-déterminé du suffixe
-iste, ainsi que la prégnance du contenu signifié par le marqueur oui peuvent cependant induire une ré-analyse en vertu de laquelle le suffixe est amputé de la
voyelle qui le constitue, et qui se trouve déjà représentée dans la base. Techniquement, ce processus résulte d’une dissociation de la voyelle de ouiste par rapport à
la position squelettale associée à la voyelle initiale du suffixe (cf. 37b):
(37b) (=17)
Cette opération a pour résultat la création d’une variante -ste ([st]) du suffixe -iste.
On pourrait certes parler d’allomorphie, mais l’utilisation de ce terme laisserait
croire qu’il existe dans le lexique deux variantes d’un même suffixe dont la distribution est conditionnée par le contexte, alors qu’en l’occurrence, il s’agit simplement d’une ré-analyse locale. À partir du moment, donc, où ouiste peut être réinterprété ou ré-analysé comme oui-ste, l’application de la proportionnelle peut
donner sans problème nonste ([nɔ̃st]), d’où les formes en (36a) et (36b), qui du
reste apparaissent dans le voisinage immédiat de ouiste sur lequel elles sont construites (cf. 38):
Remarques sur Oui, Non et les -istes
(38) oui
:
non
:
139
(ou[i)ste] → (oui)[ste]
↓
nonste
On a d’ailleurs pu relever des formes telles que non nonste/nonnonste ([nɔ̃nɔ̃st]),
où cette fois la variante -ste ([st]) du suffixe est attachée à la forme rédupliquée de
la négation (cf. 39a-b):
(39a) merci pour ce comment patamou, enfin un elan positif qui n’exclut personne!!! moi je
ne vois pas de «oui ouiste» ou de «non nonst» juste des êtres humains qui se doivent de
relever la tête et de marcher ensemble!!! (http://www.u-blog.net/ricket/2005/06/10)
(39b) Maintenant quand Vendredi Soir, on me sort royalement qu’on va voter NON parce
que la redevance télé a augmenté, je me doute que le niveau intellectuel est relativement à élever chez ces gens là (ceux votent NON pour de mauvaises raisons attention
pas tous les nonnonstes) et que le plombier polonais qui a été brandi comme un épouvantail pour faire peur au français n’a rien à nous envier, bien au contraire. (http://
communaute.f1-express.net/viewtopic.php?p=409351)
Bien qu’il s’agisse d’une attestation isolée, il n’en demeure pas moins qu’elle obéit
parfaitement au schème de structuration en (38), où la forme nonste ([nɔ̃st]) est
refaite sur la réanalyse de (ou[i)ste] comme (oui)[ste].
Il s’en faut que les considérations qui précèdent épuisent en quoi que ce soit
l’analyse des dérivés en -iste des marqueurs oui et non. Nous avons sans aucun
doute ignoré des variantes qui auraient mérité d’être signalées et qui auraient pu
confirmer ou infirmer certaines des hypothèses que nous avons formulées. Il s’agissait moins, cependant, de prétendre à l’exhaustivité que de présenter des données
originales et d’une grande portée pour l’analyse morphologique.
Dans la dernière partie de ce travail, et en guise d’épilogue, nous allons présenter un certain nombre de formations qui confirment l’analyse des formes en -iste
en termes de coalescence. Il s’agit là aussi de formes particulièrement intéressantes car aux marges du système morphologique.
3.4 Épilogue: oui, -iste et les «blends»
On dira en effet quelques mots, en guise d’épilogue, sur des formations qui résultent de l’insertion de l’information segmentale associée au morphème oui (ou à
son dérivé ouiste) au sein d’un terme donné:
(40a) Face à la crise politique ouverte par la victoire du Non, la grande bourgeoisie tente de
reprendre la main en prenant de vitesse les travailleurs. Elle mise pour cela sur l’attentisme de la «gauche d’en haut». Sans parler du Parti Social-Ouiste, plus préoccupé par
2007 que par son devoir d’opposition, les états-majors syndicaux inféodés à la CES ont
laissé passer juin sans engager l’action pour l’annulation des délocalisations et des euroréformes Raffarin. (http://www.initiative-communiste.fr/wordpress/?p=275)
140
Franck Floricic
(40b) Dans votre raisonnement sur la paix, il y a un chaînon que je n’arrive pas à replacer.Vous
trouvez l’argument catastroph-ouiste de la menace sur la paix en cas de NON ridicule.
(http://www.bigbangblog.net/forum.php3?id_article=77&id_forum=707&retour=
%2Farticle.php3%3Fid_article=77)
(40c) Écoutez les arguments du OUI et votez NON! Florilège de nos humanouistes qui pensent
à leurs générations futures (http://lbervas.typepad.com/anna/2004/11/just_say_no.html
Les formes Social-Ouiste, catastroph-ouiste et humanouiste en (40a), (40b) et (40c)
constituent des «blends» au sens où l’output résulte de la fusion (de tout ou partie) de l’information associée aux deux entités qui leur servent de base. Or, il semble bien que ces trois formes appellent le même type d’analyse que celle proposée
en (17); a priori, on peut en effet analyser chacune de ces expressions comme en
(41a), (41b) et (41c), où la ligne intermédiaire voit converger le réseau de connexions associées à chacun des termes source:
(41a)
(41b)
(41c)
Remarques sur Oui, Non et les -istes
141
Naturellement, il convient de préciser que de la même manière qu’en syntaxe de
dépendance, les connexions structurales se doublent de connexions sémantiques,
ici aussi, le réseau de connexions met en même temps (et indissociablement) en
relation de l’information segmentale et de l’information sémantique. De ce point
de vue, le contenu sémantique du blend n’est pas fondamentalement différent de
ce qu’il serait dans un syntagme déterminé – déterminant formé de chacun de ses
éléments constitutifs: à titre d’exemple, socialouiste s’interprète sémantiquement
comme l’intersection de la compréhension des termes socialiste et ouiste. La particularité et l’effet ludique du blend résultent notamment de ce qu’il rompt la linéarité de l’information par l’irruption, en un point donné de la chaîne, d’une information que l’on n’attend pas, d’où des chevauchements d’autant plus efficaces
qu’ils déclenchent des associations mentales multiples et variées.
Précisons que dans les exemples ci-dessus, le blend est construit à partir de deux
termes qui sont eux-mêmes des dérivés en -iste, d’où un alignement de chacun
d’eux à la frontière droite du mot. On peut cependant relever des exemples tels
que (42a) et (42b), où la forme oui est comme infixée au sein du nom source. Les
schémas en (43a) et (43b) offrent une représentation possible des expressions totalouitaire et découinner:
(42a) Un seuil qualitatif dans la fascisation de la démocratie bourgeoise vient en outre d’être
franchi: chef de l’UMP, Sarkozy est aussi le ministre de l’Intérieur chargé des futures
élections. Après la campagne d’État «totalouitaire» du référendum, ça promet!
(http://www.initiative-communiste.fr/wordpress/?p=275)
(42b) Faut pas découinner! Torreton n’est pas Jaures. . . . L’Agent Propagandouiste OUinneur
aura été, comme Bips, artificieux tricheur du début à la fin. (http://www.oui-et-non.com/
react.php?id=1839&type=oui)
(43a) 
(43b)
142
Franck Floricic
À vrai dire, l’analyse des formes totalouitaire et découinner est loin d’être évidente. On pourrait a priori considérer qu’un segment épenthétique est inséré dans une
expression telle que totalouitaire. Il est toutefois évident que l’élément qui apparaît dans cette expression, comme dans celles en (39a), (39b) et (39c), n’est pas un
segment phonétique quelconque, mais un formant phonétiquement et sémantiquement défini, qui se trouve correspondre au marqueur oui37. Or, ce formant n’est
pas à proprement parler «inséré» au sein de la forme source; il s’y coule ou il s’y
modèle, en lui faisant éventuellement subir des distorsions. C’est particulièrement
clair dans le cas de l’expression découinner ([dekwine]), où la voyelle [o] du verbe
déconner fait place au glide du marqueur oui. Dire toutefois que la voyelle fait place au glide ne rend pas fidèlement compte des opérations en jeu: en réalité, chacun des éléments du réseau participe de plein droit au schéma de construction qui
produit le blend. Tout au plus peut-on reconnaître que tel ou tel élément peut intervenir d’une manière plus ou moins prégnante dans le réseau où il prend place.
Dans le cas de la forme découinner, et en dépit du fait que le verbe couiner présente davantage de connexions segmentales communes avec découinner, le marqueur oui construit une valeur déjà activée dans le contexte et offre donc en ce
sens une prégnance majeure qui assure son identification dans le blend. Aussi la
structure en réseau qu’illustre le schéma en (43b) nous semble-t-elle plus à même
de décrire la complexité des relations dont le blend constitue le nœud. Comme cas
extrême de «propagation» du marqueur oui, on relèvera pour finir un exemple tel
que (45), où ce marqueur apparaît non seulement au sein de chacun des termes
pourvus des voyelles [i], [u] ou encore [y], mais également au sein de termes où ces
dernières sont absentes:
37 Cf. également (44a), (44b) et (44c). Le cas du terme utopOUIste en (44b) est à cet égard instructif, car il signale typographiquement l’élément qu’il donne à voir:
(44a) Comme ils ont pu le constater lors des débats (peu démocratiques et propagandouistes), et comme j’ai pu le lire et l’entendre là où les citoyens pouvaient plus ou
moins librement s’exprimer, le politiquement correct commence à se fissurer malgré
la pression de la pensée dominante. (http://www.france-echos.com/actualite.php?cle=
5502)
(44b) bossant également en Allemagne j’ai aussi mainte fois entendu ce genre de discours
et hélas il semble se propager chez des gens soit disant de gauche . . . je fais parti des
utopOUIstes qui pensait qu’en votant pour le traité nos amis polonais, tchéques et
autres nouveaux entrants profiteraient de l’Europe comme nos amis portugais et irlandais en profitent depuis une vingtaine d’annés . . . (http://origine.liberation.fr/
page_forum.php?Template=FOR_DSC&Message=296103)
(44c) Et bien que vous soyez un rêveur comme tous ces Denbas qui «veulent y croire», il
doit vous rester assez de lucidité pour subodorer qu’en vertu de la «dure concurrence» (du dumping social que vos amis Européouistes laissent deferler sur l’Europe . . .
ce n’est ÉVIDEMMENT pas la démagogie des 35h qui prévaudra, ni les 5 semaines
de congés payés/an . . .. http://www.ledebat.com/reactions-les-oeilleres-des-ouistes2431.html
Remarques sur Oui, Non et les -istes
143
(45) Bonjouir à touites et touis, et bonne jouirnée à vouis. Jouiste un petouit rappel: le doumanche 29 moui, ne vouis trompez pas de bouilletin dans l’ouirne! Merçoui d’avance.
(http://www.liberation.fr/page_forum.php?Template=FOR_MSG&Message=277501)
L’exemple (45) illustre certes un cas extrême, mais il montre néanmoins que les
opérations qu’on a présentées plus haut peuvent s’appliquer à des séries toutes entières. En l’occurrence, presque tous les termes susceptibles de l’accueillir voient
se couler en leur sein le marqueur oui, y compris le substantif mai ([me]), qui ne
conserve plus dans moui ([mwi]) que sa consonne initiale. De toute évidence, il ne
serait pas possible a priori d’identifier rien de précis dans une forme telle que moui
prise isolément, mais son insertion dans le contexte rend parfaitement palpable le
renvoi au terme mai.
4. Conclusion
L’objectif de cette contribution était d’offrir un début de description des dérivés
en -iste, en prenant comme point de départ les formations construites sur les marqueurs oui et non. L’intérêt de prendre en compte ces marqueurs était double:
d’une part, les événements politiques français et européens ont fourni l’occasion
de «nommer» des réalités particulières, et de cette nécessité a vu le jour tout un
florilège de formations dont nous avons à peine effleuré la diversité. D’autre part,
les marqueurs holophrastiques oui et non – et plus généralement les interjections –
constituent des candidats «non prototypiques» au statut de base de dérivation. On
a d’ailleurs pu relever, à l’occasion du référendum du 29 mai 2005, des formations
qui par leur nombre et leur diversité mettent clairement en question certains des
postulats attachés à la nature de la dérivation en -iste. À titre d’exemple, les données signalées dans ce travail montrent clairement que la forme ouiste est parfaitement bien représentée (plusieurs milliers d’attestations) et qu’en conséquence il
n’est pas possible de l’exclure en vertu de l’application d’un éventuel «principe de
minimalité». Du point de vue catégoriel aussi, les formations étudiées ci-dessus
montrent qu’il s’en faut que les dérivés en -iste prennent exclusivement comme
base des noms. Non seulement les dérivés de oui et de non montrent que des formes interjectionnelles peuvent également participer à la dérivation en -iste, mais
elles illustrent en outre l’extrême variation des réalisations de ces dérivés, variation que l’on peut imputer à la fois au caractère monosyllabique des marqueurs
oui et non et au potentiel d’expressivité qui est le leur. On n’en conclura pas, pour
autant, que les phénomènes qu’on a présentés dans cette contribution sont «extragrammaticaux» (cf. Dressler 2000). Les interjections – et a fortiori des termes
tels que oui et non, qui s’éloignent le plus du «core» de la classe des interjections –
font bel et bien partie du système de la langue. Comme l’observe Troubetzkoy
1957: 24, « . . . des phénomènes comme l’allongement de la consonne et de la voyelle dans le mot allemand schschöön! («admirable»), prononcé avec extase, est évi-
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Franck Floricic
demment un phénomène linguistique (glottique): d’abord parce qu’il ne peut être
observé que dans des manifestations linguistiques et non extra-linguistiques, ensuite parce qu’il possède une fonction déterminée et enfin parce qu’il est conventionnel comme tous les autres procédés linguistiques pourvus de fonction» (cf. aussi Brøndal 1948: 64-65). Ce n’est pas dire, évidemment, que les interjections (pour
ne parler que d’elles) ne soient caractérisées par des propriétés qui leur assignent
dans le système une place particulière, mais leur place au sein du système ne fait
quant à elle aucun doute.
Toulouse (ERSS – CNRS)
Franck Floricic
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