Association et démocratie
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Association et démocratie
Association et démocratie Quel rôle les associations jouent-elles dans la démocratie ? Le développement d’une « société civile » est-il possible ? « Vues du don », ces questions trouveront des éléments de réponse dans ce débat autour de l’un des animateurs du Mauss (Mouvement Anti-Utilitariste en Sciences Sociales). Intervenant : Philippe Chanial, maître de conférences en sociologie à l’Université Paris-Dauphine, secrétaire de la Revue du MAUSS Animateur: Florian Prussak, président d'Animafac La conférence s'articule autour de trois thèmes: Démocratie, Don et association Ces trois termes sont pensés comme étant imbriqués les uns aux autres: l'association c'est du don et le don c'est la démocratie Signification politique des associations Les associations semblent dépourvues d'épaisseur politique souvent comme des pavillons de complaisance dans lesquelles on peut mettre les sujets les plus variés. On a le sentiment d'une absence de spécificité, de qualité propre à l'association. On peut le comprendre dans le contexte actuel d'une extrême banalisation du fait associatif: Pourquoi: le fait associatif est extrêmement en dilué (60 000 associations se créent chaque année) plus les associations se développent et plus ça devient banal. Les associations sont saturées de discours vertueux au sens où on les appelle à guérir l'ensemble des maux de la société contemporaine. Cette banalisation est en lien avec l'histoire. Elle se rapporte avec l'institutionnalisation des associations avec la loi de 1901 qui légalise les associations. Toutes les lois qui consacrent le fait associatif participe au refroidissement d'une expérimentation associative. Paradoxalement, ces lois viennent refroidir toute l’ébullition associative venue du sein même de la société civile. La vague d'enthousiasme associatif en 1970 après les événements de 68. ce mouvement a été interrompu par l'accession de la gauche au pouvoir en 1981 en absorbant ces nouvelles émulsions associatives. Les associations ne constituent peut-être que des instruments de régulation sociale qui agirait en osmose avec l'État et le marché. Elles n'auraient alors pas de qualités spécifiques propres et seraient des quasi-administrations, des quasi-entreprises. La question est donc de savoir si on doit se satisfaire de cette banalisation. Non, il ne faut pas se résoudre à cette banalisation. Il y a de fait un épuisement de la force utopique de l'association. Néanmoins, Il faut être attentif au renouveau (les mouvements de jeunes, alter mondialiste etc.) La thèse défendue est la suivante: l'association est plus que l'association. Ce n'est pas un simple regroupement de personne, d'intérêt, d'envie même si souvent c'est beaucoup moins que cela. Idéaliser la singularité de l'association, pour mieux comprendre ce qu'est l'association 4 directions: L'association est un type de rapport social singulier, une solidarité volontaire, une réciprocité égalitaire à distinguer de la relation de pouvoir, relation marchande, lien communautaire C'est un type de rapport social particulier, un lien avec des proches mais en même temps des étrangers. L'association désigne un acteur politique fondamental. On a souvent tendance à réduire la démocratie aux droits de l'homme et au suffrage universel. La force de l'association est liée à l'expérience démocratique. L'association est un modèle démocratique. On y retrouve l'idéal de la démocratie : se gouverner soi-même, la notion d'auto-gouvernement. Idéal d'une démocratie plus participative et égalitaire Par l'association, on peut chercher un remède à la crise de la démocratie et du lien social / civique. Les associations constituent une double école. : solidarité réciproque: le cadre du don multiplicateur de dons (apprendre à sortir de soi) démocratie: autonomie, mise en œuvre dans l'association. La crise de la démocratie symptômes: le discrédit de la classe politique l'absence de civisme Selon Roger Sue (sociologue) dans son ouvrage « La société civile face au pouvoir » La crise est une fracture politique entre la société civile et la représentation politique. Le système ne peut plus représenter la société. Il y a une différence entre la demande de démocratie et le système qui ni dans les formes, ni dans les procédures ou l'éthique ne parvient à répondre à cette demande de démocratie. Comme c'est le cas par exemple avec la classe politique aujourd'hui. La société civile a maturé en conscience démocratique et ne tolère plus ce qui était accepté avant. Cette crise est plus une crise de la représentation politique que de l'idéal démocratique car il y a eu une progression de l'idéal démocratique. La sphère civique en pleine ébullition se traduit par l'effervescence des formes associatives. À long terme, la crise n'est pas inquiétante car c'est une redécouverte de l'idéal démocratique, de l'auto gouvernement. Elle nous permet de penser aux enjeux de la démocratie, développement de l'espace pour nous gouverner nous-mêmes. C'est un idéal qui pointe une conception de la citoyenneté fière de la liberté: La démocratie n'est pas la servitude. C'est l'expérience d'une perte de pouvoir, de contrôle, et l'exigence de nouveaux maîtres. Exigence d'autonomie suffisante ? Cette exigence ne relance pas l'expérience démocratique. D'ailleurs, Roger Sue pense l'idéal d'autonomie à travers le réseau, Internet. Le lien d'association peut être l'engagement, la famille, le lien économique. Mais la société n'est pas un réseau, ni un modèle virtuel. Le lien social ne se produit pas par la simple connexion. Il faut être capable de s'engager auprès d'autres, de nouer des relations avec autrui. Hypothèse La singularité de l'association est à rechercher dans la singularité du lien associatif Autre modalité du vivre/être ensemble: la réciprocité. Radicalise l'idéal de démocratie. La démocratie favorise la capacité à subordonner l'intérêt particulier à des actions communes. C'est la qualité du lien social. L'idéal de citoyenneté est très exigeant car c'est un engagement fort, une responsabilité par rapport aux autres assumée dans les relations avec les autres dans la famille La force de la solidarité est assurée par des contextes favorables à la confiance. Elle est donc régie par la logique du don et du contre don. Elle repose sur les notions de désintéressement et de gratuité. Comment ce sens moral du don peut-il sortir des petites communautés (ex: famille) dont nous sommes issus ? La question de la démocratie, c'est l'articulation du proche et du lointain et de manière plus philosophique, du singulier et de l'universel. Une forme de solidarité primaire à secondaire. La démocratie est un saut vers l'inconnu. Il y a toujours un risque donc la démocratie repose sur un pari. La démocratie ne peut pas tabler sur la confiance, mais ressort d'un pari de confiance: le don aux inconnus. Mais il y a la tentation de se replier d'où le faible engagement à l'égard des affaires collectives laissées aux appareils (l'État, les institutions...) Quels sont les espaces favorables à la confiance pour permettre le déploiement vers une solidarité sociale ? Le sens même de bénévole étymologiquement signifie: de bonne volonté, de volonté libre. L'engagement est fondé sur une posture morale du registre de la solidarité volontaire. L'association a donc une fonction catalysatrice avant tout. C'est le pari de la différence, d'une rencontre entre deux inconnus qui permet de sortir de sa sphère privée. C'est un espace qui active la capacité à nous lier, à générer ensemble, de la communauté. (Par exemple un système d'échanges locaux, des échanges avec des relations concrètes, un lieu d'apprentissage concret de la solidarité ex: le commerce équitable.) briser le charme de la vision angélique des associations. : La limite des vertus associatives constitue un paradoxe. La force de civisme et de solidarité démocratique ne peuvent être apprises que dans la vitalité de l'association. Mais la vitalité de l'association dépend de la vitalité de l'État Pour se développer, la participation des citoyens a besoin de l'aide de l'état. Aujourd'hui, il y a un retour pervers de l'association. Les associations doivent résoudre les problèmes que l'État ne parvient plus à résoudre. Ex: En Amérique latine avec la société providence, il y a un désengagement systématique de l'État Ne pas attribuer des qualités aux associations qu'elles n'ont pas forcément: les associations ce n'est pas l'égalité. Les inégalités de la société sont reflétées et parfois amplifiées dans les associations. Le rôle de l'État peut être d'assurer une plus grande égalité entre les associations. La discontinuité du monde associatif. Engagement associatif se fait souvent à temps partiel, par intermittence. Le revers de la médaille: le travail bénévole n'est que très faiblement valorisé. - Remarque: l'État pourrait faire du bénévolat un statut plus stable: des allocations universelles, revenus de citoyenneté sont proposés pour donner un sens symbolique à l'engagement associatif. La fragmentation: la nature particulariste des associations permet des formes de solidarités très fortes, mais peut les conduire à des logiques de replis communautaires. - Remarque: la juxtaposition d'associations particularistes n'est pas une société démocratique. Donc une ouverture très relative qui ne peut pas permettre l'accès à une communauté politique. Si l'État, la communauté politique et les institutions les favorisent tous, la tendance à l'enfermement sera ainsi jugulée. Réfléchir aux différentes démocraties participatives (idée de renouer) L'association en est une des formes. Elle repose sur des procédures qui reposent elles-mêmes sur la confiance accordée au citoyen. N'importe qui doit être capable de prendre des décisions en matière de politique. La politique c'est le vivre ensemble, une question concertée, délibérée de droit commun. C'est une forme de participation qui s'invente: la pratique démocratique participative, associative se développe. Questions à Philippe Chanial: Autour de l'intérêt qui pousse les gens à s'engager à adhérer à la vie associative, la vision défendue lors de la conférence est utopique. La solidarité primaire prend-elle de l'importance sur la solidarité secondaire ? Il faut distinguer les intérêts naturels et moraux. Être désintéressé ne veut pas dire ne pas avoir d'intérêt. L'intérêt peut être dans l'activité elle même. Il faut être attentif à cela car il est facile de tout retraduire dans le langage de l'intérêt. L'association est une qualité de la relation associative qu'il ne faut pas oublier et ne pas toujours soupçonner. Nous devons prendre au sérieux la morale pratique et ordinaire et passer à une dimension politique. Le cadre associatif est une force productive, qui diffuse des valeurs au sein de la société. La question de la solidarité primaire (personnalisé) et secondaire (fonctionnelle et impersonnelle): fonctionne au don. Savoir si la crise de ces solidarités est liée à un envahissement de la société secondaire ne remet pas en cause cette distinction. Il y a différentes façons de produire du bien collectif: le marché, l'État, les associations. Concernant le pari de confiance avec un étranger. Dans le cas où on s'engage autour de valeur, autour d'une charte, il n'y a plus d'étranger donc pas de pari... Dans le pari de confiance, en effet, les étrangers hier, par souscription deviennent familiers. C'est une alchimie particulière qui fait exister une relation qui n'existait pas hier. Le nous devient une action collective. Quel est l'apport du don dans la démocratie ? Le cœur de l'engagement associatif: c'est l'apport du don pas du gain. Les relations sont valorisées pour elles mêmes. C'est une question de reconnaissance de l'autre au cœur du don. Créer un lien libre et volontaire à la fois, nourrir une relation pour elle même, est au cœur de l'engagement associatif. Il y a une augmentation du pessimisme massif par rapport au changement et une imperméabilité de la classe politique. La société civile est-elle suffisamment mature pour arriver à cet idéal démocratique sans passer par un schisme politique ? Pour ce qui est de raviver la vie démocratique, les choses sont à l'œuvre. Il y a un engagement plus fort et un discrédit de la classe politique. Vous n'avez pas parlez des autres formes associatives: revendicatives et culturelles ? Et concernant la démocratie universitaire quand on voit les élections si peu suivies ? Il y a en effet différentes formes d'associations et je n'ai pas traité toutes ces formes (par ex: il y a 35 % d'associations sportive et culturelles). L'idéal d'association est l'idéal de fraternité en acte. L'association ne peut pas être pensée sans l'État force de l'économie et de l'État pour la démocratie. Concernant la démocratie universitaire, c'est un principe historique et un combat quotidien. Il y a un manque d'implication de la part des étudiants car la fonction n'est pas claire et les étudiants risquent d'être instrumentalisés. Il y a des enjeux de pouvoir. Intervention de Florian Prussak: dans 50 % des universités, les associations doivent siéger mais n'y vont pas car ce n'est pas leur rôle premier. Il y a une complémentarité des syndicats et des associations étudiantes.