TITRE IV LE NANTISSEMENT

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TITRE IV LE NANTISSEMENT
TITRE IV
LE NANTISSEMENT
CHAPITRE 1er – NOTIONS FONDAMENTALES
SECTION 1. DEFINITION – GENERALITES
1.
Le gage est un contrat par lequel une personne (soit le débiteur, soit un tiers
agissant pour le débiteur) remet une chose à une autre personne (soit le créancier, soit
un tiers convenu entre les parties) pour garantir la bonne exécution d’une ou de
plusieurs obligations (article 2071 alinéa 1er du Code civil)1.
Le gage a pour but de procurer à un créancier une sûreté sur un bien meuble et donne
lieu à un privilège sur le prix de réalisation de la chose nantie (article 2073 du Code civil
et article 20-3° de la loi hypothécaire). Par dérogation au principe fixé par l’article 12 de
la loi hypothécaire, le privilège n’est pas attaché à la qualité de la créance ; il découle
d’une convention née de la volonté des parties et pouvant garantir toutes créances
quelconques.
2.
Le mot « gage » désigne la convention qui donne naissance à la sûreté. En pratique,
on appelle également « gage » la chose elle-même qui en constitue l’assiette.
3.
L’objet du gage sera toujours un bien meuble, corporel ou incorporel.
SECTION 2.
A.
DISTINCTIONS
Le nantissement et l’antichrèse
4.
A l’origine, le nantissement était un terme générique visant diverses formes de
sûretés conventionnelles par lesquelles un débiteur remet une chose à un créancier pour
garantir une obligation2. C’est pourquoi l’article 2072 du Code civil énonce que : « Le
1
2
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VI, n° 1008.
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VI, n° 1007.
nantissement d’une chose mobilière s’appelle gage. Celui d’une chose immobilière s’appelle
antichrèse ».
5.
L’antichrèse est une forme de sûreté réelle portant sur un immeuble ; cette forme
est tombée en désuétude, car elle requérait la dépossession du débiteur3. Elle a été
supplantée par l’hypothèque4.
6.
L’une des caractéristiques du nantissement, et partant du gage, est, en principe, la
dépossession du débiteur quant à la chose nantie et la mise en possession de cette chose
entre les mains du créancier5 (ou d’un tiers convenu).
B.
Les différentes formes de gage et leurs sources
7.
L’on distingue plusieurs formes de gage :
-
le gage civil, lorsque l’obligation garantie est de nature civile (articles 2073 à 2084
du Code civil) ;
-
le gage commercial, lorsque l’obligation garantie est de nature commerciale (loi du
5 mai 1872) ;
-
le gage sur fonds de commerce, qui est une forme de sûreté sans dépossession
dont l’objet est un fonds de commerce (loi du 25 octobre 1919 sur la mise en
gage du fonds de commerce, l’escompte et le gage de la facture ainsi que
l’agréation et l'expertise des fournitures faites directement à la consommation) ;
-
le gage dit de la « facture », qui est une forme de gage civil ou commercial portant
sur une créance constatée par une facture (loi du 25 octobre 1919 sur la mise en
gage du fonds de commerce, l’escompte et le gage de la facture ainsi que
l’agréation et l'expertise des fournitures faites directement à la consommation) ;
-
le warrant (loi du 18 novembre 1862 portant institution du système des
warrants) ;
3
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VI, n° 1096 ; voir les articles 2085 à 2091 du
Code civil.
4
T’KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, n° 232 ; voir cependant,
Cass. fr., 18 décembre 2002, J.T., 2005, note BEGUIN.
5
Sur les origines historiques de l’exigence de la dépossession, voy. DE PAGE, Traité élémentaire de
droit civil belge, t. VI, n° 1010 ; en droit comparé, voy. D. LECHIEN, « Questions de droit comparé
des sûretés réelles », in Le droit des sûretés, J.B., 1992, p. 213 et suiv.
2
-
le gage de la police d’assurance vie (articles 117 et 118 de la loi du 25 juin 1992
sur le contrat d’assurance terrestre) ;
-
le gage d’instruments financiers placés sous un régime de fongibilité (article 5 de
l’arrêté royal n° 62 du 10 novembre 1967 favorisant la circulation des instruments
financiers et la loi du 15 décembre 2004 relative aux sûretés financières et portant
des dispositions fiscales diverses en matière de conventions constitutives de
sûreté réelle et de prêts portant sur des instruments financier) ;
-
le gage sur titres émis par des sociétés commerciales (Code des sociétés) ;
-
le gage de droits intellectuels.
SECTION 3.
IMPORTANCE ECONOMIQUE
8.
Le gage a été originairement réglementé par le Code civil, mais de manière
sommaire, en raison du peu d’importance reconnue à l’époque à la fortune mobilière.
L’expansion de celle-ci aux XIXème et XXème siècles, ainsi que l’accumulation des richesses
industrielles et manufacturières ont conduit à la constitution de stocks de marchandises
et ont entraîné un recours croissant à la technique du gage.
Cette technique permet au commerçant dont les capitaux sont investis en biens affectés
à son exploitation, de mobiliser ces derniers pour obtenir, par le crédit, les liquidités
nécessaires au fonctionnement de son entreprise. Parallèlement, le développement
considérable des valeurs mobilières a permis de plus en plus fréquemment l’octroi de
facilités bancaires garanties par des titres.
9.
Les formalités prescrites par le Code civil étaient cependant peu adaptées aux
nécessités du commerce. L’exigence d’un écrit enregistré, la dépossession du débiteur
ou les formalités de réalisation du gage civil constituaient des freins indéniables au
recours à cette sûreté. Le législateur a, par conséquent, assoupli les formalités du gage
civil par l’introduction des nouvelles formes de gage que sont, notamment, le gage
commercial, le warrant ou le gage sur fonds de commerce.
Il a assoupli également les formalités de constitution du gage sur créances en réformant
les articles 1690 et 2075 du Code civil, par la loi du 6 juillet 1994.
3
Enfin, plusieurs lois promulguées dans le domaine financier ont conduit à favoriser
grandement le recours aux sûretés portant sur des instruments financiers, créances ou
espèces.
10. La pratique a, de surcroît, développé d’autres formes de garanties
conventionnelles portant sur des choses mobilières, telles que le versement d’une
somme d’argent à titre de garantie ou la cession de la propriété d’un bien à titre
fiduciaire. Ces conventions ont toutefois longtemps présenté sous certains aspects une
sécurité juridique moindre que le gage. Dans le domaine financier, en tous cas, elles sont
désormais largement consacrées par la loi.
CHAPITRE II – LE GAGE CIVIL
SECTION 1.
A.
CARACTERE DU CONTRAT DE GAGE
Introduction
12.
Le gage est un contrat
-
réel,
accessoire,
unilatéral.
B.
Caractère réel
§ 1. Solution traditionnelle
13. L’on enseigne traditionnellement que le contrat de gage est un contrat réel6. La
Cour de cassation l’a affirmé à plusieurs reprises7.
6
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1013, 1046 et 1047 ; T’KINT, Sûretés et
principes généraux du droit de poursuite des créanciers, n° 244-245.
7
Cass., 1er juin 1878, Pas; 1878, I, 279; Cass., 11 juillet 1907, Pas., 1907, I, 328 ; Cass., 10 juillet
1941, Pas., 1941, I, 295 ; voy. la jurisprudence citée par A.M. STRANART, « Chron. de jur. », Rev.
Banque, 1975, p. 237, note 24.
4
Dès lors que le gage est considéré comme un contrat réel, l’on en déduira que :
-
avant la remise de la chose, ou en l’absence de toute tradition, le contrat de gage
n’est pas valablement formé entre les parties ;
-
l’échange des consentements ayant éventuellement précédé la remise de la chose
n’est qu’une promesse de gage8 ;
-
pour déterminer le moment où le gage a été constitué, il faut se placer non à la
date du contrat (même si celui-ci a été enregistré), mais à la date de la remise de
la chose ;
-
si la remise de la chose a lieu en période suspecte précédant la déclaration de
faillite du débiteur, alors que l’obligation garantie existe déjà, le gage vient alors
garantir une obligation née antérieurement et sera inopposable à la masse des
créanciers (article 17-3° de la loi sur les faillites), même si la chose est remise en
vertu d’un contrat qui fut conclu simultanément à la naissance de l’obligation
garantie ; ce contrat ne constitue en effet qu’une promesse de gage. Seule la
remise de la chose donne naissance au gage lui-même. Il en va de même du gage
constitué en période suspecte par le biais d’un mandat irrévocable consenti lors
de la naissance des créances garanties. En effet, un tel mandat ne peut conférer au
gage un effet rétroactif9.
La solution s’impose également, non seulement sur le fondement de l’article 17-3°
de la loi sur les faillites, mais également sur le fondement de l’article 17-1° de la
même loi, qui sanctionne les actes faits à titre gratuit ou sans contrepartie
suffisante, lorsque le gage est constitué par une société mère, tombée
ultérieurement en faillite, pour garantir les dettes antérieurement contractées par
sa filiale envers le créancier gagiste10. Rappelons que c’est le tribunal de commerce
qui doit fixer la date du début de la cessation de paiements (article 14 de la loi sur
les faillites).
§ 2. Remise en question de la solution traditionnelle
8
Voy. notamment Cass., 7 avril 1967, Pas., 1967, I, 926 ; T’KINT, Sûretés et principes généraux du
droit de poursuite des créanciers, n° 249.
9
Anvers, 5 novembre 1996, R.W., 1997-1998, p. 301.
10
Cass., 9 mars 2000, Bull., 2000, p. 542 ; Lar. Cass., 2000, p. 127 ; R.D.C.B., 2000, p. 782, note
LEUNEN ; R.W. 2000-2001, p. 622.
5
14. L’analyse traditionnelle faisant du gage, un contrat réel a été remise en question de
manière générale11 ou seulement pour le gage sur choses incorporelles non représentées
par un titre négociable, telles les créances ordinaires12. Selon cette doctrine, le gage
serait un contrat consensuel qui se trouve valablement formé entre les parties dès
l’échange des consentements.
Avant que le législateur, lors de la réforme des articles 1690 et 2075 du Code civil,
n’adopte cette analyse en matière de créances ordinaires, un arrêt de la Cour d’appel de
Bruxelles13 l’avait déjà consacrée, mais la Cour de cassation n’avait jamais eu l’occasion
de se prononcer.
15. La doctrine traditionnelle confère au gage le caractère d’un contrat réel pour les
raisons suivantes14 :
-
d’une part, la dépossession se justifierait pour des raisons de publicité, à savoir par
le souci d’avertir les tiers de l’existence du gage. On aperçoit immédiatement que
ce premier fondement ne concerne que les relations à l’égard des tiers et ne
concerne pas les parties ;
-
d’autre part, la dépossession se justifierait également par le souci de protéger le
créancier gagiste contre son débiteur en raison de l’inexistence d’un droit de suite
en matière mobilière : la dépossession est de nature à empêcher que le débiteur
ne constitue un nouveau gage ou n’aliène le bien.
16. Les tenants de la thèse du consensualisme font valoir, d’une part, que le même
souci de protection devrait alors exister davantage à l’égard de l’acheteur, alors pourtant
que la vente est un contrat consensuel. D’autre part, ils aperçoivent mal pourquoi la
convention précédant la remise de la chose ne serait qu’une « promesse » de gage de
sorte qu’un nouvel échange de consentements serait nécessaire lors de la remise de la
chose pour faire naître le gage. Ils font observer que par cette prétendue « promesse »,
les parties se sont complètement et définitivement mises d’accord sur la créance garantie
et sur le nantissement, de telle sorte que tous les éléments de leur volonté commune de
s’obliger quant à la constitution de la sûreté sont présents dans et dès cette convention.
La remise de la chose ne s’accompagnant d’aucune expression de volonté nouvelle, elle
11
Voy. A.M. STRANART, « Le gage, contrat réel : une fiction ? », J.T., 1976, p. 237.
Voy. J. VAN COMPERNOLLE, in Les sûretés, Colloque ULB – Feduci, 1983, n° 24 à 31, p. 74 à 79 ;
D. LECHIEN, « La mise en gage des créances non incorporées dans un titre », R.D.C., 1990, p. 3 ;
T’KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, n° 256-257.
13
Bruxelles, 13 janvier 1989, R.D.C., 1990, p. 20 ; Comp. Ph. COLLE, « La mise en gage d’une
créance non incorporée dans un titre négociable », J.T., 1992, p. 377.
14
Ph. COLLE, « La mise en gage d’une créance non incorporée dans un titre négociable », J.T.,
1992, p. 377.
12
6
ne peut donc constituer un nouveau contrat (le gage) ; elle ne représente en réalité que
l’exécution de l’engagement déjà formé, exécution que le créancier pourrait d’ailleurs
obtenir en nature par la remise forcée de l’objet15.
Il reste que, dans l’état actuel du droit positif, le gage reste considéré comme un contrat
réel, hormis lorsqu’il porte sur des créances ordinaires, en ce sens que le consentement
du constituant de la sûreté n’est censé être parfait que lorsqu’il s’accompagne de la
remise de l’objet concerné, réellement ou symboliquement.
Il s’agit encore aujourd’hui, avant toute chose, d’un mode de protection du
consentement du constituant, jugé insuffisant en soi à former valablement le contrat.
§ 3. Le gage sur créance : contrat consensuel depuis l’entrée en
vigueur de la loi du 6 juillet 1994
17. La controverse relative au caractère réel ou non du contrat de gage a en tout état
de cause été résolue par le législateur pour ce qui concerne le gage sur créance
ordinaire, par la modification qu’il a apportée à l’article 2075 du Code civil.
La loi du 6 juillet 1994 (dont l’intitulé16 ne laisse pas présager de son contenu) a eu pour
effet de donner au gage sur créance le caractère d’un contrat consensuel. L’article 2075
du Code civil prévoit désormais que le créancier est mis en possession de la créance
engagée par la conclusion de la convention de gage ». Ce texte est fondé sur une fiction
selon laquelle la mise en possession (requise par l’article 2076 du Code civil) a lieu par la
conclusion du contrat de gage, ce qui donne au contrat de gage sur créance le caractère
d’un contrat consensuel17.
15
STRANART, Sûretés, n° 17.
Loi « modifiant la loi du 17 juin 1991 portant organisation du secteur public du crédit et de la
détention des participations du secteur public dans certaines sociétés financières de droit privé, ainsi que
de la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit ». Cette loi avait
pour objet principal de modifier le statut de la C.G.E.R. et de certaines de ses filiales. Le
gouvernement y a introduit des amendements visant à réformer notamment les articles 1690 et
2075 du Code civil afin d’assouplir les formalités de cessions et de mises en gage de créances dans
le contexte de projets de titrisation évoqués à l’époque (voy. sur cette genèse, P.A. FORIERS, (éd),
La cession de créances, Introduction, Ed. du Jeune Barreau, 1995, p. 11, I ; P. WERY, op. cit., p. 12
et suiv.).
17
VAN OMMESLAGHE, “Le nouveau régime de la cession et de la dation en gage de créances”, J.T.,
1995, n° 20.
16
7
18. Cette réforme s’applique expressément au gage sur créance, mais ne s’applique
pas aux autres meubles incorporels, telles les actions nominatives de sociétés
commerciales ou les droits intellectuels18.
C.
Caractère accessoire – Le gage pour sûreté de « toutes
sommes dues ou à devoir »
§ 1. Exposé du principe et de ses limites
19. La notion d’accessoire est une notion fondamentale pour toutes les formes de
sûretés conventionnelles qu’elles soient personnelles (comme le cautionnement) ou
réelles (comme le gage ou l’hypothèque).
20. Le gage, comme toute sûreté conventionnelle, est l’accessoire de l’obligation
principale garantie ; cela signifie qu’il en est partiellement dépendant.
Il en découle que le sort du gage est, en principe, lié à celui de l’obligation principale.
Ainsi, par exemple, la nullité de la créance garantie entraîne la disparition du gage.
21.
Cette dépendance n’est toutefois pas sans limites :
-
le gage obéit à des règles propres pour la question de sa validité ;
-
le gage peut avoir une cause distincte de la cause de l’obligation garantie ;
-
la naissance et la vie du gage ne dépendent pas nécessairement de l’existence de
l’obligation garantie ; l’obligation principale ne doit exister qu’au moment de la
constitution du gage.
§ 2. L’arrêt de la Cour de cassation du 28 mars 1974
22. Cette dernière règle a été dégagée par la Cour de cassation dans son fameux arrêt
« Mengal ».
18
Voy. par exemple, en matière de brevets, l’article 46 de la loi du 28 mars 1984 et, en matière
de marques, les articles 11-C et 15-A nouveaux de la loi uniforme Benelux sur les marques, tels
que modifiés lors de l’adoption du Protocole du 2 décembre 1992 portant modification de la loi
uniforme Benelux sur les marques – Voy. A. VERBEKE et I. PEETERS, Voorrechten, hypotheken en
andere zekerheden, permanent documentatiesysteem, 1995, n° 2, p. 175, n° 458-459.
8
Dans l’affaire ayant conduit à cet arrêt, la question se posait de savoir s’il est possible de
constituer valablement un gage pour sûreté d’une créance encore inexistante, comme
par exemple pour sûreté de « toutes sommes dues ou à devoir » dans la mesure où les
sommes « à devoir » sont nécessairement des créances futures.
Après de multiples rebondissements judiciaires, la Cour de cassation, statuant en
chambres réunies, par son arrêt du 28 mars 197419, rejeta le pourvoi dirigé contre l’arrêt
prononcé par la Cour d’appel de Bruxelles le 25 février 197220.
La Cour de cassation décida que le gage (en l’occurrence un gage sur fonds de
commerce) peut être, en vertu de l’article 1130 alinéa 1er du Code civil, « constitué pour
la garantie de dettes conditionnelles ou futures, sous la seule réserve (que ces dettes) soient
déterminées ou déterminables au moment de la constitution de la sûreté ».
La Cour a jugé que « les créances futures ont un caractère suffisamment déterminé ou
déterminable
-
si la convention instituant la sûreté permet de les définir,
-
et s’il résulte des éléments de la cause qu’elles sont effectivement de celles que les
parties avaient entendu assortir de la garantie ».
La possibilité de garantir par un gage actuel une dette future, montre bien la portée
exacte du caractère accessoire de ce contrat : ce caractère gît exclusivement dans
l’exigence que pareil contrat ne puisse être exécuté (et non pas conclu) en l’absence
d’obligation principale garantie.
L’exigence est donc satisfaite dès lors que l’acte constitutif de la sûreté permet de définir
l’obligation garantie et que l’obligation pour laquelle le créancier poursuit l’exécution est
bien comprise parmi les obligations que les parties avaient entendu garantir par la sûreté.
Au regard du critère de déterminabilité ainsi défini, la constitution d’un gage « pour toutes
sommes » est valable, à condition que l’acte constitutif contienne un élément quelconque
rendant ultérieurement possible la détermination de la créance garantie. C’est ce que
Van Gerven exprimait déjà en exigeant que la constitution de la sûreté s’inscrive dans un
« cadre général préétabli » (« een vastgesteld algemeen kader »)21.
19
Pas., 1974, I, 776.
J.T., 1972, p. 246.
21
VAN GERVEN, Beginselen, Handels en Economisch Recht, Deel I, Ondernemingsrecht, p. 463 et 475.
20
9
23. La référence à pareil cadre général préétabli peut se faire dans l’acte constitutif par
la mention de ce que la sûreté garantit toutes sommes nées dans le cadre des relations
d’affaires entre les parties, ou en vertu des opérations bancaires et financières que les
parties viendraient à conclure, ou encore en raison des ouvertures de crédit et du
fonctionnement des comptes entre le créditeur et le constituant.
La nécessité pour la créance en vertu de laquelle l’exécution est poursuivie, d’être « de
celles que les parties avaient entendu assortir de la garantie », présente deux aspects
distincts mais complémentaires. D’une part, les effets d’une sûreté doivent se situer dans
le champ contractuel issu de la volonté commune des parties, étant admis que le concept
de « prévisibilité raisonnable » fait partie de la déterminabilité des créances garanties22.
D’autre part, elle est la manifestation de la portée du principe de l’accessoire tel que le
comprend la Cour de cassation ; c’est au moment de l’exécution qu’il faut vérifier à l’aide
des éléments de la cause si les créances pour lesquelles celle-ci est demandée, faisaient
partie de ce champ contractuel.
24. Nulle juridiction ne conteste dès lors qu’un droit de gage pour sûreté de toutes
sommes dues ou à devoir par le débiteur au créancier est valable si l’acte de gage permet
de déterminer les créances garanties.
Selon un jugement rendu le 24 juin 2002 par le tribunal de commerce de Ypres, la
référence faite dans l’acte à la relation d’affaires entre les parties représente un critère
suffisant de déterminabilité des créances principales. Le tribunal précise que la validité de
la sûreté ne se trouve pas atteinte par la fusion du créancier gagiste avec une société
repreneuse de son activité, pour autant que les créances à rembourser par le biais de la
réalisation de la garantie ne naissent pas d’une relation d’affaires entièrement nouvelle23.
25. L’arrêt Mengal – on l’a vu – a été rendu à propos d’un gage sur fonds de
commerce. Mais sa formule volontairement large et souple rend l’enseignement qu’il
consacre applicable à toutes les sûretés24 sous la réserve de l’hypothèque pour laquelle la
question était controversée jusqu’à l’adoption de la loi du 13 avril 1995 modifiant la loi
du 4 août 1992 relative au crédit hypothécaire25. Cette loi introduit un nouvel article
51bis dans la loi sur le crédit hypothécaire afin de permettre la constitution
d’hypothèques pour sûreté de créances futures. Il est remarquable de constater que le
législateur a subordonné cette validité à ce que « les créances garanties soient déterminées
ou déterminables », en reprenant le critère dégagé par la Cour de cassation dans l’arrêt
Mengal.
22
Voy. VAN GERVEN, op. cit., p. 479.
R.W., 2003-2004, p. 111.
24
Voy. STRANART, Sûretés, n° 18.
25
M.B. 7 juin 1999.
23
10
§ 3. L’arrêt de la Cour de cassation du 8 décembre 1966
26. Le gage présente également, dans une certaine mesure, une autonomie de cause
par rapport au contrat principal. Un arrêt de la Cour de cassation du 8 décembre 196626
autorise cette déduction.
27. Les faits qui y ont conduit peuvent être résumés comme suit. Séduit par
l’employée d’un fonds de commerce ayant pour activité le débit de boissons, un client
habituel décide d’acquérir ce fonds, sur l’offre de sa propriétaire. En garantie du
paiement de ses obligations, l’acquéreur remet à la venderesse une certaine quantité de
titres en gage. Pour des raisons obscures, l’opération échoue par la suite. L’acheteur
poursuit alors la nullité de la convention de cession de fonds de commerce, reconnaît et
même invoque à l’appui de sa demande que son consentement reposait sur une cause
illicite, contraire aux bonnes mœurs, la vente ayant pour seul but de lui permettre
d’entretenir avec l’employée du bar des relations sexuelles hors mariage.
28. La vente était donc nulle, de nullité absolue, et le prix convenu, en principe, ne
devait pas être payé. Qu’en est-il en ce cas du contrat de gage ? Faut-il considérer que,
privé d’obligation principale comme cause, le gage serait simplement caduc, ou même nul
ab initio, mais sans atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs, car, en soi, la cause
conçue abstraitement comme l’obligation de payer le prix d’achat d’un fonds de
commerce n’est pas immorale ? Faut-il au contraire considérer que le gage, comme
contrat, a une cause propre, constituée des mobiles déterminants du consentement à
conférer la sûreté, et non abstraitement identifiée comme étant seulement l’existence
d’une obligation principale à garantir ? Selon la première analyse, l’application des adages
« Nemo auditur turpitudinis suam allegans » et « In pari causa turpitudinis cessat repetitio »
doit être écartée et les biens remis en gage doivent être restitués au constituant, alors
que selon la seconde, le juge peut, s’il constate que les mobiles déterminants propres au
gage sont illicites, laisser les parties dos à dos et refuser la restitution s’il estime qu’ainsi
l’ordre social troublé serait plus convenablement restauré.
29. C’est ce qu’en l’espèce les juges du fond avaient décidé, sans encourir la censure
de la Cour suprême. Pas de restitution donc des titres gagés, en raison de l’immoralité
de la cause propre de la sûreté, considérée concrètement. En l’occurrence, les mobiles
déterminants immoraux avaient conduit tout à la fois à la conclusion de la convention
principale et à la conclusion de la sûreté. En fait, ces mobiles étaient donc semblables. En
26
R.C.J.B., 1967, p. 5, avec la note J. DABIN, « In pari causa turpitudinis cessat repetitio –
fondements, conditions et champ d’application de l’adage ; quid pour les choses données en
gage ».
11
droit, il a fallu néanmoins vérifier leur portée séparément. Cette distinction peut receler
une importance considérable, notamment lorsque la sûreté est constituée par un tiers
bailleur de gage : les mobiles ayant déterminé ce dernier à conclure le contrat peuvent
être totalement différents de ceux ayant présidé à la conclusion de l’obligation principale
par le débiteur. Les premiers peuvent être illicites alors qu’il n’en serait rien des seconds,
et inversement. Les effets de ces situations sur la survie des conventions principale et
accessoire sont donc vérifiés distinctement.
D.
Caractère unilatéral
30. Le gage est un contrat unilatéral parce qu’il n’engendre d’obligation qu’à charge du
créancier27.
Les obligations mises à charge du débiteur par l’article 2080 alinéa 2 du Code civil, qui
dispose que « De son côté, le débiteur doit tenir compte au créancier des dépenses utiles et
nécessaires que celui-ci a faites pour la conservation du gage », n’altèrent pas le caractère
unilatéral du gage. Ce sont des obligations qui ne naissent pas du contrat de gage, mais
d’un fait casuel postérieur à sa naissance du contrat de gage.
31.
Il en découle que :
-
le créancier gagiste ne peut invoquer l’exception d’inexécution ; dès que le
constituant a remis la chose, il a exécuté toutes les obligations qui lui incombent ;
-
l’action en résolution de l’article 1184 du Code civil n’est pas ouverte aux
parties ; des sanctions spécifiques existent cependant en faveur du créancier, telles
la déchéance du terme prévue par l’article 1188 du Code civil selon lequel « Le
débiteur ne peut plus réclamer le bénéfice du terme lorsqu’il a fait faillite, ou lorsque par
son fait il a diminué les sûretés qu’il avait données par le contrat à son créancier » ; ou
en faveur du débiteur, telle la déchéance pour abus du créancier prévue par
l’article 2082 alinéa 2 du Code civil aux termes duquel « le débiteur ne peut, à moins
que le détenteur du gage n’en abuse, en réclamer la restitution qu’après avoir
entièrement payé, tant en principal qu’intérêts et frais, la dette pour sûreté de laquelle le
gage a été donné ».
- l’article 1325 du Code civil, imposant, pour la constitution de preuves régulières,
la confection d’un original par partie dans les contrats synallagmatiques, est
inapplicable.
27
Voy. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1014.
12
SECTION 2.
A.
CONDITIONS DE VALIDITE DU GAGE
Le consentement des parties
32. Le droit commun des contrats s’applique. Le consentement du débiteur et celui du
créancier sont requis.
33. Si le gage est constitué par un tiers, généralement appelé « tiers bailleur de gage »
(article 2077 du Code civil), le consentement du débiteur n’est pas requis. Dans ce cas, il
s’établit deux groupes de rapports juridiques distincts l’un de l’autre28, outre le contrat
principal donnant lieu à l’obligation garantie :
-
les rapports entre le créancier et le tiers bailleur du gage, qui sont régis par le
contrat de gage,
-
les rapports entre le débiteur de l’obligation garantie et le tiers bailleur de gage,
qui s’analysent généralement en un mandat, une gestion d’affaires ou une autre
convention ou relation justifiant l’appui du tiers.
34. Le tiers bailleur de gage n’est tenu que « propter rem » ; il ne devient pas débiteur
de l’obligation garantie. Le créancier n’a de recours que sur la chose affectée en gage par
le tiers constituant. Si le bien est réalisé, le tiers constituant du gage dispose d’un
recours à l’encontre du débiteur sur la base de la subrogation29.
B.
La capacité des parties
§ 1. Dans le chef du constituant (débiteur ou tiers bailleur de gage)
35.
Le constituant doit avoir la capacité d’aliéner :
-
le gage établit un droit réel sur la chose au profit du créancier (ce qui implique un
démembrement du droit de propriété) ;
28
29
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, 1028.
Liège,18 novembre 1994, J.L.M.B., 1995, p. 1262.
13
-
le gage peut résulter en une aliénation de la chose en cas de réalisation du gage
par le créancier.
36.
Seul le propriétaire du bien peut mettre fin à celui-ci30.
37. La sanction est la nullité relative du contrat qui protège uniquement le constituant
incapable ; seul celui-ci peut invoquer la nullité. En cas d’annulation du contrat de gage, le
créancier devra restituer l’objet du gage mais l’obligation principale subsistera en
principe sauf si la constitution du gage a été déterminante de la naissance de l’obligation.
Après sa déclaration de faillite, le constituant ne peut plus affecter un de ses biens en
gage. Il ne peut donc plus exécuter une promesse de gage antérieurement contractée.
L’article 16 de la loi sur les faillites dispose, en effet, que « le failli, à compter du jour du
jugement déclaratif de faillite, est dessaisi de plein droit de l’administration de tous ses biens,
même de ceux qui peuvent lui échoir tant qu’il est en état de faillite. Tous paiements, opérations
et actes faits par le failli et tous paiements faits au failli depuis ce jour sont inopposables à la
masse ».
38. Par ailleurs, l’article 215 § 1er alinéa 2 du Code civil fait défense à l’un des conjoints
de donner en gage, sans l’accord de l’autre, les meubles meublants du logement principal
de la famille. A défaut d’avoir été constitué dans le respect de cette disposition légale, le
gage peut être annulé à la demande du conjoint non consulté (article 224 du Code civil).
Dans le même ordre d’idées, le juge de paix peut faire défense à une personne, à la
demande de son conjoint, de donner en gage des biens relevant du patrimoine commun
(article 1421 du Code civil) ou même, dans certaines conditions, certains de ses biens
propres (article 223 du Code civil). En outre, l’article 1422 du Code confère au tribunal
de première instance, saisi par l’un des époux présentant un intérêt légitime, le pouvoir
d’annuler, sans préjudice des droits des tiers de bonne foi, l’acte accompli par l’autre
époux, notamment en fraude des droits du demandeur.
Dans une espèce où des titres relevant du patrimoine commun avaient été remis en gage
par un seul des époux, sans l’accord de l’autre, le tribunal de commerce de Louvain, par
son jugement du 8 juin 199331, a refusé d’annuler la sûreté en considérant que la bonne
foi du créancier gagiste pouvait se déduire de l’absence d’insertion dans le texte des
documents constitutifs du gage, de toute mention relative au mariage du constituant.
Enfin, après le dépôt d’une demande en divorce, le président du tribunal de première
instance peut prononcer le même type d’interdiction (article 1280 du Code judiciaire).
30
31
Liège, 22 décembre 1992, J.L.M.B., 1995, p. 134.
A.J.T., 1999-2000, p. 388, note WAGNER.
14
§ 2. Dans le chef du créancier
39.
Il suffit de la capacité de s’obliger et d’accomplir des actes d’administration :
-
le créancier s’oblige en effet à restituer la chose mise en gage,
-
il s’oblige également à entretenir et à conserver la chose en vertu de l’article 2080
alinéa 1er du Code civil.
§ 3. Restrictions particulières
40. L’article 306 du Code pénal punit ceux qui auront tenu des maisons de prêts sur
gage sans autorisation légale. Cette disposition, destinée à protéger le monopole des
Caisses Publiques de Prêts (anciens Monts de Piété) organisées par la loi du 30 avril
1948, n’interdit que le prêt sur gage de choses corporelles et ne vise pas la pratique du
prêt sur créances ou sur instruments financiers.
41. L’article 329 du Code des sociétés interdit à une société privée à responsabilité
limitée d’avancer des fonds, d’accorder des prêts ou de donner des sûretés en vue de
l’acquisition de ses parts par un tiers ou en vue de l’acquisition ou de la souscription par
un tiers de certificats se rapportant à ses parts, sauf lorsque ces opérations sont
effectuées, à l’aide de bénéfices distribuables, en faveur des membres du personnel de la
société ou des sociétés liées dont la moitié au moins des droits de vote est détenue par
les membres du personnel de la société.
42. L’article 430 du Code des sociétés prévoit la même interdiction pour les sociétés
coopératives à responsabilité limitée, ainsi que l’article 629, pour les sociétés anonymes,
avec la même exception, à laquelle s’ajoute cependant les opérations courantes sur titres
accomplies par les entreprises régies par la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au
contrôle des établissements de crédit.
43. Dans les sociétés privées à responsabilité limitée, la prise en gage par une société
de ses parts ou certificats se rapportant à ses parts est assimilée à une acquisition
requérant, sauf disposition plus restrictive des statuts, l’agrément de la moitié au moins
des associés possédant les trois quarts au moins du capital, déduction des droits dont la
prise en gage ou l’acquisition est proposée.
15
45. Hormis pour les opérations courantes sur titres accomplies par les entreprises
régies par la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des établissements de
crédit, les mêmes règles valent pour les sociétés anonymes.
46. La constitution d’une sûreté par l’une des sociétés d’un groupe pour garantir la
dette d’une autre est une situation fréquente en pratique. Dans le cadre de l’examen du
respect dû à l’intérêt social de la société constituante, comme dans celui de la
vérification des agissements d’un futur failli pendant la période suspecte, la question de la
qualification de l’acte à titre gratuit ou à titre onéreux est cruciale. Dans son arrêt du 9
mars 200032, la Cour de cassation a estimé que la circonstance que le tiers bailleur de
gage a ou non le droit d’exercer un recours pour ce qu’il a payé à l’égard du débiteur
dont la dette est garantie par le gage, n’est pas déterminante pour la question de savoir
si le bailleur de gage a obtenu une compensation pour la dation en gage ; lorsqu’il
constate que le bailleur de gage n’a obtenu aucune compensation concrète pour cet acte
et n’avait qu’un intérêt général à ce que le débiteur prospère et ne fasse pas faillite, le
juge peut décider que la dation en gage a été effectuée à titre gratuit33.
47. L’article 7 de la loi du 25 octobre 1919 (tel que modifié par la loi du 22 mars
1993) en matière de gage sur fonds de commerce, prévoit que le gage sur fonds de
commerce ne peut être constitué qu’en faveur d’un établissement de crédit agréé dans
un Etat membre de la Communauté européenne ou d’un autre établissement financier
défini par arrêté royal. Il en va de même de l’endossement de factures à titre pignoratif.
C.
L’objet du gage
48. Le principe est que le gage peut avoir pour objet toutes choses mobilières,
corporelles ou incorporelles, se trouvant dans le commerce34.
§ 1. Le gage ne peut avoir pour objet que des choses mobilières
49. Les immeubles par destination peuvent être mis en gage soit parce que la tradition
mobilisera le bien qui cessera d’être immeuble, soit dans le cadre du gage sur fonds de
commerce.
50. Les meubles par anticipation ne peuvent être mis en gage en raison de ce que leur
tradition n’est pas possible aussi longtemps qu’ils restent immeubles. Ainsi en va-t-il, par
exemple, des fruits d’une récolte.
32
R.W., 2000-2001, p. 622; R.D.C.B., 2000, p. 782, note LEUNEN ; T.R.V., 2001, p. 94, note
NAPILITANO.
33
Voir LEDOUX, « Chronique de jurisprudence – Les sûretés réelles » ; D.J.T., 2003, pp. 98-99.
34
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1031.
16
§ 2. Le gage ne peut avoir pour objet que des choses dans le
commerce
51. Une créance d’aliments peut être mise en gage parce que son caractère
insaisissable n’entraîne pas l’interdiction de son aliénation35. Or, seuls les biens
incessibles en vertu de la loi ne peuvent être donnés en nantissement, comme le prévoit
l’article 2071 alinéa 2 du Code civil36.
§ 3. Le gage peut avoir pour objet une chose mobilière corporelle
52. Il faut toutefois que cette chose soit suffisamment individualisée pour qu’elle
puisse faire l’objet d’une tradition37. On en déduit qu’une chose corporelle future ne
peut être mise en gage tant qu’elle n’existe pas.
§ 4. Le gage peut avoir pour objet une chose mobilière incorporelle
53. Depuis la modification apportée à l’article 2075 du Code civil par la loi du 6 juillet
1994, le gage sur créances ordinaires est à présent un contrat consensuel. Il est donc
possible, la tradition n’en étant plus requise, de grever des créances futures.
54. S’il peut être consenti « pour toutes sommes », le gage peut aussi l’être « sur toutes
créances » issues d’une relation juridique pourvu que clle-ci soit suffisamment déterminée
ou déterminable.
C’est ce que rappelle à bon droit le tribunal de première instance de Gand dans un
jugement du 1er décembre 199938, estimant que satisfait à cette condition, le
nantissement consenti par un entrepreneur à sa banque de toutes sommes qu’il pourrait
réclamer à un maître de l’ouvrage en raison d’un chantier dont il a la charge.
55. Traditionnellement, il est admis que la garantie née du versement d’une somme
d’argent ne peut s’analyser en un gage en raison d’incompatibilité conceptuelle entre la
notion même de gage et le transfert de propriété qu’entraîne la remise de choses
fongibles.
35
Liège, 13 mars 1923, Pas., 1923, II, 123 ; DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n°
1031-2°.
36
Tel que modifié par la loi du 18 mars 1999, article 2.
37
Voy. pour un exemple d’insuffisance d’individualisation: Civ. Anvers, 13 mai 1975, R.W., 19751976, col. 807, J.C.B., 1975, p. 530.
38
R.W., 2000-2001, p. 487; T.G.R., 2001, p. 27.
17
Par son arrêt du 4 avril 200339, la Cour de cassation a rappelé à cet égard que la cession
en propriété d’une somme d’argent par un débiteur au bénéfice de son créancier ne
constitue pas une dation en gage même si elle tend à garantir le créancier. La Cour
suprême ajoute que le droit de propriété ainsi acquis par le créancier a pour effet qu’en
règle, le propriétaire a droit à ce que la chose produit.
56. Dans un arrêt du 20 février 2003, la Cour d’appel de Mons a considéré qu’à tout
le moins, le placement de fonds sur un compte bancaire bloqué au profit exclusif d’un
créancier peut être considéré comme un mécanisme préférentiel apparenté à l’escrow
account, opposable aux tiers40. Cette analyse est conforme au principe déduit de l’article
1165 du Code civil, de l’opposabilité aux tiers des conventions légalement conclues entre
les parties contractantes.
57. Il ne peut certes être exclu – et cela relèverait de l’interprétation de la volonté
des parties abandonnée aux constatations du juge du fond – que des espèces soient
spécifiées et à ce titre, puissent faire l’objet d’un gage. C’est pourquoi la Cour suprême
peut se retrancher derrière de telles constatations – elle le doit même lorsqu’aucun
moyen présenté devant elle ne vient l’inviter d’une manière ou d’une autre à exercer son
contrôle sur la légalité des conséquences reposant sur l’appréciation de l’arrêt attaqué –
en tenant pour valable le contrat où, suivant le juge, une somme d’argent constitue
l’objet d’un gage, pour décider, ainsi qu’elle le fait par son arrêt du 11 mai 2000, que,
dans le cas où ce contrat ne stipule aucun intérêt, le détenteur du gage, tenu de veiller
en bon père de famille à la chose donnée en gage, n’est pas obligé de placer cette somme
à intérêts41.
58. Une somme d’argent bloquée sur un compte financier doit être considérée
comme un gage, décide le juge de paix de Meise dans un jugement du 23 décembre
200442, avec cette particularité que l’objet du gage n’est pas détenu par le créancier
gagiste, à savoir le bailleur, mais par un tiers, la banque, choisie par les parties. En réalité,
si les parties ont effectivement entendu constituer un gage (et non un transfert en
propriété – ce qui impliquerait la qualité d’escrow account), il s’agit du gage de la créance
née envers la banque en raison de l’ouverture du compte.
59. Le transfert en propriété ne peut conduire à la qualification ou à la requalification
en gage, cette règle vaut non seulement pour un contrat portant sur des espèces, mais
également sur un autre type de bien. Aussi, la Cour d’appel d’Anvers décide-t-elle, par
un arrêt du 9 janvier 200143 qu’un emprunteur ne peut utilement prétendre que la
convention prévoyant la vente de son bateau au prêteur constitue en réalité un gage,
même si le prix convenu ne correspond pas parfaitement à la valeur réelle du bien, ce
qui est avéré lors de sa revente bénéficiaire par le prêteur.
39
Dr. Ban. fin., 2003, p. 375, note PEETERS ; R.W., 2003-2004, p. 1689, note STORME.
R.R.D., 2004, p. 143 ; J.L.M.B., 2004, p. 962.
41
J.T., 2001, somm., p. 633; R.W., 2003-2004, p. 1233.
42
R.W., 2004-2005, p. 1233, note.
43
R.G.D.C., 2002, p. 399.
40
18
§ 5.
Le constituant du gage doit être propriétaire de la chose
donnée en gage
60. Le gage constitué par quelqu’un qui n’est pas propriétaire de la chose est frappé
de nullité relative au profit du créancier gagiste44.
61. A l’égard des tiers cependant, le créancier gagiste mis de bonne foi en possession
de la chose peut opposer sa possession aux tiers pour faire valoir son privilège ou
résister à la revendication du verus dominus, mais :
-
dans les limites de ses droits de créancier gagiste, tels qu’ils dérivent du contrat de
gage lui-même ; il faut que le contrat de gage ait été régulièrement constitué et
soit opposable aux tiers ;
-
dans les limites de l’application de l’article 2279 du Code civil, ce qui requiert
notamment la bonne foi du créancier gagiste. Ainsi, lorsqu’un agent de change met
en gage les titres de ses clients et qu’en raison des circonstances de l’espèce, la
banque aurait dû éprouver un doute circonstancié quant à la propriété des titres,
le juge peut ordonner la restitution des titres à leurs véritables propriétaires45.
62. 11. L’assiette du gage ne doit pas nécessairement, on le sait, provenir du
patrimoine du débiteur de l’obligation principale. Telle est précisément la portée de
l’article 2077 du Code civil, qui énonce que « le gage peut être donné par un tiers pour le
débiteur ». Le constituant est dénommé alors tiers bailleur du gage. Il est question aussi,
bien que cette expression soit incorrecte, de « caution réelle », alors qu’à proprement
parler, les règles du cautionnement demeurent étrangères à l’opération. C’est ce qu’à
bon droit, un arrêt de la Cour d’appel d’Anvers du 31 mai 199946 rappelle en précisant
que lorsque des garants ne se sont pas engagés comme cautions personnelles mais bien
comme « cautions réelles », ce qui doit être considéré comme la constitution d’une sûreté
réelle, les règles du cautionnement ne trouvent pas à s’appliquer.
§ 6. La mise en gage d’une chose déjà engagée
63.
Différentes hypothèses peuvent se présenter :
44
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1023.
Cass., 17 octobre 1984, Pas., 1985, I, 244 ; STRANART, « Le droit des sûretés », J.B., Bruxelles,
1992, p. 78 ; Voy. pour d’autres cas : A. VERBEKE et I. PEETERS, Voorrechten, hypotheken en andere
zekerheden, Permanent Documentatiesysteem, 1995, n° 1, p. 95, n° 258.
46
A.J.T., 1999-2000, p. 757, note GOMBERT ; R.G.D.C., 2002, p. 358, note ALTER.
45
19
-
le créancier gagiste ne peut, en principe, donner en gage la chose qui lui est nantie
sous peine, selon les cas, de dommages et intérêts, ou de déchéance pour abus47.
En effet le créancier gagiste s’oblige envers le constituant du gage à garder,
entretenir et conserver la chose nantie et viole ses obligations en conférant un
gage sur cette chose. Le sous gagiste de bonne foi peut toutefois opposer sa
possession contre la revendication du propriétaire de la chose sur la base de
l’article 2279 du Code civil, et pour autant que son contrat de gage soit régulier et
opposable aux tiers ;
-
le constituant peut conférer plusieurs gages sur la même chose, à condition que
les créanciers soient d’accord et que, soit un tiers pour tous les créanciers, soit
l’un des créanciers pour les autres, acceptent de jouer le rôle de tiers convenu.
Les droits concurrents des créanciers gagistes sur le même objet se règle par la
règle de l’antériorité qui prendra en compte la priorité de la mise en possession,
par application analogique de l’article 1141 du Code civil, lequel énonce que : « Si
la chose qu’on s’est obligé de donner ou de livrer à deux personnes successivement, est
purement mobilière, celle des deux qui en a été mise en possession réelle est préférée et
en demeure propriétaire, encore que son titre soit postérieur en date, pourvu toutefois
que la possession soit de bonne foi ». En cas de simultanéité, le conflit se résout par
la règle de l’égalité entre les créanciers sous forme de partage au marc le franc.
64.
La règle de l’antériorité est également retenue pour régler :
-
le concours entre le créancier gagiste de droit commun et le créancier gagiste sur
fonds de commerce,
-
le concours entre le titulaire d’un warrant et le créancier gagiste sur fonds de
commerce48.
D.
La cause du gage
65. Conformément au droit commun, les obligations dérivant du contrat de gage
doivent avoir une cause licite.
47
La règle est différente en matière de sûreté réelle constituée sur instruments financiers.
Voy. Cass., 19 novembre 1992, R.D.C., 1994, p. 43 et l’étude d’A.M. STRANART et M. GREGOIRE,
« La portée des droits du créancier gagiste sur fonds de commerce, en particulier face à un
créancier d’un autre type », p. 15 ; R.C.J.B., 1994, p. 24, note M. VAN QUICKENBORNE, « Du
concours entre le créancier gagiste sur fonds de commerce et le gagiste classique ».
48
20
Selon la conception actuelle de la cause, la cause doit être recherchée dans les mobiles
déterminants pris en considération par le droit, en raison desquels les parties ont
constitué et accepté un gage. Il convient de déterminer le but poursuivi par les parties en
constituant le gage indépendamment du but qu’elles ont poursuivi en contractant
l’obligation principale.
66. Ces mobiles déterminants doivent être licites (conformes à l’ordre public et aux
bonnes mœurs), indépendamment de la licéité ou de l’illicéité éventuelle de l’obligation
garantie.
67. Le gage est certes un contrat accessoire mais cette caractéristique n’empêche pas
que le gage doive avoir une cause licite propre. Un gage peut avoir une cause illicite, par
exemple dans l’hypothèse où il est conféré par un tiers constituant dans le but de
favoriser des relations illicites que ce tiers constituant entretien avec le débiteur49.
E.
Deux conditions propres au contrat de gage
§ 1. L’existence d’une obligation principale
68. En raison du caractère accessoire du gage, celui-ci dépend d’une obligation
principale à garantir. Celle-ci peut consister en une obligation de donner, de faire, de ne
pas faire, à terme, ou sous condition résolutoire.
69. Il est admis que le gage puisse être valablement constitué actuellement pour
sûreté d’un obligation future (donc non encore existante) ou n’existant que sous
condition suspensive, car le caractère accessoire du gage implique seulement que son
exécution dépende de l’existence de l’obligation principale.
Le gage peut par conséquent être valablement formé nonobstant l’inexistence de
l’obligation principale à garantir. Le gage ne pourra toutefois être exécuté que si cette
obligation prend naissance (et est inexécutée).
§ 2. La tradition de l’objet
49
Voy. Cass., 8 décembre 1966, R.C.J.B., 1967, p. 5 avec la note J. DABIN, « In pari causa
turpitudinis cessat repetito ; fondement, conditions et champ d’application de l’adage ; quid pour
les choses données en gage » ; P. VAN OMMESLAGHE, « Observations sur la théorie de la cause
dans la jurisprudence et dans la doctrine moderne », note sous Cass., 13 novembre 1969 in
R.C.J.B., 1970, p. 326 ; A.M. STRANART, Chron. Jur., Rev. Banque, 1975, p. 208.
21
70. Dans la conception traditionnelle du gage, conçu comme un contrat réel, la remise
de l’objet est une condition de validité du gage entre les parties.
Dans une conception consensualiste, la tradition ne serait que l’exécution de l’obligation
consentie par le débiteur de constituer un gage, le gage étant valablement formé dès
l’échange des consentements.
71. Dans les deux conceptions, la tradition est une condition d’opposabilité du gage
aux tiers, hormis dans le cas où le gage porte sur une créance ordinaire. La tradition
n’est en effet plus requise dans ce dernier cas.
SECTION 3.
A.
CONDITIONS D’OPPOSABILITE DU GAGE AUX TIERS
Introduction
72. Les rédacteurs du Code civil ont estimé que le gage ne pouvait être rendu
opposable aux tiers que si une certaine publicité était assurée, de manière à protéger les
tiers contre l’existence de gages occultes.
73. Puisque le gage ne porte que sur des meubles, la principale formalité que le
législateur a requise est la dépossession du constituant. Cette formalité est prévue tant
pour le gage civil par l’article 2076 du Code civil aux termes duquel « … le privilège ne
subsiste sur le gage qu’autant que ce gage a été remis et est resté en possession du créancier,
ou d’un tiers convenu entre les parties », que, pour le gage commercial, par l’article 1er de la
loi du 5 mai 1872, aux termes duquel « le gage constitué pour sûreté d’un engagement
commercial, confère au créancier le droit de se faire payer sur la chose engagée par privilège et
préférence aux autres créanciers, lorsqu’il est établi conformément aux modes admis en matière
de commerce pour la vente de choses de même nature et que l’objet du gage a été mis et est
resté en la possession du créancier ou d’un tiers convenu entre parties ».
74. Le Code civil impose en outre pour le gage civil l’établissement d’un écrit
répondant aux conditions de l’article 2074 du Code civil, c’est-à-dire « un acte public ou
sous seing privé, dûment enregistré, contenant la déclaration de la somme due, ainsi que
l’espèce et la nature des choses remises en gage ou un état annexé de leurs qualité, poids et
mesure. La rédaction de l’acte par écrit et son enregistrement ne sont néanmoins prescrits qu’en
matière excédant la valeur de 375€ ».
22
B.
L’écrit
75. L’écrit n’est pas une condition de validité entre parties, ni même une question de
preuve ; il est bien une condition d’opposabilité du gage aux tiers50.
L’écrit a été imposé par le législateur pour déjouer les fraudes qui consisteraient en
l’octroi d’un gage (ou en l’augmentation de la consistance d’un gage antérieur) à la veille
de la survenance d’une situation d’insolvabilité51.
76. L’écrit n’est requis, d’après l’article 2074 du Code civil, que si « la matière » excède
375€ . Il faut avoir égard tant au montant de la créance garantie qu’à la valeur de l’objet
mis en gage52. Ce n’est que si la valeur totale des deux excède 375€ que l’écrit est requis
(ce qui, en pratique, sera le plus souvent le cas).
77.
L’écrit doit contenir certaines mentions spéciales.
L’écrit doit indiquer le montant de la créance que le gage garantit. Le but est d’avertir les
tiers de la valeur potentiellement soustraite du patrimoine du débiteur et d’éviter les
fraudes qui consisteraient à gonfler la dette garantie. Dans le cas où le gage garantit une
créance dont le montant est actuellement indéterminé (par exemple, un gage pour
sûreté de toutes sommes), il y a lieu d’indiquer un montant maximal qui seul sera garanti.
78. Si la nature de la dette rend impossible cette évaluation (par exemple, un gage
pour sûreté d’un engagement de faire ou ne pas faire, tel celui de respecter un
engagement de non-concurrence ou de respecter ses obligations de locataire), on a
admis que l’indication de la cause de la créance suffisait à avertir les tiers que celle-ci
pouvait absorber la totalité du gage53.
79. L’écrit doit également comporter une description de la chose mise en gage. Il s’agit
de l’exigence de spécification du gage. Celle-ci peut résulter d’un état annexé pourvu
qu’il soit contemporain de la constitution du gage. Le but, une fois encore, est d’éviter
les fraudes relatives à la consistance du gage et notamment l’augmentation de la valeur
de celui-ci par la substitution d’un objet par un autre.
50
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1038 ; Cass., 28 mai 1861, Pas., 1861, I,
317.
51
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1039.
52
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1039-B.
53
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1040 ; Cass., 29 mai 1868, Pas., 1868, I,
339.
23
80. L’écrit doit être authentique ou, à tout le moins, enregistré. L’on enseigne
traditionnellement que la date certaine, acquise selon les dispositions de l’article 1328 du
Code civil, suffit54. En conséquence, la certitude de la date peut être obtenue, non
seulement grâce à l’enregistrement, mais également par le décès de l’une des parties ou
par la constatation de la substance de la convention dans un acte dressé par un officier
public, tels que des procès-verbaux d’apposition de scellés ou d’inventaire.
81. Un jugement rendu par le juge de paix de Meise le 23 décembre 200455 rappelle
opportunément que le formalité de l’enregistrement de l’acte de gage en matière civile
ne vise qu’à assurer l’opposabilité de la sûreté aux tiers et donc à conserver le privilège
qui y est associé, mais ne touche en rien aux obligations des parties
C.
La dépossession du constituant
§ 1. Quand la dépossession doit-elle être réalisée ?
82.
En principe, il n’y a pas de délai à respecter.
Toutefois, et sous réserve du régime nouveau applicable au gage sur créances, il faut être
attentif à ce que tant qu’il n’y a pas eu de dépossession du constituant, le gage n’existe ni
entre parties ni n’est opposable aux tiers.
En conséquence, le créancier gagiste ne peut être préféré aux autres créanciers du
constituant en cas de concours avec ceux-ci aussi longtemps qu’il n’y a pas eu de remise
de la chose engagée.
83.
Les conséquences pratiques suivantes découlent de cette première règle :
-
après sa déclaration de faillite, le constituant ne peut plus effectuer la remise de la
chose (article 14 de la loi sur les faillites) ;
-
si la chose a été remise au créancier gagiste pendant la période suspecte, le gage
peut être déclaré inopposable à la masse si la remise de la chose n’est pas
concomitante à la naissance de l’obligation garantie (article 17-1° de la loi sur les
faillites).
54
55
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1040-1°.
R.W., 2004-2005, p. 1233, note.
24
§ 2. En faveur de qui la dépossession doit-elle être réalisée ?
84.
La chose peut être remise au créancier gagiste ou à un tiers convenu.
Pour que le gage soit valable en cas d’intervention d’un tiers convenu, il faut que ce
dernier accepte de détenir le gage pour compte des deux parties et en cette qualité, en
vertu d’une convention distincte du gage (généralement un dépôt ou un mandat)56.
Tout tiers capable de s’obliger peut être tiers convenu. Le créancier gagiste peut être
tiers convenu pour compte d’un autre gagiste (en cas du double gage) ou pour le compte
d’un tiers qui, ayant payé la dette garantie est subrogé dans les droits du créancier
gagiste57.
Le débiteur gagiste ne peut bien entendu jamais être tiers convenu, car cette situation
serait incompatible avec une véritable dépossession.
85. Les droits et obligations du tiers convenu dérivent de la convention particulière
qui le lie aux parties, le plus souvent un dépôt salarié.
86. Sauf convention contraire, le créancier gagiste fait l’avance des frais afférents à
l’intervention du tiers convenu, que le débiteur supporte en définitive, en vertu de
l’article 2080 du Code civil.
87. Le tiers convenu jouit d’un droit de rétention prévu à l’article 1948 du Code civil,
qui est opposable au créancier gagiste, ainsi que, le cas échéant, du privilège du
conservateur prévu par l’article 20, 4° de la loi hypothécaire.
§ 3. Comment la dépossession doit-elle être réalisée ?
88. La possession du créancier gagiste doit être réelle, effective, exclusive, non
équivoque et permanente58. Ces conditions découlent de l’application analogique de
l’article 2229 du Code civil qui dispose que « Pour pouvoir prescrire, il faut une possession
continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire ».
89.
En conséquence, pour les meubles corporels, la dépossession peut avoir lieu :
56
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1048 ; Voy. Com. Mons, 1er septembre
1986, Jur. Liège, 1987, p. 879.
57
Cass., 3 décembre 1896, Pas., 1897, I, 39.
58
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1049.
25
-
par la tradition réelle de la chose au créancier (remise physique de la chose entre
les mains du créancier gagiste) ;
-
par interversion du titre de possession : ce sera le cas du créancier qui détient
déjà la chose mais à un autre titre (par exemple, en exécution d’une convention de
prêt) et qui par la suite devient créancier gagiste ; il faut que les parties
conviennent d’intervertir le titre de détention de la chose, de sorte que le
créancier gagiste soit constitué quasi-possesseur de la chose au titre de créancier
gagiste ;
-
par remise de la chose à un tiers convenu. Il s’agit de l’opération dite de
l’ « entiercement ».
90. Pour les meubles incorporels, il faut distinguer selon la nature du meuble
incorporel concerné.
§ 4. La dépossession doit avoir un caractère permanent – Principes
et exceptions
a.
Principe
91. En vertu de l’article 2076 du Code civil, le privilège ne subsiste que pour autant
que le créancier gagiste ait conservé la possession de la chose nantie. La dépossession du
créancier gagiste entraîne la perte du privilège si la chose retourne au débiteur ou à un
tiers qui n’accepte pas de détenir la chose pour le compte du créancier gagiste.
Ce principe reçoit plusieurs exceptions.
b.
Première exception – Le gage subsiste en cas de
dessaisissement pour raisons impérieuses
92. La suspension temporaire de la quasi-possession exercée par le créancier gagiste
peut être rendue indispensable pour des raisons impérieuses indépendantes de la faute
de l’un ou l’autre partie. Le critère à suivre pour apprécier le sort du gage en ce cas,
consiste à déterminer si les tiers ont pu croire que la chose nantie retournait
définitivement dans le patrimoine du débiteur ou ne lui avait été remise qu’à titre
temporaire : ont-ils été trompés sur le sens de la restitution ?
26
93. Le gage subsiste, par exemple, en cas de remise des actions de société mises en
gage pour permettre au débiteur d’assister à une assemblée générale et y exercer son
droit de vote ou pour souscrire à des actions nouvelles.
c.
Deuxième exception – La substitution de gage
94. Le gage subsiste malgré la restitution des biens gagés au débiteur gagiste si, au
moment où celle-ci a eu lieu, le créancier gagiste est immédiatement mis en possession
de biens pour une valeur identique à la valeur des biens initialement nantis59. Selon la
Cour de cassation60, il y a permanence de la dépossession pourvu que la substitution soit
instantanée et que le remplacement ait lieu à l’aide de biens de même valeur.
95. Si les deux conditions de simultanéité et de valeur ne sont pas remplies, le gage
initial tombe.
Un nouveau gage peut naître sur le bien de remplacement si les parties en manifestent la
volonté et que les autres conditions de constitution et d’opposabilité aux tiers du gage
sont remplies, mais il ne sera constitué qu’à la date à laquelle le créancier a été mis en
possession du biens ainsi nouvellement nantis, avec le risque de l’application de l’article
17 de la loi sur les faillites.
d.
Troisième exception – Le gage flottant sur créances
96. Grâce à la réforme apportée au gage sur créances par la loi du 6 juillet 1994, l’on
peut à présent mettre en place un gage flottant sur un ensemble de créances de manière
aisée. Le mécanisme consiste à mettre en gage par une convention unique un ensemble
de créances actuelles et futures, rendues fongibles entre elles et, à tout le moins,
déterminables en vertu de la convention61.
97. Les créances futures viennent successivement, au fur et à mesure de leur
naissance, substituer les créances existantes affectées en gage. La réforme précitée
supprime à cet égard la nécessité d’une signification du gage aux débiteurs des créances
59
Voy. SCHIKS, “Les conditions et les effets de la substitution de gage”, in Rev. Prat. Not., 1923 ; p.
273 ; VAN COMPERNOLLE, « Les sûretés réelles traditionnelles en droit belge », Colloque ULB,
Feduci, p. 79, n° 32 ; T’KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, n°
266-269.
60
Cass., 12 novembre 1914, Pas., 1915-16, I, 124.
61
Voy. Cass. fr., 10 mars 1915, D. SIREY, 1916, I, p. 5, note Lyon-Caen; STRANART, “Le gage sur
créances” in La cession de créance, J.B., 1994, p. 88-90.
27
pour en assurer l’opposabilité aux tiers, ainsi que la nécessité éventuelle de remettre le
titre de chaque créance au créancier gagiste, toutes formalités qui rendaient malaisée,
voire impossible, jusqu’alors, la mise en place d’un gage flottant sur créances.
SECTION 4.
A.
EFFETS DU CONTRAT DE GAGE
Jusqu’à l’exigibilité de la créance garantie
§ 1. Les droits du créancier gagiste
98.
-
Le créancier gagiste jouit de deux droits :
un droit de possession,
un droit de rétention.
a.
Droit de possession
99. Le gage confère au créancier gagiste le droit de posséder la chose, opposable à
tous et s’exerçant directement sur celle-ci. Ce droit sert à assurer la préservation de
l’assiette pendant la durée du gage ainsi que le droit de la faire réaliser, le cas échéant, en
cas d’inexécution de la créance garantie. En cas de concours, il permet également
l’opposabilité du privilège aux tiers.
Il s’agit d’un droit accessoire, qui n’est exercé qu’à titre de gage ; l’« animus » de la
possession du créancier n’est pas celui d’un propriétaire, c’est l’« animus pignoris », parce
que la possession n’est exercée qu’à titre de garantie. Il s’agit, en réalité d’une « quasi
possession », c’est-à-dire de la manifestation et de l’exercice des attributs d’un droit réel
autre que la propriété. Par facilité de langage, cette nuance est souvent omise. Elle n’en
reste pas moins relevante.
100. Le créancier gagiste est tenu à une obligation de restituer la chose. Il ne peut
prétendre la conserver définitivement et, sans autre forme de procès, pour lui-même.
Par conséquent, la possession du créancier gagiste se double de la qualité de détenteur
envers le constituant62.
62
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1057.
28
101. En sa qualité de possesseur, le créancier gagiste peut se prévaloir à l’égard des
tiers de l’article 2279 du Code judiciaire et exercer le droit de suite dans les limites où
cette disposition le prévoit, mais ceci sous réserve :
-
du droit de revendication conservé par le constituant, possesseur « animo
domini » ;
-
de ce que l’article 2280 du Code civil ne peut être invoqué mutatis mutandis par le
créancier gagiste qui peut toutefois se le voir opposer63. Cet article dispose que :
« Si le possesseur actuel de la chose volée ou perdue l’a achetée dans une foire ou dans
un marché, ou dans une vente publique, ou d’un marchand vendant des choses pareilles,
le propriétaire originaire ne peut se la faire rendre qu’en remboursant au possesseur le
prix qu’elle lui a coûté ».
Transposée à la matière du gage, la règle signifie que le créancier gagiste bénéficiant
d’une sûreté dont l’assiette présente l’une des provenances visées plus haut, peut être
contraint de restituer la chose à son verus dominus, bien que la qualité de sa possession
réponde aux exigences de l’article 2229 du Code civil. En revanche, le créancier gagiste,
dépossédé de l’objet gagé, ne pourrait être restauré dans ses droits, sur la base de
l’article 2280 du Code civil.
102. Le droit réel du créancier gagiste et la possession exercée par lui présentent
certaines limites :
-
le créancier ne fait pas les fruits siens car l’article 549 du Code civil, qui n’accorde
ce droit qu’au possesseur « animo domini ».
-
l’opposabilité aux tiers de son droit de possession vaut ce que vaut la constitution
de son gage. Il ne peut opposer son droit de possession que si le gage a été
régulièrement constitué et a été rendu opposable aux tiers. Par voie de
conséquence, en cas de conflit avec un tiers quelconque, si le gage n’est pas
régulier, il n’y a pas de privilège64.
b.
Droit de rétention
103. Le droit de rétention est prévu par l’article 2082 du Code civil.
63
Cass., 6 mars 1913, Pas., I, 133 ; DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1060.
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1060, V, n° 1062; L. VINCENT, « Chron. »,
J.T., 1968, n° 95, p. 760 ; A.M. STRANART, Chron. Jur, n° 12, p. 224.
64
29
Aux termes de cet article, « Le débiteur ne peut, à moins que le détenteur du gage n’en
abuse, en réclamer la restitution qu’après avoir entièrement payé, tant en principal qu’intérêts
et frais, la dette pour sûreté de laquelle le gage a été donné.
S’il existait de la part du même débiteur, envers le même créancier, une autre dette contractée
postérieurement à la mise en gage, et devenue exigible avant le paiement de la première dette,
le créancier ne pourra être tenu de se dessaisir du gage avant d’être entièrement payé de l’une
et de l’autre dettes, lors même qu’il n’y aurait eu aucune stipulation pour affecter le gage au
paiement de la seconde ».
Le droit de rétention à l’égard du constituant est le pendant du droit de possession à
l’égard des tiers. Le créancier gagiste ne doit restituer la chose au constituant qu’après le
paiement de la créance garantie65. Contrairement au droit de rétention fondé sur le
principe général de l’exécution trait pour trait des prestations dues en vertu d’un
rapport synallagmatique parfait ou imparfait, le droit de rétention de l’article 2082 du
Code civil ne repose pas sur l’existence d’un lien de connexité, mais sur une relation de
principal à accessoire.
104. Le droit de rétention du créancier est indivisible.
Par conséquent, le créancier gagiste peut conserver toute la chose remise (même si elle
est divisible par nature) en cas d’apurement partiel de la dette (sauf convention
contraire).
Le gage ne se divise pas même si la dette garantie se répartit entre les héritiers du
débiteur ou entre les héritiers du créancier de cette dette.
105. En matière de gage civil seulement, l’article 2082, alinéa 2 du Code civil étend les
effets du droit de rétention aux autres obligations du débiteur dans les conditions
prévues par cette disposition66. Les conditions à réunir sont les suivantes :
-
la deuxième dette doit exister entre les parties originairement liées par le contrat
de gage initial et par le contrat principal originaire (ce ne sera pas le cas si le gage
est constitué par un tiers, ni si la créance originairement garantie est acquise par
un cessionnaire et que la deuxième dette naît entre le cessionnaire et le débiteur) ;
-
la deuxième dette doit être créée postérieurement à la constitution du gage ;
65
66
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1062.
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1066.
30
-
la deuxième dette doit être devenue exigible avant le paiement de la dette garantie
(c’est-à-dire avant l’époque où celle-ci devait être payée).
En ce cas, le créancier gagiste peut retenir la chose pour sûreté de la deuxième dette.
Il s’agit d’une disposition exorbitante du droit commun (s’appliquant seulement au gage
civil) et qui déroge de façon remarquable aux règles du caractère accessoire, de la
spécialité et de l’interprétation restrictive des sûretés.
Cette règle se justifie par la présomption de volonté tacite des parties : le législateur a
considéré que le créancier qui a traité une première fois avec le débiteur en lui
demandant une sûreté n’aurait pas voulu traiter une seconde fois avec le même débiteur
sans sûreté, en tout cas pour un terme plus rapproché que celui de la première dette, et
n’a donc accepté de devenir créancier une seconde fois qu’en considération du gage.
Ce droit conféré au créancier gagiste n’est pas un véritable gage, mais bien un droit de
rétention. En conséquence, le gage ne garantira pas l’autre créance et le créancier gagiste
ne bénéficiera ni du droit de requérir la réalisation du bien, ni d’un droit de préférence
sur la valeur de celui-ci pour le paiement de cette créance67.
§ 2. Les obligations du créancier gagiste à l’égard du constituant du
gage
a.
La garde et la conservation de la chose
106. Le créancier est tenu aux obligations de faire, que sont la garde et la conservation
de la chose68. Le créancier gagiste répond de sa « culpa levis in abstracto » à l’égard du
débiteur, par application des articles 2080 et 1137, alinéa 1er du Code civil. Pour rappel,
cette disposition prescrit que « L’obligation de veiller à la conservation de la chose, soit que la
convention n’ait pour objet que l’utilité d’une partie, soit qu’elle ait pour objet leur utilité
commune, soumet celui qui en est chargé à y apporter tous les soins d’un bon père de famille ».
107. En conséquence, le créancier gagiste doit apporter à la garde et à la conservation
de la chose mise en gage tous les soins d’un bon père de famille. Il doit, si nécessaire,
faire l’avance des frais de garde et de conservation.
67
68
T’KINT, Sûretés et principes génraux du droit de poursuite des créanciers, n° 228.
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1086.
31
108. Le créancier gagiste doit prouver le cas fortuit en cas de perte de la chose.
L’article 1302 du Code civil s’applique, en effet, en ses trois premiers alinéas, à la
situation du créancier gagiste. Les règles édictées sont les suivantes : « Lorsque le corps
certain et déterminé qui était l’objet de l’obligation (à savoir l’obligation de garde, de
conservation et de restitution pesant sur le créancier gagiste), vient à périr, est mis hors du
commerce, ou se perd de manière qu’on en ignore absolument l’existence, l’obligation est
éteinte si la chose a péri ou a été perdue sans la faute du débiteur et avant qu’il fût en
demeure. Lors même que le débiteur (en l’occurrence, le débiteur de l’obligation de garde,
de conservation et de restitution, c’est-à-dire le créancier gagiste) est en demeure, et s’il
ne s’est pas chargé des cas fortuits, l’obligation est éteinte dans le cas où la chose fût également
périe chez le créancier si elle lui eût été livrée ».
b.
Ne pas user de la chose
109. Le créancier est tenu également à une obligation de ne pas faire, à savoir à ne pas
user de la chose, car il n’a que la détention de la chose sans en avoir la jouissance.
L’article 1927 du Code civil, applicable par analogie au gage, impose, en effet, au
dépositaire « d’apporter, dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu’il apporte
dans la garde des choses qui lui appartiennent ». L’analogie avec le dépôt découle
expressément des termes de l’article 2079 du Code civil qui dispose que « Jusqu’à
l’expropriation du débiteur s’il y a lieu, il reste propriétaire du gage, qui n’est, dans la main du
créancier, qu’un dépôt assurant le privilège de celui-ci ». La sanction de la violation de cette
obligation est la déchéance du gage pour abus, conformément à l’article 2080 du Code
civil.
110. Ces obligations n’existent qu’envers le constituant et non pas envers les créanciers
de ce dernier. Ceux-ci peuvent cependant exercer les droits de leur débiteur par voie de
l’action oblique.
111. Toutefois, l’article 11 § 1er de la loi relative aux sûretés financières et portant des
dispositons fiscales diverses en matière de convetions constitutives de sûreté » réelle et
de prêts protant sur des instruemnts financiers reconnaît un droit d’utilisation de la
garantie financière remise à un créancier gagiste. Ce régime ne vise que les garanties
portant sur des espèces et des instruments financiers.
112. Sauf convention contraire, le créancier doit percevoir les fruits mais, comme on l’a
vu, il ne fait pas les fruits siens et ne peut donc se les approprier69. L’article 2081 du
69
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1089.
32
Code civil prévoit cependant que le créancier gagiste peut percevoir les intérêts de la
créance donnée en gage et les imputer sur les intérêts de sa créance ou même sur le
capital de celle-ci si elle ne porte pas intérêts.
113. Le créancier gagiste ne peut percevoir le capital des créances mises en gage et
échéant avant l’exigibilité de la créance garantie. Cette interdiction résulte de la règle
plus large de la prohibition de la clause d’appropriation automatique de la propriété de
chose engagée au profit du créancier gagiste, parfois nommé « pacte commissoire exprès »,
déposée à l’article 2078 du Code civil. Selon cet article, « le créancier ne peut, à défaut de
paiement, disposer du gage, sauf à lui à faire ordonner en justice que ce gage lui demeurera en
paiement et jusqu’à due concurrence, d’après une estimation faite par experts, ou qu’il sera
vendu aux enchères. Toute clause qui autoriserait le créancier à s’approprier le gage, ou à en
disposer sans les formalités ci-dessus est nulle ».
114. Le constituant du gage ne peut cependant davantage percevoir ce capital. Il y a lieu
à consignation des fonds. La solution est différente dans le cas du gage commercial70. Le
débiteur pourrait cependant donner mandat au créancier de percevoir le capital71.
115. Le droit de vote aux assemblées générales des sociétés dont les titres sont mis en
gage (ainsi que les droits sociaux en général) appartient au constituant du gage. Si le
dépôt préalable des actions est requis, le créancier gagiste est tenu d’y procéder et ne
perdra pas son droit de gage car il s’agit là d’un motif légitime d’interruption de la
possession.
§ 3. Les droits du constituant du gage
116. Le constituant conserve la propriété et la possession juridique de la chose
(« animo domini » mais « corpore alieno »).
117. Il peut obtenir
-
des dommages-intérêts, pour violation de l’obligation de garde et de conservation,
-
la déchéance du gage pour abus, en raison de la violation de l’interdiction d’user de
la chose par le créancier gagiste.
70
71
Voy. infra, l’article 3 de la loi du 5 mai 1872.
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1086-1°.
33
§ 4. Les obligations du constituant
118. Le constituant est sous le coup d’une obligation générale de ne rien faire qui
diminue la sûreté du créancier et notamment ne peut altérer la chose.
La sanction est la déchéance du terme, ainsi que le prévoit l’article 1188 du Code civil,
selon lequel « le débiteur ne peut plus réclamer le bénéfice du terme lorsqu’il a fait faillite, ou
lorsque par son fait il a diminué les sûretés qu’il avait données par le contrat à son
créancier »72.
B.
A partir de l’exigibilité de la créance garantie
§ 1. Cas où l’obligation garantie est exécutée
119. Le créancier gagiste a un droit de rétention :
-
d’une part, pour le paiement d’une éventuelle autre créance (l’article 2082, alinéa 2
du Code civil) ;
-
d’autre part, pour le remboursement des dépenses utiles et nécessaires exposées
pour la garde et la conservation de la chose, ainsi que pour l’indemnisation des
pertes subies en raison de la détention du bien (article 2080, alinéa 2 du Code civil
et article 2082, alinéa 1 du Code civil).
120. Le créancier gagiste doit restituer la chose en nature (accessoires y compris) ou
en valeur si la chose a péri. Cette obligation de restitution est un obligation de résultat.
Le créancier gagiste doit prouver le cas fortuit s’il ne peut restituer la chose (voy. supra).
121. De son côté, le constituant a le droit d’obtenir la restitution de la chose. Il dispose
à cette fin d’une action personnelle en restitution doublée d’une action réelle en
revendication.
122. Le constituant doit, le cas échéant, rembourser au créancier gagiste les dépenses
nées de la garde et de la conservation de la chose et doit l’indemniser de ses pertes.
§ 2. Cas où l’obligation garantie n’est pas exécutée
72
Voy. un exemple: Lyon, 30 mars 1978, Rec. D. S., 1978, p. 417.
34
123. Comme l’y autorise l’article 2078 alinéa 1er du Code civil, le créancier gagiste
dispose du droit de faire exécuter le gage, ainsi que d’un droit de préférence, lié à son
privilège.
L’exécution portera sur la chose remise en gage, y compris les accessoires, à savoir les
produits, les incorporations, mais non les fruits, sauf les intérêts si le bien nanti est une
créance.
124. L’exécution suppose que les préalables prévus par le droit commun aient été
respectés, et notamment qu’il y ait eu mise en demeure et que le créancier dispose d’un
titre exécutoire.
125. Le créancier a le choix entre :
-
la vente73 qui doit être autorisée par justice et pratiquée aux enchères (c’est-à-dire
en vente publique par le ministère d’huissier de justice), sauf les exceptions telles
que pour les fonds publics ou devises où la vente a lieu en bourse par
l’intermédiaire d’un professionnel, ou
-
l’attribution en propriété, qui doit aussi être autorisée par justice ; en ce cas, la
valeur de la chose qui sera attribuée au créancier gagiste à due concurrence de la
créance garantie (moyennant soulte éventuelle) devra faire l’objet d’une expertise.
Il s’agit d’une forme de dation en paiement effectuée sous le contrôle du juge74. Le
jugement opérera le transfert de propriété de la chose. Sans autorisation judiciaire,
le transfert en propriété, s’il est organisé par une clause conclue de manière
contemporaine à la condition du gage, est interdit par l’article 2078 alinéa 2 du
Code civil. Cela ne s’oppose pas à ce que les parties résilient, bilatéralement, leurs
conventions antérieures, notamment la convention de gage ou, modifiant celles-ci
de commun accord, accorde au créancier la propriété de l’objet initialement
engagé en paiement de l’obligation principale.
126. L’on notera que l’exécution est un droit et non une obligation. A l’échéance de la
dette garantie impayée, le créancier gagiste peut différer l’exécution et se contenter
d’exercer son droit de rétention envers le débiteur, avec le risque d’entrer en concours
sur le bien avec d’autres créanciers de celui-ci75. Il peut également saisir un autre bien du
patrimoine du débiteur sans perdre ou renoncer à son privilège. Aucune disposition
légale n’oblige un créancier gagiste à poursuivre son débiteur d’abord sur ses biens
73
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1070 et suivants.
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1075.
75
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1070, D.
74
35
hypothéqués et ensuite sur les titres remis en gage ou inversement76. Si le retard dans
l’exécution entraîne une moins-value de réalisation, le créancier gagiste n’en est pas
responsable, sauf s’il a abusé de son droit de ne pas agir. Notons que lorsque le
constituant du gage bénéficie de la protection du règlement collectif de dettes, « toutes
les voies d’exécution qui tendent au paiement d’une somme d’argent sont suspendues. Les
saisies déjà pratiquées conservent cependant leur caractère conservatoire » (article 1675/7 §2
alinéa 1 du Code judiciaire).
127. Le pacte commissoire contemporain de la constitution du gage a pu être
considéré comme étant frappé d’une nullité d’ordre public par application de l’article
2078 du Code civil. Toute clause par laquelle le débiteur autoriserait le créancier à
conserver le gage ou à se l’approprier sans formalité en cas d’inexécution de l’obligation
garantie serait donc nulle, ou à tout le moins inopposable aux tiers77. En revanche, la
prohibition disparaît à l’égard des pactes convenus à l’échéance de la dette ou même
seulement postérieurement à la constitution du gage mais de manière véritablement
distincte de celle-ci.
128. L’analyse proposée de l’article 2078 du Code civil est cependant parfaois
légèrement différente.
Par son arrêt du 9 avril 1996, la chambre commerciale de la Cour de cassation de
France78 avait rappelé que l’attribution judiciaire et les modalités de réalisation du gage
ont seulement pour but de protéger un débiteur qui a grevé un bien d’une valeur
supérieure à sa dette contre la spoliation qui résulterait d’une évaluation insuffisante de
ce bien ou d’une vente dans de mauvaises conditions par un créancier soucieux d’en
retirer un prix minimal suffisant pour couvrir sa créance. La Cour de cassation en a
déduit que ces règles sont inapplicables lorsque l’assiette du gage est constituée de biens
non susceptibles d’évaluation. C’est dans le même sens que se prononce l’arrêt de la
Cour de cassation de France du 5 octobre 200479, puisqu’elle y déclare que la
prohibition du pacte commissoire est sanctionnée par la nullité d’intérêt privé à laquelle
le constituant peut renoncer. On relèvera la substitution de la notion de nullité d’intérêt
privé à celle de nullité relative. Il faut voir là un abandon par la Cour suprême française
de la distinction classique entre nullité relative et nullité absolue. La question essentielle
devient à présent la détermination du droit de critique. Au cas par cas, pour la violation
de chaque règle en fonction des intérêts protégés. En ce qui concerne le pacte
commissoire, c’est le débiteur qui seul dispose de l’intérêt à se prévaloir du non-respect
de la règle. Encore peut-il y renoncer pour autant que sa volonté à cet égard soit
dépourvue de toute équivoque. Or, il ressortait des constations du juge du fond, dans
l’affaire ayant conduit à l’arrêt du 5 octobre 2004, que le constituant du gage avait eu la
76
Comm. Louvain, Prés., 19 juin 1998, AJT, 1999-2000, p. 387, note WAGNER.
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1076 ; Liège, 13 février 2001, J.L.M.B.,
2003, p. 947, obs. WINANDY ; Civ. Louvain, sais., 13 décembre 1994, Bull. contr., 1996, p. 2234.
78
Droit et patrimoine, 1996, p. 47.
79
Revue de droit bancaire et financier, 2004, p. 406.
77
36
volonté de réparer le vice affectant la cession dont il avait eu connaissance. En l’espèce,
l’un des administrateurs d’une société avait obtenu un crédit bancaire destiné à financer
l’acquisition d’actions. Ces derniers avaient été nantis pour garantir le bon
remboursement du crédit. Au moment de l’exigibilité de la créance principale, la banque,
non payée, avait mis en oeuvre sa garantie en procédant sans ordre du constituant à la
cession d’un premier ensemble d’actions. Après avoir protesté et négocié avec la
banque, le constituant avait donné son accord pour la cession d’un second ensemble
d’actions. Ce n’est que deux ans plus tard que le débiteur s’était prévalu de la violation
de l’article 2078 du Code civil. La renonciation ressortait clairement des faits. Dans ces
conditions, une seconde affirmation de l’arrêt se comprend aisément : « Les dispositions
de l’article 2078 du Code civil ne font pas obstacle à ce que, postérieurement à la constitution
du gage, le débiteur donne mandat au créancier gagiste de procéder pour son compte à la
vente de la chose donnée en gage ». La solution est ancienne. L’apport de l’arrêt analysé
consiste dans le lien tissé entre le concept de prohibition du pacte commissoire et celui
de nullité d’intérêt privé, susceptible de renonciation. Trois conditions sont requises,
rappelons-le, pour cette sorte de confirmation : la connaissance du vice dont l’acte est
entaché ; l’intention de réparer le vice ; l’absence de tout vice entachant la
confirmation80.
129. Le créancier gagiste peut exercer son droit de préférence. Il peut prélever le
montant de la créance et les intérêts de celle-ci sur le prix de la réalisation du bien
donné en gage par priorité et par préférence à toute autre créancier81.
130. L’assiette du droit de préférence est la totalité du prix de réalisation de la chose
et de ses accessoires (produits, incorporation, accroissements) y compris les accessoires
de ce prix82 mais pas les fruits ou la valeur des fruits de la chose, car le créancier ne fait
pas les fruits siens, sauf l’application de l’article 2081 du Code civil en matière de créance
(voy. supra).
131. En cas de perte de la chose due à la faute d’un tiers ou un cas fortuit, le droit de
préférence s’exerce, par voie de subrogation réelle, sur l’indemnité éventuellement due
par l’assureur ou par le tiers en raison de cette perte. Cette subrogation est prescrite
par l’article 10 de la loi hypothécaire. Si la chose a péri par la faute du créancier, il perd
son privilège et doit des dommages-intérêts au débiteur, qui peuvent, lorsque les
conditions de la compensation sont remplies, se compenser avec l’obligation garantie. Si
la chose a péri par la faute du débiteur, le privilège n’a plus d’assiette et il y a déchéance
du terme pour la totalité de la dette, en vertu de l’article 1188 du Code civil.
80
Note D.L., Revue droit bancaire et financier, 2004, p. 406.
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1077.
82
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1081.
81
37
132. Le constituant a le droit de réclamer le solde éventuel du prix de réalisation de la
chose ou la soulte en cas d’attribution par justice, si ce prix ou cette valeur est supérieur
au montant de l’obligation garantie.
SECTION 5.
FIN DU CONTRAT DE GAGE
A.
Extinction par voie accessoire
133. Ce mode d’extinction provient de la disparition définitive de toute l’obligation
garantie83. Il s’agit de la caducité du gage si la disparition de l’obligation garantie est non
rétroactive, ou de nullité pour défaut d’objet et de cause, dans le cas contraire.
B.
Extinction par voie principale
134. Le gage s’éteint lors de la restitution volontaire du gage par le créancier au
constituant ; cette restitution emporte renonciation à la sûreté mais n’entraîne pas
extinction, ni même modification de l’obligation principale84.
135. Le gage s’éteint, par caducité, si la chose donnée en gage disparaît sans être
remplacée par une autre valeur dans le patrimoine du débiteur. L’obligation principale
devient alors immédiatement exigible.
136. En cas de déchéance pour abus, par application de l’article 2082 du Code civil,
seule l’obligation de restitution de la chose subsiste mais l’intégralité de l’obligation
principale se maintient.
137. En cas de nullité du gage pour une raison qui lui est propre (indépendamment de
la validité de l’obligation garantie), le gage disparaît et l’obligation principale devient
immédiatement exigible.
138. La question de la résiliation unilatérale d’un gage constitué pour garantir toutes
sommes dues ou à devoir est controversée. L’on sait depuis l’arrêt Mengal (voy. supra)
que la vie d’un gage ne dépend pas de l’existence d’une créance garantie. Ce n'est que
lorsqu'est poursuivie l'exécution éventuelle de la sûreté qu'il convient de vérifier si
l'obligation garantie existe. Un gage peut dès lors parfaitement vivre pour garantir des
83
84
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1094.
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1095.
38
créances futures, sans limitation de durée, pour autant, comme on s'en souvient, qu'elle
fussent déterminables au moment de la conclusion de la garantie. A cet égard – comme
on l’a vu – l’indication que toutes les sommes dues ou à devoir par un débiteur
déterminé envers un créancier déterminé, est traditionnellement jugée satisfaisante85.
Cette jurisprudence emporte toutefois une conséquence préoccupante: le constituant
d'un gage pourrait voir son bien, nanti pour garantir toutes sommes dues ou à devoir,
rendu indéfiniment indisponible, en particulier, lorsque les parties au contrat principal
sont des sociétés constituées pour une durée illimitée. Antérieurement à l'introduction
dans notre droit de la jurisprudence prônée par l'arrêt Mengal, cet écueil ne pouvait se
présenter: limitées aux créances principales existantes, les sûretés réelles se trouvaient
nécessairement enserrées dans la durée assignée à celles-ci, que ce soit par un terme
extinctif ou par la faculté de résilier unilatéralement une obligation sans terme.
139. Sous l'empire de la conception moderne du caractère accessoire du gage, une telle
limitation par répercussion peut parfois ne produire aucun effet, comme l'illustre
d'ailleurs une espèce soumise au tribunal de commerce de Bruxelles, que l'on peut
résumer comme suit. Le gérant d'une SPRL avait négocié avec une banque une avance de
fonds au bénéfice de la société. A l'occasion de la conclusion de cette convention, mais
pour garantir plus largement la banque du remboursement de toutes sommes dues ou à
lui devoir par la société, il affecta en nantissement un portefeuille de titres de différentes
natures lui appartenant. Les crédits octroyés furent plusieurs fois majorés, jusqu'à ce
qu'en raison de leur non remboursement à l'échéance, la banque les dénonçât avec un
préavis contractuel d'un mois.
Entre-temps – et avant l'octroi des majorations non payées – le gérant avait adressé à la
banque une lettre recommandée déclarant résilier unilatéralement le gage. Après
signification et dépôt de la requête demandant l'autorisation de vendre, mais avant que
celle-ci fut accordée par le président du tribunal, les parties comparurent volontairement
devant le Président du tribunal de commerce de Bruxelles, afin que soit tranché leur
litige, la banque maintenant sa demande d'autorisation de vendre et le constituant du
gage s'y opposant au motif que la sûreté avait été résiliée avant la naissance des créances
impayées.
Par son jugement du 25 septembre 1996, le Président du tribunal de commerce conféra
l'autorisation demandée au motif qu'il n'était pas contesté que la banque était créancière
et que le gage était valable. Il est vrai que les pouvoirs de vérification du président ou du
tribunal de commerce sont limités à ces deux questions, dans le cadre de la procédure
en réalisation d'un gage. Le problème soulevé mettait cependant en cause l'existence
85
Voir notamment SIMONT et BRUYNEEL, "Le cautionnement donné en garantie de toutes les
obligations d'un débiteur envers son créancier", R.C.J.B., 1974, pp. 214 et 215.
39
même du gage, de sorte qu'à titre surabondant, le tribunal y consacra prudemment les
intéressantes réflexions qui suivent: "le gage est un droit réel; c'est la raison pour laquelle on
parle de sûreté réelle à propos du gage; le droit réel est un droit qu'une personne possède
directement sur une chose; la constitution d'un droit réel suppose un acte d'aliénation par lequel
la propriété d'une chose, ou un démembrement de cette propriété est transmise; la personne
qui acquiert un droit réel sur une chose acquiert un démembrement de la propriété (et) exerce
son droit directement sur la chose et non plus sur la personne qui lui a concédé le droit; la
personne qui a concédé ce droit à un tiers ne peut plus lui enlever ce droit (et) ne peut plus
disposer de la chose que dans l'état où elle se trouve; une fois constitué, le droit réel est
soustrait à la volonté unilatérale du constituant; le constituant du droit réel ne peut donc
s'immiscer pour y mettre fin dans une relation nouée entre la personne du créancier et le bien
donné en garantie; il est devenu étranger à cette relation; la possibilité pour une personne de
mettre fin à un contrat par rupture unilatérale ne concerne que les droits de créance et non pas
les conventions constitutives de droit réel; au surplus, ce droit de résiliation unilatérale ne
s'applique qu'au contrat à prestations successives, et le contrat de gage est un contrat
instantané (…)" 86.
140. La position rigoureuse ainsi exprimée se comprend. Elle semble dictée par une
juste application de règles fondamentales. Toutefois, en seconde analyse, n'apparaît-il pas
que d'autres principes, plus intenses encore peut-être que ceux régissant la catégorie des
droits réels, puissent induire une solution inverse?
141. Ainsi, la notion de résiliation unilatérale est-elle réellement inadaptée au gage?
Mode exceptionnel de dissolution des conventions, la résiliation par volonté unilatérale
n'existe en principe que lorsque la loi l'autorise expressément ou pour toute convention
conclue sans limitation de durée en faveur de chacune des parties87. Cette faculté est
d'ordre public88. En matière de cautionnement, il est à présent unanimement admis que
le contrat de cautionnement conclu sans terme peut être résilié unilatéralement, pour
autant que cette résiliation n'intervienne pas à contretemps et qu'un préavis raisonnable
soit respecté89. Bien entendu, il reste que la résiliation unilatérale d'un cautionnement ne
vaut que pour les dettes futures90.
86
Comm. Bruxelles 25 septembre 1996, J.L.M.B. 1997, pp. 161-163 ; D.A.O.R, 1997, p. 77.
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. II, 3ème éd., p. 729.
88
VAN OMMESLAGHE, « Examen de jurisprudence - Les obligations », R.C.J.B. 1988, p. 38, n° 148.
89
Gand 9 janvier 1904, Pas., 1904, I, 158; R.P.D.B. V° Cautionnement, p. 171; DE PAGE, Traité
élémentaire de droit civil belge, T. VI, 1ère éd., p. 834; FORIERS, « Les sûretés personnelles
traditionnelles - Développements récents » in Le droit des sûretés, J.B. 1992, p. 183; DIRIX
"Borgtocht - recente ontwikkelingen" in Borgtocht en garantie, personelijke zekerheden, 1997, p. 19,
n° 22; SIMLER, note sous Cass. fr. 18 juin 1973, J.C.P. 1975, n° 18415; CABRILLAC et MOULY, Droit
des sûretés, p. 227.
90
Voir notamment: Mons 4 février 1996, J.L.M.B., 1987, p. 139, obs. PARMENTIER.
87
40
Ce qui semble aujourd'hui aller de soi pour le cautionnement s'est révélé beaucoup plus
difficile à admettre pour l'hypothèque. En réalité, la question n'a pu véritablement
trouver d'issue définitive qu'à l'intervention du législateur. L'on a fait valoir à cet égard
que la convention d'hypothèque engendrant dans le chef de son bénéficiaire, un droit
réel immobilier sur le bien affecté, ce dernier s'en trouvait soustrait à la volonté
unilatérale du constituant, raison pour laquelle, de manière générale, le droit de
résiliation unilatérale n'existerait que pour les contrats engendrant des droits de
créance, de surcroît, à prestations successives91. D'autres se sont prononcés en
revanche en faveur d'un droit de résiliation unilatérale pour autant que les dettes
garanties avant la résiliation aient été remboursées92. La question fut tranchée, on l'a dit,
par le législateur. En effet, à l'occasion de la modification du 13 avril 1995 de la loi du 4
août 1992 relative au crédit hypothécaire, un article 51 bis y fut inséré, disposant que: "Si
une hypothèque est constituée pour sûreté de créances futures pouvant naître pendant une
durée indéterminée ou pour sûreté de créances découlant d'un contrat à durée indéterminée, la
personne contre laquelle une telle hypothèque est inscrite ou le tiers détenteur du bien affecté
de l'hypothèque peut à tout moment résilier l'hypothèque, moyennant un préavis d'au moins
trois mois et de maximum six mois (…)". L'exposé des motifs relève que "dans le cas où
l'hypothèque garantit des engagements à durée indéterminée, l'affectant hypothécaire doit avoir
la possibilité d'y mettre fin"93. La doctrine a généralement salué l'apport de l'article 51 bis
de la loi du 4 août 199294.
142. S'agissant du gage, un seul auteur s'est récemment prononcé sur la question du
droit de résiliation unilatérale en cas de garantie de toutes sommes dues ou à devoir, en
s'y montrant favorable95. Cette opinion va donc à l'encontre de la position adoptée par le
jugement examiné; plusieurs arguments militent pourtant en sa faveur, tant il paraît
inéquitable qu'un gage puisse être maintenu indéfiniment sans limitation de temps, en
particulier dans les cas (relativement fréquents en pratique) où le constituant est un tiers
par rapport à la convention principale, privé de tout pouvoir quelconque d'en influencer
l'évolution ou l'exécution. Ne pourrait-on soutenir que la situation dénoncée heurterait
le principe de l'interdiction des clauses d'inaliénabilité des biens? Comme l'enseigne De
Page, l'inaliénabilité d'un bien ne peut être qu'exceptionnelle, au point que "la définition
même de la propriété s'insurge contre elle"96. Les clauses d'inaliénabilité ne sont dès lors
autorisées qu'à la condition qu'elles soient expressément limitées dans le temps pour
91
STRANART, « L'hypothèque pour toute somme », R.N.B., 1991, p. 145.
VAN RYN et HEENEN, Traité de droit commercial belge, T. IV, 2ème éd., p. 422.
93
Ch. Doc. Parl. 1994-1995, n° 1688/A.
94
MOREAU-MARGRÈVE, « L'hypothèque pour toutes sommes », J.T., 1996, pp. 181 et suivantes;
WAUTERS, « De hypotheek voor alle sommen - een kritische analyse », Jur. Falc. 1996-1997, pp.
728 et suivantes.
95
T'KINT, Sûretés et principes fondamentaux du droit de poursuite des créancier, 2ème éd., pp. 110, 146
et 147.
96
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. V, 2ème éd., p. 802, n° 904.
92
41
une période raisonnable, la vie entière d'une personne physique étant à cet égard
considérée comme trop longue97. Or, la mise en gage d'un bien en garantie de toutes
sommes dues ou à devoir sans limitation de temps par une personne morale constituée
pour une durée illimitée rend ce bien inaliénable, si pas en droit (car juridiquement le
bien peut être vendu), au moins en fait (car la charge qui le grève assortie d'un droit de
suite anéantit sa valeur vénale) pour une période potentiellement illimitée. Cette
indisponibilité économique heurte, comme le font les clauses d'inaliénabilité illimitée, le
principe fondamental de droit privé selon lequel le développement des richesses et le
bon ordre de l'économie supposent que les droits patrimoniaux puissent circuler le plus
librement possible98.
143. Ne constate-t-on pas, au surplus, que les droits réels, en général, n'ont, hormis la
propriété, nullement vocation à être éternels? Ainsi, l'emphytéose et la superficie se
trouvent expressément limités respectivement à 99 ans et 50 ans par les lois du 10
janvier 1924. De même, l'usufruit, l'usage ou l'habitation s'éteignent, en règle, au plus tard
à la mort de leurs bénéficiaires (articles 617, 618 et 625 du Code civil). Par ailleurs, les
servitudes nonobstant leur lien intime avec le droit de propriété, sont susceptibles
d'extinction par leur non usage trentenaire (article 706 du Code civil). On l'a vu,
l'hypothèque non exécutée peut, à présent, s'éteindre soit comme accessoire d'une
créance à terme soit par l'effet d'une résiliation. Pourquoi le gage échapperait-il à ce
statut général? Absolument rien ne paraît le justifier.
144. Terminons cette analyse en relevant que le gage peut être considéré comme
impliquant des prestations échelonnées dans le temps, caractère qui pourrait justifier
qu'en dépit de l'absence d'intervention législative en ce sens, la résiliation unilatérale en
soit dès à présent admise. On enseigne classiquement, en effet, dans un domaine
comparable, qu'une distinction peut être établie au sein des obligations de la caution
entre l'obligation de couverture et l'obligation de paiement99. Parallèlement, cette
distinction correspond aux deux périodes jalonnant nécessairement la vie de toute
sûreté, même réelle: la période de latence et la période de l'exécution100. La période de
latence du gage s'étale pendant tout le temps où plane le risque de non paiement d'une
créance à garantir; elle implique notamment l'obligation pour le constituant du gage de
s'abstenir de tout acte pouvant porter atteinte à la valeur de celui-ci. Elle emporte dès
lors des obligations (fussent-elles d'abstention) successives et, en cela, lorsqu'il s'agit de
créances futures à garantir sans limitation de durée, elle devrait pouvoir être résiliée par
la volonté unilatérale du constituant.
97
HANSENNE, « Les biens », t. I, 1996, p. 582.
GALOPIN cité par DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. V, 2ème éd., p. 803.
99
CABRILLAC et MOULY, Droit des sûretés, pp. 141 et suivantes.
100
GRÉGOIRE, Théorie générale du concours des créanciers en droit belge, p. 134.
98
42
CHAPITRE III – LE GAGE COMMERCIAL
SECTION 1. GENERALITES
145. Le gage commercial est celui qui est constitué pour sûreté d’un engagement
commercial (article 1er de la loi du 5 mai 1872).
Un engagement est commercial, conformément aux articles 1 à 3 du livre I du Code
commerce,
-
soit par nature, comme la souscription d’une lettre de change,
-
soit parce qu’il est contracté par un commerçant, c’est-à-dire par la personne qui
accomplit des actes réputés commerciaux par la loi et qui en fait sa profession
habituelle.
146. La nature civile ou commerciale du gage se détermine par référence à celle de
l’obligation garantie. La nature de l’objet donné en gage, la qualité du créancier ou celle
du constituant du gage sont indifférentes. Ainsi, le gage constitué par le directeur d’une
société commerciale agissant en qualité de tiers bailleur du gage sera commercial s’il a
pour but de garantir les engagements de la société, alors que le cautionnement émis par
la même personne serait resté civil.
147. La profession du débiteur de la créance garantie est cependant importante puisque
les engagements d’un commerçant sont présumés commerciaux par la loi sauf preuve de
ce qu’ils ont une cause étrangère au commerce ; le gage constitué pour garantir
l’engagement d’un commerçant sera par conséquent présumé commercial101.
SECTION 2.
REGLES GOUVERNANT LE GAGE COMMERCIAL ET
COMPARAISON ENTRE LE GAGE CIVIL ET LE GAGE
COMMERCIAL
A.
101
Règles gouvernant spécifiquement le gage commercial
VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd., n° 2565.
43
148. Le gage commercial est en principe gouverné par des règles qui lui sont propres et
qui ont été fixées par la loi du 5 mai 1872. L’article 2084 du Code civil soustrait, en effet,
à l’emprise des articles 2073 à 2083 du Code civil, « les matières de commerce » et « les
maisons de prêt sur gage autorisées », « à l’égard desquelles on suit les lois et
règlements qui les concernent ». Le souci principal du législateur a été de simplifier, en
matière commerciale, les règles de constitution du gage et de son opposabilité aux tiers,
de faciliter la réalisation de celui-ci par une accélération de la procédure.
149. Toutefois, étant donné que la réglementation commerciale du gage est trop
fragmentaire pour constituer un système autonome, les principes fondamentaux du gage
civil et un certain nombre de règles y applicables régissent le gage commercial dans la
mesure où la loi du 5 mai 1872 n’y a pas dérogé102.
150. Nous verrons d’abord quelles sont les règles du gage civil qui s’appliquent au gage
commercial pour étudier ensuite les principales différences entre le gage civil et le gage
commercial.
B.
Règles du gage
commercial
civil
applicables
également
au
gage
151. Le gage commercial obéit tout comme le gage civil aux règles suivantes :
-
il s’agit d’un contrat réel lorsqu’il porte sur des meubles corporels et consensuel
lorsqu’il porte sur des créances,
-
c’est un contrat unilatéral et accessoire,
-
il doit être constitué par le propriétaire du bien mais le créancier gagiste de bonne
foi est protégé par sa possession en vertu de l’article 2279 du Code civil, s’il s’agit
d’un meuble corporel,
-
seules les choses mobilières sont susceptibles de constituer l’assiette d’un gage
commercial,
-
la mise en possession peut se réaliser entre les mains du créancier gagiste ou celles
d’un tiers convenu,
102
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1099 ; VAN RYN et HEENEN, T. IV, 1ère
éd., n° 2564.
44
-
le constituant reste propriétaire du gage jusqu’à la réalisation du bien,
-
le créancier gagiste est tenu par des obligations de garde et de conservation de la
chose,
-
le débiteur est tenu par une obligation de rembourser les dépenses et les pertes du
créancier gagiste,
-
le gage présente un caractère indivisible,
-
le pacte commissoire exprès est interdit aussi bien par l’article 2078, alinéa 2 du
Code judiciaire que par l’article 10 de la loi du 5 mai 1872,
-
le droit de préférence du créancier gagiste commercial est de même nature et jouit
du même rang que celui du créancier gagiste civil, ainsi qu’en disposent les articles
20-3°, 21 à 26 de la loi hypothécaire.
C.
Les principales différences entre le gage civil et le gage
commercial
152. Les principales différences se logent aux niveaux
-
de la constitution du gage commercial et de son opposabilité aux tiers, régies par
les articles 1 et 2 de la loi du 5 mai 1872,
-
de la mesure des droits reconnus au créancier gagiste,
-
des règles de réalisation du gage commercial, déposées aux articles 4 à 9 de la loi du
5 mai 1872.
SECTION 3.
LA
CONSTITUTION
DU
GAGE
COMMERCIAL
ET
SON
OPPOSABILITE AUX TIERS
A.
Règles applicables
153. Selon l’article 1er de la loi du 5 mai 1872, le gage commercial est valablement
constitué et rendu opposable aux tiers dès lors que :
45
-
il a été constitué selon les modes admis en matière de commerce pour la vente de
choses de même nature,
-
et que l’objet du gage a été mis et est resté en possession du créancier gagiste selon
les modes prévus pour la livraison des choses de même nature en matière de
commerce.
154. En se référant (quant à la constitution du gage) « aux modes admis en matière de
commerce pour la vente », la loi vise non pas les modes de conclusion de la vente
commerciale mais bien les modes par lesquels le transfert de propriété qui résulte de la
vente des choses de même nature devient opposable aux tiers103.
155. Il faut par conséquent
-
d’une part, accomplir toutes les formalités nécessaires pour rendre opposable aux
tiers le transfert de propriété de la chose vendue, et
-
d’autre part, mettre en possession de la chose affectée en gage le créancier gagiste
ou un tiers convenu.
156. Notons que ces deux formalités peuvent très souvent, en pratique, se confondre
en une seule opération, comme c’est le cas par exemple pour les meubles corporels (tels
des marchandises). Dans ce cas, la tradition joue un rôle double : elle donne lieu à la fois
à la constitution du gage entre parties (car le transfert de propriété d’un chose
corporelle dans le cadre d’une vente à l’égard des tiers est la tradition) et à son
opposabilité aux tiers (qui a lieu par la mise en possession du créancier gagiste)104.
B.
Comparaison avec le gage civil
157. La grande différence entre le gage civil et le gage commercial réside dans ce
qu’aucun écrit, contenant certaines mentions spéciales et enregistré, n’est exigé pour le
gage commercial.
C.
103
104
Règles de la preuve
VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd., n° 2566.
STRANART, Sûretés, n° 24.
46
158. L’article 1, alinéa 2, de la loi du 5 mai 1872 prévoit que la preuve du gage et de sa
date peut avoir lieu par toutes voies de droit mais qu’elle incombe au créancier.
159. En pratique, l’absence d’écrit peut donner lieu à des difficultés particulièrement en
cas de substitution de gage ou pour l’application de l’article 17 de la loi sur les faillites. Il
arrive dès lors très fréquemment que les parties contractantes s’accordent sur la
rédaction et la signature d’un écrit constatant l’octroi d’un gage commercial.
D.
Application des règles
160. Pour les meubles corporels, la seule mise ne possession du créancier gagiste ou
d‘un tiers convenu est requise105. Cette mise en possession peut avoir lieu par la mise à
la disposition des marchandises au profit du créancier, en magasin, navire, douane ou
dépôt public, ainsi que par le transfert du connaissement ou de la lettre de voiture,
documents négociables représentatifs de la marchandise, ainsi que le prévoit l’article 2 de
la loi du 5 mai 1872106.
161. Pour les meubles incorporels non représentés par un titre négociable, le gage est
constitué107 :
-
par l’accomplissement des formalités requises pour rendre une cession de
créance opposable aux tiers, la loi renvoyant ainsi en l’espèce à l’article 1690 du
Code civil, lequel dispose que la cession de la créance est opposable aux tiers
(autres que le débiteur cédé) par la conclusion de la convention de cession,
-
et par la mise en possession du créancier gagiste ; l’on peut à ce sujet se référer
à l’article 2075 du Code civil qui dispose que cette mise en possession a lieu par
la conclusion du contrat de gage ;
162. Pour les créances incorporées dans un titre négociable, il y a lieu de procéder par
la tradition du titre si celui-ci est au porteur ou par voie d’endossement sur le titre et
remise de celui-ci au créancier si le titre est à ordre108 ;
105
VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, T. IV, 1ère éd., n° 2567.
STRANART, Sûretés, n° 24.
107
A. VERBEKE, « De inpandgeving van schuldvorderingen », in E. DIRIX (ed), Overdracht en
inpandgeving van schulvorderingen, Kluwer, 1995, p. 79, n° 95; STRANART, « Le gage de créances » in
La cession de créance, J.B., 1994, p. 52; S. GILCART, « L’opposabilité de la cession des valeurs
mobilières en droit des sociétés », in P. Wery (éd), L’opposabilité de la cession de créance aux tiers,
La Charte, 1995, p. 131-133, n° 48 ; VAN OMMESLAGHE, J.T., 1995, n° 19.
108
VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, T. IV, 1ère éd., n° 2572.
106
47
163. Pour les titres nominatifs ou dématérialisés, la mise en gage a lieu par la simple
conclusion du contrat de gage suivie des formalités prescrites par le Code des
sociétés109 ;
164. Pour les titres soumis à un régime de fongibilité, il convient de se référer aux
dispositions particulières contenues dans les législations relevant du droit financier.
SECTION 4.
LES DROITS DU CREANCIER GAGISTE : UNE EXTENSION ET
UNE RESTRICTION
A.
Une extension
165. Tandis que le bénéficiaire d’un gage civil ne peut imputer que les intérêts de la
créance mise en gage sur les intérêts ou le capital de sa créance si elle ne produit pas
d’intérêts, conformément à l’article 2081 du Code civil, le titulaire d’un gage commercial
peut aussi percevoir le capital d’une créance engagée venant à échéance même avant
l’exigibilité de la dette garantie et, à partir de celle-ci, imputer ce capital sur la créance,
ainsi que l’y autorise l’article 3, alinéa 1 de la loi du 5 mai 1872.
166. Il peut percevoir la totalité du capital même si la créance est moindre, à charge
évidemment de rembourser le solde au titulaire de la créance, son propre débiteur110.
167. Par voie de conséquence, le débiteur de la créance donnée en gage doit se libérer
exclusivement entre les mains du créancier gagiste alors qu’en matière civile, il y a lieu à
consignation.
168. Est licite partant la clause d’un acte de gage prévoyant que, après notification au
débiteur de la créance engagée ou reconnaissance par celui-ci du fait de la mise en gage,
le créancier gagiste a le pouvoir d’exiger directement le paiement de la créance et d’en
percevoir le produit111. Le créancier gagiste est, dans ce cas, autorisé à encaisser le
montant de la créance engagée sans autorisation judiciaire112.
109
VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, T. IV, 1ère éd., n° 2573 ; Voy. également, J.P.
BLUMBERG et J. VAN LANCKER, « De totstandkoming en de tegenwerpelijkheid van de inpandgeving
van aandelen op naam », T.R.V., 1995, p. 461 et suiv.
110
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1103.
111
Anvers, 14 décembre 1998, R.W., 1998-1999, T.G.R., 2001, p. 27.
112
BIQUET-MATHIEU, Chron. not. Liège, vol. XXXVI, n° 44, p. 135 et vol XXXI, n° 47, p. 366.
48
169. Le créancier gagiste conservera la somme jusqu’à l’exigibilité de sa créance et
l’imputera sur celle-ci lorsqu’elle sera devenue exigible113.
170. Nulle autorisation n’est dès lors requise pour la réalisation d’un gage commercial
portant sur des créances : le créancier gagiste, usant de l’autorisation, conférée par
l’article 3 de la loi du 5 mai 1872 sur le gage commercial, de percevoir aux échéances les
intérêts, les dividendes et les capitaux des valeurs données en gage, les impute sur la
créance garantie, après notification au débiteur ou reconnaissance par lui de l’existence
du gage114.
B.
Une restriction
171. Le droit de rétention particulier à l’article 2082, alinéa 2 du Code civil n’est pas
applicable en matière commerciale115.
SECTION 5.
LA PROCEDURE DE REALISATION DU GAGE
172. La procédure de réalisation est expéditive, impérative et comporte les étapes
essentielles suivantes, décrites aux articles 4 à 10 de la loi du 5 mai 1872 :
(1) une mise en demeure signifiée au débiteur et au tiers bailleur de gage éventuel
(article 3, alinéa 1),
(2) le dépôt d’une requête au président du tribunal de commerce du lieu où se trouve
le gage, tendant à l’autorisation de le faire vendre (article 4, alinéa 1). La loi
n’autorise pas le créancier, en matière commerciale, à se faire attribuer le gage par
justice,
(3) la signification de la requête au débiteur et au tiers bailleur éventuel avec invitation
de faire parvenir leurs observations au président dans un délai de deux jours (article
4, alinéa 2),
(4) le prononcé de l’ordonnance présidentielle d’autorisation de faire vendre, au choix
du président, soit par vente publique, soit de gré à gré (article 4, alinéa 1)116.
113
VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, T. IV, 1ère éd., n° 2578.
Civ. Gand, 1er décembre 1999, R.W., 2000-2001, p. 487 ; T.G.R., 2001, p. 27 ; BIQUET-MATHIEU,
« Chron. not. Liège », vol. XXXI, n° 47, p. 366.
115
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1068.
116
Sur la procédure à suivre pour la vente d’actions de sociétés: Prés. Trib. Comm., Tongres, 3
février 1994, T.R.V., 1995, p. 512, note I. PEETERS.
114
49
Il est important de noter à ce stade de la procédure ce qui suit :
-
l’ordonnance d’autorisation constitue le titre exécutoire permettant au
créancier de faire vendre ; il n’a pas à obtenir au préalable à cet effet un titre
exécutoire pour procéder à l’exécution de l’obligation garantie,
-
saisi de la requête, le président est uniquement habilité à vérifier sa compétence
(matérielle et territoriale), la régularité du gage et le caractère commercial de
celui-ci117,
(5) préalablement à la vente, l’ordonnance doit être signifiée au débiteur et au tiers
bailleur éventuel, qui disposent d’un délai de trois jours pour faire opposition avec
assignation du créancier devant le tribunal de commerce (article 5),
(6) en cas d’opposition, le tribunal exerce les mêmes pouvoirs que le président et ne
dispose pas de plus de pouvoirs que lui,
(7) l’ordonnance et le jugement sont exécutoires, nonobstant l’opposition ou l’appel
(article 7) : ainsi, même si la créance garantie est contestée, le créancier dispose du
droit de faire vendre le gage aussitôt qu’il a obtenu l’ordonnance et même si elle est
frappée d’opposition,
(8) le jugement rendu par le tribunal sur opposition est appelable dans un délai de huit
jours à dater de sa signification (article 6).
173. Si le débiteur désire contester la créance elle-même, ses seuls recours seront de
porter le litige au fond devant le tribunal compétent pour faire dire pour droit qu’il ne
doit rien, ou demander des dommages et intérêts si entre-temps le bien mis en gage a
été vendu.
174. En cas de faillite du constituant du gage, l’article 26 alinéa 1 de la loi sur les faillites
suspend les voies d’exécution même destinées à obtenir le paiement des créances
privilégiées sur les meubles, jusqu’à la clôture du procès-verbal de vérification des
créances. Parmi les créanciers privilégiés visés, figure le créancier gagiste, auquel l’article
20-3° de la loi hypothécaire reconnaît un privilège spécial. L’alinéa 3 de l’article 26
octroie, en outre, au curateur le pouvoir de solliciter de la part du tribunal de
commerce, si l’intérêt de la masse l’exige et à condition qu’une réalisation des meubles
puisse être attendue qui ne désavantage pas les créanciers privilégiés, la prolongation de
117
VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, T. IV, 1ère éd., n° 2581.
50
la période de suspension des voies d’exécution pour une période maximale d’un an à
compter du jugement déclaratif de faillite.
175. En cas de concordat judiciaire, l’article 21 de la loi relative au concordat judiciaire
interdit la mise en œuvre de voies d’exécution nouvelles ou la poursuite de celles-ci, si
elles sont déjà entamées avant le début de la période d’observation. Ce sursis est
applicable à tous les créanciers, quelle que soit la sûreté dont ils disposent. Le tribunal
peut, à la demande du créancier gagiste, qui prouve que sa sûreté subit ou pourrait subir
une importante moins-value, accorder des sûretés supplémentaires en guise de
compensation, eu égard au montant de la créance.
Il est précisé, en fin d’article 21, qu’il n’est pas porté « préjudice aux dispositions contraires
établies par les lois particulières applicables qu’il y ait concours ou non », réservant ainsi la
particularité du droit applicable aux marchés financiers.
CHAPITRE IV. LE GAGE SUR FONDS DE COMMERCE
SECTION 1. INTRODUCTION
176. Le gage sur fonds de commerce est une sûreté réelle sans dépossession qui a été
introduite par la loi du 25 octobre 1919. Cette loi fut modifiée par l’arrêté royal n° 282
du 30 mars 1936 et par la loi du 22 mars 1993. Les deux caractéristiques essentielles de
cette sûreté sont la nature fluctuante du fonds de commerce, d’une part, et l’absence de
dépossession du débiteur, d’autre part.
177. Le but du législateur a été de permettre aux petits commerçants d’obtenir plus
facilement des crédits. Les formes traditionnelles de sûretés réelles ne leur sont en effet
généralement pas ouvertes : ils ne disposent pas d’immeubles pouvant être
hypothéqués ; leur matériel d’exploitation ne peut être mis en gage car ils doivent en
garder l’utilisation ; leurs marchandises ne le peuvent davantage car elles sont destinées à
être livrées rapidement à leurs clients118.
Le législateur a par conséquent mis en place une nouvelle forme de sûreté sans
dépossession et dont l’objet porte sur le fonds de commerce.
118
VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, T. IV, 1ère éd., n° 2596; DE PAGE, Traité
élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1106.
51
SECTION 2.
OBJET DU GAGE SUR FONDS DE COMMERCE
178. L’objet du gage est le fonds de commerce lui-même.
Il faut définir le fonds de commerce pour connaître quel sera l’objet du gage sur fonds de
commerce.
Deux théories se sont opposées à ce sujet.
179. Selon une théorie ancienne, le fonds de commerce serait une universalité de fait
comprenant l’ensemble des biens corporels et incorporels unis par une destination
économique commune. Cette théorie a été critiquée pour son caractère vague et pour
l’absence de prise en considération de la clientèle comme valeur.
180. Selon la théorie moderne, le fonds de commerce est le droit de tirer bénéfice de
l’attraction de la clientèle d’un établissement commercial119. Le fonds de commerce y
apparaît comme un droit mobilier incorporel, portant sur une valeur caractérisée par le
rendement potentiel découlant de la possibilité d’attraire une certaine clientèle, liée à
l’organisation de l’établissement commercial.
En réalité, à la lecture des diverses analyses proposées, il ressort que le fonds de
commerce serait une entité économiquement, mais non juridiquement, distincte des
éléments qui le composent, une universalité de fait, un ensemble de biens pouvant, en
raison de leur destination commune (la conquête d'une clientèle), être l'objet de
conventions particulières, mais ne constituant pas un patrimoine distinct de celui qui
s'attache à la personne titulaire du droit de propriété sur les éléments composant le
fonds; en un mot comme en cent, le fonds de commerce est un ensemble d'éléments
variés dont le trait commun est de contribuer, par leur association, à attirer et à retenir
la clientèle de l'entreprise120.
119
VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial , T. I, 2ème éd., n° 432-433.
Voir VAN GINDERACHTER, De la notion de fonds de commerce, 1938, 2ème éd., n° 33; FRÉDÉRICQ,
Traité de droit commercial belge, T. II, n° 5; COHEN, Traité théorique et pratique des fonds de
commerce, 1947, n° 16; VAN DE VORST, « De la notion juridique du fonds de commerce », R.P.N.
1925 p. 257; R.P.D.B. V° Fonds de commerce, p. 787; LIMPENS, note sous Cass. 22 mai 1943, 16
septembre 1948, 28 mai 1950, p. 102, n° 5; DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. IV,
3ème éd., p. 318; FONTAINE, « L'inclusion des créances, valeurs et espèces dans la composition du
fonds de commerce », note sous Cass., 6 novembre 1970, R.C.J.B.,1972, p. 327; STRANART, « Les
sûretés réelles traditionnelles – Développements récents » in Le droit des sûretés, J.B. 1992, p. 89;
DE BEUS, « Cession et mise en gage du fonds de commerce – Travaux législatifs en cours », Rev.
Banque 1957, p. 325; BOUCKAERT, « Le fonds de commerce en droit comparé », Rev. Banque 1982,
p. 452; CUYPERS, « Het pand op de handelszaak », R.N.B., 1989, p. 278; MOREAU-MARGRÈVE,
« Heurs et Malheurs du gage sur fonds de commerce », note sous Cass., 8 avril 1976, R.C.J.B.,
120
52
181. C'est en raison du lien nécessaire entre le fonds de commerce et la clientèle qu'il
doit tendre à séduire, qu'il a été jugé, par exemple, qu'il ne peut y avoir de fonds de
commerce négociable ou pouvant être grevé d'un gage, lorsqu'un établissement bancaire,
privé en l'occurrence de l'agrément indispensable à la poursuite de son activité, voit sa
clientèle déserter ses guichets, sans même avoir la volonté de la reconstituer jamais121.
182. La clientèle, bien qu'apparaissant donc comme la caractéristique essentielle du
fonds de commerce, est une notion toutefois difficile à cerner.
Il a toujours été admis qu'aucun véritable droit ne peut porter sur la clientèle; le
commerçant peut seulement espérer qu'elle s'attache et reste attachée à son fonds. La
clientèle ne peut donc être traitée comme un élément faisant véritablement partie
intégrante du fonds; elle n'est qu'une circonstance évanescente de l'activité122. Malgré
tout, c'est elle qui confère sa valeur au fonds de commerce et qui se voit reconnaître,
pour cela, une certaine réalité juridique123.
183. L'intensité attribuée à cette réalité juridique est variable.
Ainsi, dans un jugement du 23 janvier 1985, le juge des saisies de Bruxelles a estimé que
le fonds de commerce n'existe qu'à partir du moment où il fonctionne et qu'il reçoit des
clients, que la clientèle représente l'élément le plus fondamental d'un fonds de
commerce, sans lequel il ne saurait exister et en a déduit qu'aucun gage ne pourrait
valablement être constitué sur un fonds sans clientèle124.
Cette opinion radicale a toutefois été nuancée ultérieurement : si la clientèle caractérise
effectivement le fonds de commerce lorsqu'il a commencé ses activités, il ne semble pas
nécessaire que ce dernier ait procuré un client avant d'accéder à l'existence juridique, et,
1980, p. 132-136; VERCRUYSSE et LAUWERS, Le fonds de commerce, n° 142; Enc. Dalloz V° Fonds de
commerce, n° 119, 120 et 133; GUILLEMYN, La cession de fonds de commerce, d'entreprises, d'actions,
Creadif 1991, p. 21 et p. 28; STRANART et GRÉGOIRE, « La portée des droits du créancier gagiste
sur fonds de commerce, en particulier face au créancier gagiste d'un autre type », R.D.C.B., 1994,
pp. 17-18; CATTARUZZA, Le gage sur fonds de commerce, p. 7; voir encore Comm. Anvers, 9
octobre 1980, R.G.E.N., 1981, p. 232; Comm. Civ., Tournai 28 janvier 1987, R.C.J.B., 1987, p. 887;
Gand, 3 juin 1983, Pas. 1983, II, p. 1134; Bruxelles, 31 mars 1987, R.G.E.N., 1987, p. 399; Cass., 11
juin 1936, Pas., 1936, I, 288; Cass., 12 mars 1936, Pas., 1936, I, 187; Cass., 24 octobre 1940, Pas.,
1940, I, 269; Cass., 6 octobre 1970, Pas., 1971, I, 101; Cass., 6 novembre 1970, Pas., 1971, I, 200.
121
Liège, 10 mai 1994, R.D.C.B., 1995, p. 40.
122
MOREAU-MARGRÈVE, « Heurs et malheurs du gage sur fonds de commerce », R.C.J.B., 1980, p.
138.
123
En matière de concurrence illicite, voir Mons, 27 janvier 1981, Pas., 1981, II, 57.
124
Civ. Bruxelles, ch. saisies, 23 janvier 1985, J.T., 1985, p. 306.
53
par là, avant de pouvoir faire l'objet d'un gage. Il suffit pour cela qu'il ait été constitué
dans ce but125.
184. Le droit de gage porte non seulement sur le fonds de commerce lui-même mais
également à chacun des biens pris individuellement qui composent le fonds de
commerce.
L’article 2 de la loi du 25 octobre 1919 qui consacre cette règle contient une
énumération non exhaustive des biens et droits faisant partie du fonds de commerce : la
clientèle, l’enseigne, l’organisation commerciale, les marques, le droit au bail, le mobilier
de magasin, l’outillage.
Dès le moment où les parties conviennent d’affecter le fonds de commerce en gage,
l’ensemble de ces biens et valeurs seront de plein droit compris dans l’assiette du gage
sans qu’il ne soit nécessaire de recourir à une formalité quelconque pour que de
nouveaux éléments qui viendraient à s’incorporer dans le fonds rejoignent également
cette assiette.
185. La loi prévoit également que les parties peuvent exclure de la mise en gage
certains éléments qui sont traditionnellement inclus dans le fonds de commerce126.
Toutefois, les parties ne pourraient exclure l’un des éléments considérés comme
essentiels au fonds de commerce, à peine de dénaturer la sûreté, dans ce cas non
valablement constituée127.
186. Les éléments essentiels sont ceux sans lesquels on ne saurait concevoir le fonds
de commerce. Ce sont donc ceux qui permettront d’attirer la clientèle, à savoir, le nom
ou l’enseigne, le droit au bail, le know-how.
Sont considérés comme accessoires, le mobilier, le matériel, l’outillage.
187. Inversement, la loi donne aux parties la faculté d’inclure les marchandises en stock
dans le gage sur le fonds de commerce. Pour ce faire, il faut que tant l’acte de gage le
mentionne expressément, ainsi que l’impose l’article 3, alinéa 2 de la loi du 25 octobre
1919, que l’inscription au registre de la conservation des hypothèques, en vertu de
l’article 4, alinéa 3-3° de la loi du 25 octobre 1919. En ce cas, le gage ne portera que sur
la moitié de la valeur des stocks.
125
Comm. Bruxelles, 5 mars 1996, J.T., 1996, p. 344; en ce sens, VAN RYN et HEENEN, « Principes
de droit commercial », T. IV, p. 1762.
126
MOREAU-MARGRÈVE, « Heurs et malheurs du gage sur fonds de commerce », R.C.J.B., 1980, p.
127, spéc. p. 135, n° 6 ; VAN COMPERNOLLE, in Feduci, p. 86, n° 43 ; STRANART, Sûretés, p. 39.
127
VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, T. II, 1ère éd., n° 2598.
54
188. Sont traditionnellement exclus du fonds de commerce,
-
les créances et les dettes de l’entreprise,
-
les espèces en caisse,
-
les effets de portefeuille,
-
les immeubles par nature.
189. La Cour de cassation a cependant admis l’inclusion de certains de ces éléments
dans le gage sur fonds de commerce. Dans un arrêt du 6 novembre 1970128, en effet, la
Cour de cassation a admis que, moyennant une clause spéciale dans l’acte, le gage sur
fonds de commerce comprenne les créances, valeurs mobilières et espèces.
190. Deux critiques doctrinales ont été adressées à l’encontre de cet arrêt.
Selon Monsieur Fontaine129, les créances, effets et valeurs font partie de plein droit du
fonds de commerce car « ces postes du réalisable et du disponible constituent des éléments
indispensables au fonctionnement du fonds ». Il n’y aurait donc pas lieu de mentionner
expressément dans l’acte leur inclusion dans l’assiette du gage.
Selon Madame Moreau-Margrève130, les créances, valeurs et espèces ne font pas partie
du fonds de commerce car elles ne constituent que le produit de l’activité et non pas un
moyen d’exploitation ; l’on ne saurait par ailleurs, d’après cet auteur, étendre
conventionnellement l’assiette de la sûreté car seule la loi en organise les contours.
191. Ces critiques n’ont pas ébranlé la jurisprudence de la Cour de cassation qui est, au
demeurant, appliquée régulièrement dans la pratique des affaires.
192. Sur le plan de l’opposabilité aux tiers de l’inclusion des créances, valeurs et
espèces dans l’assiette du gage, la Cour de cassation a décidé que si l’acte de gage devait
prévoir cette inclusion, l’inscription de l’acte par la voie du bordereau ne devait pas
128
Pas., 1971, I, 200; R.C.J.B., 1972, p. 320, note Fontaine.
« L’inclusion des ‘créances, valeurs et espèces’ dans la composition du fonds de commerce »,
R.C.J.B., 1972, p. 322.
130
Op. cit., R.C.J.B., 1980, p. 133 et 138.
129
55
contenir une telle mention car elle n’est pas imposée par la loi131. Cette jurisprudence a
également été critiquée132, au motif qu’il est important que les tiers soient régulièrement
informés de la portée exacte de l’assiette de la sûreté.
193. Dans un arrêt du 26 mai 1972133, la Cour de cassation a décidé que le fonds de
commerce s’étend de plein droit aux immeubles par destination affectés à l’exercice du
commerce dans le cas où l’exploitant du fonds est également propriétaire de l’immeuble
dans lequel le fonds est exploité.
La solution n’était pas évidente134. Le principal argument à l’appui d’une réponse négative
était que le gage sur fonds de commerce est une sûreté mobilière ne pouvant en tant
que telle s’étendre à des immeubles.
La Cour de cassation n’a pas épousé cette thèse. Elle a considéré que, d’une part, d’un
point de vue juridique, la loi n’exclut pas que le gage sur fonds de commerce puisse
porter sur les immeubles par destination et que, d’autre part, d’un point de vue
économique, l’exclusion des immeubles par destination aurait pour effet de défavoriser
une forme particulière d’exploitation, dans laquelle le propriétaire du fonds de
commerce est également propriétaire de l’immeuble, par rapport à une autre dans
laquelle le propriétaire du fonds de commerce est locataire de l’immeuble.
Certains ont critiqué la solution de la Cour de cassation135, au motif qu’elle se fonde
erronément sur le but économique de la loi, qui était en effet de favoriser le crédit aux
commerçants non propriétaires de l’immeuble où le commerce est exploité. Les autres,
propriétaires de leur immeuble, peuvent recourir à l’hypothèque et ne seraient par
conséquent pas préjudiciés par une telle distinction.
194. L’on comprendra rapidement que l’intérêt réel du gage sur fonds de commerce
réside dans la possibilité qu’il offre de constituer un gage sans dépossession sur l’outillage
et les meubles affectés à l’exploitation, sur les marchandises en stock, à concurrence de
la moitié de leur valeur et sur les créances en espèces136.
131
Cass., 6 novembre 1986, Pas., 1987, I, 301, R.D.C., 1987, p. 723, note B ; MAES, R.W., 19881989,p. 57, note E. DIRIX ; voir également Comm. Hasselt, 11 mai 1995, R.W., 1995-1996, pp. 2627; Comm. Ypres, 14 décembre 1992, R.D.C.B., 1994, pp. 364-365, obs. COLLE.
132
Voy. STRANART, in Recyclage, 1992, p. 90.
133
Pas., 1972, I, 889, J.T., 1972, p. 625, note BRUYNEEL.
134
Voy. HEENEN, « Nantissement du fonds de commerce et immeubles par destination », R.C.J.B.,
1964, p. 16 qui expose la controverse.
135
Voy. MOREAU-MARGRÈVE, op. cit., R.C.J.B., 1980, p. 136-137.
136
VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, T. IV, 1ère éd., n° 2596. STRANART, Sûretés, p.
39.
56
En effet, au moment où le créancier procédera à la réalisation du gage sur fonds de
commerce, il arrivera le plus souvent que les affaires du débiteur auront à ce point
périclité que les éléments incorporels du fonds de commerce, considérés comme
essentiels, auront perdu une grande partie de leur valeur économique. N’auront
conservé une valeur notable que ces éléments accessoires que sont l’outillage, les
marchandises et les créances.
SECTION 3.
LES REGLES DE CONSTITUTION DU GAGE SUR FONDS DE
COMMERCE ENTRE PARTIES
A.
Conditions de fond
§ 1. Le constituant du gage doit être le propriétaire du fonds
195. Le constituant du gage peut être tout commerçant, personne physique ou morale,
propriétaire d’un fonds de commerce137.
Il faut qu’il soit propriétaire du fonds. Le locataire d’un fonds de commerce ne peut le
donner en gage ; ceci constituerait, en premier lieu, une violation de ses obligations de
locataire. En second lieu, le gage serait nul138. La Cour de cassation a décidé par ailleurs
que, parce que le fonds de commerce est un meuble incorporel, le créancier gagiste ne
peut se protéger par l’invocation de l’article 2279 du Code civil contre la revendication
du propriétaire réel du fonds de commerce139.
196. Il en est de même de l'acquéreur d'un fonds de commerce avec réserve de
propriété bénéficiant au cédant : il ne peut affecter le fonds en gage faute d'en être le
véritable propriétaire. A ce propos, il a été décidé que la clause de réserve de propriété
est opposable à l'établissement de crédit s'étant fait remettre en gage le fonds que son
prêt était destiné à financer, sans avoir eu la prudence de se faire produire l'acte de
cession140.
137
VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd., n° 2598 ; voy. pour un cas
d’application, Liège, 22 décembre 1992, J.L.M.B., 1995, p. 134.
138
T’KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, n° 326.
139
Cass., 11 octobre 1985, Pas., 1986, I, 150, J.T., 1986, p. 290 ; voy. également, A. VERBEKE et I.
PEETERS, Voorrechten, hypotheken en andere zekerheden, Permanent Documentatiesysteem, 1995, n° 2,
p. 175, n° 460.
140
Liège, 22 décembre 1992, J.L.M.B., 1995, p. 134.
57
197. Dans semblable hypothèse, il a été décidé par la Cour d'appel de Bruxelles, qu'il
n'appartient pas au notaire ayant participé à la rédaction de conventions de crédit
garanties, d'une part, par des hypothèques et, d'autre part, par un gage sur fonds de
commerce, "de se livrer à une enquête financière (en particulier si le créancier gagiste est une
société spécialisée dans des prêts hypothécaires), pour déterminer si les emprunteurs étaient ou
non propriétaires du fonds de commerce qu'ils gageaient"141.
198. Les clauses prévoyant que le gage grève un fonds de commerce déterminé mais
est destiné à s’étendre à tous sièges d’exploitation se trouvant dans le même
arrondissement ou dans d’autres arrondissement sont valables. La jurisprudence admet,
en effet, cette extension même si les sièges concernés ne sont pas déterminés et non
encore ouverts, pour autant bien entendu que, venant à l’existence, ils ne constituent pas
un fonds distinct142.
199. Dans le même ordre d’idées, la Cour d’appel de Liège considère, dans un arrêt du
5 octobre 1999143 que lorsque le propriétaire d’un débit de boisson achète une brasserie
voisine, le fonds de commerce initialement consenti par lui ne s’étend pas à la nouvelle
acquisition car les deux fonds disposent, l’un par rapport à l’autre, d’une autonomie,
grâce au maintien de leurs enseignes et clientèles respectives.
§ 2. Le bénéficiaire du gage doit être un établissement de crédit ou
un établissement financier
200. Jusqu’à la modification apportée par la loi du 22 mars 1993, le créancier gagiste
devait être une banque ou un établissement de crédit agréé par le gouvernement, devant
dès lors se soumettre aux conditions d’agréation définies par l’arrêté royal du 12 février
1936, modifié par les arrêtés royaux du 29 avril 1937 et du 21 janvier 1939.
La loi du 22 mars 1993 a modifié cette exigence.
Dorénavant, le gage sur fonds de commerce peut être consenti initialement à tout
établissement de crédit ou établissement financier exerçant ses activités dans un Etat
européen, sans besoin d’agrément spécifique. Il s’agit des établissements qui exercent des
activités de prêt, crédit-bail, octroi de garanties et souscriptions de cautionnement144.
141
Bruxelles, 8 mars 1993, R.G.A.R., 1994, n° 12302.
Bruxelles, 6 février 2001, R.W., 2001-2002, p. 204 ; Anvers, 13 décembre 1999, R.W., 20002001, p. 204 ; Anvers, 13 décembre 1999, R.W., 2000-2001, p. 845 ; Liège, 5 octobre 1999,
J.L.M.B., 2000, p. 643 ; Comm. Charleroi, 13 janvier 1999, J.L.M.B., 2001, p. 1304.
143
J.L.M.B., 2000, p. 643.
144
LECHIEN, « Le gage sur fonds de commerce est-il une sûreté efficace ? », in Les conférences du
centre de droit privé et de droit économique, 1994, pp. 115-119 ; CATTARUZZA, Le gage sur fonds de
commerce, p. 41.
142
58
201. Cette qualité n’est toutefois nécessaire qu’à la constitution de la sûreté : nul
besoin d’être un établissement de crédit ou un établissement financier pour bénéficier
d’un gage sur fonds de commerce, après avoir acquis par subrogation ou par cession les
droits du bénéficiaire initial145.
202. La sanction du non respect de ces conditions a toujours été et demeure la nullité
absolue du gage sur fonds de commerce consenti à une personne habilitée à en recevoir
le bénéfice146.
B.
Conditions de forme
203. Le contrat de gage sur fonds de commerce est un contrat solennel : il n’existe
entre les parties qu’à partir du moment où il est constaté par écrit147.
L’article 3 de la loi du 25 octobre 1919 exige en effet la rédaction d’un écrit qui peut
être un acte authentique ou un acte sous seing privé.
SECTION 4.
LES REGLES D’OPPOSABILITE AUX TIERS DU GAGE SUR
FONDS DE COMMERCE
A.
L’inscription prévue par l’article 4 de la loi du 25 octobre
1919
204. L’article 4 de la loi du 25 octobre 1919 prévoit que l’acte de gage sur fonds de
commerce ne devient opposable aux tiers que par son inscription dans un registre tenu
par le conservateur des hypothèques de l’arrondissement judiciaire dans le ressort
duquel le fonds de commerce est établi.
Le gage sur fonds de commerce est une sûreté conventionnelle sans dépossession. Le
législateur a, par conséquent, imposé une autre forme de publicité que la mise en
145
Comm. Liège, 28 juin 1990, J.L.M.B., 1990, pp. 1114-1115.
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1107-B-3° ; VAN RYN et HEENEN,
Principes de droit commercial, T. IV, 1ère éd., n° 2598 ; Moreau-Margrève, « Heurs et malheurs du
gage sur fonds de commerce », R.C.J.B., 1980, p. 149, n° 20 ; T’KINT, Sûretés et principes généraux
du droit de poursuite des créanciers, n° 324 ; sur un cas d’application : voy. Cass., 4 février 1966,
Pas., 1966, I, 722, R.P.S., 1967, p. 156, obs. ; STRANART, Chron. jur., p. 234, n° 15.
147
VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd., n° 2599 ; MOREAU-MARGRÈVE,
op. cit., R.C.J.B., 1980, p. 155, n° 23 ; T’KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des
créanciers », n° 327 ; contra : DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1107-B-3°.
146
59
possession pour avertir les tiers de l’existence de cette sûreté. Cette forme de publicité
est l’inscription de l’acte de gage dans un registre, dont le régime est semblable à celui
organisé par la loi hypothécaire en matière d’hypothèques. Ce régime est précisé aux
articles 4bis, 5 et 6 de la loi du 25 octobre 1919.
205. L’inscription du gage le rend opposable sans autre formalité. Dès lors, lorsqu’un
huissier de justice saisit un bien compris dans l’assiette d’un gage sur fonds de
commerce, il ne peut procéder à la réalisation du bien sans tenir compte de la sûreté,
sous sa responsabilité professionnelle148.
206. En vertu de l’article 9 de la loi du 25 octobre 1919, l’inscription est valable
pendant une durée de dix ans. Elle est effectuée par le conservateur des hypothèques sur
la présentation d’une copie de l’acte de gage accompagnée de bordereaux d’inscription
qui doivent contenir différentes mentions imposées.
207. Le régime légal n’a été fixé que de manière sommaire (et vraisemblablement conçu
au départ comme devant être provisoire149) en laissant sous silence des questions aussi
importantes que celles de savoir s’il y a lieu de prendre une nouvelle inscription en cas
de déplacement du fonds de commerce dans un autre arrondissement ou s’il y a lieu de
prendre une inscription dans chacun des arrondissements où l’entreprise exploite un
établissement.
Ces questions ont été réglées par la jurisprudence.
B.
Interprétation jurisprudentielle
208. En cas de pluralité de sièges d'exploitation due au développement du fonds de
commerce entraînant l'ouverture de plusieurs sièges d'exploitation, il a été décidé par un
jugement du 3 novembre 1983 du tribunal de commerce de Tongres que la sûreté ne
peut englober d'autres fonds de commerce appartenant au même propriétaire, mais
dont la clientèle, l'enseigne et l'organisation sont différentes, de sorte que tous les sièges
ne constituent pas un ensemble homogène150.
Statuant dans le même sens, le tribunal de commerce de Mons a estimé, dans un
jugement du 11 avril 1988, qu'"une même personne juridique (...) peut exploiter plusieurs
fonds de commerce sous la même inscription au registre du commerce et sous une même
148
Mons, 1er mars 2001, R.G.D.C., 2002, p. 236 ; BIQUET-MATHIEU, Chron. not. Liège, vol. XXXVI,
p. 152, n° 53.
149
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1105.
150
R.D.C.B., 1985, p. 115, spéc. 116.
60
organisation administrative et comptable; que le critère déterminant de la consistance d'un
fonds de commerce est l'existence d'une clientèle propre; (...) que l'organisation administrative et
comptable et l'inscription au registre du commerce ne sont pas des facteurs de ralliement d'une
clientèle qui n'en a même pas connaissance; que le sont par contre l'emplacement
géographique, l'enseigne, les fournitures et services offerts; que lorsque ces facteurs sont
différents, l'on se trouve en présence de fonds de commerce distincts susceptibles de s'attacher
des clientèles différentes". Sur la base de ces principes directeurs, le tribunal a procédé
ensuite aux constatations que "en l'espèce, les emplacements géographiques étaient
différents, que les enseignes étaient différentes, de même que les biens et les services offerts
par le même commerçant". Enfin, le tribunal a déduit de ces constatations que le gage sur
fonds de commerce initial ne s'étendait pas aux autres fonds151.
C'est en ce sens également que s'est prononcée la Cour d'appel de Mons, dans un arrêt
du 10 janvier 1990, déclarant que lorsque la localisation de plusieurs sièges d'exploitation
d'une activité commerciale permet d'identifier des clientèles distinctes, le gage consenti
sur un magasin ne saurait s'étendre à l'intégralité des éléments corporels et incorporels
de toutes les activités commerciales du débiteur152.
Le juge doit donc vérifier, afin d'identifier le cas échéant une pluralité de fonds, si chacun
d'eux possède une autonomie suffisante. A cet égard, l'existence de plusieurs inscriptions
à des registres du commerce d'arrondissements différents est insuffisante à faire
présumer l'existence de fonds distincts153.
Nouvel écho de cette même jurisprudence : l'arrêt de la Cour d'appel de Mons du 23
janvier 1991, qui a décidé que lorsque des sièges d'exploitation d'une entreprise dirigée
par une seule personne concernent des activités différentes, ont une enseigne distincte,
occupent des locaux adaptés à leurs besoins spécifiques et ont une clientèle propre, ils
constituent des fonds de commerce séparés, malgré l'unicité de l'immatriculation au
registre du commerce et de la gestion administrative, de sorte que la mise en gage d'un
fonds ne peut s'étendre à l'autre154.
209. N'est pas nécessairement déterminant non plus, à l'instar de l'immatriculation au
registre du commerce, le lieu du siège social de la société commerciale ayant constitué le
gage. Ainsi, dans une affaire où le siège d'exploitation matériel était différent du siège
social de la société propriétaire du fonds de commerce, la Cour de cassation de France a
estimé que "le lieu de l'exploitation ne saurait s'entendre (...) du lieu où le propriétaire du fonds
151
R.R.D., 1988, p. 278.
R.N.B., 1990, pp. 606-609.
153
Liège, 14 décembre 1990, J.LM.B., 1991, p. 487-492.
154
Mons, 23 janvier 1991, J.L.M.B., 1991, p. 970.
152
61
concentre la direction intellectuelle de l'entreprise, mais (doit s'entendre) du lieu où se réalise
objectivement, à la connaissance du public, la mise en valeur des divers éléments"155.
En conclusion, le fonds de commerce peut être considéré comme étant établi à l'endroit
où se coordonnent de manière autonome et publique, un ensemble d'éléments destinés
à attirer une clientèle spécifique, conformément à une organisation mercantile propre156.
210. La jurisprudence admet la validité de clauses précisant que le gage grève un fonds
de commerce destiné à s’étendre aux sièges d’exploitation se trouvant dans le même
arrondissement, ou dans d’autres arrondissements157.
133. Le déplacement du fonds de commerce hors de l'arrondissement judiciaire où il se
trouvait initialement établi, et où dès lors était régulièrement inscrit au registre de la
conservation des hypothèques, le gage dont il constitue l'assiette, soulève la question de
la nécessité ou non du renouvellement de l'inscription du gage.
Par un arrêt du 20 juin 1985, la Cour d'appel de Bruxelles avait décidé que dans un tel
cas, l'inscription initiale devenait totalement inefficace, et équivalait à une absence
d'inscription rendant le gage sur fonds de commerce inopposable aux tiers, sans
distinction entre les créanciers ayant traité avec le propriétaire du fonds de commerce
avant le transfert de celui-ci et les créanciers dont la créance est née après ce transfert.
Selon la Cour d'appel, il revient dans ce cas au créancier gagiste de reprendre une
nouvelle inscription, lorsqu'il est averti du transfert par sa publication au Moniteur belge
et par la nouvelle immatriculation de l'exploitant au registre du commerce de
l'arrondissement d'accueil158.
Le moyen invoqué à l'appui du pourvoi dirigé contre cet arrêt dénonçait son illégalité au
regard de l'article 4 de la loi du 25 octobre 1919 n'exigeant pas, selon le pourvoi, la
réitération de l'inscription du gage sur fonds de commerce en cas de déplacement de
celui-ci hors de l'arrondissement d'accueil.
La Cour de cassation n'a pas examiné ce moyen, rejeté comme nouveau et non
recevable, les parties ne l'ayant pas invoqué devant les juges du fond159. L'arrêt n'est donc
nullement de principe160.
155
Cass. 20 juillet 1938, S. 1938, I, 329, note ROUSSEAU.
STRANART et GRÉGOIRE, « La portée des droits du créancier gagiste sur fonds de commerce, en
particulier face au créancier gagiste d'un autre type », R.D.C.B., 1994, p. 21.
157
Bruxelles, 6 février 2001, R.W., 2001-2002, p. 204 ; Liège, 5 octobre 1999, J.L.M.B., 2000, p.
643.
158
Bruxelles, 20 juin 1985, R.G.E.N., 1987, p. 211.
159
Cass. 26 mars 1987, Ann. Dr. Liège, 1990, p. 161; obs. MOREAU-MARGRÈVE; R.P.S. 1987, p. 211.
156
62
Un enseignement se déduit toutefois de celui-ci, en particulier de la considération selon
laquelle le moyen, pris, rappelons-le, de la violation de l'article 4 du 25 octobre 1919, est
étranger à toute disposition légale d'ordre public ou impérative. Dans la pensée de la
Cour, cet article ne relève donc pas de l'ordre public, alors même qu'il règle
l'opposabilité aux tiers d'une sûreté réelle.
Cette conception paraît convaincante. Les rapports qu'entretiennent les créanciers entre
eux, ainsi que la détermination de leur rang en cas d'exécution forcée portant sur les
biens de leur débiteur, relèvent, en effet, de l'autonomie de la volonté des protagonistes
de l'accord ; ceux-ci peuvent librement renoncer au bénéfice de leur rang, au même titre
d'ailleurs qu'ils pourraient renoncer à leur créance. Encore faut-il, bien entendu
qu'aucune atteinte ne soit portée par convention au rang, à la sûreté, au privilège ou à la
créance d'un tiers. Cette réserve, étrangère au domaine de l'ordre public ou du droit
impératif, n'est qu'une application de la relativité des effets internes des contrats.
211. La question n'étant pas tranchée par la Haute juridiction, la doctrine s'est partagée
entre les défenseurs de l'inscription initiale unique et suffisante161 et les auteurs pour qui
la réitération de la publicité paraissait nécessaire162.
Le même schisme a pu être constaté au sein des juridictions de première instance : ainsi,
ont estimé qu'une inscription nouvelle est requise pour assurer l'opposabilité aux tiers
du gage en cas de déplacement du fonds de commerce le tribunal de commerce de
Charleroi, par son jugement du 20 avril 1988163 et le tribunal de commerce de Bruxelles,
par son jugement du 8 mars 1994164; s'est en revanche prononcé en sens inverse, le
tribunal de commerce de Gand, par son arrêt du 22 octobre 1992165.
A présent, les juridictions d'appel s'orientent toutefois vers l'exigence limitée à
l'inscription initiale et unique.
160
MOREAU-MARGRÈVE, « A propos de la publicité en cas de déplacement d'un fonds de
commerce gagé », obs. Ann. Dr. Liège 1990, p. 163.
161
MOREAU-MARGRÈVE, « A propos de la publicité en cas de déplacement d'un fonds de commerce
gagé », obs. Ann. Dr. Liège 1990, p.164; BOUCKAERT, “De Handelszaak”, A.P.R., n° 157.
162
STRANART, « Les sûretés réelles traditionnelles – Développements récents », in Le droit des
sûretés, J.B. Bruxelles 1992, p. 91; LECHIEN, « Le gage sur fonds de commerce », Actualités de droit
civil, Conférences du Centre de droit privé ULB, vol. II, p. 142.
163
J.L.M.B., 1989, p. 416.
164
R.D.C.B., 1994, p. 943.
165
R.D.C.B., 1994, p. 82.
63
On relève en ce sens, en effet, les décisions rendues le 17 novembre 1994 et le 6 février
2001166 par la Cour d'appel de Bruxelles167, le 14 décembre 1995168 et le 16 juin 2003
par la Cour d’appel de Gand169.
212. L'on sait qu'en cas de vente, comme en cas d'apport en société, de l'ensemble du
fonds de commerce grevé, le gage est maintenu, conformément à une jurisprudence
constante reposant sur le principe général de l'opposabilité erga omnes des droits réels
impliquant la reconnaissance d'un droit de suite170.
Plusieurs décisions récentes ont poursuivi cette voie, réaffirmant l'existence du droit de
suite.
Ainsi, en va-t-il de l'arrêt de la Cour d'appel de Liège du 8 janvier 1986, qui précise en
outre que l'existence de la saisie-revendication prévue à l'article 11, II de la loi du 25
octobre 1919 n'est pas exclusive du droit de suite, mais lui est complémentaire, l'une
assurant la protection du créancier en cas d'aliénation ut singuli de divers éléments du
fonds, l'autre, en cas d'aliénation du fonds in globo171; de l'arrêt de la Cour d'appel de
Gand du 22 novembre 1994172, confirmant que la prétention à imposer le respect du
gage du tiers acquéreur du fonds ne s'analyse nullement en une action en revendication;
du jugement du tribunal de commerce de Gand du 24 février 1995173 et de l'arrêt du 14
novembre 1995 de la Cour d'appel d'Anvers174.
Encore faut-il, pour le maintien du gage, précise un jugement du tribunal de commerce
de Bruxelles du 15 janvier 1996175, que son assiette, à la faveur de l'aliénation, n'ait pas
perdu son identité. Autrement dit, le fonds de commerce ne reste grevé par l'effet du
droit de suite, qu'il ne s'est pas fondu au sein d'autres avoirs.
C'est en ce sens déjà qu'avait statué un jugement du tribunal de commerce de Nivelles
du 12 janvier 1981176.
166
R.W., 2001-2002, p. 204.
R.D.C.B., 1995, p. 85, note BOUCKAERT, R.N.B., 1995, p. 260, obs.
168
R.D.C.B., 1996, p. 911, obs. DERIJCKE; A.J.T., 1995-1996, p. 433, obs. SNAET.
169
R.W., 2004-2005, p. 899, note DIRIX, « Pand handelszaak en publiciteit ».
170
T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poSursuite des créanciers, p. 110; STRANART,
« Chronique de jurisprudence: Les sûretés réelles et la publicité foncière », Rev. Banque 1975, p.
232; CATTARUZZA, Le gage sur fonds de commerce, p. 69.
171
Liège 8 janvier 1986, R.N.B. 1989, p. 246.
172
R.W., 1995-1996, p. 193, obs. DIRIX.
173
R.W., 1995-1996, p. 679.
174
R.W., 1995-1996, p. 1098.
175
J.T., 1996, p. 485.
176
R.P.S., 198, p. 61.
167
64
Cette jurisprudence se fonde sur le principe général selon lequel il y a caducité du gage
par disparition de son assiette. En une telle occurrence, le gage ne renaît pas de ses
cendres a estimé la Cour d'appel de Bruxelles dans un arrêt du 31 mars 1987, lorsqu'un
nouveau fonds de commerce est exploité, dans le cadre d'une autre activité, par les
constituants du gage disparu177.
213. Pas davantage de droit de suite, a déclaré la Cour d'appel de Gand, dans un arrêt
du 30 mars 1988, lorsque les biens corporels incorporés dans un fonds de commerce
gagé ont tous été vendus par leur propriétaire, mais par une succession de contrats de
vente isolés178.
A cette hypothèse, répond, en effet, le droit de revendication prévu par l'article 11, II de
la loi du 25 octobre 1919, devant être exercé dans un délai de six mois à compter du
déplacement. Chacun sait toutefois la faiblesse de cette protection, qui cède face à
l'invocation utile par le tiers acquéreur de bonne foi de l'article 2279 du Code civil.
214. L'exercice d'une telle revendication n'est cependant pas exigée pour assurer la
persistance des droits du créancier, lorsque le bien corporel n'a fait l'objet que d'une
aliénation juridique, sans déplacement matériel, comme c'est le cas dans un contrat de
"sale and lease back"179.
215. Deux précisions encore pour terminer cet examen de l'étendue de l'opposabilité
aux tiers des droits du créancier gagiste sur fonds de commerce.
La conservation de la sûreté n'est pas compromise lorsque la péremption décennale de
l'inscription intervient après la date du jugement déclaratif de faillite, en particulier
lorsque la créance garantie a été admise irrévocablement au passif privilégié180.
Enfin que la loi du 25 octobre 1919 ne prévoyant pas de formalité semblable à la mention
marginale organisée en matière hypothécaire, la convention de cession de rang conclue
entre deux créanciers gagistes sur fonds de commerce, comme la subrogation ou la
cession de la créance garantie est, sans formalité, valable entre parties181 comme
opposable aux tiers. Une pratique contraire s'est certes parfois imposée, mais l'absence
de mention marginale ne pourrait être légalement opposée à celui qui invoque la cession
177
Bruxelles, 31 mars 1987, R.G.E.N., 1987, p. 399.
Gand, 30 mars 1988, J.L.M.B., 1988, somm., p. 1522.
179
Comm. Charleroi, 4 juin 1986, J.L.M.B., 1987, p. 17; Comm. Huy, 3 mai 1985, R.R.D., 1995, p.
340.
180
Comm. Liège, 17 septembre 1996, J.LM.B., 1997, p. 159.
181
Comm. Charleroi, 8 septembre 1993, J.L.M.B., 1995, p. 151.
178
65
ou la subrogation à son profit d'une créance nantie par un gage sur fonds de
commerce182.
SECTION 5.
A.
LES DROITS ET LES OBLIGATIONS DES PARTIES
Avant l’échéance de la créance garantie
§ 1. Le constituant
216. Le constituant doit exploiter le fonds de commerce normalement183. L’affectation
en gage du fonds de commerce crée dans son chef une obligation positive : il ne peut
laisser dépérir le fonds ni le vider de sa substance par des aliénations anormales (à vil
prix par exemple) ou par des déplacements matériels d’éléments du fonds non
conformes à la poursuite de l’exploitation.
217. Le créancier dispose de plusieurs sanctions à l’égard de son débiteur.
De nature civile, la déchéance du terme est prévue à l’article 1188 du Code civil, souvent
renforcée contractuellement par des clauses résolutoires expresses.
De nature pénale, la sanction relative à l’infraction de détournement s’applique au cas où
le débiteur a agi frauduleusement, au sens des articles 491 du Code pénal et 8 de la loi
du 25 octobre 1919.
§ 2.
Le créancier gagiste
218. Le créancier gagiste dispose de plusieurs moyens de protection envers les tiers en
cas de déplacement ou d’aliénation de certains éléments du fonds de commerce ou du
fonds de commerce lui-même. Outre l’action paulienne, ouverte au créancier gagiste
selon le droit commun dans les cas dans lesquels le tiers s’est rendu complice de
l’aliénation qui a appauvri le débiteur, des mesures plus spécifiques lui sont également
offertes.
182
En ce qui concerne la cession de rang, voir CATTARUZZA, Le gage sur fonds de commerce.
VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd., n° 2606 ; VAN COMPERNOLLE,
« Les sûretés réelles traditionnelles en droit belge » in Les sûretés, Feduci, 1983, p. 89, n° 46 ;
T’KINT, n° 336.
183
66
a.
L’article 11-II de la loi du 25 octobre 1919
219. Le créancier gagiste peut en effet, saisir entre les mains des tiers certains éléments
du fonds qui auraient été déplacés sans son consentement afin de lui permettre
d’empêcher que le fonds de commerce ne perde de sa substance. Selon l’article 11-II de
la loi du 25 octobre 1919, ce droit ne peut s’exercer que si le déplacement concerne des
matières premières, du matériel et de l’outillage, si le créancier agit dans les six mois184,
si le créancier procède par voie de saisie-revendication et enfin si la revendication du
créancier ne se heurte pas à la possession de bonne foi de l’acquéreur.
220. Le créancier gagiste ne dispose donc pas véritablement d’un droit de suite
opposable à tous ; il ne peut agir que dans le cas d’un déplacement matériel à l’égard
d’un détenteur de la chose ou dans le cas d’une aliénation faite à un acquéreur de
mauvaise foi. La protection du créancier gagiste est par conséquent fort limitée.
b.
L’inopposabilité de l’aliénation in globo
221. La doctrine et la jurisprudence ont reconnu une protection plus grande au
créancier gagiste en cas d’aliénation de l’ensemble du fonds de commerce.
L’aliénation du fonds de commerce effectuée « in globo » est inopposable au créancier
gagiste185.
222. La qualification donnée à ce droit ouvert au créancier est controversée : certains
parlent de droit de suite ; d’autres de droit de revendication. Le fondement de ce droit
découle de ce que l’inscription du gage le rend opposable aux tiers qui doivent par
conséquent respecter les droits du créancier gagiste. Celui-ci est en droit de faire
déclarer inopposable à lui l’aliénation du fonds de commerce qui serait faite au mépris de
ses droits. L’article 2279 du Code civil est d’ailleurs inapplicable au fonds de commerce
puisqu’il s’agit d’un meuble incorporel en telle sorte que le créancier gagiste pourra agir
contre l’acquéreur du fonds de commerce même si ce dernier est de bonne foi186.
184
Trib. comm. Liège, 15 novembre 1983, Jur. Liège, 1984, p. 625.
VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd., n° 2609 ; STRANART, Chron. Jur.,
p. 232 ; VAN COMPERNOLLE, in Feduci, p. 90-91, n° 46 ; T’KINT, n° 339-340. Trib. Comm. Nivelles,
12 janvier 1981, R.P.S., 1982, p. 61 et Trib. prem. inst. Brugge, 13 septembre 1989, Tijds. Not.,
1990, p. 140, note Ch. BEYER, ces deux décisions consacrant cette théorie mais ne l’appliquant pas
en l’espèce car dans les faits l’aliénation avait fait disparaître le fonds avant que le créancier
n’agisse contre le débiteur ; voir également, Cass., 21 octobre 1999, Pas., 1999, I, 1368.
186
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1109.
185
67
223. L’exercice de ce droit suppose que le fonds aliéné soit encore identifiable et qu’il
ne soit pas confondu avec celui l’acquéreur.
224. Un arrêt de la Cour de cassation du 21 octobre 1999187 peut être lu comme
consacrant un droit de suite au profit du créancier gagiste portant sur l’ensemble du
fonds de commerce gagé. Dans l’espèce ayant donné lieu à cette décision, un courtier en
assurances avait consenti un gage sur son fonds de commerce, lequel comprenait son
portefeuille d’assurances. Lorsqu’il céda celui-ci, le créancier gagiste en réclama la valeur
au cessionnaire en invoquant l’existence du droit de suite attaché à la sûreté. Ayant
triomphé au fond, le créancier gagiste dut toutefois subir les effets d’une cassation
prononcée par l’arrêt précité, fondée sur le motif qu’il ne ressortait pas des
constatations du juge du fond que le portefeuille en question s’identifiait entièrement au
fonds de commerce du cédant. Ainsi, aux côtés du droit de revendication spécial prévu
pour les éléments matériels du fonds de commerce grevé à l’article 11, I et II de la loi du
25 octobre 1919, la Cour de cassation reconnaît implicitement l’existence d’un droit de
suite couvrant la totalité du fonds conçu comme un ensemble188.
225. Certes, le créancier gagiste peut renoncer à l’exercice de son droit de suite, pour
autant que cette renonciation soit certaine ou tacite mais résultant d’actes non
susceptibles d’une autre interprétation. Ainsi, il a été jugé que le créancier gagiste
donnant son consentement pour la cession d’un fonds de commerce en la finançant et en
se faisant reconnaître un nouveau gage par le cessionnaire avait renoncé à la sûreté
initiale189.
226. Encore faut-il pour que le droit de suite soit efficace que les deniers provenant de
l’aliénation des biens formant l’assiette du gage sur fonds de commerce soient encore
identifiables dans le patrimoine du cédant au moment où le gagiste entend se prévaloir
de son droit, soit parce qu’il serait encore dû soit lorsqu’il figure sur un compte spécial
ou entre les mains d’un mandataire. Dans une espèce où un débiteur avait, avant sa
faillite, cédé sa clientèle, en avait perçu le prix avant de l’utiliser pour payer un de ses
créanciers, la Cour d’appel de Mons estime, dans un arrêt du 29 mai 2000190 que ne se
trouve plus dans le patrimoine du failli, au jour du jugement déclaratif, ni fonds de
commerce ni créance du prix. Elle en déduit que la restitution obtenue par le curateur,
sur le fondement des règles régissant la période suspecte, ne se trouve pas grevée du
droit de préférence du créancier gagiste. Cette solution paraît difficilement acceptable.
Dès lors qu’un fonds de commerce est caractérisé par sa clientèle, la cession de celle-ci
peut correspondre à l’aliénation du fonds lui-même, ce qui impose le respect du droit de
suite. Ce droit s’extériorise à l’égard des tiers, qu’il s’agisse du cessionnaire ou du
curateur, par l’inscription de la sûreté au registre de la conservation des hypothèques.
187
Pas., 1999, I, p. 1368; A.J.T., 1999-2000, p. 517, note VANLERSBERGHE; R.W., 2000-2001, p. 341.
LEDOUX, «Chronique de jurisprudence – Les sûretés réelles», D.J.T., 2004, p. 104.
189
Liège, 5 octobre 1999, J.L.M.B., 2000, p. 643 ; BIQUET-MATHIEU, « Chronique not. Liège », vol.
XXXVI, n° 52, p. 151.
190
J.L.M.B., 2000, p. 1292; R.R.D., 2000, p. 338.
188
68
c.
Le droit de préférence
227. Le créancier gagiste doit subir les saisies qui seraient faites par des tiers sur des
éléments constitutifs du fonds191. Il jouit cependant d’un droit de préférence qu’il peut
exercer en cas de concours.
228. L’inscription du gage sur fonds de commerce suffit à ce que le droit de préférence
soit respecté dans le cadre d’une procédure d’exécution forcée dont le créancier gagiste
n’a pas pris l’initiative, qu’il s’agisse d’une faillite (et ce sans qu’il faille renouveler
l’inscription postérieurement au jugement déclaratif cristallisant les droits de tous192), ou
d’une saisie sur un bien faisant partie intégrante du fonds. Dans ce cas, l’huissier mandaté
par le créancier ne peut procéder à la réalisation du bien sans tenir compte de la sûreté
sous le prétexte que le créancier gagiste n’aurait pas fait opposition. En vertu de l’article
9, alinéa 2 de la loi du 25 octobre 1919, le créancier gagiste sur fonds de commerce est
dispensé de l’opposition prévue par l’article 1515 du Code judiciaire. L’huissier doit donc
consulter le registre de la Conservation des hypothèques, à peine d’engager sa
responsabilité professionnelle193.
229. D’un point de vue procédural, rappelons que l’opposition à l’ordonnance
autorisant la réalisation du gage doit être introduite auprès du tribunal de commerce et
non auprès du président de ce tribunal siégeant en référé194.
d.
Renforcement conventionnel du contrôle de gestion
230. Le caractère insuffisant des mesures de protection dont bénéficie le créancier
gagiste tant envers le débiteur qu’envers les tiers, a conduit les établissements de crédit
à les renforcer par des clauses conventionnelles subordonnant les actes de gestion du
fonds d’une certaine importance, à l’accord préalable et écrit du créancier sous peine de
la déchéance du terme. Ce droit de regard ainsi octroyé au créancier sur un élément du
patrimoine du débiteur est souvent combiné avec des engagements de ne pas faire, tels
que celui de ne pas grever le fonds, ne pas le céder en tout ou en partie, ne pas engager
certains éléments comme les créances, etc195.
191
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1110 ; VAN RYN et HEENEN, Principes de
droit commercial, T. IV, 1ère éd ;, n° 2610.
192
Liège, 17 septembre 1996, J.L.M.B., 1997, p. 159 ; R.D.C.B., 1997, p. 159 ; Anvers, 27 novembre
2000, R.W., 2001-2002, p. 494.
193
Mons, 1er mars 2001, R.G.D.C., 2000, p. 236.
194
Anvers, 23 avril 2004, Dr. eur. transp., 2005, p. 95.
195
STRANART, Sûretés, p. 46, n° 29.
69
B.
A l’échéance de la créance garantie196
§ 1. L’article 11-II de la loi du 25 octobre 1919
231. Le créancier peut faire saisir conservatoirement tous les éléments du fonds de
commerce si la dette échue est impayée comme l’y autorise l’article 11-I de la loi du 25
octobre 1919. Cette saisie peut être pratiquée sans permission du juge ; elle doit l’être
simultanément à la mise en demeure du débiteur.
Le but de la saisie est d’empêcher le déplacement par le débiteur d’éléments du fonds de
commerce au moment où le risque de non recouvrement de la créance est important.
232. Notons qu’en réalité, le créancier devra le plus souvent procéder par cette saisie
car il n’est pas en possession des biens grevés du gage sur fonds de commerce et qu'il
doit, par conséquent, se protéger contre des aliénations ou des déplacements qui
diminueraient la valeur de sa sûreté.
233. Il y a controverse sur la forme ou les formes à suivre pour pratiquer cette saisie :
selon certains, une saisie globale suffirait197. Selon d’autres, il faut saisir chacun des
éléments du fonds en suivant les procédures prévues par le Code judiciaire selon la
nature du bien : saisie mobilière pour les meubles, saisie-arrêt pour les créances198.
§ 2. L’article 11-IV de la loi du 25 octobre 1919
234. Le créancier gagiste peut procéder à la réalisation du fonds de commerce en
faisant vendre le fonds ou les éléments qui le composent pour se faire payer par
préférence sur le prix de réalisation, ainsi que l’énonce l’article 11-IV de la loi du 25
octobre 1919. La procédure à suivre est celle prévue par la loi du 5 mai 1872 sur le gage
commercial, auquel renvoie l’article 12 de la loi du 25 octobre 1919.
En résumé, la procédure se déroule comme suit : après qu’il y ait eu saisie et mise en
demeure signifiée au débiteur, le créancier dépose une requête devant le président du
196
Voy., notamment P. LEROY, « La réalisation du gage sur fonds de commerce », Act. Droit, 1995,
p. 261.
197
VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd ;, n° 2607 et 2611 ; VAN
COMPERNOLLE, Les sûretés réelles traditionnelles en droit belge, in Feduci, 1983, p. 89, n° 46.
198
MOREAU-MARGRÈVE, op. cit., R.C.J.B., 1980, p. 157-158, n° 27; DE LEVAL, in C.D.V.A., 1982, p. 320.
70
tribunal de commerce en vue d’obtenir l’autorisation de faire vendre ; cette requête doit
être signifiée au débiteur ; si le créancier a procédé à la saisie préalable du fonds de
commerce, cette saisie doit être validée par le président ; l’ordonnance rendue par le
président vaut titre exécutoire ; le président autorisera le créancier à faire vendre le
fond de commerce, soit en bloc, soit en détail et désignera une personne chargée de
procéder à cette vente.
235. Il est admis aujourd'hui que la signification de la mise en demeure du débiteur de la
saisie conservatoire199 et de la requête puisse tenir en un même exploit.
236. Le président ne peut statuer, conformément au prescrit légal qu'à l'expiration d'un
délai de deux jours francs à dater de la signification de la requête. Le débiteur et le cas
échéant le tiers bailleur de gage peuvent profiter de ce délai pour faire leurs
observations. De strictes limites sont toutefois assignées aux pouvoirs du président : il
peut seulement vérifier sa compétence, l'existence et la régularité du gage200, ainsi que
statuer sur les modalités de la réalisation, mais il ne peut connaître d'une contestation
relative à la créance garantie ou d'une demande de délai de grâce201. Toutefois,
l'autorisation de vendre doit être refusée lorsqu'il apparaît que la créance garantie, qui
doit être, comme pour toute saisie, certaine, liquide et exigible, est sur l'un ou l'autre de
ces caractères sérieusement contestée202. L'autorisation de réaliser le fonds de
commerce doit également être refusée lorsqu'il apparaît qu'en raison d'une
restructuration, le fonds de commerce engagé n'existe plus203.
237. Bien que les articles 5 et 6 du Titre 1er, Livre VI du Code de commerce
n'organisent expressément que les recours du débiteur et, le cas échéant, du tiers
bailleur du gage, la jurisprudence accorde au créancier gagiste dont la demande serait
rejetée un droit d'appel provenant du droit commun des procédures sur requête, à
exercer dans le mois suivant la notification par le greffe de l'ordonnance à attaquer204.
C'est en vertu du droit commun des procédures sur requête également qu'une demande
199
A cet égard la lettre recommandée serait insuffisante – Anvers, 23 janvier 1990, R.W., 19891990, pp. 980-981.
200
Voir à cet égard supra: Comm. Bruxelles, 25 septembre 1996, J.L.M.B., 1997, pp. 161-163,
considérant même qu'il n'appartient pas au tribunal de connaître de la validité de la résiliation d'un
gage pour toutes sommes.
201
LINSMEAU, « La réalisation du gage sur fonds de commerce », J.T., 1979, p. 230; LEROY, "La
réalisation du gage sur fonds de commerce", A.D., 1995, p. 273; Prés. Comm. Mons, 18 février
1994, Rev. Banque, 1994, p. 419, obs.
202
LECLERCQ, « Le maintien du droit de réalisation du créancier gagiste sur fonds de commerce
en cas de faillite du débiteur », J.C.B., 1972, pp. 688-715.
203
Liège, 8 juin 1990, J.L.M.B., 1990, p. 499, somm.
204
Liège, 9 janvier 1987, J.T., 1987, pp. 285-287; Liège, 18 décembre 1983, J.L., 1982, p. 131, note
DE LEVAL; Gand, 27 mars 1986, R.D.C.B., 1987, p. 280; Liège, 8 juin 1990, J.L.M.B., 1990, p. 499,
somm.
71
en remplacement du liquidateur du gage peut être introduits conformément aux articles
1025 à 1034 du Code judiciaire, la tierce opposition étant possible sur pied de l'article
1033 du même Code205.
238. D’importantes difficultés demeurent lorsque le créancier gagiste est confronté à la
faillite du commerçant.
Estimant en opportunité que le curateur se trouve souvent en position favorable pour
rassembler les offres les plus intéressantes provenant d'amateurs potentiels pour le
rachat de l'assiette d'un gage, en particulier, lorsqu'il s'agit d'un fonds de commerce, de
nombreux tribunaux considèrent qu'en totale légalité, la désignation du curateur comme
agent de réalisation du gage, sollicitée à la requête d'un créancier gagiste, peut être
ordonnée. Une partie de la doctrine préconise d'ailleurs cette solution au motif qu'elle
permettrait d'éviter le danger de "l'émiettement de la liquidation d'une faillite", ainsi que le
risque qu'en cas de précipitation du créancier gagiste, la réalisation ne produise pas les
effets les meilleurs206. D'autres, au contraire, sont d'avis, toujours en opportunité, que
les banquiers gagistes sur fonds de commerce, grâce à leur bonne connaissance du
marché, à leur collaboration fructueuse avec des firmes spécialisées et à leur souci de
préserver leur réputation, sont à même de réaliser leur gage dans des conditions
optimales, tout en maintenant le dialogue constant avec le curateur de faillite207. Une
troisième tendance, enfin, prône la voie médiane, en invitant le président du tribunal de
commerce, appelé à statuer sur la requête d'un créancier gagiste demandant
l'autorisation de réaliser son gage, à faire la balance in concreto des intérêts en présence,
pour désigner le curateur comme liquidateur du gage si aucune incompatibilité n'apparaît
entre les objectifs à poursuivre par les créanciers dans la masse et le créancier gagiste,
ou rejeter cette désignation, au contraire, dans le cas inverse208. C'est ainsi que "dans une
espèce où les droits du seul créancier gagiste confinent à l'anéantissement de ceux de la masse
des créanciers chirographaires, on ne saurait, sans installer l'incompatibilité, confier à de mêmes
personnes, le mandat de s'appliquer à la défense absolue des intérêts de l'une comme de
205
Cass., 16 décembre 1994, R.D.C.B., 1996, pp. 534-538; STORME, “Derden verzet door de
curator tegen de aanstelling of vervanging van een pandzilvering nogmaals de schyzotyme curator?
Het arrest van het Hof van Cassatie van 16 december 1994” Recente cassatie 1995, pp. 175-180.
206
MOREAU-MARGRÈVE, « Heurs et malheurs du gage sur fonds de commerce », note sous Cass., 8
avril 1976, R.C.J.B., 1980, p. 160; ZENNER, note sous Comm. Audenaerde, 8 mars 1984, R.D.C.B.,
1985, p. 64; COPPENS et T'KINT, « Examen de jurisprudence - Les faillites et les concordats »,
R.C.J.B., 1974, p. 463; LECLERCQ, « Le maintien du droit de réalisation du créancier gagiste sur
fonds de commerce en cas de faillite du débiteur », J.C.B., 1972, p. 688; adde note à la R.D.C.B.,
1987, pp. 244 à 246.
207
DU BOIS, « Les rapports curateur/créancier gagiste sur fonds de commerce : manichéisme ou
réalisme? », Rev. Banque 1988, pp. 29-30.
208
VEROUGSTRAETE, « De schyzotyme curator », R.D.C.B. 1987, p. 289; MERCHIERS, « La réalisation
du gage sur fonds de commerce du failli », note sous Lièges 9 janvier 1987, R.C.J.B. 1989, pp. 272286.
72
l'autre", de sorte que "si le président du tribunal de commerce a (…) pu autoriser le créancier
gagiste à faire vendre le fonds de commerce litigieux, il ne devait cependant pas mandater à ces
fins les curateurs (à la faillite du constituant du gage)"209. C'est sur cette position réaliste
que pour l'heure l'équilibre est réalisé.
Il reste que le curateur peut se retrouver investi de l'obligation de vendre le fonds de
commerce d'un failli, sans désignation spéciale obtenue sur requête, alors même qu'il est
engagé, mais que le créancier gagiste n'utilise pas son droit de poursuite individuelle. Il
est admis, en effet, que l'engagement d'un bien ne le fait pas sortir de l'assiette des biens
saisissables de son propriétaire210, de sorte qu'il se trouve appréhendé automatiquement
par la saisie collective qu'emporte la faillite211.
Gérer les effets de cette saisie relevant du pouvoir du curateur de faillite en vertu de la
loi, il appartient à ce dernier de procéder à la réalisation du gage, si le créancier gagiste
n'y recourt pas lui-même. Cette attitude permet au curateur de dégager, comme le
contenu de sa mission l'y oblige, l'excédent éventuel de la valeur du gage par rapport à la
créance garantie. Aucune nouvelle désignation n'est nécessaire à cette fin, comme
l'admettent implicitement la Cour d'appel de Mons par un arrêt du 27 novembre 1991212
et la Cour d'appel de Liège par un arrêt du 26 janvier 1995213; explicitement, la Cour
d'appel de Gand par un arrêt du 22 décembre 1994214, ainsi que la Cour d'appel de Mons
par un arrêt du 15 décembre 1992215; et comme l'enseignent, enfin, de pertinentes
études216.
La réalisation de l'objet engagé par le curateur sur le fondement de sa mission légale
générale de gestionnaire de la liquidation de l'assiette de la saisie collective soulève de
209
Liège, 9 janvier 1987, R.C.J.B., 1989, p. 267; dans le même sens, Comm. Gand, 30 avril 1985,
R.D.C.B., 1987, p. 717; Anvers, 30 mai 1988, R.D.C.B., 1989, p. 254.
210
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VI, n° 741, 1078, 1099; VASSEUR, L'égalité des
créanciers chirographaires dans la faillite, n° 51; MERCHIERS, « La réalisation du gage sur fonds de
commerce du faillite » note sous Liège, 9 janvier 1987, R.C.J.B., 1989, p. 281.
211
LECLERCQ, « Le maintien du droit de réalisation du créancier gagiste sur fonds de commerce
en cas de faillite du débiteur », J.C.B., 1972, p. 710; Cloquet, " Les concordats et la faillite", Les
Novelles, Droit commercial, t. IV, 3ème éd. p. 459, n° 1557; T'KINT, Sûretés et principes généraux du
droit de poursuite des créanciers, p. 44, n° 58; GRÉGOIRE, Théorie générale du concours des créanciers
en droit belge, p. 88, n° 154.
212
R.D.C.B., 1992, pp. 1089-1093; Rev. Banque 1992, pp. 395-400, note GRÉGOIRE.
213
J.T., 1995, PP. 790-791; J.L.M.B., 1997, pp. 132-137; R.D.C.B., 1996, pp. 544-548, note GEERTS.
214
A.J.T., 1995-1996, pp. 406-410 qui est critiquable sur un autre point, car il affirme que le
créancier gagiste serait un créancier de la masse - voir DALLE, « De pandhoudende schuldeiser op
de handelszaak en de curator », sous l'arrêt.
215
R.D.C.B., 1994, pp. 935-939.
216
LECLERCQ, « Le maintien du droit de réalisation du créancier gagiste sur fonds de commerce
en cas de faillite du débiteur », J.C.B., 1972, p. 690; LINSMEAU, « La réalisation du gage sur fonds de
commerce en cas de faillite », J.T., 1979, p. 228.
73
nombreux problèmes à la jointure du champ des droits des créanciers nantis de sûretés
et de celui des créanciers dans la masse. Ainsi, dans l'espèce tranchée par l'intéressant
arrêt précité de la Cour d'appel de Mons du 27 novembre 1991, le curateur était chargé,
avec l'accord du créancier gagiste, mais sans désignation spéciale à cette fin, de réaliser le
fonds de commerce nanti. La première offre formulée par un amateur paraissant
insuffisante pour couvrir la totalité de sa créance, le créancier gagiste avait préféré
suggérer au curateur de différer la vente dans l'espoir d'une offre supérieure. Celle-ci ne
vint jamais et, en définitive, l'opération fut réalisée quatre mois plus tard pour un prix
nettement moins intéressant que celui qui avait été initialement proposé. La créance
garantie restant dans ces conditions très largement impayée à l'aide du produit de
réalisation du fonds de commerce, la banque dut faire appel aux cautionnements dont
par ailleurs elle bénéficiait. Les cautions invoquèrent alors la responsabilité de la banque
pour avoir fautivement tergiverser lors de l'examen de la première offre d'acquisition
des éléments du fonds de commerce. Avant d'examiner l'attitude de la banque, la Cour
d'appel procéda à une analyse des rapports entre le curateur et le gagiste sur fonds de
commerce, rapportée en ces termes: "lorsque le curateur à la faillite du débiteur gagiste se
trouve de facto habilité à poursuivre la réalisation du fonds nanti, soit en raison de la passivité
du créancier en défaut de mettre en oeuvre la procédure prévue par l'article 12 de la loi du 25
octobre 1919, soit comme en l'espèce, à la suite du consentement implicite ou explicite donné
par ledit créancier pour que le curateur réalise ou soit associé au processus de réalisation du
gage, le créancier gagiste ne s'en trouve pas pour autant privé des prérogatives normalement
attachées à la qualité de sa créance (..) et conserve un droit de regard permettant de contrôler
les actes posés par le curateur en vue de la réalisation du fonds nanti", ainsi qu'un droit "de
donner pour instruction de différer la vente dans l'espoir d'une offre supérieure".
Ces motifs doivent être approuvés : la qualité n'altère pas, en effet, les prérogatives
préférentielles attribuées au créancier gagiste, nonobstant sa renonciation à agir quant-àsoi; aussi, le créancier gagiste vantant un intérêt particulier à l'issue des négociations
tendant à l'aliénation du fonds grevé, peut-il assurément exercer un contrôle rapproché
de l'accomplissement de sa mission par le curateur. Mais une nuance s'impose : le
créancier gagiste ayant volontairement délaissé la maîtrise de la procédure de réalisation
du fonds grevé, ne peut se prétendre le mandant exclusif du curateur ; son pouvoir de
contrôle n'est qu'à la mesure de ses intérêts, érodés par ceux d'autres créanciers lui
disputant peu ou prou le futur produit de réalisation du gage. Dans une telle situation, le
curateur pourrait, sous sa responsabilité, passer outre, s'il le juge opportun, l'opinion
émise par le créancier gagiste, celle-ci pouvant être considérée comme étant simplement
consultative, et non décisive. Quoi qu'il en soit, dans l'espèce analysée, la Cour d'appel a
estimé, pour le surplus, que replacée dans les circonstances où elle avait incité le
curateur à ne pas accepter la première offre d'achat, la banque n'avait pas agi
fautivement, les expectatives d'autres propositions plus alléchantes paraissant à l'époque
raisonnables.
74
239. De l'intensité du contrôle que peut exercer le créancier gagiste sur le curateur de
faillite (variable selon que la réalisation du fonds de commerce s'opère ou non, après
désignation sur requête) ne dépend pas nécessairement la mesure de l'autonomie laissée
à ce dernier dans le cadre de la gestion des fonds obtenus grâce à la réalisation du fonds
grevé : ceux-ci doivent revenir avec diligence au créancier à qui ils sont destinés dans
toute la mesure du possible, et ce même si la réalisation de l'objet engagé s'opère dans le
cadre de la mission générale du curateur.
Dans l'affaire tranchée par l'arrêt précité de la Cour d'appel de Liège du 26 janvier 1995,
le curateur chargé, sans désignation spéciale sur requête, de la réalisation du fonds de
commerce engagé au profit de la banque croyait pouvoir lui réclamer l'équivalent de
sommes provenant du paiement par des tiers entre ses mains postérieurement à la
faillite, de créances du failli. Reprenant le jugement a quo, qui avait accordé la restitution,
la Cour d'appel au contraire, n'y contraint nullement la banque. La solution doit être
approuvée sans réserve, car en raison de son droit de préférence, le créancier gagiste
pouvait assurément conserver des sommes ne présentant, eu égard à l'existence du gage,
"aucun avantage pour la masse". Il est vrai que le curateur a l'obligation de remettre sans
attendre au créancier gagiste la partie du produit de la vente qui lui revient; et que rien
ne le dispensait de ce devoir en l'espèce puisqu'il ne pouvait démontrer "que le prix de
réalisation des éléments du fonds de commerce (excédait) le montant de la créance garantie ou
que la conservation (des) sommes (retenues par la banque préjudiciait) d'autres créanciers
concurrents ou préférables, (…) les créances et l'argent liquide ne faisant pas partie de
l'assiette du bailleur de l'immeuble et vendeur d'équipement professionnel". En outre, la Cour
estime à bon droit que "le problème des honoraires dus au curateur (ne devait être) tranché
(…) que lorsque la réalisation du fonds de commerce (serait) terminée, en tenant compte de
l'utilité effective des devoirs accomplis par le créancier gagiste sur fonds de commerce". Ces
seules considérations retenues par la Cour auraient suffi à justifier légalement l'arrêt. La
Cour d'appel y ajoute cependant plusieurs motifs, inspirés directement de l'arrêt précité
de la Cour de cassation du 8 avril 1976, d'où il ressort que les objets d'un gage restent
en dehors de la faillite, ce qui peut paraître plus contestable et n'engendre au demeurant
aucune véritable conséquence sur la question posée.
240. L'imputation des frais et honoraires du curateur, et plus généralement, des dettes
de la masse, constitue souvent une pierre d'achoppement dans les relations qu'il
entretient avec le créancier gagiste. S'il n'est pas douteux que, dans la mesure où ils ont
profité directement au créancier gagiste, les frais et honoraires dus au curateur,
engendrés par les devoirs accomplis par lui en vue de la réalisation du gage, doivent être
75
prélevés sur les sommes provenant de ladite réalisation217, plus délicate est la question
de savoir si une partie des frais généraux de liquidation doit connaître le même sort. La
Cour d'appel de Mons apporte à cette question une réponse affirmative. Ainsi, dans son
arrêt déjà cité du 15 décembre 1992218 la Cour d'appel considère, à tout le moins,
lorsque le créancier gagiste a accepté que le curateur intervienne dans la réalisation du
gage sur fonds de commerce en dehors des mécanismes prévus par la procédure
applicable en vertu de l'article 12 de la loi du 25 octobre 1919, que les principes suivants
sont d'application : (1) les frais et honoraires généraux (c'est-à-dire ceux qui n'ont pas
été engagés pour la réalisation spécifique de tel ou tel élément d'actif) sont exposés par
les curateurs non seulement en vue de conserver le patrimoine mobilier et immobilier
du failli et de le réaliser dans les meilleurs conditions, mais également en vue de réaliser
l'ensemble des tâches leur incombant qui, quoique non productives d'actif, sont
essentielles dans l'intérêt de tous les créanciers, qu'ils soient hypothécaires, privilégiés ou
chirographaires, puisqu'elles permettent, en définitive, de préserver l'intérêt commun
des créanciers à voir liquider, par un mandataire de justice, l'activité commerciale sous le
contrôle du tribunal de commerce ; (2) les créanciers nantis de sûretés qui n'ont pas pris
l'initiative de la vente des biens grevés et en ont laissé le soin au curateur, sont certes
"hors masse", mais ont nécessairement bénéficié des frais généraux inhérents à la
liquidation globale de la faillite ; (3) il est en conséquence judicieux de fixer les
honoraires et frais dans l'intérêt des créanciers bénéficiant d'une sûreté ou d'un privilège
spécial en fixant le montant de l'ensemble des frais et honoraires revenant au curateur
sur la base du barème et en imputant ensuite pour chaque catégorie de créanciers, une
quote-part en proportion de l'importance des actifs mobiliers ou immobiliers réalisés.
L'arrêt termine en rappelant que constitue un mode de rétribution du curateur licite et
adéquat pour assurer la gestion des faillites, l'application d'un barème fixant, en ce qui
concerne les honoraires, un pourcentage dégressif relatif aux différentes tranches d'actif
réalisé, et que ce système, forfaitaire par essence, ne tient pas compte de la nature et de
l'importance des devoirs effectivement accomplis par le curateur.
La méthode ainsi proposée par l'arrêt est parfaitement logique. Elle résulte tout
naturellement de cette circonstance, particulièrement bien mise en lumière, que le
créancier gagiste, nonobstant son droit spécifique à se désolidariser de la procédure
collective, n'est jamais étranger aux retombées de la déclaration de faillite : la créance
garantie devient exigible immédiatement ; les contrats en cours sont résiliés
217
Voir notamment: Mons, 23 mai 1990, J.L.M.B., 1991, p. 486; Liège, 26 janvier 1995, J.T., 1995,
pp.790-791; J.L.M.B., 1997, pp. 132-137; R.D.C.B., 1996, pp. 544-548, note GEERTS, déjà cité; Mons,
15 décembre 1992, R.D.C.B., 1994, pp. 935-939; GEINGER, COLLE, VAN BUGGENHOUT, "Het
faillissement en het gerechtelijk akkoord - Overzicht van rechtspraak (1975-1989)", T.P.R., 1991,
p. 564; MOREAU-MARGRÈVE, Sûretés - Chronique de droit à l'usage du Palais, vol. XIV, p. 148;
BOUCKAERT, "Overzicht van rechtspraak: pand op handelszaak (1988-1993)", R.D.C.B., 1988, p.
1053).
218
R.D.C.B., 1994, pp. 935-939.
76
automatiquement lorsqu'ils avaient été conclus inuitu personae ; ils le sont à
l'intervention du curateur dans le cas contraire ; grâce à ces effets mis en oeuvre en
vertu des règles régissant la faillite, dont l'application engendre la création de frais et
honoraires généraux pour le curateur, le passif cesse d'évoluer et le débiteur se trouve
dessaisi de ses actifs.
L'ensemble de ces nouvelles conditions doit contribuer, en principe à tout le moins à
préserver les droits du créancier gagiste dans l'état qui était le leur lors de la
cristallisation. En cela, il doit assumer une part des frais et honoraires généraux. Cette
part ne pourrait être mieux fixée que par l'imputation de ces derniers en proportion de
l'importance des sommes lui revenant219.
Le raisonnement pourrait même être poussé jusqu'à imposer comme une règle générale
l'imputation proportionnelle au créancier gagiste, même s'il a fait usage de sa liberté
d'exécuter de son côté l'objet engagé. Dans ce cas, en effet, les effets généraux de la
faillite frappent également sa créance, de sorte que jamais il ne peut ignorer
complètement la procédure collective et toutes ses conséquences. Telle n'est cependant
pas du tout la thèse adoptée par la Cour d'appel de Bruxelles, dans un arrêt du 15
septembre 1994, décidant qu'une banque, en sa qualité de créancier gagiste sur le fonds
de commerce d'une société faillie, ne pouvait supporter la moindre dette de la masse,
aux motifs que "le curateur n'a pas qualité pour agir au nom et pour compte des créanciers
hors de la masse, tels que les créanciers privilégiés spéciaux ; que le curateur ne pouvait affecter
les droits et actifs réservés aux créanciers privilégiés spéciaux, qui ne font pas partie de la
masse ; que, par conséquent, les dettes de la masse ne peuvent être payées qu'au moyen du
produit de réalisation des actifs constituant le gage commun des créanciers chirographaires et
des créanciers privilégiés généraux et non au moyen du produit de réalisation des actifs gagés
au profit du créancier privilégié spécial sur le fonds de commerce ; qu'eu égard à sa qualité de
créancier hors de la masse, la (banque) ne peut voir ses droits diminués par le paiement de
dettes de la masse que dans l'hypothèse où les engagements du curateur lui ont profité ou
nécessaires à la valorisation ou à la conservation de son gage"220.
241. L'on remarquera cependant que la communauté d'intérêts existant entre les
créanciers gagistes et privilégiés spéciaux, d'une part, et la masse des créanciers
chirographaires et privilégiés généraux représentée par le curateur, d'autre part, se
trouve à présent renforcée par intervention de l'article 26 de la loi du 8 août 1997 sur
les faillites, aux termes duquel "toutes voies d'exécution, pour parvenir au paiement des
créances privilégiées sur les meubles dépendant de la faillite, seront suspendues jusqu'à la
clôture du procès-verbal de vérification des créances, sans préjudice de toute mesure
219
Voir Cass., 13 septembre 1991; Mons, 27 novembre 1991, et Comm. Furnes, 30 octobre 1991,
R.D.C.B., 1992, p. 332 est suivantes, obs. VAN BUGGENHOUT et GRÉGOIRE.
220
Bruxelles, 15 septembre 1994, J.T., 1995, pp. 7-8.
77
conservatoire et du droit qui serait acquis au propriétaire des lieux loués d'en prendre
possession. Dans ce dernier cas, la suspension des voies d'exécution établie au présent article
cesse de plein droit en faveur du propriétaire. Néanmoins, si l'intérêt de la masse l'exige et à
condition qu'une réalisation des meubles puisse être attendue qui ne désavantage pas les
créanciers privilégiés, le tribunal peut, sur requête des curateurs et après avoir convoqué par pli
judiciaire le créancier concerné bénéficiant d'un privilège spécial, ordonner la suspension
d'exécution pour une période maximum d'un an à compter de la déclaration de faillite".
Parallèlement à cette innovation importante, l'article 9 du Livre 1er, Titre VI du Code de
commerce est modifié en ce sens: "L'exercice des droits conférés au créancier gagiste par les
article précédents (c'est-à-dire les droits d'exécution individuels) n'est pas suspendu par le décès
du débiteur ou du tiers bailleur de gage". La faillite se trouve donc omise des situations
n'altérant pas l'autonomie de poursuite du créancier gagiste.
Désormais, toute mesure d'exécution forcée individuelle ne peut être pratiquée par le
créancier gagiste, comme il en va pour les créanciers privilégiés spéciaux, qu'après la
clôture du procès-verbal de vérification des créances, et ce délai d'attente peut, de
surcroît, si le tribunal, saisi par la requête du curateur, l'estime indispensable ou utile à la
gestion optimale de la procédure collective, être prolongé encore jusqu'à atteindre un an
à compter du jugement déclaratif de faillite. Le curateur fera usage de cette faculté
généralement quand il apercevra la possibilité de céder l'entreprise en fonctionnement; il
devra démontrer que cette perspective n'est pas de nature à entraîner un déficit du
produit de réalisation pouvant être raisonnablement espéré pour l'assiette de la sûreté
au moment de l'introduction de la requête221.
242. A cet égard, il n'est plus douteux actuellement que la cession du fonds de
commerce in globo réalisée par un mandataire de justice (et donc notamment) un
curateur de faillite ne donne pas lieu à l'application des dispositions spéciales instituées
par l'arrêté royal du 12 décembre 1996 portant des mesures en matière de lutte contre
la fraude fiscale et en vue d'une meilleure perception de l'impôt, en application des
articles 2 § 1er et 3 § 1er, 2° et 3° de la loi du 26 juillet 1996 visant à réaliser les
conditions budgétaires de la participation de la Belgique à l'Union économique et
monétaire européenne, ayant notamment inséré dans le Code des impôts sur les
revenus, un article 422bis, relatif aux conséquences fiscales de la transmission d'une
universalité de biens ou d'une branche d'activités222.
221
CUJAS et RENARD, Le nouveau droit du concordat et de la faillite, p. 134; DUMON, « La faillite et le
concordat judiciaire », J.T, 1997, p. 792; GÉRARD, WINDEY et GRÉGOIRE, Le concordat judiciaire, Les
dossiers du JT, p. 183; VEROUGSTRAETE, Manuel de la faillite et du concordat, p. 308; ZENNER,
Dépistage, faillites et concordats, pp. 432-433.
222
ZENNER, Dépistage, faillites et concordats, p. 638; Cir. de l'Administration des contributions
directes H. 81/488/979; Bull. contr. 1997, n° 774, p. 1703; sur ces dispositions, voir: AFSCHRIFT
78
243. C'est la prédominance des intérêts de l'ensemble de l'entreprise sur ceux des
créanciers nantis de sûretés qui a inspiré également la règle déposée à l’article 21 de la
loi sur le concordat judiciaire, de la suspension de toute voie d'exécution dans le cadre
du concordat judiciaire lorsque le sursis provisoire est accordé à un commerçant en
difficultés.
CHAPITRE V.
SECTION 1.
LE WARRANT
DÉFINITION ET GÉNÉRALITÉS
244. Aux termes de l’article 1er de la loi du 18 novembre 1862, le warrant est un
document émis par le dépositaire de marchandises, délivré par lui à la personne qui
prouve avoir le droit d’en disposer librement, et qui est transmissible par
endossement223.
Les marchandises concernées peuvent être toutes choses susceptibles d’être mises dans
le commerce224. Il peut s’agir de matières premières, telles que semences, charbon,
pétrole ou grains225, de produits finis ou semi-finis.
245. Le warrantage est régi par la loi du 18 novembre 1862 qui a eu pour but de
faciliter le financement des stocks de marchandises achetées ou produites en grandes
quantités et destinées à être revendues rapidement et en petites quantités, ainsi que de
permettre diverses opérations sur marchandises, sans déplacement ni manipulation226.
« L'obligation d'enregistrement des cessions d 'universalités de biens et de branches d'activités »,
Rev. Banque. Compt. 1997, p. 25; Parijs et Geerts, note R.D.C.B., 1997, p. 134; COMBART et
EVRARD, « L'obligation d'enregistrer les cessions de fonds de commerce et ses conséquences »,
DAOR, 1997, p. 59m; KRINGS, « Nouvelles incidences (pas uniquement) fiscales en matière de
cession d'universalité », J.T., 1997, p. 189.
223
VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd., n°2584 ; MOREAU-MARGRÈVE,
« Evolution du dorit et de la pratique des sûreté » in Les créances et le droit de la faillite, C.D.V.A.,
1983, p. 136 ; DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, tT. VI, n° 1112.
224
Cass., 24 mai 1895, Pas., 1895, I, 193.
225
voy. notamment Mons, 6 juin 1990, J.L.M.B., 1991, p. 1493.
226
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge», t. VI, n° 1112 ; VAN RYN et HEENEN, Principes de
droit commercial, t. IV, 1ère éd ;, n° 2585 ; MOREAU-MARGRÈVE, « A propos de quelques garanties en
vouge », Rev. Not. belge, 1985, p. 330 et suiv.
79
246. Le warrant permet de représenter le droit de libre disposition des marchandises
par deux documents227.
Il comprend en effet deux volets, le warrant proprement dit, dont la possession confère
au porteur un droit de gage sur les marchandises qu’il désigne (article 4 § 3 et 7) et la
cédule, dont le titulaire jouit de la libre disposition de la marchandise grevée du gage
(article 4 § 4). Dans son arrêt du 12 février 2004, (AR C.01.0121.N – Nissan / Bank
Brussel Cambier et N.V. Warrant), la Cour de cassation a décidé que des marchandises
couvertes par une clause de réserve de propriété pouvaient valablement être
warrantées, car l’émetteur du warrant dispose, dans ce cas, de la libre disposition des
biens au sens de la loi et le porteur du warrant, protégé par sa bonne foi, peut se
prévaloir de son droit de gage. Les deux volets sont susceptibles de circuler séparément
par voie d’endossement. Réunis, ils confèrent à celui qui en est le porteur, le droit de se
faire délivrer la marchandise à tout moment par le dépositaire228.
SECTION 2.
SPÉCIFICITÉS DU WARRANT
247. Comme on l’a indiqué, le warrant constitue un titre représentatif de la
marchandise qu’il désigne, et sa fonction principale est de faciliter et de simplifier la mise
en gage de ces marchandises229. En pratique, en effet, le warrant sert presque
exclusivement à permettre d’emprunter sur les marchandises sans devoir en transférer
la possession matérielle au créancier230.
248. En réalité, warrant et cédule circulent toujours ensemble et son endossés
ensemble à l’organisme prêteur, celui-ci souhaitant notamment connaître l’acquéreur231
et disposer non seulement d’un droit de gage sur la marchandise, mais du droit à la libre
disposition de celle-ci (article 4 § 1), qui constitue, évidemment, une garantie plus
complète et partant plus aisée à mettre en œuvre232. Il a pu être soutenu qu’il s’agissait là
d’une formule de cession de biens à titre de garantie233. En réalité, il convient de vérifier
la volonté des parties. Si la remise des documents s’est opérée à titre pignoratif, la
qualification de l’opération en gage s’imposera en dépit de l’adjonction de la cédule. Le
227
VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd., n° 2586.
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VI, n° 1112 ; VAN RYN et HEENEN, Principes de
droit commercial, t. IV, 1ère éd., n° 2586.
229
MOREAU-MARGRÈVE, C.D.V.A., 1983, p. 136 ; DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI,
n° 1111.
230
VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd., n° 2586.
231
VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd., n° 2595.
232
MOREAU-MARGRÈVE, « Evolution du dorit et de la pratique des sûreté » in Les créances et le droit
de la faillite, C.D.V.A., 1983, p. 137.
233
T’KINT, n° 317 ; DIRIX et DE CORTE, Zekerheidsrechten, n° 343.
228
80
porteur pourra au demeurant procéder en ce cas à la réalisation forcée des biens
qu’après en avoir obtenu l’autorisation judiciaire.
248. L’emprunteur sur marchandises warrantées endossera le warrant à l’établissement
de crédit, qui jouit lui-même de la faculté de le présenter à l’escompte. Il est fréquent
que le warrant comporte une promesse de paiement par le déposant de la somme
mentionnée sur le titre au profit du porteur. L’opération se rapproche alors en la mise
en circulation d’un effet de commerce dont la bonne fin est garantie par la mise en gage
de marchandises. Cette faculté est pour beaucoup dans le succès et l’intérêt du crédit
sur warrant.
SECTION 3.
MODALITÉS DE LA DÉPOSSESSION
249. Le warrant peut être délivré par quiconque accepte d’être dépositaire de la
marchandise234. Le warrant est, en réalité, un gage constitué entre les mains d’un tiers
convenu, avec cette précision que le dépôt précède le contrat de gage proprement dit.
Ce dépôt réalise d’ailleurs la condition de dépossession du créancier pour la constitution
du gage235. Dans la pratique, ce sont des sociétés professionnelles spécialisées qui
exercent cette activité.
250. Le plus souvent d’ailleurs, la marchandise est laissée dans un magasin appartenant
au déposant. Le local est loué ou prêté – en général gratuitement – au dépositaire, qui y
fait appliquer une plaquette signalant le warrantage. Les stocks sont surveillés par des
employés du déposant, ayant contracté à cet effet un mandat gratuit avec la société de
warrantage. Les organismes de crédit sur warrant font par ailleurs évaluer et contrôler
régulièrement la marchandise par des experts. Le prêt n’atteint jamais qu’un certain
pourcentage de leur valeur, qui doit en outre être reconstituée sans diminution sensible.
Au surplus, l’organisme prêteur impose une assurance convenable de la marchandise
warrantée et se fait transférer le bénéfice de la police d’assurance236.
251. La question de savoir si le recours à pareille méthode réalise une dépossession
suffisante est une question de fait qui relève de l’appréciation souveraine du juge du fond
et qui peut selon les circonstances de l’espèce être résolue d’une manière ou d’une
autre. Le risque d’équivocité de la possession du dépositaire n’est pas insignifiant. Ainsi,
lorsque les biens warrantés sont simplement déposés sur un emplacement seulement
234
VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd., n° 2588.
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VI, n° 1113.
236
VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd., n° 2588.
235
81
marqué par des traits de peinture, laissant libre accès au déposant, la dépossession n’est
pas légalement réalisée237.
252. L’organisation pratique du système des warrants permet de satisfaire le but de la
loi qui était de faciliter le crédit sans entraver la circulation des marchandises : en cas de
vente partielle des marchandises warrantées, le prêteur délivre des « laisser-suivre »
permettant leur délivrance aux acquéreurs, à concurrence de la valeur payée ou des
promesses de payer souscrites par ces derniers238.
SECTION 4.
PRÉSENTATION FORMELLE
253. Le warrant, comme la cédule, doit comporter certaines mentions, non prescrites à
peine de nullité239, permettant d’identifier le premier bénéficiaire (article 3 § 3), la
marchandise (article 3 § 4), l’endroit où elle est entreposée, l’assureur de la marchandise,
s’il y a lieu (article 3 § 5), la date et la signature de l’émetteur (article 3 § 3), le montant
de la créance garantie et la date de l’échéance (article 3 § 1).
SECTION 5.
A.
EXÉCUTION DU WARRANT
Procédure simplifiée
254. A défaut de remboursement du crédit garanti à l’échéance, le porteur du warrant
peut, dans les vingt quatre heures d’une mise en demeure signifiée à l’emprunteur, saisir
par requête le président du tribunal de commerce, et obtenir l’autorisation de vendre
publiquement ou de gré à gré par une ordonnance valant titre exécutoire (article 13 §
1er).
B.
Conflits de rangs
237
Comm. Hasselt, 24 janvier 1991, R.D.C.B., 1991, p. 749.
MOREAU-MARGRÈVE, C.D.V.A., 1983, p. 137 et « A propos de quelques garanties en vogue », Rev.
Not. belge, 1984, spéc. p. 331.
239
VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd., n° 2590.
238
82
255. Certains frais (douane, fret, frais de vente, entreposage, conservation) sont
prélevés par préférence sur le produit de la vente, dont le solde revient par priorité au
porteur du warrant (article 17)240.
256. Si la jurisprudence publiée (peu importante) ne reflète en rien l’importance
économique de cet instrument de crédit sur marchandises, on peut sans se tromper
déduire de cette absence que le système du warrant fonctionne dans la pratique à la
satisfaction de ceux qui l’emploient.
257. C’est essentiellement en matière de concours entre le créancier gagiste sur fonds
de commerce et le porteur de warrants que les cours et tribunaux ont été appelés à se
prononcer.
Dans un arrêt du 19 novembre 1992241, la Cour de cassation a décidé que le conflit
entre un gagiste sur fonds de commerce et un porteur de warrant doit être résolu grâce
à la règle de l’antériorité.
CHAPITRE VI. LE GAGE SUR CREANCES
SECTION 1. LES CRÉANCES ORDINAIRES
A.
Introduction
258. Modifié par la loi du 6 juillet 1994 et ensuite par la loi du 12 décembre 1996,
l’article 2075 du Code civil porte désormais que « Le créancier est mis en possession de la
créance gagée par la conclusion de la convention de gage. La mise en gage n’est opposable au
débiteur de la créance gagée qu’à partir du moment où elle lui a été notifiée ou qu’il l’a
reconnue. Les articles 1690, alinéas 3 et 4 et 1691 s’appliquent ».
259. L'on peut regretter la rédaction en trompe l'oeil de l'article 2075 alinéa 1er du
Code civil242. La fiction est un artifice parfois dangereux où peut s'abîmer la sécurité
240
VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd., n° 2593 ; DE PAGE, Traité
élémentaire de droit civil belge, t. VI, n° 1113.
241
Cass., 19 novembre 1992, Pas., 1992, I, 1286 ; J.L.M.B., 1993, p. 689 ; T. Not., 1993, p. 443, note
JDV ; R.C.J.B., 1984, note VAN QUICKENBORNE ; R.D.C.B., 1994, p. 27, note VAN HAEGENBORGH ;
R.G.D.C., 1994, p. 55, note KOKELENBERG.
83
juridique. Pourquoi ne pas avoir affirmé franchement l'intégration du gage dans la classe
de droit commun des contrats nommés valablement formés par le seul échange des
consentements? Le législateur belge aurait ainsi rejoint au demeurant, dans la voie d'une
unification européenne à laquelle devra se résoudre rapidement le droit des garanties, la
conception que s'en font d'importants systèmes juridiques voisins243.
Toutefois, dans l'état actuel des textes, cette prudence paraît compréhensible. De
nombreuses règles générales régissant les effets du gage demeurent attachées à la quasipossession qu'exerce sur l'objet nanti, le créancier gagiste. Il n'était sans doute pas
superflu de déterminer la source et l'instant du dessaisissement, fût-il, s'agissant de
créances, entièrement confondu avec l'accord des volontés, afin qu'en découlent
clairement toutes les conséquences spécifiques édictées par la loi.
B.
La dépossession fictive
260. Quoi qu'il en soit, l'utilité du nouveau statut du gage sur créances gît notamment
en ce qu'il fait taire d'anciennes et irréductibles controverses qui ont inlassablement agité
doctrine et jurisprudence pendant de longues années. Premièrement, fut abondamment
débattue la question de savoir si la signification de la mise en gage suffisait à elle seule à
assurer symboliquement la dépossession du constituant de la sûreté, sans que soit
requise en outre la remise du titre au créancier gagiste244.
Dans son intéressant arrêt du 29 mai 1990245, la Cour de cassation avait à cet égard
décidé que l'article 2076 du Code civil, selon lequel "Dans tous les cas, le privilège ne
subsiste sur le gage qu'autant que ce gage a été mis et est resté en possession du créancier ou
d'un tiers convenu entre les parties", ne détermine pas les divers modes à l'aide desquels le
242
VAN OMMESLAGHE, « Le nouveau régime de la cession et de la dation en gage des créances »",
J.T., 1995, p. 536, n° 20; T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers,
2ème éd., p. 140, n° 257.
243
Voir par exemple, NEUMAYER, « La transmission des obligations en droit comparé », in La
transmission des obligations, IXèmes Journées Jean Dabin, p. 193.
244
Voir notamment Comm. Charleroi, 31 janvier 1984, R.D.C.B., 1984, pp. 718-721; Comm.
Bruxelles, 5 novembre 1985, R.D.C.B., 1986, pp. 654-658; Mons, 18 novembre 1986, J.L.M.B., 1987,
pp. 790-793, J.L.M.B., 1988, pp. 1103-1106; R.D.C.B., 1989, pp. 945-950; Bruxelles, 13 janvier 1989,
R.D.C.B., 1992, pp. 20-25; LECHIEN, « La mise en gage des créances non incorporées dans un titre
négociable », R.D.C.B., 1992, pp. 3-19; Cass., 29 mai 1990, R.D.C.B., 1992, pp. 1029-1035, note
LECHIEN; Pas., 1990, I, 890; J.T., 1991, p. 88; Cass., 19 octobre 1990, R.W., 1990-1991, somm., p.
722; WINDEY, « Questions spéciales liées à la cession de créance dans ses rapports avec des
mécanismes de garanties », in Le droit des sûretés, J.B., 1992, p. 427; DIRIX et DE CORTE,
Zekerheidsrechten, n° 390; VERBEKE, « Recente ontwikkelingen in zake voorrechten, hypotheken en
andere zekerheden », 1994, n° 146; STRANART, « Les sûretés réelles traditionnelles Développements récents » in Le droit des sûretés, J.B., 1992, pp. 80 et suivantes.
245
Pas., 1990, I, 890; J.T., 1991, p. 88, R.D.C.B., 1992, pp. 1029-1035, note LECHIEN.
84
dessaisissement du débiteur et la prise de possession du créancier peuvent avoir lieu, de
sorte que ceux-ci peuvent varier "d'après la nature de l'objet et d'après les dispositions
particulières auxquelles les parties ont la liberté de recourir pour satisfaire la loi".
Cet arrêt avait donné lieu à deux lectures légèrement différentes. Selon les uns, il ne
pouvait s'agir là d'une véritable décision de principe, la Cour suprême s'étant limitée à
considérer qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué avait souverainement constaté le fait de la
dépossession tel qu'il résultait des circonstances de la cause246.
Selon les autres, là émergeait précisément le principe nouveau affirmé par la Cour de
cassation: le dessaisissement relèverait, en toutes ses modalités, de circonstances de fait,
c'est-à-dire non seulement dans la manière dont concrètement il se trouve accompli,
mais également dans la forme qu'il doit épouser, abandonnée à la convention des parties
souverainement constatée.
261. On a relevé à cet égard que s'il n'est pas douteux que les méthodes à utiliser pour
assurer le respect des formalités de dessaisissement varient en fonction de la nature de
l'objet grevé et s'il appartient effectivement aux juges du fond de constater en fait leur
réel accomplissement, on reste plus perplexe face à la possibilité reconnue aux parties
de définir conventionnellement le contenu de telles formalités. En effet, se trouvent liées
à ces dernières la réalisation de l'opposabilité aux tiers du droit réel de gage, domaine
échappant par définition à l'autonomie des volontés, puisqu'il concerne l'impact de la
convention sur la situation juridique de tiers et que celle-ci tombe sous l'empire exclusif
de la loi247.
262. Cette question n'est nullement devenue inutile depuis l'intervention du nouveau
régime de la mise en gage de créances, car dégageant la portée de l'article 2076 du Code
civil, dont le champ d'application couvre toutes les formes de gages, quelle qu'en soit
l'assiette, l'arrêt examiné du 29 mai 1990 peut être porteur d'un enseignement
d'envergure générale. L'on persiste à douter que les parties disposent réellement du
pouvoir d'aménager entièrement comme elles l'entendent les modes convenables de
dessaisissement du gage; ceux-ci relèvent de la loi, explicitement ou non, et lorsqu'ils ne
sont pas décrits précisément par le législateur, il revient aux cours et tribunaux d'en
révéler les contours, selon la conception que la jurisprudence se fait de l'intention
implicite du législateur. Une fois dégagés de la sorte, les modes de dessaisissement ne se
trouvent confiés à l'accord des parties, que sous l'angle de l'organisation de leur
exécution purement matérielle, et non celui de leur contenu.
246
LECHIEN, note sous l'arrêt, R.D.C.B. 1990, p. 1035.
Voir notamment GRÉGOIRE, Théorie générale du concours des créanciers en droit belge, p. 141, n°
225; sur le caractère légal des formalités d'opposabilité aux tiers des garanties sur créances, voy.
LEGEAIS, Les garanties conventionnelles sur créances, Economica, Paris, 1986, p. 53, n° 86.
247
85
263. L'on notera enfin, au chapitre de l'examen des conditions requises pour faire
naître un gage sur créance, la décision selon laquelle une simple convention de
domiciliation de paiements sur un compte en débit n'est pas constitutive d'un gage en
tant que tel248. Cette solution doit prévaloir encore sous l'empire de la nouvelle
législation, l'animus pignoris devant évidemment exister pour que se forme un gage.
C.
La mise en gage de créances futures
264. Venons-en à présent à la seconde controverse définitivement arbitrée par le
nouvel article 2075 du Code civil, portant sur la légalité de la mise en gage de créances
futures249.
Dorénavant, rien ne s'oppose plus à ce que l'on reconnaisse la validité et l'efficacité d'un
gage dont l'assiette est formée de créances futures. A l'instar de ce qui est admis pour la
cession de telles créances250, le gage après avoir sans inconvénient prévécu à son
assiette, s'abattra sur celle-ci dès son entrée dans le patrimoine du constituant. Encore
faut-il bien entendu, comme le prescrit le droit commun des conventions, que les
créances futures engagées soient suffisamment déterminables lors de la conclusion du
gage, ce qui implique, selon la formule subtile de l'arrêt Mengal251, que "la convention
instituant la sûreté (permette) de les définir et (qu') il résulte des éléments de la cause qu'elles
sont effectivement de celles que les parties avaient entendu (couvrir) de la garantie".
265. Le gage sur créances ainsi rénové s'apparente-t-il maintenant au "floating charge" du
droit anglo-saxon? Il s'en rapproche, en effet, bien davantage qu'auparavant, enserré qu'il
était dans le carcan des règles anciennes. Toutefois, même libéré désormais de tout lien
direct entre son existence et la tradition du bien incorporel grevé, le gage sur créances
n'en est pas devenu complètement flottant pour autant. Lorsqu'il présente un tel
caractère, le gage n'est que virtuel jusqu'à ce que, par la vertu d'un événement prédéfini,
il se réalise par l'appréhension des biens qu'il était destiné à grever252.
266. Le gage sur créances, selon le droit belge actuel, quant à lui, même lorsqu'il
préexiste à son assiette, a pour vocation de peser sur les créances dès leur naissance,
248
Liège, 19 décembre 1995, J.L.M.B., 1997, p. 143.
voir notamment sur cette question: MOREAU-MARGRÈVE, « Evolution du droit et de la pratique
en matière de sûretés », XXXIVème séminaire C.D.V.A., 1983, p. 134; COLLE, « La mise en gage
d'une créance non incorporée dans un titre négociable », J.T., 1992, p. 382, n° 24.
250
HEENEN, « La cession de créances futures », note sous Cass., 9 avril 1959, R.C.J.B., 1961, pp. 35
et suivantes.
251
Cass., 28 mars 1974, Pas., 1974, I, p. 776, R.G.E.N., 1974, n° 21832.
252
LECHIEN, « Questions de droit comparé des sûretés », in Le droit des sûretés, J.B., 1992, p. 248.
249
86
sans autre condition. Grevées automatiquement, les créances engagées sont, dans la
mesure des droits du créancier gagiste, soustraites, à la totale libre disposition de leur
titulaire. Certes, la formalité et la notification assurant l'opposabilité du nantissement aux
débiteurs des créances et à certains tiers particulièrement protégés (voir infra), ne peut
être concrètement accomplies, entraînant les effets que la loi y attache, avant que soit
connue l'identité du débiteur.
Cette restriction, limitée rigoureusement à l'un des aspects particuliers de l'opposabilité
du gage, n'entame nullement l'existence du contrat et son efficacité antérieurement
acquises.
D.
L’opposabilité
au
débiteur
particulièrement protégés
et
à
certains
tiers
267. Comme en matière de cession de créance, la dation en gage est rendue opposable
au débiteur de la créance nantie par une notification adressée à ce dernier ou par la
reconnaissance de sa part du fait de la dation en gage. Ce point est réglé par l'alinéa 2 de
l'article 2075 du Code civil, aux termes duquel "La mise en gage n'est opposable au
débiteur de la créance gagée qu'à partir du moment où elle lui a été notifiée ou qu'il l'a
reconnue". La forme que doit adopter la notification n'est pas précisée par la loi. Les
travaux préparatoires semblent imposer toutefois que cet acte unilatéral réceptice
prenne la forme d'un écrit, ne devant pas nécessairement être adressé à son destinataire
par la voie recommandée253.
A la survenance d'une notification ou de la reconnaissance du gage par le débiteur de la
créance nantie, se trouve indirectement liée l'opposabilité à certains tiers déterminés,
visés à l'article 1690 alinéas 3 et 4 du Code civil, auquel renvoie l'article 2075 alinéa 3 du
Code civil.
268. L'article 1690 alinéa 3 du Code civil dispose que "Si le cédant a cédé les mêmes
droits à plusieurs cessionnaires, est préféré celui qui, de bonne foi, peut se prévaloir d'avoir
notifié en premier lieu la cession de créance au débiteur ou d'avoir obtenu en premier lieu la
reconnaissance de la cession par le débiteur". Selon l'opinion dominante, cette règle
d'opposabilité ne vaut restrictivement qu'à l'égard des débiteurs des créances cédées ou
nanties, ainsi que pour départager les cessionnaires ou créanciers gagistes successifs,
mais ne concerne aucunement les délégataires, subrogés, bénéficiaires d'actions directes,
ou autres créanciers exerçant, par le truchement d'un autre mécanisme que la cession,
253
VAN OMMESLAGHE, « Le nouveau régime de la cession et de la dation en gage de créances », J.T.
1995, p. 532 et les réf. citées; STRANART, « La loi du 6 juillet 1994 et les modifications apportées
au gage sur créance », in La cession de créance, J.B., 1995, p. 74.
87
les droits des titulaires initiaux des créances cédées ou nanties254, ni a fortiori les
créanciers ayant pratiqué une saisie-arrêt ou ayant fait la déclaration de leur créance à la
faillite du cédant255, l'ensemble de ces ayants droit à titre particulier se voyant appliquer
le régime d'opposabilité générale dépendant seulement de la conclusion du contrat. Ainsi
en est-il également du curateur à la faillite du créancier cédant ou constituant du gage256.
269. L'article 1690 alinéa 4 écarte cependant quelque peu les conséquences de
l'opposabilité de plano de la cession ou du nantissement de créances aux tiers en
général, en les tenant l'une ou l'autre inopposables "au créancier de bonne foi auquel le
débiteur a, de bonne foi, et avant que la cession ne lui soit notifiée, valablement payé". Cette
hypothèse vise le paiement par le débiteur de la créance cédée ou nantie à un créancier
saisissant, délégataire, subrogé ou défendeur à l'action directe. L'application de la réserve
ainsi faite par l'article 1690 alinéa 4 du Code civil suppose un paiement accompli de part
et d'autre, c'est-à-dire non seulement effectué, mais également véritablement reçu, dans
l'ignorance partagée et légitime de l'intervention antérieure d'une cession ou d'un
nantissement de la créance cédée ou nantie257.
E.
Les exceptions
270. Plus largement, l'article 1691 du Code civil, rendu lui aussi applicable à la matière
du gage par l'article 2075 aliéna 3 du Code civil, règle le sort des exceptions en général,
en disposant que "le débiteur qui a payé de bonne foi avant que la cession ne lui ait été
notifiée ou qu'il l'ait reconnue, est libéré. Le débiteur de bonne foi peut invoquer à l'égard du
cessionnaire les conséquences de tout acte juridique accompli à l'égard du cédant, avant que la
cession ne lui ait été notifiée ou qu'il l'ait reconnue".
254
Comp. VERBEKE, “Vormvrije overdracht en inpandgeving van schuldvorderingen op naam. De
wet van 6 juli 1994”, in Nieuwe wetgeving inzake echtscheiding, cessie schuldvorgering, KUL 1994, n°
38; PEETERS, “Effectisering van schuldvorderingen”, in Overdracht van schuldvordering na de wet van
6 juli 1994, KUL 1994, n° 58; VERBEKE et PEETERS, Privilèges, hypothèques et autres sûretés (1996), p.
68.
255
Contra: DIRIX, “De vormvrije cessie", R.W., 1994-1995, p. 137, séc. p. 141, n° 15 et suivants, et
"De vormvrije cessie" in Overdracht van schuldvordering na de wet van 6 juli 1994, KUL 1994, n° 23
et suivants.
256
VAN OMMESLAGHE, « Le nouveau régime de la cession et de la dation en gage des créances »,
J.T., 1995, p. 533; FORIERS, « La cession de créance - Les principes généraux à la lumière de la loi
du 6 juillet 1994 » in La cession de créance, J.B., 1995, pp. 18-19; BOUCKAERT, « La cession et le
nantissement de créance en concours avec la saisie de la créance cédée et la faillite du cédant: ce
que doit savoir le notaire », R.N.B., 1998, p. 28.
257
VAN OMMESLAGHE, « Le nouveau régime de la cession et de la dation engage des créances »,
J.T., 1995, p. 535.
88
Se trouvent ainsi visées notamment les exceptions de remise de dette, de dation en
paiement ou de novation258.
F.
La date certaine
271. Le nouveau régime d'opposabilité du gage sur créances n'a pas été expurgé des
exigences de l'article 2074 du Code civil, prévoyant que "Ce privilège (celui du créancier
gagiste) n'a lieu qu'autant qu'il y a acte public ou sous seing privé, dûment enregistré, contenant
la déclaration de la somme due, ainsi que l'espèce et la nature des choses remise en gage, ou
un état annexé de leurs qualité, poids et mesure. La rédaction de l'acte par écrit et son
enregistrement ne sont néanmoins prescrits qu'en matière excédant la valeur de 15.000 F".
Ces formalités, propres au gage civil, ne sont requises qu'à l'égard des tiers259.
Il est donc essentiel de déterminer la nature civile ou commerciale du gage, considérée
de manière constante comme étant dépendante du caractère reconnu à la créance
garantie. Ce principe n'a pas été modifié au cours de la période examinée et n'est
d'ailleurs que très rarement discuté260.
G.
La procédure d’exécution
272. De la nature civile ou commerciale du gage, dépend également la procédure
d'exécution à suivre en cas de non paiement à l'échéance de l'obligation garantie. Au-delà
du postulat commun à ces deux types de gages, exprimé tant par l'article 2078 du Code
civil: "le créancier ne peut, à défaut de paiement, disposer du gage (…) toute clause qui
autoriserait le créancier gagiste à s'approprier le gage ou à en disposer sans (les formalités
procédurales prescrites)"que par l'article 10 du Livre I, Titre VI du Code de commerce:
"Toute clause qui autoriserait le créancier à s'approprier le gage ou à en disposer, sans les
formalités (procédurales prescrites) est nulle", les voies de satisfaction respectives de ces
créanciers divergent sensiblement.
273. En matière civile, il incombe au créancier gagiste de "faire ordonner en justice",
poursuit l'article 2078 du Code civil, "que ce gage lui demeurera en paiement et jusqu'à due
258
VAN OMMESLAGHE, « Le nouveau régime de la cession et de la dation en gage des créances »,
J.T., 1995, p. 535, n° 16.
259
STRANART, « La loi du 6 juillet 1994 et les modifications apportées au gage sur créance » in La
cession de créance, J.B., 1995, p. 56.
260
LEDOUX, « Chronique de jurisprudence - Les sûretés réelles », J.T., 1981, p. 333, n° 87.
89
concurrence, d'après une estimation faite par experts ou qu'il sera vendu aux enchères"261. En
matière commerciale, l'article 4 du Livre Ier, Titre VI du Code de commerce organise
une procédure accélérée par rapport au droit commun au cours de laquelle le créancier
peut, "après une mise en demeure signifiée à l'emprunteur et au tiers bailleur de gage, s'il y en
a un, et en s'adressant par requête au président du tribunal de commerce, obtenir l'autorisation
de faire vendre le gage, soit publiquement soit de gré à gré au choix du président et par la
personne qu'il désigne". Si des précisions sont apportées, lorsque l'assiette du gage est
formée de "fonds publics ou devises", par le même article 4, en ses alinéas 3 et 4 qui en
confient la réalisation à des agents de change, l'on chercherait en vain une indication
révélatrice de la conception du législateur quant à l'exécution d'un gage portant sur des
créances. La pratique s'accommode très aisément de cette carence des textes et l'on a
souvent noté avec quelle facilité peut se produire sans heurt et sans aucun inconvénient,
du moins perceptible à la lecture de la jurisprudence, l'abandon des créances engagées au
créancier gagiste non payé à l'échéance de l'obligation garantie262.
274. Il faut reconnaître que l'étendue des prérogatives dont bénéficie le créancier
gagiste sur créances, même au cours de la vie du gage et dès avant sa phase de
réalisation, réduisent sensiblement le champ des avantages attendus d'une procédure
d'exécution. Ainsi, en matière civile, l'article 2081 du Code civil confère au créancier
gagiste le droit, si la créance engagée porte intérêts, de les imputer sur ceux qui peuvent
lui être dus en vertu de la créance nantie, ou sur le capital de celle-ci, si elle n'en porte
pas. Plus favorable encore, en matière commerciale, l'article 3, alinéa 1er du Livre I, Titre
VI du Code de commerce édicte que "le créancier gagiste perçoit, aux échéances, les
intérêts, les dividendes et les capitaux des valeurs données en gage, et les impute sur sa
créance".
275. Certes, ces dispositions ne sont pas d'ordre public, de sorte qu'il est permis aux
parties de laisser au constituant du gage le soin de percevoir lui-même les fruits et le
produit des créances engagées aussi longtemps qu'il satisfait parallèlement à ses
engagements envers le créancier gagiste.
Toutefois, si un tel accord n'est pas pris, la loi organise par les dispositions précitées, un
système à deux vitesses, selon la nature civile ou commerciale de l'opération, de
remboursement partiel anticipé de la créance garantie non encore exigible. Outre qu'elle
prive singulièrement d'intérêt l'opposition tenace, sur laquelle on reviendra, à la cession
261
Voir pour un cas d'application, où il a été fait défense à un créancier gagiste de se prévaloir
sans autorisation d'un droit de propriété sur les biens nantis: Trib. Louvain (saisies), 13 décembre
1994, Bull. Contr., 1996, p.2234; voir encore sur la portée contraignante de l'article 2078 du Code
civil: Trib. Comm. (saisies), 18 mai 1987, R.G.D.C., 1989, p. 172.
262
Voir notamment: VAN OMMESLAGHE, « Les sûretés nouvelles issues de la pratique Développements récents » in Le droit des sûretés, J.B., 1992, p. 384.
90
de créances à titre de garantie, si proche en définitive de la mise en gage de créances,
ces caractéristiques mettent généralement le créancier gagiste à l'abri d'un besoin réel
d'autorisation judiciaire pour réaliser son gage sur créances. Dans ces conditions, il s'en
passe et jamais, semble-t-il, le débiteur ne s'en plaint.
276. Il arrive qu'une décision avance l'une ou l'autre analyse ou qualification, propres à
faire échapper le gage sur créances à l'empire des article 2078 du Code civil et 10 du
Livre Ier, Titre VI du Code de commerce.
La Cour d'appel d'Anvers considère, dans cet esprit, par son arrêt du 16 décembre 1996,
que le droit d'un créancier gagiste, en matière commerciale, de conserver le produit de
créances engagées ne relève pas de son pouvoir d'obtenir à son profit la réalisation du
gage, mais découle de la compensation qui s'opère entre l'obligation garantie et les
créances engagées263. Dans cet ordre d'idées, il est parfois soutenu en doctrine que la
conservation du produit des créances engagées au moment de l'exigibilité de la créance
garantie est une application de l'article 2082 alinéa 1er du Code civil, qui confère au
créancier gagiste un droit de rétention portant sur le bien engagé, suivi d'une
compensation entre les sommes dues par le débiteur principal et les fonds à restituer
par le créancier gagiste, après réception du paiement des créances engagées264.
La tentative est intéressante, mais ne convainc pas complètement. La compensation
suppose, en effet, deux obligations réciproques. L'obligation garantie existe entre le
débiteur et le créancier gagiste, assurément, mais il n'en existe aucune, en revanche, pas
même de restitution, du créancier gagiste envers le débiteur constituant du gage. Sur
quel fondement devrait-il remettre à ce dernier le produit des créances engagées, alors
précisément que la loi l'invite, en ses dispositions précitées, à en imputer le montant sur
la créance garantie? Par cette opération, s'effectue, nous l'avons dit, une attribution
définitive au créancier gagiste des fonds concernés, à charge pour lui d'y réserver
l'application légalement prévue, à savoir l'extinction anticipée, à la mesure des sommes
imputées, de l'obligation garantie.
Le phénomène échappe, il est vrai, entièrement à la problématique de la réalisation
forcée du gage265. En cela, l'arrêt examiné mérite l'approbation. Toutefois, c'est
exclusivement par le jeu d l'imputation légale prévue de manière spécifique par l'article 3
alinéa 1er précité du Livre Ier, Titre VI du Code de commerce, que s'explique la
263
Anvers, 16 décembre 1996, R.W., 1996-1997, p. 1202, note.
T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, p. 156, n° 296.
265
Voir également CUYPERS, “De financiering van ziekenhuizen door inpandgeving van de
schuldvorderingen op de ziekenfonds”, R.W., 1992-1993, p. 1053; VERBEKE, “De inpandgeving van
schuldvorderingen" in Overdracht en inpandgeving van schuldvorderingen, Comm. Voorr. en Hyp. 80,
n° 96 et suivants.
264
91
satisfaction obtenue par le créancier gagiste sans qu'il soit indispensable de recourir à
cette autre institution légale que constitue la compensation, au demeurant inappropriée.
277. L'inadéquation de la compensation pour expliquer la conservation du produit des
créances engagées par le créancier gagiste apparaît, de surcroît, plus clairement encore,
lorsque c'est un tiers, et non le débiteur de l'obligation garantie, qui a consenti à grever
ses créances. Dans ce cas, toute tentation s'abolit de voir se dénouer l'opération par
compensation, à défaut de réciprocité, apparaissant dès l'abord impossible, entre les
engagements respectifs des parties.
278. En réalité, aussi longtemps que le créancier gagiste exerce les prérogatives
spéciales que lui confère selon le cas, tantôt l'article 2081 du Code civil, tantôt l'article 3
alinéa 1er du livre Ier, titre VI du Code de commerce, la procédure de réalisation peut
lui rester étrangère. Elle ne devient utile, en principe, que lorsque les créances engagées
sont assorties d'un terme dépassant largement celui qui affecte l'obligation garantie. Le
créancier gagiste aura soin, objectera-t-on, d'éviter une telle distorsion lors de la
négociation du contrat de gage. Sans doute, mais, au cours de la vie de ce contrat, un
événement peut se produire, qui entraînera la déchéance du terme et l'exigibilité de la
créance garantie, sans altérer l'échéance des créances engagées. Dans ce cas,
l'autorisation judiciaire de réalisation n'est pas incongrue. On imagine mal certes le
recours à la vente aux enchères, mais en matière civile, à l'heure où la notation des
créances est en vogue, l'attribution au créancier gagiste après estimation faite par
experts, se conçoit; de même, en matière commerciale, que la cession de gré à gré, l'une
ou l'autre voies d'exécution devant être autorisées par justice. Ces procédures ne sont
toutefois nécessaires qu'en l'absence d'accord pour une attribution ou une cession
amiables de la part du constituant du gage ou de son ayant droit en la personne d'un
curateur de faillite par exemple. Il est admis, en effet, sans réserve, que ni l'article 2078
du Code civil ni l'article 10 du Livre Ier, Titre VI du Code de commerce n'interdisent
une clause contraire expresse des parties conclue postérieurement à la constitution du
gage266.
279. Enfin, sur le thème des distinctions entre le gage civil et le gage commercial, il est
une prérogative peu connue des prétoires, attribuée au premier, mais dénié au second:
celle que décrit l'article 2082 alinéa 2 du Code civil en ces termes: "S'il existait de la part
du même débiteur, envers le même créancier, une autre dette contractée postérieurement à la
mise en gage, et devenue exigible avant le paiement de la première dette, le créancier ne
pourra être tenu de se dessaisir du gage avant d'être entièrement payé de l'une et de l'autre
dettes, lors même qu'il n'y aurait eu aucune stipulation pour affecter le gage au paiement de la
seconde". Ce droit de rétention étendu pouvant être exercé, sans pouvoir de
266
T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, p. 155, n° 294.
92
réalisation267, pour une dette liant les parties au gage et venant s'insérer intégralement
dans la durée de l'obligation initialement garantie, ne trouve pas à s'appliquer lorsque
cette dette subséquente est elle-même assortie d'une sûreté268.
280. Relevons que le régime des créances correspondant aux « espèces » au sens de la
loi du 15 décembre 2004 relative aux sûretés financières, à savoir « les droits découlant de
fonds portés en compte quelle qu’en soit la devise, à l’exclusion de la monnaie fiduciaire ainsi
que les créances similaires ouvrant le droit à la restitution d’argent » (article 3, alinéa 1er-2° de
la loi sur les sûretés financières) est organisé par ladite loi. Dès lors, l’application des
articles 1328 et 2074 du Code civil est écartée, ce qui dispense, même en cas de gage
civil, de respecter les formalités propres à assurer la date certaine du contrat,
notamment par l’enregistrement de la convention (article 7 de la loi sur les sûretés
financières) et ce qui autorise le créancier gagiste, d’une part, à user du produit de la
créance, si la convention l’y autorise, même au cours de la période de latence (article 11
de la loi sur les sûretés financières) et, d’autre part, à procéder à l’imputation de ce
produit, en cas de défaut d’exécution, sans mise en demeure ni décision judiciaire
préalable, sur la créance garantie (article 8 de la loi sur les sûretés financières).
SECTION 2.
LES CRÉANCES QU’IL EST D’USAGE DE CONSTATER PAR
FACTURE
A.
Introduction
280. Par une loi du 25 octobre 1919, modifiée le 31 mars 1958, le 22 mars 1993 et le 6
juillet 1994, le législateur a entendu simplifier les conditions de la cession et de la mise en
gage des créances qu’il est d’usage de constater par une facture.
Le but de la loi était de fournir un moyen de crédit aux petits commerçants en leur
permettant de mobiliser leurs créances sans recourir pour autant au mécanisme
cambiaire, jugé parfois trop rigoureux ou inopportun.
Le législateur n’a donc pas voulu créer une nouvelle catégorie de titres négociables, mais
seulement abréger les formes prescrites pour rendre la cession de créance ou le gage
sur créance opposables aux tiers.
281. La facture doit comporter diverses mentions requises pour valoir véritablement
facture au sens de la loi. Il s’agit de la date, l’identité des parties, le prix de chaque
267
T'KINT, Sûretés et principes généraux du doit de poursuite des créanciers, p. 152, n° 288.
Cass. fr., 26 mai 1975, Bull. Civ. IV, n° 138; D. 1975, I.R. 180; CABRILLAC et MOULY, Droit des
sûretés, Litec 1990, p. 531, n° 677.
268
93
fourniture ou prestation et le montant de la facture, comme l’impose l’article 13 de la
loi.
La créance qu’elle constate peut être civile ou commerciale269.
282. Dans un but de protection du débiteur qui recourt à ce mode de garantie du
crédit, le créancier bénéficiaire de la cession ou du gage doit, tout comme le créancier
gagiste sur fonds de commerce, être initialement un établissement de crédit agréé dans
un Etat européen ou un établissement financier défini par arrêté royal (article 15 de la
loi).
B.
L’endossement
283. La cession ou la mise en gage de créances constatées par factures sont réalisées
par l’endossement en pleine propriété ou, moyennant une mention en ce sens, à titre
pignoratif. L’endossement doit mentionner le nom de l’endossataire (ce qui exclut les
endossements en blanc) et doit être daté et signé par l’endosseur, en vertu de l’article
14 de la loi. Les endossements successifs sont interdits par l’article 15 de la loi.
C.
L’opposabilité aux tiers
284. Selon l’article 16, alinéa 1er de la loi, l’endossement de la facture doit être notifié
au débiteur par un avis d’endossement écrit, mentionnant que, dès réception, le débiteur
ne peut plus se libérer valablement qu’entre les mains de l’endossataire.
285. A l’égard des tiers, le seul fait de l’endossement leur rend opposables la cession et
la mise en gage de la créance, ainsi que l’énonce l’article 16, alinéa 2 de la loi.
286. Le législateur a également rendu applicable à l’endossement de la facture les
régimes spéciaux de protection de certains créanciers prévus par l’article 1690, alinéas 3
et 4 du Code civil.
D.
Applications
287. L’endossement de factures semble n’avoir, jusqu’à tout récemment, joui que d’un
succès limité, pour différentes raisons (préférence donnée au mécanisme cambiaire,
269
VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd., n° 2571.
94
craintes des exceptions opposables, caractère jugé trop contraignant encore de la
notification, etc.). Les établissements de crédit paraissent n’y avoir eu recours que dans
des cas particuliers (difficultés de remboursement du crédité et garantie d’un certain
moratoire)270.
288. L’usage de la formalité de l’endossement pour opérer la transmission de créances
dans le cadre du contrat d’affacturage, semble néanmoins connaître un regain d’intérêt.
On sait cependant que le factor ne procède généralement pas à la notification de
l’endossement au débiteur cédé. Il se contente de lui adresser la facture cédée, munie
d’un papillon contenant la mention de l’endossement et l’invitation à se libérer entre les
mains du cessionnaire.
E.
L’interdiction des endossements successifs
289. L'on peut s'interroger sur le sens que conserve cette forme de cession ou de mise
en gage de créances, initialement conçue comme une simplification par rapport au
système de droit commun déposé aux articles 1690 et suivants anciens du Code civil. A
présent, céder ou engager une créance constatée par facture est devenu plus complexe
que la même opération, purement consensuelle, portant sur une créance non coulée en
cette forme. En outre, la liberté des parties se trouve limitée d'emblée par la nécessité
d'endosser les factures uniquement au profit d'établissements de crédit ou
d’établissements financiers définis par l'arrêté royal du 9 octobre 1995 renvoyant à la loi
du 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit.
290. Le seul avantage que l'on aperçoit pour les parties à se conformer à ces exigences,
réside sans doute dans la certitude qu'acquiert le cédant des factures que celles-ci
resteront entre les mains de leur premier cessionnaire, les endossements successifs
étant interdits.
F.
Les exceptions
291. La particularité de la technique examinée, requérant par définition l'établissement
d'une facture pour constater la créance à céder ou à nantir, entraîne-t-elle que seules les
créances nées puissent constituer l'assiette de telles opérations? Non, tranche la Cour
de cassation, dans une espèce où il était soutenu que l'absence de livraison avait
empêché la naissance de la créance, rendant ainsi impossible l'endossement valable de la
270
MOREAU-MARGRÈVE, C.D.V.A., 1983, p. 151.
95
facture, la Cour se fonde sur les motifs que toute créance professionnelle peut, par le
vœu de la loi, être cédée ou donnée en gage par endossement de facture, dès sa
naissance, même si son exigibilité est différée dans le temps et peut être suspendue par
le biais de l'exception d'inexécution271. Dans les circonstances de l'espèce, le débiteur
aurait pu invoquer l'exception d'inexécution, en se prévalant, malgré l'endossement, de la
jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle ladite exception est nécessairement
antérieure à la survenance de l'endossement puisqu'elle est inhérente par essence au
contrat synallagmatique272.
292. A cet égard, la Cour d'appel de Bruxelles a eu l'occasion de rappeler que
l'endossement ne peut conduire à une détérioration de la situation du débiteur de la
créance constatée par la facture endossée, de sorte qu'il conserve envers l'endossataire
toutes les exceptions dont il disposait envers l'endossateur, sans que son silence après
qu'il eut connaissance du fait de l'endossement, puisse être interprété comme une
renonciation à ses droits273.
293. L'endossement de la facture laisse également inchangés les droits que puisent le
Trésor et l'Office National de Sécurité Sociale respectivement dans l'article 299 bis du
Code des impôts sur les revenus (devenu article 400 du CIR 1992) et 30 bis § 7 de la loi
du 29 juin 1969 sur la sécurité sociale des travailleurs. Ces articles imposent au
cocontractant d'un entrepreneur, l'obligation d'effecteur des retenues sur les montants
facturés dès qu'intervient la radiation de l'enregistrement de celui-ci, sous peine d'être
rendu solidairement responsable du paiement des impôts et cotisations restant dus274.
C'est en ce sens que s'est prononcé le tribunal de commerce de Nivelles dans un
jugement du 6 février 1992275, en se fondant sur les motifs que l'entrepreneur ne peut
céder ou mettre en gage qu'une créance susceptible de réduction, l'endossement
n'emportant nulle novation.
294. De la même manière, la Cour d'appel de Mons estime qu'à la condition que le
contrat d'entreprise soit encore en cours d'exécution lors de la radiation de
l'enregistrement, même si c'est la faillite de l'entrepreneur qui a emporté cette
271
Cass., 21 avril 1994, J.L.M.B., 1994, p. 1238.
Cass., 13 septembre 1973, Pas., 1974, I, 30, notes; R.C.J.B., 1974, p. 352 et la note STENGERS,
« La compensation après faillite et l'exception d'inexécution opposée par le débiteur d'une
créance cédée »; R.W., 1973-1974, col. 997.
273
Bruxelles, 2 mars 1993, R.W., 1993-1994, pp. 52-53.
274
Voir notamment FLAMME et FLAMME, « L'enregistrement des entrepreneurs: un brevet –
précaire – d’honorabilité à l'égard du fisc et de la sécurité sociale », J.T., 1979, pp. 701 et 721;
Mons, 25 novembre 1992, J.L.M.B., 1994, p. 117, note LOUVEAU, Entrepreneurs non enregistrés:
moyens de défense et d'action du maître de l'ouvrage face à l'ONSS; ZENNER, Dépistage, faillites,
concordats, p. 280, n° 376.
275
Bull. Contr., 1994, pp. 128-134.
272
96
conséquence, il appartient au cocontractant d'opérer les retenues prévues par la loi et
de refuser dans cette mesure le paiement des montants facturés à l'endossataire. La
Cour considère à bon droit qu'en l'absence de novation, l'endossataire à titre pignoratif
ne peut prétendre à plus de droit que l'endosseur envers le débiteur276. Pour la même
raison, il est admis que l'action que l'endossataire d'une facture dirige contre le débiteur,
en exécution d'un contrat de transport est soumise à la courte prescription édictée en la
matière277.
CHAPITRE VII.
SECTION 1.
LE
GAGE
FINANCIERS
D’ESPECES
ET
D’INSTRUMENTS
GÉNÉRALITÉS
295. Les instruments financiers sont énumérés par l'article 2 de la loi du 2 août 2002
relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers. Il s'agit des
actions et autres valeurs assimilables à des actions, des obligations et autres titres de
créance négociables sur le marché des capitaux, de toutes autres valeurs habituellement
négociées permettant d'acquérir de tels instruments financiers par voie de souscription
ou d'échange ou donnant lieu à un règlement en espèces à l'exclusion des moyens de
paiement, des parts d'un organisme de placement collectif, des instruments
habituellement négociés sur le marché monétaire, des contrats financiers à terme
("futures"), y compris les instruments financiers équivalents donnant lieu à un règlement
en espèces, des contrats à terme sur taux d'intérêt (« forward rate agreements »), des
contrats d'échange ("swaps") sur taux d'intérêt, sur devises ou des contrats d'échange sur
des flux liés à des actions ou à des indices d'actions ("equity swap") et enfin, des options
permettant d'acheter ou de vendre tout instrument financier.
296. Quelle qu'en soit l'objet, l'instrument financier se réduit simplement à la
représentation d'un droit permettant soit d'exiger l'exécution d'une prestation
personnelle, soit de prétendre directement à la propriété d'un actif, soit de se prévaloir
de prérogatives consistant en la combinaison des deux.
297. En considération de ce qui précède, les règles appelées à gouverner la mise en
gage d'instruments financiers sont, selon le cas, à puiser dans le régime général du
276
277
Mons, 13 septembre 1993, Bull. Contr. 1995, pp. 1447-1456.
Comm. Liège, 18 juin 1979, J.L.., 1979, pp. 413-414.
97
nantissement de créances, de titres au porteur, de titres nominatifs ou de titres
dématérialisés.
Sur le fondement de ces règles générales, viennent s'ancrer de temps à autre, comme on
le verra, diverses dispositions particulières édictées par des législations spéciales, en
particulier la loi du 15 décembre 2004 relative aux sûretés financières et portant des
dispositions fiscales diverses en matière de conventions constitutives de sûretés réelles
et de prêts portant sur des instruments financiers278.
SECTION 2.
A.
LES TITRES NOMINATIFS
Principes
298. L'article 504, alinéa 1er du Code des sociétés, relatif à la cession d'actions
nominatives et appliqué par analogie au nantissement de tels biens, prévoyait jusqu’il y a
peu que « La cession des titres nominatifs s'opère par une déclaration de transfert inscrite sur
le registre relatif à ces titres, datée et signée par le cédant et le cessionnaire ou par leurs fondés
de pouvoir, ainsi que conformément aux règles relatives à la cession de créance établies par
l'article 1690 du Code civil. Il est loisible à la société d'accepter et d'inscrire sur le registre un
transfert qui serait constaté par la correspondance ou d'autres documents établissant l'accord
du cédant et du cessionnaire »279.
299. Sur le fondement de ce texte, il était généralement admis que le nantissement
d'actions nominatives naissait de l'accord pignoratif accompagné, pour accomplir la
tradition symbolique des biens grevés, d'une inscription au registre des actionnaires ou
d'une signification à la société concernée280. Certains auteurs préconisaient également,
comme équivalent à la remise du titre constatant une créance, la transmission des
certificats relatant les inscriptions281. Au premier abord, on pouvait croire ces principes
inchangés, l'article 2075 nouveau du Code civil ne visant de manière expresse que les
créances ordinaires, à l'exclusion dès lors des autres droits incorporels soumis à des
régimes spéciaux.
278
M.B., 1er février 2005.
Voir pour ce qui concerne les titres représentatifs du capital social de sociétés ayant reçu une
forme autre que celle de la société anonyme : articles 235 et 465 du Code des sociétés.
280
T'KINT et GODIN, Les sociétés coopératives, p. 189; RONSE, “Handelspand op schuldvorderingen
zonder afgifte van een titel”, in Liber Amicorum Fredericq, p. 38; VAN HILLE, Aandelen en obligaties in
het Belgisch recht, p. 693.
281
RESTEAU, Sociétés anonyme", p. 422; R.P.D.B., V° Sociétés anonymes, n° 546.
279
98
La référence à l'article 1690 du Code civil, qui était contenue dans l'article 504, alinéa 1er
du Code des sociétés, emportait cependant une nouveauté indirecte, mais fondamentale:
désormais, la cession – et par analogie, le nantissement – pouvaient être considérés
comme valablement conclus et rendus opposables aux tiers solo consensu, seul le
débiteur (en l'occurrence la société) devant être le destinataire d'une notification ou
auteur d'une reconnaissance pour que les droits des cessionnaires ou des créanciers
gagistes existent à son égard, ou en cas de pluralité de cessions ou de gages, pour qu'un
ordre de préférence se dessine entre eux, considérant l'inscription au registre des
actionnaires comme remplaçant la notification ou la reconnaissance282.
300. Quoi qu'il en soit, une fois le nantissement reconnu par ou notifié à la société, si
c'est cette voie qui est choisie, la réalisation de l'inscription au registre des actionnaires
constituait une obligation pour les organes, créant ainsi de surcroît un mode de preuve
de la portée et de la date des droits du créancier gagiste283.
301. Cette situation a été modifiée par la loi du 14 décembre 2005 portant suppression
des titres au porteur284. Désormais, l’article 504 du Code des sociétés dispose que « La
cession des titres nominatifs s’opère par une déclaration de transfert dans le registre relatif à
ces titres, datée et signée par le cédant et le cessionnaire ou par leurs fondés de pouvoir. Si le
registre est tenu sous la forme électronique, la déclaration de transfert peut prendre la forme
électronique et être revêtue d’une signature électronique avancée réalisée sur la base d’un
certificat qualifié attestant de l’identité du cédant et du cessionnaire et conçue au moyen d’un
dispositif sécurisé de création de signature électronique, en conformité avec la législation
applicable ».
Telles sont désormais les conditions de formation et d’opposabilité du gage.
B.
Restrictions à la négociabilité
301. Le gage ne s'identifiant pas à une cession, les diverses restrictions légales ou
statutaires apportées à la négociabilité de parts sociales n'empêchent, en principe,
282
Voir BLUMBERG et VAN LANCKER, “De totstandkoming en de tegenwerpel lijkheid van de
inpandgeving van aandelen op naam”, T.R.V., 1995, pp. 445-465; M.E. STORME, "Overdracht van de
roerende goederen, vestiging van pandrecht, eigendomsvoorbehoud: een poging tot
systematisatie", in Zakenrecht, absoluut niet een rustig bezit, 1992, p. 472.
283
GRÉGOIRE, « De l'influence du nouveau droit commun de la cession et de la mise en gage des
créances sur la mise en oeuvre des lois spéciales de droit financier et de droit du crédit" in La
cession de créance, J.B., 1995, p. 105.
284
M.B., 6 février 2006.
99
nullement en elles-mêmes la constitution d'un gage285. Il demeure toutefois que l'entrave
mise à la liberté de cession est de nature à réduire le cas échéant la valeur économique
réelle de la garantie, si la réalisation forcée s'impose un jour, le nombre des acquéreurs
possibles pouvant se révéler très faible. A cet égard, la distinction à opérer est la
suivante : les restrictions purement conventionnelles, au contraire, telles celles issues
d’un pacte de préemption conclu entre actionnaires, ne sauraient lier le créancier
gagiste, qui y est tiers, sous la réserve de l’application des règles régissant la tierce
complicité.
302. Certes, si l’exécution forcée du gage consenti par un actionnaire signataire d’un
pacte emportant une restriction à la cessibilité de ses actions, conduit à un résultat
proscrit par le pacte, cet actionnaire constituant un gage, verra sa responsabilité
contractuelle recherchée par ses co-actionnaires. Cette conséquence n’est toutefois pas
en soi de nature à modifier les prérogatives du créancier gagiste.
SECTION 3.
A.
LES TITRES AU PORTEUR
Principes
303. Signalons d’emblée la publication au Moniteur belge du 23 décembre 2005 de la loi
du 14 décembre 2005 portant suppression des titres au porteur prévoyant qu’à partir du
1er janvier 2008, les titres ne peuvent être émis que sous la forme nominative ou
dématérialisée. A partir du 1er janvier 2008, les titres au porteur inscrits en comptetitres, ainsi que les titres au porteur émis à l’étranger, soumis à un droit étranger, ou
émis par un émetteur étranger ne peuvent faire l’objet d’une délivrance physique en
Belgique. Ces titres seront de plein droit convertis en titres dématérialisés. Bien
entendu, à tout moment, les actionnaires peuvent demander la conversion en titres
nominatifs, conformément à l’article 462 du Code des sociétés.
304. Le régime régissant le nantissement de titres au porteur est constant : assimilé
traditionnellement à des meubles corporels, ces biens sont engagés, tant entre parties
qu'à l'égard des tiers, par la tradition physique qu'en fait leur propriétaire, entre les
mains du créancier gagiste ou d'un tiers convenu286. Pour cette raison, c'est à l'occasion
de litiges survenant dans le cadre de la mise en gage de titres au porteur que les cours et
285
Voir PEETERS, “Aandelen van een coöperatieve vennootschap kunnen in pand worden gegeven",
T.R.V. 1990, pp. 437-443; Comp. notamment: VAN HULLE, HOFKENS et VAN HULLE, De Coöperatieve
vennootchap, 1989, p. 151.
286
T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, p. 137, n° 253.
100
tribunaux distillent le plus volontiers la conception qu'ils se font du gage sur meubles
corporels en général.
B.
La dépossession
306. Conformément aux principes généraux relatifs à la possession ou à la quasipossession, celle du créancier gagiste ne lui assure valablement la constitution, le
maintien et la protection de ses droits que si sont remplies les exigences édictées par les
articles 2229 et 2279 du Code civil. Selon ces exigences, la quasi-possession du créancier
doit donc naître et s'exercer de bonne foi, en restant continue, non interrompue,
paisible, publique, non équivoque et à titre de créancier gagiste.
307. N'est pas fondé, dès lors, à invoquer le bénéfice de l'article 2279 du Code civil,
pour s'opposer à la restitution au tiers propriétaire, de titres et valeurs mobilières qui lui
ont été remis en gage, le créancier gagiste qui, en raison de sa négligence et du doute
circonstancié qu'il devait éprouver en la cause, ne pouvait légitimement considérer les
titres et valeurs comme lui ayant été régulièrement nantis, ni le tiers propriétaire comme
le véritable constituant du gage. En l'espèce, la banque ayant reçu en gage les titres et
valeurs au porteur, avait tenté devant les juges du fond une défense en deux volets:
d'une part, le constituant du gage s'étant révélé démuni de tout droit sur les titres et
valeurs remis en gage, la banque croyait pouvoir rattacher l'intervention de celui-ci à une
prétendue convention de prête-nom; elle invoquait le droit, conféré par l'article 1321 du
Code civil, de mettre au jour la convention réelle en écartant l'acte ostensible. Selon
cette première analyse, les véritables propriétaires devenaient, après dissipation des
apparences, les constituants du gage, de sorte qu'en vertu de la convention de gage, la
restitution des biens grevés ne pouvait être ordonnée avant le paiement complet de la
créance garantie. D'autre part, la banque soutenait qu'à s'en tenir aux apparences, les
véritables propriétaires étaient restés tiers par rapport à la convention de gage, en
manière telle que la possession des titres et valeurs en tant que créancier gagiste était
de nature à garantir l'entier respect de ses prérogatives, sur la base de l'article 2279 du
Code civil.
L'une et l'autre de ces analyses avaient été rejetées tant en première instance qu'en
appel, aux motifs, d'une part, que les véritables propriétaires ne pouvaient légitimement
être considérés comme constituants du gage – ce qui conduisait au rejet du moyen
déduit de la simulation – et que, d'autre part, le "doute circonstancié" qu'avait dû ressentir
la banque lors de la constitution du gage par un non verus dominus la privait du droit de
se prévaloir de l'article 2279 du Code civil.
101
Par son arrêt du 17 octobre 1984, la Cour de cassation rejette le pourvoi critiquant
cette analyse aux motifs que les considérations précitées, qu'elle approuve, justifient la
décision au regard de l'article 2279 du Code civil287.
308. Rien n'interdit que la quasi-possession du créancier gagiste s'exerce à
l'intervention d'un tiers convenu. Dans ce cas, ce dernier est investi de la double mission
d'exercer les prérogatives de l'une et l'autre parties au contrat de gage. Ainsi, son
investiture permet de garantir que le créancier gagiste n'abusera pas du gage, ou ne le
réalisera pas sans autorisation de justice288. De la sorte, le tiers convenu exerce en
définitive le droit de contrôle que conserve le constituant du gage en qualité de
propriétaire. Par ailleurs, le tiers convenu garde la sûreté, comme le ferait son
bénéficiaire. Par ces deux aspects de sa mission, le tiers convenu est à la fois possesseur
pro alio (pour le constituant du gage) et quasi-possesseur pro alio (pour le bénéficiaire
du gage), cette situation n'entraînant aucunement la consolidation des droits réels
concernés, car c'est purement d'exercice de ces droits qu'il s'agit et non de ces droits
eux-mêmes. C'est en ce sens que s'est prononcé à juste titre le tribunal de commerce de
Mons, dans un jugement du 1er septembre 1986289. En l'espèce, des titres avaient été
placés, pour servir de garantie à une obligation principale, sur un compte tenu par une
banque, ouvert au nom de leur propriétaire, mais bloqué en ses livres. Le compte, en
effet, ne pouvait fonctionner que sous la signature conjointe des deux parties au contrat
jusqu'au paiement total de l'obligation principale. Après la faillite du propriétaire des
titres ainsi conservés, le curateur en revendiqua la pleine propriété et contesta tout
privilège au créancier. Le tribunal analyse l'opération en un gage, en se fondant sur les
considérations convaincantes que la remise des titres, selon les modalités indiquées,
entre les mains d'un tiers convenu (la banque) et leur dépôt sur un compte bloqué ne
pouvant fonctionner que sous la signature conjointe des deux parties, en a dessaisi leur
propriétaire, de manière réelle, ostensible, exclusive et non équivoque, de façon qu'ils ne
puissent plus être considérés comme faisant partie sans réserve de son patrimoine, que
le propriétaire des titres ne puisse plus en disposer et que les tiers soient avertis qu'ils
n'ont plus à compter sur ce bien comme faisant partie de son actif libre. Le tribunal
ajoute, analysant de manière précise l'impact de l'intervention d'un tiers convenu, que
"les notions de possession et de propriété ne doivent pas être confondues; qu'en conséquence,
n'est pas inconciliable avec la notion de gage, la stipulation suivant laquelle (les titres seront
déposés) à un compte ouvert au nom et au profit du débiteur, cette stipulation n'ayant pour but
que de rappeler que (les titres resteraient) sa propriété; que ne l'est pas non plus, l'impossibilité
pour le créancier de disposer du gage (ce qui lui est d'ailleurs interdit par l'article 2078 du Code
civil), ni même l'impossibilité de contraindre la banque à le lui délivrer à sa seule diligence et
287
Cass., 17 octobre 1984, Pas. 1985, I, p. 244.
MOREAU-MARGRÈVE, « Evolution du droit et de la pratique en matière de sûretés » in Les
créanciers et le droit de la faillite, C.D.V.A., 1983, p. 135.
289
J.L.M.B., 1987, pp. 879-881; R.D.C.B., 1987, pp. 805-808.
288
102
sans le consentement préalable du débiteur, puisque la mise en possession du seul tiers convenu
est suffisante pour que le gage puisse exister (article 2078 du Code civil); que si ce dernier
mode de création du gage n'était valable que moyennant la possibilité du créancier de se faire
attribuer la possession de la chose quand bon lui semble, celui-ci ne répondrait d'ailleurs pas à
une de ses principales utilités, à savoir d'éviter que le créancier gagiste ne fasse fi de
l'interdiction qui est la sienne de disposer du gage sans autorisation de justice". Ce jugement
doit être entièrement approuvé.
309. Un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles du 15 juin 2001290 rappelle que la
tradition demeure une condition à laquelle sont soumises tant la validité que
l’opposabilité d’un gage. Dans une affaire où des titres avaient été déposés sur un
compte ouvert au nom exclusif de la société débitrice et propriétaire sans aucune
indication de la mise en gage prétendument consentie à la banque, celle-ci est considérée
comme une simple détentrice pour compte de la société et ne peut opposer une sûreté
au curateur à la faillite de cette dernière.
C.
Le supplément de gage
310. Il est fréquent que les conventions d'affectation de titres en gage prévoient qu'en
cas de diminution de la valeur totale de la garantie, le créancier gagiste (généralement
une banque), réclame un supplément de gage au débiteur constituant, ou même se
réserve le droit d'affecter en nantissement, des titres appartenant à ce dernier, dont le
créancier gagiste serait dépositaire par ailleurs. Ainsi, dans une affaire soumise au tribunal
de commerce de Bruxelles, une banque avait consenti une avance à terme fixe, garantie
par le gage de titres au porteur déposés en un compte spécial. La convention de
nantissement comportait une clause disposant que "Dans le cas où il y aurait une
modification de la composition du gage, les valeurs nouvelles déposées formeront avec celles
remises précédemment, un gage unique et indivisible et seront affectées à la sûreté des
engagements de la (société débitrice)" et une autre énonçant que "Dès que la valeur du gage
devient inférieure à 140% du montant de l'ouverture de crédit octroyée par la banque, (la
société débitrice) s'engage à remettre à la banque à première demande que celle-ci lui
adressera par simple lettre, tout supplément de nantissement en titres officiellement cotés en
Belgique et à la convenance de la banque". Comme la dépréciation des titres mis en gage se
produisit, la banque affecta d'initiative certains titres se trouvant entre ses mains, en
garantie de ses créances envers la société débitrice, et en avisa celle-ci, qui ne protesta
pas immédiatement. Toutefois, la société débitrice fut par la suite déclarée en faillite et le
curateur contesta le nantissement au motif qu'il avait été constitué en période suspecte.
Par jugement du 4 février 1997, le tribunal de commerce fit droit à cette thèse, en se
fondant sur trois ordres de motifs: (1) les titres concernés, étant au porteur, doivent
290
J.L.M.B., 2002, p. 838.
103
être traités comme des meubles corporels dont l'engagement suppose la remise
matérielle; (2) le gage de ces titres prend date lors de leur affectation au compte ouvert
spécialement pour loger la sûreté, et non lors de la conclusion de la convention de
nantissement, en dépit de la clause d'unicité et d'indivisibilité impuissante à conférer au
gage une date de naissance antérieure à celle de la tradition; (3) la naissance du gage
supplémentaire en période suspecte pour garantir des dettes antérieurement
contractées a pour effet de le rendre inopposable au curateur à la faillite du constituant.
311. Cette décision pouvait être approuvée à l’époque, car le droit pour le créancier
gagiste d'exiger que lui soient remis un supplément de gage dans certaines conditions ne
pouvait être analysé que comme le pendant d'une promesse de gage pesant sur le
constituant, lorsque les biens à nantir en supplément sont de nature corporelle.
312. Il fallait, déjà alors, rester attentif toutefois à la possibilité dont disposent toujours
les parties de modifier conventionnellement le caractère de certains biens non fongibles
pour en faire des biens fongibles.
Il n'existe pas, en effet, de biens non interchangeables par essence. Les parties peuvent
convenir à cet égard de déroger à la nature des choses. En particulier, il arrive
fréquemment que des titres au porteur soient envisagés par les parties à un contrat de
gage soit uniquement en fonction de leur quantité et de leur qualité, soit en fonction de
ces critères auxquels vient s'ajouter celui de leur identité. Ce n'est que dans le second
cas que les règles applicables sont sans conteste celles du nantissement de meubles
corporels rappelées ci-dessus. Dans le premier cas, en revanche, une analogie entre le
gage sur biens fongibles par nature ou par convention, et le gage sur créances pourrait
être envisagée.
Il pourrait être soutenu dans cette hypothèse en effet que l'assiette du gage sur biens
fongibles ne serait plus formée par les biens eux-mêmes, mais par une créance de
restitution de biens d'une quantité et d'une qualité équivalentes, figurant dans le
patrimoine du constituant à l'encontre du gagiste pour le cas où l'obligation garantie est
exécutée totalement.
Selon cette analyse, l'objet du gage serait représenté par une créance que le constituant
possède contre le gagiste lui-même, sur lequel ce dernier pourrait invoquer un droit de
préférence en cas d'inexécution de l'obligation principale, à l'instar du phénomène
qu'entraîne un gage sur compte constitué au profit du banquier apériteur de ce compte.
Partant, l'importance fondamentale attachée à la tradition physique et à la dépossession
matérielle dans le cadre d'un gage sur species, perdrait sa justification, et il deviendrait de
la sorte possible d'admettre la fiction prévue pour les créances par le nouvel article 2075
104
du Code civil, à savoir que la mise en possession résulte de la seule conclusion de la
convention291.
313. En toutes hypothèses, désormais, les appels de marge, définis comme « les
instruments financiers ou espèces fournis en garantie ou transférés dans le cadre d’une
convention constitutive de sûreté réelle en vue d’assurer en cours de contrat l’équilibre convenu
entre les prestations des parties ou des parties à l’engagement garanti, soit pour une opération
déterminée, soit pour tout ou partie de leurs opérations » (article 3-9° de la loi du 15
décembre 2004 sur les sûretés financières) sont autorisés par l’article 7 §2 de la même
loi, qui dispose que « les appels de marge ainsi que les instruments financiers équivalents ou
espèces substitués en cours de contrat aux avoirs constituant initialement l’assiette suivent le
même régime que ces avoirs remis initialement à titre de gage, sans application des restrictions
propres à la période suspecte » (article 15 dernier alinéa de la loi sur les sûretés
financières).
SECTION 4.
A.
LES TITRES DÉMATÉRIALISÉS
Principes
313. Aux termes de l'article 460 alinéa 2 du Code des sociétés, les titres émis par une
société anonyme "sont nominatifs, au porteur ou dématérialisés".
Cette dernière forme est décrite à l'article 468 du même code: il s'agit d'un titre
"représenté par une inscription en compte au nom de son propriétaire ou de son détenteur
auprès d'un établissement agréé chargé de tenir les comptes, ci-après dénommé teneur de
comptes agréé". L'alinéa 2 poursuit en précisant que "Le titre inscrit en compte se transmet
par virement de compte à compte" et l'alinéa 4 ajoute enfin que "le nombre de titres
dématérialisés en circulation à tout moment est inscrit, par catégorie de titres, dans le registre
des titres nominatifs au nom de l'organisme de liquidation"292.
314. Inséré dans l’article précité par la loi du 15 décembre 2004 relative aux sûretés
financières et portant des dispositions fiscales diverses en matière de conventions
constitutives de sûretés réelles et de prêts portant sur des instruments financiers (M.B.
1er févier 2005), un alinéa supplémentaire énonce que « L’inscription de titres en compte
confère un droit de copropriété, de nature incorporelle, sur l’universalité des titres de même
291
Voyez sur l'inadaptation de la notion de tradition et de dépossession s'agissant du gage de
meubles incorporels, T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, pp.
136-137, n° 256.
292
Voir BOURS, HAMER, HERMANT et RENARD, Le nouveau droit des sociétés, pp. 150 à 157.
105
catégorie inscrits au nom de l'organisme de liquidation dans le registre des titres nominatifs
(…) ».
B.
La dépossession
315. Le nantissement de tels titres est spécialement réglementé par la loi, en particulier
par les articles 469 et 470 du Code des sociétés. Si, en principe, l'organisme teneur de
compte doit maintenir les valeurs dématérialisées détenues pour le compte de tiers et
pour son compte propre sur des comptes distincts ouverts auprès de l'organisme de
liquidation ou auprès d'un établissement agissant comme intermédiaire entre lui et
l'établissement de liquidation, cette règle est écartée lorsqu'un organisme teneur du
compte confère un gage sur des actions dématérialisées lui appartenant au profit d'un
autre organisme teneur de compte. Dans ce cas, c'est dans les comptes de ce dernier
que les actions dématérialisées engagées doivent être inscrites.
316. En dehors de cette hypothèse spécifique, la constitution d'un gage civil ou
commercial sur des valeurs dématérialisées se réalise valablement par l'inscription de ces
valeurs à un compte spécial ouvert chez un teneur de compte au nom d'une personne à
convenir. Le gage ainsi constitué est opposable aux tiers sans autre formalité. Le régime
applicable aux titres dématérialisés apparaît donc comme étant dérogatoire aux règles
régissant d'une manière générale les titres au porteur. Il est pourtant admis en droit
français que l'inscription en compte et le virement de compte à compte constituait une
forme de dessaisissement assimilable au don manuel, notamment d'un point de vue
fiscal293.
317. L’article 470 du Code des sociétés est complété, enfin, par un alinéa prévoyant
que « Le constituant du gage est présumé être propriétaire des valeurs mobilières
dématérialisées données en gage. La validité du gage n’est pas affectée par l’absence de droit
de propriété du constituant du gage sur les valeurs mobilières dématérialisées remises en gage.
Si le constituant du gage a averti le créancier gagiste, au préalable et par écrit, qu’il n’est pas le
propriétaire des valeurs mobilières dématérialisées données en gage, la validité du gage est
subordonnée à l’autorisation du propriétaire de ces valeurs mobilières de la donner en gage ».
318. L'on peut s'interroger sur la portée des termes "personne à convenir" visée par la
disposition précitée. Cette personne peut-elle être le constituant du gage lui-même, ou
doit-elle être nécessairement le créancier gagiste ou son mandataire pour que soit
satisfaite l'exigence de la dépossession requise normalement pour la constitution d'un
gage ?
293
Cass. fr., 19 mai 1998, Dall. Affaires, 1998, p. 1219.
106
319. A la lecture de la doctrine spécialisée, l'on constate qu'il est généralement admis
que les valeurs mises en gage peuvent être inscrites à un compte spécial ouvert au nom
du constituant du gage294. En effet, pour autant que le compte spécial soit clairement
identifié comme étant gagé au profit du créancier, les valeurs données en gage échappent
à la libre disposition du constituant en sorte que la dépossession se trouve ainsi réalisée
à suffisance295.
320. Cette analyse doit être approuvée et est même confortée, selon nous, au regard
des développements récents en matière de mise en gage d'un compte en banque.
Rompant, en effet, avec la tradition, la doctrine et la jurisprudence actuelles admettent
l'opposabilité aux tiers du gage ayant pour objet le solde créditeur d'un compte ouvert
et maintenu au nom du débiteur pour autant qu'il soit "bloqué", c'est-à-dire qu'il soit fait
clairement mention de la mise en gage du compte en question dans les livres de la
banque296.
321. Ainsi le gage sur titres dématérialisés est valablement formé et opposable aux tiers
par la seule inscription des valeurs mobilières mises en gage à un compte spécial ouvert
chez un teneur de compte. La législation belge n'impose donc pas, à l'instar notamment
de la déclaration de gage exigée par la législation française, la constitution d'un écrit
comme formalité supplémentaire de constitution du gage297.
C.
Le remplacement des titres
322. Les parties à un contrat de gage sur titres dématérialisés peuvent valablement
convenir que les titres mis en gage pourront être remplacés par d'autres, de manière à
ce que le constituant du gage puisse continuer de disposer des titres en question
nonobstant la sûreté.
294
TISON, "De uitgifte van gedematerialiseerde vennootschapseffecten. Bemerkingen bij de wet
van 7 april 1995" in Het gewijzigde vennootschapsrecht , 1995, p. 257; VAN DER HAEGEN, “La loi du 7
avril 1995 sur les titres dématérialisés : Régime des actions et obligations dématérialisées émises
par les sociétés anonymes de droit belge”, R.P.S., 1996, p. 28; SUNT, "Dematerialisatie van
vennootschapseffecten”, in De gewijzigde vennootschapswet 1995, p. 461; TYTECA, "De
dematerialisatie van aandelen en obligatie" in De nieuwe vennootschapswetten van 7 en 13 april
1995, p. 75.
295
VAN DER HAEGHEN, ibidem.
296
Article 7 de l’Arrêté royal du 27 janvier 2004 portant coordination de l’arrêté royal n° 62 du
10 novembre 1967 favorisant la circulation des instruments financiers ; Voy. T’KINT,
"L'engagement des créances", Mélanges offerts à Pierre Van Ommeslaghe, 2000, p. 289; A.M.
STRANART, op.cit., Jeune Barreau, 1992, p. 87.
297
J. TYTECA, op.cit., p. 76; Ph. HAMER, "Les titres dématérialisés", in Le nouveau droit des sociétés.
La réforme de 1995, p. 155, n°52.
107
323. En effet, d’une part, une telle faculté est conforme à la nature même des biens mis
en gage.
Négociables par nature, les titres dématérialisés sont fongibles et destinés à circuler. La
raison d'être de la mise en place du système dit de "fongibilité" est d'ailleurs de permettre
une circulation rapide et aisée de ces titres. C'est également ce souci d’éviter que la
circulation des titres soit entravée qui justifie l'interdiction d'une saisie-arrêt des
comptes titres ouverts auprès de l'organisme de liquidation (articles 11 de l'AR du 10
novembre 1967, 472 du Code des sociétés et 10 de la loi du 2 janvier 1991 relative au
marché des titres de la dette publique et aux instruments de la politique monétaire)298.
L'intention du législateur a toujours été clairement d’éviter un gel des titres soumis au
régime spécial ainsi organisé. Cette intention est très clairement réaffirmée par la loi du
15 décembre 2005, relative aux sûretés financières.
324. D’autre part, une telle faculté ne saurait être critiquée au regard des règles de
validité et d’opposabilité du gage puisqu’en la matière, la loi299 ne requiert comme seule
formalité de constitution et d’opposabilité du gage que l’inscription des titres à un
compte spécial ouvert chez un teneur de compte.
Dans une telle hypothèse, l’assiette du gage n'est pas constituée des titres initialement
remis en gage, mais des titres qui forment, à tout moment, le solde créditeur du compte
titres gagé.
325. Les conventions par lesquelles les parties prévoient que le constituant du gage
pourra substituer d'autres titres aux titres initialement déposés au sein d'un compte gagé
ont d'ailleurs toujours été fréquentes dans la pratique300, avec pour conséquence que le
compte en question peut évoluer en fonction des ventes et acquisitions effectuées par le
constituant du gage.
D.
La procédure d’exécution
298
Voy. le Rapport au roi précédant l'arrêté royal n°62 du 10 novembre 1967, Pasin., 1967, p.
1321 et l'exposé des motifs de la loi du 7 avril 1995 modifiant les lois coordonnées sur les
sociétés commerciales et l’arrêté royal n°62 du 10 novembre 1967 (Doc. Parl., Sénat, (1994-1995),
1321-1, p. 12).
299
Voy. les articles 5 de l’arrêté royal n° 62 du 10 novembre 1967, 7 de la loi du 2 janvier 1991
relative au marché des titres de la dette publique et aux instruments de la politique monétaire et
470 du Code des sociétés .
300
Voy. WINANDY, « La mise en gage de comptes bancaires, de comptes titres et de titres
dématérialisés », in Le point sur le droit des sûretés, CUP, 2000, p. 176, n° 60.
108
326. Aux termes de l’article 8 de la loi du 15 décembre 2004, la réalisation forcée du
gage sur instruments financiers est singulièrement simplifiée. Il prévoir que « sauf
stipulation contraire des parties, en cas de défaut d’exécution, le créancier gagiste est autorisé à
réaliser, sans mise en demeure ni décision judiciaire préalable, les instruments financiers faisant
l’objet du gage, dans les meilleurs délais possibles, nonobstant une procédure d’insolvabilité, la
saisie ou toute situation de concours entre créanciers du débiteur ou du tiers constituant du
gage. L produit de la réalisation de ces instruments financiers est imputé, conformément à
l’article 1254 du Code civil, sur la créance en principal, intérêts et frais du créancier gagiste. Le
solde éventuel revient au débiteur gagiste ou, selon le cas, au tiers constituant du gage ».
327. Conséquence de la fongibilité des instruments financiers formant l’assiette de la
garantie, les parties peuvent convenir de ce que le créancier utilise « de quelque manière
que ce soit, comme s’il en était propriétaire, les instruments financiers donnés en gage à charge
pour lui de substituer, au plus tard, pour la date d’exigibilité de la dette garantie, des
instruments financiers équivalents à) ceux originellement donnés en gage. (…) Au plus tard, à la
date d’exigibilité de la dette garantie, le créancier gagiste substitue aux instruments financiers
équivalents, ou, dans la mesure où les parties en sont convenues en ce qui concerne l’évaluation
des instruments financiers engagés et de la dette garantie. Le solde éventuel revient au débiteur
gagiste ou, selon le cas, au tiers constituant du gage » (article 11 de la loi du 15 décembre
2004).
CHAPITRE VIII.
SECTION 1.
LE GAGE DE DROITS INTELLECTUELS
ARTICLE 46 DE LA LOI DU 28 MARS 1984
328. Au-delà du droit commun du gage, civil ou commercial en fonction de la nature de
l’obligation garantie, une formalité particulière est pévue par l’article 46 de la loi du 28
mars 1984 sur les brevets d’invention : comme la saisie (article 47) et l’usufruit (article
46), la mise en gage d’une demande de brevet ou d’un brevet doit être notifiée à l’Office
de la propriété industrielle auprès du Ministère des affaires économiques.
329. Les droits, notamment de gage, acquis par des tiers sur une demande de brevet
conservent leurs effets à l’égard du brevet obtenu sur cette demande (article 48).
SECTION 2.
ARTICLE 11-C ET 15 A DE LA LOI UNIFORME SUR LES
MARQUES
109
330. La cession du droit exclusif à la marque n’est opposable aux tiers qu’après
l’enregistrement de l’acte qui la constate ou d’une déclaration signée par les parties
intéressées au Bureau Benelux ou au Bureau International pour la protection de la
propriété industrielle.
331. Cette règle est applicable au gage (article 11-C).
332. En cas de gage portant sur la marque, la radiation de son enregistrement ne peut
être obtenue que de l’accord conjoint du propriétaire et du créancier gagiste (article
15A).
SECTION 3.
LE GAGE PORTANT SUR LE DROIT D’AUTEUR RELATIF A UN
PROGRAMME INFORMATIQUE
332. Les droits pécuniaires résultant de l’invocation d’un droit d’auteur peuvent être
mis en gage comme toute créance ordinaire.
333. S’agissant en particulier d’un droit d’auteur portant sur un programme
informatique, la Directive 91/250 du 14 mai 1991 concernant la protection des
programmes informatiques a rangé ce type de prérogative dans le champ d’application de
la protection des droits d’auteur.
A ce titre, ces droits peuvent être mis en gage également comme des créances
ordinaires301.
301
STRUELENS, “Pandovereenkomsten op computerprogramma’s en databanken – Een zakelijke
zekerheidsovereenkomst toegepast op enkele intellectuele rechten”, I.K.D.E., 2002, pp. 6 et ss.
110